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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite)

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La vue intérieure de la chapelle (3) fait connaître la disposition des rangs de moellons qui forment les pendentifs et la petite coupole presque conique qui les surmonte. Si nous faisons une coupe sur la ligne CD du plan (4), nous voyons, en effet, que la coupole n'est pas une calotte hémisphérique ou elliptique, mais un cône curviligne. Nous ne croyons pas qu'il existe en Occident une coupole plus ancienne que celle de l'église de Saint-Ferréol. Et cet exemple, qui probablement n'était pas le seul, indiquerait que les architectes des premiers temps de l'art roman étaient fort préoccupés de l'idée d'élever des coupoles sur pendentifs: car, à coup sûr, il était vingt procédés plus simples pour voûter la travée principale de cette chapelle, sans qu'il y eût nécessité de recourir à ce moyen. Il y avait là évidemment l'idée d'imiter ces constructions byzantines qui alors passaient pour les chefs-d'oeuvre de l'art de l'architecture 70.

Les coupoles de l'église abbatiale de Saint-Front de Périgueux peuvent être considérées toutefois comme les premières dont la construction ait exercé une influence considérable sur l'architecture occidentale. Ces coupoles, au nombre de cinq, égales en diamètre et en élévation, à base circulaire, sont établies sur pendentifs; mais ces pendentifs ne sont pas appareillés comme il convient: les lits des assises sont horizontaux, au lieu d'être normaux à leur courbe génératrice; ce sont de véritables encorbellements qui ne se soutiennent que par l'adhérence des mortiers et par leur forme sphéroïdale. Il est évident ainsi que l'architecte de Saint-Front a imité la forme d'une construction étrangère, sans se rendre compte de son principe, et ce fait seul tendrait à détruire l'opinion émise par notre savant ami, M. de Verneilh, savoir: que l'église actuelle de Saint-Front aurait été élevée par un artiste venu des bords de l'Adriatique 71. Nous venons de voir, dans l'exemple précédent, que le constructeur de la petite église de Saint-Ferréol, voulant faire des pendentifs, n'a trouvé d'autre moyen, pour leur donner une courbure à peu près convenable, que d'incliner les rangs de moellons sur les reins des arcs doubleaux, c'est-à-dire de superposer des rangs de voussoirs, tant bien que mal, en les avançant les uns sur les autres, et de les enchevêtrer de la façon la plus grossière au point de jonction. En construction, comme en toute chose qui demande à la fois du calcul et de l'expérience, il ne faut jamais supposer que les moyens les plus simples soient adoptés les premiers; c'est le contraire qui a lieu. Le principe de construction des pendentifs, une fois connu, semble très-naturel; mais il dut paraître, aux yeux d'artistes barbares, un véritable tour de force. Il ne fut jamais compris par les architectes romans, et si nous possédons en France quelques coupoles portées sur pendentifs, avant l'ère gothique, ceux-ci ne sont qu'une apparence, non un système de construction compris et pratiqué. D'ailleurs, les coupoles portant de fond ou sur pendentifs qui existent en Orient, celles de Saint-Marc de Venise, sont construites ou en brique, ou en petits moellons de tuf, ou en béton composé de pierres légères et de mortier; il n'y a pas à proprement parler d'appareil. Ces voûtes sont généralement un moulage sur forme ou une concrétion de matériaux irréguliers rendus adhérents les uns aux autres par le mortier. Encore aujourd'hui, en Orient, les maçons, pour fermer une coupole, n'établissent pas de cintres en charpente; ils se contentent d'une tige de bois, attachée au centre de la coupole, et qu'ils manoeuvrent en tous sens, en montant la maçonnerie suivant le rayon donné par cette tige, comme un pigeonnage. En Occident, malgré les traditions romaines, la construction d'appareil avait remplacé la construction en blocages et en briques. Il fallait donc appareiller les pendentifs... Où trouver des pendentifs appareillés en pierre? Les coupoles de Saint-Marc de Venise sont en brique, et les pendentifs se composent, sous la mosaïque, d'arcs de décharge aussi en brique, bandés les uns sur les autres au moyen d'une forme ou, ce qui est plus vraisemblable, d'une tige, dont l'une des extrémités était attachée au centre de la sphère génératrice de ces pendentifs, ainsi que le fait voir la fig. 5.

Nous ne savons pas si les pendentifs de la coupole de Sainte-Sophie de Constantinople sont ainsi construits; c'est probable, car cela est conforme aux traditions romaines. Si cela est, les pendentifs appareillés en pierre, c'est-à-dire dont les lits des assises sont normaux à la courbe sphérique génératrice, sont une invention très-moderne, qui ne remonte pas au delà du XVIe siècle, et les pendentifs des premiers siècles du moyen âge ne sont que des encorbellements ou des arcs superposés suivant un sphéroïde. Ces observations techniques ont plus d'importance qu'on ne croit souvent, car elles aident à expliquer des transformations, des influences, dont on ne saurait se rendre un compte exact, si on les néglige.

Il est fort étrange que les Romains occidentaux n'aient pas trouvé la coupole sur pendentifs, ou, s'ils l'ont trouvée, qu'il ne nous en reste aucune trace; car ils avaient fait pénétrer des voûtes en berceau cylindriques dans des sphères, et les pendentifs ne sont pas autre chose que les triangles curvilignes de la sphère laissés entre ces pénétrations. Cependant la coupole de Sainte-Sophie, celles de Saint-Marc de Venise et celles de Saint-Front de Périgueux ne sont pas seulement des sphéroïdes pénétrés par des cylindres. Il y a d'abord, sur les quatre piliers, un premier sphéroïde, lequel est pénétré; puis, au-dessus des pénétrations, une seconde portion de sphère dont le centre est surhaussé. C'est là ce qui distingue nettement la coupole byzantine de la coupole romaine. Pour faire comprendre par une figure notre définition: soit (6), en A, la projection horizontale d'une coupole posée sur quatre piles et quatre arcs doubleaux.

La coupe sur l'axe CD de cette coupole donnera en projection verticale le profil E, mais la coupe sur la diagonale GH donnera le profil rabattu I. C'est d'après ce principe qu'ont été tracées les coupoles de Saint-Front de Périgueux. Les quatre arcs doubleaux étant composés de courbes brisées, les constructeurs ont été entraînés à tracer le premier sphéroïde pénétré par ces arcs au moyen de deux traits de compas GK, HK. La section horizontale de ce premier sphéroïde a été faite en L, et un bandeau saillant a été posé à ce niveau pour porter les faux cintres destinés à construire la coupole. Cette coupole elle-même n'est pas une demi-sphère, mais est obtenue au moyen de deux courbes. Régulièrement, les pendentifs devraient être appareillés, en coupe suivant la diagonale, conformément au tracé M, c'est-à-dire présenter des rangs de claveaux dont les lits seraient normaux à la courbe HK, avec crossettes à la queue; les constructeurs de Saint-Front n'ont pas pris cette peine, et ils se sont contentés de poser les assises des pendentifs en encorbellement conformément au tracé N. Grâce à la courbure des pendentifs, ces rangs de pierre en encorbellement ne basculent pas; mais ils peuvent écraser la pointe du triangle et se détacher des arcs doubleaux tout d'une pièce, ce qui a eu lieu. Quant à la coupole proprement dite, elle se compose d'une sorte de tambour O, composé d'assises horizontales et d'une calotte surmontée d'un dallage avec charge au sommet. À Saint-Front, les arcs doubleaux sont peu épais et leurs faces sont verticales, les pendentifs ne commençant à prendre leur courbure que sur l'extrados de ces arcs. Bientôt, cependant, les constructeurs pensèrent, non sans raisons, que ces arcs doubleaux supportant une charge énorme, il était nécessaire de donner à leurs claveaux beaucoup de queue; mais pour ne pas élever démesurément les pendentifs, ou pour ne pas leur donner une trop forte inclinaison, ils firent participer les claveaux de ces arcs doubleaux au premier sphéroïde. Puis, embarrassés de savoir comment arranger les sommiers des deux arcs doubleaux sur l'angle saillant de la pile, ils voulurent les dégager l'un de l'autre le plus tôt possible; à cet effet, ils abaissèrent les centres de ces arcs doubleaux au-dessous du niveau de leurs naissances et inclinèrent ainsi leurs courbes dès les sommiers. Dans l'église de Souillac, dont la construction est postérieure à celle de Saint-Front, les architectes ont déjà adopté ces modifications. En P, nous donnons le plan d'un angle de pile de cette église, avec la projection horizontale des arcs doubleaux et d'un pendentif; en R, la projection verticale de cet angle, et, en S, la vue perspective.

Nous ne voyons plus paraître les coupoles avec pendentifs en dehors des provinces occidentales pendant l'époque romane, et dans ces contrées même, à la fin du XIe siècle et au commencement du XIIe, les trompes, les encorbellements les remplacent fort souvent. Les pendentifs étaient évidemment une importation qui ne fut pas parfaitement comprise des constructeurs, et dont l'appareil inspira toujours une certaine défiance aux architectes, lorsqu'ils eurent à élever de grands édifices. Mais sur les bords de la Charente on rencontre quantité de petites églises à coupoles sur pendentifs, bien conçues et bien exécutées.

Il suffit d'en présenter un seul exemple (7), tiré de l'église de Montmoreau, XIIe siècle. Ici les arcs doubleaux font partie des pendentifs, et les faces de leurs claveaux gauchissent pour se conformer à la courbure du sphéroïde inférieur, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, à propos des coupoles de Souillac. L'église de la ville de Montbron, située à l'est d'Angoulême, et qui s'éloigne du pays où la coupole sur pendentifs fut généralement adoptée, nous montre déjà, non plus une calotte hémisphérique sur la croisée, mais une coupole à huit pans, portée sur quatre trompes surmontées de corbeaux en encorbellement (8). Cette méthode fut généralement suivie, pendant les XIe et XIIe siècles, dans le Limousin, en Auvergne, dans une partie du Lyonnais, et jusque dans le Nivernais.

La coupole qui couronne le centre de la croisée de l'église de Notre-Dame-du-Port à Clermont (XIe siècle) n'est ni sur plan circulaire, ni sur plan octogonal, mais participe de ces deux figures. Le constructeur a tâtonné.

Il a commencé par passer du carré à l'octogone par une assise A (9) posée en gousset; sur cette assise, il a formé comme une espèce de trompe, puis il a bandé un petit arc B sur des corbeaux. Tout cela ne formait pas un polygone régulier, mais un octogone à quatre grands côtés et quatre petits. Sur cette base, il a élevé tant bien que mal une coupole octogonale irrégulière à angles arrondis, ainsi que le montre le plan. Cette coupole est parfaitement contre-buttée du côté de la nef par le berceau de la voûte, dont la clef s'élève jusqu'au-dessus de l'arcature à jour D, ainsi que l'indique la ligne ponctuée. Mais les berceaux des deux bras de la croisée sont beaucoup plus bas, et, dans le sens des transsepts, le constructeur pouvait craindre la poussée de la coupole. Pour arrêter cette poussée, il n'a rien trouvé de mieux que d'établir deux demi-berceaux C, qui prennent naissance sur les arcs E, bandés dans le prolongement des murs des collatéraux, et au delà il a pu élever son transsept G. À première vue, cette construction est singulière, compliquée, surtout en se reportant à l'époque où elle a été faite (le XIe siècle); on se demande où les Auvergnats ont été prendre les exemples qui leur ont servi de modèles.

Nous sommes peu disposés à admettre les systèmes absolus, lorsqu'il s'agit de l'histoire des arts, et nous croyons qu'à toutes les époques, les hommes qui s'occupent de travaux de l'intelligence subissent des influences très-diverses, en contradiction les unes avec les autres, et que ce qui nous paraît à nous, souvent, remplir les conditions d'unité de style et de conception, à cause de la distance qui nous sépare de ces temps, n'est qu'un mélange d'éléments disparates. Il en est de même des oeuvres d'art comme de ces animaux de ménagerie que l'on ne voit qu'à de rares intervalles et en petit nombre: ceux d'une même espèce paraissent se ressembler tous; mais si on les réunit, si on vit au milieu d'eux, on arrive bientôt à distinguer les individualités, à trouver à chacun d'eux une physionomie particulière. Si l'on vous amène cent nègres du Sennaar, vous ne sauriez le premier jour les désigner séparément; mais si vous restez parmi eux, vous trouverez bientôt qu'entre deux nègres il y a autant de différences de physionomie, de port, de gestes, qu'entre deux blancs; vous trouverez entre le père et le fils des rapports, des ressemblances. Eh bien! le même phénomène se produit (qu'on nous passe la comparaison) quand il s'agit de monuments d'art fort éloignés de nous par le goût qui les a fait élever, ou l'espace de temps qui nous en sépare.

Analysons cette église de Notre-Dame-du-Port, l'un des plus intéressants monuments de la France, et nous allons trouver ses origines très-diverses, bien que ce petit monument ait pour nous aujourd'hui un caractère d'unité apparente. Le plan (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 9) est celui d'une basilique romaine, avec collatéral derrière le sanctuaire et quatre chapelles absidales: or, au XIe siècle, les architectes n'avaient guère, pour se guider, que les traditions romaines et les arts d'Orient. L'église de Sainte-Sophie de Constantinople était, pour ces artistes, un type, une oeuvre incomparable, le suprême effort de l'intelligence humaine. Depuis la renaissance des arts sous Charlemagne, on ne croyait pouvoir mieux faire, sur une bonne partie du continent européen, que de se rapprocher des types byzantins, ou tout au moins de s'en inspirer. Eh bien! si nous examinons les coupes de l'église de Sainte-Sophie, nous voyons que la grande coupole centrale est contre-buttée, dans le sens longitudinal, par deux demi-coupoles ou quarts de sphère, et que, dans l'autre sens, c'est-à-dire des bras de croix correspondant aux transsepts de nos églises, cette coupole est contre-buttée par une suite d'arcs-boutants qui viennent l'enserrer, absolument comme les demi-berceaux de l'humble église de Notre-Dame-du-Port enserrent sa petite coupole. Sous la coupole de Sainte-Sophie, comme sous celle de Notre-Dame-du-Port de Clermont, nous voyons les murs latéraux percés d'arcatures. À Sainte-Sophie, cette arcature est une ordonnance d'architecture d'une grande richesse; à Notre-Dame-du-Port, ce sont trois modestes arcades supportées par deux petites colonnes. Au fond, le principe est le même, et il faut dire, à la louange de l'architecte auvergnat, que, tout en s'inspirant du principe de construction d'un édifice immense, il a su s'approprier à l'échelle de sa modeste église, et ne pas reproduire en petit des formes convenables à une vaste construction. La coupole de l'église de Notre-Dame-du-Port n'est pas portée sur pendentifs, comme celle de Sainte-Sophie, cela est vrai; mais nous venons de voir précédemment que les architectes occidentaux, même en appliquant ce système de construction, n'en avaient jamais compris le mécanisme. L'école auvergnate du XIe siècle avait ses méthodes, était fort avancée dans la voie des arts; elle avait scrupuleusement conservé quelques restes des traditions romaines; elle ne faisait rien (la bonne conservation des édifices qu'elle a élevés en fait foi) qu'en parfaite connaissance de cause, et, ne comprenant pas probablement le système de construction des pendentifs, elle préférait employer des moyens pratiques à elle connus et dont elle était sûre; ce qui n'empêchait pas d'ailleurs ses architectes de prendre à l'Orient ce que leur intelligence leur permettait de saisir facilement. Pour résumer, nous pensons qu'on peut voir dans l'église de Notre-Dame-du-Port un plan de basilique romaine, sur la croisée et les deux bras duquel on a élevé une construction qui présente tous les éléments constituant la bâtisse de Sainte-Sophie. D'où l'on peut conclure que dans ces églises romanes du centre de la France l'influence byzantine est au moins aussi marquée que dans l'église de Saint-Front, qui, à tout prendre, est une imitation de Saint-Marc de Venise, qui elle-même était une copie d'un édifice byzantin dont on ne trouve plus trace, plutôt qu'une imitation de l'église de Sainte-Sophie. Nous pensons donc que les coupoles, en Occident, ont leur origine dans l'architecture orientale, celles de l'ouest comme celles du centre ou celles du Rhin et de l'Allemagne, et que si l'on veut trouver quelque part une architecture romane locale, ce n'est que dans les provinces du nord, dans l'Île-de-France et la Normandie qu'il la faut chercher. Certainement, les pendentifs ont une importance majeure; mais n'existe-t-il, dans l'ancien empire d'Orient, que des coupoles sur pendentifs? Des églises grecques, quantité de petits monuments de Géorgie, de Syrie, ont des coupoles sans pendentifs portées sur des trompes, des arcs, des niches ou des tambours; sont-elles moins byzantines que l'église de Sainte-Sophie? Et est-ce bien raisonner que de dire: «Ce qui distingue la coupole byzantine des autres coupoles, ce sont les pendentifs; donc, toutes les coupoles portées autrement que sur pendentifs sont étrangères à l'influence byzantine.» C'est «étrangères à l'influence de Sainte-Sophie ou de Saint-Marc de Venise» qu'il faudrait dire, mais non à l'influence byzantine; et encore, nous venons de faire pressentir, du moins nous le croyons, que, bien que la coupole de l'église de Notre-Dame-du-Port ne soit pas sur pendentifs, elle pourrait être fille de celle de Sainte-Sophie. On l'a dit déjà: quand il s'agit de reconnaître les influences qui agissent sur le développement des arts, surtout après l'antiquité grecque, après les Romains et les Byzantins, c'est-à-dire en face d'une masse considérable de traditions, il est prudent d'analyser les productions du moyen âge avec le plus grand soin, et de ne pas se presser d'adopter ou d'exclure telles ou telles de ces influences, car elles agissent à peu près toutes, au moins pendant la période romane.

Les coupoles, puisque nous sommes sur ce chapitre, nous fournissent la preuve de la force de ces traditions accumulées même en dépit de ceux qui les subissent. Ainsi, nous avons fait voir, dans plusieurs des articles du Dictionnaire, et particulièrement dans l'article CONSTRUCTION, comment les architectes de l'époque romane primitive s'étaient efforcés de poser des voûtes sur le plan de la basilique romaine, comment ils y étaient arrivés après bien des tentatives infructueuses. Ce problème résolu (et résolu, il faut bien le reconnaître, par des architectes occidentaux), les plans se modifièrent peu dans leurs dispositions générales, mais le mode de voûter les nefs fit des progrès rapides jusqu'à l'époque gothique. La tradition romaine du plan persista. Survient, au milieu de ce travail des constructeurs, l'influence de la coupole; les architectes occidentaux qui veulent se soumettre à cette influence vont nécessairement modifier le plan romain? Point! ils le conservent et juchent les coupoles sur la croisée de leurs basiliques. À Pise, au XIIe siècle, nous voyons des constructeurs conserver les dispositions romaines de la basilique, couvrir les nefs d'une charpente en même temps qu'ils élèvent une coupole sur le transsept. C'était cependant poser un monument voûté sur un monument commencé de manière à ne pas l'être; c'était superposer deux édifices, comme si on voulait à la fois conserver la trace de toutes les influences opposées auxquelles on obéissait. De notre temps, M. Quatremère de Quincy dit avec raison, dans son Dictionnaire historique d'Architecture 72: «Nous ne pouvons nous empêcher de faire regarder la sur-imposition des coupoles modernes au centre des nefs d'une grande église, et vues surtout en dehors, comme une véritable superfétation et un pléonasme architectural. Dans le fait, si c'est de loin, et vues en dehors d'une ville, que ces masses pyramidales produisent d'agréables effets, on est contraint d'avouer que, vues de près, elles ne font naître d'autre idée que celle d'un édifice monté sur un autre, souvent sans rien qui les réunisse et surtout qui les nécessite. Ajoutons qu'à l'intérieur on ne saurait y voir qu'une duplicité de motifs, de forme, d'ensemble et d'effet.» Ainsi, huit ou neuf siècles après que deux traditions opposées ont exercé une influence sur l'architecture, voici encore un auteur qui, sans d'ailleurs rendre compte de ces origines diverses, en signale le désaccord, reconnaît deux principes en présence, deux principes que neuf siècles d'efforts n'ont pu parvenir à mélanger. Disons cependant que les premiers essais n'ont pas été les moins bons, et que si la coupole du Panthéon de Paris présente avec le reste de l'édifice «une duplicité de motifs,» ce que nous admettons volontiers, si toutefois des motifs peuvent être accusés de duplicité, on n'en peut dire autant des coupoles de nos jolis édifices romans de l'Angoumois et du Périgord, lesquelles sont assises sur des constructions disposées dès la base pour les recevoir, et qui, à l'extérieur comme à l'intérieur, se relient parfaitement aux parties inférieures.

Mais avançons. Pendant que dans l'ouest de la France nous voyons la coupole sur pendentifs prendre racine et se développer, que dans les provinces du centre on cherche à la poser sur des trompes, sur des encorbellements, sur des corbeaux; en Provence, au commencement du XIIe siècle, la coupole couronne aussi les édifices religieux. En Auvergne, c'est sur le plan de la basilique latine que vient se poser la coupole; en Provence, c'est sur le plan romain emprunté aux salles des thermes, composées de travées avec contre-forts intérieurs, sur des plans qui se rapprochent de l'édifice connu à Rome sous le nom de basilique de Constantin, que s'implante la coupole. L'église de Notre-Dame-des-Dons à Avignon, quoique mutilée aujourd'hui, nous présente un exemple de l'invasion de la coupole sur des plans qui n'étaient nullement disposés pour la recevoir. L'unique nef de l'église de Notre-Dame-des-Dons se composait de travées barlongues voûtées en berceau sur arcs doubleaux en tiers-point maintenus par d'énormes contre-forts, entre lesquels s'ouvrent aujourd'hui des chapelles intérieures.

Voici (10) le plan de trois de ces travées, l'église n'en comportant que six. Sur l'avant-dernière, au lieu d'un berceau, huit arcs longitudinaux plein cintre, en encorbellement les uns sur les autres, reposent sur les deux grands arcs doubleaux, ainsi que l'indiquent les lignes ponctuées KL sur notre plan, afin d'arriver au carré parfait ABCD. À l'intérieur de ce carré, quatre trompillons forment l'octogone. C'est sur cette base que s'élève une petite coupole dont la calotte hémisphérique porte sur huit colonnes entre lesquelles s'ouvrent des fenêtres.

Nous donnons (11) la coupe de cette construction sur la ligne transversale EF, coupe qui nous évitera de plus longues explications. À l'extérieur, cette coupole est un petit édifice octogonal paraissant reposer sur le dallage dont est composée la couverture, et ne se reliant d'aucune façon au reste de l'église. À l'église de la Major, à Marseille, on trouvait une disposition analogue à celle-ci.

Nous devons donc constater ici encore une influence byzantine (car cette coupole de Notre-Dame-des-Dons rappelle parfaitement certaines petites coupoles grecques) venant se mêler à des traditions latines. Si nous nous transportons des bords da Rhône sur les bords du Rhin, nous allons trouver aussi des monuments du XIIe siècle dans lesquels la coupole apparaît, et c'est toujours la coupole byzantine, bien qu'elle ne soit pas élevée sur pendentifs. Mais, d'abord, faisons une excursion à Athènes.

L'une des plus grandes églises de cette ville est l'église de Saint-Nicodème 73, dont nous donnons (12) le plan, conforme d'ailleurs à la plupart des plans grecs. Une seule coupole surmonte le centre de l'édifice.

Si nous faisons une coupe sur la ligne AB, voici (13) le tracé que nous obtenons: quatre niches, ou plutôt quatre culs-de-four, font passer la construction du plan carré au plan circulaire qui reçoit la calotte au moyen de tympans gauches, ou de huit pendentifs à peine sentis qui surmontent les arcs. Là, évidemment, le constructeur n'a pas osé aborder les quatre pendentifs, et il y a suppléé par ces quatre niches, qui correspondent aux trompes si fréquentes dans nos constructions romanes d'Occident. Eh bien! dans la cathédrale de Worms, nous voyons une coupole (celle orientale) construite d'après ces données (14).

La seule différence qu'il y ait entre cette construction et celle de l'église de Saint-Nicodème d'Athènes, c'est qu'à Worms la coupole est à huit pans, au lieu d'être hémisphérique; mais l'artifice employé dans la construction de la coupole de Saint-Nicodème, pour arriver du plan octogonal au plan circulaire, ne pouvait être admis dans la grande église de Worms, où la coupole, au lieu de porter de fond, porte sur quatre arcs doubleaux; de plus, la construction des huit tympans gauches au-dessus des arcs doubleaux et des trompes eût occasionné des difficultés d'appareil avec lesquelles les architectes du Rhin n'étaient pas familiers. En examinant cette dernière construction avec quelque soin, ne voyons-nous pas que le triangle ABC sous l'arc en gousset est un véritable pendentif par sa forme sinon par son appareil? car les lits des assises sont horizontaux.

De tout ce qui précède, on peut conclure: que, dans l'architecture romane occidentale, à côté des traditions latines persistantes, on trouve presque partout une influence byzantine évidente par l'introduction de la coupole. Mais comment repousser une pareille influence dans le mode de construction, quand nous la voyons se manifester d'une manière si impérieuse dans la sculpture et la peinture pendant les XIe et XIIe siècles?

Cependant, si les architectes de l'Auvergne, de l'ouest, du midi et des bords du Rhin, adaptaient, tant bien que mal, la coupole orientale à des édifices latins par leur plan (Saint-Front excepté), ceux qui appartenaient aux écoles du nord ne se laissèrent pas entraîner à suivre cette mode, au moins dans leurs constructions: car, pour l'ornementation, la statuaire et la peinture, ils cherchèrent au contraire à se rapprocher des types orientaux (voy. ORNEMENT, SCULPTURE, STATUAIRE). Mais dans les arts, comme en toute chose de ce monde, il y a des transitions; tel se soumet franchement à une influence étrangère, tel autre y résiste absolument, un troisième essaye de se servir de cette influence comme d'un moyen pour exprimer des idées qui lui appartiennent. Il est en France, précisément dans la limite séparant les édifices à coupoles de ceux qui n'en comportent pas, un monument unique, étrange, dans lequel viennent, pour ainsi dire, se fondre les influences de l'art oriental avec les méthodes de construire adoptées dans le nord au commencement du XIIe siècle: c'est l'église de Loches 74. Cette église, qui est à une seule nef, est divisée par quatre travées à plan carré chacune; sur les deux travées extrêmes s'élèvent des clochers (voy. CLOCHER, fig. 27); mais sur les deux travées intermédiaires, au lieu de coupoles ou de voûtes d'arêtes, ce sont des pyramides creuses portées sur des encorbellements qui couvrent la nef (15).

On peut, par la pensée, se rendre compte de l'effet que produit un intérieur voûté d'une façon aussi étrange. Ces énormes pyramides creuses, obscures à leur sommet, causent un sentiment de terreur indéfinissable. Les grands triangles en encorbellement qui leur servent de base ne sont que la prolongation de quatre des pans de ces pyramides entre les arcs doubleaux et les formerets. Ici, du moins, la construction est d'accord avec la forme; car des pyramides creuses, composées d'assises dont les lits sont horizontaux, constituent une des constructions les plus solides qu'il soit possible de combiner. Aux coupoles de l'ouest, l'architecte de l'église de Loches a substitué les pyramides creuses des clochers du XIIe siècle; il évitait ainsi les poussées, et il appliquait un mode de construction qui lui était familier au plan de ces églises si communes en Saintonge, dans l'Angoumois et le Périgord 75.

La coupole disparaît au moment où l'art gothique se forme; cependant les provinces dans lesquelles ce mode de voûter les édifices avait été généralement appliqué ne peuvent se défaire entièrement de son influence, et nous voyons, dans le Poitou et les provinces de l'ouest, la voûte d'arête gothique se soumettre encore à cette influence (voy., au mot CONSTRUCTION, les exemples présentés depuis la fig. 61 jusqu'à la fig. 68).

Note 70: (retour) M. Mérimée a pris la peine de relever ce petit monument, et a bien voulu nous communiquer les précieux croquis qu'il a faits pendant son séjour à Saint-Honorat.
Note 71: (retour) Il faut dire que quand M. de Verneilh a publié son livre sur l'architecture byzantine en France, M. Abadie, l'architecte chargé de la restauration de Saint-Front, n'avait pas encore commencé les travaux qu'il dirige avec autant de dévouement que d'intelligence, et ce fait de la construction singulière des pendentifs n'avait pu être signalé.
Note 72: (retour) Voy. l'article COUPOLE.
Note 73: (retour) Voy. Choix d'églises byzant. en Grèce, par A. Couchaud; 1842.
Note 74: (retour) S'il est un édifice qui dût mériter toute la sollicitude de l'administration, c'est l'église de Loches; c'est un monument unique au monde, complet et d'une sauvage beauté. Il est à regretter qu'il soit à peu près abandonné, bien que sa conservation soit du plus haut intérêt pour l'histoire de l'art.
Note 75: (retour) Si ce curieux édifice se trouvait en Italie, en Angleterre ou en Allemagne, il serait connu, étudié, vanté et probablement préservé de toute chance de destruction, comme présentant une des conceptions les plus extraordinaires de l'art roman. Malheureusement pour lui, il est en France, à quelques kilomètres des bords de la Loire, abandonné aux restaurations des architectes de la localité, qui sont loin de se douter de son importance au point de vue de l'histoire de l'art, et qui ne peuvent en apprécier l'étrange beauté. Car il faut dire que la construction de ce monument est exécutée avec soin, que la sculpture et les profils sont du plus beau style.


COURONNEMENT DE LA VIERGE. Le couronnement de la sainte Vierge est un des sujets fréquemment représentés par les sculpteurs et les peintres verriers du XIIIe siècle dans les églises cathédrales et même paroissiales. À cette époque (au XIIIe siècle), le culte de la Vierge avait pris une grande importance relativement à ce qu'il avait été jusqu'alors, et la plupart des cathédrales que les évêques firent construire alors, dans le nord de la France, furent placées sous le vocable de la Mère de Dieu. Naturellement, les sculpteurs devaient retracer son histoire dans ces édifices; et, parmi les sujets préférés, son triomphe, c'est-à-dire son couronnement dans le ciel, prit la première place. On voit un couronnement de la sainte Vierge sculpté sur le tympan de la porte centrale de la cathédrale de Laon, commencement du XIIIe siècle. Là, le Christ bénit sa mère de la main droite et tient le livre des évangiles fermé de la main gauche. À Notre-Dame de Paris, il existe un magnifique couronnement de la Vierge sur le tympan de la porte de gauche de la façade occidentale (1215 environ). Il en existe un autre au-dessus du linteau de la petite porte rouge de la même église, face nord (1260 environ). Sur la façade principale de la cathédrale de Senlis est un des plus anciens couronnements de la Vierge (fin du XIIe siècle) et l'un des plus beaux comme style. À la cathédrale de Reims, sur le gâble de la porte centrale, le même sujet est représenté dans des dimensions colossales. Au portail de la Calende de la cathédrale de Rouen (XIVe siècle), on voit, au sommet du pignon, un couronnement de la Vierge; deux anges et deux séraphins sont placés des deux côtés du Christ et de sa mère. À la porte de droite de la façade de la cathédrale de Sens (XIVe siècle) est sculpté un couronnement de la Vierge; des anges sont placés dans les voussures.

Dans ces diverses représentations, la Vierge est assise à la droite du Christ et presque toujours sur le même siége. Elle joint les mains et incline légèrement la tête; le Christ pose lui-même la couronne sur la tête de sa mère, ou la bénit pendant qu'un ange, sortant d'une nuée, apporte cette couronne. Deux anges, debout ou à genoux, tenant des flambeaux, assistent à la scène divine. À la porte rouge de Notre-Dame de Paris, c'est un roi et une reine qui sont agenouillés des deux côtés des personnages, probablement Saint-Louis et la reine sa femme. Nous avons l'occasion de retracer ces sculptures au mot VIERGE (sainte).



COURTILLE, s. f. Vieux mot signifiant un jardin (voy. Sauval, Antiquités de Paris, t. Ier, p. 67).



COURTINE, s. f. Muraille de défense portant crénelage et chemins de ronde, aléoirs, aléours, et réunissant deux tours.

«Alez aus murs les aléoirs garnir» 76.

Les courtines des fortifications de l'époque romane sont épaisses, pleines, composées de blocages avec revêtement de pierre, ou plus fréquemment de petit moellon smillé; leurs chemins de ronde sont larges; quelquefois même ces courtines étaient terrassées, et leur relief, compris le crénelage, ne dépasse guère six mètres au-dessus du sol extérieur ou du fond du fossé. Dès le XIe siècle, les courtines étaient munies de hourds en bois à leur sommet. Au XIIIe siècle, on augmenta le relief des courtines, et nous leur voyons atteindre une hauteur de dix ou douze mètres dans des places très-fortes. Alors les perçait-on parfois d'archères à leur partie inférieure, pour voir ce qui se passait au fond du fossé et pour envoyer des carreaux d'arbalète sur les assaillants. Les moyens de sape s'étant très-perfectionnés pendant le XIIIe siècle, on renonça généralement aux archères percées à la base des courtines, car leurs longues fentes indiquaient aux assaillants les points faibles de la muraille. Au XIVe siècle, les courtines redeviennent pleines à la base, et toute la défense se porte aux sommets, lesquels, à cette époque, se munissent de mâchicoulis de pierre avec parapets crénelés couverts ou découverts. Lorsque l'artillerie à feu commence à jouer un rôle important dans l'attaque des places, on perce de nouveau des meurtrières ou des embrasures à la base des courtines pour battre le fond du fossé. Puis, vers la fin du XVe siècle, on terrasse les courtines intérieurement, autant pour résister aux batteries de brèche que pour placer de l'artillerie au niveau des chemins de ronde. Au XVIe siècle, on dresse souvent, devant les courtines et au niveau de la contrescarpe du fossé, des fausses braies ou chemins extérieurs crénelés, propres à recevoir des arquebusiers battant les glacis et les fossés. Les courtines romanes ont leur parement extérieur monté d'aplomb, sans fruit, afin de rendre l'escalade plus difficile. Vers la fin du XIIe siècle, souvent les courtines ont un glacis peu prononcé à la base, autant pour empêcher l'approche des beffrois roulants que pour mettre l'assaillant directement sous les trous des hourds de bois. Cette méthode est suivie pendant le cours du XIIIe siècle. Lorsque les mâchicoulis de pierre remplacèrent les hourds de bois, les constructeurs tracèrent le profil des courtines de façon à ce que les projectiles, tombant par les trous de ces mâchicoulis, vinssent rencontrer un glacis à trois mètres du sol environ; les projectiles, ricochant alors sur la pente du glacis, venaient frapper les assaillants obliquement, et en tuaient ou blessaient ainsi un plus grand nombre que s'ils fussent tombés verticalement. Pour résister aux boulets, on donna du fruit aux parements des courtines vers la fin du XVe siècle, et depuis lors jusqu'à ces derniers temps cette méthode a été suivie (voy: ARCHITECTURE MILITAIRE, BASTILLE, CHÂTEAU, CRÉNEAU, DONJON, HOURD, MÂCHICOULIS, SIÉGE).

Note 76: (retour) Le Roman de Garin de Loherain, t. I, p, 169. Édit. Techener; 1833. Du Cange explique ainsi le mot aléoirs, le chemin de ronde qui sert de défense supérieure à la courtine: «Certa pars archeariarum, seu fenestricularum in urbium et castrorum muris, per quas sagittarii sagittas in obsidentes emittebant.»


COUVERTURE, s. f. Revêtement en dalles, en tuiles, en ardoise ou en plomb, destiné à garantir les voûtes ou les charpentes d'un édifice contre les eaux pluviales (voy. ARDOISE, CHARPENTE, DALLAGE, PLOMBERIE, TUILE).



COUVRE-JOINT, s. m. Baguette ou liteau de bois simple ou mouluré recouvrant les joints d'une huisserie composée de planches assemblées à grain-d'orge, à languettes ou jointives, des lambris d'une voûte en bardeaux ou de boiseries intérieures. La fig. 1 présente plusieurs profils de couvre-joints (voy., pour les couvre-joints des lambris sous comble, le mot CHARPENTE).



COYAU, s. m. Petite pièce de charpente clouée à l'extrémité des chevrons pour adoucir la pente des couvertures au point où celles-ci posent sur les corniches. La fig. 1 présente, en A, des coyaux posés au pied des chevrons d'une charpente. Les coyaux ont l'avantage d'isoler les assemblages des arbalétriers et chevrons dans les entraits B et les blochets C, ainsi que les semelles traînantes D. Ils empêchent ces diverses pièces et leurs assemblages de pourrir au contact de la pierre, en laissant circuler l'air autour d'elles (voy. CHARPENTE).



CRAMPON, s. m. Pièce de fer ou de bronze reliant ensemble deux pierres. La fig. 1 est un de ces crampons de fer scellés au plomb si fréquemment employés dans les constructions du XIIIe siècle; ils tenaient lieu alors de chaînages; ils sont généralement en fer carré de 0,02 c. à 0,03 c., sur une longueur de 0,30 c. à 0,40 c. (voy. CHAÎNAGE).



CRÉATION, s. f. La création du monde est fréquemment représentée en sculpture sur les portails des églises des XIIIe et XIVe siècles, et en peinture dans les vitraux. Nous l'avons dit ailleurs (voy. CATHÉDRALE), les grandes églises bâties à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe par les évêques de France à la place des vieilles cathédrales romanes, pour réunir un très-grand nombre de fidèles et pour offrir aux populations des villes de vastes espaces couverts propres aux réunions civiles, politiques et religieuses, étaient couvertes de sculptures et de peintures sur verre qui reproduisaient les scènes de l'Ancien et du Nouveau-Testament, les prophéties, des légendes, et présentaient à la foule une véritable encyclopédie figurée de l'état des connaissances humaines à cette époque.

Naturellement la création, les zodiaques, les travaux de l'année n'étaient pas oubliés, et sont, le plus souvent, sculptés sur les portails des cathédrales. Une des plus remarquables représentations de la création se voit taillée dans la voussure de la grande baie de droite de la façade occidentale de la cathédrale de Laon (commencement du XIIIe siècle). Les sujets commencent par la gauche: le premier (1) représente Dieu pensant à l'oeuvre à laquelle il va se livrer; il semble supputer le nombre de jours qu'il lui faudra pour terminer son ouvrage.

Dans le second compartiment, placé au-dessus du premier, Dieu crée la hiérarchie céleste; dans le troisième, il sépare la terre des eaux; dans le quatrième, il forme le ciel; dans le cinquième, la terre, sous forme de plantes; dans le sixième, il crée les poissons et les oiseaux; dans le septième, l'homme et des quadrupèdes; dans le huitième (2), Dieu est assis et dort la tête appuyée sur un bâton. Le neuvième sujet représente des anges et des hommes qui adorent Dieu; celui-ci paraît admirer son oeuvre. Le dixième sujet indique la destinée humaine. Un personnage de grande taille, couronné, porte sur ses genoux deux autres petits personnages, également couronnés, qui l'adorent. Deux anges apportent des couronnes à droite et à gauche de la tête du personnage principal: ce sont les élus réfugiés dans le sein de Dieu. Dessous ses pieds, une grosse tête de démon dévore un homme nu: c'est l'enfer et ses victimes. On voit des bas-reliefs fort beaux représentant la création sur les soubassements de la porte de gauche de la cathédrale d'Auxerre (fin du XIIIe siècle). Les sujets de la création se trouvent sculptés à la cathédrale de Rouen, au portail des Libraires (XIVe siècle). À Chartres, à Reims, on trouve également une belle série de ces mêmes sujets sculptés sous les voussures des portails.



CRÉDENCE, s. f. Tables ou tablettes disposées près des autels pour recevoir divers objets nécessaires au sacrifice de la messe. Thiers dit 77 que, de son temps, la plupart des autels des cathédrales n'avaient point de crédences, mais que «ceux des autres églises en possédaient, les uns deux, l'une à droite, l'autre à gauche; plusieurs autels n'en ont qu'une à droite, c'est-à-dire du côté de l'épître.» Il ajoute: «Il n'y a que la crédence qui est du côté de l'épître qui serve à mettre le calice, les burettes, le livre des épîtres et les évangiles, etc. Celle qui est à gauche ne sert de rien, si ce n'est pour faire la symétrie, ou tout au plus pour placer quelques chandeliers et quelques violiers.» Au moyen âge, où l'amour pour la symétrie n'était pas poussé à ce point de faire un meuble ou de poser une tablette et une armoire en pendant d'une autre, pour satisfaire à une manie vulgaire, on suivait simplement les premières rubriques du missel romain, qui ne veulent qu'une crédence du côté de l'épître; encore insinuent-elles qu'on peut s'en passer s'il se trouve une fenêtre, une retraite d'appui près de l'autel, où l'on puisse poser la clochette, les burettes, le bassin et l'essuie-mains qui servent pendant la messe 78. «Le cérémonial des évêques, continue Thiers, n'en veut qu'une aussi, non plus que Gavantus, les autres cérémoniaux et les autres rubriques; encore disent-ils qu'on ne s'en doit servir qu'aux messes solennelles, et non point aux autres messes... Anciennement néanmoins les crédences n'ont été connues ni des Grecs ni des Latins.» Anciennement est un peu vague, et nous trouvons des crédences au-dessus des piscines, ou à côté d'elles, dans des églises bâties au XIIe et au XIIIe siècle, du côté de l'épître (voyez PISCINE). Ces crédences ont souvent la forme de petites armoires où sont de petites niches creusées dans la muraille, avec tablette de pierre en avant. Voici cependant une crédence, du milieu du XIIIe siècle, qui se trouve placée dans l'arcature de la chapelle de la Vierge de la cathédrale de Séez, fig. 1.

La tablette est peu saillante, munie d'un petit rebord, ainsi que l'indique le profil A; mais la place qu'elle occupe est bien marquée et richement décorée. Au XVe siècle, les crédences près des autels se composent parfois d'une petite pile ou colonnette portant une tablette circulaire ou polygonale (2). Mais ces exemples sont rares, car la plupart de ces objets ont été détruits lorsqu'au siècle dernier on eut la funeste idée de garnir les chapelles de nos églises de boiseries peintes en blanc et or, comme on le faisait pour les boudoirs à la mode d'alors.

Note 77: (retour) Dissert. sur les princip. autels des églises, chap. XXV. I 688.
Note 78: (retour) A parte epistola paretur cereus ad elevationem Sacramenti accendendus, parva campanula, ampullæ vitreæ vini et aquæ, cum pelvicula et manutergio mundo in fenestrella, sen in parva mensa, ad hæc præparata.


CRÉNEAU, s. m. Quernal, aquarniau, carnel, créniau. Aujourd'hui on ne désigne par le mot créneau que les vides pratiqués dans un parapet pour permettre aux défenseurs des murailles de voir les assaillants et de leur lancer des projectiles. Mais au moyen âge, on entendait par créneau toute ouverture pratiquée au sommet d'une tour ou d'une courtine, couverte ou découverte, et qui servait à la défense. Nous reprenons la dénomination employée pendant le moyen âge, et nous parlerons des créneaux couverts ou découverts, libres ou fermés par des volets. Disons d'abord que les intervalles pleins laissés entre les créneaux sont les merlons, car il n'y a pas de créneaux sans merlons, comme il n'y a pas de fenêtres sans trumeaux.

Cependant il est certain qu'au moyen âge on donnait le nom de créneau indistinctement aux vides laissés entre les merlons ou aux merlons eux-mêmes.

Carnel est évidemment ici le merlon, car on ne s'appuie pas contre un vide. Quoi qu'il en soit, et comme nous prenons autant que possible les dénominations adoptées généralement, il est entendu que, pour nous, le créneau est le vide et le merlon désigne le plein.

Les dimensions des crénelages étant données par la taille de l'homme, ces dimensions varient peu: les merlons ont toujours à peu près deux mètres de hauteur, pour pouvoir garantir complétement les défenseurs; les appuis des créneaux sont à un mètre du sol du chemin de ronde, et leur largeur varie d'un mètre, à soixante-dix centimètres. Quant aux largeurs des merlons, elles sont très-variables; nous allons voir pourquoi.

Les créneaux qui couronnent les fortifications gallo-romaines sont percés habituellement dans des parapets d'une épaisseur assez forte, 0,50 c. environ, construits en moellons taillés et en brique, couronnés par une dalle de recouvrement formant une saillie tout autour du merlon, ainsi que l'indique la fig. 1.

Les merlons n'ont alors que la largeur suffisante pour cacher un seul homme. Ces dispositions étaient données par le système de défense de cette époque. Il ne paraît pas que les Romains aient employé l'arbalète à main; ils avaient des archers, des frondeurs, et chaque défenseur, muni d'une de ces deux armes, avait son merlon pour se mettre à couvert pendant qu'il s'apprêtait à tirer. Il était donc naturel alors de multiplier, autant que faire se pouvait, les merlons et les créneaux. Les murailles antiques de la ville de Pompéii, bâties sous la République, et qui sont plus grecques que romaines, présentent des crénelages dont chaque merlon est muni d'une traverse en pierre pour garantir le tireur contre les traits projetés obliquement. Chaque archer possédait ainsi sa cellule percée d'un créneau (1 bis). Ce système de crénelages ne paraît pas avoir été suivi sous les Romains de l'Empire; ceux-ci se contentent du crénelage que nous avons tracé fig. 1. Jusque vers la fin du XIe siècle, il ne semble pas qu'on ait apporté des modifications sensibles à ces crénelages romains. À cette époque, les expéditions en Orient firent connaître des moyens de défense et d'attaque relativement très-perfectionnés. Les Byzantins et par suite les Arabes possédaient des machines de guerre qui faisaient l'admiration des Occidentaux en même temps qu'elles jetaient la terreur dans leurs rangs; les murs de leurs places fortes étaient bien munis, bien défendus. Aussi est-ce après les premières croisades que l'on voit, en Occident, le système de la défense supérieure des tours et murs se modifier totalement. Non-seulement le système de crénelage est changé, mais il se combine avec le système des mâchicoulis mobiles en bois connus sous le nom de hourds (voy. HOURD). Les merlons s'allongent, les créneaux deviennent plus espacés et, entre eux, au milieu des merlons, de petites ouvertures (archières) sont pratiquées pour le tir de l'arbalète à main; on évite avec grand soin ces tablettes saillantes qui couronnaient les merlons antiques, car ces saillies facilitaient l'escalade ou donnaient prise aux grappins que les assaillants jetaient au sommet des murailles pour renverser les parapets. Les crénelages les plus anciens que nous connaissions en France, construits après les premières croisades, sont ceux qui couronnent les tours et courtines du château de Carcassonne (fin du XIe siècle ou commencement du XIIe). Ils sont intacts; en voici le détail (2).

Déjà, ici, des trous sont percés dans les merlons pour le tir de l'arbalète: ce sont des fentes étroites, s'ébrasant à l'intérieur en forme d'arcade. Ces merlons sont épais, bâtis en pierre de taille aux angles et en moellon smillé. Des trous de hourds sont percés au niveau du sol du chemin de ronde ou des planchers, et un peu au-dessous de l'appui des créneaux; les trous inférieurs, pour recevoir des liens destinés à soulager les solives en bascule passent par les trous supérieurs (voy. HOURD). Les hourds posés, leur sol se trouvait alors au niveau de l'appui des créneaux; aussi les merlons sont assez hauts pour permettre à un homme de passer debout par les créneaux, comme par autant de portes, afin de se poster sur les hourds. En temps de paix, les crénelages des courtines du château de Carcassonne n'étaient pas couverts, tandis que ceux des tours l'étaient en tout temps par des combles à demeure. Les sablières de ces combles passaient sur les têtes des merlons et formaient linteaux (voy. TOUR). Les tours commandant toujours les courtines, mais étant mises en communication avec leurs chemins de ronde par des portes bien ferrées et des escaliers, on faisait ressauter les crénelages, afin de garantir les gens qui se trouvaient sur ces degrés, ainsi que l'indique la fig. 3, tirée des défenses du même château de Carcassonne.

L'influence orientale est singulièrement prononcée dans un crénelage du XIIe siècle conservé encore sur une partie du transsept sud de la cathédrale de Béziers. On sait toute l'importance qu'avait acquise Béziers à cette époque; elle était défendue par de puissantes murailles dont on voit encore des débris gigantesques. La cathédrale, bâtie au sommet de la cité, était pourvue d'une enceinte et était elle-même une véritable citadelle. Le transsept du sud commandait tout le cloître, dont les murs extérieurs étaient crénelés. Or, voici comment ce transsept était crénelé lui-même: sur deux contre-forts saillants qui appuient ses deux angles était élevé un parapet percé d'archères flanquantes.

Tel est (4) le plan de ce parapet crénelé. On voit que les cinq archères sont tracées de manière à envoyer des projectiles divergents. À l'intérieur, ces meurtrières sont évasées en arcades comme celles du château de Carcassonne. Voici (5) l'aspect extérieur de ce parapet crénelé, avec la belle corniche quasi-orientale sur laquelle il repose. Le sol intérieur est au niveau A, et la tête saillante est une gargouille rejetant les eaux du chemin de ronde. Du sol du chemin de ronde, au-dessus de la corniche B, il n'y a qu'un mètre dix-huit centimètres de hauteur; mais il faut savoir que ce crénelage domine tellement les alentours, que les hommes placés derrière, quoique leur tête dépassât le dessus de la corniche B, étaient parfaitement masqués pour des assaillants placés beaucoup au-dessous. Les quatre archères C (voy. le plan) sont très-plongeantes, tandis que celle D ne l'est pas; et, en effet, cette archère ne pouvait servir qu'à viser en face et très-loin du pied du monument. La distance qui sépare le sol du chemin de ronde de la grande corniche inférieure est nécessaire pour que les tireurs dégagent la saillie de cette corniche, ce qu'indique suffisamment la coupe (6) faite sur l'axe d'une des archères C du plan.

Entre les deux contre-forts, il existait très-certainement un parapet avec créneaux qui est malheureusement détruit. Il ne faut pas oublier que, dans la cathédrale de Béziers, ce crénelage est en même temps la corniche décorative d'un édifice religieux, ce qui explique cette richesse de profils, cette tablette moulurée supérieure, que l'on ne trouve pas dans les édifices militaires de cette époque. Au XIIIe siècle, les créneaux sont évidemment construits d'après une formule donnée par l'expérience. Les merlons ont 2 mètres de haut sur lm,70 au moins, et 3m,30 au plus de largeur sur 0,45 c. d'épaisseur; l'appui des créneaux est à 1 mètre du sol du chemin de ronde, et leur largeur est de 0,70 c. Au milieu de chaque merlon est percée une archère. Le système de défense est étudié avec un soin minutieux.

Soit (7): en A, la face extérieure du crénelage; en a sont les archères, qui n'ont pas plus de 0,07 c. à 0,08 c. d'ouverture; en b sont les trous des hourds percés à distances égales, afin que les madriers qui doivent poser sur les solives puissent être coupés d'avance d'égale longueur; en B, le plan du crénelage avec ses archères, lesquelles ont 0,40 c. à 0,45 c. d'ébrasement; en C, la coupe sur un créneau; en D, la coupe sur une archère, et, en E, la face intérieure sur le chemin de ronde. L'appui des archères est toujours placé à une assise en contre-bas de l'appui des créneaux; et (voy. la coupe sur l'archère) l'extrémité de son talus plongeant arrive à une assise au-dessous des trous des hourds, afin que, les hourds étant posés, les arbalétriers puissent tirer sur les assaillants en-dessous des planchers de ces hourds. L'extrémité inférieure des archères est taillée ainsi que l'indique le tracé G, afin de donner plus de champ au tir sans démasquer l'arbalétrier. On voit que les détails sont combinés avec le plus grand soin; les constructeurs observent rigoureusement les mêmes méthodes, à très-peu de différences près, pendant le cours du XIIIe siècle. Ce sont là des créneaux de courtines découverts en temps de paix et couverts seulement en cas de guerre par les toits des hourds (voy. HOURD).

Quant aux créneaux des tours couvertes, au XIIIe siècle, aux créneaux sous comble, voici comment ils sont disposés (8). Les murs ayant 0,90 c. d'épaisseur, les créneaux ont une allége A, afin de permettre aux défenseurs de voir en dehors; ces créneaux sont munis, à l'extérieur, de deux volets à crémaillères tombant en feuillures, comme les parties supérieures des sabords des vaisseaux de guerre; le volet inférieur roule au moyen d'un pivot horizontal dans deux colliers de fer non fermés B, de manière à ce qu'il soit facile de l'enlever en temps de guerre lorsqu'on pose les hourds; car alors les défenseurs passent par les créneaux comme par des portes pour se ranger sur les hourds. Le volet supérieur est maintenu par deux gonds C scellés dans la feuillure et se regardant; ces volets sont à demeure. Si deux volets ont été placés en dehors de ces créneaux au lieu d'un seul, c'est afin de rendre plus facile la dépose du volet inférieur, qu'un homme peut enlever du dedans, ainsi que nous l'avons expérimenté; c'est afin encore, en cas d'attaque, et les hourds n'étant pas posés, de garantir les défenseurs contre les projectiles lancés du dehors de bas en haut, ce qui ne les empêche pas, en laissant entrebâillé le volet supérieur, d'avoir de l'air et du jour. Si même on laisse seulement le volet inférieur entrebâillé, on peut tirer sur des gens placés en bas des tours sans se démasquer. Ce système de volets est adopté pour les créneaux qui se trouvent percés sur les parapets des courtines à côté des portes donnant entrée du chemin de ronde dans les tours (9).

Cette précaution était nécessaire pour garantir parfaitement les hommes qui attendaient, sur le chemin de ronde, qu'on leur ouvrît la porte d'une tour, après s'être fait reconnaître. C'est ainsi que sont construits, sans exception, tous les crénelages des tours de la cité de Carcassonne, qui datent de la fin du XIIIe siècle. Cependant, sur les courtines de cette même forteresse qui avoisinent la porte Narbonnaise et qui sont antérieures aux défenses bâties sous Philippe le Hardi, on voit des crénelages beaucoup plus forts que ne le sont les crénelages du XIIIe siècle. Il est vrai que cette partie de la cité était celle devant laquelle on pouvait organiser une attaque en règle. Ces derniers créneaux donc sont plus hauts, plus épais que les créneaux ordinaires des courtines, et leur parement intérieur sur le chemin de ronde est monté en fruit, ainsi que l'indique la fig. 10. Chaque créneau, en raison de la forte épaisseur des merlons, possède une allége. Quoique découverts, ils étaient garnis de volets inférieurs à rouleaux. L'inclinaison du parement intérieur nous semble faite pour permettre aux défenseurs de mieux enfiler la courtine, en laissant toutefois au crénelage une force de résistance extraordinaire. Ces défenses sont cependant légères, si nous les comparons à celles qui couronnent le donjon du château de Coucy (voy. aux mots DONJON, HOURD.).

Au commencement du XIVe siècle, le système de crénelage des tours et courtines fut de nouveau modifié entièrement; aux hourds de bois, souvent incendiés par les assiégeants, on substitua des hourds de pierre, c'est-à-dire des mâchicoulis, et au lieu de laisser les crénelages en retraite, on les mit en saillie, en surplomb du nu des murailles, à l'extrémité des consoles ou sur les arcs que formaient ces mâchicoulis. Un des plus anciens exemples de ce mode de construction et un des plus curieux en ce qu'il emploie à la fois le moyen des arcs et des consoles pour porter le crénelage et composer une suite de mâchicoulis, se voit sur la façade occidentale de la cathédrale de Béziers, fortifiée au XIIe siècle, comme nous l'avons dit plus haut, réparée, rebâtie en partie et fortifiée de nouveau au commencement du XIVe siècle: (voy. MÂCHICOULIS.).

En faisant surplomber les parapets crénelés sur les nus extérieurs des murs, les constructeurs du XIVe siècle donnèrent aux profils des créneaux une forme nouvelle destinée à mieux préserver les défenseurs. Il faut dire que les créneaux ne servaient guère qu'à jeter des pierres sur les assaillants; les arbalétriers ou les archers se postaient derrière les merlons et décochaient leurs traits ou carreaux par les longues fentes des meurtrières. Or, vers le milieu du XIVe siècle, les armées assiégeantes se faisaient accompagner de troupes très-nombreuses d'archers et d'arbalétriers qui, lorsqu'on attaquait les remparts au moyen de la sape ou qu'on voulait les escalader, couvraient les crénelages de projectiles, afin d'empêcher les assiégés de se montrer. Les anciens créneaux, avec leurs faces retournées à angle droit, faisaient ricocher les traits, lesquels alors blessaient même les défenseurs cachés derrière les merlons. Les architectes, pour éviter cet inconvénient, donnèrent aux créneaux des ébrasements extérieurs prononcés, et profilèrent ces ébrasements de façon à empêcher les ricochets.

La figure 11 explique ce détail de la défense: A est la coupe de l'appui du créneau; on voit en B le profil inférieur, et en C le boudin supérieur qui arrêtaient les flèches et carreaux et les empêchaient de pénétrer en ricochant derrière les parapets. Les défenses établies au XIVe siècle devant la façade occidentale de la cathédrale de Béziers se composent d'un crénelage profilé conformément à ce système.

Nous indiquons dans la figure 12 la face extérieure du parapet crénelé, qui est posé sur un arc en avant de consoles formant quatre larges mâchicoulis qui s'ouvrent au-dessus de la rose centrale.

La figure 13 présente la coupe de ce crénelage: l'arc est en A: les mâchicoulis en B, avec leurs consoles en C, et les saillies D, destinées à empêcher les traits de remonter en ricochant par les trous des mâchicoulis; la coupe est faite sur l'appui du créneau du milieu.

La figure 14 reproduit l'aspect des merlons à l'intérieur, avec les archères richement profilées vers leur partie supérieure. Le parapet crénelé est ici complétement indépendant des consoles, qui forment mâchicoulis, ainsi que le font voir la coupe 13 et la vue perspective extérieure.

Depuis lors, les créneaux furent, dans les défenses bâties avec soin, munis de ces profils destinés à éviter les ricochets. Seulement, il arrive souvent, au XVe siècle, que les profils avec leurs ébrasements ne pourtournent pas les merlons, et se trouvent seulement sur l'appui des créneaux et sur le sommet des merlons, ainsi que l'indique la fig. 15.

Quelquefois, à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe (car les parapets crénelés persistèrent longtemps après l'invention de l'artillerie à feu), les merlons sont décorés de sculptures, d'écussons armoyés, de médaillons, comme à la tour des Gens-d'Armes de Caen et dans quelques châteaux de l'époque de transition. Cependant, lorsque l'emploi des bouches à feu devint général, on chercha à modifier les crénelages de manière à résister aux projectiles nouveaux et à permettre aux arquebusiers de s'en servir avec avantage. Ce n'est pas dans les châteaux féodaux français qu'il faut aller chercher ces perfectionnements. La noblesse française protesta longtemps contre l'emploi de la poudre à canon; elle ne céda que fort tard à cette nouvelle puissance, dont, au contraire, les villes libres profitèrent avec empressement. C'est dans le Nord, en Suisse, dans les vieilles cités allemandes qu'il faut étudier ces perfectionnements introduits dans les détails de la fortification pendant que l'emploi de l'artillerie à feu devenait plus général.

On voit encore à Bâle, sur l'ouvrage avancé de la porte Saint-Paul, un crénelage, du commencement du XVIe siècle, qui a conservé ses meurtrières disposées pour des arquebusiers. Ce crénelage est porté sur de faux mâchicoulis, qui ne sont plus là qu'une décoration (16). Les merlons sont très-épais et percés de larges meurtrières garnies de rouleaux en pierre tournant verticalement sur deux pivots, de manière à fermer complétement la meurtrière pendant que le soldat charge son arme.

En A est tracé le plan des merlons; en B, le rouleau de pierre de la meurtrière est tourné de façon à permettre de tirer; en C, de façon à masquer l'ouverture. Ces merlons, très-étroits d'ailleurs, sont munis de profils pour empêcher les balles de ricocher. Il existe des embrasures de ce genre dans les fortifications de Nuremberg antérieures à celles élevées par Albert Dürer (voy. EMBRASURE). On voit aussi, sur les courtines réunissant les gros bastions circulaires construits par cet habile artiste autour de la même ville, des crénelages disposés pour du canon et des arquebusiers qui méritent d'être mentionnés ici: ils sont percés dans un parapet très-épais; les meurtrières se composent d'un trou circulaire avec une mire au-dessus; les créneaux sont munis de volets en bois à bascule percés d'un trou pour pointer avant de démasquer la bouche de la pièce (17); le chemin de ronde est entièrement couvert par un appentis.

Plusieurs des courtines de Nuremberg sont munies de crénelages en bois posés au-dessus des parapets, percés d'embrasures pour les bouches à feu, ainsi que l'indique la fig. 18. Évidemment ces crénelages en bois, qui rappellent les hourds du moyen âge, ont été prévus lors de la construction des courtines, car les glacis arrondis dans lesquels sont percées les embrasures sont garnis de corbeaux en pierre destinés à porter ce crénelage en pans-de-bois.

Au commencement du XVIe siècle, on voit souvent les courtines et boulevards réservés pour la grosse artillerie à feu, tandis que les crénelages, pour les arquebusiers, sont percés dans des parapets en contre-bas du couronnement de ces grands ouvrages. Ces parapets crénelés inférieurs prennent alors le nom de fausses braies (voy. au mot ARCHITECTURE MILITAIRE).

Les tours de commandement de l'enceinte de Nuremberg, élevées par Albert Dürer, sont couronnées par des crénelages en bois avec volets destinés à garantir les artilleurs qui servaient les pièces de petit calibre montées sur la plate-forme supérieure (voy. TOUR). Au sommet de la tour de guet du château de la même ville, on voit encore un crénelage en bois complet sous le comble, avec volets se relevant à l'intérieur.

Voici (19) une vue perspective d'un de ces créneaux prise à l'intérieur. En A, une coupe géométrale présente le volet relevé avec sa charnière. En France, nous ne sommes pas si bons conservateurs; nous avons détruit tous ces ouvrages supérieurs en bois de nos fortifications de la fin du moyen âge. Il y a dix ans, à Langres, on trouvait quelques restes des crénelages en pans-de-bois du commencement du XVIe siècle, lesquels avaient beaucoup de rapports avec ceux que nous donnons ici; mais, Langres ayant subi une restauration complète, on a fait disparaître les vieilles galeries de bois pour les remplacer par des parapets à hauteur de ceinture, avec la tablette d'appui réglementaire.

Note 79: (retour) Roman du Renart, vers 22573 et suiv.


CRÊTE, s. f. C'est le nom que l'on donne au couronnement décoré d'un comble. On disait d'un toit, au moyen âge, qu'il était quarnelé ou crêtelé, lorsque son faîtage était couronné d'une crête en pierres, en terre cuite ou en métal.

Pendant la période romane, les combles formaient un angle très-obtus à leur sommet, conformément à la méthode antique. Si l'édifice était voûté en berceau, la couverture en dalles ou en tuiles était posée à cru sur l'extrados de la voûte, et un faîtage en pierre recouvrait la jonction des deux versants du comble; ce faîtage était souvent décoré d'ajours, ainsi qu'on peut le voir encore dans la plupart des édifices de l'Auvergne. Plus tard même (au XIIe siècle), des faîtages en pierres découpées furent posés au sommet des charpentes. Plusieurs raisons motivaient l'emploi de ces sortes de couronnements. D'abord, la plupart des charpentes étaient dépourvues de sous-faîtes et de pannes; elles ne se composaient que d'une suite de chevrons espacés; il était nécessaire alors de donner de l'assiette à ces chevrons non reliés entre eux, au moyen d'un poids posé à leur extrémité. Il fallait encore recouvrir les dernières tuiles par des faîtières qui fussent assez lourdes pour ne pas être renversées par l'effort du vent et assez larges pour empêcher la pluie ou la neige de passer entre les deux rampans de tuiles.

Chacun a pu voir comment, sur les toitures en chaume, les paysans forment un large faîtage de boue, dans laquelle ils piquent des plantes grasses pour maintenir la terre et l'empêcher de se dissoudre à la pluie (1). L'origine des crêtes de comble se retrouve dans ce procédé naïf.

Sur les couvertures des édifices voûtés en berceau de l'Auvergne et des provinces méridionales de la France, on voit encore des crêtes en pierre découpée qui sont assez élégantes. En voici (2) plusieurs modèles: ces crêtes posent à cru sur la voûte, ainsi qu'il est indiqué en A. Au sommet des chapelles absidales de Notre-Dame-du-Port, à Clermont, il existe d'élégants bouts de crêtes évidés dans des dalles qui partent du sommet du cône formé par la couverture en dalles de ces chapelles, et vont s'appuyer le long du mur du bas-côté (3). Dans les provinces où la tuile fut employée généralement pour les couvertures, comme en Bourgogne, par exemple, les crêtes des combles sont composées au moyen d'une suite de faîtières en terre cuite plus ou moins décorées (voy. FAÎTIÈRE, TUILE).

Ce n'est pas seulement sur les combles recouvrant les voûtes que l'on plaça des crêtes en pierre: quelquefois (et surtout pendant la période ogivale) on voit des crêtes sculptées sur les sommets des contre-forts couronnés par des larmiers à double pente. On trouve des exemples de ces crêtes couronnant les sommets des contre-forts de la nef de l'église de Notre-Dame de Dijon (4) (commencement du XIIIe siècle). Ici, ce sont des animaux entremêlés de feuillages, disposés irrégulièrement. Plus tard, pendant les XIVe et XVe siècles, ces sortes de crêtes se composent d'ornements réguliers terminés par des feuillages (5).

Sur les charpentes recouvertes en ardoises ou en métal, on posa presque toujours des crêtes en plomb dès le XIIe siècle. La présence de ces crêtes en plomb était motivée par la combinaison même des charpentes qui consistaient, ainsi que nous venons de le dire, en une suite de chevrons non reliés entre eux par des sous-faîtes et des pannes. Le poids de la crête de plomb placé au sommet de ces chevrons assurait leur stabilité. Des crêtes de plomb sur des édifices antérieurs au XVe siècle, il ne reste plus trace; on ne peut constater leur présence que sur les bas-reliefs, les vignettes des manuscrits, et sur les châsses faites souvent en forme de petites églises. C'est dans ces objets d'orfévrerie qu'il faut nécessairement aujourd'hui aller chercher les modèles des crêtes de métal des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, et ces modèles sont nombreux. Toutefois, si l'on veut se servir de ces crêtes d'orfévrerie pour les appliquer à des monuments, il faut tenir compte de la différence d'échelle et modifier le dessin en conséquence. Telle crête de châsse d'une hauteur de cinq à six centimètres, qui produit un bon effet, deviendrait lourde et massive si on se contentait de la grandir à un mètre de hauteur. L'expérience seule peut indiquer les dimensions et proportions qu'il faut donner aux décorations qui se découpent sur le ciel. Tel ornement qui semble bien composé et proportionné dans l'atelier est disgracieux, lourd ou confus, placé à trente mètres d'élévation et se détachant en silhouette sur le ciel. Dans cette position, il arrive, par exemple, que les parties délicates sont dévorées par la lumière, et les parties pleines, au contraire, s'allourdissent en perdant leurs détails. Les dessins larges, bien accusés, faciles à saisir, simples de modelé, sont ceux qui produisent l'effet le plus satisfaisant. D'ailleurs, pour que ces sortes de décorations soient comprises, il est nécessaire que le même dessin se répète un grand nombre de fois. Il faut donc penser, en composant ces frises ajourées, à l'étendue qu'elles doivent occuper, le plus ou moins de développement de l'ornement devant influer sur sa composition. Si la crête ne se développe que sur une longueur de quelques mètres, il faudra choisir, comme pour les balustrades, un dessin serré, dans lequel les ornements se rapprochent de la verticale; si, au contraire, la crête occupe un long faîtage, il sera nécessaire d'élargir la composition du dessin.

Les crêtes en métal qui existaient sur les combles couverts en plomb ou en ardoises étaient, au XIIe siècle (autant qu'on en peut juger par l'examen des bas-reliefs), absolument pareilles, comme style, à celles qui décorent les châsses de cette époque; elles paraissent avoir pris, comme dimension et richesse, une grande importance vers la fin de ce siècle. Inutile d'insister sur la composition des dessins, qui se conformait au goût parfait de ce temps.

Nous donnons (6) une de ces crêtes. Vers le milieu du XIIIe siècle, les crêtes en métal se transforment comme toute l'ornementation monumentale. On abandonne les dernières traditions des dessins venus d'Orient pour adopter la flore indigène (7). Ces crêtes en plomb étaient généralement assez hautes, proportionnées, d'ailleurs, à la dimension des combles; pour un comble de 12m,00 de hauteur, une crête ne peut avoir moins de 1m,00 au-dessus du faîtage.

Il fallait des armatures en fer pour porter les lames de plomb repoussé qui composaient la crête. Ces armatures, ainsi que nous l'avons dit précédemment, s'assemblant en forme de V sur les chanlattes réunissant les chevrons à leur extrémité, maintenaient ainsi ces chevrons dans leur plan vertical, et, par leur poids, empêchaient le hiement des charpentes. La fig. 7 bis donne l'armature en fer de la crête précédente. Cette armature posée, on soudait les ornements en deux coquilles, repoussés au marteau, après avoir eu le soin de poser les bavettes de faîtages sur les chanlattes AA. Ces procédés sont encore employés aujourd'hui. Il fallait toutefois que les dessins fussent composés de manière à permettre une combinaison d'armatures en fer simple et solide à la fois; si ces armatures faisaient défaut, les plombs, repoussés et abandonnés à leur propre poids, ne tardaient guère à s'affaisser. Les crêtes antérieures au XVe siècle n'ont probablement pas duré longtemps; il faut croire que les armatures destinées à les maintenir étaient insuffisantes ou posées avec peu de soin. Frappés des inconvénients attachés au système adopté depuis le XIIe siècle, les architectes du XVe siècle composèrent toutes leurs crêtes comme des balustrades, c'est-à-dire avec une tringle de fer horizontale, servant de couronnement au dessin choisi.

C'est ainsi que sont composées les crêtes du comble de la Sainte-Chapelle de Paris réparé sous Charles VII, du faîtage de la tour Saint-Romain dépendant de la cathédrale de Rouen (8); plusieurs de celles de l'ancienne abbaye de Saint-Ouen de la même ville, celle du château de Meillant, etc. Ces dernières compositions de crêtes forment de véritables treillis de fer forgé, revêtus d'ornements de plomb repoussé ou fondu; mais ces dessins sont loin d'avoir l'ampleur et la fermeté qu'exigent des décorations posées à une grande hauteur et se détachant sur le ciel; ils sont grêles, fournis de détails trop petits d'échelle et perdus à la distance où on les peut voir. Les crêtes de cette époque sont souvent ornées de pièces d'armoiries, de chiffres, et si elles occupent une grande longueur, de distance en distance des têtes de poinçons dépassant le faîtage contribuent à leur solidité. La crête de la Sainte-Chapelle de Paris est composée ainsi par travées renfermant trois grandes fleurs de lis entre des pinacles en bois recouverts de plomb. Il existe à la Bibliothèque impériale un dessin de cette crête. À notre avis, les crêtes couronnées par une bande horizontale et composées en grande partie de lignes droites sont loin de produire l'effet que l'on doit chercher dans ces sortes de décorations, qui demandent une certaine liberté dans le tracé des formes empruntées aux végétaux; on croirait voir une balustrade posée à l'extrémité d'un faîtage.

L'époque de la renaissance a produit des crêtes d'un joli dessin; il en existe encore quelques-unes: celles de la cathédrale de Clermont, de l'église de Saint-Wulfrand d'Abbeville peuvent être citées parmi les plus belles et les plus complètes. Nous possédons dans nos cartons un dessin d'une belle crête de l'époque de la renaissance que nous pensons provenir du château de Blois. Le dessin date du commencement du XVIIe siècle; nous le reproduisons (9). Il consiste en une suite d'F et de balustres liés par des cordelles; au-dessus de la bande supérieure horizontale est un couronnement composé de fleurs de lis et d'enroulements; quatre travées d'F sont comprises entre des pilastres A terminés par une aiguille. Une très-riche bavette sert de soubassement à cette crête et recouvre l'ardoise.

On couronna par des crêtes en plomb les combles en ardoises des édifices publics et ceux des maisons même jusque vers la fin du règne de Louis XIII. À dater du règne de Louis XIV, on évita de donner de l'importance aux combles, on chercha même à les dissimuler; il n'y avait plus lieu de s'occuper, par conséquent, d'orner ce qu'on prétendait cacher. La plomberie qui couronne le comble de la chapelle de Versailles est une des dernières qui ait été fabriquée avec art. Au commencement du XVIIIe siècle, cette belle industrie de la plomberie repoussée et fondue était perdue, et c'est à peine si, vers la fin du dernier siècle, on savait faire des soudures (voy. PLOMBERIE).



CROCHET, s. m. Crosse. C'est le nom que l'on donne aujourd'hui à ces ornements terminés par des têtes de feuillages, par des bourgeons enroulés, si souvent employés dans la sculpture monumentale du moyen âge à partir du XIIe siècle. Les crochets se voient dans les frises, dans les chapiteaux, sur les rampants des gâbles ou pignons, dans les gorges des archivoltes entre les colonnettes réunies en faisceaux. Le XIIIe siècle a particulièrement adopté cet ornement; il s'en est servi avec une adresse rare. Dans l'article SCULPTURE, nous essayons d'expliquer les origines de la plupart des ornements sculptés de l'architecture du moyen âge; ici, nous nous contenterons de faire connaître à nos lecteurs les diverses transformations du crochet depuis le moment où il prend place dans la décoration jusqu'au moment où il disparaît entièrement de l'architecture.

Nous trouvons déjà l'embryon du crochet dans la corniche supérieure de la nef de l'église de Vézelay, c'est-à-dire des les premières années du XIIe siècle (voy. CORNICHE, fig. 4). Les chapiteaux intérieurs de la nef de la même église nous montrent aussi, à la place de la volute antique, des feuillages retournés sur eux-mêmes qui sont déjà de véritables crochets (voy. CHAPITEAU, fig. 8). Toutefois, c'est dans l'Île-de-France et sur les bords de l'Oise que le crochet prend une place importante dans l'ornementation dès le milieu du XIIe siècle. Les premiers crochets apparaissant sous les tablettes de couronnement des corniches ornent déjà certaines églises bâties de 1150 à 1160. Ils sont petits, composés, à la tête, de trois folioles retournées ressemblant assez aux cotylédons du jeune végétal. La tigelle d'où sortent ces feuilles est grosse, élargie à la base, de manière à s'appuyer sur le profil servant de fond à l'ornement (1).

Vers 1160, le crochet se montre bien caractérisé dans les chapiteaux; le choeur de Notre-Dame de Paris, élevé à cette époque, est entouré de piliers cylindriques dont les chapiteaux n'ont plus rien de la sculpture romane. Ce sont des feuilles sortant de bourgeons, à peine développées, et, aux angles, des crochets à tiges larges, puissantes, à têtes composées de folioles retournées sur elles-mêmes, grasses et modelées avec une souplesse charmante (1 bis). Bientôt ces folioles font place à des feuilles; la tête du crochet se développe relativement à la tigelle; celle-ci est divisée par des côtes longitudinales, comme la tige du céleri. Si les crochets sont posés dans une gorge d'archivolte, il arrive souvent que la base de la tigelle côtelée est accompagnée d'une feuille avec son coussinet bien observé, tenant à cette tigelle (2); ce qui donne une grâce et une fermeté particulières à cette sorte d'ornementation.

À la fin du XIIe siècle, les crochets prennent souvent, dans les chapiteaux, la place importante: ils soutiennent les angles du tailloir; ils font saillie sur la partie moyenne de la corbeille; ils se divisent en folioles, découpées, se contournent et s'enroulent comme le fait un bourgeon commençant à se développer. Il est évident qu'alors les sculpteurs ont abandonné les dernières traditions de la sculpture antique, et qu'ils s'inspirent des végétaux, dont ils observent avec un soin minutieux les développements, les allures, la physionomie, sans toutefois s'astreindre à une imitation servile.

Nous donnons (3) plusieurs de ces crochets en bourgeons déjà développés, de la fin du XIIe siècle: celui A provient de la sacristie de l'église de Vézelay; celui B, du choeur de la même église; celui C, de la porte de l'église de Montréale (Yonne); celui D, du choeur de l'église d'Eu, et celui E, du choeur de la cathédrale de Soissons. Tous ces crochets tiennent à des chapiteaux, et c'est à dater de cette époque que cet ornement se retrouve, presque sans exception, autour de leurs corbeilles. Quand les piles sont composées de faisceaux de colonnes laissant entre elles un intervalle de quelques centimètres, souvent une tête de crochet est placée entre les chapiteaux et possède deux tiges: c'est un moyen adroit d'éviter des pénétrations désagréables et de ne pas interrompre la zone de sculptures que présentent ces chapiteaux.

Voici (3 bis) un exemple de ces crochets à doubles tiges qui provient des piles de l'église d'Eu (voy. CHAPITEAU). C'est à l'origine de son développement que le crochet présente une plus grande variété dans la composition des têtes et la décoration des tiges. On voit souvent, dans des édifices qui datent de la fin du XIIe siècle et du commencement du XIIIe, des crochets terminés, soit dans les chapiteaux, soit dans les archivoltes, par des têtes humaines; leurs tiges sont accompagnées de feuilles ou d'animaux. Le porche de l'église de Notre-Dame-de-la-Coulture au Mans est couvert par une archivolte qui présente une belle collection de ces sortes de crochets (4). Il arrive même qu'un animal remplace parfois cet ornement, en conservant sa silhouette caractéristique (5). Aussi voit-on alors des crochets dont les têtes reproduisent la forme d'une fleur (6).

Vers 1220, le crochet ne présente plus qu'un bouquet de feuilles développées, mais toujours roulées sur elles-mêmes; l'imitation de la nature est plus exacte, la masse des têtes est moins arrondie et s'agrandit aux dépens de la tige. Les archivoltes des grandes baies des tours de la cathédrale de Paris présentent peut-être les plus beaux exemples de ce genre de décoration sculptée (7 et 7 bis).

Dans l'Île-de-France, de 1220 à 1230, l'architecte abuse du crochet: il en met partout, et s'en sert surtout pour denteler les lignes droites qui se détachent sur le ciel, comme les arêtiers des flèches, les piles extérieures des tours, ainsi qu'on peut le voir à Notre-Dame de Paris, au clocher de la cathédrale de Senlis. Dans ce cas, et lorsque les crochets sont placés à une grande hauteur, ils sont composés d'une tête simple terminant une tige à une seule côte centrale (7 ter.). Il est entendu que chaque crochet est compris dans une hauteur d'assise. Vers 1230, cette végétation de pierre semble s'épanouir, comme si le temps agissait sur ces plantes monumentales comme il agit sur les végétaux.

Les archivoltes d'entrée de la salle capitulaire de la cathédrale de Noyon sont décorées d'une double rangée de crochets feuillus qui sont peut-être les plus développés de cette époque et les plus riches comme sculpture (8) 80.

L'école de sculpture bourguignonne se distingue entre toutes dans la composition des crochets. Cette école avait donné, dès l'époque romane, à la décoration monumentale sculptée, une ampleur, une hardiesse, une puissance, une certaine chaleur de modelé qui, au XIIIe siècle, alors que la sculpture se retrempait dans l'imitation de la flore locale, devait produire les plus brillantes compositions. Aussi les crochets sculptés sur les monuments qui datent du milieu de ce siècle présentent-ils une exubérance de végétation très-remarquable (9 et 9 bis) 81.

L'école normande et anglo-normande renchérit encore peut-être sur l'école bourguignonne: elle exagère l'ornementation du crochet, comme elle exagère tous les détails de l'architecture gothique arrivée à son développement; mais, moins scrupuleuse dans son imitation de la flore, elle ne sait pas conserver dans la sculpture d'ornement cette verve et cette variété qui charment dans la sculpture bourguignonne. Tous les crochets anglo-normands du milieu du XIIIe siècle se ressemblent; malgré les efforts des sculpteurs pour leur donner du relief, un modelé surprenant, ils paraissent confus et, à distance, ne produisent aucun effet, à cause du défaut de masses des têtes trop refouillées et de l'extrême maigreur des tiges. Nous donnons (9 ter) un de ces crochets anglo-normands provenant de la cathédrale de Lincoln.

Cependant, peu à peu, les têtes de crochets tendaient à se modifier; ces feuilles, de recourbées, d'enveloppées qu'elles étaient d'abord dans une masse uniforme, se redressaient, poussaient pour ainsi dire, s'étendaient sur les corbeilles des chapiteaux, sous les profils des frises. À la Sainte-Chapelle de Paris (1240 à 1245), on voit déjà les têtes des crochets devenues groupes de feuilles, se mêlant, courant sous les corbeilles; des pétioles sortent des tiges côtelées (10), tandis que dans les grandes frises de couronnement les crochets conservent encore leur caractère monumental et symétrique jusqu'au XIVe siècle (11) 82.

Sur le rampant des gâbles qui couronnaient les fenêtres, dès le milieu du XIIIe siècle, le long des pignons des édifices, on posait des crochets incrustés en rainures dans les tablettes formant recouvrement (12). Il est certain que ces découpures de pierre incrustées le long des tablettes des gâbles et maintenues de distance en distance par des goujons à T, ainsi que l'indique la fig. 12 bis, n'avaient pas une très-longue durée 83; mais aussi pouvaient-elles être facilement remplacées en cas d'accident ou de détérioration causée par le temps.

Il faut ne voir dans les crochets des rampants de pignons qu'une décoration analogue à ces antéfixes ou couronnements découpés, que les Grecs posaient aussi en rainure sur les larmiers des frontons. Nous avons souvent entendu blâmer, chez les architectes du moyen âge, cette ornementation rapportée, à cause de sa fragilité; il faudrait, pour être justes, ne la point approuver chez les Grecs. L'architecture gothique devenant chaque jour plus svelte, plus déliée, les têtes arrondies des crochets espacées régulièrement tout le long de ces plans inclinés semblèrent bientôt lourdes, si délicates qu'elles fussent. Ces ornements retournés sur eux-mêmes, retombant sur leurs tiges, contrariaient les lignes ascendantes des gâbles. En 1260, on renonçait déjà à les employer, et on les remplaçait par des feuilles pliées, rampant sur les tablettes inclinées des pignons et se relevant de distance en distance pour former une ligne dentelée. On peut admettre que ces sortes de crochets ont été appliquées pour la première fois aux gâbles du portail de la cathédrale de Reims, à celui de la porte rouge de la cathédrale de Paris, constructions qui ont été élevées de 1257 à 1270 (13).

Les crochets à tête ronde demeuraient sur les petits gâbles des pinacles, des arcatures, des édicules, parce qu'il n'eût pas été possible de sculpter les feuilles rampantes dans de très-petites dimensions. Bien entendu, ces diminutifs de crochets sont d'une forme très-simple; nous en donnons ici (14) plusieurs exemples, moitié de l'exécution.

À la cathédrale de Beauvais, nous voyons des crochets sur les arêtes des pinacles du choeur qui affectent une forme particulière; ces crochets ont été sculptés vers 1260; ils rappellent certaines feuilles d'eau et se distinguent par leur extrême simplicité (15). En général, les crochets sont comme tous les ornements sculptés de l'architecture gothique, très-saillants, très-développés quand la nature des matériaux le permet, maigres et portant peu de saillie, lorsque la pierre employée était friable.

Pendant le XIVe siècle, les crochets des rampants de pignons ou de gâbles prennent plus d'ampleur; ils se conforment, dans l'exécution, au goût de la sculpture de cette époque; ils deviennent contournés, chiffonnés; ils sont moins déliés que ceux du siècle précédent, mais figurent des feuilles pliées et ramassées sur elles-mêmes (16). Vers le commencement de ce siècle, ils disparaissent pour toujours des corniches et des chapiteaux. Lorsque ces crochets sont de petite dimension, comme, par exemple, le long des arêtiers des pinacles, ils sont rapprochés les uns des autres et imitent souvent la forme de feuilles d'eau ou d'algues (17).

Au XVe siècle, au contraire, les crochets de rampants prennent un développement considérable, sont éloignés les uns des autres et reliés par des feuilles courant le long des rampants; ils adoptent les formes contournées de la sculpture de cette époque. Mais, dans l'Île-de-France particulièrement, leur exécution est large, pleine de verve, de liberté et de souplesse; les feuilles qui les composent sont des feuilles de chardons, de passiflores, de choux frisés, de persil, de géranium (18).

Ce genre d'ornement appartient à l'époque gothique, il est le complément nécessaire des formes ascendantes de cette architecture; il accompagne ses lignes rigides et détruit leur sécheresse, soit que ces lignes se découpent sur le ciel, soit qu'elles se détachent sur le nu des murs; il donne de l'échelle, de la grandeur aux édifices, en produisant des effets d'ombres et de lumières vifs et pittoresques. Dès que la renaissance revient à ce qu'elle croit être l'imitation de l'antique, le crochet ne trouve plus d'application dans l'architecture. Pendant la période de transition entre le gothique et la renaissance franche, c'est-à-dire entre 1480 et 1520; on signale encore la présence des crochets rampants. Il en est qui sont fort beaux et finement travaillés (19): tels sont ceux des hôtels de Cluny et de la Trémoille, de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, du jubé d'Alby, de la façade occidentale de la cathédrale de Troyes, de l'église de Toul, etc. (Voy., pour les dispositions d'ensemble des crochets, CHAPITEAU, CORNICHE, FLEURON, GÂBLE, PIGNON, PINACLE.)

Nos lecteurs trouveront peut-être que nous donnons à un détail d'ornement une importance exagérée; mais ils voudront bien considérer qu'en ceci les sculpteurs de l'époque qui nous occupe particulièrement ont été créateurs: ils n'ont été chercher nulle part des modèles dans les arts antérieurs; rien de pareil dans la sculpture romaine dont ils possédaient des fragments, ni dans la sculpture orientale qu'ils étaient à même de voir et d'étudier. Si nous avons donné un grand nombre d'exemples de ces crosses ou crochets, c'est que nous avons toujours entendu exprimer aux architectes étudiant l'architecture gothique la difficulté qu'ils éprouvaient, non-seulement à composer et faire exécuter cet ornement, si simple en apparence mais d'un caractère si tranché, mais encore à dessiner les crochets qu'ils avaient devant les yeux. Dans un style d'architecture, il n'y a pas, d'ailleurs, de détail insignifiant: la moindre moulure, l'ornement le plus modeste, ont une physionomie participant à l'ensemble, physionomie qu'il faut étudier et connaître.

Note 80: (retour) Cette belle salle vient d'être restaurée par les soins de la Commission des monuments historiques dépendant du Ministère d'État et sous la direction de M. Verdier. On peut dire que ce magnifique exemple de l'architecture du XIIIe siècle a été sauvé ainsi de la ruine.
Note 81: (retour) Des façades des églises de Vézelay et de Saint-Père-sous-Vézelay.
Note 82: (retour) De la tour sud de la façade de la cathédrale d'Amiens.
Note 83: (retour) On trouve encore, cependant, bon nombre de crochets du XIIIe siècle attachés aux rampants des pignons.


CROIX, s. f. Crois. Pendant le moyen âge, on plaçait des croix de pierre ou de métal au sommet des édifices religieux, sur les chemins, à l'entrée des villes et dans les cimetières. Il est bon d'observer, tout d'abord, que l'image du Christ ne fut suspendue à la croix que vers le VIe ou VIIe siècle; jusqu'alors, l'instrument de supplice, devenu sous Constantin le signe symbolique des chrétiens, fut représenté nu. Dans les catacombes de Rome, il existe des représentations de la croix, ornée de gemmes; aux deux bras sont suspendues des lampes. Mais nous ne pensons pas qu'il existe une seule représentation peinte ou sculptée du crucifix avant le VIe siècle, et encore, à dater de cette époque jusqu'au XIIe siècle, ces images sont-elles fort rares (voy. CRUCIFIX). Nous n'avons à nous occuper, dans cet article, que des croix qui tiennent à l'architecture, qui sont attachées à des monuments, ou qui constituent elles-mêmes de petits monuments isolés.

CROIX ATTACHÉES AUX ÉDIFICES RELIGIEUX. Ces croix sont de trois sortes: croix sculptées dans la pierre, croix de métal et croix peintes.

Les plus anciennes croix sculptées sont presque toujours à quatre branches égales: elles décorent le sommet des pignons, les tympans des portes d'églises, les faces des contre-forts ou des piliers; on les retrouve aussi parfois dans les chapiteaux et les clefs de voûtes.

L'église cathédrale primitive de Beauvais, connue sous le nom de Basse-oeuvre, existait déjà en l'an 990. Cet édifice, qui paraît remonter au VIIIe siècle, présente, sur son pignon occidental, une croix de pierre incrustée dans la maçonnerie, parementée de petits moellons cubiques. Cette croix, que nous donnons (1), est échancrée sur ses bords et munie d'un pied terminé en pointe. Le pignon de l'église du prieuré de Montmille, élevée, dès le commencement du XIe siècle, près de Beauvais, est orné d'une croix incrustée qui rappelle, par sa forme, celle de la Basse-oeuvre; mais à la croix de Montmille est attachée, déjà, la figure du Christ nimbé (2) 84. Dès le XIe siècle, principalement dans le Berri, le Nivernais et l'Auvergne, on trouve des croix, non plus incrustées dans les tympans des pignons des églises, mais couronnant leur sommet. La façade occidentale de l'église d'Ébreuil, qui date de cette époque, laisse voir encore, derrière le clocher du XIIe siècle, une croix de couronnement, en pierre, curieuse par sa forme.

En voici (3), en A, la face antérieure; en B, la face postérieure, et en C, la face latérale. Il y a lieu d'admettre que ces croix, se détachant sur le ciel au sommet des pignons, étaient très-fréquentes dans les édifices religieux de la période romane; mais la fragilité de ces pierres minces, ajourées, exposées aux intempéries, a dû causer promptement leur destruction.

Dans les bas-reliefs des XIe et XIIe siècles, où sont figurés des pignons d'églises, les sommets des clochers sont toujours terminés par une croix, le plus souvent à branches égales, posée sur une boule, ou bien sur une colonne jouissant d'un ornement. Le dais qui protége la Vierge assise du tympan de la porte Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris (XIIe siècle) porte, à la base de sa coupole, une croix de ce genre (4).

À la fin du XIIe siècle, les croix servant d'amortissement aux pignons ont toujours le pied plus long que les trois autres branches, ou elles sont supportées sur une sorte de socle qui les isole du pignon: telle est la curieuse croix trouvée dans des fouilles faites par M. Millet dans l'église Notre-Dame de Melun, lorsqu'il entreprit la restauration de cette église. M. Millet pense, avec raison, que cette croix (4 bis) était placée sur le pignon de la façade occidentale; nous croyons qu'elle appartient à la fin du XIIe siècle.

L'église de Montréale, près Avallon, qui date de cette époque, possède encore, sur ses quatre pignons, de belles croix variées de forme, et dont la gracieuse silhouette termine parfaitement, à l'extérieur, la construction si simple de cette église. Nous donnons (5) l'une de ces croix taillées dans de grandes dalles de calcaire dur de Coutarnoux. Celle-ci n'a que 0,135m d'épaisseur à sa base, ainsi que l'indique le profil A; le pied est fiché dans la pierre du couronnement du pignon, et le centre de la croix est ajouré.

Pendant le XIIIe siècle, la statuaire était en honneur, et les architectes, toutes fois qu'ils le pouvaient, amortissaient les pignons par des statues plutôt que par des croix; cependant les pignons du transsept de l'église de Saint-Urbain de Troyes ont conservé encore en place les restes de croix de la fin du XIIIe siècle, assez riches et d'une grande dimension.

Nous reproduisons (6) l'une d'elles, qui est taillée dans de la pierre de Tonnerre dure. Cette croix se compose de six morceaux: un pied A, une bague B en deux assises, un montant C, une traverse D et le bras supérieur E. En G est tracé le plan de la croix au niveau A, et en K on voit, en coupe, comme la bague double enserre les deux bouts A et C du pied et du montant.

Outre cette bague double, dont les deux pièces sont rendues solidaires au moyen de six petits crampons de cuivre scellés au plomb, il existe un goujon également en cuivre en I; un autre goujon en cuivre maintient le bras supérieur, la traverse et le montant. Tous les joints et goujons sont coulés en plomb avec beaucoup de soin. Deux têtes d'évêques ornent le centre de la croix, et ces deux têtes, avec les consoles et supports, contribuent à donner de l'assiette à la traverse sur le montant. Là, comme toujours dans l'architecture de cette époque, la décoration est la conséquence de la construction, et cette décoration n'en est pas plus mauvaise. Nous avons dit cela bien des fois, et nous le répéterons encore, car il faut insister: si la vérité ne se montre ou ne parle qu'une fois, personne ne l'a vue ni entendue; il faut qu'elle se répète; quand les gens la traitent de radoteuse, alors c'est qu'ils ont entendu.

Pendant le XVe siècle, les pignons sont souvent terminés par des croix; mais celles-ci perdent le caractère monumental qui convient à ces décorations placées à une grande hauteur, et elles se couvrent de détails comme les croix de cimetière ou de chemin, faites pour être vues de près.

Les pignons des églises de campagne, cependant, où l'on ne pouvait prodiguer la sculpture, étaient terminés par des croix de pierre comme dans les siècles précédents. Ces croix sont simples, habituellement portées par une colonne courte cylindrique, terminée par une bague formant chapiteau. Telle est la petite croix de l'église de Saint-Thomas (Charente-Inférieure) (7). Le profil rampant recouvrant le pignon ressaute pour lui faire un pied et donner de l'empattement à sa base.

On sait comme l'ordre de Cîteaux était opposé, dans les églises qu'il bâtissait pendant le XIIe siècle et au commencement du XIIIe, aux sculptures prodiguées dans les édifices de l'ordre de Cluny (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE). Les tympans des portes des églises de l'ordre fondé par saint-Bernard ne sont habituellement décorés que d'une simple croix en bas-relief. Nous donnons (8) celle que l'on voit encore au-dessus du linteau de la porte de l'église de Pontigny, et qui date de la fin du XIIe siècle; elle est d'une grande simplicité; ses quatre branches sont d'égale longueur.

Souvent aussi, dans l'intérieur des églises, sur les piliers, et même à l'extérieur, sur les parements des contre-forts, on sculptait, pendant la période romane, des croix à branches égales. La plupart de ces croix (celles intérieures du moins) étaient des croix de consécration. On voit une de ces croix incrustée aujourd'hui sur un des contre-forts de l'église de Saint-Palais (Gironde). Bien que cette église date du XIIIe siècle, la croix (9) appartenait certainement à un édifice du XIe ou XIIe siècle, et elle a tous les caractères d'une croix de consécration. Il existe encore, sur la façade de l'église de Saint-Ciers-la-Lande (Gironde), trois croix gravées et peintes: l'une sur la clef de la porte, et les deux autres des deux côtés des pieds-droits. Voici quelle est la forme de ces croix(10): ce ne sont que des traits gravés en creux et remplis d'une couleur noire 85.

Sur les piliers et sur les murs des collatéraux des églises des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles, nous avons découvert souvent, sous le badigeon, des croix de consécration peintes; en voici plusieurs exemples(11). La croix A nous paraît appartenir au XIIIe siècle; celle B, au XIVe, et celle C, au XVe. Dans notre gravure, le noir indique le noir; le gris foncé, le brun-rouge; le gris clair, le jaune ocre, et le blanc, le blanc: ce sont là les couleurs habituellement employées.

Il arrivait parfois que les croix de consécration des églises, pendant les XIIIe et XIVe siècles, étaient portées par des figures d'apôtres peintes ou sculptées. En 1851 on découvrit, dans l'église de Saint-Hubert de Waville (Moselle), sous le badigeon, des peintures murales parmi lesquelles se voient des apôtres portant les croix de consécration. Ces figures sont peintes sur les murs des collatéraux et du choeur; elles sont décrites et gravées dans le vingtième volume de la Statistique monumentale publiée par M. de Caumont. Tout le monde connaît les statues d'apôtres qui, à la Sainte-Chapelle du Palais à Paris, portent des croix de consécration (voy. APÔTRE). Sur les piliers qui forment tête des chapelles de la cathédrale de Troyes, on remarque des dalles de pierre carrées incrustées, la pointe en bas, sur lesquelles sont gravées et peintes des figures d'apôtres portant également des croix de consécration.

Pendant le moyen âge, on posait toujours des croix de fer au sommet des clochers de bois recouverts d'ardoise ou de plomb, et quelquefois même à la pointe des pyramides de pierre qui terminaient les tours des édifices religieux. Les croix de fer étaient surmontées d'un coq ou d'une simple girouette. Il existe un petit nombre de ces croix de métal anciennes, renversées souvent par la foudre ou détruites par le temps et la main des hommes. Elles étaient, la plupart, d'un riche dessin, dorées et d'une grande dimension. Leur embase se composait ou d'une boule, ou d'une bague figurant souvent un dragon, symbole du démon, ou encore d'une couronne de feuillage. Des reliques étaient habituellement déposées dans la boule qui leur servait de base, ou dans le coq qui les surmontait (voy. COQ). Le système d'assemblage de ces croix d'amortissement mérite d'être étudié avec soin par les constructeurs; car ces pièces de fer, posées à une grande hauteur, plus lourdes au sommet qu'à la base, étaient exposées aux ouragans et ne tardaient pas à se rompre, à se fausser ou à fatiguer leurs attaches. Si ces croix étaient scellées dans la pierre, il fallait, pour éviter l'ébranlement causé dans le scellement par l'effort du vent sur le corps de la croix, procéder avec des précautions extraordinaires. La tige principale se composait de trois ou cinq pièces: une âme et deux ou quatre arcs-boutants. Supposons un sommet de flèche en pierre composé d'assises (12). La partie évidée de la pyramide s'arrête en B. La tige principale en fer carré CD traverse les assises pleines du sommet de la flèche, formant amortissement, et son extrémité inférieure est arrêtée par une clavette en D. Deux ou quatre arcs-boutants en E, maintenus par deux frettes IK, contournés suivant le profil du couronnement, viennent butter contre un épaulement de la tige en G; de sorte que si le vent pousse la tige centrale d'un côté, son effort est neutralisé par la résistance qu'opposent les arcs-boutants, résistance qui se résout en une pression en F ou en L. Quant aux deux branches de la croix, elles ne sont pas assemblées à mi-fer, ainsi que cela se pratique dans la serrurerie moderne, et ce qui est fort mauvais, mais au moyen d'une emboîture renforcée, avec trou pour passer un boulon ou un gros rivet, ainsi que l'indique la fig. 13.

Ces menus détails ne sont pas à dédaigner; trop souvent, de nos jours, on abandonne leur exécution à un entrepreneur qui, à son tour, s'en rapporte à un chef d'atelier, qui se fie à l'intelligence de l'ouvrier. Un accident arrive, on s'en prend à l'architecte, qui rejette la faute sur l'entrepreneur, qui fait retomber le blâme sur le chef d'atelier, qui accuse l'ouvrier, lequel a quitté le chantier depuis six mois!...

Si la croix de fer est posée au sommet du poinçon d'une flèche en bois, sa tige forme, sous l'embase, une fourchette à deux, trois ou quatre branches, suivant le degré de force que l'on veut donner à la croix et la résistance qu'elle doit opposer au vent. Les branches de la fourchette, clouées sur le bois, sont, en outre, munies de frettes serrées à chaud, afin de maintenir puissamment l'armature.

Si la croix est d'une très-grande dimension (une croix d'une flèche comme celle d'Amiens ou de Notre-Dame de Paris ne peut avoir moins de huit mètres de hauteur), elle se compose d'un nombre considérable de pièces que nous décomposons ainsi (14): 1º l'âme A (voir la section horizontale P), avec son renfort pour recevoir la traverse; 2º B, la traverse; 3º les quatre équerres C, plus ou moins décorées et maintenues au moyen de rivets indiqués dans le détail C' (ces équerres sont destinées à empêcher la traverse de fatiguer le tenon, le boulon central, et, par suite, de s'incliner d'un côté ou de l'autre); 4º D, les quatre renforts à crémaillères formant branches de fourchettes clouées et frettées sur la tête du poinçon de bois; 5º E, les trois frettes façonnées comme le fait voir le tracé E', avec clavettes, de manière à pouvoir être fortement serrées; 6º F, l'embase, et G, les embrasses; 7º H, le boulon maintenant la traverse contre l'âme dans sa mortaise: en tout dix-sept pièces de fer. En M est figurée l'extrémité du montant de la croix, avec la broche sur laquelle tourne le coq-girouette; en L, l'extrémité forgée de l'un des croisillons. L'âme est indépendante et n'est maintenue dans une ligne verticale que par les quatre branches D fixées sur le sommet du poinçon. Une pareille armature d'une hauteur de quatre ou cinq mètres peut conserver l'élasticité nécessaire pour ne pas être rompue par un ouragan, car les quatre renforts tenant lieu de fourchettes agissent toujours en sens inverse: si l'un est chargé par l'action du vent au moyen du talon I, l'autre renfort opposé agit en tirant par la résistance qu'oppose la crémaillère K. Il n'est pas besoin de dire que le poinçon est recouvert de plomb jusque sous l'embase F. Si la croix atteint des dimensions plus grandes (sept ou huit mètres), il est prudent d'avoir des renforts doublés avec doubles talons, doubles crémaillères, de faire l'âme en deux pièces juxtaposées, boulonnées ou rivées ensemble et moisant la traverse. Une armature ainsi combinée peut être enrichie au moyen de tigettes, d'ornements de fer battu rapportés et rivés. Les renforts avec leurs embrasses peuvent être enveloppés de feuilles en tôle découpée et modelée, être accompagnés de branches de fer rond, recourbées et portant à leur extrémité des fleurs en tôle découpée.

La fig. 15 donne l'idée de ce genre d'ornementation rapportée.

Sur des flèches d'une dimension ordinaire, les croix en fer n'avaient pas besoin d'être combinées et fixées avec ce luxe de précautions. Il en est qui sont forgées de façon à ce que les bras et l'arbre vertical ne forment qu'une pièce dont les parties sont soudées ensemble. La petite croix en fer du clocher de Puybarban, près la Réole, est ainsi fabriquée. Cette croix, bien qu'elle ait été reposée sur une flèche du XVIIe siècle, est de la fin du XIIIe ou du XIVe 86. Nous en présentons (16) le dessin d'ensemble et les détails. Les fleurs de lis sont doubles, c'est-à-dire posées sur deux sens, comme l'indique le tracé perspectif (16 bis) d'un des bouts de la croix. Une petite girouette, roulant sur le bras supérieur, remplace ici le coq traditionnel.

Les redents qui décorent le carré central sont simplement rivés aux côtés de ce carré. Malgré son extrême simplicité, cette croix ne laisse pas d'être d'une forme gracieuse; et, dût-on nous accuser d'indulgence en faveur des arts du moyen âge, nous ne saurions lui préférer les croix en fonte que l'on place aujourd'hui au sommet des flèches. Cette opinion n'est pas partagée très-probablement, puisque la plupart des vieilles croix de fer qui avaient résisté aux orages de la fin du dernier siècle ont été descendues et vendues au ferrailleur, en échange de ces modèles en fonte que l'on trouve sur les quais de Paris en compagnie de poêles et de bancs de jardins. En Bretagne et en Normandie, on signale encore quelques croix de flèches en fer, qui datent des XVe et XVIe siècles. Voici (17) quelques-uns des motifs le plus habituellement reproduits.

CROIX DE CHEMINS ET DE CIMETIÈRES. À quelle époque commença-t-on à élever des croix dans les carrefours, à l'entrée des villes ou villages, et dans les cimetières? Je ne saurais le dire. On peut constater seulement que cet usage était fort répandu dès les premiers temps du moyen âge. Parmi les monuments encore debout, nous n'en connaissons aucun qui soit antérieur à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe. Il est à croire que beaucoup de ces croix antérieures au XIIIe siècle, en pierre ou en bois, étaient recouvertes par un auvent; car, dans un écrit de cette époque, on lit ce passage: «... et en cascune chité de nostre empire a ij. crois à l'entrée; et desus la crois n'a point d'arc volu (archivolte), pour çou que chil ki vont par desous l'enclinent, que nous l'avons en tele remenbrance que nous ne volons que nule riens soit pardesus ki ne soit bénéoite ou sacrée... 87» Il existait donc des couvertures sur les croix de chemins, puisque le prêtre Jehan ne veut pas qu'on en pose sur celles élevées sur son territoire, afin qu'au-dessus de la croix il n'y ait rien qui ne soit bénit ou sacré. Cette idée semble prévaloir, en effet, pendant le XIII siècle, car on ne trouve pas de traces anciennes d'auvents ou d'édicules recouvrant les croix de chemins, à cette époque, dans le nord de la France.

Il y a lieu de croire, d'ailleurs, que les croix n'étaient protégées par des auvents qu'autant qu'elles portaient le Christ, ou lorsqu'elles étaient faites de matière périssable, ou peintes et dorées; car on voit encore des croix romanes de cimetières et de carrefours qui n'ont certainement pas été faites pour être placées sous un édicule. La croix de pierre que nous donnons ici (18), et qui est encore placée dans le cimetière de Baret près Barbezieux (Charente), est d'un travail trop grossier pour qu'on ait jamais eu l'idée de la couvrir. Cette croix paraît appartenir à la fin du XIe siècle.

Les croix de carrefours sont habituellement posées sur un socle formant comme un petit autel, avec quelques marches en avant; les croix des cimetières s'élèvent sur un emmarchement plus ou moins grand; une tablette est posée devant ou autour de la colonne portant la croix. Dans le cimetière de Mezy (Marne), il existe encore une croix de ce genre dont la colonne passe à travers une tablette d'autel portée sur quatre figures d'évangélistes adossées à des colonnettes (19).

Nous donnons, en A, la coupe sur l'axe de la colonne. Le sommet de cette croix de pierre n'existe plus; la colonne est brisée au niveau B. Pour le compléter, nous donnons (19 bis) les fragments d'une belle croix de la même époque (1230 environ), qui se trouvent déposés sous le porche de l'église de Rougemont (Côte-d'Or).

D'un côté, sur cette croix, est attaché le Christ; de l'autre, dans le médaillon du centre, est sculptée une main bénissant. La coupe de la tige est tracée en A et celle des bras en B. Vers le milieu du XIIIe siècle, les croix de chemins ou de cimetières présentent souvent, sur la face, le Christ attaché, et, sur le revers, une figure de la sainte Vierge portant l'Enfant; ou bien encore la statue de la Vierge est adossée à la colonne, sous la croix, et le crucifix est double. On voit à Fouchères, près de Troyes, les restes d'une charmante croix de ce genre, qui était placée autrefois à la tête du pont. Elle reposait sur un socle et des marches. À la colonne est adossée une statue de la sainte Vierge, de 1m,40 de haut; elle est debout sur un groupe de trois colonnettes tenant à l'arbre principal. Du chapiteau qui termine la colonne sort un ange à mi-corps, disposé de telle façon que ses ailes et son corps forment dais au-dessus de la tête de la statue (20).

Autrefois, un crucifix de pierre de 1m,80 environ surmontait le chapiteau; la figure du Christ était sculptée sur chacune de ses faces: l'une tournée vers l'Orient, l'autre vers l'Occident; les extrémités des bras de la croix étaient terminées par des fleurons feuillus. Ce crucifix est détruit aujourd'hui, et le petit monument n'existe que jusqu'au chapiteau supérieur. La Vierge tourne son regard vers la terre et sourit; elle est coiffée d'un voile et d'une couronne fleuronnée. Chaque année, pendant la moisson et les vendanges, les paysans attachent des épis de blé et des raisins aux pieds de la mère du Sauveur 88. Du socle au crucifix, l'arbre se compose de trois pierres, dont les lits sont marqués en L. La section horizontale au-dessous de la Vierge donne le plan A. On comprend que la statue est prise dans le même morceau de pierre que la colonne à laquelle elle est adossée.

La plupart de ces croix de chemins avaient été élevées pour conserver le souvenir d'un fait mémorable ou en signe d'expiation. Sur la route qu'avait suivie Philippe le Hardi de Paris à Saint-Denis, en portant sur ses épaules les restes du roi Saint-Louis, on avait élevé, à chaque station de la procession, des croix de pierre, qui passaient pour de fort beaux ouvrages. On en voyait encore les restes en 1792; elles étaient très-belles, en pierre de liais, et posées sur de hauts emmarchements.

Pendant les XIVe et XVe siècles, on donna aux croix de chemins une grande richesse; on multiplia les figures qui accompagnaient le Christ, tout en conservant toujours les dispositions primitives. Dans nos musées de province, on voit encore quantité de débris des croix de chemins; elles s'étaient multipliées à l'infini, car on ne renversait pas les anciennes et on en élevait chaque jour de nouvelles; mais il est rare aujourd'hui d'en trouver qui n'aient pas été brisées pendant les guerres de religion ou à la fin du dernier siècle. Il en existe cependant dans des localités oubliées par les iconoclastes: elles sont d'un travail grossier, car les plus belles se trouvaient près des grands centres, et ce sont les premières qui ont été détruites; toutefois ces monuments, d'une exécution barbare, sont des copies ou des réminiscences des oeuvres qui passaient pour être remarquables, et, à ce point de vue, elles doivent être étudiées avec soin. Parmi ces imitations grossières, nous pouvons citer la croix de Belpech (Aude) (21).

La croix, découpée et fleuronnée, porte, d'un côté, le Christ ayant à sa droite la Vierge et saint-Jean à sa gauche. Au bas de la croix, deux petites figures reçoivent le sang du Sauveur dans un calice. Deux têtes, au-dessus des bras du Christ, personnifient le soleil et la lune. Le revers porte, au centre, une figure de la sainte Vierge avec l'Enfant. Deux anges tiennent la couronne de la mère de Dieu: à sa droite est un saint-Jean précurseur; à sa gauche, saint-Jacques pèlerin. Le chapiteau porte quatre figurines nimbées très-frustes, mais parmi lesquelles on distingue saint-André. Des écussons se voient entre les figures. Ce monument date de la fin du XIVe siècle; il était entièrement peint et recouvert d'un auvent, car il semble qu'à la fin du XIVe siècle on revint à cet usage de couvrir les croix de carrefours.

On voit encore, sur la place de Royat (Puy-de-Dôme), en face de l'église, une jolie croix en lave, du XVe siècle. Nous en donnons une vue (22). Les figures des douze apôtres sont sculptées sur le montant principal entre quatre petits contre-forts. Une inscription donnant le millésime de 1481 est gravée au pied de l'arbre, du côté de la Vierge. Sur les faces du socle, dans de petites niches, on remarque huit figurines, probablement des prophètes.

Les croix de chemins, de carrefours et de cimetières n'étaient pas toujours taillées dans de la pierre, du marbre ou du granit; on en élevait en bois, fichées dans un socle de pierre. Il n'est pas besoin de dire que celles-ci sont détruites depuis longtemps; on n'en peut constater l'existence que par la présence de ces socles de pierre percés d'un trou carré que l'on rencontre encore dans la campagne et dans les cimetières. Il existait aussi des croix de bronze et de fer forgé. Ces objets de métal, particulièrement ceux de bronze, ont été fondus à la fin du dernier siècle, et nous n'en possédons plus un seul exemple en France. La forme de ces croix de bronze différait de celles données aux croix de pierre et de bois; elles étaient plus sveltes, plus détaillées, plus riches, et se divisaient souvent en plusieurs branches pour porter des personnages. Dans l'Album de Villard de Honnecourt, on voit une de ces croix dont la partie supérieure ne peut avoir été exécutée qu'en cuivre fondu 89. Elle se compose d'une colonne, peut-être en pierre, posée sur des marches. De la colonne sort la croix avec le Christ et deux crosses amplement découpées portant la Vierge et saint-Jean.

Si nous tenons compte de la manière conventionnelle employée par Villard dans ses dessins et que nous remettions ce croquis en proportion, nous obtenons la fig. 23, qui donne un bel exemple de croix en pierre du sol au niveau A, et en métal depuis le niveau A jusqu'au sommet; cette croix appartient au temps où vivait Villard, c'est dire qu'elle est de la première moitié du XIIIe siècle. Villard, sauf quelques rares exceptions, ne fait pas d'archéologie, et ne remplit son Album que de dessins pris sur des monuments contemporains. «Dans le XVe siècle, dit Courtalon, il existait à l'église Saint-Remy de Troyes une nombreuse confrérie de la Croix à l'autel de ce nom. Des oblations qu'on y faisait, les confrères firent ériger, en mars 1495, proche l'église Saint-Jean, dans la Grande-Rue, un très-beau monument en l'honneur de la Croix, que l'on appela la Belle-Croix 90

La description de cette croix, que l'on trouve tout entière dans le Voyage archéologique dans le département de l'Aube 91, donne l'idée d'un monument d'une grande importance. Cette croix, entièrement de bronze, sauf le socle, était décorée de nombreuses figurines, parmi lesquelles on distinguait Satan et Simon le Magicien, que les Troyens appelaient Simon Magut. Au pied du Christ, on voyait la Madeleine embrassant le pied de l'arbre de la croix; de chaque côté, saint-Jean et la Vierge; au-dessous, saint-Pierre, saint-Loup, Saint-Louis, des prophètes, parmi lesquels on distinguait Mahomet. Un mémoire dressé en 1530 sur ce monument, et rapporté par Grosley, nous fait connaître qu'il était, dans l'origine, surmonté d'un baldaquin ou dôme en maçonnerie, porté sur de très-hautes colonnes, «le tout fort triomphant et étoffé de peintures d'or et d'azur, et garni d'imaiges et autres beaux ouvrages à l'avenant... Que cette croix en remplaçait une de pierre dure, garnie d'imaiges, laquelle étant venue en ruyne et décadence, fut démolie et transportée au cimetière de l'Hôtel-Dieu-Saint-Esprit, et fut illec colloquée et dressée attenant de la sépulture de noble homme NIC. BOUTIFLART, en son vivant bourgeois de Troyes...» Le mercredi 5 décembre 1584, un ouragan renversa la coupole sur la croix, qui fut rompue, bien qu'un gros arbre de fer la traversât du haut en bas. «La chute de la belle croix, ajoute M. Arnaud, facilita la visite des reliques qu'elle renfermait; on trouva dans la tête de l'image de la Vierge qui est derrière le crucifix une petite boîte de laiton fermée et attachée avec un fil d'archal...» L'année suivante, en 1585, la belle croix de Troyes fut rétablie, mais sans la coupole qui la couvrait. Ce monument fut fondu en 1793; la fonte rendit huit mille cent quarante-deux livres de bronze; sa hauteur était de trente-six pieds.

Nous donnons (24), d'après un ancien dessin et un vitrail de 1621, représentant «l'entrée du Roy Henry le Grand en sa ville de Troyes en 1595», l'ensemble de ce monument de bronze privé de la coupole qui le couvrait et sur la forme de laquelle nous ne possédons aucun renseignement graphique.

En Bretagne, on voit encore un grand nombre de croix de pierre des XVe et XVIe siècles, qui rappellent les dispositions de ces croix munies de branches portant des personnages (voy. le Voyage pittoresque dans l'ancienne France, par MM. Nodier et Taylor).

Note 84: (retour) Voy. Archéol. de l'ancien Beauvoisis, par le Dr Woillez.
Note 85: (retour) Ces renseignements nous ont été fournis par M. Alaux, architecte à Bordeaux.
Note 86: (retour) M. Alaux, architecte, a pris la peine de dessiner pour nous cette croix de fer.
Note 87: (retour) Additions aux OEuvres de Rutebeuf; Lettre de Prestres-Jehans, pub. par Jubinal, t. II, p. 464. Il existait une belle croix de grès au haut de la rue Saint-Bertin à Saint-Omer; cette croix, qui fut détruite il y a peu d'années, remontait, dit-on, au Xe siècle. (Voy. les Abbés de Saint-Bertin, par M. Henri de Laplane, Ire partie, p. 118. Saint-Omer, 1854.)
Note 88: (retour) Nous devons ce dessin à M. Millet, architecte diocésain de Troyes.
Note 89: (retour) Voy. Album de Villard de Honnecourt, arch. du XIIIe siècle, p. 85, pl. XIV. Impr. impér., 1858.
Note 90: (retour) La place qu'occupait cette croix à Troyes porte encore le nom de la Belle-Croix.
Note 91: (retour) Curieux ouvrage, publié par M. A. F. Arnaud, peintre. Troyes, 1837.


CROSSE. Voy. CROCHET.



CROSSETTE. Les appareilleurs donnent ce nom aux queues des claveaux d'un arc qui se retournent horizontalement pour former tas-de-charge. Pendant le moyen âge, on n'employait pas les crossettes dans l'appareil des arcs; ceux-ci étaient toujours extradossés (voy. APPAREIL, CONSTRUCTION).



CROUPE. Signifie l'extrémité d'un comble qui ne s'appuie pas contre un pignon de maçonnerie. Les absides circulaires ou à pans des églises sont terminées par des croupes (voy. CHARPENTE). Dans l'architecture civile, les architectes, jusqu'au XVIe siècle, emploient très-rarement les croupes; les bâtiments sont couverts par des combles à double pente fermés à leurs extrémités par des pignons. C'était une tradition antique que le moyen âge avait conservée scrupuleusement, et c'était fort sage. Les artistes de la Renaissance, et ceux du XVIe siècle surtout, qui prétendaient revenir aux principes de l'antiquité, ont commencé à poser sur les édifices des combles terminés par des croupes, et on a été, de nos jours, comme sur la façade du Panthéon, par exemple, jusqu'à poser des croupes sur des frontons qui sont des pignons. Il est difficile de pousser plus loin l'oubli des principes de l'architecture des Grecs et des Romains. Mais dans l'histoire de notre art, on trouve, depuis trois siècles, bien d'autres étrangetés.



CRUCIFIX. Christ en croix. Il était d'usage de placer, dans les églises cathédrales, abbatiales ou paroissiales, de grands crucifix de bois ou de métal suspendus au-dessus des jubés ou des poutres transversales qui indiquaient l'entrée du choeur. Il existe dans le musée de Cluny un crucifix du XIIe siècle, grand comme nature, qui a dû être fait pour être ainsi posé au-dessus d'une trabes. Cette figure est en bois de châtaignier; les nus sont recouverts de parchemin peint; les draperies, la tête et les mains sont seules dépourvues de cette application. Du Breul 92 rapporte qu'à l'entrée du choeur de la cathédrale de Paris, au sommet de la porte du jubé, s'élevait «un grand crucifix qui, avec sa croix, n'était que d'une pièce, et, ajoute-t-il, le pied d'iceluy est fait en arcade d'une autre seule pièce, qui sont deux chefs-d'oeuvre de taille et de sculpture.»

«Dans les temps primitifs, dit M. Didron 93, on voit la croix, mais sans le divin crucifié. Vers le VIe siècle, on parle d'un crucifix exécuté à Narbonne; mais c'est un fait étrange et qui est signalé pour sa nouveauté. Au Xe siècle, quelques crucifix apparaissent çà et là; mais le crucifié s'y montre avec une physionomie douce et bienveillante; il est d'ailleurs vêtu d'une longue robe à manches, laquelle ne laisse voir le nu qu'aux extrémités des bras et des jambes 94. Aux XIe et XIIe siècles, la robe s'écourte, les manches disparaissent, et déjà la poitrine est découverte quelquefois, parce que la robe n'est plus qu'une espèce de tunique 95. Au XIIIe siècle, la tunique est aussi courte que possible; au XIVe, ce n'est plus qu'un morceau d'étoffe ou même de toile qu'on roule autour des reins, et c'est ainsi que jusqu'à nos jours Jésus en croix a constamment été représenté. En même temps qu'on attriste la figure du crucifié et qu'on grave les souffrances physiques sur son corps divin, en même temps aussi on le dépouille de la robe et du petit vêtement qui le protégeaient...» En effet, le crucifix du musée de Cluny est couvert d'un court jupon à petits plis; sa tête n'indique pas la souffrance physique, mais plutôt la bienveillance; ses yeux sont ouverts; sa coiffure n'est pas en désordre, et il ne paraît pas qu'une couronne d'épines ait été posée sur son chef. Les crucifix primitifs, comme ceux de Saint-Sernin et d'Amiens, ont la tête couverte d'une couronne royale. Au XIIe siècle, Jésus en croix est habituellement tête nue, et ce n'est qu'à dater du XIIIe qu'on voit la couronne d'épines ceindre son front penché vers la terre. Cependant la tendance vers le réalisme se fait déjà sentir à la fin du XIIe siècle. Il existe dans la sacristie de la cathédrale de Bordeaux un crucifix en ivoire d'une grande valeur comme oeuvre d'art; il appartient à la seconde moitié du XIIe siècle. On voit que l'artiste a cherché l'imitation de la nature, et le divin supplicié est un homme souffrant.

La tête (1) conserve toutefois un calme et une grandeur d'expression qui méritent l'attention des artistes. Trois clous seulement attachent les membres du Christ, tandis qu'avant cette époque les clous sont au nombre de quatre. Les crucifix posés sur les jubés sont ordinairement accompagnés de la Vierge et de saint-Jean. La Vierge est placée à la droite du Sauveur, saint-Jean à sa gauche. Quelquefois un ange, au pied de la croix, reçoit le sang du Christ dans un calice. Dans les peintures et les vitraux, sur les retables des autels, on voit souvent, à la droite du Christ, l'Église qui reçoit le sang divin dans un calice; à sa gauche, la Synagogue qui se détourne, et dont les yeux sont couverts d'un voile (voy. ÉGLISE, SYNAGOGUE). Habituellement, le Christ en croix est nimbé du nimbe crucifère.

Cependant, ce signe divin est omis dans beaucoup de peintures et de bas-reliefs des XIIIe et XIVe siècles. Dans les peintures, les vitraux et les bas-reliefs, les artistes ont souvent figuré, au-dessus des deux bras de la croix, le soleil et la lune, sous forme d'anges à mi-corps, pleurant et tenant ces deux astres dans les plis de leurs manteaux, ou encore sous forme de disques dorés, l'un rayonnant et l'autre échancré. Vers la fin du XIIIe siècle, le Christ en croix est contourné, affaissé, et les bras ne forment plus avec le corps des angles droits. La tête du Sauveur est empreinte d'une expression de souffrance physique poussée même parfois jusqu'à l'exagération, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant les vitraux et les peintures de cette époque, (2) 96. Cette tendance vers le réalisme est plus sensible encore pendant le XIVe siècle, et les artistes arrivent, au XVe siècle, à donner au crucifix toutes les apparences de la nature humaine soumise au plus affreux supplice: il s'agit de remplacer dans l'esprit des fidèles le sentiment du triomphe de la divinité sur la croix par le sentiment de la pitié.

Note 92: (retour) Le Théâtre des Antiquités de Paris, p. 13. 1622.
Note 93: (retour) Iconographie chrétienne, histoire de Dieu, p. 241. Paris, 1843.
Note 94: (retour) Le crucifix de Saint-Sernin de Toulouse, celui d'Amiens.
Note 95: (retour) Plutôt un jupon.
Note 96: (retour) De l'ancienne salle capitulaire de la cathédrale du Puy-en-Vélay (peinture à fresque de la fin du XIIIe siècle).


CRYPTE, s. f. Crute, croute, grotte. L'étymologie de ce mot (Grec: chropteiu, cacher) indique assez sa signification. Les premières cryptes ou grottes sacrées ont été taillées dans le roc ou maçonnées sous le sol, pour cacher aux yeux des profanes les tombeaux des martyrs; plus tard, au-dessus de ces hypogées vénérés par les premiers chrétiens, on éleva des chapelles et de vastes églises; puis on établit des cryptes sous les édifices destinés au culte pour y renfermer les corps saints recueillis par la piété des fidèles. Beaucoup de nos anciennes églises possèdent des cryptes qui remontent à une époque très-reculée: les unes ne sont que des salles carrées voûtées en berceau ou en arêtes, suivant la méthode antique, ornées parfois seulement de fragments de colonnes et de chapiteaux grossièrement imités de l'architecture romaine; d'autres sont de véritables églises souterraines avec collatéraux, absides et absidioles. On pénètre habituellement dans les cryptes par des escaliers qui débouchent des deux côtés du sanctuaire, ou même dans l'axe du choeur.

Les églises de France et des bords du Rhin présentent une grande variété dans la disposition et la forme de leurs cryptes; plusieurs sont construites avec un certain luxe, ornées de peintures, de colonnes de marbre et de chapiteaux historiés, et sont assez vastes pour contenir un grand nombre de fidèles; elles possèdent le plus souvent deux escaliers, afin de permettre aux nombreux pèlerins qui venaient implorer l'assistance des saints dont les restes étaient déposés sous leurs voûtes de descendre processionnellement par l'un des degrés et de remonter par l'autre. On évitait ainsi le désordre et la confusion.

Les cryptes, sauf de rares exceptions, reçoivent du jour par d'étroites fenêtres ouvertes sur le dehors de l'église ou sur les bas-côtés du sanctuaire. Cette dernière disposition paraît avoir été adoptée lorsque les cryptes étaient creusées sous les choeurs des églises romanes entourés d'un collatéral. Ainsi les ouvertures qui donnaient de l'air et de la lumière dans la crypte débouchaient dans l'enceinte du lieu consacré. Alors les choeurs étaient élevés au-dessus du pavé du pourtour, ce qui ajoutait à la solennité des cérémonies religieuses, et ce qui permettait même à l'assistance de voir, du bas-côté, ce qui se passait dans la crypte. La plupart des églises rhénanes conservent encore cette disposition, que nous voyons adoptée dans une petite église dont quelques parties paraissent remonter au VIe siècle; nous voulons parler de l'église de Saint-Martin-au-Val de Chartres. «On pénétrait primitivement dans la crypte,» dit M. Paul Durand, dans la description fidèle qu'il a donnée de cet édifice 97, «par deux petites portes placées à droite et à gauche de sa partie occidentale. Ces portes existent encore... Il est probable qu'autrefois le spectateur, placé dans la grande nef, pouvait apercevoir l'intérieur de la crypte par une ouverture médiane, ou deux ouvertures latérales pratiquées dans sa face occidentale, comme on le voit encore dans plusieurs églises du centre et de l'ouest de la France...» Il y a entre le sol du sanctuaire relevé et celui du bas-côté une différence de niveau suffisante pour qu'on ait pu pratiquer des fenêtres dans le soubassement des arcades du choeur, de manière à éclairer la crypte et à permettre de voir l'intérieur de cette crypte, dont les voûtes reposent sur deux rangées de quatre colonnettes chacune. Bien que l'église ait été mutilée et reconstruite en partie à plusieurs reprises, cependant les bases des colonnettes de la crypte et quelques chapiteaux primitifs sont d'un travail qui appartient à une époque très-reculée, voisine encore des arts du Bas-Empire, et présentant tous les caractères de la sculpture de la crypte célèbre de La Ferté-sous-Jouarre 98.

Les cryptes romanes n'ont guère qu'une hauteur de trois à quatre mètres du sol à la voûte; il fallait alors que ces voûtes fussent portées sur un quinconce de colonnes, si la crypte occupait en superficie un espace assez étendu. Toutefois, les cryptes étant creusées sous une abside ou sous un sanctuaire entouré de colonnes, le mur qui les fermait à l'orient était ordinairement semi-circulaire. Prenons, comme exemple, une des plus anciennes cryptes conservées, celle de Saint-Avit d'Orléans 99. Saint-Avit mourut de 527 à 529; son corps, transporté à Orléans, fut enseveli non loin des murailles. «Childebert Ier, passant par Orléans pour aller combattre les Visigoths, voulut visiter les reliques du saint; il fit voeu de bâtir une église au lieu où elles étaient déposées, s'il remportait la victoire: il revint triomphant et remplit son engagement 100.» L'église fut, depuis lors, saccagée plusieurs fois par les Normands, pendant le siége de 1429 et en 1562; en 1710, elle fut rasée. On avait perdu jusqu'à sa trace, lorsqu'en 1853 des fouilles faites pour agrandir les bâtiments du séminaire mirent au jour la crypte de Saint-Avit, qui nous paraît appartenir à la construction de Childebert.

Nous donnons (1) le plan de ce monument. On observera que l'entrée A se trouve au bas du rond-point, dont les voûtes sont portées sur quatre pilettes à section octogonale; en B est une arrière-salle (martyrium), séparée de l'abside par une claire-voie maçonnée. Le petit autel devait être placé en C, et le corps du saint en D. Nous retrouvons des dispositions analogues adoptées dans la plupart des cryptes primitives: c'est qu'en effet les reliques se trouvaient ainsi déposées sous le maître autel du sanctuaire, placé en avant de l'abside occupée par les clercs.

La fig. 2 donne la coupe transversale de la crypte sur la ligne EG, regardant la claire-voie; et la fig. 3, la coupe longitudinale sur la ligne HI. Cette dernière coupe fait voir, en A, le tombeau du corps saint; en B, l'autel principal supérieur placé dans le sanctuaire au-dessus du corps du martyr; en C, les siéges des clercs (chorus), et en D, l'autel de la crypte. La construction de la crypte Saint-Avit est faite en moellons grossièrement taillés, séparés par des joints de mortier très-épais. La grotte destinée à recevoir le corps saint n'est parfois qu'un réduit, comme à Saint-Germain d'Auxerre, comme dans la crypte de la cathédrale de Chartres et dans celle de l'église de Vézelay; quelquefois, au contraire, le martyrium est une véritable nef entourée d'un bas-côté. Cette dernière disposition est bien marquée dans la crypte de la cathédrale d'Auxerre, que nous supposons construite du IXe au Xe siècle.

Voici (4) le plan de cette crypte, aujourd'hui enclavée dans des constructions du XIIIe siècle. Le martyrium A est une longue salle dont les voûtes reposent sur un quinconce de piles; le corps saint devait être déposé en B; la petite arcade jumelle du fond rappelle encore la claire-voie que nous trouvons dans la crypte de Saint-Avit d'Orléans. Un déambulatoire C pourtourne le martyrium; un seul escalier subsiste aujourd'hui en D, mais il y a tout lieu de croire qu'il s'en trouvait un autre en E. l'autel était placé au fond de l'absidiole G. Ainsi les fidèles descendaient par l'un des escaliers, pouvaient voir le tombeau du saint par les ouvertures ménagées dans le mur du martyrium, faisaient leurs oraisons devant l'autel et remontaient par l'autre escalier. La crypte de la cathédrale de Chartres avait un martyrium très-étroit, mais un déambulatoire avec chapelles d'une grande étendue 101. La crypte de l'église abbatiale de Saint-Denis présentait ces mêmes dispositions dès avant la reconstruction entreprise par Suger; l'illustre abbé les conserva en rebâtissant le rond-point, et ajouta de vastes chapelles au déambulatoire pourtournant le martyrium, auquel il laissa sa forme primitive 102, ne voulant pas, probablement, toucher à ce lieu consacré. Cependant ce fut Suger qui enleva les reliques de saint-Denis et de ses deux compagnons de la crypte où elles étaient déposées, pour les placer sous l'autel des martyrs, au fond du sanctuaire (voy. AUTEL) 103.

Une des cryptes les plus vastes qui aient été élevées est certainement celle de l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon. Cette crypte existait dès le VIe siècle sous le sanctuaire de l'église bâtie par Grégoire, évêque de Langres. En 1001, Guillaume, abbé de Saint-Bénigne, entreprit de reconstruire l'église et les cryptes. D. Planchet 104 veut que Guillaume n'ait fait que réparer l'ouvrage de l'évêque Grégoire, et qu'il ait seulement bâti en entier la rotonde qui se voyait derrière l'abside. Quant à l'église, nous ne pouvons savoir s'il la reconstruisit ou s'il la répara, parce qu'elle fut totalement rebâtie à la fin du XIIIe siècle; mais des découvertes récentes 105 ont mis à nu les restes du martyrium renfermant le tombeau du saint et les caveaux de la rotonde y attenant: or ces constructions sont identiques et possèdent tous les caractères de l'architecture barbare du commencement du XIe siècle. Il faut donc voir là un monument de cette époque; cependant il est certain que l'abbé Guillaume conserva des massifs appartenant à des constructions antérieures; on reconnaît des soudures, on retrouve des fragments d'un monument plus ancien réemployés comme moellon.

Le plan souterrain de cet édifice, unique en France (5), fait assez voir que les cryptes primitives s'étendaient au delà des parties A, sous les transsepts de l'ancienne église. C'était dans ces deux galeries A que devaient aboutir probablement les escaliers de la crypte de l'évêque Grégoire. Peut-être, du temps de Guillaume, ces anciens escaliers avaient-ils été déjà supprimés ou jugés insuffisants, puisqu'on en avait pratiqué deux autres dans les deux tours rondes B qui flanquent la rotonde. Le tombeau du martyr était en C, couvert par un édicule et posé en contre-bas au sol de la crypte 106. En D se trouvait la chapelle de saint-Jean-Baptiste, construite au VIe siècle, si l'on en croit D. Planchet 107. Toute la crypte, la rotonde et la chapelle sont voûtées en moellons, excepté la partie milieu G, qui restait à jour. Cette disposition connue, on comprend comment les processions de pèlerins devaient circuler autour du tombeau du saint, autour de la rotonde, remonter soit par les escaliers des deux tours rondes, soit par l'un des deux escaliers primitivement ouverts en A. Cette crypte circulaire, dans le centre non voûté, laissait voir deux étages de galeries terminées par une coupole qui devait produire un fort bel effet. Avant la reconstruction du choeur, au XIIIe siècle, dont les fondations se voient en E,1,I, il est à croire que l'étendue de l'étage souterrain était plus grande encore et se prolongeait sous le choeur roman et les transsepts. On peut donc considérer la crypte de Saint-Bénigne de Dijon comme la plus vaste des cryptes connues. Ce monument si remarquable fut vendu pour le prix des matériaux, à la fin du dernier siècle, par la commune de Dijon (voy. SAINT-SÉPULCRE). Les entrepreneurs jugèrent que les pierres de la crypte ne valaient pas les peines qu'il faudrait prendre pour les enlever, et cette crypte nous est restée à peu près entière. Aujourd'hui les Dijonnais, devant ces vénérables débris qui sortent des décombres, accusent leurs pères de vandalisme.

Cette disposition des cryptes dont les déambulatoires se trouvaient au delà du lieu réservé au corps saint n'était pas la seule. Dans beaucoup de cryptes de petite dimension, le corps saint occupait une sorte de niche ou d'absidiole construite ou creusée à l'extrémité orientale; alors les fidèles, en descendant les escaliers, se trouvaient en face du corps saint comme devant un autel placé au fond d'une chapelle. La crypte de Saint-Seurin de Bordeaux, qui date du XIe siècle, est construite d'après ce principe. Voici (6) son plan et (7) une vue perspective de l'intérieur; le tombeau du saint est placé au milieu d'une sorte de grotte précédée d'une salle à trois nefs; la nef centrale est voûtée en berceau, ainsi que les nefs latérales.

Il existe à Vicq, dans l'arrondissement de Gannat, une petite crypte fort curieuse en ce que la place du reliquaire est parfaitement indiquée derrière un autel massif. Un seul escalier descend à cette crypte, dont voici le plan (8). Le reliquaire est en A, en partie encastré dans la muraille. La vue (9) du fond de la crypte nous évite toute description.

Quelquefois, mais plus rarement, les cryptes présentent en plan les dispositions de l'église supérieure. Telle est la belle crypte de Saint-Eutrope de Saintes, l'une des plus vastes qui existent en France. Cette crypte, en outre, présente cette particularité remarquable qu'elle est largement éclairée et que ses chapiteaux sont richement sculptés. Nous regardons cette construction comme appartenant en partie aux dernières années du XIe siècle ou au commencement du XIIe. C'est un large vaisseau (large pour une crypte) de 5m,40, terminé par un rond-point avec collatéral pourtournant et trois chapelles rayonnantes. En voici le plan (10).

En A est le tombeau du saint, formé d'une dalle posée sur deux marches 108. La construction des voûtes de la crypte de Saint-Eutrope de Saintes mérite d'être observée avec soin; les voûtes de la nef centrale appartiennent au XIIe siècle; elles se composent d'arcs doubleaux donnant en section un demi-cylindre, entre lesquels sont bandées des voûtes d'arête en moellon, sans arêtiers; à l'abside, ce sont des arcs à section rectangulaire qui viennent se réunir en une énorme clef. Notre vue perspective (11) donne l'aspect de l'intérieur de cette crypte. Les murs des collatéraux ont été repris à la fin du XIIe siècle et au XIIIe, ainsi que les voûtes des deux chapelles latérales. La chapelle absidale a été reconstruite, mais la disposition primitive est facile à saisir. De même que l'église supérieure, la crypte est précédée d'un vaste narthex dont les murs seuls appartiennent à la construction de la fin du XIe siècle.

Il nous paraît superflu de multiplier les exemples de ces constructions souterraines, qui présentent presque partout les mêmes caractères. Nous avons cherché à faire passer sous les yeux de nos lecteurs les variétés les plus remarquables des cryptes françaises; souvent ce ne sont que des caveaux très-simples, sans collatéraux et dépourvus de tout ornement, ou des constructions dont la configuration irrégulière était donnée par des excavations anciennes que l'on tenait à conserver par un sentiment de respect religieux.

Vers la fin du XIIe siècle, la plupart des corps saints, renfermés jusqu'alors dans les cryptes, furent placés dans des châsses de métal et déposés dessous ou derrière les autels des églises hautes; aussi ne voit-on point de cryptes dans les églises entièrement bâties depuis cette époque. La cathédrale de Bourges fait seule exception; mais la déclivité du sol sur lequel on éleva cet édifice, bien plutôt qu'une idée religieuse, fit adopter le parti de construire, sous les bas-côtés de l'abside, une église souterraine, qui, par le fait, n'est qu'un rez-de-chaussée. À Chartres, les architectes du XIIIe siècle conservèrent la vieille crypte du XIe, parce que cette crypte était en singulière vénération parmi les fidèles, et que la solidité de la construction permettait d'asseoir la nouvelle bâtisse sur ces vieilles maçonneries. Le programme d'après lequel on élevait les cathédrales françaises à la fin du XIIe siècle ne comportait pas de cryptes, puisque ces vastes édifices avaient alors un caractère à la fois civil et religieux (voy. CATHÉDRALE). D'ailleurs, on observera que la plupart des anciennes cryptes des églises paroissiales ou conventuelles étaient plantées de façon à ce que de la nef on aperçût les entrées du caveau; les choeurs devaient alors être relevés au-dessus du pavé des transsepts de plusieurs marches, comme, par exemple, dans l'église abbatiale de Saint-Denis. Cette disposition, qui convenait à une église monastique dont une partie seulement était réservée au public, ne pouvait être admise dans nos grandes cathédrales françaises, où l'on tenait surtout à offrir à la foule et au clergé une superficie de niveau d'un bout à l'autre de l'édifice 109, sauf à l'entrée du choeur, qui était, avec ses bas-côtés, relevé de deux ou trois marches.

Sur les bords du Rhin, au contraire, et dans les provinces de l'est, les cathédrales possédaient, dès le XIe siècle, et conservèrent plus tard leurs cryptes enfoncées à mi-sol, de manière à relever de plusieurs pieds le pavé des sanctuaires. Ces cathédrales ayant deux absides pendant la période romane, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, ces deux absides avaient souvent chacune leur crypte prenant jour sur les collatéraux nord et sud et par des fenêtres percées dans le rond-point dépourvu de bas-côtés. À la cathédrale de Besançon, avant les mutilations qui, pendant cent cinquante ans, ont successivement modifié le plan de ce bel édifice, il y avait deux sanctuaires relevés et deux cryptes; même disposition à Verdun. À Strasbourg, l'une des deux cryptes est conservée sous le choeur, très-relevé, au-dessus de la nef. À Bamberg, on voit encore les deux sanctuaires est et ouest, avec leurs clôtures et les deux cryptes. L'une des plus belles et des plus anciennes cryptes des bords du Rhin est certainement la crypte de la cathédrale de Spire, qui se trouve, suivant l'usage habituel, à mi-sol, prenant jour sur le dehors. En Angleterre, la crypte de la cathédrale de Canterbury est de beaucoup la plus vaste et la plus intéressante, ayant successivement été agrandie à mesure qu'on augmentait l'édifice.

Toutes les anciennes cryptes romanes présentent des traces de peintures; celles si curieuses de l'Auvergne étaient entièrement couvertes de sujets légendaires exécutés souvent avec soin. Sous le choeur de Saint-Benoît-sur-Loire, il existe une crypte laissant voir encore des fragments de peinture qui appartiennent au Xe ou XIe siècle. Dans un grand nombre de cryptes, il existe des puits; souvent ces eaux étaient considérées comme miraculeuses.

Nous ne devons pas terminer cet article sans mentionner un fait singulier. Hugues de Poitiers, dans son Histoire du monastère de Vézelay 110, dit: «Le feu prit par accident à la voûte qui s'élève au-dessus du sépulcre de la bienheureuse Marie-Madeleine, amie de Dieu; et ce feu fut tellement violent, que les supports mêmes, que les Français appellent des poutres, et qui étaient placés dans la partie supérieure, furent tout à fait consumés. Cependant l'image en bois de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, laquelle posait sur le pavé même de la voûte, demeura entièrement à l'abri du feu, et en fut seulement noircie...» Hugues de Poitiers entend-il parler d'une voûte en bois fermant la crypte au-dessus du sépulcre de Marie-Madeleine, ou de la charpente supérieure de l'église? Ce qui ferait croire que l'incendie détruisit la voûte ou plutôt le plancher couvrant une crypte, c'est la suite du texte: les moines ayant trouvé des reliques dans l'image de bois de la Vierge, les populations environnantes accoururent pour voir cette image ainsi miraculeusement préservée. Gilon, le prieur du monastère, expliqua devant cette multitude de peuple comment on devait rendre des actions de grâces de la découverte précieuse qui avait été faite. «À ce récit, ajoute Hugues, tous pleurèrent de joie; et lorsque ensuite on voulut rétablir sous la voûte le sépulcre de la bien-aimée de Dieu, il se fit un si grand concours de ce peuple... etc.» Ainsi donc on peut croire que c'était la voûte ou le plancher servant de voûte à la crypte qui avait été incendié. Cependant il reste à Vézelay une portion de crypte antérieure à Gilon (1165), et ce reste est voûté en moellon; l'autre partie de la crypte, sous le sanctuaire, date des dernières années du XIIe siècle, c'est-à-dire fut reconstruite après l'incendie. On pourrait donc admettre que, sous le sanctuaire, au XIIe siècle, il existait une sorte de plancher surélevé sous lequel était déposé le corps de Marie-Madeleine et sur lequel s'élevait l'image en bois de la Vierge.

Note 97: (retour) Rapport sur l'église et la crypte de Saint-Martin-au-Val, à Chartres, par M. Paul Durand. Chartres, 1858.
Note 98: (retour) Voy. la publication des Archives des monuments historiques, sous les auspices de S. E. M. le ministre d'État. Gide, édit.
Note 99: (retour) Cette crypte se trouve aujourd'hui comprise dans les bâtiments du grand séminaire d'Orléans.
Note 100: (retour) Voy. le Rapport sur la crypte découverte dans le jardin du grand séminaire d'Orléans, par M. Buzonnière.--Bullet. du comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France, nº 5, p. 399. 1853.
Note 101: (retour) Voy. la Monographie de la cathéd. de Chartres, par M. Lassus, publiée par le ministère de l'instruction publique et des cultes (inachevée); et la Description de la cathéd. de Chartres, par M. l'abbé Bulteau.
Note 102: (retour) Le martyrium de Saint-Denis date du IXe ou Xe siècle.
Note 103: (retour) Voy. le mot CHASSE, Dict. du Mobilier français.
Note 104: (retour) Hist. de Bourgogne, t. Ier.
Note 105: (retour) Des fouilles exécutées en novembre 1858, sous la direction de M. Suisse, architecte, ont fait reparaître les restes de la crypte de Saint-Bénigne et l'étage inférieur de la rotonde. Ces précieux débris vont être consolidés et seront conservés.
Note 106: (retour) Les restes de ce tombeau sont encore visibles aujourd'hui.
Note 107: (retour) Les soubassements de cette chapelle n'étant pas découverts, nous ne pouvons assigner une époque précise à sa construction.
Note 108: (retour) M. Letronne pense que cette dalle tumulaire date du IVe ou Ve siècle. Un autel a été posé malheureusement devant cette tombe, et détruit l'effet grandiose de la crypte. Sur l'un des rampants de la dalle tumulaire, on lit, en capitales romaines, ce seul nom gravé: EVTROPIVS.
Note 109: (retour) À la cathédrale de Paris, par exemple, avant la clôture établie au XIVe siècle, le sanctuaire était de niveau avec les bas-côtés du choeur; l'autel seul était relevé de quelques marches.


CUISINE, s. f. Nous n'avons pas une idée exacte de ce qu'étaient les cuisines et leurs dépendances chez les Romains. Étaient-elles enclavées dans les habitations comme de nos jours, étaient-elles disposées dans des logis séparés? Cette dernière hypothèse nous semble la plus vraisemblable. Il est à présumer d'ailleurs que les familles qui, à Rome, ne possédaient pas de nombreux esclaves et n'habitaient que des appartements loués, envoyaient dehors acheter chez les rôtisseurs et autres marchands de victuailles ce dont elles avaient besoin au moment des repas, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui dans la plupart des villes de l'Italie méridionale. Les Gaulois et les Germains, comme tous les peuples primitifs, faisaient leur cuisine en plein air. Grégoire de Tours parle de ces repas faits dans de grands hangars, dans ces barraques de bois que les rois francs élevaient là où ils voulaient résider pendant quelque temps; dans ce cas, les aliments étaient préparés dehors au milieu de vastes cheminées bâties en brique et en terre. Dans la tapisserie de Bayeux, on voit encore les gens de Guillaume faisant la cuisine en plein air; il est vrai que la scène se passe au moment du débarquement de son armée en Angleterre. Necham 111 remarque qu'il était d'usage de placer les cuisines près de l'extérieur des habitations, le long du chemin ou de la rue. Il fallait alors traverser une cour pour passer de la cuisine à la salle à manger; les viandes étaient apportées embrochées, et on les dressait, dans la salle même, sur des buffets 112, avant de les présenter aux convives.

Dans l'enceinte des châteaux normands des XIe et XIIe siècles, on aperçoit souvent des aires circulaires de quatre à cinq mètres de diamètre dont quelques parties sont calcinées; nous pensons que ce sont là les cuisines primitives, qui n'étaient autre chose qu'une sorte de cloche de terre avec un tuyau à sa partie supérieure, et dans laquelle on allumait des feux pour faire rôtir ou bouillir des viandes. En conservant ces dispositions primitives, on les perfectionna. En consultant la Monographie des abbayes de France 113, on remarque, dans une vue cavalière de l'abbaye de Marmoutier près Tours, une cuisine désignée sous le nom de culina antiqua.

Cette cuisine, dont la fig. 1 présente l'aspect extérieur, est une sorte d'immense cornue qui peut avoir 12m,00 environ de diamètre hors oeuvre. La voûte, en forme de cloche, est percée d'une cheminée principale au centre pour laisser échapper la buée. Elle possède, à l'intérieur, cinq foyers vastes, munis chacun d'un tuyau principal et de tuyaux latéraux, comme le fait voir le plan (2).

Ainsi, la fumée des cinq foyers s'échappe par cinq tuyaux directs et par six tuyaux latéraux communs chacun, à deux foyers, sauf ceux voisins de la porte d'entrée. Ce triple tirage pour chaque cheminée empêchait la fumée de rabattre lorsque le vent frappait d'un côté. Il faut observer d'ailleurs que les tuyaux sont dominés par le sommet de la cuisine, et, qu'en pareil cas, le tirage est très-insuffisant si, pour chaque foyer, il doit se faire par un seul tuyau, On peut voir, au mot CHEMINÉE, que les constructeurs divisaient souvent les tuyaux de fumée lorsque ces cheminées étaient très-grandes. Ici l'excès de fumée qui ne pouvait trouver une issue suffisante par les tuyaux directs A tourbillonnait sous la voûte en cul-de-four de chaque foyer et s'échappait par les tuyaux latéraux B ayant chacun deux bouches CC. Si, malgré ces précautions, la fumée s'échappait sous la voûte principale, elle trouvait trois exutoires en D, puis le tuyau central. Pour faire comprendre cette construction, nous donnons (3), en A, la coupe sur la ligne KL, et, en B, la coupe sur la ligne KN du plan. La cuisine de Marmoutier est complétement isolée, mais voisine du réfectoire.

Le même recueil nous donne l'aspect extérieur de l'ancienne cuisine de l'abbaye de la Sainte-Trinité de Vendôme. Cet édifice circulaire possédait intérieurement six cheminées ayant chacune deux tuyaux pour faire échapper la fumée; entre les six cheminées s'ouvraient six fenêtres (voy. le plan fig. 4) éclairant largement la cuisine. On remarquera que la cuisine précédente de l'abbaye de Marmoutier était dépourvue de fenêtres et que les gens n'étaient éclairés que par les feux des âtres, ce qui indique assez que l'on ne faisait autre chose, dans ces officines, que de cuire les viandes et les légumes; plus tard les cuisines sont éclairées par des fenêtres; des tables en pierre sont placées au centre afin de préparer les mets avant et après leur cuisson; des fourneaux sont établis sous les manteaux de cheminées. Avant le XIIe siècle on ne mangeait que des viandes rôties et des légumes bouillis. L'art des ragoûts était à peu près ignoré. Ce qu'il fallait donc dans une cuisine, c'était de grands feux clairs, de larges foyers propres à placer de nombreuses et longues broches, à suspendre de vastes marmites.

Le plan de la cuisine de l'abbaye de Vendôme, fig. 4, donne, en A, la section horizontale au niveau des foyers, et, en B, la section horizontale au niveau des fenêtres.

La coupe (5) faite en A sur la ligne CD et en B sur la ligne CE montre la disposition des âtres avec leurs tuyaux jumeaux; les six évents supérieurs F s'ouvrant au sommet de la calotte hémisphérique et le grand tuyau central sont destinés à faire un puissant appel et à enlever la buée intérieure.

La fig. 6 donne l'élévation extérieure de la cuisine de l'abbaye de Vendôme. Derrière chaque cheminée s'élève un contre-fort, motivé par l'affaiblissement du mur circulaire et le passage des doubles tuyaux au droit des âtres.

Cette cuisine datait certainement du XIIe siècle: c'était un charmant édifice, parfaitement approprié à sa destination.

Chacun peut voir aujourd'hui la belle cuisine du XIIe siècle de l'abbaye de Fontevrault (Maine-et-Loire), cuisine qui existe encore, mais qui passe pour une chapelle funéraire; ce qui prouve notre parfaite intelligence des choses et des habitudes du moyen âge.

La cuisine de cette ancienne abbaye est décorée, à l'intérieur, de chapiteaux portant des arcs disposés d'une façon parfaitement appropriée à l'usage auquel est destiné le monument. À Fontevrault, mieux qu'à Vendôme, la place des foyers est indiquée à l'extérieur. Les cheminées, qui occupent cinq côtés de l'octogone, forment autant de grandes niches saillantes comprises entre les contre-forts (voy. le plan de cette cuisine, fig. 7).

Ces cinq cheminées étaient autrefois surmontées de tuyaux aujourd'hui détruits et bouchés. Quatre des colonnes engagées portent quatre arcs doubleaux dont les clefs sont contre-buttées par quatre petits arcs-boutants intérieurs A. La fumée qui ne prenait pas son cours naturel par les tuyaux B trouvait, au-dessus de trois de ces quatre arcs doubleaux, des tuyaux destinés à l'attirer au dehors. Au-dessus des quatre arcs doubleaux sont bandés quatre petits arcs faisant passer le plan du carré à l'octogone; dans les angles formés par ces quatre petits arcs étaient ouverts trois tuyaux C destinés à enlever l'excès de chaleur ou la fumée. Puis enfin un grand tuyau central D, ouvert au sommet d'une pyramide à huit pans, faisait échapper la buée qui pouvait se former dans la cuisine. Tous ces tuyaux, excepté celui du centre, ont été détruits.

La fig. 8 donne, en A, la coupe de cette salle sur la ligne KL; en B, la coupe sur la ligne MN, et, en C, la coupe sur la ligne OP du plan ci-contre. Autrefois, des ouvertures pratiquées dans les deux murs R éclairaient l'intérieur de cette cuisine, dont l'entrée est en S.

La fig. 9 donne l'élévation extérieure de la cuisine de Fontevrault. Nous avons cru devoir rétablir les tuyaux détruits, mais dont la place est parfaitement indiquée.

Aujourd'hui, nous sommes visiblement loin de ces temps barbares où l'on savait satisfaire aux besoins vulgaires de la vie; dans nos châteaux et nos grands établissements publics, nous plaçons nos cuisines au rez-de-chaussée ou dans des caves, de façon à répandre dans le logis l'odeur nauséabonde qui s'échappe de ces officines; ou bien, si nous les disposons dans des logis séparés, les règles de la bonne architecture veulent qu'elles occupent les communs, c'est-à-dire des ailes presque toujours éloignées du corps de logis principal, si bien qu'il faut apporter les mets à travers de longs couloirs, dans des barquettes, et que tout ce qui est servi sur table ne peut conserver qu'une fade tiédeur entretenue par des réchauds.

Les cuisines sont, pendant le moyen âge, dans les palais ou les monastères habités par un grand nombre de personnes, une construction importante; c'est qu'en effet la cuisine compte bien pour quelque chose dans la vie de chaque jour. Les exemples que nous venons de présenter sont de véritables monuments, bien conçus, parfaitement exécutés; on voit comme les architectes de ces bâtiments ont cherché à obtenir une circulation d'air très-active; en effet, non-seulement l'air est nécessaire à l'entretien d'aussi grands foyers, mais il contribue encore à la qualité des aliments exposés à la cuisson. Le séjour de pareilles cuisines ne pouvait être malsain. Les architectes du XIIIe siècle devaient nécessairement perfectionner ces dépendances des monastères et des châteaux. Ils élevèrent des cuisines à plusieurs étages, ainsi que nous allons le voir tout à l'heure; ils commencèrent à y installer des fourneaux, des tables chauffées pour dresser les mets avant de les servir; ils eurent grand soin de disposer les dallages de façon à pouvoir les maintenir propres facilement; quelquefois ils trouvèrent moyen d'utiliser la fumée de bois pour conserver certaines viandes.

Il existait, dans l'abbaye de Saint-Père ou Saint-Pierre de Chartres, une belle cuisine du XIIIe siècle qui touchait au réfectoire; cette cuisine était circulaire et présentait, à l'intérieur, une disposition ingénieuse qui permettait de fumer une quantité considérable de viandes. Or, soit pour la consommation intérieure du couvent, soit pour vendre, les moines élevaient des troupeaux de porcs dont ils tiraient un produit, estimé des amateurs de lard salé et de jambons fumés. La grande cuisine de l'abbaye de Saint-Pierre de Chartres était disposée de manière à pouvoir fumer une quantité considérable de viandes.

La fig. 10 présente, en A, le plan du rez-de chaussée, et, en B, le plan du premier étage de cette cuisine, bâtie, comme les précédentes, sur plan circulaire. La salle renfermait six foyers C, surmontés d'une voûte formant comme un bas-côté avec galerie supérieure. La fumée des foyers passait par les ouvertures D de la voûte, et se répandait dans la galerie supérieure E dont les murs étaient tapissés de jambons accrochés. Ces deux étages recevaient la lumière extérieure par les fenêtres G. Après avoir tourbillonné dans la galerie supérieure E, la fumée était attirée au dehors par les six tuyaux H et par le tuyau central K. Les dessins et gravures que nous avons pu consulter 114 ne nous donnent pas les dimensions exactes de cet édifice; mais on peut reconnaître cependant qu'il était assez vaste, et qu'il devait avoir environ douze ou quatorze mètres de diamètre.

La fig. 11 présente, en A, la coupe sur MN, et, en B, la coupe sur KL de cette cuisine. On voit, dans la coupe A, les cellules au-dessus de chaque foyer, contre les parois desquelles on accrochait les viandes. Des contre-forts s'élevaient derrière les six foyers, tant pour contre-butter la poussée des voûtes que pour donner de l'épaisseur et de la solidité sur les points de la circonférence où la chaleur des feux pouvait faire fendre les murs, ainsi que cela n'arrive que trop souvent. En ouvrant les fenêtres inférieures, on établissait un courant d'air qui activait le tirage de la fumée à travers les trous D, afin de ne pas gêner les cuisiniers; mais la fumée remplissant les cellules du premier étage s'échappait alors plus lentement par les six cheminées H ou par le tuyau central K. Il restait donc dans la galerie supérieure une fumée permanente cherchant ses issues, et les viandes avaient ainsi le temps d'en être imprégnées; la fumée cependant ne pouvait se rabattre sur le sol, grâce au grand tuyau central qui établissait un puissant tirage.

L'aspect extérieur de la cuisine de l'abbaye de Saint-Pierre de Chartres est présenté dans l'élévation géométrale (12). Ici la couverture est faite en charpentes couvertes d'ardoises, et l'on voit comme le grand tuyau central était maintenu par les huit arcs-boutants indiqués dans les coupes. Afin d'éviter la buée qui n'eût pas manqué de se former sous la voûte centrale, si cette voûte eût été, à l'extrados, en contact avec l'air extérieur, le comble était relevé, et une ventilation était établie entre l'extrados de cette voûte et la charpente. Cet isolement permettait encore de reconnaître l'état des couvertures et de parer aux filtrations d'eaux pluviales.

Le peu de terrain dont on pouvait disposer dans les châteaux et surtout dans les palais bâtis au milieu de villes populeuses ne permettait pas toujours de construire des cuisines isolées. Force était de trouver leur place dans les logis; mais encore étaient-elles, dans ce cas, disposées avec le plus grand soin et de manière à ne pouvoir répandre l'odeur ou la fumée en dehors de leur enceinte.

On voit encore, dans les constructions anciennes du Palais-de-Justice de Paris, une salle voûtée sur un quinconce de colonnes (13), avec quatre larges cheminées aux angles. Cette salle, qui donne sur le quai du nord, à côté de la tour de l'Horloge, est connue sous le nom de cuisines de saint Louis. Cependant cette construction appartient à la fin du XIIIe siècle ou au commencement du XIVe, et est contemporaine des ouvrages élevés sous Philippe le Bel. Les manteaux des quatre cheminées forment, en projection horizontale, un angle obtus, et leur clef est contre-buttée par une façon d'étrésillon en pierre, ainsi que l'indique la fig. 14.

L'examen des localités nous a fait supposer que cette cuisine avait deux étages. La cuisine basse, celle qui existe encore entière, était probablement réservée aux familiers, et la cuisine du premier étage, au service de la table du roi. Dans le palais des Papes, à Avignon, il existe encore une cuisine du XIVe siècle: c'est une vaste pyramide à huit pans, creuse, bâtie dans une tour carrée, et terminée par un seul tuyau; des foyers sont disposés dans les parois inférieures. On ne manque pas de montrer cette salle aux visiteurs, comme étant celle où le tribunal de l'Inquisition faisait rôtir les gens à huis-clos. Rôtir les gens sur une place publique ou dans une tour pour la plus grande gloire de Dieu est certes un triste moyen de les ramener dans la voie du salut; mais prendre une cuisine pour une rôtissoire d'humains est une méprise bien ridicule.

Dans les châteaux, cependant, on plaçait, autant que possible, ainsi que cela se pratiquait dans les monastères, les cuisines dans un bâtiment spécial. Voici une de ces cuisines, de la fin du XIVe siècle, parfaitement conservée, qui dépend du château de Montreuil-Bellay près Saumur 115.

Le plan (15) est carré; à l'intérieur, il n'y a que deux cheminées AA. Des fourneaux ou potagers étaient vraisemblablement placés en F. Les deux cheminées possèdent chacune leur tuyau de tirage; au centre de la voûte est en outre un long tuyau destiné, suivant l'usage, à enlever la buée formée à l'intérieur de la salle. Cette cuisine est adossée d'un côté à un gros mur B du château. Deux petites portes latérales sont en CC', cette dernière donnant sur une galerie. On voit encore une troisième porte en D, puis en E une très-large fenêtre, avec mur d'appui, disposée comme une devanture de boutique. C'est par cette fenêtre que l'on apportait et que l'on recevait les provisions du dehors; et, en effet, on voit la trace du petit auvent qui, à l'extérieur, abritait les gens qui stationnaient devant cette ouverture. L'auvent se prolongeait, au moyen d'un petit appentis suspendu, jusqu'au-dessus de la porte D.

La construction des voûtes est des plus curieuses à étudier: elle nous fait voir une fois de plus combien les architectes du moyen âge usaient librement des principes féconds qu'ils avaient trouvés. Donnons d'abord la coupe (16) de la cuisine de Montreuil-Bellay sur la ligne O,P du plan.

La voûte centrale est une pyramide curviligne à quatre pans, avec arêtes saillantes dans les quatre angles rentrants. Ces arêtes sont en pierre et les pans courbes en brique; les arêtes saillantes portent la clef percée d'une lunette circulaire en pierre qui reçoit le tuyau central carré en brique, terminé par un lanternon de pierre de taille; sur les quatre faces du carré formant bas-côtés sont bandés des berceaux, ceux au droit des cheminées pénétrés par leurs manteaux. Mais pour contre-butter les quatre arcs doubleaux et les deux arcs d'arêtiers très-chargés, le constructeur a bandé des demi-arcs formant comme des arcs-boutants tournés vers les murs extérieurs. Ainsi ces arcs polissent peu en dehors et maintiennent puissamment la voûte centrale, chargée d'une lourde cheminée.

Si donc nous coupons le bâtiment sur la ligne RS du plan, nous obtenons le tracé (17) dans lequel on voit en coupe comment les arcs diagonaux d'angles L étrésillonnent les quatre arêtiers de la voûte centrale. C'est sous la fenêtre de droite qu'était placé très-probablement l'un des fourneaux ou potager, et cette fenêtre permettait d'examiner les mets posés sur les cases de ce fourneau. À dater du XIVe siècle, l'usage des sauces était très-goûté dans l'art de la cuisine; on ne se contentait plus de servir sur les tables des viandes rôties ou bouillies. Il fallait nécessairement des fourneaux pour préparer ces condiments beaucoup plus variés qu'ils ne le sont de nos jours. Au commencement de notre siècle, un célèbre cuisinier prétendait que les habitudes anglaises introduites dans l'art culinaire étaient la perte de l'art, que c'était un retour manifeste vers la barbarie; avec la gravité qui appartient à tout cuisinier sûr de son mérite, il prédisait tristement la décadence des sauces et, par suite, celle de la société.

La coupe faite sur la ligne TV du plan nous donne le profil (18) indiquant comment le manteau de la cheminée pénètre dans le berceau latéral et comment le tuyau se dévie pour revenir à l'aplomb du mur. La fig. 19 présente l'élévation extérieure de la cuisine de Montreuil-Bellay, du côté de la fenêtre aux provisions.

La cour de Bourgogne attachait une grande importance au service de table, et, pendant le XVe siècle, c'était, dans tout l'Occident, celle où l'on mangeait et buvait le mieux. Les descriptions des festins donnés par les ducs de Bourgogne, qui nous sont scrupuleusement conservées dans les Mémoires d'Olivier de la Marche, permettent de supposer que, pour préparer un aussi grand nombre de mets variés, il fallait des cuisines et des offices disposées de la façon la plus grandiose. Cependant beaucoup de mets étaient cuits d'avance; mais on servait un nombre prodigieux de potages, de viandes préparées avec des sauces, de ragoûts, de poissons chauds, puis des pyramides de volailles ou de gibiers rôtis. Il fallait nécessairement que ces mets fussent cuits au moment des repas. Alors, dans les vastes cuisines des palais ou châteaux, non-seulement on chauffait les foyers des vastes cheminées devant lesquels de longues broches recevaient les viandes, mais les landiers (chenets) de ces cheminées portaient de petits fourneaux à leur sommet; on remplissait les potagers de charbon; puis des tables, sur lesquelles on étendait de la braise incandescente, servaient encore de supplément soit pour faire instantanément des coulis, soit pour dresser des plats. On tenait fort alors à manger chaud les mets chauds, et on comprend comment, dans ces vastes cuisines toutes garnies de foyers, les aliments n'avaient pas le temps de se refroidir pendant qu'on les posait sur des plats. La bonne disposition des tuyaux de cheminée, et surtout ce tirage central que nous trouvons dans toutes les cuisines du moyen âge, renouvelaient sans cesse les colonnes d'air et, malgré l'extrême chaleur, empêchaient les cuisiniers d'être asphyxiés.

Puisque nous avons parlé de la table des ducs de Bourgogne, nous ne devons pas omettre la belle cuisine construite pendant la seconde moitié du XVe siècle dans l'enceinte du palais des ducs de Bourgogne à Dijon.

Cette salle et ses dépendances étaient encore entières il y a quelques années. Son plan est un carré parfait (20); la voûte centrale est portée sur huit colonnes; sur trois côtés, ces colonnes servent de pieds-droits à trois grandes cheminées jumelles A, dont les foyers, divisés seulement par des arcs en tiers-point, sont surmontés de doubles tuyaux barlongs. Deux potagers ou fourneaux sont disposés en B; en C est un four et en D un puits avec conduit E communiquant avec l'un des foyers. On pouvait ainsi remplir les grandes bouilloires ou les chaudières qui probablement étaient suspendues au-dessus de l'un des trois foyers. Cette cuisine est éclairée par de hautes fenêtres F et par une petite fenêtre latérale G. En H s'élève le tuyau central destiné à enlever la buée. En K, une table de pierre recevait les viandes après leur cuisson. C'était là que les officiers les prenaient pour les dresser sur les plats. La dalle de cette table était chauffée par-dessous, afin que ces viandes ne pussent se refroidir 116.

La fig. 21 donne la coupe de cette cuisine sur l'axe A'B'. Le tuyau central est porté sur une petite voûte à base carrée (voûte en arc de cloître) qui repose sur la grande voûte centrale, renforcée de quatre arêtiers diagonaux et de quatre nerfs dans les angles rentrants. Ces huit arcs aboutissent à un oeil ajouré au milieu et autour de sa circonférence, ainsi que le fait voir le détail perspectif P. Suivant l'usage, un égout latéral R recevait les eaux jetées sur le pavé de la cuisine afin de le maintenir propre. Les foyers, comprenant tout l'espace donné par les collatéraux sur trois côtés, étaient une bonne disposition. Les manteaux, plus larges que ceux de la cuisine du château de Montreuil-Bellay, devaient parfaitement enlever la fumée et rendaient la construction plus simple.

Les cuisines du moyen âge contenaient presque toujours, ainsi que nous l'avons déjà dit, des tables de pierre ou réchauffoirs où l'on déposait les viandes et ragoûts avant de les porter dans la salle du festin. Il existe encore, dans la cuisine de l'abbaye de Mortain (Abbaye Blanche), deux de ces tables-réchauffoirs taillées dans du granit, que nous donnons ici (22).

Nos voisins d'Outre-Manche paraissent avoir, aussi bien que nous, disposé les cuisines de leurs établissements monastiques ou de leurs châteaux. On voit, à Durham, une belle cheminée octogone, du XIVe siècle, avec ses dépendances, offices, magasin à bois et à charbon, etc. Quelles que fussent la dimension et la belle ordonnance de ces cuisines du moyen âge, dans certains cas elles devenaient insuffisantes pour préparer la nourriture de grandes assemblées, d'autant qu'alors les seigneurs tenaient table ouverte à tous venants. Pour le couronnement d'Edward Ier, en 1273, tout l'espace de terrain vacant dans l'enceinte du palais de Westminster fut entièrement couvert de barraques provisoires et d'offices pour donner à manger à tous ceux qui se présenteraient. De nombreuses cuisines furent aussi bâties dans le même enclos; mais, dans la crainte qu'elles ne pussent suffire, des chaudières de plomb étaient placées sur des foyers en plein air. La cuisine principale, dans laquelle les volailles et autres mets choisis devaient être cuits, était entièrement découverte pour permettre à la fumée de s'échapper librement 117. Faire d'une cuisine un bâtiment spécial isolé, parfaitement approprié à sa destination, c'eût été, pour les architectes de la Renaissance, déshonorer une ordonnance d'architecture. Depuis lors, on voulut dissimuler ces services essentiels: on les relégua dans des caves, on les plaça comme on put dans les corps de logis, au risque d'incommoder les habitants des châteaux. On voulait avant tout présenter des façades symétriques, des cours régulières; mais, comme il faut dîner, quelque amour que l'on ait pour l'architecture symétrique, l'odeur de la cuisine, le bruit des gens de service se répandent à certaines heures dans une bonne partie des palais. Dans les établissements publics, tels que les hospices, les casernes, les séminaires, les couvents, les colléges, au lieu des vastes salles bien aérées, bien disposées du moyen âge, on en a été réduit à prendre, à rez-de-chaussée ou au-dessous du sol (toujours pour satisfaire aux règles de la belle architecture), une pièce, souvent enclavée, sombre, humide, d'un accès difficile, pour y installer la cuisine et ses dépendances, à la place de ces foyers larges, devant lesquels les viandes rôtissaient en absorbant autant d'oxygène qu'elles en pouvaient prendre; on a posé des fourneaux propres (dit-on) à toute espèce de cuisson, manières de fours, d'où tous les mets sortent ayant acquis à peu près le même goût. Dans ces laboratoires de fonte, les viandes ne rôtissent pas, elles se dessèchent; les légumes prennent, en bouillant, une saveur rapide; l'air manque à ces mets divers, et l'air entre pour une forte part dans leurs qualités nutritives. La chimie déclare qu'un gigot cuit à l'air libre ou dans ces creusets de fonte présente à l'analyse les mêmes éléments; nous l'admettons: mais notre palais, qui n'est pas chimiste, s'aperçoit d'une grande différence entre l'un et l'autre; notre estomac digère mal ces viandes cuites à l'étouffée, sèches et sans saveur. Il est vrai que nous pouvons aider à la digestion en allant regarder les belles façades régulières de nos édifices publics, compter le nombre de leurs colonnes, de leurs arcades ou de leurs fenêtres.

Vous, architectes de nos anciens châteaux, de nos vieux hospices, de nos maisons religieuses, que diriez-vous si vous entriez dans la plupart de nos établissements publics, et si vous voyiez comment sont disposés les services les plus essentiels à la vie commune 118?

Note 111: (retour) Alexandre Necham ou Nequam est un écrivain qui vivait sous les règnes de Henri II, de Richard Ier et de Jean; il a laissé des descriptions des habitations du XIIe siècle. Né à Saint-Alban en 1157, il fut maître de grammaire dans cette ville; il fut abbé de Cirencester en 1213. (Voy. Some account of domestic Architecture in England, t. I. Hudson Turner. Parker edit. Oxford, 1851.)
Note 112: (retour) Voy. Jos. Strutt, Angleterre ancienne.
Note 113: (retour) Bibl. Sainte-Geneviève.
Note 114: (retour) Voy. Monog. d'abbayes de France. Bibl. Sainte-Geneviève.
Note 115: (retour) Ce château a appartenu à un duc de la Trémoille. Nous devons ces dessins à M. Patoueille, qui a bien voulu faire pour nous un relevé très-exact de ce petit bâtiment.
Note 116: (retour) Voy. le tome VIII, p. 253, du Bulletin monum., pub. par M. de Caumont.
Note 117: (retour) Voy. Domest. archit. of the middle ages, XIV century, p. 65. Oxford, Parker.
Note 118: (retour) Puisqu'il s'agit ici de cuisines, il faut bien reconnaître que, dans beaucoup de nos établissements d'instruction publique, dans nos casernes, et surtout dans la plupart de nos séminaires, la vue de ces officines est faite pour ôter l'appétit aux plus affamés.


CUL-DE-BASSE-FOSSE, s, m. In-pace. Si nous en croyons la plupart des écrivains qui se sont occupés du moyen âge, qui ont essayé d'en retracer les moeurs, il n'y avait pas un couvent ou un château en France qui ne possédât au moins, dans ses fondations, un cul-de-basse-fosse destiné à renfermer les gens que l'on voulait faire disparaître. Nous avons vu bien des châteaux, bon nombre de monastères, et nous n'avons jamais pu trouver ces sortes de cachots en forme de cul-d'oeuf ou de cône renversé, destinés, dit-on, à recevoir des malheureux qui non-seulement se trouvaient ainsi privés de la lumière du jour, mais qui ne pouvaient, au fond de ces fosses, ni s'asseoir ni se coucher. Quand on voulait, pendant le moyen âge, faire disparaître un homme, on le pendait haut et court, on le jetait dans une oubliette ou on le tuait purement et simplement, en ayant le soin de l'enterrer dans quelque coin écarté; mais on ne s'amusait guère à ces raffinements étrangement barbares. Tous les châteaux contenaient des caves profondes ouvertes seulement par un trou percé dans la voûte, caves qui étaient de véritables silos propres à renfermer des grains, des racines, des provisions, mais dans lesquelles on ne mettait personne. Quelquefois ces silos sont bâtis en cône renversé: ce sont alors des glacières. On a voulu voir aussi dans un grand nombre de fosses d'aisances des culs-de-basse-fosse, et il n'est pas un château dans lequel le cicerone de l'endroit ne vous montre des latrines élevées au rang d'oubliettes. Les prisons, les cachots existent dans presque tous les couvents, dans les châteaux, dans les officialités; mais ces prisons sont parfaitement disposées pour l'usage auquel on les destinait: elles sont peu plaisantes, mais ce ne sont que des salles plus ou moins vastes, plus ou moins éclairées ou tout à fait obscures: ce ne sont pas des culs-de-basse-fosse. Ceux qui les ont construites ont paru vouloir les rendre sûres, mais saines, autant que peuvent l'être des cachots (voy. l'article PRISON).



CUL-DE-FOUR, s. m. Coquille. Voûte en quart de sphère ressemblant, en effet, au fond d'un four à pain. L'hémicycle contenant le tribunal de la basilique romaine était voûté en cul-de-four; cette disposition fut imitée pendant les premiers temps du christianisme et persista en Occident jusque vers le milieu du XIIe siècle (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE, CONSTRUCTION, ÉGLISE). Dans les premières églises romanes, le clergé était rangé autour de l'hémicycle, et l'autel se trouvait entre le choeur et les fidèles. Des fenêtres, percées dans le mur semi-circulaire de l'abside, éclairaient l'assemblée du clergé; au-dessus de ces fenêtres était bâtie la voûte en cul-de-four, habituellement décorée de peintures ou de mosaïques (voy. MOSAÏQUE, PEINTURE). On voit encore en France beaucoup d'absides voûtées en cul-de-four dans le Poitou, la Normandie, l'Auvergne, le Lyonnais et la Bourgogne. Il arrive même parfois que les voûtes des nefs et transsepts sont déjà gothiques, comme système de construction, et que les absides conservent le cul-de-four roman. On peut, entre autres exemples remarquables de ce fait, citer la cathédrale de Langres. La forme en quart de sphère avait été si bien adoptée pour les absides, dans les premiers temps du moyen âge, qu'elle paraissait consacrée; le clergé n'y renonça qu'avec peine et lorsque l'art gothique, admis entièrement dans les constructions religieuses, ne permettait plus le mélange des méthodes de bâtir antérieures.



CUL-DE-LAMPE, s. m. Nous avons pris le parti d'adopter, dans ce Dictionnaire, les mots consacrés par l'usage, sans discuter leur étymologie ou leur valeur; mais il faut avouer que le mot cul-de-lampe, tel qu'on l'applique depuis deux ou trois cents ans, n'est justifié par nulle bonne raison. Le fond d'une lampe suspendue, terminé en pointe, a pu donner l'idée d'appeler culs-de-lampe certaines clefs pendantes des XVe et XVIe siècles; mais on ne s'est pas borné là: on a donné le nom de cul-de-lampe à tout support en encorbellement qui n'est pas un corbeau, c'est-à-dire qui ne présente pas deux faces parallèles perpendiculaires au mur. Et pour éviter de plus longues explications (1), A est un corbeau, B un cul-de-lampe. Faute d'une meilleure dénomination, nous acceptons donc celle-là.

Les Romains avaient employé des culs-de-lampe, ou plutôt des consoles et corbeaux, pour porter de petits ordres de colonnes en placage sur des parements 119. Ce fut une de ces traditions du Bas-Empire que le moyen âge conserva et perfectionna. Ce principe, purement décoratif, dans l'architecture romaine, devint même un des moyens de construction les plus fréquemment employés pendant les périodes romane et ogivale. Pendant la période romane, parce que les premiers qui eurent l'idée de poser des voûtes sur le plan de la basilique romaine, après avoir élevé à la place de la svelte colonne ionique ou corinthienne antique de lourds piliers cylindriques A (2), furent très-embarrassés de savoir comment retrouver des points d'appui pour les sommiers des arcs doubleaux.

Ils pensèrent donc à poser, au-dessus de la rencontre des archivoltes des collatéraux, des pierres saillantes sur lesquelles ils élevèrent alors les colonnes engagées C. Ils donnèrent généralement à ces pierres saillantes la forme d'un cul-de-lampe et non d'un corbeau, parce qu'en effet cette forme diminuée par le bas s'arrangeait mieux avec la rencontre des deux extrados des archivoltes. Il n'est pas nécessaire de dire que ces culs-de-lampe primitifs sont barbares: ce ne sont parfois que des cônes renversés légèrement cannelés (3), ou des têtes humaines ou d'animaux grossièrement sculptées.

Ces culs-de-lampe cependant, par leur position même, attiraient les regards; placés quelquefois assez près de l'oeil, on chercha, lorsque la sculpture romane devint moins sauvage, à en faire des oeuvres remarquables; on en confia l'exécution aux mains les plus habiles. Déjà, dans les provinces qui possèdent de bonnes écoles de sculpteurs vers la fin du XIe siècle et au commencement du XIIe, on signale des culs-de-lampe aussi remarquables par le style que par la pureté de leur exécution. Un des plus beaux culs-de-lampe que nous connaissions de cette époque se trouve à l'entrée du choeur de l'église haute de Chauvigny (Poitou): il porte une colonne d'arc doubleau, et a été posé afin de dégager la partie inférieure de la pile et laisser plus de largeur au vaisseau pour placer des bancs ou des stalles.

Nous donnons ce cul-de-lampe (4), en A de face et en B de profil. Cette sculpture, par son style, rappelle la meilleure sculpture grecque byzantine. Où les artistes occidentaux du commencement du XIIe siècle avaient-ils été prendre ces types, ces arrangements de coiffure si gracieusement reliés à l'architecture? C'est ce que nous examinons dans l'article SCULPTURE.

Il existait, dans les réfectoires d'abbayes des XIIe et XIIIe siècles, des chaires de lecteurs qui étaient portées sur de magnifiques culs-de-lampe, au dire des auteurs qui les ont vus, car il ne reste plus que des traces mutilées de ces sculptures. Le cul-de-lampe de la chaire de lecteur de Saint-Martin-des-Champs à Paris (voy. CHAIRE, fig. 3) passait pour un chef-d'oeuvre. Ces derniers culs-de-lampe étaient composés de plusieurs assises posées en encorbellement, et l'ornementation se combinait en raison de la hauteur des assises, ou courait sur toutes; le plus souvent c'était un arbre d'où sortaient des branches et des feuilles entremêlées de fruits et d'oiseaux. Dès que le système de la voûte appartenant véritablement au moyen âge fut trouvé, ces voûtes se composant de membres indépendants, d'arcs doubleaux, d'arcs ogives et de formerets servant de nerfs aux remplissages, les arcs naissaient dans oeuvre; ils devaient donc porter, ou sur des piles formant saillie sur le nu des murs intérieurs, ou sur des encorbellements, des culs-de-lampe. Dans les salles qui, par suite de leur destination, devaient être entourées de bancs, de boiseries, de meubles, on évitait, avec raison, de faire porter les voûtes sur des piles dont les saillies eussent été gênantes. Alors les culs-de-lampe jouaient souvent un rôle très-important; car si les différents arcs des voûtes étaient puissants et nombreux, il fallait que leur sommier trouvât sur les culs-de-lampe une assiette large et saillante.

Dans l'ancienne salle abbatiale de Vézelay, connue aujourd'hui sous le nom de chapelle basse, salle qui n'était autre chose qu'une sacristie ou un lieu de réunion pour les religieux avant de passer au choeur, les voûtes du XIIe siècle, plein cintre, mais construites en arcs d'ogive, reposent sur des culs-de-lampe formés de trois assises et d'un tailloir (5). Cette sculpture, destinée à être vue de très-près, puisque l'assise inférieure n'est pas à plus de deux mètres au-dessus du sol, est exécutée avec beaucoup de finesse, tout en laissant à la pierre la solidité qui lui est nécessaire.

Le XIIIe siècle, qui, plus encore que l'époque romane, voulut diminuer l'importance des points d'appui sur le sol et débarrasser l'aire des intérieurs de toute saillie, ne manqua pas d'employer les culs-de-lampe pour porter les voûtes. Les sculpteurs de cette époque les enrichirent de figures, quelquefois assez importantes, de têtes, et surtout de feuillages; ils allèrent jusqu'à en faire des compositions tout entières, si surtout ils avaient besoin de donner à ces culs-de-lampe une forte saillie pour porter des arcs larges et épais. Alors même, dans la crainte que le sommier de ces arcs ne fît épauffrer sous la charge les deux ou trois assises dont un cul-de-lampe eût pu être composé, ils posaient un premier cul-de-lampe, montaient une construction en saillie sur ce cul-de-lampe, puis en posaient un second; ainsi répartissaient-ils la charge sur une hauteur plus grande et n'avaient-ils pas à craindre des ruptures.

On voit encore, dans un angle du croisillon nord de la cathédrale d'Agen, un cul-de-lampe composé d'après ce principe, et qui, à lui seul, est un petit monument recevant deux grands formerets et un arc ogive d'une grande portée (6).

La construction de ce support n'est pas moins remarquable que sa composition. La première assise, le vrai cul-de-lampe, est en A, profondément engagée dans les deux parements se retournant d'équerre. Le lit supérieur de cette assise est en B. La figure et son dossier jusqu'au-dessous du bandeau C sont d'un seul morceau de pierre. Les deux colonnettes flanquantes sont détachées et d'un seul morceau en délit chacune; leurs chapiteaux sont engagés dans les murs; le bandeau supérieur recevant le sommier de l'arc ogive et des deux formerets est de même engagé dans la construction. En plan, ce cul-de-lampe donne le tracé (7), supposant la section horizontale faite au niveau D. Ce cul-de-lampe-pilastre est placé à une assez grande hauteur, et l'exécution en est grossière.

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