Entretiens (1998-2001)
La lucidité nous a donc ouvert les yeux sur quoi: un écran. Dans ce rectangle lumineux des lettres. Depuis l'archaïque minitel si décevant en matière de création télématique, c'est bien la première fois que, via le web, dans une civilisation de l'image, l'on voit de l'écrit partout présent 24 h /24, 7 jours /7. Je suis d'avis que si l'on réconcilie le texte avec l'image, l'écrit avec l'écran, le verbe se fera plus éloquent, le goût pour la langue plus raffiné et communément partagé. Faudra-t-il s'en justifier encore longtemps devant les éditeurs en papier mâché qui ont des idées de parchemin fripé? Faut-il les consoler en leur précisant que la fabrique de littérature numérique emprunte les recettes de la littérature traditionnelle (y compris celle écrite avec la voix, ou transmise sur des tablettes, voire enregistrée sur des papyrus, etc.) et pas seulement. Bref, il serait temps de rafraîchir cette bonne vieille littérature franco-française en phase d'épuisement. Ce n'est pas si grave, notre patrimoine nous sauve mais voilà la drôle de "mission" dont il convient de "acquitter"; ceci dit, les sermons, les positions qui risquent de se sanctifier en postures, les bonnes résolutions moralisantes, je m'en tape, mais pour le coup, j'y cède -, ou alors il faut s'arrêter de se plaindre de la désacralisation du livre comme vecteur de la connaissance et de la culture, de la désertion des lecteurs, de l'illettrisme rampant, de la tristesse désuète si austère du peuple des écrivains, de leur isolement subi, de la pauvreté des moyens financiers qu'on leur accorde, et cela face à une industrialisation concentrationnaire de l'édition qui assomme le livre à coups de pilon, etc.
e) Techno-hyper-écrivain, c'est quoi?
Alors qui sommes-nous? Les hyperécrivains de demain (comment les nommer?) seront peut-être les plasticiens qui utilisent le mot comme matière, les écrivains sensibles aux sonorités de l'image, à la mobilité des mots vus autant que lus, à l'objet texte, des graphistes qui ont le droit de faire de l'art, etc. Et ceux d'après-demain, ceux de la génération numérique innée, ne se poseront plus la question de savoir d'où tu parles, de quelle discipline artistique tu proviens, et quel est ton combat, camarade, comme ils disent.
A moindre frais donc, sans compétences informatiques d'ingénieur diplômé (si l'on compare l'exigeante programmation que demandaient les machines des années 70), l'apprenti techno-auteur peut aujourd'hui cumuler les casquettes de créateur producteur diffuseur… C'est inouï, planétaire, du jamais vu. Personnellement, par manque de mégalomanie ou par flemme (je n'ai jamais fait de mailing list de ma vie ni rédigé des lettres d'information ni envoyé d'autres types de faire-part aux e-communautés concernées, etc.), je préfère me soumettre à l'organisation affective du réseau qui me met en lien, ce qui est l'occasion de faire des rencontres, sympas. Cela pour dire que nous ne sommes pas forcément esclaves de toutes les libertés qu'offre la machine.
Mais si les écrivains français classiques en sont encore à se demander s'ils ne préfèrent pas le petit carnet Clairefontaine, le Bic ou le Mont-Blanc fétiche, et un usage modéré du traitement de texte, plutôt que l'ordinateur connecté, voire l'installation, c'est que l'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr) nécessite un travail d'accouchement visuel qui n'est pas la vocation originaire de l'écrivain papier. En plus des préoccupations du langage (syntaxe, registre, ton, style, histoire…), le techno-écrivain - collons-lui ce label pour le différencier - doit aussi maîtriser la syntaxe informatique et participer à l'invention de codes graphiques car lire sur un écran est aussi regarder. De plus, regarder n'est pas forcément contempler, soit rester passif car, par idéologie empreinte dans l'interface même de tout ordinateur connecté ou du CD-Rom (bientôt le DVD pour tous en attendant le reste), il y a cette contrainte de l'interactivité.
Ce genre de création multimédia et hypertextuelle pose une série de questions:
1/ Peut-on lire sur écran de l'écrit qui ne soit pas mis en scène? L'environnement visuel contribue-t-il à enrichir vraiment le propos d'une fiction narrative?
2/ Est-ce que le techno-écrivain doit être l'auteur de la mise en écran de ses écrits pour ne pas être dépossédé de ses intentions? Doit-il produire lui-même ses images? Doit-il en mettre? Quel est leur statut par rapport au texte? Si un graphiste compose des images, y aura-t-il collaboration ou trahison?
3/ L'apprentissage des logiciels d'images, de divers langages informatiques, des limites et des possibilités du support choisi, ne peut être que non théorique, empirique. Est-ce une perte de temps pour celui qui crée le fond de la fiction? Et si l'auteur du texte ne réalise pas lui-même la mise en scène numérique, quels types de document doit-il remettre au réalisateur multimédia? En plus du texte, il devra concevoir un scénario non-linéaire, interactif, une arborescence hypernarrative, un story board visuel, des notes d'intention esthétique? Quel est son statut d'auteur dès lors: il devient scénariste?
4/ L'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr) qui passe par le savoir-faire technologique rapproche donc le techno-écrivain du scénariste, du BD dessinateur, du plasticien, du réalisateur de cinéma, quelles en sont les conséquences au niveau éditorial? Faut-il prévoir un budget de production en amont? Qui est l'auteur multimédia? Qu'en est-il des droits d'auteur? Va-t-on conserver le copyright à la française? L'HTX sera publiée par des éditeurs papier ayant un département multimédia? De nouveaux éditeurs vont émerger et ils feront un métier proche de la production? Est-ce que nous n'allons pas assister à un nouveau type d'oeuvre collective? Bientôt le sampling littéraire protégé par le copyleft?
5/ Revenons à des questions de création: l'écran change la perception du texte, peut imposer une vitesse de lecture, un environnement graphique frôle souvent le piège décoratif. Résultat: la liberté imaginaire du lecteur serait dominée par la machine et son joli petit écran fascinant le temps d'une mode permise par quelques javatrucs ou par quelques logiciels Flash bientôt obsolètes? Nous savons que la machine séduit, alors comment la trans-former pour qu'elle nous émerveille sans artifices faciles? On le sait: le multimédia, livré à la guerre économique des monopoles, produit des oeuvres instables mais l'intérêt arty n'en est pas moins solide!
6/ Qu'en est-il du "montage" hypertextuel? Pour aller vite, disons que la lecture sur écran impose d'écrire un livre ouvert à de nombreuses propositions hypertextuelles? N'est-ce pas un gadget hyperaliénant, cette prétendue interactivité? Est-ce que le cyberécrivain n'accorde pas trop de temps et d'énergie à stimuler une collaboration interactive avec le lecteur? Le lecteur n'aurait-il pas tendance à se perdre dans les intertextes et les possibles narratifs? Voici le danger: l'hypertexte peut se transformer en "hypotexte". Souvent, on peut observer que le lecteur novice clique de lien en lien pour encadrer son territoire de lecture. Et lorsqu'il revient en arrière, il se perd et perd son envie de lire sur écran. Mais n'est-ce pas par manque d'habitude culturelle? Il faut donc réapprendre à écrire et à lire sur écran. Quant aux questions de structure de récit ouverte, rien de nouveau car qu'est-ce qu'un roman non-linéaire sinon les Essais de Montaigne? Et même la didactique démonstration balzacienne? Le mémorable hypertexte proustien?… pour ne citer que des classiques.
f) Changeons d'écran
Et voici le changement que j'attends: arrêter de considérer les livres électroniques comme le stade ultime post-Gutenberg. Le e-book retro-éclairé pour l'instant a la mémoire courte: il peut accueillir par exemple dix livres contenant essentiellement du texte mais pas une seule oeuvre multimédia riche en son et images, etc.
Donc ce que l'on attend pour commencer: l'écran souple comme feuille de papier légère, transportable, pliable, autonome, rechargeable, accueillant tout ce que le web propose (du savoir, de l'information, des créations…) et cela dans un format universel avec une résolution sonore et d'image acceptable. Dès lors nous pourrons nous repaître d'oeuvres multimédias sur les terrasses de café, alanguis sur un canapé, au bord d'une rivière, à l'ombre des cerisiers en fleurs…
= Comment voyez-vous l'avenir?
Comme tous ceux qui ont surfé avec des modems de 14.4 Ko sur le navigateur Mosaic et son interface en carton-pâte, je suis déçue par le fait que l'esprit libertaire ait cédé le pas aux activités libérales décérébrantes. Les frères ennemis devraient se donner la main comme lors des premiers jours car le net à son origine n'a jamais été un repaire de "has been" mélancoliques, mais rien ne peut résister à la force d'inertie de l'argent. C'était en effet prévu dans le scénario, des stratégies utopistes avaient été mises en place mais je crains qu'internet ne soit plus aux mains d'internautes comme c'était le cas. L'intelligence collective virtuelle pourtant se défend bien dans divers forums ou listes de discussions, et ça, à défaut d'être souvent efficace, c'est beau. Dans l'utopie originelle, on aurait aimé profiter de ce nouveau média, notamment de communication, pour sortir de cette tarte à la crème qu'on se reçoit chaque jour, merci à la société du spectacle, et ne pas répéter les erreurs de la télévision qui n'est, du point de vue de l'art, jamais devenue un média de création ambitieux.
Sinon, les écrivains français, c'est historique, sont dans la majorité technophobes… Les institutions culturelles et les universitaires lettrés en revanche soutiennent les démarches hyperlittéraires à force de colloques et publications diverses. Du côté des plasticiens, je suis encore plus rassurée, il est acquis que l'art en ligne existe.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un web véritablement mutilingue?
Puisque la France s'inscrit dans une tradition d'interventionnisme de la puissance publique (l'Etat, les collectivités locales…) en matière de culture, nos institutions devraient financer des logiciels de traduction simultanée - ils seront opérants bientôt…-, et plus simplement, donner des aides à la traduction, et cela dans le cadre d'une stratégie de développement de la francophonie. Les acteurs culturels sur le web, par exemple, auraient plus de facilité pour présenter leur site en plusieurs langues. Les chiffres de septembre 2000 montrent que 51% des utilisateurs sont anglo-saxons, et 78% des sites aussi. Les chiffres de cette prépondérance baissent à mesure qu'augmentent le nombre des internautes de par le monde… L'anglais va devenir la deuxième langue mondiale après la langue natale, mais il y aura d'autres. Un exemple: personnellement, à l'âge de 4 ans, je parlais trois langues alors que je ne savais ni lire ni écrire. Pour parler une langue, il peut suffire d'avoir la chance de l'écouter. On peut espérer que le cosmopolitisme traverse toutes les classes sociales en raison, par exemple, de l'Union européenne, du nomadisme des travailleurs, de la facilité de déplacement à l'étranger des étudiants, de la présence des chaînes TV et sites étrangers, etc.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Le délire SF du type: "bienvenue dans la 3e dimension, payez-vous du sexe, des voyages et des vies virtuels" a toujours existé. La méditation, l'ésotérisme, les religions y pourvoient, etc. Maintenant, on est dans le cyberspace… Un exemple: dans l'industrie, la recherche.
= Et la société de l'information?
Je préférerais parler de "communautés de l'information"… Nous sommes plutôt dans une société de la communication et de la commutation. Il est très discutable de savoir si nos discussions sont de meilleure qualité et si nous serions plus savants… Etre informé n'est pas être cultivé. Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
En 1997 ou 1998, j'ai eu droit aux honneurs de la censure. L'une de mes nouvelles mises en ligne, aujourd'hui publiée honorablement sur support papier, était censurée par mon hébergeur. Il était inexact que ma petite histoire noire quoique teintée d'humour était un hommage rendu à un tueur en série pédophile, et cela bien que ce soit en effet le sujet. Mais voilà, par un matin gris acier, on apprit que quelques fournisseurs de services en ligne avaient été embarqués au commissariat de police le plus proche. Ils étaient tenus pour responsables du contenu des dizaines de milliers sites qu'ils hébergent! Et fatalement quelques-uns étaient suspects d'invitation à la haine raciale, au non-respect de la personne, etc. Ma petite nouvelle n'en faisait évidemment pas partie mais j'étais très amusée du fait qu'un "robot trieur", le genre de nettoyeur informatique qui obéit aux ordres des censeurs, ait attenté, par erreur, à ma liberté d'expression.
= Et votre pire souvenir?
Il s'agit d'une vraie anecdote virtuelle: un soir, je reçois un mail sous pseudonyme m'annonçant que NON, mon roman hypermédia, avait été éradiqué de la planète net. Immédiatement, je me connecte sur mon site. Rien. Je me débranche, ouvre mon disque dur à la recherche de NON. Rien. Je cherche mes disques de sauvegarde. Volatilisés. Cinq ans de travail broyés par la masse des pixels!… Et c'est à ce moment là que je me suis réveillée… Le mauvais rêve!
ANNE-CECILE BRANDENBOURGER (Bruxelles)
#Auteur de La malédiction du parasol, hyper-roman publié aux éditions 00h00.com
La malédiction du parasol a d'abord eu pour nom: Apparitions inquiétantes. La version originale s'est développée sous forme de feuilleton pendant deux ans sur le site d'Anacoluthe. Il s'agit d'"une longue histoire à lire dans tous les sens, un labyrinthe de crimes, de mauvaises pensées et de plaisirs ambigus…" Une histoire qui trouve son aboutissement en étant publiée le le 8 février 2000 aux éditions 00h00.com, en tant que premier titre de la collection 2003, consacrée aux nouvelles écritures numériques.
Suite à son succès, le 25 août 2000, le roman est réédité en version imprimée aux éditions "Florent Massot présente", avec une couverture en 3D. Pour marquer l'événement, même si le texte n'a pas changé, un nouveau titre est donné au livre.
La malédiction du parasol est "un cyber-polar fait de récits hypertextuels imbriqués en gigogne, lit-on sur le site de 00h00. Entre personnages de feuilleton américain et intrigue policière, le lecteur est - hypertextuellement - mené par le bout du nez dans cette saga aux allures borgésiennes. (…) C'est une histoire de meurtre et une enquête policière; des textes écrits court et montés serrés; une balade dans l'imaginaire des séries télé; une déstructuration (organisée) du récit dans une transposition littéraire du zapping; et par conséquent, des sensations de lecture radicalement neuves. (A noter que la version 'papier' adaptée de cette narration hypertextuelle restitue presque exactement le rythme et le nerf de l'écran.)"
*Entretien du 5 juin 2000
= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre mode d'écriture?
Les possibilités offertes par l'hypertexte m'ont permis de développer et de donner libre cours à des tendances que j'avais déjà auparavant. J'ai toujours adoré écrire et lire des textes éclatés et inclassables (comme par exemple La vie mode d'emploi de Perec ou Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino) et l'hypermédia m'a donné l'occasion de me plonger dans ces formes narratives en toute liberté. Car pour créer des histoires non linéaires et des réseaux de textes qui s'imbriquent les uns dans les autres, l'hypertexte est évidemment plus approprié que le papier.
Je crois qu'au fil des jours, mon travail hypertextuel a rendu mon écriture de plus en plus intuitive. Plus "intérieure" aussi peut-être, plus proche des associations d'idées et des mouvements désordonnés qui caractérisent la pensée lorsqu'elle se laisse aller à la rêverie. Cela s'explique par la nature de la navigation hypertextuelle, le fait que presque chaque mot qu'on écrit peut être un lien, une porte qui s'ouvre sur une histoire.
= Deux portraits de l'auteur
- sur le site d'Anacoluthe,
- sur le site des éditions 00h00.com.
ALAIN BRON (Paris)
#Consultant en systèmes d'information et écrivain. L'internet est un des personnages de son roman Sanguine sur toile.
Après des études d'ingénieur en France et aux États-Unis et un poste de directeur de grands projets chez Bull, Alain Bron est maintenant consultant en systèmes d'information chez EdF/GdF (Electricité de France / Gaz de France).
Son deuxième roman, Sanguine sur toile (1999), est disponible en version imprimée aux éditions du Choucas et en version numérique (format PDF) aux éditions 00h00.com. Il a reçu le Prix du Lions Club International 2000.
Alain Bron est également l'auteur d'un autre roman, Concert pour Asmodée (publié en 1998 aux éditions La Mirandole), et de plusieurs essais socio-économiques, dont La démocratie de la solitude (avec Laurent Maruani, 1997) et La gourmandise du tapir (avec Vincent de Gaulejac, 1996), parus chez DDB (Desclée de Brouwer).
*Entretien du 29 novembre 1999
= Quel est le thème de votre roman Sanguine sur toile?
La "toile", c'est celle du peintre, c'est aussi l'autre nom d'internet: le web - la toile d'araignée. "Sanguine" évoque le dessin et la mort brutale. Mais l'amour des couleurs justifierait-il le meurtre? Sanguine sur toile évoque l'histoire singulière d'un internaute pris dans la tourmente de son propre ordinateur, manipulé à distance par un très mystérieux correspondant qui n'a que vengeance en tête.
J'ai voulu emporter le lecteur dans les univers de la peinture et de l'entreprise, univers qui s'entrelacent, s'échappent, puis se rejoignent dans la fulgurance des logiciels. Le lecteur est ainsi invité à prendre l'enquête à son propre compte pour tenter de démêler les fils tressés par la seule passion. Pour percer le mystère, il devra répondre à de multiples questions. Le monde au bout des doigts, l'internaute n'est-il pas pour autant l'être le plus seul au monde? Compétitivité oblige, jusqu'où l'entreprise d'aujourd'hui peut-elle aller dans la violence? La peinture tend-elle à reproduire le monde ou bien à en créer un autre? Enfin, j'ai voulu montrer que les images ne sont pas si sages. On peut s'en servir pour agir, voire pour tuer.
= Quelle est la place de l'internet dans ce roman?
Dans le roman, internet est un personnage en soi. Plutôt que de le décrire dans sa complexité technique, le réseau est montré comme un être tantôt menaçant, tantôt prévenant, maniant parfois l'humour. N'oublions pas que l'écran d'ordinateur joue son double rôle: il montre et il cache. C'est cette ambivalence qui fait l'intrigue du début à la fin. Dans ce jeu, le grand gagnant est bien sûr celui ou celle qui sait s'affranchir de l'emprise de l'outil pour mettre l'humanisme et l'intelligence au-dessus de tout.
= Quel est le thème du dossier: Internet: anges et démons!, dont vous êtes à l'origine?
La revue Cultures en mouvement, à laquelle je participe périodiquement, m'a demandé en avril 1999 de diriger un dossier spécial sur la cyberculture. J'ai donc réuni les spécialistes de disciplines très différentes comme un économiste, un sociologue, un psychiatre, un artiste, un responsable d'association,… pour parler d'internet. Nous sommes vite tombés d'accord sur un point essentiel: internet apporte le meilleur comme le pire. Nous avons donc appelé le dossier: Internet: anges et démons! L'ensemble des articles a été publié dans le magazine et dans le même temps nous avons ouvert un site hébergé alors sur place-internet.com. Des articles dans la presse ont salué ce site qui parle d'internet sans frénésie et avec un recul salutaire.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
J'ai passé une vingtaine d'années chez Bull. Là, j'ai participé à toutes les aventures de l'ordinateur et des télécommunications, j'ai été représentant des industries informatiques à l'ISO(Organisation internationale de normalisation), et chairman du groupe réseaux du consortium X/Open. J'ai connu aussi les tout débuts d'internet avec mes collègues de Honeywell aux Etats-Unis (fin 1978). Je suis actuellement consultant en systèmes d'information chez EdF/GdF où je m'occupe de la bonne marche des grands projets informatiques dans ces entreprises et dans leurs filiales internationales. Et j'écris. J'écris depuis mon adolescence. Des nouvelles (plus d'une centaine), des essais psycho-sociologiques (La gourmandise du tapir et La démocratie de la solitude), des articles et des romans. C'est à la fois un besoin et un plaisir jubilatoire.
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Comme je suis tombé dans la marmite tout jeune, je n'ai pas l'impression d'avoir été affecté par le phénomène. J'ai un recul suffisant pour reconnaître les erreurs que j'ai pu commettre avec cet outil et pour prévenir de son usage en évitant le syndrome de l'ancien combattant.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Ce qui importe avec internet, c'est la valeur ajoutée de l'humain sur le système. Internet ne viendra jamais compenser la clairvoyance d'une situation, la prise de risque ou l'intelligence du coeur. Internet accélère simplement les processus de décision et réduit l'incertitude par l'information apportée. Encore faut-il laisser le temps au temps, laisser mûrir les idées, apporter une touche indispensable d'humanité dans les rapports. Pour moi, la finalité d'internet est la rencontre et non la multiplication des échanges électroniques.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Je considère aujourd'hui le web comme un domaine public. Cela veut dire que la notion de droit d'auteur sur ce média disparaît de facto: tout le monde peut reproduire tout le monde. La création s'expose donc à la copie immédiate si les copyrights ne sont pas déposés dans les formes usuelles et si les oeuvres sont exposées sans procédures de revenus. Une solution est de faire payer l'accès à l'information, mais cela ne garantit absolument pas la copie ultérieure. Pour les romans, je préfère de toute façon la forme papier.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Il y aura encore pendant longtemps l'usage de langues différentes et tant mieux pour le droit à la différence. Le risque est bien entendu l'envahissement d'une langue au détriment des autres, donc l'aplanissement culturel.
Je pense que des services en ligne vont petit à petit se créer pour pallier cette difficulté. Tout d'abord, des traducteurs pourront traduire et commenter des textes à la demande, et surtout les sites de grande fréquentation vont investir dans des versions en langues différentes, comme le fait l'industrie audiovisuelle.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
A la suite de la parution de mon deuxième roman, Sanguine sur toile, j'ai reçu un message d'un ami que j'avais perdu de vue depuis plus de vingt ans. Il s'était reconnu dans un personnage du livre. Nous nous sommes revus récemment autour d'une bouteille de Saint-Joseph et nous avons pu échanger des souvenirs et fomenter des projets…
= Et votre pire souvenir?
Virus, chaînes du "bonheur", sollicitations commerciales, sites fascistes, informations non contrôlées, se développent en ce moment à très grande échelle. Je me pose sérieusement la question: "Quel bébé ai-je bien pu contribuer à faire naître?"
PATRICE CAILLEAUD (Paris)
#Membre fondateur et directeur de la communication de HandiCaPZéro
*Entretien du 22 janvier 2001
= Pouvez-vous décrire l'activité de HandiCaPZéro?
Permettre à la personne déficiente visuelle d'aborder de façon autonome sa vie quotidienne en lui facilitant les accès à l'information, à la consommation, à la citoyenneté. Porter cette aspiration et la conduire jusqu'à ce qu'elle trouve sa légitimité auprès des acteurs de la vie socio-économique et de l'opinion publique.
= Pouvez-vous décrire votre site web?
Réflexions, conceptions, tests ont longtemps été à l'étude pour donner aux internautes aveugles et malvoyants un véritable outil doté d'informations pragmatiques. Depuis le 15 septembre 2000, tous les services de l'association dans des domaines comme les loisirs, la télé, la communication, la santé sont accessibles sur le site www.handicapzero.org. Plus de barrage pour les internautes aveugles: quel que soit le type de périphérique employé (synthèse vocale, plage braille), la navigation se fait sans obstacle. Par exemple, les images et illustrations qui abondent sur la toile et rendent les sites inaccessibles à cette population sont légendées. Plus d'illisibilité pour les internautes malvoyants: pour la première fois sur le web, le site dispose, dès la page d'accueil, d'une interface "confort de lecture" qui permet, en fonction de son potentiel visuel, de choisir la couleur de l'écran, la taille et la couleur de la police. Les pages vues à l'écran sont également imprimables selon le format défini.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Convaincre les décideurs socio-économiques de prendre en compte les besoins spécifiques des usagers, clients et citoyens déficients visuels. Mettre en oeuvre les dispositifs d'accessibilité.
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
J'ai participé à la conception éditoriale et graphique du site. Aujourd'hui, mon rôle consiste à développer de nouveaux services accessibles pour le site.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Internet n'est pas entré dans la majorité des foyers des personnes déficientes visuelles. A cela, trois principales raisons: - l'âge du public concerné, qui se situe au delà de la soixantaine (pour 70% du public); - le coût trop élevé pour une acquisition personnelle d'un matériel spécialisé; - le nombre trop restreint de sites accessibles de façon autonome.
L'avenir de l'accès à l'information pour les personnes aveugles devrait passer par le web. Ce support, à condition d'une responsabilité des développeurs de sites sous l'impulsion d'une autorité qui commence à légiférer, donne un accès instantané à une information actuelle au contraire des supports braille ou caractères agrandis qui nécessitent des délais et des coûts d'adaptation, de transcription et fabrication.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
L'essentiel de l'activité de HandiCaPZéro aujourd'hui reste l'impression de documents papier braille et caractères agrandis. La majorité du public auquel s'adresse l'association n'est pas encore internaute.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Non, au contraire. L'internet dope les ventes de livres, comme celles des disques, quoiqu'en disent les éditeurs regroupés en association de défense de leurs intérêts. Par ailleurs, les imprimantes des micro-ordinateurs, classiques ou braille, n'ont jamais été autant sollicitées depuis l'accès au web.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Il devrait s'imposer comme une nouvelle solution complémentaire aux problèmes des personnes aveugles et malvoyantes.
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
Pour l'instant, les déficients visuels sont les grands bénéficiaires du manque de législation sur la toile. Pourvu que ça dure! Les droits et autorisations d'auteurs étaient et demeurent des freins pour l'adaptation en braille ou caractères agrandis d'ouvrage. Les démarches sont saupoudrées, longues et n'aboutissent que trop rarement.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Pour les développeurs de sites que ça intéresse, des recommandations sont disponibles en nous contactant à [voir le courriel sur le site], ou sur des sites comme VoirPlus ou BrailleNet. En règle générale, les dispositions à prendre ne sont pas trop contraignantes. Il ne faudrait pas que le message pour rendre un site accessible soit trop compliqué au risque de dissuader les bonnes volontés.
TYLER CHAMBERS (Boston, Massachusetts)
#Créateur de The Human-Languages Page (devenue iLoveLanguages en 2001) et de The
Internet Dictionary Project
The Human-Languages Page (créée par Tyler Chambers en mai 1994) et le Languages Catalog of the WWW Virtual Library fusionnent en 2001 pour devenir iLoveLanguages, un catalogue détaillé de plus de 2.000 ressources linguistiques dans plus de 100 langues différentes.
Tyler Chambers mène aussi un autre projet relatif aux langues, The Internet Dictionary Project, débuté en 1995. Le projet a pour but de créer des dictionnaires de langues en accès libre sur le web, grâce à l'aide des internautes. Ce site permet donc aux cybernautes du monde entier de participer à la traduction de termes anglais dans d'autres langues.
*Entretien du 14 septembre 1998 (entretien original en anglais)
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
Ma vie professionnelle est en ce moment complètement distincte de mon activité sur l'internet. Je suis programmeur/technicien informatique, je trouve cela stimulant et cela me permet de payer les factures. Mon activité en ligne a consisté à rendre l'information linguistique accessible à davantage de gens par le biais de deux de mes projets sur le web. Bien que je ne sois pas multilingue, ni même bilingue moi-même, je suis conscient du fait que très peu de domaines ont une importance comparable à celle des langues et du multilinguisme. L'internet m'a permis de toucher des millions de personnes et de les aider à trouver ce qu'elles cherchaient, ce dont je suis heureux. Je suis devenu aussi une sorte de célébrité, ou au moins quelqu'un de familier dans certains cercles. Je viens de découvrir qu'un de mes projets est brièvement mentionné dans les éditions asiatique et internationale de Time Magazine. Dans l'ensemble, je pense que le web a été important pour la sensibilisation aux langues et pour les questions culturelles. Dans quel autre endroit peut-on chercher au hasard pendant vingt minutes et trouver des informations intéressantes dans trois langues différentes sinon plus ? Les moyens de communication rendent le monde plus petit en rapprochant les gens. Je pense que le web est le premier médium - bien plus que le courrier, le télégraphe, le téléphone, la radio ou la télévision - à réellement permettre à l'usager moyen de franchir les frontières nationales et culturelles. Israël n'est plus à des milliers de kilomètres, mais seulement à quelques clics de souris. Notre monde est maintenant suffisamment petit pour tenir sur un écran d'ordinateur.
= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?
Le multilinguisme sur le web était inévitable bien avant que ce médium ne se développe vraiment. Mon premier vrai contact avec l'internet date de 1994, un peu après ses débuts mais bien avant son expansion. 1994 a été aussi l'année où j'ai débuté mon premier projet web multilingue. A cette époque, il existait déjà un nombre significatif de ressources linguistiques en ligne. Ceci était antérieur à la création de Netscape. Mosaic était le seul navigateur sur le web, et les pages web étaient essentiellement des documents textuels reliés par des hyperliens. A présent, suite à l'expérience acquise par les internautes, et suite à l'amélioration des logiciels de navigation, je ne pense pas qu'il existe une langue vivante qui ne soit pas représentée sur le web, que ce soit la langue des Indiens d'Amérique ou les dialectes moyen-orientaux. De même une pléthore de langues mortes peut maintenant trouver une audience nouvelle grâce à des érudits et autres spécialistes en ligne. A ma connaissance, très peu de jeux de caractères ne sont pas disponibles en ligne : les navigateurs permettent désormais la visualisation des caractères romains, asiatiques, cyrilliques, grecs, turcs, etc. Accent Software a un produit appelé "Internet avec accents" qui prétend être capable de visualiser plus de trente codages différents. S'il existe encore des obstacles à la diffusion d'une langue spécifique sur le web, ceci ne devrait pas durer.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Comme je l'ai dit plus haut, je pense que l'avenir de l'internet réside dans davantage de multilinguisme et d'exploration et de compréhension multiculturelles que nous n'en avons jamais vu. Cependant l'internet sera seulement le médium au travers duquel l'information circule. Comme le papier qui sert de support au livre, l'internet lui-même augmente très peu le contenu de l'information. Par contre il augmente énormément la valeur de celle-ci dans la capacité qu'il a à communiquer cette information. Dire que l'internet aiguillonne le multilinguisme est à mon sens une opinion fausse. C'est la communication qui aiguillonne le multilinguisme et l'échange multiculturel. L'internet est seulement le mode de communication le plus récent rendu accessible aux gens plus ou moins ordinaires. Il a un long chemin à parcourir avant d'être omniprésent dans le monde entier, mais il est vraisemblable que lui-même ou un médium de la même lignée y arrive. Les langues deviendront encore plus importantes qu'elles ne le sont quand tout le monde pourra communiquer à l'échelle de la planète (à travers le web, les discussions, les jeux, le courrier électronique, ou toute application appartenant encore au domaine de l'avenir), mais je ne sais pas si ceci mènera à un renforcement des attaches linguistiques ou à une fusion des langues jusqu'à ce qu'il n'en subsite plus que quelques-unes ou même une seule. Une chose qui m'apparaît certaine est que l'internet sera toujours la marque de notre diversité, y compris la diversité des langues, même si cette diversité diminue. Et c'est une des choses que j'aime à son sujet, c'est un exemple à l'échelle mondiale du dicton: "Cela n'a pas vraiment disparu tant que quelqu'un s'en souvient." Et les gens se souviennent.
PASCAL CHARTIER (Lyon)
#Créateur de Livre-rare-book, site professionnel de livres d'occasion
Gérant de la librairie du Bât d'Argent, librairie lyonnaise, Pascal Chartier a créé dès novembre 1995 Livre-rare-book, site professionel de livres d'occasion. Quadrilingue (français, anglais, italien, allemand), le site comprend un catalogue de livres anciens et de livres d'occasion classé par sujets et par librairie (environ 100 librairies et 300.000 livres en mai 2001) et un annuaire électronique international des librairies de livres d'occasion.
En juin 1998, Pascal Chartier considérait que le web lui a ouvert "une vaste porte", à la fois pour lui et ses clients. Il le considérait aussi "comme peut-être la pire et la meilleure des choses. La pire parce qu'il peut générer un travail constant sans limite et la dépendance totale. La meilleure parce qu'il peut s'élargir encore et permettre surtout un travail intelligent!"
*Entretien du 15 janvier 2000
= Quoi de neuf?
La réalisation d'un module de gestion pour permettre aux libraires d'intégrer leurs livres facilement sur Livre-rare-book, et la traduction en cours du site en anglais, allemand, italien et portugais. Actuellement, nous avons 33 libraires sur le site et 85.000 livres (le chiffre a fortement augmenté depuis, avec environ 100 librairies et 300.000 livres en mai 2001, ndlr).
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Un cercle vicieux.
= Que pensez-vous de l'évolution vers un internet multilingue?
Un sujet passionnant.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
La lettre d'une vieille dame québécoise à qui j'ai pu faire retrouver un livre de son enfance.
= Et votre pire souvenir?
Les injures gratuites.
*Entretien du 9 novembre 2000
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Oui.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
C'est toujours un problème d'échelle, de lunettes ou de système de pensée: d'un côté le papier a encore quelques siècles devant lui, de l'autre ses jours sont effectivement comptés.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Il ne me viendrait pas à l'idée de lire un livre ainsi, mais peut-être de récupérer le texte et de l'imprimer?
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Le problème est l'argent. Nous avons les éléments techniques.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Du vent… ou de l'imaginaire?
= Et la société de l'information?
Une société humaine.
RICHARD CHOTIN (Paris)
#Professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de Lille
*Entretien du 4 septembre 2000
= Pouvez-vous décrire votre site web?
Il s'agit d'un site interne à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) qui ne comprend que la biographie, la bibliographie et les enseignements de chaque enseignant. Le mien n'échappe pas à cette règle.
= En quoi consiste votre activité professionnelle?
J'enseigne à l'université (essentiellement gestion et stratégie). Mon activité liée à internet est marquée par l'importance de la recherche d'éléments sur internet, mais surtout le croisement des données afin d'éviter la désinformation.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Dans les trois années à venir, je compte développer cette activité. Après, la retraite aidant, je compte diminuer sensiblement mes activités sur le net.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Oui, je lis environ cinq à six journaux (quotidiens et hebdomadaires), deux à trois livres papier par mois, et environ 3 à 4.000 photocopies par an.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Il a une certaine utilité mais ne remplacera pas le livre papier, sauf à pouvoir le tirer ultérieurement si l'intérêt est grand.
= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le web?
Et si l'on supprimait le droit d'auteur en ce qui concerne les livres?
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le web?
Le problème est politique et idéologique: c'est celui de l'"impérialisme" de la langue anglaise découlant de l'impérialisme américain. Il suffit d'ailleurs de se souvenir de l'"impérialisme" du français aux 18e et 19e siècles pour comprendre la déficience en langues des étudiants français: quand on n'a pas besoin de faire des efforts pour se faire comprendre, on n'en fait pas, ce sont les autres qui les font.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Là encore, il faudrait une réelle motivation des concepteurs de sites envers le problème des aveugles et une volonté politique d'intégration des handicapés (et pas seulement financière).
= Quel est votre pire souvenir lié à l'internet?
C'est lorsque j'ai découvert qu'il me faudrait plusieurs vies pour tenter d'épuiser les possibilités de l'outil. Quand j'ai compris que je n'y arriverais pas, je me suis remis à lire Le mythe de Sisyphe d'Albert Camus afin de ne pas sombrer dans une mélancolie maniaco-dépressive due à l'absurdité de la situation.
*Entretien du 5 mai 2001
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
Une seule nouveauté, mais de taille, les conséquences de l'accessibilité du web aux aveugles: ma fille vient d'obtenir la deuxième place à l'agrégation de lettres modernes. Un de ses amis a obtenu la maîtrise de conférence en droit et un autre a soutenu sa thèse de doctorat en droit également.
Outre l'aspect performance, cela prouve au moins que si les aveugles étaient réellement aidés (tous les aveugles n'ont pas évidemment la chance d'avoir un père qui peut passer du temps et consacrer de l'argent) par des méthodes plus actives dans la lecture des documents, telles que celles que je décris (obligation d'obtenir en braille ce qui existe en "voyant" notamment), le handicap pourrait presque disparaître.
ALAIN CLAVET (Ottawa)
#Analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada
"Le mandat du Commissariat est le suivant: faire reconnaître le statut du français et de l'anglais, les deux langues officielles du Canada; faire respecter la loi sur les langues officielles; fournir de l'information sur les services du Commissariat, les aspects de la loi sur les langues officielles et son importance pour la société canadienne. Le Commissaire protège: le droit du public d'utiliser le français ou l'anglais pour communiquer avec les institutions fédérales et pour en recevoir les services là où la loi et le règlement sur les langues officielles le prévoient; le droit des fonctionnaires de travailler dans l'une ou l'autre langue officielle dans les régions désignées à cette fin ; le droit de tous les Canadiens et Canadiennes d'expression française ou anglaise de bénéficier des mêmes chances d'emploi et d'avancement au sein des institutions fédérales." (extrait du site web)
Alain Clavet est analyste de politiques sur les questions relatives à la dualité linguistique dans les domaines d'internet et de la radiodiffusion. En août 1999, il a rédigé une étude spéciale intitulée Le gouvernement du Canada et le français sur internet. Dans l'introduction de cette étude, il explique: "Internet peut influencer profondément l'organisation du gouvernement du Canada, sa façon de fournir des services et de communiquer avec les citoyens. La langue anglaise est prépondérante dans l'ensemble des réseaux électroniques, y compris sur internet. Il importe donc que la Commissaire veille à ce que le français prenne toute sa place équitable dans les échanges reposant sur ce nouveau mode de communication et de publication."
*Entretien du 3 septembre 1999
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Internet devient l'un de mes principaux secteurs de spécialisation. Le réseau me permet de faire des recherches, de communiquer et d'élargir mes vues sur les questions relatives aux langues officielles (l'anglais et le français, ndlr).
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je donne présentement une série de communications suite à mon rapport: Le gouvernement du Canada et le français sur internet. Je vais continuer dans les prochaines années à développer cette expertise.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Des logiciels devraient permettre de tarifer l'usager lorsque nécessaire et les gouvernements devraient libérer de frais le maximum de documents et services, notamment en français.
= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour un internet véritablement multilingue?
J'en suggère plusieurs dans mon rapport (voir le chapitre 5: Observations et recommandations, ndlr).
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
La découverte des toutes les possibilités du modem-câble. La très grande vitesse du modem m'a permis de voir la puissance de ce mode de communication. Internet comme encyclopédie universelle m'est indispensable.
= Et votre pire souvenir?
La lenteur, mais c'est réglé.
*Entretien du 4 septembre 2000
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
J'ai présenté une conférence à l'INET 2000 à Yokohama (Japon) (18-21 juillet 2000) sur la diversité linguistique dans le cyberespace. Je serai à Paris pour la conférence Newropeans (5-7 octobre 2000).
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Un peu moins (qu'avant d'être connecté à internet). Le papier continuera d'avoir un rôle complémentaire.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
La technologie devra s'améliorer encore de ce point de vue afin de devenir vraiment populaire.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Un lieu de connaissances partagées non soumis aux contraintes du temps et de l'espace.
= Et la société de l'information?
Le constat que la valeur ajoutée centrale (en référence à une notion économique, celle de la valeur ajoutée) devient de plus en plus l'intelligence de l'information. Ainsi, dans une société de l'information, la connaissance devient la plus-value recherchée.
*Entretien du 3 mai 2001
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Le gouvernement du Canada a accepté l'ensemble des douze recommandations du rapport: Le gouvernement du Canada et le français sur internet. Des investissements importants ont été réalisés à cet égard cette année. Notamment 80 millions de dollars (canadiens, soit 62 millions d'euros, ndlr) pour la numérisation des collections, 30 millions (23,3 millions d'euros, ndlr) pour la constitution du Musée virtuel canadien et, le 2 mai 2001, l'annonce de 108 millions supplémentaires (83,7 millions d'euros, ndlr) afin d'accroître les contenus culturels canadiens sur internet. Je représente également le Canada à un comité d'experts de l'Unesco pour la promotion du multilinguisme et de l'accès universel à l'internet.
JEAN-PIERRE CLOUTIER (Montréal)
#Auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet
Jean-Pierre Cloutier, journaliste québécois, lance en novembre 1994 Les Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, sous la forme d'une lettre hebdomadaire envoyée par courrier électronique (5.000 abonnés en 2001). A partir d'avril 1995, on peut également lire les Chroniques directement sur le web. Depuis bientôt sept ans maintenant, elles font référence dans la communauté francophone, y compris dans le domaine du livre. Chroniqueur à temps plein, Jean-Pierre Cloutier est également photographe.
*Entretien du 8 juin 1998
= En quoi l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Il y a deux choses ici, dans mon cas. D'abord une époque où j'étais traducteur (après avoir travaillé dans le domaine des communications). Je me suis branché à internet à la demande de clients de ma petite entreprise de traduction car ça simplifiait l'envoi des textes à traduire et le retour des textes traduits. Assez rapidement, j'ai commencé à élargir mon bassin de clientèle et à avoir des contrats avec des clients américains.
Puis, il y a eu carrément changement de profession, c'est-à-dire que j'ai mis de côté mes activités de traduction pour devenir chroniqueur. Au début, je le faisais à temps partiel, mais c'est rapidement devenu mon activité principale. C'était pour moi un retour au journalisme, mais de manière manifestement très différente. Au début, les Chroniques traitaient principalement des nouveautés (nouveaux sites, nouveaux logiciels). Mais graduellement on a davantage traité des questions de fond du réseau, puis débordé sur certains points d'actualité nationale et internationale dans le social, le politique et l'économique.
Dans le premier cas, celui des questions de fond, c'est relativement simple car toutes les ressources (documents officiels, dépêches, commentaires, analyses) sont en ligne. On peut donc y mettre son grain de sel, citer, étendre l'analyse, pousser des recherches. Pour ce qui est de l'actualité, la sélection des sujets est tributaire des ressources disponibles, ce qui n'est pas toujours facile à dénicher. On se retrouve alors dans la même situation que la radio ou la télé, c'est-à-dire que s'il n'y a pas de clip audio ou d'images, une nouvelle même importante devient du coup moins attrayante sur le plan du médium.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Dans le cas des Chroniques de Cybérie, nous avons pu lancer et maintenir une formule en raison des coûts d'entrée relativement faibles dans ce médium. Cependant, tout dépendra de l'ampleur du phénomène dit de "convergence" des médias et d'une hausse possible des coûts de production s'il faut offrir de l'audio et de la vidéo pour demeurer concurrentiels. Si oui, il faudra songer à des alliances stratégiques, un peu comme celle qui nous lie au groupe Ringier et qui a permis la relance des Chroniques après six mois de mise en veilleuse. Mais quel que soit le degré de convergence, je crois qu'il y aura toujours place pour l'écrit, et aussi pour les analyses en profondeur sur les grandes questions.
*Entretien du 6 août 1999
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien (nouvelles réalisations, nouveaux projets, nouvelles idées…)?
Projets et réalisations, non, pas vraiment. Nouvelles idées, oui, mais c'est encore en gestation.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Vaste question.
Il y a d'abord les droits d'auteurs et droits de reproduction des grandes entreprises. Ces dernières sont relativement bien dotées en soutien juridique, soit par le recours aux services internes du contentieux, soit par l'embauche de firmes spécialisées.
Il est certain que la "dématérialisation" de l'information, apportée par internet et les techniques de numérisation, facilite les atteintes de toutes sortes à la propriété intellectuelle.
Là où il y a danger, c'est dans le cas de petits producteurs/diffuseurs de contenus "originaux" qui n'ont pas les moyens de surveiller l'appropriation de leurs produits, ni d'enclencher des mesures sur le plan juridique pour faire respecter leurs droits.
Mais tout ça, c'est de l'"officiel", des cas de plagiat que l'on peut prouver avec des pièces "rematérialisées". Il y a peut-être une forme plus insidieuse de plagiat, celle de l'appropriation sans mention d'origine d'idées, de concepts, de formules, etc. Difficile dans ces cas de "prouver" le plagiat, car ce n'est pas du copier/coller pur et simple. Mais c'est une autre dimension de la question qui est souvent occultée dans le débat.
Des solutions? Il faut inventer un processus par lequel on puisse inscrire sans frais une oeuvre (article, livre, pièce musicale, etc.) auprès d'un organisme international ayant pouvoir de sanction. Cette méthode ne réglerait pas tous les problèmes, mais aurait au moins l'avantage de déterminer un cadre de base et qui sait, peut-être, agir en dissuasion aux pillards.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue? Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Cet été, le cap a été franchi. Plus de 50% des utilisateurs et utilisatrices du réseau sont hors des États-Unis. L'an prochain, plus de 50% des utilisateurs seront non anglophones. Il y a seulement cinq ans, c'était 5%. Formidable, non?
Mais voilà, c'est que l'internet est devenu multiforme et exige de plus en plus des outils performants en raison de l'"enrichissement" des contenus (ou plutôt des contenants, car sur le fond, le contenu véritable, rien n'est enrichi sauf les entreprises qui les vendent). Il faut des systèmes costauds, bien pourvus en mémoire, avec des microprocesseurs puissants. Or, s'il y a développement du web non anglophone, il s'adressera pour une bonne part à des populations qui n'ont pas les moyens de se procurer des systèmes puissants, les tout derniers logiciels et systèmes d'exploitation, et de renouveler et mettre à niveau tout ce bazar aux douze mois.
En outre, les infrastructures de communication, dans bien des régions hors Europe ou États-Unis, font cruellement défaut. Il y a donc problème de bande passante.
Je le constate depuis le tout début des Chroniques. Des correspondants (Afrique, Asie, Antilles, Amérique du Sud, région Pacifique) me disent apprécier la formule d'abonnement par courrier électronique car elle leur permet en récupérant un seul message de lire, de s'informer, de faire une présélection des sites qu'ils ou elles consulteront par la suite. Il faut pour eux, dans bien des cas, optimiser les heures de consultation en raison des infrastructures techniques plutôt faibles.
C'est dans ces régions, non anglophones, que réside le développement du web. Il faut donc tenir compte des caractéristiques techniques du médium si on veut rejoindre ces "nouveaux" utilisateurs.
Je déplore aussi qu'il se fasse très peu de traductions des textes et essais importants qui sont publiés sur le web, tant de l'anglais vers d'autres langues que l'inverse.
Je m'explique. Par exemple, Jon Katz publie une analyse du phénomène de la culture Goth qui imprégnait les auteurs du massacre de Littleton, et de l'expression Goth sur le web. La presse francophone tire une phrase ou deux de l'analyse de Katz, grapille quelques concepts, en fait un article et c'est tout. Mais c'est insuffisant pour comprendre Katz et saisir ses propos sur la culture de ces groupes de jeunes.
De même, la nouveauté d'internet dans les régions où il se déploie présentement y suscite des réflexions qu'il nous serait utile de lire. À quand la traduction des penseurs hispanophones et autres de la communication?
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Ce n'est pas très gai, et ça n'a rien à voir avec le rayonnement important qu'ont acquis Les Chroniques de Cybérie au fil des ans.
Début 1996, j'ai reçu un message qui disait à peu près ceci: "Mon fils, dans le début de la vingtaine, était gravement malade depuis des mois. Chaque semaine, il attendait avec impatience de recevoir dans sa boîte aux lettres votre chronique. Ne pouvant plus sortir de la maison, votre chronique lui permettait de 'voyager', d'ouvrir ses horizons, de penser à autre chose qu'à son mal. Il est décédé ce matin. Je voulais simplement vous remercier d'avoir allégé ses derniers mois parmi nous."
Alors, quand on reçoit un message comme ça, on se fout pas mal de parler à des milliers de gens, on se fout des statistiques d'achalandage, on se dit qu'on parle à une personne à la fois.
= Et votre pire souvenir?
Pas vraiment un seul "gros et méchant" souvenir. Mais une foule de petits irritants. Le système est fragile, le contenu passe au second plan, on parle peu du capital humain, on nous inonde de versions successives de logiciels, etc. Mais c'est très vivable…
*Entretien du 5 août 2000
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Disons que fin juillet 1998, à peu près au moment où nous avions notre tout premier entretien, j'écrivais: "Quelqu'un me demandait récemment quelles étaient les grandes tendances d'internet et si quelque chose avait changé dans la couverture journalistique de l'espace cyber. Après avoir feint de ne pas avoir entendu la question, question de songer à une réponse adéquate, je lui ai répondu qu'au début, un bon chroniqueur se devait d'avoir les deux pieds bien ancrés dans le milieu des technologues et des créatifs. Maintenant, il importe d'avoir un bureau à mi-chemin entre le Palais de justice et la Place de la bourse, et de cultiver ses amis avocats et courtiers." (Chroniques de Cybérie, 28 juillet 1998)
Je constate que, depuis ce temps, mais surtout depuis un an, cette tendance s'est confirmée. Les considérations financières comme les placements initiaux de titres (les IPO - initial public offers), les options d'achat d'actions, la montée fulgurante du Nasdaq fin 1999 et début 2000, puis la correction boursière du printemps, bref, toute cette activité a dominé grandement l'actualité du cyberespace.
Puis, sur le plan juridique, il y a eu l'affaire Microsoft (qui n'est pas encore terminée en raison des appels). C'est la plus visible, celle qui a monopolisé l'attention pendant des mois. Plus récemment, c'est l'affaire Napster qui retient l'attention (là aussi, on attend les décisions en appel). L'affaire UEJF (Union des étudiants juifs de France) - LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) - Yahoo! en France est aussi, à mon avis, éminemment importante car elle implique le concept de censure "géographique", à partir d'un territoire donné. Mais outre ces "causes célèbres", il ne se passe pas une journée sans que les fils de presse ne rapportent des décisions de tribunaux qui ont des incidences sur l'avenir d'internet.
Ce sont donc les manoeuvres boursières et les objets de litiges portés devant les tribunaux qui façonnent le mode de vie en réseau, et ce au détriment d'une réflexion et d'une action profonde sur le plan strict de la communication.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Disons que, dans mon cas, l'utilisation du support papier est plus sélective. Pour mes besoins, j'imprime parfois un document récupéré en ligne car le papier est une "interface de lecture" des plus portables. Sans connexion, sans piles, sans attirail technique, on transporte le document où on veut, on l'annote, on le partage, on le donne, on le récupère, puis il peut prendre facilement le chemin du bac de recyclage.
Côté des journaux et périodiques, j'en consomme moins qu'avant mon utilisation régulière d'internet (1991). Mais là encore, c'est sélectif. Le seul périodique que j'achète régulièrement est le mensuel Wired. Je n'ai jamais été abonné, je l'achète en kiosque, c'est comme voter avec son fric pour le changement.
Pour ce qui est des livres, comme je suis en guerre perpétuelle avec le temps, j'ai peu l'occasion de lire. Au cours de mes vacances, cet été, j'ai acheté des livres de cyberlibraires et je les ai fait livrer poste restante au bureau de poste du village où j'étais. Entre trois à cinq jours pour la livraison, c'est génial.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Le cinéma n'a pas sonné la mort des spectacles sur scène et des arts d'interprétation, pas plus que la radio. La télévision n'a pas relégué aux oubliettes le cinéma, au contraire, elle a contribué à une plus grande diffusion des films. Même chose pour la vidéocassette. Les technologies se succèdent, puis cohabitent.
Je crois qu'il en sera de même pour le papier. Il est certain que son rôle et ses utilisations seront modifiés, que certains contenus demeureront plus portables et conviviaux sur papier, il y aura des ajustements.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Curieusement, dans l'édition du 28 juillet 1998 des Chroniques de Cybérie que je cite plus haut, je parlais du numéro 4 des Cahiers de médiologie ayant pour thème "Les pouvoirs du papier", et aussi des premiers livres numériques.
Force est de constater que, deux ans plus tard, peu de choses ont évolué. D'abord, sur le plan technique, les nouvelles interfaces de lecture n'ont pas rempli leurs promesses sur le plan de la convivialité, de l'aisance et du confort, du plaisir de l'expérience de lire.
D'autre part, les contenus proposés sont encore assez maigres. Je ne dis pas qu'il n'y a rien, mais c'est peu varié, et encore peu de grands titres qui permettraient des économies d'échelle.
Oui, Stephen King a fait un pied de nez aux éditeurs et publié des oeuvres originales en ligne. Et alors? On peut difficilement, encore, parler d'une tendance.
J'ai une théorie des forces qui animent et modifient la société, et qui se résume à classer les phénomènes en tendances fortes, courants porteurs et signaux faibles.
Le livre électronique ne répond pas encore aux critères de tendance forte. On perçoit des signaux faibles qui pourraient annoncer un courant porteur, mais on n'y est pas encore. Cependant, si et quand on y sera, ce sera un atout important pour les personnes qui souhaiteront s'auto-éditer, et le phénomène pourrait bouleverser le monde de l'édition traditionnelle.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et mal-voyants?
Mes suggestions s'adressent surtout aux diffuseurs de contenus qui ne respectent pas les normes techniques. Je m'explique. Le Consortium W3C est un organisme de normalisation des techniques du web. Ses comités étudient les nouvelles techniques, et prescrivent des normes d'utilisation. Or les producteurs et diffuseurs de contenus utilisent souvent des techniques propriétales, hors normes, propres à un logiciel ou à une plate-forme, ce qui donne lieu, par exemple, à des "sites optimisés" pour Netscape ou pour Internet Explorer.
Si ces sites soi-disant optimisés pour un fureteur ou un autre causent des problèmes pour les utilisateurs ordinaires, imaginez la difficulté d'adapter des contenus livrés hors normes à un consultation pour non-voyants.
Il y a des efforts énormes pour rendre accessible à tous le contenu du web, mais tant et aussi longtemps que les diffuseurs utiliseront des technologies hors normes, et ne tiendront pas leurs engagements pris, notamment, dans le cadre du Web Interoperability Project (WIP), la tâche sera difficile.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Un monde parallèle, un espace où se déroule l'ensemble des activités d'information, de communication, et d'échanges (y compris échanges commerciaux) désormais permises par le réseau. Il y a un centre, autonome, très interconnecté qui vit par et pour lui-même. Puis des collectivités plus ou moins ouvertes, des espaces réservés (intranets), des sous-ensembles (AOL, CompuServe). Il y a ensuite de très longues frontières où règne une culture mixte, hybride, issue du virtuel et du réel (on pense aux imprimés qui ont des versions web, aux sites marchands). Il y a aussi un sentiment d'appartenance à l'une ou l'autre de ces régions du cyberespace, et un sentiment d'identité.
= Et la société de l'information?
Une société où l'unité de valeur réelle est l'information produite, transformée, échangée. Elle correspond au "centre" du cyberespace. Malheureusement, le concept a tellement été galvaudé, banalisé, on l'a servi à toutes les sauces politiciennes pour tenter d'évoquer ce qu'on ne pouvait imaginer dans le détail, ou concevoir dans l'ensemble, de sorte que l'expression a perdu de son sens.
JACQUES COUBARD (Paris)
#Responsable du site web du quotidien L'Humanité
*Entretien du 23 juillet 1998
= Quel est l'historique de votre site web?
Le site de L'Humanité a été lancé en septembre 1996 à l'occasion de la Fête annuelle du journal. Nous y avons ajouté depuis un forum, un site (en partenariat) pour la récente Coupe du monde de football, et des données sur la Fête et sur le meeting d'athlétisme parrainé par L'Humanité. Nous espérons pouvoir développer ce site à l'occasion du lancement d'une nouvelle formule du quotidien qui devrait intervenir à la fin de l'année ou au début de l'an prochain. Nous espérons également mettre sur site L'Humanité hebdo dans les mêmes délais.
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
Jusqu'à présent on ne peut pas dire que l'arrivée d'internet ait bouleversé la vie des journalistes faute de moyens et de formation (ce qui va ensemble). Les rubriques sont peu à peu équipées avec des postes dédiés, mais une minorité de journalistes exploite ce gisement de données. Certains s'en servent pour transmettre leurs articles, leurs reportages. Il y a sans doute encore une "peur" culturelle à plonger dans l'univers du Net. Normal, en face de l'inconnu. L'avenir devrait donc permettre par une formation (peu compliquée) de combler ce handicap. On peut rêver à un enrichissement par une sorte d'édition électronique, mais nous sommes sévèrement bridés par le manque de moyens financiers.
LUC DALL'ARMELLINA (Paris)
#Co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures hypermédias
*Entretien du 13 juin 2000
= Pouvez-vous présenter oVosite?
oVosite est un site web (mise en ligne: juin 1997) conçu et réalisé par un collectif de six auteurs (Chantal Beaslay, Laure Carlon, Luc Dall'Armellina, Philippe Meuriot, Anika Mignotte et Claude Rouah) - issus du département hypermédias de l'Université Paris 8 - autour d'un symbole primordial et spirituel, celui de l'oeuf. Le site s'est constitué selon un principe de cellules autonomes qui visent à exposer et intégrer des sources hétérogènes (littérature, photo, peinture, vidéo, synthèse) au sein d'une interface unifiante.
Les récits voisins, la première cellule active, met en scène huit nouvelles originales - métaphores d'éclosion ou de gestation - à travers des ancrages variant selon trois regards: éléments de l'environnement (rouge), personnages de l'histoire (violet), correspondances poétiques (bleu). L'interprétation de ces regards, c'est-à-dire le choix des liens pour chaque élément de texte, incombe à chaque auteur et dépend de sa perception individuelle du sujet au sein de son univers intime. Les récits voisins est une oeuvre collective, un travail d'écriture multimédia qui s'est étendu sur près de six mois.
Désirs est une proposition de fragmentation d'un poème anonyme (texte de 1692) et qui occupe l'espace sur le mode de l'apparition des phrases reliées à des mots qui s'affichent et disparaissent au gré d'un aléatoire mesuré.
De nouvelles cellules sont en couvaison…
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je suis enseignant en création numérique auprès d'étudiants des filières "arts" et "design graphique" à l'Ecole régionale des beaux-arts de Valence (Drôme) et chargé de cours en "création de site web" UFR6 (unité de formation et de recherche 6) "Littérature et Informatique" auprès d'étudiants de DESS (diplôme d'enseignement supérieur spécialisé) à l'Université Paris 8 - Saint-Denis-Vincennes (Seine Saint-Denis).
J'exerce par ailleurs une activité de recherche (doctorant à Paris 8) faite de création (sites web et dispositifs hypertextuels), de veille technologique (outils de création et technologies) et d'un travail d'analyse des pratiques de création numérique. Ces trois pôles servent la construction de ma thèse en cours sur le thème: "Vers une écologie de l'écran".
= Comment voyez-vous l'avenir?
La couverture du réseau autour de la surface du globe resserre les liens entre les individus distants et inconnus (c'est un peu notre cas lors de cet échange). Ce qui n'est pas simple puisque nous sommes placés devant des situations nouvelles: ni vraiment spectateurs, ni vraiment auteurs, ni vraiment lecteurs, ni vraiment interacteurs. Ces situations créent des nouvelles postures de rencontre, des postures de "spectacture" ou de "lectacture" (Jean-Louis Weissberg). Les notions de lieu, d'espace, de temps, d'actualité sont requestionnées à travers ce médium qui n'offre plus guère de distance à l'événement mais se situe comme aucun autre dans le présent en train de se faire.
L'écart peut être mince entre l'envoi et la réponse, parfois immédiat (cas de la génération de textes). Mais ce qui frappe et se trouve repérable ne doit pas masquer les aspects encore mal définis tels que les changements radicaux qui s'opèrent sur le plan symbolique, représentationnel, imaginaire et plus simplement sur notre mode de relation aux autres. "Plus de proximité" ne crée pas plus d'engagement dans la relation, de même "plus de liens" ne créent pas plus de liaisons, ou encore "plus de tuyaux" ne créent pas plus de partage.
Je rêve d'un internet où nous pourrions écrire à plusieurs sur le même dispositif, une sorte de lieu d'atelier d'écritures permanent et qui autoriserait l'écriture personnelle (c'est en voie d'exister), son partage avec d'autres auteurs, leur mise en relation dans un tissage d'hypertextes et un espace commun de notes et de commentaires sur le travail qui se crée. Je rêve encore d'un internet gratuit pour tous et partout, avec toute l'utopie que cela représente. Internet est jeune mais a déjà ses mythologies, ainsi Xanadu devait être cette cité merveilleuse ou tout le savoir du monde y serait lisible en toutes les langues. Loin d'être au bout de ce rêve, internet tient tout de même quelques-unes de ces promesses.
= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre mode d'écriture?
Non - parce qu'écrire est de toute façon une affaire très intime, un mode de relation qu'on entretient avec son monde, ses proches et son lointain, ses mythes et fantasmes, son quotidien et enfin, appendus à l'espace du langage, celui de sa langue d'origine. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l'hypertexte change fondamentalement sa manière d'écrire, qu'on procède par touches, par impressions, associations, quel que soit le support d'inscription, je crois que l'essentiel se passe un peu à notre insu.
Oui - parce que l'hypertexte permet sans doute de commencer l'acte d'écriture plus tôt: devançant l'activité de lecture (associations, bifurcations, sauts de paragraphes) jusque dans l'acte d'écrire. L'écriture (significatif avec des logiciels comme StorySpace) devient peut-être plus modulaire. On ne vise plus tant la longue horizontalité du récit mais la mise en espace de ses fragments, autonomes. Et le travail devient celui d'un tissage des unités entre elles. L'autre aspect lié à la modularité est la possibilité d'écritures croisées, à plusieurs auteurs. Peut-être s'agit-il d'ailleurs d'une méta-écriture, qui met en relation les unités de sens (paragraphes ou phrases) entre elles.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Le droit de l'auteur est celui d'un individu et celui de son oeuvre. L'individu a le droit de disposer d'une garantie, celle que son oeuvre ne soit pas pillée et/ou (pire?) détournée ou morcelée. La notion d'oeuvre est complexe, mais si l'on accepte celle d'une production originale et personnelle comme ensemble cohérent qui fait sens et système pour proposer un regard singulier - celui d'un auteur - ce droit doit pouvoir être garanti.
Sans même évoquer les aspects financiers (royalties, etc.) qui sont bien réels, un standard comme XML devrait pouvoir garantir l'indexation des oeuvres, des artistes, et une signature numérique attachée à leurs productions en ligne.
Un autre standard d'autentification - de type PNG (portable network graphics) pour l'image - devrait pouvoir permettre d'attribuer une clé numérique infalsifiable à une production. Un exemple significatif: les éditions numériques 00h00.com ont édité un roman interactif, Apparitions inquiétantes, né sur le web (donc en HTML) mais vendu au format Acrobat PDF qui permet de conditionner son ouverture par un mot de passe donné lors de l'achat en ligne du roman.
On peut aisément imaginer que, si le WWW Consortium ne propose pas de système d'authentification numérique des pages web, éditeurs et auteurs vont se tourner vers des produits éditoriaux plus repérés (livre, cédérom) et pour lesquels existe un circuit de distribution.
On peut imaginer qu'un auteur puisse faire enregistrer ses logiciels de création auprès d'un organisme et obtienne en échange une clef numérique (signature individuelle) qui soit automatiquement apposée dans ses fichiers. Une autre solution consisterait en un dépôt - type SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) ou SCAM (Société civile des auteurs multimédia) ou SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) ou SESAM (Gestion des droits des auteurs dans l'univers multimédia) - qui fasse antériorité, mais c'est une solution de protection et non pas un procédé de signature…
Peut-être existe-t-il une question prélable cachée dans celle-ci: ne faut-il pas à l'heure du numérique, et en regard de ce que Julia Kristeva a appelé l'intertextualité, redéfinir la notion et le terme d'auteur?
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue? Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Les systèmes d'exploitation se dotent peu à peu des kits de langues et bientôt peut-être de polices de caractères Unicode à même de représenter toutes les langues du monde; reste que chaque application, du traitement de texte au navigateur web, emboîte ce pas.
Les difficultés sont immenses: notre clavier avec ses ± 250 touches avoue ses manques dès lors qu'il faille saisir des Katakana ou Hiragana japonais, pire encore avec la langue chinoise.
La grande variété des systèmes d'écritures de par le monde et le nombre de leurs signes font barrage. Mais les écueils culturels ne sont pas moins importants, liés aux codes et modalités de représentation propres à chaque culture ou ethnie.
L'anglais s'impose sans doute parce qu'il est devenu la langue commerciale d'échange généralisée; il semble important que toutes les langues puissent continuer à être représentées parce que chacune d'elle est porteuse d'une vision "singulière" du monde.
La traduction simultanée (proposée par AltaVista par exemple) ou les versions multilingues d'un même contenu me semblent aujourd'hui les meilleures réponses au danger de pensée unique que représenterait une seule langue d'échange.
Peut-être appartient-il aux éditeurs des systèmes d'exploitation (ou de navigateurs?) de proposer des solutions de traduction partielle, avec toutes les limites connues des systèmes automatiques de traduction…
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Je n'ai pas de souvenir unique mais plutôt des événements marquants: avoir pu contacter et converser par e-mail avec des inconnus dont j'avais lu les travaux, avoir vu des travaux d'amis publiés en livre alors qu'ils étaient écrits initialement et après qu'ils aient existé d'abord pour le web, avoir échangé des vidéos et des photos de famille à l'autre bout du monde en quelques secondes. Quelques instants fugaces de babillard avec des Canadiens perdus dans les grands froids.
= Et votre pire souvenir?
- L'arrivée de ce qu'on appelle l'e-business, pas l'arrivée du commerce qui est une activité respectable (activité naturelle d'échange qui crée du lien), mais celle du discours, du vocabulaire et de l'état d'esprit qui l'accompagne: rentabilité, business plan, parts de marché, agressivité… et de toute l'économie faite de flan, d'effets d'annonce et dont le paroxysme s'est appelé Nasdaq.
- La mise à mort de Mygale par un système et sa récupération par un des acteurs du marché a montré que la communauté de partage et d'intérêt avait elle aussi un prix (élevé) en fonction de son potentiel d'acheteurs.
*Entretien du 14 novembre 2000
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
C'est toujours une question, une frustration, cette impossibilité du papier à entrer dans la machine! Les dispositifs d'annotation informatique sont pourtant loin d'égaler ceux, analogiques, de la lecture papier: post-it, pages cornées, notes en marge, photocopies commentées, agrandies, modifiées, partagées… que j'utilise - comme beaucoup - en nombre. Tous ces procédés sont des bricolages, les morceaux de papier pris sur des nappes au déjeuner, dans les pages "notes" des agendas, mais ils sont la base d'un processus de mémorisation, d'appropriation personnelle. (Voir pour s'en convaincre la gestion archaïque des signets sur les deux navigateurs les plus modernes. Il faut aller voir des navigateurs de recherche comme Nestor de Romain Zeiliger pour voir pris en compte l'annotation comme processus cognitif et la représentation spatiale comme mode d'organisation des données complexes.) C'est là la question la moins bien prise en compte dans les dispositifs numériques où la mémoire prise en compte est celle de la machine et du logiciel, pas celle de nos cheminements intimes.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Les "outils numériques" deviendront peut-être peu à peu les objets banals de notre quotidien; en attendant ce(s) jour(s), la souplesse des usages du papier n'a pas encore son pareil, je crois. Les débuts des années 80 avaient annoncé la mort du support papier: son usage - et sa consommation - se sont vus multipliés. Le papier semble devoir être encore la surface-support de confort pour la lecture séquentielle, mais pour l'écriture numérique ? On peut se poser la question, l'évolution lente mais inexorable des pratiques - et des outils d'écriture - entraîne forcément la lecture vers l'ailleurs des dispositifs interactifs. La tendance qui s'amorce sur le web - mais est-ce que cela dépassera le stade de tendance? - est la double écriture (et donc la double lecture) proposée. De plus en plus de sites sont faits pour satisfaire une expérience interactive mais proposent aussi leurs contenus "de fond" sous forme de fichiers Acrobat, donc mis en forme, designés pour l'impression individuelle sur papier. Une écriture interactive génère ses systèmes, dispositifs, mises en relation, en espaces, en interaction… et ses appareils de lecture. Les nouvelles oeuvres se lisent sur un micro-ordinateur - connecté ou non - pensons à la spécificité des Machines à écrire de Antoine Denize, de Puppet Motel de Laurie Anderson, de Ceremony of Innocence de Peter Gabriel/Nick Bantock. Mais on peut aussi penser - et espérer - que J.M.G. Le Clézio continuera de nous enchanter avec ses récits sur papier.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Ce n'est qu'un sentiment, je ne possède personnellement pas ce genre d'appareil, ni de PDA (personal digital assistant) non plus même si j'en ai eu de nombreuses fois entre les mains avec un mélange d'envie et de gêne. Il me semble que le "fait" technologique de l'appareil nuit à une lecture un peu "engagée". Je lis mes livres un peu partout, ils tombent parfois de mes mains et de mon lit, j'en ai oublié dans le train, ils me suivent dans le bus, le métro, le train, en vacances, sur la plage ou à la montagne. Ils sont autonomes, je peux les prêter, les donner, je les biffe, corne, annote, bref je les lis. Avec une infinie lenteur. Je me roule dans leurs plis. Il faudrait peut-être pouvoir plier ces livres électroniques, ou qu'ils soient incassables? Mais la question est peut-être qu'ils ne peuvent ni ne doivent remplacer le livre papier bâti dans un système matériel et économique cohérent. Peut-être ont-ils une place à part à prendre? En devenant les supports de l'hyperlecture peut-être?
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Jakob Nielsen évoque dans La Conception de sites web - l'art de la simplicité (Campus Press, 2000) un système vocal basé sur la lecture de balises HTML ou XML capables d'interfacer un synthétiseur vocal qui paraît convaincant. La WAI (Web Accessibility Initiative) du W3C (World Wide Web Consortium) a publié, le 5 mai 1999, la première version des directives (téléchargeables) pour un accès web aux personnes handicapées, accessible en français.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Ce pourrait-être quelque chose comme l'ensemble électrique mouvant, le système invisible mais cohérent des êtres humains sensibles et des interfaces intelligentes dont les activités sont tout ou en partie réglées, conditionnées ou co-régulées à travers leurs machines connectées ensemble. Peut-être plus simplement: la virtualisation sensible et numérique de l'inconscient collectif… mais là je ne parle plus sous contrôle. :=)
= Et la société de l'information?
La nôtre, je pense? L'américano-nord-européenne. A la Bourse, les annonces ont des effets mesurables en millions de dollars ou d'euros et déclenchent des impacts économiques et humains parfois très violents: rachats, ventes, hausses et baisses des valeurs, licenciements. C'est une société où la valeur absolue est l'information et son contrôle, et la valeur relative l'humain. Et là, il n'y a plus de "parole sous contrôle" mais une question de lecture, donc d'engagement.
KUSHAL DAVE (Yale)
#Etudiant à l'Université de Yale
*Entretien du 1er septembre 1998 (entretien original en anglais)
= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?
Ce sont bien sûr des relations en pleine mutation. Ce que j'ai pu voir jusqu'à présent, c'est que les médias électroniques sont en train de saper les médias imprimés de deux façons:
a) en favorisant la création de maisons d'édition alternatives qui permettent de se libérer de la main-mise des grandes maisons d'édition,
b) en forçant les publications imprimées à trouver les moyens nécessaires pour contrecarrer cette tendance. Ces deux groupes de médias se critiquent l'un l'autre et proclament chacun leur supériorité. Les médias de l'imprimé jouent la carte de la crédibilité, alors que les médias électroniques pensent qu'ils sont les seuls pourvoyeurs d'une vérité impartiale.
Il y a donc un problème de "créneau" à trouver, ainsi il existe aussi un problème financier. Internet est certainement un médium plus accessible et plus pratique. A long terme il serait préférable qu'il puisse bénéficier du savoir-faire de l'imprimé, sans les coûts élevés et les problèmes de copyright. Pendant la période de transition, il serait également souhaitable que les maisons d'édition traditionnelles prennent progressivement en compte ce nouveau médium. Dans les publications imprimées, on voit par exemple maintenant des adresses électroniques à la suite des articles, ce qui permet aux lecteurs de contacter directement les auteurs. Des forums de discussion présents dans pratiquement toutes les grandes publications électroniques montrent qu'à l'avenir nous n'aurons plus seulement l'opinion d'une personne, mais les opinions de plusieurs personnes, et leur interaction entre elles. Le but de ces forums est de procurer des informations supplémentaires en arrière-plan. De même, on peut glaner des statistiques détaillées sur l'indice de consultation de l'information ou des annonces, ce qui permettra à la publication de s'adapter et de s'interroger sur ses objectifs. Le lecteur aura ainsi un contenu plus ciblé, plus riche et davantage sur mesure.
= Que représente l'internet pour vous?
D'abord un moyen de distraction. ;) Et puis une énorme quantité d'informations banales ou intéressantes glanées en surfant sans but précis.
= Comment voyez-vous l'avenir?
J'aimerais préparer une licence et une maîtrise en sciences, puis travailler dans l'industrie pendant quelque temps avant d'écrire sur internet dans une publication connue.
Quant à l'avenir d'internet en général, je pense que ce médium va se populariser, tout en étant en prise avec le développement d'un réseau commercial qui va contrecarrer l'esprit convivial du début. On aura également affaire à une surabondance d'information, et les moteurs de recherche sont déjà en train d'évoluer afin de proposer des portails offrant un meilleur service.
CYNTIA DELISLE (Montréal)
#Consultante au CEVEIL (Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues)
[Entretien conjoint avec Guy Bertrand. Voir: Guy Bertrand.]
EMILIE DEVRIENDT (Paris)
#Elève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne
Elève professeur à l'Ecole normale supérieure (ENS) de Paris et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne, Emilie Devriendt anime le séminaire "Outils informatiques pour l'analyse textuelle" de l'ENS pendant l'année universitaire 2001-2002.
*Entretien du 27 juin 2001
= En quoi consiste exactement votre activité?
Le fait d'être étudiante me permet d'emprunter librement les chemins de traverse qu'il me tente d'explorer: psychologie cognitive, ingénierie linguistique, internet sont autant de domaines qui m'intriguent et qui me permettent d'adopter des points de vue différents sur le monde de la recherche et des études littéraires où j'ai été principalement formée.
Mes travaux de recherche ont pour objet la culture écrite (literacy) et les représentations linguistiques du seizième siècle français. Mon activité liée à l'informatique et à internet s'inscrit en grande partie dans une réflexion sur l'histoire des techniques intellectuelles. Elle intervient aussi dans mes recherches.
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
Je suis avant tout une grande utilisatrice d'internet, pour mes recherches essentiellement. Je compte aussi poursuivre une activité entamée depuis peu (en collaboration avec Russon Wooldridge, professeur à l'Université de Toronto), qui concerne la publication de ressources littéraires en ligne, notamment pour le seizième siècle français.
D'autre part, le prosélytisme en matière d'outils informatiques pour la recherche littéraire me semble indispensable. Ce qui me préoccupe aujourd'hui: la diffusion de logiciels (d'analyse textuelle par exemple) menée parallèlement à une réflexion méthodologique sur leur utilisation. Un séminaire devrait se mettre en place à l'Ecole normale supérieure l'an prochain sur ces thèmes.
= Comment voyez-vous l'avenir?
L'avenir me semble prometteur en matière de publications de ressources en ligne, même si, en France tout au moins, bon nombre de résistances, inhérentes aux systèmes universitaire et éditorial, ne risquent pas de céder du jour au lendemain (dans dix-vingt ans, peut-être?). Ce qui me donne confiance, malgré tout, c'est la conviction de la nécessité pratique d'internet. J'ai du mal à croire qu'à terme, un chercheur puisse se passer de cette gigantesque bibliothèque, de ce formidable outil. Ce qui ne veut pas dire que les nouvelles pratiques de recherche liées à internet ne doivent pas être réfléchies, mesurées à l'aune de méthodologies plus traditionnelles, bien au contraire. Il y a une histoire de l'"outillage", du travail intellectuel, où internet devrait avoir sa place.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Oui, beaucoup.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Je suis loin de penser que le numérique doive ou puisse remplacer le papier, tout au moins dans l'état actuel des technologies liées à internet. On a beau parler d'une "ère de l'immatériel", d'une "virtualisation" du réel etc., je reste persuadée que la trace écrite telle que le papier nous en permet la perception et la conservation (relative si l'on veut, mais fortement historicisée), n'a pas diminué, et n'est pas en passe de se voir remplacée par des séquences invisibles de 0 et de 1. La pérennité du support numérique me semble bien plus problématique que celle du papier: en termes techniques (et économiques) d'une part, en termes de politiques de conservation d'autre part. Par exemple, l'institution d'un dépôt légal sur le web pose d'immenses problèmes (concernant la quantité comme la nature des publications).
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
S'il doit s'agir d'un ordinateur portable légèrement "relooké", mais présentant moins de fonctionnalités que ce dernier, je n'en vois pas l'intérêt. Tel qu'il existe, l'e-book est relativement lourd, l'écran peu confortable à mes yeux, et il consomme trop d'énergie pour fonctionner véritablement en autonomie. A cela s'ajoute le prix scandaleusement élevé, à la fois de l'objet même et des contenus téléchargeables; sans parler de l'incompatibilité des formats constructeur, et des "formats" maison d'édition.
J'ai pourtant eu l'occasion de voir un concept particulièrement astucieux, vraiment pratique et peu coûteux, qui me semble être pour l'heure le support de lecture électronique le plus intéressant : celui du "baladeur de textes" ou @folio (conçu par Pierre Schweitzer, ndlr), en cours de développement à l'Ecole nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg. Bien évidemment, les préoccupations de ses concepteurs sont à l'opposé de celles des "gros" concurrents qu'on connaît, en France ou ailleurs: aucune visée éditoriale monopolistique chez eux, puisque c'est le contenu du web (dans l'idéal gratuit) que l'on télécharge.
= Comment définissez-vous la société de l'information?
Pour moi, comme j'ai eu l'occasion de le dire ailleurs, le syntagme "société de l'information" est plus une formule (journalistique, politique) à la mode depuis plusieurs années, qu'une véritable notion. Cette formule tend communément je crois, à désigner une nouvelle "ère" socio-économique, post-industrielle, qui transformerait les relations sociales du fait de la diffusion généralisée des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Personnellement, je n'adhère pas à cette vision des choses. Si la diffusion croissante des NTIC est indéniable et constitue un phénomène socio-économique propre à l'époque contemporaine, je ne crois pas qu'il faille y voir la marque de l'avènement d'une nouvelle société "de l'information".
La formule "société de l'information" est construite sur le modèle terminologique (socio-économique) de la "société industrielle". Mais le parallèle est trompeur: "société de l'information" met l'accent sur un contenu, alors que "société industrielle" désigne l'infrastructure économique de cette société. L'information en tant que produit (industriel ou service) apparaît peut-être plus complexe que, par exemple, les produits alimentaires, mais cette complexité ne suffit pas à définir l'avènement dont il est question.
D'autant plus que l'emploi inconditionnel de la formule a contribué à faire de l'information un terme passe-partout, très éloigné même de sa théorisation mathématique (Shannon), de sa signification informatique initiale. Elle traduit uniquement une idéologie du progrès électronique mise en place dans les années 1950 et véhiculée ensuite par nos gouvernements et la plupart de nos journalistes, qui définissent fallacieusement le développement des NTIC comme un "nécessaire" vecteur de progrès social. Quelques analystes (sociologues et historiens des techniques comme Mattelart, Lacroix, Guichard, Wolton) ont très bien montré cela.
BRUNO DIDIER (Paris)
#Webmestre de la bibliothèque de l'Institut Pasteur
L'Institut Pasteur est une fondation privée dont la mission est de contribuer à la prévention et au traitement des maladies, en priorité infectieuses, par la recherche, l'enseignement, et des actions de santé publique.
*Entretien du 10 août 1999
= En quoi consiste le site web que vous avez créé?
Le site web de la bibliothèque de l'Institut Pasteur a pour vocation principale de servir la communauté pasteurienne. Il est le support d'applications devenues indispensables à la fonction documentaire dans un organisme de cette taille: bases de données bibliographiques, catalogue, commande de documents et bien entendu accès à des périodiques en ligne (un peu plus d'une centaine actuellement). C'est également une vitrine pour nos différents services, en interne mais aussi dans toute la France et à l'étranger. Il tient notamment une place importante dans la coopération documentaire avec les instituts du réseau Pasteur à travers le monde. Enfin j'essaie d'en faire une passerelle adaptée à nos besoins pour la découverte et l'utilisation d'internet. Il existe dans sa forme actuelle depuis 1996 et son audience augmente régulièrement.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je développe et maintiens les pages du serveur, ce qui s'accompagne d'une activité de veille régulière. Par ailleurs je suis responsable de la formation des usagers, ce qui se ressent dans mes pages. Le web est un excellent support pour la formation, et la plupart des réflexions actuelles sur la formation des usagers intègrent cet outil.
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
C'est à la fois dans nos rapports avec l'information et avec les usagers que les changements ont eu lieu. Nous devenons de plus en plus des médiateurs, et peut-être un peu moins des conservateurs. Mon activité actuelle est typique de cette nouvelle situation: d'une part dégager des chemins d'accès rapides à l'information et mettre en place des moyens de communication efficaces, d'autre part former les utilisateurs à ces nouveaux outils.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je crois que l'avenir de notre métier passe par la coopération et l'exploitation des ressources communes. C'est un vieux projet certainement, mais finalement c'est la première fois qu'on dispose enfin des moyens de le mettre en place.
En ce qui concerne mon propre avenir professionnel, j'espère surtout qu'internet me permettra un jour de travailler à domicile, au moins partiellement. Ce qui m'éviterait 2 heures 30 de transport par jour…
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Je ne suis pas ces débats. Mais je pense qu'on va avoir du mal à maintenir l'esprit communautaire qui était à la base de l'existence d'internet.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Je vois cela tout à fait positivement. Internet n'est une propriété ni nationale, ni linguistique. C'est un vecteur de culture, et le premier support de la culture, c'est la langue. Plus il y a de langues représentées dans leur diversité, plus il y aura de cultures sur internet. Je ne pense pas qu'il faille justement céder à la tentation systématique de traduire ses pages dans une langue plus ou moins universelle. Les échanges culturels passent par la volonté de se mettre à la portée de celui vers qui on souhaite aller. Et cet effort passe par l'appréhension de sa langue. Bien entendu c'est très utopique comme propos. Concrètement, lorsque je fais de la veille, je peste dès que je rencontre des sites norvégiens ou brésiliens sans un minimum d'anglais.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Le jour où j'ai gagné une boîte de chocolats suisses sur le site de Health On the Net (ne vous précipitez pas, le jeu n'existe plus…).
= Et votre pire souvenir?
Les dérives du courrier électronique: des mal élevés qui profitent de la distance ou d'un certain anonymat pour dire des choses pas très gentilles, ou adopter des attitudes franchement puériles, avec, hélas, des conséquences qui ne sont pas toujours celles d'un monde d'enfant… Par exemple, une personne a un jour profité de ce que je lui avait fait copie d'un message, pensant que le sujet l'intéresserait, pour intervenir entre mon interlocuteur et moi, et me discréditer.
CATHERINE DOMAIN (Paris)
#Créatrice de la librairie Ulysse, la plus ancienne librairie de voyage au monde
Située au coeur de Paris, dans l'île Saint-Louis, la librairie Ulysse est la plus ancienne librairie de voyage au monde, avec plus de 20.000 livres neufs et anciens, cartes et revues sur tous les pays et pour tous les voyages. Elle a été créée en 1971 par Catherine Domain, membre du SLAM (Syndicat national de la librairie ancienne et moderne), du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs, et fondatrice du Cargo Club (un club de rencontre pour les passionnés de la mer) et du Club Ulysse des petites îles du monde.
Catherine Domain a visité à ce jour 141 pays et les voyages la tenaillent toujours. En 1998, elle a exploré à la voile les îles du Kiribati et les Marshall, au milieu du Pacifique. En 1999, en tant que membre du jury du Prix du livre insulaire, elle a fait une escale à Ouessant, puis elle a fait le tour de la Sardaigne à la voile en septembre. En l'an 2000, toujours à la voile, elle a visité la Croatie pendant un mois. Comme elle était de nouveau membre du jury du Prix du livre insulaire, elle a refait escale à Ouessant et aussi à l'île de Sein.
*Entretien du 10 novembre 2000
= En quoi consiste votre site web?
Mon site (créé en 1999, ndlr) est embryonnaire et en construction, il se veut à l'image de ma librairie, un lieu de rencontre avant d'être un lieu commercial. Il sera toujours en perpétuel devenir!
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Internet me prend la tête, me bouffe mon temps et ne me rapporte presque rien mais cela ne m'ennuie pas… Pour qu'internet marche, il faut ne faire que ça ou avoir des "esclaves". Je ne veux ni l'un ni l'autre. Je n'ai pas une âme de patron mais d'artisan, et j'attrape vite la bougeote et mal aux yeux.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Extrêmement mal, internet tue les librairies spécialisées. En attendant d'être dévorée, je l'utilise comme un moyen d'attirer les clients chez moi, et aussi de trouver des livres pour que ceux qui n'ont pas encore internet chez eux! Mais j'ai peu d'espoir…
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
J'avoue être plus concernée par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) que par les droits d'auteur.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Est-ce qu'il n'est pas multilingue? Je vois qu'il va tuer aussi la langue française et bien d'autres (suppression des accents, négligence due à la rapidité, etc.).
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Un dialogue quotidien avec ma soeur qui habite Sri Lanka et mes potes mexicains, américains, anglais, sud-africains, etc., car j'ai beaucoup voyagé, longtemps et partout.
= Et votre pire souvenir?
Ma première année ordinateur-internet: une longue souffrance technique!
HELEN DRY (Michigan)
#Modératrice de The Linguist List
Le site de la Linguist List donne une série complète de liens sur la profession de linguiste (conférences, associations linguistiques, programmes, etc.), la recherche (articles, résumés de mémoires, projets, bibliographies, dossiers, textes), les publications, la pédagogie, les ressources linguistiques (langues, familles linguistiques, dictionnaires, information régionale) et les ressources informatiques (polices de caractères et logiciels).
La Linguist List est modérée par Helen Dry (Eastern Michigan University), Anthony Aristar (Wayne State University) et Andrew Carnie (University of Arizona). Helen Dry, qui est interviewée ici, est professeur de linguistique à la Eastern Michigan University. Ses principaux domaines de recherche sont la stylistique linguistique, la linguistique de corpus, la pragmatique et l'analyse du discours.
*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)
= La Linguist List est-elle multilingue?
La Linguist List, que je modère, a pour politique d'accepter les informations dans toutes les langues, puisque c'est une liste pour linguistes. Nous ne souhaitons cependant pas que le message soit publié dans plusieurs langues, tout simplement à cause de la surcharge de travail que cela représenterait pour notre personnel de rédaction (nous ne sommes pas une liste fourre-tout, mais une liste modérée: avant d'être publié, chaque message est classé par nos étudiants-rédacteurs dans une section comprenant des messages du même type). Notre expérience nous montre que pratiquement tout le monde choisit de publier en anglais. Mais nous relions ces informations à un système de traduction qui présente nos pages dans cinq langues différentes. Ainsi un abonné ne lit Linguist en anglais que s'il le souhaite. Nous essayons aussi d'avoir au moins un étudiant-éditeur qui soit réellement multilingue, afin que les lecteurs puissent correspondre avec nous dans d'autres langues que l'anglais.
*Entretien du 26 juillet 1999 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
Nous commençons maintenant à rassembler un grand nombre de données. Nous gérons plusieurs bases de données avec moteur de recherche: résumés de thèses de linguistique, informations sur les programmes universitaires de linguistique, informations professionnelles sur les linguistes, etc. A ma connaissance, le fichier des résumés de thèses est la seule compilation électronique qui soit disponible gratuitement sur l'internet.
BILL DUNLAP (Paris & San Francisco)
#Fondateur de Global Reach, société qui favorise le marketing international en ligne
Fondateur de Global Reach, Bill Dunlap est spécialiste du marketing en ligne et du commerce électronique international. Sa clientèle est essentiellement américaine. Global Reach est une méthode permettant aux sociétés d'étendre leur présence sur l'internet en leur donnant une audience internationale, ce qui comprend la traduction de leur site web dans d'autres langues, la promotion active de leur site et l'accroissement de la fréquentation locale au moyen de campagnes promotionnelles.
Diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Bill Dunlap a toujours consacré son activité professionnelle à trouver des marchés internationaux pour des produits et services liés à la haute technologie. A l'apparition de l'industrie informatique au début des années 80, il crée une société afin d'exporter sur le marché européen les logiciels pour PC et Apple, ce qui lui fait connaître les principaux marchés de distribution de PC en Europe et l'amène à devenir le premier directeur commercial de AST Research. Il est ensuite le premier directeur commercial au nouveau siège parisien de Compaq Computer, puis il poursuit son activité au siège européen de Compaq à Munich en tant que directeur commercial pour la Scandinavie.
En 1985, Bill Dunlap crée Euro-Marketing Associates, une société internationale de consultation en marketing basée à Paris et à San Francisco. En 1995, il restructure cette société en une société de consultation en ligne dénommée Global Reach, qui regroupe des consultants internationaux de premier plan, le but étant de promouvoir les sites web de leurs clients dans chaque pays choisi, afin d'attirer plus de visiteurs, et donc d'augmenter les ventes.
*Entretien du 11 décembre 1998 (entretien original en anglais)
= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?
Depuis 1981, début de mon activité professionnelle, j'ai été impliqué dans la venue de sociétés américaines en Europe. Ceci est pour beaucoup un problème de langue, puisque leurs informations commerciales doivent être disponibles dans les langues européennes pour être prises en compte ici, en Europe. Comme le web est devenu populaire en 1995, j'ai donné à ces activités une dimension "en ligne", et j'en suis venu à promouvoir le cybercommerce européen auprès de mes compatriotes américains. Récemment, lors de l'Internet World à New York, j'ai parlé du cybercommerce européen et de la manière d'utiliser un site web pour toucher les différents marchés d'Europe.
= En quoi consiste Global Reach?
Promouvoir un site est aussi important que de le créer, sinon plus. On doit être préparé à utiliser au moins autant de temps et d'argent à promouvoir son site qu'on en a passé à l'origine à le créer. Le programme Global Reach permet de promouvoir un site dans des pays non anglophones, afin d'atteindre une clientèle plus large… et davantage de ventes. Une société a de nombreuses bonnes raisons de considérer sérieusement le marché international. Global Reach est pour elle le moyen d'étendre son site web à de nombreux pays, de le présenter à des visiteurs en ligne dans leur propre langue, et d'atteindre le réseau de commerce en ligne présent dans ces pays.
= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme?
Il y a très peu d'Américains des Etats-Unis qui sont intéressés de communiquer dans plusieurs langues. Pour la plupart, ils pensent encore que le monde entier parle anglais. Par contre, ici en Europe (j'écris de France), les pays sont petits, si bien que, depuis des siècles, une perspective internationale est nécessaire.
*Entretien du 23 juillet 1999 (entretien original en anglais)
= Quelles sont vos suggestions pour le développement d'un site web multilingue?
Une fois que la page d'accueil d'un site est disponible en plusieurs langues, l'étape suivante est le développement du contenu dans chaque langue. Un webmestre notera quelles langues attirent plus de visiteurs (et donc plus de ventes) que d'autres. Ce seront donc dans ces langues que débutera une campagne de promotion multilingue sur le web. Parallèlement, il est toujours bon de continuer à augmenter le nombre de langues dans lesquelles un site web est disponible. Au début, seule la page d'accueil traduite en plusieurs langues suffit, mais ensuite il est souhaitable de développer un véritable secteur pour chaque langue.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Le fait de travailler avec des centaines de personnes tout en évitant la pression. Cela rend la vie vraiment agréable.
= Et votre pire souvenir?
J'ai plusieurs fois mis en place un forum en ligne, et plusieurs individus animés de mauvaises intentions ont commencé à envoyer des messages injurieux à l'ensemble du forum. Ces messages ont atteint des centaines de personnes qui ont à leur tour répondu par des messages injurieux, avec un effet boule de neige. Je me rappelle m'être réveillé un matin avec plus de 4.000 messages à télécharger. Quelle pagaille!
PIERRE-NOEL FAVENNEC (Paris & Lannion, Bretagne)
#Expert à la direction scientifique de France Télécom R&D et directeur de la collection technique et scientifique des télécommunications
Ingénieur, Pierre-Noël Favennec est expert-coordinateur à la direction scientifique de France Télécom R&D pour les télécommunications optiques et hertziennes (mobiles). Directeur de la collection technique et scientifique des télécommunications (CTST), il est l'auteur de deux livres scientifiques, Implantation ionique pour la microélectronique et l'optique (Masson, Paris, 1993) et Technologies pour les composants à semiconducteurs (Masson, Paris, 1998). Il est membre du comité consultatif pour la recherche et le développement de la technologie pour la région Bretagne.
*Entretien du 12 février 2001
= Pouvez-vous décrire l'activité de France Télécom R&D?
France Télécom R&D est le centre de recherche et développement de France Télécom. Ce centre de R&D de près de 4.000 ingénieurs et chercheurs est basé à Issy-les-Moulineaux, Lannion, Rennes, Caen, Grenoble et Belfort. Il a en charge toutes les études utiles pour France Télécom, études allant du court terme jusqu'au long terme et touchant aux télécommunications (usages, services, réseaux et technologies). La mobilité, l'internet et l'international sont les grands axes d'activités.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je suis expert-coordinateur à la direction scientifique de France Télécom R&D (FTR&D) pour les télécommunications optiques et hertziennes: maîtrise d'ouvrage des recherches amont relevant de mon domaine d'expertise (télécoms optiques et radio), coordination, orientation, animation, financement…
J'assure également la direction de la collection technique et scientifique des télécommunications. La collection est publiée sous l'égide FTR&D. Elle réunit des ouvrages rédigés en langue française par des spécialistes de centres de recherches, de l'université et de l'industrie des télécommunications. La collection comprend principalement des livres traitant des sciences et technologies de base utiles aux télécommunications modernes, des réseaux et services. Les ouvrages se situent au niveau de l'enseignement de 3e cycle. La collection contient aussi des ouvrages sur des aspects économiques, sociaux, juridiques et politiques des télécommunications. Ils s'adressent aux ingénieurs et scientifiques soucieux de l'impact socio-économique de leurs réalisations et aussi aux gestionnaires et décideurs politiques… Leur qualité technique et scientifique est garantie par un comité scientifique composé d'experts des différents domaines couvrant les sciences et les technologies des télécommunications. Plusieurs éditeurs collaborent à l'édition des ouvrages labellisés par la collection (Masson, Dunod, Eyrolles, La Documentation française, Hermès, Springer et Presses polytechniques universitaires romandes).
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
Je n'ai pas d'activité spécifique liée à l'internet mais, France Télécom étant la net-compagnie, toutes nos activités sont concernées par l'utilisation, la mise en place des réseaux ou le futur de l'internet. La collection édite de plus en plus d'ouvrages dont le sujet touche directement ou indirectement l'internet (par exemple Des télécoms à l'internet: économie d'une mutation, d'Etienne Turpin, Eyrolles, 2000).
= Comment voyez-vous l'avenir?
Le mariage des télécommunications et de l'informatique font de l'internet une technologie extrêmement puissante et très riche d'avenir. Mais l'internet n'est qu'une technologie, puissante certes, qui vient s'ajouter à celles existantes; elle ne les remplace pas, elle apporte autre chose: de l'information potentielle supplémentaire, de la communication virtuelle où il n'y a plus de distance, un accès potentiel à de la culture venant de partout…
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Le papier est de plus en plus utilisé. Personnellement je suis de plus en plus inondé de paperasses:
- avec l'e-mail, les collègues n'hésitent plus à envoyer de gros fichiers qu'il faut ensuite imprimer pour lecture;
- la lecture est plus agréable sur papier;
- les fichiers reçus peuvent n'être que des projets et on peut recevoir "n" épreuves successives que l'on imprime nécessairement;
- on imprime les mèls pour les lire tranquillement plus tard ou parce que c'est plus agréable de les lire sur papier.
Etc. Il y a beaucoup de raisons pour utiliser toujours plus de papier.
= L'imprimé a-t-il encore de beaux jours devant lui?
Les livres "d'études", comme ceux de notre collection, ont une durée de vie longue et ne seront pas remplacés par un e-book, sauf si ce livre n'est utilisé que pour une étude particulière et pour un temps court (quelques semaines). Les livres à durée de vie courte tels que les romans, journaux, magazines peuvent effectivement être un jour remplacés par des e-books. Les livres scolaires pourront être (seront) sur e-book. Les encyclopédies volumineuses dont la consultation n'est qu'épisodique seront sur le web.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Si l'invention du livre-papier avait été faite après celle du e-book, nous l'aurions tous trouvé géniale. Mais un e-book a un avenir prometteur si on peut télécharger suffisamment d'ouvrages, si la lecture est aussi agréable que sur le papier, s'il est léger (comme un livre), s'il est pliable (comme un journal), s'il n'est pas cher (comme un livre de poche)… En d'autres mots, l'e-book a un avenir s'il est un livre, si le hard fait croire que l'on a du papier imprimé… Techniquement, c'est possible, aussi j'y crois. Au niveau technologique, cela exigera encore quelques efforts (chimie, électronique, physique…). Les avantages sont le volume réduit, le téléchargement et le document personnalisé en lecture.
= Quelles sont vos suggestions pour un véritable multilinguisme sur le web?
Les recherches sur la traduction automatique devraient permettre une traduction automatique dans les langues souhaitées, mais avec des applications pour toutes les langues et non les seules dominantes (ex: diffusion de documents en japonais, si l'émetteur est de langue japonaise, et lecture en breton, si le récepteur est de langue bretonne…). Il y a donc beaucoup de travaux à faire dans la direction de la traduction automatique et écrite de toutes les langues.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Des études sont faites en Californie, et sûrement ailleurs, pour l'utilisation de l'informatique et des télécoms (donc le web) par les malvoyants. Je connais trop mal le sujet pour avoir un avis.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Le cyberespace est un monde où je suis relié par l'image et le son et sans fil avec qui je veux, quand je veux et où je veux, où j'ai accès à toutes les documentations et informations souhaitées, et dans lequel ma vie est facilitée par les agents intelligents et les objets communicants.
= Et la société de l'information?
Une société dans laquelle tout membre de cette société a accès immédiatement à toutes les informations souhaitées.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Les premiers méls.
= Et votre pire souvenir?
Le temps passé à la réception d'images.
GERARD FOURESTIER (Nice)
#Créateur de Rubriques à Bac, bases de données destinées aux étudiants du premier cycle universitaire
Oeuvre de Gérard Fourestier, professeur de français et diplômé en science politique, Rubriques à Bac (RaBac) propose deux bases de données (accessibles par souscription, avec version démo en accès libre) à destination des étudiants du Bac au Deug et de leurs professeurs, et à tous ceux que le sujet intéresse. ELLIT (Éléments de littérature) est une base de données sur la littérature française du 12e siècle à nos jours regroupant plus de 350 articles liés entre eux par 8.500 liens, ainsi qu'un répertoire de 450 auteurs (y compris en sciences et philosophie) qui ont joué un rôle majeur dans la formation de cette littérature. RELINTER (Relations internationales depuis 1945) propose plus de 2.000 liens sur l'évolution de la situation du monde contemporain de la deuxième guerre mondiale à nos jours. Gérard Fourestier est aussi l'auteur de Bac-L (baccalauréat section lettres), un site en accès libre lancé en juin 2001 dans le prolongement d'ELLIT.
*Entretien du 9 octobre 2000
= Pouvez-vous décrire Rubriques à Bac?
Rubriques à Bac est une branche des activités du GRIMM (Groupe de recherche et d'information sur le multimédia), un groupement associatif de personnes physiques et morales qui pratiquent la recherche et l'information sur l'informatique, le multimédia et la communication.
Cependant, les perspectives ouvertes par une fréquentation du site en progression rapide, et compte tenu de la mission que j'ai assignée aux recettes de cette activité, à savoir la réalisation de projets éducatifs en Afrique, Rubriques à Bac se constituera prochainement en entité juridique propre.
= En quoi consiste le site web?
Le site de Rubriques à Bac a été créé il y a deux ans pour répondre au besoin de trouver sur le net, en un lieu unique, l'essentiel, suffisamment détaillé et abordable par le grand public, dans le but:
a) de se forger avant tout une culture tout en préparant à des examens probatoires à des études de lettres - c'est la raison d'ELLIT (Eléments de littérature), base de données en littérature française;
b) de comprendre le monde dans lequel nous vivons en en connaissant les tenants et les aboutissants, d'où RELINTER (Relations internationales).
J'ai développé ces deux matières car elles correspondent à des études que j'ai, entre autres, faites en leur temps, et parce qu'il se trouve que, depuis une dizaine d'années, j'exerce des fonctions de professeur dans l'enseignement public (18 établissements de la 6e aux Terminales de toutes sections et de tous types d'établissements). Faute de temps, je n'ai pu réaliser que ces deux thèmes, mais je ne désespère pas de développer aussi d'autres sujets qui font partie de ma panoplie universitaire et d'autodidacte curieux de tout comme la philosophie, l'analyse sociétale, l'analyse sémantique ou encore l'écologie, et que je tiens "au chaud dans mes cartons". Ceci étant, je suis à l'affût de toutes autres idées, venant d'ailleurs, pour ne me réserver alors que la supervision du contenu mis en forme, la dernière main dans la réalisation informatique et la gestion en tant que site spécialisé.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Pour l'instant et faute de mieux, en raison de mon âge, la cinquantaine, et non de mes compétences, je m'occupe de mes élèves en les préparant à leurs examens tout en leur donnant envie d'être utiles, ne serait-ce que pour eux-mêmes et en leur apportant le sens des responsabilités, en un mot un message humaniste. J'aime ce métier car, pour moi, le savoir, ça se donne, et le maître, comme en boudhisme, ne peut avoir qu'un seul but: que son élève le dépasse. En outre, alors que j'ai eu dans le passé d'importantes fonctions de fondé de pouvoir, et que j'ai dirigé pour mon compte quelques entreprises, je suis maître à bord dans mes classes et j'organise mon travail comme je l'entends. C'est pour moi essentiel.
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
Comme je l'ai laissé entendre tout à l'heure, mon initiative à propos d'internet n'est pas directement liée à mes fonctions de professeur. J'ai simplement voulu répondre à un besoin plus général et non pas étroitement scolaire, voire universitaire. Débarrassé des contraintes du programme, puisque j'agis en mon nom et pour mon compte et non "es-qualité", mais tout en en donnant la matière grise qui me paraît indispensable pour mieux faire une tête qu'à la bien remplir, je laisse à d'autres le soin de ne préparer qu'à l'examen. Pour répondre plus précisément, peut-être, à votre question, mon activité liée à internet consiste tout d'abord à en sélectionner les outils, puis à savoir les manier pour la mise en ligne de mes travaux et, comme tout a un coût et doit avoir une certaine rentabilité, organiser le commercial qui permette de dégager les recettes indispensables; sans parler du butinage indispensable pour la recherche d'informations qui seront ensuite traitées.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je le vois en Afrique, là où je suis certainement plus utile, par égard à ce que je m'estime redevable en tant que nanti et parce que je suis aussi spécialiste de ce que l'on nomme les bouts de ficelles. Pour des raisons particulières, aux conséquences coûteuses pour mes finances, je n'ai pu mener à bien cette année mon projet d'un centre culturel au Sénégal au profit d'une communauté de villages en Casamance. Mais je ne désespère pas!
= Utilisez-vous encore des documents papier?
Oui, mais beaucoup moins qu'avant!
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Un plus, mais il faudra encore du temps et, pour l'instant, le prix, comme pour la "voiture propre", n'est pas très attractif. Ceci dit, j'accepte qu'on m'en offre un, j'en ferai la pub :-) Quoi qu'il en soit, si la chose devait prendre de l'ampleur, j'ai sous la main, si je puis dire (dans des cartons), une petite fortune de toutes sortes en "produits Gutenberg" Avis aux collectionneurs qui, comme chacun sait, sont pour le progrès!…. et pour cause!
= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le web?
Les mesures de respect: oui, mais de protection: non! Et, quoi qu'il en sera, que cela n'aboutisse pas à freiner la création, tant il est vrai que chaque auteur en a digéré d'autres.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le web?
Je suis de langue française. J'ai appris l'allemand, l'anglais, l'arabe, mais je suis encore loin du compte quand je surfe dans tous les coins de la planète. Il serait dommage que les plus nombreux ou les plus puissants soient les seuls qui "s'affichent" et, pour ce qui est des logiciels de traduction, il y a encore largement à faire. Je ne sais quoi suggérer au juste sinon, pour l'instant, de connaître suffisament d'anglais et de créer beaucoup plus encore en français.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Ils ont aussi droit de cité dans le cyberspace à la république des lettres et à la démocratie du savoir et, bien qu'ils soient encore loin de nos technologies, n'oublions pas les dizaines de millions d'aveugles et de malvoyants du sud.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Un espace sans odeurs mais pour tous les goûts.
= Et la société de l'information?
Un espace où l'esprit d'examen et le sens critique sont particulièrement de mise.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Quand j'ai sorti mon premier ordinateur de son emballage.
= Et votre pire souvenir?
Cet été, à la plage: mes ordinateurs étaient en panne :-)
*Entretien du 3 mai 2001
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
La routine d'un travail de plus en plus prenant et qui, faute de vivre une vie tranquille en m'attelant à des entreprises pour le moins accaparantes, me laisse peu de temps à me prélasser sur le sable.
Alors, quand je le peux et pour respirer autre chose, je m'évade vers d'autres horizons si le prix du billet me le permet, ne serait-ce que pour retrouver ma compagne qui enseigne à l'étranger, dans son pays, et qui, comme bien d'autres, se demande pourquoi je ne me range pas bien sagement dans la carrière.
Comme je vous le disais il y a déjà quelque temps, je suis professeur mais j'ai fait bien d'autres choses dans ma vie professionnelle, et je ne peux m'empêcher de suivre autant que je le peux ce qui me passionne - et j'ai bien peur que tout me passionne - passant le plus clair de mon temps à découvrir ce que je ne sais pas encore.
Faute d'avoir une famille dont il faudrait que je m'occupe quotidiennement là où je vis en France, je peux consacrer le temps que je veux à développer mes projets… et la seule écriture sur mon clavier m'occupe déjà pas mal. Mais tout n'est pas vain et je peux me vanter en toute modestie :-) et sans ego démesuré que ce que j'entreprends me procure la satisfaction de le voir grandir sans le devoir à personne.
Rubriques à Bac est le prototype de ce genre de phénomène chez moi et, précisément pour parler du net, je constate tous les jours que ce que j'y fais est utile, si j'en juge d'après la fréquentation presque frénétique du site. Il est vrai que, les échéances s'approchant, il est bien normal que le nombre des visites s'accroisse à deux mois du Bac ou des examens d'une manière générale; cela relève du bouche à oreilles - bien sûr avec un travail de marketing derrière - mais au bout du compte cela paye. Ceci dit je ne suis pas riche, loin de là, et ce n'est peut être pas le moment. Pour l'heure, ce qui rentre, quand ce n'est pas réinvesti, va dans ce que j'ai décidé de faire en Afrique.
A ce propos, je vous avais dit combien j'étais comme aimanté par ce continent et en particulier par le Sénégal où je me suis découvert de nombreuses attaches au point que, si Dieu le veut - mais il est grand et miséricordieux :-), je me suis proposé en personne pour concourir à un projet social, éducatif et de développement. En partenariat avec quelques-uns de mes amis indigènes, j'ai mis au point un système d'organisation qui permette, par contrat, la réalisation de projets individuels où chacun, par synergie, à la manière d'une tontine - pour faire court, apporte ce qu'il a de savoir-faire et de "pouvoir le faire" pour l'édification d'une maison commune ouverte à la réunion d'humains qui cherchent le bonheur dans la solidarité. Cela prend plus de temps que prévu mais ça avance, puique nous voilà déjà avec un toît là-bas et que, dans quelques mois, un jeune Sénégalais qui n'a pas envie de vider les poubelles chez nous va pouvoir, grâce à Rubriques à Bac, venir en Europe quelques mois, recevoir une formation dans le domaine de l'informatique, la stratégie d'organisation et repartir en Casamance avec un ordinateur pour la création d'un relais internet (un nom de domaine est déjà déposé) au bénéfice de la population locale pour m'aider à assurer ma disponibilité en dispense de cours et de savoir-faire en élaboration de projets d'intérêt local.
J'enrage que les choses n'aillent pas plus vite, oh… pas pour moi! mais bien pour eux, quand on sait de quoi, comment et où vivent ces gens-là. Tiers-mondiste? Oui, quelque part et sans illumination ou parti-pris idéologique, lucide simplement sur ce que j'ai à faire et… dois le faire parce que il y a une demande de savoirs en face et que le savoir-faire dont ils ont besoin souvent en procède ou y contribue… n'en déplaise à l'un des mots fameux de Figaro dans la réplique célèbre que lui fait dire Beaumarchais. :-)
Tout cela peut paraître presque simplet, mais qu'en ai-je à faire de ce que l'on pourrait penser, je ne cherche pas de médailles…ça déséquilibre les funambules! :=) En revanche je recherche toujours des sponsors qui pourraient faire que les choses aillent plus vite et je renouvelle mon appel; pourquoi pas pour plusieurs ordinateurs dont un au moins qui soit portable? Neufs ou "d'occase" et qui marchent avec modem de connection, le tout gratos bien sûr, car je n'ai toujours pas les moyens de tout faire!… et j'ai même déjà fort à faire pour me sortir de ce que l'on nomme un revers de fortune. Moyennant - pourquoi pas - de la pub à finalité culturelle via Rubriques à Bac, et sans que ça me prive du fruit de mon travail ou le dénature pour le transformer en banal produit marchand.
Et puisque voilà la chose dite, et pour ne pas passer éventuellement pour un bonimenteur, je tiens, à qui voudrait faire le geste qu'ils attendent, les statistiques de fréquentation du site de Rubriques à Bac pour continuer plus vite l'aventure africaine.
PIERRE FRANCOIS GAGNON (Montréal)
#Fondateur d'Editel, pionnier de l'édition littéraire francophone en ligne
Pierre François Gagnon, éditeur en ligne québécois, vit dans l'agglomération montréalaise depuis plus de vingt ans. Ardent défenseur de la langue française, il est un des pionniers de l'internet littéraire francophone. Dès avril 1995, il crée Editel, le premier site web d'auto-édition collective de langue française, devenu ensuite un site de cyberédition non commerciale en partenariat avec les auteurs maison.
*Entretien du 14 juillet 2000
= En quoi Editel est-il pionnier?
En fait, tout le monde et son père savent ou devraient savoir que le premier site d'édition en ligne commercial fut Cylibris (fondé par Olivier Gainon en août 1996, ndlr), précédé de loin lui-même, au printemps de 1995, par nul autre qu'Editel, le pionnier d'entre les pionniers du domaine, bien que nous fûmes confinés à l'action symbolique collective, faute d'avoir les moyens de déboucher jusqu'ici sur une formule de commerce en ligne vraiment viable et abordable, bien qu'il n'existe toujours pas de support de lecture "grand public" qui soit crédible pour la publication payante de livres numériques. Nous l'attendons toujours dans le courant de l'an 2000!
= En quoi consiste exactement votre activité?
Nous sommes actuellement trois mousquetaires (Pierre François Gagnon, Jacques Massacrier et Mostafa Benhamza, ndlr) à développer le contenu original et inédit du webzine littéraire qui continuera de servir de façade d'animation gratuite, offerte personnellement par les auteurs maison à leur lectorat, à d'éventuelles activités d'édition en ligne payantes, dès que possible au point de vue technico-financier. Est-il encore réaliste de rêver à la démocratie économique?
= Comment voyez-vous l'avenir?
Tout ce que j'espère de mieux pour le petit éditeur indépendant issu, comme Editel, directement du net et qui cherche à y émerger enfin, c'est que les nouveaux supports de lecture, ouverts et compatibles grâce au standard OeB (Open eBook), s'imposeront d'emblée comme des objets usuels indispensables, c'est-à-dire multifonctionnels et ultramobiles, intégrant à la fois l'informatique, l'électronique grand public et les télécommunications, et pas plus dispendieux qu'une console de jeux vidéo: le concept d'origine d'un Marc Poret chez General Magic en 1994, poignardé dans le dos par cet avorton de Newton d'Apple!
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Le web doit ouvrir toute grande pour les auteurs une nouvelle fenêtre d'exploitation de leurs droits exclusifs, et j'ose croire qu'est concevable une solution de chiffrement qui soit étanche, non propriétaire, mais transparente et sans douleur pour l'utilisateur final.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Je pense que, si les diverses langues de la planète vont occuper chacune le net en proportion de leur poids démographique respectif, la nécessité d'une langue véhiculaire unique se fera sentir comme jamais auparavant, ce qui ne fera qu'assurer davantage encore la suprématie planétaire de l'anglais, ne serait-ce que du fait qu'il a été adopté définitivement par l'Inde et la Chine. Or la marche de l'histoire n'est pas plus comprimable dans le dé à coudre d'une quelconque équation mathématique que le marché des options en bourse!
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
La découverte de quelques amitiés affinitaires, indéfectibles, m'enchante encore, tandis que l'étroitesse de vision, le scepticisme négatif qu'affichait la vaste majorité des auteurs de science-fiction et de fantastique vis-à-vis du caractère pourtant immanent et inéluctable de ce qui n'est après tout qu'un fantasme à la Star Trek, qui hante depuis longtemps l'imaginaire collectif, soit l'e-book tout communicant qui tienne dans le creux de la paume, ne cesse pas de m'étonner et de me laisser pantois rétrospectivement.
= Une conclusion?
Je dirai, pour conclure, que je me trouve vraiment fait pour être "éditeur en ligne, poète et essayiste, et peut-être même un jour, romancier"! Fait à noter, c'est curieusement de la part des poètes, toujours visionnaires quand ils sont authentiques, que le concept de livre numérique a reçu le meilleur accueil!
OLIVIER GAINON (Paris)
#Fondateur et gérant de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne
Créé en août 1996 à Paris par Olivier Gainon, CyLibris (de Cy, cyber et Libris, livre) utilise l'internet et le numérique pour s'affranchir des contraintes liées à l'économie traditionnelle du livre. L'éditeur peut ainsi se consacrer à la découverte et à la promotion de nouveaux auteurs littéraires francophones, et à la publication de leurs premières oeuvres (romans, poésie, théâtre, policier, science-fiction, fantastique, etc.). Si CyLibris est avant tout un tremplin pour les nouveaux talents, les auteurs confirmés y ont aussi leur place (voir à ce sujet l'entretien avec Emmanuel Ménard, directeur des publications, qui expose en détail la procédure éditoriale de Cylibris).
Vendus uniquement sur le web (avec des extraits en téléchargement libre au format texte), les livres (52 titres en juin 2001) sont imprimés à la commande et envoyés directement au client, ce qui permet d'éviter le stock et les intermédiaires. Le site web procure des informations pratiques à destination des auteurs en herbe: comment envoyer un manuscrit à un éditeur, ce que doit comporter un contrat d'édition, comment protéger ses manuscrits, etc. Depuis le printemps 2000, CyLibris est membre du Syndicat national de l'édition (SNE).
Par ailleurs, l'équipe de CyLibris lance en mai 1999 une lettre d'information électronique sur le monde de l'édition francophone. Souvent humoristique et décapante, la lettre, d'abord mensuelle, paraît deux fois par mois à compter de février 2000. Elle change de nom en février 2001 pour devenir Edition-actu. Depuis ses débuts, son objectif n'est pas tant de promouvoir les livres de l'éditeur que de présenter l'actualité du livre tous azimuts.
*Entretien du 23 décembre 2000
= Quelle est l'activité de CyLibris?
CyLibris a été créé d'abord comme une maison d'édition spécialisée sur un créneau particulier de l'édition et mal couvert à notre sens par les autres éditeurs: la publication de premières oeuvres, donc d'auteurs débutants. Nous nous intéressons finalement à la littérature qui ne peut trouver sa place dans le circuit traditionnel: non seulement les premières oeuvres, mais les textes atypiques, inclassables ou en décalage avec la mouvance et les modes littéraires dominantes.
Ce qui est rassurant, c'est que nous avons déjà eu quelques succès éditoriaux (grand prix de la Société des gens de lettres (SGDL) en 1999 pour La Toile de Jean-Pierre Balpe, prix de la litote pour Willer ou la trahison de Jérôme Olinon en 2000, etc.).
Ce positionnement de "défricheur" est en soi original dans le monde de l'édition, mais c'est surtout son mode de fonctionnement qui fait de CyLibris un éditeur atypique. Créé dès 1996 autour de l'internet, CyLibris a voulu contourner les contraintes de l'édition traditionnelle grâce à deux innovations: la vente directe par l'intermédiaire d'un site de commerce sur internet, et le couplage de cette vente avec une impression numérique en "flux tendu".
Cela permettait de contourner les deux barrières traditionnelles dans l'édition: les coûts d'impression (et de stockage), et les contraintes de distribution. Notre système gérait donc des flux physiques: commande reçue par internet - impression du livre commandé - envoi par la poste. Je précise que nous sous-traitons l'impression à des imprimeurs numériques, ce qui nous permet de vendre des livres de qualité équivalente à celle de l'offset, et à un prix comparable. Notre système n'est ni plus cher, ni de moindre qualité, il obéit à une économie différente, qui, à notre sens, devrait se généraliser à terme.
Aujourd'hui, CyLibris développe une activité de distribution de "livres numériques", c'est-à-dire de fichiers téléchargeables. Nous n'avons pas lancé cette activité au départ car il nous semblait que les outils de sécurisation (c'est-à-dire permettant une réelle prise en charge des droits d'auteur) n'existaient pas il y a quatre ans. Les technologies évoluent, et nous sommes en train de tester plusieurs technologies pour lancer une réelle activité de livres numériques en 2001.
Nous quittons donc notre métier d'éditeur pur pour nous intéresser de plus en plus aux technologies autour du livre sur internet. Bien entendu, nous pensons à faire bénéficier d'autres éditeurs de ce savoir-faire que nous sommes en train d'acquérir.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je suis le créateur et le gérant de CyLibris. Je décrirais donc mon activité comme double. D'une part celle d'un éditeur traditionnel dans la sélection des manuscrits et leur retravail (je m'occupe directement de la collection science-fiction), mais également le choix des maquettes, les relations avec les prestataires, etc.
D'autre part, une activité internet très forte qui vise à optimiser le site de CyLibris et mettre en oeuvre une stratégie de partenariat permettant à CyLibris d'obtenir la visibilité qui lui fait parfois défaut.
Enfin, je représente CyLibris au sein du SNE (Syndicat national de l'édition).
= Comment voyez-vous l'avenir?
CyLibris est aujourd'hui une petite structure. Elle a trouvé sa place dans l'édition, mais est encore d'une économie fragile sur internet. Notre objectif est de la rendre pérenne et rentable et nous nous y employons. Je pense que les choses changent et j'espère qu'en 2002 nous aurons doublé notre taille et que nous serons proche de l'équilibre.
Mon avenir personnel sur internet est cependant légèrement distinct de celui de CyLibris, au sens où même si CyLibris disparaît, je resterai actif sur l'internet à l'avenir, cela ne fait pas de doute pour moi. Sous quelle forme et pour faire quoi? On verra bien…
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Oui, pour lire des textes, etc. Cela dit, je lis de plus en plus sur écran, mais dans un cadre professionnel (par exemple les lettres d'information auxquelles je suis abonné, etc.), dès que l'on parle de lecture-plaisir (roman, détente, etc.), je ne lis pas sur écran, j'imprime (si ce n'est pas déjà le cas), et je lis sur papier.
Je me rends également compte que j'ai du mal à lire sur écran un document long et complexe. Bref, je lis des informations brèves et ponctuelles, mais pas véritablement des dossiers complexes.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Tout dépend de quoi l'on parle. Le papier comme support simple de document écrit est un peu limité: texte et image simplement / pas d'évolution en temps réel / reproduction complexe / etc. L'électronique offre beaucoup plus d'avantages.
En revanche, sur les aspects plus "pratiques" ("la valeur d'usage"), le papier reste aujourd'hui imbattable: peu cher, léger, on peut le plier, le déchirer, le tordre, le laisser tomber, il peut en plus être physiquement agréable, esthétiquement beau, etc. Sans même parler du confort de lecture qui, pour moi aujourd'hui, donne un grand avantage au papier…
Bref, tout cela pour dire que je pense que le papier va décroître dans son utilisation à terme - mais que ce sera un processus long, et plutôt une question de génération, quand nos enfants n'auront plus la même relation que nous pouvons avoir avec le papier…
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Je ne crois pas trop à un objet qui a des inconvénients clairs par rapport à un livre papier (prix / fragilité / aspect / confort visuel / etc.), et des avantages qui me semblent minimes (taille des caractères évolutifs / plusieurs livres dans un même appareil / rétro-éclairage de l'écran / etc.).
De même, je vois mal le positionnement d'un appareil exclusivement dédié à la lecture, alors que nous avons les ordinateurs portables d'un côté, les téléphones mobiles de l'autre et les assistants personnels (dont les pocket PC) sur le troisième front.
Bref, autant je crois qu'à terme la lecture sur écran sera généralisée, autant je ne suis pas certain que cela se fera par l'intermédiaire de ces objets. On verra si on en parle encore dans un an, mais je peux me tromper - et j'espère me tromper, comme éditeur sur internet, CyLibris bénéficierait forcément d'un développement de ce type d'appareil.
= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour le respect du droit d'auteur sur le web?
Il faut distinguer deux aspects: le droit d'auteur et l'application de ce droit.
Pour moi, il ne fait aucun doute que le droit d'auteur s'applique sur internet (peu de gens le contestent désormais d'ailleurs), ce qui signifie que ce n'est pas parce qu'une création est mise en libre disponibilité sur le réseau que n'importe qui peut venir la copier, la commercialiser, etc. Et là, on touche surtout à de la pédagogie: je crois que les internautes ne sont pas sensibilisés à ces questions et qu'une première démarche pédagogique peut permettre de régler un certain nombre de problèmes. Autre démarche, il me semble nécessaire pour les auteurs d'indiquer les droits qu'ils laissent à une oeuvre en libre accès sur internet: si je peux télécharger une création visuelle sur un site, il vaut mieux que l'auteur indique, par exemple, s'il laisse la libre réutilisation de cette image du moment que ce n'est pas une démarche commerciale et sous réserve que son nom soit cité, s'il est contre toute réutilisation de cette image, etc. Là, tout est possible. A mon sens, sur trop de sites, on trouve des créations librement téléchargeables, et rien n'indique ce que l'on peut faire ou non avec.
La vraie difficulté aujourd'hui réside dans l'application du droit d'auteur dans un contexte international face à des actes de piratages manifestes (c'est-à-dire la réutilisation à des fins commerciales de l'oeuvre d'un ou plusieurs artistes sans que ces derniers ne perçoivent quoi que ce soit). Et là, ce sera forcément plus lent parce qu'il faut définir des modes de coopération internationale, s'entendre sur des règles et mettre en place des procédures judiciaires adéquates. C'est un processus lent qui prendra plusieurs années, mais je suis optimiste.
Finalement, tout cela est assez classique: pédagogie d'un côté, réglementation de l'autre.
= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour une meilleure répartition des langues sur le web?
Première étape: le respect des particularismes au niveau technique. Il faut que le réseau respecte les lettres accentuées, les lettres spécifiques, etc. Je crois très important que les futurs protocoles de transmission permettent une transmission parfaite de ces aspects - ce qui n'est pas forcément simple (dans les futures évolutions de l'HTML, ou des protocoles IP, etc.). Donc, il faut que chacun puisse se sentir à l'aise avec l'internet et que ce ne soit pas simplement réservé à des (plus ou moins) anglophones. Il est anormal aujourd'hui que la transmission d'accents puisse poser problème dans les courriers électroniques. La première démarche me semble donc une démarche technique.
Si on arrive à faire cela, le reste en découle: la représentation des langues se fera en fonction du nombre de connectés, et il faudra envisager à terme des moteurs de recherche multilingues.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Pas de définition particulièrement. Pour moi, c'est plutôt un concept pour nos auteurs de science-fiction.
= Et la société de l'information?
Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est la mise en réseau de notre société, au sens où, à terme, beaucoup des objets quotidiens seront connectés au Réseau (avec un grand R, qui sera lui-même composé de dizaines de réseaux différents). Bref, c'est une nouvelle manière de vivre et, à terme, certainement une nouvelle société. S'agit-il d'une société de "l'information", je n'en suis pas certain. Faut-il que nous définissions collectivement ce que nous voulons dans cette société, cela me semble urgent, et c'est un débat qui concerne tout le monde, pas uniquement les "connectés"? Bref, sur quelles valeurs de société fonder notre action future? Voilà un vrai débat.
J'en profite d'ailleurs pour faire un peu de pub pour un auteur CyLibris: La Toile de Jean-Pierre Balpe me semble aujourd'hui la meilleure illustration de ce débat. La société qu'il décrit au travers de ce roman est à mon sens la plus probable à court terme (l'action se passe en 2015). Est-ce cela que nous voulons? Est-ce ce type d'organisation? Peut-être, mais mon souci, c'est que ce choix soit conscient et non subi.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
La première fois que des étudiants dans une école d'ingénieurs m'ont montré le web. C'était en 1992, et j'ai trouvé cela génial. D'où la création de CyLibris en 1996 (j'ai quand même mis quatre ans).
= Et votre pire souvenir?
La disparition progressive de CyLibris dans certains moteurs de recherche parce que, soit nous ne voulions pas payer, soit des accords d'exclusivité avaient été signés avec des libraires en ligne et que nous étions déréférencés brutalement (passer de la première page à la cinquième page est une forme de déréférencement brutal). Bref, aujourd'hui plus rien ne me trouble et on a appris à vivre avec ce genre de phénomène. Il n'empêche qu'une structure comme CyLibris qui se créerait juste aujourd'hui aurait les pires difficultés pour être visible sur internet.
JACQUES GAUCHEY (San Francisco)
#Spécialiste en industrie des technologies de l'information, "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe, journaliste
Jacques Gauchey est l'auteur de La vallée du risque - Silicon Valley, paru fin 1990 chez Plon. Son métier - "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe - est très lié à ses relations personnelles. En 1993, grâce au réseau qu'il a constitué de part et d'autre de l'Atlantique, il crée la société G.a Communications, qui aide les sociétés américaines spécialisées en technologies de l'information à définir et mettre en place leur politique européenne, particulièrement en matière de stratégie, de partenariat et de visibilité.
Ses activités dans le domaine des nouvelles technologies sont multiples: directeur du Multimedia Development Group (MDG) en 1996-1997; responsable du International Group du MDG de 1994 à 1996, avec des activités allant de la conférence M3 du MDG (1994) à la publication des éditions 1995 et 1996 du guide Going Global: Multimedia Marketing & Distribution; président de manifestions telles que les "only-for-CEOs IT conferences"; ETRE (en Europe) et ATRE (en Asie) (1990, 1991 et 1992), le "World Multimedia: A Mosaic of Markets" du MDG (San Francisco, 1994), Multimedia Live! (San Francisco, 1995), le séminaire des AI (Artificial Intelligence) Soft International Partners (Tokyo, 1996), etc. Il préside régulièrement des groupes de travail en industrie des technologies de l'information.
Entre 1985 et 1992, Jacques Gauchey a été le correspondant de la côte ouest des Etats-Unis pour La Tribune, quotidien parisien économique, financier et boursier. Auparavant, il a travaillé pour Le Figaro et Le Point.
*Entretien du 31 juillet 1999
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Complètement. Le monde entier est sur mon écran d'ordinateur. Chaque individu a maintenant accès à une base de données globale. A cet individu d'apprendre à y naviguer ou de s'y noyer.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Mes clients sont tous maintenant des sociétés internet. Mes outils de travail sont ou seront bientôt tous liés à l'internet que ce soit mon téléphone mobile, mon PDA (personal digital assistant) et mon PC.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Le droit d'auteur dans son contexte traditionnel n'existe plus. Les auteurs ont besoin de s'adapter à un nouveau paradigme, celui de la liberté totale du flot de l'information. Le contenu original est comme une empreinte digitale: il est incopiable. Il survivra et prospérera donc.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
La technologie résoudra le problème éventuellement. Et que le meilleur gagne. L'internet a vraiment décollé aux Etats-Unis à cause d'un concept révolutionnaire: une langue unique - l'anglais. Le mouvement "politically correct" pour l'enseignement obligatoire multi-linguistique dans les écoles américaines et le respect des différentes sous-cultures est un désastre pour l'avenir de ce pays (comme il l'est déjà en Europe). Aux individus de décider, chez eux, s'ils veulent apprendre une autre langue.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
J'ai publié quelques numéros d'une lettre d'information en anglais gratuite il y a quatre ans sur internet. Une dizaine de lecteurs par numéro jusqu'au jour (en janvier 1996) où l'édition électronique de Wired Magazine créa un lien. En une semaine j'ai eu une centaine de courriers électroniques - y compris de lecteurs francais de mon livre La vallée du risque - Silicon Valley, contents de me retrouver.
= Et votre pire souvenir?
L'internet est un médium et comme tout médium un facteur d'éclatement du pire. La fusillade d'Atlanta fin juillet 1999 par un "day trader". La pornographie. La vente libre des armes en ligne. Les mails non sollicités.
RAYMOND GODEFROY (Valognes, Normandie)
#Ecrivain-paysan, publie son recueil Fables pour les années 2000 sur le web avant de le publier sur papier
Né en 1923 dans une famille rurale d'Octeville-l'Avenel (Cotentin, Normandie),
Raymond Godefroy obtient en 1938 son brevet d'ajusteur mécanicien à l'Ecole
pratique de Cherbourg. Il parcourt ensuite pendant seize ans tout le nord du
Cotentin en tant que conducteur d'une entreprise de battage.
Marié en 1953 - son épouse est également de souche paysanne - il fait valoir à partir de cette année-là le domaine de la Cour de Lestre. A partir de 1966, il y pratique l'agrobiologie, une forme de culture pour laquelle il ne cessera de militer. Partageant ses loisirs entre la mécanique et l'écriture, il dépose plusieurs brevets de machines agricoles et il écrit de nombreux articles dans la revue Agriculture et vie. Il s'oriente ensuite vers la fiction, sous forme de contes et nouvelles.
Raymond Godefroy est membre de l'Association internationale des écrivains paysans (AIEP), fondée en 1972 dans le but de rassembler et promouvoir les auteurs servant la pensée paysanne. A sa retraite, il déménage à Valognes, et l'exploitation du domaine de la Cour de Lestre est reprise par son fils Pierre.
*Entretien du 23 décembre 1999
= Pouvez-vous vous présenter?
Je suis né dans le Nord Cotentin de vieille souche paysanne. Je suis âgé de 77 ans. J'ai quitté l'école primaire à 12 ans avec le certificat d'études et, trois ans plus tard, l'Ecole pratique de Cherbourg avec un brevet d'ajusteur mécanicien. Je suis rentré à la ferme paternelle pour pratiquer l'agriculture avec mes parents. Je me suis marié à 30 ans. Six enfants sont nés de ce mariage. J'ai pratiqué l'agrobiologie sur cette ferme pendant 17 ans en militant pour cette agriculture nouvelle. J'ai écrit des articles sur ce sujet, puis des contes et des nouvelles du genre fantastique, enfin à 70 ans mes premiers poèmes et fables.
= Comment vous est venu le désir d'écrire?
Mon désir d'écrire s'est manifesté très tard dans la vie et très lentement. J'ai publié mes premiers articles dans Agriculture et vie entre 40 et 50 ans, découvrant là une façon de m'exprimer différente de la parole, qui m'obligeait à affiner ma pensée pour transmettre un message clair et agréable à lire.
Pour attirer l'attention des lecteurs j'ai inventé des histoires courtes à morale écologique mais aussi fantastique. Ainsi sont nées toutes ces histoires publiées ensuite sous le titre de Contes écologiques et fantastiques (Caen, Editions Charles Corlet, 1988 - réédités en 1995 à la suite des Extravagantes histoires de Graundaru, ndlr).
A 60 ans j'ai souffert d'une crise aiguë de polyarthrite. Ne pouvant plus travailler ni me déplacer, j'ai écrit le Couguard et d'autres nouvelles, publiées sous le titre: Trois histoires étranges (Marigny, Editions Paoland, 1995, ndlr) (prix Octave Mirebeau 1997). La même année sont parues Les extravagantes histoires du Graundaru (Marigny, Editions Paoland, 1995, ndlr).
Mais il me restait quelque chose d'inassouvi: la poésie. Tous les essais s'étaient soldés par un échec, blocage au deuxième vers et pas d'inspiration sauf des banalités, je n'étais pas mûr pour le faire. Puis un jour - j'avais alors 70 ans - grattant un plafond, travail ingrat, j'eus subitement une inspiration, c'est ainsi qu'est né Les fleurs de mon jardin (poème qui n'est pas encore publié, ndlr). D'autres ont suivi presque dans interruption. C'est après l'avoir écrite que j'ai découvert que Les peupliers et le saule pleureur était une fable. Les autres ont été voulues. Ainsi sont nées Fables pour l'an 2000, entre septembre 1996 et avril 1999.
= Pourquoi des fables? Pourquoi l'an 2000?
Je m'explique dans la préface de mon recueil:
"Trois siècles après le grand La Fontaine, que peut-on ajouter à une oeuvre aussi pleine de nuances et de richesse psychologique?
Si depuis tous les temps, la nature humaine est restée toujours la même, par contre la connaissance et la vision du monde ont beaucoup changé. Et le rôle des fables est de révéler aux hommes, un peu comme un miroir fantastique, cette image d'eux-mêmes que leurs habitudes journalières dissimulent à leur vue. La fable permet aussi d'aborder les problèmes de société, comme de courtes comédies très proches de la nature. Mais depuis peu les hommes ont acquis un immense pouvoir: celui de détruire le monde, soit d'une façon violente, soit petit à petit en l'empoisonnant et le surexploitant.
Arrivés en l'an 2000, après plus de cinq siècles d'humanisme rationnel et scientifique cherchant à faire reculer le mystère, voilà qu'ils découvrent (…) qu'ils n'en viendraient jamais à bout et qu'il fait partie de leur propre nature. (…) Le prochain millénaire sera-t-il celui de la révélation mystique comme certains l'ont prédit? Ou bien, la violence destructrice l'emportant, le monde pourrait-il être détruit par les hommes eux-mêmes?
C'est peu probable, si chacun peut s'exprimer sans provoquer d'intransigeantes réactions et qu'enfin arrivés à la tolérance, les fabulistes puissent à leur manière - sans être rejetés comme des moralistes démodés - contribuer à travers l'humour, à une meilleure connaissance les uns des autres. N'oublions pas que La Fontaine a reçu les honneurs du Roi, qu'il n'avait pourtant pas plus ménagé que les autres dans le personnage du Lion.
Les éditeurs ont aussi leur rôle à jouer afin que la culture soit la plus diversifiée possible, pour repousser le mythe de la culture unique et mondiale qui nous menace.
Le troisième millénaire c'est demain. C'est une page blanche dont le début est déjà écrit, mais où le présent n'étant toujours qu'un court passage entre deux infinis, rend si difficile la réflexion humaine."
= Avez-vous une fable préférée?
Ma fable préférée est Les borgnes. Puis viennent La République des grenouilles et Les animaux malades de la violence. Mais à chacun de retirer la conclusion qui lui convient à chacune des fables, car toute opinion est respectable. Seul est intolérable de vouloir l'imposer aux autres d'une façon contrainte ou détournée.
= Que représente l'internet pour vous?
Internet représente pour moi un formidable outil de communication qui nous affranchit des intermédiaires, des barrages doctrinaires et des intérêts des médias en place. Soumis aux mêmes lois cosmiques, les hommes, pouvant mieux se connaître, acquerront peu à peu cette conscience du collectif, d'appartenir à un même monde fragile pour y vivre en harmonie sans le détruire.
Internet est absolument comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses, selon l'usage qu'on en fait, et j'espère qu'il ne permettra de m'affranchir en partie de l'édition et de la distribution traditionnelle qui, refermée sur elle-même, souffre d'une crise d'intolérance pour entrer à reculons dans le prochain millénaire (voir à ce sujet la fable Le poète et l'éditeur, ndlr).
= Quel est votre meilleur souvenir de l'année 1999?
La démonstration faite par vous de la possibilité de publier les Fables pour l'an 2000 sur internet (publiées sur le site des éditions du Choucas en décembre 1999, avec un design de Nicolas Pewny, ndlr). Mes meilleurs instants de bonheur sont aussi ceux qui naissent après avoir terminé l'écriture d'une fable ou d'un poème.
= Et votre pire souvenir?
Mon pire souvenir est celui de ma post-réanimation après un pontage coronarien en juillet.
= Quels sont vos souhaits pour l'an 2000 et les années suivantes?
Une meilleure tolérance et une plus grande pluralité des cultures.
*Entretien du 26 janvier 2001
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
J'ai rencontré le président du Centre régional des lettres de Basse-Normandie, qui s'est vivement intéressé aux Fables pour les années 2000. Il a proposé une aide de la région Basse-Normandie pour une édition imprimée sous forme de recueil. Le travail est très avancé et la publication pourrait avoir lieu au printemps.
= Pourquoi avoir modifié le titre, devenu Fables pour les années 2000 au lieu de
Fables de l'an 2000?
Tout simplement parce que, les ayant écrites avant l'an 2000, je pensais qu'elles seraient publiées avant le changement de millénaire, et que maintenant en voilà pour mille ans avant le prochain. Cela donne le vertige au-delà de toute imagination.
= Avez-vous quelque chose à ajouter à vos propos de 1999 relatifs à l'internet?
Non. Sauf qu'il serait indispensable pour moi d'y être raccordé le plus vite possible pour mes besoins en documentation et aussi pour la communication.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Non, pas du tout! Le papier est un support qui va subsister encore très longtemps et qui garde certains avantages. Il est cependant gourmand en matière première, le bois. Les autres supports sont complémentaires, et présentent des avantages, surtout pour la circulation et la reproduction à longue distance.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Je ne l'ai pas encore utilisé. Je pense qu'il a cependant beaucoup d'intérêt. Il économise le papier. Je l'imagine dans les bibliothèques pour la lecture au public. L'usage et le temps nous apporteront une réponse, mais l'informatique n'a pas fini de nous étonner.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Le cyberespace est un moyen pour supprimer l'espace.
= Et la société de l'information ?
La société de l'information est un moyen de satisfaire l'appétit de connaissances et de curiosité qu'ont les hommes de par le monde.
MURIEL GOIRAN (Rhône-Alpes)
#Libraire à la librairie Decitre
En région Rhône-Alpes, les huit librairies Decitre sont particulièrement dynamiques dans le domaine des nouvelles technologies et de l'internet. Decitre propose aussi une librairie en ligne de 430.000 titres.
*Entretien du 8 juin 1998
= Que représente l'internet pour vous?
C'est pour l'instant juste un moyen de communication de plus (mail) avec nos clients des magasins et nos clients bibliothèques et centres de documentation. Nous avons découvert son importance en organisant DOCForum, le premier forum de la documentation et de l'édition spécialisée, qui s'est tenu à Lyon en novembre 1997 (la prochaine édition est fixée en novembre 1999). Il nous est apparu clairement qu'en tant que libraires, nous devions avoir un pied dans le Net.
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
Internet est très important pour notre avenir. Nous allons mettre en ligne notre base de 400.000 livres français à partir de fin juillet 1998, et elle sera en accès gratuit pour des recherches bibliographiques (l'achat des livres sera payant bien sûr!). Ce ne sera pas une n-ième édition de la base de Planète Livre, mais notre propre base de gestion, que nous mettons sur internet.
MARCEL GRANGIER (Berne)
#Responsable de la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse
*Entretien du 14 janvier 1999
= Quel est l'apport de l'internet dans un service de traduction?
Travailler sans internet est devenu tout simplement impossible: au-delà de tous les outils et commodités utilisés (messagerie électronique, consultation de la presse électronique, activités de services au profit de la profession des traducteurs), internet reste pour nous une source indispensable et inépuisable d'informations dans ce que j'appellerais le "secteur non structuré" de la toile. Pour illustrer le propos, lorsqu'aucun site comportant de l'information organisée ne fournit de réponse à un problème de traduction, les moteurs de recherche permettent dans la plupart des cas de retrouver le chaînon manquant quelque part sur le réseau.
= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?
Le multilinguisme sur internet peut être considéré comme une fatalité heureuse et surtout irréversible. C'est dans cette optique qu'il convient de creuser la tombe des rabat-joie dont le seul discours est de se plaindre d'une suprématie de l'anglais. Cette suprématie n'est pas un mal en soi, dans la mesure où elle résulte de réalités essentiellement statistiques (plus de PC par habitant, plus de locuteurs de cette langue, etc.). La riposte n'est pas de "lutter contre l'anglais" et encore moins de s'en tenir à des jérémiades, mais de multiplier les sites en d'autres langues. Notons qu'en qualité de service de traduction, nous préconisons également le multilinguisme des sites eux-mêmes.
La multiplication des langues présentes sur internet est inévitable, et ne peut que bénéficier aux échanges multiculturels. Pour que ces échanges prennent place dans un environnement optimal, il convient encore de développer les outils qui amélioreront la compatibilité. La gestion complète des diacritiques ne constitue qu'un exemple de ce qui peut encore être entrepris.
*Entretien du 25 janvier 2000
= En quoi consiste votre site web?
Conçu d'abord comme un service intranet, notre site web se veut au service d'abord des traducteurs opérant en Suisse, qui souvent travaillent sur la même matière que les traducteurs de l'administration fédérale, mais également, par certaines rubriques, au service de n'importe quel autre traducteur où qu'il se trouve. Les dictionnaires électroniques ne sont qu'une partie de l'ensemble, et d'autres secteurs documentaires ont trait à l'administration, au droit, à la langue française, etc., sans parler des informations générales. Le site abrite par ailleurs les pages de la CST (Conférence des services de traduction des états européens).
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je suis responsable de la section française des services linguistiques centraux (SLC-f) de la Chancellerie fédérale suisse, c'est-à-dire en charge des questions organisationnelles de la traduction pour l'ensemble des services linguistiques du gouvernement suisse.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Le problème est réel même si la solution n'est pas évidente. On peut toutefois regretter que la lutte contre ce genre de fraude finira par justifier, avec d'autres dérives, une "police du WWW" malheureusement bien éloignée de l'esprit dans lequel la toile a été créée.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Nous y sommes, à l'internet multilingue: reste à le consolider et à veiller à l'égalité des chances d'accès, ce qui prendra probablement un peu plus de temps.
BARBARA GRIMES (Hawaii)
#Directrice de publication de l'Ethnologue, une encyclopédie des langues
Cette encyclopédie très documentée, qui en est à sa 14e édition, existe en version web, sur CD-Rom et en version imprimée. Elle répertorie 6.700 langues, avec de multiples critères de recherche. Barbara F. Grimes en est la directrice de publication.
*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
L'internet nous est utile, c'est un outil pratique qui apporte un complément à notre travail. Nous l'utilisons principalement pour le courrier électronique. C'est aussi un moyen commode pour mettre notre documentation à la disposition d'une audience plus large que celle de l'Ethnologue imprimé.
D'un autre côté, l'Ethnologue sur l'internet n'atteint en fait qu'une audience limitée disposant d'ordinateurs. Or, dans les personnes que nous souhaitons atteindre, nombreux sont ceux qui n'ont pas accès à des ordinateurs. Je pense particulièrement aux habitants du dit "Tiers-monde".
= Envisagez-vous des pages web multilingues?
Les pages web multilingues sont de plus en plus utiles, mais elles sont plus onéreuses à gérer. Nous avons eu des demandes nous demandant l'accès à l'Ethnologue dans plusieurs autres langues, mais nous n'avons pas le personnel ni les fonds pour la traduction ou la réactualisation, indispensables puisque notre site est constamment mis à jour.
*Entretien du 15 janvier 2000 (entretien original en anglais)
= En quoi consiste exactement l'Ethnologue?
Il s'agit d'un catalogue des langues dans le monde, avec des informations sur les endroits où elles sont parlées, une estimation du nombre de personnes qui les parlent, la famille linguistique à laquelle elles appartiennent, les autres noms utilisés pour ces langues, les noms de dialectes, d'autres informations socio-linguistiques et démographiques, les dates des Bibles publiées, un index des noms de langues, un index des familles linguistiques et des cartes géographiques relatives aux langues.
= Quelle est exactement votre activité?
Je suis la directrice de publication de l'Ethnologue, depuis 1971 et jusqu'en 2000 (8e-14e éditions).
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Tous les copyrights doivent être respectés, de la même façon que pour l'imprimé.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Le fait de recevoir des corrections et de nouvelles informations fiables.
= Et votre pire souvenir?
Des critiques peu aimables sans proposition de corrections.
MICHAEL HART (Illinois)
#Fondateur du Projet Gutenberg, la plus ancienne bibliothèque numérique sur l'internet
Créé par Michael Hart en 1971 alors qu'il était étudiant à l'Université d'Illinois (Etats-Unis), le Projet Gutenberg s'est donné comme mission de mettre à la disposition de tous le plus grand nombre possible d'oeuvres du domaine public. La plus ancienne bibliothèque numérique sur l'internet est aussi la plus importante puisqu'elle propose en téléchargement libre et gratuit 3.700 oeuvres (chiffres de juillet 2001) patiemment numérisées en mode texte par 600 volontaires de nombreux pays. Un total de 1.000 nouveaux livres devrait être traité en 2001. Si certains documents anciens sont parfois saisis ligne après ligne, le plus souvent parce que le texte original manque de clarté, les oeuvres sont en général scannées en utilisant un logiciel OCR (optical character recognition), puis elles sont relues et corrigées à double reprise, parfois par deux personnes différentes. D'abord essentiellement anglophones, les collections deviennent peu à peu multilingues. Michael Hart se définit lui-même comme un fou de travail dédiant toute sa vie à son projet, qu'il voit comme étant à l'origine d'une révolution néo-industrielle.
*Entretien du 23 août 1998 (entretien original en anglais)
= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?
Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les établissements d'enseignement.
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
Ma carrière n'aurait pas existé sans l'internet, et le Projet Gutenberg n'aurait jamais eu lieu… Vous savez sûrement que le Projet Gutenberg a été le premier site d'information sur l'internet.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Mon projet est de mettre 10.000 textes électroniques sur l'internet. Si je pouvais avoir des subventions importantes, j'aimerais aller jusqu'à un million et étendre aussi le nombre de nos usagers potentiels de 1,x% à 10% de la population mondiale, ce qui représenterait la diffusion de 1.000 fois un milliard de textes électroniques au lieu d'un milliard seulement.
*Entretien du 23 juillet 1999 (entretien original en anglais)
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Les débats actuels sont totalement irréalistes. Ils sont menés par "l'aristocratie terrienne de l'âge de l'information" et servent uniquement ses intérêts. Un âge de l'information? Et pour qui? J'ai été le principal opposant aux extensions du copyright (loi du 27 octobre 1998, ndlr), mais Hollywood et les grands éditeurs ont fait en sorte que le Congrès ne mentionne pas mon action en public.
= En quoi consiste exactement cette loi?
Le copyright a été augmenté de 20 ans. Aupararant on devait attendre 75 ans, on est maintenant passé à 95 ans. Bien avant, le copyright durait 28 ans (plus une extension de 28 ans si on la demandait avant l'expiration du délai) et il avait lui-même remplacé un copyright de 14 ans (plus une extension de 14 ans si on la demandait avant l'expiration du délai). Comme vous le voyez, on assiste à une dégradation régulière et constante du domaine public.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
J'espère que nous aurons un jour un bon Babelfish (le service de traduction automatique d'Altavista, ndlr). Pour notre bibliothèque numérique, j'introduis une nouvelle langue par mois maintenant, et je vais poursuivre cette politique aussi longtemps que possible.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Le courrier que je reçois me montre combien les gens apprécient que j'aie passé ma vie à mettre des livres sur l'internet. Certaines lettres sont vraiment émouvantes, et elles me rendent heureux pour toute la journée.
= Et votre pire souvenir?
Etre convoqué par le président de l'Université d'Illinois suite à une plainte déposée par l'Université d'Oxford. Mais j'ai été défendu par une équipe de six avocats, la moitié étant de l'Université d'Illinois, et j'ai gagné le procès. On pourrait voir cela comme un bon souvenir, mais je hais ce genre de politique politicienne… Le président de l'université se trouvait être l'oncle de Tom Cruise, amusant, non?
ROBERTO HERNANDEZ MONTOYA (Caracas)
#Directeur de la bibliothèque numérique du magazine électronique Venezuela
Analítica
Roberto Hernández Montoya est licencié ès lettres de l'Université centrale du Venezuela. Il publie des articles dans El Nacional, Letras, Imagen et InternetiWorld Venezuela. Il est membre de l'équipe éditoriale de Venezuela Cultural, Venezuela Analítica et Imagen. Il a fait des études d'analyse du discours à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Il a été le président fondateur de l'Association vénézuélienne des éditeurs, et le rédacteur en chef de l'Ateneo de Caracas.
Magazine électronique conçu comme un forum public pour l'échange d'idées sur la politique, l'économie, la culture, la science et la technologie, Venezuela Analítica a créé en mai 1997 BitBlioteca, une bibliothèque numérique en espagnol, qui comprend aussi quelques titres en anglais, français et portugais.
*Entretien du 3 septembre 1998
= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?
Je crois qu'ils sont complémentaires. On ne peut pas remplacer le texte imprimé sur papier, au moins dans un futur proche. Le livre en papier est un objet formidable. On ne peut pas feuilleter un texte électronique de la même façon qu'un livre en papier. Mais un texte électronique permet de localiser beaucoup plus rapidement un mot ou un groupe de mots. D'une certaine manière on peut le lire avec plus de profondeur, même avec l'incommodité que représente la lecture sur écran. Le texte électronique est moins cher et peut être distribué plus facilement au monde entier (si on ne prend pas en ligne de compte le coût de l'ordinateur et de la connexion à l'internet).
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
L'internet a été très important pour moi personnellement. Il est devenu ma principale activité. Il a donné à notre organisme la possibilité de communiquer avec des milliers de personnes alors que ceci aurait été impossible du point de vue financier si on avait publié un magazine sur papier. Je crois que, dans les années à venir, l'internet va devenir le médium primordial de communication et d'échange d'information.
RANDY HOBLER (Dobbs Ferry, New York)
#Consultant en marketing internet, notamment chez Globalink, société spécialisée en produits et services de traduction
Randy Hobler a été successivement consultant en marketing et internet chez IBM, Johnson & Johnson, Burroughs Wellcome, Pepsi, Heublein, etc. En 1998, il était consultant en marketing internet chez Globalink, société spécialisée en produits et services de traduction. "J'aime pouvoir combiner ensemble mes compétences en tant que formateur en haute technologie et en marketing avec ma passion pour les langues, écrivait-il. Aimer ce que je fais et faire ce que j'aime." Globalink a été racheté par Lernout & Hauspie en 1999.
*Entretien du 3 septembre 1998 (entretien original en anglais)
= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?
En 1998, 85 % du contenu du web est en anglais, et ce chiffre est à la baisse. Il y a non seulement plus de sites web et d'internautes non anglophones, mais aussi une localisation plus grande de sites de sociétés et d'organismes, et un usage accru de la traduction automatique pour traduire des sites web à partir ou vers d'autres langues.
Comme l'internet n'a pas de frontières nationales, les internautes s'organisent selon d'autres critères propres au médium. En termes de multilinguisme, vous avez des communautés virtuelles, par exemple ce que j'appelle les "nations des langues", tous ces internautes qu'on peut regrouper selon leur langue maternelle quel que soit leur lieu géographique. Ainsi la nation de la langue espagnole inclut non seulement les internautes d'Espagne et d'Amérique latine, mais aussi tous les hispanophones vivant aux Etats-Unis, ou encore ceux qui parlent espagnol au Maroc.
= Comment voyez-vous l'avenir de la traduction automatique?
Nous arriverons rapidement au point où une traduction très fidèle du texte et de la parole sera si commune qu'elle pourra faire partie des plate-formes ou même des puces. A ce point, quand le développement de l'internet aura atteint sa vitesse de croisière, que la fidélité de la traduction atteindra plus de 98% et que les différentes combinaisons de langues possibles auront couvert la grande majorité du marché, la transparence de la langue (toute communication d'une langue à une autre) sera une vision trop restrictive pour ceux qui vendent cette technologie. Le développement suivant sera la "transparence transculturelle et transnationale" dans laquelle les autres aspects de la communication humaine, du commerce et des transactions au-delà du seul langage entreront en scène. Par exemple, les gestes ont un sens, les mouvements faciaux ont un sens, et ceci varie en fonction des sociétés. La lettre O réalisée avec le pouce et l'index signifie "OK" aux Etats-Unis alors qu'en Argentine c'est un geste obscène.
Quand se produira l'inévitable développement de la vidéoconférence multilingue multimédias, il sera nécessaire de corriger visuellement les gestes. Le Media Lab du MIT (Massachussets Institute of Technology), Microsoft et bien d'autres travaillent à la reconnaissance informatique des expressions faciales, l'identification des caractéristiques biométriques par le biais du visage, etc. Il ne servira à rien à un homme d'affaires américain de faire une excellente présentation à un Argentin lors d'une vidéoconférence multilingue sur le web, avec son discours traduit dans un espagnol argentin parfait, s'il fait en même temps le geste O avec le pouce et l'index. Les ordinateurs pourront intercepter ces types de messages et les corriger visuellement.
Les cultures diffèrent de milliers de façons, et la plupart d'entre elles peuvent être modifiées par voie informatique lorsqu'on passe de l'une à l'autre. Ceci inclut les lois, les coutumes, les habitudes de travail, l'éthique, le change monétaire, les différences de taille dans les vêtements, les différences entre le système métrique et le système de mesure anglophone, etc. Les sociétés dynamiques répertorieront et programmeront ces différences, et elles vendront des produits et services afin d'aider les habitants de la planète à mieux communiquer entre eux. Une fois que ceux-ci seront largement répandus, ils contribueront réellement à une meilleure compréhension à l'échelle internationale.
*Entretien du 10 septembre 2000 (entretien original en anglais)
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Les livres électroniques continueront de se développer avec l'amélioration de l'affichage sur écran et d'un matériel plus polyvalent et plus léger. Les premiers utilisateurs seront notamment les établissements d'enseignement, du fait de tous les avantages que peuvent procurer les livres électroniques aux étudiants: téléchargement des lectures de tout un trimestre, investissement peu coûteux, liens avec les examens et les dissertations, informations aisément transférables, équipement léger au lieu de piles de livres à transporter.
EDUARD HOVY (Marina del Rey, Californie)
#Directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud
Le Natural Language Group de l' USC/ISI (University of Southern California / Information Sciences Institute) traite de plusieurs aspects du traitement du langage naturel: traduction automatique, résumé automatique de texte, accès multilingue aux verbes et gestion du texte, développement de taxonomies de concepts (ontologies), discours et génération de texte, élaboration d'importants lexiques pour plusieurs langues, et communication multimédias.
Son directeur, Eduard Hovy, est docteur en informatique (spécialité: intelligence artificielle) de l'Université de Yale (doctorat obtenu en 1987). Il est membre des départements informatiques de l'Université de Californie du Sud et de l'Université de Waterloo. Ses recherches concernent principalement la traduction automatique, le résumé automatique de texte, l'organisation et la génération de textes, et l'élaboration semi-automatique d'importants lexiques et banques terminologiques. Tous ces thèmes sont des sujets de recherche au Natural Language Group.
Eduard Hovy est également l'auteur ou le directeur de publication de quatre ouvrages et d'une centaine d'articles techniques. Il a fait partie des comités de rédaction de Computational Linguistics et du Journal of the Society of Natural Language Processing of Japan. Il est actuellement le président de l'Association of Machine Translation in the Americas (AMTA, et le vice-président de l'Association for Computational Linguistics (ACL).
*Entretien du 27 août 1998 (entretien original en anglais)
= Le multilinguisme sur le web est-il un atout ou une barrière?
Dans le contexte de la recherche documentaire et du résumé automatique de texte, le multilinguisme sur le web est un facteur qui ajoute à la complexité du sujet. Les gens écrivent dans leur propre langue pour diverses raisons : commodité, discrétion, communication à l'échelon local, mais ceci ne signifie pas que d'autres personnes ne soient pas intéressées de lire ce qu'ils ont à dire ! Ceci est particulièrement vrai pour les sociétés impliquées dans la veille technologique (disons une société informatique qui souhaite connaître tous les articles de journaux et périodiques japonais relatifs à son activité) et des services de renseignements gouvernementaux (ceux qui procurent l'information la plus récente, utilisée ensuite par les fonctionnaires pour décider de la politique, etc.). Un des principaux problèmes auquel ces services doivent faire face est la très grande quantité d'informations. Ils recrutent donc du personnel bilingue "passif" qui peut scanner rapidement les textes afin de mettre de côté ce qui est sans intérêt et de donner ensuite les documents significatifs à des traducteurs professionnels. Manifestement, une combinaison de résumé automatique de texte et de traduction automatique sera très utile dans ce cas. Comme la traduction automatique est longue, on peut d'abord résumer le texte dans la langue étrangère, puis effectuer une traduction automatique rapide à partir du résultat obtenu, en laissant à un être humain ou un classificateur de texte (du type recherche documentaire) le soin de décider si on doit garder l'article ou le rejeter.
Pour ces raisons, durant ces cinq dernières années, le gouvernement des Etats-Unis a financé des recherches en traduction automatique, en résumé automatique de texte et en recherche documentaire, et il s'intéresse au lancement d'un nouveau programme de recherche en informatique documentaire multilingue. On sera ainsi capable d'ouvrir un navigateur tel que Netscape ou Explorer, entrer une demande en anglais, et obtenir la liste des documents dans toutes les langues. Ces documents seront regroupés par sous-catégorie avec un résumé pour chacun et une traduction pour les résumés étrangers, toutes choses qui seraient très utiles.
En consultant MuST (multilingual information retrieval, summarization, and translation system), vous aurez une démonstration de notre version de ce programme de recherche, qui utilise l'anglais comme langue de l'utilisateur sur un ensemble d'environ 5.000 textes en anglais, japonais, arabe, espagnol et indonésien.
Entrez votre demande (par exemple, "baby", ou tout autre terme) et appuyez sur la touche Retour. Dans la fenêtre du milieu vous verrez les titres (ou bien les mots-clés, traduits). Sur la gauche vous verrez la langue de ces documents: "Sp" pour espagnol, "Id" pour indonésien, etc. Cliquez sur le numéro situé sur la partie gauche de chaque ligne pour voir le document dans la fenêtre du bas. Cliquez sur "Summarize" pour obtenir le résumé. Cliquez sur "Translate" pour obtenir la traduction (attention, les traductions en arabe et en japonais sont extrêmement lentes! Essayez plutôt l'indonésien pour une traduction rapide mot à mot).
Ce programme de démonstration n'est pas (encore) un produit. Nous avons de nombreuses recherches à mener pour améliorer la qualité de chaque étape. Mais ceci montre la direction dans laquelle nous allons.
*Entretien du 8 août 1999 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
Durant les douze derniers mois, j'ai été contacté par un nombre surprenant de nouvelles sociétés et start-up en technologies de l'information. La plupart d'entre elles ont l'intention d'offrir des services liés au commerce électronique (vente en ligne, échange, collecte d'information, etc.). Etant donné les faibles résultats des technologies actuelles du traitement de la langue naturelle - ailleurs que dans les centres de recherche - c'est assez surprenant. Quand avez-vous pour la dernière fois trouvé rapidement une réponse correcte à une question posée sur le web, sans avoir eu à passer en revue pendant un certain temps des informations n'ayant rien à voir avec votre question? Cependant, à mon avis, tout le monde sent que les nouveaux développements en résumé automatique de texte, analyse des questions, etc., vont, je l'espère, permettre des progrès significatifs. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à ce stade.
Il me semble qu'il ne s'agira pas d'un changement considérable, mais que nous arriverons à des résultats acceptables, et que l'amélioration se fera ensuite lentement et sûrement. Ceci s'explique par le fait qu'il est très difficile de faire en sorte que votre ordinateur "comprenne" réellement ce que vous voulez dire - ce qui nécessite de notre part la construction informatique d'un réseau de "concepts" et des relations de ces concepts entre eux - réseau qui, jusqu'à un certain stade au moins, reflèterait celui de l'esprit humain, au moins dans les domaines d'intérêt pouvant être regroupés par sujets. Le mot pris à la "surface" n'est pas suffisant - par exemple quand vous tapez: "capitale de la Suisse", les systèmes actuels n'ont aucun moyen de savoir si vous songez à "capitale administrative" ou "capitale financière". Dans leur grande majorité, les gens préféreraient pourtant un type de recherche basé sur une expression donnée, ou sur une question donnée formulée en langage courant.
Plusieurs programmes de recherche sont en train d'élaborer de vastes réseaux de "concepts", ou d'en proposer l'élaboration. Ceci ne peut se faire en deux ans, et ne peut amener rapidement un résultat satisfaisant. Nous devons développer à la fois le réseau et les techniques pour construire ces réseaux de manière semi-automatique, avec un système d'auto-adaptation. Nous sommes face à un défi majeur.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
En tant qu'universitaire, je suis bien sûr un des parasites de notre société, et donc tout à fait en faveur de l'accès libre à la totalité de l'information. En tant que co-propriétaire d'une petite start-up, je suis conscient du coût que représente la collecte et la présentation de l'information, et de la nécessité de faire payer ce service d'une manière ou d'une autre.
Pour équilibrer ces deux tendances, je pense que l'information à l'état brut - et certaines ressources à l'état brut: langages de programmation ou moyens d'accès à l'information de base comme les navigateurs web - doivent être disponibles gratuitement. Ceci crée un marché et permet aux gens de les utiliser. Par contre l'information traitée et les systèmes vous permettant d'obtenir et structurer très exactement ce dont vous avez besoin doivent être payants. Cela permet de financer ceux qui développent ces nouvelles technologies.
Prenons un exemple: à l'heure actuelle, un dictionnaire n'est pas disponible gratuitement. Les sociétés éditrices de dictionnaires refusent de les mettre librement à la disposition des chercheurs et de toute personne intéressée, et elles avancent l'argument que ces dictionnaires ont demandé des siècles de travail (j'ai eu plusieurs discussions à ce sujet avec des sociétés de dictionnaires). Mais de nos jours les dictionnaires sont des instruments stupides: on doit connaître le mot avant de le trouver! J'aimerais avoir un outil qui me permette de donner une définition approximative, ou peut-être une phrase ou deux incluant un espace pour le mot que je cherche, ou même l'équivalent de ce mot dans une autre langue, et que la réponse me revienne avec le(s) mot(s) que je cherche. Un tel outil n'est pas compliqué à construire, mais il faut d'abord le dictionnaire de base. Je pense que ce dictionnaire de base devrait être en accès libre. Par contre on pourrait facturer l'utilisation du moteur de recherche ou du service permettant d'entrer une information - partielle ou non - qui soit très "ciblée", afin d'obtenir le meilleur résultat.
Voici un deuxième exemple. On devrait avoir accès librement à la totalité du web, et à tous les moteurs de recherche "de base" du type de ceux qu'on trouve aujourd'hui. Pas de copyright et pas de licence. Mais si on a besoin d'un moteur de recherche qui procure une réponse très "ciblée" et très fiable, je pense qu'il ne serait pas déraisonnable que ce service soit facturé.
Le créateur d'une encyclopédie ne va naturellement pas aimer ma proposition. Mais je lui suggérerais d'équiper son encyclopédie d'un système d'accès performant. Sans ce système, l'information brute donnée par cette encyclopédie n'est qu'un stock d'informations et rien d'autre, et ce stock peut aisément se perdre dans une masse considérable d'informations qui augmente tous les jours.
*Entretien du 2 septembre 2000 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Je vois de plus en plus de petites sociétés utiliser d'une manière ou d'une autre les technologies liées aux langues, pour procurer des recherches, des traductions, des rapports ou d'autres services permettant de communiquer. Le nombre de créneaux dans lesquels ces technologies peuvent être utilisées continue de me surprendre, et cela va des rapports financiers et leurs mises à jour aux communications d'une société à l'autre en passant par le marketing.
En ce qui concerne la recherche, la principale avancée que je vois est due à Kevin Knight, un collègue de l'ISI (Institut des sciences de l'information de l'Université de Californie du Sud), ce dont je suis très honoré. L'été dernier, une équipe de chercheurs et d'étudiants de l'Université Johns Hopkins (Maryland) a développé une version à la fois meilleure et plus rapide d'une méthode développée à l'origine par IBM (et dont IBM reste propriétaire) il y a douze ans environ. Cette méthode permet de créer automatiquement un système de traduction automatique, dans la mesure où on lui fournit un volume suffisant de texte bilingue. Tout d'abord la méthode trouve toutes les correspondances entre les mots et la position des mots d'une langue à l'autre, et ensuite elle construit des tableaux très complets de règles entre le texte et sa traduction, et les expressions correspondantes.
Bien que la qualité du résultat soit encore loin d'être satisfaisante - personne ne pourrait considérer qu'il s'agit d'un produit fini, et personne ne pourrait utiliser le résultat tel quel - l'équipe a créé en vingt-quatre heures un système (élémentaire) de traduction automatique du chinois vers l'anglais. Ceci constitue un exploit phénoménal, qui n'avait jamais été réalisé avant. Les détracteurs du projet peuvent bien sûr dire qu'on a besoin dans ce cas de trois millions de phrases disponibles dans chaque langue, et qu'on ne peut se procurer une quantité pareille que dans les parlements du Canada, de Hong-Kong ou d'autres pays bilingues. Ils peuvent bien sûr arguer également de la faible qualité du résultat. Mais le fait est que, tous les jours, on met en ligne des textes bilingues au contenu à peu près équivalent, et que la qualité de cette méthode va continuer de s'améliorer pour atteindre au moins celle des logiciels de traduction automatique actuels, qui sont conçus manuellement. J'en suis absolument certain.
D'autres développements sont moins spectaculaires. On observe une amélioration constante des résultats dans les systèmes pouvant décider de la traduction opportune d'un terme (homonyme) qui a des significations différentes (par exemple père, pair et père, ndlr). On travaille beaucoup aussi sur la recherche d'information par recoupement de langues (qui vous permettront bientôt de trouver sur le web des documents en chinois et en français même si vous tapez vos questions en anglais). On voit également un développement rapide des systèmes qui répondent automatiquement à des questions simples (un peu comme le populaire AskJeeves utilisé sur le web, mais avec une gestion par ordinateur et non par des êtres humains). Ces systèmes renvoient à un grand volume de texte permettant de trouver des "factiodes" (et non des opinions ou des motifs ou des chaînes d'événements) en réponse à des questions telles que: "Quelle est la capitale de l'Ouganda?", ou bien: "Quel âge a le président Clinton?", ou bien: "Qui a inventé le procédé Xerox?", et leurs résultats obtenus sont plutôt meilleurs que ce à quoi je m'attendais.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Je ne crois pas au livre électronique. Encore plus que d'assister à un concert en public ou d'aller voir un film au cinéma, j'aime l'expérience physique d'avoir un livre sur les genoux et de prendre plaisir à son odeur, son contact et son poids. Les concerts à la télévision, les films à la télévision et les livres électroniques font qu'on perd un peu de ce plaisir. Et, pour les livres particulièrement, je ne suis pas prêt à cette perte. Après tout, dans mon domaine d'activité, il est beaucoup plus facile et beaucoup plus économique de se procurer un livre qu'une place de concert ou de cinéma. Tous mes souhaits vont aux fabricants de livres électroniques, mais je suis heureux avec les livres imprimés. Et je ne pense pas changer d'avis de sitôt, et me ranger dans la minorité qui utilise les livres électroniques. Je crains beaucoup moins la disparition des livres que je n'ai craint autrefois la disparition des cinémas.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Pour moi, le cyberespace est représenté par la totalité des informations auxquelles nous pouvons accéder par l'internet et les systèmes informatiques en général. Il ne s'agit bien sûr pas d'un espace, et son contenu est sensiblement différent de celui des bibliothèques. Par exemple, bientôt mon réfrigérateur, ma voiture et moi-même seront connus du cyberespace, et toute personne disposant d'une autorisation d'accès (et d'une raison pour cela) pourra connaître précisément le contenu de mon réfrigérateur et la vitesse de ma voiture (ainsi que la date à laquelle je devrai changer les amortisseurs), et ce que je suis en train de regarder maintenant.
En fait, j'espère que la conception de la publicité va changer, y compris les affiches et les présentations que j'ai sous les yeux en marchant, afin que cette publicité puisse correspondre à mes connaissances et à mes goûts, tout simplement en ayant les moyens de reconnaître que "voici quelqu'un dont la langue maternelle est l'anglais, qui vit à Los Angeles et dont les revenus sont de tant de dollars par mois". Ceci sera possible du fait de la nature dynamique d'un cyberespace constamment mis à jour (contrairement à une bibliothèque), et grâce à l'existence de puces informatiques de plus en plus petites et bon marché.
Tout comme aujourd'hui j'évolue dans un "espace social" (socialspace) qui est un réseau de normes sociales, d'expectations et de lois, demain, j'évoluerai aussi dans un cyberespace composé d'informations sur lesquelles je pourrai me baser (parfois), qui limiteront mon activité (parfois), qui me réjouiront (souvent, j'espère) et qui me décevront (j'en suis sûr).
= Et la société de l'information?
Une société de l'information est une société dans laquelle la majorité des gens a conscience de l'importance de cette information en tant que produit de base, et y attache donc tout naturellement du prix. Au cours de l'histoire, il s'est toujours trouvé des gens qui ont compris combien cette information était importante, afin de servir leurs propres intérêts. Mais quand la société, dans sa majorité, commence à travailler avec et sur l'information en tant que telle, cette société peut être dénommée société de l'information. Ceci peut sembler une définition tournant un peu en rond ou vide de sens, mais je vous parie que, pour chaque société, les anthropologues sont capables de déterminer quel est le pourcentage de la société occupé au traitement de l'information en tant que produit de base. Dans les premières sociétés, ils trouveront uniquement des professeurs, des conseillers de dirigeants et des sages. Dans les sociétés suivantes, ils trouveront des bibliothécaires, des experts à la retraite exerçant une activité de consultants, etc.
Les différentes étapes de la communication de l'information - d'abord verbale, puis écrite, puis imprimée, puis électronique - ont chaque fois élargi (dans le temps et dans l'espace) le champ de propagation de cette information, en rendant de ce fait de moins en moins nécessaire le réapprentissage et la répétition de certaines tâches difficiles. Dans une société de l'information très évoluée, je suppose, il devrait être possible de formuler votre objectif, et les services d'information (à la fois les agents du cyberespace et les experts humains) oeuvreraient ensemble pour vous donner les moyens de réaliser cet objectif, ou bien se chargeraient de le réaliser pour vous, et réduiraient le plus possible votre charge de travail en la limitant au travail vraiment nouveau ou au travail nécessitant vraiment d'être refait à partir de documents rassemblés pour vous dans cette intention.
CHRISTIANE JADELOT (Nancy)
#Ingénieur d'études à l'INaLF (Institut national de la langue française)
Laboratoire du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), l'INaLF a pour mission de développer des programmes de recherche sur la langue française, tout particulièrement son lexique. Les données, traitées par des systèmes informatiques spécifiques et originaux, constamment enrichies et renouvelées, portent sur tous les registres du français: langue littéraire (du 14e au 20e siècle), langue courante (écrite, parlée), langue scientifique et technique (terminologies), et régionalismes. Ces données, qui constituent un matériau d'étude considérable, sont progressivement mises à la disposition de tous ceux que la langue française intéresse (enseignants et chercheurs, mais aussi industriels, secteur tertiaire et grand public), soit par des publications, soit par la consultation de banques et bases de données.
Le domaine de compétence de Christiane Jadelot est la lexicographie informatisée. Elle est actuellement chargée de la mise en ligne de la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1932-1935).
*Entretien du 8 juin 1998
= Quel est l'historique du site web de l'INaLF?
Les premières pages sur l'INaLF ont été mises sur l'internet au milieu de l'année 1996, à la demande de Robert Martin, directeur de l'INaLF. Je peux en parler, car j'ai participé à la mise sous internet de ces pages, avec des outils qui ne sont pas comparables à ceux que l'on utilise aujourd'hui. J'ai en effet travaillé avec des outils sous Unix, qui n'étaient pas très faciles d'utilisation. Nous avions peu d'expérience de la chose, à l'époque, et les pages étaient très verbeuses. Mais la direction a senti la nécessité urgente de nous faire connaître par l'internet, que beaucoup d'autres entreprises utilisaient déjà pour promouvoir leurs produits. Nous sommes en effet "Unité de recherche et de service" et nous avons donc à trouver des clients pour nos produits informatisés, le plus connu d'entre eux étant la base textuelle Frantext. Il me semble que la base Frantext était déjà sur internet (depuis début 1995, ndlr), ainsi qu'une maquette du tome 14 du TLF (Trésor de la langue francaise, dictionnaire en 16 volumes publié par le CNRS entre 1971 et 1994, et dont le 14e volume a été consultable en ligne pendant quelque temps, ndlr). Il était donc nécessaire de faire connaître l'ensemble de l'INaLF par ce moyen. Cela correspondait à une demande générale.
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
J'ai commencé à utiliser vraiment l'internet en 1994, je crois, avec un logiciel qui s'appelait Mosaic. J'ai alors découvert un outil précieux pour progresser dans mes connaissances en informatique, linguistique, littérature… Tous les domaines sont couverts. Il y a le pire et le meilleur, mais en consommateur averti, il faut faire le tri de ce que l'on trouve. J'ai surtout apprécié les logiciels de courrier, de transfert de fichiers, de connexion à distance. J'avais à cette époque des problèmes avec un logiciel qui s'appelait Paradox et des polices de caractères inadaptées à ce que je voulais faire. J'ai tenté ma chance et posé la question dans un groupe de News approprié. J'ai reçu des réponses du monde entier, comme si chacun était soucieux de trouver une solution à mon problème! Je n'étais pas habituée à ce type de solidarité. Les habitudes en France sont plutôt de travailler avec des cloisons étanches.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je pense qu'il faut équiper de plus en plus de laboratoires avec du matériel de pointe, qui permette d'utiliser tous ces médias. Nous avons des projets en direction des lycées et des chercheurs. Le ministère de l'Education nationale a promis de câbler tous les établissements, c'est plus qu'une nécessité nationale. J'ai vu à la télévision une petite école dans un village faisant l'expérience de l'internet. Les élèves correspondaient avec des écoles de tous les pays, ceci ne peut être qu'une expérience enrichissante, bien sûr sous le contrôle des adultes formés pour cela. Voilà ma petite expérience. Je me suis équipée maintenant à domicile dans un but plus ludique, en espérant convaincre ma fille d'utiliser au mieux tous ces outils.