Cri des colons contre un ouvrage de M. l'évêque et sénateur Grégoire, ayant pour titre 'De la Littérature des nègres'
CHAPITRE VII
Talens des Nègres pour les arts et métiers. Sociétés
politiques organisées par les Nègres.
Dans le chapitre septième, l'évêque Grégoire cherche à prouver, que les nègres joignent aux qualités morales, de grandes connoissances dans les arts mécaniques et libéraux. Il cite «Bosman, Brue, Barbot, Holben, James-Lyn, Kiernan, d'Alrymple, Towne, Wadstrom, Falcondridge, Wilson, Klarkson, Durand, Stedmann, Mungo-Park, Ledyard, Lucas, Honython, Hornemann, qui tous connoissoient les noirs (et qui tous en étoient marchands), qui rendent témoignage à leurs talens industriels. Et Moreau de S. Méry les croit capables de réussir dans les arts mécaniques et libéraux.»
Nous pouvons, jusqu'à un certain point, juger de l'aptitude de tous les nègres pour les arts mécaniques et libéraux, par ceux qu'on nous apportoit à S. Domingue de presque toutes les nations d'Afrique, et que nous étions dans l'usage d'envoyer en France, pour leur faire apprendre un métier quelconque; quelques-uns y réussissoient jusqu'à un certain point, mais jamais aucun n'atteignoit le degré de perfection nécessaire pour pouvoir se passer d'un blanc pour le guider à son retour à S. Domingue, dans quelque métier que ce fût. Nous ignorons la manière dont en Afrique ils tannent et teignent les cuirs, nous n'avons jamais entendu dire qu'ils portassent des souliers dans leur pays; il nous est cependant arrivé plus d'une fois des fils de souverains, ils étoient, comme les autres, nu-pieds; et il y a tant d'avantage à aller ainsi dans les pays chauds, que nous doutons fort de l'assertion des voyageurs, qui disent qu'ils préparent si bien les cuirs. Pourquoi, à S. Domingue, où il existait des tanneries, n'ont-ils pas manifesté ce talent, ils n'ignorent pas que l'esclave, qui possède un métier même imparfaitement, a beaucoup d'avantages sur les autres, et que son sort en est amélioré. L'évêque Grégoire cite l'indigo qu'ils savent préparer; mais la manière dont ils le font est la preuve du contraire. Ils broyent entre deux pierres les feuilles de l'indigotier, et en font de petites boulettes qui, avec un peu de matière bleue, contiennent les trois-quarts et plus de fécule des feuilles; c'est avec ses boulettes qu'ils teignent les grosses toiles qu'ils fabriquent, et comme ils ne connoissent point de mordant pour fixer cette couleur bleue, ces toiles se déteignent aussitôt qu'on les lave. Il y a bien loin de cette préparation à celle que les blancs connoissent par la fermentation et le battage, et de l'application solide qu'ils en font sur les étoffes, par la dissolution de l'indigo dans l'acide sulfurique. Leurs beaux tissus, que cite l'évêque Grégoire, consistent dans de petits tapis composés d'une bandelette blanche et l'autre bleue. Ces bandelettes, larges de trois pouces, sont cousues à côté les unes des autres. Quant à leur belle poterie, et aux vases de forme la plus élégante et la plus recherchée, nous prions nos lecteurs d'en prendre connoissance dans les cabinets des curieux, qui sans doute en sont munis, ainsi que des fétiches et des magots en terre, qui donneront une juste idée du goût exquis des nègres dans ce genre. Ce que nous pourrions en dire, seroit trop au dessous de la vérité.
Segnius irritant animor demissa per aures,
quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et
quæ tradit ipse sibi spectator.
Nous regrettons aussi que M. le comte Hamilton n'aient pas insérés dans sa belle collection de vases antiques, ces chefs-d'oeuvres du bon goût des Africains, et nous engageons les éditeurs d'un nouvel ouvrage en ce genre de n'en pas négliger la publication.
L'évêque Grégoire vente encore les bijoux exquis en or, argent et acier, et les armes que font les nègres. Il nous semble que cette assertion est détruite par les objets que les capitaines, qui alloient à la traite, portoient en Afrique pour acheter des esclaves. Tout ce qu'il y avoit de rebut en armes, en instrumens aratoires, en mauvais couteaux, en petits miroirs, en verroterie, constituoit la pacotille que l'on portoit en Afrique pour y traiter des nègres, s'ils avoient excellé dans l'orfèvrerie, dans l'horlogerie, dans l'art de fabriquer les armes, auroient-ils acheté ces objets de peu de valeur?
«Un voyageur rapporte qu'à Juida il a vu de très-belles cannes d'ivoire longues de deux mètres (six pieds), et d'une seule pièce.»
Ne sommes-nous pas fondés à nier la possibilité du fait; les dents d'éléphans, quelque longues qu'elles soient, sont courbes, et l'ivoire ne peut se redresser. Nous connoissons parfaitement, pour en avoir vu, les cannes dont parle l'évêque Grégoire; elles sont faites avec la corne d'un poisson qu'on nomme le narval; cette corne est droite, quelquefois longue de dix à douze pieds (trois mètres). Cette belle matière n'a pas la blancheur matte de l'ivoire, mais elle a une demi-transparence, qui plaît davantage, et elle n'est pas, comme l'ivoire, sujette à jaunir.
Nous allons, pour terminer ce chapitre, dire encore un mot de deux chefs-d'oeuvres que cite l'évêque Grégoire, pour prouver la grande aptitude des nègres, pour les arts mécaniques et libéraux.
«Dikson, dit ce prélat, parle avec admiration des serrures de bois exécutées par les nègres, et des guitares, sur lesquelles ils jouent des airs qui respirent une douce mélancolie.»
Rien selon nous n'est une preuve plus forte du peu d'étendue du génie des nègres, que ces deux prétendus chefs-d'oeuvres. Tous les nègres qui viennent d'Afrique savent fabriquer des serrures de bois, mais, quand on en a vu une, on les a toutes vues; c'est comme les nids d'hirondelles, qui sont partout les mêmes. La même clé peut ouvrir toutes ces serrures, et quand ils la perdent, le premier petit morceau de bois qu'ils rencontrent leur en sert.
Quant aux guitares, que les nègres nomment banza, voici en quoi elles consistent: Ils coupent dans sa longueur, et par le milieu, une callebasse franche (c'est le fruit d'un arbre que l'on nomme callebassier). Ce fruit a quelquefois huit pouces et plus de diamètre. Ils étendent dessus une peau de cabrit, qu'ils assujettissent autour des bords avec des petits cloux; ils font deux petits trous sur cette surface, ensuite une espèce de latte ou morceau de bois grossièrement aplati, constitue le manche de la guittarre; ils tendent dessus trois cordes de pitre (espèce de filasse tirée de l'agave vulgairement pitre); l'instrument construit. Ils jouent sur cet instrument des airs composés de trois ou quatre notes, qu'ils répètent sans cesse; voici ce que l'évêque Grégoire appelle une musique sentimentale, mélancolique; et ce que nous appelons une musique de sauvages.
L'autre instrument, qui leur est le plus familier, parce que c'est celui au son duquel ils dansent, est le tambour; il est aussi simple que la guitare. Ils coupent un arbre creux, ils prennent une certaine longueur du tronc, ils étendent sur chaque bout une peau de mouton, en mettant le poil en dedans; cette peau est serrée autour du bois par un cercle de lianne, voici le tambour fait. Ils ne se servent point de baguettes pour le battre, mais de leurs mains. On peut aisément juger que cet instrument est peu sonore, il est d'une monotonie insupportable pour les blancs.
Dans une dissertation sur les briques flottantes des anciens, par Fabroni, l'évêque Grégoire trouve ce passage: «Comment concevoir la manière dont les anciens habitans de l'Irlande et des Orcades pouvoient construire des tours de terre, et les cuire sur place? C'est cependant ce que quelques nègres de la côte d'Afrique pratiquent encore.»
Voici à quoi se réduit ce chef-d'oeuvre inconcevable. Dans les cantons de l'Afrique, où la pierre et le bois sont rares, les nègres construisent grossièrement, non pas des tours, mais de petites huttes carrées, avec de la terre argileuse; quand ils ont fini cette espèce de pisé, ils remplissent l'intérieur de la case d'herbes sèches, et en garnissent aussi le dehors, ensuite ils y mettent le feu; les murailles se durcissent jusqu'à un certain point, mais ne cuisent point. Nous avons vu de ces petites maisons de terre à S. Domingue, qui avoient été construites par des nègres d'Afrique. Il y a bien loin de là, à des tours cuites sur place.
«Un problème non résolu, jusqu'à présent, mais non pas insoluble, est, selon M. Grégoire, la manière de concilier le développement de toutes les facultés intellectuelles, de tous les talens, sans laisser germer cette corruption que les arts d'agrément traînent, je ne dis pas inévitablement, mais constamment à leur suite.»
M. Grégoire a raison de dire que ce problème n'est pas insoluble, puisqu'il se trouve résolu par toutes les qualités morales que les nègres joignent aux grands talens qu'il leur suppose.
Ce prélat, craignant d'être contredit par le grand nombre de capitaines qui ont fréquenté les côtés d'Afrique, affirme, sur le témoignage de quelques voyageurs, entr'autre de l'abbé Prévot, que les nègres de l'intérieur de l'Afrique sont bien plus civilisés et plus moraux. En nous bornant, «dit-il, à l'acception que présente l'idée de sociabilité, d'aptitude à vivre avec les hommes, en rapport de services mutuels, l'idée d'un état policé qui, a une forme constituée de gouvernement et de religion, un pacte conservateur des personnes, des propriétés; qui pourroit disputer à plusieurs peuples noirs la qualité de civilisés? Seroit-ce à ceux dont parle Léon l'Africain, qui, dans les montagnes, ont quelque chose de sauvage, mais qui, dans les plaines, ont bâti des villes où ils cultivent les sciences et les arts.»
Ne sommes-nous pas en droit de demander ce que sont les villes dont nous parle Léon? quelles sont les sciences et les arts qui y fleurissent, pourquoi les voyageurs ne nous apportent pas le moindre produit de tant de talens? 15 quelle est enfin la religion que l'on y professe? C'est par elle particulièrement que nous pourrions juger du degré de civilisation des peuples. Ne savons-nous pas que plusieurs de ces castes noires adorent les astres, d'autres des serpens, les autres, des fétiches.
Note 15: (retour) «La France, dit un voyageur, est pleine des étoffes faites par des nègres.» Cela est vrai; mais ces étoffes viennent de l'Inde, où elles sont faites par des Indiens noirs à cheveux longs, qui ont beaucoup plus d'intelligence que les nègres d'Afrique, qui ont de la laine au lieu de cheveux.
Il existe, parmi les peuples de l'intérieur de l'Afrique (à ce que nous assure l'évêque Grégoire), un pacte conservateur des personnes.
Et le plus grand nombre des esclaves que traitent les capitaines négriers, est amené de plus de deux cents lieues de l'intérieur des terres. Ce prélat, pour nous prouver la perfection d'un des gouvernemens de la contrée de Juida, nous cite la négresse Zingha, reine d'Angola, dont l'astuce diplomatique ne le cédoit en rien à celle des souverains d'Europe qui ont le plus perfectionné cet art funeste; la preuve en est, dit-il, dans la conduite de cette reine, morte à quatre-vingt-deux ans; à qui un esprit éminent et une intrépidité féroce assurent une place dans l'histoire. Elle fit périr, à la vérité, une grande quantité de ses sujets; mais, dans sa vieillesse, elle eut des remords, qui, comme le dit fort bien M. Grégoire, ne rendoient pas la vie aux malheureux qu'elle avoit fait sacrifier. Quel exemple de civilisation à citer! Ne pourrions-nous pas, par la même raison, préconiser la civilisation du féroce Dessalines, qui peut-être auroit aussi expié ses forfaits par des remords, si les mulâtres et les nègres n'avoient purgé la terre de ce monstre noir, qui, peu à peu, les auroit tous dévorés?
«En parlant des idées reçues parmi nous, communément on croit qu'un peuple n'est pas civilisé, s'il n'a des historiens et des annales. Nous ne prétendons, pas mettre les nègres au niveau de ceux qui, héritiers des découvertes de tous les âges, y ajoutent les leurs; mais, peut-on inférer de là, que les nègres sont incapables d'entrer en partage du dépôt des connoissances humaines (chapitre VI, page 153)?»
Ce seroit sans doute un acte d'ingratitude la plus marquée de la part des blancs: quand les pères ont perdu leur fortune, c'est un devoir de la part des enfans de partager avec eux le peu qu'ils ont. L'évêque Grégoire ne nous a-t-il pas dit, d'après Volney et Grégory, que les nègres ont été nos pères dans les sciences et dans les arts, et qu'ils nous ont appris jusqu'à l'art de parler.
L'évêque Grégoire ne peut pourtant s'empêcher de convenir que la civilisation est presque nulle dans plusieurs de ces états nègres. Par exemple, dans celui où l'on parle au roitelet, à travers une sarbacanne; ou quand il a dîné, un héraut annonce qu'alors tous les autres potentats du monde peuvent dîner à leur tour. Ce prélat traite encore de barbare le roi de Kakongo, qui, réunissant tous les pouvoirs, juge toutes les causes, avale une coupe de vin de palmier à chaque sentence qu'il prononce, et termine quelquefois cinquante procès dans une séance. Quelle barbarie! Tandis que chez nous, où la civilisation est montée au dernier échelon, il faut souvent cinquante séances et plus, pour terminer un procès.
CHAPITRE VIII
De la Littérature des Nègres.
Tandem, tandem, tandem, tandem, denique tandem.
Enfin, après sept chapitres, qui ne sont qu'un avant-propos, ou plutôt un hors de propos, du sujet de l'ouvrage annoncé par l'évêque Grégoire, ce prélat se décide à aborder la Littérature des nègres, dont, selon notre manière de voir, il ne donne que des preuves négatives. Que doit-on entendre par la Littérature d'un peuple? C'est l'ensemble des productions littéraires de cette nation. En partant de cette définition, nous allons examiner les preuves que prétend donner l'évêque Grégoire, de l'existence de la Littérature des nègres.
«Willeberforce, de concert avec les membres de la société, qui s'occupe de l'éducation des Africains, a fondé pour eux un espèce de collége à Clapham, distant de Londres d'environ six mille, j'ai, dit M. Grégoire, visité moi-même cet établissement en 1802, pour m'assurer du progrès des élèves, et j'ai vu qu'entr'eux et les Européens, il n'existoit d'autre différence que la couleur. La même observation a été faite à Paris, au collège de Lamarche, par M. Coesnon, professeur de l'Université, où il y avoit un certain nombre d'enfans nègres. La même observation a été faite à Philadelphie, à Boston; et le bon Wadstrome prétendoit, à cet égard, que les noirs avoient la supériorité sur les blancs. L'ancien consul américain, Skipwith, est du même avis (chap. VII, pag. 176).»
En accordant à l'évêque Grégoire une égalité, même une supériorité d'aptitude pour les sciences, à quelques nègres, sur les blancs, qu'en peut-on conclure en faveur de la Littérature de leur nation? L'aptitude à acquérir dans quelques individus, suppose-t-elle la science de la nation dont ils sont sortis? Le nègre don Juan Latino, enseignoit à Séville la langue latine; l'avoit-il apprise en Afrique? où existoient leurs Universités, leurs Colléges? dans quelle langue leurs littérateurs ont-ils écrit? Si Clénard, après avoir dit que les nègres étoient des brutes, reconnut dans un autre temps leur aptitude, et qu'il leur enseigna la littérature, dans la supposition qu'il ait réussi, n'a-t-il pas formé des savans en littérature portugaise, et non en littérature africaine? Que prouvent pour cette littérature, les réparties brillantes des nègres, dont l'évêque Grégoire cite un exemple.
«Un nègre de la côte, dormoit. Son maître, en le réveillant, lui dit, n'entends-tu pas maître qui appelle? Le nègre ouvre les yeux et les ferme aussitôt, en disant sommeil n'a pas de maître.» Cette répartie ne sent-elle pas un peu la littérature françoise?
Quelles preuves à donner de la littérature des nègres, que leur intelligence pour les affaires, dont on ne peut citer que quelques exemples très-rares, et leur mémoire prodigieuse dont on ne peut en citer qu'un. Leur talent pour servir d'interprètes, pour lequel ils n'ont besoin que de savoir un peu de françois, et l'idiome très-borné de quelques peuplades africaines, qui leur vendent des esclaves.
Nous demanderons à M. Grégoire, pourquoi, s'il y avoit en Afrique une Littérature, des Universités, le fils du roi de Nimbana, est-il venu en Angleterre pour y apprendre l'hébreu? Pourquoi Stedman, qui accorde aux Africains le génie poétique et musical, ne nous a-t-il pas apporté quelques-uns de leurs chefs-d'oeuvres en ces genres? Un opera de leur façon nous eût fait connoître leur poésie et leur musique, bien mieux que des relations de voyageur dont on doit toujours se défier.
Enfin, des preuves irréfragables de la Littérature des nègres, selon l'évêque Grégoire, ce sont les Chevilles du Père Adam, menuisier de Nevers; les ouvrages de Louise, l'abbé de Lion, surnommée la Belle Cordière; les oeuvres d'Hubert Pott, simple journalier en Hollande, proclamé par le voyageur Pratt, le père de la poésie élégiaque; les Poésies de Béronicius, ramoneur de cheminées; les Romans d'un domestique de Glatz en Silésie; les Poésies de Bloomfield, valet de charrue; les Poésies de Greensted, servante, et d'Anne Gearley, laitière à Bristol. Or, il est évident, d'après ces exemples, que si les blancs, dans les dernières classes de la société, sont parvenus à un degré de mérite aussi éminent, à Fortiori, les nègres peuvent en faire autant et plus; donc ils ont une Littérature. D'ailleurs, comme l'observe fort bien l'évêque Grégoire, le génie est l'étincelle recelée dans le sein du caillou; dès qu'elle est frappée par l'acier, elle s'empresse de jaillir. Nous pensons sans doute sur ce point comme M. Grégoire; mais nous avons observé que dans les cailloux noirs, l'étincelle étoit si bien encroûtée, que l'acier le mieux trempé pouvoit à peine l'en faire jaillir.
CHAPITRE IX
Notice des Nègres et des Mulâtres distingués
par leur talent et leurs ouvrages. Annibal,
Amo, Lacruz-Bagay, l'Ilet-Geofroy, Derham,
Fuller, Banaxe, Othello, Cugoano,
Capitein, Williams, Vassa, Sancho, Phillis-Weathley.
Dans ce neuvième chapitre, nous allons examiner si les ouvrages faits par les nègres, ou pour les nègres, sont bien une preuve de la littérature de leur caste.
«Annibal ou Hannibal, qui eut l'honneur d'être connu du Czar Pierre, par son éducation et son instruction, fut élevé en Russie, au grade de lieutenant-général, et de directeur du génie.»
Avoit-il reçu en Afrique l'éducation et l'instruction qui l'avoient porté à ces grades?
Amo (Antoine-Guillaume), né en Guinée, fut amené très-jeune à Amsterdam; un de ses maîtres l'envoya faire ses études aux Universités de Halle en Saxe, et de Wittemberg; il soutint une thèse, et publia une dissertation De Jure Maurorum; il parloit le latin, le françois, le hollandois et l'allemand.
Où avoit-il appris à parler toutes ces langues, étoit-ce dans les Universités d'Afrique?
Lacruz-Bagay, étoit ou nègre ou sang mêlé; l'évêque Grégoire dénonce lui-même son incertitude à cet égard. Selon nous, il n'étoit ni l'un ni l'autre, puisqu'il étoit Indien Tagal, nation qui diffère beaucoup des Africains nègres; il grava une carte des Philippines, composée par le Père Murello Vélande, jésuite.
Un graveur est-il un littérateur?
L'Ilet Geoffroy, également indien, fit aussi des cartes qui ne prouvent nullement la littérature des Africains.
Derham (Jacques), esclave à Philadelphie, fut vendu par son maître à un médecin, qui le vendît à un chirurgien, qui le vendît au docteur Robert Dove, de la Nouvelle-Orléans; à l'âge de vingt-six ans, il est devenu le médecin le plus distingué de la Nouvelle-Orléans; nous en sommes bien persuadés. Mais qu'a de commun la science de la médecine acquise à la Nouvelle-Orléans, avec la Littérature des nègres d'Afrique?
«Blumenbach, voyageant en Suisse, a vu, à Yverdun, une négresse citée comme la personne la plus habile du pays, dans l'art des accouchemens.»
Qui pourra, d'après cela, douter de la Littérature des nègres?
Fuller (Thomas), né en Afrique, et résidant à quatre milles d'Alexandrie, ne savoit, à la vérité, ni lire ni écrire, mais il n'en étoit pas moins littérateur, par sa prodigieuse facilité à calculer de mémoire. Un jour, on lui demanda combien de secondes avoit vécu un homme âgé de soixante-dix ans, «tant de mois et tant de jours? Il répondit dans une minute et demie. L'un des interrogateurs prend la plume, et après avoir longuement chiffré, prétend que Fuller s'est trompé en plus; non, lui dit le nègre, l'erreur est de votre côté, car vous avez oublié les bissextiles; le calcul se trouva juste.»
Les nègres des Antilles, qui pourtant viennent d'Afrique, sont encore bien éloignés de ce degré de perfection de littérature arithmétique, ils sont obligés, pour compter jusqu'à douze seulement, d'avoir recours; n'allez pas croire que ce soit à la plume, mais à des grains de maïs, ou à de petits cailloux. Pour savoir leur âge, ils mettent, à chaque renouvellement de lune, un petit caillou dans une callebasse, destinée pour cela, et quand on leur demande quel âge ils ont, ils répondent, autant de lunes qu'il y a de petits cailloux dans cette callebasse: mais il n'entre pas dans leur littérature de savoir de combien de lunes est composée une année; encore moins de connoître le calendrier de César, et le calendrier Grégorien; connoissance que le nègre calculateur, cité par M. Grégoire, n'avoit pas certainement acquise dans son pays, qui, par conséquent, ne prouve rien en faveur de la littérature africaine.
Nous pourrions encore donner ici les noms de quelques autres nègres ou mulâtres, dont l'évêque Grégoire cite les ouvrages comme des preuves de l'existence de la Littérature africaine; mais nous craignons d'abuser de la patience du lecteur, et nous l'engageons à en prendre connoissance dans l'ouvrage même de M. Grégoire. D'après cela, il conviendra avec nous qu'il étoit bien inutile que ce prélat se mît en frais de produire une foule de citations, dont plusieurs, très-insignifiantes, ne tendent qu'à prouver ce que jamais nous ne lui avons contesté, qu'il se trouve (quoique rarement) parmi les nègres d'Afrique, quelques individus qui ont un certain degré d'aptitude à acquérir une certaine somme de connoissance. Mais nous maintenons, et le lecteur impartial, conviendra avec nous, que les ouvrages que l'évêque Grégoire attribue aux nègres et aux mulâtres, bien au-dessous de l'idée que ce prélat s'est efforcé d'en donner, ne prouvent nullement la littérature des nègres d'Afrique; 1º. parce qu'ils sont tous écrits en langues totalement étrangères aux différentes populations africaines; 2º. parce que leurs auteurs ont puisé leurs connoissances, soit en Angleterre, soit en France, soit en Hollande, soit en Portugal, soit en Espagne, et que pas un n'a composé ses ouvrages dans son pays, nous maintenons donc que ces ouvrages sont la preuve la plus irréfragable, que les Africains n'ont point de littérature; et que les preuves que donne M. Grégoire, qu'ils en ont eu une autrefois, ne sont rien moins que certaines.
Il est cependant possible, qu'en notre qualité de François, nous soyons, comme le dit l'évêque Grégoire, tellement étrangers à tout ce qui s'appelle littérature étrangère, que nous n'ayons pu deviner celle des nègres. Au reste, l'intention de l'auteur est évidente; son but, en faisant son ouvrage, n'a pas plus été de prouver la littérature des nègres, que nous en faisant le nôtre, de la réfuter; on ne se bat pas contre une chimère.
Pour prouver à l'évêque Grégoire notre reconnoissance, en suivant la maxime sublime de l'Evangile, qui est de se venger de ceux qui nous font du mal, en leur faisant du bien, nous donnerons à ce prélat un avis, qui ne peut qu'être très-profitable à ses intérêts; c'est celui de ne pas envoyer une pacotille trop considérable de ses ouvrages (surtout du dernier), à la Guadeloupe, à la Martinique, aux îles Espagnoles, enfin, dans toutes les Antilles, où la peste négrophilique n'a pas exercé ses ravages; ce seroit une très-mauvaise spéculation, et nous craindrions beaucoup que le colporteur ne fût très-mal accueilli.
Qu'il nous soit permis avant de terminer cet ouvrage, de jeter quelques fleurs sur la tombe du général Ferrand; ce brave militaire, vraiment ami de son pays, connut le prix des colonies, et fut l'ami des colons; l'expérience l'avoit fait revenir de la malheureuse prévention que les négrophiles ont donnée contr'eux à la majeure partie des François. La perte de ce général est donc une nouvelle calamité qui atténue encore le peu d'espoir qui leur restoit. Dans le nombre des militaires qui ont partagé avec ce général les mêmes sentimens, nous nous plaisons à citer ici un de ses aides-de-camp, M. Castel Laboulbene, chef d'escadron, et commandant à Samana, qui réunit aux talens militaires les plus distingués, les qualités sociales les plus aimables.
Nous croirions encore manquer à la reconnoissance, si nous ne citions pas ici le général Morgan, qui, dans le peu de temps qu'il a resté dans la colonie, a témoigné aux colons l'affection la plus marquée, et leur a rendu, dans les circonstances critiques où ils se sont trouvés, tous les services qui ont dépendu de lui. Ce brave général, à ses talens militaires, réunissoit la connoissance des colonies, et il ne faut que les connoître pour en sentir l'importance.
L'évêque Grégoire termine son ouvrage de la Littérature des nègres, par une péroraison que nous allons copier.
«Puissent les nations européennes expier enfin leurs crimes envers les Africains! Puissent les Africains, relevant leurs fronts humiliés, donner l'essor à toutes leurs facultés, ne rivaliser avec les blancs qu'en talens et en vertus, oublier les forfaits de leurs persécuteurs, ne s'en venger que par des bienfaits (ils les ont égorgés). Dût-on ici bas n'avoir que rêvé ces avantages, il est du moins consolant d'emporter au tombeau la certitude, qu'on a travaillé de toutes ses forces à la procurer aux autres.»
N'eût-il pas été beau à l'évêque Grégoire d'emporter aussi dans le tombeau le repentir des maux réels que son rêve a occasionnés, aux blancs, aux nègres même, et à la France.
FIN.