Dans les Entrailles de la Terre
Au fond du trou.—le sort des veuves.—pour porter le deuil.
A cinq heures du matin, été comme hiver dans la plupart des exploitations, le «piqueur» descend vers les galeries, soit par la «fendue» humide et glaciale, la pente qui pénètre de biais jusqu’au niveau des fouilles, soit par les échelles ou les cages qui y aboutissent verticalement. Par le premier procédé, il a quelquefois quarante, cinquante minutes de marche avant que de rejoindre le chantier; par le second, il s’endommage les pieds et risque la mort au moindre faux pas; par le troisième, il «tombe» en quelques secondes, mais avec une rapidité vertigineuse jusqu’à l’étouffement, tandis que sa carcasse est transie jusqu’aux moelles.
LE COUP DE GRISOU, PAR JOSÉ FRAPPA (Cliché Neurdein)
Une lueur terrible, aveuglante, jaillit au milieu de ces ténèbres éternelles, une explosion formidable retentit, un cri fou, éperdu: «Le grisou!»
Puis ce sont les hurlements des blessés et la fuite des survivants se trompant parfois de route, s’écrasant aux parois qu’ils essaient de détruire de leurs ongles crispés!
En bas, le boyau qu’il taraude a bien soixante centimètres de haut. Il s’y faufile à plat-ventre, lampe en main, se retourne, accroche la lumière où il peut, glisse une planchette sous sa nuque en guise d’oreiller; et, ainsi allongé dans la boue, pioche la voûte qui, en petits ou gros fragments, déboule sur son visage, sa poitrine, son ventre. Si le pic crève la couche rocheuse, ce peut être la trombe d’eau balayant tout, l’emportant comme un fétu ou le noyant comme un rat dans son trou. Le grisou le guette. Les douleurs précocement, rouillent ses charnières, prennent possession de ses os.
Et les ténèbres toujours, éternellement!
LA MISÈRE QUI SE MET EN DEUIL... (Composition de Géo Dupuis)
Rien n’est-il plus poignant, dans sa douloureuse simplicité, que cette scène: la femme devenue veuve obligée de se dévêtir et de dévêtir ses enfants pour teindre en noir les seuls vêtements de la famille...
La tache était poussée autrefois jusqu’à treize heures à Bessèges, onze heures à Decazeville, décompte fait de la trêve du repas. Aux mines de Bert, l’ouvrier gagnait 3 fr. 30 de salaire quotidien; 3 fr. 80 dans la Loire; 4 fr. dans le Pas-de-Calais; ailleurs 5 à 6 fr.
De salaire net? Non pas. Là-dessus, il fallait prélever: 1º le «boisage» soit les étais que le «piqueur» est tenu de placer au fur et à mesure du cheminement; 2º le «rouleur» qui ramasse et transporte la houille; 3º la poudre nécessaire à émietter l’obstacle où s’émoussait la pioche.
D’où réduction de 50 0/0: le gain diminué de moitié; ramené à 2 fr. 50. |Je l’ai citée souvent, l’histoire des quatre «piqueurs» associés des mines du Nord, gagnant 200 francs en une quinzaine, devant en déduire 180 francs d’explosifs, et se trouvant, en fin de compte, chacun avec un bel écu pour deux semaines entières du labeur que l’on sait!
Je me souviens d’une veuve, entre autres, si lamentable !
Je la trouvai en chemise et en jupon, ses petits, comme elle dévêtus, entourant le baquet où elle plongeait les bras. Dans un liquide noirâtre, de vagues étoffes flottaient. Celle-là ne pleurait pas, ne disait rien, abrutie de désespoir. Elle murmura seulement:
— On n’avait pas de rechange, ni d’argent. Alors, avec dix sous de teinture, je fais notre deuil. Comme ça on fera honneur à mon pauvre mari.
Et soudain son cœur crève, les sanglots l’étouffent. Quelle résistance pouvait-elle opposer, l’infortunée, à l’appât d’un peu de soulagement immédiat pour ses orphelins, pour l’aïeule?