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Des bonnes moeurs et honnestes contenances que doit garder un jeune homme, tant à table qu'ailleurs, avec autres notables enseignemens: Oeuvre composé premierement en latin par M. Jean Sulpice de Saint-Alban, dit Verulan. Et
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Second livre des Contenances, Moeurs et Civilitez qu'on doit garder à table & ailleurs.
Or maintenant ton esprit esveille,
Entend à moy, & me preste l'oreille,
Pour concevoir d'autres civilitez
Dont te viendront grandes utilitez,
Que te seront à garder necessaires,
Pour estre en tout aux vices adversaires:
Escoute donc, ma doctrine est utile,
Claire à entendre & en rien difficile.
Je ne trouvay jamais beau ne honneste
Que d'aussi tost qu'on a levé la teste
Hors du chevet, & qu'on est descouché,
Avant qu'on soit à grand peine mouché,
On doyve aller tantost à la viande,
Pour obeyr à la gueule friande:
» Boyre & manger en tout temps trop matin,
» N'est beau ne sain, mais semble son mastin.
Si tu veux donc estre sain & durable,
Ne mange point que à heure convenable,
Ne tost ne tard, mais moyenne & propice,
Quand fait auras suffisant exercice:
Lors tu prendras ton repas sobrement,
Sans t'arrester à table longuement:
Car demeurer au manger long espace,
Ne fut jamais trouvé de bonne grace,
Mais sent à plat son pilier de taverne,
Son gourmandeau que la gueule gouverne.
Ce que doit estre à bon droit evité
Par toy & autre aymant civilité.
Maintenant L'acteur descrit l'office de celuy qui sert, l'admonestant de ce qu'il a premierement à faire.
Les anciens quand ils vouloient prendre leur repas s'asseoient sur des licts & non pas sur des escabelles ne sur des bancs parquoy il dit qu'il faut dresser les licts.
Advenant donc l'heure qu'il faut manger,
Soigneux seras de dresser & renger
Lits, sieges, bancs, chaires, & escabelles
Pour faire asseoir, qui soient nettes & belles:
Baille à chacun une blanche serviette,
Son net tranchoir, ou bien la belle assiette:
Puis asseoirras sur table bien & beau
Du sel, du pain, de bon vin, & de l'eau,
Et du surplus que Dieu t'aura donné,
Qui te sera pour manger ordonné.
Estant assis, or mange honnestement,
Sans te monstrer dissolu ne gourmant,
Ny te haster, comme fait un pourceau:
Et ne prendras un si tres-gros morceau,
Qu'en l'avallant alonger on te voye
Le col, contraint ainsi que fait une oye,
Faisant un son qui au gozier gazoüille,
Ne plus ne moins comme un chant de grenoille.
Tes membres tien d'autre dexterité
Que ne faisoient ceux de l'antiquité,
Dont les autheurs ont par escrit laissé,
Qu'ils (en mangeant) tenoient le corps baissé,
Estant courbez, pendans sur l'estomac,
Comme celuy qui est malade & flac:
Mais ce temps là n'est plus en souvenance,
Le jourd'huy veut plus belle contenance:
Il faut avoir la chere relevee,
Les membres droits, & la teste levee,
Les mains sans plus sur la table appuyées,
De toute graisse alentour essuyees:
Et ne te chaut si quelques gros milors,
Prenans licence à leurs riches tresors
Font quelquefois en mangeant insolence,
Estans quasi couchez dessus leur pance
Eux appuyans sur leurs coudes & bras:
Quant à cela à ceux ne t'en prendras,
N'y vise point, car ils en ont credit:
Fais quant à toy ainsi que je t'ay dit.
Et ne prens point ceste temerité
S'il y a gens de quelque authorité,
Plus vieux que toy, en bon sens plus rassis,
De t'aller seoir qu'ils ne soient tous assis:
Lors quand verras que chacun aura place,
Si tu veux seoir de par Dieu qu'il se face,
Mais ce faisant ne prendras comme cuide
Sinon le lieu que tu cognoistras vuide.
L'acteur donne ses preceptes tant à celuy qui sied à table comme à celuy qui sert indifferemment ainsi qu'appert clairement par la lettre. Pource toy lecteur en seras adverty une fois pour toutes & n'en attens point d'autre advertissement.
Si ne t'assis prens toy garde au service
Versant à boyre, en ce n'a point de vice,
Porte les mets, assois les plats sur table,
Prens le dessert en te monstrant affable,
Comme celuy qui en ce prent plaisir
Sans te haster, mais tout à beau loisir.
Et en servant, bien adroit ta main hauce
Sans espancher du plat verjus ne sauce:
Car ce faisant tu te ferois blasmer,
Pour laydement gaster & diffamer
Aux assistans leurs vestemens honnestes
De tels liqueurs grasses & trop mal nettes,
Dont la marque si fort au drap s'atache
Que a peine on peut jamais lever la tache.
Et si le maistre aucun cas te commande,
Soit à porter ou à oster la viande,
Ou autre cas qui sera necessaire,
Monstre toy prompt, facil & volontaire
A le servir d'une chere seraine,
Sans refuser aucunement ta peine.
Et s'il usoit à toy d'urbanité
Te faisant seoir comme un autre invité,
Tu t'assoirras selon sa courtoysie
Au lieu qu'il veut ou ta place a choisie.
Si aupres toy est quelque homme apparent,
Digne d'honneur, soit, ou non ton parent,
Qui te vousist eslargir quelques choses
Sur ton tranchoir, que par honte tu n'oses
Prendre de luy pour ta disparité,
Prens hardiment avec hilarité
En luy rendant graces comme honnorable,
D'un doux parler & langage amiable.
Et s'il n'y a aupres de toy personne
Plus pres du plat que toy qui rien te donne,
Il t'est permis d'en prendre honnestement,
Touchant la chair à trois doigts seulement,
Soit quand au plat la prendras de la main,
Ou au tranchoir. Car il est tout certain
D'honnesteté seroit chose esloignee,
Si de plein poing, tu l'avois empoignee.
D'un autre point je te veux adviser,
Aucunes fois on vient à deviser
De maints propos en mangeant & beuvant,
Et cela vient quasi le plus souvent,
Pense si lors seroit chose vilaine
Qu'on s'apperceust ta bouche estre pleine,
Qu'en toy ne fust science ne pouvoir,
De dire mot ne ta langue mouvoir,
Il te faut donc manger tout bellement,
Sans faire ainsi gros morceaux lourdement,
Et les coupper par honneste mesure,
Si que au parler ne t'en soit faite injure.
Aussi ne faut mascher des deux costez
Pour y avoir doubles morceaux boutez.
Autant est laid, & vaut encores moins,
Mettre la viande en la bouche à deux mains.
Et si le plat est plus pres de ta main
Qu'à ton second, tu luy seras humain
En luy touchant dessus son assiette,
Comme pour toy, ou tu sçais qu'il souhaite.
Et s'il advient que tu sois homme riche,
Tu ne dois estre en rien eschars ne chiche,
Mais liberal, donnant à tes amys
Des biens que Dieu en ta puissance à mis.
En leur faisant quelquefois bonne chere,
Sans t'arrester à quelque chose chere.
Et des biens donne aux pauvres de Dieu
A ton pouvoir en toute place & lieu:
Car Jesus Christ par precept immobile
L'a commandé en son sainct Evangile.
Revenant dont à noz propos premiers,
Jeunes enfans qui seront coustumiers
En leur repas faire mainte insolence,
Et delaissans honneste contenance
Seront blasmez de toutes gens de bien,
Comme gourmans qui (brief) ne valent rien.
A telles gens qui font Dieu de leur ventre
N'appartient point que sustance y entre:
Car chacun doit garder honnesteté,
Et en tous lieux vivre en sobrieté,
Mangeant, beuvant, & prenant nourriture
Tant seulement pour contenter nature.
L'homme n'est fait simplement pour manger
(Qui ne voudroit l'escriture estranger)
» Mais au contraire est escrit en maint livre,
» Boyre & manger sont ordonnez pour vivre.
Qu'en advient il par trop manger & boyre?
Male santé, on pert sens & memoire,
La teste en deut, l'estomac est debile,
Jambes & bras & tout le corps fragile;
L'entendement en devient hebeté.
Conclusion par telle ebrieté
On pert du corps toute convalescence
Et de l'esprit la force & la puissance.
Evite donc tels malheureux dommages,
Et te maintiens comme ceux qui sont sages.
Souvienne toy & prens soigneuse garde
De ne verser vin, verjus, ne moustarde,
Ny autre cas dessus la nappe blanche
Tant peu soit-il qu'il en tombe ou espanche:
Autant seroit infame & ridicule
Si ta serviette en recevoit macule,
Prens garde aussi à ne maculer point,
Sur l'estomac robbe, saye ou pourpoint.
Quand ce viendra à humer ton potage,
Quelque broüet ou liquide bruvage,
Prendre de sauce, ou ton verre pour boyre,
N'oublie point, & je te pri' m'en croyre,
De te torcher barbe, menton & bouche,
Le nez aussi duquel souvent on touche
Dans le vaisseau d'ou l'on vient de humer:
Car il te faut entendre & presumer
Qu'il y en tient quelque apparence ou goutte,
Qui par le nez ou la barbe degoutte:
Ce que seroit assez ord & infame
A qui que soit autant homme que femme.
Et quand tes mains seront grasses & ointes
Ou bien tes dois, du bas jusques aux pointes,
De ta serviette adroit les torcheras,
Et doigt à doigt bien & beau seicheras
Aussi souvent qu'il te semblent mal nettes
Sans espargner en ce cas les serviettes.
Ta main ne face au plat grand' demeure,
Ny au tranchoir mais la retire à l'heure,
Prenant tantost ce que tu voudras prendre,
Qu'en ce faisant tu ne sois a reprendre.
En cecy donc tu seras advisé
Si tu ne veux en estre desprisé,
Prens sobrement ce qu'est de ton cousté,
Sans espier le morceau mieux gousté,
Ne tournoyer le plat en mainte guise,
Car tu serois noté de friandise.
Et si quelcun de celle compagnie,
Avant que toy prend la viande ou manie
Au mesme plat pour tranchez ou choisir
De quelque cas qui luy vient à plaisir,
Garde toy bien d'y avancer ta main,
Mais attendras comme doux & humain,
Jusques à ce qu'il aura du tout faict,
En luy donnant bon loysir, s'il te plait,
D'avoir couppé ce que luy semble à point
Souvienne t'en: & ne t'advienne point
Toucher lopin tant soit il desiré
Qu'il n'ait sa main de trancher retiré:
Mais apres luy prens à ton appetit
Ce que tu veux & en tranche petit.
Et si quelcun se monstroit honnorable,
Bon escuyer honneste & serviable
Qui despeçast & tranchast par lopins
Quelques chappons, perdrix, connils, lapins,
Ou autre chose estant à table assise,
Je te deffens que ta main n'y soit mise
Pour atraper quelque lopin d'emblee
Sur qui ta langue approche d'estre enflee
Jusques à ce qu'il aura tout tranché,
Servy chacun, & le tout bien renché:
Car c'est à faire à un glouton friant
Sot effronté, qui sans honte en riant
Vient à voler au plat les bons morceaux
Au deshonneur des autres jouvenceaux.
Ne mets jamais les mains dedans ton sein
Pour te gratter, ou en faire dessein:
Mais t'en abstiens tout au long du repas,
Ou les presens ne t'estimeront pas:
Car s'on te voit grater & frotiller,
Et puis la viande aux doigts esparpiller,
On te dira que tu n'es qu'un bejaune,
Sot & lourdaut, vilain comme lard jaune.
Tiens toy constant, sans mouvoir ne bransler
Jambes ne pieds, ne les hausser en l'air,
Dont tu pourrois aux assistans mesfaire:
Si tu le fais ils ne se devront taire
De te nommer folardeau, inconstant,
D'ainsi venir les autres infestant.
Quand tu auras coupé de ton couteau
De chair au plat, ou du pain au chanteau,
Sur ton tranchoir le te convient hacher,
Plustost qu'au dens le casser ou mascher.
Et si tu as dedans ta bouche mis
Quelque morceau d'ainsi hacher omis
Que tu as mors, entamé & cassé,
Et que les dens y ont desja passé,
Il ne seroit à toy beau ne honneste,
Mais reprouvé de tous ceux de la feste,
Le retremper dedans le sauceron,
Comme feroit quelque sot biberon.
Et quand ta main cognoistras maculee
De saupiquet, de sauce ou d'esculee:
Netie la souvent & proprement
De ta serviette & non pas autrement:
Car tu serois un grand clerc en lourdois
S'il t'eschappoit de lescher à tes doigts
Quand ils sont gras ou que la sauce y tient.
Encores pis si jamais il t'advient
De ronger les os avecques les dens,
Comme les chiens affamez & mordans,
Ou en tirer de tes ongles la chair:
Car ce faisant j'aymerois aussi cher
Voir tenir l'os à un oyseau de proye,
Qui d'ongle & bec à le tirer s'effroye.
Je ne dis pas que tu jettes les os,
Qui sont vestuz de chair derrier' le dos:
Mais il les faut gentement netier
De ton cousteau ainsi qu'il est metier:
Iceux netis comme je t'ay instruit,
Jette les bas sous la table sans bruit,
Aupres tes pieds sans personne offenser,
Qu'il n'ait moyen par courroux te tancer.
Ou s'il y a quelque panier expres,
Ou autre cas qui te soit assez pres
Pour y serrer tout ce menu bagage,
Croustes de pain, pelures de fourmage,
Escorce de fruit, comme pommes & poires,
Ou tels fatras sur la table notoyres,
Assemble tout & mets diligemment
Dans ce panier ou quelque autre instrument
S'il y en a pour ce cas preparé,
Qui ne te soit trop loin ny esgaré.
Mais sçais tu bien qu'on trouveroit estrange
(Pour tout certain quand tu serois un Ange,
On ne lairroit pourtant t'en blasonner)
S'on te voyoit tourner & tastonner
La viande aux plats pour choisir & eslire
Le glout morceau que ta gueule desire
Tastant le tout sans aucune en faillir,
Comme qui veut de figues acueillir,
Considerant à deux doigts la plus mole:
Ou que tu tiens les yeux pour contrerole
Sur le lopin du plat qui mieux te plait,
Pour en avoir tantost le poin replet:
Ne taste donc jamais rien à la main,
Et moins assis tes yeux ainsi en vain
Sur quelque mets par singularité,
De peur qu'aucun soit sur toy irrité:
Mais de la piece ou tu mettras ta veuë
Sera ta main (& non d'autre) pourveuë.
Ce mot aussi y sera adjousté
Ne veuille point regarder de costé
Baissant tes yeux de cligner à travers,
Pour espier, comme gourmand pervers,
Ceux qui seront aupres de toy assis
Contrerolant d'oeil vague & mal rassis
Ce qu'au trancheoir l'un ou l'autre d'eux couppe,
Ou ce que mange aucun de telle trouppe:
Si tu le fais tien toy pour intimé,
Que tu seras de tous mal estimé.
Mais sçais tu quoy evite tels rumeurs,
Regard à toy & pense de tes moeurs.
Quand te prendra de boyre l'appetit,
Prens ta serviette & torche un bien petit
Tout doucement ta bouche avant que boyre,
Ce ne sera presumption ne gloire:
Et avoir beu (pour avoir bouche nette)
Fais en autant de la mesme serviette,
Non pas des mains: car ceux qui le verroient
Un grand lourdaut bien sot t'estimeroyent.
Pour boyre donc bien & honnestement,
Prens le hanap d'une main seulement,
Sinon qu'il fust de pesanteur pareille,
Comme celuy qui donna sur l'oreille
A Euritus le Centaure inhumain,
Que Theseus feit mourir de sa main
D'un grand hanap dont tantost rendist l'ame,
Pour avoyr prinse & ravie Hippodame:
Ou bien qu'il fust de pareille grandeur
Que le hanap d'excellente splendeur,
Que Dido eut du Roy Belus son pere:
En ce cas donc sans aucun vitupere
Tu le pourras prendre de tes deux mains
Sans point d'offence, avec ce neantmoins
Que tu le face en tel civilité
Qu'il n'y soit veu aucune nulité.
Mais si c'estoit un verre ou autre tasse,
Non trop pesant mais de peu d'efficace,
Tu le prendras à trois doigts simplement
Car à plein poin seroit fait lourdement.
Et en beuvant sois constant de tes yeux,
Sans les vaguer çà ne là en maints lieux:
Mais les tiendras baissez dedans le verre,
Comme celuy qui viseroit à terre.
Sur ce point cy je te veux adviser,
Qu'il ne te faut longuement deviser,
Tenir propos, caqueter ne prescher,
Le vin en main: mais t'en faut depécher,
Sans detenir la tasse longuement,
Voyrre ou hanap, quoy que soit: autrement
On te diroit, attendant la vuidange
Qu'il ne faut pas prescher sur la vendange.
Et garde bien d'avoir la bouche pleine
Quand tu boyras: car c'est chose vilaine
Boyre au morceau, & faire en bouche souppe,
Soit que tu boyve en hanap, verre ou couppe.
Et pour ce donc avant que d'approcher
La bouche au vin ne du vin la toucher,
Je te conseille avaler ton morceau
Si tu ne veux qu'on t'estime pourceau.
Autant seroit trouvé laid & sauvage,
Si tu beuvois en mangeant ton potage.
Et si celuy qui t'aura vin versé
Est un lourdaut, sot, & mal exercé
A bien servir & qu'indiscretement
Il t'en ait mis trop excessivement
Qui excedast de ta soif la mesure,
Tu ne feras à luy ny autre injure
D'en faire oster, comme il te semblera
Que ton desir de boyre portera,
Pour l'achever sans rien laisser de reste,
De peur qu'il soit à ton suyvant moleste,
Qui, possible est, seroit tant dedaigneux,
Qu'il cuideroit que tu fusses tigneux,
Ou monstreroit aucun signe apparent,
Qu'il ne veut pas boyre ton demeurant:
Joint qu'il en est qui par certain mespris
Jettent le vin (liqueur de si grand pris)
Ayans le coeur & la gloire si haute,
Qu'ils n'ont pas peur d'en avoir jamais faute.
Comment qu'il soit garde toy de trop boyre,
Que tu n'en sois hors de sens & memoyre,
Mais d'y mettre eau seras assavanté
Pour conserver longuement ta santé,
Sage est celuy qui ne se veut point feindre,
Le corriger pour sa fureur esteindre.
Ayant gardé mon precept' & edict
De point en point ainsi que je t'ay dict,
Boys maintenant de par Dieu à ton ayse
Car il n'y a celuy à qui ne plaise,
Et boys d'un trait, ainsi te faut entendre,
Non pas deux fois en beuvant te reprendre,
Et que ce trait ne soit de si grand peine,
Ne si treslong qu'il te mist hors d'aleine:
Car boyre au coup tant qu'on en peut riffler,
Communement fait les levres siffler,
Qui ne fut onc ne bon, ne beau trouvé,
Mais en tous lieux entre gens reprouvé.
Ce que tu boys boyras tout doucement
Sans le verser au bec galifrement,
Comme qui veut humer d'un oeuf le jaune:
Car si c'estoit vin meilleur que de Beaune,
Tu ne sçaurois sa bonté savourer
De l'engloutir ainsi & devorer.
Aussi ne faut boyre trop lentement
A petit trait, ne tenir longuement
Le bec au vin, comme la cane en l'eau,
Mais le moyen sera trouvé plus beau.
Encor' te faut icy considerer
A sobrement ta boisson moderer:
Assez seroit de boyre une ou deux fois,
Mais je consens que tu en boyve trois,
Je dy sans plus, car certes c'est asses,
Et de passer ce seroit faire exces:
Mais si tu viens à ce nombre exceder,
Quelcun ou moy seront prests à cuider,
Que tu t'en vas approcher d'estre yvre,
A tout le moins tu n'es gueres delivre.
Tu ne feras sinon civilement
De regarder que c'est, quoy ne comment,
Quand tu boyras, & taster un petit,
Avant qu'au vin lascher ton appetit:
Et si tel vin te semble estre gasté,
Contente toy de l'avoir ja tasté:
Car pour certain sa mauvaise liqueur
Facilement te dourroit sur le coeur,
Et te faudroit jetter hors de ta bouche
Ce qu'il y a, de peur que au coeur te touche.
En cecy donc sagement useras,
Quand un tel vin boyre refuseras,
Fais que le verre ou hanap ne soit grand,
Qu'il n'y en ait gueres de demourant,
Bien est il vray soit Hyver ou Esté,
Qu'il est prochain de toute honnesteté
Que le vaisseau ou tu bois au repas
Ne soit trop grand, mais moyen par compas.
Et avoir beu ta bouche torcheras,
Comme je croy que ne l'oublieras.
Quant ton repas auras reigléement prins
En belles moeurs, comme je t'ay apprins,
Il sera beau honneste & profitable,
Lors qu'on aura tout recueilly de table,
Laver tes mains de belle eau claire & nette,
La bouche aussi pour la tenir honneste.
Tout cecy fait & le past achevé
Quand on aura toutes choses levé,
Mets toy sus bout en bonne contenance,
Le genoüil bas faisant la reverence,
Disant à tous par moeurs & bonne grace,
Ces mots communs, messieurs bon prou vous face.
Et si tu es du bas ranc de fortune,
Pauvre ou moyen de biens & de pecune,
Ou tel qu'il faut que tu faces l'office,
De serviteur pour te monstrer propice
Soit au defaut des autres serviteurs,
Qui du dessert seront entremeteurs,
Ou pour complaire a aucuns tes parents,
Ou à quelcun qui soit des apparens
Je t'advertis par verité certaine,
Qu'il te duyra si tu mets en peine
A ton pouvoir ayder a desservir,
A ceux qui ont prins peine à te servir,
Et avec eux mettre tout en son lieu,
Puis à la fin rendre graces à Dieu.
Fin.
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