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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)

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MOULIN, s. m. Molin, molinel, molis. Ne nous occupant ici que des bâtiments contenant une machine à moudre, à fouler ou à façonner des métaux, nous avons les moulins mus par un cours d'eau et les moulins à vent. Les moulins à eau paraissent être les plus anciens. Lambert, quarantième abbé de Saint-Bertin, fait établir définitivement des moulins à eau, commencés sous Odland en 797. Ces moulins, dit la chronique des abbés de Saint-Bertin, étaient les premiers qui furent établis dans le pays 226. Cet abbé Lambert (1095 à 1123) fit exécuter même des travaux hydrauliques qui paraissent avoir été assez importants, puisqu'au moyen des roues motrices des moulins abbatiaux il fit monter l'eau nécessaire au service du monastère, afin de la répandre dans les bâtiments par des aqueducs souterrains. Il n'est pas question de moulins à vent en France antérieurement au XIIe siècle. Quelques auteurs prétendent que l'invention de ces sortes de moulins fut rapportée d'Orient par les premiers croisés; et, en effet, les moulins à vent sont nommés en Normandie, pendant le XIVe siècle, moulins turquois. Des chartes de Philippe-Auguste concèdent le droit d'établir des moulins à vent et des moulins à eau 227, et dans le roman d'Ogier de Danemarche 228, il est deux fois question de moulins à eau.

«Del brut de lui (de la fontaine) tornent troi molinel

Qui ne s'arestent ne esté ne yver 229.

...

Quant il velt molre, par soi le va cargier,

Et le molin vait par lui afaitier 230

Les Olim donnent des arrêts du parlement relatifs à l'établissement de moulins à vent. Nous citerons l'un de ces arrêts, rendu en 1275, sous Philippe III:

«Les moines de Royaumont se plaignaient de ce qu'un moulin à vent, appartenant à Pierre de Baclai, avait été récemment construit, près de Baclai, à leur préjudice et dommage, et au détriment de leurs moulins de Gonesse; ils demandaient que ce moulin fût détruit, lorsque, disaient-ils, le seigneur Roi l'aurait dit ou commandé par jugement. Les raisons des parties adverses entendues, l'arrêt suivant fut prononcé: Le moulin, quant à ce qui concernait les moines, ne devait pas être détruit 231

Au XVe siècle, le seigneur de Caumont, en passant à Rhodes et décrivant les édifices qui lui paraissent remarquables dans la ville, s'exprime ainsi:

«...Et tout au lonc d'icelle (muraille de la cité) sont assis .XVI. molis de vent, toux d'un ranc, qui nuyt et jour molent yver et esté; et à paynes l'on les voit toux ensemble molir he toux à ung cop cesser 232

Sur les tours de l'enceinte intérieure de la cité de Carcassonne, il y avait plusieurs moulins à vent, ainsi que le constatent une vignette de 1467 233 et les dénominations anciennes de quelques-unes de ces tours 234. Les moulins à eau dépendant de châteaux ou d'abbayes isolés étaient souvent fortifiés. L'établissement d'un moulin ne pouvait avoir lieu que par une cession du seigneur terrien. En cédant le droit de bâtir un moulin, le seigneur lui assignait une étendue de territoire, le ban du moulin. Tous les habitants compris dans les limites du ban étaient tenus de faire moudre leur grain dans le moulin banal, sous peine de voir confisquer leur blé, le cheval et la voiture, au profit du propriétaire du moulin et du seigneur du délinquant. Ces moulins devenaient ainsi de véritables fiefs dont la conservation importait au seigneur qui en avait permis l'établissement, au propriétaire et aux habitants compris dans le ban; il était nécessaire que ces bâtiments fussent en état de résister à un coup de main, de se défendre. Aussi les bâtissait-on autant que possible sur des îlots, ou bien le long d'un pont facilement barricadé. Ces moulins étaient assez forts quelquefois pour soutenir un siége en règle, et, afin qu'on ne pût détruire leurs roues motrices au moyen de pierriers ou de mangonneaux, celles-ci étaient alors soigneusement abritées sous la construction en maçonnerie. Le moulin dit du Roi, sur l'Aude, à Carcassonne, résista ainsi aux attaques de l'armée de Trencavel, en 1240. Dans son excellent ouvrage sur la Guienne militaire, M. Léo Drouyn donne plusieurs exemples de moulins à eau qui datent la plupart du XIVe siècle, et qui font voir avec quel soin ces usines étaient établies au moyen âge. Le bâtiment qui contient le mécanisme est presque toujours sur plan carré ou barlong, la roue motrice étant placée en dedans le long d'un des côtés du parallélogramme. S'il n'existe plus de moulins antérieurs au XIIIe siècle, les textes aussi bien que les représentations de ces usines ne peuvent nous laisser de doutes sur leur établissement dès le commencement du XIIe siècle au moins. Un des chapiteaux de la nef de Vézelay nous montre un mécanisme de moulin et des gens qui apportent du grain dans la trémie. Le manuscrit d'Herrade de Landsberg 235, qui date du XIIe siècle, nous montre également le mécanisme d'un moulin à eau possédant une roue motrice à palettes dont l'arbre, muni d'une roue d'engrenage, fait tourner la meule inférieure. Dès le temps de Guillaume le Conquérant, dit M. L. Delisle 236, on avait établi à l'entrée du port de Douvres un moulin mis en mouvement par le flux et le reflux de la mer 237. «En 1235, il en existait un à Veules 238.

«Au XIVe siècle, l'archevêque de Rouen possédait à Dieppe deux moulins de marée...» En 1277, Philippe le Hardi avait affermé à Guillaume l'Archier les moulins de marée établis aux ponts d'Ouve, près Carentan.

Il existe en France des moulins à eau d'une date ancienne et qui sont encore en usage; on en trouve en Normandie, en Touraine, et particulièrement en Guienne, où ces usines, presque toutes fortifiées, ont été établies pendant la domination anglaise, époque de prospérité et de développement pour cette province. À Melun, avant 1830, on voyait encore les restes d'un moulin fortifié dépendant des ruines connues sous le nom de château de la reine Blanche. Ce moulin, dont on ne voyait plus que les soubassements, se composait de deux piles épaisses avec éperons opposés au courant de la rivière et couronnées de tourelles; de celles-ci, les premières assises seulement étaient apparentes. La roue motrice était placée entre ces deux piles et parfaitement garantie par conséquent. Le plan du rez-de-chaussée, porté par une arche qui réunissait les deux piles, n'était probablement qu'une salle barlongue. Nous n'avons pu nous procurer sur le couronnement de cette usine aucun renseignement. La construction datait certainement du XIIIe siècle, à considérer les profils de la souche des tourelles.

Voici (1) le plan de cette usine en A et les restes de son élévation en B. Nous ne pensons pas que le côté aval fût couronné par des tourelles; c'est qu'en effet on n'avait guère à craindre (le moulin étant autrefois entouré d'eau) que des attaques venant d'amont. Le plancher du rez-de-chaussée au-dessus de la roue motrice était placé au niveau C, et en D était un pont de bois porté sur des corbeaux, l'entrée du moulin étant en E. Le moulin de Bagas (canton et arrondissement de la Réole, Gironde), donné par M. Léo Drouyn 239, fut élevé au XIVe siècle. «En 1436, dit cet auteur, cent vingt ans après sa construction, il fut donné par Henri VI, roi d'Angleterre, à Pierre Durant, écuyer.» Aujourd'hui cette usine fonctionne encore. Voici (2X) le plan du moulin de Bagas ou de Bagatz à rez-de-chaussée, tel qu'il s'établit sur l'un des bras du Drot. La digue qui maintient le bief est en A. Deux éperons BB' dirigent les eaux sur deux roues CC'. En aval, les eaux des vannes s'échappent par des ouvertures couvertes par des linteaux, D est un îlot. Les entrées du moulin sont en amont et en aval, par les portes fermées au moyen des tiers-points (G et H). On ne pouvait arriver à ces portes que par l'îlot D, ou directement en bateau par la pointe de terre H. Ce rez-de-chaussée est défendu sur trois de ses faces par six meurtrières s'ouvrant latéralement et en amont. Par un escalier de bois on monte au premier étage XX. De la berge, du côté opposé à l'îlot, on arrivait de plain-pied ou à peu près à la porte E, au moyen d'un pont volant. C'est par cette porte que les grains entraient dans l'usine. Cet étage, qui ne se compose, comme le rez-de-chaussée, que d'une salle, contient des latrines en F; une petite porte I s'ouvrait autrefois sur une galerie de bois J, qui probablement régnait le long de la façade d'aval. On montait au second XXX également par un escalier de bois. Cet étage est muni aux quatre angles d'échauguettes flanquantes dont l'une contient l'escalier qui monte aux combles et au crénelage supérieur. Quatre fenêtres éclairent cette salle, percée en outre de sept meurtrières et garnie d'une cheminée.

Voici (3) la vue perspective de ce moulin prise du point P 240. M. Léo Drouyn, auquel nous empruntons ces renseignements, présente des vues et plans de plusieurs autres moulins pris dans la même contrée et bâtis pendant le XIVe siècle.

Dans les villes, on profitait souvent des arches de pont pour établir des moulins, et même alors les ponts et moulins, bâtis en bois, ne formaient qu'une seule et même construction. Avant 1835, il existait encore à Meaux, en Brie, un pont de ce genre entièrement en bois ainsi que les moulins y attenant; cet ensemble datait de la fin du XVe siècle. À Châlon-sur-Saône, le pont de pierre qui communiquait à l'île était garni de tours rondes au-dessus des piles, avec moulins entre ces tours au droit des arches; cette disposition pittoresque a subsisté jusqu'au XVIIe siècle 241. À Paris, le pont aux meuniers qui traversait le grand bras de la Seine en aval du pont au Change, en face le Palais, était établi dans les mêmes conditions que celui de Meaux.

Nous n'avons pu trouver de documents ayant quelque valeur sur la forme des moulins à vent du moyen âge, ou plutôt sur la disposition de leur couronnement, car, pour le corps de la bâtisse, elle se composait d'une tour ronde. Cependant la vignette citée plus haut, et qui donne une vue de la cité de Carcassonne en 1467, indique un des moulins à vent qui garnissaient les tours de l'enceinte intérieure; or cette représentation rappelle les moulins de notre temps: toit conique sur une tour ronde et quatre ailes garnies de toiles. À Castelnaudary, il y a quinze ans, on voyait encore quelques moulins à vent du XVIe siècle qui ne différaient pas des nôtres.

Au XVe siècle il existait des moulins à vent sur la butte dite des Moulins, à Paris, située entre le palais actuel des Tuileries et le boulevard; et sur plusieurs des tours de l'enceinte de Philippe-Auguste on en avait établi dès avant cette époque. La célèbre tapisserie de l'hôtel-de-ville, qui date de la seconde moitié du XVIe siècle, montre autour de la capitale un assez grand nombre de moulins à vent sur les points élevés.

Note 226: (retour) Voy. les abbés de Saint-Bertin, d'après les anciens monuments de ce monastère, par M. Henri De La Place, Ire partie, 1854, p. 41, 186 et 187.
Note 227: (retour) En 1195. Voy. Ducange, Gloss.: «Concedo monialibus antedictis... molendina ad aquam et ad ventum.»
Note 228: (retour) Du XIIe siècle.
Note 231: (retour) Les Olim. t. I, p. 62.
Note 232: (retour) Voyage d'Oultremer en Jérusalem, par le S. de Caumont, l'an MCCCCXVII, publ. par M. le marquis de La Grange, 1858.
Note 233: (retour) Bibl. imp. Estampes, nº 7402, folio 40.
Note 234: (retour) Du moulin du connétable, du moulin d'Avar, du moulin du midi.
Note 235: (retour) Bibl. de Strasbourg.
Note 236: (retour) Études sur la condition de la classe agric. en Normandie. Évreux, 1851.
Note 237: (retour) In introitu portus de Dovere est unum molendinum quod omnes pene naves confringit per magnam turbationem maris, et maximum damnum facit regi et hominibus, et non ibi fuit tempore regis Edwardi. Domesday Book, cité par S. H. Ellis, t. I, p. 124.
Note 238: (retour) Cartul. de Fécamp.
Note 239: (retour) Dans son ouvrage déjà cité sur la Guienne militaire, p. 28. Nous ne saurions trop recommander le travail de M. Léo Drouyn à nos lecteurs. On ne peut trouver réunis plus de renseignements intéressants sur les monuments d'une de nos belles provinces de France, ni rendre avec plus de charme et de scrupule l'aspect de ces édifices civils et militaires.
Note 240: (retour) Les crénelages seuls aujourd'hui sont détruits. Les autres parties de la construction sont à peu près intactes.
Note 241: (retour) Voy. Civitat. orbis terrar., in-fol., 2 vol., 1574. La vue de Châlon-sur-Saône se trouve au commencement du 4e livre.


MOUSTIER, s. m. Muster, monastère. Voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE.



NAISSANCE, s. f. Point de départ d'un arc sur les pieds-droits. Au moyen âge, les architectes de l'époque romane, aussi bien que ceux de l'époque gothique, ont presque toujours relevé les naissances des arcs au-dessus des bandeaux ou tailloirs de chapiteaux. Ainsi, ces architectes avaient-ils à tracer une archivolte sur deux colonnes AB (1): au lieu de poser le point de centre de l'arc sur la ligne a b, ils relevaient ce point de manière à ce qu'un rayon visuel c d, par exemple, ne perdît pas la naissance de cet arc par l'effet de la saillie des tailloirs ou bandeaux.

Dans l'article CONSTRUCTION, nous donnons les raisons qui souvent obligeaient les architectes à relever les naissances des arcs. On peut aussi recourir au mot OGIVE.



NARTHEX, s. m. Dans la basilique romaine, le narthex est le portique élevé en avant de la nef et formant le fond de l'atrium. Dans la primitive Église, le narthex était destiné à contenir les catéchumènes, les énergumènes, et au centre, en face la porte de la nef, les pénitents auditeurs, c'est-à-dire ceux auxquels il était permis d'assister au service divin en dehors du temple. Pendant le moyen âge, le mot de narthex n'a point été appliqué aux porches ouverts ou fermés de nos églises; d'ailleurs il n'y avait plus alors ici ni catéchumènes ni énergumènes. Ce n'est que depuis le réveil des études archéologiques que cette dénomination de narthex a été donnée aux porches fermés de certaines églises, comme les porches de Cluny, de Vézelay, de Tournus, etc. Nous l'acceptons, puisque nous avons cru devoir ne point modifier le vocabulaire admis par les architectes et les archéologues. Il n'en faut pas moins constater que le mot narthex n'est pas applicable à nos édifices religieux; il est remplacé par le mot Porche.

Il y a des porches ouverts, il y en a de fermés. Les églises de l'ordre de Cluny et celles de l'ordre de Cîteaux avaient toutes des porches fermés plus ou moins étendus, en avant de la nef. Le porche des églises de Cluny était même une sorte d'antéglise très-vaste, ainsi que ceux des églises abbatiales de Vézelay, de la Charité-sur-Loire, de Saint-Philibert de Tournus, etc. La distinction entre les porches ouverts et fermés étant fort difficile à établir souvent, nous renvoyons nos lecteurs au mot PORCHE pour l'étude de cette partie très-intéressante de nos édifices religieux; d'autant que nous ne saurions dire pourquoi les archéologues de nos jours ont donné aux porches fermés la dénomination de narthex, tandis que les véritables narthex n'étaient qu'un portique ouvert, au moins sur sa face antérieure, dans les premières basiliques chrétiennes.



NEF, s. f. La basilique antique romaine se compose d'une ou de trois nefs terminées par un hémicycle servant de tribunal, au-devant duquel, quand l'espace le permettait, au dire de Vitruve, on élevait des chalcidiques, ce que nous appelons aujourd'hui croisée, transsept. Le mot nef ne veut donc dire autre chose qu'une salle plus longue que large, fermée par deux murs et un comble, ou accompagnée latéralement de deux autres nefs plus basses, portant une galerie ou un comble en appentis. Dans les premières basiliques chrétiennes, comme Saint-Paul hors les murs, à Rome, les nefs ont été portées jusqu'au nombre de cinq: une nef centrale et deux collatéraux de chaque côté de la nef centrale. Aujourd'hui, on ne donne pas le nom de nefs aux ailes, aux collatéraux, mais seulement au vaisseau central, qu'il soit couvert par une charpente lambrissée ou voûté. L'ancienne église de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, aujourd'hui École des Arts et Métiers, ne se compose que d'une seule nef rebâtie vers le milieu du XIIIe siècle et terminée par un choeur du XIe entouré d'un bas-côté avec chapelles. Les cathédrales de Reims, d'Amiens, de Rouen, de Chartres, de Bayeux, de Coutances, de Tours, etc., possèdent une nef centrale avec bas-côtés simples, précédant le transsept. Les cathédrales de Paris, de Bourges, de Cologne, l'église abbatiale de Saint-Sernin de Toulouse, etc., ont une nef centrale accompagnée latéralement de bas-côtés doubles. Jusqu'à la fin du XIIe siècle, les nefs des églises avec collatéraux n'excèdent guère dix à onze mètres d'axe en axe des piles; mais, à dater de la période gothique, ces nefs atteignent quinze et seize mètres d'axe en axe des piles. Quant aux églises à une seule nef, comme les cathédrales de Toulouse et d'Alby (XIIe et XIVe siècles), leur largeur dans oeuvre atteint vingt mètres et au delà (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE, TRAVÉE). Les églises conventuelles des Jacobins, bâties pendant le XIIIe siècle, se composent habituellement de deux nefs égales en longueur, largeur et hauteur; ces nefs jumelles sont séparées par un rang de piliers (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE). Cette disposition est observée aussi pour des salles affectées à des services monastiques ou civils, comme le réfectoire de Saint-Martin-des-Champs à Paris, comme l'ancienne Grand'salle du Palais à Paris (voy. SALLE).

Nos plus anciennes cathédrales françaises ont été la plupart conçues avec une nef centrale accompagnée de collatéraux simples ou doubles, mais sans transsept. La cathédrale de Noyon, parmi celles élevées pendant le XIIe siècle, et celle de Soissons, font seules exception à cette règle. Non-seulement ces granites églises ne contenaient pas de transsept, mais elles étaient dépourvues de chapelles latérales; c'est à peine si quelques-unes d'entre elles en possédaient trois, très-petites, s'ouvrant sur les bas-côtés du sanctuaire. Des fouilles que nous avons fait faire dans la cathédrale de Sens bâtie, comme on sait, vers le milieu du XIIe siècle, ont mis à jour les bases des piliers qui passaient au milieu du transsept actuel, et lorsqu'on est prévenu de ce fait, on reconnaît aisément comment, au XIVe siècle, des bras de croix furent ajoutés à cette grande église en détruisant deux travées de la nef à droite et à gauche. À Senlis, même disposition; la cathédrale se composait d'une nef avec collatéraux sans transsept. L'adjonction de la croisée est là facilement reconnaissable. La cathédrale de Meaux, qui datait de la fin du XIIe siècle, était originairement dépourvue de transsept. À Paris même, des fouilles, faites dans le prolongement des piliers du choeur et des travées restées visibles dans les reins de la grande voûte de la croisée, nous portent à croire que cette église avait été conçue sans transsept. À Bourges enfin, dont la construction remonte aux premières années du XIIIe siècle, mais dont la composition, comme plan, est plus ancienne (voy. CATHÉDRALE), il n'existe pas de transsept. On peut donc conclure de ces faits que le programme de la cathédrale française du XIIe siècle, donné au moment où les évêques réunissant les efforts des communes commencèrent ces grandes constructions, ne demandait qu'une nef centrale avec collatéraux, sans chalcidique, croisée ou transsept, et même souvent sans chapelles. La cathédrale française n'était donc qu'une salle, qu'une basilique; lieu de réunion pour les citoyens, au centre duquel était l'autel et le trône de l'évêque, la cathedra. Remarquons encore que, dans la plupart de ces édifices, à Paris, à Senlis, à Meaux, il y avait des galeries supérieures disposées comme sont les allées de premier étage de la basilique antique. Un texte vient appuyer ce fait de l'absence des transsepts dans les églises cathédrales rebâties au moment où l'art de l'architecture passe aux mains des laïques.

Guillaume Durand, dans son Rational, en décrivant les diverses parties de l'église, dit (chap. I, § 17): «Certaines églises sont faites en forme de croix,» et en prêtant un sens mystique à chacune des parties de l'église, depuis le choeur jusqu'au porche, il ne parle pas du transsept. Or, puisqu'il observe que «certaines églises» étaient, de son temps, en forme de croix, ce dont on ne peut douter, il en existait qui n'en possédaient point, et Guillaume Durand, évêque en 1285, mort en 1296, avait dû voir encore plusieurs cathédrales françaises dépourvues de transsepts. L'attention minutieuse avec laquelle le célèbre prélat cherche à donner une signification symbolique religieuse aux diverses parties de l'église indique d'ailleurs les tendances du haut clergé à l'époque où il écrivait. Il s'agissait alors d'enlever à la cathédrale, construite à l'aide de circonstances plutôt politiques que religieuses, le caractère civil qu'elle conservait dans l'esprit des populations urbaines; et, pour nous, l'établissement des transsepts, des chapelles latérales et des clôtures de choeur, pendant la fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe; la destruction, par conséquent, des grandes nefs primitives des églises épiscopales de la première période gothique, est un des faits les plus intéressants de notre histoire, en ce qu'il indique le mouvement communal appuyé par les évêques au XIIe siècle, parce qu'ils espéraient en profiter pour assurer leur pouvoir, et la réaction cléricale contre ce mouvement, dès que la puissance royale s'établit solidement et que l'épiscopat dut renoncer à soumettre la société française à une sorte de théocratie.



NICHE, s. f. Retraite peu profonde réservée sur le nu d'un mur, d'une pile ou d'un contre-fort, pour placer une statue. Les niches sont peu communes dans l'architecture du moyen âge; on n'en voit point dans les édifices de l'époque romane, et elles n'apparaissent que vers le commencement du XIIIe siècle. Nous ne pouvons donner le nom de niches à des arcatures remplies de figures en ronde-bosse, comme celles qui garnissent, par exemple, les façades des églises de Notre-Dame la Grande à Poitiers ou de la cathédrale d'Angoulême.

Les architectes du moyen âge n'avaient pas songé à ménager sur le nu d'un mur un enfoncement, que rien ne motivait d'ailleurs, pour y loger une statue. Le goût et le sens dont ils étaient doués ne leur permettaient pas d'employer ces moyens décoratifs, qui ne peuvent guère se comparer en architecture qu'aux chevilles placées par certains poëtes dans leurs vers. Les architectes romains de l'Empire usaient et abusaient même de la niche, mais le système de leur construction s'y prêtait. Afin d'alléger les énormes massifs de maçonnerie de la structure romaine, et pour économiser les matériaux, on pratiquait des niches en pleine maçonnerie qui n'étaient, après tout, que des évidements avec arcs de décharge. La section horizontale de ces niches était ou un demi-cercle ou un enfoncement rectangulaire, et, dans ces sortes d'alvéoles, on plaçait des statues. Mais dans l'architecture du moyen âge les pleins n'ayant que la section nécessaire à leur fonction, il n'y avait pas lieu de les alléger par des vides. Les niches n'apparaissent donc qu'aux sommets des contre-forts, c'est-à-dire là où la construction n'ayant plus rien à porter, il est bon de lui donner une apparence légère. On voit de véritables niches pratiquées à la tête des contre-forts de la nef de Notre-Dame de Chartres. On en voit aussi qui forment le couronnement de quelques-uns des contre-forts de la nef de la cathédrale de Rouen (commencement du XIIIe siècle) (1).

Quelquefois, mais plus rarement, des niches sont placées sur des contre-forts au droit des portails et pour relier les grandes imageries des ébrasements. Mais ces niches ne sont pas prises aux dépens de la masse, elles forment comme un encadrement saillant autour d'une statue. L'un des plus beaux exemples de ces sortes de niches se voit sur la façade de la cathédrale de Paris, à la hauteur des naissances des voussures des trois portails. Les contre-forts se retraitant au-dessus de ces naissances, l'architecte a profité de la saillie inférieure pour la couronner par un bandeau saillant portant deux colonnettes monolithes surmontées d'une arcature couverte par les talus de la retraite. Ces quatre niches, qui participent à la décoration des portes, sont remplies par quatre figures représentant saint Étienne, l'Église, la Synagogue et saint Denis. Nous donnons (1 bis) la niche qui contient la personnification de l'Église 242.

Nous ne pouvons considérer comme des niches les pinacles qui couronnent les contre-forts de l'église cathédrale de Reims (voy. PINACLE). Mais autour du choeur de la cathédrale du Mans, les faces des contre-forts, à mi-hauteur, sont allégés par des niches contenant des statues (2) (1250 environ).

On observera que ces niches laissent passer le nu de la face des contre-forts et ne sont qu'une arcature rapportée sur ce nu. Les statues étant posées sur un socle formant saillie, la niche n'est, pour ainsi dire, qu'un encadrement entourant une statue en saillie sur le nu de la construction.

C'est toujours ainsi que sont traitées les niches jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Au commencement du XIVe, les niches sont décidément prises aux dépens du parement; elles forment enfoncement. C'est ainsi que sont traitées les niches ménagées à l'extérieur, entre les fenêtres des grandes chapelles du tour du choeur de Notre-Dame de Paris (1325). Encore là les statues sont-elles portées sur des piédestaux qui désaffleurent le parement extérieur; elles sont jumelles, c'est-à-dire qu'il y avait toujours deux personnages réunis. Il semble que les architectes du moyen âge ne pensaient pas que les statues isolées, placées dans des niches, pussent produire un effet heureux; ils avaient le soin de les réunir au moins deux par deux. D'ailleurs ces niches du tour du choeur de la cathédrale de Paris forment, avec les fenêtres, une décoration continue; elles participent à l'ensemble. Des deux côtés du portail méridional de cette église cathédrale, portail qui date de 1257, on voit de même des niches disposées trois par trois, qui continuent la série des statues placées dans les ébrasements de la porte. La figure 3 donne la disposition de ces niches, dont nous avons tracé le plan en A.

À l'intérieur de ce portail, sur le mur sud du transsept, il existe de véritables niches entre le gâble de la porte centrale et les deux gâbles décoratifs latéraux. Ces niches (1257), très-peu profondes, sont surmontées de dais élevés comme pour indiquer un point saillant, non un enfoncement, et les statues sont encore supportées sur des piédestaux.

Ce n'est qu'au XVe siècle que l'on fait des niches isolées et qui peuvent être considérées comme telles. On en voit aux angles des façades de certaines maisons de cette époque; mais encore sont-elles toujours surmontées d'un dais et les statues portées sur un cul de lampe (4) 243.

Tous ces exemples n'ont pas le caractère de la niche, telle qu'on la comprend depuis le XVIe siècle. Sur la façade de la maison dite des Musiciens, à Reims (voy. MAISON, fig. 11), les trumeaux entre les fenêtres sont légèrement creusés en manière de niches terminées par une archivolte à redans; mais les statues assises, très-saillantes, portées sur des culs-de-lampes, présentent une silhouette prononcée sur cette façade et forment un ensemble, comme une réunion de figures participant à une même scène: loin de paraître renfermées chacune dans leur loge, elles semblent bien plutôt se concerter. De même, sur les parties inférieures de certaines façades d'église, dans les ébrasements des porches, on voit quelquefois une série de niches couronnées de dais. Mais les statues qui remplissent ces niches se coudoient, forment une frise continue de figures, et on ne peut ainsi les considérer comme étant placées dans des niches.

En véritables artistes, les sculpteurs du moyen âge n'ont guère admis la statuaire isolée. Pour eux, comme pour les Grecs, la statuaire est le développement d'une idée, une série, et ce n'est que par exception qu'ils ont admis la figure unique (voy. STATUAIRE).

Note 242: (retour) Cette statue, détruite à la fin du dernier siècle, a été refaite par M. Geoffroy-Dechaume. C'est une des meilleures statues de cet artiste distingué. La Synagogue qui lui fait pendant est de M. Fromanger. La statue de saint Denis est de M. Pascal, et celle de saint Étienne de M. Chenillon. Une autre niche, en retour, se voit du côté du midi; elle abrite la statue de saint Marcel, due au ciseau d'un de nos meilleurs statuaires, M. Toussaint, mort depuis peu.
Note 243: (retour) De la maison dite de la reine de Sicile, à Saumur.


NIMBE, s. m. Auréole généralement en forme de disque, qui accompagne la tête des personnages divins et des saints. M. Didron, dans son Iconographie chrétienne 244, a consacré un chapitre étendu à l'histoire du nimbe dans les monuments du moyen âge. Nous ne pourrions rien ajouter à cette savante dissertation, à laquelle on doit nécessairement recourir lorsqu'il s'agit de la sculpture et de la peinture de nos anciens édifices (voy. STATUAIRE, PEINTURE).



NOUE, s. f. Angle rentrant que forment deux rampants de combles qui se pénètrent. On dit branche de noue pour indiquer la pièce de charpente qui supporte les chevrons des deux pans de comble se pénétrant. Dans les anciennes charpentes composées de chevrons portant-ferme, les chevrons viennent s'assembler dans la branche de noue (voy. CHARPENTE).



NOYAU, s. m. Cylindre de pierre ou de bois montant de fond, formant l'axe d'un escalier à vis. Les noyaux sont pleins ou évidés, tenant aux marches ou indépendants, et dans ce dernier cas portant celles-ci au moyen d'un embrèvement ou d'un repos (voy. ESCALIER).



OEIL, s. m. On donne ce nom aux jours circulaires percés dans des pignons, et qui sont destinés à donner de l'air et de la lumière dans les combles.

Les clefs largement ouvertes, circulaires, qui dans les voûtes servent de passage aux cloches et qui prennent habituellement le profil des arcs ogives sont aussi appelées quelquefois oeils ou lunettes (voy. LUNETTE). L'oeil, oculus de la basilique chrétienne primitive, est une baie circulaire avec ébrasement intérieur, qui était percée dans le mur pignon de face au-dessous du lambris de la charpente. On trouve encore la trace de cette tradition dans certaines églises romanes, surtout au midi de la Loire. La rose gothique est un développement de l'oculus de la basilique primitive (voy. ROSE).



OGIVE, s. f. Augive. On donne, assez improprement, le nom d'ogive à la figure formée par deux arcs de cercle se coupant suivant un angle quelconque 245. Beaucoup de pages ont été écrites sur l'origine de ce mot, et l'esprit de parti (parti dans les questions d'art s'entend) s'en mêlant, on en est venu à si bien embrouiller la matière que toute conclusion semble avoir été ajournée à des temps plus calmes. Nous déclarons tout d'abord que nous n'avons pas la prétention de donner ici une solution, qui d'ailleurs importe assez peu; il nous suffira de fournir à nos lecteurs les renseignements que nous avons pu recueillir sur l'adoption de cette figure dans l'architecture, à dater du XIIe siècle en France, renseignements dont on peut vérifier l'exactitude sur les monuments eux-mêmes. Quant à la conclusion, nous laisserons à chacun le loisir de la tirer.

Le compas étant inventé, les intersections de cercles étaient trouvées, par conséquent la figure appelée ogive. Ce n'est donc pas l'origine de la figure qu'il importe de rechercher, mais l'origine de son application à la construction. Des monuments de l'Asie, de la Grèce et de l'Italie, d'une très-haute antiquité, nous montrent des ogives, c'est-à-dire des berceaux ou des cavités (comme celle du trésor d'Atrée, par exemple), dont la section est donnée par deux arcs de cercle se coupant; mais tous ces monuments, sans exception, présentent un appareil horizontal, c'est-à-dire que les lits des pierres formant ces berceaux ou ces cavités sont horizontaux et non point normaux aux courbes. C'est là cependant un point essentiel, pour des architectes, car on ne peut ainsi donner à ces surfaces concaves les noms d'arc ou de voûte. Laissons donc cette origine qui ne nous apprend qu'une chose, savoir que, lorsqu'il s'est agi de fermer un passage ou une salle, on a donné, pendant les époques primitives dont nous parlons, des formes diverses aux encorbellements, seuls moyens admis pour arriver à ce résultat. Retraites, plans inclinés, courbures, ce sont toujours des encorbellements et non des voûtes, et la forme ogivale n'est alors qu'une fantaisie du constructeur, non un système. Les Étrusques, qui ont fait de véritables arcs appareillés, c'est-à-dire composés de claveaux dont les coupes sont normales à la courbe, et les Romains qui ont fait des arcs et des voûtes en berceau d'arêtes et en calotte hémisphérique, n'ont jamais adopté l'ogive, ou s'ils l'ont fait, ce sont des exceptions trop rares pour qu'on en puisse tirer une conclusion. Les Romains n'ont admis qu'une courbe génératrice de la voûte, c'est le demi-cercle, ce qu'on appelle le plein-cintre ou l'arc de cercle, cintre incomplet. D'Auguste à Constantin, pas d'exception à cette méthode. Ce n'est guère qu'au VIe siècle que nous voyons poindre l'ogive sur les bords de la Méditerranée, en Égypte, au Caire; et là, elle apparaît déjà comme le résultat d'un calcul. Dans un autre ouvrage, nous avons expliqué d'une manière détaillée comme quoi les anciens se sont servis du triangle pour mettre en proportion leurs édifices 246; comment parmi les triangles ils en avaient adopté trois: 1º le triangle équilatéral; 2º le triangle pris verticalement sur la diagonale d'une pyramide à base carrée, dont la section verticale, faite du sommet parallèlement à l'un des côtés de la base, est un triangle équilatéral; 3º le triangle dont la base est quatre et la hauteur, prise perpendiculairement du milieu de cette base au sommet, est deux et demi. Ces trois triangles donnent au sommet un angle de moins de 90º; donc il n'est pas possible de les inscrire dans un demi-cercle. Le dernier de ces triangles, celui sur lequel a été tracée la pyramide de Chéops, et qui passait chez les Égyptiens, au dire de Plutarque 247, comme dérivé du triangle parfait, est donc celui-ci (1) en A: ab étant la base divisée en quatre parties, sur la perpendiculaire élevée du point c, milieu de la base, nous portons deux parties et demie, cd; réunissant le point d aux points a et b, nous obtenons le triangle abd. Du milieu d'un des côtés bd, élevant une perpendiculaire jusqu'à sa rencontre e avec la base ab, ce point e est le centre de l'arc bd'd, dont le côté bd est la corde; procédant de même pour le côté ad, nous avons tracé deux arcs qui se coupent au point d et qui composent ce qu'on appelle une ogive. Prenant le triangle abd comme générateur de proportions, c'est-à-dire comme donnant un rapport satisfaisant entre la base ab et la hauteur cd, il était naturel de conserver ces rapports entre le diamètre et la hauteur sous clef d'un arc. C'est suivant ces méthodes que procédèrent les architectes d'Alexandrie, dès le VIIe siècle de notre ère, et l'école des Nestoriens, qui s'éleva bientôt à un degré remarquable de splendeur chez les peuples d'Orient, pères de l'architecture à laquelle on donna le nom d'arabe. Le génie des Grecs se retrouve encore dans ce principe de proportion des arcs, ainsi que nous l'avons démontré ailleurs 248.

Le triangle équilatéral (voir figure 1, en B) est aussi un générateur de l'ogive; mais ce n'est que beaucoup plus tard qu'onl'emploie, tandis que le triangle pris sur la diagonale d'une pyramide à base carrée, dont la section verticale, faite du sommet parallèlement à l'un des côtés de la base, donne un triangle équilatéral, est adopté très-anciennement pour tracer l'arc brisé. Soit fgh la moitié de la projection horizontale d'une pyramide à base carrée, dont la section verticale faite sur ik est un triangle équilatéral; la section verticale faite sur la diagonale fh donne le triangle fhl. Élevant une perpendiculaire mn sur le milieu d'un des côtés hl de ce triangle, le point de rencontre n de cette perpendiculaire avec la base fh donnera le centre de l'arc hol. Traçant du point l, comme sommet, un angle égal à l'angle l'fg, de manière à ce que la ligne lp sépare cet angle en deux angles égaux, nous avons les deux côtés lq, lr, d'un triangle équilatéral quelconque; prolongeant le tracé des arcs loh jusqu'à leur rencontre avec ces côtés lr, lq; qrl est un triangle équilatéral dont les côtés ql, rl sont les cordes des arcs lor, lo'q. L'arc brisé qrl est outre-passé; il donne au plus grand écartement fh, entre les deux arcs, la proportion du triangle fhl, et, à sa naissance qr, la proportion du triangle équilatéral qrl. Le nu des pieds-droits de cet arc sera en s et t, c'est-à-dire à l'aplomb des deux points f, h. Cette forme d'arc outre-passé, employée fréquemment dans les monuments de la Perse, se trouve déjà adoptée pour la construction des portiques de la mosquée d'Amrou au Caire, construite en 640 environ, avec quelques variantes dans la méthode du tracé. Mais les architectes de l'école d'Alexandrie, et les artistes grecs, initiateurs des populations d'Orient après le Ve siècle, n'avaient fait autre chose que de donner à l'arc brisé un tracé méthodique, en vue de satisfaire à un sentiment délicat des proportions. Bien que dans la construction de ces arcs, les joints des claveaux fussent normaux aux courbes, tendissent aux deux centres, ainsi qu'on le voit en X 249; que, par conséquent, la structure fût d'accord avec la forme, et que ces arcs brisés fussent plus résistants que l'arc plein-cintre, tout en exerçant une poussée moins grande, cependant les architectes orientaux n'avaient pas entrevu d'autre application de cette forme nouvelle, le système des voûtes n'était pas pour cela modifié. Il était réservé aux architectes du nord de la France de s'emparer de l'arc brisé et d'en faire le point de départ d'une structure neuve, d'un art original.

Sur les arcs brisés ou plein-cintre (car les Orientaux les employaient simultanément, quoique cependant l'arc brisé persiste au Caire et en Perse plus que partout ailleurs), on élevait dans tout l'Orient des pendentifs et des calottes sphéroïdales, comme dans les premiers temps de l'empire de Byzance, sans chercher à tirer de cette nouvelle forme d'arcs des conséquences de nature à modifier la construction des voûtes. Avec ce génie inventif et pratique qui distingue les peuples de l'extrême occident, nos architectes, dès le commencement du XIIe siècle, c'est-à-dire après les premières croisades, s'emparèrent de l'arc brisé et en firent rapidement une application fertile en résultats. Jusqu'alors, en France, on ne connaissait que la voûte romaine et on s'évertuait à la transformer sans obtenir autre chose que de grossières tentatives accusant un désir de satisfaire à de nouvelles nécessités bien plutôt qu'un progrès. Ne construisant plus en blocages, rarement en brique, la voûte d'arête romaine n'était fermée qu'à la suite de difficultés nombreuses, qu'à l'aide de tâtonnements. Les arêtes saillantes de la voûte romaine moulée sur forme, lorsqu'on voulait les construire en moellon, n'offraient pas de solidité; on rehaussait les clefs, on cherchait un compromis entre cette forme de voûte et la coupole, afin de donner le moins de saillie possible à ces arêtes 250 que l'on ne savait comment maintenir entre les portions de cylindre ou de conoïdes poussant au vide. On tendait toujours vers la coupole et l'on cherchait, au moyen de cintres permanents, d'arêtes appareillées, dès le commencement du XIIe siècle, à maintenir les lobes des voûtes. Ces arêtes appareillées (arcs diagonaux, arcs ogives) étaient déjà un grand pas de fait.

Les Clunisiens, qui dès le XIe siècle étaient maîtres en l'art de bâtir, et qui avaient formé une école d'architecture déjà brillante à cette époque, furent les premiers qui surent appliquer l'ogive à la construction, non-seulement des arcs mais des voûtes 251. En relations constantes avec l'Orient, ils en rapportèrent l'arc brisé; mais ce ne fut que sur le sol français que cet arc détermina une révolution dans l'art de la construction.

En effet, tous les monuments clunisiens et cisterciens bâtis en Palestine avant le XIIIe siècle, et si complétement décrits par M. le comte Melchior de Vogué dans son ouvrage sur la Terre Sainte 252, en adoptant l'ogive pour les arcs, conservent cependant le système de la structure romane, et dans aucun de ces édifices l'ogive n'intervient pour modifier la voûte d'arête romaine, en berceau, ou la coupole. Mais sitôt introduite dans les provinces françaises au nord de la Loire, l'ogive se mêle à la voûte et la modifie. Voici d'abord comment le mélange se fait.

Soit (2), une coupole hémisphérique dont nous présentons la projection horizontale en perspective; inscrivant un carré abcd dans le cercle et élevant deux plans verticaux sur les deux diagonales ad, bc, on coupe l'hémisphère en quatre parties égales abe, ace, cde, dbe. Un plan vertical élevé sur ab coupera l'hémisphère suivant un demi-cercle abf, et en supposant que ce demi-cercle est un arc doubleau plein-cintre, ayant opéré de même sur les quatre côtés du carré, on aura obtenu une calotte hémisphérique, pénétrée par quatre cylindres se coupant à angle droit et formant quatre pendentifs. Mais si nous voulons de cette voûte en calotte, portée sur pendentifs, faire une voûte d'arêtes, au lieu des demi-cercles, sur les côtés ab, bd, etc., élevons quatre arcs brisés abg, bdh, etc., réunissons les sommets gh de ces arcs brisés au point e nous détachons de la calotte les arêtes diagonales ae, be, de, etc., et nous obtenons des surfaces courbes age, bge, etc., qui peuvent être des portions de berceaux engendrés par des arcs brisés et donnant par leur pénétration dans les plans verticaux diagonaux ad, bc des demi-cercles aed, bec. Ainsi aura-t-on résolu déjà un problème essentiel, savoir: de pouvoir faire des voûtes d'arêtes sur tous les plans avec des arcs générateurs de hauteurs et de diamètres différents. Les Romains, les Grecs byzantins, n'avaient tenté autre chose jusqu'alors, que de couper la voûte hémisphérique par des plans verticaux dont la section ne donnait toujours que des demi-cercles 253. Nos architectes occidentaux procèdent de même, seulement ils ont vu l'arc brisé, ils le posent à la place du demi-cercle donné par la section verticale et relèvent les pans de la coupole sur cet arc brisé. Leur opération est simple en principe, et peut être définie ainsi: supposant une coupole hémisphérique en substance élastique, flexible, faisant les quatre coupures verticalement sur les côtés d'un carré inscrit dans le cercle, on relève quelque peu avec le doigt le bord supérieur de chacune des coupures; les surfaces restantes de l'hémisphère suivent ce relèvement et forment deux plis diagonaux qui se perdent au sommet de la calotte. Pour obtenir un résultat si simple, combien a-t-il fallu de siècles 254? C'est dans le porche de l'église abbatiale de Vézelay, bâti vers 1135, que nous constatons une application déjà savante et raisonnée de ce principe.

Prenons d'abord une des voûtes des bas-côtés de ce porche, voûtes établies sur plan carré (3). La forme génératrice de cette voûte est un hémisphère. La preuve, c'est que les deux plans verticaux passant par les diagonales ab, cd, donnent deux demi-cercles dont l'un est rabattu en abd. Pour tracer les arcs doubleaux, au-dessus de l'arrase formée par les tailloirs A des chapiteaux on a pris une distance AB pour bien dégager la naissance de ces arcs. La ligne de niveau BC étant tracée, la longueur de cette ligne étant db, côté du carré, cette ligne a été divisée en quatre parties; élevant une perpendiculaire sur le milieu de la ligne de naissance, cette perpendiculaire a été divisée en deux parties et demie égales à chacune des divisions de la ligne de naissance. On a ainsi tracé le triangle ghf. Du milieu de chacun des côtés de ce triangle, élevant une perpendiculaire ei, les points de rencontre i de ces perpendiculaires avec la ligne gh ont donné les centres de l'arc brisé gfh. Réunissant le sommet d' de la voûte avec les sommets des quatre arcs, la voûte d'arête engendrée par une coupole hémisphérique et par quatre ogives a été construite.

Le principe admis, les conséquences allaient s'ensuivre avec une prodigieuse rapidité. Le grand embarras, pour les architectes romains, n'était pas de faire des voûtes sur plan carré, mais sur plan barlong. Les Romains, dans ce cas, avaient fait des berceaux avec pénétration ou des voûtes d'arêtes trichées, c'est-à-dire engendrées par deux cylindres de diamètres différents se pénétrant; les cylindres du plus faible diamètre ayant leur naissance au-dessus de celle des cylindres de grand diamètre, ce qui produit un très-mauvais effet. Mais dès que la coupole devenait le point de départ de toute voûte, ces embarras devaient disparaître. Nous avons expliqué, figure 2, comment d'une calotte hémisphérique on pouvait faire une voûte d'arête sur plan carré, en substituant aux sections semi-circulaires données par des plans verticaux élevés sur les côtés du carré inscrit, des arcs brisés ou des ogives. Les conséquences de cette innovation ne se firent pas attendre.

Soit (4) une coupole sur plan horizontal circulaire, dont le centre est en A. La section verticale de cette coupole, faite sur le diamètre, donne la courbe brisée BCD dont la flèche AD a deux parties et demie des quatre divisant la base. Il s'agit de faire de cette voûte, présentant la forme d'un mamelon, une voûte d'arête barlongue. Soit le plan horizontal de cette voûte barlongue le parallélogramme rectangle BFEC inscrit dans le cercle. Si la coupole était hémisphérique, les sections verticales élevées sur BF, BE donneraient les demi-cercles BGF, BHE; mais nous redoutons les poussées, nous avons admis l'arc brisé comme moyen de rendre ces poussées moins puissantes pour nous conformer à un système de proportions qui nous satisfait plus que le plein-cintre. Nous divisons alors les lignes de base de nos sections BF, BE en trois parties égales, et prenant les points II', KK' comme centres, les longueurs IFI'B, KE, K'B comme rayons, nous décrivons les deux arcs brisés BLF, BME, ogives qui sont les rabattements des arcs doubleaux sur lesquels viendront reposer la voûte. Dès lors les diamètres BC, FE dont le rabattement est donné par l'arc brisé BDC deviendront des arêtes, la voûte sera d'arêtes bien que donnée par une coupole; de plus nous serons les maîtres de donner aux arcs BF, BE les diamètres dont les longueurs relatives sont arbitraires. C'est suivant ce principe qu'ont été construites les voûtes hautes du porche de l'église abbatiale de Vézelay. Mais constatons d'abord un fait essentiel, qu'on paraît avoir négligé dans les recherches faites jusqu'à ce jour sur les théories des voûtes d'arêtes du moyen âge; c'est que l'opération de tracé, au moment de la transition, n'est pas établie à l'intra-dos des arcs doubleaux ou formerets, mais à l'extra-dos. Dans l'exemple, figure 3, l'épaisseur des arcs doubleaux est indépendante du tracé, elle est rapportée en contre-bas. C'est la concavité de la voûte à laquelle on cherche d'abord à donner une forme solide, raisonnée et se prêtant à toutes les combinaisons. Les arcs doubleaux viennent se sous-poser comme un nerf, ou une décharge destinée à porter des constructions supérieures. Aussi les arêtes diagonales n'apparaissent-elles pas encore, leur présence n'étant point regardée comme absolument nécessaire 255 tant que les voûtes dérivant de la coupole se portaient par elles-mêmes. Voyons donc ces voûtes hautes du porche de Vézelay (5).

Les quatre piles étant tracées,--elles sont indiquées par des hachures,--conformément à ce que nous venons de démontrer dans l'exemple précédent, les diamètres de la coupole génératrice sont les deux diagonales AB, CD; la section verticale de cette coupole faite sur son diamètre donne la courbe (demie) BE, le diamètre ayant quatre parties et la flèche FE deux et demie. L'extra-dos des arcs doubleaux part des points DB, l'extra-dos des formerets des points AD. Cet arc doubleau, rabattu, est ainsi tracé: les tailloirs des chapiteaux étant au niveau G, la naissance, afin de se dégager, a été relevée en H. La ligne de base hi, de l'extra-dos, a été divisée en quatre parties; sur le milieu k de cette ligne la perpendiculaire kl, étant élevée, a été divisée en deux parties et demie de manière à ce que cette flèche kl soit à la base comme 2 1/2 sont à 4. Établissant le triangle dont le côté est hl, élevant sur le milieu une perpendiculaire, la rencontre de cette perpendiculaire avec la ligne de base hi donne le point g centre de l'arc hg'l. Relevant la ligne de naissance des formerets de la hauteur op au-dessus du tailloir des chapiteaux, on a procédé de même que pour l'arc doubleau; la ligne de base AD de ces formerets étant à la flèche pq comme 4 est à 2 1/2. La section verticale, sur le grand axe ot de la voûte, donne en S la clef E de la section verticale faite sur AB; en T, l'extra-dos de la clef de l'arc formeret; en l, l'extra-dos de l'arc doubleau. Si nous joignions le point T au point S par une droite, nous ne pourrions dégager l'arête projetée en BXS; alors nous cherchons sur la ligne de base en s le centre d'un arc passant par les points TS. Cette courbe est la section verticale de la ligne de clefs Ft. Quant au point l, il peut être réuni au point S par une droite, ainsi que le fait voir la section verticale V faite sur FP. L'épaisseur de l'arc doubleau iR étant fixée, il se trouve que la ligne de naissance RH comprise entre l'intra-dos est divisée en trois parties égales par les points g, m centres de l'arc brisé. Alors cet arc est un tiers point. On observe donc que tout le tracé est commandé par les extra-dos des arcs, que cette voûte est un compromis entre la coupole et la voûte d'arêtes, que l'introduction de l'arc brisé donne une grande liberté au constructeur dans la disposition des voûtes sur plan barlong, et que cependant l'artiste a soigneusement observé un principe de proportions qu'il regardait non sans raisons comme bon, puisqu'il résulte du triangle auquel les anciens donnaient une valeur harmonique parfaite.

Une difficulté, purement matérielle et minime en apparence, obligea bientôt les architectes à faire de nouveaux progrès dans le tracé des voûtes et à étendre les applications de l'arc brisé. Vers la fin du XIIe siècle on commençait des édifices religieux et civils d'une dimension inusitée jusqu'alors. On portait la largeur des grandes nefs jusqu'à quinze et seize mètres et même jusqu'à vingt 256. L'art de l'architecture était alors exclusivement tombé entre les mains des laïques, et ceux-ci comprirent bientôt tout le parti qu'ils pouvaient tirer du nouveau système de voûtes. Avec cette logique qui distingue l'habitant des Gaules, les maîtres des oeuvres reconnurent que, puisque de la coupole on ne conservait plus que deux diagonales, ou deux sections faites sur les diagonales d'un parallélogramme inscrit dans le cercle, base de cette coupole, il fallait franchement donner à ces deux arcs croisés une fonction utile, indispensable; il fallait en faire l'ossature de la voûte et porter sur cette ossature des voûtains indépendants les uns des autres, pouvant ainsi s'incliner en tous sens, se biaiser, s'allonger, devenir très-concaves ou presque plats. Les voûtes des cathédrales de Paris, de Senlis, celles de beaucoup d'églises de l'Île de France bâties de 1160 à 1200, présentent déjà une quantité de combinaisons qui indiquent combien, en très-peu d'années, l'école laïque s'était émancipée, tout en conservant le principe primitif issu de la coupole et de l'arc brisé. Cependant,--car si rapidement que l'on progresse, il y a toujours entre le point de départ et le point d'arrivée des transitions,--la coupole considérée comme génératrice est une tradition si puissante, que pour la construction des grandes voûtes, les architectes n'osent pas encore se fier entièrement aux conséquences du système que nous venons d'indiquer. Ils ont encore dans l'esprit la configuration de la coupole, ils tâtonnent.

Les hautes voûtes du choeur de la cathédrale de Paris, qui étaient terminées avant l'année 1190, nous fournissent à cet égard un sujet d'études intéressantes. La date de leur construction est certaine, et elles n'ont pas été modifiées plus tard ainsi que cela est arrivé pour la plupart des absides du XIIe siècle.

Le souvenir de la coupole a évidemment inspiré le tracé de ces voûtes (6). Un cercle dont le centre est en C et dont le rayon est CA a d'abord été tracé. Ce cercle a été divisé en neuf parties. Des points 2 et 7, deux lignes parallèles au grand axe AA' ont été tirées. Ces deux lignes 2B, 7D sont les nûs des murs du haut choeur au-dessus des piles. On voit que les deux segments du cercle 2--3, 6--7 débordent le nû des deux murs. Les points 2 et 7 ont été réunis par une ligne qui est la projection horizontale de l'arc doubleau du sanctuaire. Des lignes E3, E4, E5, E6, réunissant le milieu de l'arc doubleau 2--7 aux points diviseurs de la circonférence, sont les projections horizontales des arcs ogives, nerfs de la voûte du sanctuaire. Les lignes 3E, 6E, prolongées jusqu'à leur rencontre avec les lignes de nûs 7D, 2B, sont les projections horizontales des branches d'ogives contrebutant les arcs rayonnants. Une ligne FG, perpendiculaire au grand axe et tangente au cercle, donne la projection horizontale du dernier arc doubleau des grandes voûtes d'arêtes. Ayant pris sur le grand axe une longueur 9H égale à 9E, on a obtenu le centre, la clef de la voûte en arcs d'ogives FGBD. Mais de même que le triangle GE6 est divisé par l'arc doubleau E7, on a cru devoir diviser le triangle DHG par un arc doubleau IHK. Voilà pour les projections horizontales. Pour le tracé des arcs, la méthode suivie est celle-ci: l'arc doubleau BD, ou celui FG, ou celui 2--7, sont engendrés par un triangle dont la base est quatre et la hauteur deux et demi. Sur le milieu de la base ou naissance BD divisée en quatre, on a élevé la perpendiculaire ab. Celle-ci ayant deux parties et demie égales à chacune des divisions de la base, on a tracé le triangle BDb. Portant sur la ligne de base de D en e une épaisseur égale à celle des claveaux de l'arc doubleau on a réuni le point e au sommet b. Du milieu de cette ligne eb, élevant une perpendiculaire jusqu'à sa rencontre avec la ligne BD, on a obtenu en t le centre de l'une des branches de l'arc doubleau. Quant aux arcs-ogives, arcs-diagonaux qui sont comme les derniers témoins de la coupole, ils sont plein-cintres, ainsi que l'indique notre rabattement; leur point de centre étant relevé en g, au-dessus du tailloir des chapiteaux, afin que la clef h de ces arcs se trouve à un niveau plus élevé que celui des clefs b des arcs doubleaux, car on tenait à avoir une pente dans la section de la voûte, de H en a. Dès lors, il fallait que la clef des arcs doubleaux intersecteurs IK se trouvât au niveau de la clef des arcs ogives. On a donc relevé en p le centre des branches de cet arc doubleau rabattu sur notre figure. La projection verticale de l'arc doubleau 2--7 du sanctuaire est exactement celle des arcs doubleaux BD, FG. Mais comme les branches d'ogives rayonnantes du sanctuaire doivent aboutir à la clef E de cet arc doubleau 2--7, ces branches sont excentriques, ne sont pas les rayons du cercle dont le centre est C; donc la branche 3E est plus courte que la branche 4E. Il a donc fallu un tracé particulier à chacune de ces deux branches. Ces tracés sont rabattus sur notre figure; les clefs l et m de ces branches atteignent, bien-entendu, le niveau de la clef E de l'arc doubleau 2--7.

De tout ceci il résulte que les arcs ogives BG, FD, F6, G3, et les branches 4E, 5E sont bien réellement des côtes de coupoles entre lesquelles on a percé des formerets et des arcs doubleaux affectant la courbe aiguë. Les architectes n'osaient même encore s'affranchir de la configuration concave de la coupole, bien que le système admis l'eût permis, car ils avaient le soin de tenir les clefs des arcs doubleaux et des formerets plus basses que celles des arcs diagonaux, afin de conserver à la structure cette forme de calotte qui leur semblait nécessaire à la solidité.

Le principe de la coupole considérée comme génératrice des voûtes en arcs d'ogives nous paraît trop important pour que nous n'insistions pas. Ainsi (7), soit une voûte absidale en quart de sphère, et dont le plan est ponctué en aa, voûte appelée cul-de-four et si fréquemment employée par les Romains et pendant la période romane. Supposons que nous divisions ce cul-de-four en cinq parts (voir le plan A), que réservant seulement des côtes cbd, nous enlevions, entre ces côtes, les triangles edb, ebb, etc.; nous aurons la figure perspective tracée en B. Il est clair que nous pouvons voûter les triangles vides, soit au moyen d'un formeret plein-cintre c, soit au moyen d'un formeret aigu D dont la clef E est en contre-bas de la clef F, soit au moyen d'un formeret aigu dont la clef G est au niveau de celle F. Ce que nous indiquons ici dans une seule figure, il a fallu quelques années pour le faire. Les hautes voûtes de l'abside de l'église abbatiale de Vézelay sont faites conformément au figuré C; elles datent de 1190 environ. Celles de la cathédrale de Paris sont faites d'après le tracé D (1180). Celles des églises du commencement du XIIIe siècle, conformément au tracé G 257. Comme l'arc ogive (plein-ceintre) bd est plus long que l'arc doubleau cd, lorsqu'on a voulu avoir les clefs de ces arcs doubleaux au niveau de celles des arcs ogives, il a fallu prendre la forme aiguë pour les premiers, ainsi qu'on le voit en H. Il est évident que sur ces côtes conservées de la coupole, on n'a pas immédiatement osé faire porter tout le poids des voûtains. Les architectes, en laissant les clefs des formerets à un niveau plus bas que celui des clefs des arcs ogives, pensaient ainsi faire porter une partie du poids des voûtains ou remplissages triangulaires sur les murs, et ils ne se trompaient pas; mais ils reconnurent bientôt que cette structure avait des inconvénients: elle tendait à déverser les formerets en dehors. C'était un compromis entre la structure antique et celle nouvellement inaugurée qui devait arrêter quelque temps les développements de l'art du XIIIe siècle; d'ailleurs, il était plus simple de considérer les arcs réservés de la coupole comme les points résistants, destinés à transmettre les pesanteurs des voûtes, et de maintenir alors solidement la poussée de ces côtes; c'est ce que l'on fit bientôt: 1º en adoptant l'arc brisé pour les formerets; 2º en élevant les clefs de ceux-ci au niveau des clefs des arcs ogives, comme l'indique la figure 7 en G.

Les projections des grandes voûtes du choeur de la cathédrale de Paris que nous avons tracées (fig. 6) nous montrent en BDFG one voûte presque carrée, composée de deux arcs ogives BG, DF, de deux arcs doubleaux BD, FG, d'un arc doubleau intermédiaire KI et de quatre formerets BK, KF, DI, IG. Ayant la disposition des voûtes sur plan carré des collatéraux, des points d'appuis en B, K, F, D, I, G d'une part, et la tradition de la coupole de l'autre, les constructeurs, cherchant à conserver de cette coupole deux tranches diagonales BG, DF, sur lesquelles devaient reposer les remplissages ou voûtains, ne pensaient pas que ces diagonales dussent ne point se couper suivant des angles très-rapprochés de l'angle droit, sinon droits. Ils franchissaient ainsi deux travées, faisant porter ces arcs ogives ou diagonaux sur les points d'appuis, de deux en deux; mais autant pour diminuer la surface des remplissages que pour répartir leur poids sur toutes les piles, ces constructeurs recoupaient la voûte en arcs d'ogives par un arc doubleau intermédiaire KI.

Voici donc ce que donnait cette combinaison (8). La coupole à projection horizontale circulaire était encore la génératrice de cette voûte. En effet (voir la projection horizontale A), les arcs ogives ab, cd, ne sont autre chose que les tranches réservées de la coupole; seulement, les murs de la nef étant sur les deux parallèles ad, cb, un arc doubleau intermédiaire bandé de la pile e à la pile f permettait de voûter chacun des triangles adg, cbg au moyen de deux voûtains aeg, edg, cfg, fbg. Au lieu de deux formerets ad, cb, on obtenait quatre formerets ae, ed, cf, fb. Le figuré perspectif B explique ce système. Là, le plan fictif de la coupole est visible. Les deux arcs ogives CD, EF en sont les dernières traces; l'arc doubleau intermédiaire GH, au lieu d'être, comme les arcs ogives, une tranche séparée de la coupole, a été reporté de G' en G et de H' en H; son sommet atteint le niveau de la clef I des arcs ogives; puis, l'ossature ainsi établie, dans les triangles K restés vides on a bandé les voûtains K', qui portent sur les arcs ogives, les arcs doubleaux, et qui sont tracés par les formerets L. Ce système offrait encore l'avantage de prendre des jours latéraux sous les formerets dans la hauteur même de la voûte.

Mais il était peu logique, ayant des points d'appuis égaux en force, en aed, de faire porter deux arcs ogives et un arc doubleau sur les piles ad, tandis qu'on ne chargeait la pile e que d'un seul arc doubleau. On prit donc, vers 1230, le parti de faire des grandes voûtes par travées, très-barlongues, et de charger également toutes les piles. C'est ainsi que sont construites les voûtes hautes des nefs des cathédrales d'Amiens et de Reims; la coupole en est cependant le principe générateur comme pour les voûtes précédentes. Dans la cathédrale d'Amiens les arcs diagonaux ou ogives sont des plein-cintres, ou très-peu s'en faut; mais dans celle de Reims la coupole génératrice des arcs ogives est tracée sur un triangle équilatéral, et l'épure de ces voûtes est aussi simple que profondément raisonnée.

En A (9) est donnée la projection horizontale d'une de ces voûtes hautes; les piles étant en abcd, l'axe de ces piles donne les points de départ des deux arcs ogives ad, bc, ou plutôt les arcs ogives sont les diagonales d'un parallélogramme rectangle dont les angles tombent sur les axes des piles. Ces arcs ogives sont les tranches réservées d'une coupole dont la trace horizontale est donnée par le cercle iji'j' et dont la section verticale est la courbe brisée klk'l', inscrivant un triangle dont la base est à la hauteur comme 13 est à 10.--On remarquera que le tracé est donné par l'extra-dos.--L'extra-dos des arcs doubleaux rabattus en efg inscrit un triangle équilatéral; l'extra-dos des formerets rabattus en hmn inscrit de même un triangle équilatéral; la clef n de ces formerets atteint le niveau de la clef g des arcs doubleaux, de sorte que leur naissance est relevée en mh. Ces formerets sont d'ailleurs les archivoltes des fenêtres. Ainsi donc les conséquences du principe de la voûte d'arête dite gothique se simplifiaient rapidement. Les épures pouvaient être indiquées déjà vers 1230 par une simple formule. Le triangle équilatéral est toutefois rarement employé pour tracer les grands arcs doubleaux des voûtes, il est plutôt adopté pour les formerets dont il fallait relever les naissances (voy. CONSTRUCTION).

Villars de Honnecourt 258, parmi ses croquis, trace la figure 10, sous laquelle il inscrit cette légende: «Par chu fait om trois manires dars, a compas ovrir one fois.» Ce qui veut dire: «Par ce moyen l'on fait trois manières d'arcs avec une seule ouverture de compas.» En effet, soit le rayon AB, nous traçons le demi-cercle (plein-cintre) CBD. Posant la pointe du compas en C, avec le même rayon nous traçons l'arc brisé ACE, inscrivant un triangle équilatéral. Abaissant du point E une perpendiculaire sur la ligne de base, le point de rencontre F divise le rayon AC en deux parties égales. Posant la pointe du compas sur F, toujours avec le même rayon nous tracerons l'arc GCH. Les centres de l'arc brisé GCH seront posés sur les points FA qui divisent la base CG en trois parties égales. C'est cet arc auquel quelques auteurs ont donné le nom de tiers-point 259. Or, les architectes du moyen âge ne trouvaient pas toujours des aires assez étendues pour pouvoir tracer entièrement les épures des arcs de leurs voûtes grandeur d'exécution; on comprend en effet que lorsqu'il s'agissait d'élever une cathédrale comme celles d'Amiens ou de Reims, il eût fallu pour tracer, grandeur d'exécution, toutes les épures simultanément nécessaires, un emplacement plus vaste que n'était la surface occupée par le monument lui-même. Force était alors de chercher des moyens de tracés occupant peu de place et présentant cependant une exactitude rigoureuse. L'album de Villars de Honnecourt indique plusieurs procédés propres à tracer des panneaux de claveaux d'arcs sans le secours d'une épure d'ensemble, et ce défaut d'espace pour faire les épures obligea les architectes à adopter certains arcs brisés tracés d'après une formule géométrique. Ainsi, ces architectes ont-ils admis de préférence, à dater du milieu du XIIIe siècle, trois arcs brisés: 1º l'arc brisé engendré par le triangle équilatéral; 2º l'arc brisé tiers-point, et 3º l'arc brisé quinte-point. Le tracé des ogives obtenu en posant les centres sur deux points diviseurs de la base, en trois, en quatre, en cinq, en six, en sept et en huit, permettait de faire une épure rigoureuse, sans qu'il fût nécessaire de tracer l'ensemble d'un demi-arc.

Soit (11) en A un arc brisé engendré par un triangle équilatéral, il est évident que le rayon ab est égal à la base ad; que si nous traçons le quart de cercle do, le segment bo sera la moitié du segment db, puisque le triangle équilatéral divise le cercle en six parties égales. La clef b est donc le troisième point du quart de cercle divisé en trois segments égaux; c'est la raison qui a fait donner parfois le nom d'arc en tiers-point à l'arc équilatéral, c'est-à-dire d'arc dont la clef tombe sur le troisième point du quart de cercle divisé en trois parties égales. Soit en B l'arc brisé auquel le nom de tiers-point doit être appliqué de préférence à tout autre, la base ce étant divisée en trois parties égales, cette base pourra être divisée en six parties égales, et la perpendiculaire abaissée du sommet de l'arc sur la base divisera celle-ci en deux parties égales; donc le rayon fe ayant quatre de ces parties, le rayon fg en contiendra également quatre. Or, supposons que pour tracer l'épure des claveaux de l'arc brisé B nous n'ayons que l'espace fBg, la base ce étant connue, nous en prendrons le sixième que nous tracerons en B'f' (voir le figuré C); sur la base B'f', du point B' nous élèverons une perpendiculaire B'g'; prenant alors un rayon f'g' ayant quatre fois la longueur de B'f' qui est le tiers du demi-diamètre de l'arc, et posant la pointe du troussequin en f, la rencontre de la ligne f'g' avec la perpendiculaire B'g' donnera le point g', sommet de l'arc brisé. Nous pourrons tracer une portion d'arc g'i, donner l'épaisseur des claveaux iK et tracer les joints d'un de ces claveaux. Tous les claveaux de l'arc seront donc donnés par celui lmno, et nous pourrons, sur ce panneau, en faire tailler des milliers. Reste à tracer la clef ou plutôt la contre-clef, puisque les arcs brisés ont un joint à la clef. Le prolongement de la perpendiculaire B'g' nous donnera le panneau de cette contre-clef, comme l'indique notre figure. Mais nous avons encore un autre moyen d'obtenir son panneau (voir le tracé D). Soit la ligne pq l'épaisseur des claveaux, nous la divisons en quatre parties; traçant du point q, au moyen d'une sauterelle, un angle qrs égal à l'angle f'ut, nous prendrons sur le côté qs une longueur qv égale à l'une des quatre parties de la ligne d'épaisseur pq; nous réunirons le point p au point v, et nous aurons tracé le triangle pqv à ajouter aux claveaux pour former le panneau de la contre-clef. Pour tracer les panneaux des claveaux de l'arc quinte-point figuré en G, on procèdera de la même manière; seulement, la base de l'arc étant divisée en cinq parties égales, nous prendrons une de ces parties et demie pour commencer l'opération et nous en prendrons quatre pour le rayon. Ce n'était donc pas au hasard que les constructeurs du moyen âge, dans le tracé de leurs arcs brisés, posaient les centres sur la ligne de base ou de naissance de ces arcs, et comme preuve de leur méthode de tracé d'épures partielles, on peut observer que les claveaux ayant été taillés sans connaître exactement le nombre nécessaire à chacune des branches de l'arc, ou la largeur de douelle, il arrive souvent qu'au moment de fermer l'arc, on pose une contre-clef très-large ou un dernier claveau beaucoup plus mince que les autres.

Mais une figure singulière, tracée dans l'Album de Villars de Honnecourt, nous donne la clef de tout un système de tracés d'arcs pour un édifice entier et permettant, comme dans l'exemple précédent, de faire des épures partielles avec une rigoureuse exactitude et sans avoir besoin d'aires d'une surface considérable 260. La planche XXXIX de cet album nous montre une clef de tiers-point tracée d'après la méthode précédente, puis une spirale coupée par une ligne droite passant par son oeil. Au-dessous de ce croquis, on lit: «Par chu tailon one clef del quint point» (Par ce moyen taille-t-on une clef de quinte-point). Le texte ne se rapporte qu'au trait de la clef, mais la présence de cette spirale, dessinée là comme un simple souvenir, se rapporte évidemment aux tracés d'arcs engendrés par une division du diamètre en cinq.

Ce croquis est celui reproduit exactement par le trait plein de notre figure 12 261. Sur une base AB, divisée en cinq parties égales et donnant six points, du milieu C comme centre on a tracé le demi-cercle AB.--On observera que ce point C sépare la division 3--4 en deux parties égales.--Prenant alors le point 3 comme centre et 3A comme rayon, on a tracé le second demi-cercle A5. Reportant la pointe du compas sur C et prenant C5 comme rayon, on a tracé le troisième demi-cercle 2--5. Reportant la pointe du compas sur 3 et prenant 3--2 comme rayon, on a tracé le quatrième demi-cercle 2--4. Reportant enfin la pointe du compas sur C et prenant C4 comme rayon, on a tracé le cinquième demi-cercle 3--4. Si des deux centres 3 et C, qui ont servi à tracer tous les demi-cercles, nous élevons les deux perpendiculaires 3a, Cb, nous coupons ces demi-cercles en a, en c, en b et en d. En supposant que les arcs ogives d'une grande voûte barlongue de nef soient le plein-cintre dont AB est le diamètre, les arcs doubleaux ayant une base comprenant quatre parties ou la longueur A5, ces arcs doubleaux se composeront d'une branche d'arc Aa et d'une seconde branche d'arc 5a dont le centre sera e point milieu de la partie 2--3. L'arc doubleau sera tracé au moyen de deux arcs de cercle dont le rayon sera CA et dont les centres Ce seront des points diviseurs du diamètre A5 en huit parties égales. Le diamètre de l'arc ogive ayant cinq parties et l'arc doubleau quatre (voir la projection horizontale H), l'arc formeret aura trois parties, car l'arc formeret lm formant un angle droit sur l'arc doubleau ln, si nous donnons à la base de cet arc doubleau 4, à la base de l'arc formeret 3, l'hypothénuse mn, ou base d'un des arcs ogives, aura 5 par la raison que le carré de 4 est 16, le carré de 3, 9, que 16 + 9 = 25 carré de 5. Donc AB étant la base de l'arc ogive d'une voûte dont l'arc doubleau est A5, le formeret aura pour base 3B comprenant trois parties, et nous aurons tracé l'arc ogive de cette voûte, son arc doubleau et son arc formeret avec la même ouverture de compas; les points diviseurs de la base AB nous ayant donné en C le centre des arcs ogives, en Ce les centres de l'arc doubleau, en Cf les centres de l'arc formeret. Par conséquent, les mêmes arcs de cercle servant pour tracer ces trois arcs, tous les panneaux des claveaux de ces arcs pourront être taillés sur une seule épure ou portion d'épure, en supposant que nous appliquions le procédé indiqué en D (11). Si c'est une voûte plus étroite que nous voulions tracer, c'est-à-dire une voûte dont la base des formerets soit la moitié de la base de l'arc doubleau, nous aurons alors en projection horizontale le tracé lpqn (voir le figuré H). Alors l'arc ogive np aura pour diamètre 4 parties 1/2. Cet arc ogive sera donc la courbe brisée dont le diamètre est Af et dont les centres sont les points 3 et C. L'arc doubleau aura pour diamètre comme précédemment A5 et pour points de centre eC, et l'arc formeret aura pour diamètre soit 2--4, soit 3--5, et pour points de centre soit eC, soit ef: dans le premier cas cet arc formeret sera tracé avec une ouverture de compas plus courte que celle qui a servi à tracer l'arc ogive et l'arc doubleau; dans le second, il sera tracé avec la même ouverture de compas. Si nous divisons le tympan sous l'arc formeret en deux baies jumelles, chacune aura une partie de la base AB soit 3--4; et le centre de chacun de ces arcs dont la clef est d sera en 3 et en 4, cet arc sera équilatéral. Si l'arc formeret de la voûte barlongue lnmr, ayant pour base 3B et pour centres C f, nous paraît trop aigu, nous pouvons lui substituer l'arc dont la base est 2--5, dont la clef est b et dont les centres sont 3--4. On comprend donc qu'à l'aide de cette figure, les bases de tous les arcs de la voûte donnant toujours des divisions égales connues ainsi que les rayons de ces arcs, ils peuvent être taillés à l'aide d'une épure partielle prenant très-peu de surface. Et en effet, si nous examinons des églises gothiques bâties pendant le XIIIe siècle, nous reconnaissons que tous les arcs ogives, doubleaux, formerets, que les archivoltes, travées de galeries, etc., sont tracés au moyen de points de centres posés sur des divisions égales en cinq ou dix d'un seul diamètre de cercle. Il ne nous paraît pas nécessaire d'insister davantage sur l'importance de la figure spirale contenue dans l'Album de Villars de Honnecourt, mais il n'est pas hors de propos de faire remarquer que la voûte barlongue lnmr, dont la projection horizontale est tracée en H, dérive du triangle donné par Plutarque comme étant le triangle parfait des Égyptiens, et que l'arc doubleau, dont le diamètre est A5 divisé en quatre, possède une flèche 3a divisée en 2 1/2 moins une très-minime fraction, c'est-à-dire qu'il inscrit un triangle à très-peu près semblable à celui que donne la section verticale de la grande pyramide de Chéops. L'arc dit ogive mérite donc quelque attention: ce n'est pas seulement un motif de solidité qui l'a fait adopter, mais aussi un sentiment des proportions et un accord harmonique entre toutes les courbes des voûtes; c'est une nécessité résultant de la pratique dans le tracé des épures; c'est surtout un besoin de liberté dans la construction de ces voûtes dont on ne saurait trop étudier à fond le principe excellent, puisqu'il permet toutes les combinaisons.

Depuis vingt ans on a fait beaucoup de pastiches de la structure gothique; bien rarement ces imitations satisfont les yeux: c'est qu'en effet ceux qui les élèvent, en admirant fort d'ailleurs nos anciens monuments, ne se sont probablement pas donné la peine d'en rechercher les savants et judicieux éléments. En architecture, le goût, le sentiment sont beaucoup; mais pour les appuyer il faut nécessairement se servir du compas et de la géométrie. On voit qu'au moyen de la formule (12) il n'est qu'un des arcs brisés qui ait ses centres en dehors de ses naissances.

C'est qu'en effet dans ces belles écoles de l'Île-de-France, de la Champagne, du Soissonnais, les architectes, gens de goût, avaient senti que la dernière limite d'aiguïté de l'ogive était l'arc équilatéral; que les centres des branches d'arc placés en dehors des naissances donnaient une brisure dont l'extrême aiguïté était choquante, une proportion désagréable, en ce que les rapports de la base avec la hauteur outrepassaient le triangle équilatéral (voy. PROPORTION). Mais les Normands, les Anglo-Normands étaient moins délicats et cherchaient dans leur structure, avant toute chose, les formules qui supposent des moyens pratiques simples. Aussi, au lieu de tenter, comme dans la figure 12, de trouver des arcs brisés de diamètres différents ayant tous des angles égaux au sommet ou du moins peu dissemblables, des rapports analogues entre les diamètres et les flèches, ces gens pratiques du Nord, bons constructeurs dès le commencement du XIIe siècle, se préoccupent médiocrement des rapports proportionnels, du choix des formes: ils veulent une méthode expéditive. Nous avons vu comme Villars de Honnecourt donne les moyens de tracer un plein-ceintre et plusieurs arcs brisés «avec la même ouverture de compas.» Or, les voûtes normandes élevées vers 1220 présentent souvent une disposition telle que tous les arcs, arcs ogives, arcs doubleaux, formerets, archivoltes, sont tracés à l'aide d'un même rayon.

Ainsi (13), soit la projection horizontale d'une de ces voûtes, l'arc générateur est l'arc ogive qui est un plein-cintre rabattu en ABC. L'arc doubleau AC rabattu en ACS est tracé au moyen du rayon ab égal au rayon OC. L'arc doubleau de recoupement des arcs ogives DE rabattu en DEF est tracé de même, au moyen du rayon ef égal au rayon OC, sa clef F étant naturellement au niveau C de la clef des arcs ogives. Soit iK, lm, l'épaisseur des piles, les arcs formerets étant compris entre Kl. Ces arcs formerets rabattus en Klp sont encore tracés au moyen du rayon rt égal au rayon OC, leur naissance étant relevée de K en V si l'on veut que les clefs des formerets atteignent le niveau des clefs des arcs ogives. Si ces formerets servent d'archivoltes aux baies divisées par un meneau, ce sera encore le rayon nq égal au rayon OC qui servira à tracer les arcs diviseurs de la fenêtre.

Sauf pour les clefs, l'épure d'un seul claveau d'arc suffisait alors pour tailler les panneaux de tous les arcs des voûtes, archivoltes, baies, etc. Et (voir le tracé G), si nous divisons un diamètre d'arc ogive en quatre ou en dix, avec la même ouverture de compas, nous pourrons avoir une suite d'arcs dont les diamètres seront au diamètre du plein-ceintre, qui est le plus grand arc de la voûte ou l'arc ogive, comme trois, deux, un sont à quatre, ou comme neuf, huit, sept, six, etc., sont à dix. Ayant donc des claveaux tous taillés sur un même arc, et une base ou fraction de base, nous pouvons, sans épure, monter tous les arcs d'un édifice. On comprend alors le motif qui avait fait adopter l'arc brisé que l'on appelle lancette: c'était une économie de tracé, on évitait toute complication d'épures et de panneaux, il ne s'agissait plus que de donner la section de chacun de ces arcs suivant leur fonction. Tous taillés d'ailleurs sur une même courbure (à l'extra-dos), ils prenaient leur place suivant la désignation donnée. S'il fallait des épures, c'était seulement pour les cintres en charpente, et encore ces arcs étant tous tracés à l'aide d'un même rayon, l'épure du demi-cercle ou de l'arc ogive permettait de mettre sur ligne tous les autres cintres, puisqu'il suffisait de savoir quel était le rapport existant entre les diamètres de ces arcs et celui du demi-cercle pour avoir le tracé complet de chacun d'eux, ainsi que le fait voir la figure 13 en G 262.

De ce qui précède on peut conclure: lº que l'arc brisé, appelé ogive, a été d'abord une importation d'Orient; 2º qu'adopté en Orient comme une courbure donnée par un principe de proportion expliqué ailleurs 263, cet arc brisé a été en France le point de départ de tout un système de construction parfaitement logique, et permettant une grande liberté dans l'application; 3º que par conséquent l'arc brisé, comme forme, appartient probablement à l'école d'Alexandrie et aux Nestoriens, qui paraissent les premiers l'avoir adopté; mais que, comme principe d'un nouveau système de voûtes, il appartient sans aucun doute à nos provinces du nord de la Loire, puisqu'en 1140, dans l'église abbatiale de Saint-Denis, les constructions élevées par Suger ne laissent apparaître les plein-cintres que pour les arcs ogives, et qu'elles ont appliqué déjà le système de voûtes que nous voyons se développer dans la cathédrale de Paris vingt ans plus tard. Or, nulle part, ni en Europe, ni en Orient, au milieu du XIIe siècle, on ne construisait de voûtes ayant quelques points de rapports, comme emploi de l'arc brisé, avec celles de l'église de Saint-Denis et de la cathédrale de Paris. Si donc l'arc brisé a pris naissance hors de France comme forme d'arc, nous sommes les premiers qui ayons su l'appliquer à l'une des plus fertiles inventions dans l'histoire de la construction. Si donc l'arc brisé a pris naissance hors de France, nous sommes les premiers qui ayons su tirer de cette forme, issue d'un sentiment des proportions 264, des conséquences d'une valeur considérable, puisqu'elles ont produit la seule architecture originale qui ait paru dans le monde depuis l'antiquité.

Note 245: (retour) Croix d'augives, au commencement dn XIVe siècle, s'entendaient pour les arcs diagonaux d'une voûte d'arête gothique. Or, ces croix d'augives, ou arcs ogives, sont le plus souvent des pleins-cintres. «Item II. crois d'augives pour faire les voûtes sus et une arche entre II crois augivères...». (Titre de fondation d'une chapelle à Averdoin, du mois de juin 1347. Archives de M. le duc de Luynes...--Voy. t. II des Annales archéologiques, p. 41, l'article de M. Lassus sur l'arc ogive.) Pendant le moyen âge, et jusqu'au XVIe siècle, le mot ogive ou augive, arcs ogives, ne s'appliquait qu'aux nervures croisées. Les autres arcs, fussent-ils aigus, s'appelaient arc doubleau, tiercerons, formerets. (Voy. les articles ARC, CONSTRUCTION.)
Note 246: (retour) Voyez le Neuvième Entretien sur l'Architecture.
Note 247: (retour) Traité sur Isis et Osiris.
Note 248: (retour) Voyez le Neuvième Entretien sur l'Architecture.
Note 249: (retour) Les Italiens n'ont jamais compris les raisons qui avaient fait adopter la forme de l'arc brisé au point de vue des proportions et de sa véritable fonction. On peut en avoir la preuve si l'on observe que presque tous leurs arcs brisés sont appareillés comme un plein-cintre, c'est-à-dire que les joints des claveaux tendent à un seul centre, ce qui est un contre sens; que les proportions de ces arcs brisés présentent presque toujours un rapport de proportions désagréable entre la base et la hauteur. Mais les Italiens du moyen âge n'ont pas compris grand'chose à l'art grec postérieur au bas temps, et les Grecs le savaient, puisqu'ils les considéraient comme des barbares.
Note 250: (retour) Voyez les voûtes des bas-côtés de l'église de Saint-Martin-des-Champs, à Paris; celles des bas-côtés de l'église de Poissy, etc.
Note 251: (retour) Les arcs doubleaux de l'église de Saint-Front de Périgueux datent des dernières années du Xe siècle, et sont déjà des arcs brisés.
Note 252: (retour) Les Églises de la Terre Sainte, par le comte Melch. de Vogué. Paris, 1860.
Note 253: (retour) Par cette raison que toute section d'une sphère par un plan donne un cercle.
Note 254: (retour) D'autres découvertes aussi simples dans leur principe que fertiles en résultats ont mis, en ce monde, bien du temps à surgir; mais rarement on a considéré ces éclairs de l'esprit humain comme un signe de barbarie. Rarement les peuples au milieu desquels ils ont apporté une lumière nouvelle ont cherché à voiler leur éclat.
Note 255: (retour) Ces arcs diagonaux sont ce qu'on appelle, dans la construction des voûtes gothiques, les arcs ogives. (Voy. CONSTRUCTION.)
Note 256: (retour) Nef de l'ancienne cathédrale de Toulouse.
Note 257: (retour) La Bourgogne est de quelques années en retard sur l'Île de France, et les voûtes du choeur de Vézelay correspondent comme facture à celles (anciennes) de la cathédrale de Noyon, qui date du milieu du XIIe siècle.
Note 258: (retour) Album de Villars de Honnecourt. Voir les éditions française et anglaise. Pl. XI.
Note 259: (retour) Cette dénomination nous semble en effet parfaitement applicable à cette sorte d'arc, puisque la pointe du compas est placée sur le troisième des points diviseurs de la base. Cependant l'arc équilatéral est souvent aussi appelé tiers-point. Nous allons voir pour quelle raison.
Note 260: (retour) L'usage de cette figure, qui n'a point été expliquée dans l'édition française de Villars de Honnecourt, est, en présence des monuments, d'une importance capitale. N'oublions pas que les anciens maîtres des oeuvres, bâtissant dans des villes resserrées, ne pouvaient disposer de chantier ou d'aires d'une grande étendue. En théorie, on ne tient guère compte de ces difficultés, mais dans la pratique elles ont une telle importance, qu'elles forcent les architectes qui tiennent à faire tracer leurs épures devant eux à adopter des méthodes qui influent sur les formes adoptées.
Note 261: (retour) Les lignes ponctuées, chiffres et lettres ont été posés par nous pour expliquer l'usage de cette figure.
Note 262: (retour) C'est en faisant refaire des arcs de voûtes gothiques que nous avons été amené à reconnaître cette unité de la courbe pour beaucoup d'entre eux dans un même édifice, quel que fut le diamètre de chacun de ces arcs, car les courbes de cintres en charpente taillés pour l'un servaient pour plusieurs; seulement le segment de chaque branche était plus ou moins long.
Note 263: (retour) Dans nos Entretiens sur l'architecture (Neuvième).
Note 264: (retour) Voyez le Neuvième Entretien sur l'architecture et l'art. PROPORTION.


ORATOIRE, s. m. Petite chapelle élevée sur le lieu témoin d'un événement considéré comme miraculeux, ou pour conserver un souvenir religieux. On donne aussi le nom d'oratoire à certaines chapelles dépendant des appartements d'un château, d'un palais ou d'un hôtel. On appelait encore oratoires, pendant le moyen âge, des clotets, c'est-à-dire de petites chambres tapissées que l'on dressait dans les grandes chapelles de châteaux et qui étaient destinées aux châtelains et à leurs proches.

Lebeuf, dans son Histoire du diocèse de Paris 265, mentionne certains oratoires élevés dans les endroits où saint Germain s'était arrêté pour prier ou pour instruire le peuple. Les anciennes abbayes possédaient, outre la principale église, des oratoires élevés en plusieurs lieux de l'enclos. C'est pour perpétuer les souvenirs que rappelaient de très-anciens oratoires, qu'en 1034 on rebâtit les petites chapelles de Saint-Martial à Paris, qu'un incendie avait détruit 266. La plupart des monastères ne furent, dans l'origine, qu'un oratoire élevé au milieu d'un désert et autour duquel des cénobites vinrent s'établir. Saint Clément érigea ainsi un oratoire en un lieu dit Gorze, près de Metz, qui devint bientôt le centre d'un grand monastère 267. Un oratoire avait été érigé en face le monastère de Sennoul pour y déposer les reliques de saint Siméon. C'est retiré dans son oratoire, à Vienne, en Dauphiné, que l'archevêque Turpin ou Tulpin apprit la mort de Charlemagne à Cologne par plusieurs diables qui s'en retournaient sans avoir pu enlever l'âme de l'empereur, disaient-ils, si l'on en croit la chronique de Richer. Charlemagne fit bâtir aussi un grand nombre d'oratoires, parmi lesquels il faut citer celui de la vallée de Moyen-Moustier, élevé en l'honneur de saint Denis, et dans lequel était conservé le corps du pape Alexandre, martyr, recueilli à Rome. Cet oratoire était pavé en mosaïque et exista jusqu'en 1586 268. À Cluny, à Clairvaux on conservait encore, au dernier siècle, les oratoires de saint Odilon et de saint Bernard: c'est-à-dire les cellules isolées dans lesquelles se tenaient habituellement ces personnages. Bien entendu, ces chambrettes n'étaient remarquables que par leur extrême simplicité.

On disposait aussi certains oratoires au milieu des forteresses du moyen âge; placés sous le vocable d'un saint particulièrement vénéré dans la contrée et dépositaires de quelques-unes de ses reliques, ils protégeaient les défenses.

C'est ainsi qu'au milieu de la cité de Villeneuve-lès-Avignon, on voit encore un oratoire du XIIe siècle conservé au milieu de l'enceinte rebâtie au XIVe siècle. La figure 1 donne le plan de cette petite chapelle, et la figure 2 son élévation perspective.

Outre la chapelle, qui était commune à tous les familiers, les châteaux possédaient un ou plusieurs oratoires tenant aux appartements du châtelain et de la châtelaine. Ces oratoires n'étaient autre chose qu'une petite pièce retirée, ordinairement placée dans une tour. On s'y enfermait pour prier, mais on n'y faisait pas l'office divin. Ce ne fut guère qu'au XIVe siècle que les oratoires de châteaux devinrent par fois de véritables petites chapelles dans lesquelles on pouvait dire la messe.

En 1365, Charles V fit disposer dans la chapelle du château du Louvre un oratoire très-richement décoré, afin de s'y retirer lorsqu'il voulait assister à la messe 269. Louis XI fit de même bâtir, entre deux des contre-forts de la Sainte-Chapelle du Palais, à Paris, un oratoire d'où il pouvait voir l'office par une petite baie biaise, sans être vu des assistants. Cet oratoire, qui existe encore, est voûté en berceau et fort simple; il était probablement tendu en tapisseries. L'extérieur est, au contraire, richement décoré de fines sculptures et terminé par une balustrade fleur-de-lysé avec un L couronné au centre. Un oratoire est accolé également à la Sainte-Chapelle du château de Vincennes (voy. CHAPELLE).

Note 266: (retour) Lebeuf, t. II, p. 498.
Note 267: (retour) Chroniq. de Richer, l. II, chap. III.
Note 268: (retour) Chroniq. de Richer, l. II, chap. IX.
Note 269: (retour) Sauval. Hist. et antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 22.


ORGUE, s. m. (Voy. BUFFET.)



OSSUAIRE, s. m. Construction couverte, élevée dans les cimetières pour y déposer les ossements que l'on retrouve dans la terre sainte, lorsqu'on y creuse de nouvelles fosses. Autrefois tous les cimetières possédaient un ossuaire. Quelquefois, comme au cimetière des Innocents, à Paris, l'ossuaire n'était qu'un cloître, sous les lambris duquel on plaçait successivement les ossements que la multiplicité des sépultures mettait à découvert. Sur les parois des églises, et même des deux côtés de leur porte principale, on pratiquait aussi des enfoncements abrités par un bout de galerie de cloître, et dans ces enfoncements garnis de grilles serrées on jetait les ossements dont regorgeait la terre des cimetières.

Un ossuaire de ce genre (1) existait sur l'un des côtés de la façade de l'église de Fleurance (Gers). Plus souvent l'ossuaire formait comme une chapelle percée d'une quantité de petites baies, à travers lesquelles on apercevait les ossements accumulés peu à peu à l'intérieur. La Bretagne conserve encore un assez grand nombre d'ossuaires qui datent des XVe et XVIe siècles, et l'on n'a point cessé d'y déposer des ossements; quelques-uns en sont remplis jusqu'au comble. Lorsque les ossements exhumés par le creusement de nouvelles fosses appartiennent à des morts auxquels on a pu donner un nom, les familles font enfermer le chef, le crâne du mort, dans une petite boîte surmontée d'une croix, et ces boîtes sont posées sur l'appui des nombreuses baies de l'ossuaire. La fig. 2 représente une vue de l'ossuaire du Faouët (Finistère), qui se trouve accolé à l'église et donne sur le cimetière 270.

Dans des églises des provinces méridionales, surtout dans le pays basque, nous avons vu souvent, à l'extérieur des absides des églises rurales entourées de leur cimetière, des niches pratiquées sous les appuis des fenêtres et dans lesquelles se trouvent rangés avec soin des crânes recueillis en remuant la terre sainte. Les caveaux pratiqués sous certaines parties des églises servaient quelquefois aussi d'ossuaires.

Le désir d'être enterré le plus près possible des églises, lorsqu'on ne pouvait l'être dans son enceinte même, faisait rapprocher les tombes autour des fondations «sous l'égoût du toit.» Des ossuaires étaient donc habituellement disposés entre les contre-forts des nefs, comme pour satisfaire au voeu habituel des mourants. C'est ce qui explique pourquoi les galeries de cloître accolées aux églises étaient, du côté opposé à la claire-voie, percées d'enfoncements, de réduits, sortes d'armoires, dans lesquels on rangeait les ossements rendus au jour par la bêche du fossoyeur; réduits ou armoires dont notre figure 1 donne la disposition. Si on construisait des ossuaires en dehors des églises, on devait en avoir aussi pour l'intérieur, car on n'aurait pas voulu rejeter au dehors des ossements de fidèles découverts dans l'intérieur. Mais comme on ne devait exhiber dans l'intérieur de l'église que les restes de personnages saints, on plaçait les os sortis d'anciennes sépultures inconnues dans de petits caveaux, dans certaines parties des cryptes, ou, comme nous l'avons vu quelquefois, dans des trous pratiqués à travers les maçonneries et murés. Cet usage était fréquent chez les religieux, et nous avons découvert, en réparant de vieux murs d'églises abbatiales, de ces réduits murés entièrement remplis d'ossements humains provenant évidemment de plusieurs corps.

Note 270: (retour) Nous devons le dessin de cet ossuaire à M. Gaucherel.


OUBLIETTES, s. f. (S'emploie au pluriel.) Fosse profonde creusée sous le plancher ou la voûte d'une salle, et dans laquelle on précipitait les gens que l'on tenait à faire disparaître. Il n'y a pas de château du moyen âge dans lequel on ne montre des oubliettes, et cependant nous devons avouer que nous avons très-rarement trouvé des fosses auxquelles on puisse donner ce nom; généralement ce que l'on considère comme des oubliettes sont des fosses d'aisances dont il est bien aisé de reconnaître l'emploi, pour peu que l'on soit familier avec l'art de la construction (voy. LATRINES).

Nous avons vu dans beaucoup de châteaux, d'abbayes et d'officialités, des cachots, des vade in pace; mais nous ne connaissons que trois oubliettes considérées comme telles avec quelque raison. Les unes se trouvaient au château Chinon, les secondes à la Bastille et les troisièmes dans celui de Pierrefonds. Il faut constater aussi que les romans et les chroniques du moyen âge parlent souvent de chartres, de cachots; mais d'oubliettes, il n'en est pas question. Nous ne serions pas éloigné de croire que les oubliettes du château Chinon sont des latrines, ce qui réduirait les exemples cités à deux. «Nous devons avertir nos lecteurs, dit M. Mérimée dans les Instructions du comité historique des arts et monuments 271, de se tenir en garde contre les traditions locales qui s'attachent aux souterrains des donjons. On donne trop souvent au moyen âge des couleurs atroces, et l'imagination accepte trop facilement les scènes d'horreurs que les romanciers placent dans de semblables lieux. Combien de celliers et de magasins de bois n'ont pas été pris pour d'affreux cachots! Combien d'os, débris de cuisines, n'ont pas été regardés comme les restes des victimes de la tyrannie féodale! C'est avec la même réserve qu'il faut examiner les cachots désignés sous le nom d'oubliettes, espèces de puits où l'on descendait des prisonniers destinés à périr de faim, ou bien qu'on tuait en les y précipitant d'un lieu élevé dont le plancher se dérobait sous leurs pieds. Sans révoquer absolument en doute l'existence des oubliettes, on doit cependant les considérer comme fort rares, et ne les admettre que lorsqu'une semblable destination est bien démontrée.» Nous sommes d'autant plus disposé à considérer les oubliettes du château Chinon comme une fosse de latrines, que l'espèce de puits à plan carré qui les compose est percé à peu près à mi-hauteur d'une porte qui semble être la voie d'extraction des matières, à moins d'admettre que cette porte n'ait été pratiquée pour voir si le condamné était bien mort. Quant aux oubliettes de la Bastille, elles pourraient passer pour une glacière. En voici la coupe (1).

Elles consistaient en une salle voûtée à six pans, située dans le soubassement d'une des tours, à laquelle on n'arrivait que par une petite porte communiquant à l'escalier à vis; tout autour de cette salle était un trottoir d'un mètre de large, et au milieu un cône renversé terminé par un petit orifice destiné à entraîner les eaux. Il est certain qu'un malheureux descendu dans le fond de cet entonnoir ne pouvait ni s'asseoir, ni se coucher, ni se tenir debout. Il faudrait admettre que le petit canal était une vidange, et que les gens qu'on descendait dans ce cul de basse-fosse étaient placés là pour leur donner le loisir de faire des réflexions. C'était une sorte de question prolongée. Mais ce cône peut bien être une glacière, et ce ne serait pas le seul exemple d'un magasin de glace existant dans un château. Nos ancêtres aimaient à boire frais, le petit canal inférieur est alors bien expliqué. Quant aux oubliettes du château de Pierrefonds, on ne peut douter de leur destination; en voici la coupe (2). Elles consistent en un puits creusé au milieu d'une salle qui était certainement un cachot, puisqu'il contient dans une niche un siége d'aisances.

On ne peut même descendre dans ce cachot que par un orifice A percé au centre de sa voûte. On descendait du rez-de-chaussée à la salle C, qui devait servir également de prison, par un escalier à vis. À cette salle C est joint un cabinet d'aisances; elle ne recevait de jour que par une très-petite ouverture D. Si l'orifice des oubliettes restait béant dans le cachot, s'il n'était pas fermé par un tampon, on conçoit quelle devait être la situation du malheureux prisonnier craignant sans cesse de tomber dans ce trou qu'il ne pouvait voir, puisque le cachot ne reçoit pas de jour. Les deux orifices, celui de la voûte et celui des oubliettes, se correspondant exactement, de la trappe A on pouvait faire tomber quelqu'un dans le puits sans prendre la peine au préalable de le descendre dans le cachot. Nous sommes descendus au fond de ces oubliettes; nous y avons trouvé le rouet qui a servi à les fonder, mais aucune trace d'être humain. En B est le niveau du fond du fossé. En les creusant de deux mètres nous en avons fait un puits qui donne de l'eau pour les besoins du château. Dans ce même château il existe d'autres cachots semblables à celui-ci, sauf le puits des oubliettes; dans l'un de ces cachots nous avons constaté l'existence de noms gravés et une grossière sculpture faite sur les parements. On prétend qu'au château de Blois il existe aussi des oubliettes, mais nous n'avons pu en vérifier exactement la forme.

Note 271: (retour) Collection de documents inédits sur l'hist. de France. Architecture militaire, p. 74.


OUVRIER, s. m. Quelle était la situation de l'ouvrier de bâtiments au moyen âge? Cette question est difficile à résoudre. Avant l'établissement régulier des corporations, vers le milieu du XIIIe siècle, l'ouvrier était-il libre, comme celui de notre temps, ou faisait-il partie d'un corps, obéissant à des statuts, soumis à une sorte de juridiction exercée par ses pairs? Les marques de tâcherons que l'on trouve sur les pierres des parements de nos monuments du XIIe siècle et du commencement du XIIIe, dans l'Île-de-France, le Soissonnais, le Beauvoisis; une partie de la Champagne, en Bourgogne et dans les provinces de l'Ouest, prouvent évidemment que les ouvriers tailleurs de pierre, au moins, n'étaient pas payés à la journée, mais à la tâche. Suivant le mode de construire de cette époque, les pierres des parements faisant rarement parpaing et n'étant que des carreaux d'une épaisseur à peu près égale, la maçonnerie de pierre se payait à tant la toise superficielle au maître de l'oeuvre, et la pierre taillée, compris lits et joints, à tant la toise de même à l'ouvrier. Celui-ci marquait donc chaque morceau sur sa face nue afin que l'on pût estimer la valeur du travail qu'il avait fait.

Il faut bien admettre alors que l'ouvrier était libre, c'est-à-dire qu'il pouvait faire plus ou moins de travail, se faire embaucher ou se retirer du chantier comme cela se pratique aujourd'hui. Mais vers le milieu du XIIIe siècle, lorsque les règlements d'Étienne Boileau furent mis en vigueur, ce mode de travail dut être modifié.

Les ouvriers durent d'abord se soumettre aux statuts de la corporation dont ils faisaient partie; le salaire fut réglé par les maîtrises, et chaque affilié ne pouvant avoir qu'un, deux ou trois apprentis sous ses ordres, devenait ainsi, vis à vis le maître de l'oeuvre, ce que nous appelons aujourd'hui le compagnon, ayant avec lui un ou plusieurs garçons.

Alors le salaire se régla par journées de compagnon et d'aide, et chaque compagnon devenait ainsi comme une fraction d'entrepreneur concourant à l'entreprise générale, au moyen d'un salaire convenu et réglé pour telle ou telle partie. Aussi les marques de tâcherons ne se voient plus sur nos monuments des provinces du domaine royal à dater du milieu du XIIIe siècle.

Le maître de l'oeuvre, chargé de la conception et de la direction de l'ouvrage, se trouvait en même temps le répartiteur des salaires, faisant, comme nous dirions aujourd'hui, soumissionner telle partie, telle voûte, tel pilier, tel portion de muraille par tel et tel compagnon. C'est ce qui explique, dans un même édifice, ces différences d'exécution que l'on remarque d'un pilier, d'une voûte, d'une travée à l'autre, certaines variations dans les profils, etc. Les matériaux étant fournis par celui qui faisait bâtir, ils étaient livrés à chacun de ces compagnons après avoir été tracés par le maître de l'oeuvre, car le maître de l'oeuvre était forcément appareilleur 272. Le système de construction admis par les architectes du moyen âge les obligeait à se mettre en rapport direct avec les ouvriers. Et encore aujourd'hui ne peut-on procéder autrement quand on veut l'appliquer. Il résultait naturellement de ces rapports continuels entre l'ordonnateur et l'exécutant un cachet d'art très-fortement empreint sur les moindres parties de l'oeuvre, comme l'expression d'une même pensée entre l'esprit qui combinait et la main qui exécutait.

Nous avons changé tout cela, et de notre temps les intermédiaires entre l'architecte qui travaille dans son cabinet et l'ouvrier qui taille la pierre sont si nombreux, se connaissent si peu, que l'exécution n'est qu'une empreinte effacée de la conception.

Nous sommes certainement des gens civilisés, mais nous le serions davantage si, au lieu de manifester un dédain profond pour des institutions que nous connaissons mal et qui nous donneraient quelque peine à étudier, nous tentions d'en profiter. Ainsi, il est bien certain qu'au moyen âge, entre le maître de l'oeuvre et l'ouvrier il n'y avait pas la distance immense qui sépare aujourd'hui l'architecte des derniers exécutants; ce n'était pas certes l'architecte qui se trouvait placé plus bas sur les degrés de l'échelle intellectuelle, mais bien l'ouvrier qui atteignait un degré supérieur. Pour ne parler que de la maçonnerie, la manière dont les tracés sont compris par les tailleurs de pierre, l'intelligence avec laquelle ils sont rendus, indique chez ceux-ci une connaissance de la géométrie descriptive, des pénétrations de plans, que nous avons grand-peine à trouver de notre temps chez les meilleurs appareilleurs. L'exécution matérielle des tailles atteint toujours une grande supériorité sur celle que nous obtenons en moyenne. Mais si nous allons chercher des corps de métiers plus relevés, comme par exemple les sculpteurs, les tailleurs d'ymages, il nous faut beaucoup d'années et des soins infinis pour former des ouvriers en état de rivaliser avec ceux du moyen âge.

De notre temps, les charpentiers forment le seul corps qui ait conservé l'esprit des ouvriers du moyen âge. Ils sont organisés, ils ont conservé l'initiative; n'est pas charpentier qui veut. Ils sont solidaires sur un chantier, très-soumis au savoir du chef quand ils l'ont bien reconnu, mais parfaitement dédaigneux pour son insuffisance si elle est constatée, ce qui n'est pas long. Et parmi les ouvriers de bâtiment les charpentiers qui ont su maintenir leur ancienne organisation sont en moyenne les plus intelligents et les plus instruits.

On s'occupe beaucoup des ouvriers depuis quelques années; on pense à assurer leur bien-être, à trouver des refuges pour leur vieillesse; le côté matériel de leur existence s'est sensiblement amélioré. Mais pour ce qui est du bâtiment, on ne s'est peut-être pas assez occupé de leur instruction, de relever la façon. Le système de la concurrence, qui certes présente de grands avantages, a aussi des inconvénients: il tend à avilir la main d'oeuvre, à faire employer des hommes incapables de préférence à des hommes habiles, parce que les premiers acceptent des conditions de salaire inférieures, ou bien parce qu'ils font en moins de temps et plus mal, il est vrai, tel travail demandé. Ce n'est pas là un moyen propre à améliorer la situation morale de l'ouvrier. Les chantiers ouverts sur plusieurs points de la France pour la restauration de nos anciens édifices du moyen âge ont formé des pépinières d'exécutants habiles, parce que, dans ces chantiers, la perfection de la main-d'oeuvre est une condition inhérente au travail. Tout cela est à considérer, mais ce qu'il faudrait, c'est un enseignement pour les ouvriers de bâtiments; le système des corporations n'existe plus, il serait nécessaire de le remplacer par un système d'enseignement appliqué. En attendant, les architectes, sur leurs chantiers, peuvent prendre une influence très-salutaire sur les ouvriers qu'ils emploient, s'ils veulent se donner la peine de s'occuper directement du travail qui leur est confié, et s'ils ne dédaignent pas de leur expliquer eux-mêmes les moyens les plus propres à obtenir une exécution parfaite.

Note 272: (retour) Toutes les représentations de maître des oeuvres au moyen âge les montrent avec le grand compas d'appareilleur à la main. Si nous disons que le maître de l'oeuvre était forcément appareilleur, c'est qu'en effet, le système de l'architecture dite gothique admis, il est nécessaire que l'architecte trace lui-même les épures des divers membres de son édifice. Ce fait seul explique pourquoi ce système de construction est repoussé, comme indigne de notre état civilisé, par les maîtres des oeuvres de notre temps. C'est, à tout prendre, un assez dur métier que celui d'appareilleur.

FIN DU TOME SIXIÈME.


TABLE PROVISOIRE
DES MOTS CONTENUS DANS LE TOME SIXIÈME.


Gable
Galerie
--de service des églises
--de service des palais
Galetas
Garde-corps, Garde-fous
(voy. BALUSTRADES).
Gargouille
Gaufrure
Giron
Girouette
Gnomon
Gond
Gorge
Gothique (voy.
ARCHITECTURE).
Gousset
Goût
Gouttière
(voy. GARGOUILLE).
Grange
Griffe
Grillage
Grille
Grisaille (voy. VERRIÈRE).
Guette
Guichet
Gypserie

Halle
Herse
Heurtoir
Hôpital (voy. HÔTEL-DIEU).
Horloge
Hôtel
Hôtel-de-Ville
Hôtel-Dieu
Hôtellerie
Hourd
Hourdage (voy. HOURD).
Hourdis
Huis
Huisserie (voy.
MENUISERIE).

Imagerie
Imbrication
Incrustation
Intra-dos

Jambage
Jambette
Jardin
Jessé
Joint
Jubé
Jugement dernier

Karnel (voy. CRÉNAU).
Keminée (voy. CHEMINÉE).

Labyrinthe
Lambourde
Lambris
Lanterne des morts
Larmier
Latrines
Lavabo
Lavatoire
Légende
Lice
Lien
Lierne
Limon
Linçoir
Linteau
Lis (fleur de) (voy. FLORE).
Lit
Loge
Lucarne
Lunette

Mâchicoulis
Maçonnerie
Main-courante
Maison
--des villes
--des champs
Manoir
Marbre
Marché (voy. HALLE).
Marqueterie (v. MENUISERIE).
Meneau
Menuiserie
--Clôtures, claires-voies,
clotets, lambris
--Huis
Menuiserie, Voussures, plafonds, tambours
--Marqueterie
Meurtrière
Miséricorde
Mitre
Moellon
Montoir
Mortaise
Mortier
Mosaïque
Moulin
Moustier (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE).

Naissance
Narthex
Nef
Niche
Nimbe
Noue
Noyau

Oeil
Ogive
Oratoire
Orgue (voy. BUFFET).
Ossuaire
Oubliettes
Ouvrier

FIN DE LA TABLE PROVISOIRE DU TOME SIXIÈME.


Paris.--Imprimé chez Bonaventure et Ducessois, 55, quai des Augustins.

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