Le Peuple français reconnaît l'existence de l'Etre suprême, et
l'immortalité de l'âme.
II.
Il reconnaît que le culte digne de l'Etre suprême est la pratique des
devoirs de l'homme.
III.
Il met au premier rang de ces devoirs de détester la mauvaise foi et la
tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les
malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de
faire aux autres tout le bien qu'on peut, et de n'être injuste envers
personne.
IV.
Il sera institué des fêtes pour rappeler l'homme à la pensée de la
Divinité et à la dignité de son être.
V.
Elles emprunteront leurs noms des événements glorieux de notre
Révolution, des vertus les plus chères et les plus utiles à l'homme,
des plus grands bienfaits de la nature.
VI.
La République française célébrera tous les ans les fêtes du 14 juillet
1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793.
VII.
A l'Etre suprême et à la Nature. Au Genre humain. Au Peuple français.
Aux bienfaiteurs de l'humanité. Aux Martyrs de la liberté. A la Liberté
et à l'Egalité. A la République. A la liberté du monde. A l'amour de la
patrie. A la haine des tyrans et des traîtres. A la Vérité. A la
Justice. A la Pudeur. A la Gloire et à l'Immortalité. A l'Amitié. A la
Frugalité. Au Courage. A la Bonne Foi. A l'Héroïsme. Au
Désintéressement. Au Stoïcisme. A l'Amour. A la Foi conjugale. A
l'Amour paternel. A la Tendresse maternelle. A la Piété filiale. A
l'Enfance. A la Jeunesse. A l'Age viril. A la Vieillesse. Au Malheur. A
l'Agriculture. A l'Industrie. A nos Aïeux. A la Postérité. Au Bonheur.
VIII.
Les Comités de salut public et d'instruction publique sont chargés de
présenter un plan d'organisation de ces fêtes.
IX.
La Convention nationale appelle tous les talents dignes de servir la
cause de l'humanité à l'honneur de concourir à leur établissement par
des hymnes et des chants civiques, et par tous les moyens qui peuvent
contribuer à leur embellissement et à leur utilité.
X.
Le Comité de salut public distinguera les ouvrages qui lui paraîtront
les plus propres à remplir cet objet, et récompensera leurs auteurs.
XI.
La liberté des cultes est maintenue conformément au décret du 18
frimaire.
XII.
Tout rassemblement aristocratique et contraire à l'ordre public sera
réprimé.
XIII.
En cas de troubles, dont un culte quelconque serait l'occasion ou le
motif, ceux qui les exciteraient par des prédications fanatiques ou par
des insinuations contre-révolutionnaires, ceux qui les provoqueraient
par des violences injustes et gratuites, seront également punis selon
la rigueur des lois.
XIV.
Il sera fait un rapport particulier sur les dispositions de détail
relatives au présent décret.
XV.
Il sera célébré, le 20 prairial prochain, une fête nationale en
l'honneur de l'Etre suprême.
Discours du 8 Thermidor (27 juillet 1794)
Note: transcrit en français moderne
Note: On ne connaît pas le discours tel que Robespierre l'a prononcé à
la Convention, puis aux Jacobins. A cause des événements du 9
Thermidor, les journaux ne purent ou ne voulurent pas le publier in
extenso, et le manuscrit lu à la Convention et aux Jacobins a disparu
dans la tourmente. Le discours a été imprimé, par ordre de la
Convention le 30 Thermidor, à partir d'un brouillon manuscrit saisi
dans les papiers de Robespierre. Certaines parties du texte ont été
omises par les Thermidoriens; Ernest Hamel, qui a pu lire ce manuscrit
(aujourd'hui introuvable), a signalé ces omissions. Le brouillon
manuscrit présente de nombreuses ratures et répétitions.
Discours du 8 Thermidor (27 juillet 1794)
Citoyens,
Que d'autres vous tracent des tableaux flatteurs; je viens vous dire
des vérités utiles. Je ne viens point réaliser des terreurs ridicules
répandues par la perfidie; mais je veux étouffer, s'il est possible,
les flambeaux de la discorde par la seule force de la vérité. Je vais
dévoiler des abus qui tendent à la ruine de la patrie et que votre
probité seule peut réprimer (1). Je vais défendre devant vous votre
autorité outragée et la liberté violée. Si je vous dis aussi quelque
chose des persécutions dont je suis l'objet, vous ne men ferez point un
crime; vous n'avez rien de commun avec les tyrans que vous combattez
(2). Les cris de l'innocence outragée n'importunent point votre
oreille, et vous n'ignorez pas que cette cause ne vous est point
étrangère.
Les révolutions qui, jusqu'à nous, ont changé la face des empires,
n'ont eu pour objet qu'un changement de dynastie, ou le passage du
pouvoir d'un seul à celui de plusieurs (3). La révolution française est
la première qui ait été fondée sur la théorie des droits de l'humanité,
et sur les principes de la justice (4). Les autres révolutions
n'exigeaient que de l'ambition: la nôtre impose des vertus. L'ignorance
et la force les ont absorbées dans un despotisme nouveau: la nôtre,
émanée de la justice, ne peut se reposer que dans son sein. La
République, amenée insensiblement par la force des choses et par la
lutte des amis de la liberté contre les conspirations toujours
renaissantes, s'est glissée, pour ainsi dire, à travers toutes les
factions; mais elle a trouvé leur puissance organisée autour d'elle, et
tous les moyens d'influence dans leurs mains; aussi n'a-t-elle cessé
d'être persécutée dès sa naissance, dans la personne de tous les hommes
de bonne foi qui combattaient pour elle; c'est que, pour conserver
l'avantage de leur position, les chefs des factions et leurs agents ont
été forcés de se cacher sous la forme de la République. Précy à Lyon,
et Brissot à Paris, criaient Vive la République! Tous les conjurés
ont même adopté, arec plus d'empressement qu'aucun autre, toutes les
formules, tous les mots de ralliement du patriotisme. L'Autrichien,
dont le métier était de combattre la révolution; l'Orléanais, dont le
rôle était de jouer le patriotisme, se trouvèrent sur la même ligne; et
l'un et l'autre ne pouvaient plus être distingués du républicain. Ils
ne combattirent pas nos principes, ils les corrompirent; ils ne
blasphémèrent point contre la révolution, ils tâchèrent de la
déshonorer, sous le prétexte de la servir; ils déclamèrent contre les
tyrans, et conspirèrent pour la tyrannie; ils louèrent la République,
et calomnièrent les républicains (5). Les amis de la liberté cherchent
à renverser la puissance des tyrans par la force de la vérité: les
tyrans cherchent à détruire les défenseurs de la liberté par la
calomnie; ils donnent le nom de tyrannie à l'ascendant même des
principes de la vérité. Quand ce système a pu prévaloir, la liberté est
perdue; il n'y a de légitime que la perfidie, et de criminel que la
vertu; car il est dans la nature même des choses qu'il existe une
influence partout où il y a des hommes rassemblés, celle de la tyrannie
ou celle de la raison. Lorsque celle-ci est proscrite comme un crime,
la tyrannie règne; quand les bons citoyens sont condamnés au silence,
il faut bien que les scélérats dominent.
Ici j'ai besoin d'épancher mon coeur; vous avez besoin aussi d'entendre
la vérité. Ne croyez pas que je vienne ici intenter aucune accusation;
un soin plus pressant m'occupe, et je ne me charge pas des devoirs
d'autrui: il est tant de dangers imminents, que cet objet n'a plus
qu'une importance secondaire. Je viens, s'il est possible, dissiper de
cruelles erreurs; je viens étouffer les horribles ferments de discorde
dont on veut embraser ce temple de la liberté et la République entière;
je viens dévoiler des abus qui tendent à la ruine de la patrie, et que
votre probité seule peut réprimer. Si je vous dis aussi quelque chose
des persécutions dont je suis l'objet, vous ne m'en ferez point un
crime; vous n'avez rien de commun avec les tyrans qui me poursuivent;
les cris de l'innocence opprimée ne sont point étrangers à vos coeurs;
vous ne méprisez point la justice et l'humanité, et vous n'ignorez pas
que ces trames ne sont point étrangères à votre cause et à celle de la
patrie (6).
Eh! quel est donc le fondement de cet odieux système de terreur et de
calomnies? A qui devons-nous être redoutables, ou des ennemis ou des
amis de la République? Est-ce aux tyrans et aux fripons qu'il
appartient de nous craindre, ou bien aux gens de bien et aux patriotes?
Nous, redoutables aux patriotes! nous qui les avons arrachés des mains
de toutes les factions conjurées contre eux! nous qui tous les jours
les disputons, pour ainsi dire, aux intrigants hypocrites qui osent les
opprimer encore! nous qui poursuivons les scélérats qui cherchent à
prolonger leurs malheurs en nous trompant par d'inextricables
impostures! Nous, redoutables à la Convention nationale! Et que
sommes-nous sans elle? et qui a défendu la Convention nationale au
péril de sa vie? qui s'est dévoué pour sa conservation, quand des
factions exécrables conspiraient sa ruine à la face de la France? qui
s'est dévoué pour sa gloire, quand les vils suppôts de la tyrannie
prêchaient en son nom l'athéisme et l'immoralité; quand tant d'autres
gardaient un silence criminel sur les forfaits de leurs complices, et
semblaient attendre le signal du carnage pour se baigner dans le sang
des représentants du peuple; quand la vertu même se taisait, épouvantée
de l'horrible ascendant qu'avait pris le crime audacieux? Et à qui
étaient destinés les premiers coups des conjurés? contre qui Simon
conspirait-il au Luxembourg? Quelles étaient les victimes désignées par
Chaumette et par Ronsin? Dans quels lieux la bande des assassins
devait-elle marcher d'abord en ouvrant les prisons? Quels sont les
objets des calomnies et des attentais des tyrans armés contre la
République? N'y a-t-il aucun poignard pour nous dans les cargaisons que
l'Angleterre envoie à ses complices en France et à Paris? C'est nous
qu'on assassine, et c'est nous que l'on peint redoutables! Et quels
sont donc ces grands actes de sévérité que l'on nous reproche? quelles
ont été les victimes? Hébert, Ronsin, Chabot, Danton, Lacroix, Fabre
d'Églantine, et quelques autres complices. Est-ce leur punition qu'on
nous reproche? aucun n'oserait les défendre. Mais si nous n'avons fait
que dénoncer des monstres dont la mort a sauvé la Convention nationale
et la République, qui peut craindre nos principes, qui peut nous
accuser d'avance d'injustice et de tyrannie, si ce n'est ceux qui leur
ressemblent? Non, nous n'avons pas été trop sévères; j'en atteste la
République qui respire; j'en atteste la représentation nationale,
environnée du respect dû à la représentation d'un grand peuple; j'en
atteste les patriotes qui gémissent encore dans les cachots que les
scélérats leur ont ouverts; j'en atteste les nouveaux crimes des
ennemis de notre liberté, et la coupable persévérance des tyrans ligués
contre nous. On parle de notre rigueur, et la patrie nous reproche
notre faiblesse.
Est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes, et porté
la terreur dans toutes les conditions? Ce sont les monstres que nous
avons accusés. Est-ce nous qui, oubliant les crimes de l'aristocratie,
et protégeant les traîtres, avons déclaré la guerre aux citoyens
paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables, ou des choses
indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la
révolution redoutable au Peuple même? Ce sont les monstres, que nous
avons accusés. Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes,
fruit de l'obsession des traîtres, avons promené le glaive sur la plus
grande partie de la Convention nationale, demandions dans les sociétés
populaires la tête de six cents représentants du Peuple? Ce sont les
monstres que nous avons accusés. Aurait-on déjà oublié que nous nous
sommes jetés entre eux et leurs perfides adversaires, dans un temps où
on... [lacune dans le manuscrit]?
Vous connaissez la marche de vos ennemis. Ils ont attaqué la Convention
nationale en masse; ce projet a échoué. Ils ont attaqué le comité de
salut public; ce projet a échoué. Depuis quelque temps, ils déclarèrent
la guerre à certains membres du comité de salut public; ils semblent ne
prétendre qu'à accabler un seul homme; ils marchent toujours au même
but. Que les tyrans de l'Europe osent proscrire un représentant du
Peuple français, c'est sans doute l'excès de l'insolence: mais que des
Français qui se disent républicains travaillent à exécuter l'arrêt de
mort prononcé par les tyrans, c'est l'excès du scandale et de
l'opprobre (7). Est-il vrai que l'on ait colporté des listes odieuses
où l'on désignait pour victimes un certain nombre de membres de la
Convention, et qu'on prétendait être l'ouvrage du comité de salut
public et ensuite le mien? Est-il vrai qu'on ait osé supposer des
séances du comité, des arrêtés rigoureux qui n'ont jamais existé, des
arrestations non moins chimériques? Est-il vrai qu'on ait cherché à
persuader à un certain nombre de représentants irréprochables que leur
perte était résolue; à tous ceux qui, par quelque erreur, avaient payé
un tribut inévitable à la fatalité des circonstances et à la faiblesse
humaine, qu'ils étaient voués au sort des conjurés? Est-il vrai que
l'imposture ait été répandue avec tant d'art et d'audace, qu'un grand
nombre de membres n'osaient plus habiter la nuit leur domicile? Oui,
les faits sont constants, et les preuves de ces deux manoeuvres sont au
Comité de salut public. Vous pourriez nous en révéler beaucoup
d'autres, vous, députés revenus d'une mission dans les départements;
vous, suppléants appelés aux fonctions de représentants du Peuple, vous
pourriez nous dire ce que l'intrigue a fait pour vous tromper, pour
vous aigrir, pour vous entraîner dans une coalition funeste (8). Que
disait-on, que faisait-on dans ces coteries suspectes, dans ces
rassemblements nocturnes, dans ces repas où la perfidie distribuait aux
convives les poisons de la haine et de la calomnie? Que voulaient-ils,
les auteurs de ces machinations? était-ce le salut de la patrie, la
dignité et l'union de la Convention nationale? Qui étaient-ils (9)?
Quels faits justifient l'horrible idée qu'on a voulu donner de nous?
quels hommes avaient été accusés par les comités, si ce n'est les
Chaumetle, les Hébert, les Danton, les Chabot, les Lacroix? est-ce donc
la mémoire des conjurés qu'on veut défendre? Est-ce la mort des
conjurés qu'on veut venger (10)? Si on nous accuse d'avoir dénoncé
quelques traîtres, qu'on accuse donc la Convention qui les a accusés;
qu'on accuse la justice qui les a frappés; qu'on accuse le peuple qui a
applaudi à leur châtiment. Quel est celui qui attente à la
représentation nationale, de celui qui poursuit ses ennemis, ou de
celui qui les protège? Et depuis quand la punition du crime
épouvante-t-elle la vertu?
Telle est cependant la base de ces projets de dictature et d'attentats
contre la représentation nationale imputés d'abord au comité de salut
public en général. Par quelle fatalité cette grande accusation a-t-elle
été transportée tout à coup sur la tête d'un seul de ses membres?
Etrange projet d'un homme, d'engager la Convention nationale à
s'égorger elle-même en détail de ses propres mains, pour lui frayer le
chemin du pouvoir absolu! Que d'autres aperçoivent le côté ridicule de
ces inculpations; c'est à moi de n'en voir que l'atrocité. Vous rendrez
au moins [mot manquant dans le manuscrit: compte] à l'opinion publique,
de votre affreuse persévérance à poursuivre le projet d'égorger tous
les amis de la patrie, monstres qui cherchez à me ravir l'estime de la
Convention nationale, le prix le plus glorieux des travaux d'un mortel,
que je n'ai ni usurpé et surpris, mais que j'ai été forcé de conquérir.
Paraître un objet de terreur aux yeux de ce qu'on révère et de ce qu'on
aime, c'est pour un homme sensible et probe le plus affreux des
supplices; le lui faire subir, c'est le plus grand des forfaits. Mais
j'appelle toute votre indignation sur les manoeuvres atroces employées
pour étayer ces extravagantes calomnies.
Partout, les actes d'oppression avaient été multipliés pour étendre le
système de terreur et de calomnie. Des agents impurs prodiguaient les
arrestations injustes: des projets de finances destructeurs menaçaient
toutes les fortunes modiques, et portaient le désespoir dans une
multitude innombrable de familles attachées à la révolution; on
épouvantait les nobles et les prêtres par des motions concertées; les
paiements des créanciers de l'Etat et des fonctionnaires publics
étaient suspendus; on surprenait au comité de salut public un arrêté
qui renouvelait les poursuites contre les membres de la commune du 10
août, sous le prétexte d'une reddition des comptes. Au sein de la
Convention, on prétendait que la Montagne était menacée, parce que
quelques membres siégeant en cette partie de la salle se croyaient en
danger; et pour intéresser à la même cause la Convention nationale tout
entière, on réveillait subitement l'affaire de cent soixante-treize
députés détenus, et on m'imputait tous ces événements qui m'étaient
absolument étrangers; on disait que je voulais immoler la Montagne; on
disait que je voulais perdre l'autre portion de la Convention
nationale; on me peignait ici comme le persécuteur des soixante-deux
députés détenus. Là, on m'accusait de les défendre; on disait que je
soutenais le Marais (c'était l'expression de mes calomniateurs). Il
est à remarquer que le plus puissant argument qu'ait employé la faction
hébertiste pour prouver que j'étais modéré, était l'opposition que
j'avais apportée à la proscription d'une grande partie de la Convention
nationale, et particulièrement mon opinion sur la proposition de
décréter d'accusation les soixante-deux détenus, sans un rapport
préalable.
Ah! certes, lorsqu'au risque de blesser l'opinion publique, ne
consultant que les intérêts sacrés de la patrie, j'arrachais seul à une
décision précipitée ceux dont les opinions m'auraient conduit à
l'échafaud, si elles avaient triomphé; quand, dans d'autres occasions,
je m'exposais à toutes les fureurs d'une faction hypocrite, pour
réclamer les principes de la stricte équité envers ceux qui m'avaient
jugé avec plus de précipitation, j'étais loin, sans doute, de penser
que l'on dût me tenir compte d'une pareille conduite; j'aurais trop mal
présumé d'un pays où elle aurait été remarquée, et où l'on aurait donné
des noms pompeux aux devoirs les plus indispensables de la probité;
mais j'étais encore plus loin de penser qu'un jour on m'accuserait
d'être le bourreau de ceux envers qui je les ai remplis, et l'ennemi de
la représentation nationale que j'avais servie avec dévouement; je
m'attendais bien moins encore qu'on m'accuserait à la fois de vouloir
la défendre et de vouloir l'égorger. Quoi qu'il en soit, rien ne pourra
jamais changer ni mes sentiments ni mes principes. A l'égard des
députés détenus, je déclare que, loin d'avoir eu aucune part au dernier
décret qui les concerne, je l'ai trouvé au moins très extraordinaire
dans les circonstances; que je ne me suis occupé d'eux en aucune
manière depuis le moment où j'ai fait envers eux tout ce que ma
conscience m'a dicté. A l'égard des autres, je me suis expliqué sur
quelques-uns avec franchise; j'ai cru remplir mon devoir. Le reste est
un tissu d'impostures atroces. Quant à la Convention nationale, mon
premier devoir, comme mon premier penchant, est un respect sans bornes
pour elle. Sans vouloir absoudre le crime; sans vouloir justifier en
elles-mêmes les erreurs funestes de plusieurs; sans vouloir ternir la
gloire des défenseurs énergiques de la liberté, ni affaiblir l'illusion
d'un nom sacré dans les annales de la révolution, je dis que tous les
représentants du peuple, dont le coeur est pur, doivent reprendre la
confiance et la dignité qui leur convient. Je ne connais que deux
partis, celui des bons et des mauvais citoyens; que le patriotisme
n'est point une affaire de parti, mais une affaire de coeur; qu'il ne
consiste ni dans l'insolence, ni dans une fougue passagère qui ne
respecte ni les principes, ni le bon sens, ni la morale, encore moins
dans le dévouement aux intérêts d'une faction. Le coeur flétri par
l'expérience de tant de trahisons, je crois à la nécessité d'appeler
surtout la probité et tous les sentiments généreux au secours de la
République. Je sens que partout où on rencontre un homme de bien, en
quelque lieu qu'il soit assis, il faut lui tendre la main, et le serrer
contre son coeur. Je crois à des circonstances fatales dans la
révolution, qui n'ont rien de commun avec les desseins criminels; je
crois à la détestable influence de l'intrigue, et surtout à la
puissance sinistre de la calomnie. Je vois le monde peuplé de dupes et
de fripons; mais le nombre des fripons est le plus petit: ce sont eux
qu'il faut punir des crimes et des malheurs du monde. Je n'imputerai
donc point les forfaits de Brissot et de la Gironde aux hommes de bonne
foi qu'ils ont trompés quelquefois (11); je n'imputerai point à tous
ceux qui crurent à Danton les crimes de ce conspirateur; je n'imputerai
point ceux d'Hébert aux citoyens dont le patriotisme sincère fut
entraîné quelquefois au-delà des exactes limites de la raison. Les
conspirateurs ne seraient point des conspirateurs, s'ils n'avaient
l'art de dissimuler assez habilement pour usurper pendant quelque temps
la confiance des gens de bien: mais il est des signes certains auxquels
on peut discerner les dupes des complices, et l'erreur du crime. Qui
fera donc cette distinction? Le bon sens et la justice. Ah! combien le
bon sens et la justice sont nécessaires dans les affaires humaines! Les
hommes pervers nous appellent des hommes de sang, parce que nous avons
fait la guerre aux oppresseurs du monde. Nous serions donc humains, si
nous étions réunis à leur ligue sacrilège pour égorger le peuple et
pour perdre la patrie.
Au reste, s'il est des conspirateurs privilégiés, s'il est des ennemis
inviolables de la République, je consens à m'imposer sur leur compte un
éternel silence. J'ai rempli ma tâche; (je ne me charge point de
remplir les devoirs d'autrui; un soin plus pressant m'agite en ce
moment); il s'agit de sauver la morale publique et les principes
conservateurs de la liberté; il s'agit d'arracher à l'oppression tous
les amis généreux de la patrie.
Ce sont eux qu'on accuse d'attenter à la représentation nationale! Et
où donc chercheraient-ils un autre appui? Après avoir combattu tous vos
ennemis, après s'être dévoués à la fureur de toutes les factions pour
défendre et votre existence et votre dignité, où chercheraient-ils un
asile s'ils ne le trouvaient pas dans votre sein?
Ils aspirent, dit-on, au pouvoir suprême; ils l'exercent déjà. La
Convention nationale n'existe donc pas! Le peuple français est donc
anéanti! Stupides calomniateurs! vous êtes-vous aperçus que vos
ridicules déclamations ne sont pas une injure faite à un individu, mais
à une nation invincible, qui dompte et qui punit les rois? Pour moi,
j'aurais une répugnance extrême à me défendre personnellement devant
vous contre la plus lâche des tyrannies (12), si vous n'étiez pas
convaincus que vous êtes les véritables objets des attaques de tous les
ennemis de la République. Eh! que suis-je pour mériter leurs
persécutions, si elles n'entraient dans le système général de
conspiration (13) contre la Convention nationale? N'avez-vous pas
remarqué que, pour vous isoler de la nation, ils ont publié à la face
de l'univers que vous étiez des dictateurs régnant par la terreur, et
désavoués par le voeu tacite des Français? N'ont-ils pas appelé nos
armées les hordes conventionnelles; la révolution française, le
jacobinisme? Et lorsqu'ils affectent de donner à un faible individu en
butte aux outrages de toutes les factions, une importance gigantesque
et ridicule, quel peut être leur but, si ce n'est de vous diviser, de
vous avilir, en niant votre existence même, semblables à l'impie qui
nie l'existence de la divinité qu'il redoute?
Cependant ce mot de dictature a des effets magiques; il flétrit la
liberté; il avilit le gouvernement; il détruit la République; il
dégrade toutes les institutions révolutionnaires, qu'on présente comme
l'ouvrage d'un seul homme; il rend odieuse la justice nationale, qu'il
présente comme instituée pour l'ambition d'un seul homme; il dirige sur
un point toutes les haines et tous les poignards du fanatisme et de
l'aristocratie.
Quel terrible usage les ennemis de la République ont fait du seul nom
d'une magistrature romaine? Et si leur érudition nous est si fatale,
que sera-ce de leurs trésors et de leurs intrigues? Je ne parle point
de leurs armées: mais qu'il me soit permis de renvoyer au duc d'York,
et à tous les écrivains royaux, les patentes de cette dignité ridicule
qu'ils m'ont expédiées les premiers. Il y a trop d'insolence à des
rois, qui ne sont pas sûrs de conserver leur couronne, de s'arroger le
droit d'en distribuer à d'autres. Je conçois qu'un prince ridicule, que
celte espèce d'animaux immondes et sacrés qu'on appelle encore rois,
puissent se complaire dans leur bassesse et s'honorer de leur
ignominie; je conçois que le fils de Georges, par exemple, puisse avoir
regret à ce sceptre français qu'on le soupçonne violemment d'avoir
convoité, et je plains sincèrement ce moderne Tantale. J'avouerai même,
à la honte, non de ma patrie, mais des traîtres qu'elle a punis, que
j'ai vu d'indignes mandataires du peuple qui auraient échangé ce titre
glorieux pour celui de valet de chambre de Georges ou de d'Orléans.
Mais qu'un représentant du peuple qui sent la dignité de ce caractère
sacré; qu'un citoyen français, digne de ce nom, puisse abaisser ses
voeux jusqu'aux grandeurs coupables et ridicules qu'il a contribué à
foudroyer; qu'il se soumette à la dégradation civique pour descendre à
l'infamie du trône, c'est ce qui ne paraîtra vraisemblable qu'à ces
êtres pervers qui n'ont pas même le droit de croire à la vertu. Que
dis-je, vertu? c'est une passion naturelle, sans doute: mais comment la
connaîtraient-ils, ces âmes vénales, qui ne s'ouvrirent jamais qu'à des
passions lâches et féroces; ces misérables intrigants, qui ne lièrent
jamais le patriotisme à aucune idée morale, qui marchèrent dans la
révolution à la suite de quelque personnage important et ambitieux, de
je ne sais quel prince méprisé, comme jadis nos laquais sur les pas de
leurs maîtres? Mais elle existe, je vous en atteste, âmes sensibles et
pures; elle existe, cette passion tendre, impérieuse, irrésistible,
tourment et délices des coeurs magnanimes; cette horreur profonde de la
tyrannie, ce zèle compatissant pour les opprimés, cet amour sacré de la
patrie, cet amour plus sublime et plus saint de l'humanité, sans lequel
une grande révolution n'est qu'un crime éclatant qui détruit un autre
crime: elle existe, cette ambition généreuse de fonder sur la terre la
première République du monde; cet égoïsme des hommes non dégradés, qui
trouve une volupté céleste dans le calme d'une conscience pure et dans
le spectacle ravissant du bonheur public. Vous le sentez, en ce moment,
qui brûle dans vos âmes; je le sens dans la mienne. Mais comment nos
vils calomniateurs la devineraient-ils? Comment l'aveugle-né aurait-il
l'idée de la lumière? La nature leur a refusé une âme; ils ont quelque
droit de douter, non seulement de l'immortalité de l'âme, mais de son
existence (14).
Ils m'appellent tyran. Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je
les gorgerais d'or, je leur assurerais le droit de commettre tous les
crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l'étais, les rois que
nous avons vaincus, loin de me dénoncer, (quel tendre intérêt ils
prennent à notre liberté!) me prêteraient leur coupable appui; je
transigerais avec eux. Dans leur détresse, qu'attendent-ils, si ce
n'est le secours d'une faction protégée par eux, qui leur vende la
gloire et la liberté de notre pays (15)? On arrive à la tyrannie par le
secours des fripons; où courent ceux qui les combattent? Au tombeau et
à l'immortalité. Quel est le tyran qui me protège? Quelle est la
faction à qui j'appartiens? C'est vous-mêmes. Quelle est cette faction
qui, depuis le commencement de la révolution, a terrassé les factions,
a fait disparaître tant de traîtres accrédités? C'est vous, c'est le
peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à laquelle je suis
voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués.
C'est vous qu'on persécute; c'est la patrie, ce sont tous les amis de
la patrie. Je me défends encore. Combien d'autres ont été opprimés dans
les ténèbres? Qui osera jamais servir la patrie, quand je suis obligé
encore ici de répondre à de telles calomnies? Ils citent comme la
preuve d'un dessein ambitieux les effets les plus naturels du civisme
et de la liberté; l'influence morale des anciens athlètes de la
révolution est aujourd'hui assimilée par eux à la tyrannie. Vous êtes,
vous-mêmes, les plus lâches de tous les tyrans, vous qui calomniez la
puissance de la vérité. Que prétendez-vous, vous qui voulez que la
vérité soit sans force dans la bouche des représentants du peuple
français? La vérité, sans doute, a sa puissance; elle a sa colère, son
despotisme; elle a des accents touchants, terribles, qui retentissent
avec force dans les coeurs purs, comme dans les consciences coupables,
et qu'il n'est pas plus donné au mensonge d'imiter qu'à Salmonée
d'imiter les foudres du ciel; mais accusez-en la nature, accusez-en le
peuple la sent et qui l'aime (16). Il y a deux puissances sur la terre;
celle de la raison et celle de la tyrannie; partout où l'une domine,
l'autre en est bannie. Ceux qui dénoncent comme un crime la force
morale de la raison, cherchent donc à rappeler la tyrannie. Si vous ne
voulez pas que les défenseurs des principes obtiennent quelque
influence dans celte lutte difficile de la liberté contre l'intrigue,
vous voulez donc que la victoire demeure à l'intrigue (17). Si les
représentants du peuple, qui défendent sa cause, ne peuvent pas obtenir
impunément son estime, quelle sera la conséquence de ce système, si ce
n'est qu'il n'est plus permis de servir le peuple, que la République
est proscrite et la tyrannie rétablie? Et quelle tyrannie plus odieuse
que celle qui punit le peuple dans la personne de ses défenseurs? Car
la chose la plus libre qui soit dans le monde, même sous le règne du
despotisme, n'est-ce pas l'amitié? Mais vous qui nous en faites un
crime, en êtes-vous jaloux? Non; vous ne prisez que l'or et les biens
périssables que les tyrans prodiguent à ceux qui les servent. Vous les
servez, vous qui corrompez la morale publique et protégez tous les
crimes: la garantie des conspirateurs est dans l'oubli des principes et
dans la corruption; celle des défenseurs de la liberté est toute dans
la conscience publique. Vous les servez, vous qui, toujours en deçà ou
au-delà de la vérité, prêchez tour à tour la perfide modération de
l'aristocratie, et tantôt la fureur des faux démocrates. Vous la
servez, prédicateurs obstinés de l'athéisme et du vice. Vous voulez
détruire la représentation, vous qui la dégradez par votre conduite, ou
qui la troublez par vos intrigues. Lequel est plus coupable, de celui
qui attente à sa sûreté par la violence, ou de celui qui attente à sa
justice par la séduction et par la perfidie? La tromper, c'est la
trahir; la pousser à des actes contraires à ses intentions et à ses
principes, c'est tendre à sa destruction; car sa puissance est fondée
sur la vertu même et sur la confiance nationale. Nous la chérissons,
nous qui, après avoir combattu pour sa sûreté physique, défendons
aujourd'hui sa gloire et ses principes: est-ce ainsi que l'on marche au
despotisme? Mais quelle dérision cruelle d'ériger en despotes des
citoyens toujours proscrits? Et que sont autre chose ceux qui ont
constamment défendu les intérêts de leur pays? La République a
triomphé, jamais ses défenseurs. Que suis-je, moi qu'on accuse? un
esclave de la liberté, un martyr vivant de la République, la victime
autant que l'ennemi du crime. Tous les fripons m'outragent; les actions
les plus indifférentes, les plus légitimes de la part des autres sont
des crimes pour moi. Un homme est calomnié dès qu'il me connaît: on
pardonne à d'autres leurs forfaits; on me fait un crime de mon zèle.
Otez-moi ma conscience, je suis le plus malheureux de tous les hommes;
je ne jouis pas même des droits du citoyen: que dis-je? il ne m'est pas
même permis de remplir les devoirs d'un représentant du peuple.
C'est ici que je dois laisser échapper la vérité et dévoiler les
véritables plaies de la République. Les affaires publiques reprennent
une marche perfide et alarmante; le système combiné des Hébert et des
Fabre d'Eglantine est poursuivi maintenant avec une audace inouïe. Les
contre-révolutionnaires sont protégés; ceux qui déshonorent la
révolution avec les formes de l'Hébertisme, le sont ouvertement; les
autres avec plus de réserve. Le patriotisme et la probité sont
proscrits par les uns et par les autres. On veut détruire le
gouvernement révolutionnaire, pour immoler la patrie aux scélérats qui
la déchirent, et on marche à ce but odieux par deux routes différentes.
Ici on calomnie ouvertement les institutions révolutionnaires, là on
cherche à les rendre odieuses par des excès; on tourmente les hommes
nuls ou paisibles; on plonge chaque jour les patriotes dans les
cachots, et on favorise l'aristocratie de tout son pouvoir; c'est là ce
qu'on appelle indulgence, humanité. Est-ce là le gouvernement
révolutionnaire que nous avons institué et défendu? non, ce
gouvernement est la marche rapide et sûre de la justice; c'est la
foudre lancée par la main de la liberté contre le crime; ce n'est pas
le despotisme des fripons et de l'aristocratie; ce n'est pas
l'indépendance du crime, de toutes les lois divines et humaines. Sans
le gouvernement révolutionnaire, la République ne peut s'affermir, et
les factions l'étoufferont dans son berceau; mais s'il tombe en des
mains perfides, il devient lui-même l'instrument de la
contre-révolution. Or, on cherche à le dénaturer pour le détruire. Ceux
qui le calomnient, et ceux qui le compromettent par des actes
d'oppression sont les mêmes hommes. Je ne développerai point toutes les
causes de ces abus, mais je vous en indiquerai une seule qui suffira
pour vous expliquer tous ces funestes effets: elle existe dans
l'excessive perversité des agents subalternes d'une autorité
respectable constituée dans votre sein. Il est dans ce comité des
hommes dont il est impossible de ne pas chérir et respecter les vertus
civiques; c'est une raison de plus de détruire un abus qui s'est commis
à leur insu, et qu'ils seront les premiers à combattre. En vain une
funeste politique prétendrait-elle environner les agents dont je parle
d'un certain prestige superstitieux. Je ne sais pas respecter des
fripons: j'adopte bien moins encore cette maxime royale, qu'il est
utile de les employer. Les armes de la liberté ne doivent être touchées
que par des mains pures. Epurons la surveillance nationale, au lieu
d'empailler les vices. La vérité n'est un écueil que pour les
gouvernements corrompus; elle est l'appui du nôtre. Pour moi, je frémis
quand je songe que des ennemis de la révolution, que d'anciens
professeurs de royalisme, que des ex-nobles, des émigrés peut-être se
sont tout à coup faits révolutionnaires, et transformés en commis du
comité de sûreté générale, pour se venger sur les amis de la patrie, de
la naissance et des succès de la République. II serait assez étrange
que nous eussions la bonté de payer des espions de Londres ou de
Vienne, pour nous aider à faire la police de la République. Or, je ne
doute pas que ce cas-là ne soit souvent arrivé; ce n'est pas que ces
gens-là ne se soient fait des titres de patriotisme en arrêtant des
aristocrates prononcés. Qu'importe à l'étranger de sacrifier quelques
Français coupables envers leur patrie, pourvu qu'ils immolent les
patriotes et détruisent la République?
A ces puissants motifs qui m'avaient déjà déterminé à dénoncer ces
hommes, mais inutilement, j'en joins un autre qui tient à la trame que
j'avais commencé à développer; nous sommes instruits qu'ils sont payés
par les ennemis de la révolution, pour déshonorer le gouvernement
révolutionnaire en lui-même, et pour calomnier les représentants du
peuple dont les tyrans ont ordonné la perte. Par exemple, quand les
victimes de leur perversité se plaignent, ils s'excusent en leur
disant: c'est Robespierre qui le veut: nous ne pouvons pas nous en
dispenser. Les infâmes disciples d'Hébert tenaient jadis le même
langage dans le temps où je les dénonçais; ils se disaient mes amis;
ensuite ils m'ont déclaré convaincu de modérantisme; c'est encore la
même espèce de contre-révolutionnaires qui persécute le patriotisme.
Jusqu'à quand l'honneur des citoyens et la dignité de la Convention
nationale seront-ils à la merci de ces hommes-là? Mais le trait que je
viens de citer n'est qu'une branche du système de persécution plus
vaste dont je suis l'objet. En développant cette accusation de
dictature mise à l'ordre du jour par les tyrans, on s'est attaché à me
charger de toutes leurs iniquités, de tous les torts de la fortune, ou
de toutes les rigueurs commandées par le salut de la patrie (18). On
disait aux nobles: c'est lui seul qui vous a proscrits; on disait en
même temps aux patriotes: il veut sauver les nobles; on disait aux
prêtres: c'est lui seul qui vous poursuit; sans lui vous seriez
paisibles et triomphants; on disait aux fanatiques: c'est lui seul
qui détruit la religion; on disait aux patriotes persécutés: c'est
lui qui l'a ordonné ou qui ne veut pas l'empêcher. On me renvoyait
toutes les plaintes dont je ne pouvais faire cesser les causes, en
disant: votre sort dépend de lui seul. Des hommes apostés dans les
lieux publics propageaient chaque jour ce système; il y en avait dans
le lieu des séances du tribunal révolutionnaire; dans les lieux où les
ennemis de la patrie expient leurs forfaits: ils disaient: voilà des
malheureux condamnés; qui est-ce qui en est la cause? Robespierre. On
s'est attaché particulièrement à prouver que le tribunal
révolutionnaire était un tribunal de sang, créé par moi seul, et que
je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien, et
même tous les fripons; car on voulait me susciter des ennemis de tous
les genres. Ce cri retentissait dans toutes les prisons; ce plan de
proscription était exécuté à la fois dans tous les départements par les
émissaires de la tyrannie. Ce n'est pas tout: on a proposé dans ces
derniers temps des projets de finance qui m'ont paru calculés pour
désoler les citoyens peu fortunés, et pour multiplier les mécontents.
J'avais souvent appelé inutilement l'attention du comité de salut
public sur cet objet. Eh bien! croirait-on qu'on a répandu le bruit
qu'ils étaient encore mon ouvrage, et que, pour l'accréditer, on a
imaginé de dire qu'il existait au comité de salut public une commission
des finances, et que j'en étais le président? Mais comme on voulait me
perdre, surtout dans l'opinion de la Convention nationale, on prétendit
que moi seul avais osé croire qu'elle pouvait renfermer dans son sein
quelques hommes indignes d'elle. On dit à chaque député revenu d'une
mission dans les départements, que moi seul avais provoqué son rappel;
je fus accusé par des hommes très officieux et très insinuants de tout
le bien et de tout le mal qui avait été fait. On rapportait fidèlement
à mes collègues, et tout ce que j'avais dit, et surtout ce que je
n'avais pas dit. On écartait avec soin le soupçon qu'on eût contribué à
un acte qui pût déplaire à quelqu'un; j'avais tout fait, tout exigé,
tout commandé; car il ne faut pas oublier mon titre de dictateur. Quand
on eut formé cet orage de haines, de vengeances, de terreur,
d'amours-propres irrités, on crut qu'il était temps d'éclater. Ceux qui
croyaient avoir des raisons de me redouter se flattaient hautement que
ma perte certaine allait assurer leur salut et leur triomphe; tandis
que les papiers anglais et allemands annonçaient mon arrestation, des
colporteurs de journaux la criaient à Paris. Mes collègues devant qui
je parle savent le reste beaucoup mieux que moi; ils connaissent toutes
les tentatives qu'on a faites auprès d'eux pour préparer le succès d'un
roman qui paraissait une nouvelle édition de celui de Louvet. Plusieurs
pourraient rendre compte des visites imprévues qui leur ont été rendues
pour les disposer à me proscrire. Enfin, on assure que l'on était
prévenu généralement dans la Convention nationale, qu'un acte
d'accusation allait être porté contre moi (19); on a sondé les esprits
à ce sujet, et tout prouve que la probité de la Convention nationale a
forcé les calomniateurs à abandonner, ou du moins à ajourner leur
crime. Mais qui étaient-ils ces calomniateurs? ce que je puis répondre
d'abord, c'est que dans un manifeste royaliste, trouvé dans les papiers
d'un conspirateur connu qui a déjà subi la peine due à ses forfaits, et
qui paraît être le texte de toutes les calomnies renouvelées en ce
moment, on lit en propres termes cette conclusion adressée à toutes les
espèces d'ennemis publics: si cet astucieux démagogue n'existait plus,
s'il eût payé de sa tête ses manoeuvres ambitieuses, la nation serait
libre; chacun pourrait publier ses pensées; Paris n'aurait jamais vu
dans son sein cette multitude d'assassinats vulgairement connus sous le
faux nom de jugements du tribunal révolutionnaire. Je puis ajouter que
ce passage est l'analyse des proclamations faites par les princes
coalisés et des journaux étrangers à la solde des rois, qui, par cette
voie, semblent donner tous les jours le mot d'ordre à tous les conjurés
de l'intérieur. Je ne citerai que ce passage de l'un des plus
accrédités de ces écrivains [La commission a cherché inutilement dans
les papiers de Robespierre le journal dont il cite un passage.].
Je puis donc répondre que les auteurs de ce plan de calomnies sont
d'abord le duc d'York, M. Pitt, et tous les tyrans armés contre nous.
Qui ensuite?... Ah! Je n'ose les nommer dans ce moment et dans ce lieu;
je ne puis me résoudre à déchirer entièrement le voile qui couvre ce
profond mystère d'iniquités; mais ce que je puis affirmer positivement,
c'est que, parmi les auteurs de cette trame, sont les agents de ce
système de corruption et d'extravagance, le plus puissant de tous les
moyens inventés par l'étranger pour perdre la République, sont les
apôtres impurs de l'athéisme et de l'immoralité dont il est la base.
C'est une circonstance bien remarquable que votre décret du... [lacune
dans le manuscrit; il s'agit sans aucun doute du décret du 18 floréal]
qui raffermit les bases ébranlées de la morale publique, fut le signal
d'un accès de fureur des ennemis de la République. C'est de cette
époque que datent les assassinats et les nouvelles calomnies, plus
criminelles que les assassinats. Les tyrans sentaient qu'ils avaient
une défaite décisive à réparer. La proclamation solennelle de vos
véritables principes détruisit en un jour les fruits de plusieurs
années d'intrigues; les tyrans triomphaient, le Peuple français était
placé entre la famine et l'athéisme plus odieux que la famine. Le
Peuple peut supporter la faim, mais non le crime; le Peuple sait tout
sacrifier, excepté ses vertus. La tyrannie n'avait pas encore fait cet
outrage à la nature humaine, de lui faire une honte de la morale et un
devoir de la dépravation; les plus vils des conspirateurs l'avaient
réservé au Peuple français dans sa gloire et dans sa puissance. La
tyrannie n'avait demandé aux hommes que leurs biens et leur vie;
ceux-ci nous demandaient jusqu'à nos consciences; d'une main ils nous
présentaient tous les maux, et de l'autre ils nous arrachaient
l'espérance. L'athéisme, escorté de tous les crimes, versait sur le
peuple le deuil et le désespoir, et sur la représentation nationale,
les soupçons, le mépris et l'opprobre. Une juste indignation comprimée
par la terreur fermentait sourdement dans tous les coeurs. Une éruption
terrible, inévitable, bouillonnait dans les entrailles du volcan,
tandis que de petits philosophes jouaient stupidement sur sa cime, avec
de grands scélérats. Telle était la situation de la République, que,
soit que le Peuple consentît à souffrir la tyrannie, soit qu'il en
secouât violemment le joug, la liberté était également perdue; car par
sa réaction, il eût blessé à mort la République, et par sa patience il
s'en serait rendu indigne. Aussi de tous les prodiges de notre
révolution, celui que la postérité concevra le moins, c'est que nous
ayons pu échapper à ce danger. Grâces immortelles vous soient rendues;
vous avez sauvé la Patrie, votre décret du... [lacune dans le
manuscrit; même décret du 18 floréal] est lui seul une révolution; vous
avez frappé du même coup l'athéisme et le despotisme sacerdotal; vous
avez avancé d'un demi-siècle l'heure fatale des tyrans; vous avez
rattaché à la cause de la révolution tous les coeurs purs et généreux;
vous l'avez montrée au monde dans tout l'éclat de sa beauté céleste. O
jour à jamais fortuné, où le Peuple français tout entier s'éleva pour
rendre à l'auteur de la Nature le seul hommage digne de lui! Quel
touchant assemblage de tous les objets qui peuvent enchanter les
regards et le coeur des hommes! O vieillesse honorée! ô généreuse ardeur
des enfants de la patrie! ô joie naïve et pure des jeunes citoyens! ô
larmes délicieuses des mères attendries! ô charme divin de l'innocence
et de la beauté! ô majesté d'un grand peuple heureux par le seul
sentiment de sa force, de sa gloire et de sa vertu! Etre des êtres! Le
jour où l'univers sortit de tes mains toutes-puissantes, brilla-t-il
d'une lumière plus agréable à tes yeux, que ce jour où brisant le joug
du crime et de l'erreur, il parut devant toi, digne de tes regards et
de ses destinées?
Ce jour avait laissé sur la France une impression profonde de calme, de
bonheur, de sagesse et de bonté. A la vue de celte réunion sublime du
premier Peuple du Monde, qui aurait cru que le crime existait encore
sur la terre (20)? Mais quand le Peuple, en présence duquel tous les
vices privés disparaissent, est rentré dans ses foyers domestiques; les
intrigants reparaissent, et le rôle des charlatans recommence. C'est
depuis cette époque qu'on les a vus s'agiter avec une nouvelle audace,
et chercher à punir tous ceux qui avaient déconcerté le plus dangereux
de tous les complots. Croirait-on qu'au sein de l'allégresse publique,
des hommes aient répondu par des signes de fureur aux touchantes
acclamations du Peuple? Croira-t-on que le président de la Convention
nationale, parlant au peuple assemblé, fut insulté par eux, et que ces
hommes étaient des représentants du Peuple? Ce seul trait explique tout
ce qui s'est passé depuis (21). La première tentative que firent les
malveillants fut de chercher à avilir les grands principes que vous
aviez proclamés, et à effacer le souvenir touchant de la fête
nationale. Tel fut le but du caractère et de la solennité qu'on donna à
ce qu'on appelait l'affaire de Catherine Théot. La malveillance a bien
su tirer parti de la conspiration politique cachée sous le nom de
quelques dévotes imbéciles, et on ne présenta à l'attention publique
qu'une farce mystique et un sujet inépuisable de sarcasmes indécents ou
puérils. Les véritables conjurés les échappèrent, et on faisait
retentir Paris et toute la France du nom de la mère de Dieu. Au même
instant, on vit éclore une multitude de pamphlets dégoûtants, dignes du
père Duchesne, dont le but était d'avilir la Convention nationale, le
tribunal révolutionnaire; de renouveler les querelles religieuses,
d'ouvrir une persécution aussi atroce qu'impolitique contre les esprits
faibles ou crédules imbus de quelque ressouvenir superstitieux (22). En
effet, une multitude de citoyens paisibles et même de patriotes ont été
arrêtés à l'occasion de cette affaire; et les coupables conspirent
encore en liberté; car le plan est de les sauver, de tourmenter le
peuple et de multiplier les mécontents (23). Que n'a-t-on pas fait pour
parvenir à ce but? Prédication ouverte de l'athéisme, violences
inopinées contre le culte, exactions commises sous les formes les plus
indécentes, persécutions dirigées contre le peuple, sous prétexte de
superstition; système de famine; d'abord par les accaparements, ensuite
par la guerre suscitée à tout commerce licite, sous prétexte
d'accaparement; incarcérations des patriotes: tout tendait à ce but.
Dans le même temps la trésorerie nationale suspendait les paiements; on
réduisait au désespoir, par des projets machiavéliques, les petits
créanciers de l'Etat; on employait la violence et la ruse pour leur
faire souscrire des engagements funestes à leurs intérêts, au nom de la
loi même qui désavoue cette manoeuvre. Toute occasion de vexer un
citoyen était saisie avec avidité, et toutes vexations étaient
déguisées, selon l'usage, sous des prétextes de bien public. On servait
l'aristocratie, mais on l'inquiétait; on l'épouvantait à dessein pour
grossir le nombre des mécontents et la pousser à quelque acte de
désespoir contre le gouvernement révolutionnaire (24). On publiait
qu'Hérault, Danton, Hébert étaient des victimes du comité de salut
public, et qu'il fallait les venger par la perte de ce Comité. On
voulait ménager les chefs de la force armée; on persécutait les
magistrats de la commune, et on parlait de rappeler Pache aux fonctions
de maire. Tandis que des représentants du peuple tenaient hautement ce
langage, tandis qu'ils s'efforçaient de persuader à leurs collègues
qu'ils ne pouvaient trouver de salut que dans la perle des membres du
Comité; tandis que des jurés du tribunal révolutionnaire, qui avaient
cabale scandaleusement en faveur des conjurés accusés par la
Convention, disaient partout qu'il fallait résister à l'oppression, et
qu'il y avait vingt-neuf mille patriotes déterminés à renverser le
gouvernement actuel; voici le langage que tenaient les journaux
étrangers qui, dans tous les moments de crises, ont toujours annoncé
fidèlement les complots prêts de s'exécuter au milieu de nous, et dont
les auteurs semblent avoir des relations avec les conjurés. Il faut une
émeute aux criminels. En conséquence, ils ont rassemblé à Paris en ce
moment, de toutes les parties de la République, les scélérats qui la
désolaient au temps de Chaumette et d'Hébert, ceux que vous avez
ordonné par votre décret de faire traduire au tribunal révolutionnaire.
On rendait odieux le gouvernement révolutionnaire pour préparer sa
destruction. Après en avoir accumulé tous les ordres et en avoir dirigé
tout le blâme sur ceux qu'on voulait perdre par un système sourd et
universel de calomnie, on devait détruire le tribunal révolutionnaire
ou le composer de conjurés, appeler à soi l'aristocratie, présenter à
tous les ennemis de la patrie l'impunité, et montrer au peuple ses plus
zélés défenseurs comme les auteurs de tous les maux passés. Si nous
réussissons, disaient les conjurés, il faudra contraster par une
extrême indulgence avec l'état présent des choses. Ce mot renferme
toute la conspiration. Quels étaient les crimes reprochés à Danton, à
Fabre, à Desmoulins? de prêcher la clémence pour les ennemis de la
patrie, et de conspirer pour leur assurer une amnistie fatale à la
liberté. Que dirait-on si les auteurs du complot dont je viens de
parler étaient du nombre de ceux qui ont conduit Danton, Fabre et
Desmoulins à l'échafaud? Que faisaient les premiers conjurés? Hébert,
Chaumette et Ronsin, s'appliquaient à rendre le gouvernement
révolutionnaire insupportable et ridicule, tandis que Camille
Desmoulins l'attaquait dans des écrits satiriques, et que Fabre et
Danton intriguaient pour le défendre. Les uns calomniaient, les autres
préparaient les prétextes de la calomnie. Le même système est
aujourd'hui continué ouvertement. Par quelle fatalité ceux qui
déclamaient jadis contre Hébert, défendent-ils ses complices? Comment
ceux qui se déclaraient les ennemis de Danton sont-ils devenus ses
imitateurs? Comment ceux qui jadis accusaient hautement certains
membres de la Convention, se trouvent-ils ligués avec eux contre les
patriotes qu'on veut perdre? Les lâches! ils voulaient donc me faire
descendre au tombeau avec ignominie! Et je n'aurais laissé sur la terre
que la mémoire d'un tyran! Avec quelle perfidie ils abusaient de ma
bonne foi! Comme ils semblaient adopter les principes de tous les bons
citoyens! Comme leur feinte amitié était naïve et caressante! Tout à
coup leurs visages se sont couverts des plus sombres nuages; une joie
féroce brillait dans leurs yeux; c'était le moment où ils croyaient
toutes leurs mesures bien prises pour m'accabler. Aujourd'hui ils me
caressent de nouveau; leur langage est plus affectueux que jamais. Il y
a trois jours, ils étaient prêts à me dénoncer comme un Catilina;
aujourd'hui ils me prêtent les vertus de Caton. Il leur faut du temps
pour renouer leurs trames criminelles. Que leur but est atroce! mais
que leurs moyens sont méprisables! Jugez-en par un seul trait. J'ai été
chargé momentanément, en l'absence d'un de mes collègues, de surveiller
un bureau de police générale récemment et faiblement organisé au comité
de salut public. Ma courte gestion s'est bornée à provoquer une
trentaine d'arrêtés, soit pour mettre en liberté des patriotes
persécutés, soit pour s'assurer de quelques ennemis de la révolution.
Eh bien! croira-t-on que ce seul mot de police générale a servi de
prétexte pour mettre sur ma tête la responsabilité de toutes les
opérations du comité de sûreté générale, des erreurs de toutes les
autorités constituées, des crimes de tous mes ennemis? Il n'y a
peut-être pas un individu arrêté, pas un citoyen vexé à qui l'on n'ait
dit de moi: "Voilà l'auteur de tes maux; tu serais heureux et libre
s'il n'existait plus". Comment pourrais-je ou raconter ou deviner
toutes les espèces d'impostures qui ont été clandestinement insinuées,
soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux
ou redoutable? Je me bornerai à dire que depuis plus de six semaines,
la nature et la force de la calomnie, l'impuissance de faire le bien et
d'arrêter le mal, m'a forcé à abandonner absolument mes fonctions de
membre du comité de salut public, et je jure qu'en cela même, je n'ai
consulté que ma raison et la patrie. Je préfère ma qualité de
représentant du peuple à celle de membre du comité du salut public, et
je mets ma qualité d'homme et de citoyen français avant tout.
Quoi qu'il en soit, voilà au moins six semaines que ma dictature est
expirée, et que je n'ai aucune espèce d'influence sur le gouvernement;
le patriotisme a-t-il été plus protégé? les factions plus timides? la
patrie plus heureuse? Je le souhaite. Mais cette influence s'est bornée
dans tous les temps à plaider la cause de la patrie devant la
représentation nationale, et au tribunal de la raison publique. Il m'a
été permis de combattre les factions qui vous menaçaient: j'ai voulu
déraciner le système de corruption et de désordre qu'elles avaient
établi, et que je regarde comme le seul obstacle à l'affermissement de
la République. J'ai pensé qu'elle ne pouvait s'asseoir que sur les
bases éternelles de la morale. Tout s'est ligué contre moi et contre
ceux qui avaient les mêmes principes. Après avoir vaincu les dédains et
les contradictions de plusieurs, je vous ai proposé les grands
principes gravés dans vos coeurs, et qui ont foudroyé les complots des
athées contre-révolutionnaires. Vous les avez consacrés; mais c'est le
sort des principes d'être proclamés par les gens de bien, et appliqués,
ou contrariés par les méchants. La veille même de la fête de l'Etre
suprême, on voulait la faire reculer, sous un prétexte frivole. Depuis
on n'a cessé de jeter du ridicule surtout ce qui tient à ces idées;
depuis on n'a cessé de favoriser tout ce qui pouvait réveiller la
doctrine des conjurés que vous avez punis. Tout récemment, on vient de
faire disparaître les traces de tous les monuments qui ont consacré de
grandes époques de la Révolution. Ceux qui rappelaient la révolution
morale qui vous vengeait de la calomnie et qui fondait la République,
sont les seuls qui aient été détruits. Je n'ai vu chez plusieurs aucun
penchant à suivre des principes fixes, à tenir la route de la justice
tracée entre les deux écueils que les ennemis, [sic] de la patrie ont
placés sur notre carrière. S'il faut que je dissimule ces vérités,
qu'on m'apporte la ciguë. Ma raison, non mon coeur, est sur le point de
douter de cette République vertueuse dont je m'étais tracé le plan.
J'ai cru deviner le véritable but de cette bizarre imputation de la
dictature; je me suis rappelé que Brissot et Roland en avaient déjà
rempli l'Europe dans le temps où ils exerçaient une puissance presque
sans bornes. Dans quelles mains sont aujourd'hui les armées, les
finances et l'administration intérieure de la République? Dans celles
de la coalition qui me poursuit. Tous les amis des principes sont sans
influence (25); mais ce n'est pas assez pour eux d'avoir éloigné par le
désespoir du bien un surveillant incommode; son existence seule est
pour eux un objet d'épouvante, et ils avaient médité dans les ténèbres,
à l'insu de leurs collègues, le projet de lui arracher le droit de
défendre le peuple, avec la vie. Oh! je la leur abandonnerai sans
regret: j'ai l'expérience du passé, et je vois l'avenir. Quel ami de la
patrie peut vouloir survivre au moment où il n'est plus permis de la
servir et de défendre l'innocence opprimée? Pourquoi demeurer dans un
ordre de choses où l'intrigue triomphe éternellement de la vérité, où
la justice est un mensonge, où les plus viles passions, où les craintes
les plus ridicules occupent dans les coeurs la place des intérêts
sacrés de l'humanité? Comment supporter le supplice de voir cette
horrible succession de traîtres plus ou moins habiles à cacher leurs
âmes hideuses sous le voile de la vertu, et même de l'amitié, mais qui
tous laisseront à la postérité l'embarras de décider lequel des ennemis
de mon pays fut le plus lâche et le plus atroce? En voyant la multitude
des vices que le torrent de la révolution a roulés pêle-mêle avec les
vertus civiques, j'ai craint quelquefois, je l'avoue, d'être souillé
aux yeux de la postérité par le voisinage impur des hommes pervers qui
s'introduisaient parmi les sincères amis de l'humanité, et je
m'applaudis de voir la fureur des Verrès et des Catilina de mon pays
tracer une ligne profonde de démarcation entre eux et tous les gens de
bien (26). J'ai vu dans l'histoire tous les défenseurs de la liberté
accablés par la calomnie; mais leurs oppresseurs sont morts aussi. Les
bons et les méchants disparaissent de la terre, mais à des conditions
différentes. Français, ne souffrez pas que vos ennemis osent abaisser
vos âmes et énerver vos vertus par leur désolante doctrine; Non,
Chaumette, non, la mort n'est pas un sommeil éternel. Citoyens, effacez
des tombeaux cette maxime gravée par des mains sacrilèges, qui jette un
crêpe funèbre sur la nature, qui décourage l'innocence opprimée, et qui
insulte à la mort; gravez-y plutôt celle-ci: La mort est le
commencement de l'immortalité.
J'ai promis, il y a quelque temps, de laisser un testament redoutable
aux oppresseurs du peuple. Je vais le publier dès ce moment avec
l'indépendance qui convient à la situation où je me suis placé: je leur
lègue la vérité terrible et la mort.
Représentants du Peuple français, il est temps de reprendre la fierté
et la hauteur du caractère qui vous conviennent. Vous n'êtes point
faits pour être régis, mais pour régir les dépositaires de votre
confiance. Les hommages qu'ils vous doivent ne consistent pas dans ces
vaines flagorneries, dans ces récits flatteurs, prodigués aux rois par
des ministres ambitieux, mais dans la vérité, et surtout dans le
respect profond pour vos principes. On vous a dit que tout est bien
dans la République: je le nie. Pourquoi ceux qui, avant-hier, vous
prédisaient tant d'affreux orages, ne voyaient-ils plus hier que des
nuages légers? Pourquoi ceux qui vous disaient naguère, je vous déclare
que nous marchons sur des volcans, croient-ils ne marcher aujourd'hui
que sur des roses? Hier ils croyaient aux conspirations: je déclare que
j'y crois dans ce moment. Ceux qui vous disent que la fondation de la
République est une entreprise si facile, vous trompent, ou plutôt ils
ne peuvent tromper personne. Où sont les institutions sages, où est le
plan de régénération qui justifient cet ambitieux langage? S'est-on
seulement occupé de ce grand objet? Que dis-je? ne voulait-on pas
proscrire ceux qui les avaient préparées? On les loue aujourd'hui,
parce qu'on se croit plus faible; donc on les proscrira encore demain
si on devient plus fort. Dans, quatre jours, dit-on, les injustices
seront réparées: pourquoi ont-elles été commises impunément depuis
quatre mois? Et comment, dans quatre jours, tous les auteurs de nos
maux seront-ils corrigés ou chassés? On vous parle beaucoup de vos
victoires (27) avec une légèreté académique, qui ferait croire qu'elles
n'ont coûté à nos héros ni sang, ni travaux: racontées avec moins de
pompe, elles paraîtraient plus grandes. Ce n'est ni par des phrases de
rhéteur, ni même par des exploits guerriers, que nous subjuguerons
l'Europe, mais par la sagesse de nos lois, par la majesté de nos
délibérations, et par la grandeur de nos caractères. Qu'a-t-on fait
pour tourner nos succès militaires au profit de nos principes, pour
prévenir les dangers de la victoire, ou pour nous en assurer les
fruits? Surveillez la victoire; surveillez la Belgique. Je vous avertis
que votre décret contre les Anglais a été éternellement violé; que
l'Angleterre, tant maltraitée par nos discours, est ménagée par nos
armes. Je vous avertis que les comédies philanthropiques, jouées par
Dumouriez dans la Belgique, sont répétées aujourd'hui; que l'on s'amuse
à planter des arbres stériles de la liberté dans un sol ennemi, au lieu
de cueillir les fruits de la victoire, et que les esclaves vaincus sont
favorisés aux dépens de la République victorieuse. Nos ennemis se
retirent, et nous laissent à nos divisions intestines. Songez à la fin
de la campagne; craignez les factions intérieures; craignez les
intrigues favorisées par l'éloignement dans une terre étrangère. On a
semé la division parmi les généraux; l'aristocratie militaire est
protégée; les généraux fidèles sont persécutés; l'administration
militaire s'enveloppe d'une autorité suspecte; on a violé vos décrets
pour secouer le joug d'une surveillance nécessaire. Ces vérités valent
bien des épigrammes.
Notre situation intérieure est beaucoup plus critique. Un système
raisonnable de finances est à créer; celui qui règne aujourd'hui est
mesquin, prodigue, tracassier, dévorant, et, dans le fait, absolument
indépendant de votre surveillance suprême. Les relations extérieures
sont absolument négligées. Presque tous les agents employés chez les
puissances étrangères, décriés par leur incivisme, ont trahi
ouvertement la République, avec une audace impunie jusqu'à ce jour.
Le gouvernement révolutionnaire mérite toute votre attention: qu'il
soit détruit aujourd'hui, demain la liberté n'est plus. Il ne faut pas
le calomnier, mais le rappeler à son principe, le simplifier, diminuer
la foule innombrable de ses agents, les épurer surtout: il faut rendre
la sécurité au peuple, mais non à ses ennemis. Il ne s'agit point
d'entraver la justice du peuple par des formes nouvelles; la loi pénale
doit nécessairement avoir quelque chose de vague, parce que le
caractère actuel des conspirateurs étant la dissimulation et
l'hypocrisie, il faut que la justice puisse les saisir sous toutes les
formes. Une seule manière de conspirer laissée impunie, rendrait
illusoire et compromettrait le salut de la patrie. La garantie du
patriotisme n'est donc pas dans la lenteur ni dans la faiblesse de la
justice nationale, mais dans les principes et dans l'intégrité de ceux
à qui elle est confiée, dans la bonne foi du gouvernement, dans la
protection franche qu'il accorde aux patriotes, et dans l'énergie avec
laquelle il comprime l'aristocratie; dans l'esprit public, dans
certaines institutions morales et politiques qui, sans entraver la
marche de la justice, offrent une sauvegarde aux bons citoyens, et
compriment par leur influence sur l'opinion publique et sur la
direction de la marche révolutionnaire (28) et qui vous seront
proposées quand les conspirations les plus voisines permettront aux
amis de la liberté de respirer.
Guidons l'action révolutionnaire par des maximes sages et constamment
maintenues; punissons sévèrement ceux qui abusent des principes
révolutionnaires pour vexer les citoyens; qu'on soit bien convaincu que
tous ceux qui sont chargés de la surveillance nationale, dégagés de
tout esprit de parti, veulent fortement le triomphe du patriotisme, et
la punition des coupables. Tout rentre dans l'ordre(29); mais si l'on
devine que des hommes trop influents désirent en secret la destruction
du gouvernement révolutionnaire, qu'ils inclinent à l'indulgence plutôt
qu'à la justice; s'ils emploient des agents corrompus, s'ils calomnient
aujourd'hui la seule autorité qui en impose aux ennemis de la liberté,
et se rétractent le lendemain pour intriguer de nouveau; si, au lieu de
rendre la liberté aux patriotes, ils la rendent indistinctement aux
cultivateurs, alors tous les intrigants se liguent pour calomnier les
patriotes, et les oppriment (30). C'est à toutes ces causes qu'il faut
imputer les abus, et non au gouvernement révolutionnaire; car il n'y en
a pas un qui ne fût insupportable aux mêmes conditions.
Le gouvernement révolutionnaire a sauvé la patrie; il faut le sauver
lui-même de tous les écueils: ce serait mal conclure de croire qu'il
faut le détruire, par cela seul que les ennemis du bien public l'ont
d'abord paralysé, et s'efforcent maintenant de le corrompre. C'est une
étrange manière de protéger les patriotes, de mettre en liberté les
contre-révolutionnaires et de faire triompher les fripons! c'est la
terreur du crime qui fait la sécurité de l'innocence.
Au reste, je suis loin d'imputer les abus à la majorité de ceux à qui
vous avez donné votre confiance; la majorité est elle-même paralysée et
trahie; l'intrigue et l'étranger triomphent. On se cache, on dissimule,
on trompe: donc on conspire. On était audacieux; on méditait un grand
acte d'oppression; on s'entourait de la force pour comprimer l'opinion
publique après l'avoir irritée (31); on cherche à séduire des
fonctionnaires publics dont on redoute la fidélité; on persécute les
amis de la liberté: on conspire donc. On devient tout à coup souple et
même flatteur; on sème sourdement des insinuations dangereuses contre
Paris; on cherche à endormir l'opinion publique; on calomnie le peuple;
on érige en crime la sollicitude civique; on ne renvoie point les
déserteurs, les prisonniers ennemis, les contre-révolutionnaires de
toute espèce qui se rassemblent à Paris, et on éloigne les canonniers;
on désarme les citoyens; on intrigue dans l'armée; on cherche à
s'emparer de tout: donc on conspire. Ces jours derniers, on chercha à
vous donner le change sur la conspiration; aujourd'hui on la nie: c'est
même un crime d'y croire; on vous effraie, on vous rassure tour à tour:
la véritable conspiration, la voilà.
La contre-révolution est dans l'administration des finances.
Elle porte toute sur un système d'innovation contre-révolutionnaire,
déguisée sous le dehors du patriotisme. Elle a pour but de fomenter
l'agiotage, d'ébranler le crédit public en déshonorant la loyauté
française, de favoriser les riches créanciers, de ruiner et de
désespérer les pauvres, de multiplier les mécontents, de dépouiller le
peuple des biens nationaux, et d'amener insensiblement la ruine de la
fortune publique.
Quels sont les administrateurs suprêmes de nos finances? Des
Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus: ce
sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel; ce sont les compagnons et les
successeurs de Chabot, de Fabre, et de Julien (de Toulouse).
Pour pallier leurs pernicieux desseins, il se sont avisés, dans les
derniers temps, de prendre l'attache du comité de salut public, parce
qu'on ne doutait pas que ce comité, distrait par tant et de si grands
travaux, adopterait de confiance, comme il est arrivé quelquefois, tous
les projets de Cambon. C'est un nouveau stratagème imaginé pour
multiplier les ennemis du comité, dont la perte est le principal but de
toutes les conspirations.
La trésorerie nationale, dirigée par un contre-révolutionnaire
hypocrite, nommé L'Hermina, seconde parfaitement leurs vues par le plan
qu'elle a adopté, de mettre des entraves à toutes les dépenses
urgentes, sous le prétexte d'un attachement scrupuleux aux formes, de
ne payer personne, excepté les aristocrates, et de vexer les citoyens
malaisés par des refus, par des retards, et souvent par des
provocations odieuses.
La contre-révolution est dans toutes les parties de l'économie
politique. Les conspirateurs nous ont précipités, malgré nous, dans des
mesures violentes, que leurs crimes seuls ont rendues nécessaires, et
réduit la République à la plus affreuse disette, et qui l'aurait
affamée, sans le concours des événements les plus inattendus. Ce
système était l'ouvrage de l'étranger, qui l'a proposé par l'organe
vénal des Chabot, des l'Huilier, des Hébert et tant d'autres scélérats:
il faut tous les efforts du génie pour ramener la République à un
régime naturel et doux qui seul peut entretenir l'abondance; et cet
ouvrage n'est pas encore commencé.
On se rappelle tous les crimes prodigués pour réaliser le pacte de
famine enfanté par le génie infernal de l'Angleterre. Pour nous
arracher à ce fléau, il a fallu deux miracles également inespérés: le
premier est la rentrée de notre convoi vendu à l'Angleterre avant son
départ de l'Amérique, et sur lequel le cabinet de Londres comptait, et
la récolte abondante et prématurée que la nature nous a présentée;
l'autre est la patience sublime du peuple qui a souffert la faim même,
pour conserver sa liberté. Il nous reste encore à surmonter le défaut
de bras, de voitures, de chevaux, qui est un obstacle à la moisson et à
la culture des terres, et toutes les manoeuvres tramées, l'année
dernière, par nos ennemis, et qu'ils ne manqueront pas de renouveler.
Les contre-révolutionnaires sont accourus ici pour se joindre à leurs
complices et défendre leurs patrons, à force d'intrigues et de crimes.
Ils comptent sur les contre-révolutionnaires détenus, sur les gens de
la Vendée et sur les déserteurs et prisonniers ennemis, qui, selon tous
les avis, s'échappent depuis quelque temps en foule pour se rendre à
Paris, comme je l'ai déjà dénoncé inutilement plusieurs fois au comité
de salut public; enfin sur l'aristocratie, qui conspire en secret
autour de nous. On excitera dans la Convention nationale de violentes
discussions; les traîtres, cachés jusqu'ici sous des dehors hypocrites,
jetteront le masque; les conspirateurs accuseront leurs accusateurs, et
prodigueront tous les stratagèmes jadis mis en usage par Brissot, pour
étouffer la voix de la vérité. S'ils ne peuvent maîtriser la Convention
par ce moyen, ils la diviseront en deux partis; et un vaste champ est
ouvert à la calomnie et à l'intrigue. S'ils la maîtrisent un moment,
ils accuseront de despotisme et de résistance à l'autorité nationale
ceux qui combattront avec énergie leur ligue criminelle; les cris de
l'innocence opprimée, les accents mâles de la liberté outragée seront
dénoncés comme les indices d'une influence dangereuse ou d'une ambition
personnelle. Vous croirez être retournés sous le couteau des anciens
conspirateurs; le Peuple s'indignera; on l'appellera une faction; la
faction criminelle continuera de l'exaspérer; elle cherchera à diviser
la Convention nationale du Peuple; enfin, à force d'attentats, on
espère parvenir à des troubles dans lesquels les conjurés feront
intervenir l'aristocratie et tous leurs complices, pour égorger les
patriotes et rétablir la tyrannie. Voilà une partie du plan de la
conspiration. Et à qui faut-il imputer ces maux? A nous-mêmes, à notre
lâche faiblesse pour le crime, et à notre coupable abandon des
principes proclamés par nous-mêmes. Ne nous y trompons pas: fonder une
immense république sur les bases de la raison et de l'égalité;
resserrer par un lien vigoureux toutes les parties de cet empire
immense, n'est pas une entreprise que la légèreté puisse consommer;
c'est le chef-d'oeuvre de la vertu et de la raison humaine. Toutes les
factions naissent en foule du sein d'une grande révolution. Comment les
réprimer, si vous ne soumettez sans cesse toutes les passions à la
justice? Vous n'avez pas d'autre garant de la liberté, que
l'observation rigoureuse des principes et de la morale universelle, que
vous avez proclamés. Si la raison ne règne pas, il faut que le crime et
l'ambition règnent; sans elle, la victoire n'est qu'un moyen d'ambition
et un danger pour la liberté même; un prétexte fatal dont l'intrigue
abuse pour endormir le patriotisme sur les bords du précipice; sans
elle, qu'importe la victoire même? La victoire ne fait qu'armer
l'ambition, endormir le patriotisme, éveiller l'orgueil et creuser de
ses mains brillantes le tombeau de la République. Qu'importe que nos
armées chassent devant elles les satellites armés des rois, si nous
reculons devant les vices destructeurs de la liberté publique? Que nous
importe de vaincre les rois, si nous sommes vaincus par les vices qui
amènent la tyrannie? Or, qu'avons-nous fait depuis quelque temps contre
eux? Nous avons proclamé de grands prix.
Que n'a-t-on pas fait pour les protéger parmi nous? Qu'avons-nous fait
depuis quelque temps pour les détruire? Rien, car ils lèvent une tête
insolente, et menacent impunément la vertu; rien, car le gouvernement a
reculé devant les factions, et elles trouvent des protecteurs parmi les
dépositaires de l'autorité publique: attendons-nous donc à tous les
maux, puisque nous leur abandonnons l'empire. Dans la carrière où nous
sommes, s'arrêter avant le terme, c'est périr; et nous avons
honteusement rétrogradé. Vous avez ordonné la punition de quelques
scélérats, auteurs de tous nos maux; ils osent résister à la justice
nationale, et on leur sacrifie les destinées de la patrie et de
l'humanité. Attendons-nous donc à tous les fléaux que peuvent entraîner
les factions qui s'agitent impunément. Au milieu de tant de passions
ardentes, et dans un si vaste empire, les tyrans dont je vois les
armées fugitives, mais non enveloppées, mais non exterminées, se
retirent pour vous laisser en proie à vos dissensions intestines qu'ils
allument eux-mêmes, et à une armée d'agents criminels que vous ne savez
pas même apercevoir. Laissez flotter un moment les rênes de la
révolution, vous verrez le despotisme militaire s'en emparer, et le
chef des factions renverser la représentation nationale avilie. Un
siècle de guerre civile et de calamités désolera notre patrie, et nous
périrons pour n'avoir pas voulu saisir un moment marqué dans l'histoire
des hommes pour fonder la liberté; nous livrons notre patrie à un
siècle de calamités (32), et les malédictions du peuple s'attacheront à
notre mémoire qui devait être chère au genre humain. Nous n'aurons pas
même le mérite d'avoir entrepris de grandes choses par des motifs
vertueux. On nous confondra avec les indignes mandataires du peuple qui
ont déshonoré la représentation nationale, et nous partagerons leurs
forfaits en les laissant impunis. L'immortalité s'ouvrait devant nous:
nous périrons avec ignominie. Les bons citoyens périront; les méchants
périront aussi. Le peuple outragé et victorieux les laisserait-il jouir
en paix du fruit de leurs crimes? Les tyrans eux-mêmes ne
briseraient-ils pas ces vils instruments? Quelle justice avons-nous
faite envers les oppresseurs du peuple? quels sont les patriotes
opprimés par les plus odieux abus de l'autorité nationale qui ont été
vengés? Que dis-je? quels sont tous ceux qui ont pu faire entendre
impunément la voix de l'innocence opprimée? Les coupables n'ont-ils pas
établi cet affreux principe, que dénoncer un représentant infidèle,
c'est conspirer contre la représentation nationale? L'oppresseur répond
aux opprimés par l'incarcération et de nouveaux outrages. Cependant les
départements où ces crimes ont été commis, les ignorent-ils parce que
nous les oublions? et les plaintes que nous repoussons ne
retentissent-elles pas avec plus de force dans les coeurs comprimés des
citoyens malheureux? Il est si facile et si doux d'être juste! pourquoi
nous dévouer à l'opprobre des coupables en les tolérant? Mais quoi! les
abus tolérés n'iront-ils pas en croissant? les coupables impunis ne
voleront-ils pas de crimes en crimes? Voulons-nous partager tant
d'infamie et nous vouer au sort affreux des oppresseurs du peuple?
Quels titres ont-ils pour en opposer même aux plus vils tyrans? Une
faction pardonnerait à une autre faction. Bientôt les scélérats
vengeraient le monde en s'entr'égorgeant eux-mêmes; et s'ils
échappaient à la justice des hommes, ou à leur propre fureur,
échapperaient-ils à la justice éternelle qu'ils ont outragée par le
plus horrible de tous les forfaits?
Pour moi, dont l'existence paraît aux ennemis de mon pays un obstacle à
leurs projets odieux, je consens volontiers à leur en faire le
sacrifice, si leur affreux empire doit durer encore. Eh! qui pourrait
désirer de voir plus longtemps cette horrible succession de traîtres
plus ou moins habiles à cacher leurs âmes hideuses sous un masque de
vertu, jusqu'au moment où leur crime paraît mûr; qui tous laisseront à
la postérité l'embarras de décider lequel des ennemis de ma patrie fut
le plus lâche et le plus atroce.
Si l'on proposait ici de prononcer une amnistie en faveur des députés
perfides, et de mettre les crimes de tout représentant sous la
sauvegarde d'un décret, la rougeur couvrirait le front de chacun de
nous: mais laisser sur la tête des représentants fidèles le devoir de
dénoncer les crimes, et cependant d'un autre côté les livrer à la rage
d'une ligue insolente, s'ils osent le remplir, n'est-ce pas un désordre
encore plus révoltant? c'est plus que protéger le crime, c'est lui
immoler la vertu.
En voyant la multitude des vices que le torrent de la révolution a
roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois
d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces
hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères
de l'humanité; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé
tous les vices; ils ont cru qu'il ne s'agissait plus pour eux que de
partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et
prospère; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés
contre tout ce qui s'oppose à leurs projets, a tracé la ligne de
démarcation entre eux et tous les gens de bien; mais si les Verrès et
les Catilina de la France se croient déjà assez avancés dans la
carrière du crime pour exposer sur la tribune aux harangues la tète de
leur accusateur, j'ai promis aussi naguère de laisser à mes concitoyens
un testament redoutable aux oppresseurs du peuple, et je leur lègue dès
ce moment l'opprobre et la mort. Je conçois qu'il est facile à la ligue
des tyrans du monde d'accabler un seul homme; mais je sais aussi quels
sont les devoirs d'un homme qui peut mourir en défendant la cause du
genre humain. J'ai vu dans l'histoire tous les défenseurs de la liberté
accablés par la fortune ou par la calomnie; mais bientôt après, leurs
oppresseurs et leurs assassins sont morts aussi. Les bons et les
méchants, les tyrans et les amis de la liberté disparaissent de la
terre, mais à des conditions différentes. Français, ne souffrez pas que
vos ennemis cherchent à abaisser vos âmes et à énerver vos vertus par
une funeste doctrine. Non, Chaumette, non Fouché, la mort n'est point
un sommeil éternel. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime impie
qui jette un crêpe funèbre sur la nature et qui insulte à la mort:
gravez-y plutôt celle-ci: La mort est le commencement de
l'immortalité.
Peuple, souviens-toi que si, dans la République, la justice ne règne
pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de
l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom. Peuple, toi
que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise; toi, souverain
reconnu, qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où
la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le
peuple a changé de chaînes et non de destinées.
Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte
contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-même sur tes
propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse, mais te
proscrit en détail dans la personne de tous les bons citoyens.
Rappelle-toi que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton
bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons,
auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique.
Sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre la cause et la morale
publique, sera accablé d'avanies et proscrit par les fripons; sache que
tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une
calomnie; que ceux qui ne pourront être accusés d'avoir trahi, seront
accusés d'ambition; que l'influence de la probité et des principes sera
comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions; que
ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous
tes amis; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris
de sédition, et que n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te
proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à
ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie. Tel est l'empire des
tyrans armés contre nous; telle est l'influence de leur ligue avec tous
les hommes corrompus, toujours portés à les servir. Ainsi donc, les
scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être
appelés dictateurs. Souscrirons-nous à cette loi? Non: défendons le
peuple, au risque d'en être estimé; qu'ils courent à l'échafaud par la
route du crime, et nous par celle de la vertu.
Dirons-nous que tout est bien? continuerons-nous de louer par habitude
ou par pratique ce qui est mal? nous perdrions la patrie.
Révélerons-nous les abus cachés? dénoncerons-nous les traîtres? on nous
dira que nous ébranlons les autorités constituées; que nous voulons
acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous
donc? notre devoir. Que peut-on objecter à celui qui veut dire la
vérité, et qui consent à mourir pour elle? Disons donc qu'il existe une
conspiration contre la liberté publique; qu'elle doit sa force à une
coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention; que
cette coalition a des complices dans le comité de sûreté générale et
dans les bureaux de ce comité qu'ils dominent; que les ennemis de la
République ont opposé ce Comité au comité de salut public, et constitué
ainsi deux gouvernements; que des membres du comité de salut public
entrent dans ce complot; que la coalition ainsi formée cherche à perdre
les patriotes et la patrie. Quel est le remède à ce mal? Punir les
traîtres, renouveler les bureaux du comité de sûreté générale, épurer
ce comité lui-même, et le subordonner au comité de salut public; épurer
le comité de salut public lui-même, constituer l'unité du gouvernement
sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre
et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l'autorité
nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et
de la liberté: tels sont les principes. S'il est impossible de les
réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les
principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non
que je doive le taire: car, que peut-on objecter à un homme qui a
raison, et qui sait mourir pour son pays? Je suis fait pour combattre
le crime, non pour le gouverner. Le temps n'est point arrivé où les
hommes de bien peuvent servir impunément la patrie: les défenseurs de
la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons
dominera.
Notes
(1) Texte rétabli par E. Hamel. Omis dans le texte imprimé.
(2) Texte rétabli par E. Hamel. Texte imprimé: Je me défendrai aussi
moi-même; vous n'en serez point surpris; vous ne ressemblez point aux
tyrans que vous combattez
(3) Deux lignes effacées: Elles ont pris leur source, ou dans
l'ambition, ou dans la lassitude d'une espèce particulière de tyrannie.
(4) Suivent deux pages effacées: Si des ambitions particulières lui ont
donné le branle ou hâté son mouvement, elle n'a dû son origine et sa
direction qu'à l'amour éclairé et profond de la justice et de la
liberté. Ce caractère a déterminé à la fois ses moyens et les attaques
de ses ennemis. Pour atteindre le but des autres, il ne fallait que
courir à la fortune sous les auspices d'une puissance nouvelle: la
nôtre, au contraire, exige le sacrifice des intérêts privés à l'intérêt
général; elle seule impose la vertu. Les autres étaient terminées par
le triomphe d'une faction: la nôtre ne peut l'être que par la victoire
de la justice sur toutes les factions; émanée de la justice, elle ne
peut se reposer que dans son sein; elle a pour ennemis tous les vices.
Les factions sont la coalition des intérêts privés contre le bien
général. Le concert des amis de la liberté, les plaintes des opprimés,
l'ascendant naturel de la raison, la force de l'opinion publique, ne
constituent point une faction; ce n'est que le rappel du pouvoir aux
principes de la liberté, et les effets naturels du développement de
l'esprit public chez un peuple éclairé. Ailleurs, l'ignorance et la
force ont absorbé les révolutions dans un despotisme nouveau: la nôtre,
émanée de la justice, ne peut se reposer que dans son sein; tous les
efforts des intérêts privés contre les droits du peuple ne peuvent
qu'agiter la nation entre deux écueils, les abus de l'ancienne
tyrannie, et les systèmes monstrueux qui dénaturaient l'égalité même,
pour ramener sous son nom la tyrannie. La cause de tous nos maux a été
dans cette lutte perpétuelle des factions contre l'intérêt public.
Celle d'Autriche et celle d'Orléans, toutes deux puissantes, l'une
parce qu'elle régnait au commencement de la révolution, l'autre parce
qu'elle avait puissamment contribué à la préparer pour régner à son
tour, ont arrêté jusqu'ici les destinées de la République. Ajoutez à
cela les intrigues de l'Angleterre coalisée avec la faction d'Orléans,
et l'influence des cours étrangères, et vous vous ferez quelque idée
des germes de discorde, de corruption et de dissolution, que les
ennemis de la liberté ont jetés au milieu de nous. La faction d'Orléans
surtout avait acquis une influence d'autant plus grande, qu'elle avait
arboré la première l'étendard du patriotisme pour renverser la cour, et
que ses partisans, cachés sous ce masque, avaient usurpé la confiance
des patriotes, et s'étaient introduits dans toutes les fonctions
publiques.
(5) Lignes raturées: Chaque crise nouvelle, excitée par leurs intrigues
ténébreuses, ne fit que les forcer à adapter leurs moyens de nuire aux
circonstances nouvelles el à décrire un nouveau circuit pour arriver au
même but. Voulez-vous savoir si les factions existent encore?
demandez-vous si cette multitude d'intrigants dangereux, qui naguère
désolaient la République avec autant d'audace que de perfidie, a
disparu du sol de la liberté; demandez-vous si une foule de chefs et
d'agents fameux des factions diverses ne vivent point encore impunis et
même protégés; demandez-vous si le système de contre-révolution,
organisé au milieu de nous pendant plusieurs années par une politique
profonde, a pu être détruit, et quel plan sage est constamment suivi
pour le déraciner; demandez-vous si on a cessé un seul instant
d'entraver, de corrompre ou de calomnier les mesures que le salut
public a commandées; si les patriotes ne sont plus proscrits,
calomniés, les fripons ouvertement protégés, les conspirateurs
défendus, les principes de la morale publique proclamés seulement pour
la forme, éludés dans la pratique, faussés dans l'application, et
tournés contre ceux-là seuls qui les professent de bonne foi:
demandez-vous enfin si les factions ont fait autre chose que nuancer,
suivant les circonstances du moment, leurs principaux moyens de
conspiration, la corruption, la division; et surtout la calomnie.
(6) Lignes raturées: Ils cherchent à détruire la liberté en calomniant
ses défenseurs, c'est-à-dire, les hommes qui veulent fonder l'ordre
social sur les principes de la morale publique et de l'égalité dans le
sens raisonnable attaché à ce mot. Ils savent quel est l'empire des
principes et de la vérité; ils cherchent à détruire son influence sur
le coeur des hommes, en la présentant comme l'influence personnelle de
ceux qui ont le courage de la dire; ils donnent à cette influence le
nom de tyrannie. Ils placent toujours les amis de la patrie entre leur
devoir et la calomnie; ils accusent d'ambition ceux qu'ils ne peuvent
accuser d'aucun crime: s'ils réclament contre l'oppression, on leur
répond par de nouveaux outrages; s'ils opposent l'énergie des principes
à la persécution, on donne à cette énergie le nom de sédition;
l'impression de l'opinion publique indignée est citée comme la preuve
de leur ambition. Quand on en est arrivera ce point, la liberté est
perdue.
(7) Lignes raturées: Naguère on accusait le comité de salut public de
vouloir usurper l'autorité de la Convention; on l'accusait de vouloir
anéantir la représentation nationale: rappelez-vous quels moyens
odieux, quels lâches artifices furent épuisés pour accréditer cette
funeste idée.
(8) Lignes raturées: Vous pourriez nous le dire, vous tous, hommes
probes, à qui on a fait la proposition formelle de vous liguer contre
le comité de salut public.
(9) Lignes raturées: Etait-ce ceux dont la conscience était paisible?
Etait-ce les hommes dont la France estime le plus la probité, la
franchise et le dévouement? Quels crimes faisaient jadis les conjurés
que vous avez frappés? Ils s'agitaient, ils calomniaient, ils
caressaient bassement tous leurs collègues en qui ils ne voyaient déjà
plus que des juges; ils prophétisaient eux-mêmes leur punition, et
faisaient retentir les voûtes sacrées de leurs sinistres prédictions.
(10) Lignes raturées: Il est bon de remarquer que, depuis leur
punition, les comités qui les ont dénoncés, loin d'être agresseurs, ont
toujours été sur la défensive. Depuis quand est-ce donc la punition du
crime qui épouvante la vertu? Est-ce attenter à la représentation
nationale, que de lui nommer les ennemis de la patrie et les siens?
(11) Lignes raturées: Je les imputerai à ces personnages dangereux, et
même à d'autres fripons qui, en combattant quelquefois contre eux avec
les ennemis de la liberté, rendaient quelquefois la bonne cause
douteuse aux yeux des hommes moins placés dans un point de vue
avantageux pour la discerner. — (Les tirades suivantes, jusqu'à ces
mots inclusivement, la corruption qu'ils avaient établie, sont
extraites d'un livret de Robespierre, écrit au crayon, et qui n'ont pas
été lues à la tribune; nous avons cru devoir les adapter à cet endroit
de lignes raturées.) — J'en accuse la faiblesse humaine et ce fatal
ascendant de l'intrigue contre la vérité, lorsqu'elle plaide contre
elle dans les ténèbres et au tribunal de l'amour-propre; j'en accuse
des hommes pervers que je démasquerai; j'en accuse une horde de fripons
qui ont usurpé une confiance funeste, sous le nom de commis du comité
de sûreté générale. Les commis de sûreté générale sont une puissance et
une puissance supérieure, par ses funestes influences, au comité même.
Je les ai dénoncés depuis longtemps au comité de salut public et à
celui qui les emploie, qui est convenu du mal, sans oser y appliquer le
remède: je les dénonce aujourd'hui à la Convention, ces funestes
artisans de discorde, qui trahissent à la fois le comité qui les
emploie, et la patrie; qui déshonorent la révolution, compromettent la
gloire de la Convention nationale; protecteurs impudents du crime et
oppresseurs hypocrites de la vertu. C'est en vain qu'on voudrait
environner des fripons d'un prestige religieux; je ne partage pas cette
superstition, et je veux briser les ressorts d'une surveillance
corrompue qui va contre son but, pour la rattacher à des principes purs
et salutaires. J'ai un double titre pour oser remplir ce devoir,
puisqu'il faut aujourd'hui de l'audace pour attaquer des scélérats
subalternes, l'intérêt de la patrie et mon propre honneur. Ce sont ces
hommes qui réalisent cet affreux système de calomnier et de poursuivre
tous les patriotes suspects de probité, en même temps qu'ils protègent
leurs pareils et qu'ils justifient leurs crimes par ce mot, qui est le
cri de ralliement de tous les ennemis de la patrie, c'est Robespierre
qui l'a ordonné. C'était aussi le langage de tous les complices
d'Hébert, dont je demande en vain la punition. Et qu'importe, comme on
l'a dit, qu'ils aient quelquefois dénoncé et arrêté des aristocrates
prononcés, s'ils vendent aux autres l'impunité, et s'ils se font de ces
services faciles un titre pour trahir et pour opprimer? Que m'importe
qu'ils poursuivent l'aristocratie, s'ils assassinent le patriotisme et
la vertu, afin qu'il ne reste plus sur la terre que des fripons et
leurs protecteurs? Que dis-je? les fripons ne sont-ils pas une espèce
d'aristocratie? Tout aristocrate est corrompu, et tout homme corrompu
est aristocrate: mais cherchez sous ce masque du patriotisme; vous y
trouverez des nobles, des émigrés, peut-être des hommes qui, après
avoir professé ouvertement le royalisme pendant plusieurs années, se
sont fait attacher au comité de sûreté générale, comme jadis les
prostituées à l'Opéra, pour exercer leur métier impunément, et se
venger patriotiquement sur les patriotes de la puissance et des succès
de la République. Amar et Jagot, s'étant emparés de la police, ont plus
d'influence seuls que tous les membres du comité de sûreté générale;
leur puissance s'appuie encore sur cette armée de commis dont ils sont
les patrons et les généraux. Ce sont eux qui sont les principaux
artisans du système de division et de calomnie; il existe une
correspondance d'intrigues entre eux et certains membres du comité de
salut public, et les autres ennemis du gouvernement républicain ou de
la morale publique, car c'est la même chose; aussi ceux qui nous font
la guerre sont-ils les apôtres de l'athéisme et de l'immoralité. Une
circonstance remarquable et décisive, c'est que les persécutions ont
été renouvelées avec une nouvelle chaleur après la célébration de la
fête à l'Etre suprême. Nos ennemis ont senti la nécessité de réparer
cette défaite décisive à force de crimes, et de ressusciter, à quelque
prix que ce fût, la corruption qu'ils avaient établie.
(12) Texte d'E. Hamel. Texte imprimé: de toutes les tyrannies
(13) Texte d'E. Hamel. Texte imprimé : de leur conspiration
(14) Lignes raturées: Quant à l'existence de la divinité, ils en
fournissent eux-mêmes un argument irrésistible; ce sont leurs propres
crimes.
(15) Lignes raturées: Que suis-je? Un esclave de la patrie, un martyr
vivant de la République, la victime et le fléau du crime. Tous les
fripons m'outragent; les actions les plus indifférentes et les plus
légitimes sont pour moi des crimes. Il suffit de me connaître pour être
calomnié: on pardonne aux autres leurs forfaits, on me fait un crime de
mon zèle pour la patrie. Otez-moi ma conscience, je serais le plus
malheureux de tous les hommes.
(16) Lignes raturées: Sans elle, quel obstacle s'opposerait au triomphe
de l'imposture et de l'intrigue?
(17) Lignes raturées: Plus le peuple est éclairé et juste, plus la
justice et les principes ont d'empire sur lui, et plus ceux qui les
défendent obtiennent cette sorte de confiance attachée à la probité;
ceux qui s'indignent de cette confiance, veulent la donner.
(18) Lignes raturées: La liberté publique est violée, quand les ennemis
du peuple français peuvent réduire ses représentants à l'impuissance de
défendre ses intérêts; or, je déclare en votre présence que je me suis
vu réduit à celte impuissance; je déclare que je me suis cru forcé
depuis quelque temps à abandonner les fonctions que la Convention
nationale m'avait confiées. Je demande que chacun de mes collègues se
rende compte à lui-même de la manière dont il serait affecté si le
gouvernement se liguait avec tous les ennemis de la révolution, pour le
rendre seul responsable de tous les crimes et de toutes les erreurs qui
se commentent dans la République, et de tous les maux qui affligent les
individus.
(19) Lignes raturées: Je ne suis point assez éclairé sur les manoeuvres
ténébreuses, pour affirmer si cette nouvelle est vraie ou fausse; mais,
si elle n'était pas dénuée de fondement, j'aurais droit d'en conclure
que la probité de la majorité de la Convention nationale a repoussé,
etc.
(20) Lignes raturées: Quel homme n'a pas été pénétré du charme touchant
qu'il portait dans tous les coeurs? Quel est le représentant du peuple
qui, dans ce moment, n'a pas cru recueillir la plus douce récompense de
son dévouement à la patrie? Quiconque aurait vu ce spectacle avec des
yeux secs ou avec une âme indifférente, est un monstre. Le silence du
sentiment imprimait plus éloquemment que les discours les émotions
douces et profondes dont les coeurs étaient remplis, et ce cri échappait
de tous les coeurs: que quiconque avait vu ce grand spectacle pouvait
quitter la vie sans regret.
(21) Lignes raturées: A considérer la nature de leur colère, les moyens
et l'objet de la ligue, on eût cru voir les pygmées renouveler la
conspiration des Titans. C'est depuis cette époque que les manoeuvres
dont j'ai parlé se sont développées. Si le trait dont j'ai à parler
n'était pas propre à répandre la plus vive lumière sur les vues de la
coalition, je me garderais bien de rappeler certains faits scandaleux
arrivés au sein même de la fête de l'Etre suprême; car un sentiment
impérieux de pudeur ne me permettrait pas d'avouer que des
représentants du peuple ont répondu par les cris de la fureur aux
touchantes acclamations du peuple; que le président de la Convention
nationale, parlant au peuple, fut insulté par des injures grossières et
les grossiers sarcasmes de quelques autres, et les courses de ceux qui,
cherchant des crimes à celui qu'ils voulaient perdre, dans les signes
de l'allégresse publique, allaient répandre le poison de la terreur et
les soupçons, en disant: Voyez-vous comme on l'applaudit? On n'oublia
rien pour effacer les impressions salutaires qu'avait produites la fête
de l'Etre suprême. La première tentative fut le rapport de Vadier,
rapport où une conspiration politique, profonde, a été déguisée sous le
récit d'une farce mystique et sous des plaisanteries assez déplacées.
(22) Lignes raturées: Enfin, de multiplier les chances des assassins,
en réveillant le fanatisme, tandis que l'on détournait l'attention
publique des véritables conspirateurs qui conduisaient eux-mêmes toute
cette trame.
(23) Lignes raturées: L'affectation insolente avec laquelle
l'aristocratie cherchait à précipiter le jugement de ce procès, et à en
faire l'objet d'un scandale public ou d'une comédie ridicule, eût suffi
seule pour dévoiler ce projet; mais il est encore prouvé par les faits
les plus positifs et les plus multipliés. Cependant l'agent national de
la commune, pour avoir fait arrêter, d'après le voeu du comité de salut
public, quelques agents de ces manoeuvres, a été réprimandé et menacé
par le comité de sûreté générale. Ce dernier comité a encore dénoncé
l'accusateur public, pour avoir remis les pièces de cette affaire au
comité de salut public, qui avait senti la nécessité de l'approfondir
avec plus de sagacité. On a voulu surtout dans ces derniers temps
multiplier les mécontents, et toujours les vexations ont été déguisées
sous le prétexte du bien public; les persécutions suscitées au peuple,
sous le prétexte du fanatisme; les apôtres de l'athéisme et de
l'immoralité étaient sans doute le plus fécond et le plus sûr moyen de
parvenir à ce but.
(24) Lignes raturées: On incarcérait, on persécutait les patriotes; on
prodiguait les attentats, pour en accuser le comité de salut public.
Ceux qui déclament contre le gouvernement, et ceux qui commettent les
excès qu'on lui impute, sont les mêmes hommes. La conjuration contre le
gouvernement a commencé au moment de sa naissance, et elle continue
actuellement avec une nouvelle activité. Les conjurés l'avaient d'abord
attaqué collectivement; ils le poursuivent maintenant en détail dans
les membres qui le composent, et ils appellent sur une seule tête cette
masse de mécontentement et de haine qu'ils s'efforcent de grossir, pour
en écraser ensuite tous les autres. Qui peut leur contester qu'il y a
de l'habileté dans cette tactique? Ils savent qu'il est plus facile de
perdre un homme que de détruire une puissance, et ils croient bien plus
à l'empire des petites passions qu'à celui de la raison et des
sentiments généreux. On disait, il y a peu de jours dans les prisons,
il est temps de se montrer, le comité de sûreté générale s'est déclaré
contre le comité de salut public; on le disait dans la nuit même où se
passa la fameuse séance des deux Comités, dont j'ai rendu compte, et il
fallait des précautions actives et extraordinaires pour maintenir
l'ordre. On arrêta, peu de jours auparavant, des colporteurs de
journaux qui criaient à perte d'haleine: Grande arrestation de
Robespierre; on répandait le bruit que Saint-Just était noble et qu'il
voulait sauver les nobles; on répandait en même temps que je voulais
les proscrire. Des fripons, apostés au lieu où les conspirateurs
expient leurs forfaits, cherchaient à apitoyer le peuple, et disaient:
C'est Robespierre qui égorge ces innocents. C'était le cri de
ralliement des contre-révolutionnaires détenus; c'était celui de tous
mes ennemis, qui me renvoyaient les plaintes de tous les citoyens,
comme à l'arbitre de toutes les destinées. C'était le moment où on
attaquait le tribunal révolutionnaire, où on m'identifiait avec cette
institution et avec tout le gouvernement révolutionnaire; c'était le
temps où le comité de sûreté générale prêtait lui-même son nom et son
appui à toutes ces manoeuvres: des libelles insidieux, de véritables
manifestes étaient prêts d'éclore; on devait invoquer la déclaration
des droits, demander l'exécution actuelle et littérale de la
constitution, la liberté indéfinie de la presse, l'anéantissement da
tribunal révolutionnaire et la liberté des détenus.
(25) Lignes raturées: S'il existe dans le monde une espèce de tyrannie,
n'est-ce pas celle dont je suis la victime?
(26) Lignes raturées: Qu'ils me préparent la ciguë, je l'attendrai sur
ces sièges sacrés; je léguerai du moins à ma patrie l'exemple d'un
constant amour pour elle, et aux ennemis de l'humanité l'opprobre et la
mort.
(27) Ligne raturée: Avec des récits moins pompeux, elles paraîtraient
plus grandes.
(28) Ligne raturée: Ce sont ces institutions qui nous manquent encore.
(29) Lignes raturées: Tout marchera vers le véritable but des
institutions révolutionnaires; et la terreur imprimée au crime sera la
meilleure garantie de l'innocence.
(30) Lignes raturées: C'est une mauvaise manière de protéger les
patriotes, de donner la liberté aux coupables; car la terreur des
criminels de la révolution est la meilleure garantie de l'innocence.
(31) Ligne raturée: On calomniait d'avance l'indignation publique qu'on
se préparait à exciter.
(32) Lignes raturées: Et notre mémoire, qui devait être chère au monde,
sera l'objet des malédictions du genre humain.