Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)
En Norvége et en Islande, il existe encore quelques-unes de ces bâtisses en charpente d'une époque assez récente (XVIe siècle), mais qui reproduisent exactement les formes et les procédés d'un art beaucoup plus ancien. Dans ces habitations, comme sur les broderies de la tapisserie de Bayeux, on remarque, par exemple, ces poinçons richement décorés qui terminent les deux extrémités du faîtage et qui sont reliés au-dessus du comble par une pièce de bois découpée en manière de crête. On voyait encore dans les campagnes de l'Eure, il n'y a pas longtemps, des restes affaiblis de cette tradition exprimés clairement dans notre figure 43.
Ces maisons normandes des XIe et XIIe siècles ne contenaient qu'une salle assez élevée, éclairée de tous côtés, couverte par une charpente grossièrement lambrissée. Le foyer était placé vers le milieu de la pièce, et la fumée s'échappait par un tuyau de bois passant à travers la couverture en bardeaux épais.
Dans les provinces du Centre, comme l'Auvergne, le Vélay et la partie septentrionale de l'ancienne Aquitaine, il semblerait que les traditions celtiques s'étaient conservées très-avant dans le moyen âge. Les maisons des habitants des campagnes étaient en partie creusées sous terre et recouvertes d'une sorte de tumulus formé de terre et de pierres amoncelées sur des pièces de bois posées rayonnant autour d'une poutre principale. Une ouverture pratiquée sur un des côtés de cet amoncellement servait de porte et de fenêtre, la fumée du foyer s'échappait par un orifice ménagé au centre du tumulus. Nous avons vu, dans les montagnes du Cantal, des habitations de ce genre qui paraissaient anciennes, et qui certainement étaient une tradition d'une époque fort reculée. Il n'est pas besoin de dire que l'art n'entre pour rien dans ces sortes d'habitations. Certaines chaumières du Bocage et de la Bretagne ont bien quelques rapports avec celles-ci, en ce que le sol intérieur est plus bas que le sol extérieur, et que les toits couverts en chaume descendent presque jusqu'à terre. Mais ces habitations n'affectent pas à l'extérieur la forme conique, elles sont couvertes par des toits à double pente avec deux pignons en pierres sèches ou en pans de bois hourdés en torchis.
En nous rapprochant des bords du Rhin, dans les provinces de l'Est, dans les montagnes des Vosges, près des petits lacs de Gérardmer et de Retournemer, on voit encore des habitations de paysans qui présentent tous les caractères de la construction de bois par empilage. Basses, larges, bien faites pour résister aux ouragans et pour supporter les neiges, elles ont un aspect robuste. Presque toujours ces maisons se composent de trois pièces à rez-de-chaussée et de quatre pièces sous comble (43 bis).
Le plan A d'une de ces maisons, prise au niveau du rez-de-chaussée, présente en B la salle d'entrée, de laquelle on passe ou dans la grande salle C, ou dans l'arrière-pièce D qui possède l'unique escalier montant au premier étage sous comble. C'est dans la salle C, éclairée par les deux bouts, que se réunit toute la maisonnée pour les repas et la veillée. C'est aussi dans cette pièce que se préparent les aliments. Une grande cheminée avec pieds-droits, contre-coeur, manteau et tuyau en maçonnerie, traverse la toiture. C'est la seule partie du bâtiment qui, avec les socles, ne soit pas en bois. La couverture est faite ou en tuiles, ou en grès schisteux, ou en lames minces de grès; de plus elle est chargée de pierres. Les maisons s'élèvent sur un soubassement de 1m,00 de hauteur environ, formé de gros blocs de grès. Un pan de bois composé de troncs d'arbres assez grossièrement équarris sépare la masure dans sa longueur par le milieu, et supporte l'extrémité supérieure des chevrons. Ce pan de bois, les deux autres latéraux, débordent sur les deux pignons, en encorbellement, et forment ainsi des auvents très-prononcés. Un plancher fait de solives porte sur ces trois pans de bois parallèles. Ces masures ne prennent de jour qu'à travers les pans de bois formant pignons. Il est difficile de ne pas voir, dans ces habitations, une tradition fort ancienne et qui se rapproche des constructions en bois de la vieille Suisse, si intéressantes à étudier.
C'est sur les bords de la Garonne, dans le Languedoc et la Provence que l'on trouve les habitations rurales les plus gracieuses, celles qui rappellent le mieux ces maisons des champs des peintures antiques. La tradition romaine est restée plus pure, dans ces contrées, que partout ailleurs en France. Ces maisons de paysans sont larges, spacieuses, basses, orientées toujours de la manière la plus favorable, possédant des portiques ou plutôt des appentis à jour, bas, afin d'abriter les habitants qui, sous ce climat doux, se livrent à leurs travaux en dehors de la maison.
Dans les plaines de Toulouse, dans l'Ariége et l'Aude, du côté de Limoux, on voit au milieu de bouquets d'arbres séculaires des maisons bâties sur ces données et qui sont relativement anciennes, c'est-à-dire qui datent du XVe siècle. D'ailleurs, celles que l'on construit encore aujourd'hui, en briques crues ou en cailloux, suivent exactement le même programme. En effet, ces populations ont toujours été agricoles, attachées à la terre, et n'ont guère modifié leurs habitudes depuis le XIVe siècle. Voici (44) une de ces habitations rurales.
Le système des tenures à moitié des fiefs fermes était usité au moyen âge dans les provinces du Languedoc comme il l'est encore aujourd'hui. Les paysans qui tenaient ces fermages, ces métayers couraient moins de risques que ceux qui affermaient à temps ou qui obtenaient une concession territoriale moyennant certaines redevances fixes; ils vivaient dans un état de sécurité plus complet. C'est ce qui explique le caractère d'aisance que l'on observe dans les habitations rurales de cette contrée, mais aussi leur uniformité depuis plusieurs siècles.
Dans le Nord, et particulièrement en Normandie, le système des tenures à moitié, ou des concessions perpétuelles moyennant une rente fixe, fut généralement remplacé dès le XIIIe siècle par le bail à terme. Le seigneur conservait la propriété de sa terre et en cédait la jouissance à un cultivateur pour un temps limité et à des conditions déterminées. «Plusieurs causes, dit M. L. Delisle 171, favorisèrent les développements de cette tenure, et la firent préférer aux concessions perpétuelles. Dans les premiers siècles de la féodalité, on n'avait guère connu que ces dernières; mais on finit par s'apercevoir que la rente stipulée par contrat d'inféodation perdait avec le temps la plus grande partie de sa valeur. C'était une conséquence inévitable, non-seulement de l'altération des monnaies, mais encore de la révolution qui s'opérait dans le rapport de l'argent avec les objets de consommation. D'une autre part, l'affaiblissement du régime féodal tendait à priver les seigneurs des principaux moyens qu'ils employaient précédemment pour exploiter leurs domaines non fieffés. On conçoit donc comment ils furent amenés à traiter avec les fermiers. Ils se déchargeaient des embarras et des frais de l'exploitation, et n'étaient plus exposés à voir leur fortune réduite à des rentes dont la valeur nominale n'était pas altérée, mais dont la valeur réelle devenait de plus en plus insignifiante.» Quelquefois même le seigneur, ayant besoin d'argent comptant, faisait payer au fermier, en passant le contrat de louage, le montant total du prix de fermage pendant plusieurs années. Il est évident que ces véritables emprunts étaient faits à des conditions onéreuses pour le propriétaire et tendaient à enrichir le laboureur. Aussi, est-ce en Normandie où l'on voit les habitations rurales prendre une importance relative considérable et se modifier plus rapidement que dans toute autre province.
Sur les côtes de la Méditerranée, on trouve parfois des habitations des champs qui affectent la forme d'une tour ou d'un petit donjon, et qui appartiennent à une époque assez ancienne; mais ces maisons ont été plutôt habitées par des pirates que par des agriculteurs. Il en existe quelques-unes entre Toulon et Cannes.
Voici (45) l'une d'elles encore entière, bâtie à l'entrée du village de Cannet, près Cannes, à mi-côte et à quatre kilomètres environ de la mer. Elle consiste en une tour carrée possédant deux étages et un rez-de-chaussée sans communication avec l'extérieur. La porte, relevée de trois mètres au-dessus du terrain extérieur, n'était accessible qu'au moyen d'une échelle que l'on pouvait facilement rentrer pour éviter les importuns. Le premier étage, ou plutôt le second (car on ne communique au rez-de-chaussée que par une trappe ménagée dans le plancher du premier), est percé de six mâchicoulis en forme de hottes, et ne possédait pas de fenêtre. Le premier n'a d'autre ouverture que la porte. De cet étage on montait à celui des mâchicoulis par une échelle de meunier 172. L'ornement en torsade qui décore le linteau de la porte indique une époque assez ancienne. Au Cannet, cette tour est connue sous le nom de la Maison du brigand. Le dernier étage est voûté en moellon sous le comble. On voit encore, en Corse, un certain nombre d'habitations de ce genre.
Ces habitations des champs, disposées de manière à pouvoir servir de refuge à quelques hommes vivant isolés et mal, probablement, avec leurs voisins, se retrouvent aussi sur les côtes occidentales. L'une des mieux conservées et des plus importantes existe près de Bordeaux (46); elle était entourée autrefois d'un fossé plein d'eau.
Un escalier de douze marches engagées dans la muraille conduisait du niveau de l'eau à la porte relevée. Peut-être jetait-on une planche sur le fossé lorsqu'on voulait entrer. Cette porte donne issue dans la salle unique du premier étage, laquelle est munie d'une cheminée, percée d'une petite fenêtre et de six meurtrières.
On communiquait à une cave par une trappe percée au centre de la pièce. En prenant l'escalier à vis on arrive au second étage possédant une cheminée comme le premier; des meurtrières et un mâchicoulis sont suspendus sur la porte d'entrée 173.
On nous a signalé quelques-unes de ces habitations sur les côtes entre Bordeaux et Bayonne et même au delà, jusqu'à Saint-Jean de Luz. Nous inclinons à croire que ces maisons datent de l'époque de la domination anglaise en Guienne. En effet, on voit dans le comté de Suffolk, en Angleterre, une petite maison (Wenham Hall) construite en brique d'après le même mode et qui date de la fin du XIIIe siècle. Cette construction est un parallélogramme avec escalier à vis dans une tourelle à l'un des angles. L'entrée était relevée, et on arrivait par des marches engagées dans la muraille.
Il ne faut pas omettre ici les maisons bâties dans les cimetières, les maisons croisées qui étaient franches, en dehors de toute juridiction séculière, qui servaient de refuge aux pèlerins, aux malades, et qui se trouvaient placées sous la surveillance de religieux. Ces maisons se reconnaissaient à des croix de bois fichées sur leur comble.
Note 167: (retour) Dans ces maisons, d'un aspect si pauvre, il n'est pas rare de trouver des familles de paysans relativement riches et possédant des biens assez considérables. Chez ces populations, rien n'est sacrifié au bien-être. Leur unique préoccupation est de posséder la terre et d'amasser des écus pour agrandir leur petit domaine.
MANOIR, s. m. (manerium 174). Le manoir, bien que ce nom désigne parfois un château, est l'habitation d'un propriétaire de fief, noble ou non, mais qui ne possède pas les droits seigneuriaux permettant d'élever un château avec tours et donjon. Le manoir est fermé cependant, il peut être clos de murs et entouré de fossés, mais non défendu par des tours, hautes courtines crénelées et réduit formidable. Le manoir est la maison des champs placée, au point de vue architectonique, entre le château féodal et la maison du vavasseur, degré supérieur de la classe attachée à la terre seigneuriale, homme libre. «Les vavasseurs,» dit M. Delisle 175 à propos de la position de cette classe en Normandie, «différaient essentiellement des nobles, qui ne tenaient leur fief que moyennant la foi, l'hommage et le service militaire.» Dans certaines seigneuries cependant, ils devaient le service militaire à cheval, armés de lances, d'écus et d'épées. Les demeures des vavasseurs, et même des aînés, c'est-à-dire de ceux qui tenaient du seigneur des terres plus ou moins étendues, qui réunissaient plusieurs vavassoreries sous leur main et qui demeuraient responsables du service et des redevances des vavasseurs du groupe, ne pouvaient être considérées comme des manoirs en ce qu'elles n'étaient point fermées.
Le manoir quelquefois n'est qu'une maison peu étendue, entourée de murs avec jardin; plus souvent c'est une agglomération de bâtiments destinés à l'exploitation, entourés de fossés, avec logis principal pour l'habitation du propriétaire. Les villæ des rois de la première race étaient plutôt des manoirs que des châteaux, et, jusqu'au XVIe siècle, les grands seigneurs suzerains en France, outre leurs châteaux, qui étaient de véritables places fortes, se plaisaient à élever des maisons de plaisance pour se livrer au plaisir de la chasse, ou pour se retirer pendant un certain temps; ces maisons peuvent être considérées comme des manoirs. Beaucoup d'abbayes royales possédaient dans leur enclos des manoirs où les princes venaient se reposer des affaires (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE). La maison de plaisance de Bicêtre, près Paris, ou plutôt de Vincestre 176, qui fut brûlée par le peuple en 1411, était un grand manoir plutôt qu'un château, bien qu'elle possédait une tour 177. Sous les rois de la troisième race, Fontainebleau, Blois étaient de même, de grandes maisons de plaisance qui avaient les caractères du manoir.
L'Angleterre a conservé un nombre assez considérable de ces maisons de campagne des XIIIe, XIVe et XVe siècles; mais en France nous n'en connaissons pas qui soient entières et qui remontent au-delà du XVe siècle. Le manoir, proprement dit, contenait toujours une salle, comme le château, et en Angleterre la dénomination de manor-house s'est conservée. C'est qu'en effet dans ces résidences la salle est la partie importante du programme jusqu'au XVe siècle.
Au XIIe siècle, le roi Richard d'Angleterre avait à Southampton un manoir qui servait de lieu de rendez-vous au moment de l'embarquement. Ce bâtiment se composait d'une salle, d'une chapelle et d'un cellier 178. Une chambre privée était souvent placée à côté de la salle.
Le nom de manoir est quelquefois appliqué à la maison de l'hôte, du colon, mais lorsque cette maison est entourée d'une clôture:
La disposition des manoirs, à la fin du XIIe siècle et pendant une partie du XIIIe, était la même en France et en Angleterre. L'abbaye de Saint-Maur possédait au Piple, près Boissy-Saint-Léger, un manoir d'où dépendaient vingt-deux arpents de vigne, avec deux pressoirs et sept arpents de bois. L'abbé Pierre Ier, vers le milieu du XIIIe siècle, fit rebâtir ce manoir en partie; on y construisit, par son ordre, une chapelle, une salle avec cellier au-dessous, et un logis qui fut entouré de murs et de larges fossés 180. Cependant, dès le XIIIe siècle, la distinction entre le château et le manoir fut moins tranchée en Angleterre que de ce côté-ci du détroit. Beaucoup de châteaux anglais de cette époque seraient pour nous de grands manoirs en ce qu'ils ne possèdent pas les défenses qui constituent chez nous le château. Les châteaux d'Aydon (Northumberland) de Stokesay (Shropshire) 181 seraient, en France, classés parmi les manoirs, et celui d'Aydon particulièrement est un des plus complets et des plus vastes que l'on puisse voir. Il comprend un corps de logis principal à trois étages avec ailes, des cours et un jardin enclos de bonnes murailles. Ce manoir est crénelé, mais ne possède ni tours ni donjons. Les châteaux les plus forts en Angleterre conservent, sauf de rares exceptions, une apparence de maison de campagne qui les distingue de nos grandes résidences féodales, telles que Coucy, par exemple, ce qu'explique l'état intérieur du pays depuis le XIIIe siècle.
Plusieurs des châteaux de la Guienne, bâtis sous la domination anglaise, bien qu'ils conservent, dans leurs détails, tous les caractères dé l'architecture française de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe, présentent cette particularité de rappeler les dispositions des grands manoirs anglo-normands. Il suffit, pour s'en assurer, de feuilleter l'excellent ouvrage que publie sur ces édifices M. Léo Drouyn 182. Logis carrés, avec enceintes, absence de tours flanquantes, bâtiments percés sur le dehors, basses-cours entourées de murs, fossés extérieurs. Plans irréguliers comme ceux de la villa romaine, services séparés les uns des autres et formant autant de corps de bâtisses. Les Anglais ont conservé, dans les dispositions des maisons de campagne qu'ils élèvent aujourd'hui, ces traditions du moyen âge, ne s'en trouvent pas plus mal et appliquent sans difficulté ces principes vrais à la vie moderne. Nous reconnaissons volontiers que les Anglais sont nos maîtres en fait de confort (ils ont trouvé le mot), et nous répétons sur tous les tons que l'architecture du moyen âge ne peut se prêter à nos habitudes modernes. Il y a là une de ces contradictions si nombreuses dans les jugements que nous portons en France à propos des choses d'art.
Déjà, dans le château du moyen âge, on reconnaît que les services divers occupent la place convenable, prennent leur importance relative sans que les architectes se soient autrement préoccupés des questions de symétrie. Mais dans le château la raison militaire imposait souvent des distributions qui ont pu contrarier ou modifier certaines habitudes de bien-être (voy. CHÂTEAU); il n'en est pas ainsi dans le manoir. Là il s'agit seulement de satisfaire aux besoins et aux goûts de l'habitant. La question de défense est accessoire; le manoir n'est qu'une maison de campagne suffisamment fermée pour être à l'abri d'un coup de main tenté par quelques aventuriers, elle ne prétend point résister à un siége en règle. Simple, pendant les XIIe et XIIIe siècles, comme les habitudes des propriétaires terriens de ce temps, le manoir ne possède alors qu'une salle avec cellier au-dessous et petit appartement accolé; à l'entour viennent se grouper quelques bâtiments ruraux, granges, étables, pressoir, fournil, logis des hôtes ou des colons, le tout enclos d'une muraille ou d'un fossé profond.
Au XIVe siècle le manoir s'étend, il essaye de ressembler au château, il possède plusieurs étages, les services se compliquent. À la fin du XVe siècle, le manoir prend souvent toute l'importance du château, sauf les défenses, consistant en tours nombreuses, ouvrages avancés, courtines élevées. Plessis-les-Tours, habité par Louis XI, n'était qu'un grand manoir, et sa véritable défense consistait en une surveillance assidue des abords qui en éloignait les indiscrets et les gens suspects. Lorsque l'artillerie à feu devint un moyen d'attaque contre lequel la fortification du moyen âge fut reconnue impuissante, des manoirs s'élevèrent en grand nombre parce qu'on constatait chaque jour l'inutilité des défenses dispendieuses élevées par les siècles précédents. Au XVIe siècle, beaucoup de petits châteaux même virent démolir leurs tours inutiles, percer leurs courtines sur les dehors, et furent ainsi convertis en manoirs. Ces modifications apportées en France par les moeurs, par la centralisation du pouvoir, par l'affaiblissement de la féodalité, dans les résidences des champs, modifications qui tendaient à remplacer le château par le manoir, n'avaient pas de raisons de se produire en Angleterre. Dans ce pays le château n'est qu'une place forte; l'habitation de campagne prend, dès une époque ancienne, l'aspect du manoir, et elle le conserve encore aujourd'hui.
Il n'existe plus en France de ces manoirs des XIIIe et XIVe siècles, comme on en voit encore en Angleterre; les guerres des XVe et XVIe siècles en renversèrent un grand nombre, car ces résidences ne pouvaient se défendre contre des corps armés. Au dernier siècle, l'amour de la nouveauté fit détruire une quantité immense de ces demeures des champs. Quelques-unes des plus solides, se rapprochant des dispositions défensives du château, furent seules conservées. Quant aux manoirs ouverts, et qui seraient pour nous des maisons de campagne, c'est à peine si dans quelques fermes de la Champagne, de la Bourgogne, de l'Île-de-France, de Laonnais, du Soissonnois et du Beauvoisis, on en retrouve quelques traces, telles que caves, substructions et enceintes.
Nous décrirons plusieurs des manoirs encore debout, et nous entrerons dans quelques détails touchant les conditions imposées aux constructeurs de ces demeures. Charlemagne fit bâtir deux palais «d'un remarquable travail, dit Eginhard 183, le premier non loin de Mayence, près de la terre d'Ingelheim 184; l'autre à Nimègue sur le Vahal 185.» À l'exemple de l'empereur, sous les carlovingiens, les demeures construites par les grands propriétaires tenaient de la villa romaine. Mais à mesure que le système féodal se constituait, l'habitation des champs se convertissait en place forte, et ce ne fut guère qu'au XIIIe siècle, sous le règne de Louis IX, que le pouvoir royal fut assez fort pour réglementer la construction des habitations des propriétaires terriens. À ce sujet, les Olim nous fournissent de nombreux renseignements. Nous voyons que le parlement intervient pour empêcher des chevaliers, des écuyers, de fortifier leurs demeures 186. Au sein de l'organisation féodale plusieurs motifs arrêtaient le trop grand développement des demeures fortifiées, obligeaient même, dans certains cas, les grands barons à se contenter de manoirs. «Des seigneurs puissants relevaient souvent, pour certains fiefs, de seigneurs qui, dans l'ordre hiérarchique de la société, leur étaient de beaucoup, inférieurs; ainsi, le duc de Bourgogne était, par rapport au fief de Châtillon, vassal de l'évêque de Langres. Ces grands vassaux devaient donc porter leurs causes au tribunal de ces seigneurs, quand des procès surgissaient, soit à l'occasion des fiefs qu'ils tenaient d'eux, soit par rapport à un délit quelconque commis sur le territoire de ces fiefs. Cette jurisprudence était trop simple, trop conforme à l'usage des fiefs, pour avoir jamais été contestée. Mais les plaignants, quand ils avaient pour adversaire un des grands barons du royaume, et pour juge un seigneur hors d'état de faire exécuter ses arrêts et par conséquent de les prononcer avec indépendance, s'adressaient à la cour du roi, et demandaient que l'inculpé fut tenu, comme vassal direct de la couronne, de répondre devant elle 187.»
Grâce à cette intervention du parlement du roi dans les contestations entre vassaux, intervention provoquée par les baillis royaux, un grand seigneur possédant un fief relevant d'un seigneur moins puissant que lui ne pouvait plus y élever une de ces demeures fortifiées qui eut dominé le pays; il était contraint de se contenter d'un simple manoir, auquel, bien entendu, il donnait, si bon lui semblait, toute l'importance, comme habitation, mais non comme place forte, d'un véritable château. C'est aussi au moment où la féodalité est sérieusement attaquée, c'est-à-dire à dater du règne de Louis IX, que l'on éleva beaucoup de grands manoirs en France. Ces manoirs, bien qu'ils n'eussent pas les signes visibles de la demeure féodale, c'est-à-dire les tours munies, les courtines et le donjon, possédaient, comme fiefs, les droits féodaux, droits de chasse entre autres, car nous voyons presque toujours que des garennes dépendent des manoirs; or la garenne, comme l'a démontré M. Championnière 188, était le droit exclusif de chasse sur les terres des vassaux et non le droit d'élever, en certains lieux, des lapins. Mais des arrêts du parlement 189 avaient admis en principe que le droit d'établir de nouveaux péages, de nouvelles garennes et de nouveaux viviers 190 n'appartenait qu'au roi. Ainsi d'une part, le roi, par l'organe de son parlement, s'opposait, autant qu'il était possible, à la construction des châteaux fortifiés, et de l'autre refusait la sanction des droits les plus chers aux seigneurs, la chasse et les péages, lorsque ces droits n'étaient pas établis sur une possession antérieure. D'ailleurs, l'acquisition d'un fief ne donnait pas les prérogatives de la noblesse, et si des roturiers achetaient un fief, ou portion d'un fief, ce qui eut lieu fréquemment à dater du XIIIe siècle, ils ne pouvaient y bâtir un château, une demeure fortifiée; des contestations s'élevaient souvent entre un seigneur et son vassal sur la nature de la construction élevée par ce dernier; beaucoup de manoirs prétendaient ressembler à des châteaux et tenir lieu de défense, à dater du moment surtout où les grands barons ruinés étaient obligés d'aliéner leurs biens. Ce fut ainsi que pendant les XIVe et XVe siècles, la France se couvrit de manoirs qui pouvaient protéger leurs habitants contre les bandes armées répandues sur le territoire, et que beaucoup de maisons de propriétaires de fiefs devinrent des postes assez bien munis et fermés pour inquiéter le pays et ajouter aux causes de désordre de ce temps.
Dès le XIIIe siècle, les bords de la Garonne, de la Dordogne, du Lot, du Gers, du Tarn et de l'Aveyron virent élever un grand nombre de ces manoirs fermés, propres à la défense; c'est qu'en effet dans ces contrées les fiefs étaient très-divisés, et, depuis la guerre des Albigeois, les grands barons des provinces méridionales ruinés, réduits à l'impuissance. Le sol se couvrait de propriétaires à peu près égaux en pouvoir et en richesse; la domination anglaise, loin de changer cet état de choses, y voyait au contraire un gage de sécurité pour elle, de prospérité pour le pays.
Ces manoirs fermés sont désignés, dans le Bordelais, sous le nom de Casteras, et sont encore assez communs.
Non loin de Bordeaux, à l'entrée des Landes, est un manoir qui paraît appartenir à la première moitié du XIIIe siècle, et qui conserve des traces de distributions intérieures d'un grand intérêt; il s'agit du Castera de Saint-Médard-en-Jalle. La Jalle est un ruisseau qui prend sa source au lieu nommé Cap d'aou bos (Tête du bois), et qui se jette dans la Garonne.
Le manoir de Saint-Médard est bâti sur la rive droite du ruisseau qui, sur ce point, s'étend et forme un marécage. Un fossé large entourait cette habitation fortifiée, dont nous donnons le plan au niveau du rez-de-chaussée (1).
Ce plan est tracé sur un carré avec quatre tourelles aux angles. La porte est en A, et deux meurtrières s'ouvrent, à rez-de-chaussée dont le sol est peu élevé au-dessus du marécage, sur chacune des faces du carré. Dans l'origine, cette enceinte carrée enveloppait une construction de bois dont on voit les scellements sur les parois intérieures. À la place des deux murs O,O, d'une époque plus récente, il y avait quatre gros poteaux de bois qui portaient le plancher du premier, des cloisons et un pan de bois de refend. Un escalier de bois permettait de monter au premier étage. Ce rez-de-chaussée du sol au plafond n'a pas plus de 2m,65.
Le premier étage (2) présente une disposition des plus curieuses. Il était entre-solé dans une partie de la surface ainsi que le prouvent 1º les scellements de solivages, la trace des huisseries; 2º les étroites fenêtres BB'B'' doublées dans la hauteur de l'étage et séparées par des linteaux; 3º les grandes fenêtres CC'C'' qui prennent toute la hauteur de l'étage, qui sont larges et divisées dans leur largeur par un meneau. Cet entre-sol était en bois, porté sur les poteaux de fonds et sur ceux dd'. De plus le pan de bois de refend portait les combles doubles, ainsi que nous le verrons tout à l'heure. Un degré en bois P permettait de monter à l'entre-sol. La grande salle R avait entre le plancher et le plafond 4m,30 de hauteur, et chacun des étages entre-solés 2m,30 environ; de sorte que le plancher au-dessus de cette grande salle et celui au-dessus de l'entre-sol, en comptant l'épaisseur des poutres et solives, s'arrasait au niveau d'un chemin de ronde supérieur.
En effet, en calculant ces hauteurs,
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L'étage entre-solé Épaisseur du plancher L'entre-sol Épaisseur du plancher Hauteur de la grande salle Poutres et corbeaux Solivages |
2m,30 30 2m,30 30 4m,30 60 30 |
5m,20 5m,20 |
L'escalier à vis N montait du sol de la grande salle au chemin de ronde défendu par un parapet crénelé. I sont des cheminées et K des armoires. En L sont des latrines sur le dehors; en M, dans la tourelle nord ouest, sont disposées d'autres latrines avec tuyau de chute indiqué sur le plan du rez-de-chaussée.
Nous donnons (3) la vue perspective de ce manoir prise du coté de l'entrée. La maçonnerie est entière, sauf les parapets crénelés, dont il ne reste que des fragments 191. Tous les bois ont été brûlés et ont laissé de nombreuses traces. Les combles se divisaient très-vraisemblablement en deux, conformément aux habitudes des constructions de ce temps, et renfermaient des logements en pans de bois au niveau du chemin de ronde, ainsi que l'indique notre vue. Sur la face, quatre trous carrés ménagés dans la bâtisse du parement au-dessus de l'entrée étaient destinés à recevoir un hourd saillant auquel on descendait par le chemin de ronde. Nous avons présenté une des fermes de ce hourd, posée. Cette méthode, qui consiste à envelopper un logis de bois d'une chemise de pierre fortifiée, est curieuse à observer, car nous la voyons employée dans beaucoup de ces donjons carrés du XIIe siècle tel que celui de Loches, par exemple. Il est à présumer que les pans de bois ou plutôt les poteaux inférieurs durent être remplacés, car au XIVe ou au XVe siècle on éleva les deux murs figurés sur le plan du rez-de-chaussée.
Il existe encore dans la Gironde un manoir d'une époque moins ancienne (de la fin du XIIIe siècle ou du commencement du XIVe), qui ressemble beaucoup, par ses dispositions, à celui de Saint-Médard-en-Jalle, mais où la maçonnerie a remplacé les divisions intérieures en bois: c'est le manoir de Camarsac; situé sur un point assez élevé, il domine l'embouchure de la Dordogne et était autrefois entouré de fossés.
L'entrée de ce manoir (4) était en C et protégée par une porte extérieure posée à angle droit sur le mur de face. La porte s'ouvrait sur une première salle D avec escalier E montant de fond 192. De cette première salle (voir le plan A du rez-de-chaussée), on pénétrait dans les trois autres pièces percées seulement, dans l'origine, de meurtrières destinées à battre le fossé. En G est un arc qui porte le mur de refend élevé au premier étage. Ce rez-de-chaussée ne pouvait servir que comme dépôt des provisions, ou comme refuge en temps de guerre. Le premier étage (voir le plan B) était destiné à l'habitation. Il est divisé en cinq salles avec communication centrale H, très-ingénieusement disposée. Quatre de ces salles possèdent des cheminées I. Dans la salle L s'ouvre un mâchicoulis K, battant la porte d'entrée. De la salle L et de celle M on passe dans la tourelle d'angle F servant de latrines et dans le couloir muni de meurtrières qui battaient le fossé du côté de l'entrée. Deux combles posés sur les murs latéraux et sur le mur de refend couvraient ce castera, qui était couronné de mâchicoulis avec crénelage sur ses quatre fronts. Des meurtrières percées dans les échauguettes défendaient les angles et flanquaient les faces. Les pièces du premier étage étaient éclairées par des fenêtres étroites, remplacées aujourd'hui par des baies modernes. Ce castera ou manoir était un véritable donjon et offrait un refuge très-sûr. La figure 5 donne la vue perspective de cette habitation fortifiée prise du côté de l'entrée 193.
En Angleterre, quelques manoirs du XIVe siècle présentent des dispositions à peu près semblables à celles-ci, notamment celui de Belsay (Northumberland). Il est certain que ces casteras n'étaient que le logis principal d'une agglomération de bâtiments ruraux entourés d'un mur ou d'un fossé; c'était la demeure du possesseur du fief. Pendant les XIVe et XVe siècles, les manoirs adoptent plus franchement les dispositions d'une habitation des champs, même dans les provinces méridionales. Ainsi à Xaintrailles, près de Nérac (Lot-et-Garonne), on voit encore les restes assez entiers du manoir où naquit le célèbre Pothon. Ce manoir date des premières années du XVe siècle (6).
Il se compose d'une baille ou basse-cour B, occupée aujourd'hui par des bâtiments modernes. Le chemin A, qui conduit au manoir, donnait entrée dans cette baille par une première porte A'. Franchissant un fossé, on entrait dans la cour intérieure E par une porte charretière ou par une poterne. Du passage de la porte on entrait dans la salle F, où se tenait le gardien ou même un poste au besoin. La grande salle est en G et la cuisine en H avec porte sur la cour. À gauche est une autre grande salle I dans laquelle on entre en passant sur le palier inférieur du grand escalier K. En L est un petit donjon avec escalier extérieur M et escalier intérieur à vis. Le donjon ne se réunissait aux deux corps de logis que par des courtines aujourd'hui englobées dans des constructions récentes. Ces deux logis ne se défendaient que par un crénelage à la base du comble et par quatre échauguettes posées aux quatre angles. Le manoir est entouré de jardins du côté gauche et derrière le donjon. Cet ensemble est assez bien conservé, sauf la partie ab comprise entre le grand escalier et le logis de droite qui a été rasée, et dont on n'aperçoit plus que les fondations.
La figure 7 donne la vue perspective du manoir de Xaintrailles, prise des jardins 194.
Près de Nesles (Oise), on aperçoit encore les restes d'un joli manoir de la fin du XVIe siècle 195. Il était entouré d'un enceinte polygonale avec fossé et porte défendue. Une tour quadrangulaire, étroite, couronnée par quatre mâchicoulis, servait d'oratoire à rez-de-chaussée et de guette au sommet; de plus elle commandait l'entrée. Modifiés au XVIIe siècle, puis plus récemment encore, les bâtiments d'habitation ont perdu leur caractère et ne laissent voir que des murs recrépis; ils servent aujourd'hui à l'exploitation des terres environnantes (8).
Dans les vignettes des manuscrits du XVe siècle, on voit parfois des manoirs assez bien figurés, qui rappellent les dispositions de ceux que nous venons de donner en dernier lieu, et donnent une agglomération de bâtiment accolés sans symétrie, mais suivant les besoins des habitants.
Beaucoup de ces manoirs du commencement du XVe siècle et passablement défendus furent ouverts au XVIe, leurs murs extérieurs furent percés de fenêtres et les fossés, en partie comblés, remplacés par des terrasses.
Tel est le manoir de Sédières (Corrèze) dont nous donnons (9) une vue. Ce manoir, bâti pendant les premières années du XVe siècle, se composait de la tour carrée A, du logis B et de la porterie C. Les autres bâtiments E étaient probablement plus bas et fermaient la cour intérieure Au XVIe siècle, des fenêtres furent percées sur les dehors dans le vieux logis; les intérieurs furent refaits et des bâtiments, aujourd'hui presque entièrement démolis, s'élevèrent en E et en F; on combla les fossés du côté du jardin. C'est ainsi que ces manoirs du moyen âge, dont les premiers possesseurs avaient fait des résidences fortifiées, se changeaient au XVIe siècle en demeures de plaisance, ne conservant de leur ancien caractère que des mâchicoulis devenus inutiles et des morceaux de fossés au devant des portes.
Les châteaux de Rambouillet, de Nantouillet, près Paris, de la Rochefoucauld en Angoumois, de Villers-Cotterets, de Compiègne, etc., n'étaient plus que des manoirs sous le règne de François Ier, par suite des travaux d'appropriation qu'on y avait fait exécuter pour les ouvrir sur les dehors et leur enlever leur caractère de forteresses.
Le XVIe siècle éleva quantité de manoirs dont il reste des débris. Nous citerons, entre autres, le manoir d'Ango, près de Dieppe, construit par le célèbre armateur vers 1525. «Il avait acquis la belle terre de Varengeville,» dit M. Vitet dans son excellente histoire de Dieppe 196, «ancien domaine de la famille de Longueil; la beauté du pays, la proximité de Dieppe, l'engagèrent à démolir le vieux castel pour s'y faire bâtir un manoir à la moderne et à sa fantaisie. C'est ce manoir dont il reste encore quelques corps de logis convertis en ferme, mais que, par une antique habitude, les habitants du pays ne connaissent et ne désignent jamais que sous le nom de château.» Ce manoir était considérable en étendue puisque Ango put y recevoir le roi François Ier. Mais, ainsi que nous l'avons dit déjà, les manoirs au XVIe siècle remplaçaient le château. Azay-le-Rideau, Meillant, Chenonceaux, Anet, par leurs dispositions et leur destination, appartiennent aux manoirs bien plus qu'aux châteaux et se rapprochent singulièrement de la villa antique. Le château symétrique du règne de Louis XIV a fait disparaître les dernières traces du manoir, puisque depuis cette époque les simples maisons de campagne ont cherché à copier, en petit, ces masses pondérées, régulières, qui distinguent particulièrement, en France, le château de la fin du XVIIe siècle entre toutes les habitations des siècles précédents. Mais il y a dans les dispositions des grands châteaux du XVIIe slecle, tels que ceux de Richelieu, de Coulommiers, de Maisons, de Monceaux, de Vaux, etc., une certaine ampleur, une majesté qui conviennent à ces demeures princières, et qui réflètent l'existence large des seigneurs d'un puissant pays qui n'ont pas besoin de se renfermer dans leurs demeures comme les barons du moyen âge; cette ampleur et cette majesté, réduites aux proportions de l'habitation d'un bourgeois servi par deux ou trois domestiques, deviennent des ridicules. En cela, nos voisins les Anglais ont mieux su garder la mesure, et leurs petites maisons de campagne sont bien, aujourd'hui, la demeure des particuliers dont la fortune et les goûts sont modestes, et qui préfèrent les commodités intérieures à la satisfaction vaine d'élever un diminutif de château.
Note 186: (retour) Voici un exemple: «Étienne de Breziac, écuyer, construisait une maison fortifiée, ainsi qu'il était dit, sur le mont Avoie. L'abbé de Cluny s'y opposait, prétendant que cet écuyer ne pouvait construire en ce lieu à cause de certaines conventions intervenues autrefois entre leurs prédécesseurs, et aussi parce que cela tournait au détriment de son Église et de tout le pays; c'est pourquoi l'abbé demandait que l'on détruisit ce qui avait été construit en cet endroit et que l'on enjoignit à l'écuyer de ne plus y bâtir désormais. Étienne, d'autre part, répondait que l'abbé ne devait pas être écouté à ce sujet et qu'on ne devait pas détruire sa demeure; il ajoutait qu'il n'avait pas élevé une forteresse, qu'il ne relevait pas de l'abbé, que lui-même et ses prédécesseurs étaient de temps immémorial en saisine de cette montagne comme de son aleu, ainsi que de la garenne et des autres dépendances. En résumé, ayant entendu les raisons des deux parties, et ayant appris par le bailli de Mâcon que cette montagne, par elle-même, était déjà très-forte, et que plusieurs nobles et autres personnes réclamaient et s'opposaient de leur côté à ce que l'on édifiât en ce lieu, parce qu'une maison (forte) pourrait causer au pays un grand préjudice, il fut arrêté que l'écuyer Étienne de Breziac ne pourrait construire une maison de ce genre sur la montagne sus désignée, et que la portion de la dite maison déjà construite par Étienne serait détruite et supprimée.» (Arrestat. in pallam, 1264, arr. VI.)
MARBRE, s. m. Calcaire cristallisé, dur, recevant le poli.--En France, on a peu employé le marbre, pendant le moyen âge; d'abord parce que cette matière n'y est pas très-commune, puis parce que son emploi exige des frais considérables. Les architectes romans des premiers temps dépouillèrent souvent des monuments antiques de leurs colonnes et de leurs chapiteaux pour les appliquer à leurs nouvelles bâtisses; sous les premiers carlovingiens même, par un reste des traditions romaines, ils firent sculpter parfois des chapiteaux dans du marbre, mais ces exemples sont rares. Cette matière dure, longue à travailler, ne pouvait convenir à des artistes qui n'avaient plus les ressources suffisantes pour mener à fin des ouvrages de cette nature. Dans le midi de la France, l'emploi du marbre ne cessa pas cependant jusques vers le milieu du XIVe siècle, principalement dans le voisinage des Pyrénées. Il existe encore plusieurs cloîtres de ces provinces méridionales dont les colonnes et les chapiteaux même sont en marbre (voy. CLOÎTRE). On employa aussi parfois le marbre de couleur comme incrustation pendant les XIe, XIIe et XIIIe siècles 197, comme pavé, et le marbre blanc pour des autels, des retables, des tombeaux et des statues. Le système de construction admis à la fin du XIIe siècle en France ne se prêtait point d'ailleurs à l'emploi du marbre, qui, même dans l'antiquité romaine (excepté lorsqu'il s'agit de points d'appuis isolés comme des colonnes), n'était guère appliqué que sous forme de revêtement.
Les poëtes et les chroniqueurs du moyen âge ne se font pas faute cependant de mentionner des ouvrages de marbres, palais marbrins, escaliers marbrins, chambres marbrines. Ce qui prouve que l'emploi de cette matière était considéré comme un luxe extraordinaire. Les abbés qui reconstruisirent leurs monastères pendant les XIe et XIIe siècles, ou les contemporains qui racontent leurs gestes, ne manquent pas de signaler de nombreux ouvrages en marbre qui n'ont jamais existé. Ce sont là de ces hyperboles très-fréquentes chez ces chroniqueurs. C'est ainsi que Suger avait, dit-on, fait venir des colonnes de marbre d'Italie pour le pourtour du sanctuaire de l'église abbatiale de Saint-Denis; or, ces colonnes sont en pierre dure provenant de carrières près Pontoise. Le vulgaire donne souvent aussi le nom de marbre à certains calcaires durs qui prennent le poli, mais qui n'ont pas pour cela les qualités du marbre.
Lorsque les sculpteurs du moyen âge ont voulu tailler le marbre, ils s'en sont tirés à leur honneur; il suffit, pour s'en assurer, d'aller voir à Saint-Denis un assez grand nombre de statues de marbre blanc des XIVe et XVe siècles qui sont d'une excellente facture (voy. STATUAIRE).
Les musées de Toulouse et d'Avignon possèdent aussi beaucoup de débris de monuments en marbre des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles, d'un beau travail.
MARCHÉ, s. m. Lieu de vente, couvert (voy. HALLE).
MARQUETERIE (ouvrage de), voy. MENUISERIE.
MENEAU, s. m.; peu usité au singulier.--On donne ce nom aux montants et compartiments de pierre qui divisent la surface d'une fenêtre en plusieurs parties vides que l'on remplit soit au moyen de vitrages dormants, soit au moyen de châssis ouvrants, également pourvus de vitrages (voy. FENÊTRE). En Italie, en Espagne et même en France, dans les premiers siècles du moyen âge, les fenêtres des édifices publics étaient souvent dépourvues de vitres; des claires-voies en pierre, en métal ou en bois étaient alors disposées dans leur ouverture béante, pour tamiser la lumière et empêcher le vent ou la pluie de pénétrer dans les intérieurs. Lorsque l'usage des vitrages devint habituel, vers le XIe siècle, on garnit les baies de vitraux maintenus au moyen de barlotières en fer. Mais vers la fin du XIIe siècle, au moment de l'adoption du système de l'architecture dite gothique, les fenêtres venant à s'agrandir, il fallut disposer dans leur surface vide des séparations en pierre pour maintenir les vitraux; car les armatures en fer, difficiles à fabriquer, flexibles, ne présentaient pas une résistance suffisante à l'effort du vent. D'ailleurs, ces baies larges et hautes, laissées vides, n'étaient pas d'un heureux effet; elles ne donnaient pas l'échelle de la structure, et les architectes des écoles laïques de la fin du XIIe siècle possédaient assez le sentiment des proportions pour ne pas laisser de grandes surfaces vides sans les occuper par des compartiments de pierre qui pouvaient seuls rappeler leur dimension. On voit apparaître ces divisions vers les premières années du XIIIe siècle dans l'Île-de-France, le Soissonnais, le Beauvaisis et la Champagne. Ces premiers meneaux sont composés d'assises de pierre, sont bâtis. Tels sont les meneaux de la cathédrale de Soissons et de la cathédrale de Chartres. Les meneaux des fenêtres des chapelles du choeur de Notre-Dame de Reims, bien qu'ils datent de 1215 environ, sont encore composés d'assises ou de claveaux (voy. FENÊTRES, fig. 13, 14, 15, 16, 17 et 18). Mais bientôt l'école laïque du XIIIe siècle fit, des meneaux, de véritables châssis de pierre formés de montants posés en délit et de compartiments ajourés découpés dans des dalles plus ou moins épaisses suivant les dimensions des baies. Dans les édifices voûtés, comme les églises ou certaines grandes salles d'assemblée, dont les fenêtres occupent toute ou presque toute la surface laissée sous les formerets des voûtes, les meneaux se composent d'abord d'un montant central, avec deux tiers-points surmontés d'un oeil. Telles sont les fenêtres hautes du choeur et de la nef de la cathédrale de Paris, refaites vers 1225 (voir CATHÉDRALE, fig. 3 et 4). Or, les meneaux des fenêtres hautes de Notre-Dame de Paris peuvent être considérés comme les premiers qui aient été faits en manière de châssis de pierre, rigides, entre des pieds-droits et des arcs construits par assises.
Il est intéressant de voir comment l'architecte introduisit ces châssis de pierre dans les anciennes fenêtres du XIIe siècle, et comment les meneaux furent appareillés. Les fenêtres hautes du choeur de Notre-Dame de Paris avaient été construites vers 1170.
Elles se composaient (1), conformément au tracé A, de pieds-droits avec colonnettes à l'extérieur (voir la section horizontale B, faite sur ab), surmontés de deux arcs en tiers-point concentriques C extra-dossés d'un rang de damiers. En D était le filet de recouvrement du comble en appentis posé sur la galerie, et en E des roses s'ouvrant sous cet appentis au-dessus des voûtes de cette galerie (voir CATHÉDRALE, fig. 3 et 4). Le système, nouveau alors, des meneaux qui permettaient de remplir de très-grandes fenêtres de vitraux colorés, avait si bien séduit les évêques, les chapitres et leurs architectes, qu'on n'hésita pas à détruire les roses E, les anciens appuis des fenêtres du XIIe siècle J, à remplacer les combles par des terrasses, à couper les pieds-droits F et à enlever l'arc intérieur des baies. Cela fait, on tailla dans les pierres restantes les colonnettes G, à l'intérieur et à l'extérieur; on incrusta des morceaux H dans les parties laissées vides par l'enlèvement des claveaux des roses, ainsi que l'indique le trait haché, on passa le meneau I au milieu des baies, et on appareilla sur ce meneau et sur les pieds-droits recoupés le châssis de pierre supérieur composé de deux arcs et d'un oeil. La courbe des arcs des fenêtres primitives fut ainsi changée, et entre l'extra-dos du châssis de pierre et l'intra-dos du second arc du XIIe siècle, laissé en place, on incrusta le remplissage K. Les joints de ce châssis de pierre, marqués sur notre figure, furent coulés en plomb avec goujons de fer posés ainsi que l'indique le détail L. Il est à présumer que la crainte qu'avaient les architectes de voir fléchir les arcs des vieilles fenêtres, affaiblis d'un rang de claveaux, les détermina à donner plus d'aiguïté à l'arc tiers-point des meneaux. Chacun de ces meneaux se composait ainsi: 1º de la colonnette centrale, dont nous donnons la section en M; 2º du sommier central en fourche; 3º des deux sommiers latéraux; 4º des deux closoirs des arcs inférieurs; 5º des quatre claveaux latéraux; 6º de la clef de l'oeil et de deux closoirs supérieurs, en tout treize morceaux de pierre pour une fenêtre de 10m,00 de haut sur 3m,40 de largeur en moyenne. Mais les espaces vides laissés entre ces divisions de pierre étaient trop grands encore pour pouvoir être vitrés sans le secours du fer. Une barre transversale passant à la naissance des arcs en N et traversant la tête du chapiteau P fut posée en construisant le châssis. Des barlotières O, scellées entre les pieds-droits et le meneau central, formèrent une suite de panneaux quadrangulaires; des montants verticaux R servirent encore à diminuer la largeur des deux vides et formèrent la bordure du vitrail. Dans l'oeil, quatre barres S vinrent aussi diviser la surface vide du cercle. Ces barres furent scellées dans le châssis circulaire. On observera que les joints de l'appareil tendent toujours aux centres du cercle ou des tiers-points.
Déjà cependant les fenêtres des chapelles du choeur de la cathédrale de Reims, contemporaines de celles que nous donnons ci-dessous, possédaient des meneaux qui, construits par assises, renfermaient dans l'oeil supérieur des redents destinés à diminuer le vide de ces oeils (voy. FENÊTRE, fig. 18). Dans ce cas, comme toujours, c'est à la Champagne que sont dues les innovations dans l'architecture gothique. Les fenêtres hautes de la nef et du choeur de Notre-Dame de Reims, bien que construites vers le milieu du XIIIe siècle, ont consacré le principe admis par l'architecte primitif de cet incomparable édifice. Ces fenêtres, indiquées d'ailleurs dans le croquis de Villard de Honnecourt antérieurement à la reprise des travaux de la cathédrale en 1241, appartiennent ainsi comme composition à une époque plus ancienne. Elles se composent d'un meneau central portant deux tiers-points avec un oeil subdivisé par des redents à six lobes (2).
Les meneaux reproduisent sur une plus grande largeur ceux des chapelles. Les vides n'ont pas moins de 2m,30 (7 pieds), aussi ont-ils été garnis de puissantes armatures en fer. Les redents de l'oeil sont rapportés en feuillure, comme l'indique la section A faite sur ab. La feuillure maintenant les vitraux est refouillée intérieurement, ainsi qu'on le voit par la section horizontale B, faite sur le meneau central, l'extérieur étant en E. Les panneaux de vitraux sont maintenus dans l'oeil au moyen de pitons d scellés à l'intérieur des redents. L'armature en fer de cet oeil est elle-même scellée au nu intérieur des redents. La section C est faite sur ef. On remarquera que les tiers-points du grand arc et des deux petits arcs ont pour générateur un triangle équilatéral, les centres des arcs étant posés aux naissances mêmes des courbes. On observera aussi que le second rang de colonnettes porte les boudins formant le nerf principal des meneaux, mais que ces boudins ne suivent pas la courbe du grand arc; de sorte que le nerf ou boudin de l'oeil pénètre dans le grand biseau X, que cet oeil semble circonscrit par l'archivolte, mais indépendant de son profil, que les meneaux paraissent n'être qu'un châssis rapporté ne faisant pas corps avec l'architecture, le tout étant cependant fait avec la bâtisse. Le système admis par l'architecte primitif de la cathédrale de Reims et scrupuleusement suivi par ses successeurs jusqu'à la fin du XIIIe siècle n'était plus de mode cependant à dater de 1240. À cette époque déjà, on prétendait ne plus laisser des vides aussi larges pour les panneaux des vitraux. Les fenêtres prenant toute la largeur entre les piles, un seul meneau ne suffisait pas toujours; on voulut subdiviser ces espaces lorsqu'ils étaient très-larges, et au lieu de deux claires-voies on en établit quatre, de manière à ne plus avoir à vitrer que des vides de 1m,00 à 1m,30 au plus (3 ou 4 pieds). Mais cette extension du principe présentait des difficultés; car rien, dans l'architecture antique, dans l'architecture romane, ni dans l'architecture orientale, ne pouvait à cette époque servir d'exemple. L'architecte qui conçut les premiers plans de la cathédrale d'Amiens, Robert de Luzarches, mais qui vit seulement élever les parties basses de la nef, avait disposé les fenêtres des collatéraux suivant le système adopté pour les fenêtres de la cathédrale de Reims: un meneau central, deux tiers-points et un oeil circulaire avec redents rapportés en feuillure.
Ses successeurs, ayant à vitrer les énormes fenêtres hautes de la nef, qui ont 6m,00 de largeur sur 13m,00 de hauteur, songèrent à garnir ces vides d'une armature en pierre assez puissante et assez serrée pour pouvoir poser des vitraux entre leurs vides sans avoir recours à cet amas de ferrailles que nous voyons appliquées aux fenêtres de la cathédrale de Reims. Toutefois, ils partirent toujours du même principe: ils établirent l'ossature principale suivant la donnée admise à Notre-Dame de Reims, c'est-à-dire qu'ils la composèrent d'un meneau central portant deux arcs en tiers-point avec un oeil circulaire supérieur; mais dans les deux grands intervalles laissés entre les pieds-droits et ce meneau central ils firent un second châssis de pierre, composé de la même manière: d'un meneau central portant deux tiers-points et un oeil. Ce système de cristallisation, c'est-à-dire de répétition à l'infini du principe admis que nous voyons appliqué rigoureusement dès la fin du XIIIe siècle dans l'architecture gothique, n'atteignit pas de prime abord ses conséquences logiques; il y eut des tâtonnements, il se présenta des difficultés d'exécution qui ne furent qu'imparfaitement résolues. Les fenêtres hautes de la nef de la cathédrale d'Amiens sont certainement une de ces premières tentatives, car leur construction ne saurait être postérieure à 1235.
Ces fenêtres (3) 198 se composent, comme on le sait, d'un meneau central bâti par hautes assises, de deux meneaux divisionnaires d'une plus faible section, composés de pierres en délit, de deux arcs en tiers-points parfaits, principaux, avec le grand oeil supérieur, et de deux arcs en tiers-points parfaits portant sur les meneaux divisionnaires avec leur oeil secondaire. Ces arcs en tiers-points secondaires portent leur nerf ou boudin continuant la section des meneaux divisionnaires, et ce nerf ou boudin vient pénétrer dans les biseaux des pieds-droits et du meneau central, ainsi que le fait voir le tracé perspectif A. Quant aux oeils secondaires B et C, leur section est particulière et ne participe pas des membres dans lesquels ils pénètrent. On observera même que, gêné par l'appareil, le constructeur a posé les redents de l'oeil B en feuillure comme ceux du grand oeil central. (En E, nous donnons au double la section sur ab de ces oeils secondaires.)
À Amiens, les constructeurs ne possédaient que des matériaux d'une assez médiocre résistance et d'une dimension peu considérable; ils avaient donc éprouvé des difficultés pour construire ces énormes claires-voies, ils avaient dû multiplier les joints pour éviter les trop grands morceaux de pierre. Or, si on fait attention à l'appareil que nous avons exactement reproduit, on verra qu'en effet les morceaux n'ont que des dimensions ordinaires et que les joints sont tracés de manière à éviter les ruptures qui sont à craindre dans ces ouvrages à claires-voies. Comme il arrive toujours, ce ne sont pas les moyens les plus simples qui se présentent d'abord à l'esprit de ceux qui inventent. Ces meneaux, avec leurs sections variées, avec leurs redents en feuillure, offraient certainement des difficultés de tracés et de tailles, des pénétrations dont les tailleurs de pierre ne se rendaient pas aisément compte, un désaccord entre les membres principaux et les membres secondaires, des parties grêles et des parties lourdes, des jarrets dans les courbes comme aux points I, par exemple; cependant déjà les architectes avaient fait régner le boudin ou nerf G tout au pourtour de l'archivolte, continuant la section de la colonnette H et venant pénétrer le nerf de grand oeil à la tangente.
C'était un progrès de tracé sur les meneaux des fenêtres de Notre-Dame de Reims. Mais on n'arrive pas, si rapidement que l'on marche, aux méthodes simples, aux procédés pratiques sans des tâtonnements. Donner un dessin sur une échelle réduite des compartiments ajourés d'une fenêtre et une seule section pouvant suffire à en tracer l'épure en grand, c'était évidemment le but auquel devaient tendre les architectes. Il s'agissait de trouver une méthode. Il fallait aussi éviter la disproportion entre les ajours, c'est-à-dire les répartir de telle sorte qu'ils ne fussent ni trop resserrés ni trop lâches. Il fallait (puisque le parti était admis de ne plus avoir des armatures en fer d'une grande surface) faire un réseau de pierre assez également serré pour éviter ces armatures lourdes, compliquées et dispendieuses. Les architectes de la nef haute de la cathédrale d'Amiens avaient dû s'apercevoir de la disproportion qui existait entre les oeils des meneaux, de la lourdeur des tiers-points secondaires englobant les oeils inférieurs, de la difficulté des tailles de ces pénétrations de membres à sections différentes. Aussi, élevant peu après les fenêtres hautes de la nef celles qui s'ouvrent dans le mur occidental du transsept, ils avaient déjà apporté des perfectionnements dans le tracé des meneaux de ces fenêtres (4).
Relevant la naissance de l'archivolte au-dessus des chapiteaux des meneaux, ils purent donner un diamètre moindre à l'oeil principal, trouver entre les petits tiers-points inférieurs et les deux tiers-points secondaires un large espace qu'ils remplirent par des trilobes qui ne donnaient plus un diminutif de l'oeil central. Dans l'oeil central, au lieu de redents simples, ils imaginèrent des redents redentés A qui occupaient mieux la surface vide et diminuaient l'importance de l'armature en fer. De plus ils ajoutèrent des redents B aux tiers-points inférieurs. Ce dessin général est évidemment mieux conçu que celui donné figure 3; mais aussi le travail de l'appareilleur et du tailleur de pierre est simplifié. On observera que, dans ce tracé, seuls les redents de l'oeil central sont embrevés en feuillure (voir la coupe C, faite sur ab); tous les autres membres sont pris dans l'appareil général. De plus, une seule section est génératrice de tous les membres; ainsi le meneau central est le profil DEF. Les meneaux secondaires I sont donnés par la section dérivée GEH. Les redents des tiers-points inférieurs adoptent la section KEL. Quant à la section faite sur ed, elle est donnée par DEM. Au moyen de cette combinaison, les axes seuls des boudins principaux P et des boudins ou colonnettes secondaires S étant tracés, et la section DEF avec ses dérivés étant donnée, l'ensemble des meneaux était obtenu sans difficulté par l'appareilleur. Restaient seulement, en dehors de cette combinaison, les redents de l'oeil central. Tous les profils de cette section DEF roulaient, sauf l'exception admise seulement pour l'extra-dos T des tiers-points secondaires et de l'oeil central, qui prend le profil simplifié DMD. On observera encore que, dans cette épure, l'appareil est infiniment plus simple et rationnel que dans l'épure précédente. Les joints tendent sans difficultés aux centres des tiers-points et en même temps aux centres des lobes. Ces joints étaient donc toujours normaux aux courbes, évitaient les aiguïtés et par conséquent les causes de brisures. Enfin les armatures en fer sont réduites à de simples barlottières garnies de pitons et à quelques barres secondaires légères.
Toutefois, dans cette combinaison ingénieuse, des tâtonnements sont encore apparents, aucune méthode géométrique ne préside au point de départ du tracé. Nous allons voir que les architectes du même édifice arrivent bientôt à des méthodes sûres, à des règles données par des combinaisons géométriques.
Les fenêtres des chapelles du choeur de la cathédrale d'Amiens sont contemporaines de la Sainte-Chapelle de Paris, elles datent de 1240 à 1245; or, les meneaux de ces fenêtres sont tracés d'après un principe géométrique fort-simple et très-bon. Il faut dire que ces meneaux consistent en un seul faisceau central portant la claire-voie sous les archivoltes (voy. CHAPELLE, fig. 39 et 40).
Soit (5), en A, la section horizontale d'une de ces fenêtres avec son meneau central B. Soient les lignes BB'B'', axes du meneau central et des colonnettes des pieds-droits. On remarquera d'abord que le même profil est adopté pour le meneau central et les pieds-droits. Soit la ligne CD, la naissance de l'arc qui doit terminer la fenêtre. L'espace entre les deux axes E et F, demi-largeur de la fenêtre, est divisé en quatre parties égales Ef, fG, Gh, hF. Du point f, prenant la demi-épaisseur de la colonnette ou boudin, cette demi-épaisseur est portée sur la ligne de base en f. Du point h, on reporte également cette demi-épaisseur en h'. Prenant la longueur Eh', on la reporte sur la ligne de base en h''. Sur cette base h'h'', on élève le triangle équilatéral h'h''H. Sur la base f'h', on élève également le triangle équilatéral If'h', et du sommet H du grand triangle équilatéral on tracera le petit triangle équilatéral Hi'i, semblable à celui If'h'. Prenant alors la longueur ef' et les points If'h', Hii' comme centres, on décrit les trilobes. Prenant les points h' et h'' comme centres et la longueur h''O comme rayon, on décrit le grand arc OP. Pour trouver les centres des deux arcs tiers-points inférieurs, des points f' et h', on trace deux lignes parallèles à h'I et à f'I; ces deux parallèles rencontrent les arcs inférieurs du trilobe en l et l'. Sur ces deux lignes, de l en m et de l' en m', on prend une largeur égale à la colonnette ou boudin. De ces deux points m et m', on tire deux parallèles à mg' et à m'g; ces deux parallèles rencontrent les lignes internes des boudins en n et en n'; dès lors les deux triangles mng', m'gn' sont équilatéraux, et prenant les points g et g' comme centres et la longueur gn' comme rayon, on trace les arcs tiers-points inférieurs. En T, nous avons tracé la moitié des meneaux avec les épaisseurs des profils. Ainsi, toutes les sections normales aux courbes donnent la section génératrice du meneau central B.
L'appareil est simple, logique, solide, car toutes les coupes sont normales, comme l'indique le tracé T. Sans tâtonnements, le boudin, aux points de rencontre de deux figures courbes, conserve toujours sa même épaisseur, ce qui est la règle la plus essentielle du tracé des claires-voies des meneaux. À dater du milieu du XIIIe siècle, les meneaux sont toujours tracés d'après des méthodes géométriques délicates, au moins dans les édifices élevés dans l'Île de France, la Champagne et la Picardie. Parmi ces meneaux, ceux dont les dessins paraissent les plus compliqués sont souvent produits par un procédé géométrique simple et n'offrant aucune difficulté à l'appareilleur. Nous en fournirons la preuve. D'abord les architectes de cette époque évitent les meneaux à sections différentes dans la même fenêtre; ils adoptent une seule section, même pour des meneaux de fenêtres à quatre travées, comme celles supérieures de l'église abbatiale de Saint-Denis (voy. FENÊTRE, fig. 24). Dès lors, il ne s'agit plus que de tracer les compartiments au moyen des lignes d'axes de la section des meneaux. Ce principe permet d'ailleurs de garnir les fenêtres d'un, de deux, de trois, de quatre meneaux, sans difficulté, de tracer les compartiments à une petite échelle, suivant une méthode géométrique, et de laisser faire ainsi, sans danger d'erreurs, le tracé de l'épure sur le chantier.
Les meneaux des fenêtres de l'église de Saint-Urbain de Troyes, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle (1260 environ), sont tracés conformément à ce principe, c'est-à-dire qu'avec le dessin que nous donnons ici de l'une de ces fenêtres et une section des meneaux, grandeur d'exécution, l'épure peut être faite pour couper les panneaux. C'était là un avantage considérable dans un temps où beaucoup de monuments s'élevaient dans les provinces françaises, et même à l'étranger, sur des dessins envoyés par nos architectes du domaine royal. L'influence extraordinaire que le style adopté par notre école laïque avait acquise sur toute l'étendue du territoire actuellement français, sur une partie de l'Allemagne et de l'Espagne, était telle que les architectes avaient dû forcément chercher des méthodes de tracés qui ne fussent pas sujettes à de fausses interprétations.
À l'article CONSTRUCTION, pages 197 et suivantes, à propos de la structure de l'église Saint-Nazaire de Carcassonne, nous avons fait voir que les combinaisons les plus compliquées de tracés pouvaient facilement être transmises à l'aide de dessins faits à une petite échelle; la supériorité que devraient nous donner sur nos devanciers de six siècles des connaissances plus étendues en géométrie et tant d'autres avantages n'est pas telle cependant que nous puissions aussi facilement aujourd'hui transmettre les détails de notre architecture avec une complète confiance dans la manière de les interpréter. L'architecture n'est digne d'être considérée comme un art qu'autant qu'elle sort tout entière du cerveau de l'artiste et qu'elle peut s'écrire. Un temps où l'on arrive à tâtonner pendant l'exécution et à effacer, pour ainsi dire, sur le monument même au lieu d'effacer sur le papier, ne peut avoir la prétention de posséder une architecture 199. Une pareille époque ne saurait montrer trop de respect pour les artistes qui savaient ce qu'ils voulaient et qui combinaient un édifice tout entier dans leur cerveau avant d'ouvrir les chantiers. Examinons donc les meneaux des fenêtres du choeur de Saint-Urbain de Troyes (6).
Soit AB la largeur de la fenêtre. Sur cette largeur, qui donne les axes des boudins ou colonnettes des pieds-droits ayant pour section une demi-section de meneau, on a tracé l'arc brisé CDE; donc la base CD et les deux arcs de cercle circonscrivent un triangle équilatéral. Divisant ce triangle équilatéral par l'axe EF et par les deux lignes CG, DH passant par les milieux des deux lignes DE, CE, on obtient la figure EKIL, dans laquelle nous inscrivons le cercle dont le centre est sur l'axe en M. Marquant sur les lignes LC, LD deux points M'M'' à une distance égale à la longueur LM, on trace les deux autres cercles à l'aide de rayons égaux à celui du cercle dont le centre est en M. Il est clair que ces trois cercles sont tangents et inscrits par le grand arc brisé. Divisant ensuite la largeur AB en trois parties égales A,ab,B et chacune de ces trois divisions en deux, nous élevons des points N et O deux verticales, soit celle OP qui rencontre la circonférence du cercle M'' en P. De ce point P, prenant une longueur égale à bB, nous formons le triangle équilatéral PbS. Alors nous avons la base RS de la claire-voie portant sur les meneaux. Prenant les points bS comme centres et la longueur bS comme rayon, nous traçons les trois arcs brisés inférieurs; nous cherchons sur cette base RS les centres T du second arc brisé milieu, partant des naissances a,b et devant être tangent aux deux circonférences M'M''. Toutes ces lignes forment les axes X des meneaux dont nous avons donné la section en Y. Le tracé plus sombre Z sur cette section Y donne la section des redents. L'axe p de ces redents est à une certaine distance de l'axe X et ne se confond pas avec lui. Pour tracer les redents, nous prenons donc cette distance à l'intérieur de la circonférence des cercles et des arcs brisés inférieurs. Pour les redents des cercles, m étant le point marqué sur l'axe à la distance Xp donnée par la section des meneaux, on divise la longueur mM en deux parties égales; du point m' milieu et prenant m'm comme rayon, nous traçons les redents à quatre lobes des cercles. Quant aux redents des arcs brisés inférieurs, ils sont tracés suivant un même rayon; les centres des branches inférieures étant placés sur la ligne de base RS. Les redents de l'espace Q sont de même inscrits dans un triangle équilatéral. En AA, nous avons tracé à l'échelle de 0m,05 pour mètre le détail des redents des cercles avec l'armature circulaire en fer pincée par les quatre extrémités des lobes et destinée à maintenir les verrières. L'appareil des meneaux est indiqué par les lignes g, etc. En BB est donné le détail des chapiteaux. Ces meneaux, qui n'ont que 0m,095 d'épaisseur sur 0m,23 de champ, suffisent pour maintenir les vitraux de fenêtres qui ont 4m,40 de largeur sur 9m,20 de hauteur de l'appui à la clef, et encore reposent-ils sur une galerie à tour (voy. CONSTRUCTION, fig. 103); ils sont taillés dans du beau liais de Tonnerre et sont bien conservés. Il était impossible de combiner et d'exécuter un châssis de pierre plus léger, mieux entendu et plus résistant eu égard à son extrême ténuité.
Les formerets de la voûte circonscrivent exactement les grands arcs brisés qui ont servi de cintre pour les bander; car ces arcs entrent en feuillure sous ces formerets, comme l'indique la section X'. Il n'est pas besoin de dire que les meneaux verticaux sont d'une pièce et que les ajours sont taillés dans de très-grands morceaux de pierre, ainsi que l'indique l'appareil tracé sur la figure 6.
Vers la fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe, on employa des
méthodes encore plus précises et plus rationnelles. On remarquera, dans
l'exemple précédent, qu'il y a encore certains tracés qui sont livrés au
tâtonnement; ainsi, l'inscription du cercle du sommet, générateur des
trois autres, dans la figure EKIL, ne peut guère être obtenue dans la
pratique qu'en cherchant sur l'axe EF le centre M au moyen du
troussequin; les tangentes de ce cercle avec les lignes CI, DH et les
deux arcs CE, DE ne pouvant être connues d'avance que par des opérations
géométriques compliquées que certainement il était inutile de faire, les
architectes ont donc été amenés à chercher des méthodes géométriques qui
pussent toujours être démontrées et par conséquent dont le tracé fût
absolu. Ce résultat est remarquable dans la partie de l'église de
Saint-Nazaire de Carcassonne qui fut élevée au commencement du XIVe
siècle. Le triangle équilatéral devient, dans cet édifice, le générateur
de tous les compartiments des meneaux. Prenons d'abord les fenêtres du
sanctuaire de cette église qui sont les plus simples, et qui ne sont
divisées que par un meneau central supportant une claire-voie. Le tracé
générateur est fait sur l'axe des colonnettes ou boudins. Soit (7) une
de ces fenêtres. Les trois lignes verticales AA'A'' passent par les axes
des colonnettes dont la section est donnée en B. Cet axe est tracé en
a. La naissance de l'arc brisé étant en CC', sur cette base CC' on
élève le triangle équilatéral CC'D, et prenant CC' comme centres on
trace les deux arcs CD, C'D qui sont toujours les axes des boudins
donnés en a sur la section B. Divisant les lignes CD, C'D en deux
parties égales, des points dd' diviseurs et des points DCC'c, pris
comme centres, nous traçons les trois angles curvilignes équilatéraux
inscrits. Deux verticales abaissées des deux points dd' divisent les
deux arcs Cc, cC' en deux segments égaux. Prenant alors à
l'intérieur des deux travées des distances égales à la distance qu'il y
a entre les axes générateurs a et les axes b des membres secondaires
du faisceau dont la section est en B, soit en ee', la naissance de la
claire-voie étant fixée au niveau E, sur cette naissance nous cherchons
le centre de l'arc de cercle qui doit passer par les points e et f;
centre qui s'obtient naturellement en faisant passer une ligne par les
points e et f en élevant une perpendiculaire du milieu de cette
ligne jusqu'à sa rencontre avec la ligne de niveau E. Dès lors, on
considère les arcs C'D, C'd', cd', dd', etc., comme membres
principaux, et les arcs cC', ef, e'f comme membres secondaires.
Les centres des redents G sont pris sur les axes passant par le sommet
des triangles curvilignes, ainsi que l'indiquent les rayons ponctués;
ces redents sont membres secondaires. c'est-à-dire que leur section est
celle donnée par la seconde section génératrice dont l'axe est en b.
Mais les arcs Cc, cC' étant secondaires eux-mêmes, les axes des
redents sont tangents à ces arcs, comme on le voit en g. Quant aux
redents inférieurs h, ils sont tertiaires et prennent la section h'
sous-division de la section génératrice B. Les chapiteaux des arcs sont
placés au niveau CC'.
Le tracé F de la moitié de la claire-voie, sur une échelle de 0m,04 pour mètre, explique le tracé de cette épure de manière à faire comprendre la section de tous les membres. Souvent, comme dans le cas présent, la section des extra-dos M est simplifiée et donne la coupe N, mais cette disposition est rare; à dater de la fin du XIIIe siècle les sections sont uniformes aux intra-dos comme aux extra-dos des arcs des claires-voies. Sur ce tracé est donnée la section du formeret qui enveloppe exactement l'arc de la claire-voie lui servant ainsi de cintre. Les claires-voies de ces fenêtres sont d'une heureuse proportion; de l'appui à la naissance E des arcs inférieurs les colonnettes ont 7m,70 et sont composées de deux ou trois morceaux.
Les compartiments des claires-voies supérieures engendrés par des triangles équilatéraux se prêtaient parfaitement au système des meneaux disposés par trois travées, assez généralement adopté au XIVe siècle. Puisqu'on décorait les fenêtres par des vitraux, on voulait avoir un motif milieu; les fenêtres, par deux et quatre travées, étaient moins favorables à la peinture des sujets que la division par trois. Il y avait donc entente entre l'architecte et le peintre verrier. Dans la même église de Saint-Nazaire, les grandes fenêtres orientales du transsept sont, en effet, divisées en trois travées au moyen de deux meneaux; les compartiments surmontant ces meneaux, bien que variés entre eux; procèdent tous de combinaisons données par le triangle équilatéral. Voici (8) l'une de ces fenêtres.
Il est entendu qu'à dater du milieu du XIII siècle les compartiments des meneaux sont tracés en prenant les axes des colonnettes ou boudins. Soient donc aa' les axes de ces colonnettes dont la section est donnée en A, avec ses décompositions en membres secondaires et tertiaires; la ligne b étant l'axe du membre secondaire et celle c l'axe du membre tertiaire. La naissance du formeret étant en B, sur la ligne de base BB' on élève le triangle équilatéral BB'C. Les points BB' sont les centres des arcs principaux BC, B'C. Du même point B' et du point D, prenant BD comme rayon, nous décrivons les deux arcs B'e, De; du point e comme centre, nous décrivons le troisième arc DB', mais en diminuant le rayon de la distance qu'il y a entre les deux axes A et b. Il est clair que le centre e se trouve sur le côté B'C du grand triangle équilatéral. Prenant les points e et C comme centres, nous traçons le triangle équilatéral curviligne supérieur. Du point f de rencontre de l'arc de base avec l'axe de la fenêtre et prenant toujours la distance aa' comme rayon, nous obtenons les points de rencontre g qui sont les centres de l'arc brisé milieu fg. Ce sont là les axes des membres principaux du compartiment, ceux dont la section est la plus forte, celle A. Il s'agit maintenant de tracer les compartiments dont la section est donnée sur l'axe b secondaire. Prenant les points Ce comme centres, et ayant divisé l'arc Ce en deux parties égales, les longueurs ei, Ci, nous donnent les rayons des trois arcs formant le riangle curviligne concave à l'intérieur du triangle curviligne convexe supérieur. Ayant élevé les deux verticales ll' à une distance des axes aa' égale à la distance existant entre le grand axe A et l'axe secondaire b, du point n, prenant la distance ll' comme rayon, nous obtenons les points oo' qui sont les centres des arcs inférieurs on, o'n. Toujours en observant la distance entre les deux axes A et b de la section, nous traçons le trèfle milieu dont les centres sont posés aux angles d'un triangle équilatéral; puis, sur la ligne de niveau oo' prolongée, nous élevons l'arc brisé central inférieur tangent aux lobes du trèfle. Tous ces membres appartiennent à la section secondaire dont l'axe est en b. Les redents, les petits trèfles et les subdivisions tracées en P appartiennent à la section tertiaire c. En R est représentée la moitié des meneaux avec tous leurs membres, suivant l'épaisseur de chaque section, obtenus en portant à droite et à gauche des axes les demi-épaisseurs de ces sections. En S, nous figurons un des chapiteaux s des meneaux, et en T les goujons qui traversent les barres de fer placées à la naissance des claires-voies et qui sont destinés à maintenir dans leur plan et les colonnettes verticales et les compartiments. Ces scellements de goujons et tous les joints d'appareils sont coulés en plomb, précaution devenue nécessaire du jour où l'on avait réduit la section des meneaux à une très-petite surface. Si l'on veut apporter quelque attention à la disposition de cet appareil, on remarquera que les vides laissés au milieu des morceaux d'une grande dimension sont étrésillonnés par ces subdivisions de trèfles et de redents qui ajoutent à la solidité de ces claires-voies. Ces architectes de l'école gothique française sont de terribles logiciens, et la composition des meneaux de leurs grandes baies en est une nouvelle preuve.
Ainsi, par exemple, ces redents H que nous voyons apparaître vers le milieu du XIIIe siècle dans l'Île-de-France et d'abord à la Sainte-Chapelle de Paris, ces redents considérés comme une décoration, un agrément, sont primitivement indiqués par un besoin de solidité. Chaque fois qu'un inconvénient résultait d'une forme adoptée, on cherchait et on trouvait aussitôt un moyen d'y remédier, et ce moyen devenait un motif de décoration. On voit dans la figure 8 que la branche K est isolée et que le moindre tassement, qu'une pression inégale pourrait la briser en L; or, cette branche est consolidée au moyen du redent P formant lien en potence au-dessous. Il est clair que les trèfles X, inscrits dans les triangles évidés des plus grands morceaux de l'appareil, donnent une grande force aux branches de ces triangles. De même les redents M des branches des triangles curvilignes supérieurs et ceux N des trois étrésillons droits ajoutent singulièrement à la résistance de ces parties d'appareil. On ne fait pas autre chose aujourd'hui lorsqu'on veut donner une plus grande résistance à des pièces de fonte de fer, par exemple, sans augmenter sensiblement leur poids; mais il est vrai que l'on veut considérer ces moyens comme des innovations dues à la science moderne.
On nous permettra, tout en rendant justice à notre temps, de restituer cependant à chaque époque ce qui lui revient de fait; on est bien forcé, quand on veut étudier avec attention la composition de ces claires-voies de pierre adoptées par l'école laïque du moyen âge, de reconnaître que ces claires-voies, occupant des surfaces considérables relativement à celles données par les modes d'architecture antérieurs et modernes, sont tracées, combinées et appareillées de manière à présenter le moins de pleins et à offrir la plus grande résistance possible. Par le tracé des nerfs principaux et des coupes des joints, toutes les pesanteurs sont reportées sur les meneaux verticaux, mais principalement sur les jambages; quant aux panneaux ajourés, ils sont rendus presque aussi rigides que des dalles pleines au moyen de ces étrésillonnements tertiaires tels que les trèfles et les redents. Il fallait que ces combinaisons fussent assez bonnes, puisque la plupart de nos grands édifices gothiques ont conservé leurs meneaux, et que quand ils ont souffert des dégradations, il est facile de les restaurer ou de les remplacer comme on remplace un châssis de fer ou de menuiserie. Les meneaux de pierre ont même cet avantage qu'ils peuvent être réparés en partie s'il s'est fait quelques brisures, tandis qu'un châssis de bois ou de fer, une fois altéré, doit être refait à neuf.
Ajoutons que ces meneaux de pierre supportent des vitraux d'un poids énorme et les armatures de fer destinées à les attacher. Ne considérant ces membres d'architecture qu'au point de vue de l'effet qu'ils produisent, ils nous paraissent former des dessins d'un aspect agréable, rassurants pour l'oeil et heureusement composés. C'est dans l'Île-de-France qu'il faut toujours aller chercher les meilleurs exemples de cette architecture au moment où elle se développe pour arriver aux formules. On trouve au sein de cette école, la plus pure et la plus classique de l'art du moyen âge, une sobriété, une application de principes vrais, obtenue à l'aide des méthodes les plus simples, une délicatesse dans les proportions, dans le choix des profils qui laissent au second rang les oeuvres des autres provinces 200.
Nous donnons (9) une des fenêtres des chapelles du choeur de Notre-Dame de Paris, élevées en même temps que le choeur de l'église de Saint-Nazaire de Carcassonne, c'est-à-dire vers 1320.
On voit ici l'absence de toute combinaison compliquée, c'est toujours le dessin des meneaux des fenêtres de la Sainte Chapelle du Palais, mais allégé. Ces fenêtres se divisent encore en quatre travées au moyen d'un meneau central dont la section est donnée par l'axe A, et de deux meneaux secondaires dont la section dérivée de la principale est donnée par l'axe b. Soient a et a' les axes de la section principale A. Du point B, prenant a'a'' comme rayon, on décrit l'arc concentrique au formeret CB. Donc, BC est le côté d'un triangle équilatéral. De ce même point B et du point I, milieu de la base du triangle, prenant BI comme rayon, nous traçons les arcs BE. Or, BE est égal à EC. On trace le cercle supérieur tangent aux arcs BC,IE. Tels sont les axes des membres principaux, ceux dont la section est donnée par le profil dont l'axe est A. Reportant en dedans de la fenêtre et des points aa' une distance égale à la distance qu'il y a entre les axes A et b, en ee' et divisant la ligne de base ee' en deux parties égales, prenant ef comme rayon, nous traçons les arcs inférieurs efg, fe'g', puis nous traçons le sous-arc secondaire concentrique à l'arc brisé IBE. Nous inscrivons un second cercle dont le centre est en F, tangent aux deux arcs inférieurs et à l'arc secondaire IBE. Prenant à l'intérieur de ce cercle et des arcs inférieurs une distance égale à la distance qu'il y a entre l'axe b de la section secondaire et l'axe c de la section tertiaire, nous traçons les axes des redents.
L'épure de ces meneaux est donc facile à faire, la composition est heureuse, claire, solide et d'un appareil solide, ainsi qu'on peut le voir en G. En K est donnée la section du pied-droit h, portant le formeret de la voûte formant archivolte à l'extérieur. En L est donné le profil de l'appui dont l'extérieur est en l avec la pénétration des bases. Le tracé m donne la projection horizontale des tailloirs des chapiteaux, celui n la projection horizontale des bases. C'est ici que la fonction des redents est évidente. Ces redents i donnent une grande force supplémentaire aux branches principales et secondaires des arcs, et on voit comme ils sont adroitement disposés pour ne pas gêner les coupes des joints. Le meneau central et les deux meneaux secondaires verticaux sont d'un seul morceau chacun; quant à la claire-voie supérieure, elle se compose seulement de quinze morceaux, et cependant ces fenêtres ont 4m,00 de largeur sur 4m,50 environ de hauteur sous clef, dans oeuvre.
Une fois le principe logique admis dans la construction des meneaux comme dans les autres membres de l'architecture gothique, les architectes ne s'arrêtent pas. Bientôt ils renoncent totalement aux sections génératrice, secondaire et tertiaire; ils adoptent une seule section pour tous les membres des meneaux, sauf les redents qui prennent moins de champ. Vers la fin du XIVe siècle on cherche déjà même à éviter les arcs brisés. Les meneaux ne se composent que de courbes et de contre-courbes, de manière à ne former plus qu'un réseau d'une résistance uniforme. En théorie cela était logique; en pratique, ces formes étaient d'un aspect moins satisfaisant.
Pour ne pas charger cet article, déjà très-étendu, d'un trop grand nombre d'exemples, nous allons étudier les meneaux adoptés au XVe siècle, et dans la composition desquels on aperçoit cette tendance des constructeurs de cette époque de ne plus tenir compte que de la logique, souvent aux dépens du style et de la simplicité apparente.
Alors, dans la composition des meneaux, les architectes cherchent à résumer toutes les forces et pesanteurs en une pression verticale. Soit (10) une de ces fenêtres du XVe siècle 201. La section des trois meneaux de ces fenêtres est la même (voir le détail A), elle se reproduit également dans la claire-voie; les redents seuls ont moins de champ et prennent la section B. Au moyen des grandes contre-courbes des deux divisions principales, les pesanteurs sont amenées sur le meneau central C et sur les jambages D. Une partie de ces pesanteurs est même déviée sur les meneaux intermédiaires E par les courbes renversées a et par celles b. Les combinaisons de ces courbes et contre-courbes font assez connaître le but que s'est proposé d'atteindre le constructeur, savoir: une claire-voie formant un réseau dont les mailles se résolvent en des pressions verticales, un système d'étrésillonnement général et des renforts à tous les points faibles donnés par les redents. On comprend, par exemple, que la corne c se briserait sous la moindre pression, si elle n'était renforcée par le redent d. Les barres e destinées à maintenir les panneaux des vitraux viennent encore ajouter un étrésillonnement à celui donné par la combinaison de la claire-voie de pierre.
Si l'on veut examiner ces meneaux avec attention, on reconnaîtra que tous les points faibles, ceux qui doivent subir les plus fortes pressions, sont étayés ou étrésillonnés par des courbes qui tendent à rendre tous les membres solidaires; que ces courbes sont tracées en raison de la véritable direction des pressions, de manière à décomposer celles qui sont obliques et à les ramener à des pesanteurs agissant verticalement; que les joints d'appareil sont coupés perpendiculairement à la direction de ces pressions, afin d'éviter les joints maigres, sujets à glisser ou à causer des brisures. Nous n'avons pas pour ce genre d'architecture un goût bien vif, mais il nous est impossible de ne pas reconnaître là l'oeuvre de constructeurs très-expérimentés, très-savants, logiques jusqu'à l'excès et chez lesquels la fantaisie ou le hasard n'avait pas de prise. Quand l'abus d'un principe conduit à de pareilles conceptions, il faut déplorer l'abus, mais il faut équitablement constater la valeur du principe et tâcher d'en tirer profit en évitant ses excès. Ces gens-là connaissaient à fond les ressources de leur art, ne faisaient toute chose que guidés par leur raison. Il ne nous appartient pas aujourd'hui de leur jeter la pierre, nous qui, possesseurs de matériaux variés et excellents, ne savons pas en tirer parti, et qui montrons notre insuffisance lorsqu'il s'agit de combinaisons de ce genre en architecture. Dans ce dernier exemple, les meneaux verticaux sont d'une seule pièce chacun, de l'appui à la naissance des courbes. La barre G traverse la tête de ces meneaux et maintient les sommiers de la claire-voie au moyen de goujons en os 202. Quant aux barres H, ce sont des barlotières simplement engagées d'un centimètre ou deux dans les montants. Des vergettes maintenaient les panneaux des vitraux engagés dans les feuillures I. Les barres et barlotières, ainsi que les tringles e, sont garnies de pitons et de clavettes. Les architectes du XVe siècle se fiaient si bien à la combinaison de leurs meneaux qu'ils les taillèrent souvent dans de la pierre demi-dure, dans du banc royal, par exemple. Il faut dire aussi qu'ils leur donnaient une section relativement plus forte que celle adoptée pour les meneaux du XIVe siècle, qui sont toujours les plus délicats. Ces compartiments de meneaux furent conservés jusque vers le milieu du XVIe siècle. Cependant, à l'époque de la Renaissance, quelques tentatives furent faites pour mettre les meneaux en harmonie avec les nouvelles formes de l'architecture en vogue à cette époque. Témoin certains des meneaux de l'église de la Ferté-Bernard, qui présentent le plus singulier mélange des traditions du moyen âge et de réminiscences de l'antiquité romaine. On croirait voir des arabesques de Pompéii exécutées en pierre.
Voici (11)l'une de ces combinaisons. La fenêtre est divisée par deux meneaux verticaux G, son axe étant en M. L'appareilleur n'a pas ici cherché des coupes savantes pour assembler les morceaux de la claire-voie. Celle-ci ne se compose réellement que de trois linteaux ajourés, superposés, dont on voit les lits en LL'L'', les branches d'arcs O faisant partie de ces linteaux. On reconnaît encore cependant que l'architecte, par la disposition des arabesques, a voulu donner de la résistance aux points faibles des évidements. Les figurines, les enroulements n'existent qu'en dehors du vitrial, les panneaux de verre étant enchâssés dans les compartiments principaux. La colonnette K même ne porte que la demi-épaisseur des meneaux et n'existe que du côté du dehors. En A est tracée la section sur ab et en B la section sur cd. La partie la plus délicate de cette claire-voie n'est guère qu'une décoration extérieure qui ne maintient en aucune façon les panneaux de verre, mais qui cependant donne un peu plus de solidité à l'ouvrage. Ces meneaux produisent un assez bon effet et sont exécutés avec une finesse et une perfection remarquables. Les soffites rampants sous les corniches et frontons sont ornés de gravures délicates. Le système de linteaux ou d'assises ajourés adoptés ici ne pouvait convenir qu'à des fenêtres assez étroites, puisqu'il interdisait les joints verticaux. Dans la même église, les claires-voies des fenêtres ayant trois meneaux et quatre travées sont combinées dans le genre de celles données précédemment, fig. 10.
Les fenêtres de l'architecture civile possédaient aussi des meneaux, lorsqu'elles étaient d'une trop grande largeur pour qu'il fût possible de ne les fermer qu'avec un seul ventail (voy. FENÊTRE, fig. 29, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 40, 41 et 42). Ces meneaux, jusqu'à la fin du XIIIe siècle, ne consistent habituellement qu'en une colonnette soulageant le linteau. Les architectes déployaient un certain luxe de sculpture dans les meneaux de palais et quelquefois même ornaient leurs fûts de figures, en manière de cariatides.
Nous avons retrouvé à Sens un très-beau meneau de ce genre qui date du XIIe siècle (12) 203. La statuette adossée à la colonne à section octogonale formant le corps du meneau représente la Géométrie ou l'Architecture; elle tient un grand compas d'appareilleur. En A est tracée la section du meneau faite sur ab, et en B le côté du meneau avec le renfort postérieur destiné à recevoir les targettes. Dans la section A, nous n'avons pas indiqué par des hachures la coupe de la figure afin de laisser voir celle de la colonnette dans le fût de laquelle s'engage la statue. Sur la partie inférieure des meneaux des fenêtres hautes de la cathédrale de Nevers, à l'extérieur, on remarque aussi des statuettes adossées aux fûts des colonnettes centrales.
À l'époque de la Renaissance, on voit aussi des meneaux en forme de cariatides, ou de gaînes surmontées de bustes. Ce ne fut guère que sous le règne de Louis XIV que l'on renonça définitivement aux meneaux; on les employait encore au commencement du XVIIe siècle pour maintenir les fermetures des baies de croisées. Les fenêtres intérieures de la cour du Louvre étaient originairement garnies de meneaux d'un aspect monumental qui donnait de l'échelle à ces grandes ouvertures. Ces meneaux sont remplacés aujourd'hui par des montants en bois avec impostes également en bois, qui ne sont guère en harmonie avec l'édifice, qu'il faut repeindre tous les dix ans et refaire à neuf lorsqu'ils viennent à pourrir, c'est-à-dire deux ou trois fois par siècle. Cela est, dit-on, plus conforme aux règles de la bonne architecture; pourquoi? Nous serions fort embarrassés de le dire.
Note 199: (retour) Il n'est pas besoin ici de rappeler combien de fois, à Paris même, nous avons vu depuis peu défaire et refaire sur les monuments eux-mêmes; c'est une manière de chercher le bien ou le mieux quelque peu dispendieuse. Jadis on l'essayait sur le papier; mais, une fois l'exécution commencée, toutes les parties se tenaient, étaient solidaires, et ne pouvaient ainsi être changées sans qu'il fût possible de donner des raisons sérieuses de ces changements.
Note 202: (retour) À dater du XVe siècle, les constructeurs qui avaient eu l'occasion de constater combien les goujons en fer, en gonflant par suite de l'oxydation, étaient préjudiciables aux travaux de pierre et les faisaient éclater, remplacèrent ces goujons de métal par des goujons en os de mouton ou en corne de cerf. Ces derniers ont conservé toute leur dureté.
MENUISERIE, s. f. (Hucherie, huisserie, menuisiers, scieurs d'aiz, manhuissiers). Si les populations du Nord sont particulièrement aptes à faire des ouvrages de charpenterie, elles ne sont pas moins habiles à donner aux bois ces formes à la fois délicates, légères et solides qui constituent la menuiserie. L'art de la menuiserie n'est d'ailleurs qu'une branche, qu'un dérivé de l'art des charpentiers dans les premiers siècles du moyen âge; les moyens d'exécution sont les mêmes.
L'art de la menuiserie se distingue nettement de l'art de la charpenterie, lorsque l'on commence à employer pour le débitage, la coupe et le polissage des bois, des outils très-perfectionnés. L'invention de la scie remonte à une haute antiquité; les anciens connaissaient le rabot ou la demi-varlope et la varlope. Cependant, jusqu'au XIIIe siècle, on employait souvent, pour la menuiserie, des bois refendus (merrain), travaillés au ciseau et à la gouge sans le secours du rabot.
Il ne nous reste qu'un bien petit nombre d'objets de menuiserie antérieurs au XIIIe siècle, et ces fragments ressemblent beaucoup, pour la combinaison des assemblages, à des oeuvres de charpenterie exécutées sur une petite échelle. Mais à dater du XIIIe siècle, l'art de la menuiserie prend un grand essor, possède ses règles particulières et arrive à un degré de perfection remarquable. Les ouvrages de menuiserie qui nous restent des XIVe et XVe siècles sont souvent des chefs-d'oeuvre de combinaison, de coupe et de trait. Les traditions de cet art, conservées jusqu'au XVIIe siècle, résultent: 1º d'une parfaite connaissance des bois; 2º d'un principe de tracé savant; 3º d'un emploi judicieux de la matière, en raison de ses qualités propres.
Comme dans tout système de construction, dans la menuiserie, la matière employée doit commander les procédés d'assemblages et imposer les formes; or, le bois est une matière qui possède des propriétés particulières dont il faut tenir compte dans la combinaison des oeuvres de menuiserie comme dans la combinaison des oeuvres de charpente; les artisans du moyen âge ne se sont pas écartés de ce principe vrai. La connaissance des bois est une des conditions imposées au menuisier; cette connaissance étant acquise, faut-il encore savoir les employer en raison de leur texture et de leur force. Le bois qui se prête le mieux aux ouvrages de menuiserie est le chêne, à cause de sa rigidité, de la finesse de ses fibres, de sa dureté égale, de sa durée et de sa beauté. Aussi, pendant le moyen âge, en France du moins, le chêne a-t-il été exclusivement employé dans la menuiserie de bâtiment.
Pour être employé dans la menuiserie, le chêne, doit être parfaitement sec, c'est-à-dire débité depuis au moins six ans. Si nous examinons les ouvrages de menuiserie des XIIIe, XIVe et XVe siècles, nous observons, en effet, que les bois n'ont point joué, qu'ils sont restés dans leurs assemblages et qu'ils ne présentent pas de gerces. Ces bois, une fois débités, étaient d'abord laissés dans des lieux humides et même dans l'eau, puis empilés à claires-voies sous des abris secs, retournés souvent et quelquefois soumis à l'action de la fumée 204.
Les menuisiers du moyen âge n'employaient pas les bois trop vieux qui sont sujets à se gercer et à se piquer. Ils faisaient débiter des chênes de deux cents à trois cents ans, c'est-à-dire des troncs, dont le diamètre, à 3m,00 au-dessus du sol, aubier déduit, varie de 0m,70 à 1m,00. Ces troncs étaient sciés en quatre dans la longueur à angle droit; chaque quart était débité suivant diverses méthodes, mais toujours en tenant compte, autant que possible, de la texture du bois.
Un tronc de chêne qu'on laisse desséché se gerce conformément à la figure A (O), ce qui est facile à expliquer. Les couches concentriques sont d'autant plus dures et compactes qu'elles se rapprochent du centre, d'autant plus poreuses qu'elles se rapprochent de la circonférence. Ces couches contiennent donc d'autant plus d'eau qu'elles ont un plus grand rayon. Lorsque le bois se dessèche, les couches extérieures prennent un retrait plus considérable que celles intérieures; il en résulte des fentes ou gerces, tendant toutes au coeur du tronc. Si le débitage du bois est fait, sans tenir compte de cet effet de la dessiccation, les planches débitées se gercent ou se contournent; elles sont sensibles à toutes les variations de la température. Si, au contraire, ce débitage est fait en raison de la direction naturelle des gerces, les planches se rétrécissent dans leur largeur, mais ne peuvent ni se fendre ni cartiner, c'est-à-dire se courber dans le sens de leur sciage. Le chêne est formé d'une succession de couches comme tous les bois, mais ces couches sont réunies par des espèces de chevilles naturelles qui les rendent solidaires; ces chevilles, qu'on nomme mailles, tendent au centre du tronc. Si donc le débitage est fait comme l'indique le tracé sur le quart B, il est fait dans les meilleures conditions; c'est ce qu'on appelle le débitage sur maille (parallèlement aux mailles). Ce débitage est long et laisse tomber beaucoup de triangles qui ne sont que des chanlattes. Le meilleur débitage après celui-ci est le débitage tracé sur le quart D, puis celui tracé sur le quart E. Quant aux madriers et membrures, le débitage le plus économique est celui tracé en F. Les mailles du chêne donnent non-seulement de la solidité aux planches débitées suivant les rayons du tronc, mais encore présentent des parements d'un aspect soyeux, moiré, qui ajoute beaucoup à la beauté du bois. Les chênes débités sur maille sont donc les meilleurs pour la menuiserie 205.
Bien que les menuisiers employassent la colle de peau et la colle de fromage, cependant la solidité de l'oeuvre dépendait avant tout de la disposition des assemblages à queue d'hironde, ou chevillés.
Pour joindre des ais, on ne se servit qu'assez tard (vers le XVe siècle) des rainures ou languettes. On les réunit au moyen de queues d'hirondes entaillées à mi-bois (1), ainsi qu'on le voit en A; ou de barres embrévées et chevillées, B; ou de barres-à-queues entièrement embrévées, C; ou de prisonniers D; en bois dur ou même en fer. Ce sont là des combinaisons élémentaires qui ont dû être appliquées de tout temps. En effet, des ouvrages de bois de l'antiquité égyptienne sont façonnés d'après ces procédés.
Sur les rives des ais, on interposait une couche de colle de fromage qui faisait adhérer les planches ou les madriers entre eux. Au moyen d'un racloir de fer recourbé, on polissait la face vue et on la recouvrait de peinture, ou on l'intaillait à une faible profondeur en réservant des ornements ou des figures. C'est d'après ce procédé que sont faites les portes en pin de la cathédrale du Puy-en-Vélay qui remontent au XIe siècle. Ces ornements, légèrement découpés en relief, étaient eux-mêmes, ainsi que les fonds, recouverts de peintures sur une impression d'oxyde de plomb (minium) 206.
Deux conditions principales semblent avoir été imposées aux oeuvres de menuiserie du moyen âge: économie de la matière, et la plus grande force possible laissée au bois au droit des assemblages.--Économie de la matière, en ce que les renforts sont évités du moment qu'ils ne peuvent être compris dans une pièce équarrie; en ce que les panneaux, par exemple, n'ont jamais que la largeur d'une planche, c'est-à-dire 0m,22 au plus, 8 pouces; les montants et traverses, 0m,08, 3 pouces au plus, pour les ouvrages ordinaires.--Plus grande force possible laissée au bois là où il porte assemblage, en ce que les chanfreins, élégissements et moulures s'arrêtent dès qu'un assemblage est nécessaire. L'observation de ces deux conditions donne un caractère particulier à la menuiserie. Si la matière est économisée, si elle est employée en raison de ses qualités, la main-d'oeuvre est prodiguée, comme pour faire ressortir les précieuses propriétés du bois; car il ne faut pas oublier que pendant le moyen âge la main-d'oeuvre est toujours en raison de la valeur de la matière; elle lui est supérieure, mais dans une proportion relative.
Les menuisiers du moyen âge tiennent compte de la valeur du bois, comme les appareilleurs tiennent compte de la valeur de la pierre. Il y a là une idée juste, un principe vrai et un sentiment de l'économie qui imposent l'attention et l'étude, sans nuire à l'art, car c'est de l'art. Ces artisans pensaient qu'une matière aussi précieuse que le bois, qui vient lentement et demande des préparations longues pour être définitivement mise en oeuvre, mérite qu'on ne la prodigue pas et qu'on donne l'idée de sa valeur par le soin avec lequel on la travaille. Ces artisans ne donnaient pas à la menuiserie de pin, de mélèze ou de sapin, les formes que permet l'emploi du chêne ou du noyer. Observant les qualités particulières aux diverses essences, ils tenaient à la légèreté jointe à la solidité; ce qui est la première loi de la menuiserie, ainsi que nous l'avons dit déjà. Jamais, par conséquent, il ne leur serait venu à la pensée de simuler en menuiserie des formes convenables pour de la pierre; jamais ils n'appliquaient à la menuiserie de grandes courbes qui exigent un déchet considérable et forcent de couper le bois à contre-fil. Toutes leurs combinaisons partent de la ligne droite, au moins pour les membrures. L'étude de cet art, si fort détourné de sa voie aujourd'hui, est donc intéressante; car avec un système de structure très-restreint, des dimensions qui se renferment dans les forces de bois débités uniformément, ces artisans sont parvenus à trouver les combinaisons les plus variées et les plus ingénieuses sans être arrêtés jamais par les difficultés que pouvaient présenter ces combinaisons.
Il nous faut classer les ouvrages de menuiserie par natures, afin de mettre de l'ordre dans cet article. Nous commencerons par les plus simples en principe, par les claires-voies, les assemblages de bois d'égale force, présentant des clôtures à jour sur un seul plan, des grillages en un mot.
CLÔTURES, CLAIRES-VOIES, CLOTETS, LAMBRIS.--Voici (2) une de ces grilles de bois comme on en voit encore dans la cathédrale de Bâle et dans quelques églises des provinces de l'Est. D'un simple treillis de chevrons assemblés à mi-bois, le menuisier arrivait à façonner une clôture d'une aspect monumental. Le principe émis ci-dessus, et qui consiste à laisser au bois toute sa force au droit des assemblages, est scrupuleusement observé; mais entre ces assemblages, au droit des vides, l'ouvrier a pratiqué des élégissements qui forment une décoration et enlèvent à cette combinaison si simple l'apparence grossière qu'elle aurait si les bois eussent conservé leur équarrissage 207.
Voici encore (3) un exemple d'un grillage formant lambris plein. Les montants et les traverses sont de même, assemblés à mi-bois, élégis entre les assemblages. Les vides carrés laissés entre le grillage sont remplis par des petits panneaux simplement engagés dans une feuillure comme des tablettes dans un cadre (voir la section A) 208.
Ces sortes de grilles en bois étaient fort en usage au moyen âge dans les châteaux et les maisons; souvent les grandes salles étaient divisées par des claires-voies de ce genre, mobiles, que l'on plaçait lorsque l'on voulait obtenir des divisions provisoires. En hiver, des tapisseries étaient suspendues à ces claires-voies; en été, elles restaient à jour. Ces divisions mobiles, appelées clotets, étaient souvent fort richement décorées, possédant des panneaux à jour et formées d'entrelacs, de membrures ingénieusement assemblés, toujours à mi-bois. Car, ne l'oublions pas, le caractère dominant de la menuiserie française au moyen âge, c'est d'être assemblée, de conserver une structure logique en concordance parfaite avec la forme. Il existe en Italie, en Espagne, en Orient même, des ouvrages de menuiserie d'un aspect saisissant, qui séduisent par leur excessive richesse et leur combinaison compliquée; mais lorsque l'on examine attentivement la structure de ces ouvrages, on s'aperçoit bientôt que cette structure ne concorde nullement avec l'apparence. La légèreté n'est qu'extérieure, la construction est des plus grossières; ce sont, par exemple,--ainsi que cela se voit dans la menuiserie arabe de l'Espagne,--des placages de moulures coupées d'onglet et clouées sur des fonds de madriers rangés à côté les uns des autres plutôt qu'assemblés; ce sont des collages de bois découpés, rapportés les uns sur les autres, suivant un charmant dessin, mais sans que cette décoration s'accorde en rien avec la structure vraie; ce sont encore,--ainsi qu'on peut l'observer dans certaines oeuvres de menuiserie de l'Italie et même de l'Allemagne du moyen âge,--de véritables billes de bois réunies par des prisonniers, à travers lesquelles passent des moulures, des bas-reliefs, des ornements, coupés en pleine masse comme dans un bloc de marbre. Les moulures sont taillées à contre-fil, les joints tombent au milieu d'un relief, peu importe. Entre l'emploi de la matière et la façon de la décorer, il n'y a nulle harmonie, nulle entente; le menuisier et l'artiste sont deux hommes qui travaillent l'un après l'autre séparément. Le menuisier n'est qu'un assembleur de blocs; l'artiste, qu'un sculpteur ne se préoccupant pas de la nature de la matière qu'on lui fournit. À coup sûr, ces oeuvres peuvent être fort belles au point de vue de l'art du sculpteur, mais on ne saurait les considérer comme de la menuiserie. Pourquoi faut-il que nous en soyons venus au point d'expliquer ainsi et de revendiquer ces qualités si bien françaises? Pourquoi sont-elles méconnues, oubliées?... Ces ouvrages de bois des Arabes, des Orientaux, ont au moins conservé la forme traditionnelle de la véritable menuiserie, et si les artisans n'en comprennent pas et n'en savent plus appliquer la structure, du moins ils en ont respecté l'apparence; mais on n'en saurait dire autant de la menuiserie italienne, non plus que de celle que l'on fait en France depuis le XVIIe siècle par imitation et, contrairement à notre esprit, éminemment logique 209.
Voici (4) une de ces clôtures en bois de sapin comme on en voit encore dans les provinces de l'Est et sur des vignettes de manuscrits ou peintures du XVe siècle 210. Le système se compose de tringles de sapin de 18 lignes d'équarrissage (0m,04). Sur les montants A, s'assemblent à mi-bois les écharpes B. Sur celles-ci, les écharpes C, D et E; sur ces derniers, les montants F, toujours à mi-bois. Tout l'ouvrage est maintenu entre un châssis G, H, I, fait de chevrons de 3 pouces d'épaisseur (0m,08) sur 3 pouces et demi (0m,095). Au droit de chaque assemblage à mi-bois, est une cheville en fer doux K, munie de deux rondelles et rivée. Sur les faces de chaque hexagone, les arêtes sont chanfreinées, ainsi que l'indique le détail L, et dans les triangles à jour M, les arêtes des tringles sont également entaillées de manière à former des étoiles à six pointes, composées de deux triangles équilatéraux se pénétrant. On observe ici que, si le principe est simple, si la matière est commune, la main-d'oeuvre prend une certaine importance. En N, nous avons présenté une coupe de la clôture faite sur ab, et en P un détail perspectif du morceau O désassemblé. Il est inutile de faire remarquer la solidité et la parfaite rigidité de ce léger treillis, dont l'effet est très-brillant. Ces sortes d'ouvrages de menuiserie étaient presque toujours peints de couleurs claires, rehaussées de filets bruns ou noirs. Ainsi, dans l'exemple que nous donnons ici, les fonds étaient blancs, les chanfreins des hexagones brun rouge, ainsi que les trois biseaux des étoiles; celles-ci étaient en outre bordées d'un mince filet noir. Les rondelles et rivets en fer étaient également peints en noir.
Nous pourrions multiplier ces exemples, mais les personnes du métier sentiront tout le parti qu'on peut tirer de ces combinaisons sans qu'il soit nécessaire d'insister.
Il y a, dans la menuiserie française du XIVe siècle, certains ouvrages qui ont bien quelque ressemblance avec les oeuvres des Orientaux mentionnées ci-dessus, mais dont la structure cependant est mieux raisonnée. Ces clôtures, ces barrières, ces lambris étaient simplement formés de planches posées jointives, embrévées dans un bâti; pour empêcher les planches de gauchir, de coffiner, autant que pour décorer les surfaces planes, au moins d'un côté, le menuisier rapportait par-dessus un treillis de bois légers assemblés à mi-bois et formant des combinaisons géométriques plus ou moins compliquées. La surface plane des planches était même souvent sculptée en faible relief (puisque la sculpture était obtenue aux dépens de l'épaisseur de ces planches) entre les compartiments formés par les treillis.
Voici (5) un exemple de ces ouvrages de menuiserie. Les joints des planches, d'une largeur d'un pied (0m,32), sont marqués sur notre dessin. Le treillis assemblé à ses extrémités dans les membrures du bâti, ainsi qu'il est indiqué en a (voir le détail A), est cloué, à chaque rencontre, sur les planches du fond, et forme ainsi une surface parfaitement rigide qui empêche le gauchissement de ce fond. Ce treillis est assemblé à mi-bois avec coupes d'onglet au droit des moulures, ainsi qu'on le voit en b. La coupé C donne en c l'épaisseur de la planche et en d celle du treillis 211. Une claire-voie, composée de colonnettes tournées, surmontait l'appui D; de distance en distance, des montants E maintenaient le tout. En F, nous donnons le profil de la traverse supérieure f; en G, le profil de l'appui g et en H, le profil de la traverse basse h. Nous verrons tout à l'heure des vantaux d'une porte de l'église de Gannat, combinés d'après le même principe.
On comprendra comment les tringles de bois, rapportées sur ces planches et se coupant dans tous les sens, devaient les maintenir dans leur plan. Ce système, toutefois, est exceptionnel dans les oeuvres de menuiserie du moyen âge en ce que nous n'y trouvons pas les panneaux embrévés, mais un fond simple sur lequel est cloué un réseau de bois; ce réseau n'est pas seulement une décoration rapportée, il est composé de pièces assemblées et se tient de lui-même. Dès le XIIIe siècle, on avait façonné en France des ouvrages de menuiserie où le système des panneaux embrévés en feuillures est adopté; mais les languettes et feuillures sont généralement alors à grain d'orge.
Nous donnons (6) un de ces panneaux, présenté de face en A, en coupe en B, et en section horizontale en B'. Ce système mérite quelque attention. Un lambris se compose de montants et de traverses, entre lesquels sont embrévés des panneaux. Les montants de rive, ceux qui forment les extrémités du lambris, reçoivent les traverses à tenons et mortaises; tandis que les montants intermédiaires s'assemblent dans les traverses. En C, on voit un montant d'extrémité; en D, un montant intermédiaire. Dans ce cas, la moulure E de la traverse est poussée sans tenir compte des assemblages. Puis, lorsqu'il s'agit de faire les assemblages des montants intermédiaires, la moulure est enlevée, ainsi qu'il est indiqué en F. Dès lors, cette moulure vient battre contre la tête des montants. Ceux-ci ne sont chanfreinés ou moulurés que dans leur partie libre; les chanfreins ou moulures s'arrêtent en G par un congé, pour laisser au montant toute sa force au droit des assemblages et pour éviter les joints d'onglet toujours défectueux. Les panneaux H sont embrévés à grain d'orge, suivant la section I; s'ils sont amincis sur leurs quatre rives pour entrer en feuillure, ils conservent toute leur force au centre, comme le marque la section B' en K. Ces panneaux sont libres dans leurs feuillures; ils peuvent se rétrécir sans inconvénients. Les montants et traverses étant assemblés carrément, le jeu que donne la dessiccation des bois n'apparaît pas dans les joints, ainsi qu'il arrive toujours avec le procédé des onglets. Tout le système se rétrécit ensemble. Nous donnons en L divers modes d'assemblages des montants avec les traverses des lambris. En M, ce sont les montants dont la moulure est poussée, sans tenir compte de l'assemblage, et ce sont les traverses qui portent des arrêts m au droit de chacun de ces assemblages. En N, les montants et traverses ont l'un et l'autre des arrêts au droit des assemblages. En O, de même. En M'N'O', sont tracés les assemblages des montants avec les traverses basses ou plinthes. En M''N''O'', les sections horizontales des panneaux avec les montants.
Lorsque les lambris sont hauts, il est nécessaire de les couper dans leur hauteur par une ou plusieurs traverses intermédiaires qui évitent les panneaux trop longs, toujours portés à gauchir.
Ainsi (7), soit un lambris de cinq pieds de haut (1m,62), on aura d'abord une semelle ou plinthe A, dans laquelle viendra s'embréver la traverse basse B. Sur cette traverse basse s'assembleront les montants C intermédiaires, et elle-même s'assemblera dans les montants extrêmes D. Le même système renversé sera adopté pour la traverse haute F et la corniche E. Mais en G, on assemblera entre chaque montant des traverses à tenons H et mortaises, afin de diminuer, comme nous l'avons dit, la longueur des panneaux. Ceux-ci seront souvent, lorsqu'il s'agit de lambris adossés à des murs, simplement posés en feuillure, ainsi que l'indique la coupe en I, et retenus par quelques pattes. Ces panneaux ne peuvent influer en rien sur la membrure, et s'ils sont faits en bois bien sec, n'ayant que la largeur d'une planche de merrain ou débitée comme nous l'avons marqué au commencement de cet article, tout l'ouvrage subira sans inconvénients les changements de température. Car la question principale, dans les oeuvres de menuiserie, est toujours de laisser au bois la facilité de gonfler ou de se rétrécir sans influer sur les assemblages. Les tenons K des montants passent à travers la traverse haute et la corniche, afin d'empêcher le gauchissement de celle-ci, ce qui ne manque pas d'arriver lorsque ces corniches ou cimaises sont simplement embrévées à languettes dans les traverses hautes. En effet, l'épaisseur de ces corniches ou cimaises étant plus forte que celle de la traverse haute, elles ont assez de puissance, lorsqu'elles gauchissent, pour faire éclater la languette prise dans le bois de fil. Ce système de lambris à panneaux est adopté pendant les XIIIe et XIVe siècles avec des variantes dans les profils. Quant aux assemblages, jusqu'au XVe siècle, ils sont toujours francs, c'est-à-dire pris dans le bois conservant son équarrissage.
L'exemple que nous donnons, figure 7, montre les moulures de toutes les traverses poussées sans arrêts et celles des montants avec arrêts au droit de ces assemblages. Même lorsque la moulure d'encadrement des panneaux se suit sans interruption sur les montants et les traverses, ainsi que cela est souvent pratiqué dans les lambris du XVe siècle, les assemblages d'onglet sont évités. Nous en trouvons un exemple dans l'un des jolis lambris qui tapissent les chapelles de la nef de l'église de Semur-en-Auxois (8).
Les montants et traverses de ces lambris ont 0m,04 d'épaisseur (1 pouce 1/2); on voit que le profil d'encadrement A s'arrondit en quart de cercle pour se continuer le long des montants, mais que les assemblages sont toujours francs, sans onglets. Cette moulure d'encadrement ne se retourne pas sur la traverse intermédiaire B, et celle-ci ne possède que des chanfreins peu prononcés avec arrêts au droit de chaque assemblage. Quant aux panneaux inférieurs, ils sont sans moulures d'encadrement, mais avec des chanfreins comme pour donner plus de solidité à ce soubassement. Une corniche C, dont nous donnons le profil en C', est clouée sur la face de la traverse haute. Dans la frise supérieure D, des panneaux ajourés posés en long allégissent la boiserie. Les panneaux pleins n'ont que 0m,20 de largeur vue (8 pouces, compris les languettes), 0m,01 d'épaisseur aux rives (5 lignes), mais sont renforcés par ces nervures figurant des parchemins pliés. (Voir la section horizontale E, faite au niveau e, et la section F, faite au niveau f.) En G est tracé la coupe verticale des lambris, en H le profil de la traverse A, et en I l'arrêt de la moulure d'encadrement sur les traverses.
Nous donnons (9) plusieurs exemples de ces renforcements de panneaux, figurant des parchemins pliés. L'exemple A montre des petites baguettes ornées, passant derrière ces parchemins.
Dans la menuiserie antérieure au XVe siècle, il était d'usage souvent, surtout pour les meubles, de revêtir les panneaux de peau d'âne ou de toile collée sur le bois au moyen de colle de fromage ou de peau. Lorsque ces boiseries vieillirent, ces revêtements durent quelquefois se décoller en partie des bois déjetés; de là des plis, des bords retournés. Il est à présumer que les menuisiers eurent l'idée de faire de ces accidents un motif d'ornement et un moyen de donner de l'épaisseur aux panneaux, tout en laissant leurs rives et languettes très-minces. De là ces panneaux à parchemins plissés si fort en vogue pendant le XVe siècle et le commencement du XVIe.
Nos ouvriers du moyen âge n'étaient pas seulement d'habiles praticiens, ils étaient observateurs, attentifs à profiter de tout ce que le hasard leur faisait découvrir. Un défaut, un effet du temps sur les matériaux, devenait pour eux motif de perfectionnement ou d'ornement. Aimant leur métier parce qu'il était le produit d'un labeur raisonné et non une vague et inexpliquée tradition d'un art étranger, ils suivaient leur propre génie, trouvant des combinaisons nouvelles dans l'observation journalière de l'atelier sans emprunter au dehors des formes dont le sens n'avait plus pour eux de signification. Les architectes ont depuis longtemps déjà détourné la menuiserie de sa véritable ligne en voulant lui imposer des formes en désaccord avec ses ressources. Pendant les deux derniers siècles on a imité beaucoup de choses à l'aide de la menuiserie, le stuc, le marbre, la pierre, le bronze, des colonnes, des draperies, des corniches saillantes, des arcs, tout, sauf la menuiserie, et cela au nom du grand art classique. Il semblerait, au contraire, que l'art classique consistait à employer le bois, la pierre ou le métal, en raison des propriétés particulières à chacune de ces matières. Ouvrons un traité de menuiserie de ces derniers temps et nous y verrons, quoi? Comment on fait des colonnes corinthiennes, des arcs et des pénétrations de courbes, des culs-de-lampes, des trompes avec des madriers et des planches, afin de simuler en bois des ouvrages de maçonnerie; comment on fait des portes à grands cadres, des consoles et des corniches de 0m,50 de saillie; comment tout cela ne peut tenir qu'avec force équerres, plates-bandes, vis et colle. De sorte que les menuisiers ont fini par ne plus savoir faire de la menuiserie véritable, et que depuis un petit nombre d'années seulement plusieurs d'entre eux ont commencé à rapprendre cet art pratiqué il y a quatre cents ans avec autant de savoir que de goût. Mais c'est toujours dans les contrées du Nord qu'il faut chercher les oeuvres de menuiserie dignes de ce nom. Occupons-nous maintenant des portes, des huis pleins ou à claires-voies, des croisées.
Note 205: (retour) Qualité que nous appelons aujourd'hui chêne de Hollande et qui est encore, en grande partie, fournie par la Champagne. En effet, beaucoup de bois de menuiserie qui nous viennent de la Hollande sont achetés par des marchands hollandais dans les forêts au-dessus de Reims. La manière de débiter nos bois nous rend tributaires des Hollandais. En effet, les Hollandais débitent les bois sur maille, c'est-à-dire qu'ils font faire les sciages, autant que possible, tendant toujours au centre de l'arbre, ainsi que cela se pratiquait au moyen âge et ainsi que le pratiquent encore les fendeurs de merrain. (Voy. à ce sujet le Traité de l'évaluation de la menuiserie par A. Boileau et F. Bellot, Paris, 1847, p. 48 et suiv.; et Hassenfratz, Théorie des bois, Paris, 1804, p. 133.)
Note 206: (retour) Beaucoup de menuiseries anciennes conservent des traces d'une impression au minium, et cette impression a singulièrement contribué à leur conservation. Ce procédé, renouvelé depuis une dizaine d'années par nous-même, donne d'excellents résultats. Aujourd'hui, il est assez généralement adopté. (Voyez, relativement à l'assemblage et au polissage des ais, l'oeuvre du moine Théophile, Diversarum artium schedula, lib, I, cap. XVII.)
Note 209: (retour) Nous avons souvent élé appelé à démonter des oeuvres de menuiserie des XVIIe et XVIIIe siècles. On ne comprend pas comment une sculpture, souvent aussi délicate, une ornementation charmante, s'allie à une structure aussi grossière et peu raisonnée. Les belles stalles de Notre-Dame de Paris, qui datent du commencement du dernier siècle, sont un exemple de cet alliage de moyens barbares masqués sous la plus riche apparence.
HUIS.--Les portes les plus anciennes que nous retrouvons éparses encore dans quelques provinces françaises ne sont pas antérieures au XIe siècle, et il faut dire qu'à cette époque ces ouvrages de menuiserie sont très-grossiers. Ils consistent en une série d'ais simplement jointifs, doublés par d'autres ais disposés de manière à se relier aux premiers par des clous. C'est suivant ce principe que sont disposés des vantaux de portes de la cathédrale du Puy-en-Vélay et un vantail d'une porte de l'église de la Voulte-Chilhac (10).
Du côté intérieur A, cette porte ne présente qu'une suite de planches jointives; à l'extérieur B, d'autres planches posées sur les premières en travers sont clouées et présentent une apparence de panneaux couverts d'ornements plats 212. En C est donnée la coupe de l'huis faite par ab. Cette sorte de menuiserie est tout orientale, comme les ornements qui la décorent. On ne voit là ni assemblages, ni aucune des combinaisons à la fois légères et solides qui constituent les oeuvres de menuiserie. Ce sont des planches clouées les unes sur les autres, et rien de plus. Très-postérieurement à cette époque, on voit encore dans des provinces du centre de la France des huis qui, bien que moins naïvement exécutés, découlent encore du même principe.
Il existe dans l'église de Gannat une porte à deux vantaux (11) 213, dont chaque huis est composé de quatre planches posées jointives; pour les rendre solidaires et les empêcher de gauchir, l'ouvrier a posé en dehors un treillis de bois formant comme des panneaux à peu près carrés. En A, la porte est présentée à l'intérieur. Le détail B donne la moitié d'un vantail du côté extérieur avec son treillis. Le détail C indique le mode d'assemblage des montants et traverses du treillis, la section D étant faite sur a b et la section E sur e f. G présente l'assemblage perspectif des traverses et F la section sur le battement. Un clou à tête carrée en pointe de diamant est fiché au milieu de chaque assemblage et dans les traverses et montants entre chacun de ces assemblages. Ces clous, au droit des joints des planches, ont leurs pointes doubles, rabattues à droite et à gauche, ainsi qu'on le voit en D. Cet ouvrage est solide, puisqu'il est resté en place depuis le XIVe siècle; mais ce n'est pas là une oeuvre de menuiserie comme on en voit à cette époque et même antérieurement dans les provinces du Nord. Les vantaux de cette porte sont serrés au moyen de pentures clouées en dedans, ainsi que l'indique le figuré A. Les planches et le treillis sont en chêne, et le tout est d'ailleurs bien dressé.
La figure 12 nous montre les anciens vantaux de porte de la Sainte-Chapelle haute de Paris. Cet ouvrage de menuiserie datait du milieu du XIIIe siècle comme l'édifice; il était autrefois décoré de peintures à l'extérieur et à l'intérieur. En A, nous présentons un vantail du côté intérieur; en B, du côté extérieur. Le système consiste en une membrure fortement assemblée avec deux montants, trois traverses et des décharges destinées à reporter tout le poids de l'huis sur les gonds. Les traverses sont assemblées dans les montants à queue d'hironde, et les décharges, outre des tenons, possèdent des embrévements qui roidissent l'ouvrage. Devant ce bâti sont clouées des frises assemblées à grain d'orge; puis une décoration en bois mince est clouée sur ces frises à l'extérieur. En C, nous avons indiqué la section des vantaux. Les pentures posées en dedans sur les trois traverses,--nous avons tracé une seule de ces pentures sur la traverse du milieu,--sont doublées en dehors par des plates-bandes en fer mince, ornées de gravures. Ainsi ces traverses se trouvent serrées entre deux bandes de fer, et les clous des pentures intérieures sont rivés extérieurement sur ces bandes de tôle. Des clous à têtes carrées en pointes de diamant très-plates réunissent encore les frises à la membrure. Le gâble avec son tiers-point, ses redents, ses crochets et colonnettes, n'est qu'un placage maintenu au moyen de pointes. Un battement existe à la jonction des deux vantaux avec le trumeau central en pierre et forme comme un petit contre-fort sur la rive du vantail. À l'intérieur, les montants, traverses et décharges sont chanfreinés entre les assemblages et élégissent la membrure. Ces vantaux, très-altérés par des guichets que l'on avait pratiqués à travers les huis et presque entièrement pourris dans leur partie inférieure, ont dû être remplacés lors des restaurations.
L'emploi de ce système de portes est très-fréquent pendant les XIIIe et XIVe siècles. Il est léger, solide et se prête bien à la pose des ferrures de suspension. Les portes de la façade de la cathédrale de Paris, décorées à l'extérieur des belles pentures si connues, sont combinées de la même manière et datent probablement du commencement du XIIIe siècle, car nous ne pensons pas qu'elles aient été refaites. Leur parement extérieur, sous les pentures, était couvert primitivement d'une peinture rouge très-brillante d'un ton laqueux.
La cathédrale de Poitiers possède encore ses vantaux de portes qui datent du commencement du XIVe siècle. Ces oeuvres de menuiserie sont d'un certain intérêt, parce qu'elles servent de transition entre les vantaux composés d'un bâti contre lequel était appliqué un parquet de planches de chêne et les vantaux à panneaux embrévés entre la membrure elle-même. De plus quelques-uns de ces vantaux sont déjà munis de guichets.
La figure 12 bis présente l'un de ces vantaux en A du côté intérieur, et en B du côté extérieur. Les montants a et b sont plus épais que les traverses haute et basse; ils ont 0m, 13, tandis que celles-ci n'ont que 0m,10. Quant aux traverses intermédiaires, elles n'ont que 0m,08. Des montants de même épaisseur sont assemblés entre ces traverses et reçoivent des panneaux entre eux, ainsi que le fait voir en C et D le détail P. À l'extérieur, la membrure tout entière et les panneaux sont au même nu, et ces panneaux ne se distinguent des autres parties que par un élégissement indiqué en G dans le détail P. Des décharges assemblées dans les montants C, et n'ayant que la moitié de l'épaisseur de ceux-ci, empêchent le vantail de se déformer et de fatiguer les assemblages par son poids. En I est tracé un détail perspectif de l'assemblage des décharges avec les montants intermédiaires; ces pièces sont réunies à leur rencontre par des clous K à tête carrée et à doubles pointes rabattues à l'intérieur. En L est tracé le détail du battement, muni d'une colonnette à pans, saillante à l'extérieur, O étant le chapiteau figuré en o, R la bague r, S la base s. Ces détails sont à l'échelle de 0m,10 pour mètre.
Ce ne fut guère qu'à la fin du XIVe siècle que les menuisiers se mirent à faire des portes à panneaux, c'est-à-dire ayant les faces extérieure et intérieure pareilles et composées de montants et de traverses entre lesquels étaient embrévées des planches à grains d'orges ou à languettes. L'église Notre-Dame de Beaune possède encore au commencement du bas côté du choeur, côté nord, un huis de ce genre qui date de la fin du XIVe siècle (13).
En A est l'une des faces de cet huis, composé de deux montants de rive, de deux traverses hautes et basses, de trois autres traverses intermédiaires et de deux autres montants assemblés dans les traverses. En B est tracé le détail d'une traverse C, avec le montant intermédiaire D assemblé et le bout d'un panneau E. En F est la section horizontale d'un panneau avec les deux montants; en G, la section verticale d'une traverse avec deux panneaux et leurs languettes; en H nous donnons le détail perspectif d'un montant désassemblé, son extrémité supérieure étant en a. Déjà les panneaux sont renforcés dans leur milieu, ainsi que l'indique la section F, et ce sont les baguettes des montants et traverses qui reçoivent entre elles les languettes des panneaux laissés libres d'ailleurs. À la partie inférieure de ces panneaux, des chanfreins poussés sur les traverses remplacent les baguettes, afin de ne point arrêter la poussière. Ces baguettes se joignent d'onglet à la partie supérieure des panneaux et reposent en sifflet sur les chanfreins inférieurs, comme l'indique notre détail perspectif H. Ainsi, les baguettes et chanfreins pouvaient être poussés au guillaume le long des montants et traverses sans arrêts, et les assemblages étaient faits après coup en enlevant des baguettes et chanfreins ce qu'il fallait pour faire les repos et les mortaises. Bien entendu, cette porte, comme les précédentes, est en chêne.
Mais le XIVe siècle avait fait, en menuiserie, des oeuvres remarquables; il nous reste de cette époque des stalles fort belles (voy. STALLE), des fragments de boiseries taillés et assemblés de main de maître. L'incurie, l'amour du changement, le faux goût, ont laissé ou fait disparaître un nombre prodigieux de ces oeuvres d'art. Il faut aujourd'hui en chercher les débris dans quelques musées, en recueillir quelques traces conservées par de vieilles gravures ou des dessins. La Normandie, la Picardie, la Champagne et la Bourgogne étaient particulièrement riches en beaux ouvrages de menuiserie. Les vantaux de porte, très-simples jusqu'à cette époque, étaient devenus depuis lors un motif de décoration de bois. On renonçait aux applications de bronze, aux pentures de fer très-historiées, aux revêtements de cuir peint, pour donner au bois les formes les plus riches, sans cependant abandonner les principes de la vraie construction qui appartiennent à la menuiserie. Quelquefois alors, on laissait dans ces vantaux des ajours, et s'ils étaient d'une trop grande dimension pour être ouverts à chaque instant, on y pratiquait des guichets, ainsi qu'on a pu le remarquer déjà dans l'exemple donné figure 12 bis.
Voici (14) 214 une de ces portes. Sa membrure se composait de deux montants de rive, de deux traverses haute et basse, d'une large traverse intermédiaire, de deux décharges B formant gâble et de deux montants intermédiaires C, assemblés à mi-bois avec les décharges dans la partie supérieure et servant de dormants au guichet dans la partie inférieure. Les panneaux A, de la partie supérieure, étaient ajourés et vitrés probablement. Pour faire comprendre la construction de ce grand vantail, nous donnons en D la coupe faite sur a b, montrant le chapiteau des montants intermédiaires; en E la section faite sur c d du gâble; en F la section faite sur g h; en G la section faite sur la traverse intermédiaire avec le battement i du guichet; en II la section faite sur la traverse intermédiaire du guichet; en K la section faite sur la traverse basse avec le battement l du guichet; en OP la section verticale faite sur les panneaux latéraux de la partie inférieure; en R la section faite sur n p; en S est l'échelle de l'ensemble; en s, celle des détails.
Il existe encore un assez bon nombre de vantaux du XVe siècle; nous citerons ceux du portail sud de la cathédrale de Bourges, ceux du portail principal de l'église Notre-Dame de Beaune, ceux de la porte principale de l'hôtel de Jacques Coeur, à Bourges, ceux de l'avant-portail des libraires de la cathédrale de Rouen, ceux de l'hôtel-Dieu de Beaune parmi les plus remarquables. On employait fort souvent, au XVe siècle, ces vantaux ajourés, soit comme fermeture de vestibules, de chapelles, d'oratoires ou même de réduits, c'est-à-dire de cabinets donnant dans une chambre. Ces vantaux ajourés étaient même parfois brisés et pouvaient se replier comme nos volets, de manière à ne pas prendre de place dans de petites pièces lorsqu'on voulait les tenir ouverts. On voit encore à l'entrée d'une des chapelles du nord de l'église de Semur-en-Auxois une de ces portes exécutée avec un goût parfait (15).
Cette porte se compose de deux vantaux, chacun d'eux se repliant en deux feuilles. En A nous présentons un vantail en dehors, et en B en dedans. La section horizontale C est faite au niveau D, et la section E au niveau F. La brisure est indiquée en G et le battement des deux vantaux en H. En I est tracée la section verticale de la traverse supérieure et de la traverse intermédiaire. En K, la section a b, moitié d'exécution. Cette jolie menuiserie conserve encore ses ferrures, qui sont très-finement travaillées (voy. SERRURERIE). Tout cela s'ouvre facilement, est agréable à la main; c'est bien là de la menuiserie d'appartement, légère, élégante, solide, faite pour l'usage journalier. Rien n'est plus simple, cependant, que sa construction, ainsi que le fait voir notre figure. Ici les moulures d'encadrement des panneaux se retournent sans arrêts, mais ne sont pas assemblées d'onglet, le retour d'équerre de ces moulures étant coupé à contre-fil dans les montants. Les battements saillants du milieu et des brisures sont chevillés sur les montants, ainsi que les profils L. Il n'y a ni clous, ni vis; les ferrures seules sont retenues au moyen de crampons très-adroitement combinés pour ne point fatiguer ni ces ferrures ni le bois.
À l'intérieur des châssis de croisées, on posait dans les appartements des volets pleins ou ajourés qui étaient de véritables vantaux. Les ajours de ces volets étaient quelquefois pratiqués dans leur partie inférieure pour permettre de voir à l'extérieur sans ouvrir le vantail.
La fig. 16 représente un de ces volets
215 solidement construit et
d'une forte épaisseur; la membrure principale A (voy. la section B faite
sur a b) encadre un second châssis C, qui maintient les panneaux D. En
E, nous avons tracé le profil pris sur e; en F le profil des deux
membrures AC et en G, le détail perspectif de l'assemblage g de la
traverse intermédiaire dans le montant. Les panneaux inférieurs sont
délicatement ajourés suivant le profil E, les membres secondaires de cet
ajour ne prenant que l'épaisseur h i.
L'art de la menuiserie, au XVe siècle, arrivait à une perfection d'exécution qui ne fut jamais atteinte depuis. Le goût dominant dans l'architecture alors se prêtait d'ailleurs aux formes qui conviennent à de la menuiserie, puisque les ouvrages de pierre avaient le défaut de rappeler les délicates combinaisons données par l'emploi du bois. Les menuisiers du XVe siècle n'employaient que des bois parfaitement purgés, secs et sains, et ils les travaillaient avec une adresse que nous avons grand'peine à atteindre aujourd'hui, lors même que nous voulons payer la main-d'oeuvre. Les menuiseries de la seconde moitié du XVe siècle ne sont pas très-rares en France et, grâce à l'excellent choix et à la sécheresse des bois employés, ces menuiseries sont biens conservées, ne se sont pas déjetées ni gercées, et ne sont piquées que lorsqu'elles ont été placées dans des conditions tout à fait défavorables.
Pour terminer notre étude sur les huis, les vantaux de porte, nous donnerons ici l'un de ceux qui ferment l'entrée principale de la nef de l'église Notre-Dame de Beaune. La structure de ces vantaux (17) est simple, elle se compose de vingt panneaux embrévés entre des montants et des traverses; un guichet, composé de quatre panneaux a, s'ouvre au milieu du vantail. Deux montants de rive, deux traverses haute et basse, trois montants intermédiaires avec quatre rangs d'entre-toises forment l'ossature de ce vantail. Les montants sont renforcés de contre-forts et les entre-toises de profils saillants. Ces contre-forts et les panneaux sont délicatement moulurés et sculptés dans du beau bois de chêne.
Nous donnons (18) quelques détails de cet ouvrage de menuiserie, c'est-à-dire le panneau b et partie de celui inférieur c, avec les contre-forts des montants et profils des entre-toises. En A est tracée la coupe de ces détails, faite sur e f; en B, la section horizontale d'un montant avec son contre-fort; en C, la section à une plus grande échelle des moulures évidées dans l'épaisseur des panneaux. Cette manière d'orner les panneaux par des compartiments évidés à mi-épaisseur, représentant des meneaux de fenêtres, était fort en vogue au XVe siècle, et il fallait que ces panneaux pussent être très-facilement et rapidement sculptés, car on en trouve partout. Les ouvriers menuisiers façonnaient ces ouvrages au moyen de longs ciseaux, de gouges ou de burins, emmanchés comme l'indique le tracé G. La grande gouge g, terminée souvent par une sorte de cuiller comme les outils dont se servent les sabotiers, se manoeuvrait des deux mains, le morceau de bois en oeuvre étant maintenu horizontalement sur l'établi au moyen d'un valet ou d'une vis, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui 216.
Tous les panneaux de ces vantaux des portes de l'église de Beaune sont variés de dessins; quelquefois, à la place de ces compartiments de meneaux, on sculptait des bas-reliefs ou des arabesques vers la fin du XVe siècle et le commencement du XVIe. Nous ne devons pas omettre, parmi les beaux exemples de vantaux, ceux des portes de l'église de Saint-Maclou, de Rouen, attribués à Jean Goujon, et qui, s'ils ne sont pas de lui, n'en présentent pas moins un des meilleurs exemples de menuiserie de la Renaissance.
CROISÉES.--Nous avons expliqué à l'article FENÊTRE comment, pendant la période romane, les baies de croisées n'étaient souvent fermées qu'avec des volets pendant la nuit, et comment, pour obtenir du jour à l'intérieur des pièces, on laissait entrer l'air avec la lumière dans les appartements. Ces volets furent d'abord percés de petits ajours devant lesquels on tendait du parchemin ou un canevas, ou encore on incrustait des morceaux de verre. Cet usage se conserva longtemps parmi les populations du centre et du midi de la France; mais dans le nord, la rigueur du climat et l'insuffisance de la lumière extérieure obligèrent les habitants des villes et châteaux à faire de véritables châssis propres à recevoir une surface étendue de vitraux ou de parchemin. Au XIIe siècle, ces châssis, ces croisées (pour leur appliquer le nom consacré par l'usage), n'étaient encore que de véritables volets composés de montants et de traverses, mais dont les panneaux de bois étaient remplacés par des vitres ou par du vélin huilé.
De ces ouvrages de menuiserie, il n'existe que bien peu de débris. Cependant à Paris, dans la tour dite de Bichat, ancienne commanderie des Templiers et qui a été détruite il y a neuf ans, il existait encore, dans une fenêtre du dernier étage, composée de deux parties séparées par un meneau, deux vantaux de croisée qui paraissaient appartenir à l'époque de la construction de cette tour (1160 environ). Pris dans un bouchement en platras déjà ancien, ils avaient pu échapper à la destruction et, quoique entièrement pourris, ils conservaient encore des lambeaux de vitraux blancs posés en feuillure.
La figure 19 donne la face intérieure de l'un de ces vantaux de croisée avec sa ferrure. En A, nous en donnons la coupe sur a b, et en B la section horizontale sur c d. Ces sortes de châssis vitrés laissaient, relativement à leur surface, pénétrer peu de lumière; mais alors on ne tenait pas, comme aujourd'hui, à éclairer beaucoup les intérieurs. Ces châssis étaient dépourvus de dormants et battaient dans les feuillures de la baie de pierre.
Au XIIIe siècle on ne se contentait plus déjà d'ajours aussi étroits, les fenêtres devenaient hautes et larges, leurs meneaux étaient diminués d'épaisseur et, par suite, les châssis de croisée s'allégissaient pour mieux faire pénétrer la lumière dans les salles. Les croisées en menuiserie de ce temps, n'existent plus que par fragments, et il faut réunir bien des renseignements épars pour pouvoir reconstituer un de ces châssis entier. Les scellements des ferrures les feuillures conservées dans les ébrasements, la trace des battants existent encore cependant dans un grand nombre de bâtiments. À la porte de Laon, à Coucy (commencement du XIIIe siècle), à Carcassonne (fin du XIIIe siècle), à Loches, à Château-Chinon, au palais de justice de Paris et dans plusieurs châteaux et maisons de nos anciennes provinces, il est facile de se rendre compte de la position des châssis vitrés, de leur ferrure et de leur épaisseur. Puis, en cherchant avec quelque soin, on retrouve encore çà et là des débris réparés bien des fois, il est vrai, de ces menuiseries. C'est ainsi que dans le bâtiment abbatial de Château-Landon nous avons pu retrouver une croisée presque tout entière en recherchant, il y a quelques années, parmi les châssis réparés, certains fragments primitifs.
Nous donnons (20) le résultat de ces recherches. Ces châssis étaient par couples dans les grandes fenêtres et séparés par un meneau; ils se composaient d'un montant, avec tourillons ferrés, haut et bas AB, tenant au montant même. Ces deux tourillons entraient dans des oeils disposés dans la pierre, comme on peut le voir encore à l'intérieur des baies de la maison des Musiciens, à Reims, et dans beaucoup d'habitations du XIIIe siècle. Ainsi le châssis était posé en construisant; le battant C arrivait en feuillure sur le meneau de la fenêtre et était maintenu par deux verrous manoeuvrés au moyen d'une tige de fer ronde avec poignée (voy. SERRURERIE). Deux traverses haute et basse s'assemblaient dans les deux montants. Un troisième montant intermédiaire était assemblé dans les deux traverses, haute et basse, et recevait à son tour deux autres fortes traverses intermédiaires D et deux entre-toises E plus faibles. Des colonnettes F tenaient lieu de petits-bois. À l'extérieur, les montants et traverses étaient pourvus de feuillures G (voir le détail H) destinées à recevoir les panneaux de vitraux. Quant aux petits-bois, ils ne portaient pas de feuillures, mais des tourniquets en fer I qui servaient à maintenir les panneaux. Ces châssis de croisée étaient garnis intérieurement de volets brisés (voir la section horizontale K) et divisés en trois parties abc, de manière à pouvoir n'ouvrir, si bon semblait, qu'une travée ou un tiers ou deux tiers de travée. À cause de l'ébrasement de la fenêtre, ces volets brisés en g ne se développaient qu'à angle droit et se rangeaient ainsi que l'indiquent les lignes ponctuées l. Développés, ces volets présentaient du côté du jour le figuré L, et leur ferrure brisée était placée du côté intérieur g. Les feuilles supérieures et inférieures des volets étaient ajourées pour donner de la lumière à l'intérieur, les volets étant fermés, et pour permettre, par les ajours inférieurs, de voir au dehors. Les battants de la croisée ont 2 pouces d'épaisseur, ceux des volets 1 pouce 1/2. En H sont donnés les détails du bâti de la colonnette, leur profil en H'; en M, la section du montant intermédiaire; en N, la section des entre-toises E; en O, la section verticale des traverses des volets, et en O' celle horizontale de leurs battants. P est le détail des ajours inférieurs. Les volets étaient ferrés après le montant de la croisée sur des gonds rivés extérieurement sur de petites plaques de tôle. Ces châssis ne portaient pas de jet d'eau; l'eau de pluie qui glissait le long de leur parement extérieur était recueillie dans une petite rigole ménagée dans l'appui et s'écoulant au dehors. Enfin les volets étaient maintenus fermés au moyen de targettes entrant dans des gâches ménagées sur les renforts intérieurs du meneau de pierre et, au besoin, par des barres.
Pour poser ces châssis, il n'y avait donc aucune entaille ni scellement à faire après coup dans les tableaux et feuillures ou ébrasements; l'objet arrivait à sa place complet, achevé à l'atelier, sans qu'il fût nécessaire, comme cela se pratique aujourd'hui dans nos constructions, d'envoyer successivement des ouvriers de deux ou trois états pour terminer la pose et la ferrure d'une croisée. La maçonnerie, la charpente, la menuiserie et la serrurerie étaient achevées simultanément et, les toits couverts, il n'y avait plus qu'à peindre et à tapisser. Quand les châssis de croisée ne roulaient pas, comme ceux-ci, au moyen de tourillons, quand ils étaient attachés après coup, les gonds qui les suspendaient se scellaient dans les lits d'assises pendant la construction, afin d'éviter les entailles et les trous de scellement qui déshonorent les ravalements de nos maisons et de nos palais.
Les châssis de croisée, dans les maisons du XIVe siècle, étaient souvent plus simples que ceux-ci et se composaient seulement de montants, de battants et de traverses. Les petits-bois n'avaient pas d'utilité quand on employait les panneaux de vitraux mis en plomb, et ils commencèrent à garnir les châssis quand on substitua aux panneaux mis en plomb des morceaux de verre taillés en assez grands fragments dans des boudines, c'est-à-dire dans des plaques de verre circulaire ayant au centre un renflement (voy. VITRAIL). Les châssis de croisée au moyen âge ne présentaient donc pas le réseau de petits-bois qui garnit les châssis du XVIIe siècle, et qui produit un effet si déplaisant à cause de la monotonie de ces compartiments égaux coupant le vide de la baie en quantité de petits parallélogrammes. Les panneaux de vitraux étaient fixés dans les feuillures des châssis au moyen d'un mastic recouvert d'une lanière de parchemin faisant corps avec ce mastic, ou simplement, pour les intérieurs où il n'importait pas d'obtenir un calfeutrage parfait, par des tourniquets dans le genre de ceux représentés ci-dessus en I. Alors, entre les panneaux, les tourniquets étant ouverts, on introduisait une bande de feutre épais à la jonction de ces panneaux, bande de feutre fendue au droit de chaque tourniquet; puis on fermait ceux-ci qui alors exerçaient une pression sur ce feutre et empêchaient le ballotement des vitraux. Cet usage s'est conservé assez longtemps dans les provinces du centre, puisque nous avons encore vu de ces feutrages et tourniquets adaptés à des châssis du XVIe siècle.
Les châssis de croisée du XVe siècle, dans les hôtels et châteaux, composaient parfois une oeuvre de menuiserie passablement compliquée. L'hôtel de La Trémoille, à Paris, possédait encore dans l'étage au-dessus du portique donnant sur la cour des châssis de croisée fort délabrés et dépendant de la construction primitive, datant de la fin du XVe siècle.
Ces châssis (21) garnissaient des fenêtres composées d'un meneau central avec une traverse de pierre. Ils consistaient donc en quatre compartiments: deux grands oblongs inférieurs et deux carrés. En A, nous donnons l'un des châssis inférieurs et en B l'un des châssis posés au-dessus de la traverse.
Ces châssis possédaient des dormants fixés dans la feuillure de pierre par des pattes, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui. Les châssis inférieurs pouvaient s'ouvrir dans toute leur hauteur de a en b au moyen de paumelles, et partiellement en tabatière, de c en d. Les châssis supérieurs s'ouvraient aussi au moyen de paumelles. En C est tracée la section sur e f, les châssis AB étant vus à l'intérieur. En D est indiqué l'angle inférieur du châssis A avec les jets d'eau à l'extérieur.
Nous avons tracé à une échelle double, c'est-à dire à 0m,10 pour mètre, en A', la section sur g h; en F, la section sur i k; en G, la section sur l m; en H, la section sur m n, et en I la section sur o p. En L est donnée la section sur r s, et en M la section sur t v. Des feuilles de volets à jour, indiquées en VXY, se repliant en deux, ainsi qu'il est marqué en u, ferrées sur les dormants, permettaient de masquer les vitres à l'intérieur.
Ces croisées, en bon bois de chêne, étaient tracées et façonnées avec grand soin; leurs vitraux étaient, comme nos vitres, posés en feuillure et mastiqués.
La figure 22 donne l'assemblage du jet d'eau inférieur A dans le montant du dormant B. On voit en D comment le jet d'eau du grand châssis ouvrant venait s'embréver en partie dans le montant dormant possédant une gueule de loup. C donne le profil de ce jet d'eau A; ce profil était tracé de manière à empêcher l'eau de pluie chassée par le vent, suivant l'inclinaison a b, de remonter dans la feuillure c. La courbe d b obligeait la goutte d'eau, poussée par le vent sur ce profil, à suivre la courbe d e, c'est-à-dire à retomber à l'extérieur. Ces détails font voir avec quelle attention les menuisiers de cette époque établissaient leurs épures, comme ils donnaient aux moulures une forme convenable en raison de leur place et de leur destination. Il faut reconnaître que depuis ce temps nous n'avons pas fait de progrès sensibles dans l'art de la menuiserie de bâtiment.
Les châssis de croisée n'étaient point ferrés alors comme ils le sont aujourd'hui au moyen d'équerres entaillées; les ferrures des paumelles, qui quelquefois formaient équerres, étaient posées sur le bois au moyen de clous et d'attaches (mais non entaillées): il fallait donc que les assemblages de ces châssis fussent très-bien faits pour éviter des déformations et les dislocations. Les ferrures entaillées sont une bonne chose, mais les menuisiers s'y fient trop pour maintenir les assemblages; puis elles contribuent singulièrement à l'extérieur à hâter la pourriture des bois précisément au droit de ces assemblages.
Note 216: (retour) Nous avons souvent vu des miniatures de manuscrits du XVe siècle où ces outils sont représentés. Il existe dans les stalles de l'église de Montréale (Yonne) un bas-relief représentant un menuisier taillant un petit pinacle au moyen de l'outil figuré en l, qu'il tient de la main droite. À l'échelle, cet outil paraît avoir au moins 0m,50 de longueur. Quant au ciseau, il était d'un usage fréquent, comme de nos jours.
VOUSSURES, PLAFONDS, TAMBOURS.--Les menuisiers du moyen âge savaient, comme nous l'avons dit, ménager le bois et renfermer leurs tracés dans les équarrissements ordinaires qui alors étaient à peu près les mêmes que ceux donnés aujourd'hui par les scieries. C'est surtout dans la grosse menuiserie que l'on constate l'attention qu'ils apportaient à cette partie importante de leur art. Le merrain de 1 pouce 1/2 ou de 0m,04 d'épaisseur était généralement employé pour les membrures, puis le chevron de 3 pouces (0m,08) pour les plus fortes pièces. Quant aux panneaux, ils n'avaient guère que 9 lignes d'épaisseur (0m,02). Avec ces dimensions de bois, ils composaient leurs ouvrages de menuiserie les plus importants, tels que tambours, buffets d'orgues, stalles, caisses d'horloges, escaliers, grandes clôtures, etc. Pour donner de la résistance à ces bois, lorsqu'ils avaient de grandes dimensions en hauteur et les empêcher de gauchir, ils embrévaient les madriers ainsi que l'indique, par exemple la figure 23 en A, et les assemblaient à la base et en tête dans des chevrons, comme on le voit en B et en C. De plus les montants étaient reliés et maintenus par des goussets D, formant arcatures. Les intervalles étaient remplis par des panneaux libres E, ou assemblés à grain d'orge (voy. STALLE).
Villars de Honnecourt 217 nous a conservé un curieux dessin d'une grande caisse d'horloge du XIIIe siècle en menuiserie. C'est un véritable campanile qui devait avoir une grande importance. On voit encore de ces caisses d'horloge en grosse menuiserie des XIVe et XVe siècles dans les cathédrales de Beauvais et de Reims 218.
Quoiqu'il ne reste qu'un petit nombre de fragments des lambris de bois qui garnissaient souvent les murs des châteaux pendant les XIIIe et XIVe siècles, cependant on peut constater leur emploi par les nombreux scellements et les traces qui existent encore sur les parois de ces murailles; scellements et traces indiquant des ouvrages de grosse menuiserie garnissant des pièces entières du pavé au plafond et composés de membrures de 0m,04 d'épaisseur sur 0m,08 de largeur, avec panneaux. On faisait aussi des plafonds en menuiserie dès le XIVe siècle et peut-être avant cette époque, ou, pour être plus vrai, des plafonds dans la composition desquels la charpente et la menuiserie prenaient leur part. Ainsi, n'est-il pas rare de trouver encore des plafonds dont les entrevoux des solivages, au lieu d'être formés d'enduits, consistent en des planches posées en travers, découpées et doublées d'une planche posée en long (24) 219.
Mais, à l'article PLAFOND, nous avons l'occasion de décrire les diverses combinaisons mixtes adoptées par les charpentiers et menuisiers du moyen âge.
Au XVe siècle, et même encore au XVIe, les plafonds de menuiserie, au lieu de participer à la charpente, comme dans l'exemple précédent, étaient accrochés à celle-ci au moyen de clefs pendantes.
La figure 25 fait voir un de ces plafonds, composé alternativement de culs-de-lampes et de caissons. Le tracé A indique, en projection horizontale, le système des membrures, consistant en une suite de triangles équilatéraux. Les poinçons B, dans lesquels viennent s'assembler les chevrons D soulagés par des liens, sont suspendus à des poutres jumelles, indiquées en E dans la coupe C, au moyen de clefs F et d'entailles. La coupe G, faite sur a b, et celle H, faite sur e f, expliquent la disposition des culs-de-lampe et des caissons. Les liens formant culs-de-lampe étaient revêtus entre eux de feuillets en façon de voussures et d'ornements sculptés sur les arêtes ou nervures. Les caissons étaient plus ou moins enfoncés et décorés. Ce système se retrouve adopté, avec quelques variantes toutefois, dans certains plafonds qui nous sont conservés par des estampes ou qui existent encore, tels que ceux des palais de justice de Rouen et de Paris. L'ancienne chambre des Comptes, brûlée pendant le dernier siècle, en possédait un fort beau de ce genre qui nous a servi à faire le tracé de la figure 25 220; il avait été établi sous le règne de Louis XII et était décoré entièrement, outre les sculptures, de peintures et de dorures.
L'état de menuiserie exigeait, vers les derniers temps du moyen âge, des connaissances étendues en géométrie descriptive. Il est facile de s'en convaincre si l'on veut examiner les stalles de la cathédrale d'Amiens et la plupart des oeuvres de menuiserie des XVe et XVIe siècles. L'exécution demandait des soins infinis et du temps, car on ne peut faire de bonne menuiserie qu'en y mettant le temps et l'argent nécessaires, le temps surtout. Quand il fallait quinze jours à un bon ouvrier menuisier et quinze autres jours à un sculpteur sur bois pour ouvrer un poteau cornier d'une chaire, d'un clotet ou d'un tambour, on était assuré que ce poteau, tant de fois retourné sur l'établi, élégi, refouillé, était bien sec, avait produit son effet avant la pose; aussi, ces oeuvres de menuiserie délicate des XIVe et XVe siècles n'ont pas bougé et sont restées telles qu'elles ont été assemblées. D'ailleurs ces artisans choisissaient leur bois avec un soin extrême et le laissaient longtemps en magasin avant de le mettre en chantier.
MARQUETERIE.--La marqueterie n'est point employée, pendant le moyen âge en France, pour décorer les ouvrages de menuiserie de bâtiment; elle ne s'applique guère qu'aux meubles; encore ces marqueteries sont-elles très-rares avant le XVIe siècle. L'usage de plaquer des bois de différentes nuances, de manière à composer des dessins colorés, ne pouvait s'appliquer aux formes de la menuiserie gothique, qui relève toujours de la charpente. Les architectes faisaient peindre et dorer les ouvrages délicats de menuiserie, mais leur construction était telle, ainsi que les exemples précédents le font voir, qu'il n'était pas possible de les plaquer. En Italie, au contraire, la marqueterie prenait place dans la menuiserie dès le XIVe siècle; mais aussi, comme nous l'avons dit, les formes données à cette menuiserie ne sont pas toujours d'accord avec la structure. Nous ne connaissons, en fait d'ouvrages de marqueterie française, que les dossiers des stalles de la chapelle du château de Gaillon, et ces ouvrages sont du commencement du XVIe siècle. On peut en voir encore certaines parties dans le choeur d'hiver des chanoines de l'église impériale de Saint-Denis.
MEURTRIÈRE, s. f. Archère, archière, raière. Nous avons vu ailleurs 221 comment les fortifications romaines permanentes ne se défendaient que par leur sommet. Les courtines et les tours étaient pleines à la base et n'opposaient aux attaques que l'épaisseur de leurs constructions; mais lorsque les armes de jet, maniables, se furent perfectionnées et eurent acquis une portée plus longue et plus sûre, on ne se borna plus, pour défendre les approches d'une place forte, à couronner les parapets de crénelages; on perça des ouvertures à la base des courtines et aux différents étages des tours. Ces ouvertures apparaissent dans les fortifications du commencement du XIIe siècle; assez rares alors, elles se multiplient pendant le XIIIe siècle, elles participent aux moyens de défense; vers le milieu du XIVe siècle, ces ouvertures redeviennent de plus en plus rares dans les parties inférieures de défenses et se multiplient à leur sommet; elles ne reparaissent qu'au moment où l'artillerie à feu remplace les anciens engins de défense. Ces meurtrières ou archères, percées au niveau du sol intérieur des remparts et des planchers des tours, permettaient non-seulement de lancer des traits d'arbalète ou des flèches, mais aussi de voir, sans se découvrir, les travaux que les assiégeants pouvaient tenter pour battre ou saper les ouvrages. Parmi les plus anciennes meurtrières caractérisées, nous citerons celles des tours et courtines du château de la cité de Carcassonne, château dont la construction remonte au commencement du XIIe siècle.
Ces meurtrières (1) se composent à l'intérieur d'une sorte de niche voûtée en berceau surbaissé, destinée à recevoir au moins un défenseur. Le mur, réduit à une épaisseur de 0m,70 par la construction de la niche, est percé d'une ouverture évasée à l'intérieur et très-étroite à l'extérieur, afin de découvrir le dehors suivant un angle de 35º. Un linteau cintré couronne cette baie et une plongée très-inclinée la termine dans sa partie inférieure. Le tracé A donne le plan de cette meurtrière, le tracé B sa coupe sur a b, le tracé D sa face intérieure et le tracé F son aspect extérieur. Afin de donner plus de champ à l'angle du tir, la partie inférieure de la rainure, qui n'a que 0m,06 d'ouverture, est taillée ainsi que l'indique le détail C; d donnant le plan, e la face externe, f la coupe.
La formule qui a servi à tracer cette entaille inférieure de la rainure est celle-ci (2): AB étant l'ouverture intérieure de la meurtrière; CD l'ouverture que l'on a voulu donner à l'entaille, prenant les points a b à une distance de 0m,03; de ces points a b on a tiré les deux lignes aD, bC. Ces entailles sont primitivement triangulaires; vers le milieu du XIIIe siècle, elles deviennent carrées, ainsi que nous le verrons tout à l'heure. Ces meurtrières, percées dans les tours, se chevauchent, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas placées les unes au-dessus des autres, mais pleins sur vides, afin de découvrir tous les points de la circonférence. Ce n'est qu'au XIIIe siècle que l'on reconnaît, dans le percement des archères, l'emploi d'une méthode suivie, un tracé très-habilement calculé. À cette époque, des meurtrières flanquent exactement les courtines à leur base et à leur sommet, de manière à enfiler tout leur parement d'une tour à l'autre. Voici (3) le tracé d'une tour à trois étages, plus l'étage crénelé, comme la plupart de celles qui flanquent l'enceinte intérieure de la cité de Carcassonne, du côté méridional.
Au-dessus de l'empattement ou talus, cette tour ayant 6m,00 de diamètre et ses murs 1m,20, à 2m,20 environ de la circonférence AB, on a tracé l'arc de cercle CD; divisant cet arc de cercle en 16 parties égales, o e, e f, f g, g h, etc.; prenant sur le parement de la tour les points p à 0m,30 du parement de la courtine, on a divisé la circonférence externe de cette tour en 8 parties égales. Alors des points e, g, i, k, etc., on a tiré des lignes passant par les points diviseurs de la circonférence de la tout. Ces lignes ont donné les ouvertures des meurtrières percées dans les trois étages; les meurtrières a appartenant au rez-de-chaussée, celles b au premier étage et celles c au troisième; les meurtrières flanquant les courtines étant ainsi doublées dans la hauteur. Donc, tous les points de l'arc de cercle CD sont vus, et au delà les traits se croisent. Ajoutons les hourds supérieurs à ces meurtrières pour le commandement du pied de la tour (voy. HOURD), et cet ouvrage se trouve entièrement défendu, les courtines enfilées par trois meurtrières sur chaque flanc, deux au-dessus l'une de l'autre à rez-de-chaussée et au troisième étage, et la troisième un peu en avant.
Les meurtrières des ouvrages de petite dimension ne sont pas munies de niches intérieures; elles ne consistent qu'en un large ébrasement. Nous reproduisons (4) le détail de l'une d'elles. A donne leur plan, B leur coupe sur l'axe et C leur face intérieure. L'extrémité inférieure de la rainure est évasée pour étendre le champ du tir au moyen d'une entaille carrée dont le détail est tracé en D (face extérieure) et en E (coupe). En F, nous avons donné une vue perspective intérieure de ces sortes de meurtrières, adoptées de 1250 à 1350 environ.
Dans les ouvrages importants de la cité de Carcassonne, les meurtrières qui percent les tours et les courtines bâties sous Philippe le Hardi possèdent des niches assez semblables à celles du château du XIIe siècle. Mais alors les murs sont plus épais; ces niches sont surmontées d'arcs plein-cintre, et leurs parois sont garnies de bancs de pierre.
Voici (5) une des meurtrières de la tour dite du Trésau. En A, nous donnons le plan; en B la coupe sur l'axe; en C la face intérieure, et en D une vue perspective intérieure. Ces dimensions paraissent avoir été réglementaires, car elles sont semblables dans tous les ouvrages de la même époque. L'inclination du tir, et par conséquent la longueur de la rainure, se modifient en raison de la position de la meurtrière par rapport au sol extérieur, ces inclinaisons étant toutes dirigées sur une même circonférence à une distance donnée du pied de la tour, ainsi que l'indique la figure 3.
Quelques archéologues ont prétendu que ces meurtrières, percées aux divers étages des tours et à la base des courtines, étaient plutôt faites pour permettre de voir à couvert ce qui se passait au dehors que pour la défense. Il est certain que ces longues rainures facilitaient la surveillance des dehors, mais il est impossible d'admettre qu'elles ne dussent pas servir à la défense. L'échancrure inférieure seule qui ouvre l'angle du tir démontrerait leur fonction. Nous avons essayé de tirer à travers ces rainures, non au moyen d'une arbalète, ce qui est aussi facile qu'avec un mousquet, mais avec un arc; les côtés de la rainure, au lieu de gêner le tir, remplissent l'office d'une mire et le rendent au contraire plus sûr que si l'on visait un objet en plein air. D'ailleurs, les textes des XIIe et XIIIe siècles mentionnent souvent ces archières pour lanchier; traire et défendre. On observera que, quand les murs ont une très-forte épaisseur, comme dans l'exemple précédent, les constructeurs ont toujours pratiqué ces larges niches qui permettent au tireur de s'approcher du parement extérieur, ce qui diminue d'autant pour lui la profondeur de l'ébrasement.
Il existe cependant des défenses très-fortes du commencement du XIIIe siècle, dont les meurtrières assez rares étaient plutôt faites pour surveiller les dehors que pour offrir un moyen de défense. À la porte de Laon de la ville de Coucy, dont la construction date de 1210 environ, les deux grosses tours sont percées de meurtrières dont l'angle peu ouvert et l'extrême profondeur ne pouvaient guère que donner une vue sur un point, de la lumière et de l'air à l'intérieur des salles. Voici (6) l'une de ces meurtrières.
En A, nous avons tracé le plan; en B la coupe, et en C l'élévation intérieure. Ici le constructeur a craint d'affamer les murs par des niches profondes, et il n'a donné aux ébrasements des archères qu'un angle très peu ouvert. Les rainures ne sont pas entaillées à leur extrémité inférieure pour augmenter le champ du tir, et bien que ces meurtrières soient très-élevées au-dessus du fossé, leur inclinaison est peu considérable. Ces sortes de meurtrières ne peuvent donc être considérées que comme des vues sur les dehors et des prises de jour et d'air. Les niches ne sont pas garnies de bancs, ce qui est encore un indice de leur usage étranger à la défense, car partout où on posait un factionnaire ou un défenseur à l'intérieur des tours et logis, on trouve le banc de pierre. La saillie D portait les planchers.
Nous avons dit que vers la fin du XIVe siècle, on renonça aux meurtrières percées aux étages inférieurs des tours et courtines. C'est qu'en effet à cette époque, l'art du mineur s'était très-perfectionné, et que ces longues rainures indiquaient au dehors les points faibles de la construction. En creusant une mine entre deux de ces rainures, on était presque assuré de faire tomber toute une portion de muraille. L'avantage qu'on retirait donc du percement des meurtrières inférieures ne compensait pas les dangers qu'elles présentaient pour les assiégés. Alors on établit les hourds permanents ou mâchicoulis à la crête des tours et courtines, avec crénelages et archères percées dans le milieu des merlons. Les constructions inférieures restèrent entièrement pleines, empattées, épaisses, homogènes, et par conséquent beaucoup plus propres à résister à la sape et à la mine.
Alors les meurtrières ne se rencontrent plus qu'au sommet des défenses ou sur certains points où l'on posait des factionnaires comme, par exemple, au-dessus des portes et sur leurs flancs, dans des passages, des deux côtés des herses, etc. Les meurtrières, à dater du milieu du XIVe siècle, ne consistent plus seulement, à l'extérieur, qu'en une rainure simple ou avec entaille inférieure; la rainure est souvent entaillée vers son milieu par une traverse formant une sorte de croix pattée, ainsi que l'indique la figure 7 222.
Naturellement, ce sont les armes de jet qui ont imposé la forme de ces meurtrières. Du XIIe au milieu du XIVe siècle en France, on n'employait guère comme arme de jet, à main, que l'arbalète. Or, l'arbalète est une arme excellente pour tirer de but en blanc; elle a les qualités du mousquet, sauf la portée. Les archers étaient peu employés par les armées, féodales du domaine royal. Dans le Nord, dans les Flandres et en Angleterre, au contraire, ils formaient des corps considérables et avaient acquis, comme nous ne l'avons que trop éprouvé à Crécy, une supériorité marquée sur les arbalétriers, tant à cause de la rapidité du tir de l'arc que par la portée extraordinaire des flèches. Mais les archers, en bataille, tiraient bien plus à la volée que de but en blanc, et, pour qui s'est exercé à tirer de l'arc, il est facile d'apprécier les effets du tir à la volée. La flèche, en retombant verticalement après avoir décrit une parabole, est un projectile terrible en ce qu'on ne peut s'en garantir. Un archer médiocrement exercé envoie facilement une flèche à quarante ou cinquante mètres de hauteur obliquement; arrivée à fin de course, elle décrit une parabole brusque, et tombant verticalement de cette hauteur elle perce une planche de trois centimètres d'épaisseur. Au lieu de disposer les meurtrières pour le tir d'arbalète rapproché, et de haut en bas seulement, on les fit de telle sorte que les archers pussent tirer à la volée soit par une entaille intermédiaire a (voir la figure 7), soit par une entaille supérieure b.
Ainsi (8) l'arbalétrier ou l'archer pouvait, par l'entaille inférieure de la meurtrière, envoyer de but en blanc le trait A, et l'archer seulement par l'entaille intermédiaire envoyait la flèche B, par l'entaille supérieure la flèche C. Des assiégeants masqués par des mantelets évitaient difficilement les projectiles B, mais ne pouvaient se garantir des projectiles C. La nécessité de laisser les parties inférieures des tours et courtines entièrement pleines pour mieux résister à la sape et à la mine et l'emploi fréquent des archers, dès le milieu du XIVe siècle, pour la défense aussi bien que pour l'attaque, firent percer les meurtrières au sommet des défenses et amenèrent à échancrer leurs rainures, ainsi que l'indique la figure 7. En effet, c'est en Guienne et dans le Maine et le Poitou, c'est dans le Nord que ces meurtrières en croix pattée apparaissent d'abord, c'est-à-dire dans les contrées occupées alors par les armées anglaises, en partie composées d'archers. Dans les murailles d'Avignon, qui datent du milieu du XIVe siècle, nous voyons également des meurtrières en croix pattée; mais les papes d'Avignon n'avaient guère que des troupes de mercenaires, et parmi celles-ci des archers recrutés en Suisse et dans le Dauphiné.
Ces sortes d'archères se retrouvent partout en France dès le XVe siècle; leur forme était définitivement adoptée comme la meilleure, en ce qu'elle permettait le tir de plein fouet et à la volée. L'artillerie à feu vint alors modifier de nouveau la forme des meurtrières. Celles-ci ne se composèrent plus que de trous ronds pour passer la gueule du mousquet avec une mire au-dessus (9).
Quelquefois ces trous sont doubles, avec une rainure horizontale entre eux deux. Voici une de ces meurtrières qui provient de la porte orientale d'Angolsheim (10).
On observera que ces trous sont percés dans une dalle assez mince, posée au nu extérieur du mur de défense et entourée d'un ébrasement en maçonnerie à l'intérieur. Une balle de mousquet envoyée du dehors pouvait très-bien briser la dalle. Cette meurtrière est percée à côté de la porte et commande la route qui descend vers le village; c'est ce qui explique son élévation au-dessus du sol intérieur. En A, la meurtrière est présentée du côté extérieur; en B du côté intérieur, et en C en coupe. Mais les progrès rapides que faisait l'artillerie à feu au XVe siècle déroutaient fort les constructeurs militaires. Ils abandonnaient difficilement l'ancien système et n'opposaient aux effets des nouveaux projectiles que des obstacles presque toujours insuffisants. Ce n'est qu'à la fin de ce siècle que les ingénieurs ou architectes combinent de véritables meurtrières pour de la mousqueterie, et parmi celles-ci on peut citer comme particulièrement intéressantes celles du bastion élevé en avant de la porte de Laon à Coucy. Ce bastion, aujourd'hui en grande partie couvert par la route impériale, battait le plateau et enfilait les fossés de la ville au moyen d'un ouvrage souterrain percé de meurtrières et de petites embrasures. Il dut être élevé vers les dernières années du XVe siècle, si l'on s'en rapporte à quelques sculptures et moulures qui décorent les voûtes de l'étage souterrain.
Ce bastion, dont l'ensemble est donné en A (11), possède à sa base, à 1m,00 environ au-dessus du fond du fossé, une galerie voûtée en berceau plein-cintre de 1m,20 de largeur. Une chambre voûtée en arcs ogives est construite derrière le saillant. Les galeries sont percées, à des distances assez rapprochées, de meurtrières disposées de manière à croiser les feux de mousqueterie au fond du fossé, ainsi que l'indiquent les lignes ponctuées en B. En C, nous avons tracé le plan de la chambre du saillant, avec ses deux meurtrières a et ses évents b percés dans la voûte; en D, le plan de l'une des meurtrières des faces, lesquelles sont doubles dans la hauteur du parement. En d sont également des évents. La coupe E est faite sur e f; celle G sur g h, et celle H sur iK. Ces galeries, percées de nombreuses meurtrières, sont évidemment destinés à empêcher le travail de la sape et de la mine au pied du bastion. Toute cette construction est exécutée avec grand soin et s'est parfaitement conservée. À l'article PORTE nous expliquons avec plus de détails l'utilité de cet ouvrage, si intéressant par sa date et si complet.
MISÉRICORDE, s. f. Petite console disposée sous la tablette mobile des stalles, servant de siége et permettant aux clercs, lorsque cette tablette est relevée, de s'asseoir en paraissant être debout (voy. STALLE).
MITRE, s. f. Couronnement d'un tuyau de cheminée, destiné à empêcher la pluie ou le vent de s'introduire dans la trémie, en laissant cependant échapper la fumée. Les mitres, pendant le moyen âge, sont faites en terre cuite, en brique ou en pierre. Peut-être en existait-il en fer battu, mais nous n'en avons pas trouvé en place, bien que parfois des scellements conservés à la tête de tuyaux de cheminée indiquent la présence d'un chapeau en fer.
Il existe encore dans l'hôpital de Sens une belle mitre en terre cuite
vernissée qui paraît remonter au XIIIe siècle. En voici (1) le tracé.
Cette mitre, en forme de faîtière, laissait échapper la fumée par trois
orifices verticaux, quatre gueules latérales et les deux extrémités de
la courbure. La disposition de ces issues était bien faite pour empêcher
le vent de s'engouffrer dans la trémie. En A, nous donnons la projection
horizontale de cette mitre, en B sa coupe transversale, et en C sa face
latérale. Les dents qui bordent les petits cylindres sont obtenus au
moyen d'un coup de pouce donné dans le profil lorsqu'il était encore
frais et après la soudure de ces cylindres sur le dos de la faîtière.
Habituellement cependant, à cette époque, les tuyaux de cheminée se
terminaient en cylindre et les mitres alors prenaient la forme conique.
Une de ces mitres coniques en terre cuite vernissée se voyait encore, il
y a quelques années, sur une maison du XIVe siècle dépendant de la porte
orientale de la ville de Semur en Auxois (2). En A est tracé sa
projection horizontale et en B son élévation. Sens, Troyes,
Villeneuve-sur-Yonne possèdent encore quelques débris de ces anciens
couronnements de tuyaux de cheminée en terre cuite. Mais dans les
contrées où la pierre est résistante et facile à travailler, les tuyaux
ont presque toujours des couronnements tenant à la construction, et les
chapiteaux de ces tuyaux sont de véritables mitres. De même, dans les
pays où la brique était employée pendant le moyen âge, les mitres sont
faites au moyen d'assemblages de tuiles et de briques (voy. CHEMINÉE).
Les architectes du moyen âge cherchaient toujours à décorer les parties
de la construction qui se découpaient sur le ciel et à leur donner une
silhouette agréable. On voit, dans les vignettes des manuscrits du XVe
siècle, des têtes de cheminées richement ornées; mais malheureusement la
fragilité de ces détails des édifices publics ou privés, très-exposés
aux intempéries, est cause de leur destruction dans toutes nos anciennes
cités.
On fit encore, pendant l'époque de la Renaissance, d'assez belles mitres en terre vernissée et même en faïence. Ces mitres en faïence sont composées de plusieurs rondelles s'emmanchant les unes sur les autres et quelquefois curieusement ornées de détails délicats soit en relief, soit en peinture, trop petits d'échelle, il est vrai, pour la place qu'ils occupent.
Mais alors le sentiment vrai de la décoration extérieure des édifices était fort altéré, et ces mitres en poterie fine, très-jolies à voir de près dans un musée, ne produisent aucun effet sur le sommet d'un comble.
MOELLON, s. m. Pierre de petit échantillon, basse entre lits, et que l'on débite à la carrière pour construire des murs avec du mortier ou du plâtre. Le moellon est piqué ou brut. Le moellon piqué est celui qui présente un parement taillé, rustiqué et qui n'a pas besoin d'être enduit. Le moellon brut n'a pas de forme régulière, c'est-à-dire qu'il ne possède ni lits ni parements. On employait beaucoup le moellon piqué au moyen âge dans les constructions de maisons et d'édifices élevés à peu de frais, et ces sortes de constructions sont excellentes, en ce que les parements font parfaitement corps avec le blocage intérieur. Dans quelques contrées de la France, et notamment dans la Bourgogne et le Charolais, on trouve des bancs considérables d'un calcaire dur, compacte, qui se délitent en assises très-basses, de 0m,10 à 0m,20, régulières, et qui fournissent ainsi d'excellent moellon piqué, ne demandant qu'une taille préparatoire très-légère. Aussi, dans ces contrées, on voit beaucoup de monuments anciens dont les parements sont montés en moellon piqué présentant une surface aussi plane que celle donnée par la pierre de taille. Entre les contre-forts, les murs des nefs des églises de Vézelay, de Pontigny, de Beaune, sont montés en moellon piqué admirablement conservé. Les transports étant alors difficiles, on comprend comment les constructeurs pouvaient s'approvisionner plus aisément de moellon piqué, qu'on amenait à la rigueur à dos d'âne, que de pierre de taille. Ils réservaient celle-ci pour les colonnes, pour les angles, les piles, les contre-forts, les socles, les corniches, les tableaux de fenêtre.
Les Romains ont souvent employé le moellon piqué, mais en morceaux présentant extérieurement des surfaces carrées et non pas barlongues. Cette tradition fut suivie dans certaines provinces de France jusqu'au XIIe siècle. Ainsi la nef de la cathédrale du Mans, par exemple, dont la construction remonte en partie au XIe siècle, présente extérieurement des parements qui ont toute l'apparence d'une construction romaine. Sur les bords de la Mayenne et de la Loire, on voit quantité d'édifices du XIe et XIIe siècles qui offrent la même particularité. Le Beauvoisis et une partie du Valois conservent encore de nombreux restes de constructions du XIe siècle que l'on pourrait croire faites par des maçons romains.
MONTOIR, s. m. Degré assez élevé pour permettre de monter à cheval sans l'aide de l'étrier. Il n'y avait pas de cour de château, d'hôtel ou d'hôtellerie sans un ou plusieurs montoirs. Il y en avait pour les femmes et pour les hommes, et les perrons qui jouent un rôle si important dans l'habitation seigneuriale étaient accompagnés de montoirs. Les chevaux et mules étaient dressés à aller au montoir, c'est-à-dire à se tenir assez près de ces degrés pour que le cavalier pût se mettre facilement en selle. Un cheval qui n'allait pas au montoir était réputé vicieux. On comprend que pour un homme pesamment armé, le montoir était une nécessité, et sans montoir un chevalier, à l'époque où les armures étaient d'un poids très-considérable, ne pouvait guère enfourcher son cheval.
Il y avait au Louvre de Charles V un montoir pour le roi et un pour la reine. Nous avons vu l'un de ces montoirs (1) dans la cour de l'hôtel de la Trémoille, à Paris, rangé le long du mur de la façade du fond à côté du perron. Ce montoir, taillé dans un seul bloc de pierre, se composait de trois degrés; le dernier formant un petit palier.
Le perron du château de Pierrefonds était accompagné, à droite et à gauche du degré principal, de deux larges montoirs (voy. PERRON). Devant les hôtelleries, il y avait toujours en dehors un montoir de pierre et dans la cour plusieurs montoirs de bois, sortes d'escabeaux que l'on déplaçait au besoin. Les montoirs étaient garnis de tapis pour les jours de cérémonie dans les châteaux et palais. À l'extrémité des lices, pendant les tournois, on disposait des montoirs pour les combattants, et alors se mettre en selle sans le secours du montoir était considéré comme un acte de druerie.
MORTAISE, s. f. Mortoise. Terme de charpente et de menuiserie. La mortaise est l'entaille qui reçoit un tenon. (Voyez CHARPENTE, MENUISERIE, TENON.)
MORTIER, s. m. Composé de sable et de chaux. Pour faire du bon mortier, le sable de rivière, le gravier, a été reconnu comme le meilleur. Quelle que soit la qualité du sable de plaine ou de carrière, ce sable étant toujours mêlé d'une certaine quantité d'argile, il ne remplit pas les conditions nécessaires à la façon du bon mortier.
Pendant le moyen âge, les mortiers sont de qualités très-différentes; autant ils sont durs et compactes dans les constructions romaines, autant ils sont de qualité médiocre pendant les IXe, Xe, et XIe siècles. Il semble qu'alors on avait perdu les procédés de fabrication de la chaux, et ce n'est que par exception que l'on trouve, dans des édifices de cette époque, des mortiers offrant une certaine consistance. Au XIIe siècle, les mortiers commencent à reprendre de la force; pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, on en fit d'excellents.
La qualité des mortiers est donc un des moyens fournis aux architectes pour reconnaître la date d'un édifice, mais il est d'autres signes plus caractérisés. Le mortier employé dans les monuments romans antérieurs au XIIe siècle est quelquefois mélangé de débris de tuileaux, surtout pendant le Xe siècle et avant; il est maigre, c'est-à-dire qu'il contient peu de chaux, et celle-ci est mal cuite. Au XIe siècle, on trouve dans l'Île-de-France, la Champagne et la Bourgogne, des mortiers composés de gravier fin (sable de plaine souvent) et de chaux en quantité, mais mal cuite et noyée, n'ayant plus de force. Les débris de tuileaux ont disparu. Au XIIe siècle, surtout à dater de la seconde moitié, les mortiers sont égaux, bien corroyés, le sable fin, choisi parfois avec soin ou tamisé. À dater de la fin du XIIe siècle, les mortiers deviennent généralement très-bons et sont de deux sortes. Le mortier des blocages est fait avec de très-gros gravier, celui des joints et lits avec du bon sable de rivière, fin et pur. La chaux employée pour les lits et joints est plus blanche que celle des blocages qui est très-mélangée de débris de charbon. Pendant les XIVe et XVe siècles, on emploie souvent le sable de plaine, très-rarement le gros gravier; les mortiers sont parfaitement corroyés, la chaux bien cuite et bien éteinte. Mais alors le sable de plaine employé paraît avoir été lavé, car il ne contient pas d'argile. Il n'y a que dans certaines parties de la Picardie où le sable argileux de plaine ait été employé sans lavage pour faire du mortier, et bien que ces mortiers aient acquis de la dureté, ils sont toujours gercés dans les blocages et ne présentent pas une masse parfaitement compacte.
Les constructeurs ont employé la chaux telle que pouvaient la leur fournir les calcaires dont ils disposaient. Ces chaux sont hydrauliques dans les contrées où la pierre à chaux possède cette qualité, grasses dans les pays où la pierre à chaux ne contient que très-peu d'argile. Ils ne connaissaient pas, par conséquent, la chaux hydraulique factice. Mais leurs chaux grasses ont, à dater de la fin du XIIe siècle, acquis une très-grande dureté, même en fondation, ainsi que nous avons pu le reconnaître dans les substructions des cathédrales de Reims, d'Amiens, de Paris, de Sens, etc.
Il faut dire qu'à cette époque, c'est-à-dire au commencement du XIIIe siècle, des raisons d'économie forçaient quelquefois les constructeurs à n'employer que très-peu de chaux dans leur mortier et du sable comme on le trouvait. Les mortiers dans la construction des cathédrales de Laon, de Troyes, de Châlons-sur-Marne, de Séez sont très-mauvais. Mais nous avons donné ailleurs les raisons qui avaient fait élever ces édifices avec une extrême économie (voy. CATHÉDRALE, CONSTRUCTION).
MOSAÏQUE, s. f. Ouvrages faits de petits cubes de pierres dures ou de pâtes de verre de diverses couleurs, collés sur les parements des monuments ou sur les aires au moyen d'un ciment composé de chaux, de sable très-fin, de pouzzolane ou de brique pilée. Les Romains des bas temps ont employé la mosaïque non-seulement pour décorer les aires des salles, mais aussi pour tapisser les murs. Il n'est pas nécessaire ici de répéter ce qui a été écrit sur ce sujet. Il nous suffit de constater que la mosaïque était fort souvent appliquée dans les monuments de l'époque mérovingienne en Occident. Grégoire de Tours parle des mosaïques qui décoraient plusieurs églises de son temps. Saint Pallade, évêque d'Auxerre, fit élever au VIIe siècle le monastère de Saint-Eusèbe; l'abside de l'église était décorée de mosaïques dans lesquelles l'or entrait pour une grande partie 223. En effet, le travail de mosaïque, auquel on donne le nom de byzantin, se compose de fonds d'or obtenus au moyen de petits cubes de pâtes de verre dorés et recouverts d'un émail transparent. Les sujets, les ornements se détachent sur ces fonds d'or. Ces sortes de mosaïques, très-répandues en Italie, en Sicile et en Orient, sont très-rares en France, puisque nous n'en connaissons qu'un seul exemple existant encore dans la petite église de Germigny-les-Prés, près de Sully-sur-Loire, exemple qui paraît dater du IXe siècle.
L'abbé Lebeuf, dans son Histoire du diocèse de Paris 224, dit que dans le château de Bicêtre, bâti par le duc de Berry, frère de Charles V, il y avait deux petites salles «enrichies d'un parfaitement bel ouvrage à la mosaïque.» Il est difficile aujourd'hui de se faire une idée de ce que pouvait être cet ouvrage de mosaïque du XIVe siècle, puisque nous ne connaissons aucun travail de ce genre ayant été exécuté en France depuis le XII siècle. Cependant nous possédons encore, dans les magasins de l'église abbatiale de Saint-Denis, les restes d'un pavé en mosaïque à fonds d'or et de couleur datant de la fin du XIIe siècle, et qui rappelle parfaitement, comme facture, les mosaïques italiennes de la même époque. Ce pavage, dont l'ensemble a été conservé par un dessin de Percier fait en 1797, représentait les travaux de l'année entourant un large compartiment occupé par des animaux fantastiques. Si la facture est italienne, le dessin est évidemment français. Mais il ne faut pas oublier que Suger avait fait venir, si l'on en croit ses gestes, des artistes de tous pays pour contribuer à l'érection de la nouvelle église, commencée en 1140. Toutefois, nous ne pouvons donner aux cartons qui ont dû servir à l'exécution de ce pavage une date antérieure à 1190 225. En débarrassant cette même église de Saint-Denis des tristes superfétations qui en ont si profondément altéré le caractère, nous avons trouvé, sous les carrelages modernes, quantité de petits cubes de terre cuite vernissée de 0m,015 à 0m,02 de côté qui ont évidemment servi à faire des mosaïques par un procédé peu dispendieux. Au XIIe siècle, nos architectes ont quelquefois cherché à imiter ces pavages italiens, connus sous le nom d'opus alexandrinum, mais les pierres dures leur manquant, ils y suppléaient par la terre cuite vernissée. Plus habituellement, les carrelages en terre cuite avec dessins incrustés ou les dalles gravées remplaçaient chez nous les anciennes mosaïques gallo-romaines ou celles d'outre-monts. Quant aux mosaïques sur parements, ainsi que nous l'avons dit, il n'en existe qu'un nombre très-restreint de ce côté-ci des Alpes, et sont-elles antérieures au XIIe siècle. Les vitraux étaient la véritable décoration des édifices en France à dater de cette époque, et par le fait les vitraux sont une sorte de mosaïque translucide (voy. VITRAIL).