Dominique
«Mon pauvre ami! me dit-elle; il fallait en venir là. Si vous saviez combien je vous aime! Je ne vous l'aurais pas dit hier; aujourd'hui cela peut s'avouer, puisque c'est le mot défendu qui nous sépare.»
Elle, exténuée tout à l'heure, elle avait retrouvé par miracle je ne sais quelle ressource de vertu qui la raffermissait à mesure. Je n'en avais plus aucune.
Elle ajouta, je crois, une ou deux paroles que je n'entendis pas; puis elle s'éloigna doucement comme une vision qui s'évanouit, et je ne la revis plus, ni ce soir-là, ni le lendemain, ni jamais.
Je partis au lever du jour sans voir personne. J'évitai de traverser Paris, et je me fis conduire directement à la maison d'extrême banlieue qu'habitait Augustin. C'était un dimanche; il était chez lui.
Au premier coup d'œil, il comprit qu'un malheur m'était arrivé. D'abord, il crut que madame de Nièvres était morte, parce que, dans sa parfaite honnêteté d'homme et de mari, il n'imaginait pas de malheur plus grand. Quand je lui eus fait connaître le véritable accident qui me réduisait à l'un de ces veuvages qu'on n'avoue pas:
«J'ignore ces chagrins-là, me dit-il; mais je vous plains de toute mon âme.»
Et je ne doutais pas qu'il ne me plaignît en effet du fond du cœur, pour peu qu'il raisonnât d'après les pires désastres qu'il pouvait envisager dans l'avenir incertain de sa propre vie.
Il travaillait quand je le surpris. Sa femme était auprès de lui, et elle avait sur ses genoux un petit enfant de six mois qui leur était né pendant mon exil. Ils étaient heureux. Leur situation prospérait, je pus m'en apercevoir à des signes de relative opulence. Ils me donnèrent à coucher. La nuit fut effroyable; une tempête de fin d'automne régna sans discontinuité depuis le soir jusqu'après le soleil levé. Je ne fis pas autre chose, dans le morne bercement de ce long murmure de vent et de pluie, que de penser au tumulte que le vent devait produire autour de la chambre et du sommeil de Madeleine, si Madeleine dormait. Ma force de réfléchir n'allait pas au delà de cette sensation puérile et toute physique. L'orage étant dissipé, Augustin m'obligea de sortir dès le matin. Il avait une heure à lui avant de se rendre à Paris. Il me conduisit dans les bois, ravagés par le vent de la nuit; l'eau courait encore dans les sentiers plongeants, et roulait les dernières feuilles de l'année.
Nous marchâmes longtemps ainsi, avant que j'eusse pu recueillir l'ombre d'une idée lucide parmi les déterminations urgentes qui m'avaient amené chez Augustin. Je me rappelai enfin que j'avais des adieux à lui faire. Il crut d'abord que c'était un parti désespéré, pris seulement depuis la veille, et qui ne tiendrait pas contre de sages réflexions; puis, quand il vit que ma résolution datait de plus loin, qu'elle était le résultat d'examens sans réplique, et que tôt ou tard elle se serait accomplie, il ne discuta ni l'opinion que j'avais de moi-même, ni le jugement que je portais sur mon temps; il me dit seulement:
«Je pense et je raisonne à peu près comme vous. Je me sens peu de chose, et ne me crois pas non plus de beaucoup inférieur au plus grand nombre; seulement, je n'ai pas le droit que vous avez d'être conséquent jusqu'au bout. Vous désertez modestement; moi je reste, non par forfanterie, mais par nécessité, et d'abord par devoir.
—Je suis bien las, lui dis-je, et de toutes les manières j'ai besoin de repos.»
Nous nous séparâmes à Paris en nous disant: Au revoir! comme on fait d'ordinaire quand il en coûterait trop de se dire adieu, mais sans prévoir le lieu ni l'époque où nous pourrions nous retrouver. J'avais de courtes affaires à régler dont je chargeai mon domestique. J'allai seulement prendre congé d'Olivier. Il se disposait à quitter la France. Il ne me questionna pas sur mon séjour à Nièvres: en m'apercevant, il avait deviné que tout était fini.
Je n'avais plus à lui parler de Julie, il n'avait plus à me parler de Madeleine. Les liens qui nous avaient unis depuis plus de dix années venaient de se rompre à la fois, au moins pour longtemps.
«Tâche d'être heureux», me dit-il, comme s'il n'y comptait pas plus pour moi que pour lui-même.
Trois jours après mon départ de Nièvres, j'étais à Ormesson. J'y passai la nuit seulement auprès de madame Ceyssac, que mon retour éclaira sur bien des choses, et qui me donna à entendre qu'elle avait souvent déploré mes erreurs dans sa tendre pitié de femme pieuse et de demi-mère. Le lendemain, sans prendre une heure de véritable repos, dans cette course lamentable qui me ramenait au gîte comme un animal blessé qui perd du sang et ne veut pas défaillir en route, le lendemain soir, à la nuit tombée, j'arrivais en vue de Villeneuve. Je mis pied à terre aux abords du village; la voiture continua de suivre la route pendant que je prenais un chemin de traverse qui me conduisait chez moi par le marais.
Il y avait quatre jours et quatre nuits qu'une douleur fixe me bridait le cœur et me tenait les yeux aussi secs que si je n'eusse jamais pleuré. Au premier pas que je fis sur le chemin des Trembles, il y eut en moi un tressaillement de souvenirs qui rendit la douleur plus cuisante et cependant un peu moins tendue.
Il faisait très froid. La terre était dure, la nuit presque complète, au point que la ligne des côtes et la mer ne formaient plus qu'un horizon compact et tout noir. Un reste de rougeur s'éteignait à la base du ciel et blêmissait de minute en minute. Un chariot passait au loin près de la falaise; on l'entendait cahoter et crier sur le pavé gelé. L'eau des marais était prise; par endroits seulement, de larges carrés d'eau douce, qui ne gelaient point, continuaient de se mouvoir doucement, et demeuraient blanchâtres. Six heures sonnèrent au clocher de Villeneuve. Le silence et l'obscurité devenaient si grands, qu'on aurait cru qu'il était minuit. Je marchais sur les levées, et je ne sais comment je me rappelai qu'à cet endroit-là même autrefois, dans de froides nuits pareilles, j'avais chassé des canards. J'entendais au-dessus de ma tête le susurrement rapide et singulier que font ces oiseaux en volant très vite. Un coup de fusil retentit. Je vis la lueur de la poudre, et l'explosion m'arrêta court. Un chasseur sortit de sa cachette, descendit vers la mare et se mit à y piétiner; un autre lui parla. Dans cet échange de paroles brèves dites assez bas, mais que la nuit rendait très distinctes, je saisis comme un son de voix qui me frappa.
«André!» criai-je.
Il y eut un silence, après quoi je répétai de nouveau: «André!
—Quoi?» dit une voix qui ne me laissa plus aucun doute.
André fit quelques pas à ma rencontre. Je le distinguais assez mal, quoiqu'il dépassât de toute la taille la levée obscure. Il avançait lentement, un peu à tâtons, sur ce chemin foulé par des pas d'animaux; il répétait: «Qui est là? qui m'appelle?» avec un émoi croissant, et comme s'il hésitait de moins en moins à reconnaître celui qui l'appelait et qu'il croyait si loin.
«André! lui dis-je une troisième fois, quand il n'eut plus qu'un ou deux pas à faire.
—Comment? quoi?... Ah! monsieur! monsieur Dominique! dit-il en laissant tomber son fusil.
—Oui, c'est moi, c'est bien moi, mon vieux André!...»
Je me jetai dans les bras de mon vieux domestique. Mon cœur, à la fin de ces contraintes, éclata de lui-même et se fondit librement en sanglots.
XVIII
DOMINIQUE avait achevé son récit. Il s'arrêta sur ces dernières paroles dites avec la voix précipitée d'un homme qui se hâte et cette expression de pudeur attristée qui suit ordinairement des épanchements trop intimes. Ce que de pareilles confidences avaient dû coûter à une conscience ombrageuse et si longtemps fermée, je le devinais, et je le remerciai d'un geste attendri auquel il ne répondit que par un mouvement de tête. Il avait ouvert la lettre d'Olivier, dont l'adieu funèbre présidait pour ainsi dire à ce récit, et se tenait debout, les yeux tournés vers la fenêtre où s'encadrait un tranquille horizon de plaine et d'eau. Il demeura ainsi quelque temps dans un silence embarrassé que je ne voulus pas rompre. Il était pâle. Sa physionomie, légèrement altérée par la fatigue ou rajeunie par les lueurs passionnées d'une autre époque, reprenait peu à peu son âge, ses flétrissures et son caractère de grande sérénité. Le jour baissait à mesure que la paix des souvenirs s'établissait aussi sur son visage. L'ombre envahissait l'intérieur poudreux et étouffé de la petite chambre où se terminait cette longue série d'évocations dont plus d'une avait été douloureuse. Des inscriptions des murailles, on ne distinguait presque plus rien. L'image extérieure et l'image intérieure pâlissaient donc en même temps, comme si tout ce passé ressuscité par hasard rentrait à la même minute, et pour n'en plus sortir, dans le vague effacement du soir et de l'oubli.
Des voix de laboureurs qui longeaient les murs du parc nous tirèrent l'un et l'autre d'un embarras réel, celui de nous taire ou de reprendre un entretien brisé.
«Voici l'heure de descendre», dit Dominique; et je le suivis jusqu'à la ferme, où tous les soirs, à pareille heure, il avait quelques soins de surveillance à remplir.
Les bœufs rentraient du labour, et c'était le moment où la ferme s'animait. Accouplés par deux ou trois paires,—car à cause de la lourdeur des terres mouillées on avait dû tripler les attelages,—ils arrivaient traînant leur timon, le mufle soufflant, les cornes basses, les flancs émus, avec de la boue jusqu'au ventre. Les animaux de rechange qui n'avaient pas travaillé ce jour-là mugissaient au fond de l'étable en entendant revenir leurs actifs compagnons. Ailleurs, c'étaient les troupeaux déjà renfermés qui s'agitaient dans la bergerie; et des chevaux piétinaient et hennissaient, parce qu'on remuait du fourrage au-dessus de leurs mangeoires.
Les gens de service vinrent se ranger autour du maître, tête nue, avec des gestes un peu las. Dominique s'enquit minutieusement si des instruments de labour d'un emploi nouveau avaient produit les résultats qu'il en attendait; puis il donna ses ordres pour le lendemain; il les multiplia surtout au sujet des semailles; et je compris que toute la semence dont il indiquait ainsi la distribution n'était pas destinée à ses propres terres; il y avait là beaucoup de prêts sans doute, des avances faites ou des aumônes.
Ces précautions prises, il me ramena sur la terrasse. Le temps s'était éclairci. La saison, alternée de soleil, de tiédeur et de pluie, et remarquablement douce, quoique nous eussions passé la mi-novembre, était bien faite pour mettre en joie tout esprit foncièrement campagnard. La journée, si maussade à midi, s'achevait par une soirée d'or. Les enfants jouaient dans le parc, pendant que madame de Bray allait et venait dans l'allée qui conduisait au bois, surveillant leurs jeux à petite distance. Ils se poursuivaient, à travers les fourrés, avec des cris imités de bêtes chimériques, et les plus propres à les effrayer. Des merles, les derniers oiseaux qui se fassent entendre à cette heure tardive, leur répondaient par ce sifflement bizarre et saccadé pareil à de tumultueux éclats de rire. Un reste de jour éclairait paisiblement la longue tonnelle; les pampres déjà clair-semés formaient sur le ciel très pâle autant de découpures aiguës, et des rats pillards qui rôdaient le long des poutrelles égrenaient avec précaution les quelques raisins flétris qui restaient aux vignes. Ce calme déclin d'une journée soucieuse menant à des lendemains plus sereins, l'assurance du ciel qui s'embellissait, ces joies d'enfants pour animer le vieux parc à demi dépouillé; la mère confiante, heureuse, servant de lien affectueux entre le père et les enfants; celui-ci grave, songeur, mais raffermi, parcourant à petits pas la riche et féconde allée tendue de treilles; cette abondance avec cette paix, cet accomplissement dans le bonheur:—tout cela formait, après notre entretien, une conclusion si noble, si légitime et si évidente, que je pris le bras de Dominique et le serrai plus affectueusement encore que de coutume.
«Oui, me dit-il, mon ami, me voici arrivé. A quel prix? vous le savez; avec quelle certitude? vous en êtes témoin.»
Il y avait dans son esprit un mouvement d'idées qui se continuait; et, comme s'il eût voulu s'expliquer plus clairement sur des résolutions qui se manifestaient d'ailleurs d'elles-mêmes, il reprit encore, lentement et sur un tout autre ton:
«Bien des années se sont passées depuis le jour où je suis rentré au gîte. Si personne n'a oublié les événements que je viens de vous raconter, personne ne semble du moins se les rappeler; le silence que l'éloignement et le temps ont amené pour toujours entre quelques personnages de cette histoire leur a permis de se croire mutuellement pardonnés, réhabilités et heureux. Olivier est le seul, j'aime à le supposer, qui se soit obstiné jusqu'à la dernière heure dans ses systèmes et dans ses soucis. Il avait désigné, vous vous en souvenez, l'ennemi mortel qu'il redoutait plus que tous les autres; on peut dire qu'il a succombé dans un duel avec l'ennui.
—Et Augustin? lui demandai-je.
—Celui-ci est le seul survivant de mes vieilles amitiés. Il est au bout de sa tâche. Il y est arrivé en droite ligne, comme un rude marcheur au but d'un difficile et long voyage. Ce n'est point un grand homme, c'est une grande volonté. Il est aujourd'hui le point de mire de beaucoup de nos contemporains, chose rare qu'une pareille honnêteté parvenant assez haut pour donner aux braves gens l'envie de l'imiter.
—Pour moi, reprit M. de Bray, j'ai suivi très tard, avec moins de mérite, moins de courage, avec autant de bonheur, l'exemple que ce cœur solide m'avait donné presque au début de sa vie. Il avait commencé par le repos dans des affections sans trouble, et j'ai fini par là. Aussi, j'apporte dans mon existence nouvelle un sentiment qu'il n'a jamais connu, celui d'expier une ancienne vie certainement nuisible et de racheter des torts dont je me sens encore aujourd'hui responsable, parce qu'il y a, selon moi, entre toutes les femmes également respectables, une solidarité instinctive de droits, d'honneur et de vertus. Quant au parti que j'ai adopté de me retirer du monde, je ne m'en suis jamais repenti. Un homme qui prend sa retraite avant trente ans et y persiste témoigne assez ouvertement par là qu'il n'était pas né pour la vie publique, pas plus que pour les passions. Je ne crois pas d'ailleurs que l'activité réduite où je vis soit un mauvais point de vue pour juger les hommes en mouvement. Je m'aperçois que le temps a fait justice au profit de mes opinions de beaucoup d'apparences qui jadis auraient pu me causer l'ombre d'un doute, et comme il a vérifié la plupart de mes conjectures, il se pourrait qu'il eût aussi confirmé quelques-unes de mes amertumes. Je me rappelle avoir été sévère pour les autres à un âge où je considérais comme un devoir de l'être beaucoup pour moi-même. Chaque génération plus incertaine qui succède à des générations déjà fatiguées, chaque grand esprit qui meurt sans descendance, sont des signes auxquels on reconnaît, dit-on, un abaissement dans la température morale d'un pays. J'entends dire qu'il n'y a pas grand espoir à tirer d'une époque où les ambitions ont tant de mobiles et si peu d'excuses, où l'on prend communément le viager pour le durable, où tout le monde se plaint de la rareté des œuvres, où personne n'ose avouer la rareté des hommes.....
—Et si la chose était vraie! lui dis-je.
—Je serais disposé à le croire, mais je me tais sur ce point comme sur beaucoup d'autres. Il n'appartient pas à un déserteur de faire fi des innombrables courages qui luttent, là même où il n'a pas su demeurer. D'ailleurs, il s'agit de moi, de moi seul, et, pour en finir avec le principal personnage de ce récit, je vous dirai que ma vie commence. Il n'est jamais trop tard, car si une œuvre est longue à faire, un bon exemple est bientôt donné. J'ai le goût et la science de la terre,—mince amour-propre que je vous prie de me pardonner.—Je fertiliserai mes champs mieux que je n'ai fait de mon esprit, à moins de frais, avec moins d'angoisse et plus de rapport, pour le plus grand profit de ceux qui m'entourent. J'ai failli mêler l'inévitable prose de toutes les natures inférieures à des productions qui n'admettaient aucun élément vulgaire. Aujourd'hui, très heureusement pour les plaisirs d'un esprit qui n'est point usé, il me sera permis d'introduire quelque grain d'imagination dans cette bonne prose de l'agriculture et...»
Il cherchait un mot qui rendît modestement le véritable esprit de sa nouvelle mission.
«Et de la bienfaisance? lui dis-je.
—Soit, dit-il, j'accepte le mot pour madame de Bray, car ceci la regarde exclusivement.»
En ce moment même, madame de Bray ramenait ses enfants essoufflés et tout en nage. Il y eut un instant de complet silence pendant lequel, comme à la fin d'une symphonie qui expire en d'infiniment petits accords, on n'entendit plus que le chuchotement des merles branchés qui jasaient encore, mais ne riaient plus.
Très peu de jours après cette conversation, qui m'avait fait pénétrer dans l'intimité d'un esprit dont la plus réelle originalité était d'avoir strictement suivi la maxime ancienne de se connaître soi-même, une chaise de poste s'arrêta dans la cour des Trembles.
Il en descendit un homme à cheveux rares, gris et coupés court, petit, nerveux, avec tout l'extérieur, la physionomie, l'assiette et la précision d'un homme peu ordinaire et préoccupé d'affaires graves, même en voyage; parfaitement mis d'ailleurs, et là encore on pouvait définir des habitudes élevées de situation, de monde et de rang. Il examina vivement ce qu'on apercevait du château, la tonnelle, un coin du parc; il leva les yeux vers les tourelles et se retourna pour considérer les petites fenêtres en lucarne de l'ancien appartement de Dominique.
Dominique arrivait sur la terrasse; ils se reconnurent.
«Ah! quelle surprise, mon bien cher ami! dit Dominique, en marchant au-devant du visiteur, les deux mains cordialement ouvertes.
—Bonjour, de Bray», dit celui-ci avec l'accent net et franc d'un homme dont la vérité semblait avoir, pendant toute sa vie, rafraîchi les lèvres.
C'était Augustin.
FIN
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Commencé en septembre 1859, DOMINIQUE ne fut achevé, après plusieurs remaniements, qu'au début de 1862 où il parut dans la Revue des Deux Mondes en trois parties ainsi divisées: première partie, chap. I-V, nº du 15 avril, pp. 777 à 825; deuxième partie, chap. VI-XI, nº du 1er mai, pp. 143 à 194; dernière partie, chap. XII-XVIII du 15 mai, pp. 384 à 445.
La première édition parut en janvier 1863 avec la collation suivante:
EUGÈNE FROMENTIN. DOMINIQUE. Paris, librairie de L. Hachette et Cie, boulevard Saint-Germain, nº 77 (Impr. Lahure et Cie), 1863, in-8º.
1 faux titre portant au verso la mention suivante: «Cet ouvrage a paru pour la première fois en 1862, dans la Revue des Deux Mondes»; 1 titre et 372 p. de texte. Couverture imprimée.
Édition originale imprimée sur papier de Hollande et non mise dans le commerce.
Il était tiré en même temps une édition in-18º sur papier ordinaire, mise en vente à 3 fr. 50, qui figure dans la Bibliographie de la France à la date du 3 janvier, alors que l'édition in-8º n'y a été enregistrée que le 31 janvier.
Ultérieurement cette édition a été comprise par l'éditeur dans la collection: Littérature contemporaine, romans et voyages, à 1 franc le volume.
Il y a des variantes assez nombreuses, quoique peu importantes (sauf en ce qui concerne la fin du chap. II que nous donnons plus loin), entre le texte primitif de la Revue des Deux Mondes et celui de l'édition originale.
L'on relève aussi quelques différences portant sur la ponctuation et la composition, entre l'édition in-8º et l'édition in-18º, notamment aux pages 49, 53, 59, 67, 115, 125 et 177.
Un grand nombre des exemplaires in-8º et in-18º de l'édition Hachette (de même d'ailleurs, que le texte de la Revue des Deux Mondes), contiennent à la page 177 la faute suivante qui a été reproduite dans les autres éditions, spécialement dans les éditions Plon et Crès, et dans celle du Livre Contemporain: chap. VIII, au lieu de Il sera pédant et censeur (p. 141, 12e ligne de notre édition), on lit: Il sera pédant et en sueur.
Il est, de même, deux fautes qu'on relève communément dans les éditions modernes: chap. XIII (p. 216, 10e ligne de notre édition), au lieu de parce qu'elle y voyait..., on lit: parce qu'elle voyait...; et chap. XIV (p. 245, 27e ligne de notre édition), au lieu de As-tu prévu ce qui l'attend, on lit: As-tu prévu ce qui t'attend.
Depuis 1876, DOMINIQUE est édité par la maison Plon.
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Voici la fin du chap. II telle qu'elle figure à la Revue des Deux Mondes (p. 799 du nº du 15 mai 1862), qu'il nous a paru intéressant de rapprocher du texte de notre édition qui est celui de l'édition originale (v. supra p. 40-42), parce qu'elle en diffère assez sensiblement:
«Pauvre Olivier!» dit Dominique en le voyant s'éloigner au galop de chasse dans la direction d'Orsel.
Quinze jours après, ce devait être au milieu de novembre, le facteur rural entra le matin, et remit à Dominique une lettre cachetée de noir. Dominique, en la lisant, devint très pâle; puis il passa sur la terrasse, en nous faisant signe de laisser les enfants au salon.
«Voici des nouvelles d'Olivier, dit-il; j'étais certain qu'il en viendrait là.»
Suit la lettre d'Olivier, qui est la même dans les différentes éditions.
Vers midi, la pluie se mit à tomber. Dominique se retira dans son cabinet, où je l'accompagnai. La lettre d'Olivier avait amèrement ravivé certains souvenirs qui n'attendaient qu'une circonstance décisive pour se répandre.
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Les éditions de luxe de DOMINIQUE sont les suivantes:
EUGÈNE FROMENTIN. DOMINIQUE. Paris, Le Livre Contemporain, 1905, in-8º.
1 faux titre; 1 frontispice; 1 titre imprimé en rouge et noir; 1 f. pour la dédicace à George Sand; 333 p. de texte; 1 f. pour l'achevé d'imprimer. Couverture bleue imprimée en or.
Édition ornée d'un frontispice et de 37 paysages en vignettes ou culs-de-lampe, dessinés et gravés à l'eau-forte par Gustave Leheutre, et tirée à 117 exemplaires sur papier vergé d'Arches non mis dans le commerce.
Les eaux-fortes ont été tirées chez Eugène Delâtre, et le texte imprimé chez Plon-Nourrit et Cie.
EUGÈNE FROMENTIN. DOMINIQUE. Paris, L. Conard, 17, boulevard de la Madeleine, 1906, in-8º. Couverture imprimée.
Édition ornée d'un frontispice gravé à l'eau-forte en couleurs, imprimée à l'Imprimerie Nationale et tirée à 225 exemplaires, savoir: 200 ex. sur papier de Rives (30 fr.), et 25 ex. sur japon ancien (60 fr.).
Fait partie de Cinq confessions d'amour.
EUGÈNE FROMENTIN. DOMINIQUE. Édition suivie de plusieurs lettres de l'auteur et ornée d'un portrait gravé sur bois par P.-E. Vibert. Paris, Georges Crès et Cie, Les Maîtres du Livre, 3, place de la Sorbonne, 3, (Evreux, Impr. de Paul Hérissey), MCMXII, petit in-8º.
1 faux titre avec, au verso, le nº de l'exemplaire et la nature du papier; 1 portrait; 1 titre; 1 f. pour la dédicace à George Sand; 1 second faux titre; 388 p. de texte; 2 fac-similés hors texte du manuscrit de l'auteur; 1 f. pour la justification du tirage. Couverture imprimée.
Sixième volume de la collection Les Maîtres du Livre, tiré à 839 exemplaires, soit: 3 ex. sur vieux japon impérial numérotés de 1 à 3 (40 fr.); 5 ex. sur chine, numérotés de 4 à 8 (30 fr.); 46 ex. sur japon impérial (dont 6 hors commerce), numérotés de 9 à 48 et de 49 à 54 (20 fr.); et 785 ex. sur papier d'Arches (dont 40 hors commerce), numérotés de 55 à 804 et de 805 à 839 (7 fr. 50).
Cette édition, dont le texte contient de nombreuses fautes, comprend (pp. 373 à 388) six lettres extraites d'une correspondance échangée entre E. Fromentin et George Sand, et relatives à la conception de DOMINIQUE.
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Les variantes qu'on relève entre le texte de la Revue des Deux Mondes et celui de la première édition de DOMINIQUE, ont pour origine les conseils que George Sand avaient donnés à Fromentin pendant le séjour que celui-ci fit à Nohant en juin 1862, c'est-à-dire entre la publication des deux versions.
L'on trouve d'ailleurs dans les Correspondance et Fragments inédits de Fromentin (recueillis par M. P. Blanchon, Plon, 1912, 1 vol. in-18º), les notes prises par l'auteur sous la dictée de George Sand qui lui avait suggéré certains changements à faire à son roman.
Fromentin tint compte de quelques-unes de ces indications, notamment de celles qui concernent la fin du chap. II (v. la première version que nous donnons plus haut), la promenade au bois de Boulogne (p. 165 de notre édition), l'allusion à Mauprat dans la course à cheval avec Madeleine (ibid., p. 277). George Sand avait en outre conseillé d'introduire un avant-dernier chapitre où Dominique aurait, à son retour de Nièvres, expliqué à Augustin les sentiments qui l'animaient à l'égard de Madeleine perdue pour lui, et où l'on aurait vu apparaître celle qui devait devenir Mme de Bray. Le chapitre xviii serait alors devenu le chapitre xix, avec quelques adjonctions relatives à la guérison de Dominique. Fromentin n'obéit pas à cette suggestion et ce chapitre ne fut pas écrit.
Dans une lettre à George Sand du 9 novembre 1862, Fromentin s'excuse, d'ailleurs, de n'avoir pu faire à son œuvre les changements convenus.
Le 9 janvier 1863, il lui annonce l'envoi d'un exemplaire de DOMINIQUE, «de format in-8º, papier propre, que le brochage de cette édition de cérémonie», non encore fini, l'empêche de faire parvenir à son amie.
DOMINIQUE paraît officiellement en librairie le 10 janvier 1863. Et le 27 janvier, Fromentin écrit à George Sand en lui disant que s'il ne lui a pas envoyé l'exemplaire annoncé, c'est qu'il y a relevé des fautes énormes, des corrections faites à l'imprimerie, après le bon à tirer, par un correcteur scrupuleux qui s'était permis de substituer des non-sens à certaines hardiesses..., et qu'il a fallu tout arrêter et introduire des cartons. Il explique qu'il a lâché tels quels quelques exemplaires de librairie, mais qu'il en reçoit à la minute même de plus propres dont le premier va être adressé à Nohant.
Nous trouvons là l'explication des fautes relevées sur un certain nombre d'exemplaires de l'édition originale, même de l'édition in-octavo. Ce qui semble plus singulier, c'est de voir les mêmes fautes reparaître dans les éditions ultérieures, et à plus forte raison, dans les éditions de luxe.
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Dans quelle mesure DOMINIQUE est-il une autobiographie? C'est ce qu'il est facile de savoir par les Lettres de jeunesse de Fromentin (Plon, 1912, 1 vol. in-18º), et par les notes si intéressantes dont M. Pierre Blanchon les a reliées entre elles.
En ce qui touche les lieux, nous y apprenons d'abord que pour les Trembles, Fromentin a pris comme modèle de sa description en partie la maison de campagne que ses parents avaient aux portes de La Rochelle, à Saint-Maurice; toutefois, certains traits, l'aspect du paysage, les grands horizons voilés, sont empruntés à la propriété que des amis de sa famille, les Seignette, avaient tout à côté, à Vaugoin.
Ormesson, la petite ville basse, hérissée de clochers d'église..., dévote, attristée, vieillotte, oubliée dans un fond de province, c'est La Rochelle, telle qu'elle existait au commencement du siècle dernier.
Les personnages. Dans Augustin, M. Louis Gillet (Revue de Paris, du 1er août 1905) voit un jeune professeur du lycée, Bardant, dont l'influence avait été grande sur ses élèves. Pour M. Louis Audiat (Revue des Charentes, 30 septembre 1905), c'est un mélange de Léopold Delayant, qui fut le maître de Fromentin à La Rochelle et s'intéressa beaucoup à ses débuts, et aussi de son grand ami, Émile Beltrémieux.
Le modèle d'Olivier d'Orsel est un des camarades de collège d'Eugène, Léon Mouliade, fils d'un propriétaire de Fontenay-le-Comte. La finesse de sa nature, la distinction de ses manières, sa mise recherchée et l'air de dandysme répandu sur toute sa personne, avaient infiniment plu à Fromentin qui entretint avec lui des relations longtemps suivies, bien qu'assez espacées.
Quant à Madeleine, qui ne s'appelait pas Madeleine, elle était la fille de la veuve d'un capitaine au long cours, voisine de campagne de la famille Fromentin. De sang créole par sa mère, elle était très brune, avec un teint mat et une peau blanche. Gaie, enjouée, spirituelle plus qu'intelligente, et assez coquette, elle se prêtait facilement au sentiment très vif qui attirait vers elle son compagnon de jeunesse, encore bien qu'elle eût quatre ans de plus que lui. En octobre 1836, Madeleine épousait un jeune homme de vingt-deux ans—elle en avait dix-sept—attaché à l'administration des contributions directes, mais qui devait par la suite acheter une charge d'agent de change à La Rochelle.
C'est à ce moment qu'Eugène Fromentin eut nettement conscience de son amour pour Madeleine. Pendant quatre ou cinq ans, il vécut de ce sentiment exclusif qui absorba toutes les forces de sa jeunesse et de son talent. Il la cherchait partout où il pouvait la rencontrer, à la promenade, au théâtre, dans le monde. Pendant les absences de son mari, maussade et bourru, et qui semble ne pas l'avoir rendue heureuse, elle recevait Eugène chez elle, trouvant surtout dans cette intrigue une distraction à l'existence monotone qu'elle menait. Malgré ces imprudences, il est difficile d'admettre qu'il y ait eu entre eux autre chose que des conversations passionnées et un commerce purement sentimental.
«Au cours de l'été 1838, Eugène Fromentin était parvenu aux termes de ses humanités. La distribution des prix fut pour lui l'occasion de la scène qui est racontée dans DOMINIQUE avec un accent de sincérité auquel il n'est pas permis de se tromper.»
En novembre 1839, Fromentin partit pour Paris où il devait faire son droit. Il revient à Saint-Maurice aux vacances, et il retrouve Madeleine. Il s'efforce de lutter contre sa passion qui l'a repris tout entier. Mais l'affection profonde qu'il avait vouée à la jeune femme persistait toujours, malgré les efforts réunis de tous, mari, parents et amis, pour amener une rupture.
Et cela dura jusqu'en 1844 où Madeleine dont la santé était depuis longtemps précaire, vint subir à Paris une grave opération dont elle mourut le 4 juillet. Elle avait un peu plus de vingt-sept ans et laissait trois jeunes enfants.
Sous le choc terrible qu'il reçoit de cette mort, Fromentin envisage sa retraite dans un couvent. Sa douleur s'épanche dans les lettres qu'il envoie à ses amis, de Meudon où il s'est réfugié. Ses années d'enfance lui refluent à l'esprit et au cœur.
«Tout mon passé m'a traversé la mémoire, écrit-il, depuis mes lointaines rêveries dans mon allée verte de Saint-Maurice... Puis le souvenir incessant de ma pauvre amie s'est emparé de moi pour ne plus me quitter. En quelques secondes, j'ai remonté le cours des sept années passées ensemble. Enfin je l'ai revue morte...
«Je pense à toi qui dors là-bas sous l'herbe mouillée du cimetière, pauvre tête si belle, aux yeux si doux, au teint si blanc, aux cheveux si noirs...»
Et voici DOMINIQUE qui apparaît, à quinze ans de distance: «Amie, ma divine et sainte amie, je veux et vais écrire notre histoire commune, depuis le premier jour jusqu'au dernier. Et chaque fois qu'un souvenir effacé luira subitement dans ma mémoire, chaque fois qu'un mot plus tendre et plus ému jaillira de mon cœur, ce seront autant de marques pour moi que tu m'entends et que tu m'assistes...»
Celle qui fut Madeleine est enterrée dans le cimetière de Saint-Maurice, non loin du tombeau d'Eugène Fromentin. Elle reçoit de temps en temps la visite des fervents de DOMINIQUE, car il est impossible à tous ceux qui l'ont goûtée d'oublier la figure idéale de charme, de jeune gravité et d'ardente tendresse de Madeleine de Nièvres.
CETTE ÉDITION DE DOMINIQUE
PRÉPARÉE PAR LES SOINS DE G.-J. PLACE
A ÉTÉ ACHEVÉE D'IMPRIMER
PAR PROTAT FRÈRES A MACON
LE 24 OCTOBRE 1920
CENTENAIRE DE LA NAISSANCE
D'EUGÈNE FROMENTIN