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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z)

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Mais c'est (nous l'avons déjà dit) dans les églises monastiques des Gaules que nous voyons le transsept s'accuser franchement dès une époque ancienne. Le plan de l'église primitive de Saint-Rémi, à Reims. encore visible, malgré les modifications qu'il a subies, possède un transsept très-étendu et sur lequel, outre le sanctuaire, s'ouvraient cinq chapelles orientées. Ce transsept, ainsi que la nef, était primitivement couvert par une charpente avec quatre arcs-doubleaux à l'intersection des murs.

Nous en donnons le plan (fig. 2) 191 qui ne diffère de celui de la grande basilique de Saint-Paul hors des murs de Rome que par le bas côté du choeur et l'adjonction des chapelles. Ici encore les religieux occupaient ce vaste croisillon, et la nef était réservée aux fidèles.

À Saint-Rémi, le choeur des religieux était alors en A et l'autel en B; la châsse de Saint-Rémi en C. Les latéraux de l'église du Xe siècle étaient voûtés au moyen de berceaux portant sur des arcs-doubleaux et perpendiculaires aux axes de la nef et du transsept. Un triforium ou galerie couverte en charpente posée sur des arcs s'élevait au-dessus des collatéraux et sous les fenêtres hautes de la nef (voy. TRAVÉE, fig. 1).

Plus tard, le principe de la disposition primitive du transsept se perd, les fidèles envahissent les ailes; un collatéral pourtourne le sanctuaire, sauf dans les églises peu importantes; il se garnit de chapelles nombreuses; les religieux n'occupent plus, pendant les offices, que le centre de la croisée et les dernières travées de la nef centrale. Alors le milieu de l'abside devient un lieu sacré, réservé au dépôt des reliques, des trésors, et où les fidèles ne sont point admis. Cette abside gagne en profondeur; l'autel des religieux demeure sous son arc-doubleau d'entrée ou s'avance au milieu du transsept. Cette transformation eut lieu dans l'église abbatiale de Saint-Rémi même, à la fin du XIIe siècle. Le choeur des religieux fut porté en D; le rond-point, derrière l'autel, beaucoup plus profond, contenait encore la châsse du saint évêque, mais les fidèles tournaient autour de ce sanctuaire fermé par une clôture et avaient accès aux chapelles rayonnantes bâties sur une assez grande échelle.

Lorsque vers la fin du XIe siècle, on décida de remplacer les charpentes des hautes nefs par des voûtes, on commença par établir des berceaux: on n'osait entreprendre de construire des voûtes d'arête d'une grande portée 192; mais au centre de la croisée, force était, ou de faire une voûte d'arête, à la rencontre des berceaux, ou une coupole. C'est à ce dernier parti que l'on s'arrêta, tant on se défiait de la solidité des grandes voûtes d'arête à la manière romaine.

Les jolies églises d'Auvergne, bâties toutes à peu près sur le même patron, vers 1100 193, nous fournissent plusieurs exemples de plans avec transsept très-judicieusement conçus.

Le plan (fig. 3) de l'église d'Issoire sort des données primitives quant à la disposition du transsept. Sur les quatre piles de la croisée sont bandés quatre arcs-doubleaux qui portent, dans les angles, des trompillons arrivant à l'octogone; sur cet octogone s'élève une voûte en coupole, contre-butée latéralement en a et b par des demi-berceaux 194; au-dessus de la coupole se dresse un clocher. Le sanctuaire A est relevé de quelques marches au-dessus du pavé du transsept et du collatéral circulaire. Deux degrés descendent dans une crypte. Les fidèles avaient accès partout, hormis dans le sanctuaire, et, par le fait, les deux croisillons c, d, ne sont que les appendices des chapelles orientées e, f. Ce plan, si bien conçu, devait donner, en élévation, un motif d'une grande originalité et qui sortait des données admises jusqu'alors.

Voici (fig. 4) la vue perspective de l'abside de l'église d'Issoire avec son transsept. On voit que les deux extrémités du bras de croix, au droit des chapelles orientées, ne s'élèvent pas au-dessus de la nef et de l'abside; mais les deux parties a, b, du plan, qui reçoivent les demi-berceaux destinés à contre-buter la coupole, forment un premier gradin, d'un grand effet, qui conduit l'oeil au deuxième gradin enfermant la coupole et portant le clocher central. Malheureusement, ces parties supérieures ont été alourdies et défigurées à différentes époques, mais il est aisé de reconnaître, sur le monument même, et par l'examen des constructions, la disposition primitive sous les superfétations qui lui ôtent une partie de sa grâce. Des matériaux de diverses couleurs forment, en certaines places, des mosaïques qui donnent de la finesse et de l'élégance à cette structure adroitement étagée. Les plans auvergnats firent école et eurent des imitateurs jusque dans le Nivernais, au nord; jusque dans le Limousin et le Languedoc, au sud. Toutefois, dans ces dernières provinces méridionales, ces imitations ne paraissent s'être appliquées qu'à des églises abbatiales.

La plus importante de toutes est, sans contredit, la célèbre église de Saint-Bernin (Saint-Saturnin), de Toulouse, dont le choeur et le transsept datent du commencement du XIIe siècle.

La figure 5 donne en A la moitié du plan de son abside avec le transsept et l'amorce de la nef. Ici le transsept n'est plus réservé aux religieux, ceux-ci se tenaient dans le choeur placé en C, tandis que l'autel était établi en a sur la crypte renfermant le tombeau de Saint-Saturnin. En b était un autel de retro, réservé à certaines solennités. Aux deux extrémités nord et sud du transsept sont percées de larges portes p, p, dont nous montrons le complément extérieur en P; portes faites pour les fidèles ou plutôt les pèlerins qui affluaient en grand nombre, à certains jours, dans l'église de Saint-Sernin. La nef est pourvue de doubles collatéraux, et l'un des deux pourtourne complétement les bras du transsept et le sanctuaire. Un triforium voûté surmonte ces collatéraux. Cette disposition grandiose fut suivie vers la même époque, lors de la construction de l'église de Conques (Aveyron). Nous donnons en B, de même, la moitié du plan de son abside et de son transsept. Les religieux occupaient, dans l'église de Conques, la même place qu'à Saint-Sernin. À Conques, les fidèles n'avaient point accès dans l'église par les extrémités des bras de croix, mais seulement par les portes latérales m. Ces plans font assez ressortir l'importance que prenait le transsept dans les églises conventuelles. Réservé primitivement aux religieux, aux clercs, il est livré aux fidèles dès le XIIe siècle; à ce moment, il occupe même une surface plus étendue, afin de permettre aux pèlerins qui se rendaient dans ces églises abbatiales d'assister en grand nombre aux cérémonies du culte et de voir facilement les corps-saints sortis des cryptes à certaines époques de l'année et exposés au milieu de l'église 195. Ce programme tracé pour la construction des églises bénédictines et cisterciennes, vers le commencement du XIIe siècle, fut rigoureusement suivi pendant les siècles suivants. Au contraire, nous voyons les plans des cathédrales s'élever en France, suivant les provinces, sur des plans variés, et, dans ces édifices, le transsept, si franchement et universellement adopté pour les églises bénédictines et cisterciennes, ne se montre que çà et là ou à une époque relativement récente. Certaines églises méridionales et du centre, comme la cathédrale d'Angoulême, comme celles d'Angers, du Mans (ancienne), de Langres d'Autun, ont seules le privilége de posséder des transsepts accusés 196; mais ces monuments sont antérieurs au mouvement qui, dans le Nord, fit reconstruire toutes les églises épiscopales. Nous avons suffisamment expliqué ailleurs la nature et l'importance de ce mouvement politique pour qu'il ne soit pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet. Il nous suffira de constater ce fait: que la majeure partie de ces cathédrales commencées pendant la seconde moitié du XIIe siècle, dans le domaine royal, ont été primitivement élevées sans transsept. Les cathédrales de Senlis, de Meaux, n'avaient point de transsepts; celle de Paris fut certainement projetée sans cet appendice 197; celle de Bourges n'en a point, et à Sens il est facile de reconnaître comment il fut établi longtemps après la construction de l'église cathédrale.

Des fouilles récemment faites dans cet édifice, sur notre demande, par M. Lance, architecte diocésain, et relevées avec le plus grand soin par M. Lefort, inspecteur des travaux, ont mis à découvert non-seulement les fondations, mais les assises basses des piles anciennes dans l'axe du transsept actuel.

La figure 6 donne le plan de la partie postérieure de la cathédrale de Sens. Ce plan, restitué d'après les fouilles, ne laisse voir qu'un embryon de transsept indiqué par les deux chapelles, C, C 198. La nef et les collatéraux sont divisés par travées égales sans interruption, les espacements entre les piles sont même d'une régularité parfaite. Alors (à la fin du XIIe siècle) la cathédrale de Sens se rattachait donc au plan qui semblait adopté pour les églises épiscopales du domaine royal, comme disposition générale, bien qu'elle conservât des points de rapports avec les monuments de Champagne, et notamment avec la cathédrale de Langres 199. La place de l'archevêque était en A et celle du maître autel en B. À la fin du XIIIe siècle, on commença la construction d'un pignon de bras de croix en ba. Ces travaux semblent avoir été longtemps suspendus, car ce n'est qu'au commencement du XVIe siècle que ce pignon fut achevé et que celui e f s'éleva au nord 200. Alors les travées g, h, de l'église ancienne furent abattues, ainsi que les piles i, k, et l'on refit de grandes voûtes pour couvrir ce transsept trouvé aux dépens de ces deux anciennes travées. Ce fut probablement à cette époque que le choeur du chapitre s'allongea jusqu'aux piliers p, p; car lorsque le transsept était à peine accusé par les deux chapelles orientées C, C, le clergé se tenait dans le rond-point; la nef, jusqu'au devant de l'autel, était laissée aux fidèles.

Ne perdons pas de vue que les grandes cathédrales élevées à cette époque, c'est-à-dire de 1150 à 1200, s'éloignaient, par leur programme, autant que faire se pouvait, de la donnée des églises monastiques. Dans les cathédrales de la fin du XIIe siècle, pas de clôtures, peu ou pas de chapelles, le choeur de plain-pied avec le collatéral, relevé seulement de deux ou trois marches au-dessus de la nef 201. L'évêque se réservait l'abside, tout le reste du monument était livré au public. Cette façon de démocratiser l'église, d'en faire la basilique de la cité, paraît surtout avoir été adoptée dans l'Île-de-France, et appartenir aux dernières années du XIIe siècle, car les cathédrales rebâties au commencement du XIIIe siècle, comme celles de Reims, de Laon, d'Amiens, de Chartres, ont été conçues avec des transsepts. Toutefois, jamais ces transsepts des cathédrales du Nord n'atteignent les dimensions relatives des transsepts d'églises conventuelles; ils sont d'ailleurs moins variés dans leurs dispositions, en considérant comme des exceptions les rares transsepts dont les extrémités sont terminées en rond-point. Citons ceux des cathédrales de Tournay, de Noyon, de Soissons, qui ne sont pas postérieurs à la moitié du XIIe siècle 202.

Évidemment, le programme des églises monastiques, en ce qui regardait le transsept, varia suivant les ordres, suivant les provinces et le temps; car, dans ces monuments, en France, nous découvrons des dispositions de transsepts très-différents, et c'est surtout dans les provinces de l'Ouest que les transsepts d'églises abbatiales prennent un développement relatif extraordinaire. Dans l'église abbatiale de Saint-Front de Périgueux (fin du Xe siècle), le transsept est égal, comme surface, à la nef et au choeur, c'est-à-dire que le plan présente une croix, dite grecque 203. Le transsept de l'église abbatiale de Saint-Hilaire de Poitiers, qui datait du XIe siècle, était très-vaste. Une nef centrale et six collatéraux y aboutissaient 204. Les rares églises bénédictines rebâties au XIIIe siècle occupent encore des transsepts développés, bien qu'alors les nouveaux ordres prédicants et mendiants élevassent des églises dépourvues de transsepts 205.

Il demeure acquis que les transsepts étaient considérés par les anciens ordres et par les cisterciens comme nécessaires au service du culte. Les églises antérieures aux ordres mendiants, les plus simples comme composition de plans, possèdent toutes des transsepts relativement étendus. Nous choisirons un spécimen parmi ces derniers monuments élevés avec parcimonie, l'église d'Obazine (Corrèze), dépendant de l'abbaye fondée par saint Étienne d'Obazine et reconstruite au XIIe siècle; d'autant que le plan de cet édifice présente une disposition assez rare en France (fig. 7).

Outre le sanctuaire, six chapelles orientées donnent sur le transsept, dont les croisillons débordent de beaucoup la nef. Le degré a communiquait au premier étage des bâtiments du cloître. Le tombeau de saint Étienne est placé en b.

Il est évident que ce transsept était réservé aux religieux et que la clôture était posée en cc. La figure 8 donne la coupe sur ef de ce transsept, couronné, sur la croisée, par un clocher. Ainsi, du bas choeur, les religieux pouvaient sonner les cloches; ils officiaient aux chapelles sans sortir de leur clôture, et la nef n'était que le lieu de réunion des fidèles, complétement indépendant des parties réservées au culte. Les églises cisterciennes présentent des dispositions analogues, permettant aux fidèles d'assister aux cérémonies sans pénétrer dans les clôtures.

Il ne paraît pas qu'au XIIIe siècle, du moins, les bénédictins aient tenu à conserver ces usages claustraux.

Le plan de l'église abbatiale de Saint-Denis nous en fournirait la preuve, soit que l'exemple des évêques qui avaient livré toute la surface des nouvelles cathédrales aux fidèles ait fini par modifier les règles monastiques, soit que les bénédictins, en présence de ces dispositions libérales de l'épiscopat, et peut-être aussi de l'affluence que les moines prêcheurs attiraient dans leurs vastes églises ouvertes à tous et dépourvues de clôtures, aient senti la nécessité de ne plus se séparer des fidèles, habitués à circuler librement dans les églises; toujours est-il que les religieux de Saint-Denis semblent avoir cherché (lorsque leur église fut en grande partie reconstruite vers le milieu du XIIIe siècle) à provoquer l'affluence du public dans leur basilique par de larges dispositions, bien éloignées des habitudes claustrales des siècles précédents.

Il fallait lutter contre la vogue qui entraînait les populations vers ces moines prêcheurs dont les églises n'étaient que de larges salles de conférences, et ce n'était pas certes en maintenant ces obstacles nombreux, qui, dans les églises clunisiennes mêmes, gênaient la vue et la circulation, que l'on pouvait espérer ramener la foule vers les reliques dont le prestige se perdait tous les jours. Aussi n'est-ce plus dans le fond des cryptes que les châsses sont conservées; elles sont placées dans les sanctuaires, entourées d'objets précieux. On les exhibe d'autant plus, que le peuple perd peu à peu la vénération qu'il leur portait. La pompe des cérémonies, les facilités données aux fidèles d'y assister, remplacent chez les bénédictins la discipline sévère maintenue jadis dans leurs églises; à défaut de la foi qui s'endort ou vacille, on excite du moins la curiosité.

Or, les plans successifs de l'église de Saint-Denis nous font, pour ainsi dire, toucher du doigt cette modification dans les habitudes religieuses des grandes abbayes. Ils méritent donc une étude attentive. Voici (fig. 9) ces plans présentés les uns sur les autres et tels que les fouilles et les traces de constructions encore existantes ont pu les faire reconnaître. On voit en a les restes des soubassements de l'abside et du transsept de l'église de Dagobert, bâtie avec des débris de monuments gallo-romains 206. Pendant la période carlovingienne, l'église fut très-allongée en b au delà de l'abside de Dagobert 207; puis viennent s'implanter les constructions de Suger 208, encore visibles au-dessus du sol en c. Alors les deux descentes aux cryptes plus anciennes furent ménagées en e 209; le sanctuaire se développa largement au-dessus des caveaux de l'église carlovingienne, et l'on dut y monter par des degrés établis en g, des deux côtés de l'autel, et en h.

Un caveau voûté qui existe encore entier en f montre clairement que le mur i donnait sur le dehors, puisqu'il possède une fenêtre relevée; les murs j du fond du collatéral du transsept existent encore, et l'on retrouve en K les fondations qui indiquent que les constructions de Suger ne s'étendaient pas au delà des pignons actuels.

La nef de l'église de Suger était plus étroite que celle de l'église actuelle, ainsi qu'il est aisé de le reconnaître à l'entrée occidentale et par des fouilles pratiquées en l. Donc le transsept de l'église abbatiale du XIIe siècle, muni d'un bas côté vers le sanctuaire, comprenait l'espace mnop. Ce bas côté AA était d'ailleurs nécessaire pour recevoir les emmarchements qui montaient au sanctuaire et ceux qui descendaient aux cryptes.

Ces constructions, en partie établies sur les restes assez mal bâtis de l'église de Dagobert, ou sur des fondations insuffisantes, ainsi qu'il est aisé de le reconnaître, menaçaient ruine très-probablement vers le milieu du XIIIe siècle. Que cette raison ait été déterminante, ou que l'édifice ne répondit plus parfaitement aux nécessités du moment, on se résolut à le rebâtir presque entièrement, et notamment toutes les parties du transsept, sous le règne de saint Louis (1230 à 1240).

Notre figure indique, en noir, toutes les constructions refaites alors. Un coup d'oeil sur ce plan fait comprendre l'importance nouvelle que l'on donne au transsept et aux collatéraux qui l'accompagnent. La nef fut sensiblement élargie et se raccorda avec le sanctuaire, dont les écartements de piles furent conservés, par des biais, qui paraissent fort étranges si l'on ne se rend compte de l'état des constructions antérieures que l'on prétendait conserver vers l'abside.

Les piles B du sanctuaire furent refaites à neuf, celles T du rond-point sur des socles du XIIe siècle. Celles B furent fondées à nouveau dans la crypte, en passant à travers les voûtes carlovingiennes. On se contenta de rebâtir sur la vieille fondation les piles qui portent sur l'angle de l'abside mérovingienne; mais au lieu des trois travées D, on n'en fit que deux, et les emmarchements montant au sanctuaire furent reportés en E. Des chapelles furent établies en F au niveau du sol du sanctuaire. Une des portes de l'ancien transsept de Suger fut remontée en G 210. Saint Louis voulut refaire à neuf les tombeaux de ses prédécesseurs. Ces tombeaux furent disposés en H, c'est-à-dire sur l'emplacement qu'ils avaient occupé dans les églises précédentes. Celui de Dagobert s'éleva en L, très-probablement sur le lieu où la tradition plaçait sa sépulture 211. Alors le choeur des religieux s'étendit dans la nef depuis le transsept jusqu'au point M, et le public put circuler dans les collatéraux et traverser les bras de croix. Des chapelles furent dédiées en N et en P. Beaucoup plus tard cette dernière fut occupée par le tombeau de François Ier. Au XIVe siècle, on éleva d'autres chapelles le long du collatéral nord en R. Les sépultures des abbés remplirent le croisillon S.

Ces plans superposés ont cela d'intéressant, qu'ils nous font reconnaître les modifications que le temps apporta dans les usages monastiques de l'une des plus puissantes abbayes de France. D'abord, comme dans l'église primitive, le transsept, très-étendu, relativement à la largeur de la nef, est fait pour contenir et enclore les religieux qui n'ont, avec les fidèles, aucune communication. Puis, sous les carlovingiens, tout en maintenant la disposition du transsept primitif, on y ajoute un sanctuaire profond, qui fait comme une seconde église propre à l'exhibition des reliques. Sous Suger, ce sanctuaire s'élargit, se garnit de chapelles nombreuses et le transsept s'ouvre davantage sur la nef. Enfin, au XIIe siècle, la clôture monastique, dans l'église, n'est plus absolue; le choeur des religieux est complétement entouré des fidèles, qui ont accès partout comme dans les cathédrales, excepté dans le sanctuaire occupé par les reliques, et dans le choeur entouré de stalles, clos par un jubé vers la nef, et par des grilles basses sur les deux croisillons. On observera que, dans cette église particulièrement vénérée, ce qui se modifie le moins, c'est le transsept; jusqu'aux derniers travaux entrepris, il demeure à la même place. L'autel reste encore au XIIIe siècle, en V, au-dessus du point consacré par la tradition 212. Ce transsept est mis en communication avec les bâtiments de l'abbaye, par une large porte. Il s'ouvre également du côté extérieur, donnant sur l'ancien cimetière, dit des Valois. D'amples emmarchements permettent aux fidèles de circuler dans le collatéral du sanctuaire et d'assister aux offices des chapelles.

Mais si le transsept a conservé sa position et presque ses dimensions primitives, il ne se trouve plus au XIIIe siècle dans les conditions où il se trouvait au VIe et même au XIIe. Autour de lui, l'église s'est développée, et cela au profit de l'assistance.

Cependant ces transformations ne se manifestaient que dans les églises des grandes abbayes, les petits établissements religieux conservaient à peu près les dispositions anciennes du transsept réservé aux moines. L'église de Saint-Jean aux Bois, près de Compiègne, est un exemple d'une de ces constructions monastiques élevées au XIIIe siècle sur de petites dimensions. Dépourvue de collatéraux, cette église se compose d'une large nef et d'un sanctuaire, séparés par un transsept dont les croisillons sont chacun divisés par une colonne sur le prolongement des murs latéraux 213. Cette jolie disposition, si convenable pour une petite église conventuelle, est présentée dans la vue perspective (fig. 10).

On aperçoit dans cette figure la trabes de l'entrée du sanctuaire 214. Les stalles des religieux étaient adossées aux croisillons, et ceux-ci, derrière ces stalles, laissaient des espaces libres pour les hôtes ou les personnages qui avaient accès dans le monastère. La nef était ainsi réservée aux gens du dehors. On ne pénétrait dans les croisillons que par de petites portes donnant dans l'enceinte du couvent.

Les églises paroissiales subissaient l'influence des abbayes ou cathédrales voisines. Dès une époque reculée, elles possédaient, la plupart, des transsepts, principalement dans les provinces du Nord, du Centre et de l'Est. Dans le Poitou, la Saintonge et l'Angoumois, au contraire, il n'est pas rare de trouver des églises paroissiales des XIIe et XIIIe siècles dépourvues de transsepts. Le centre de la croisée de ces églises paroissiales est habituellement surmonté de tours dans les provinces de l'Île-de-France, de la Normandie, de la Bourgogne et de l'Auvergne. Les croisillons sont, ou percés de portes, ou fermés, surtout quand ils s'ouvrent sur des chapelles orientées, afin que les entrants et sortant ne puissent gêner les fidèles. Nous avons un bel exemple de ces croisillons fermés, de transsepts paroissiaux, dans l'église si remarquable de Notre-Dame de Dijon (fig. 11).

Ici la galerie du triforium s'interrompt pour laisser la place de la rose, simplement garnie d'une armature de fer 215. Le passage sous cette rose est porté sur deux colonnettes et trois arcs bombés.

Un autre passage inférieur se trouve entre ces colonnes et le fenestrage du rez-de-chaussée. La chapelle du croisillon s'ouvre en face du collatéral de la nef qui ne pourtourne pas le sanctuaire, de telle sorte que chacun de ces croisillons laisse un espace libre et tranquille pour les fidèles assistant aux offices dits dans ces chapelles. C'est bien là une disposition convenable pour une église paroissiale de peu d'étendue. Le plan horizontal explique parfaitement l'heureuse composition du transsept de l'église paroissiale de Notre-Dame de Dijon.

Mais ce plan est, à un autre point de vue, intéressant à étudier. Quand on veut connaître une architecture, il ne suffit pas d'en apprécier le style, d'en analyser les formes et les moyens pratiques; il est nécessaire de découvrir les principes généraux qui ont servi à la constituer, à lui donner l'homogénéité résultant de l'emploi d'une méthode. C'est en prétendant étudier l'architecture des anciens, indépendamment de ces lois primordiales, que l'on est tombé dans les plus graves erreurs et que l'anarchie s'est emparée des esprits en raison même de l'étendue de ces études. On nous dit parfois, il est vrai, que ce que nous appelons anarchie, absence de méthode, n'est autre chose qu'une inspiration pleine de promesses, et que l'art de l'avenir sortira tout armé, quelque jour, de ce chaos de styles et de formes adoptés sans critique et sans examen. Cette espérance n'est, suivant notre sentiment, qu'illusion; car les travaux de l'esprit n'atteignent un développement qu'autant qu'ils reposent sur un principe ayant toute la rigueur d'une formule. Quand cette base est bien établie, que l'artiste se livre à l'inspiration:

«S'il a reçu du ciel l'influence secrète.»

C'est pour le mieux; mais il lui faut s'appuyer sur un terrain solide, pour pouvoir s'élever.

Quand il s'agissait de couper les nefs d'une basilique par ce transsept et de couvrir le tout avec des charpentes, ou bien quand des rangs de piliers étaient destinés à porter des berceaux de voûtes, le tracé d'un transsept ne présentait point de sérieuses difficultés: il en était autrement lorsque le système français d'architecture à voûtes en arcs d'ogive fut définitivement adopté au commencement du XIIIe siècle; alors ces tracés demandaient une attention particulière. Il fallait songer aux poussées qui allaient agir en tous sens; dégager ces espaces qui demandaient des points d'appui d'autant plus solides, qu'ils étaient plus larges; combiner l'arrivée des bas côtés dans cette grande nef transversale de manière que leur ordonnance s'accordât avec les croisillons; penser aux retours des galeries supérieures, à un éclairage qui fût en rapport avec l'étendue du vaisseau; proportionner la dimension du choeur à celle du transsept; ordonner, soit les chapelles orientées des croisillons, soit la reprise du collatéral autour du choeur, etc.

Quand, pour remplir ces conditions si diverses, on n'a pour toute méthode que sa propre inspiration, ou le vague souvenir de ce qui a été fait en ce genre avant nous, qu'il faut saisir le crayon et le compas, convenons franchement qu'on ne sait guère par quel bout s'y prendre, et que l'on ne peut arriver à un résultat à peu près satisfaisant qu'après de longs tâtonnements; encore n'a-t-on pas l'esprit bien tranquille, et peut-on craindre que cette inspiration derrière laquelle s'abritent tant de vagues esprits n'ait failli sur quelque point.

Or, si nous prenons des plans d'églises de cette époque, nous reconnaissons que les méthodes de tracés adoptés généralement alors, non sans raison, sont suivies avec plus d'attention encore lorsqu'il s'agit de planter les transsepts.

Nous choisirons donc pour exemple d'une méthode de tracé le plan du transsept de Notre-Dame de Dijon (fig. 12).

Soit en E une échelle de six toises. Toute la partie de l'église, depuis le transsept jusqu'à l'abside, est comprise dans un triangle équilatéral dont la moitié est abc. Les côtés de ce triangle équilatéral ont chacun quatorze toises; donc, la moitié ab a sept toises. Suivant la nécessité imposée par le système d'architecture voûtée, c'est le tracé des voûtes qui détermine le tracé des piles. L'épaisseur du mur b' du transsept étant fixée à trois pieds, la ligne ab, déduction faite de cette épaisseur de mur, a été divisée en trois parties égales: la première ligne de division donnant l'axe p des piles de la nef, et la seconde l'axe des piles de recoupement de la voûte du bras de croix. Le tracé des piles a été arrêté ainsi qu'on le voit en A pour les grosses piles, et en B pour celles de la nef. Bien entendu (voyez TRAIT), ces tracés de piles résultent de la forme et de la dimension des arcs des voûtes, dimensions et formes fixées tout d'abord en raison de la portée de ces arcs. La pile, dont un quart est tracé en A, étant connue, il ne s'agit plus que de faire courir la ligne d'axe de cette pile sur la ligne d'axe p de division, suivant le cas, ainsi que nous allons le voir.

L'épaisseur du mur e de l'abside étant fixée à trois pieds, on a prétendu d'abord obtenir les ouvertures gh, hi, ij, jk, des formerets de la voûte absidale, égales. Pour ce faire, la moitié lj du décagone a été tracée de manière que les rayons i'o soient égaux à la moitié op de la nef, déduction faite de l'épaisseur rs (voyez le détail A), la colonnette r' étant destinée à l'arcature basse et au formeret de la voûte haute. Alors de j en k, on a porté un côté égal à ij. Ce point k connu, le patron de la pile A a été présenté, le point k étant le centre de la colonnette r', toujours l'axe s sur l'axe p. On a eu ainsi l'axe de l'arc-doubleau q. Sur la base ab, à sa rencontre avec l'axe p, le patron de la pile A a été présenté. Restait à déterminer la position de l'axe t. Or, la distance de cet axe à la base ab est égale à la distance de cette base à l'axe V d'un arc-doubleau de travée de la nef, travée qui est plus longue que large de quelques pouces; c'est-à-dire que tu égale uV. Le reste de la plantation s'ensuit naturellement. La distance tq est plus courte que celle tu, ce qui était la conséquence du mode de tracé et ce qui donne d'ailleurs une meilleure proportion que si ces distances eussent été égales, car alors le choeur eût paru trop profond pour le transsept.

Un autre monument de la même époque (1230 à 1240) et de la même province, présente une disposition de transsept fort remarquable, c'est l'église de Notre-Dame de Semur (Côte-d'Or). Mais à Semur le bas côté pourtournant le choeur, l'architecte a établi des chapelles latérales parallèlement aux parties droites de ce bas côté, de manière à laisser (la nef étant très-étroite) la place nécessaire aux fidèles les jours de fêtes 216. Il est rare de rencontrer dans nos églises paroissiales ou collégiales de l'Île-de-France, de la Champagne, de la Picardie et de la Normandie des partis aussi larges et bien appropriés au service. Dans ces dernières provinces, les transsepts des églises paroissiales du XIIe siècle et du commencement du XIIIe sont peu étendus, encombrés par des piliers épais, eu égard aux vides, et ce n'est qu'en 1250 que ces édifices religieux du second ordre prennent de l'ampleur.

Par compensation, les dispositions des transsepts de nos cathédrales du Nord qui en sont pourvues, comme Laon, Reims, Amiens, Chartres, sont tracées avec une largeur et une entente des grandes réunions publiques qui ne laissent rien à souhaiter (voyez à l'article CATHÉDRALE les plans de ces édifices). Largement éclairés par les roses qui s'ouvrent dans les pignons des croisillons et par des galeries ajourées, donnant entrée, du côté du choeur, dans de doubles collatéraux, percés le plus souvent de portes sur les voies publiques, ces transsepts de nos grandes cathédrales sont la plus belle disposition qui ait jamais été adoptée pour réunir sur un point une grande affluence de monde. Aussi les XIVe et XVe siècles n'apportèrent-ils aucun changement à ces dispositions.

Les doubles transsepts, avec doubles absides, l'une à l'orient, l'autre à l'occident, adoptés assez fréquemment par l'école rhénane pendant la période romane et jusqu'au XIIe siècle, ne se trouvent en France que dans les provinces de l'Est. Les cathédrales de Verdun et de Besançon possédaient de doubles transsepts, avec tours dans les angles rentrants des absides, celles-ci n'étant point entourées de bas côtés (voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 39; voyez aussi le plan de l'abbaye de Saint-Gall, ARCHITECTURE MONASTIQUE, fig. 1).

En France, beaucoup de nos églises abbatiales et cathédrales du Nord avaient des tours élevées sur les ailes des transsepts. Cette disposition existe à Notre-Dame de Reims, à Chartres, à Laon, aux églises abbatiales de Saint-Denis, de Cluny, de Vézelay, etc. Quelquefois de vastes porches s'ouvrent sur les extrémités des bras de croix, mais ce parti, si franchement adopté à la cathédrale de Chartres, est postérieur de quelques années à la construction du transsept. Après les désastreuses guerres contre les Albigeois, la plupart des églises que l'on rebâtit dans le Languedoc furent élevées sans transsepts. Telle est la cathédrale d'Alby. Les églises de la ville nouvelle de Carcassonne, celles de Montpezal, de Moissac (Tarn-et-Garonne), etc., ne se composent que d'une nef avec chapelles. C'est qu'en effet la construction d'un transsept nécessite des dépenses considérables, et que si l'on prétend élever une église à l'aide de faibles ressources, il faut éviter ces appendices.

Il est rare de trouver dans les églises postérieures à 1250 des dispositions nouvelles dans la construction des transsepts. Cependant une église champenoise, Saint-Urbain de Troyes, fait exception. Son transsept, très-ingénieusement conçu, satisfait entièrement au programme de l'église paroissiale 217. Deux porches abritent, à l'extrémité de chacun des croisillons, des portes doubles, et à l'intérieur les voûtes de ces croisillons sont tracées sur une donnée nouvelle.

La vue intérieure (fig. 13) de l'un de ces croisillons explique la disposition originale de ce transsept. Divisé par un trumeau éclairé dans le pignon par deux fenêtres percées au-dessus du porche extérieur et par deux autres fenêtres ouvertes dans les murs latéraux au-dessus du bas côté de la nef et de la chapelle qui flanque le choeur, chacun de ces croisillons est, dans sa partie supérieure, une véritable lanterne. L'aspect du transsept de Saint-Urbain est saisissant. L'architecte a su éviter la pauvreté de ces revers de pignons éclairés ordinairement par des roses au-dessus de murs pleins percés seulement de portes à rez-de-chaussée. Ce parti nous paraît préférable à celui qui fut adopté dans quelques édifices, tels que les cathédrales de Metz et de Soissons 218, l'église de Moret, etc., et qui consiste à remplacer les roses par d'immenses verrières s'ouvrant sous les formerets des pignons et descendant jusqu'aux archivoltes des portes 219, ou à considérer les roses elles-mêmes, avec la galerie à jour qui les supporte, comme de véritables fenêtres comprenant la largeur totale du croisillon. Mais il faut ajouter que l'église de Saint-Urbain de Troyes est un chef-d'oeuvre, que l'on considère la conception générale ou l'entente des détails.

Très-rarement les transsepts des églises du moyen âge possèdent-ils des tribunes à l'intérieur des pignons des croisillons; et quand ils existent, comme à la cathédrale de Laon et dans l'église d'Eu, par exemple, ces ouvrages datent d'une époque postérieure à celle de la construction primitive de l'édifice.

On doit aussi considérer comme une exception les porches de transsepts surmontés d'une tour. Le croisillon sud de la cathédrale du Mans nous en fournit un exemple datant de la fin du XIIIe siècle.

Note 185: (retour) Voyez les fragments du plan du Capitole.
Note 186: (retour) Nous engageons nos lecteurs à consulter, à ce sujet, l'excellent ouvrage de M. Henri Hubsch: Monuments de l'architecture chrétienne, traduit par M. l'abbé Guerber (1866, Morel éditeur). Ce recueil d'églises des premiers siècles, fait avec un soin rare, montre comme nos voisins d'outre-Rhin sondent scrupuleusement le champ des études archéologiques.
Note 187: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 2.
Note 188: (retour) Voyez ibidem, fig. 11.
Note 189: (retour) Voyez ARCHITECTURE MONASTIQUE, fig. 2.
Note 190: (retour) Voyez l'ouvrage du duc de Serradifalco: Del duomo di Montreale. Palerme, 1838.
Note 191: (retour) Dans ce plan, toutes les parties teintées en noir existent encore; celles hachées sont remplacées par des constructions datant de la fin du XIIe siècle et ne sont plus visibles que dans les fondations. Les parties anciennes datent du Xe siècle.
Note 192: (retour) La nef de l'église abbatiale de Vézelay, bâtie vers 1100, fait exception. Là on essaya de construire des voûtes d'arête (voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 21, et TRAVÉE, fig. 4), qui sont plutôt des coupoles avec plis aux retombées.
Note 193: (retour) Notre-Dame du Port, Saint-Nectaire, Issoire, Ébreuil; l'église Saint-Étienne de Nevers doit être rangée parmi les monuments religieux de cette belle école auvergnate.
Note 194: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 10 bis.
Note 195: (retour) Voyez à ce sujet l'article ARCHITECTURE MONASTIQUE.
Note 196: (retour) Voyez Cathédrale, fig, 41 et 43, 27, 28 et 34.
Note 197: (retour) Nous en avons acquis la preuve dans les fondations et au-dessus des voûtes de la croisée. Très-probablement on ne se décida, à Paris, à donner un transsept à la cathédrale qu'après l'achèvement du choeur, c'est-à-dire après la mort de Maurice de Sully.
Note 198: (retour) Les parties du plan qui ont été modifiées pendant les XIIIe, XIVe et XVIe siècles sont huchées.
Note 199: (retour) Voyez CATHÉDRALE, fig. 28 et 30.
Note 200: (retour) Voyez CATHÉDRALE, fig. 30.
Note 201: (retour) À Notre-Dame de Paris, primitivement, le sanctuaire était de plain-pied avec son collatéral.
Note 202: (retour) Voyez la Monographie de la cathédrale de Noyon, par MM. Vitet et D. Ramée. Voy. aussi ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 30 et 31; CATHÉDRALE, fig. 7 et 10.
Note 203: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 4.
Note 204: (retour) L'église abbatiale de Saint-Hilaire de Poitiers fut dédiée en 1049. Voyez Notes of a tour in the west of France (Parker, London, 1852).
Note 205: (retour) Voyez ARCHITECTURE MONASTIQUE.
Note 206: (retour) Les hachures de gauche à droite indiquent ces restes.
Note 207: (retour) Les hachures larges, de droite à gauche, indiquent ces constructions encore visibles dans les cryptes.
Note 208: (retour) Les hachures serrées, de droite à gauche, indiquent ces ouvrages.
Note 209: (retour) Ces descentes existent encore.
Note 210: (retour) Une opération analogue fut faite à la cathédrale de Paris, à celles de Bourges et de Chartres. Les sculptures du XIIe siècle furent jugées dignes d'être conservées et furent remontées dans les constructions du XIIIe.
Note 211: (retour) En fouillant tout le centre du transsept, nous avons trouvé, au-dessous du sol de l'église de Dagobert, de nombreux sarcophages mérovingiens. (Voyez TOMBEAU, fig. 1.)
Note 212: (retour) Pour se rendre compte de la disposition ancienne du transsept qui composait en partie le choeur des religieux de Saint-Denis, voyez l'article CHOEUR, fig. 2. Aujourd'hui les monuments sont rétablis dans le transsept, suivant la disposition adoptée sous saint Louis.
Note 213: (retour) Voyez les plans et élévations de ce joli édifice dans l'ouvrage de M. de Baudot: Églises de bourgs et villages (Morel, éditeur).
Note 215: (retour) Voyez ARMATURE, fig. 6 et 7.
Note 216: (retour) Voyez, Archives des monuments historiques, les plans et les coupes de cet édifice.
Note 217: (retour) Voyez le plan de cette église à l'article CONSTRUCTION, fig. 102.
Note 218: (retour) Bras de croix nord.


TRAVAISON, s. m. Vieux mot correspondant à ce que l'on entend aujourd'hui par entablement, mais ne s'appliquant qu'aux ouvrages de bois.



TRAVÉE, s. f. Mot employé pour désigner toute ordonnance entre les points d'appuis principaux ou pièces maîtresses d'une construction: ainsi, on dit travée de plancher, pour indiquer le solivage compris entre deux poutres. Travée de pont, est la portion du tablier de bois comprise entre deux files de pieux ou entre deux piles. Travée de salle ou d'église, est l'ordonnance comprise entre deux piles maîtresses, entre deux arcs-doubleaux. Une travée de comble est l'espace entre deux fermes de charpente.

Du moment qu'une salle est divisée par des points d'appuis espacés, dans sa longueur, pour porter soit une voûte, soit des fermes ou des poutres, cette salle se compose d'autant de travées qu'elle contient de divisions.

Dans la structure du moyen âge, en France, l'histoire de la travée est intéressante, parce qu'elle détermine les essais successifs par lesquels, de la basilique romaine couverte en charpente, on arrive à la nef voûtée en arcs d'ogive.

Personne n'ignore que la basilique romaine se composait habituellement d'une nef principale, dont les murs portés sur des rangées de colonnes étaient flanqués latéralement de collatéraux simples ou doubles. Les collatéraux étaient parfois surmontés de galeries ou tribunes au-dessus desquelles s'ouvraient les jours qui éclairaient la charpente lambrissée. Cette disposition fut suivie dans la construction des premières églises et des grandes salles d'assemblée élevées dans les Gaules. Chaque entre-colonnement de la basilique constituait une travée.

Le plan de la basilique romaine fut suivi, dans le nord des Gaules, jusque vers le milieu du XIe siècle; mais déjà, antérieurement à cette époque, le mode de structure avait subi des modifications par suite des rapports fréquents des peuples occidentaux avec l'Orient. Le plus ancien monument de ce temps que nous possédions sur des dimensions considérables, dans la France septentrionale, est certainement la nef de l'église abbatiale de Saint-Rémi de Reims. Cette nef était--ainsi qu'il est facile encore de le reconnaître--primitivement couverte par une charpente apparente, tandis que les collatéraux, voûtés à rez-de-chaussée, étaient surmontés d'une galerie couverte par des charpentes avec arcs-doubleaux.

La figure 1 donne une travée de la nef de l'église abbatiale de Saint-Rémi 220. Le grand mur A repose sur une file de piles composées de colonnes en faisceaux, à rez-de-chaussée, et sur des piliers à section quadrangulaire au niveau de la galerie du premier étage. Des colonnes avec arcatures divisent les ouvertures donnant sur cette galerie. Au-dessus des combles des collatéraux s'ouvrent les deux rangs de fenêtres B et C. Les voûtes des bas côtés, à rez-de-chaussée, se composent d'arcs-doubleaux D et F, portant des berceaux perpendiculaires à la nef et concentriques aux archivoltes E. Les pilettes G, qui formaient comme un second collatéral étroit, avaient pour objet de diminuer l'effet de poussée qu'aurait exercé l'arc-doubleau unique sur le mur de clôture H. Au premier étage, l'arc-doubleau I, ne portant qu'un solivage de bois, ne pouvait exercer sur le mur H une poussée que ce mur renforcé de contre-forts cylindriques ne put maintenir. Le grand mur A se trouvait étrésillonné par ces berceaux du rez-de-chaussée et par les arcs-doubleaux de la galerie. Il n'était décoré, suivant l'usage du temps, que par des peintures 221.

Cet exemple d'une nef construite au commencement du XIe siècle indique un premier effort pour sortir des données de la basilique romaine antique. Ce sont des faisceaux de colonnettes qui remplacent les colonnes monostyles, et des voûtes portent déjà le sol de la galerie supérieure. Cependant ces grands murs n'étaient reliés dans leur développement qu'à leur sommet, par les entraits des charpentes; ils n'étaient pas construits avec les excellents matériaux et mortiers qu'employaient les Romains; ils bouclaient souvent ou se déversaient d'un côté ou de l'autre. Leur aspect ne laissait pas d'être froid, et les peintures dont on les décorait, vues obliquement, poudrées par le temps, perdaient bientôt leur éclat. Les charpentes, à cette hauteur, ne pouvaient être que difficilement réparées, et si le feu y prenait, l'édifice entier était perdu. On songea donc à diviser franchement les nefs par travées apparentes, accusées par de grands arcs-doubleaux. Un autre édifice du milieu du XIe siècle nous fournit un exemple de ce nouveau parti. C'est l'église de Notre-Dame du Pré, au Mans. Dans la nef de cet édifice, chaque travée comprend deux arcades (fig. 2).

Une grosse pile à section quadrangulaire, flanquée de colonnes engagées, alterne avec une pile cylindrique. Au droit de chacune des grosses piles A est bandé un arc-doubleau B. Une ferme de charpente est posée au droit de la pile cylindrique C. Les collatéraux D sont fermés par des voûtes d'arête avec arcs-doubleaux reposant sur les colonnes engagées des grosses piles et sur les chapiteaux des piles cylindriques. Les chevrons de la charpente, posés longitudinalement, comme un solivage, portaient sur les pignons des grands arcs-doubleaux B et sur la ferme intermédiaire. Ce solivage plus ou moins décoré, avec entrevous en madriers, formait lambris sous la couverture. En F est figuré l'un des pignons des grands arcs-doubleaux avec le lambris 222. Il y a tout lieu d'admettre que la nef de la cathédrale du Mans était originairement construite suivant ce principe. À Notre-Dame du Pré, des voûtes ont été refaites au XIVe siècle sous l'ancienne charpente, en supprimant partie des arcs-doubleaux primitifs, dont on retrouve facilement la trace. Prenant ainsi deux arcades de la nef pour faire une travée, il en résultait un plan carré ou approchant, c'est-à-dire que l'espace AA était égal, ou à peu près, à la largeur de la nef principale; de sorte que si l'on voulait définitivement voûter cette nef, il était tout simple d'adopter tout d'abord une voûte sur plan carré, avec arc-doubleau intermédiaire; c'est-à-dire une voûte donnant en projection horizontale le plan tracé en P (fig. 2). Alors les arcs-doubleaux ab, cd, n'étaient que la reproduction des arcs-doubleaux des grosses piles, et l'arc-doubleau intermédiaire ef remplaçait la ferme de charpente; les arcs ogives ad, cb, portaient les remplissages de voûtes bandés à la place qu'occupaient les lambris. Mais avant de passer outre à l'examen des développements de ce principe, il est nécessaire de mentionner un système de travées issu d'un autre mode de structure.

Les Romains n'avaient pas seulement adopté, pour la construction de grandes salles, le système de files de colonnes portant des murs au-dessus des plates-bandes déchargées par des arcs noyés dans ces murs; ils avaient élevé, sur des piles isolées et largement espacées, de grandes archivoltes portant les murs longitudinaux. Des berceaux, concentriques à ces archivoltes, fermaient les collatéraux, et des charpentes ou des voûtes (comme à la basilique de Constantin à Rome) couvraient la nef principale. Le Bas-Empire avait construit des édifices en grand nombre d'après ce système, en conservant parfois les charpentes sur la nef centrale, ainsi que le constatent certaines basiliques de la Syrie septentrionale. De ce système était dérivé, dès les premiers siècles du christianisme, un mode mixte qui consistait à diviser les grandes travées carrées, portant des voûtes d'arête sur la nef principale, en deux arcades, de manière à pouvoir trouver des voûtes d'arête également carrées sur les bas côtés, dont la largeur était ainsi égale ou à peu près à la moitié de celle de la nef principale. C'est sur ce plan que fut conçue, à Milan, la célèbre église de Saint-Ambroise, dès la fin du IXe siècle; du moins le fait paraît-il probable 223. Or, ce type fut adopté dans la construction d'un grand nombre d'églises carlovingiennes, notamment sur les bords du Rhin, et se perpétua jusqu'au XIIIe siècle.

Comme dans l'exemple que nous venons de donner (fig. 2), chaque travée de l'église carlovingienne du Rhin se composait de deux grosses piles et d'une pile intermédiaire d'une section plus faible; mais cette pile intermédiaire ne portait plus que l'arc-doubleau des voûtes du collatéral et elle ne remplissait aucune fonction du côté de la nef principale.

La travée que nous présentons ici (fig. 3), de la nef de la cathédrale de Worms, nef qui date de la moitié du XIIe siècle, explique suffisamment ce système. Une grande voûte d'arête carrée A, à nervures, couvre chaque travée de la nef, sans arcs-doubleaux intermédiaires; et la pile B n'est placée là que pour obtenir, sur le collatéral C, deux voûtes d'arête romaines. La question était d'avoir des surfaces carrées, ou approchant, pour fermer les voûtes, qui dérivaient toujours de la tradition romaine; or, les collatéraux ayant, en largeur, la moitié environ de la largeur de la nef, il fallait, pour avoir des espaces carrés sur ces collatéraux comme sur la nef, doubler les piles. Le tracé T nous dispense de plus longues explications à ce propos. La nécessité de voûter les grands édifices, les basiliques, les églises, était reconnue partout en Occident, aussi bien dans l'Italie du nord qu'en France et sur les bords du Rhin; seulement les diverses écoles d'art de ces contrées ne résolvaient pas le problème de la même façon. Pour ne considérer les choses que d'une manière générale, l'école que nous appellerons carlovingienne, et qui s'inspirait principalement de l'architecture romaine des bas temps, n'avait en vue que la voûte romaine, berceau, voûte d'arête ou coupole; cette école n'abandonna cette tradition que quand elle adopta le système de structure importé de France vers le milieu du XIIIe siècle. L'école proprement française abandonna au contraire de bonne heure le système des voûtes romaines, chercha autre chose, et le trouva: tout est là. Que l'on découvre en Lombardie ou ailleurs des piles cantonnées de colonnes et des archivoltes dans des nefs, quelques détails de décoration analogues et antérieurs à notre architecture romane française, et qu'on en conclue que nous avons pris chez les autres cette architecture romane, nous ne voyons pas trop l'intérêt qui s'attache à cette priorité. Chacun puisait au fonds commun latin pour les arts comme pour les langues d'Occident, du VIIIe au XIe siècle; mais qu'on nous montre ailleurs qu'en France, et qu'au nord de la Loire, avant 1130, un système de voûtes tel que celui admis dans les constructions de Vézelay dès le commencement du XIIe siècle, et à Saint-Denis en 1140, alors nous serons les premiers à reconnaître ce qu'on voudrait si bien nous prouver en France, savoir: que nous n'avons jamais possédé une architecture propre, pas plus au XIIe siècle qu'au XIXe siècle. Jusqu'à ce que cette preuve soit faite, nous continuerons à répéter: Il n'y a d'architecture originale que celle qui s'appuie sur un nouveau principe, sur un principe non encore admis. Le système de voûtes inauguré en France, au nord de la Loire de 1130 à 1150, ne se trouve nulle part avant cette époque; ce système n'est pas seulement une forme, nouvelle alors, ou un procédé; c'est tout un principe qui s'étend aux diverses parties constituant un édifice et qui oblige de coordonner ces parties suivant certaines lois déduites conformément à la logique: or, l'architecture inaugurée en France de 1130 à 1150 était véritablement neuve alors, sans précédents, indépendante des formes acceptées jusqu'alors; donc cette architecture peut, au meilleur titre, être appelée française 224. Laissons pour le moment le système de travées des nefs rhénanes, et reprenons l'étude des édifices qui appartiennent à nos écoles. Nous venons de voir (fig. 2) une travée composée de deux grosses piles portant des arcs-doubleaux sur la nef principale, avec pile intermédiaire plus faible, divisant le collatéral pour le pouvoir fermer par des voûtes carrées, et portant une ferme de charpente sur cette nef principale pour diminuer la portée des lambris de bois. Voici maintenant un autre système moins ancien que celui de la figure 2, et appartenant à une autre province, où les piles sont égales et, divisant le collatéral en voûtes sur plan carré, donnent, sur la nef centrale, des plans barlongs que l'on a prétendu voûter, suivant une donnée déjà complétement étrangère au système romain.

Il s'agit de la nef de l'église abbatiale de Vézelay (fig. 4); premières années du XIIe siècle. Cette nef, dont nous donnons une travée en A, possède des arcs-doubleaux sur les collatéraux comme sur la partie haute, au droit de chacune des piles dont la section est tracée en B. Ces arcs sont plein cintre, ainsi que les formerets, et bien que la naissance de ceux-ci soit relevée, cependant leur clef n'atteint pas le niveau de la clef des arcs-doubleaux. Il en résulte que pour bander la voûte haute, dans chaque travée, et ne pas faire des pénétrations, mais un semblant de voûte d'arête, il a fallu tâtonner et chercher des formes d'ellipsoïdes qui ne sauraient être tracées géométriquement. C'était une première tentative vers une forme de voûtes non encore admise. Trente ans plus tard, vers 1132, on élevait le porche de la même église (voyez en P); les travées de ce narthex, un peu plus larges que celles de la nef, portent sur des piles dont la section est semblable à celles B. De même que dans la nef, des arcs-doubleaux sont bandés au droit de chacune des piles, soit sur la partie centrale, soit sur les collatéraux, mais ces arcs-doubleaux sont en tiers-point 225. Les formerets ont leur naissance au même niveau que celle des arcs-doubleaux. Il en résulte que, la travée étant barlongue, les clefs de ces formerets sont beaucoup au-dessous des clefs de ces arcs-doubleaux. La voûte fermée sur cet espace est annulaire, d'un arc-doubleau à l'autre, pénétrée par des ellipsoïdes dont les formerets sont une section. Cela pouvait être défini géométriquement, et ce système présentait une parfaite solidité. D'ailleurs des voûtes d'arête rampantes, bandées sur la galerie du premier étage 226, contre-butent parfaitement la voûte centrale. Deux des voûtes de ce porche, de la même époque que les autres, possèdent même déjà des arcs ogives. Le constructeur, en fermant ces voûtes d'après la méthode que nous venons d'indiquer (fig. 4, P), sentait bien que, tout en se rapprochant d'un corps ellipsoïde, elles possédaient cependant des arêtes saillantes (ces voûtes étant bâties de moellons irréguliers) maintenues seulement par l'adhérence des mortiers; que, par conséquent, il y avait à bander sous ces arêtes un cintre permanent de pierre, remplaçant le cintre provisoire de charpente destiné à les maçonner. C'était donc un acheminement vers la voûte en arcs d'ogive. Mais revenant à notre figure 2, on allait, dans d'autres provinces, déduire de ce système mixte d'arcs et de lambris un mode complet de voûtes, sur un principe absolument neuf, mode qui devait se fondre bientôt avec celui qu'inaugurait le porche de l'église abbatiale de Vézelay. C'est en 1150 que l'évêque Baudouin Il, comme on sait, entreprit la reconstruction de la cathédrale de Noyon, qui fut achevée bien avant la fin du XIIe siècle. En 1293, un violent incendie réduisit en cendres la ville et, dit la chronique, la cathédrale de Noyon. Il est clair que les charpentes seules furent brûlées et que les voûtes furent peut-être altérées. Aussi les voûtes de la nef, ainsi que l'indiquent les profils des arcs et leur genre de construction, appartiennent-elles à cette dernière époque. À l'origine, c'est-à-dire au XIIe siècle, ces voûtes, comme beaucoup d'autres datant de cette époque, avaient leurs arcs ogives bandés de deux en deux piles avec un arc-doubleau simple intermédiaire (fig. 5).

La pile intermédiaire qui, dans la figure 2, porte seulement la ferme de charpente divisant en deux l'espace entre les arcs-doubleaux, portait alors l'arc-doubleau intermédiaire destiné à remplacer la ferme de charpente. Les arcs ogives (fig. 5) étaient bandés d'une grosse pile à l'autre. La travée était encore constituée comme celle de la figure 2. C'est-à-dire que la pile intermédiaire A, destinée à porter un simple arc-doubleau des grandes voûtes, était plus grêle que les piles B portant les arcs-doubleaux principaux et les arcs ogives. Cela était conforme à la logique. Alors les arcs reposant sur les piles B étaient seuls contre-butés par des arcs-boutants. La coupe C de la nef et du collatéral complète l'intelligence de ce système de constructions. La plupart des premières voûtes bandées d'après le principe admis au XIIe siècle, dans l'Île-de-France, sont ainsi tracées. La travée des nefs centrales est égale, ou à très-peu près, à la largeur même de ces nefs, mais elle se divise en deux, au moyen d'une pile intermédiaire qui sert à porter les arcs des voûtes du collatéral et à recouper les arcs ogives des hautes voûtes.

Mais ce système, justifié dans une construction assez vaste, n'était guère admissible pour de petits édifices. Les piles intermédiaires, dans ces derniers monuments, eussent été trop grêles, inutiles et encombrantes.

Les architectes les suppriment, ils ne conservent que les piles principales A (fig. 6), mais ils ne construisent pas moins les voûtes conformément au principe que nous venons d'indiquer. Cette dernière travée qui appartient à la nef de la petite église de Nesle, près de l'Île-Adam, montre comme le constructeur a seulement élevé la pile destinée à porter l'arc-doubleau intermédiaire I sur la clef de l'archivolte du collatéral 227, parce qu'il eût été inutile, en effet, de faire porter cette pile intermédiaire sur le sol. En B est tracée la coupe de la travée, et en D le détail des bases des colonnettes sur les chapiteaux des piles monocylindriques. Ces deux exemples appartenant à deux édifices de dimensions très-différentes, mais construits à peu près à la même époque, font ressortir une des qualités principales de cette belle architecture française de la fin du XIIe siècle, l'unité d'échelle 228. Les écartements des piles, les hauteurs de galeries de circulation G, les largeurs des baies, les membres des moulures, sont à peu près les mêmes dans les deux monuments. Nous pourrions saisir ces analogies dans les cathédrales de Paris, de Senlis, de Soissons, de Laon, dans les églises de Saint-Leu d'Esserent, de Braisne, etc 229. Examinons maintenant une travée de nef de l'un des plus grands monuments du commencement du XIIIe siècle, la cathédrale de Bourges 230. Ce vaisseau comprend une nef centrale et des doubles collatéraux dont les voûtes sont à des niveaux différents.

Ainsi (fig. 7), les voûtes du premier collatéral sont bandées au niveau A, et celles du second collatéral au niveau B, d'où il résulte que la nef centrale est éclairée par les fenêtres C, percées au-dessus du comble qui couvre les voûtes du second collatéral. Dans la hauteur de ce comble règne une galerie de circulation D, de même qu'il en existe une seconde en E, au-dessus des voûtes du premier collatéral. Les fenêtres F éclairent la voûte haute. Ces voûtes sont construites d'après le système précédemment décrit; et l'on observera que les piles G, qui portent seulement les arcs-doubleaux d'intersection, sont d'un plus faible diamètre que celles H, qui portent les arcs-doubleaux et les arcs-ogives.

La belle disposition de la nef de la cathédrale de Bourges, avec son premier collatéral très-élevé, disposition qui ne se trouve guère répétée en France que dans le tour du choeur de la cathédrale du Mans 231, est évidemment inspirée des églises du Poitou. C'est un compromis entre les systèmes de construction des nefs de cette contrée et de l'Île-de-France. La nef centrale de la cathédrale de Bourges reçoit des jours dans sa partie haute, au-dessus des combles des bas côtés, ainsi que les nefs de nos églises de l'Île-de-France, ce qui n'a pas lieu dans la cathédrale de Poitiers; mais le collatéral intérieur comprend, sous voûtes, une hauteur considérable, et n'est plus, comme à Notre-Dame de Paris, comme autour du choeur de Notre-Dame de Chartres, comme à Cologne, égal en hauteur au second collatéral.

Voici, en effet, une travée de la nef de la cathédrale de Poitiers, dont la construction, un peu antérieure à celle de la cathédrale de Bourges, conforme d'ailleurs aux traditions romanes du Poitou et de la Vendée, accuse l'importance du collatéral dans ces édifices 232.

Notre figure 8 suppose, en A, la coupe faite sur l'axe longitudinal du bas côté, et en B, sur l'axe de la nef centrale. Les voûtes des collatéraux, épaulées par des contre-forts épais, contre-butent les voûtes hautes. Ces collatéraux sont chacun presque égaux en largeur à la nef, de sorte que ce vaisseau est plutôt une grande salle à trois nefs qu'une église suivant la tradition de la basilique transformée. L'arcature porte au niveau C une sorte de balcon, ou chemin de ronde continu, qui passe derrière chacune des piles, dans l'épaisseur des contre-forts. Un seul comble à deux pentes couvre la nef et ses collatéraux. Cette construction, montée avec beaucoup de soins, est remarquable par ses belles proportions et l'heureuse concordance de toutes ses parties. Les voûtes, tracées suivant la méthode du Poitou et de l'Anjou, tiennent de la coupole et de la voûte en arcs d'ogive (voyez VOÛTE). Il y a dans cette composition une ampleur, une raison et une sobriété qui sont la vraie marque de la puissance chez l'artiste. Ce mélange de qualités supérieures, trop rare aujourd'hui, se retrouve dans la composition des travées de vaisseaux voûtés de 1150 à 1250, que ces vaisseaux soient destinés à un service religieux ou civil. Après la composition de la coupe transversale, en effet, c'est celle de la travée qui détermine les proportions et l'aspect de l'intérieur d'un vaisseau, avec ou sans collatéraux. Or, ces larges travées des monuments du Poitou, de l'Anjou, du Maine, de l'Angoumois, surprennent par leur disposition grandiose, bien que la plupart de ces constructions soient d'une dimension médiocre. Paraître grand est certainement une qualité pour un intérieur destiné à contenir la foule. On s'y trouve à l'aise, même quand l'espace vient matériellement à manquer. La cathédrale de Poitiers est d'une dimension médiocre 233, et cependant, grâce à la belle disposition de ses larges travées, l'impression qu'elle laisse est celle d'un très-vaste intérieur.

Certaines églises de la même contrée, de l'Anjou et du Maine, se composent de vaisseaux à une seule nef, et là encore la composition des travées est largement comprise. Nous citerons, entre autres, la nef de l'église abbatiale de Notre-Dame de la Coulture, au Mans (fin du XIIe siècle), divisée par travées sur plan carré, avec balcon relevé, comme à la cathédrale de Poitiers, porté sur de grands arcs de décharge d'un bel effet 234.

Voici (fig. 9) une travée de cette nef, dépourvue de collatéraux.

Il n'est pas besoin d'être architecte pour comprendre le parti que l'on peut tirer de cette disposition grandiose, simple, se prêtant à tous les modes de structure 235. L'influence de ce système de larges travées voûtées, simples ou avec des collatéraux presque égaux à la nef centrale, ne s'étendit guère au delà du Maine et du Berry vers le nord; et, ainsi que nous le disions tout à l'heure, on peut en retrouver un dernier souvenir dans la composition des travées de la cathédrale de Bourges. De ce côté-ci de la Loire, le système indiqué dans les exemples que nous avons donnés (fig. 5 et 6) persiste pendant le XIIIe siècle, mais on abandonne alors (sauf quelques cas assez rares) le mode de voûtes avec arc-doubleau intermédiaire, recoupant les arcs ogives, c'est-à-dire que les travées, au lieu d'être doublées, sont simples et portent chacune leur voûte propre. N'est-il pas évident qu'il règne dans ces compositions de travées, pendant la période comprise entre 1130 et, 1230, une liberté dont on ne saurait méconnaître la valeur et l'étendue? Aucune autre architecture ne se prêterait à des formes et à des aspects aussi variés sans sortir des principes qui la dirigent. Or, cette souplesse n'est-elle pas la conséquence du système de structure admis? Et de ce que ce système de structure se concilie avec la liberté et y conduit, en faut-il conclure que cette architecture n'est autre chose qu'un procédé suranné, n'ayant plus aujourd'hui d'application? L'étude attentive des proportions ne ressort-elle pas des divers exemples qui viennent de passer sous les yeux de nos lecteurs?

À dater de 1220 environ, la travée des nefs à collatéraux, dans les édifices du Nord, est déterminée d'une manière plus précise. Les piliers, égaux en épaisseur, portent chacun les nerfs complets des voûtes d'arête, haute et basse; les murs, entre ces voûtes, s'ouvrent largement, et sont remplacés même par des fenêtres qui prennent toute la surface comprise entre les piliers et les formerets. C'est d'après ce principe qu'est conçue la nef de la cathédrale d'Amiens, bâtie entre 1220 et 1230 236.

Nous donnons (fig. 10) une travée de cette nef, qui n'a pas moins de 42m50 sous clef 237. Le plan des piliers, au niveau du rez-de-chaussée, est tracé en D, au niveau de la galerie (triforium) en C. Cette galerie est fermée par un mur mince M, auquel s'adosse le comble en appentis qui couvre le collatéral. On voit en G la fenêtre du collatéral qui, élevée sur une arcature et mur d'appui, comprend toute la surface qui existe entre les piles engagées et l'arc formeret. Même système pour les fenêtres hautes F. On voulut bientôt supprimer même les pleins qui formaient, derrière le comble du collatéral, le triforium 238; les murs minces M furent ajourés, et les combles couvrant les collatéraux établis en pavillons sur chaque voûte basse, avec chéneau sur les arcs-doubleaux. Alors la fenêtre supérieure se liait au triforium, et la claire-voie vitrée descendait jusque dans la galerie. C'est d'après ce principe qu'en 1240 on reconstruisit la nef de l'église abbatiale de Saint-Denis, le choeur des cathédrales de Troyes et de Beauvais, et un peu plus tard (1260 environ) celui de la cathédrale de Sées, dont nous traçons en A (fig. 11) une des travées 239.

Le sol du choeur est au niveau B, celui du collatéral en C. La galerie (triforium), sous la fenêtre haute, est ajourée jusqu'au niveau d'un appui D, derrière lequel passe le chéneau. La claire-voie postérieure de cette galerie ne reproduit pas exactement le dessin de l'arcature antérieure (voy. TRIFORIUM). Comme à la cathédrale d'Amiens, tous les espaces laissés entre les piliers, sous les voûtes, sont remplis par des fenêtres décorées de vitraux; de telle sorte que ces travées présentent une surface considérable de peinture translucide de l'effet le plus brillant. En O, est donnée la section d'une pile sur plan ovale, afin de laisser aux vides le plus de surface possible. C'est toujours suivant ces données qu'au XIVe siècle on construisit la nef de l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen (fig. 11), dont nous présentons une travée en B.

Ces trois derniers exemples montrent comment les maîtres des oeuvres tendaient à diminuer les pleins et à augmenter les surfaces des vitraux dans les églises voûtées. Ce principe ne se modifie guère jusqu'au XVIe siècle; les portions des cathédrales d'Auxerre, de Troyes, de Sens, de Beauvais, qui datent des XVe et XVIe siècles, reproduisent, sauf dans les détails, le parti que nous voyons adopté au XIVe siècle à Saint-Ouen de Rouen. Ce parti convenait parfaitement, d'ailleurs, dans notre climat, à de très-grands vaisseaux. Grâce aux vitraux colorés ou grisailles, on atténuait l'effet des rayons du soleil, et cependant partout pénétrait une lumière chaude et douce qui ne laissait aucun point obscur. La répartition de la lumière dans de grands espaces couverts et fermés est une difficulté contre laquelle, trop souvent, le mérite de nos architectes modernes vient se heurter. Aussi la plupart des grandes salles bâties de notre temps ont-elles un aspect froid et triste. De larges places sombres, soit sur les parois, soit sur le sol, coupent ces vaisseaux, les rapetissent aux yeux et ne se prêtent point à la décoration. La foule même, répandue dans ces salles, forme des taches noires d'un aspect désagréable. Au contraire, au milieu de ces anciens édifices entièrement ajourés entre les nerfs principaux de l'ossature, il circule comme une atmosphère lumineuse et colorée qui satisfait les yeux autant que l'esprit. On se sent à l'aise dans ces vastes cages qui participent de la lumière extérieure en l'adoucissant. C'est en grande partie à cette judicieuse introduction des rayons lumineux que ces vaisseaux doivent de paraître beaucoup plus vastes qu'ils ne le sont réellement. Aussi l'église abbatiale de Saint-Ouen, qui n'est, après tout, que d'une dimension très-ordinaire 240, paraît-elle rivaliser avec nos grandes cathédrales.

On se rendra compte de la disposition des travées des salles de palais et châteaux en recourant aux articles CONSTRUCTION, PALAIS, SALLE.

Note 220: (retour) Voyez une portion du plan de cette nef à l'article TRANSSEPT, fig. 2.
Note 221: (retour) Au XIIe siècle, des voûtes ayant été construites sur cette nef et appuyées sur des colonnettes accolées aux piliers avec assez d'adresse, des arcs-boutants durent les contre-buter. Les berceaux des collatéraux furent détruits, ainsi que les pilettes G, et des voûtes d'arête les remplacèrent. Cependant la disposition des voûtes en berceaux perpendiculaires aux murs fut conservée dans le transsept. Ces travaux ne purent qu'altérer la solidité de l'édifice bâti de matériaux de petites dimensions; si bien qu'on dut (il y a quelques années) reconstruire les voûtes hautes en matériaux légers et restaurer les parties intérieures. Ces travaux ont malheureusement fait disparaître des traces curieuses de la disposition première. On voit encore cependant, sur plusieurs points, les sommiers S des arcs-doubleaux des collatéraux primitifs.
Note 222: (retour) Cette disposition fut adoptée dans l'église de San-Miniato, près de Florence; elle était assez fréquente au milieu du XIe siècle dans nos provinces du Nord, et notamment dans la Champagne.
Note 223: (retour) Voyez, à ce sujet, Étude sur l'architecture lombarde par M. de Dartein, ingénieur des ponts et chaussées. Toutefois, si nous ne contestons pas l'ancienneté de la disposition du plan de l'église de Saint-Ambroise de Milan, il nous semble que l'auteur de cet excellent ouvrage, dans la notice qu'il donne sur cette église, ne tient pas assez compte des restaurations qu'elle eut à subir, et qu'il s'appuie d'une manière peut-être trop absolue sur des textes. Combien n'avons-nous pas d'édifices en France, par exemple, dont la reconstruction presque totale n'est mentionnée que d'une manière incidente, ou ne l'est pas du tout! Aucun texte ne fait mention de la reconstruction de la façade de Notre-Dame de Paris, entre autres; en faut-il conclure que cette façade est celle d'Étienne de Garlande, 1140, ou date de l'épiscopat de Maurice de Sully (1160-1190)? Après le grand désastre de 1196, c'est-à-dire après la ruine des voûtes de l'église de Saint-Ambroise de Milan, ce monument dut subir un remaniement presque total. Des voûtes ne s'écroulent pas sans cause; un sinistre aussi grave est habituellement la conséquence d'un déversement des piles; or, les piles actuelles de Saint-Ambroise ne paraissent pas avoir subi des altérations de nature à pouvoir occasionner la chute des grandes voûtes. De l'examen que nous avons fait de cet édifice, il y a peu d'années, il résulte que nous ne pourrions assigner à sa nef (les voûtes non comprises) la date du IXe siècle. Les profils, les sculptures de toutes les parties supérieures, la structure même de ces parties, semblent appartenir au XIIe siècle, époque brillante pour l'art en Lombardie comme en France. Les monuments élevés sur le sol du nord de l'Italie et dont la date carlovingienne ne saurait être discutée, ont un caractère barbare, comme structure, que l'on ne retrouve pas dans Saint-Ambroise de Milan. Toutefois, nous le répétons, nous croyons bien, comme M. de Dartein, que la disposition du plan appartient au IXe siècle, ainsi qu'une partie des constructions inférieures, l'autel, etc.
Note 224: (retour) En 1845, M. Vitet écrivait ceci: «Que tous ceux à qui ces questions inspirent un sérieux intérêt cessent de s'évertuer à prouver, les uns que l'ogive nous est venue d'Orient, les autres qu'elle est indigène: querelles vides et oiseuses! Qu'ils cherchent par qui a été mis en oeuvre le système à ogive; pourquoi l'influence de ce système a été si grande et si universelle, comment pendant trois siècles il a pu exercer sur une moitié de l'Europe une absolue souveraineté; qu'ils cherchent enfin si la naissance et les progrès de ce système ne sont pas inséparablement liés à la grande régénération des sociétés modernes, dont le XIIe siècle voit éclore les premiers germes... Les révolutions architecturales ainsi envisagées ne se confondent plus avec ces fantaisies futiles et éphémères qui font préférer telle étoffe à telle autre pendant un certain temps; elles sont de sérieuses, de véritables révolutions, elles expriment des idées.» (Monographie de Notre-Dame de Noyon, p. 130.)
Note 225: (retour) Voyez CONSTRUCTION, fig. 19, la coupe de ce porche. Voyez PORCHE et OGIVE, fig. 3, 4 et 5.
Note 226: (retour) Voyez la coupe.
Note 227: (retour) La construction de l'église de Nesle (Seine-et-Oise) date de 1175 environ. Cet édifice est contemporain de la cathédrale de Senlis, de l'église abbatiale et de Saint-Leu d'Esserent.
Note 228: (retour) Voyez ÉCHELLE.
Note 229: (retour) Voyez, à l'article CATHÉDRALE, une travée de Notre-Dame de Paris, fig. 4.
Note 230: (retour) Voyez le plan de cette église à l'article CATHÉDRALE, fig. 6, et sa coupe, PROPORTION, fig. 7.
Note 231: (retour) Voyez CATHÉDRALE, fig. 35.
Note 232: (retour) Voyez CATHÉDRALE, fig. 44 et 45, le plan et la coupe transversale de la cathédrale de Poitiers.
Note 233: (retour) Voyez son plan, CATHÉDRALE, fig. 44.
Note 234: (retour) Une disposition analogue existe dans la nef de l'église abbatiale de Sainte-Radegonde, à Poitiers, et existait, au XIIe siècle, dans la nef de la cathédrale de Bordeaux.
Note 235: (retour) En A est tracé le plan de la pile, avec le chemin de ronde au niveau a.
Note 236: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 35; CATHÉDRALE, fig. 19 et 20.
Note 237: (retour) Notre figure, à cause du manque d'espace, et pour conserver la même échelle que celle des précédentes (0,005 pour mètre), divise la travée en deux parties. La partie B surmontant, en exécution, la partie A.
Note 238: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 36.
Note 239: (retour) Travée des parties parallèles du choeur.
Note 240: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 62.


TRÈFLE, s. m. Nom que l'on donne à un membre d'architecture de forme géométrique, obtenu au moyen de trois cercles dont les centres sont placés aux sommets des angles d'un triangle équilatéral. On dit aussi trilobe (fig. 1). À dater de la fin du XIIe siècle jusqu'au XVIe, on s'est beaucoup servi de cette figure dans la composition des meneaux, des roses, des arcatures, et en général des claires-voies. Quelquefois les points de rencontre des cercles sont terminés par un ornement feuillu A, par une tête humaine ou d'animal.

Il arrive souvent qu'un trèfle inscrit trois autres trèfles, ainsi que l'indique le tracé B. (Voy. BALUSTRADE, FENÊTRE, MENEAU, ROSE.)

Quelques auteurs ont voulu voir dans cette figure un symbole. Rien ne vient appuyer cette opinion. Le trèfle résultait tout naturellement de l'emploi, très-fréquent, du triangle équilatéral, dans l'architecture du moyen âge, comme figure génératrice (voy. PROPORTION). Il avait l'avantage, pour les claires-voies des meneaux, par exemple, de pouvoir inscrire facilement dans un arc en tiers-point ab des figures engendrées par le triangle équilatéral.



TREILLAGE, s. m. Claire-voie composée de lattes ou de bois légers réunis, pendant le moyen âge, par des pointes ou de petites chevilles de bois; puis, vers la fin du XVe siècle, par du fil de fer.

Déjà, vers la fin du XIIe siècle, des treilles étaient établies dans les jardins privés, et, sous saint Louis, ce mode de former des berceaux avec de la vigne était fort répandu. À cette époque, les treilles du jardin du Palais, sur l'emplacement de la place Dauphine actuelle, étaient en grande réputation. Les treillages consistaient habituellement alors, si l'on s'en rapporte aux vignettes des manuscrits, en des bois souples croisés, retenus par des pointes ou des liens d'osier quelquefois entrelacés. La mode des architectures en treillages ne paraît pas remonter au delà du commencement du XVIe siècle. C'était une importation italienne, et non point une des plus heureuses.



TREILLIS, s. m. Clôture de fenêtre de fer léger, mais très-serrée; sorte de grillage (voy. ce mot), mais capable d'opposer une résistance sérieuse. Il est souvent question, dans les romans des XIIIe et XIVe siècles, de fenêtres ainsi treillissées au dehors d'une manière permanente (voy. GRILLE). On donnait aussi le nom de treillis à des grilles en façon de chevaux de frise, pour défendre la contrescarpe des fossés des châteaux. «Tout à l'environ de Plessis, il fist faire (Louis XI) un treillis de gros barreaux de fer, et planter dedans la muraille des broches de fer, ayant plusieurs poinctes, comme à l'entrée par où l'on eu pu entrer aux fossés dudit Plessis 241

Note 241: (retour) Mémoires de Philippe de Commines, liv. VI, chap. VII.


TRÉSOR, s. m. Pièce réservée, à côté des églises abbatiales et cathédrales, aussi dans les châteaux, pour renfermer les objets les plus précieux; tels que vases sacrés, reliquaires, pièces d'orfévrerie, puis encore les chartes, les titres, etc.

La cathédrale de Paris avait son trésor au-dessus de la sacristie (voy. SACRISTIE, PALAIS). La sainte Chapelle du Palais, à Paris, possédait également un joli édifice annexe, qui contenait les sacristies et le trésor des chartes. De même, à la chapelle du château de Vincennes (voy. CHAPELLE). Souvent aussi les trésors des églises étaient pratiqués dans l'intérieur même de l'édifice. On voit encore à la cathédrale de Reims, dans le bas côté du bras de croix septentrional, le trésor entresolé, grillé, qui renfermait les beaux objets que possédait le chapitre de cette église. À la cathédrale de Rouen, dans celle d'Évreux, le trésor n'était qu'une chapelle grillée. À Sens, à Troyes, les trésors des cathédrales sont annexés à l'église, au côté méridional du choeur, et l'on y accède par des escaliers donnant dans le collatéral. Dans les châteaux, les trésors des chartes étaient placés dans le donjon, ceux de la vaisselle dans une tour, proche de la grand'salle, et celui de la chapelle à côté ou au-dessus de la sacristie. Ces trésors, habituellement voûtés et ainsi à l'abri des incendies, n'étaient éclairés que par des fenêtres élevées au-dessus du sol et soigneusement grillées. Leurs portes étaient de fer et doubles, ou tout au moins munies de deux serrures. On voit encore, dans l'hôtel de Jacques Coeur, à Bourges, la pièce qui servait de trésor.

L'habitude de disposer, dans les châteaux ou hôtels, des pièces spécialement affectées à la conservation des trésors, et particulièrement des archives, ne paraît guère remonter, chez les seigneurs laïques, au delà de Philippe-Auguste. Jusqu'alors il était d'usage, parmi les nobles, d'emporter partout avec soi les titres précieux et la plupart des objets précieux que l'on possédait. C'était une habitude mérovingienne que l'on trouve répandue chez tous les peuples de race indo-européenne. Le chef ne se fiait qu'à lui seul pour garder son bien et sa famille, et pendant l'époque romaine on voit que les armées de barbares ne marchent qu'accompagnées des lourds chariots qui portent les vieillards, les femmes, les enfants et les dépouilles amassées à la guerre. Pendant la campagne de 1194, contre Richard, le bagage de Philippe-Auguste tomba dans une embuscade tendue près de Fréteval, en Vendômois, par le roi d'Angleterre, qui mit ainsi la main, non-seulement sur la vaisselle et les joyaux de son rival, mais aussi sur les registres de cens, de taille, de servage, «bref, le chartrier complet de France, que les rois avaient coutume de porter avec eux dans tous leurs voyages. Ce fut, disent les chroniques de Saint-Denis, une rude tâche que de réparer cette perte et de rétablir toute chose en légitime état 242.» Ce fut à dater de cet événement que les rois français déposèrent les registres d'État dans une résidence fixe. Le chartrier de France, placé d'abord au Temple, fut transféré partie dans la grosse tour du Louvre, partie dans le trésor de la sainte Chapelle, dont nous avons parlé ci-dessus.

Note 242: (retour) Chronique de Saint-Denis (Histoire de France de M. Henri Martin, t. III, p. 551).


TRIBUNE, s. f. (du lat. tribuna). Partie principale des édifices sacrés, suivant les académiciens de la Crusca. En effet, dans les basiliques chrétiennes primitives, la tribune est l'hémicycle qui forme l'abside, où se tenait l'évêque ou l'abbé entouré de son clergé (voy. CHOEUR, TRANSSEPT), en souvenir de la place qu'occupait, dans la basilique romaine antique, le préteur. Des pères de l'Église donnent parfois le nom de tribunal à l'un des ambons placés des deux côtés du choeur, notamment à celui du haut duquel on lisait l'Évangile aux fidèles assemblés dans les nefs 243.

Le dessus des jubés, d'où on lisait également l'Évangile et d'où l'on instruisait les fidèles, prit dès lors le nom de tribune. Par extension; on donna le nom de tribune, dans l'église, à toute partie élevée au-dessus du sol, soit sur des colonnes et des arcs, soit sur des encorbellements 244. C'est ainsi que ces édifices religieux eurent leurs tribunes du jubé, des orgues, de l'horloge, du trésor; parfois aussi des tribunes particulières réservées à quelques fidèles privilégiés, à de grands personnages, aux familles des fondateurs, etc. On monte à ces loges, relevées au-dessus du pavé, par des escaliers donnant, soit dans l'église, soit dans des bâtiments voisins, quand elles sont privées, c'est-à-dire réservées à certains personnages. Les tribunes étaient encore un moyen d'augmenter les surfaces données aux fidèles dans de petites églises. Nous n'avons à nous occuper ici que des tribunes comprises comme annexes intérieures et élevées des églises, non comme sanctuaires, ambons ou jubés (voy. JUBÉ, CHOEUR). Or, l'usage des tribunes remonte assez loin. Galbert raconte comment, en 1127, Charles le Bon fut assassiné dans la tribune où il était monté pour prier avec Thancmar, châtelain de Bourbourg; tribune pratiquée dans l'église de Saint-Donatien, à Bruges. Les corps de ces deux personnages ayant été transportés dans le choeur par les religieux pour être inhumés, le parti qui avait fait consommer le meurtre résolut de les enlever: «La nuit suivante, le prévôt ordonna de munir d'armes l'église et de garnir de sentinelles la tribune (solarium) et la tour, afin qu'il pût s'y retirer avec les siens en cas d'attaque de la part des citoyens. D'après l'ordre du prévôt, des chevaliers entrèrent armés cette nuit dans la tribune de l'église 245... Ces misérables (les partisans) ne pouvant s'emparer des lieux inférieurs de l'église, avaient encombré de bois et de pierres l'escalier qui menait à la tribune, en sorte que personne ne pouvait y monter et qu'eux-mêmes ne pouvaient descendre, et ils cherchèrent seulement à se défendre du haut de la tribune et de la tour. Ils avaient établi leurs repaires et leur demeure entre les colonnes de la tribune, avec des tas de coffres et de bancs, d'où ils jetaient des pierres, du plomb, et toutes sortes de choses pesantes sur ceux qui attaquaient... Enfin, les chanoines de l'église, montant du choeur dans la tribune, par des échelles 246...» Ces curieux passages font connaître que la tribune en question était placée sous une tour de l'église, qu'elle avait un escalier communiquant avec les logis extérieurs, et qu'elle était voisine du choeur. C'était une pièce de premier étage, s'ouvrant sur l'église par des arcatures à claire-voie, comme le sont les galeries supérieures des collatéraux de nos églises des XIe et XIIe siècles. Si cette pièce servait de tribune, c'est-à-dire d'oratoire élevé au-dessus du sol de l'église, elle n'avait point la forme tout exceptionnelle que nous attachons aujourd'hui à cette partie de l'édifice religieux.

On voit une tribune d'un caractère bien franc et d'une époque assez ancienne (1130 environ) dans le narthex de l'église abbatiale de Vézelay 247. Nous en trouvons une autre dans la petite église de Montréal (Yonne), qui est adossée à la façade et regarde le choeur, dont les dispositions sont très-remarquables.

La figure 1 présente en A le plan de cette tribune, et en B la coupe faite sur ab. On monte à cette tribune par deux escaliers donnant dans les collatéraux, et pris aux dépens de pierre l'épaisseur du mur de face. Entièrement construite en belles dalles de dure, elle repose sur une colonne jumelée monolithe et quatre grandes consoles composées de longues pierres en encorbellement.

L'arrangement de la colonne avec un cul-de-lampe et des corbeaux est extrêmement intéressant, comme construction, en ce qu'il se combine avec le trumeau de la porte 248. Une table d'autel portée sur la balustrade pleine et sur une seule colonne jumelée, est placée dans l'axe de la tribune, en C. Les queues des claveaux D d'archivolte de la porte et le tympan E dégagent naturellement, en s'abaissant, les portes d'entrée P de la tribune. Une rose, d'un excellent style, s'ouvre en G, au-dessous des voûtes de la nef.

La figure 2 donne la vue perspective de cette tribune, prise de la nef. Cet ouvrage a été conçu et élevé en même temps que la façade, qui date de la fin du XIIe siècle, puisque la construction des encorbellements se relie intimement à cette façade, et que les deux escaliers ont été réservés dans le mur en le bâtissant. L'église de Montréal est petite, et est terminée par un sanctuaire carré avec un transsept et deux petites chapelles, également sur plan carré, orientées. La tribune, qui peut contenir facilement vingt à vingt-cinq personnes, ajoutait donc à sa surface. Peut-être était-elle réservée au seigneur, car l'église était attenante à un château dont il ne reste plus traces. La position du petit autel C le ferait croire. Cette tribune pouvait ainsi servir de chapelle privée. Construite en magnifiques matériaux taillés avec une pureté remarquable, cette église, et sa tribune (si rare), est, entre les monuments de la Bourgogne, un de ceux qui présentent le plus d'intérêt.

Tout le monde connaît la tribune de la cathédrale de Paris, qui, à l'intérieur, s'élève sous la grande rose occidentale, entre les deux tours, et dont l'arc sert d'étrésillonnement à la base de ces tours. Cette tribune, construite en même temps que la partie inférieure de la façade, et qui date, par conséquent, de 1210 environ, sert aujourd'hui à porter le buffet des grandes orgues. Elle se compose seulement d'un arc qui franchit toute la largeur du vaisseau central, et d'une voûte en arcs d'ogive. En largeur, elle occupe la moitié de l'épaisseur des tours et met en communication les belles salles voûtées du premier étage de ces deux clochers, par de larges arcades. Deux autres arcades semblables, s'ouvrant dans ces salles, donnent directement sur la nef.

Nous ne parlerons pas ici des salles de premier étage, des porches ou clochers posés dans l'axe des nefs principales, et qui, s'ouvrant sur ces nefs, sont de véritables tribunes, parce que nous avons l'occasion ailleurs de signaler ces dispositions 249.

Au XIVe siècle, on éleva, dans l'intérieur de la cathédrale de Laon, trois tribunes sous les pignons de la façade occidentale et des deux bras de croix, pour étrésillonner les piliers des six tours qui flanquent ces pignons. Ces trois tribunes n'ont donc point une destination définie, c'est un moyen de consolidation utilisé. Elles consistent simplement en un arc bombé, avec voûte en arcs d'ogive bandée entre les piliers de la première travée. Pendant la seconde moitié du XVe siècle, une tribune fut élevée entre la première travée de la nef de la cathédrale d'Autun 250. Cette tribune, destinée à porter un buffet d'orgues, est disposée sur un plan original, ainsi que le montre la figure 3, en A.

Elle occupe un trapèze abcd, dont les angles b, c, sont contre-butés par les arcs bf, ce. La voûte, avec arcs ogives, tiercelets, liernes, etc., est compliquée et assez plate. C'est une construction bien conçue, si l'on a égard aux dispositions des piliers anciens que l'on prétendait ne pas modifier. On arrive au sol de la tribune par deux escaliers à vis anciens, qui, primitivement, donnaient accès à une sorte de loge extérieure, qui, vers la fin du XIIe siècle, fut remplacée par un beau porche 251. La vue perspective de cette tribune en fait saisir la construction et le caractère. En B, est un des deux arcs-boutants qui maintiennent la poussée de la voûte, dont l'arc de tête bc est porté sur les deux clefs de jonction oblique b et c. Il y a là une combinaison très-simple dans son principe, dont on pourrait tirer un excellent parti. Les redents et poinçons avec liens courbes n'ajoutent rien à la solidité, et ne sont pas du meilleur style, appliqués à une construction de pierre.

Indépendamment de ces tribunes ouvertes, faites pour recevoir des chanteurs, des jeux d'orgues, ou un public privilégié, on pratiquait parfois, dans les églises abbatiales ou paroissiales, et surtout dans les chapelles de châteaux, de petites tribunes fermées, destinées à certains personnages. Cet usage devint fréquent pendant le XVe siècle. Les abbés ne descendaient plus au choeur et avaient leur tribune. Les seigneurs avaient aussi leur tribune spéciale, soit dans l'église paroissiale, soit dans leur propre chapelle.

Voici (fig. 4) une de ces petites tribunes closes, pratiquée dans le mur de face du bas côté de l'église abbatiale de Montivilliers (Seine-Inférieure). Cette église est romane; mais, au XVe siècle, on rétablit un bas côté, dans le mur duquel est ménagée une tribune 252. En A, est tracé le plan de la tribune avec l'escalier qui y conduit, et en B l'élévation sur le collatéral. Ces claires-voies étaient garnies intérieurement de courtines, afin que les assistants aux cérémonies pussent voir dans l'église sans être vus. Le service des tribunes prenait parfois, dans les chapelles de châteaux, une grande importance 253. L'une était disposée pour le seigneur et les siens, d'autres pour les habitants du château, pour les familiers. La garnison et tout le service se tenaient sur le pavé, à rez-de-chaussée. Il arrivait souvent même que ces tribunes étaient faites de bois. Les grand'salles des châteaux possédaient également de ces sortes de tribunes de menuiserie peinte et décorée d'étoffes. On y plaçait les musiciens les jours de fête et de banquets, les femmes, ou des personnes étrangères auxquelles on voulait faire honneur les jours de plaids. Ces sortes de tribunes étaient élevées dans un angle de la salle, et l'on y arrivait par des escaliers extérieurs.

Dans les églises, on suspendait aussi des tribunes de bois pour recevoir des orgues, des choeurs ou des personnes privilégiées. À la cathédrale de Reims, on voit encore les restes d'une de ces sortes de tribunes accolée au pignon nord du transsept, et qui date du XVe siècle. Au-dessus de la porte d'entrée principale de la cathédrale d'Amiens, il existe également une tribune de bois, dont la construction remonte à 1500 environ, et qui porte sur une ferme armée, masquée derrière trois arcs en menuiserie.

L'église de Saint-Andoche, de Saulieu (Côte-d'Or), possède encore une jolie tribune de bois de la fin du XVe siècle, au-dessus de la porte centrale. La figure 5 en donne l'élévation perspective, prise de l'intérieur de la nef.

En A, est tracé le système de construction de ces tribunes de charpente et menuiserie. L'entrait B est entaillé à mi-bois pour laisser passer le poinçon C, qui s'élève jusqu'à la longrine D et reçoit les deux arbalétriers E. Les liens G soulagent les parties intermédiaires de l'entrait, le pied de ces liens reposant sur les murs latéraux en I et venant s'assembler à l'extrémité inférieure du poinçon C rendu fixe par les deux arbalétriers E. Une doublure décorée masque l'entrait, et la balustrade de menuiserie fixée de B en D sur cette doublure et sur la longrine D roidit tout le système. Le solivage repose sur une lambourde fixée derrière l'entrait. C'est un système analogue qui est appliqué à la cathédrale d'Amiens, quoique la portée soit beaucoup plus grande 254. La forme de charpente, formant le devant de la tribune, est divisée en trois travées (voyez en P). De même les poinçons F sont entaillés à mi-bois dans l'entrait H. Le trapèze KLMN maintient la tête de ces poinçons qui reçoivent les pieds des liens O. Les assemblages des arbalétriers sont maintenus dans l'entrait par des étriers boulonnés et par les deux contre-fiches K, N. Une triple arcature en menuiserie, qui paraît suspendue, masque les poinçons, les liens, et contribue encore à donner du roide à tout l'ensemble. Ces arcatures retombant sur des culs-de-lampe en l'air ne sont donc pas un vain ornement, mais sont la véritable décoration de la structure en charpente.

On élevait aussi des tribunes sur les places pendant les fêtes publiques, pour y placer des choristes et des acteurs qui récitaient des mystères devant la foule. Pendant les tournois, des tribunes de charpente recouvertes d'étoffes et d'écus armoyés étaient construites sur l'un des côtés de la lice et servaient d'abri aux seigneurs et aux dames. Mais ces ouvrages provisoires sortent du domaine de l'architecture.

Note 243: (retour) Encore en 1527, au concile de Lyon: «Evangelium alta voce in tribuna et capella crucis more solito... dixit et evangelizavit
Note 244: (retour) En latin solarium.
Note 245: (retour) Galbert, Vie de Charles le Bon, chap. III, trad. de M. Guizot.
Note 246: (retour) Id., ibid. chap. XIV.
Note 247: (retour) Voyez PORCHE, fig. 4.
Note 248: (retour) Voyez PORTE, fig. 63 et 64.
Note 249: (retour) Voyez CLOCHER, PORCHE.
Note 250: (retour) La construction de la cathédrale d'Autun remonte au XIIe siècle (voyez CATHÉDRALE, fig. 27).
Note 251: (retour) Voyez PORCHE, fig. 12 et 13.
Note 252: (retour) Ces détails nous ont été fournis par M. Pratel, architecte au Havre.
Note 253: (retour) La chapelle royale de Vincennes possède une belle tribune sous la rose occidentale, qui consiste en un arc en tiers-point avec voûte d'arête franchissant la largeur du vaisseau.
Note 254: (retour) La portée de la tribune de l'église Saint-Andoche de Saulieu n'est que de 5m,65; celle de la cathédrale d'Amiens est de 14 mètres.


TRIFORIUM, s. m. Mot en usage dans la basse latinité (formé du grec), introduit dans le vocabulaire de l'architecture par les archéologues anglais, et qui s'applique aux galeries pourtournant intérieurement les églises, au-dessus des archivoltes des collatéraux 255. Le triforium occupe toute la largeur du collatéral, ou n'est qu'une étroite galerie de service adossée aux combles des bas côtés. La plupart de nos grandes églises du Nord possèdent un triforium, qui n'est qu'une tradition de la galerie (ambulatoire) de premier étage de la basilique romaine. Quand le triforium prend toute la largeur du collatéral, il est voûté à dater du commencement du XIIe siècle, et, dès l'origine, sa fonction est déterminée plus encore par une nécessité de stabilité que par les besoins du service de l'église. Tant que les nefs des églises étaient couvertes par des charpentes apparentes, à l'instar de la basilique romaine, si l'architecte élevait une galerie de premier étage, comme à Saint-Rémi de Reims, par exemple 256, il ne pouvait guère songer à la voûter; il se contentait de bander un arc-doubleau au droit de chaque pile, arc-doubleau qui recevait le solivage incliné portant la couverture en appentis, qui étayait les grands murs de la nef, mais qui ne pouvait exercer sur ces murs une poussée que la charge des parties supérieures ne pût neutraliser. Ce fut tout autre chose quand on prétendit remplacer les charpentes apparentes par des voûtes, et par des voûtes en berceau. Ces voûtes s'affaissèrent bientôt entre les murs déversés sous l'action de leur pression oblique; il fallut penser à maintenir ces murs dans leur plan vertical. C'est alors qu'on eut l'idée de jeter longitudinalement sur les galeries de premier étage un demi-berceau ou arc-boutant continu, pour contre-buter la poussée du berceau central. Dès la fin du XIe siècle, l'école auvergnate arrivait à ce résultat, dont on peut encore constater l'efficacité, si l'on visite les églises d'Issoire, de Saint-Nectaire, de Notre-Dame du Port à Clermont, de Saint-Etienne de Nevers, et même de Saint-Sernin de Toulouse. Les arcs-doubleaux des galeries primitives (voyez la figure 1 de l'article TRAVÉE) étaient conservés, et le solivage de bois incliné était remplacé par ce demi-berceau sur lequel on posait à cru la couverture de tuiles ou de dalles.

La figure 1 explique cette modification dans les procédés primitifs. En A, on voit encore la travée de la galerie avec ses arcs-doubleaux au droit des piles, et son solivage portant la couverture; en B, le solivage est remplacé par un demi-berceau contre-butant la poussée continue du berceau central C. N'oublions pas, d'ailleurs, qu'avant de se décider à jeter des voûtes sur les hautes nefs, on avait commencé par se contenter d'arcs-doubleaux portant, en partie, la charpente et la couverture 257. Dans les provinces où l'on osa tout d'abord supprimer les charpentes pour leur substituer des berceaux entre chaque arc-doubleau de la nef, il était naturel de remplacer de même les lambris des combles en appentis des galeries par des demi-berceaux. Mais ce nouveau système de structure obstruait les fenêtres hautes, percées autrefois sous les charpentes des nefs centrales. Aussi ces églises d'Auvergne dont nous parlons, n'en ont-elles point, tandis que de petites baies éclairent le triforium.

Les berceaux des hautes nefs ne furent pas tout d'abord bandés, concentriques aux arcs-doubleaux. On voit que dans les nefs couvertes par des charpentes, pendant le XIe siècle, l'arc-doubleau portait un pignon avec claire-voie, sur les pentes duquel s'appuyait le solivage du comble 258. On laissa donc l'arc-doubleau à sa place, ainsi qu'on le voit en P (fig. 1) 259, en jetant le berceau en D à la place du lambris. Le demi-berceau E du triforium venait contre-buter le berceau central, tandis que l'arc-doubleau G contre-butait l'arc de la nef H. La claire-voie du triforium s'ouvrait alors en I. Cependant on ne gagnait rien à laisser les arcs-doubleaux de la nef centrale au-dessous du berceau, ce n'était là qu'une tradition d'une disposition antérieure des édifices couverts par des charpentes apparentes; on releva donc ces arcs-doubleaux, de manière à rendre leur extrados concentrique au berceau, ainsi qu'on le voit en M 260.

La figure 2 présente l'aspect perspectif du triforium de la nef de l'église d'Issoire. Dans cette nef, qui date des dernières années du XIe siècle, les travées sont doubles, c'est-à-dire que les colonnes engagées A et les arcs-doubleaux B n'existent que de deux en deux piles; la pile C étant seulement destinée à recevoir les arcs-doubleaux et retombées des voûtes des collatéraux. Mais on voit en D un arc-doubleau de galerie comme il en existe un au droit des piles A. En E, est la naissance du berceau continu de la nef haute, et, à travers l'arcature du triforium en G, on aperçoit le demi-berceau qui contre-bute cette voûte centrale. Même disposition à Notre-Dame du Port, à Saint-Étienne de Nevers. Dans ces édifices, le triforium a exactement le caractère qui convient à sa destination. Le mur de la nef est ajouré pour permettre de profiter de cette galerie nécessaire à la stabilité du monument, et qui donne un peu de lumière aux voûtes hautes de l'église. Si ce parti était convenable pour des nefs d'une dimension médiocre,--les fenêtres basses des collatéraux donnant alors assez de lumière, à cause du peu de largeur du vaisseau,--il était inadmissible dans la construction d'une grande église, telle que Saint-Sernin de Toulouse, pourvue de doubles collatéraux; car, dans ce dernier cas, la nef centrale eût été laissée dans l'obscurité. Ne pouvant ouvrir des fenêtres sous les naissances des berceaux, fallait-il au moins que celles des galeries fussent assez hautes et assez larges pour éclairer cette nef centrale à travers l'arcature du triforium; aussi, dans ce dernier édifice, le triforium prend-il une tout autre importance qu'à Issoire et à Notre-Dame du Port. On en jugera par le géométral que nous donnons ici (fig 3).

En A, est tracé le plan de cette galerie avec une pile d'angle B; car le triforium de l'église Saint-Sernin se retourne aux extrémités du transsept. De larges fenêtres C éclairent et la galerie et le milieu du vaisseau. Le demi-berceau avec arcs-doubleaux, qui naît au-dessus de ces fenêtres, contre-bute la voûte centrale en berceau, renforcée d'arcs-doubleaux. C'est le système adopté dans les églises auvergnates, mais plus développé 261.

Le développement du triforium dans l'église de Saint-Sernin de Toulouse ne permettait pas cependant d'ouvrir des jours directs dans la nef. Sous le climat du Midi, ce moyen pouvait suffire; mais, sous le ciel brumeux du Nord, la lumière transmise par ces seconds jours n'éclairait qu'à peine les nefs hautes: il fallait que des fenêtres s'ouvrissent directement sur ces nefs au-dessus du triforium. Aussi, dans les provinces situées au nord de la Loire, on ne cessa point de pratiquer des ouvertures directes sous les charpentes, et, quand on renonça aux charpentes, sous les voûtes qui durent les remplacer. Ce fut une des causes qui empêchèrent les architectes du Nord d'adopter la voûte en berceau (voy. VOÛTE), et qui les contraignirent à chercher des combinaisons de voûtes d'arête. Les tympans sous les formerets des voûtes permettaient, en effet, d'ouvrir des baies dans la hauteur même de ces voûtes. Toutefois on ne renonçait point au triforium voûté, qui était regardé comme un moyen propre à maintenir les murs des hautes nefs dans le plan vertical, et à contre-buter les voûtes qui les surmontaient. Plusieurs églises de l'époque de transition nous montrent les diverses tentatives faites en ce sens par les maîtres des provinces françaises du Nord. Nous citerons en première ligne l'église abbatiale de Saint-Germer (Oise), dont la construction remonte à la moitié du XIIe siècle 262. Les travées du choeur de cette église possèdent, au-dessus du collatéral, un triforium voûté à la romaine, sans arcs ogives. Cette galerie s'ouvre sur l'église par une arcature, et le comble qui la surmonte recouvre des arcs-boutants destinés à maintenir la poussée des voûtes hautes.

La coupe (fig. 4) faite sur cette galerie explique le système de structure adopté. Les demi-pignons AB qui s'élèvent sur les arcs-boutants servaient aussi à porter la couverture, qui se composait d'un solivage avec demi-fermes dans les parties circulaires. Des baies C sont percées sous ce comble en appentis, et donnent dans l'église, au-dessous d'un étroit passage de service ménagé en D, afin de faciliter l'entretien des verrières des fenêtres supérieures F.

La figure 5 donne l'élévation intérieure de ce triforium, avec les fenêtres quadrangulaires E du comble et le passage de service G 263. En H, est tracée une des travées parallèles du choeur, et en L une des travées du rond-point, développée sur plan rectiligne. On observera que la claire-voie à colonnes jumelles repose sur un bahut (voy. la coupe fig. 4). Ce bahut empêchait les personnes qui occupaient la galerie de plonger leurs regards dans l'église, à moins de se mettre à plat-ventre sur ce mur d'appui.

Les architectes des cathédrales de Noyon, de Senlis, de Soissons, de Paris, des églises de Mantes, du choeur de l'abbatiale de Saint-Rémi de Reims, de celui de l'abbaye d'Eu, etc., renoncèrent à ce mur d'appui, et firent porter les bases des colonnes de la claire-voie directement sur le sol de la galerie. Des balustrades de bois ou de fer, placées entre ces colonnes, permirent alors aux assistants, dans les tribunes, de voir le pavé de l'église. Le parti mi-roman, mi-gothique, adopté à Saint-Germer, conserve les fenêtres hautes M (fig. 5) de la basilique primitive, grâce à l'application du système de voûtes d'arête en arcs d'ogive, tout nouveau alors 264. Cependant ces fenêtres supérieures, très-élevées au-dessus du pavé de l'église, n'éclairaient guère que les voûtes; les fenêtres percées dans le mur du triforium (voy. la coupe en P) étaient trop éloignées de la claire-voie pour pouvoir donner de la lumière à l'intérieur du vaisseau sur le sol; d'autant que ce triforium est bas, profond et que le bahut fait écran. L'architecte du choeur de Notre-Dame de Paris adopta résolûment un autre parti; comme nous venons de le dire, il supprima le bahut et éleva la voûte du triforium. Le maître qui, peu après, vers 1195, construisit la nef de la même église, améliora encore, au point de vue de l'introduction de la lumière dans la partie centrale du vaisseau, les dispositions prises par son devancier. Il construisit les voûtes du triforium transversalement rampantes, afin de démasquer complétement les fenêtres de cette galerie pour le public qui se tenait sur le pavé de la nef. À l'article CATHÉDRALE (fig. 2, 3 et 4), nous rendons compte de cette disposition, assez clairement pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir ici. À Notre-Dame de Paris, des roses remplacent les fenêtres rectangulaires, qui, dans l'église de Saint-Germer, sont ouvertes dans le mur auquel le comble en appentis est adossé. Le passage de service intérieur qui, à Saint-Germer, surmonte ces fenêtres, n'existe pas à Paris, mais il existe à la cathédrale de Noyon 265; et là, comme dans le croisillon semi-circulaire de la cathédrale de Soissons, c'est un deuxième triforium, ou galerie étroite avec claire-voie en façon d'arcature, qui remplace les roses et les fenêtres rectangulaires 266.

Ces larges triforiums voûtés étaient d'une construction dispendieuse et ne pouvaient convenir qu'à d'assez grands édifices. Ils exigeaient, pour trouver des fenêtres dans les tympans des voûtes hautes, une sur-élévation des murs, afin d'adosser les combles en appentis qui couvraient les galeries de premier étage. Leur utilité ne se faisait sentir que lors des grandes solennités, et encore les deux ou trois premiers rangs de fidèles pouvaient, de ces galeries, voir ce qui se passait dans l'église, si toutefois, comme à Notre-Dame de Paris, à Mantes, à Saint-Rémi de Reims, les bahuts de pierre étaient supprimés. Pour des églises bâties avec plus d'économie et dans lesquelles il n'y avait pas d'occasion de recevoir un grand concours de fidèles, le triforium voûté ne pouvait faire partie du programme. Aussi des églises qui datent de la même époque que celles désignées ci-dessus, et qui appartiennent à la même école d'architectes, n'en sont-elles pas pourvues. Cependant nous retrouvons dans l'Île-de-France une tendance prolongée à conserver ce parti. Ce n'est plus le triforium voûté occupant toute la largeur du collatéral, mais ce n'est pas non plus le triforium laissant une galerie étroite, un passage de service en dedans de l'adossement du comble des bas côtés, comme dans les cathédrales de Reims, d'Amiens, de Bourges et de Chartres. Ce système intermédiaire est adopté dans l'église conventuelle de Saint-Leu d'Esserent (Oise) 267.

Voici (fig. 6) la coupe du triforium de la nef de cette église. Le mur d'adossement du comble A du collatéral ne s'élève pas assez pour interdire l'ouverture de petites fenêtres B. À défaut de la voûte, un arc de décharge C reçoit la partie supérieure du mur, et le passage porte en plein sur la voûte du collatéral. À l'intérieur, cette disposition présente l'aspect reproduit en perspective dans la figure 7.

Comme pour rappeler la voûte des grands triforiums, l'architecte a bandé l'arc D, qui n'est plus qu'un simulacre, puisque le véritable arc de décharge est beaucoup plus bas et simplement bombé (voy. la coupe). Le triforium ainsi rétréci n'ayant plus besoin d'être couvert par un comble en appentis, mais simplement par un dallage G (voy. la coupe), on pouvait ouvrir les fenêtres hautes immédiatement au-dessus de l'arc D (voy. la fig. 7), et même, si le constructeur n'avait pas tenu à la conservation de cet arc, il eût pu descendre l'appui de la fenêtre beaucoup plus bas. Bien entendu, ce parti exigeait impérieusement la structure d'arcs-boutants pour maintenir les hautes voûtes, car on n'avait plus la ressource des demi-pignons noyés sous les combles en appentis du triforium voûté, pour remplir cette fonction, ainsi que cela avait été pratiqué à Saint-Germer.

Un autre monument, contemporain de l'église de Saint-Leu d'Esserent, donne à la fois le triforium avec voûtes et le triforium étroit éclairé par des fenêtres: c'est la petite église de Moret (Seine-et-Marne). Les parties parallèles du choeur de cette église possédaient une galerie de premier étage ou triforium voûté au-dessus des ailes; mais l'abside, semi-circulaire, sans collatéraux, possède, au-dessus d'un rang de fenêtres basses, un triforium dont la composition originale nous montre une suite de lunettes ou roses sans meneaux, entre lesquelles est ménagé un passage.

La vue perspective (fig. 7 bis) explique cette singulière structure. En A, est le triforium projeté conformément à la méthode de l'Île-de-France, c'est-à-dire voûté. Un degré posé derrière le parement B monte au triforium de l'abside, qui n'est plus qu'un passage traversant les piles et s'ouvrant sur le dehors et sur l'intérieur de l'église par des roses. On remarquera que ces roses (voy. le plan en P) ne sont pas percées normalement à la courbe de l'abside, mais sont biaisées de manière à être vues de l'entrée du choeur. Pénétrant un cylindre, ces oeils n'ont jamais été garnis de meneaux; leurs vitraux, qui sont posés dans le cercle extérieur, ne sont maintenus que par des armatures de fer. Les détails de cette partie de l'église de Moret sont du meilleur style des premières années du XIIIe siècle. Il ne faut point oublier qu'à l'église de Mantes (Seine-et-Oise), il existe un large triforium voûté comme celui de la cathédrale de Paris, éclairé par des roses ou oeils circulaires, et que ce triforium, au-dessus du collatéral de l'abside, présente une disposition qui, bien que conçue d'après des données très-monumentales, paraît avoir fourni l'idée de la composition de celui de Moret. Le triforium absidal de Mantes date des dernières années du XIIe siècle. Soit que l'architecte ait voulu éviter les difficultés résultant de la combinaison de voûtes sur plan annulaire, soit qu'il ait craint la poussée de ces voûtes à l'extérieur du cylindre (poussée qui, à Notre-Dame de Paris, est neutralisée par une suite d'arcs-boutants assez compliqués, élevés sur le second collatéral), parce qu'il n'avait qu'un bas côté et que la construction était faite évidemment avec parcimonie; le fait est que cet architecte a voûté le triforium absidal de l'église de Mantes au moyen d'une suite de berceaux convergents.

La coupe (fig. 7 ter) explique ce système de construction; les colonnes A reposent sur l'arc-doubleau inférieur; elles portent des linteaux de pierre dure, sur lesquels reposent les berceaux B. Mais comme ces colonnes sont, en plan, posées normalement à la courbe du rond-point, les travées sont plus larges en C, le long de la claire-voie qui s'ouvre extérieurement; il en résulte que ces berceaux sont ou rampants, ou présentent des surfaces curvilignes gauches. L'architecte de Notre-Dame de Mantes paraît s'être arrêté à cette dernière disposition, après quelques tâtonnements; c'est-à-dire qu'il a voulu maintenir la section ab des clefs du berceau en tiers-point de niveau ou à très-peu près. Alors la trace ac du berceau n'est pas concentrique à la trace bd (voy. en M). Les baies F sont des roses. Il est clair que l'architecte de l'église de Moret n'a fait qu'interpréter à une petite échelle ce qui avait été fait à Mantes quelques années avant lui.

Ces exemples, ces déductions variées, montrent combien ces maîtres cherchaient sans cesse à perfectionner ce qu'ils voyaient faire autour d'eux. Sans abandonner le principe admis, et sans imiter platement ce qui semblait présenter les résultats les plus satisfaisants, ils prétendaient au contraire développer ce principe, en tirer toutes les conséquences; et, avant tout, ils savaient qu'un système de structure doit être modifié en raison de la dimension des édifices.

Mais, dans d'autres provinces, on procédait différemment: le triforium n'était, dès le XIe siècle, qu'une claire-voie ouverte dans le mur d'adossement du comble du collatéral; claire-voie laissant pénétrer le regard, de l'intérieur, sous la charpente. Cependant, à l'origine, ces ouvertures étaient plutôt des fenêtres percées de distance en distance dans les tympans d'une arcature aveugle, qu'une galerie (voy. TRAVÉE, fig. 2). Ce n'est que vers le milieu du XIIe siècle que l'arcature aveugle, avec fenêtres donnant sous les combles des bas côtés, se transforme en claire-voie. Le choeur de la cathédrale de Langres, qui date de cette époque, nous fournit un bel exemple de ces arcatures s'ouvrant dans le mur d'adossement de la charpente du collatéral.

La figure 8 donne le géométral du triforium de la cathédrale de Langres, en supposant la travée développée sur un plan droit, cette abside étant circulaire. En A, est tracé le plan. La voûte B est un cul-de-four en tiers-point dans lequel pénètrent les fenêtres hautes C. Des colonnettes jumelles 268 supportent la double arcade qui compose la galerie entre chaque pilier du rond-point. Ce parti pouvait être adopté dans une abside, là où les travées sont étroites. Il eût été dangereux de faire porter des tympans larges et épais sur une suite de colonnettes. Aussi, dans la nef de la même église, le triforium n'est-il qu'une arcature aveugle percée d'une baie cintrée à chaque travée. Même système adopté à la cathédrale d'Autun, qui est quelque peu antérieure à celle de Langres. Les architectes tenaient cependant à occuper l'espace compris entre les archivoltes des collatéraux et les fenêtres hautes par des claires-voies; les arcatures aveugles ne présentaient qu'une décoration plate et sans utilité. Le maître auquel on doit la cathédrale de Sens, dont la construction présente des dispositions si intéressantes, eut l'idée, vers la fin du XIIe siècle, d'établir un triforium d'après un principe nouveau alors. Afin de bien porter les parties supérieures, qui se composaient primitivement d'un fenestrage avec haut appui et pile intermédiaire, il divisa de même la galerie en deux travées, avec pile intermédiaire portant sur la clef de l'archivolte du collatéral. Puis, dans chacune des travées, il établit une arcature jumelée reposant sur une colonnette et deux pieds-droits.

La figure 9 donne en A le plan et en B l'élévation du triforium de la nef de la cathédrale de Sens. En C, est la colonne qui porte l'arc-doubleau de recoupement de la voûte haute. Des fenêtres refaites, après l'incendie, à la fin du XIIIe siècle, ont remplacé les anciennes baies D, qui étaient jumelées comme l'arcature principale du triforium. Cette construction, qui date de 1180 environ, nous montre un triforium simplement percé dans le mur d'adossement du comble du collatéral, comme à l'abside de la cathédrale de Langres, sans cloison séparative entre ce comble et la claire-voie. Une disposition analogue, mais avec des formes architectoniques très-différentes, se retrouve dans une autre province. À la cathédrale d'Évreux, dans la première travée de la nef, en partie masquée par le buffet d'orgues, est un reste du triforium du XIIe siècle, qui, percé simplement dans le mur d'adossement du comble de l'ancien bas côté, aujourd'hui occupé par un clocher, se compose d'une arcature avec tympans reposant sur des pilettes isolées.

Nous en donnons (fig. 10) l'élévation et le plan horizontal. Ce triforium, à peu près contemporain de celui de Sens, est beaucoup moins bien entendu, au point de vue de la structure; car ces arcs, entrecroisés, constituent une assez médiocre décharge, et ces tympans-linteaux peuvent être brisés facilement, ou briser les portées des chapiteaux au moindre mouvement de la construction. Cependant cet exemple fait ressortir encore une fois les ressources variées dont ces architectes du XIIe siècle savaient profiter. C'est là une disposition toute normande, et que l'on retrouve en Angleterre, dans les monuments de cette époque.

Le triforium, s'ouvrant directement sous le comble du collatéral, présentait des inconvénients qu'il est facile d'apprécier. Il donnait du froid et de l'humidité dans l'église, car les couvertures de tuiles ou d'ardoises, si bien faites qu'elles soient, laissent toujours passer l'air extérieur. La vue des charpentes à travers ces claires-voies n'était pas agréable. Il était difficile d'entretenir la propreté sous ces combles, et, dans les grands vents, la poussière se répandait dans l'église. Aussi on ne tarda guère à isoler le triforium du comble, c'est-à-dire à élever entre celui-ci et la claire-voie une cloison de pierre qui formait ainsi mur d'adossement. On l'avait bien tenté à Saint-Leu d'Esserent, ainsi que nous l'avons vu, mais là c'est un moyen terme entre ce dernier parti et celui du triforium voûté.

La nef de la cathédrale d'Amiens paraît être une des premières constructions religieuses dans lesquelles l'architecte ait cherché à séparer franchement la galerie du triforium du comble en appentis, au moyen d'une cloison fixe.

Voici (fig. 11), en A, le plan d'une demi-travée de ce triforium 269. En B, est le tracé de la pile au niveau de la galerie et au niveau du rez-de-chaussée; en C, le contre-fort qui porte la colonne recevant la tête de l'arc-boutant 270, et en D la cloison de maçonnerie avec arc de décharge. En E est donnée l'élévation de ce triforium sur la nef. On aperçoit en G l'arc de décharge de la cloison. Comme à Sens, la claire-voie est divisée en deux travées, la pilette P portant le meneau central de la fenêtre et reposant sur la clef de l'archivolte du collatéral 271. En H, est tracée, a une plus grande échelle, la projection horizontale de la pilette P, avec les tailloirs des chapiteaux, celle d'une des colonnettes; et en I, la section du profil de l'arc I'. On remarquera que cette galerie étant placée à une grande hauteur, et la largeur de la nef ne pouvant donner beaucoup de reculée, les profils horizontaux, tels que bases et tailloirs, sont très-développés en hauteur et peu saillants, afin de ne pas être masqués par les projections perspectives 272. Souvent les chapiteaux des colonnettes de ces triforiums du milieu du XIIIe siècle sont très-bas d'assises et très-évasés, afin de développer leur corbeille aux yeux des personnes placées sur le sol. On trouve un très-remarquable exemple de ce parti, adopté en raison de l'effet perspectif, dans la cathédrale de Châlons-sur-Marne. À Notre-Dame d'Amiens, on voit que l'architecte, préoccupé de la diminution perspective de son ordonnance de galerie, en a exagéré les proportions, comme hauteur, par rapport à la largeur. C'est à de telles attentions dans la conception des diverses parties d'un édifice, que l'on reconnaît les maîtres. Ceux-ci, en traçant le géométral, se rendaient évidemment compte des déformations produites par la hauteur, l'éloignement et la place relative; ils obtenaient l'effet voulu sans être obligés, comme cela se voit souvent aujourd'hui, de tâtonner et de modifier sur place des portions tout entières des édifices, pour n'obtenir, après ces essais dispendieux, que des proportions indécises ou des effets incomplets.

La coupe du triforium de la nef de la cathédrale d'Amiens (fig. 12), faite sur ab, montre l'habileté du constructeur. Dans cette coupe, on voit en A et B les deux arcs concentriques en tiers-point qui forment archivolte de la galerie. En C, est le renfort intérieur au droit des grosses piles, en D un linteau de liaisonnement. L'archivolte B naît sur le chapiteau du petit renfort intérieur de la pilette P du plan, et vient pénétrer les renforts C. En E, est le plafond du triforium faisant chemin de ronde au-dessus du comble F des collatéraux. En G, la colonne isolée qui reçoit la tête des arcs-boutants 273 et qui porte sur le contre-fort H. En K, est l'arc de décharge marqué G sur le tracé (fig. 11); en I, la cloison fermant le comble, et en L un arc de décharge portant cette cloison et laissant sous son intrados passer la voûte du bas côté; Les grandes fenêtres supérieures s'ouvrent en M immédiatement au-dessus de la galerie 274. Cependant les murs d'adossement du comble des bas côtés, vus derrière la claire-voie du triforium, paraissaient nus; on décida bientôt qu'ils devaient être ajourés, et, dans la même église (Notre-Dame d'Amiens), l'architecte qui éleva l'oeuvre haute du choeur établit sur le collatéral des combles en pavillon, afin de pouvoir ouvrir des jours dans les murs de clôture du triforium. Ces galeries participèrent ainsi bientôt des fenêtres supérieures 275. C'est vers le milieu du XIIIe siècle que ce parti fut adopté dans un grand nombre d'églises du domaine royal, notamment à la cathédrale de Troyes et à l'abbaye de Saint-Denis, en grande partie reconstruite sous le règne de Louis IX. Le triforium de la nef et du choeur de cette dernière église est très-remarquable comme composition.

Nous donnons (fig. 13) le plan A et l'élévation B d'une demi-travée de ce triforium. En C, est tracée la claire-voie postérieure C' du plan, laquelle reçoit le vitrage; de sorte que l'on aperçoit les vitraux de cette claire-voie C à travers l'arcature antérieure. Ici le triforium se relie plus intimement avec les grandes fenêtres supérieures qu'à Amiens, au moyen des colonnettes de meneaux D. Mais les tympans T des deux arcatures sont encore pleins, tandis qu'un peu plus tard, comme à Notre-Dame de Paris, sous les roses du transsept (1260), dans le choeur des cathédrales de Beauvais et de Troyes (1250), dans le choeur de la cathédrale de Sées (1270), dans l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen (1300), ces tympans sont eux-mêmes ajourés. Alors le triforium n'est que la continuation de la fenêtre supérieure, et n'est séparé de celle-ci que par une dalle formant plafond de la galerie vitrée et sol du chemin de ronde qui la surmonte.

La figure 14 explique cette disposition adoptée dans l'église abbatiale de Saint-Denis. En A, est le sol du triforium; en B, le sol du chemin de ronde. À Saint-Denis, la galerie a partout la même largeur et n'est plus rétrécie par des renforts au droit des piles, comme à la cathédrale d'Amiens. Le contre-fort C porte la colonne D qui reçoit les têtes des arcs-boutants 276. Le collatéral était couvert par des combles en pavillon, avec chéneau E, afin de permettre d'ouvrir les jours dans la cloison G 277.

L'exemple le plus complet et le plus développé peut-être du triforium, se reliant absolument à la fenêtre supérieure, se trouve à Sées, dans le choeur de la cathédrale, dont la construction date de 1270 environ 278. Ce monument, conçu d'une manière très-savante, mais mal fondé, sur un mauvais sol, a beaucoup d'analogie avec le choeur de l'église de Saint-Ouen de Rouen. Les défauts de structure, qui en ont compromis la durée, tiennent à une exécution insuffisante, faute de ressources probablement. Au point de vue de la théorie, le choeur de la cathédrale de Sées dépasserait même en valeur celui de l'église abbatiale de Saint-Ouen, s'il eût été fondé sur un bon sol, et si les matériaux eussent été convenablement choisis et d'une résistance proportionnée aux charges qu'ils ont à porter 279.

La figure 15 donne le triforium d'une des travées parallèles du choeur de la cathédrale de Sées. L'archivolte A du collatéral est surmontée d'un gâble, derrière le rampant duquel s'amorcent les colonnettes qui composent la claire-voie du triforium et la fenêtre haute. L'ordonnance de cette partie supérieure commence donc immédiatement au-dessus des archivoltes (voy. TRAVÉE, fig. 11); et, dès le niveau B, les sections de l'arcature du triforium et des meneaux des fenêtres sont indiquées. Une seule dalle C, qui fait appui des fenêtres, recouvre la galerie du triforium et sert de chemin de ronde extérieur au-dessus de cette galerie. Comme à Saint-Denis, comme dans le choeur de la cathédrale d'Amiens, la claire-voie vitrée extérieure D n'est pas semblable à la claire-voie intérieure, ce qui est fort bien calculé; car si les formes des arcatures à jour sont pareilles à l'extérieur et à l'intérieur, il en résulte en perspective des superpositions de lignes d'un mauvais effet. Au contraire, ces arcatures étant différentes, l'oeil les sépare assez naturellement, et les intersections des courbes produisent des combinaisons variées et riches. À Sées, comme à Saint-Ouen de Rouen, ce n'est plus un bahut plein, mais une balustrade à jour qui forme appui de la galerie, de sorte que, pour les personnes placées sur le sol inférieur, les vitraux de la claire-voie postérieure D se voient à travers cette balustrade. L'intention d'ajourer de plus en plus les travées au-dessus des collatéraux, et d'en faire comme une sorte de tapisserie translucide, sans interruption, devient évidente à dater de la seconde moitié de XIIIe siècle, et se manifeste jusque vers la fin du XIVe siècle, dans l'Île-de-France et les provinces voisines, sauf de rares exceptions. Comme les hautes fenêtres elles-mêmes, les galeries du triforium occupent alors tout l'espace compris entre les piles. Trois monuments religieux de cette époque (fin du XIIIe siècle), dus à un même architecte, très-probablement, font exception à cette règle: ce sont les cathédrales de Clermont (Puy-de-Dôme), de Limoges et de Narbonne, dont les choeurs furent seuls terminés avant le XIVe siècle. Dans ces trois églises, les fenêtres hautes n'occupent pas entièrement tout l'espace libre entre les piles portant les arcs des voûtes; elles sont plus étroites, et la claire-voie du triforium n'occupe également que la largeur des fenêtres. Ces galeries du triforium ne sont point ajourées extérieurement, mais possèdent un mur d'adossement plein, bien que les collatéraux soient couverts en terrasses, disposition qui, à notre avis, n'était d'ailleurs que provisoire. De plus, ces galeries pourtournent les piliers, au lieu de passer à travers, comme dans nos églises du Nord 280. Il s'en faut que ce parti ait la franchise du mode de structure adopté dans nos provinces du Nord. Les arcatures de triforium, isolées des piles et laissant un plein à droite et à gauche de celles-ci, ne produisent pas un bon effet, ne s'expliquent pas nettement. Et, de fait, aucune nécessité de construction ne motive ces sortes de trumeaux alourdissant les piles sans raison.

Pendant que le triforium se développait ainsi en ne faisant plus qu'un avec la fenêtre supérieure dans le Nord, en Bourgogne les architectes procédaient autrement pendant le XIIIe siècle. Ils conservaient le mur d'adossement plein pour appuyer le comble en appentis du collatéral, et, au lieu de réserver au-dessus du triforium un chemin de ronde extérieurement, ils le disposaient intérieurement. La fenêtre supérieure de la travée se trouvait ainsi élevée à l'aplomb de ce mur d'adossement, et non point à l'aplomb de la claire-voie intérieure, comme dans les exemples précédents 281.

Voici (fig. 16) un exemple de cette structure, pris dans la jolie église de Saint-Martin de Clamecy. On voit combien, dans ces monuments bourguignons, le triforium prend d'importance. C'est un véritable portique élevé au-dessus des archivoltes du collatéral. Ce système ne peut conduire à relier la galerie avec le fenestrage supérieur, posé en retraite; aussi ne le voyons-nous adopté en Bourgogne, et dans une partie du Nivernais, que quand, dans ces provinces, on abandonne les traditions locales, vers la fin du XIVe siècle, pour recourir au style de l'architecture du domaine royal. L'ordonnance du triforium-portique bourguignon devait nécessairement entraîner les architectes à décorer d'une manière particulière ces arcatures qui prenaient une si grande importance dans les nefs. Les colonnettes ne reposaient plus ici sur un bahut comme à Amiens, ou sur une balustrade, mais directement sur le sol de la galerie, accusé par un bandeau saillant; disposition qui contribuait encore à donner de la grandeur à cette ordonnance. À Semur en Auxois, les arcatures du triforium de l'église de Notre-Dame sont décorées de têtes saillantes très-habilement sculptées. Dans la nef de la cathédrale de Nevers, de petites caryatides supportent les colonnettes, et des figures d'anges remplissent les tympans (fig. 17).

Ces portiques sont élevés en grands matériaux, et, dans leur hauteur, les piliers eux-mêmes sont souvent composés de monostyles groupés 282. Habituellement, dans les églises bourguignonnes, les fenêtres supérieures n'ont pas l'importance relative (par suite de la grandeur du triforium) qu'elles prennent, au XIIIe siècle, dans les monuments religieux du domaine royal. La figure 16 en est la preuve. Quelquefois même le triforium se confond avec le fenestrage supérieur. L'église abbatiale de Saint-Seine (Côte-d'Or) nous fournit un exemple de cette singulière disposition, datant du commencement du XIIIe siècle (fig. 18).

Ici c'est le formeret de la voûte haute qui circonscrit l'arcature du triforium, qui n'est plus qu'une décoration. Ce dernier parti a été fréquemment adopté dans les églises normandes des XIIe et XIIIe siècles, en France comme en Angleterre. Mais le triforium dans les églises normandes mérite une étude particulière. Il se compose, pendant la première période, c'est-à-dire au XIe siècle, d'un étage élevé au-dessus du collatéral et couvert par une charpente apparente et d'un chemin de ronde supérieur au niveau des fenêtres hautes. On ne peut douter aujourd'hui (depuis les travaux entrepris par M. Ruprich Robert dans les deux églises abbatiales de Caen, l'Abbaye-aux-Dames et l'Abbaye-aux-Hommes) que les nefs de ces églises n'aient été couvertes originairement par des charpentes apparentes 283.

Or, il existe toujours, dans les monuments religieux d'une grande dimension, en Normandie, une galerie de circulation au-dessus du triforium, sous la charpente supérieure. Voici une coupe de la nef primitive de l'Abbaye-aux-Hommes (fig. 19) 284, qui explique clairement ce que nous venons de dire. En A, est le triforium avec sa charpente; en B, le chemin de ronde au droit des fenêtres supérieures, sous la grande charpente C. Il est aisé de se rendre compte de l'usage de ce chemin de ronde. Les charpentes apparentes étaient composées de pièces de bois formant des saillies, des entrevous; elles étaient décorées de peintures. Ces sortes d'ouvrages exigent un entretien fréquent, ne serait-ce même qu'un époussetage, car les araignées ne tardent pas à garnir de leurs toiles les creux laissés entre les chevrons ou solives. Ces bois ont besoin d'être visités pour éviter la pourriture causée par des infiltrations. Le chemin de ronde B facilitait donc cet entretien et cette inspection constante. De plus, il permettait de visiter et de réparer les vitraux des fenêtres supérieures, et de donner passage aux couvreurs pour réparer les toitures. En E, est tracée une travée, ou plutôt une demi-travée intérieure, car, dans la nef de l'église Saint-Étienne de Caen, les travées sont doubles suivant la méthode normande 285. La ligne ponctuée abcd indique la coupe longitudinale du chemin de ronde B. Au XIIe siècle, on remplaça, dans presque toutes les nefs normandes-françaises, les charpentes apparentes par des voûtes. Alors, pour contre-buter ces voûtes, dans le triforium A, on construisit le demi-berceau continu D, avec arcs-doubleaux f au droit des anciens pilastres f'. Ce demi-berceau, non plus que la voûte supérieure, n'exigèrent la destruction du chemin de ronde B; au contraire, ce chemin de ronde fut ouvert plus largement sur la nef et décoré de colonnettes (fig. 20).

Les fenêtres a, ainsi que les passages, furent conservés en relevant leur appui d'une assise, afin de trouver la nouvelle pente du comble. Le sol du chemin de ronde au niveau b, dans la disposition romane, fut abaissé en d, pour donner une proportion plus svelte à la galerie supérieure. L'architecte n'osa pas probablement ouvrir en g de nouvelles arcades, comme il l'avait fait contre la pile centrale de la travée, dans la crainte d'affaiblir les piles principales, et aussi parce que la perspective des arcs ogives les masquait en partie. Ainsi, la raison d'utilité qui avait fait pratiquer les chemins de ronde sous les charpentes supérieures des églises normandes primitives devenait, lorsque ces églises furent voûtées, un motif de décoration qui persiste dans les monuments de cette province jusqu'à la fin du XIIIe siècle.

Le chevet de la cathédrale de Lincoln (Angleterre) nous fournit un exemple des plus remarquables de la persistance de cette tradition (fig. 21). Là le triforium est encore couvert par une charpente apparente comme celui de l'église normande romane, et le chemin de ronde supérieur se combine avec le fenestrage ouvert sous les formerets. Ce chemin de ronde n'a plus alors une utilité réelle, puisque les vitraux pourraient, s'il n'existait pas, être réparés du dehors en passant sur la tablette de recouvrement du comble du triforium. La claire-voie intérieure du chemin de ronde se relie à la fenêtre vitrée au moyen de linteaux formant l'assise du tailloir des chapiteaux. Il y a dans ce parti un désir de produire de l'effet par le jeu de ces deux claires-voies dont l'une, celle intérieure, n'est qu'une décoration. On remarquera, dans cet exemple, combien est chargée de moulures et d'ornements l'arcature du triforium, et combien cette richesse contraste avec l'aspect nu de la charpente apparente. Il est évident que, dans cette architecture normande du XIIIe siècle, la tradition romane conserve son empire et devient souvent l'occasion de formes et de partis qui ne sont plus justifiés par suite des changements introduits dans le mode de structure. Une disposition analogue a été adoptée dans le choeur de la cathédrale d'Ély, disposition qui reproduit plus exactement encore celle des chemins de ronde supérieurs des églises normandes romanes. Dans notre architecture française, au contraire, l'école laïque du XIIe siècle laisse de côté toutes les traditions romanes, et ne s'inspire plus que des nécessités imposées par le nouveau mode de structure; elle procède toujours d'une manière logique, claire, ne met en oeuvre que ce qui est nécessaire, et peut toujours rendre raison de ce qu'elle fait. Il serait à souhaiter qu'on en pût dire autant de nos écoles modernes d'architecture.

Mais nous devons nous borner, les documents abondent, et nous ne pouvons ici que signaler les principaux, ceux qui présentent un caractère tout particulier. Ces exemples suffisent, nous l'espérons, à faire ressortir la variété que nos maîtres du moyen âge savaient apporter dans leurs conceptions, sans jamais abandonner un principe admis.

Nous ne parlerons qu'incidemment du triforium, dont la forme est inusitée. La petite église de Champeaux (Seine-et-Marne) possède un triforium s'ouvrant directement sous le comble du collatéral par des roses, aujourd'hui bouchées, et très-probablement garnies, dans l'origine, par des meneaux dans le genre de ceux qui remplissent les roses percées au-dessus du triforium de la cathédrale de Paris. Dans quelques églises, le triforium ne consiste qu'en une baie simple ou jumelle s'ouvrant également sous le comble. La cathédrale de Béziers, dans les parties de la nef refaites au XIVe siècle, nous montre un triforium ainsi composé (fig. 22).

Sa claire-voie, ouverte sous le comble du collatéral, consiste en deux baies carrées prolongeant les meneaux de la fenêtre supérieure. Quelquefois, mais très-rarement, dans la bonne architecture française, le triforium est simulé et n'est alors qu'une arcature en placage, une simple décoration occupant la hauteur du comble du collatéral. Les dispositions adoptées à Saint-Denis, dans les cathédrales de Troyes, de Beauvais, de Sées, dans l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen, persistent pendant les XIVe et XVe siècles. Les détails du triforium deviennent plus déliés, les profils plus maigres, mais on ne voit apparaître aucun parti nouveau. Les arcatures se modifient en raison du goût du moment, mais elles continuent à se relier au fenestrage supérieur. À la fin du XVe siècle, cependant, il arrive parfois que la galerie du triforium prend une ordonnance spéciale, chargée de détails, de redents, de contre-courbes, de sculptures, en laissant entre elle et le fenestrage un intervalle plein. An XVIe siècle, on se contente de substituer, comme à Saint-Eustache de Paris, par exemple, des formes se rapprochant de l'architecture romaine aux formes gothiques. Ces tentatives, plus ou moins heureuses, ne constituent pas une invention, un perfectionnement; ce sont là des questions de détail sur lesquelles il ne paraît pas utile de s'étendre.

Note 255: (retour) Voyez du Cange, Glossaire.
Note 256: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 1.
Note 257: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 2.
Note 258: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 2.
Note 259: (retour) Coupe de la nef de l'église Notre-Dame du Port à Clermont.
Note 260: (retour) Disposition de la nef de l'église d'Issoire (Puy-de-Dôme).
Note 261: (retour) Voyez à l'article PROPORTION, fig. 2, la coupe transversale de l'église de Saint-Sernin de Toulouse. Voyez aussi les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices du ministre des Beaux-Arts.
Note 262: (retour) L'église abbatiale de Saint-Germer est, comme structure, en retard sur l'église abbatiale de Saint-Denis, et sur les cathédrales de Noyon, de Senlis et de Paris; elle appartient a une école moins avancée, qui tient encore par bien des points au système roman: c'est pour cela que nous la mettons ici en première ligne, sinon par la date (car elle ne fut élevée qu'en 1160), mais par le style.
Note 263: (retour) Voyez, dans les Archives des monuments historiques, la Monographie de Saint-Germer, par M. Boeswilwald.
Note 264: (retour) Voyez CONSTRUCTION, OGIVE, TRAVÉE, VOÛTE.
Note 265: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 5.
Note 266: (retour) Voyez à l'article ARCHITECTURE RELIGIEUSE, la vue perspective du beau triforium voûté du bras de croix sud de la cathédrale de Soisson. Voyez aussi, à l'article CONSTRUCTION, fig. 41 et 43, la disposition du triforium du choeur de l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne.
Note 267: (retour) Cette église date des premières années du XIIIe siècle.
Note 268: (retour) À l'article CHAPITEAU, voyez la figure 15.
Note 269: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 10.
Note 270: (retour) Voyez la coupe, CATHÉDRALE, fig. 20.
Note 271: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 10.
Note 272: (retour) Voyez PROFIL, fig. 26.
Note 273: (retour) Voyez la coupe de la nef, CATHÉDRALE, fig. 20.
Note 274: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 10, et FENÊTRE, fig. 20.
Note 275: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 11; ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 36, et FENÊTRE, fig. 24.
Note 276: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 36.
Note 277: (retour) Pour se rendre compte de la position de ce triforium au droit des piles, voyez l'article TRAIT, fig. 4.
Note 278: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 11.
Note 279: (retour) Les fondations du choeur de la cathédrale de Sées ne sont que des maçonneries appartenant à un monument beaucoup plus ancien, sur lesquelles les constructions sont appuyées tant bien que mal, et ces fondations mal maçonnées ne sont pas établies sur le sol résistant. Évidemment il y a eu là une nécessité d'économie.
Note 280: (retour) Voyez ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 38.
Note 281: (retour) Voyez CONSTRUCTION, fig. 78, 79 bis et 88.
Note 282: (retour) Comme dans l'église de Semur en Auxois, dans l'église Notre-Dame de Dijon (voyez CONSTRUCTION, fig. 80), dans l'église cathédrale d'Auxerre (voyez CONSTRUCTION, fig. 88).
Note 283: (retour) Voyez la notice de M. Ruprich Robert, l'Église de la Sainte-Trinité et l'église de Saint-Étienne à Caen, 1864.
Note 284: (retour) D'après M. Robert.
Note 285: (retour) Voyez TRAVÉE, fig. 2.


TRILOBE, s. m. Ornement, baie, rosace à jour, à trois lobes. (Voy. TRÈFLE.)



TRINITÉ, s. f. Le moyen âge a essayé de représenter matériellement le mystère de la sainte Trinité. C'est à l'école d'Alexandrie qu'il faut avoir recours si l'on veut connaître les diverses phases par lesquelles a dû passer la pensée de la Trinité avant d'arriver à l'état de dogme. Nous n'avons pas, bien entendu, à nous occuper de l'exposition du dogme, mais à rendre compte de la forme sensible donnée à la conception de la Trinité dans nos monuments du moyen âge. «Dès le IVe siècle, écrit M. Didron 286, avec saint Paulin, évêque de Nole, qui est né en 353 et est mort en 431, apparaissent les groupes de la Trinité. À l'abside de la basilique de Saint-Félix, bâtie à Nole par Paulin lui-même, on voyait la Trinité exécutée en mosaïque.»

Saint Paulin expliquait, dans les vers qu'il fit à cette occasion, que le Christ était représenté sous la forme d'un agneau, l'Esprit-Saint sous celle d'une colombe, et que «la voix du Père retentit dans le ciel». Le même évêque, dans la basilique élevée à Fondi sous le vocable de Saint-Félix, avait fait représenter le Fils sous la forme d'un agneau avec la croix, le Saint-Esprit en colombe, et le Père sous l'apparence d'une main (probablement) qui couronnait le Fils.

«....., et rutila genitor de nube coronat.»

Comme l'observe très-bien M. Didron 287: «L'anthropomorphisme, qui avait effarouché les premiers chrétiens et qui semblait rappeler le paganisme, ne trouva pas la même résistance pendant le moyen âge proprement dit. Une fois arrivé au IXe siècle, on n'eut plus rien à craindre des idées païennes... Le Père éternel, dont on n'avait osé montrer que la main encore, ou le buste tout au plus, se fit voir en pied. Cependant il ne prit pas une figure spéciale; mais il emprunta celle de son Fils, et, dès lors, il devint fort difficile de les distinguer l'un de l'autre. Le Fils continua d'apparaître tel qu'on l'avait vu sur la terre... La colombe quitta quelquefois aussi son enveloppe d'oiseau, pour prendre la forme humaine. Comme le dogme déclarait nettement que les trois personnes étaient non-seulement semblables, mais égales entre elles, les artistes étendirent aux représentations la similitude et quelquefois même l'égalité des hypostases divines.» En effet, bon nombre de peintures de manuscrits des XIe et XIIe siècles 288 représentent les trois personnes divines sous la forme de trois hommes de même âge et de même apparence. Au portail de l'église collégiale de Mantes, on voit, dans la voussure de la porte occidentale, la Trinité figurée par une croix que portent deux anges (le Fils), par le Père sous forme d'un homme jeune, et l'Esprit en colombe. Mais les artistes prétendirent identifier les trois personnes divines, afin de faire comprendre aux fidèles à la fois leur individualité et leur réunion en une seule puissance. Il existe, sous le porche occidental, non terminé, de Saint-Urbain de Troyes, un bas-relief de bois datant des dernières années du XIIIe siècle, qui représente la Trinité (fig. 1)

Le Père est au milieu, coiffé de la tiare à triple couronne, comme un pape; de la main droite, il bénit; de la gauche, il tient la terre. À sa droite est le Fils couronné d'épines et portant la croix. À sa gauche, l'Esprit, sous la figure d'un jeune homme imberbe, tenant une colombe. Ces trois personnages n'ont ensemble que quatre jambes, adroitement drapées de façon à faire croire qu'ils en ont deux chacun. De petites figures d'un homme et d'une femme agenouillés (les donateurs) sont sculptées aux deux extrémités du groupe. L'impossibilité de séparer les trois personnes divines est ainsi matériellement indiquée par la disposition des jambes. Quelquefois la Trinité est représentée sous la forme d'un homme ayant une tête à trois visages, une de face et deux de profil, et deux yeux seulement; ou bien encore, c'est une figure géométrique ainsi disposée (fig. 2).

Ce triangle mystique était visible encore sur la façade d'une maison de Bordeaux, il y a peu d'années. Des vitraux, des vignettes de manuscrits, le représentent assez fréquemment pendant les XVe et XVIe siècles. À la même époque, dans beaucoup de portails d'églises, la Trinité se montre ainsi: Le Père assis, coiffé de la tiare, tient le Christ en croix devant lui. De la bouche du Père descend la colombe sur le crucifix. Ces diverses représentations ont un intérêt; elles indiquent la marche de l'art comme expression sensible des idées théologiques selon le temps. Pendant les premiers siècles, on redoute évidemment l'expression trop matérielle d'un mystère qui doit rester impénétrable. Le Fils est un agneau, l'Esprit une colombe, le Père une voix ou une main sortant d'une nuée. Plus tard, l'artiste se rassure, il donne aux trois personnes divines l'individualité. Elles sont séparées, distinctes, mais semblables et assises sur un trône commun. Puis on cherche à faire comprendre, par un artifice matériel, l'unité des trois personnes. Au XVe siècle, c'est une sorte de problème géométrique posé devant la foule et dont la solution est posée comme une énigme; ou encore c'est un jeu d'artiste, comme cette tête à trois visages. Au XVIe siècle, on adopte une forme antérieure, mais peu répandue, celle de la distinction absolue des trois personnes, en raison du rôle que leur attribue l'idée chrétienne. Le Père est le personnage immuable; le Fils, le rédempteur; et l'Esprit, l'émissaire émané du Père; amour, selon saint Augustin et saint Thomas d'Aquin. «Jésus, ayant été baptisé, sortit de l'eau sur-le-champ, et voilà que les cieux lui furent ouverts et qu'il vit l'Esprit de Dieu descendant sous la forme d'une colombe et venant sur lui. Alors une voix du ciel dit: Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me suis complu 289.» Il est donc assez important de faire ces distinctions des caractères donnés à la Trinité figurée dans les monuments anciens.

Le moyen âge admet aussi une Trinité du mal. De même que les théologiens avaient prétendu trouver le reflet de la Trinité sainte dans l'âme humaine: volonté, amour, intelligence, confondues en une substance, ils supposèrent le mal avec des facultés correspondantes. Des sculptures, des peintures de vitraux et de manuscrits représentent en effet la Trinité satanique (fig. 3) 290. Cette miniature du XIIIe siècle montre le pécheur soumis aux lois de la Trinité du mal, armée d'un glaive et couronnée. Satan est souvent représenté ainsi dans les bas-reliefs du jugement dernier. Outre ses trois visages qui correspondent, dans le mal, aux trois hypostases de Dieu, son corps est couvert parfois d'autres faces humaines, comme pour marquer que la puissance du mal est plus étendue, par ses facultés, que celle du bien.

Note 286: (retour) Iconogr. chrétienne, par M. Didron. Paris, 1843.
Note 288: (retour) Entre autres, le beau manuscrit d'Herrade de Landsberg, Hortus deliciarum, bibl. de Strasbourg.
Note 289: (retour) Matthieu, III, 16, 17.
Note 290: (retour) Mss. ancien fonds Saint-Germain, n° 37, Psalm., Bibl. impér.


TROMPE, s. f. Appareil de claveaux, ayant la figure d'une coquille, qui sert à porter en encorbellement, soit un angle saillant sur un pan coupé, soit un parement droit sur un angle rentrant. Les constructeurs du moyen âge ont fait un grand usage des trompes pour porter les flèches de pierre à huit pans sur les tours carrées, des échauguettes sur des parements, des tourelles en encorbellement; ils ont employé les trompes à la place des pendentifs pour établir des coupoles sur des arcs-doubleaux reposant sur quatre piles.

Les trompes sont appareillées, soit au moyen d'une suite d'arcs concentriques, soit en forme de cône. La figure 1 donne une trompe composée d'arcs concentriques biseautés à 45 degrés, de manière à pénétrer les côtés du carré. En A est tracée la projection horizontale d'une de ces trompes, en B son élévation, en C sa coupe. Ces sortes de trompes sont les plus anciennes, on en trouve dans les monuments du XIe siècle; elles sont d'un appareil facile, chaque arc étant indépendant. On en voit souvent à la base des pans des flèches des XIe et XIIe siècles pour passer du carré à l'octogone.

Au XIIe siècle apparaissaient aussi déjà des trompes coniques, ainsi que le montre la figure 2. Pour éviter la réunion des angles très-aigus des claveaux composant la trompe, au sommet du cône, les appareilleurs ont souvent établi un morceau de pierre demi-circulaire à la place de ce sommet en a; ils formaient ainsi un petit cintre sur lequel repose l'intrados des claveaux. Telles sont les trompes que l'on voit encore aux tourelles de l'abbaye de Chailly (Oise) (fin du XIIe siècle) (fig. 3).

Alors cette première pierre posée au sommet de l'angle rentrant en b, évidée en cône, est appelée trompillon.

S'il s'agit, comme dans les deux exemples précédents, d'obtenir un plan à 45 degrés, coupant un angle droit rentrant, en projection horizontale, la construction des trompes ne présente aucune difficulté. Les claveaux, dans ce cas, ont leur extrados tracé sur un cylindre parallèlement à son axe et leur intrados sur un cône; mais si l'on veut établir un angle saillant suspendu sur un angle rentrant, les difficultés se présentent.

Ainsi (fig. 4), soit un angle rentrant ABC, sur lequel il s'agit de suspendre une construction formant l'angle saillant ADC, l'appareilleur commencera par établir une suite de corbeaux suivant la diagonale BD du carré (voyez la projection verticale P), puis il remplira les deux vides AD, CD, au moyen de deux trompes coniques biaises. Le second claveau a formera tas de charge, pour porter l'angle saillant b. La bascule des corbeaux est maintenue par la charge qui porte sur leur queue de d en e et qui s'élève jusqu'au-dessus de l'extrados des arcs.

À la fin du XVe siècle, on se plaisait à soulever des difficultés de coupe de pierre, pour faire preuve de savoir. Les constructeurs cherchèrent alors à supprimer ces corbeaux, et à soutenir les angles saillants sur un angle rentrant ou sur un pan coupé, par un système d'appareil des claveaux. Mais alors il fallait que ces claveaux fussent taillés à crossettes, ce qui, en principe, est une mauvaise méthode, la pierre n'étant plus chargée parallèlement à son lit. Ce sont là des artifices de stéréotomie qui n'ont rien à voir avec l'art sérieux du constructeur, et qui sont faits pour amuser les esprits curieux de problèmes inutiles.



TROMPILLON, s. m.--Voyez TROMPE.



TRONE, s. m.--Voyez CHAIRE.



TROU DE BOULIN, s. m.--Voyez ÉCHAFAUD.



TRUMEAU, s. m. Ce mot s'applique généralement à toute portion de mur d'étage comprise entre deux baies. De même qu'un crénelage se compose de créneaux, qui sont les vides, et de merlons, qui sont les pleins, le mur d'une habitation comprend des trumeaux et des fenêtres à chaque étage. On donne le nom de trumeaux, spécialement dans l'architecture du moyen âge, aux piliers qui divisent en deux baies les portes principales des grandes salles, des nefs d'églises, des courtils, des préaux, etc. Pour les grandes portes monumentales, les architectes du moyen âge ne pensaient pas que les vantaux de bois battant en feuillure l'un sur l'autre, présentassent une fermeture suffisamment solide. Entre ces deux vantaux ils élevaient une pile de pierre formant battement fixe, pile dans la large feuillure de laquelle venaient s'engager les verrous horizontaux, les fléaux ou barres des vantaux de bois 291. Ce parti devint un des beaux motifs de décoration des portes principales; il permettait aussi de porter les linteaux de pierre sous les tympans, lesquels étaient chacun, sauf de très-rares exceptions, d'une seule pièce.

Nous ne trouvons, dans l'antiquité grecque ou romaine, aucun exemple de portes divisées par un trumeau; cette disposition appartient exclusivement, paraîtrait-il, au moyen âge, et ne date que de la fin du XIe siècle. Elle permettait d'établir facilement, par une seule issue, deux courants pour la foule, sans qu'il y eût confusion, l'un entrant, l'autre sortant. Les baldaquins de bois, transportables, recouverts d'étoffes, qu'on appelle dais, et que le clergé, en France particulièrement, fait porter au-dessus du prêtre desservant ou de l'évêque en certaines circonstances, dais qui atteignent les dimensions d'une petite chambre, ne pouvant passer par l'une des deux baies des portes principales des églises, on supprima parfois, dans le dernier siècle, les trumeaux milieux; des objets d'art d'une grande valeur furent ainsi détruits. Ces mutilations, heureusement, exigeaient des dépenses assez considérables pour soutenir les linteaux et tympans; aussi existe-t-il encore un bon nombre de portes garnies de leurs trumeaux. L'une des plus anciennes et des plus remarquables est la grande porte de la nef de l'église abbatiale de Vézelay. Le trumeau de cette porte est franchement accusé et présente un profil d'un très-beau caractère 292. Les baies sont larges; les deux linteaux et le tympan qui les surmontent reposent solidement sur les deux encorbellements de ce pilier central (voyez fig. 1).

La statue de saint Jean-Baptiste, vêtu d'une robe et d'une peau, portant l'agneau dans un nimbe, occupe l'axe du pilier; il précède, pour ainsi dire, l'assemblée qui garnit le tympan. À sa droite et à sa gauche sont deux figures de prophètes, et ses pieds reposent sur un beau chapiteau. L'intention évidente de l'architecte a été de laisser l'espace le plus large possible pour la foule, et de soulager la portée des linteaux au moyen de ces puissantes saillies latérales décorées de figures. Quand les vantaux sont ouverts, l'effet de ce trumeau se détachant sur le vide de la nef est imposant. Rien, dans l'antiquité, ne rappelle ces formes, ces silhouettes d'un effet étrange. L'artiste qui a composé cette porte, qui a su profiler ce trumeau, savait son métier. Là nulle hésitation, la décoration est en parfaite harmonie avec la structure, et, en examinant cette oeuvre, l'idée ne vous vient pas qu'elle pût être conçue autrement. Il est rare que les trumeaux de portes aient cette ampleur magistrale. Pendant le XIIe siècle, ils ne consistent qu'en une pile que l'architecte projette aussi grêle que possible pour ne pas gêner la circulation, et qui est décorée habituellement par la statue du personnage divin ou du saint sous le vocable duquel est placée l'église. C'est sur ces données qu'est composé le trumeau de la porte centrale occidentale de la cathédrale de Sens (fig. 2); cette porte date de 1170 et fut restaurée à la fin du XIIIe siècle.

La statue de saint Étienne, patron de l'église, décore le trumeau, sur les parois duquel s'élèvent des ornements du meilleur style 293. Les bas-reliefs qui décoraient la partie inférieure du pilier ont été mutilés à la fin du dernier siècle. On voit, à la porte Sainte-Anne de la cathédrale de Paris (côté droit de la façade), un trumeau un peu antérieur à celui-ci, sur la face duquel se dresse la statue de saint Marcel. Sous les pieds du saint est représenté le sépulcre de la femme damnée qui servit d'habitation au dragon tué par le saint évêque, dont la tête est protégée par un dais. Les piliers séparatifs des portes étaient traités d'une manière beaucoup plus simple, lorsque l'édifice ne comportait pas une décoration luxueuse. Nous donnons ici (fig. 3) le trumeau de la porte principale de l'église de Souvigny (Yonne), église de la fin du XIIe siècle, bâtie avec une extrême simplicité. Ce trumeau est un monostyle quadrangulaire décoré par une colonnette prise aux dépens de l'épannelage, et surmonte de deux corbeaux qui sont destinés à soulager la portée des linteaux.

Ce n'est certes pas par la richesse des détails que se recommande ce morceau de pierre; cependant la pureté des profils, l'élégance du tracé, en font une de ces oeuvres qui plaisent aux yeux. Les belles époques de l'art ont seules le secret de charmer par leurs productions les plus simples aussi bien que par leurs splendides conceptions. Quand un art n'a plus, pour plaire, d'autres ressources que la profusion de la sculpture et la richesse de la matière, il est jugé: c'est un art de décadence; s'il surprend un instant, la satiété suit bientôt cette première impression. Prenons encore exemple dans ces compositions simples qui ne séduisent que par une heureuse proportion, une étude délicate du tracé.

Voici (fig. 4) le trumeau de la porte de l'église de la Nativité à Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne) 294. Une statue surmontée d'un dais décore seule ce monostyle. L'arcature, formant linteau, naît sur la pile et encadre des figures bas-reliefs, représentant la sainte Vierge et les trois rois mages. La statue de l'évêque repose sur un stylobate à section quadrangulaire, dont la proportion est étudiée avec beaucoup de soin. On reconnaît, dans la composition de cette porte, la main d'un de ces maîtres de l'Île-de-France qui savaient donner à leurs compositions les plus simples le cachet de distinction particulier à cette école.

Les églises de Bourgogne bâties pendant la première moitié du XIIIe siècle fournissent de remarquables exemples de portes avec trumeaux. La beauté des matériaux de cette province permettait de donner à ces monostyles une faible section, par conséquent une apparence de légèreté que l'on ne trouve point ailleurs. Malheureusement, les iconoclastes de 1793 ont fait, en Bourgogne, à toute la statuaire, une guerre acharnée; bien peu de trumeaux ont conservé leurs statues. La composition demeure toutefois, et c'est ce qui nous préoccupe ici spécialement. Voici (fig. 5) le trumeau de la porte centrale de l'église de Semur (Côte-d'Or). Ce trumeau, dont la section horizontale est tracée en A, est étroit, mais profond, de manière à porter deux arcs de décharge au-dessus des deux baies. La partie extérieure est décorée par une colonnette avec chapiteau à tailloir circulaire, portant la statue de la sainte Vierge 295; sur les flancs de la pile sont sculptées les armes de Bourgogne et la fleur de lis de France entremêlées de quelques petits personnages finement traités. Deux corbeaux avec figurines soulagent les linteaux qui descendent en contre-bas de la statue, de telle sorte que celle-ci se détache en partie sur le tympan, disposition qui donne de la grandeur à la composition. Cette statue était surmontée d'un dais qui fut refait vers la fin du XIIIe siècle, ainsi que le montre notre figure. À l'église Notre-Dame de Dijon, qui date de la même époque 296, et qui a beaucoup de points de ressemblance avec celle de Semur, le trumeau de la porte centrale, très-mince, se compose d'une colonnette à l'extérieur; portant la statue, et d'une seconde colonnette plus haute intérieurement, formant battement (voyez la section, fig. 6, en A, faite au niveau de l'adossement de la statue). Sur le fût de la colonnette intérieure est sculptée une tête servant de gâche 6 aux verrous des deux vantaux. Ce détail, d'un travail remarquable, indique le soin que les artistes apportaient jusque dans les menus accessoires, comme ils savaient prévoir les moindres nécessités de la structure et en faire un motif de décoration. La pierre employée ici étant d'une extrême dureté, l'architecte a réduit autant que possible la section du trumeau. La qualité des matériaux employés a donc évidemment influé sur la forme de ces piliers séparatifs des baies de portes. Quelquefois un bénitier tenait au trumeau, à l'intérieur, si celui-ci était assez profond pour permettre le dégagement des deux vantaux.

Pendant le XIVe siècle, la forme donnée aux trumeaux de portes se modifie peu; le principe admis dès le XIIIe siècle persiste, c'est-à-dire que la pile se compose d'un soubassement plus ou moins riche sur lequel se dresse une statue adossée, surmontée d'un dais (voyez PORTE). On voit de beaux trumeaux séparatifs aux portes des cathédrales de Paris, d'Amiens, de Chartres, de Bourges, de Rouen. À dater de la fin du XIVe siècle, les trumeaux ne s'arrêtent pas toujours sous les linteaux; ils pénètrent le tympan, présentent une décoration saillante sur celui-ci, qui prend beaucoup d'importance. Tels sont, par exemple, les trumeaux des portes de la façade de la cathédrale de Tours qui datent du commencement du XVIe siècle, ceux des églises de Saint-Eustache de Paris, de Saint-Wulfrand d'Abbeville, etc. Les articles PORTE et TYMPAN rendent compte de ces dispositions, qui appartiennent à la fin du XVe siècle.

Note 291: (retour) On donnait aussi à ces trumeaux de portes le nom d'estanfiches.
Note 292: (retour) Voyez PORTE, flg. 51.
Note 293: (retour) Voyez Sculpture, fig. 52.
Note 294: (retour) Cette église date des premières années du XIIIe siècle.
Note 295: (retour) Cette statue n'existe plus.


TUILE s. f. Tablettes de terre cuite employées pour couvrir les bâtiments. Il serait difficile de trouver l'origine de la tuile: les Asiatiques se servaient de ce moyen de couverture avant la civilisation grecque; les Doriens faisaient usage de la tuile et la fabriquaient avec perfection; les Romains ne couvraient guère leurs édifices qu'en tuiles ou en métal, et partout où ils ont passé, on trouve quantité de fragments de ces tuiles, dites romaines, dont la forme est connue de tout le monde.

La couverture romaine se composait de rangs juxtaposés de tuiles-canal plates, à rebords et à recouvrement, sur les joints desquels on posait des tuiles creuses également à recouvrement. La tuile plate romaine, comme la tuile grecque; était de forme rectangulaire; ses dimensions variaient de 0m,40 à 0m,34 de long sur 0m,27 à 0m,23 de largeur. Les longs côtés parallèles munis de rebords se recouvraient au moyen d'encoches pratiquées au-dessous des rebords, à leur extrémité inférieure. Ce système exigeait une main-d'oeuvre assez difficile et beaucoup de soins pendant la mise au four. Les premiers siècles du moyen âge continuèrent tant bien que mal ce procédé de fabrication; mais il est facile de distinguer les tuiles faites depuis le IVe siècle jusqu'au Xe, des tuiles romaines. Ces tuiles des premiers temps du moyen âge sont grossières, gauches, se recouvrent mal et sont d'une dimension plus petite que les tuiles romaines. C'est vers le XIe siècle que l'on renonça aux encoches de recouvrement. On donna, dans les provinces du midi de la France qui avaient conservé les traditions antiques la forme d'un trapèze aux tuiles-canal plates, de manière qu'elles pussent se recouvrir sans encoches et par l'introduction du petit côté dans le plus grand.

La figure 1 explique ce système de couverture de tuiles que nous trouvons adopté, dès la fin du XIe siècle, dans nos provinces du Languedoc et de la Provence. Relativement à leur longueur, ces sortes de tuiles sont plus larges que ne l'est la tuile romaine, afin de laisser un écartement suffisamment dégagé entre les tuiles de couvre-joints, qui elles-mêmes devaient être assez ouvertes pour couvrir l'intervalle occupé par les rebords de la tuile-canal. Les tuiles-canal étaient primitivement posées à cru sur les chevrons, ainsi que l'indique notre figure, sans endôlement. La difficulté dans ces sortes de couvertures était de combiner les arêtiers. Les tuiles d'arêtiers, qui se posent aisément sur un comble dont les pans sont plans, ne peuvent être fixées sur les rencontres de pans composés de tuiles-canal avec recouvrements. C'est à l'aide du mortier que l'on parvient à retenir tant bien que mal ces tuiles d'arêtiers; mais il n'est pas besoin de dire que ce moyen est contraire aux conditions d'une bonne structure. Les charpentes qui reçoivent les tuiles sont sujettes à des mouvements produits par les changements de température; dans ce cas, ces renformis de mortier se brisent, les tuiles d'arêtiers se descellent et sont retournées par le vent. On évitait cet inconvénient, pendant les XIe et XIIe siècles, en posant, lorsque les édifices étaient voûtés, des arêtiers de pierre très-puissants, avec rebords de recouvrement sur les pans des couvertures. On voit encore les restes de l'emploi de ce système dans quelques édifices de la Provence et du Languedoc, notamment dans l'église de sainte Madeleine de Béziers.

La figure 2 explique la disposition de ces arêtiers de pierre 297, terminés à leur extrémité inférieure par un antéfixe A tenant au premier morceau, lui donnant du poids et de l'assiette à l'angle de la corniche. En B est tracé le profil de l'arêtier, et en C son plan, avec la position des tuiles-canal à rebords. Les tuiles biaises étaient moulées exprès pour la place ou simplement coupées. L'espace ab était suffisant pour loger l'épaisseur de la tuile-canal plate et de la tuile couvre-joints. Sur le dos de l'arêtier, une entaille e rejetait l'eau de pluie sur la couverture et empêchait qu'elle ne lavât les joints, simplement garnis de ciment 298. Si ce système de couverture était entièrement posé sur des charpentes sans voûtes sous-jacentes, il n'était pas possible d'employer les arêtiers de pierre que donne la figure 2; ces arêtiers devaient être, comme les tuiles des pans, de terre cuite. Alors, pour les constructions faites avec soin, on fabriquait des tuiles d'arêtiers spéciales, en raison de la pente de la toiture. Ces tuiles d'arêtiers étaient munies d'oreillons qui s'emboîtaient sur les tuiles couvre-joints des pans (voy. la fig. 3) 299.

Ainsi n'était-on pas obligé de sceller ces arêtiers à l'aide du mortier. Il ne faut pas omettre les tuiles gouttières posées à la base des combles en guise de chéneaux, pour recevoir les eaux pluviales et les conduire dans des tuyaux de descente de terre ou dans des gargouilles saillantes. Il n'est pas besoin de dire que ces tuiles gouttières n'étaient employées que dans les constructions les plus ordinaires élevées en brique ou en moellon. C'était un moyen de recueillir les eaux de pluie et de les approvisionner dans des citernes. Les tuiles gouttières que l'on trouve encore dans le midi et l'ouest de la France sont très-grandes; elles mesurent en longueur 0m,65 (2 pieds), et ont d'un côté un rebord A prolongé qui servait à les sceller à la tête du mur sous l'égout du toit (voy. fig. 4).

Bien entendu, ces tuiles étaient posées suivant un plan incliné, et se trouvaient ainsi plus éloignées de l'égout du comble, à l'extrémité inférieure du chenal qu'à son point le plus élevé. Ce moyen ne pouvait donc convenir qu'à des façades de peu d'étendue.

C'est vers la fin du XIIe siècle que les terres cuites pour couvertures, pour carrelages, pour cintres et faîtières, atteignent un assez grand développement. Les moyens de fabrication se perfectionnèrent encore pendant le XIIIe siècle. La tuilerie de cette époque est remarquablement belle et bonne. Les terres, soigneusement épurées et corroyées, sont bien cuites et souvent en très-grandes pièces.

Dans les provinces du nord de la France, dès la fin du XIe siècle, on avait abandonné le système romain pour les couvertures de tuiles. C'est qu'en effet ce système ne convient guère aux climats brumeux. Bientôt la poussière arrêtée dans ces canaux, l'humidité aidant, développe des mousses et des végétations qui envahissent les toitures. Par les bourrasques d'hiver, la neige s'introduit sous les couvre-joints et pourrit les charpentes; son poids augmente beaucoup celui de ces couvertures déjà très-lourdes, et fatigue les chevronnages. Si la pente est très-faible, par les temps de pluie fine chassée par le vent, l'eau s'introduit entre les tuiles, qui se recouvrent seulement d'un tiers. Si la pente est assez prononcée pour assurer l'écoulement des eaux, les tuiles, ébranlées par le vent, glissent les unes sur les autres, et il faut sans cesse les relever. On chercha donc un autre système de couverture de terre cuite, et l'on commença par fabriquer de grandes tuiles plates de 0m,33 (1 pied) de long sur 0m,27 (10 pouces) de largeur, et d'une épaisseur de 0m,022 (10 lignes). Ces premières tuiles plates (nous disons premières, parce que ce sont les plus anciennes que nous ayons pu trouver et dont la fabrication remonte à la fin du XIe siècle) paraissent avoir été fort en usage en Bourgogne et dans une partie du Nivernais pendant le XIIe siècle. Elles sont bien planes, avec un rebord à la tête par-dessous, formant crochet continu.

Ce rebord (voy. fig. 5) reposait sur des lattes de merrain, épaisses, larges et formant presque un endôlement (voyez en A). À Cluny, à Mâcon, à Vézelay, on trouve encore de ces sortes de tuiles depuis longtemps hors d'usage et employées comme tuileaux, ou abandonnées dans les débris qui remplissent les reins des voûtes d'anciens édifices.

Mais la province où la tuile paraît avoir été étudiée avec le plus de soin, est la Champagne. Il y a la tuile dite ordinaire et la tuile dite du comte Henri. La première a 0m,35 sur 0m,215 de largeur (13 pouces sur 8). Ces tuiles (dont les plus anciennes remontent au XIIIe siècle) sont percées d'un trou et munies d'un crochet par-dessous. Nous allons expliquer pourquoi. Alors les chevronnages étaient posés, tant pleins que vides; c'est-à-dire que l'espace laissé entre chaque chevron était égal à la largeur même du chevron. Ces chevrons avaient, lorsqu'il s'agissait de couvrir en tuiles, 0m,11 (faible) de large (4 pouces); ils laissaient donc entre eux un intervalle de 4 pouces.

Mais ces chevrons n'étaient pas égaux d'épaisseur (voy. fig. 5 bis): les maîtres chevrons portant fermes avaient 0m,14 (de 5 à 6 pouces); les chevrons intermédiaires, ou chanlattes, n'avaient que 0m,08 (3 pouces: voy. en A).

L'espace entre les axes a, b ,c était donc de 0m,22 (faible). Sur ces chevrons étaient clouées les lattes de chêne, espacées les unes des autres de 0m,115. Or, la tuile (voy. en B) possède, comme nous l'avons dit, un crochet e par-dessous, et un trou t, crochet et trou ménagés au tiers de la largeur de la tuile. Donc, lorsque l'ouvrier voulait couvrir, il accrochait la tuile à la latte de manière que le trou se trouvât sur le chevron, puis il enfonçait un clou ou même une cheville de bois, par ce trou, pénétrant dans le chevron. Les trous se trouvant tantôt à la droite, tantôt à la gauche, les rangs de tuiles superposés avaient toujours les trous et les crochets sur une même ligne; c'est-à-dire, les crochets au droit des lattes, les trous au droit des chevrons (voy. en C une portion de couverture où les tuiles sont présentées la pose en train, et en C' le géométral de la couverture avec la pose des tuiles). Ces tuiles, que l'on trouve encore fréquemment sur les édifices de la Champagne, et particulièrement à Troyes, sont très-bien faites, les crochets bien soudés avec empattements latéraux (voy. en B). Elles sont légèrement convexes pardessus pour bien pincer la pente et ne donner point de prise au vent. Les crochets ont 0m,016 de saillie. Ceux-ci, se trouvant toujours entre les chevrons, mordaient complétement la latte; la tuile était déjà maintenue toute seule, sans que le couvreur eût besoin d'y mettre la main. Il pouvait alors enfoncer le clou ou la cheville dans le trou, clou ou cheville qui mordait en plein bois du chevron. Nous avons dit que l'espace entre les chevrons d'axe en axe était de 0m,22 (faible). Or les tuiles ayant 0m,215, en tenant compte des 0,002 ou 0,003 de jeu entre chaque tuile, on voit que la largeur de ces tuiles correspondait exactement aux entre-axes des chevrons. On comprend combien devait être durable une couverture ainsi faite, les tuiles étant d'excellente qualité. Le pureau de ces tuiles n'est que de 0m,115. Or ces tuiles ayant 0m,35 de longueur, il y a toujours, sur le comble, trois épaisseurs de lames de terre cuite. L'épaisseur de ces tuiles champenoises est de 0m,022 (10 lignes). Il était fabriqué des tuiles en forme de trapèze pour la partie des couvertures le long des arêtiers, et encore aujourd'hui les tuiliers champenois sont tenus de fournir ces tuiles biaises sans augmentation de prix (voy. en D).

Voici quelles étaient la dimension et la forme de la tuile dite du comte Henri (fig. 6). Cette tuile, plus petite que la précédente, est habituellement émaillée sur le pureau, c'est-à-dire de a en b. Sa rive inférieure d est biseautée pour donner une couverture plus unie et ne laisser aucune prise au vent. Son crochet est bien taillé au couteau, avec une légère encoche au-dessus, en e, afin que le couvreur, dans le tas, puisse avec la main reconnaître, sans les retourner, quelles sont les tuiles du rang qu'il pose. Ces dernières tuiles s'attachaient sur des chevronnages plus délicats que ceux de la tuile ordinaire, et parfois sur un endôlement, c'est-à-dire sur de fortes lattes équivalant à des voliges, posées presque jointives, de manière à laisser seulement le passage du crochet. Alors les clous étaient enfoncés dans ces lattes épaisses et larges, sans tenir compte du chevronnage 300.

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