Du service des postes et de la taxation des lettres au moyen d'un timbre
CHAPITRE IV.
Des avantages d'une taxe fixe comparée au système actuellement en usage.
On dit avec raison que la taxe établie par la loi du 15 mars 1827, laquelle règle le port à percevoir d'après la distance en ligne droite, qui existe entre le point d'où la lettre part et le point où elle est distribuée, est plus rationnelle que la taxe précédemment en usage, qui s'établissait d'après la distance parcourue; et cela à cause des taxes injustes auxquelles ce dernier système donnait lieu, lorsque, par suite d'un redressement dans la marche du courrier, les lettres se trouvaient parcourir une distance moindre que celle d'après laquelle la taxe avait été originairement fixée; mais, d'autre part, lorsque la lettre parcourt effectivement une distance plus grande que celle qui sépare, en ligne droite, le point de départ du point d'arrivée, la taxe n'est pas non plus assez élevée; car si le port d'une lettre est le prix d'un service rendu, il est évident que lorsque le courrier décrit une courbe pour aller d'un point donné à un autre, la dépense est probablement plus forte que si le courrier marchait en ligne droite, et la taxe, d'après le principe du service rendu, devrait rationnellement être plus élevée. Le vice véritable de l'ancien mode de taxation, qui est encore en usage en Angleterre, est donc dans l'impossibilité de modifier la taxe à chaque fois que, par des changements opérés dans la marche des courriers, les lettres se trouveraient parcourir des distances différentes; car en équité, ce serait le parcours réel, et non la ligne droite, qui devrait servir de base à l'application de la taxe.
Mais pour suivre ce principe jusqu'à ses dernières conséquences, le gouvernement, dans certains cas, ne devrait-il pas baisser la taxe au-dessous du prix fixé pour le transport d'une lettre, même en ligne parfaitement droite, lorsque les frais d'exploitation seraient évidemment, sur une route, beaucoup au-dessous des frais faits partout ailleurs. Je veux parler des chemins de fer, par exemple, où le transport des lettres se fait sans frais appréciables pour l'administration des postes. Là, où est le prix du service rendu? Et comme on ne peut réduire à zéro le prix de la taxe des lettres, quelle base prendra-t-on pour l'établir? Ne faudrait-il pas, pour en avoir une, revenir à l'appréciation des dépenses résultant des frais de transport en général, et obtenir une taxe moyenne en divisant les frais généraux de transport par le nombre des lettres transportées?
C'est sur ce principe que s'appuient les partisans d'une taxe fixe et égale pour toutes les lettres, quelque distance qu'elles aient à parcourir.
Comme tous les droits et tous les besoins sont égaux en France, comme tout le monde reçoit et expédie des lettres à de courtes comme à de longues distances, toutes ces distances devraient se confondre pour l'administration dans une distance totale, ou, pour mieux dire, dans un prix moyen du service rendu; car ce prix de service rendu n'est égal que considéré relativement à tous, et il est toujours inégal si on le compare à la dépense réelle du transport d'une dépêche, eu égard à la distance parcourue.
En effet, il existe en France, indépendamment des services en malle-poste, dix-sept cents services de transport de dépêches par entreprise 44. La dépense qu'ils entraînent pour le trésor n'est pas toujours en rapport avec la distance parcourue par les entrepreneurs. De ces entrepreneurs, en effet, les uns sont propriétaires de voitures publiques, et trouvent dans le transport des voyageurs, lorsque la route qu'ils desservent est suivie, un ample dédommagement au modeste prix annuel auquel la concurrence les a contraints de réduire leurs prétentions; les autres, placés sur une route peu fréquentée, ont demandé et obtenu un prix élevé, parce qu'ils n'ont pas craint de concurrence; d'autres, exploitant des services à pied, se soutiennent par les commissions qu'ils font en route; d'autres enfin, marchant à cheval et obligés à une exploitation spéciale, sont pour l'administration le sujet d'une dépense souvent hors de toute proportion avec la taxe du petit nombre de lettres qu'ils transportent; presque nulle part enfin la dépense réelle n'est en rapport exact avec le montant de la taxe des lettres transportées.
Les services en malle-poste eux-mêmes, dont la dépense est réglée d'après la distance réellement parcourue, et dont les frais semblent se multiplier régulièrement par le nombre des postes à franchir, ne sont pas en rapport non plus avec les recettes en port de lettres, que transportent ces malles; car la malle-estafette de Paris au Havre, par exemple, ne coûte que 6 f. 75 c. par poste, marche avec une rapidité double et produit trois fois plus de recette que la malle de Besançon, dont la dépense est de 7 fr. 95c. par poste 45: la taxe de distance relative devrait donc être moindre sur la route du Havre que sur celle de Besançon.
Concluons de ce qui précède, que les frais résultant du transport des dépêches ne sont nulle part en rapport exact et proportionnel avec le prix de la taxe des lettres: cette taxe ne peut donc pas être considérée exactement comme le prix proportionnel du service rendu.
S'il s'agissait du seul transport de deux lettres envoyées par un courrier spécial, l'une à Marseille et l'autre à Chartres, il serait juste que la taxe de la lettre pour Marseille fût plus forte que pour Chartres, parce que les dépenses faites par un courrier qui se rend à Marseille sont plus élevées que celles d'un courrier qui ne va qu'à Chartres; si le même envoyeur remettait séparément au même courrier dix mille lettres pour Marseille et dix mille lettres pour Chartres, le cas serait encore le même; mais si l'envoyeur remettait au courrier vingt mille lettres non triées pour Marseille et pour Chartres, qu'il fallût que la personne chargée du service emportât ces lettres chez lui, les triât, les formât en paquets étiquetés, enveloppés et cachetés, le cas deviendrait différent, car voilà d'autres soins, d'autres travaux, d'autres frais qui apparaissent; ce sont ceux dont est chargée l'administration des postes; frais d'exploitation qui s'appliquent aussi bien aux lettres de Chartres qu'à celles de Marseille. Il y aurait donc lieu déjà à une espèce de compensation entre ces deux prix de taxe de Marseille et de Chartres, qui résulterait de l'addition au prix inégal du transport, d'un prix égal de frais de régie et d'exploitation. Mais cette compensation ne deviendrait-elle pas nécessaire encore, si, au lieu des lettres pour Chartres et pour Marseille, on prenait en considération les lettres adressées à toutes les villes de France, lettres que nous supposons toutes préalablement, non-seulement déposées, triées, taxées, comptées et enveloppées à Paris, mais encore dans les quinze cents autres bureaux de poste en France, et adressées, soit à Paris, soit de Paris à chacun des quinze cents bureaux? Ajoutons à ces frais de régie les frais de distribution dans les villes et dans les campagnes, et nous pourrions être autorisés à conclure que la taxe d'une lettre de Paris à Marseille, fixée à 1 franc, et celle de Paris à Chartres à 3 décimes, sont des taxes injustement réglées, car elles ont été basées sur la distance parcourue, et qu'on n'a pas eu égard aux frais de personnel et de régie des postes, qui sont à peu près les mêmes dans tous les bureaux et qui devaient affecter par égale partie la taxe de toutes les lettres. La seule différence qui devait exister dans la taxe des lettres entre ces deux villes, devait être, pour une partie seulement de cette taxe, la différence qui existe réellement entre les frais de transport sur les deux routes, non pas seulement eu égard à la distance à parcourir, mais bien eu égard aux frais réels qui résultent, pour l'administration, du parcours de cette distance. Cependant nous avons vu que les dépenses résultant du parcours, variaient selon le mode d'exploitation des services, la rapidité de leur marche, et des circonstances de localité indépendantes du service des dépêches. La dépense en frais de transport n'est donc pas appréciable si l'on veut le faire exactement.
Les frais de régie et de personnel entrent pour 9,500,000 fr. dans les dépenses de l'administration des postes; les frais de transport, de dépêches, tant en malle-poste que par entreprise, pour 9,600,000 fr. 46. La portion de la taxe des lettres qui pourrait être affectée par le port proportionnel à la distance parcourue, ne devrait donc être que de la moitié à peu près de la taxe totale, c'est-à-dire 9,600,000 fr., et l'autre moitié devrait être considérée comme une taxe fixe, applicable également à toutes les lettres en circulation. Enfin les 9,600,000 fr. prix du transport, pourraient très-rationnellement aussi servir de base à l'établissement d'une taxe fixe, si l'on considère que, comme nous l'avons dit, les longues distances compensent les courtes distances; que chaque particulier doit, dans l'ordre naturel des choses, être dans le cas d'expédier des lettres à toutes sortes de distances, et qu'il y aurait enfin compensation pour les correspondants, comme pour l'administration, dans l'adoption d'une taxe moyenne à appliquer aux lettres, quelque distance qu'elles eussent à parcourir.
La taxe fixe, d'autre part, présente à l'exécution des avantages immenses pour le service des postes et pour le public. Son adoption produirait immédiatement les résultats suivants:
1º La taxation des lettres deviendrait plus facile.
2º Le compte des taxes et la vérification des dépêches se feraient plus sûrement et plus rapidement.
3º Enfin, il pourrait être dressé dans les bureaux de poste un compte numérique des lettres, précieuse garantie pour la sûreté des correspondances.
Passons en revue chacun de ces avantages; ce nous sera une occasion d'entrer dans l'examen de quelques parties du service des postes, qui doivent être connues; nous dirons ensuite à quel taux devrait être établie cette taxe fixe dont nous proposons l'adoption.
1º L'application des taxes deviendra plus facile.
Si quelque chose, en effet, est encore incommode, gênant, difficile à comprendre, irrégulier et arbitraire en apparence dans le service des postes, ce sont les chiffres de taxe apposés sur les lettres. Pourquoi ces signes de convention, ces hiéroglyphes que personne ne comprend, qui cachent les adresses à moitié et sont eux-mêmes cachés sous les timbres de toute couleur, timbres noirs, timbres bleus et timbres rouges, destinées à constater l'arrivée, le départ ou la réexpédition des lettres? Pourquoi ne pas se servir de chiffres ordinaires qui puissent être compris par tout le monde, et surtout par le public qui doit acquitter le port de la lettre?
Les chiffres de taxe, en effet, ne sont pas à l'usage seulement des employés des postes, tout le monde doit pouvoir les lire; et cependant on peut penser que beaucoup de personnes, même parmi les employés des postes, doivent être fort embarrassés, lorsqu'il s'agit de les déchiffrer. Nous entendons parler des facteurs ruraux, gens très-peu lettrés en général, qui connaissent bien le petit timbre rouge qui les autorise à percevoir un supplément de deux sous, mais qui doivent se trouver fort empêchés quand il s'agit d'additionner ce décime avec les taxes principales qu'ils doivent aussi percevoir pendant leur tournée, et dont les signes représentatifs ne sont pas plus semblables au chiffre de leur décime, qu'aux autres chiffres qu'ils ont pu voir ailleurs.
Nous pensons donc que ce serait une bonne mesure que de supprimer les chiffres de taxe actuels, et de les remplacer par d'autres qui fussent à la portée de tout le monde, dans le cas même où la diminution du nombre des degrés des taxes ne donnerait pas à l'administration des postes les moyens d'arriver à un résultat encore plus rapide, au moyen d'un timbre, ce que nous proposerons tout à l'heure; et cette opération serait singulièrement facilitée par l'adoption d'une taxe fixe.
2º Le compte des taxes et la vérification des dépêches se feront plus facilement et plus rapidement.
En effet, l'intérêt bien entendu des recettes exige que l'expédition des courriers ait lieu aussitôt que possible après la levée des boîtes, et que la distribution des lettres suive aussi de très-près l'arrivée des courriers. Mais la taxe des lettres joue le plus grand rôle dans la confection d'une dépêche; et si, dans le nombre des opérations qui accompagnent le départ et l'arrivée des courriers, l'opération si longue et si difficile de l'appréciation de l'apposition, du compte et de la vérification des taxes, pouvait être simplifiée, on voit qu'on en obtiendrait immédiatement un grand résultat d'accélération.
Pour nous en rendre bien compte, passons en revue les opérations qui précèdent, accompagnent et suivent la confection d'une dépêche.
Les lettres retirées pêle-mêle des boîtes doivent être relevées d'abord, et placées dans l'ordre de leur recto, de manière à recevoir un timbre sur leur suscription. Le timbre de départ ainsi appliqué sur toutes, on procède à leur taxe. Ces lettres sont de toutes formes et de poids différents, et il est nécessaire de composer une taxe spéciale pour chacune d'elles: il faut donc d'abord apprécier leur pesanteur, et comme les degrés de l'échelle de pesanteur sont très-rapprochés, cette appréciation ne peut se faire que difficilement à vue d'oeil: pour agir sûrement, il faut en peser un très-grand nombre; ensuite il convient de calculer quelle est la taxe à faire subir à la lettre, eu égard à la distance qui sépare le point de destination donné par l'adresse, de celui de l'origine de la lettre indiqué par le timbre, soit que la lettre parte de la ville même où la taxe s'opère, soit qu'elle vienne de plus loin; on constate alors le poids en chiffres au coin de la lettre, si elle dépasse le poids de 7 gr. 1/2. afin de justifier l'accroissement du port; on cumule ensuite les deux taxes de distance et de poids, et on les exprime enfin sur la suscription avec une grosse plume par un seul chiffre qui couvre ordinairement toute la hauteur de la suscription.
Après cette opération si délicate, si difficile, enfin si longue, puisque le résultat en est différent pour chaque lettre, le compte général de ces diverses taxes est fait, porté sur la première lettre du paquet, reporté sur autant de feuilles d'avis qu'il y a de bureaux de poste, entre lesquels les lettres sont divisées; les lettres affranchies, recommandées, chargées, les paquets administratifs et les journaux sont réunis aux lettres taxées, et cela selon des formes particulières; le tout est empaqueté, ficelé, cacheté, enregistré, recommandé de nouveau, et enfin livré aux courriers.
On conçoit que, dans cette série d'opérations, celle de la taxe doit prendre au moins les 4/5 du temps consacré à toutes. Mais cette perte d'un temps précieux n'est pas le seul inconvénient qu'entraîne l'opération de la taxe. La précipitation qui l'accompagne ordinairement, fait qu'une vérification importante, celle du poids de la lettre, est le plus souvent négligée: passé 7 gr. 1/2, le port de la lettre s'augmentent de moitié; mais, dans le doute sur le poids d'une lettre, dominé par la crainte du retard que peut causer l'opération de la pesée, entraîné peut-être aussi par un instinct de fatigue ou de négligence naturelle, dont nous devons nécessairement tenir compte dans notre appréciation sincère, l'employé la mettra au nombre des lettres simples; car, s'il taxe au-dessous du tarif, il n'y aura pas de plainte de la part du particulier ni de responsabilité pour lui; ce qui pourrait avoir lieu, au contraire, s'il apposait une taxe trop élevée. Enfin s'il est payé à remises sur sa recette, cette considération ne le touche pas non plus, car la taxe des lettres qu'il expédie est une recette qu'il crée, et qu'il n'est pas chargé de réaliser.
Cependant la perte pour le trésor est réelle et presque irréparable; car, au point d'arrivée, le receveur qui est pressé de faire sa distribution, ne relèvera pas l'erreur; ce n'est pas trop affirmer que de dire que la dixième partie environ des lettres dont le poids dépasse 7 gr. 1/2 présente ce caractère douteux, et que si la moitié seulement de ces lettres échappe au supplément de taxe, la perte annuelle pour le trésor est d'environ 500,000 fr. 47.
Note 47: (retour) En effet, les lettres pesantes sont dans la proportion d'un dixième de la totalité des lettres taxées circulant dans les postes. Le nombre total des lettres étant 79 millions, le dixième est 7,900,000 lettres; si de ces lettres pesantes, la moitié ou 3,950,000, présentent le caractère douteux de lettre simple ou de lettre double et doivent être pesées, et qu'enfin moitié de ces 3,950,000, ou 1,975,000, quoique réellement pesantes, soient taxées comme simple, en supposant le montant de la perte à 25 c. par lettre, qui représente le demi-port en sus du taux moyen de 50 c. La perte doit être annuellement pour le trésor de 493,750 fr.
A chaque point d'arrivée d'une dépêche, la vérification et le compte des taxes présentent de nouveaux retards et de nouvelles difficultés.
En effet, à l'arrivée, l'opération est plus longue, car le receveur est intéressé à constater exactement le montant des valeurs qu'on lui envoie, et dont il est responsable: il faut que les particuliers attendent, jusqu'à ce qu'il ait reconnu son compte, qu'il ait constaté soigneusement les différences qu'il y trouve en plus ou en moins. Mais on ne concevra bien la difficulté de cette opération, que lorsqu'on saura que la dépêche de Paris pour Rouen, par exemple, est composée de mille à douze cents lettres dont les taxes de toutes sortes représentent une valeur totale de 700 à 900 fr. Or, ces lettres de toutes formes sont frappées de taxes toutes inégales depuis 4 jusqu'à 10 décimes au plus; pour les compter, il faut prendre les lettres une par une, les ajuster, les aligner, les partager par sommes de 20, de 50 ou de 100 fr.; et quand tout est fini, et qu'une demi-heure a été employée à ce travail, s'il se trouve une différence dans la somme des taxes avec le compte écrit sur la feuille, il faut recommencer, et constater la différence; séparer ensuite les lettres distribuables dans la ville, de celles qui doivent être portées dans la campagne, ou réexpédiées à un autre bureau; mettre à part celles qui doivent être frappées d'une taxe supplémentaire; constater cette dernière taxe; enfin faire un compte séparé à chaque facteur de la ville ou de la campagne: toutes choses fort délicates, nous le répétons, parce qu'elles impliquent la responsabilité du préposé, et partant fort longues, et qui seraient considérablement abrégées si les lettres classées dans les dépêches par séries et par catégories de taxes fixes, pouvaient, au moyen d'un simple compte numérique, former un montant total de décimes facile à établir et à vérifier.
Que sera-ce donc lorsqu'il s'agira pour un bureau de recevoir et d'expédier plusieurs dépêches par jour venant du même point, si un jour nous nous servons des chemins de fer? Le service de transport des dépêches entre Liverpool et Manchester est à quatre ordinaires par jour, et le produit de la correspondance entre ces deux villes seules s'élève annuellement à 11,000 liv. st. (ou 275,000 fr.). Mais on comprend que, pour que le public soit à même de profiter de cette grande accélération de la marche de ses lettres et de la prompte arrivée des réponses, il faudra que dans l'intervalle des arrivées aux départs des courriers, la distribution des lettres se fasse avec toute la promptitude possible. Ce sera dans ces cas-là surtout que l'accélération dans la distribution devra suivre l'accélération dans la marche des courriers, et que toutes les longueurs qu'entraînent l'application des taxes au départ, leur reconnaissance et leur collection à l'arrivée, devront être évitées. En effet, lorsque la lettre a parcouru un espace tel que ce parcours a entraîné un délai de vingt-quatre heures ou plus, il peut ne pas paraître extraordinaire que la reconnaissance des dépêches et la distribution des lettres entraîne un nouveau délai de quatre ou cinq heures. Mais, lorsque la dépêche n'aura mis qu'une demi-heure à venir, on trouvera ridicule une distribution aussi lente, et si elle doit se répéter trois ou quatre fois par jour, il faudra bien alors accélérer la remise des lettres dans une proportion égale, sous peine d'être obligé de distribuer plusieurs courriers à la fois.
3° Enfin, il pourra être fait un compte numérique des lettres, précieuses garanties pour la sûreté des correspondances.
Supposons pour un moment qu'on puisse arriver à simplifier assez le tarif pour qu'il suffise de compter le nombre des lettres renfermées dans la dépêche, pour établir un montant général de taxe; n'y aurait-il pas dans ce système, indépendamment de l'avantage d'un comptage plus rapide, un autre résultat plus précieux encore qui permettrait à l'administration des postes d'obtenir le nombre exact des lettres qu'elle reçoit et qu'elle expédie, inappréciable garantie contre les vols de lettres?
Mais comment au contraire obtenir le compte exact des lettres à l'arrivée des dépêches, tant que ces dépêches seront composées de lettres toutes différentes de poids, de forme et de taxe. Le comptage par unités qui est l'opération la plus facile, lorsqu'il s'agit d'objets de même espèce, serait, dans l'ordre de choses actuel, une obligation presque impossible, si elle devait être remplie rigoureusement: cette justification a souvent été demandée aux employés; mais, dans le désir de ne pas retarder davantage la distribution des lettres, on n'a pas insisté, et l'administration ne l'a jamais obtenue. Qu'arrive-t-il cependant en l'absence de ce document? c'est qu'un employé ou un facteur, en consentant à perdre le montant de la taxe, peut facilement soustraire une lettre contenant une valeur, et se couvrir de cette perte, et bien au-delà, par le produit de son vol. Il n'en serait plus de même si les lettres passaient comptées de mains en mains, jusqu'au facteur qui doit les remettre à destination.
D'autre part la mise en charge de ce facteur deviendrait bien plus rapide, si le compte seul des lettres pouvait, au moyen de taxes égales, former un montant de sommes rondes et faciles à établir. Dans ce cas, un simple chiffre pourrait exprimer et le nombre des lettres, et la taxe mise à la charge du facteur, comme cela se pratique déjà pour les lettres distribuées dans les communes dont la taxe supplémentaire est de 1 décime, et qui sont données aujourd'hui en nombre aux directeurs et aux facteurs, non pas dans une pensée de conservation pour ces lettres, mais bien parce que ces sortes de lettres valent 1 décime fixe de plus que les autres. Soit dix lettres, 10 décimes ou 1 fr.; vingt-cinq lettres, 25 décimes ou 2 fr. 50 c.
La distribution de ces lettres ainsi taxées deviendrait ensuite beaucoup plus prompte encore (et nous ne saurions trop appuyer sur cette nécessité d'une accélération considérable dans la distribution) si l'on pouvait, comme nous en indiquerons les moyens, n'avoir dans le service des postes que des lettres affranchies à l'avance.
En effet la distribution des lettres franches est plus rapide que celle des lettres dont le port est à recouvrer, et cela dans une proportion dont il est difficile de se faire une idée. Dans une enquête faite en Angleterre sur les affaires du post-office en 1828 48, il a été constaté que dans le district de Lombard-Street à Londres, une demi-heure seulement avait suffi pour distribuer cinq cent soixante-dix lettres franches, et qu'il avait fallu une heure et demie pour remettre soixante-sept lettres taxées. Semblable examen n'a pas été fait en France, mais il n'y a nul doute qu'il produisît un résultat à peu près semblable. La remise d'une lettre franche ne demande pas l'emploi de plus de quelques secondes; mais l'examen de la taxe de la part de la personne qui reçoit la lettre, quelques mots d'explication nécessaires, enfin l'échange de la monnaie, peuvent entraîner l'emploi de plusieurs minutes pour la remise d'une lettre taxée. En Angleterre, il est vrai, comme les maisons n'ont qu'un seul locataire, il n'est pas nécessaire que le facteur appelle et attende que le destinataire descende pour lui remettre la lettre, ainsi qu'il est souvent pratiqué chez nous; mais le facteur anglais, d'autre part, doit frapper à une porte qui est toujours fermée et attendre plus ou moins longtemps que quelqu'un vienne pour la lui ouvrir. La perte de temps se trouve donc balancée dans les deux pays, et, en France comme en Angleterre, la distribution d'une lettre taxée entraîne environ onze fois plus de temps que la remise d'une lettre franche. Soit huit secondes pour celle-ci, et une minute et demie pour la lettre taxée, le temps employé pour le parcours de maison à maison compris; ainsi la distribution de cent vingt lettres taxées exigerait trois heures, et la remise de cent vingt lettres franches seulement seize Minutes.
Si l'on veut se rendre compte ensuite des frais que nécessiteraient le transport et la distribution d'une espèce de lettres dont le port serait acquitté d'avance et dont la taxe serait semblable pour toutes, on peut prendre pour exemple le Penny-Magazine 49 qui s'envoie et se distribue à domicile dans toute l'Angleterre, au nombre de plus de cent cinquante mille exemplaires, et qui est rendu au domicile de chaque abonné franc de tous frais, moyennant 2 sous de notre monnaie par numéro. Pour cette modeste somme, indépendamment du transport et de la distribution, les publicateurs doivent encore subvenir aux frais de l'impression de huit pages in-4° en petit texte, et à la composition et au tirage de nombreuses gravures sur bois qui ornent le livre; chacun sait cependant que cette entreprise offre des bénéfices considérables aux propriétaires. Pour combien peu doivent donc entrer dans ces 2 sous les frais de transport et de distribution de l'imprimé 50?
Concluons provisoirement de tout ceci que, dans l'intérêt de la rapidité de la distribution des lettres, il faut viser à faire entrer dans le service des postes le plus de lettres possible dont le port soit fixe, et ait été payé d'avance.
Et pendant que nous nous occupons de démontrer les avantages d'une taxe fixe, passons encore en revue ici quatre sortes de taxes particulières: 1º la taxe des lettres de la ville pour la ville, 2º la taxe des lettres écrites par les soldats, 3º la taxe des lettres circulaires, 4º enfin la taxe des lettres étrangères; et voyons comment ces quatre sortes de lettres pourraient être affectées par l'établissement d'une taxe uniforme.
1° La taxe des lettres de la ville pour la ville est aujourd'hui progressive; mais cette progression ne s'applique qu'aux conditions du poids de la lettre: en effet, là il n'y avait pas de transport appréciable, mais bien seulement distribution des lettres, et quand il s'agissait de déterminer le prix de port, leur poids seul devait être pris en considération.
L'échelle de poids en usage pour la taxe des lettres de la ville pour la ville est plus large que celle que nous avons vu s'appliquer aux lettres qui doivent parcourir une certaine distance hors de la ville d'où elles partaient. Au lieu de 7 gr. 1/2, la taxe simple permet un poids de 15 gr.; de 15 gr. elle va à 30, et ensuite elle s'augmente de 30 en 30 gr. d'un demi-port primitif.
Cette échelle de taxe, quoique plus simple que l'autre, pourrait être encore simplifiée. Les lettres que s'écrivent des particuliers de la même ville sont très-rarement doubles, excepté s'ils s'envoient des papiers d'affaires, ou des paquets; dans ce cas, il faut que l'administration détermine jusqu'à quel poids elle consent à transporter ces paquets, et qu'elle fixe, pour ceux-ci comme pour les lettres, un port modéré; car c'est surtout dans l'intérieur de la même ville, qu'on cesserait d'employer l'entremise de la poste, si le prix de transport était trop élevé. Il n'est guère supposable que, dans une lettre de la ville pour la ville même, on s'avisât de réunir plusieurs lettres adressées à divers particuliers pour ne payer qu'un port; car il faudrait dans ce cas que le destinataire fit porter les incluses à domicile, et autant vaudrait que l'envoyeur prît ce soin lui-même. Ces lettres sont donc toujours simples, dans le sens que nous attachons à ce mot. Ce sont des lettres adressées par la même personne à la même personne; ce sont des invitations, des avis, des notes; et lorsque ces lettres sont plus pesantes, ce sont des paquets de diverses espèces que l'administration des postes peut transporter avec avantage, au-dessous d'un certain poids qu'elle aura fixé.
Il ne faudrait donc pour ces correspondances que deux taxes fixes, et toutes deux très-modérées, savoir, celle des lettres et celle des paquets. Et dans la crainte que le public n'usât pour ses commissions de ce dernier mode de distribution, jusqu'à rendre la distribution des facteurs impossible, il serait bon de fixer à 100 gr., par exemple, le maximum du poids des paquets, et de régler ainsi la taxe: 1 déc. pour les lettres de 0 à 50 gr., et 2 déc. pour les lettres de 50 gr. à 100 gr. Nous dirons tout à l'heure comment cette taxe serait appliquée.
Cette taxe de 1 déc. et de 2 déc. selon le poids, serait encore applicable aux lettres envoyées d'un bureau de poste à un bureau de distribution avec lequel il correspondrait directement, ou de ce bureau de poste à chacune des communes de son arrondissement, ou enfin de commune à commune dans le même arrondissement. En effet la distance de chacun de ces points à l'autre, n'est pas appréciable postalement parlant, car la distance dans les postes ne se calcule que de bureau de poste à bureau de poste. Et sous le rapport des conditions du poids des lettres, tout ce que nous avons dit des lettres de la ville pour la ville, devrait être applicable à celles que nous venons de mentionner ici.
Les trois autres espèces de taxe de lettres sont, pour ainsi dire, exceptionnelles.
2º Ainsi la taxe appliquée aujourd'hui aux lettres adressées aux soldats ou aux sous-officiers sous les drapeaux est d'une somme fixe de 25 cent., quelle que soit la distance parcourue dans le royaume. Cette taxe devrait être fixée au prix le plus bas des taxes perçues, soit à 1 déc. fixe par lettre, toujours à la condition que cette lettre ne renfermerait pas d'incluses, et le trésor, en faisant un acte de justice à l'égard d'hommes qui reçoivent par jour un si faible traitement en argent, obtiendrait peut-être en définitive, sur cette nature de correspondance, une recette annuelle plus élevée.
3º La taxe des lettres d'avis, de mariage, de décès, etc., est une taxe d'imprimés, car elle est payée d'avance, et la loi 51 dit que ces lettres ne devront pas contenir d'écriture à la main, et seront pliées du manière à pouvoir être facilement vérifiées. Ces avis cependant, admis sous forme de lettres cachetées, paient un port fixe de 5 cent. ou de 1 déc., selon qu'ils sont destinés pour la ville même où ils ont été remis à la poste, ou qu'ils sont envoyés dans d'autres bureaux de poste du royaume. Cette taxe est modérée, elle est rationnelle et nous proposerions de la conserver. En effet, bien que les frais de transport et de distance de ces sortes de lettres soient les mêmes pour l'administration que ceux résultant du transport de toutes les autres lettres des particuliers, elles offrent un intérêt moindre pour ceux-ci, et il importe à l'administration des postes de les faire rentrer dans son service par un abaissement de la taxe; c'est le principe que nous avons invoqué partout.
4º Enfin un système de taxation modéré n'affecterait pas non plus les conditions du prix de transmission des lettres aux pays étrangers.
Les lettres qui se transmettent de France à l'étranger, et de l'étranger en France, sont généralement remises au poids, et le prix est fixé pour chaque once ou 30 gr. pesant, quel que soit le nombre des lettres que ce poids de 30 gr. renferme. Le prix de transmission est réciproque; il est généralement réglé par un traité, et proportionné à la distance que les lettres ont parcourue, ou doivent parcourir, pour arriver à la frontière. Les rayons de taxe que l'on fait à cette occasion, n'ont pas de rapports nécessaires avec les taxes établies pour le parcours intérieur. Ceux-là sont arbitrairement réglés, non par la loi, mais par le traité, et sont mis en rapport avec les taxes de distances des pays étrangers. On voit donc que l'abaissement de nos taxes intérieures n'aurait pas pour conséquence de faire baisser les prix qui sont payés à l'administration des postes françaises pour le transport des lettres étrangères envoyées en transit par la France, et ne changerait rien aux traités faits ou à faire à ce sujet. Si les taxes françaises, plus modérées que les taxes étrangères, devaient provoquer, de la part des pays limitrophes, une demande d'abaissement sur le prix du transit en France, la France, à son tour, demanderait un abaissement proportionnel sur le prix du transit des lettres étrangères qu'elle est obligée d'acquitter. Tout serait donc égal entre les parties; et la France jouirait, d'une manière plus étendue, du bénéfice d'une réduction qui, si elle est bonne, ne pourrait pas perdre à être généralisée.
Maintenant, comme transition à la proposition d'une réduction de la taxe en général qui doit être le résultat de l'établissement d'une taxe fixe, et avant de passer à la fixation du prix de port des lettres circulant de ville à ville, disons que si, par une heureuse disposition, l'administration pouvait augmenter tout à coup considérablement le nombre des lettres en circulation, les frais de transport n'augmenteraient pas dans la même proportion, parce que les moyens d'exploitation sont organisés de manière à transporter, sans aucune augmentation de dépenses, une beaucoup plus grande quantité de lettres que celles qui circulent aujourd'hui.
En effet, examinons quelle est la dépense d'un service en malle-poste, le plus cher de tous les services, et voyons quel est le nombre des lettres que cette malle pourrait transporter.
Soit la malle-poste de Paris à Marseille, dont le parcours est le plus long. La dépense se compose par poste:
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1º Du prix de l'emploi de quatre chevaux. 2º Du salaire du courrier. 3º Du salaire du postillon. 4º Des frais d'entretien et de renouvellement de la voiture. Total par poste. |
4 1 1 0 7 |
f. |
50 25 25 60 60 |
52. 53. |
La distance étant de 100 postes, la dépense totale pour une course de Paris à Marseille est donc 760 fr. Le magasin de la malle de Marseille peut contenir un poids de 600 kilogrammes environ de lettres et de journaux. Supposons que la malle ne transporte un jour que des journaux ou des imprimés; chaque feuille pouvant représenter un poids de 7 g. 1/2 et 600 kilogrammes étant égaux à 80,000 fois le poids de 7 g. 1/2, on transporterait donc 80,000 imprimés, et la recette, à raison de 4 cent. l'un, serait d'environ 3,200 fr., c'est-à-dire plus de 4 fois plus élevée que la dépense.
Supposons maintenant que le magasin de la malle fût rempli de lettres seulement; le poids d'une lettre simple ne doit pas dépasser 7 g. 1/2, mais lorsque les lettres sont réunies, on compte généralement le poids des lettres sur le pied de 5 grammes par lettre simple: dans 600 kil. il se trouverait cent vingt mille fois 5 gr., autrement dit 120,000 lettres ou, enfin 120,000 fr., puisque la taxe d'une lettre de Paris à Marseille est de 1 fr. La recette serait donc égale ici à peu près à cent cinquante-cinq fois la dépense.
Supposons enfin que le magasin de la malle contînt moitié lettres et moitié journaux, la recette serait encore de 61,600 fr., ou égale à quatre-vingt-cinq fois la dépense.
Nous ne comptons pas ici les trois places de voyageurs qui donnent dans tous les cas 450 fr. par voyage, c'est-à-dire les deux tiers de la dépense, lorsqu'elles sont occupées.
Cependant le montant actuel de la taxe des lettres et des journaux envoyés de Paris aux 274 bureaux de poste desservis par la malle-poste de Marseille, n'est que d'environ 3,083 fr. par jour.
Si la taxe était réduite, par exemple, à 20 c. par lettre simple, la recette serait, pour cent vingt mille lettres, de 24,000 fr. par voyage, c'est-à-dire trente-une fois plus élevée encore que la dépense en frais de transport.
Si l'on voulait enfin proportionner exactement la taxe fixe à apposer sur les lettres des particuliers aux frais de leur transport réel, la taxe moyenne d'une lettre simple de Paris à Marseille serait de 6 c. 1/2, en supposant que la malle contînt autant de lettres qu'elle en pourrait contenir, c'est-à-dire 120,000.
Il est vrai que dans tous ces calculs nous avons omis avec intention de parler des correspondances administratives. Mais dans l'hypothèse d'un accroissement dans le nombre des lettres des particuliers aussi considérable que celui que nous avons supposé, on pourrait donner aux correspondances administratives dans les malles-postes la place qu'occupent aujourd'hui les voyageurs et leur bagage, et on ne renoncerait qu'à un produit variable de 4 fr. 50 cent. par poste.
Un accroissement même considérable dans le nombre des lettres n'augmenterait pas non plus les frais de transport des dépêches par entreprise. Les marchés ne stipulent pas la pesanteur des paquets de lettres, et les voitures qu'emploient en général les entrepreneurs pour le transport des voyageurs et des marchandises, suffiraient à toutes les exigences possibles en ce genre.
Il reste donc démontré que, quel que soit le nombre des lettres à transporter, le montant de leur taxe suffira toujours à payer les frais de leur transport; qu'il y aura toujours spéculation avantageuse pour l'administration à transporter des lettres, même train de malle-poste; et que, si elle était assez heureuse pour se voir obligée de doubler ses courriers, elle devrait s'applaudir de cette nécessité, non-seulement comme du symptôme d'un accroissement immense dans la prospérité publique, mais encore comme d'une source certaine d'accroissement de produit pour sa régie.
Quant aux frais actuels d'exploitation du service des postes, autres que les dépenses du transport, il n'y a pas lieu de croire qu'ils s'augmentassent beaucoup non plus par l'accroissement du nombre des lettres. Il est vrai que l'administration a plusieurs fois appuyé ses demandes de crédit pour l'augmentation de son personnel, sur le nombre toujours croissant des lettres en circulation, probablement parce que cet argument était plus sensible pour les Chambres et pour le public, et qu'il était juste avec le système actuel de taxation; mais, en réalité, l'accroissement du nombre des lettres n'augmenterait pas le travail des directeurs, si la taxe était fixe. En effet, la partie la plus pénible du service de ces agents consiste dans la nécessité de recevoir des courriers nombreux, souvent pendant la nuit; de rester de dix à douze heures par jour dans leur bureau, pour satisfaire aux réclamations d'un public exigeant; de former et de vérifier de nombreuses dépêches; enfin, et surtout, d'apposer, de compter et de vérifier une grande diversité de taxes; mais le nombre plus ou moins considérable des lettres serait peu de chose pour eux, si les taxes étaient claires, uniformes et acquittées d'avance.
Mais si la taxe fixe est juste en principe, commode pour le public, et favorable à la sûreté et à la rapidité du service des postes, à quel taux conviendrait-il de la fixer? C'est ce que nous allons examiner maintenant.
Une taxe fixe en France ne pourrait pas représenter exactement la moyenne entre toutes les taxes actuellement établies, parce que le port d'un nombre très-considérable de lettres, c'est-à-dire de celles justement qui sont envoyées à de courtes distances, se trouverait augmenté, quelquefois même doublé, ce qui n'est pas proposable. En effet, nous avons vu que la moyenne des taxes actuelles était environ 50 cent., et aujourd'hui toutes les lettres simples envoyées à une distance de moins de 150 kilom., sont taxées à moins de 40 cent.
Mais si aucune taxe parmi les lettres actuelles ne peut être augmentée, il convient donc d'adopter, comme taxe générale, la moins élevée de toutes, et c'est à cette conclusion que nous devions être forcément amené. Il paraît presque impossible qu'une taxe fixe pour toutes les lettres circulant en France ne soit pas réglée au prix de la plus basse des taxes actuellement en usage, soit 1 déc. par lettre simple circulant dans l'arrondissement du bureau de poste où elle a été confiée au service, et 2 déc. aussi par lettre simple, pour tout autre parcours dans l'étendue du royaume.
Cherchons maintenant, et tout d'abord, à nous rendre compte du résultat financier de l'adoption d'un semblable tarif.
Les 79 millions de lettres qui ont circulé en France en 1836 54 se divisent ainsi:
5 millions environ de ces lettres étaient adressées à des habitants de l'arrondissement des bureaux mêmes où elles ont été confiées au service des postes;
7 millions environ représentent les lettres de Paris pour Paris;
Enfin la partie excédante, ou 67 millions, est le nombre des lettres qui ont été envoyées de bureau à bureau, et qui ont supporté la taxe progressive de poids et distance.
|
Si les douze premiers millions de lettres, que l'on appelle
dans les postes correspondance locale, eussent été
taxés au taux fixe de 1 déc., la recette eût été: Si les autres 67 millions eussent supporté une taxe fixe de 2 déc., cette partie de la recette eût été: Total |
1,200,000 13,400,000 ------------ 14,600,000 |
Mais de combien pensera-t-on que le nombre total des lettres en circulation eût dû s'augmenter par une semblable réduction de taxe, et par la suppression presque totale de la fraude, qui en eût été sans doute la conséquence 55? Des négociants ou des particuliers entretenant des correspondances entre Paris et Pau, par exemple, ne seraient-ils pas conduits à écrire beaucoup plus souvent, lorsque le port de leur lettre ne leur coûterait plus que 20 cent. au lieu de 1 fr. 56? Cette habitude d'écrire, restreinte aujourd'hui par l'élévation du port, ne peut-elle pas s'étendre au point que chaque particulier rendrait au trésor public, en taxes réduites, des sommes quatre ou cinq fois plus fortes que celles qu'il paie aujourd'hui avec les taxes actuellement établies?
Note 56: (retour) Et pour prendre un exemple dans une autre espèce de transports, ne pourrait-on pas affirmer que beaucoup de personnes qui employaient rarement les voitures de places, ont été conduites par l'économie du prix à se servir des voitures omnibus, et ensuite à les prendre si souvent, qu'à la fin de l'année, leur dépense en frais de transport est dix fois plus élevée qu'auparavant?
Supposons que le nombre des lettres ne se fût augmenté en 1836 que de cent cinquante pour cent, par suite de cet abaissement considérable de la taxe, c'est-à-dire que l'on n'eût obtenu que le double des lettres, plus moitié en sus, la recette n'aurait pas baissé même dès la première année, car cette recette eût été, d'après notre tarif réduit, de 36,500,000 fr., et, avec le tarif actuel, les recettes de la taxe des lettres ne se sont élevées en 1836 qu'à 35,665,000 fr. 57.
Dans les années qui suivraient celle où l'abaissement du tarif aurait été adopté, la recette irait croissant, selon toute probabilité, si nous ne sommes pas trompé entièrement dans nos raisonnements relatifs à la nécessité de correspondre plus fréquemment, qui se fait sentir partout; aux inconvénients de la fraude pour les particuliers qui y ont recours; et enfin à l'accroissement des recettes trop peu considérables aujourd'hui, si on les compare aux produits du dixième des places des voyageurs dans les voitures publiques.
Ainsi, dans l'hypothèse de la réduction de la taxe des lettres à 1 déc. et à 2 déc., ce ne sont pas seulement les frais du service qui seraient largement couverts par les recettes; mais ce seraient les recettes actuelles, lesquelles sont doubles des frais, qu'on pourrait avoir l'espoir de conserver, de voir s'augmenter même, en même temps qu'on satisferait à un devoir de moralité publique en facilitant les correspondances des classes pauvres, et aux besoins journaliers du commerce et de l'industrie, en diminuant le prix d'un service qu'ils doivent toujours et forcément employer.
CHAPITRE V.
De l'emploi d'un timbre sec pour l'application de la taxe.
L'idée d'apposer les signes de taxe sur les lettres au moyen d'un timbre, est très-ancienne; en effet, elle est simple, et elle devait se présenter naturellement à l'esprit de ceux qui exploitaient le privilège des postes.
En 1653, un Mr de Velayer, maître des requêtes, qui paraît être l'inventeur véritable du service de la petite poste à Paris 58, avait obtenu un privilége du roi pour l'établissement de boîtes aux lettres, qu'il avait placées aux coins des principales rues, boîtes qu'il faisait lever trois fois le jour par des hommes chargés de porter les lettres à leur adresse. On appelait ces boîtes les boistes des billets.
«Mais en même temps (dit Pélisson, de qui nous empruntons les propres expressions) 59 il avait établi un bureau au palais où on vendait pour 1 sou pièce certains billets imprimés et marqués d'une marque qui lui était particulière. Ces billets ne contenaient autre chose, sinon: port payé le jour de l'an mil six cent cinquante-trois ou cinquante-quatre. Pour s'en servir, il fallait remplir le blanc de la date du jour et du mois auquel vous escriviez, et après cela vous n'aviez qu'à entortiller ce billet autour de celui que vous escriviez à votre ami, et les faire jeter ensemble dans la boiste 60.»
Note 60: (retour) Lire aussi l'avertissement placé en note au recto du billet de Pisandre. L'envoi d'un billet port payé dans la lettre pour servir à affranchir la réponse demandée, est un moyen très-simple qui a été reproduit à peu près 200 ans plus tard par M. Rowland Hill, qui sans doute n'avait pas connaissance des billets de M. de Velayer.
Voilà bien le système du timbre et de l'affranchissement préalable tout à fait en application, quoique encore sur une petite échelle. Le développement du même système a été le sujet d'un mémoire adressé à l'administration des postes, il y a dix ans environ, par un respectable habitant de Paris 61, qui avait passé une partie de sa vie à poursuivre, souvent en vain, l'exécution de quelques projets utiles.
D'autre part, lorsqu'on discuta, il y a quelques années, dans le parlement anglais, la question de savoir s'il ne convenait pas d'abolir le timbre des journaux, et d'y substituer un droit de poste, M. Charles Knight proposa de faire vendre des empreintes timbrées d'un penny, au moyen desquelles les particuliers affranchiraient les feuilles qu'ils auraient à expédier par la poste.
Enfin ce système de taxation au moyen d'un timbre sec vient d'être développé en 1837 par M. Rowland Hill avec un talent et une netteté remarquables. C'est lui qui attribue à M. Knight l'idée première de ce moyen, mais il s'en empare aussitôt avec beaucoup d'avantages, pour en faire une large application. M. Hill propose l'adoption d'une taxe fixe et unique d'un penny (10 c.) pour toute lettre circulant dans l'étendue de la Grande-Bretagne 62. Les aperçus les plus raisonnables, les calculs les mieux établis, viennent à son aide, lorsqu'il démontre que la recette générale des postes ne doit pas en souffrir. Son opinion a été défendue à la chambre des lords par lord Brougham; elle a été partagée et soutenue à la chambre des communes par M. Wallace, M. Warburton, par M. Hume, lord Lowther, et par plusieurs autres amis sincères des progrès du commerce et de la civilisation; enfin elle a su toucher assez vivement l'opinion publique pour qu'une commission d'enquête ait été nommée 63, et tout fait croire que bientôt, sans doute, son plan, au moins en grande partie, sera mis à exécution.
Beaucoup de considérations sur lesquelles s'appuie avec raison M. Rowland Hill ne sont pas applicables à la France, et je n'ai pas l'intention de le suivre dans ses développements relatifs à la modification du tarif anglais; les deux taxes fixes que je propose, l'une pour les lettres de la ville pour la ville, l'autre pour les lettres envoyées hors de l'arrondissement des bureaux de poste où elles auront été confiées au service, en même temps qu'elles me paraissent devoir satisfaire complètement aux intérêts du commerce, répondraient mieux en France, qu'une taxe unique de 1 décime, au besoin de la conservation immédiate des produits, sur laquelle on appuiera toujours chez nous; mais quant au mode d'application du port que propose l'auteur anglais, il présente des avantages tellement évidents, que j'ai cru ne pouvoir mieux faire que de l'exposer presque littéralement d'après lui.
Du papier de toute espèce et des enveloppes de lettres frappés d'un timbre sec représentant la taxe, pourraient être vendus au public par les soins de l'administration des domaines ou de l'administration des postes.
La composition des timbres pourrait varier selon que le premier ou le second des tarifs que nous avons proposés serait adopté.
Supposons d'abord l'adoption du tarif réduit à six échelons de poids et à six échelons de distance que nous avons développé chap. 3 64. Nous aurions donc trente-six timbres de taxe. Chacun de ces timbres présenterait trois chiffres: 1° le chiffre indicateur de la distance que peut parcourir la lettre eu égard à sa taxe; 2º le chiffre indicateur du poids qu'elle ne doit pas dépasser; 3º enfin le chiffre indicateur de la taxe 65.
Les divisions du tarif proposé étant réglées de manière à partager toutes les taxes en six séries pour les distances et en six séries pour le poids, au moyen de trente-six timbres, toutes les espèces de lettres pourraient donc être taxées.
Et, il ne faudrait pas trop s'effrayer de ce grand nombre de timbres, et de la complication qui pourrait en résulter. Au moyen de l'extension proposée du poids de la lettre simple jusqu'à 15 gr., le premier timbre du poids servirait pour les neuf dixièmes des lettres, et les deux timbres immédiatement au-dessus, suffiraient aux autres lettres d'un poids excédant, car les lettres taxées circulant dans les postes dont le poids excède 50 gr. ne sont pas dans la proportion de une sur cinq cent 66.
L'échelle de distance, d'autre part, est claire et facile à apprécier. Les lettres adressées à de courtes distances sont les plus nombreuses, et les timbres des premiers degrés seraient plus fréquemment employés; la distance de 700 kilom. est celle de Paris à Perpignan, et c'est la plus longue de notre tarif. Toutes les distances intermédiaires sont comprises dans six catégories de taxes seulement, et par conséquent ne peuvent nécessiter l'emploi que de six timbres. Or, si on multiplie ces six timbres par le premier timbre de poids qui sera le plus souvent employé, ou par les trois premiers timbres de poids qui seuls à peu près seront employés, on verra que le nombre des timbres réellement en usage, ne sera que de six ou au plus de dix-huit, et non pas de trente-six.
On objectera cependant, que les particuliers seraient souvent dans le doute au sujet du poids de leur lettre ou de la distance qu'elle doit parcourir, et nous avouons que cette objection est très-fondée. Quoique nous pensions que les négociants pourraient prendre promptement l'habitude de peser leurs lettres, et d'estimer la distance à laquelle ils les envoient, cependant nous ne pouvons pas nous dissimuler que c'est dans le doute qu'ils pourraient éprouver à ce sujet, que réside la principale difficulté de la taxation des lettres au moyen du timbre, dans l'hypothèse de l'adoption d'un tarif basé sur le poids et la distance. Notre premier tarif, beaucoup plus simple que le tarif actuellement en usage, ne pourrait donc être encore utilement adopté, que si l'on continuait à taxer avec la plume, et en se privant ainsi des avantages du timbre sec.
Arrivons donc alors à l'application du timbre à la seconde modification proposée du tarif, celle qui consisterait à taxer à 1 décime fixe les lettres de la ville pour la ville, et à 2 décimes toute autre lettre circulant en France au-dessous du poids de 15 gr.
Dans cette hypothèse, l'emploi des enveloppes timbrées serait très-simple, et n'offrirait plus aucun embarras pour les particuliers. Les timbres de taxe pour toute espèce de lettre circulant en France ne dépasseraient pas le nombre de quatre: deux pour les lettres de la ville pour la ville ou pour l'arrondissement, et deux pour les lettres envoyées de bureau à bureau.
Des deux premiers timbres, c'est-à-dire ceux applicables aux lettres circulant dans l'intérieur de l'arrondissement de chaque bureau de poste, l'un exprimerait: 1º la pesanteur de la lettre simple qui peut s'étendre ici jusqu'au poids de 50 gr.; 2º sa nature de lettre de la ville pour la ville; 3º et enfin la taxe de 1 déc. (Voir le tableau des timbres ci-après, nº 1.) Le second indiquerait: 1º le poids de 50 à 100 gr.; 2º la nature de la correspondance de la ville pour la ville; 3º enfin la taxe qui serait 2 décimes. (Voir le tableau, nº 2.)
Pour les correspondances adressées à de plus longues distances, la rédaction des deux timbres serait à peu près la même. La condition de correspondance de la ville pour la ville seulement serait omise, et le poids seul de la lettre et la taxe seraient mentionnés. (Voir le tableau ci-contre, nos 3 et 4.) Le timbre nº 3 servirait pour les lettres du poids de moins de 15 gr., qui supporteraient une taxe de 2 décimes; et le timbre nº 4, pour les lettres de 15 gr. à 100 gr. qui seraient taxées 1 fr.
SPECIMEN DES TIMBRES.
La fixation de la taxe des lettres de la ville pour la ville à 1 d. et à 2 déc. ne demande pas ici de nouvelles explications; mais je crois qu'il est essentiel de dire tout d'abord pourquoi je propose de fixer à 1 fr. le port de toute lettre circulant en France de bureau de poste à bureau de poste au-dessus du poids de 15 grammes, et de 15 g. à 100 grammes.
L'administration des postes, en prenant l'engagement de transporter à un prix unique et considérablement réduit, toute espèce de lettres à toute espèce de distance en France, doit, ainsi que nous l'avons dit, se mettre en mesure de n'avoir à transporter que des lettres ou des paquets d'un poids et d'un volume limités.
Le poids de 15 gr. (ou d'une demi-once) est égal à peu près à celui de trois feuilles de papier ordinaire de 15 décimètres carrés; c'est tout ce que peut comporter la lettre la plus longue, même accompagnée de plusieurs effets de commerce ou autres pièces incluses. Au-dessus de ce poids, toute autre lettre peut être considérée comme un paquet cacheté, contenant des correspondances ou tous autres papiers que l'administration des postes transporterait avec avantage encore au-dessous du poids de 100 gr. (ou un cinquième de livre), mais qu'elle taxerait 1 fr. 67.
Note 67: (retour) Je suppose que l'envoi par la poste des paquets pesant de 15 à 100 gr., sera très-rare, 1° parce que les lettres de ce poids, ainsi que nous l'avons dit, sont déjà très-rares dans le service; 2° parce qu'elles le deviendraient probablement davantage encore, à cause de la diminution relativement plus grande du prix du port des lettres pesant moins de 15 grammes; car il y aurait avantage pour l'envoyeur à diviser son paquet en trois ou quatre parties qui seraient taxées chacune 2 décimes, que de le laisser en un seul paquet qui serait taxé à 1 fr. Ce second timbre donc me paraît devoir être de peu d'utilité; et si je propose de conserver cette seconde classe de lettres, et de créer le timbre qui doit en exprimer la taxe, c'est pour favoriser certains rapports entre des négociants placés à de longues distances les uns des autres, et qui préféreront sans doute l'emploi de la poste à celui des messageries pour l'envoi de factures de marchandises, ou d'autres papiers de commerce.
Ce dernier port sera encore considérablement réduit, car une lettre de 100 gr. envoyée de Paris à Avignon est taxée d'après le tarif actuel 9 fr. 90 c. Mais, en même temps, par la limite de 100 gr., on préviendrait l'abus de l'envoi par les malles-postes de paquets trop lourds sous forme de lettres, tout en laissant cependant aux particuliers la faculté de se servir encore de la poste pour l'envoi de certains papiers volumineux dans des cas urgents et pour de longues distances, faculté dont nous supposons que le commerce usera quelquefois.
Avec un système de taxation si simple et si modéré, un timbre spécial pour la correspondance des soldats ne serait pas nécessaire; car les lettres des soldats, aujourd'hui affranchies à 25 c., rentreraient dans la classe des lettres ordinaires, et paieraient 1 ou 2 décimes seulement.
Si on ne jugeait pas à propos de faire rentrer les lettres d'avis de naissance, de mariage et de décès, dans la classe des imprimés, et de les taxer comme tels à 4 c. par feuille, on pourrait adopter pour cette espèce de correspondance deux timbres spéciaux d'une forme particulière pour qu'ils se distinguassent des autres timbres de taxe. Ces timbres seraient appliqués dans le service sur les avis présentés à l'affranchissement au moyen d'une couleur délayée à l'huile comme les timbres de dates actuels; l'un servirait pour les avis de la ville pour la ville et l'autre pour les avis envoyés à de plus longues distances.
Toutes les lettres ainsi timbrées seraient traitées dans le service des postes comme lettres affranchies; elles pourraient être jetées à toutes les boîtes, comme sont aujourd'hui les lettres à taxer, et remises, dans tous les cas, franches de tout prix de port, à leur destination.
Les timbres seraient apparents, soit qu'ils se trouvassent placés sur un coin des enveloppes, soit qu'ils fussent frappés à une certaine place des feuilles de papier destinées à écrire des lettres, de manière à se représenter sur la suscription de la lettre pliée.
Les lettres réexpédiées par suite du changement de résidence du destinataire n'auraient pas de taxe supplémentaire à supporter, parce que la distance parcourue par la lettre en France ne serait jamais prise en considération.
Toute lettre qui excéderait le poids indiqué par le timbre, devrait être mise au rebut. Cette disposition exactement exécutée, détournerait les particuliers de l'idée de se livrer à cette espèce de fraude qui consisterait à tenter de faire transporter pour une taxe moindre que celle qu'elle devrait supporter, une lettre pesant plus que le timbre de l'enveloppe ne le comporterait. En effet, une lettre timbrée étant une fois dans le service, ne pourrait subir aucune taxe supplémentaire; il est, et doit être de principe, qu'une lettre affranchie parvienne toujours franche, et que le destinataire ne se trouve dans aucun cas passible d'un supplément de port. Dans l'ordre de choses actuel, l'administration supporte les différences et les erreurs de taxe pour les lettres affranchies, parce que ces erreurs sont le résultat de l'inattention de ses agents; mais dans l'avenir, ces erreurs seraient du fait des particuliers envoyeurs, ceux-ci seuls devraient donc en être responsables; or, ils ne pourraient l'être que par la perte du timbre, et par le retard qu'éprouverait leur lettre. Au reste, ces cas seraient nécessairement très-rares, à cause de la grande extension donnée au poids de la lettre simple, et de la modicité de la taxe qui éloignerait tout intérêt de fraude. Il n'y aurait d'ailleurs que peu de doute dans l'esprit des envoyeurs, puisque la distance serait hors de question, et qu'il ne s'agirait plus que de savoir si la lettre pèse 15 gr. ou davantage: or, nous avons dit que les dix-neuf vingtièmes des lettres en circulation dans les postes pesaient moins de 15 gr. 68.
L'emploi des enveloppes timbrées serait toujours préférable pour les particuliers et pour le service de l'administration, à l'emploi du papier timbré, et il serait désirable que le commerce fût conduit à se servir toujours des enveloppes. Le moyen d'arriver à ce résultat semblerait facile: ce serait de diminuer le poids du papier de l'enveloppe même, du poids total accordé à la lettre dans l'énonciation du timbre; les lettres sous enveloppes seraient alors entièrement assimilées, pour le poids, aux lettres envoyées simples, et les avantages de l'enveloppe comme propreté, sûreté et commodité, ressortiraient sans compensation de perte sur le poids.
Les enveloppes destinées à renfermer des lettres simples, c'est-à-dire, pesant moins de 15 gr. (le poids de l'enveloppe non compris) seraient toutes du même format, quelle que fût la distance à parcourir par la lettre. Les enveloppes timbrées du prix d'un franc et destinées à recevoir des lettres plus pesantes, seraient faites d'un format proportionnellement plus grand. La conséquence de cette régularité dans le format des lettres de même prix ou au moins de même pesanteur, serait, comme nous l'avons dit, une accélération notable dans la vérification des taxes, et une facilité très-grande pour le compte et la formation des dépêches.
L'administration des postes, ayant en sa possession la matrice des timbres, ferait frapper des enveloppes ou du papier en aussi grande quantité que les besoins du public l'exigeraient; elle pourrait être autorisée à accorder une remise aux débitants de papier à Paris et dans les départements, et à ses propres agents, qui, dans les provinces, devraient se charger de ce débit.
Le papier timbré serait vendu partout, et comme les timbres secs devraient s'appliquer, à la demande des fabricants, sur des papiers de toute espèce, les débitants pourraient satisfaire à toutes les fantaisies du luxe comme à tous les besoins de l'économie, et chacun serait conduit à avoir sur son bureau sa provision de papier de poste, comme on trouve chez les gens de loi des provisions de papier timbré.
Il résulterait de ce système de taxation divers avantages que nous devons mentionner d'abord, avant que de répondre aux objections que le système pourrait faire naître.
1º Il y aurait plus de rapidité dans le travail de manipulation des lettres et moins d'erreurs de la part des employés, parce que la même taxe serait appliquée sur des lettres de même grandeur, et que les employés des postes, comme les particuliers, pourraient le plus souvent, à la simple inspection, juger du montant de la taxe des lettres par leur dimension même: car plus une lettre est grosse, plus elle pèse, et plus elle pèse, plus le port doit s'en élever. La plupart des erreurs commises par les employés proviennent de la complexité des opérations qui se rattachent à la composition, à l'application, à la vérification, enfin à la constatation de taxes toutes différentes les unes des autres 69, et la simplification que nous proposons abrégerait considérablement toutes ces opérations. Si, au lieu de lettres à affranchir, qu'il faut, dans l'ordre de choses actuel, recevoir de la main du particulier, peser, taxer et enregistrer, et de lettres non affranchies qu'il faut relever, timbrer, peser, taxer et mettre en compte, il n'y avait dans le service des postes qu'une sorte de lettres dont la taxe, qui aurait été perçue avant qu'elles n'entrassent dans ce service, serait facilement reconnaissable et rapidement appréciable, il est certain qu'on obtiendrait immédiatement une économie considérable sur le temps employé pour le travail des bureaux et pour la distribution des lettres dans les villes, et en même temps, peut-être, qu'une diminution dans le nombre des agents chargés du service, et dans les frais de régie et d'exploitation.
Il sera nécessaire, sans doute, de se livrer dans les bureaux de poste à l'examen préalable des timbres, pour prévenir les fraudes qui pourraient se faire, et sur le poids des lettres, et par le double emploi des enveloppes; mais il y a loin du temps employé pour un examen semblable, lequel peut être très-rapide, aux délais qu'entraînent la composition longue et difficile, l'application obscure, enfin la constatation pénible des taxes actuelles de poids et de distance.
2º Il y aurait diminution dans le nombre des lettres en rebut, puisque rien ne se place si aisément qu'une lettre franche, et qu'aucune taxe ne devrait désormais être perçue au point d'arrivée. Or, il y a eu en 1836 quinze cent quatre-vingt mille lettres en rebut 70; si la somme de taxe montant à 790,000 fr. que représente ce nombre de lettres, à raison de 50 cent. l'une, ne doit pas entrer tout entière dans les augmentations de recettes sur lesquelles l'administration des postes peut compter par suite de l'adoption de la nouvelle mesure, on conviendra du moins que la suppression des registres, et des imprimés nécessaires dans les postes pour la constatation et le renvoi à Paris de cette immense quantité de lettres refusées, et pour l'allocation des taxes aux directeurs qui les portent ensuite en non-valeurs dans leurs comptes, sera un grand avantage administratif, un allégement au travail, et une diminution dans les frais d'exploitation à Paris où ce travail seul occupe une vingtaine d'employés.
Mais la disparition presque totale des lettres en rebut aura une autre portée morale qu'il ne faut pas oublier. L'envoi de prospectus sous plis fermés, d'offres inutiles et souvent d'avis ridicules ou de mauvaises plaisanteries, se trouve favorisé par le mode actuel de réception des lettres dans le service des postes sans affranchissement préalable. C'est dans le cas dont nous parlons un piége tendu à la bonne foi des personnes qui reçoivent et paient toutes les lettres qu'on leur apporte; c'est une espèce de surprise pour beaucoup d'autres; enfin c'est un travail infructueux pour l'administration des postes, parce que ces lettres ne paient le port ni au départ ni à l'arrivée. Il serait désirable que tout le monde fût débarrassé de ces sortes de lettres qui, par extension, pourraient être nommées lettres d'attrape. Nous croyons que de longtemps encore on ne pourra priver le public de la faculté de jeter une lettre à la boîte sans l'affranchir; il faut un temps de transition, il faut que l'usage de l'affranchissement préalable devienne général par l'expérience qu'on acquerra bientôt des avantages qu'il présente au moyen des enveloppes timbrées, et nous proposerons tout à l'heure de faire marcher concurremment les deux systèmes de taxation; mais au moins, dès à présent, les négociants qui adopteront pour leurs correspondances réciproques l'usage des enveloppes timbrées, ne seront plus exposés à recevoir des lettres de la nature de celles dont nous venons de parler.
3º Il n'y aurait plus d'occasions de démoralisation pour un grand nombre de commissionnaires ou de jeunes commis de maisons de banque chargés d'aller aux bureaux de poste affranchir des lettres, et qui succombent quelquefois à la tentation de détruire ces lettres pour s'approprier le montant de l'affranchissement, ou d'exagérer auprès de leur patron le prix de l'affranchissement pour faire un bénéfice sur cette opération. Ces faits nous ont été signalés par plusieurs négociants respectables. Ils ont pour résultat d'accroître la responsabilité de l'administration, en même temps qu'ils démoralisent les agents employés à cet office, lesquels, après plusieurs larcins impunis, peuvent se laisser aller à des atteintes plus graves contre la société.
Chaque négociant affranchira sa lettre de son bureau même; il n'aura pas à redouter l'indélicatesse de son commis ni d'un agent des postes; il ne craindra pas non plus les réclamations de ports de lettres de son correspondant; il n'y aura plus aucune espèce de compte semblable, puisque cette dépense, dont chaque négociant paie ordinairement la moitié, mais sur le mémoire arbitrairement dressé de son correspondant, sera payée plus justement par chaque partie, au départ de la lettre, et qu'elle s'ajoutera, pour ainsi dire, à la valeur de la feuille de papier dont on se servira pour écrire.
4º Il y aura une extrême simplification dans le mode de perception des recettes. Des comptables en effet qui ne toucheraient plus d'espèces, ne seraient jamais trouvés en déficit; ils ne pourraient plus commettre d'erreurs ou de malversations nuisibles aux intérêts de l'État que sur quelques recettes autres que celles de la taxe des lettres, recettes d'ailleurs peu considérables, telles que le prix de places des voyageurs dans les malles, et les articles d'argent; et l'usage des enveloppes timbrées devenant plus général, leur comptabilité se bornerait à peu prés à un compte en nombre des enveloppes qui leur seraient envoyées; l'application du timbre pourrait avoir lieu à Paris, et la recette tout entière des postes s'opérerait ainsi au trésor public sans aucuns frais de rentrée, d'escompte ou de trésorerie.
Examinons maintenant les différentes objections qu'on pourrait faire à notre système; et d'abord attachons-nous à la plus grave de toutes: c'est celle qui prend sa source dans l'obligation qui sera imposée à toutes les personnes qui écrivent, d'affranchir leurs lettres à l'avance.
Pour bien nous rendre compte du nombre des correspondances qui souffriront de cette mesure, passons en revue toutes les espèces de lettres circulant par la poste, afin de voir quelles sont celles qui pourraient être gênées par la nécessité de l'affranchissement préalable qu'entraîne l'usage des enveloppes timbrées.
Les lettres qui circulent dans le service des postes peuvent être divisées en quatre classes, savoir:
Pour les lettres suivies d'une réponse: 1º les lettres dont le port est payé par chaque correspondant, 2º les lettres dont un seul correspondant paie le port à l'aller et au retour.
Et pour les lettres qui ne sont pas suivies de réponses:
3º Celles qui sont affranchies par l'envoyeur, 4º enfin celles dont le port est payé par le destinataire.
La première classe de ces lettres, c'est-à-dire les lettres dont le port doit rester à la charge de chaque correspondant, forme au moins les cinq sixièmes des lettres qui circulent dans le service des postes. Les commerçants, qui sont dans l'usage de partager le prix des ports de lettres, ne seraient nullement gênés par la nécessité de payer le port d'avance; et puisqu'il est d'usage entre eux de payer la moitié de la dépense totale en ports de lettres, peu leur importe de payer le port de la lettre qu'ils envoient, ou celui de la lettre qu'ils reçoivent.
A l'égard de la deuxième classe, c'est-à-dire, des lettres suivies de réponses, mais dont un seul correspondant doit payer le port à l'aller et au retour, la partie payante peut être le correspondant qui écrit le premier, ou celui qui répond. Si c'est celui qui écrit le premier qui désire payer le port de la réponse, il peut envoyer dans sa lettre une enveloppe timbrée, dans laquelle devra être incluse la réponse, qui se trouvera ainsi exempte de port pour le répondant; et si c'est le correspondant qui reçoit la première lettre, qui désire acquitter les deux ports de lettres, il pourra mettre dans sa propre enveloppe une autre enveloppe timbrée qui remboursera son correspondant de l'avance qu'il aura faite pour lui 71. L'envoi réciproque de ces enveloppes timbrées pourrait passer dans les habitudes du commerce. Cet usage serait plus raisonnable et plus juste que celui par lequel on se fait, comme aujourd'hui, des comptes arbitraires de ports de lettres, et cet envoi d'enveloppes timbrées n'aurait lieu que dans les cas très-rares où les intérêts ne seraient pas réciproques.
En somme, la deuxième classe, comme la première classe de lettres dont nous avons parlé, ne sera pas gênée par la nécessité de payer le port d'avance.
La troisième classe, c'est-à-dire celle des lettres qui ne doivent pas recevoir de réponse, et dont l'envoyeur doit payer le port, est favorisée complètement par ce nouvel arrangement; car l'envoyeur qui est obligé, dans le système actuel, de se transporter à un bureau de poste pour déposer le prix de sa lettre, pourra l'affranchir sans sortir de chez lui, au moyen de son enveloppe timbrée.
La quatrième classe est celle des lettres qui ne doivent pas être suivies de réponse, et dont la taxe doit rester à la charge du destinataire; c'est la seule nature de correspondance qui semble devoir être gênée par un système d'obligation générale d'affranchissement préalable. Cependant il faut remarquer en premier lieu que le nombre des lettres de cette espèce est infiniment petit; il ne doit pas être d'une lettre sur mille. Il doit être très-rare, en effet, qu'un particulier ait un intérêt personnel à écrire à un autre, et se trouve en même temps dans l'impossibilité morale d'affranchir sa lettre; il semble que le contraire est plus probable; qu'il doit, au contraire, être le plus souvent forcé d'affranchir sa lettre; et si, dans des cas très-rares, il n'affranchit pas, c'est qu'il veut abuser, dans son propre intérêt, de la confiance de son correspondant, ou qu'il croit qu'un usage reçu défende d'affranchir, bien que l'équité exigeât qu'il le fît.
Dans le premier cas, l'usage nouveau aura, comme nous l'avons dit, cet avantage de débarrasser le service et les négociants de ces offres de service, de ces prospectus qui ne seraient plus reçus qu'affranchis; bon nombre de ces lettres aujourd'hui refusées, rentreraient peut-être dans les postes, sous forme d'affranchissement; et en second lieu, si c'est pour se conformer à cette opinion que la politesse ne permet pas d'affranchir les lettres, que certaines personnes ne paient pas d'avance le port de celles qu'elles envoient, l'adoption du système des enveloppes timbrées aurait l'avantage de mettre chacun à son aise sur ce point, et nous croyons que ce préjugé de politesse, s'il existe réellement, s'évanouirait bientôt. L'usage qui le remplacerait serait fondé sur la vérité et sur la justice, qui veulent que celui qui s'adresse à un autre de son propre mouvement, paie le transport de la lettre qu'il envoie; car cette action est déterminée par son propre intérêt, ou au moins par sa propre volonté, en admettant même le cas si rare où il écrirait réellement et seulement dans l'intérêt de la personne à laquelle il s'adresse.
Il résulte donc des observations que nous venons de présenter: 1º que pour les correspondances suivies de réponses, dans le plus grand nombre de cas, le système proposé serait praticable, commode et économique, et que, dans les autres, il modifierait quelques habitudes, mais serait encore très-exécutable; 2º que pour les lettres non suivies de réponse, le nouveau mode serait très-avantageux à celles dont le port doit être payé par l'envoyeur; et que, quant à celles dont le port doit rester à la charge du destinataire, le nombre en est extrêmement rare, et doit devenir presque nul, lorsque les lettres d'attrape et les lettres contenant des offres de services inutiles, en auront été écartées 72.
Note 72: (retour) M. Hill dit que le système d'affranchissement obligatoire est universellement adopté dans les présidences du Bengale et de Madras; que, quoique la taxe des lettres soit encore à peu près du tiers des taxes anglaises, cet usage n'a fait naître aucune plainte, et n'a pas diminué le nombre des lettres en circulation.
Au reste, nous avons examiné cette question en nous plaçant dans la prévision de la nécessité où l'on pourrait être un jour d'affranchir au moyen des enveloppes timbrées; mais nous ne croyons pas que cette nécessité, qui sera le résultat de l'usage et de l'intérêt, même des correspondants, doive être imposée immédiatement au public. Nous proposerons tout à l'heure de faire fonctionner le nouveau mode de taxation concurremment avec l'ancien, et de laisser aux particuliers la liberté d'employer l'un ou l'autre à leur choix.
Un inconvénient grave du système en discussion serait la possibilité de la part du public d'employer deux fois la même enveloppe timbrée, en faisant disparaître les caractères de la suscription au moyen d'un réactif qui rendrait au papier sa blancheur primitive, et permettrait de le revendre pour neuf. Cet inconvénient serait en effet de nature à compromettre les recettes. Il est heureusement plusieurs moyens de l'éviter. D'abord le chlore, ou tout autre réactif employé en semblable occasion, en blanchissant le papier, devrait altérer le timbre sec; car ce ne seraient pas seulement les caractères écrits avec la plume qu'il faudrait faire disparaître, mais bien encore les empreintes des timbres à date d'arrivée et de départ qui sont appliqués avec de la couleur délayée à l'huile, dont l'un, celui du départ, pourrait être apposé sur le timbre sec même. Il est très-probable qu'alors le réactif bon pour faire disparaître l'écriture, ne le serait pas pour faire disparaître le timbre à l'huile, et vice versa, que le pinceau qui devrait laver le timbre à date, mouillerait et détruirait en même temps l'empreinte du timbre sec.
Il faudrait, d'autre part, que l'opération fût faite en grand pour être véritablement productive pour celui qui l'entreprendrait; et le rassemblement d'une grande quantité de vieilles enveloppes ne serait pas sans difficulté. Dans les bureaux de poste, la chose ne serait pas plus facile qu'ailleurs; car ce n'est pas dans les bureaux de poste que les lettres sont ouvertes par les particuliers, et pour que ces enveloppes pussent servir de nouveau, il faudrait qu'elles n'eussent pas été trop froissées, ni brisées du côté du cachet. Enfin terminons par un argument qui aurait pu nous dispenser de produire les autres, c'est que nous croyons avoir la certitude qu'il existe aujourd'hui des moyens de préserver le papier d'altérations semblables à celles dont il est ici question. Le développement des procédés employés à cet effet, nous éloignerait de notre sujet; qu'il nous suffise d'assurer que ces moyens existent 73.
Note 73: (retour) Un fabricant, en Angleterre, a proposé un modèle de papier, lequel a paru satisfaire à toutes les exigences. Ce papier, dont un échantillon était joint, je crois, à la dernière édition de la brochure de M. Hill, est fait de telle manière qu'à la première altération de l'encollage qui le recouvre, des fils de soie de diverses couleurs, placés parallèlement en filigranes dans le corps du papier, reparaissent à l'extérieur. Mais il a été fait en France, dans ces derniers temps, des expériences plus satisfaisantes encore par les soins de l'administration des domaines, et on peut assurer qu'il existe maintenant plusieurs moyens de préserver le papier de toute altération.
Si, contre toute attente, l'expérience démontrait cependant qu'aucune encre ne serait à l'épreuve de ces procédés chimiques, si le papier des enveloppes ne pouvait pas posséder les propriétés que nous lui supposons, si enfin les traces du cachet précédemment placé au dos de l'enveloppe ne pouvaient pas non plus venir suffisamment en aide aux employés des postes, pour leur faire découvrir les altérations qu'on aurait fait subir aux enveloppes, nous avons pensé qu'un autre moyen de parer à la fraude pourrait être employé dans les bureaux de poste: ce serait de frapper à l'arrivée les lettres à l'endroit du timbre sec d'une espèce d'emporte-pièce qui couperait l'enveloppe à cette place, et s'opposerait à ce qu'elle pût être présentée de nouveau.
L'application de cet emporte-pièce serait très-prompte, très-facile, et ne retarderait ni ne gênerait le service.
Mais nous ne donnerons pas ici plus de développement à cette idée, persuadé que nous sommes qu'on pourrait arriver aux moyens de composer des enveloppes qui ne serviraient jamais deux fois.
M. Hill propose un autre moyen de suppléer, dans l'occasion, aux enveloppes timbrées, moyen très-simple et qui pourrait être adopté dans beaucoup de cas; il consisterait à frapper le timbre de taxe sur de petits morceaux de papier très-minces et de forme ronde, et ces timbres, semblables à ceux dont on se sert chez les notaires ou aux chancelleries, seraient collés sur les lettres au moyen d'une substance glutineuse, et déchirés ensuite dans le bureau d'arrivée par l'employé chargé de la distribution.
Si ces petits morceaux de papier timbrés étaient mis en usage, ils pourraient être débités par paquets, et appliqués sur la lettre par les particuliers eux-mêmes ou par les agents des postes. Les particuliers, surtout en province, qui seraient en doute sur le poids de la lettre qu'ils auraient écrite, pourraient la présenter aux bureaux de poste et payer immédiatement le prix du timbre, lequel serait collé sur leur lettre, en leur présence.
Peut-être objectera-t-on encore que, toutes les lettres timbrées ayant ainsi payé le port d'avance, il y aurait moins de garantie pour leur exacte délivrance que si le port en était à recouvrer par le facteur; en d'autres termes, qu'un facteur paresseux pourrait détruire les lettres pour éviter la peine de les porter.
A cela on pourrait répondre que, dans l'ordre de choses actuel, il n'y a pas plus de garanties de sécurité pour les lettres franches; mais ce ne serait pas parfaitement juste, parce que le facteur, devant nécessairement faire sa tournée pour porter les lettres taxées, n'a que peu ou point de peine de plus pour remettre en même temps les lettres franches; il s'ensuivrait donc que cette dernière part très-importante des correspondances ne doit son exacte arrivée qu'à la nécessité où est le facteur de porter des lettres dont le port est à recouvrer.
Cependant examinons quelles sûretés pourrait présenter le service nouveau.
Indépendamment des moyens de surveillance de l'administration, des contrôles et des épreuves auxquels elle pourrait avoir recours pour s'assurer de la fidélité de ses facteurs, on pourrait donner au public la possibilité de recommander des lettres pour tous les points de la France, faculté qui n'est accordée aujourd'hui que pour les lettres à la destination de Paris. Toute personne consentant à payer un demi-port en sus de la taxe ordinaire de sa lettre, serait admise à la faire recommander et pourrait en demander un reçu. A cet effet, elle remettrait au préposé des postes chargé de recevoir la taxe supplémentaire, une copie de la suscription de sa lettre, écrite sur un papier séparé, et le préposé frapperait cette copie de son timbre à date constatant le jour de l'expédition de la lettre dont ce double servirait ainsi de reçu.
Les lettres recommandées seraient placées séparément des autres dans la dépêche; mais au point d'arrivée elles seraient confondues par le directeur des postes avec les lettres ordinaires qu'il remettrait à son facteur; or celui-ci, dans l'impossibilité où il serait de distinguer les lettres qui seraient l'objet de la surveillance dont nous avons parlé, et dans la crainte d'être facilement découvert et sévèrement puni, ferait sa tournée plus exactement encore que s'il transportait des lettres taxées.
L'administration des postes cesserait de prendre un reçu des destinataires des lettres; cet usage présente des inconvénients. Comme elle n'en aurait pas donné d'autres au point de départ, que l'application du timbre de date sur une copie de l'adresse, et ceci simplement à titre de renseignement officieux et pour faciliter les recherches en cas de perte, cette perte de la lettre ne devrait donner lieu à aucune responsabilité, non plus que la perte des lettres recommandées aujourd'hui. Le reçu est une garantie morale dont le public s'est trouvé très-bien jusqu'à présent; mais, quant à la garantie matérielle, il est inutile d'ajouter que l'administration ne peut en donner aucune pour le contenu d'une lettre qui lui a été présentée fermée; et cela est si vrai, que pour les lettres chargées même la loi n'assujétit l'administration qu'au paiement d'une somme de 50 fr., garantie qui est évidemment insuffisante et illusoire. Ajoutons enfin que cette garantie morale que nous offrons, sera plus efficace que celle qui résulte de la nécessité, pour un facteur infidèle, de porter une lettre dont la taxe lui est comptée. Car dans ce cas la perte du port de cette lettre ne sera rien pour lui chaque fois qu'il la mettra en comparaison avec le profit qu'il peut tirer de son vol ou de sa négligence. L'administration doit faire choix d'employés et de facteurs d'une conduite régulière, elle doit les soutenir, les surveiller, les encourager; et cette manière d'agir sera toujours la meilleure garantie pour elle contre les pertes ou les vols des lettres.
Si l'on voulait présenter encore comme une objection sérieuse le temps ou la dépense qu'entraînerait le timbrage d'une grande quantité d'enveloppes, nous opposerions l'économie considérable de temps qu'on ferait sur l'opération de la taxation; et d'ailleurs on pourrait timbrer des enveloppes tous les jours et à toute heure, tandis qu'on ne peut taxer des lettres que dans le court intervalle de temps qui s'écoule entre la levée des boîtes et l'expédition des dépêches. La taxation des lettres, enfin, est longue, difficile et sujette à erreur, principalement en raison de la rapidité avec laquelle l'opération doit être faite; tandis que l'application d'un timbre sur une enveloppe blanche, est une opération mécanique qui sera toujours à la portée de toutes les intelligences.
Une dépense nouvelle résulterait, il est vrai, des frais de confection et d'application des timbres; mais il est facile de l'apprécier. Les matrices des timbres secs gravés sur acier avec tout le soin possible, coûteraient 40 fr. l'une, ou 1,440 fr. pour trente-six, si on allait jusqu'à trente-six timbres. Deux presses suffiraient; celles du timbre royal coûtent 1,000 fr. Toute la dépense en matériel qu'entraînerait le projet, se bornerait donc à une somme de 3,440 fr., et cette dépense n'est pas sans compensation. Nous avons dit qu'une taxation claire et régulière tourne à l'avantage des recettes; et, en second lieu, le temps d'un grand nombre d'employés expérimentés, tels que ceux qui doivent s'occuper de la taxe des lettres, a une valeur qui pourrait être ou économisée en entier, ou employée profitablement ailleurs. Il y avait, il y a quelques années, à l'administration des postes à Paris, un bureau spécial pour la taxation des lettres; il était composé de vingt-trois personnes, et il coûtait 60,500 fr. par an. Cette dépense, qui existe encore aujourd'hui sous une autre forme, pourrait être supprimée; car la vérification d'un timbre de taxe doit être à la portée de tous les commis et directeurs, et n'exigera pas des employés spéciaux.
Dispositions transitoires.
Quelque évidents que puissent paraître les avantages qui doivent résulter pour le public du nouveau système de taxation des lettres, nous ne pensons pas que ce nouveau procédé pût être substitué tout à coup, et sans transition, à celui qui est en usage aujourd'hui. Il faudrait, dans tous les cas, respecter les habitudes prises, et faire fonctionner d'abord le nouveau système concurremment avec l'ancien.
Cet emploi simultané des deux moyens n'apporterait aucune perturbation dans le service des postes. Les lettres timbrées pourraient être facilement distinguées des autres dans les dépêches; elles seraient comptées et enregistrées sur une feuille spéciale, et si cette séparation devenait l'objet d'une opération de plus pour les employés des postes, l'augmentation de travail causée par cette opération, serait compensée par la réduction de travail résultant, d'autre part, de la diminution du nombre des lettres à taxer d'après l'ancien système. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que l'abaissement de la taxe, pour les lettres timbrées seulement, ferait augmenter rapidement leur nombre, et nous croyons qu'en peu de temps celui des autres lettres serait tellement réduit, que la mesure nouvelle pourrait être généralisée sans aucun inconvénient.
CHAPITRE VI.
Conclusions.
Des développements que nous avons présentés, on peut tirer les conclusions suivantes:
1° Il est d'un puissant intérêt pour l'État que le nombre des lettres en circulation en France soit aussi élevé que possible. Les transactions du commerce ne sauraient être trop facilitées, comme sources de richesse pour le pays et de produits pour le trésor public.
2° L'accroissement du nombre des correspondances peut être obtenu, ou par l'accélération de la marche des courriers et de la distribution des lettres, ou par l'abaissement des taxes, ou mieux encore par les deux moyens réunis. L'administration a, pendant les quinze dernières années, beaucoup accéléré la marche des courriers et la distribution des lettres; mais elle n'a pas assez pensé à la réduction des taxes (p. 1-15).
3° Lorsque le port des lettres est peu élevé, la rapidité du mode de transport, et la sécurité que donne le service de l'administration des postes, ramènent à elle les correspondances qui s'échappaient par d'autres issues; et les taxes des lettres nouvelles compenseront toujours et au-delà, à cause de leur grand nombre, la diminution de recette qui pourrait résulter de l'abaissement du tarif.
4° Ces suppositions acquièrent force de certitude, si l'on consulte l'expérience du passé, et si l'on considère que chaque création de service, chaque facilité donnée au commerce par la poste, a été immédiatement suivie d'une augmentation dans les produits. Nous en avons cité des exemples pris dans la correspondance de Paris avec Marseille, accélérée récemment, ainsi que dans l'établissement du service journalier en 1827, et du service rural en 1829 (p. 5, 7, 9).
5° De doubles services de poste partant de Paris, contribueraient encore à augmenter le nombre des lettres en circulation; et un emploi mieux entendu des facteurs ruraux, en procurant à l'État une augmentation de droit de cinq pour cent sur le transport des articles d'argent, ferait entrer dans le service des postes une quantité considérable de lettres nouvelles (p. 11).
6° La taxe des lettres est trop élevée, et ce fait se démontre moralement comme financièrement. En effet, il y a des relations de famille qui seraient entièrement interrompues par l'élévation du port actuel des lettres envoyées à de longues distances, si ces correspondances n'avaient pas recours à la fraude. Et d'autre part les produits de poste ne se sont pas élevés proportionnellement, pendant les vingt dernières années de paix, au même taux que d'autres revenus indirects, tels que le dixième sur le prix des places des voyageurs dans les voitures publiques, bien que le besoin d'écrire doive se présenter plus naturellement et plus fréquemment que celui de se déplacer (p. 18).
7° S'il y avait à opérer une réduction sur une taxe quelconque, il conviendrait de choisir d'abord, pour en faire l'objet de la réduction, celle dont l'abaissement donnerait la plus grande somme d'avantages pour le public, en même temps que la moindre perte pour le trésor, et aussi celle dont le revenu toujours progressif, mais non encore assez étendu, annonce des besoins généraux qui seraient mieux satisfaits, si le tarif était moins élevé; or cette taxe est celle des postes (p. 19).
8° Il est du devoir d'une administration publique investie d'un privilége si important en résultat que celui du transport des correspondances, de se mettre en état de faire parvenir toutes les lettres que les particuliers ont intérêt à écrire; et si l'élévation du prix de port est un obstacle réel pour ceux-ci, il semble que l'État leur refuse un objet de première nécessité, qu'il ne leur est ni possible ni permis de se procurer ailleurs.
9° La fraude sur le transport des lettres est en grande partie le résultat de l'élévation des taxes. Elle est considérable en France; plus de quarante-cinq millions de lettres circulent en dehors du service des postes par des voituriers ou des messagers de ville à ville, indépendamment de celles qui sont transportées par des voyageurs, ou qui passent indûment sans taxe, dans le service des postes, sous le couvert des préposés publics (p. 22).
10° Des entreprises particulières ont été autorisées par les tribunaux à distribuer des imprimés et des journaux: c'est une atteinte au privilége des postes, qui ne peut être motivée que sur l'élévation du tarif.
11° Toute lettre écrite a une utilité relative, et presque toutes seraient confiées au service des postes, si la taxe n'en était pas trop élevée, eu égard au degré d'importance que les envoyeurs y attachent.
12° Dans la taxe des lettres, le prix du service rendu est représenté par le montant général des dépenses divisé par le nombre de lettres en circulation; le reste de la recette est un impôt, qui pourrait être diminué dans certaines proportions, si l'intérêt bien entendu de l'État le commandait. Le transport et la distribution d'une lettre simple, en France, coûte à l'État environ 8 cent., et la taxe en rapporte 44 (p. 28-32).
Le transport et la distribution d'un imprimé coûte 8 cent. et rapporte 4 cent; enfin le transport des correspondances administratives coûte 9,480,000 fr. par an, et ne rapporte rien. Ce dernier transport, fait gratuitement, représente une économie pour l'État, qu'il convient d'attribuer à la taxe des lettres.
Le résultat de ces appréciations est que si l'impôt était égal au prix du service fait, il serait de cinq cent cinquante pour cent moins élevé que l'impôt actuellement perçu, et que toutes les dépenses résultant du transport des correspondances administratives et des imprimés à un prix réduit se trouvant couvertes, la taxe des lettres pourrait être encore réduite de cinquante pour cent, sans que l'exploitation devînt onéreuse à l'État (p. 29, 36).
13° La première réduction de taxe à opérer est la suppression du décime appliqué sur les lettres distribuées dans les campagnes; cette taxe est injuste, et relativement improductive (p. 37).
14° Une réduction de cinquante pour cent sur le tarif général des postes n'amènerait probablement pas de diminution de recettes, même dans la première année. Mais cette diminution générale de cinquante pour cent, applicable également à toutes les espèces de taxes de poids et de distance en France, ne serait pas rationnelle, et ne produirait pas les heureux effets que l'on peut attendre d'un autre mode de réduction du tarif (p. 44).
15° De l'examen du tarif actuellement en usage, il résulte:
Que les degrés de pesanteur de la lettre et de la distance qu'elle doit parcourir, et sur lesquels est réglée la taxe, sont tellement nombreux et serrés, que la taxation des lettres en devient une opération longue, obscure et difficile; que les échelons de taxe étant plus rapprochés dans les premiers degrés que dans les derniers, ce sont les lettres les moins pesantes et parcourant de moindres distances, c'est-à-dire les plus nombreuses, qui se trouvent dans les conditions les plus défavorables, et que ce sont celles qui cependant peuvent échapper le plus facilement au service par la fraude; que l'extension du premier degré de distance, et en même temps le poids de la lettre simple fixé à 15 gr. au lieu de 7 gr. 1/2, seraient des dispositions utiles aux particuliers et profitables au trésor public;
Que le tarif actuel pourrait être utilement remplacé par un nouveau tarif, basé, comme l'ancien, sur le poids des lettres et sur la distance parcourue, mais composé seulement de six degrés pour le poids et de six degrés pour la distance (p. 48.);
Que de l'adoption de ce nouveau tarif il résulterait que la taxation des lettres serait plus simple et plus facile, les distances mieux partagées et plus facilement appréciées par les particuliers, enfin que la lettre simple pourrait être considérée comme telle, bien qu'elle contînt quelques papiers inclus, si le poids n'en dépassait 15 gr. (p. 48-61);
Qu'enfin le poids plus considérable auquel on permettrait aux lettres simples d'arriver, ne serait pas une occasion de fraude (p. 62).
16° Mais un tarif réglé sur le poids et sur la distance ne compensera jamais, dans les postes, les avantages qu'on pourrait tirer d'une taxe fixe (p. 67).
La taxe fixe est d'ailleurs la seule taxe réellement juste, parce qu'elle représente tous les frais de parcours et d'administration sur tous les lieux et dans toutes les distances, divisés par le nombre des lettres en circulation. Les frais résultant du transport des dépêches ne sont nulle part en rapport exact et proportionnel avec le prix de la taxe des lettres; les taxes progressives actuelles ne peuvent donc pas être considérées comme représentant exactement le prix de service rendu (p. 67-73).
Le port fixe rend beaucoup plus facile l'opération de la taxation des lettres, et nous avons vu combien cette opération de la taxation prêtait à l'erreur, nécessitait l'emploi d'un temps très-long, et enfin entraînait des pertes pour les recettes (p. 78).
Elle faciliterait la vérification des produits à chaque point d'arrivée des dépêches, et accélérerait considérablement la distribution des lettres (p. 78-83).
Enfin elle permettrait de dresser un compte exact et numérique des lettres circulant dans le service, tant à Paris que dans les départements, compte qui deviendrait la meilleure garantie possible entre les soustractions et les pertes de lettres (P. 80).
17° La taxe fixe s'appliquerait avec beaucoup d'avantage aux lettres de la ville pour la ville, et aux lettres destinées aux soldats.
Les lettres de la ville pour la ville, en effet, sont presque toujours simples dans le sens que nous attachons à ce mot, c'est-à-dire envoyées par une seule personne à une autre personne seule; pour faciliter ces correspondances qui échappent très-aisément au service des postes, il faut tolérer une extension de la pesanteur de la lettre jusqu'au point où le service en serait embarrassé (p. 85). Deux taxes fixes suffiraient à tout dans cette circonstance, 1 décime pour les lettres du poids de moins de 50 gr., et 2 décimes pour toute lettre de 50 à 100 gr.
Il y aurait justice et humanité, en même temps qu'avantage financier, à réduire à 1 décime le port des lettres adressées aux soldats et sous-officiers aujourd'hui taxées à 25 c.
18° Un système de taxation modérée en France, n'entraînerait pas de perte sur le prix de transport des lettres de et pour les pays étrangers, parce que les traités d'échange sont faits de manière à ce que les prix fixés, eu égard à la distance parcourue et à la pesanteur des lettres, soient réglés toujours sur le pied de la plus entière réciprocité (p. 87).
19° Maintenant, passant à la fixation projetée d'une taxe applicable à toutes les lettres du même poids circulant en France, nous remarquons que si le nombre des lettres venait à augmenter considérablement par suite de l'abaissement du tarif, les dépenses d'exploitation n'augmenteraient pas en proportion (p. 88). Qu'une malle de Paris à Marseille, par exemple, qui coûte 760 fr. par voyage, pourrait transporter: ou quatre-vingt mille imprimés, dont le prix actuel de transport serait 3,200 fr.; ou cent vingt mille lettres du poids de 5 gr., dont le montant de la taxe au taux actuel serait 120,000 fr.; ou enfin moitié lettres et moitié journaux; et opérer encore une recette de 61,600 fr. c'est-à-dire quatre-vingt-cinq fois plus élevée que la dépense. Que dans des circonstances urgentes, on pourrait donner aux correspondances administratives dans les malles-postes, la place qu'occupent les trois voyageurs et leurs bagages, et qu'on ne renoncerait ainsi qu'à un produit variable de 4 fr. 50 c. par poste. Qu'enfin il reste démontré qu'il y aura toujours spéculation avantageuse pour l'administration à transporter des lettres en malle-poste, même avec un prix de port infiniment réduit, puisque si l'on voulait proportionner exactement la taxe à apposer sur les lettres de Paris à Marseille aux frais de leur transport réel, en admettant que le magasin de la malle en fût rempli, cette taxe moyenne serait 6 c. 1/2 74 (p. 88-91).
20° Les frais de régie et de personnel de l'administration des postes n'augmenteraient pas, si, le nombre des lettres devenant plus considérable, il n'y avait qu'une taxe fixe et uniforme (p. 91).
21° Le port fixe doit être réglé au taux de la plus basse de toutes les taxes de poste actuellement existantes, parce qu'il n'est pas possible d'en élever aucune. Soit 1 décime pour les lettres circulant dans l'arrondissement d'un même bureau de poste, et 2 décimes pour toutes lettres envoyées de bureau à bureau; et si, avec cette taxe si modérée, on suppose que le nombre des lettres doive s'accroître seulement dans la proportion de cent cinquante pour cent, c'est-à-dire de double plus moitié, la recette actuelle ne baisserait pas, même dès la première année (p. 92 et suivantes).
22° Les avantages d'une taxe fixe dans le service des postes s'accroîtraient encore de la possibilité de l'application de cette taxe au moyen d'un timbre (p. 96 et suiv.).
L'idée de l'emploi d'un timbre comme signe de taxe est fort ancienne, mais elle a été développée récemment avec beaucoup de talent et de clarté par un auteur anglais de qui nous avons emprunté la plus grande partie des considérations qui suivent.
23° L'usage des timbres pourrait être appliqué aux deux tarifs que nous avons successivement proposés; soit à un tarif progressif mais réduit à six taxes de poids et à six taxes de distances, soit à une seule taxe fixe applicable à toutes les lettres divisées en deux catégories de poids seulement.
Dans le premier cas, on devrait graver trente-six timbres; mais six ou dix-huit au plus de ces timbres seraient employés ordinairement, les autres seraient exceptionnels (p. 99).
Nous avons abandonné l'adoption de ce premier tarif, afin de ne pas mettre les particuliers dans la nécessité de s'enquérir d'abord du poids de leurs lettres et de la distance qu'elles doivent parcourir.
Dans le second système dont nous proposons l'adoption, c'est-à-dire dans le système d'une taxe fixe, quatre timbres suffiraient, dont les deux premiers seraient presque uniquement en usage; ce seraient ceux de la lettre simple, dont le poids serait étendu à 50 gr., pour lettres de la ville pour la ville, et à 15 gr. pour les lettres allant à de plus longues distances. Les deux autres timbres seraient applicables aux lettres qui dépasseraient ce poids, sans excéder la limite de 100 gr. passé laquelle aucun paquet ne serait admis à circuler comme lettre dans le service des postes (p. 101 à 109).
Les lettres des sous-officiers et soldats n'exigeraient pas l'emploi d'un timbre particulier, et on pourrait les faire rentrer dans la classe des lettres ordinaires affranchies par le timbre à 1 et à 2 décimes. Et les avis de mariage ou décès, s'ils n'étaient pas taxés à l'avenir comme imprimés à 4 c. par feuille, pourraient donner naissance à l'emploi de deux timbres d'une forme particulière, appliqués dans le service après coup avec une couleur délayée à l'huile, et qui ne feraient pas confusion avec les timbres secs ordinaires de la taxe des lettres.
24° Toutes les lettres ainsi timbrées seront considérées dans le service des postes comme lettres affranchies et remises, dans tous les cas, franches de port à leur destination; la punition de la fraude serait la mise de la lettre au rebut (p. 106).
25° L'emploi d'enveloppes timbrées serait préférable, pour le public et pour le service de l'administration, à celui de feuilles de papier timbrées dont la partie sur laquelle le timbre aurait été apposé, deviendrait apparente par la manière dont la lettre serait pliée. Le public pourrait être amené à ne se servir que d'enveloppes par la diminution du poids de l'enveloppe opérée sur le poids total accordé à la lettre dans le service; on pourrait se les procurer en tous lieux, particulièrement chez les papetiers et chez les directeurs des bureaux de poste, et l'administration des postes ou du timbre appliquerait l'empreinte, suivant la fantaisie des débitants ou des consommateurs, sur des papiers de toute couleur, de toute forme et de toute dimension.
26° L'application de la taxe au moyen d'un timbre, présenterait des avantages de diverses espèces: 1° elle serait une source d'accélération dans la manipulation des lettres et dans leur distribution, en même temps que d'économie dans les frais de régie et d'exploitation (p. 109); 2° les lettres réexpédiées par suite du changement de domicile du destinataire, ne supporteraient pas de taxe supplémentaire pour plus grande distance parcourue; 3° le nombre des lettres en rebut diminuerait tellement, que ces lettres disparaîtraient presque entièrement du service; en effet, une lettre franche se place toujours, et le public ne la refuse presque jamais; or, il y a eu en 1836 un million cinq cent quatre-vingt mille lettres en rebut; et la suppression de ces lettres aura plusieurs avantages moraux et financiers (p. 110); 4° il se présentera moins d'occasions de démoralisation pour un grand nombre de commissionnaires ou de jeunes commis de maison de banque, chargés d'aller aux bureaux de poste affranchir les lettres, et plus de sûreté et de commodité pour les négociants, qui affranchiront leurs lettres de leur bureau même au moyen du timbre (p. 112). 5° enfin, il y aura simplification et économie extrême dans le mode de perception des recettes (p. 113).
27° Passant ensuite en revue les diverses objections qu'on pourrait faire au système, nous nous sommes d'abord attachés à la plus importante de toutes, qui prenait sa source dans la nécessité de l'affranchissement préalable pour toute espèce de lettres circulant dans le service. Mais si on partage le nombre de lettres en diverses catégories répondant aux divers besoins du commerce et des particuliers, on voit bientôt qu'un infiniment petit nombre de personnes seraient contrariées par la nécessité d'un affranchissement préalable, d'ailleurs si facile et si expéditif (p. 114).
28° Il n'y aura pas de fraude possible par le double emploi des enveloppes; cette industrie serait très-peu productive, et la fabrication du timbre et du papier peuvent très-aisément la rendre impossible (p. 118).
29° Il n'y aurait pas lieu de craindre que les lettres ne fussent pas fidèlement remises aux destinataires, parce que le port en aurait été ainsi payé partout à l'avance par l'achat du timbre. Il existe, en effet, plusieurs moyens autres que la nécessité de la perception de la taxe, pour assurer l'exactitude et la fidélité des facteurs. Et une manière de rassurer le public à ce sujet, serait de permettre une certaine extension du service actuel des lettres recommandées (p. 121).
30° Enfin le temps employé pour le timbrage des enveloppes, non plus que la dépense qui résulterait de cette opération, ne peuvent pas être présentés comme des objections sérieuses.
31° Afin cependant de ménager tous les intérêts et de respecter les habitudes prises, il serait nécessaire de faire marcher concurremment d'abord, les deux systèmes de taxation; c'est-à-dire, la taxe fixe appliquée au moyen du timbre, et l'ancienne taxe progressive écrite à la plume; et il y a tout lieu de croire que bientôt les avantages de toute espèce que présente le système proposé, seraient assez généralement appréciés, pour que l'ancien mode de taxation fût abandonné, et que les particuliers cessassent d'eux-mêmes d'y avoir recours.
Ici, ma tâche est terminée. J'ai cherché à rendre sensibles les avantages que présenterait la taxation des lettres par le moyen d'un timbre, combinée avec un abaissement du tarif. J'ai l'honneur de soumettre ce projet de réforme à la sagesse et à l'expérience de Monsieur le Ministre des finances, persuadé que je suis, qu'en partant de ces données, sans doute très-imparfaites, on pourrait arriver à deux résultats très-désirables, à savoir: 1° une immense extension des correspondances en France, 2° une extrême simplification du service des postes.
FIN.
PIÈCES A L'APPUI.
NOTE N° 1.
INTRODUCTION ET PAGE 97.
J'ai trouvé ce document très-curieux dans un recueil de lettres de Mlle de Scudéry, copiées par Conrart et annotées par Pélisson, secrétaire-rédacteur des soirées qui se tenaient le samedi chez Mlle de Scudéry.
Je lis dans ce manuscrit, dont je dois la communication aux bontés de M. Feuillet, chef du protocole au ministère des affaires étrangères, une note ainsi conçue, écrite de la main même de Pélisson:
«Argument de ce qui suit:
«En mesme temps que M. de Velayer establit les boestes pour porter des billets d'un quartier à l'autre, il fit aussi imprimer certains formulaires de billets d'une douzaine de sortes comme pour demander de l'argent à un débiteur, pour recommander une affaire à son procureur, un ouvrage à quelque artisan, etc., etc., afin que ceux qui auroient des choses semblables à escrire, se peussent servir de ces billets touts faits, du moins en remplissant quelques lignes de blanc qu'on y laissoit, comme on fait, par exemple, aux quittances des parties casuelles et en une infinité d'autres affaires. Ces billets se vendoient au palais avec les autres billets de port payé. Acante 75 en aiant achetté une douzaine pour cinq sous, s'avisa, pour employer son argent, d'envoier à Sappho par la voie des boestes celui qui est icy attaché, rempli comme il est. Sappho y fit la réponse qui est en suitte: