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Derniers essais de littérature et d'esthétique: août 1887-1890

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NOTES:

[41] Pall Mall Gazette, 15 février 1889.

[42] Moody, prédicateur et poète américain, que l'organiste Sankey accompagnait dans ses tournées.


Essais, par M. Brander Matthews[43].

«Si vous tenez à ce que votre livre soit apprécié favorablement, faites vous une bonne réclame dans votre préface.»

Telle est la règle d'or formulée pour servir de guide aux auteurs par M. Brander Matthews dans un amusant essai sur l'art d'écrire une préface et mettant sa théorie en pratique, il annonce son volume comme «le plus intéressant et le plus instinctif de la décade.»

Amusant, il l'est certainement par endroits.

L'Essai sur le poker, par exemple, est écrit avec beaucoup de verve et d'agrément.

M. Proctor blâmait le poker par une raison assez triviale.

C'était pour lui une manière de mensonge, et autre raison plus sérieuse, il offrait des occasions très favorables pour tricher.

A vrai dire, la seule existence de ce jeu, en dehors des tapis-francs était, selon lui, «un des phénomènes les plus monstrueux de la civilisation américaine.»

M. Brander Matthews répond à ces graves accusations que bluffer se réduit à la «Suppressio veri» et que cet acte exige du joueur une forte dose de courage physique.

Quant à l'acte de tricher, il soutient que le poker n'offre pas plus d'occasions pour l'exercice de cet art que le Whist ou l'Écarté, tout en admettant que l'attitude à prendre en face d'un adversaire dont la veine est indûment persistante, est celle de l'Allemand d'Amérique qui trouvant quatre as dans son jeu, était naturellement disposé à parier, quand il lui vint une idée soudaine:

—Qui a distribué les cartes? demanda-t-il.

—Jakey Einstein, lui répondit-on.

—Jakey Einstein! répéta-t-il en abattant son jeu. Alors je passe.

L'histoire de ce jeu paraîtra fort intéressante à tout amateur des cartes.

Ainsi que la plupart des produits franchement nationaux de l'Amérique, il semble avoir été importé de l'étranger, et on peut en suivre l'origine jusqu'à un jeu italien du quinzième siècle.

L'Euchre fut probablement acclimaté sur le Mississipi par les voyageurs canadiens.

C'est une forme du jeu français de triomphe.

Un citoyen du Kentucky, désirant dire à ses fils quelques mots d'avis pour leur conduite future dans la vie, les convoqua autour de son lit de mort et leur parla ainsi:

—Mes gars, quand vous descendrez le fleuve jusqu'à la Nouvelle-Orléans, méfiez-vous d'un certain jeu appelé le Yucker, où le valet est plus fort que l'as. Ce n'est pas chrétien.

Et cet avis donné, il s'allongea et mourut en paix.

Et c'était à l'Euchre que jouaient ces deux gentlemen, à bord d'un bateau sur le Mississipi, quand un spectateur, scandalisé de la fréquence avec laquelle un des joueurs tournait le valet, prit la liberté d'avertir l'autre joueur que le gagnant prenait les cartes de dessous.

Ce à quoi le perdant, sûr de savoir se défendre, répondit d'un ton bourru:

—Bah! je suppose bien qu'il le fait. C'est son tour de donner.

Le chapitre sur l'Antiquité des mots pour rire avec sa proposition d'une exposition internationale de plaisanteries, est des plus remarquables.

Une exposition de ce genre, comme le remarque M. Matthews, aurait du moins pour effet de détruire tout ce qui reste d'autorité au bon vieux dicton d'après lequel il n'existe au monde que trente-huit bonnes plaisanteries et que trente-sept ne peuvent être dites devant des dames et la section rétrospective serait d'un grand secours pour tout folkloriste digne de ce nom.

Car la plupart des bonnes histoires de notre temps appartiennent en réalité au folklore, sont des mythes survivants, des échos du passé.

Les deux proverbes américains bien connus: «Nous avons eu un enfer de temps» et «que l'autre marche» sont l'un et l'autre suivis jusqu'à leur origine par M. Matthews.

Le premier se retrouve dans les lettres de Walpole, le second dans une histoire que le Pogge raconte à un habitant de Pérouse qui s'en allait, l'air mélancolique, parce qu'il ne pouvait pas payer ses dettes: «Va! Stulte, lui fut-il conseillé, laissez l'inquiétude à vos créanciers.»

Même la brillante riposte faite par M. Evart quand on lui dit que Washington avait une fois lancé un dollar au delà du Pont Naturel en Virginie: «En ces temps-là un dollar allait bien plus loin que de nos jours» paraît descendre en ligne directe d'une spirituelle remarque de Foote, quoique dans ce cas, nous préférions le fils au père.

L'Essai sur le français tel que le parlent ceux qui ne parlent pas français est aussi écrit d'une façon très fine d'ailleurs. Sur tous les sujets, excepté en littérature, M. Matthews mérite d'être lu.

En littérature et sur les sujets littéraires, il est certainement tout à fait piteux.

L'Essai sur l'Éthique du plagiat, avec son pénible effort pour réhabiliter M. Rider Haggard, et les sottes remarques sur l'admirable article de Poë, au sujet de «M. Longfellow et autres plagiaires» est extrêmement terne et banal, et dans le laborieux parallèle qu'il établit entre M. Frédéric Locker et M. Austin Dobson, l'auteur de Plume et Encre montre qu'il est absolument dépourvu de toute vraie faculté critique, de toute finesse de tact pour discerner entre les vers courants de société et l'œuvre exquise d'un très-parfait artiste en poésie.

Nous ne trouvons point mauvais que M. Matthews compare M. Locker et M. Du Maurier, M. Dobson ou M. Randolph Caldecott, et M. Edwin Abbey.

Ces sortes de comparaisons, si elles sont très sottes, ne font aucun mal.

En fait, elles ne signifient rien, et selon toute apparence, on ne veut pas qu'elles aient une portée.

D'autre part, nous sommes réellement tenus de protester contre les efforts de M. Matthews pour confondre la poésie de Piccadilly avec la poésie du Parnasse.

Nous dire, par exemple que le vers de M. Dobson «n'a point la clarté condensée, ni la vigueur incisive de M. Locker» est vraiment trop mauvais, même pour de la critique transatlantique.

Pour peu qu'on se pique de se connaître en littérature on se gardera de rapprocher ces deux noms.

M. Locker a écrit quelques agréables vers de société, quelques bagatelles rimées à mettre en musique, admirablement bien faites pour les albums de dames et les magazines.

Mais citer pêle-mêle Herrick, Suckling et M. Austin Dobson, c'est chose absurde.

Herrick n'est point un poète.

D'autre part, M. Dobson, a produit des pièces absolument classiques dans leur exquise beauté de forme.

Rien qui ait plus de perfection artistique en son genre que les Vers à une jeune Grecque n'a été écrit de notre temps.

Ce petit poème restera dans les mémoires, aussi longtemps qu'y restera Thyrsis et Thyrsis ne sera jamais oublié.

Tous deux ont ce caractère de distinction qui est si rare en ces jours de violence, d'exagération et de rhétorique.

Certes, quand on avance comme le fait M. Matthews que les pièces de M. Dobson appartiennent à «la littérature forte», on dit une chose ridicule.

Elles ne visent point à la force et elles ne la réalisent point.

Elles ont d'autres qualités, et dans leur sphère délicatement circonscrite, elles n'ont point de rivales contemporaines; il n'en est même aucune qui se place au second rang après elles.

Mais M. Matthews ne s'effraye de rien et s'évertue à traîner M. Locker en dehors de Piccadilly, où il était tout à fait dans son élément, et à le planter sur le Parnasse, où il n'a pas le droit de prendre place, où il ne réclamerait point une place.

Il loue son œuvre avec le zèle étourdi d'un commissaire-priseur éloquent.

Ces vers d'une grande banalité, et même d'une légère vulgarité, sur un Crâne humain:

Il a peut-être contenu (pour émettre au hasard quelques idées), ton cerveau, o Eliza Fry! ou celui de Baron Byron; l'esprit de Nell Gwynne, ou du docteur Watts. Deux bardes qu'on cite. Deux sirènes philanthropes. Mais, j'espère, cela s'entend bien, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, qu'ils aient été adorés ou détestés, l'être qui posséda ce crâne ne fut pas tout à fait aussi bon, ni tout à fait aussi mauvais que bien des gens l'ont affirmé.

Ces vers-là lui paraissent «avoir de la gaîté et de l'éclat» «être pleins d'un humour agréable,» et il faut «y relever deux choses en particulier: l'individualité et la franchise de l'expression.»

Individualité, franchise d'expression! Nous nous demandons quel est pour M. Matthews le sens de ces mots.

M. Locker n'a pas de chance avec son lourdaud d'admirateur américain.

Comme il doit rougir en lisant ce panégyrique pesant!

Il faut dire que M. Matthews lui-même a du moins un accès de remords d'avoir tenté de mettre l'œuvre de M. Locker à côté de l'œuvre de M. Dobson, mais comme il arrive après les accès de remords, cela n'aboutit à rien.

Dès la page suivante, nous l'entendons se plaindre de ce que le vers de M. Dobson n'a point la «clarté condensée» et la «vigueur incisive» de celui de M. Locker.

M. Matthews devait s'en tenir à ses ingénieux articles de journaux sur l'Euchre, le Poker, le mauvais français et les plaisanteries d'antan.

Sur ces sujets-là, il sait «écrire des choses drôles» selon sa propre expression.

Il écrit aussi «des choses drôles» sur la littérature, mais la drôlerie n'est pas tout à fait aussi amusante.

NOTES:

[43] Pall Mall Gazette, 27 février 1889, à propos de Plume et encre


Le dernier livre de M. William Morris[44].

Le dernier livre de M. Morris est, d'un bout à l'autre, une pure œuvre d'art, et la distance même qui sépare son style du commun langage et des intérêts terre à terre de notre temps, donne à tout le récit une étrange beauté, un charme qui n'a rien de familier.

Il est écrit dans un mélange de prose et de vers, comme le «cante fable» du moyen âge et nous conte l'histoire de la maison des Wolfings dans ses luttes contre les légionnaires de Rome qui pénétraient alors dans la Germanie du Nord.

C'est une sorte de Saga, et le langage dans lequel est écrite cette épopée populaire, comme nous pourrions la nommer, rappelle la dignité, la franchise antique de notre langue anglaise d'il y a quatre siècles.

A un point de vue artistique, on peut la qualifier un essai pour se replacer par un effort conscient dans le milieu d'un siècle plus ancien, qui aurait plus de fraîcheur.

Les tentatives de ce genre ne sont point chose rare dans l'histoire de l'art.

C'est d'un sentiment analogue que sont sortis le mouvement préraphaélite de nos jours et la tendance archaïque de la sculpture grecque à son époque postérieure.

Quand le résultat est beau, le procédé est justifié. Les cris aigus, de ceux qui s'obstinent à réclamer une absolue modernité comme une prétendue nécessité, ne sauraient prévaloir contre la valeur d'une œuvre qui possède l'incomparable excellence du style.

Il est certain que l'œuvre de M. Morris possède cette excellence.

Ses belles harmonies, ses riches cadences créent chez le lecteur cet esprit sans lequel son esprit ne peut être interprété, éveillent en lui quelque chose du caractère romanesque, et le tirant de son propre siècle le placent dans un rapport meilleur et plus vivant avec les grands chefs-d'œuvre de tous les temps.

C'est chose mauvaise pour un siècle que de regarder sans cesse dans l'art pour y trouver son image.

Il est bon que de temps à autre, on nous donne une œuvre noblement imaginative en sa méthode et purement artistique dans son but.

En lisant le récit de M. Morris avec ses belles alternances de vers et de prose, avec sa façon merveilleuse de traiter les sujets de roman et d'aventures, nous ne pouvons nous soustraire à la sensation d'être transportés aussi loin de la fiction ignoble que nous le sommes des faits ignobles de notre temps.

Nous respirons un air plus pur, nous avons des rêves d'une époque où la vie avait quelque chose de poétique qui lui était propre, où elle était simple, imposante et complète.

L'intérêt tragique de La Maison des Wolfings se concentre autour de Thiodolf, le grand héros de la tribu.

La déesse, dont il est aimé, lui donne, au moment où il va livrer bataille aux Romains, un haubert magique auquel est attaché un étrange destin: celui qui le portera sera invulnérable, mais il causera la perte de son pays.

Thiodolf découvre ce secret et rapporte le haubert à Soleil des Bois,—ainsi se nomme-t-elle,—et préfère sa propre mort à la ruine de sa cause.

Ainsi finit l'histoire.

Mais M. Morris a toujours mieux aimé le roman que la tragédie, et place le développement de l'action au-dessus de la concentration de la passion.

Son récit est semblable à une vieille et splendide tapisserie toute pleine de personnages imposants et enrichie de détails délicats et charmants.

L'impression, qu'elle laisse en nous, n'est point celle d'une figure centrale qui domine l'ensemble, mais plutôt d'un magnifique dessin, auquel tout est subordonné, et par lequel tout acquiert une signification durable.

C'est le tableau d'ensemble de la vie primitive, qui exerce une réelle fascination.

Ce qui, entre d'autres mains n'aurait été que de l'archéologie est transformé ici par un instinct artistique vivant, nous est présenté sous un aspect merveilleux, mais humain, et plein d'un intérêt élevé.

Il semble que le monde ancien revient à la vie pour nous charmer.

Il est difficile de donner par la simple citation une idée adéquate d'une œuvre aussi considérable, achevée avec autant de perfection qu'elle a été conçue.

Cependant, voici un passage qui peut servir comme spécimen de sa valeur narrative.

C'est la description de la visite faite par Thiodolf au Soleil des Bois.

La lumière de la lune s'épandait à grands flots sur le gazon découvert, et la rosée tombait, en cette heure la plus froide de la nuit, et la terre exhalait un doux parfum: toute la demeure était alors endormie. En aucun des bruits ne se reconnaissait le bruit d'une créature, si ce n'est que de la prairie lointaine arrivait le mugissement d'une vache qui avait perdu son veau, et qu'une chouette blanche voletait près des rebords du toit, jetant son cri sauvage, pareil à la raillerie d'un éclat de rire maintenant silencieux.

Thiodolf se dirigea vers le bois et marcha sans s'arrêter à travers les noisetiers clairsemés, passa de là dans la masse dense des bouleaux, dont le tronc se dressait lisse et argenté, haut, compacte. En allant ainsi, il avait l'air de quelqu'un qui suit un sentier familier, bien qu'aucun sentier ne fût marqué, jusqu'à ce que la lumière lunaire fût entièrement éteinte par le toit serré du feuillage; et cependant aucun homme n'était capable d'aller par là malgré l'obscurité, sans s'apercevoir qu'il avait au-dessus de lui une voûte verte.

Il avançait toujours en dépit des ténèbres et vit enfin devant lui une faible lueur, qui devint de plus en plus brillante. Il parvint alors à une petite clairière où reparaissait le gazon, un gazon bien peu épais, parce que bien peu de lumière du soleil y arrivait, tant étaient serrés les hauts arbres des alentours.

Thiodolf ne leva pas un instant les yeux vers le ciel, ni vers les arbres, en parcourant le sol semé de cosses, que formait la pelouse, mais ses yeux regardaient droit devant lui, vers le point qui formait le centre de la pelouse.

Il n'y avait rien d'étonnant à cela, car là, sur un siège de pierre, une femme était assise, d'une extrême beauté, vêtue d'un vêtement scintillant, dont la chevelure s'épandait aussi pâle à la lumière de la lune sur la terre grise que les plaines couvertes d'orge, en une nuit d'août, avant que les faucilles recourbées y passent.

Elle était assise là comme dans l'attente de quelqu'un. Il ne suspendit point sa marche, il ne s'arrêta point, il alla droit à elle, la prit dans ses bras, lui baisa la bouche et les yeux. Elle lui rendit ses caresses. Alors il s'assit à côté d'elle.

Comme exemple de la beauté du vers, nous donnerions ce passage du chant de Soleil des Bois.

Il montre au moins, avec quelle perfection la poésie s'harmonise avec la prose, et combien est naturelle la transition de l'une à l'autre.

«En maints endroits habite la Destinée, qui ne dort ni jour ni nuit. Elle baise le bord de la coupe et porte le flambeau à la flamme vacillante quand les rois des hommes quittent la table, heureux, pour le lit nuptial. C'est peu de dire qu'elle émousse le tranchant de l'épée aiguisée, lorsqu'elle erre pendant bien des jours par la maison à demi construite. Elle balaie du rivage le navire, et sur la route accoutumée, le chasseur montagnard va là où son pied ne glissa jamais. Elle est là où la haute falaise s'émiette enfin sur le bord du fleuve; C'est elle qui aiguise la faux du faucheur, qui plonge le berger dans le sommeil, là où le mortel serpent veille parmi les moutons à l'abandon. Or, nous qui appartenons à la race divine, nous connaissons ses projets, mais nous ne savons rien de sa Volonté sur la vie des mortels et leur fin. Ainsi donc je t'enjoins de ne rien craindre pour toi de la Destinée et de ses actes, mais de les craindre pour moi, et je t'enjoins de prêter une oreille secourable à mon danger. Sans cela... Es-tu heureux dans la vie, ou te plaît-il de mourir à la fleur de tes jours, quand ta gloire et tes souhaits auraient atteint leur épanouissement?

Le dernier chapitre du livre, où nous est décrite la grande fête en l'honneur des morts est si belle de style que nous ne pouvons nous empêcher de citer ce passage.

«Or les ténèbres tombaient sur la terre, mais la salle était resplendissante à l'intérieur, tout ainsi que l'avait promis le Soleil de la Salle. Là s'étalait le trésor des Wolfings. De belles draperies étaient tendues sur les murs: des vêtements finement brodés suspendus aux colonnes, de superbes vases de bronze, des coffres aux belles sculptures étaient rangés dans les angles, où les gens pouvaient bien les voir, des vases d'or et d'argent étaient disposés çà et là sur la table du festin. Les colonnes étaient aussi parées de fleurs et des guirlandes fleuries pendaient aux murs sur les tapisseries précieuses. Des résines aromatiques et des parfums brûlaient dans des encensoirs de bronze d'un beau travail. Tant de lumières étaient allumées sous le toit, qu'il paraissait embrasé d'une flamme moins vive le jour où les Romains y avaient brûlé des fagots pour le détruire par le feu, dans la hâte du matin de la bataille.

«Alors commença le festin, dans la montée de leur retour, où ils rapportaient dans leurs mains la victoire, et les corps inanimés de Thiodolf et d'Otter, vêtus d'habits étincelants et précieux, les contemplaient du siège élevé. Les parents qui leur rendaient hommage étaient joyeux, et l'on but la coupe devant eux et d'autres, que ce fussent des Dieux ou des hommes.

En des jours de réalisme lourdaud et d'imitation sans imagination, c'est avec un plaisir intense qu'on souhaite la bienvenue à des œuvres de ce genre.

C'est là un livre que tous les amis de la littérature seront certainement enchantés de lire.

NOTES:

[44] Pall Mall Gazette, 2 mars 1889. A propos du Récit sur la maison des Wolfings et toutes les familles de la Marche.


Adam Lindsay Gordon[45].

Un critique a fait remarquer récemment à propos d'Adam Lindsay Gordon[46], que grâce à lui l'Australie avait trouvé sa première expression en beaux vers.

Mais c'est là une erreur bienveillante.

Il y a fort peu d'Australie dans la poésie de Gordon.

Son cœur, son esprit, son imagination étaient toujours préoccupés de souvenirs et de rêves anglais, et de la culture telle qu'il l'avait reçue de l'Angleterre.

Il ne dut rien à son pays d'adoption.

S'il était resté dans la terre natale, il aurait fait de bien plus belles choses.

En quelques pièces telles que le Stockrider[47] malade, De l'Épave, Loup et Chien de chasse, il y a des indices d'influences australiennes, et ces stances dans le genre de Swinburne tirées des Ballades de la Brousse méritent d'être citées, bien qu'elles contiennent une promesse qui n'a jamais été réalisée.

Ce sont là des rimes qui se suivent, reliées moins par le son que par le sens, en des pays où de brillantes fleurs sont dépourvues de parfum, où de brillants oiseaux sont dépourvus de chant, où, le feu et l'ardente sécheresse dans ses tresses, l'insatiable été opprime les tardives forêts, les mélancoliques déserts, les troupeaux et les animaux défaillants.
D'où viennent-elles? Le vaste grésillement de la sauterelle peut fournir une mesure. Le tintement d'une rouelle, d'un éperon le choc d'une vague, le coassement de la grenouille parmi les joncs, qui réveille les échos entre les pauses, les silences de la nuit tombante, du torrent qui se précipite, de la tempête en délire.
Pendant que s'épaissit là-haut l'obscurité dans l'intervalle de calme et de silence, quand rougissent d'une teinte de flamme les arbres de la forêt, sur les pentes de la montagne, quand les Eucalyptus aux troncs rabougris et difformes semblent porter, pareils à d'étranges colonnes égyptiennes des dessins curieux, de bizarres inscriptions, des sortes d'hiéroglyphes;
Au printemps, lorsque l'acacia frissonne entre l'ombre et la lumière, quand chaque bouffée d'air chargée de rosée ressemble à une longue gorgée de vin, quand la ligne bleue de l'horizon offre une résistance qui donne plus de profondeur à la distance la plus vague, Une sorte de chant s'éveille dans tous les cœurs; Et ces chants-là, ce furent les miens.

Mais en général, Gordon est franchement Anglais, et les paysages qu'il décrit sont toujours les paysages de notre pays.

Il chante les seigneurs et les dames du moyen-âge dans ses Rimes de joyeuse garde, les Cavaliers et les Têtes-Rondes dans son Roman de Britomarte.

Astaroth, sa pièce la plus longue et la plus ambitieuse, a pour sujet les aventures des barons normands et des chevaliers danois du temps jadis.

Imprégné de Swinburne et passionné de Browning, il s'évertue à reproduire la merveilleuse mélodie du premier et la vigueur dramatique, l'âpre énergie du second.

De l'Épave est en quelque sorte une édition australienne de la Chevauchée à Gand.

Voici les trois premières stances d'une des soi-disant Ballades de la Brousse.

Aux cieux tranquilles et semés d'étoiles s'accrochent des lustres blancs, et des éclairs d'un gris écarlate et des éclairs rouge et or. Et les gloires du soleil couvrent la rose, au-dessus de laquelle elles se déversent; comme amant et maîtresse ils flambent et se déploient.

Fleurissement muet dans le jardin, carré vert de pelouse, d'un vert frais, alors que les pâturages se durcissent, et que baillent les fissures de la sécheresse, et que des feuilles tombent en grand nombre, que les pétales de rose tombent pour vous, feuilles emperlées de rosée, et or que frappe l'aurore.
La pelouse se souviendra d'avoir été foulée par vos pieds en la cendre chaude d'automne, quand la sécheresse se ligue avec la chaleur, quand la dernière des roses se ferme désespérée en ce sommeil qui repose, avant que le vent d'orage prenne son vol.

Et les vers suivants d'Astaroth montrent que le baron normand a lu Dolorès juste une fois de trop:

Prêtres défunts d'Osiris, et d'Isis et d'Apis! cette doctrine mystique pareille à un cauchemar, conçue dans une crise de fièvre, n'est plus étudiée. Mage mort, cette troupe d'étoiles qui raye la voûte de ce firmament, là-haut regarde, calme, comme une armée d'anges blancs la sèche poussière d'adorateurs disparus.
Sur des mers inexplorées, le navire peut-il esquiver les rochers à fleur d'eau? L'homme peut-il suivre les enchaînements de la vie, passée ou future, que n'ont point résolus les Égyptiens, les Thébains, dont le sphinx n'a rien dit? L'énigme s'offre encore toujours enchevêtrée, aux chercheurs qui consument l'huile nocturne. O terre, nous avons peiné, nous avons travaillé: Combien de temps resterons-nous à la peine, au labeur?

Les classiques exercèrent toujours une grande fascination sur Gordon. Il aimait ce qu'il appelle: «le rouleau à la fois divin et grec» bien qu'il ne soit pas sûr de ses quantités, qu'il fasse rimer «Polyxena» et «Athéna», «Aphrodite» et «Light» et que parfois il émette des assertions très hasardées, par exemple quand il représente Léonidas criant aux Trois-Cents des Thermopyles:

Ho! camarades, dinons gaîment: Ce soir nous souperons avec Platon!

A moins qu'il n'y ait là, ainsi que nous l'espérons, une faute d'impression.

Ce que les Australiens aimaient le plus, c'étaient ses poésies de courses de chevaux, de chasse, pièces qui avaient de l'entrain, avec quelque rudesse.

Et même il ne se décida à sortir de l'anonymat, à se montrer dans le rôle franchement accepté d'écrivain en vers, que quand il s'aperçut que «Comment nous avons battu le favori» était dans la bouche de tous.

Jusqu'à ce jour là, il avait produit ses pièces en cachette, les griffonnant sur des bouts de papier, et les envoyant non signés aux Magazines.

Le fait est que l'atmosphère sociale de Melbourne n'était point favorable aux poètes, que les braves colons paraissent avoir douté, avec Aubrey, que la poésie fût une chose véritablement honnête.

Ce fut seulement lorsque Gordon eut gagné la Coupe du steeple-chase pour le major Baker, en 1868 qu'il devint vraiment populaire, et il y eut probablement bien des gens qui trouvèrent que diriger Babillard vers le poteau gagnant était un plus beau tour de force que de «babiller sur la verdure des prés.»

En somme, on ne saurait que regretter l'émigration de Gordon.

On ne peut lui refuser de la valeur littéraire, mais elle fut paralysée par un milieu défavorable, et gachée par la rude existence qu'il fut obligé de mener.

L'Australie a transformé un bon nombre de nos ratés en médiocrités prospères et admirables, mais elle nous a sûrement gâté un de nos poètes.

Ovide à Tomi n'est pas plus tragique que Gordon menant des bêtes à cornes ou exploitant une improductive ferme à moutons.

Mais l'Australie fera quelque jour amende honorable en produisant un poète qui soit bien à elle, nous n'en doutons pas, et pour lui il y aura de nouveaux accents à faire entendre, de nouvelles merveilles à nous conter.

La description, que donne dans la préface de ce volume M. Marcus Clarke, de l'aspect et de l'esprit de la Nature en Australie est des plus curieuses et des plus suggestive.

«Les forêts australiennes», nous dit-il, sont funèbres et sévères, et paraissent «étouffer, dans leurs gorges noires, une histoire de morne désespoir».

Pas de chute des feuilles, «mais le mélancolique gommier laisse pendre de son tronc des bandes sonores d'écorce blanche.

«De grands kangourous qui bondissent sans bruit sur une herbe grossière, des vols de Kakatoès passent, en jetant des cris d'âmes en peine.

«Le soleil disparaît brusquement, et les mopokes, lâchent d'horribles éclats de rire à demi-humain.

«Les indigènes prétendent que, la nuit venue, des profondeurs insondables d'une lagune monte un monstre informe, qui traîne sur la vase un long corps répugnant.

«D'un coin de la forêt part un chant plein de tristesse, et autour d'un feu les indigènes dansent, peints en squelette[48].

«Tout inspire la crainte, tout est sombre.»

Point de brillante fantaisie autour des souvenirs qui s'attachent aux montagnes. Des explorateurs à bout d'espoir leur ont donné les noms de leurs souffrances: Mont Misère, Mont de la Terreur, Mont du Désespoir.

«C'est justement en Australie, dit M. Clarke, qu'on trouvera le grotesque, l'étrange, les mystérieux gribouillages de la Nature qui apprend à écrire. Mais l'homme qui habite le désert en arrive à trouver un charme subtil à ce fantastique pays de monstruosités.

«Il devient familier avec la beauté de la solitude.

«Prêtant l'oreille aux murmures des myriades de voix de la solitude, il apprend le langage de la stérilité, du difforme, il arrive à lire les hiéroglyphes des gommiers hagards, éclatés en formes étranges, tordus par des vents furieux, ou recroquevillés par les froides nuits, lorsque la Croix du Sud se gèle au milieu d'un ciel sans nuage, d'un bleu de glace.

«La fantasmagorie de cette sauvage terre de rêve, qu'on nomme la Brousse, s'interprète d'elle même, et le poète de notre désolation commence à comprendre pourquoi Esaü aimait son héritage de désert mieux que toute la plantureuse richesse de l'Égypte».

Il y a certainement là une matière nouvelle pour le poète, il y a là une terre qui attend son chanteur.

Ce chanteur-là, ce ne fut point Gordon: il resta profondément Anglais, et le mieux que nous puissions dire de lui, c'est qu'il écrivit d'une manière imparfaite en Australie ces poèmes qu'il aurait pu porter à la perfection en Angleterre.

NOTES:

[45] Pall Mall Gazette, 23 mars 1889.

[46] Voir l'étude sur les Poètes Australiens, page 171.

[47] Le gardien, berger à cheval, comme les cowboys et les gardians de la Camargue.

[48] Voir les illustrations du curieux volume Les débuts de Botany Bay, souvenirs d'un convict, publiés par Albert Savine (1911).


Le Livre Bleu de M. Froude[49].

Les Livres Bleus sont généralement d'une lecture pénible, mais les Livres Bleus sur l'Irlande ont toujours été intéressants.

Ils sont le récit d'une des grandes tragédies de l'Europe moderne.

En eux, l'Angleterre a écrit elle-même son propre acte d'accusation et a donné à l'univers l'histoire de sa honte.

Si, dans le siècle dernier, elle tenta de gouverner l'Irlande avec une insolence qu'intensifiait le préjugé de race et de religion, elle a cherché en ce siècle-ci à la gouverner avec une stupidité qui fut aggravée par de bonnes intentions.

Toutefois, le dernier de ces Livres Bleus, un lourd roman de M. Froude[50], a paru un peu trop tard.

La société, qu'il décrit, a disparu depuis longtemps.

Un facteur entièrement nouveau s'est montré dans le développement social du pays, et ce facteur, c'est l'Irlandais-Américain, et son influence.

Pour mûrir ses facultés, concentrer ses actes, apprendre le secret de sa propre force, et de la faiblesse de l'Angleterre, l'intellect celtique a dû traverser l'Atlantique.

Chez lui, il n'avait appris que la touchante faiblesse de la nationalité; à l'étranger, il a pris conscience des forces indomptables que possède la nationalité.

Ce que fut pour les Juifs la captivité, l'exil l'a été pour les Irlandais.

L'Amérique et l'influence américaine ont fait leur éducation.

Leur premier chef pratique est un Irlandais américain.

Mais si le livre de M. Froude n'a point de relation pratique avec la politique irlandaise moderne et ne présente point de solution de la question présente, il a une certaine valeur historique.

C'est un vivant tableau de l'Irlande dans la dernière moitié du dix-huitième siècle, tableau où les lumières sont souvent fausses, les ombres exagérées, mais ce n'en est pas moins un tableau.

M. Froude avoue le martyre de l'Irlande, mais il regrette que le martyre n'ait point été poussé jusqu'au bout.

Le reproche, qu'il fait au bourreau, n'est point d'exercer son métier, mais de le bousiller.

Il ne reproche point à l'épée d'être cruelle, mais d'être émoussée.

Un gouvernement résolu, ce Shibboleth superficiel de ceux qui ne comprennent pas quelle chose compliquée c'est que l'art du gouvernement, voilà sa panacée posthume pour les maux passés.

Son héros, le Colonel Goring, a toujours sur les lèvres les mots: Ordre, loi. Il entend par le premier l'application violente d'une législation injuste; le second signifie pour lui la suppression de toute noble aspiration nationale.

Un gouvernement qui impose l'iniquité, et des gouvernés qui s'y soumettent, voilà ce qui paraît à M. Froude, et ce qui est certainement pour bien d'autres, le vrai idéal de la science politique.

Ainsi que la plupart des hommes de plume, il exagère le pouvoir de l'épée.

Partout où l'Angleterre a dû lutter, elle a été prudente.

Partout où elle a eu, comme en Irlande, la force matérielle de son côté, elle s'est vue paralysée par cette force.

Ses mains vigoureuses lui ont fermé les yeux.

Elle a eu de la force et n'a point eu de direction.

Naturellement il y a une histoire dans le roman de M. Froude. Ce n'est pas une simple thèse politique.

L'intérêt du récit, tel quel, se concentre autour de deux hommes, le Colonel Goring et Morty Sullivan, l'homme de Cromwell et le Celte.

Ces deux hommes sont ennemis par la race, par la religion, par le sentiment.

Le premier représente le remède de M. Froude pour l'Irlande. Il est résolument anglais, avec de fortes tendances non-conformistes. Il établit une colonie industrielle sur la côte de Kerry, et il a des objections profondément enracinées contre le commerce de contrebande avec la France, qui, au siècle dernier, était le seul moyen qu'eut le peuple irlandais pour payer ses fermages à des propriétaires absentéistes.

Le Colonel Goring regrette amèrement que les lois pénales contre les Catholiques ne soient pas rigoureusement appliquées.

C'est un homme de la Police «à tout prix».

«Et c'est ce que vous appelez gouverner l'Irlande! dit Goring avec mépris. Suspendre la loi comme un épouvantail à corbeaux dans le jardin, jusqu'à ce que tous les moineaux aient appris à s'en faire un jeu. Vos lois contre le Papisme! Bon, vous les avez empruntées à la France. Les Catholiques français n'ont point jugé à propos de garder les Huguenots chez eux, et ils ont révoqué l'Édit de Nantes. Vous dites dans tout l'univers que vous traiterez les Papistes comme ils ont traité les Huguenots. Vous avez emprunté à la France jusqu'au langage de vos statuts, mais les Français ne craignent pas d'imposer leur loi, et vous, vous avez peur d'appliquer la vôtre. Vous laissez le peuple s'en rire, et en lui accordant le mépris d'une loi, vous lui enseignez à mépriser toutes les lois, celles de Dieu, celles de l'homme pareillement. Je ne saurais dire comment cela finira, mais ce que je puis vous dire, c'est que vous formez, vous élevez une race, qui en viendra un jour à étonner l'humanité par l'éducation que vous lui donnez».

Le résumé, que M. Froude écrit de l'histoire de l'Irlande, ne manque pas de force, bien qu'il soit fort éloigné de l'exactitude.

«L'Irlandais, nous dit-il, a répudié les réalités de la vie, et les réalités de la vie se sont montrées les plus fortes».

Les Anglais, incapables de tolérer l'anarchie aussi près de leurs côtes, ont consulté le Pape. Le Pape leur a donné l'autorisation d'intervenir, et le Pape a gagné au marché. Car l'anglais l'a introduit ici, et l'Irlandais... l'y a maintenu».

Les premiers colons d'Angleterre étaient des nobles normands; ils sont devenus plus Irlandais que les Irlandais, et l'Angleterre s'est trouvé en présence de la difficulté que voici:

L'abandon de l'Irlande serait un discrédit pour elle; la gouverner comme une province serait contraire aux traditions anglaises.

Alors elle a «cherché à gouverner par la division», elle a échoué.

Le Pape était trop fort pour elle.

A la fin, elle a fait cette grande découverte politique: Ce qu'il fallait à l'Irlande, c'était évidemment d'avoir une population entièrement nouvelle «de la même race et de la religion que la population de l'Angleterre».

Le nouveau système a été mis partiellement à exécution.

«Elisabeth d'abord, puis Jacques, ensuite Cromwell, repeuplèrent l'Irlande, en introduisant des Anglais, des Écossais, des Huguenots, des Flamands, des dizaines de mille de familles de vigoureux et sérieux protestants, qui apportèrent avec eux leurs industries.

Deux fois les Irlandais... tentèrent d'expulser ce nouvel élément,... ils échouèrent...

Mais l'Angleterre avait à peine accompli sa longue tâche qu'elle se mit à la gâter elle-même.

Elle détruisit les industries de ses colons par ses lois commerciales. Elle employa les Évêques pour leur ôter leur religion...

Et quant à la noblesse, l'objet qui avait déterminé à l'introduire en Irlande resta inachevé. Ce n'étaient plus que des étrangers, des intrus, qui ne faisaient rien, qu'on laissait ne rien faire.

Le temps devait venir où une population exaspérée demanderait que la terre lui fût rendue, et alors, peut-être, l'Angleterre abandonnerait la noblesse aux loups, dans l'espoir d'une paix passagère.

Mais son tour viendrait ensuite.

Elle se verrait face à face avec l'ancien problème, ou de faire une nouvelle conquête, ou de se retirer avec déshonneur.

Ce genre de thèses politiques, de prophéties après coup, se retrouve à chaque instant dans le livre de M. Froude, et presque toutes les deux pages, nous rencontrons des aphorismes sur le caractère irlandais, sur les leçons que donne l'histoire d'Irlande, et sur l'essence du système gouvernemental de l'Angleterre.

Quelques-uns d'entre eux expriment les vues personnelles de M. Froude, les autres sont entièrement dramatiques, introduits pour marquer les traits caractéristiques.

Nous en reproduisons quelques spécimens. En tant qu'épigrammes, ils ne sont pas très heureux, mais à certains points de vue, ils offrent de l'intérêt.

«La société irlandaise s'est développée au milieu d'une heureuse insouciance. L'insécurité en rendait la jouissance plus piquante.

«Nous autres Irlandais, nous devons rire ou pleurer. Si nous prenions le part des pleurs, nous nous pendrions tous.

«Un rapport trop intime avec les Irlandais a produit une déchéance à la fois dans le caractère et dans la religion partout où les Anglais se sont établis.

«Avec le whiskey et les têtes cassées, nous vieillissons vite en Irlande.

«Les leaders irlandais ne peuvent combattre. Ils peuvent rendre le pays ingouvernable et occuper une armée anglaise exclusivement à les surveiller.

«Aucune nation ne peut conquérir, autrement que par les armes sur le champ de bataille, une liberté qui ne soit point un fléau pour elle.

«Dès le berceau on enseigne (aux Irlandais) que le gouvernement par l'Angleterre est la cause de toutes leurs misères. Ils étaient tout aussi malheureux sous leurs propres chefs, mais ils supporteraient de la part de leurs leaders naturels ce qu'ils ne supporteraient point de la nôtre, et si nous n'avons point empiré leur sort, nous ne l'avons pas non plus rendu meilleur.

«Patriotisme? Oui, patriotisme dans le genre Hibernois. Le pays a été mal traité: il est pauvre et misérable. C'est le fond de commerce du patriote. Tient-il à ce qu'on y porte remède? Oh! que non pas. Il n'aurait plus d'occupation.

«La corruption irlandaise est la sœur jumelle de l'éloquence irlandaise.

«L'Angleterre ne veut pas nous laisser casser la tête à nos coquins: elle ne veut pas les casser elle-même. Nous sommes un pays libre, et nous devons en accepter les conséquences.

«Les fonctions du Gouvernement Anglo-Irlandais consistèrent à faire ce qui ne devait point être fait, et à ne point faire ce qu'il fallait faire.

«La race irlandaise a toujours été bruyante, inutile, incapable de résultats. Elle n'a rien produit, elle n'a rien fait qui puisse être admiré. Ce qu'elle est, elle le fut toujours et le seul espoir qui leur reste c'est que leur ridicule nationalité irlandaise soit ensevelie et oubliée.

«Les Irlandais sont les meilleurs acteurs du monde.

«L'ordre est une plante exotique en Irlande: il a été importé d'Angleterre, mais il ne peut s'enraciner. Il ne s'accommode ni au sol, ni au climat. Si les Anglais tenaient à avoir de l'ordre en Irlande, ils ne laisseraient pas un de nous vivant.

«Quand les pouvoirs gouvernants sont injustes, la nature reprend ses droits.

«L'anarchie elle-même a ses avantages.

«La nature tient exactement ses comptes... Plus on tarde à payer un billet, plus lourds sont les intérêts accumulés.

«Vous ne sauriez vivre en Irlande sans enfreindre les lois dans un sens ou dans l'autre. Donc: pecca fortiter,... comme disait Luther.

«La vitalité animale de l'Irlandais a survécu quand tout le reste avait disparu, et s'ils vivent sans avoir de but, ils jouissent du moins de l'existence.

«Les paysans irlandais savent rendre la vie dans le pays impossible à un gentleman protestant, mais ils ne sont pas capables d'autre chose.»

Ainsi que nous l'avons dit, si M. Froude se proposait par son livre d'aider le gouvernement Tory à résoudre la question irlandaise, il a absolument manqué son but.

L'Irlande, dont il parle, a disparu.

Toutefois, comme témoignage de l'incapacité d'un peuple teutonique à gouverner un peuple celtique contre le gré de celui-ci, son livre n'est pas sans valeur.

Il est ennuyeux, mais présentement les livres ennuyeux sont très en vogue, et comme l'on commence à se lasser un peu de parler de Robert Elsmere, on se mettra sans doute à discuter Les Deux Chefs de Dunboy[51].

Il en est qui feront un accueil empressé à l'idée de résoudre la question irlandaise par la destruction du peuple irlandais.

D'autres se rappelleront que l'Irlande a élargi ses frontières, et que nous avons à compter avec elle, non seulement dans l'Ancien Monde, mais encore dans le Nouveau.

NOTES:

[49] Pall Mall Gazette, 13 avril 1889.

[50] Les Deux Chefs de Dunboy.

[51] Le roman fut, en effet, très discuté et très lu (voir Kipling, Parmi les Cheminots de l'Inde, 216-217).


Le Nouveau roman de Ouida[52].

Ouida clôt la liste des romantiques.

Elle appartient à l'école de Bulwer Lytton ou de George Sand, bien qu'il lui manque l'érudition de l'un et la sincérité de l'autre.

Elle s'efforce de faire entrer la passion, l'imagination et la poésie dans le domaine de la fiction.

Elle croit encore aux héros et aux héroïnes. Elle est fleurie, et fervente, et pleine de fantaisie.

Et pourtant elle aussi, la grande-prêtresse de l'impossible, subit l'influence de son siècle.

Son dernier livre, Guilderoy, ainsi qu'elle l'intitule, est une étude psychologique approfondie de tempéraments modernes.

Pour elle, c'est du réalisme, et elle a certainement pris une forte proportion du ton et du caractère de la société contemporaine.

Ses personnages se meuvent avec aisance, avec grâce, avec indolence.

On peut donner ce livre pour une étude de la pairie à un point de vue poétique.

Ceux qui en ont assez des jeunes clergymen médiocres, affligés de doutes, ou des jeunes dames sérieuses qui ont des missions, ou des banales têtes de cire de la plupart des romans anglais de nos jours, trouveront plaisir, sinon profit, à lire cet étonnant roman.

C'est un magnifique portrait de notre aristocratie. Rien n'a été épargné. Il n'en coûte que la somme relativement faible de une livre onze shillings pour être présenté à la meilleure société.

Les figures centrales sont exagérées, mais le fond est admirable.

Malgré qu'on en ait, cela vous donne une sensation comme celle de la vie.

Quel est le récit? Eh bien, nous devons avouer qu'il nous est venu un léger soupçon d'avoir déjà entendu Ouida nous le faire.

Lord Guilderoy, «dont le nom était aussi ancien que les temps de Knut» s'éprend follement d'amour, ou se figure qu'il s'éprend follement d'amour, pour une Perdita champêtre, une Artémis provinciale, qui a «une figure à la Gainsborough, avec de grands yeux interrogateurs, et une chevelure châtain clair en désordre».

Elle est pauvre, mais bien née, car elle est la fille unique de M. Vernon de Llanarth, singulier ermite, à moitié pédant, à moitié donquichottesque.

Guilderoy l'épouse, et ennuyé de la trouver si timide, si embarrassée pour se faire comprendre, si peu au fait de la vie fashionable, il revient à ses premières amours, une merveilleuse créature, qui se nomme la Duchesse de Soria.

Lady Guilderoy se gèle, la Duchesse s'embrase.

A la fin du livre, Guilderoy est un objet de pitié.

Il lui faut accepter le pardon d'une femme, et l'oubli de l'autre.

Il est foncièrement faible, dépourvu de toute valeur, et c'est le personnage le plus attrayant de tout le récit.

Il y figure en outre sa sœur Lady Sunbury, qui est très désireuse de voir Guilderoy se marier, et est parfaitement résolue à détester sa femme.

C'est réellement une figure très bien posée.

Ouida la décrit comme une «de ces femmes d'une admirable vertu qui détournèrent les hommes, plus sûrement que les sirènes les plus méchantes, des sentiers de la vertu.»

Elle s'irrite, elle s'aliène ses enfants, elle met en fureur son mari.

—Vous avez parfaitement raison. Je sais que vous avez toujours raison, mais c'est justement là ce qui vous rend si infernalement odieuse! dit un jour Lord Sunbury, dans un accès de rage, en sa propre maison, avec des éclats d'une voix de Stentor tels que des passants de Grosvenor-Street levaient les yeux vers ses fenêtres ouvertes, et qu'un balayeur dit à un marchand d'allumettes: «Ma foi, je crois qu'il est en train d'en conter de belles à la vieille».

Le caractère le plus noble du livre est celui de Lord Aubrey. Comme il n'a pas de génie, il se conduit, ainsi qu'il est naturel, d'une manière admirable en toute circonstance.

On le voit d'abord prenant en pitié Lady Guilderoy laissée à l'abandon et finissant par l'aimer. Mais il fait le grand renoncement, ce qui produit un effet considérable, et après avoir décidé Lady Guilderoy à accueillir de nouveau son mari, il accepte une «Vice Royauté distante et ardue».

Il est pour Ouida l'idéal du véritable homme politique, car apparemment Ouida s'est mise à étudier la politique anglaise.

Elle a consacré une bonne partie de son livre à des thèses politiques. Elle croit que les gouvernants qui conviennent à un pays comme le nôtre sont les aristocrates.

L'oligarchie est pour elle pleine d'attraits.

Elle a de vilaines idées du peuple; elle adore la Chambre des Lords et Lord Salisbury.

Voici quelques-unes de ses vues; nous ne les appellerons pas ses idées:

«La Chambre des Lords ne demande rien à la Nation: elle est donc la seule tutrice sincère et désintéressée des besoins et des ressources du peuple. Elle ne s'est jamais mise en travers du véritable désir du pays. Elle s'est simplement placée entre le pays et ses sottises impétueuses et passagères.

»Une démocratie ne saurait comprendre l'honneur. Comment le comprendrait-elle? Le Caucus[53] est principalement composé de gens qui mettent du sable dans le sucre, de l'alun dans le pain, forgent des baïonnettes et des solives métalliques qui ploient comme des brins d'osier, envoient dans l'Inde du mauvais calicot, et assurent au Lloyd des navires qu'ils savent destinés couler, au bout de dix jours de navigation.

»Lord Salisbury a été souvent accusé d'arrogance. On n'a jamais vu que cette prétendue arrogance était la conscience naturelle, sincère, d'un grand patricien certain d'être plus capable de diriger le pays que la plupart des gens qui le composent.

»La démocratie, après avoir rendu toutes choses hideuses et insupportables au plus haut degré pour tout le monde, finit toujours par se pendre aux basques d'un général victorieux.

»Le politicien, qui a réussi, peut être honnête, mais son honnêteté est tout au plus de qualité douteuse. Dès le jour où une chose devient un métier, il est parfaitement absurde de parler de désintéressement à propos de sa pratique. Pour le politicien professionnel, les affaires de la nation sont une manufacture, à laquelle il consacre son audace et son temps, et de laquelle il espère tirer sa vie durant, un certain tant pour cent.

»Il existe une tendance trop marquée à gouverner le monde par le tapage.»

Les aphorismes de Ouida sur les femmes, l'amour, la société moderne, sont un peu plus caractérisés.

»Les femmes parlent comme si on pouvait à son gré faire du cœur une pierre ou un bain.

»La moitié des passions des hommes ont une fin prématurée, parce qu'on s'attend à ce qu'elles soient éternelles.

»Ce qui fait le charme de la vie, c'est sa folie.

»Qu'est-ce qui cause la moitié des souffrances des femmes? C'est que leur amour est autrement tendre que celui de l'homme. Ce dernier prend de la force à mesure que le premier s'affaiblit.

»Pour supporter longtemps la campagne, en Angleterre, il faut avoir la rusticité d'esprit de Wordsworth, avec des bottes et des bas tout aussi grossiers.

»C'est parce que bien des gens sentent la nécessité de s'expliquer qu'ils arrivent à prendre l'habitude de dire ce qui n'est point vrai. La femme avisée ne s'obstine jamais à donner une explication.

»L'amour peut faire de son univers une solitude à deux, le mariage ne le peut pas.

»Monogame de nom, toute société cultivée est polygame; souvent même polyandrique.

»Les moralistes disent qu'une âme devrait résister à la passion. Ils pourraient aussi bien dire qu'une maison devrait résister à un tremblement de terre.

»Le monde entier est en ce moment même à genoux devant les classes pauvres. On prend pour accordé qu'elles possèdent toutes les vertus cardinales, et que la propriété de tout genre est seule coupable.

»En général, les hommes ne prennent point en pitié les larmes des femmes, et quand c'est une femme de leur entourage qui pleure, ils se bornent à sortir, en fermant la porte avec fracas.

»Les hommes croient toujours les femmes injustes à leur égard, quand elles omettent de déifier leurs faiblesses.

»Jamais passion, une fois rompue, ne supportera le renouvellement.

»Le sentiment perd sa force et sa délicatesse, quand nous le regardons trop souvent au microscope.

»Tout ce qui n'est pas flatterie paraît injustice à la femme.

»Quand la société s'aperçoit que vous la prenez pour une bande d'oies, elle se venge en sifflant à grand bruit derrière votre dos.»

Pour des descriptions de paysage et d'art, nous les trouvons naturellement en grand nombre, et il est impossible de méconnaître la touche d'Ouida dans ce qui suit:

»C'était un vieux palais, haut, spacieux, magnifique et morne. Des bustes de marbre terni, jauni, des bronzes étranges allongeant des bras maigres dans l'obscurité, des ivoires brunis par le temps, des brocards usés où brillaient des fils d'or, des tapisseries aux figures singulières et pâlies de divinités mortes, s'entrevoyaient dans un demi-jour de crépuscule. Et comme il allait et venait parmi ces choses, une figure qui semblait presque aussi pâle que l'Adonis de la tapisserie, debout, immobile comme la statue de l'amour blessé, se détacha de l'ombre devant son regard. C'était celle de Gladys.

Le style est plein d'exagération, d'une emphase outrée, mais il possède quelques remarquables qualités de rhétorique et une bonne proportion de coloris.

Ouida aime à montrer un léger vernis de culture, mais elle a en propre une certaine pénétration, et bien qu'elle soit rarement vraie, elle n'est jamais ennuyeuse.

Guilderoy, malgré ses défauts, qui sont grands, et ses absurdités, qui sont plus grandes encore, est un livre à lire.

NOTES:

[52] Pall Mall Gazette, 17 mai 1889.

[53] La camarilla.


Un roman par un liseur de pensée[54].

On pourrait dire bien des choses en faveur du système qui consiste à lire un roman à rebours.

En général, la dernière page est la plus intéressante, et lorsqu'on commence par la catastrophe, ou le dénouement, on se sent en termes agréables de familiarité avec l'auteur.

C'est comme si on allait dans les coulisses d'un théâtre. On n'est plus mis dedans, et quand il s'en faut de l'épaisseur d'un cheveu que le héros ne périsse, quand l'héroïne est dans les transes les plus angoissantes, cela vous laisse parfaitement froid.

On connaît le secret jalousement gardé, et on peut se permettre de sourire on voyant l'anxiété tout à fait superflue que les marionnettes de la pièce croient de leur devoir de témoigner.

Dans le cas du roman de M. Stuart Cumberland, l'Insondable profondeur, ainsi qu'il l'intitule, la dernière page donne un vrai frisson, et nous rend curieux d'en savoir plus sur Brown, le médium.

Scène: une chambre capitonnée dans une maison de fous, aux États-Unis.

Un aliéné énonce des propos sans suite; en se lançant avec fureur à travers la pièce, à la poursuite de formes invisibles.

—Celui-ci, c'est notre cas le plus marqué, dit un médecin en ouvrant la porte de la cellule à l'un des inspecteurs des aliénés. Il était médecin, et il est continuellement hanté par les créations de son imagination. Nous avons à le surveiller de près, car il manifeste des tendances au suicide.

Le fou se jette sur les visiteurs pendant qu'ils battent en retraite, et la porte se fermant sur lui, il se laisse tomber sur le sol avec un hurlement.

Une semaine après, le cadavre de Brown le médium est découvert, pendu au bec de gaz de sa cellule.

Comme on voit tout avec clarté! Quelle force, quelle netteté dans le style! Et quel air de réalisme dans cette simple mention d'un «bec de gaz».

Certes, l'Insondable profondeur est un livre à lire.

Et nous l'avons lu, et même avec grande attention.

Bien que l'autobiographie y tienne une grande place, ce n'en est pas moins une œuvre de fiction, et quoi que la plupart d'entre nous soient d'avis qu'elle ne servira guère à démasquer ce qui est déjà démasqué, et à révéler les secrets de Polichinelle, il y aura sans doute bien des gens qui apprendront avec intérêt les trucs et les supercheries d'ingénieux médiums avec leurs masques de gaze, leurs baguettes télescopiques, leurs invisibles fils de soie, avec les étonnants coups qu'ils savent produire par le simple déplacement du muscle long-péronier.

Le livre débute autour du lit de mort de l'Alderman Parkinson.

Le Docteur Josiah Brown, éminent médium, lui donne ses soins et s'évertue à réconforter le brave négociant par la production de coups secs dans le bois de lit.

Mais M. Parkinson, qui désire vivement revenir auprès de Mistress Parkinson, après sa mort, sous une forme matérialisée, ne se tient pour satisfait qu'après avoir obtenu de sa femme la promesse solennelle de ne point se remarier, car à ses yeux, un mariage serait de la vraie bigamie. Après avoir reçu d'elle cette promesse formelle, M. Parkinson meurt, et son âme, au dire du médium, est escortée jusqu'aux sphères par une «troupe d'anges en robes blanches». Tel est le prologue.

Le chapitre suivant a pour titre «Cinq ans après.»

Violette Parkinson, fille unique de l'Alderman, aime Jack Alston, qui est «pauvre, mais intelligent». Mistress Parkinson ne veut pas entendre parler de mariage jusqu'au jour où feu l'Alderman se sera matérialisé et aura donné son consentement formel.

Une séance a lieu, où Jack Alston démasque le médium et fait voir l'imposture du Docteur Brown: ce qui est une sottise de sa part. En effet, il est chassé de la maison par Mistress Parkinson, furieuse, dont la confiance envers le docteur n'est pas le moins du monde ébranlée par cette malencontreuse révélation.

Voilà donc les amants séparés.

Jack s'embarque pour Terre-Neuve, fait naufrage, et est soigné avec attention, peut-être avec trop d'attention, par La-Ki-Wa, ou l'Étoile Brillante, jeune et charmante Indienne qui appartient à la tribu des Micmacs.

C'est une créature enchanteresse, qui porte un «collier fait de treize pépites d'or pur», une couverture de fabrication anglaise, et des pantalons de cuir tanné. En somme, ainsi que le fait remarquer M. Cumberland, elle a l'air d'être la «personnification de l'aube fraîche emperlée de rosée.»

Lorsque Jack, revenant à lui, la voit, il lui demande naturellement qui elle est.

Elle répond, en ce langage simple que nous a fait aimer Fenimore Cooper:

—Je suis La-Ki-Wa; je suis la fille unique de mon père, le Grand Pin, chef des Dildoos.

Elle parle très bien l'anglais, et M. Cumberland nous en informe.

Jack lui confie aussitôt le télégramme suivant, qu'il écrit au verso d'un billet de cinq livres: «Miss Violette Parkinson, Hôtel Kronprins, Franzensbad, Autriche.—Sauvé—Jack.»

Mais La-Ki-Wa, chose fâcheuse à dire, se tient ce langage: «Le Blanc appartient à Grand-Pin, aux Dildoos, et à moi» et n'a garde d'envoyer le télégramme.

Par la suite, La-Ki-Wa offre sa main à Jack, qui la refuse et, avec la dureté de cœur qui est le propre des hommes, lui offre une affection fraternelle.

La-Ki-Wa regrette naturellement d'avoir prématurément laissé voir sa passion, et elle pleure:

—Mon frère, fait-elle, va croire que j'ai le cœur timide d'un daim avec la voix pleurante d'une papoose. Moi, la fille du Grand-Pin... Moi, une Micmac, montrer la peine que j'ai au cœur! O mon frère, j'en suis confuse.

Jack la réconforte avec les vains sophismes d'un être civilisé et lui fait présent de sa photographie.

Pendant qu'il se rend au steamer, il reçoit de Gros Daim un morceau salé d'une enveloppe de biscuit.

La-Ki-Wa y a écrit l'aveu de sa conduite coupable à propos du télégramme:

«Il eut, nous dit M. Cumberland, des idées très amères au sujet de La-Ki-Wa, mais elles s'adoucirent par degrés, quand il se fut souvenu de ce qu'il lui devait.»

Tout finit heureusement.

Jack arrive en Angleterre juste assez à temps pour empêcher le Docteur Josiah Brown de magnétiser Violette, que l'intrigant docteur voudrait bien épouser, et il jette son rival par la fenêtre.

La victime est retrouvée «contusionnée et couverte de sang parmi les débris des pots à fleurs» par un policeman comique.

Mistress Parkinson garde la foi au spiritisme, mais elle ne veut plus entendre parler de Brown, après avoir découvert que la «barbe matérialisée» de feu l'Alderman était en «horrible, en grossier crin de cheval.»

Jack et Violette s'épousent enfin et Jack est assez cynique pour envoyer à «La-Ki-Wa» une autre photographie.

Quant à la fin du docteur, elle a été rapportée ci-dessus.

Si nous avions ignoré ce qui l'attendait, nous n'aurions pas été sans peine jusqu'au bout du livre.

Il y a trop, beaucoup trop de rembourrage à propos du Docteur Slade, et du Docteur Bartram, et autres médiums.

Les considérations sur l'avenir commercial de Terre-Neuve paraissent n'en pas finir. Elles sont insupportables.

Toutefois, il y a plus d'une sorte de public, et M. Stuart Cumberland est toujours assuré d'un auditoire.

Son défaut principal est la tendance au bas comique, mais il est des gens qui goûtent le bas comique dans la fiction.

NOTES:

[54] Pall Mall Gazette, 5 juin 1889.


Le dernier volume de M. Swinburne.[55]

M. Swinburne mit jadis en feu ses contemporains par un volume de très parfaite et très vénéneuse poésie.

Puis, il devint révolutionnaire et panthéiste, et prit à partie les gens qui occupent de hautes situations tant au ciel que sur terre.

Ensuite il inventa Marie Stuart et nous fit supporter le poids accablant de Bothwell.

Par la suite, il se retira dans la chambre d'enfants et écrivit sur les enfants des poésies caractérisées par un excès de subtilité.

Présentement il est tout à fait patriote et s'arrange pour combiner, avec son patriotisme, une grande sympathie pour le parti tory.

Il a toujours été un grand poète. Mais il a ses limites, dont la principale a ceci de particulièrement curieux, qu'elle consiste dans l'absence totale de tout sentiment de la limite.

Ses chants sont presque toujours trop sonores pour son sujet.

Sa magnifique rhétorique, nulle part plus magnifique que dans le volume que nous avons en ce moment sous les yeux, cache plutôt qu'elle ne révèle.

On a dit de lui, et avec grande vérité, qu'il est un maître du langage, mais on peut dire avec plus de vérité encore que le langage est son maître.

Il semble que les mots le dominent.

L'allitération le tyrannise.

Le son pur règne souvent sur lui.

Il est si éloquent que tout ce qu'il touche devient irréel.

Prenons la pièce sur l'Armada:

«Les ailes du vent du Sud-Ouest s'élargissent, le souffle de ses lèvres ardentes. Plus tranchant que le fil d'une épée, plus brûlant que le feu, tombe en plein sur les navires qui plongent. C'est lui le pilote de la fuite vers le nord, lui leur homme et l'homme de la barre: un homme de barre vêtu de la tempête, ceint de force pour contraindre la mer. Et l'armée qu'ils forment, tremble, et frissonne dans la rude étreinte de sa main comme un oiseau sous les filets. Car la fureur et la joie qui le possèdent sont plus puissantes que celle de l'homme qu'il égorge et dépouille. Et vainement, le cœur coupé en deux, avec l'effort d'une volonté indécise, le chef de leur armée tient conseil avec l'espoir se demandant si l'étoile favorable brille encore.

Nous avons déjà entendu cela sous une forme ou sous une autre.

Cela vient-il de ce que parmi tous les poètes qui ont jamais vécu, M. Swinburne est le plus limité dans ses images?

Il faut reconnaître qu'il en est ainsi.

Il nous a lassés par sa monotonie: Feu et Mer, voilà les deux mots qu'il a toujours sur les lèvres.

Nous devons aussi avouer que ce chant suraigu—tout admirable qu'il soit,—nous laisse hors d'haleine.

Voici un passage tiré d'une pièce intitulée: Un mot avec le Vent.

Que l'éclat du soleil soit nu ou voilé, le ciel superbe ou caché d'un linceul, que l'eau soit calme, lâche, languissante, tourmentée, agacée, agile ou entravée, pâle et patiente, vêtue de feu ou de nuée, se torture vainement le cœur, on donne en replis de serpents, c'est vers toi qu'elle regarde, aveugle et déçue, lasse, épuisée de colère, repoussée éternellement par les vents qui bercent l'oiseau, des vents qui pareils à la poitrine des mouettes, triomphent de la mer, et ordonnent aux vagues mornes d'être aussi lasses que des cœurs qui succombent aux espoirs retardés, que le clairon sonne de l'ouest, que le sud rende témoignage de l'éclat dont résonnent et brillent les splendeurs de ta divinité, ordonne à la terre qu'elle se réjouisse de voir les larges ailes du vent de terre brisées, ordonne à la mer de prendre courage, ordonne au monde d'être à toi!

Des vers de cette sorte méritent peut-être un juste éloge pour la force soutenue et la vigueur de leur arrangement métrique. L'excellence purement technique en est extraordinaire. Mais est-ce plus qu'un tour de force oratoire?

Cela suggère-t-il vraiment quelque chose? Cela charme-t-il?

Pourrions-nous relire et relire encore avec un nouveau plaisir? Nous ne le croyons pas. Cela nous paraît vide.

Naturellement nous ne devons point chercher dans ces poésies de révélation de l'âme humaine.

Ne faire qu'un avec les éléments, tel semble être le but de M. Swinburne.

Il cherche à parler par le souffle du vent et la vague.

Le grondement de la flamme est sans cesse dans son oreille.

Il met son clairon aux lèvres du Printemps et lui ordonne de souffler, et la Terre s'éveille de ses rêves et lui dit son secret.

Il est le premier poète lyrique qui ait tenté le renoncement absolu à sa personnalité, et il a réussi.

Nous entendons le chant, mais nous ne voyons jamais le chanteur.

Nous n'arrivons jamais à être près de lui.

En dehors du tonnerre et de la splendeur des mots, il ne dit rien lui-même.

Nous avons vu souvent l'interprétation de la nature par l'homme.

Maintenant, c'est la Nature qui nous interprète l'homme, et il est curieux de voir combien elle a peu de chose à dire.

Force et Liberté, voilà ce qu'elle lui annonce vaguement.

Elle nous assourdit de ses clameurs.

Mais M. Swinburne ne chevauche pas toujours le tourbillon et n'invoque pas toujours les abîmes de la mer.

Les ballades romantiques dans le dialecte du Border n'ont pas perdu leur enchantement pour lui, et ce tout récent volume contient plusieurs exemples de cette sorte de poésie curieusement artificielle.

La proportion de plaisir que donne le dialecte est uniquement affaire de tempérament.

Dire Mither, au lieu de Mother, donne à certains la sensation romantique au plus haut degré d'intensité.

D'autres ne sont pas tout à fait aussi enclins à croire à la vertu d'émotion des provincialismes.

Toutefois on ne peut douter de la maitrise de la forme que M. Swinburne possède, que cette forme soit très légitime ou non.

Le Mariage fatigué a la concentration et la couleur d'un grand drame et la singularité du style y ajoute quelque chose de grotesque.

La ballade de la Sorcière-Mère, Médée du moyen-âge qui égorge ses enfants, parce que son seigneur est infidèle, mérite d'être lue, à cause de son horrible simplicité.

La Tragédie de la Fiancée, avec son étrange refrain,

Dedans, dedans, dehors et dedans Souffle le vent et se tord l'ajonc,

l'Exil du Jacobite:

O! La Loire et la Seine ont un cours imposant, et la noire Durance, un flot bruyant, mais les landes de la Tyne ont un éclat plus beau que toutes les campagnes de la France Et les vagues de Till qui parlent si bas, ont des reflets plus doux, partout où elles brillent.

La Veuve des Bords de la Tyne et la Formule qui sauve le pendard sont autant de pièces d'une belle venue d'imagination. Certaines sont terribles en leur ardente intensité de passion.

La poésie anglaise ne court point le danger de se rétrécir en une forme aussi étroite que la ballade romantique en dialecte.

Elle est d'une vitalité trop forte pour cela.

Nous pouvons donc saluer les essais que fait d'une manière magistrale M. Swinburne, avec l'espoir qu'on n'imitera point les choses qui ne se prêtent point à l'imitation.

Le recueil se termine par quelques poésies sur les enfants, quelques sonnets, une thrénodie sur John William Inchbold, et une charmante pièce lyrique intitulée les Interprètes:

Dans la pensée humaine toutes choses ont une habitation; nos jours rient, abaissent et allègent le passé, et ne trouvent aucune place qui dure. Mais la pensée et la foi sont choses trop puissantes pour que le temps puisse les entamer, quand une fois elles ont été rendues splendides par la parole ou sublimées par le chant. Le souvenir, alors même que le flux et le reflux du changement mobile se lasse de vieillesse, donne à la terre et aux cieux, par l'effet du chant et celui de l'âme, leur gloire.

Certainement, «dans l'intérêt du chant» nous aimerions l'œuvre de M. Swinburne, et même nous ne pouvons ne pas l'aimer, tant il est un merveilleux artiste en musique.

Mais qu'y a-t-il d'âme?

Pour l'âme, nous devons chercher ailleurs.

NOTES:

[55] Pall Mall Gazette, 27 juin 1889, à propos de la troisième partie des Poèmes et Ballades.


Trois poètes nouveaux.[56]

Les livres de poésie des jeunes écrivains sont d'ordinaire des billets qui ne sont jamais payés.

Néanmoins, on rencontre de temps en temps un volume si supérieur à la moyenne, qu'on résiste à grand'peine à la tentation attrayante de prophétiser étourdîment un bel avenir pour son auteur.

Le livre de M. Yeats: Les Voyages d'Oisin est certainement un de ceux-là.

Ici nous trouvons un noble sujet noblement traité, la délicatesse de l'instinct poétique, et la richesse d'imagination.

Une bonne partie de l'œuvre est inégale, peu soutenue, il faut le reconnaître.

M. Yeats n'essaie pas de dépasser Wordworth en enfance, nous sommes heureux de le dire, mais de temps à autre il réussit à «surpasser Keats en brillant» et il y a, çà et là, dans son livre des choses d'une étrange crudité, des endroits d'une recherche irritante.

Mais dans les meilleurs passages, il est excellent.

S'il n'a pas la grandiose simplicité de la facture épique, il a au moins quelque chose de la largeur de vision qui appartient au caractère épique.

Il ne diminue point la stature des grands héros de la mythologie celtique.

Il est très naïf, très primitif et parle de ses géants de l'air d'un enfant.

Voici un passage caractéristique du récit où Oisin revient de l'Île de l'oubli.

Et je suivis les bords de la mer, où tout est nu et gris, sable gris sur le vert des gazons, et sur les arbres imprégnés d'eau, qui suintent et penchent du côté de la terre, comme s'ils avaient hâte de partir, comme une armée de vieillards soupirant après le repos loin de la plainte des mers. Les flocons d'écume fuirent longtemps autour de moi; les vents fuirent loin de l'étendue emportant l'oiseau dans leurs plis, et je ne sus point, plongé dans mes pensées à l'écart, quand ils gelèrent l'étoffe sur mon corps comme une cuirasse fortement rivée, Car la Souvenance, dressant sa maigreur, gémit dans les portes de mon cœur, jusqu'à ce que chargeant les vents du matin, une odeur de foin fraîchement coupé, arriva, mon front s'inclina très bas, et mes larmes tombèrent comme des baies. Plus tard ce fut un son, à demi perdu dans le son d'un rivage lointain. C'était la grande barnacle qui appelait, et plus tard les bruns vents de la côte. Si j'étais comme je fus jadis, les fers d'or écrasant le sable et les coquillages, venant de la mer, comme le matin avec des lèvres rouges murmurant un chant, ne toussant pas, ma tête sur les genoux, et priant, et irrité contre les cloches, je ne laisserais à aucun saint sa tête sur son corps, lors même que ses terres seraient grandes et fortes.
M'éloignant des houles qui s'allumaient, je suivis un sentier de cheval, m'étonnant beaucoup de voir de tous côtés, faites de roseaux et de charpentes des églises surmontées d'une cloche, et le cairn sacré et la terre sans gardiens, et une petite et faible populace courbée, le pic et la bêche à la main.

Dans un ou deux endroits, la mélodie est fautive, la construction est parfois trop embrouillée, et le mot de populace du dernier vers est mal choisi, mais quand tout cela est dit, il est impossible de ne pas sentir dans ces stances la présence du véritable esprit poétique.


Une jeune dame, qui vise à «un chant qui surpasse le sens» et tente de reproduire le système de vers de Browning pour notre édification, paraîtra peut-être dans un état d'esprit inquiétant.

Mais l'œuvre de Miss Caroline Fitz Gerald vaut mieux que sa tendance.

Venetia Victrix est un beau poème à plus d'un point de vue.

L'histoire est étrange.

Un certain Vénitien, haïssant un des Dix qui commit une injustice envers lui, et identifiant son ennemi avec Venise même, abandonne sa ville natale et fait vœu de vouer son âme à l'Enfer plutôt que de faire un geste pour Venise.

Comme il s'éloigne de l'Adriatique la nuit, son vaisseau est arrêté par un calme soudain, et il voit une immense galère

où était assis comme des puissants conseillers, affranchis de tout et orgueilleux, les démons triomphants au milieu de leur flamme

et ils se dirigent vers Venise.

Il lui faut choisir entre sa perte et celle de sa cité.

Après une lutte, il prend le parti de se sacrifier à son téméraire serment.

Je montais. Mon cerveau avait produit une pensée, un espoir, un but. Et j'entendis le sifflement du désappointement furieux, enragé de manquer sa proie,—j'entendis le léchement de la flamme qui allait et venait à travers les figures blêmies, qui dardait avec colère ses langues aux hurlements des démons. Je levai haut cette croix, et criai: «A l'Enfer mon âme pour toujours, et à Dieu mon acte! Pourvu que Venise soit loin de danger, que cette vile argile aille où le destin l'entraîne». Et alors (quel rire hideux du démons en pleine possession, ardents à boire le vin d'une âme nouvelle, vin que n'ont point affaibli les larmes et qui retentissait comme le tonnerre de la ruine à mes oreilles) je tombai et n'entendis plus rien. Le pâle jour paraissait à travers les fenêtres du lazaret, lorsque je me réveillai une fois encore, me souvenant que peut-être je n'aurais plus la hardiesse de prier.

Venetia Victrix est suivie d'Ophélion, curieuse pièce lyrique dont les personnages sont la Nuit, la Mort, l'Aurore et un savant.

C'est compliqué plutôt que musical, mais certains chants ont de la grâce, notablement celui qui débute ainsi!

Dame des cieux très pure et sainte, Artémis, rapide comme le daim qui fuit, glisse à travers les ténèbres comme une ombre d'argent, reflète ton front dans le lac solitaire.

Le volume de Miss Fitzgerald mérite certainement d'être lu.

Le petit livre de M. Richard Le Gallienne, Volumes in-folio, comme il l'intitule plaisamment, est plein de vers jolis, d'une fantaisie délicate.

Des vers comme les suivants:

Et soudain! la blanche face de l'aurore s'accusa comme celle d'un fantôme sur la vitre, un fantôme sanglotant parmi la pluie, ou comme une rose glacée, pâlie qui se redresse lentement de la pelouse,

font entendre, avec leur choix fantastique de métaphores une note agréable.

Il semble que présentement la muse de M. Le Gallienne se consacre tout entière au culte des livres et M. Le Gallienne lui-même est tout pénétré de traditions littéraires.

Il prend pour modèle Keats et cherche à reproduire quelque chose de la richesse du débordement d'images de Keats.

Il a une très-vive conscience de la source d'où vient son inspiration:

Des vers de moi! pourquoi demander une si pauvre chose, alors que j'ai pu cueillir sur les allées de jardins, l'offrande parfumée d'un souvenir ensoleillé, des fleurs qui ne meurent point, des blancs rameaux que rien ne flétrit?

Shakespeare m'a donné une rose anglaise, et Spenser du chèvrefeuille aussi doux que la rosée, on bien je vous aurais apporté de cette retraite rêveuse la fleur de la passion de Keats, ou le bleu mystique de la fleur étoilée, le chant de Shelley, ou j'aurais fait tomber l'or des lis de la Damoiselle Bénie ou dérobé du feu dans les plis écarlates des pavots de Swinburne...

Cependant, maintenant qu'il a joué son prélude avec tant de sensibilité et de grâce, nous ne doutons point qu'il n'aborde des thèmes plus vastes et des sujets plus nobles, et ne réalise l'espoir qu'il exprime dans cette strophe de six vers:

Car si par bonheur je venais à posséder quelque mélodie, j'en lancerais au loin les notes comme une mer irritée, pour balayer les édifices de la tyrannie, pour donner la liberté à l'amour, délivrer la foi de tout dogme, oh! que je voudrais emplir le vide de mon vers, et faire de mon pipeau d'avoine une trompette.

NOTES:

[56] Pall Mall Gazette, 12 juillet 1889.


Un sage chinois[57].

Un éminent théologien d'Oxford fit un jour la remarque que sa seule objection contre le progrès moderne était que l'on progressait en avant au lieu d'aller à reculons. Cette vue séduisit tellement un certain artiste du monde des étudiants, qu'il se hâta d'écrire un article sur quelques analogies restées inaperçues entre le développement des idées et les mouvements du crabe marin commun.

Je suis certain que le Speaker ne sera point soupçonné même par ses amis les plus enthousiastes de professer cette dangereuse hérésie de la marche à reculons.

Mais, je dois l'avouer franchement, j'en suis venu à conclure que je n'ai jamais rencontré depuis quelque temps de critique plus mordante de la vie moderne que celle qu'on trouve dans les écrits du savant Chuang-Tzù, récemment traduits en langue anglaise par M. Herbert Giles, Consul de sa Majesté à Tamsui.

La diffusion de l'éducation a sans doute rendu le nom de ce grand penseur familier au grand public, mais dans l'intérêt du petit nombre et des gens ultra-cultivés, je sens qu'il est de mon devoir de dire exactement qui il était et de donner une brève esquisse de ce qui caractérise sa philosophie.

Chuang-Tzù, dont il faut avoir bien soin d'écrire le nom, autrement qu'il ne se prononce, naquit dans le quatrième siècle avant Jésus-Christ, sur les bords du Fleuve Jaune, dans le Pays Fleuri, et l'on peut trouver encore de nos jours, sur les simples plateaux à thé et les modestes écrans de nos plus respectables intérieurs de la banlieue, des portraits de cet admirable sage assis sur le dragon volant de la contemplation.

L'honnête contribuable et sa florissante famille se sont certainement égayés maintes fois du front en forme de dôme du philosophe; ils ont ri de l'étrange perspective du paysage qui s'étend au-dessous de lui.

S'ils avaient réellement su qui il était, ils trembleraient. Car Chuang-Tzù passa sa vie à prêcher la grande religion de l'Inaction et à faire remarquer l'inutilité de toutes les choses utiles.

«Ne fais rien, et tout se fera» telle était la doctrine que lui légua son grand maître Lao-Tzù.

Résoudre l'action en pensée, et la pensée en abstraction, tel était son but criminel et transcendant.

Comme l'obscur philosophe de la spéculation grecque primitive, il croyait à l'identité des contraires.

Comme Platon, il était idéaliste, et il avait tout le mépris de l'idéaliste pour les systèmes utilitaires, il était mystique comme Denis, Scot, Érigène, Jacob Boehme.

Il tenait avec eux et avec Philon, que le but de la vie est de s'affranchir de la conscience de soi, et de devenir l'inconscient véhicule d'une illumination plus haute.

En fait, on peut dire que Chuang-Tzù a résumé en lui presque toutes les formes de la pensée métaphysique ou mystique, depuis Héraclite jusqu'à Hégel.

Il y avait aussi en lui quelque chose du quiétiste, et dans son culte du Rien, on peut dire jusqu'à un certain point, de ces étranges rêveurs de l'époque médiévale, qui comme Tauler et le Maître Eckart out adoré le Purum Nihil et l'Abîme.

Les grandes classes moyennes du pays auxquelles, ainsi que chacun de nous le sait, nous devons toute notre prospérité, sinon notre civilisation, hausseront peut-être les épaules devant tout cela, et demanderont non sans une certaine dose de raison, quelle importance a pour eux l'identité des contraires, et pourquoi elles s'affranchiraient de la conscience d'elles-mêmes, qui est leur trait de caractère le plus marqué.

Mais Chuang-Tzù était quelque chose de plus qu'un métaphysicien et un illuminé: il cherchait à détruire la société, et ce qu'il y a de triste, c'est qu'il unit avec l'éloquence passionnée d'un Rousseau, le raisonnement scientifique d'un Herbert Spencer.

Il n'y a point de sentimentalisme en lui; il plaint les riches plus que les pauvres, si tant est qu'il plaigne quelqu'un, et la prospérité lui paraît chose aussi tragique que la souffrance.

Il n'a rien de la sympathie moderne pour les vaincus. Il ne propose pas davantage de recourir à des raisons morales pour décerner les prix à ceux qui arrivent les derniers dans la course.

C'est à la course même qu'il trouve à redire.

Quant à la sympathie active, qui de nos jours est devenue une profession pour tant de braves gens, il croit que vouloir faire du bien aux autres est une occupation aussi sotte que de battre du tambour dans une forêt, afin de retrouver un fuyard.

C'est dépenser de l'énergie en pure perte.

Voilà tout.

Au lieu d'être un individu profondément sympathique, on n'est, aux yeux de Chuang-Tzù, qu'un homme qui ne cesse de vouloir être un autre que soi-même, et qui dès lors se prive de la seule excuse par laquelle il puisse justifier son existence.

Oui, si incroyable que cela puisse paraître, ce curieux penseur, se tournait, avec un soupir de regret, vers un certain Âge d'or, où il n'existait ni examen de concours, ni assommants systèmes d'éducation, ni missionnaires, ni dîners à deux sous pour le peuple, ni Églises établies, ni Sociétés humanitaires, ni mornes conférences sur vos devoirs envers votre prochain, ni ennuyeux sermons sur quelque sujet que ce fût.

En ce temps idéal, nous dit-il, les gens s'aimaient entre eux, sans se douter de ce que c'est que la charité, sans écrire à ce propos dans les journaux.

Ils étaient probes, et pourtant ils ne publiaient jamais de livres sur l'Altruisme.

Comme chacun gardait pour soi ce qu'il savait, le monde échappait au fléau du scepticisme, et comme chacun gardait ses vertus pour soi, personne ne se mêlait des affaires d'autrui.

On passait sa vie simplement, paisiblement, et on se contentait de la nourriture et des vêtements qu'on pouvait se procurer.

On s'apercevait d'un district à l'autre; «on entendait dans l'un les chiens et les coqs de l'autre,» et pourtant les gens vieillissaient et mouraient sans jamais échanger de visites.

On ne jasait pas à propos de gens malins, on n'avait point d'éloges pour des gens honnêtes.

Le sentiment intolérable de l'obligation était inconnu; les actes de l'espèce humaine ne laissaient aucune trace, et ses affaires ne devenaient point une rangaine que transmettent à la postérité d'imbéciles historiens.

Ce fut un jour fâcheux que celui où apparut le Philanthrope, apportant avec lui la malfaisante idée du Gouvernement:

«C'est une certaine chose, dit Chuang-Tzù, que de laisser l'espèce humaine tranquille; il n'a jamais rien existé qui consiste à gouverner l'espèce humaine.»

Tous les genres de gouvernement sont mauvais.

Ils sont anti-scientifiques, parce qu'ils cherchent à modifier l'entourage naturel de l'homme.

Ils sont immoraux, parce qu'en intervenant chez l'individu, ils produisent la forme la plus agressive de l'égotisme.

Ils sont ignorants, parce qu'ils s'efforcent de répandre l'éducation.

Ils sont destructeurs d'eux-mêmes, parce qu'ils engendrent l'anarchie.

«Jadis, nous dit-il, l'Empereur Jaune fut le premier à faire en sorte que la charité et le devoir envers le prochain se mêlassent avec la bonté naturelle du cœur humain. En conséquence de cela, Yao et Shun s'usèrent les poils des jambes à se donner du mal pour nourrir leur peuple. Ils dérangèrent leur économie interne afin de faire de la place à des vertus artificielles. Ils épuisèrent leurs énergies à fabriquer des lois, et ce furent tout autant de fiascos.

Le cœur humain, poursuit notre philosophe, peut être ralenti par force ou surmené, mais dans l'un et l'autre cas, le dénoûement est fatal.»

Yao rendit le peuple trop heureux. Aussi celui-ci ne fut-il point satisfait.

Chieh le rendit trop misérable. Aussi fut-il mécontent.

Alors tout le monde se mit à raisonner sur la meilleure manière de raccommoder la société.

Il est parfaitement clair qu'il faut faire quelque chose, se dirent les gens les uns aux autres, et alors il y eut une ruée générale vers la science.

Les résultats furent si terribles que le Gouvernement d'alors dut introduire la Contrainte, et la conséquence fut que les hommes vertueux cherchèrent un refuge dans les cavernes des montagnes, pendant que les maîtres de l'état restaient à trembler dans les demeures des ancêtres.

Alors, comme toutes choses étaient dans un parfait chaos, les Réformateurs de la Société montèrent sur des estrades, et empêchèrent la façon d'échapper aux maux qu'eux et leurs systèmes avaient causés! Pauvres Réformateurs de Société!

«Ils ne connaissent point la honte, ils ne savent ce que c'est que de rougir.»

Tel est le verdict que rend sur eux Chuang-Tzù.

La question économique est aussi discutée copieusement par ce sage aux yeux en amande, et il écrit sur le fléau du capital en termes aussi éloquents que M. Hyndman.

Pour lui, l'origine du mal c'est l'accumulation de la richesse.

Elle rend violents les forts, malhonnêtes les faibles.

Elle crée le volereau et l'enferme dans une cage de bambou.

Elle crée le gros voleur et le met sur un trône de jade blanc.

Le capital est le père de la concurrence, et la concurrence c'est le gaspillage, aussi bien que la destruction de l'énergie.

La volonté de la nature, c'est le repos, la répétition et la paix.

La lassitude et la guerre sont les résultats d'une société artificielle fondée sur le capital, et plus cette société devient riche, plus elle s'enfonce en réalité dans la banqueroute, car elle n'a ni assez de récompenses pour les bons, ni assez de châtiments pour les méchants.

Il faut aussi se rappeler ceci, que les récompenses du monde dégradent un homme tout autant que les châtiments du monde.

Le siècle est pourri par son culte du succès.

Quant à l'éducation, la véritable sagesse ne peut être ni apprise, ni enseignée.

C'est un état d'esprit, auquel parvient celui qui vit en harmonie avec la nature.

La science est superficielle, si nous la comparons avec l'étendue de l'inconnu, et l'inconnu seul a de la valeur.

La société produit des coquins, et l'éducation rend un coquin plus malin qu'un autre.

C'est le seul résultat que puissent obtenir des Bureaux scolaires.

En outre, quelle importance philosophique pourrait bien avoir l'éducation, si elle aboutit simplement à rendre un homme différent de son voisin?

Nous arrivons en définitive à un chaos d'opinions, au doute universel; nous tombons dans la vulgaire habitude d'argumenter, et celui-là seul argumente, qui est perdu au point de vue intellectuel.

Voyez plutôt Hui-Tzu.

«C'était un homme à idées nombreuses. Les œuvres rempliraient cinq chariots, mais ses doctrines étaient paradoxales».

Il disait qu'il y avait des plumes dans un œuf, parce que le poussin a des plumes; qu'un chien pouvait être un mouton, parce que les noms sont arbitraires; qu'il y a un moment où une flèche au vol rapide n'est ni en mouvement, ni en repos; que si vous prenez un bâton d'un pied de long, et que vous le coupiez chaque jour en deux, vous n'arriverez jamais à la fin; qu'un cheval bai, et une vache brune font trois, parce que, pris séparément, ils sont deux; pris ensemble ils font un, et que un et deux font trois.

Il était pareil à un homme qui lutte de vitesse avec son ombre, qui fait du bruit pour qu'on n'entende pas l'écho.

C'était un taon très intelligent: voilà tout.

A quoi servait-il?

Naturellement, la moralité est une chose différente.

Elle passa de mode, dit Chuang-Tzù, quand on se met à moraliser.

On cessa d'être spontané et d'agir par intuition.

On devint prude et artificiel, aveugle au point d'avoir dans la vie un but défini.

Alors vinrent les Gouvernements et les Philanthropes, ces deux pestes du siècle.

Les premiers entreprirent de contraindre le peuple à être bon, et détruisirent ainsi la bonté naturelle de l'homme.

Les derniers étaient une bande d'agressifs touche-à-tout, qui mettaient le désordre partout où ils se montraient.

Ils portaient la stupidité jusqu'à avoir des principes, et ils étaient assez malheureux pour y conformer leur conduite.

Tous finirent mal et prouvèrent que l'altruisme universel donne des résultats aussi mauvais que l'égotisme universel.

Ils firent trébucher le peuple sur la charité et l'entravèrent de devoirs envers le prochain.

Ils débordaient à propos de musique et faisaient des embarras en fait de cérémonies.

La conséquence de tout cela fut que le monde perdit son équilibre, et que depuis lors, il marche d'un pas incertain.

Quel est donc, selon Chuang-Tzù, l'homme parfait? Et de quelle façon vit-il?

L'homme parfait ne fait pas autre chose que de contempler l'univers.

Il n'adopte aucune attitude absolue.

Dans le mouvement, il est comme l'eau. Dans le repos, il est comme un miroir. Et, comme l'écho, il ne répond que quand on l'appelle.

Il laisse les choses extérieures s'arranger à leur gré. Rien de matériel ne lui fait du tort; rien de spirituel ne le punit.

Son équilibre mental lui donne l'empire du monde.

Il n'est jamais l'esclave des existences objectives.

Il sait que de même que les meilleurs propos sont ceux qu'on ne tient jamais, de même la meilleure action est celle qu'on n'accomplit jamais.

Il est passif, et il accepte les lois de la vie.

Il se repose dans l'inaction, et il voit le monde devenir, de lui-même, vertueux.

Il ne tente jamais de «réaliser ses bonnes actions.»

Il ne se dépense jamais en effort.

Il ne se met point en peine de distinctions morales.

Il sait que les choses sont ce qu'elles sont et que les conséquences en seront ce qu'elles seront.

Son esprit est le «miroir de la création» et il est toujours en paix.

Il est évident que tout cela est excessivement dangereux, mais nous devons nous souvenir que Chuang-Tzù vivait il y a plus de deux mille ans et qu'il n'eut jamais l'occasion de voir notre incomparable civilisation.

Et pourtant il pourrait se faire que s'il revenait sur terre, et qu'il nous rendît visite, il eût quelque chose à dire à M. Balfour, au sujet de sa contrainte, et de l'activité avec laquelle l'Irlande est mal gouvernée.

Il sourirait peut-être de certaines de nos ardeurs philanthropiques.

Il hocherait la tête devant un grand nombre de nos institutions de bienfaisance. Le Bureau Scolaire ne lui ferait peut-être pas beaucoup d'impression, et notre course à la richesse ne le frapperait point d'admiration.

Il serait étonné de nos idéals et pris de mélancolie à voir ce que nous avons réalisé.

Peut-être vaut-il mieux que Chuang-Tzù ne puisse pas revenir ici-bas.

En attendant grâce à M. Giles et à M. Quaritch, nous avons son livre pour nous consoler, et c'est certainement là un livre charmant, exquis.

Chuang-Tzù est un des Darwiniens qui ont précédé Darwin.

Il suit l'homme à partir du germe et voit son unité avec la nature.

Comme anthropologiste, il est extrêmement intéressant, et il décrit notre ancêtre, le primitif habitant des arbres, où il vivait dans l'épouvante d'animaux plus forts que lui, et ne se connaissant d'autre parent que sa mère, et il le dit avec autant de précision qu'un conférencier de la Société Royale.

Comme Platon, il emploie le dialogue comme moyen d'expression, «mettant des mots dans la bouche des gens, nous dit-il, afin d'arriver à la largeur de vues.»

Comme conteur d'histoires, il est charmant.

Le récit de la visite faite par le respectable Confucius au Grand Voleur Chê est des plus animés, des plus brillants, et il est impossible de ne pas rire de la déconfiture finale du Sage, qui voit la stérilité de ses platitudes morales rudement mise en lumière par l'heureux bandit.

Même dans sa métaphysique, Chuang-Tzù possède un humour intense.

Il personnifie ses abstractions et leur fait jouer des pièces devant vous.

Il nous conte comme l'Esprit des Nuées, se rendant du côté de l'Est à travers l'espace aérien, rencontra par hasard le Principe Vital.

Ce dernier se donnait des tapes sur les côtes et allait sautillant.

Sur quoi l'Esprit des Nuées dit:

—Qui êtes-vous, vieux, et que faites-vous?

—Je me promène, répondit le Principe Vital, sans s'arrêter, car toutes les activités sont incapables de repos.

—Je voudrais bien savoir quelque chose, dit l'Esprit des Nuées.

—Ah! s'écria le Principe vital, d'un ton de désapprobation.

Puis vient un merveilleux entretien, qui offre quelque analogie avec celui du Sphinx et de la Chimère dans le curieux drame de Flaubert.

Les animaux parlants ont aussi leur rôle dans les paraboles et les histoires de Chuang-Tzù et son étrange philosophie sait s'exprimer d'une manière musicale par le mythe, la poésie, et la fantaisie.

On éprouve une tristesse naturelle à s'entendre dire qu'il est immoral d'avoir de la bonté consciente, et que faire quelque chose est la pire forme de l'inaction.

Des milliers de philanthropes, excellents et réellement convaincus, retomberaient bel et bien à la charge des contribuables, si nous adoptions l'idée que l'on ne doit permettre à personne de se mêler de ce qui ne le regarde pas.

La doctrine de l'inutilité de toutes les choses utiles aurait pour effet non seulement de compromettre notre suprématie commerciale en tant que nation, mais encore de jeter le discrédit sur un grand nombre de membres prospères et sérieux de la classe des boutiquiers.

Qu'adviendrait-il de nos prédicateurs populaires, de nos orateurs d'Exeter-Hall, de nos Évangélistes de salon, si nous leur disions, dans le langage même de Chuang-Tzù: «Les moustiques tiennent un homme éveillé toute la nuit par leurs piqûres. C'est exactement de la même façon que ces propos de charité, de devoir envers son prochain vous rendent presque fous, Messieurs, efforcez-vous de ramener le monde à sa primitive simplicité, et comme le vent souffle où il lui plaît, laissez la Vertu s'établir d'elle-même. A quoi bon cette inopportune énergie?»

Et quel serait le sort des gouvernements et des politiciens de profession, si nous en venions à conclure que le gouvernement de l'espèce humaine, cela n'existe pas.

Évidemment, Chuang-Tzù est un écrivain des plus dangereux, et la publication de son livre en Angleterre, deux mille ans après sa mort, est manifestement prématurée, et causera peut-être beaucoup de peine à bien des personnes profondément respectables et industrieuses.

Il est peut-être vrai que l'idéal de culture par soi-même, de développement par soi-même, qui est le but de son plan de vie, et la base de son système de philosophie, est un idéal dont le besoin se fait quelque peu sentir dans un siècle comme le nôtre, où l'on voit tant de gens si occupés de l'éducation de leur prochain, qu'il ne leur reste pas un moment pour leur propre éducation.

Mais serait-il prudent de le dire?

Il me semble que si nous admettions une seule fois la valeur d'une quelconque des critiques destructives, nous serions obligés de renoncer à notre habitude nationale de nous glorifier nous-mêmes.

La seule chose qui console jamais l'homme des choses stupides qu'il fait, c'est l'éloge qu'il ne manque pas de se donner pour les avoir faites.

Il peut néanmoins se trouver des gens qui en aient enfin assez de cette étrange tendance moderne qui charge l'enthousiasme de faire le travail de l'intelligence.

Pour ceux-là et leurs semblables, Chuang-Tzù sera le bienvenu.

Mais ils n'ont qu'à le lire.

Qu'ils le fassent sans parler de lui. Il serait un trouble-fête aux dîners, il serait impossible aux thés de l'après-midi, car sa vie entière fut une protestation contre la parole en public.

«L'homme parfait s'ignore lui-même; l'homme divin ignore l'action; le véritable sage ignore la réputation.»

Tels sont les Principes de Chuang-Tzù.

NOTES:

[57] Speaker, 8 février 1890, à propos de Chuang-Tzù mystique moraliste et réformateur social, traduit du chinois par Herbert A. Giles.


Le dernier livre de M. Pater[58].

Lorsque j'eus pour la première fois le privilège—que j'estime très haut,—de rencontrer M. Walter Pater, il me dit en souriant: «Pourquoi écrivez-vous toujours des vers? Pourquoi n'écrivez-vous pas en prose? La prose est bien autrement difficile.»

Cela date du temps où j'étais étudiant à Oxford, temps d'ardeur lyrique, où j'écrivais des sonnets travaillés avec soin, temps où l'on aimait la complication exquise et les répétitions musicales de la ballade et de la villanelle, avec l'enchaînement de ses échos amenés de loin, et sa forme curieusement complète, temps où l'on cherchait solennellement en quel état d'esprit il fallait être pour écrire un triolet, temps délicieux, où je suis heureux de dire qu'il y avait bien plus de rime que de raison.

Je puis franchement en convenir aujourd'hui. Je ne saisis pas très bien alors le sens réel des paroles de M. Pater.

Ce ne fut qu'après une étude attentive de ses beaux Essais si suggestifs sur la Renaissance que je compris comment l'art d'écrire en prose anglaise est, ou comment on peut en faire, un art merveilleux, et conscient de lui-même.

L'orageuse rhétorique de Carlyle, l'éloquence ailée et passionnée de Ruskin, m'avaient paru jaillir de l'enthousiasme plutôt que de l'art.

Je crois que j'ignorais alors que les prophètes eux-mêmes corrigent leurs épreuves.

La prose du temps de Jacques I, je la trouvais exubérante; la prose du temps de la Reine Anne me paraissait d'une calvitie terrible, d'une raison irritante. Mais les Essais de M. Pater devinrent pour moi «le livre d'or de l'esprit, du bon sens, Écriture sainte de la Beauté.»

Ils le sont encore pour moi.

Certes, il se peut que j'en parle avec exagération: et même je l'espère car il n'y a pas d'amour sans exagération, et là où l'amour fait défaut, l'intelligence est absente.

C'est seulement à propos de choses qui ne vous intéressent pas que vous pouvez exprimer une opinion vraiment impartiale, et c'est sans doute pour cela qu'une opinion impartiale est toujours dépourvue de valeur.

Mais il ne faut pas que je laisse tourner à l'autobiographie cette courte notice du nouveau livre de M. Pater.

Je me rappelle qu'en Amérique on me dit que quand Margaret Fuller écrivait un essai sur Emerson, les imprimeurs étaient toujours obligés d'envoyer chercher un supplément de Je, et il me paraît opportun de profiter de cet avertissement transatlantique.

Appréciations dans le beau sens latin du mot, tel est le titre donné par M. Pater à son livre, qui est une collection exquise d'essais exquis, d'œuvres d'art délicatement travaillées,—dont quelques-unes sont presque grecs en leur pureté de contour et leur perfection de forme.

D'autres ont un air médiéval en leur étrangeté de couleur, en leur passion communicative, et tous sont absolument modernes dans le sens vrai du terme de modernité.

Car celui qui n'a de présent à l'esprit que le présent ne connaît rien du siècle dans lequel il vit.

Pour bien comprendre le dix-neuvième siècle, il faut bien comprendre chacun des siècles qui l'ont précédé, et qui ont contribué à le faire.

Pour savoir quelque chose sur soi-même, il faut tout savoir sur les autres.

Il faut qu'il n'y ait pas un état d'esprit avec lequel on ne puisse sympathiser, pas un type disparu d'existence auquel on ne puisse rendre la vie.

Les legs de l'hérédité peuvent nous faire modifier nos idées sur la responsabilité morale, mais ils ne peuvent qu'intensifier notre sentiment de la valeur de la critique, car le véritable critique est l'homme qui porte en soi les rêves, et les idées, et les sentiments d'une myriade de générations, celui auquel nulle forme de pensée n'est étrangère, pour lequel aucune impulsion émotionnelle ne manque de clarté.

Le plus intéressant peut-être, et certainement le moins réussi des essais réunis dans le présent volume est celui qui a pour titre le Style.

C'est le plus intéressant, parce qu'il est l'œuvre d'un homme qui parle avec la grande autorité que donne la noble réalisation de choses noblement conçues.

C'est le moins réussi, parce que le sujet est trop abstrait.

Un véritable artiste, tel que M. Pater, réussit surtout quand il a affaire au concret, dont les bornes mêmes lui donnent une plus belle Liberté, tout en exigeant une vision plus intense.

Et pourtant quel haut idéal on trouve en ces quelques pages!

Combien il est bon pour nous, en ces temps d'éducation populaire et de facile journalisme, de s'entendre rappeler qu'une vraie culture est essentielle à l'écrivain accompli, qui, «sincèrement épris des mots pour eux-mêmes, observateur minutieux et constant de leur physionomie,» évitera ce qui est pure rhétorique, ornement d'ostentation, mauvais choix des mots par négligence, redondance sans portée, qui se fera reconnaître à des omissions pleines de tact, par son habileté dans l'économie des moyens, par son choix, l'art de se restreindre, et peut-être surtout par cette construction artistique, consciente, qui est l'expression de l'esprit dans le style.

Je crois que j'ai eu tort de dire que le sujet était trop abstrait.

Entre les mains de M. Pater, il devient vraiment très réel pour nous, et il nous montre comment il faut qu'il y ait la passion d'une âme d'homme derrière la perfection de style de l'homme.

Quand on passe au reste du volume, on trouve des Essais sur Wordsworth, sur Coleridge, sur Charles Lamb, sur Sir Thomas Browne, sur quelques-unes des pièces de Shakespeare, et sur les rois qu'a créés Shakespeare, sur Dante Rossetti et sur William Morris.

De même que celui qui traite de Wordsworth paraît être la dernière œuvre de M. Pater, de même celui qui a pour sujet le chanteur de la Défense de Guenevère est certainement son écrit le plus ancien, ou peu s'en faut, et il est intéressant de remarquer le changement qui s'est produit dans son style.

Ce changement n'est peut-être pas très apparent à première vue.

En 1868, nous voyons M. Pater écrire avec le même choix exquis des mots, avec la même mélodie soignée, avec le même caractère, et d'un style qui est presque analogue.

Mais à mesure qu'il avance dans la vie, l'architecture du style se fait plus riche et plus complexe, l'épithète devient plus précise et plus intellectuelle.

De temps à autre on peut être porté à trouver qu'il y a ici ou là une phrase un peu longue, et peut-être, se hasarderait-on à dire, un peu lourde, un peu empêtrée dans son mouvement. Mais s'il en est ainsi, cela est dû à ces vues latérales, qui se révèlent soudain à l'idée pendant sa marche, et qui ne font que la mettre en lumière; ou bien à ces heureuses arrière-pensées qui donnent au dessin central un fini plus complet, tout en gardant l'air charmant d'une trouvaille; ou bien à un désir d'indiquer légèrement les nuances du sens avec leur accumulation d'effet, et d'éviter, parfois, la violence et la rudesse d'une opinion trop définie et trop exclusive.

En effet, au moins en matière d'art, la pensée est inévitablement colorée par l'émotion.

Aussi est-elle fluide plutôt que fixée, et se reconnaissant dépendante des états d'esprit et de la passion des beaux moments, elle n'acceptera point la rigidité d'une formule scientifique ou d'un dogme théologique.

En outre, le plaisir critique que nous éprouvons à suivre à travers les détours d'apparence compliquée, d'une phrase, le travail de l'intelligence constructive, n'est point à dédaigner.

Dès que nous nous sommes rendu compte du dessin, tout paraît si clair et si simple.

Avec le temps, ces longues phrases de M. Pater finissent par acquérir le charme d'un morceau de savante musique, et par avoir aussi l'unité d'une belle musique.

J'ai donné à entendre que l'essai sur Wordsworth est probablement le morceau le plus récent que contienne le volume.

Si l'on pouvait faire un choix entre autant de bonnes choses, je serais porté à dire que c'est aussi le meilleur.

L'essai sur Lamb est curieusement suggestif. Il évoque vraiment une figure un peu plus tragique, plus sombre que celle que l'on a pris l'habitude d'unir dans sa pensée à celle de l'auteur des Essais d'Elia.

C'est un point de vue intéressant pour regarder Lamb, mais il aurait peut-être éprouvé quelque difficulté à se reconnaître en ce portrait.

Il eut, à n'en pas douter, de grands chagrins ou sujets de chagrins, mais il savait se consoler, séance tenante, des tragédies réelles de la vie en lisant la première venue des tragédies de l'époque d'Elisabeth, pourvu que ce fût dans l'édition in-folio.

L'essai sur Sir Thomas Browne est très agréable et possède le charme étrange, personnel, fantasque de l'auteur de Religio Médici.

M. Pater saisit souvent la couleur et l'accent de tout artiste, de toute œuvre d'art dont il traite.

L'essai sur Coleridge, avec l'insistance qu'il met à recommander la culture du relatif, comme opposition à l'esprit absolu, en philosophie et en éthique, son appréciation élevée de la place du poète dans notre littérature, est une œuvre tout à fait irréprochable pour le style et le fond.

La grâce dans l'expression et une subtilité délicate dans la pensée et la phrase caractérisent l'Essai sur Shakespeare. Mais l'Essai sur Wordsworth a une beauté intellectuelle qui lui est propre.

Il s'adresse non point au Wordsworthien ordinaire, avec son tempérament dépourvu de critique, sa grossière confusion entre les problèmes éthiques ou esthétiques, mais plutôt à ceux qui désirent séparer l'or de la gangue, et arriver jusqu'au vrai Wordsworth, à travers la masse de composition ennuyeuse et prosaïque, qui porte son nom, et qui sert souvent à nous le cacher.

La présence d'un élément étranger dans l'art de Wordsworth est naturellement admise par M. Pater, mais il en parle en passant simplement au point de vue psychologique, et en faisant remarquer combien cette qualité des états d'esprits élevés ou inférieurs produit dans sa poésie l'effet d'une faculté qui n'était pas entièrement à lui ou sous son «contrôle» d'une faculté qui va et qui vient à son gré, en sorte que l'antique fantaisie d'après laquelle l'art du poète est un enthousiasme, une forme de possession divine, paraît absolument vraie pour lui.

Les premiers Essais de M. Pater avaient leurs purpurei panni si remarquablement bien faits pour être cités, comme le fameux passage sur Monna Lisa, et cet autre où l'étrange idée que Botticelli se faisait de la Vierge est si étrangement exposée.

Il est difficile de choisir dans le présent volume un passage de préférence à un autre pour caractériser avec plus de précision la manière de M. Pater.

En voici toutefois un qui mérite d'être cité tout au long.

Il contient une vérité éminemment appropriée à notre siècle.

«Que la fin de la vie soit non point l'action, mais la contemplation,—être en tant que distinct d'agir,—une certaine disposition d'esprit, tel est sous une forme ou une autre, le principe de toute moralité supérieure. En poésie, en art, si vous entrez réellement dans leur esprit véritable, vous touchez, en quelque sorte, ce principe: tous deux, par leur stérilité, sont un type du fait de contempler sans autre objet que la simple joie de contempler. Traiter la vie dans l'esprit de l'art, c'est faire de la vie une chose dans laquelle fins et moyens ne font plus qu'un: encourager cette attitude, telle est la vraie signification morale de l'art et de la poésie. Wordsworth et d'autres poètes, qui ont été comme lui en des temps anciens ou plus récents, sont les maîtres, les experts dans cet art de la contemplation impassible. Leur œuvre ne tend pas à donner des leçons, à imposer des règles, ni même à nous stimuler vers de nobles buts, mais à éloigner pour un temps nos pensées du pur mécanisme de la vie, à les fixer par des émotions appropriées sur le spectacle de ces grands faits de l'existence humaine qu'aucun mécanisme ne domine, «sur les grandes et universelles passions des hommes, sur les plus générales et les plus intéressantes de leurs occupations, sur l'ensemble du monde de la nature», sur «les opérations des éléments et les apparences de l'univers visible, sur l'orage et l'éclat du soleil, sur les révolutions des saisons, sur le froid et la chaleur, sur la perte d'amis et de parents, sur les injustices, les ressentiments, la gratitude et l'espoir, sur la crainte et la souffrance.» Assister à ce spectacle avec les émotions qui conviennent, tel est le but de toute culture, et une poésie comme celle de Wordsworth est une nourriture substantielle, un stimulant pour ces émotions. Il voit la nature pleine de sentiment et d'émotion. Il voit les hommes et les femmes comme des parties de la Nature, passionnées, émues, en un groupement étrange, en rapport avec la grandeur et la beauté du monde naturel, images, ce sont ses propres expressions, d'hommes souffrants parmi des formes et des puissances redoutables.»

Certainement le véritable secret de Wordsworth n'a jamais été mieux exprimé.

Après avoir lu et relu l'Essai de M. Pater,—car il exige une seconde lecture,—on revient à l'œuvre du poète avec un nouveau sentiment d'admiration, une sorte d'attente vive et passionnée.

Et c'est là ce qu'on pourrait regarder, sans trop approfondir, comme la marque ou la pierre de touche de la plus fine critique.

Pour conclure, on ne peut s'empêcher de remarquer le délicat instinct qui a conduit à donner son tour particulier au bref épilogue qui termine ce charmant volume.

La différence entre l'esprit classique et l'esprit romantique dans l'art a été souvent discutée, et avec une grande exagération d'emphase.

Mais avec quelle touche légère et sûre, M. Pater écrit sur ce point.

Combien ses distinctions sont subtiles et certaines!

Si la prose imaginative est vraiment l'art spécial de ce siècle, M. Pater a droit à une place parmi les plus caractéristiques de ce siècle.

En certaines choses, il est absolument unique.

Le siècle a produit d'étonnants styles en prose, tout troublés d'individualisme, et que l'excès de rhétorique rendait violents.

Mais chez M. Pater, comme chez le Cardinal Newman, nous trouvons l'union de la personnalité et de la perfection.

Il n'a pas de rival dans sa propre sphère, et il a échappé aux disciples.

Et cela, non point par ce qu'il n'a point été imité, mais parce qu'en un art aussi fin que le sien, il y a quelque chose qui est, par essence, inimitable.

NOTES:

[58] Speaker, 23 mars 1890.


Primavera[59].

Pendant le trimestre d'été, Oxford enseigne l'art exquis de la flânerie, une des choses les plus importantes que puisse enseigner une Université, et il vient de paraître dans cette aimable ville, un mignon et charmant volume, œuvre de quatre amis, qui peut-être forme les prémices de cette rêverie sous le cloître gris, dans le silencieux jardin, qui a pour effet de former ou de perdre un homme.

Ces quatre nouveaux poètes sont M. Laurence Binyon, qui vient de gagner le prix de Newdigate; M. Manmohan Ghose, jeune hindou distingué par son érudition, et par ses grands progrès en littérature qui donnent quelque éclat à Christ Church; M. Stephen Phillips, qui a récemment joué le rôle du Fantôme dans Hamlet au Théâtre du Globe, avec une dignité et un talent de diction si admirables; et M. Arthur Cripps, de Trinity.

Un intérêt particulier s'attache naturellement à l'œuvre de M. Ghose.

Né aux Indes, de parents de pure race hindoue, il a été élevé uniquement en Angleterre.

Il a reçu son éducation à l'École de Saint Paul, et ses vers nous montrent avec quelle promptitude et quelle finesse se forment les sympathies intellectuelles de l'esprit oriental et nous indiquent combien est étroit le lien qui, peut-être un jour, unira l'Inde à nous par d'autres moyens que le commerce et la force des armes.

Il y a quelque chose de charmant à trouver un jeune Hindou qui emploie notre langue avec autant de souci de la mélodie et des termes que le fait M. Ghose.

Voici une de ses pièces.

Par dessus ta tête, en joyeux détours, à travers les vastes espaces du ciel, librement les oiseaux volent avec de la musique dans les ailes, Et de la mer bleue, rude les poissons brillent et bondissent. Il y a une vie des choses les plus charmantes Sur toi, en ton sommeil si profond.
Aux profondeurs de l'Orient les cieux deviennent plus célestes D'un soir à l'autre et encore les glorieuses étoiles se souviennent de paraître; Les roses, sur la colline sont parfumées comme avant. Seulement ta figure, chère entre toutes choses, Je ne la verrai jamais plus.

Il y a là des défauts; il y a beaucoup de défauts.

Mais les vers que nous avons mis en italique sont charmants.

Le tempérament de Keats, les états d'esprit de Matthew Arnold ont influencé M. Ghose: pouvait-il y avoir une influence meilleure pour un débutant.

Voici quelques stances d'une autre poésie de M. Ghose.

Sous une ombre épaisse je m'étendrai, et sous l'ombre plus épaisse encore de la nuit, où pas une feuille ne connaît ses voisines; Oubliant l'éclat des étoiles, oubliant La visite printanière de la rose; Et loin de tous les délices, préparant le repos à mon cœur.
Oh! n'implore pas le silence, toi! trop tôt, trop sûrement L'automne viendra, et pleurera à travers ces branches: Quelques oiseaux se tairont, des fleurs ne vivront plus Et tu glisseras maigre toi tristement sous le sol. Et tu seras silencieux dans ce sommeil éternel.
Il y a de la verdure encore, la où s'égare la blonde déesse: Alors suis-la, jusqu'à ce que tout se flétrisse autour de toi. Ne perds pas une vision de sa figure passagère. Ne perds pas un bruit de sa robe moëlleuse, quand ici Elle traîne sur les feuilles humides de l'année en son déclin rapide.

Le second vers est très beau, et l'ensemble annonce de la culture, du goût et du sentiment.

M. Ghose arrivera un jour à se faire un nom dans notre littérature.

M. Stephen Phillips a une Muse plus solennelle, plus classique.

Son œuvre la meilleure est son Oreste.

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