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Egalité des hommes et des femmes : $b A la Reyne

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A LA REYNE.

Madame,

Ceux qui s’aduiſerent de donner vn Soleil pour deuiſe au Roy voſtre Pere, auec ce mot, Il n’a point d’Occident pour moy, firent plus qu’ils ne penſoient: parce qu’en repreſentans ſa grandeur qui voit preſque touſiours ce Prince des Aſtres ſur quelqu’vne de ſes terres, ſans interuale de nuict; ils rendirent la deuiſe hereditaire en voſtre Majeſté, preſageans vos vertus, & de plus, la beatitude des François ſous voſtre Auguſte preſence. C’eſt diſie chez voſtre Majeſté, Madame, que la lumiere des vertus n’aura point d’Occident, ny cõſequemment l’heur & la felicité de nos Peuples qu’elles eſclairerõt. Or comme vous eſtes en l’Orient de voſtre aage & de vos vertus enſemble, Madame, daignez prendre courage d’arriuer en meſme point au midy de luy & d’elles, ie dis de celles qui ne peuuent meurir que par temps & culture: car il en eſt quelques vnes des plus recommendables, entre autres la Religion, la charité vers les pauures, la chaſteté & l’amour coniugale, dont vous auez touché le midy dés le matin. Mais certes il faut le courage requis à cet effort auſsi grand & puiſſant que voſtre Royauté, pour grande & puiſſante qu’elle ſoit: les Roys eſtãt battus de ce malheur, que la peſte infernale des flatteurs qui ſe gliſſent dans les Palais, leur rend la vertu & la clair voyance ſa guide & ſa nourrice, d’vn accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Ie ne ſcay qu’vn ſeur moyen à vous faire eſperer, d’atteindre ces deux midys en meſme inſtant: c’eſt qu’il plaiſe à V. M. ſe ietter viuement ſur les bons liures de prudence & de mœurs: car außi toſt qu’vn Prince s’eſt releué l’eſprit par cet exercice, les flatteurs ſe trouuans les moins fins ne s’oſent plus iouër à luy. Et ne peuuent communemẽt les Puiſſans & les Roys receuoir inſtruction opportune que des mors: parce que les viuans eſtans partis en deux bandes, les foux & meſchans, c’eſt à dire ces flateurs dont eſt question, ne ſçauent ny veulent bien dire pres d’eux; les ſages & gens de bien peuuent & veulent, mais ils n’oſent. C’eſt en la vertu certes, Madame, qu’il faut que les perſonnes de voſtre rang cherchent la vraye hauteſſe & la Couronne des Couronnes: d’autant qu’ils ont puiſſance & non droit de violer les loix & l’equité, & qu’ils trouuent autant de peril & plus de honte que les autres hommes à faire ce coup. Außi nous apprend vn grand Roy luy meſme, que toute la gloire de la fille du Roy eſt par dedans. Quelle eſt cependant ma ruſticité, tous autres abordent leurs Princes & Roys en adorant & loüant, i’oſe aborder ma Reyne en preſchant? Pardonnez neantmoins à mon zele, Madame, qui meurt d’enuie d’ouyr la France crier ce mot, auec applaudiſſement, La lumiere n’a point d’Occident pour moy, par tout où paſſera voſtre Majesté nouueau Soleil des vertus: & d’enuie encore de tirer d’elle, ainſi que i’espere de ſes dignes commencemens, vne des plus fortes preuues du Traicté que i’offre à ſes pieds, pour maintenir l’egalité des hommes & des femmes. Et non ſeulement veu la grandeur vnique qui vous eſt acquiſe par naiſſance & par mariage, vous ſeruirez de miroir au ſexe & de ſuiet d’emulation aux hommes encore, en l’eſtẽduë de l’Vniuers, ſi vous vous esleuez au prix & merite que ie vo9 propoſe: mais außi toſt, Madame, que vous aurez pris reſolution de vouloir luyre de ce bel & precieux eſclat, on croira que tout le meſme ſexe eſclaire en la ſplendeur de vos rayons. Ie ſuis de voſtre Maieſté

MADAME,

Tres-humble & Tres-obeiſſante
ſeruante & ſubjecte.

Gournay.

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