Entretiens (1998-2001)
*Entretien du 17 juillet 1998
= Quel est l'historique de votre Chronologie littéraire?
Pour la Chronologie littéraire (1848-1914), cela a commencé dans les premières semaines de 1997, en préparant un cours sur le roman fin de siècle (19e). Je rassemblai alors de la documentation et m'aperçus d'une part que les diverses chronologies trouvées apportaient des informations complémentaires les unes des autres, et d'autre part que les quelques documents littéraires alors présents sur le web n'étaient pas présentés de façon chronologique, mais toujours alphabétique. Je fis donc un document unique qui contenait toutes les années de 1848 à 1914, et l'augmentais progressivement. Jusqu'à une taille gênante pour le chargement, et je décidai alors, fin 1997, de le scinder en faisant un document pour chaque année. Dès le début, je l'ai utilisé avec mes étudiants, sur papier ou sur écran. Je sais qu'ils continuent de s'en servir, bien qu'ils ne suivent plus mon cours. J'ai reçu pas mal de courrier pour saluer mon entreprise, plus de courrier que pour les autres activités web que j'ai développées.
= Et pour vos Signets?
Animant des formations d'enseignants à l'Institut franco-japonais de Tokyo, je voyais d'un mauvais oeil d'imprimer régulièrement des adresses pour demander aux gens de les recopier. J'ai donc commencé par des petits documents rassemblant les quelques adresses web à utiliser dans chaque cours (avec Word), puis me suis dit que cela simplifierait tout si je mettais en ligne mes propres signets, vers la fin 1996. Quelques mois plus tard, je décidai de créer les sections finales de nouveaux signets afin de visualiser des adresses qui sinon étaient fondues dans les catégories. Cahin-caha, je renouvelle chaque mois. Mais les quantités de travail entraînées par le Salon du livre de Tokyo (et les interviews d'écrivains), en janvier 1998, et le Festival de Yokohama (juin 1998), font qu'il y a bien longtemps que je n'ai pas fait sérieusement mon travail de veille techno-culturelle…
= Quel est l'impact de l'internet sur votre vie professionnelle?
Mon travail de recherche est différent, mon travail d'enseignant est différent, mon image en tant qu'enseignant-chercheur de langue et de littérature est totalement liée à l'ordinateur, ce qui a ses bons et ses mauvais côtés (surtout vers le haut de la hiérarchie universitaire, plutôt constituée de gens âgés et technologiquement récalcitrants). J'ai cessé de m'intéresser à certains collègues proches géographiquement mais qui n'ont rien de commun avec mes idées, pour entrer en contact avec des personnes inconnues et réparties dans différents pays (et que je rencontre parfois, à Paris ou à Tokyo, selon les vacances ou les colloques des uns ou des autres). La différence est d'abord un gain de temps, pour tout, puis un changement de méthode de documentation, puis de méthode d'enseignement privilégiant l'acquisition des méthodes de recherche par mes étudiants, au détriment des contenus (mais cela dépend des cours). Progressivement, le paradigme réticulaire l'emporte sur le paradigme hiérarchique - et je sais que certains enseignants m'en veulent à mort d'enseigner ça, et de le dire d'une façon aussi crue. Cependant ils sont obligés de s'y mettre…
= Comment voyez-vous votre avenir professionnel?
Mon avenir professionnel, qui sera de toute façon en liaison directe avec l'internet, n'est pas plus clair que mon avenir lui-même. J'attends les opportunités professionnelles car l'enseignement universitaire n'est pas assez dynamique dans ce domaine, et je ne suis pas sûr d'y rester - pourtant j'aime enseigner et j'aime les étudiants.
= Et l'avenir du réseau?
Trouble. Entre ceux qui cherchent à gagner de l'argent à tout prix, et ceux qui en font une banque d'images pornographiques, ceux qui cherchent des amis pour pallier un manque et ceux qui cherchent du travail. Ceux qui… et ceux qui… le réseau devient progressivement une projection du monde lui-même, plus précise et exacte chaque jour.
*Entretien du 27 janvier 2000
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
Mon activité s'articule désormais autour de trois pôles:
- veille technologique et culturelle,
- enseignement assisté par ordinateur,
- création de pages littéraires pédagogiques (mise en ligne en février ou mars 2000 d'une oeuvre de Balzac, L'Illustre Gaudissart, avec notes de lecture préparées par des étudiants japonais en doctorat pendant l'année universitaire 1999).
Pour réaliser ce document balzacien, nous avons travaillé dans une salle entièrement informatisée de l'Université Gakushuin (Tokyo) et nous avons utilisé majoritairement des données en ligne (Dictionnaire de l'Académie française, index de Balzac, cédérom Littré, etc.)
Autre nouvelle réalisation, à l'actif de l'équipe de recherche Hubert de Phalèse (Université Paris 3) à laquelle j'appartiens : la création d'une liste de diffusion francophone nommée LITOR (Littérature et ordinateur), en octobre 1999, dont je suis le modérateur et qui compte actuellement près de 180 membres, majoritairement des universitaires d'une douzaine de pays.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Je pense que le droit d'auteur doit être défendu, tout en étant redéfini et uniformisé au niveau international, ce qui n'est pas évident.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Il s'agit d'abord d'un problème logiciel. Comme on le voit avec Netscape ou Internet Explorer, la possibilité d'affichage multilingue existe. La compatibilité entre ces logiciels et les autres (de la suite Office de Microsoft, par exemple) n'est cependant pas acquise. L'adoption de la table Unicode devrait résoudre une grande partie des problèmes, mais il faut pour cela réécrire la plupart des logiciels, ce à quoi les producteurs de logiciels rechignent du fait de la dépense, pour une rentabilité qui n'est pas évidente car ces logiciels entièrement multilingues intéressent moins de clients que les logiciels de navigation.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
L'écoute de radios françaises. Dès qu'elle a été possible, en 1997, puis améliorée jusqu'à aujourd'hui, elle m'a permis de rester en contact étroit avec l'actualité culturelle et politique françaises. De même, la possibilité d'acheter des livres et des disques, et d'être livré dans des délais raisonnables à des prix normaux.
*Entretien du 14 décembre 2000
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Autant qu'avant, mais je n'imprime pas beaucoup à partir de mon ordinateur, sauf pour des préparations de cours à distribuer aux étudiants.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Je ne vois pas de problème pour les "jours du papier" dans l'avenir, alors que justement, il faudrait en diminuer la consommation. Je crains d'ailleurs que bien des gens n'impriment tout et n'importe quoi avec leur ordinateur, consommant ainsi bien plus de papier qu'ils ne le faisaient avant.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
N'ayant pas encore eu l'objet en main, je réserve mon avis. Je trouve enthousiasmant le principe de stockage et d'affichage mais j'ai des craintes quant à la commercialisation des textes sous des formats payants. Les chercheurs pourront-ils y mettre leurs propres corpus et les retravailler? L'outil sera-t-il vraiment souple et léger, ou faut-il attendre le développement de l'encre électronique? Je crois également que l'on prépare un cartable électronique pour les élèves des écoles, ce qui pourrait être bon pour leur dos…
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Améliorer les logiciels de lecture orale de l'écrit. Créer des écrans tactiles qui affichent le texte en braille et développer des logiciels de traduction automatique et d'affichage sur écran braille (sous l'égide d'une fondation internationale subventionnée par les gouvernements, l'Unesco, etc., et qui lèverait des fonds auprès des entreprises intéressées).
= Comment définissez-vous le cyberespace?
La réplique virtuelle et très imparfaite du monde des relations humaines, sociales, commerciales et politiques. En privant partiellement les utilisateurs de la matérialité du monde (spatiale, temporelle, corporelle), le cyberespace permet de nombreuses interactions instantanées et multi-locales. A noter que les êtres humains se montrent aussi stupides ou intelligents, malveillants ou dévoués dans le cyberespace que dans l'espace réel…
= Et la société de l'information?
Une grande mise en scène (mondialisée) qui fait prendre les vessies pour des lanternes. En l'occurrence, les gouvernants de toutes sortes, notamment sous le nom de "marché", diffusent de plus en plus de prescriptions contraignantes (notamment commerciales, politiques et morales) qu'ils réussissent, un peu grâce aux merveilles technologiques, à faire passer pour des libertés. Notons que "cybernétique" et "gouvernement" ont la même racine grecque…
JEAN-BAPTISTE REY (Aquitaine)
#Webmestre et rédacteur de Biblio On Line, un site web destiné aux bibliothèques
*Entretien du 8 juin 1998
= Quel est l'historique de Biblio On Line?
Le site dans sa première version a été lancé en juin 1996. Une nouvelle version (l'actuelle) a été mise en place à partir du mois de septembre 1997. Le but de ce site est d'aider les bibliothèques à intégrer internet dans leur fonctionnement et dans les services qu'elles offrent à leur public. Le service est décomposé en deux parties:
1) une partie "professionnelle" où les bibliothécaires peuvent retrouver des informations professionnelles et des liens vers les organismes, les institutions et les projets et réalisations ayant trait à leur activité,
2) une partie comprenant annuaire, mode d'emploi de l'internet, villes et provinces, etc… permet au public des bibliothèques d'utiliser le service Biblio On Line comme un point d'entrée vers internet.
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Personnellement internet a complètement modifié ma vie professionnelle puisque je suis devenu webmestre d'un site internet et responsable du secteur nouvelles technologies d'une entreprise informatique parisienne (QuickSoft Ingénierie). Il semble que l'essort d'internet en France commence (enfin) et que les demandes tant en matière d'informations, de formations que de réalisations soient en grande augmentation.
PHILIPPE RIVIERE (Paris)
#Rédacteur au Monde diplomatique et responsable du site web
Le site du Monde diplomatique permet l'accès à l'ensemble des articles de la revue depuis 1998, par date, sujet et pays. L'intégralité du mensuel en cours est consultable gratuitement pendant les deux semaines suivant sa parution. Un forum permanent de discussions en ligne lui permet d'échanger avec ses lecteurs.
*Entretien du 17 juin 1998
= Quel est l'historique de votre site web?
Monté dans le cadre d'un projet expérimental avec l'INA (Institut national de l'audiovisuel), début 1995, le site était le premier site d'un journal français. Depuis il a bien grandi, autour des mêmes services de base: archives et annonce de sommaire.
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
Grâce à internet, le travail journalistique s'enrichit de sources faciles d'accès, aisément disponibles. Le travail éditorial est facilité par l'échange de courriers électroniques; par contre, une charge de travail supplémentaire due aux messages reçus commence à peser fortement.
*Entretien du 26 juillet 1999
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
Notre site a bien grandi depuis, autour des mêmes services de base: archives et annonce de sommaire. Des services complémentaires viennent s'y ajouter: bases documentaires comprenant des textes de référence (cas du cahier Irak), dossiers d'actualité permettant au journal d'intervenir en dehors de son cadre mensuel, etc.
BLAISE ROSNAY (Paris)
#Webmestre du site du Club des poètes
Fondé il y a quarante ans par Jean-Pierre Rosnay, le père de Blaise Rosnay, le Club des Poètes propose une découverte de la poésie de tous les temps et de tous les pays depuis les origines jusqu'à aujourd'hui.
*Entretien du 8 juin 1998
= Quel est l'historique de votre site web?
Le site du Club des Poètes a été créé en 1996, il s'est enrichi de nombreuses rubriques au cours des années et il est mis à jour deux fois par semaine.
= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?
L'internet nous permet de communiquer rapidement avec les poètes du monde entier, de nous transmettre des articles et poèmes pour notre revue, ainsi que de garder un contact constant avec les adhérents de notre association. Par ailleurs, nous avons organisé des travaux en commun, en particulier dans le domaine de la traduction.
= Quels sont vos projets?
Nos projets pour notre site sont d'y mettre encore et toujours plus de poésie. Ajouter encore des enregistrements sonores de poésie dite ainsi que des vidéos de spectacles.
*Entretien du 16 janvier 2000
= En quoi consiste exactement votre activité sur l'internet?
Je mets en page des poèmes, je modère modérément le forum des poètes, j'anime une rubrique d'actualité poétique ("Etat d'urgence poésie"), je rédige des notes de lecture sur les sites poétiques de l'internet francophone, et je dialogue avec les internautes curieux de poésie. Le site du Club des Poètes est mis à jour deux fois par semaine au moins.
= Quelles sont vos nouvelles réalisations et vos nouveaux projets?
Nous sommes en train de réaliser une version animée (utilisant la technologie
Flash) de la rubrique "La poésie et l'enfant".
Dès que nous aurons un peu plus de moyens, nous nous connecterons par le câble au Club des Poètes et nous retransmettrons nos spectacles à l'aide d'une webcam.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
La diffusion de la culture doit être facilitée sur l'internet. Les éditeurs et les pouvoirs publics doivent encourager tous les projets réalisés par des passionnés de tel ou tel auteur qui partagent leur passion avec les autres sur internet sans en faire profit.
Exemple: il serait absurde qu'un jeune homme qui aime Le Petit Prince de Saint-Exupéry ne soit pas encouragé à partager son amour et à l'illustrer par quelques extraits de cette oeuvre qui, soit dit en passant, est un beau plaidoyer pour le coeur contre les raisons de l'argent. En résumé, il me semble que l'internet peut encore devenir un moyen de partage de la culture et de la beauté à condition que la culture et la beauté ne soient pas considérées comme des biens de consommation. C'est la moindre des choses, car, justement, la poésie et la beauté véhiculent d'autres valeurs morales et spirituelles.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Dans la mesure où la culture française, y compris contemporaine, pourra être diffusée sans obstacles, la langue française aura la possibilité de rester vivante sur le réseau. Ses oeuvres, liées au génie de notre langue, susciteront nécessairement de l'intérêt puisqu'elles sont en prise avec l'évolution actuelle de l'esprit humain. Dans la mesure où il y aura une volonté d'utiliser l'internet comme moyen de partage de la connaissance, de la beauté, de la culture, toutes les langues, chacune avec leur génie propre, y auront leur place. Mais si l'internet, comme cela semble être le cas, abandonne ces promesses pour devenir un lieu unique de transactions commerciales, la seule langue qui y sera finalement parlée sera une sorte de jargon dénaturant la belle langue anglaise, je veux dire un anglais amoindri à l'usage des relations uniquement commerciales.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
D'innombrables rencontres avec des poètes du monde entier que nous avons découverts sur internet et qui sont venus nous rendre visite au Club des Poètes. D'innombrables messages de soutien et d'encouragement.
= Et votre pire souvenir?
Le constat que, faute d'une volonté politique de partage culturel, les initiatives les plus belles sont le plus souvent découragées par la logique marchande et que l'internet risque de se transformer peu à peu en vitrine de supermarché.
*Entretien du 9 novembre 2000
= Utilisez-vous encore des documents papier?
Le moins possible: en fait nous apprenons les poèmes par coeur et ce que nous aimons le mieux, c'est de transmettre la poésie dans sa tradition orale. Mais en vérité l'internet aussi nous paraît un peu vieillot. C'est d'un coeur à l'autre, en passant par les lèvres et l'oreille, que la poésie se propage à la vitesse de la pensée.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Cela n'a qu'une importance relative. On imprime beaucoup de bêtises sur du papier et le paysage de l'internet commence aussi à se dégrader sérieusement. Les marchands de papier (lisez "éditeurs") laisseront-ils place au marchands d'électrons par internet interposé (lisez "producteurs de contenus sur internet" (sic))? Peu nous importe. La poésie poursuit son voyage pour l'éternité.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Je n'ai aucun sentiment pour les machines. Elles ne sont même pas douces à
caresser.
Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?
L'usage de la voix bien sûr. Notre site propose bien sûr de nombreux poèmes dits et chantés à écouter.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Une toile irisée où se reflètent nos désirs insensés.
= Et la société de l'information?
Une société de plus en plus mal fréquentée. Quand donc les humains associés apprendront-ils à converger vers la beauté?
*Entretien du 3 mai 2001
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Dans le cadre des nouveautés, nous avons créé cette année Poésie vive qui nous permet d'offrir un espace aux internautes-poètes qui nous intéressent.
Cela complète gracieusement Poésie.net dont la vocation est davantage de présenter un très large panorama des grandes voix de la poésie de tous les pays et de tous les temps.
Nous allons créer (il sera en ligne la semaine prochaine, à savoir le 8 mai 2001, je pense) "Nouvailes, le site des nouvelles qui vous donnent des ailes", qui offrira tous les jours une bonne nouvelle (une nouvaile!) à ses visiteurs, ce qui les changera des informations télévisées, radiodiffusées, et maintenant internétisées, qui sont bien faites pour briser le moral des plus résistants des coeurs sensibles.
Nous allons en profiter pour redonner aussi un coup de jeune à "Ulysse, chercheur de connaissances", un beau site de partage de la culture, répertoire des plus belles ressources culturelles sur l'internet.
Voilà. En d'autres termes, nous travaillons toujours ardemment à donner un peu d'âme au monde virtuel aussi bien que réel.
JEAN-PAUL ROUSSET SAINT AUGUSTE (Paris)
#Journaliste spécialisé dans l'histoire des techniques
*Entretien du 28 mai 2001
= Pouvez-vous vous présenter?
J'ai une formation d'historien. Je suis de très près et depuis longtemps le développement de la micro-informatique. J'exerce plusieurs activités, dont certaines sont liées aux produits high-tech (PDA, e-books).
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Commercialisation de produits techniques (mon principal employeur distribue des produits culturels et techniques). Et aussi journalisme.
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
Usage privé, et usage comme outil professionnel (utilisation intensive de l'e-mail, et des ressources documentaires du web ou des newsgroups).
= Comment voyez-vous l'avenir?
J'espère un internet toujours plus ouvert et dense en informations, où le principe d'échange et de gratuité prévaut. Ce modèle a de grandes chances de perdurer, sans pour autant être le modèle dominant. Un sub-internet pourrait bien s'instaurer, né des communautés virtuelles très attachées aux principes sus-cités.
= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?
Oui. Il a encore de longs jours devant lui.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Intéressant, mais la route sera longue: la technologie utilisée ne peut pas autoriser une diffusion de masse aujourd'hui. Parier à long terme sur l'avenir de ces produits ne fait pas courir beaucoup de risque. Mais les produits qui enterreront le livre-papier ne sont pas nés (et pas même conçus, juste rêvés).
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
Toutes les publications du web ne valent pas forcément des droits d'auteur! Plus sérieusement, dès lors qu'une publication est diffusée aussi bien sur le web que d'autres médias, ou bien qu'elle relève de principes comparables à une publication papier, je ne vois pas de raison de distinguer les deux (un article commandé pour publication sur le web doit être soumis aux mêmes règles de rémunération qu'une publication papier).
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Un lieu d'échange particulièrement vaste.
= Et la société de l'information?
Un mythe.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Dans un newsgroup, la rencontre d'un Japonais qui devait venir en France, et qui préparait son voyage. Après quelques échanges de messages, j'ai appris qu'il allait être hébergé chez une de ses connaissances… à 200 mètres de chez moi.
= Et votre pire souvenir?
Ma boîte à e-mails inondée de messages de pubs (argent, voyance, sexe…) après un simple passage sur un forum de discussions… sur le Mac.
BRUNO DE SA MOREIRA (Paris)
#Co-fondateur des éditions 00h00.com, spécialisées dans l'édition numérique
Créées par Jean-Pierre Arbon, ancien directeur de Flammarion, et Bruno de Sa Moreira, ancien directeur de Flammarion Multimédia, les éditions 00h00.com (prononcer: zéro heure) débutent leur activité le 18 mai 1998. "La création de 00h00.com marque la véritable naissance de l'édition en ligne. C'est en effet la première fois au monde que la publication sur internet de textes au format numérique est envisagée dans le contexte d'un site commercial, et qu'une entreprise propose aux acteurs traditionnels de l'édition (auteurs et éditeurs) d'ouvrir avec elle sur le réseau une nouvelle fenêtre d'exploitation des droits. Les textes offerts par 00h00.com sont soit des inédits, soit des textes du domaine public, soit des textes sous copyright dont les droits en ligne ont fait l'objet d'un accord avec leurs ayants-droit." (extrait du site web)
*Entretien du 31 juillet 1998
= Quel est l'historique de votre site web?
Le site a ouvert le 18 mai dernier, la gestation du projet: brainstorming, faisabilité, création de la société et montage financier, développement technique du site et informatique éditoriale, mise au point et production des textes et préparation du catalogue à l'ouverture a duré un an. Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Radicalement, puisqu'aujourd'hui mon activité professionnelle est 100% basée sur internet. Le changement ne s'est pas fait radicalement, lui, mais progressivement (audiovisuel, puis multimédia, puis internet).
= Comment voyez-vous l'avenir?
Difficile de répondre, il s'agit du présent, nous faisons un pari, mais cela me semble un média capable d'une très large popularisation, sans doute grâce à des terminaux plus faciles d'accès que le seul micro-ordinateur.
[NDLR: Les 600 titres du catalogue - inédits ou rééditions électroniques d'ouvrages publiés par des éditeurs français - sont disponibles sous la forme d'un exemplaire numérique et d'un exemplaire papier. Les exemplaires numériques représentent 85% des ventes. Les collections sont très diverses: 2003 (nouvelles écritures), actualité et société, communication et NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), poésie, policiers, science-fiction, etc. Pas de stock, pas de contrainte physique de distribution, mais un lien direct avec le lecteur et entre les lecteurs. Sur le site, les cybernautes/lecteurs peuvent créer leur espace personnel afin d'y rédiger leurs commentaires, recommander des liens vers d'autres sites, participer à des forums, etc. "Internet est un lieu sans passé, où ce que l'on fait ne s'évalue pas par rapport à une tradition, lit-on sur le site. Il y faut inventer de nouvelles manières de faire les choses. (…) Le succès de l'édition en ligne ne dépendra pas seulement des choix éditoriaux: il dépendra aussi de la capacité à structurer des approches neuves, fondées sur les lecteurs autant que sur les textes, sur les lectures autant que sur l'écriture, et à rendre immédiatement perceptible qu'une aventure nouvelle a commencé."]
*Entretien du 18 janvier 2000
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Nous allons développer notre outil d'édition en ligne pour permettre d'étendre nos activités: produire et distribuer nos oeuvres dans plusieurs formats (avec le PDF, systématiser l'offre au format Rocket eBook, au format Palm Pilot, au futur format Microsoft Reader, etc.), ainsi que développer une offre éditoriale en ligne en plusieurs langues (à commencer par l'anglais). [fin]
[NDLR: Le 15 septembre 2000, 00h00.com est racheté par Gemstar, société américaine leader dans le domaine des technologies et systèmes interactifs pour les produits numériques. Gemstar s'était engagé sur le nouveau marché de l'édition numérique dès janvier 2000 en acquérant NuvoMedia et Softbook Press, les deux sociétés américaines à l'origine des premiers modèles de livres électroniques (e-books), respectivement le Rocket eBook et le Softbook Reader. Selon Henry Yuen, président de Gemstar, cité par l'AFP, "les compétences éditoriales dont dispose 00h00.com et les capacités d'innovation et de créativité dont elle a fait preuve sont les atouts nécessaires pour faire de Gemstar un acteur majeur du nouvel âge de l'édition numérique qui s'ouvre en Europe". 00h00 est maintenant un partenaire déterminant dans le développement sur le marché de l'édition française et européenne des nouveaux modèles de livres électroniques, produits et commercialisés par Thomson Multimédia, sous licence de Gemstar.]
PIERRE SCHWEITZER (Strasbourg)
#Architecte designer, concepteur d'@folio (support de lecture nomade) et de
Mot@mot (passerelle vers les bibliothèques numériques)
*Entretien du 21 janvier 2001
= Pouvez-vous décrire @folio?
@folio est un support de lecture nomade. J'hésite à parler de livre électronique, car le mot "livre" désigne aussi bien le contenu éditorial (quand on dit qu'untel a écrit un livre) que l'objet en papier, génial, qui permet sa diffusion.
La lecture est une activité intime et itinérante par nature. @folio est un baladeur de textes, simple, léger, autonome, que le lecteur remplit selon ses désirs à partir du web, pour aller lire n'importe où. Il peut aussi y imprimer des documents personnels ou professionnels provenant d'un CD-Rom. Les textes sont mémorisés en faisant: "imprimer", mais c'est beaucoup plus rapide qu'une imprimante, ça ne consomme ni encre ni papier. Les liens hypertextes sont maintenus au niveau d'une reliure tactile.
Le projet est né à l'atelier Design de l'Ecole d'architecture de Strasbourg où j'étais étudiant. Il est développé à l'Ecole nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg avec le soutien de l'Anvar-Alsace.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Mon projet de design est à l'origine du concept, en 1996. Aujourd'hui, je participe avec d'autres à sa formalisation, les prototypes, design, logiciels, industrialisation, environnement technique et culturel, etc., pour transformer ce concept en un objet grand public pertinent.
Nous développons aussi Mot@mot, une passerelle entre @folio et les fonds numérisés en mode image, chez les éditeurs numériques ou dans les bibliothèques numériques, comme Gallica à la Bibliothèque nationale de France (35.000 ouvrages en ligne).
= Pouvez-vous présenter Mot@mot?
La plus grande partie du patrimoine écrit existant est fixé dans des livres, sur du papier. Pour rendre ces oeuvres accessibles sur la toile, la numérisation en mode image est un moyen très efficace. Le projet Gallica en est la preuve. Mais il reste le problème de l'adaptation des fac-similés d'origine à nos écrans de lecture aujourd'hui: réduits brutalement à la taille d'un écran, les fac-similés deviennent illisibles. Sauf à manipuler les barres d'ascenseur, ce qui nécessite un ordinateur et ne permet pas une lecture confortable.
La solution proposée par Mot@mot consiste à découper le livre, mot à mot, du début à la fin (enfin, les pages scannées du livre…). Ces mots restent donc des images, il n'y a pas de reconnaissance de caractères, donc pas d'erreur possible. On obtient une chaîne d'images-mots liquide, qu'on peut remettre en page aussi facilement qu'une chaîne de caractères. Il devient alors possible de l'adapter à un écran de taille modeste, sans rien perdre de la lisibilité du texte. La typographie d'origine est conservée, les illustrations aussi.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Internet pose une foule de questions et il faudra des années pour organiser des réponses, imaginer des solutions. L'état d'excitation et les soubresauts autour de la dite "nouvelle" économie sont sans importance, c'est l'époque qui est passionnante.
= Il existe deux modes de numérisation des textes: le mode image et le mode caractère. Lequel préconisez-vous?
Le mode image permet d'avancer vite et à très faible coût. C'est important car la tâche de numérisation du domaine public est immense. Il faut tenir compte aussi des différentes éditions: la numérisation du patrimoine a pour but de faciliter l'accès aux oeuvres, il serait paradoxal qu'elle aboutisse à focaliser sur une édition et à abandonner l'accès aux autres.
Chacun des deux modes de numérisation s'applique de préférence à un type de document, ancien et fragile ou plus récent, libre de droit ou non (pour l'auteur ou pour l'édition), abondamment illustré ou pas. Les deux modes ont aussi des statuts assez différents: en mode texte, ça peut être une nouvelle édition d'une oeuvre; en mode image, c'est une sorte d' "édition d'édition", grâce à un de ses exemplaires (qui fonctionne alors comme une fonte d'imprimerie pour du papier: une trace optique sur un support, numérique, c'est assez joli à réaliser).
En pratique, le choix dépend bien sûr de la nature du fonds à numériser, des moyens et des buts à atteindre. Difficile de se passer d'une des deux façons de faire. Mot@mot essaie de rendre le dilemme moins crucial.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Oui, encore trop. J'ai renoncé au papier de mon agenda depuis le début de l'année… Ça ne se passe pas trop mal. L'organiseur de poche est un substitut du papier pour ce qu'il y a de plus primitif dans l'écriture: tenir des listes. Efficace. Jack Goody m'a fait voir ça cet été dans La raison graphique (éditions de Minuit, 1978, ndlr), un bouquin écrit à la fin des années 70!
Et puis j'aime bien emprunter mes livres en bibliothèque. Ça consomme aussi moins de papier! J'y lis volontiers mes livres: les salles de lecture, leur silence, leur lumière sont des havres de sérénité dans la fureur des villes.
Avec le web et internet, le pronostic sur la consommation de papier est incertain. D'un côté, la logique du réseau et la dématérialisation des supports, e-mail, documents à jour exclusivement en ligne, leur accessibilité à distance, le déclin de la paperasse, etc. Mais d'un autre côté, il y a le besoin trivial d'imprimer pour lire. Parce que la lecture s'accomode assez mal du nez collé sur un tube cathodique.
Avec ou sans papier, l'évolution de la lecture est une chose remarquable avec internet. Même les radios et les télés qui s'installent sur le web donnent des contenus à lire et des espaces pour écrire. L'air de rien, c'est une sacrée innovation.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Fabriquer une encyclopédie nécessitait, il y a peu, des dizaines de kilos de papier, des kilos d'encre. Aujourd'hui, ça tient sur une galette optique de 15 grammes et coûte environ 10 fois moins cher que l'"ancien modèle" en papier.
Un stick de mémoire flash (pour la photo numérique, du MP3 ou @folio) pèse 2 grammes et contient aujourd'hui jusqu'à 120 millions de caractères, l'équivalent de 5 volumes Petit Robert, soit 10 kilos de papier environ… et contrairement au papier, le stick est réinscriptible à l'infini, c'est mieux qu'un palimpseste ;-)
Mais il y a plus de papier dans le secteur de l'emballage que dans celui de l'édition (journaux, livres) et le développement du e-commerce ne réduira pas les besoins d'emballage. L'atelier Design de l'Ecole d'architecture de Strasbourg a produit l'an dernier un superbe projet de mobilier urbain, un totem à l'échelle du quartier, hors gel, qui fonctionne comme une poste automatique, ouverte 7 jours/7 et 24 heures/24, où l'on vient retirer ses paquets, muni d'un code d'accès envoyé par e-mail.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
C'est un terme un peu obscur pour moi. Mais je déteste encore plus "réalité virtuelle". Bizarre, cette idée de conceptualiser un ailleurs sans pouvoir y mettre les pieds. Evidemment un peu idéalisé, "sans friction", où les choses ont des avantages sans les inconvénients, où les autres ne sont plus des "comme vous", où on prend sans jamais rien donner, "meilleur" - paraît-il. Facile quand on est sûr de ne jamais aller vérifier. C'est la porte ouverte à tous les excès, avec un discours technologique à outrance, déconnecté du réel, mais ça ne prend pas.
Dans la réalité, internet n'est qu'une évolution de nos moyens de communication. Bon nombre d'applications s'apparentent ni plus ni moins à un télégraphe évolué (Morse, 1830): modem, e-mail… Les mots du télégraphe traversaient les océans entre Londres, New-York, Paris et Toyo, bien avant l'invention du téléphone. Bien sûr, la commutation téléphonique a fait quelques progrès: jusqu'à l'hypertexte cliquable sous les doigts, les URL (uniform resource locator) en langage presqu'humain, bientôt accessibles y compris par les systèmes d'écriture non alphabétiques…
Mais notre vrai temps réel, c'est celui des messages au fond de nos poches et de ceux qui se perdent, pas le temps zéro des télécommunications. La segmentation et la redondance des messages, une trouvaille d'internet? Au 19e siècle, quand Reuters envoyait ses nouvelles par pigeon voyageur, il en baguait déjà plusieurs. Nos pages perso? Ce sont des aquariums avec un répondeur, une radio et trois photos plongés dedans. Tout ce joyeux "bazar" est dans nos vies réelles, pas dans le "cyberespace".
= Et la société de l'information?
J'aime bien l'idée que l'information, ce n'est que la forme des messages. La circulation des messages est facilitée, techniquement, et elle s'intensifie. Et désormais, le monde évolue avec ça.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Au tout début, quand vous réalisez le système: le matin, à l'heure où vous vous levez, les derniers messages arrivent de la côte ouest de l'Amérique. Le jour se passe et le soir, quand vous allez vous coucher, ce sont les tous premiers messages qui arrivent des Dragons. C'est comme la lumière autour de la nouvelle lune.
= Et votre pire souvenir?
Je ne l'ai pas gardé comme souvenir.
HENRI SLETTENHAAR (Genève)
#Professeur en technologies de la communication à la Webster University
Henri Slettenhaar est spécialiste des technologies de la communication. En 1958, il rejoint le CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules) pour travailler sur le premier ordinateur numérique, et il participe au développement des premiers réseaux numériques du CERN. Son expérience américaine débute en 1966 quand il rejoint pendant 18 mois une équipe du Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) pour créer un numérisateur de film. De retour au SLAC en 1983, il conçoit un système numérique de contrôle qui sera utilisé pendant dix ans. Depuis près de vingt ans, il est professeur en technologies de l'information à la Webster University de Genève. Il est le directeur du nouveau programme de gestion des télécoms (Telecom Management Program) créé à l'automne 2000. Il est également consultant auprès de nombreux organismes.
En 1992, Henri Slettenhaar crée la Silicon Valley Association (SVA), une association suisse qui organise des voyages d'étude dans des pôles de haute technologie (Silicon Valley, San Francisco, Los Angeles, Finlande, etc.). Outre des visites de sociétés, start-up, universités et centres de recherche, ces voyages comprennent des conférences, présentations et discussions portant sur les nouvelles technologies de l'information (internet, multimédia, télécommunications, etc.), les derniers développements de la recherche et de ses applications, et les méthodes les plus récentes en matière de stratégie commerciale et de création d'entreprise.
*Entretien du 21 décembre 1998 (entretien original en anglais)
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
Je ne peux pas imaginer ma vie professionnelle sans l'internet. Cela fait vingt ans que j'utilise le courrier électronique. Les premières années, c'était le plus souvent pour communiquer avec mes collègues dans un secteur géographique très limité. Depuis l'explosion de l'internet et l'avènement du web, je communique principalement par courrier électronique, mes conférences sont en grande partie sur le web et mes cours ont tous un prolongement sur le web. En ce qui concerne les visites que j'organise dans la Silicon Valley, toutes les informations sont disponibles sur le web, et je ne pourrais pas organiser ces visites sans utiliser l'internet. De plus, l'internet est pour moi une fantastique base de données disponible en quelques clics de souris.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je vais encore renforcer l'utilisation de l'internet dans mes activités professionnelles. En ce qui concerne les langues, je suis enchanté qu'il existe maintenant tant de documents disponibles dans leur langue originale. Je préfère de beaucoup lire l'original avec difficulté plutôt qu'une traduction médiocre.
= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?
Je vois le multilinguisme comme un facteur fondamental. Les communautés locales présentes sur le web devraient en tout premier lieu utiliser leur langue pour diffuser des informations. Si elles veulent également présenter ces informations à la communauté mondiale, celles-ci doient être aussi disponibles en anglais. Je pense qu'il existe un réel besoin de sites bilingues.
*Entretien du 23 août 1999 (entretien original en anglais)
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
C'est un débat important et, comme par le passé, des solutions doivent être trouvées dans les nouvelles technologies.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
A mon avis, il existe deux catégories sur le web. La première est la recherche globale dans le domaine des affaires et de l'information. Pour cela, la langue est d'abord l'anglais, avec des versions locales si nécessaire. La seconde, ce sont les informations locales de tous ordres dans les endroits les plus reculés. Si l'information est à destination d'une ethnie ou d'un groupe linguistique, elle doit d'abord être dans la langue de l'ethnie ou du groupe, avec peut-être un résumé en anglais. Nous avons vu récemment l'importance que pouvaient prendre ces sites locaux, par exemple au Kosovo ou en Turquie, pour n'évoquer que les événements les plus récents. Les gens ont pu obtenir des informations sur leurs proches grâce à ces sites.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
La vision d'images venant directement de l'espace, et particulièrement de
Jupiter.
= Et votre pire souvenir?
La surcharge d'information. Je suis submergé par toutes ces informations et je ne dispose pas encore des outils qui me permettraient de ne trouver que ce que je cherche.
*Entretien du 30 août 2000 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
L'explosion de la technologie du mobile. Le téléphone mobile est devenu pour beaucoup de gens, moi y compris, le moyen de communication personnel vous permettant d'être joignable à tout moment où que vous soyiez. Toutefois l'internet mobile est encore du domaine du rêve. Comme expliqué dans un article sur la téléphonie mobile en Finlande, les nouveaux services offerts par les téléphones GSM sont extrêmement primitifs et très chers, si bien que le Wap a reçu le sobriquet de "Wait And Pay".
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le web?
Le multilinguisme s'est beaucoup développé. De nombreux sites de commerce électronique sont maintenant multilingues, et il existe maintenant des sociétés qui vendent des produits permettant la localisation des sites (adaptation des sites aux marchés nationaux, ndlr).
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
J'ai difficulté à croire que les gens sont prêts à lire sur un écran. En ce qui me concerne, je préfère de beaucoup toucher et lire un vrai livre.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Le cyberespace est notre espace virtuel, à savoir l'espace de l'information numérique (constitué de bits, et non d'atomes). Si on considère son spectre, il s'agit d'un espace limité. Il doit être géré de telle façon que tous les habitants de la planète puissent l'utiliser et en bénéficier. Il faut donc éliminer la fracture numérique.
= Et la société de l'information?
La société de l'information est l'ensemble des personnes utilisant quotidiennement le cyberespace de manière intensive et qui n'envisageraient pas de vivre sans cela, à savoir les nantis, ceux qui sont du bon côté de la fracture numérique.
*Entretien du 8 juillet 2001 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Ce qui me vient à l'esprit est le changement considérable apporté par le fait que j'ai maintenant une connexion à débit rapide chez moi. Le fait d'être constamment connecté est totalement différent du fait de se connecter de temps à autre par la ligne téléphonique.
Je reçois maintenant mes messages dès leur arrivée dans ma messagerie. Je peux écouter mes stations radio préférées où qu'elles soient. Je peux écouter les actualités quand je veux. Et aussi écouter la musique que j'aime à longueur de journée.
Aujourd'hui par exemple j'ai suivi les commentaires et le score du championnat de tennis de Wimbledon en temps réel. La seule chose qui manque est une vidéo de bonne qualité en temps réel. La largeur de bande est encore insuffisante pour cela.
Mon domicile est maintenant équipé d'un réseau local avec et sans fil. Je peux utiliser mon ordinateur portable partout à l'intérieur et à l'extérieur de la maison, et même chez les voisins, tout en restant connecté. La même technologie me permet maintenant d'utiliser la carte de réseau local sans fil de mon ordinateur quand je voyage. Par exemple, lors de mon dernier voyage à Stockholm, je pouvais être connecté à l'hôtel, au centre de conférences, à l'aéroport et même au pub irlandais!
MURRAY SUID (Palo Alto, Californie)
#Ecrivain, travaille pour EDVantage Software, une société internet de logiciels éducatifs
Murray Suid vit à Palo Alto (Californie), une ville située au coeur de la
Silicon Valley. Il est l'auteur de livres pédagogiques (par exemple Ten-Minute
Grammar Grabbers), de livres pour enfants (par exemple The Kids' How to Do
Almost Everything Guide), de réalisations multimédia (par exemple The Writing
Trek) et de scénarios (par exemple Summer of the Flying Saucer - produit par la
société irlandaise Magma Films en 2001).
*Entretien du 7 septembre 1998 (entretien original en anglais)
= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?
L'internet est devenu mon principal instrument de recherche, et il a largement - mais pas complètement - remplacé la bibliothèque traditionnelle et la communication de personne à personne pour une recherche précise. A l'heure actuelle, au lieu de téléphoner ou d'aller interviewer les gens sur rendez-vous, je le fais par courrier électronique. Du fait de la rapidité inhérente à la messagerie électronique, j'ai pu collaborer à distance avec des gens, particulièrement pour des scénarios. J'ai par exemple travaillé avec deux producteurs allemands.
Cette correspondance est également facile à conserver et à organiser, et je peux donc aisément accéder à l'information échangée de cette façon. De plus, le fait d'utiliser le courrier électronique permet aussi de garder une trace des idées et des références documentaires. Ce type de courrier fonctionnant bien mieux que le courrier classique, l'internet m'a permis de beaucoup augmenter ma correspondance. De même le rayon géographique de mes correspondants s'est beaucoup étendu, surtout vers l'Europe. Auparavant, j'écrivais rarement à des correspondants situés hors des Etats-Unis. C'est également beaucoup plus facile, je prends nettement plus de temps qu'avant pour aider d'autres écrivains dans une sorte de groupe de travail virtuel. Ce n'est pas seulement une attitude altruiste, j'apprends beaucoup de ces échanges qui, avant l'internet, me demandaient beaucoup plus d'efforts.
= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?
Tout d'abord, l'internet est au service de l'imprimé. Je n'aurais jamais pu préparer mon dernier livre publié, The Kids' How to Do (Almost) Everything Guide, sans utiliser le courrier électronique parce que cela m'aurait coûté trop de temps et d'argent pour localiser les experts. L'internet est un outil de recherche majeur pour les auteurs de livres, d'articles, etc.
De même, à notre époque qui bouge si vite, de nombreuses données ne restent pas valables longtemps, si bien que le contenu des livres devient vite obsolète. Mais un livre peut avoir un prolongement sur le web - et donc vivre en partie dans le cyberespace. L'auteur peut ainsi aisément l'actualiser et le corriger, alors qu'auparavant il devait attendre longtemps jusqu'à l'édition suivante, quand il y en avait une.
En termes de marketing, le web devient également indispensable, particulièrement pour les petits éditeurs qui ne peuvent se permettre de publicité dans les principaux magazines ou émissions de radio. Bien que les grandes maisons d'édition aient toujours l'avantage, grâce au cyberespace les petits éditeurs peuvent mettre en place une stragégie de marketing efficace.
Les livres sur support papier seront encore disponibles pendant quelque temps, parce que nous avons l'habitude de ce support. De nombreux lecteurs aiment le toucher du papier, et le poids du livre dans les mains ou dans un sac. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'utiliser un livre numérique, mais j'aimerais faire cette expérience, à cause de la facilité de recherche, des possibilités de couleur et de son envisagées à l'avenir, etc. De toute évidence les livres multimédia peuvent être facilement téléchargés à partir du web et, même si ce n'est pas encore le cas, de tels livres domineront à l'avenir le marché de l'édition.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je ne sais pas très bien, parce que ne suis pas très au fait des aspects techniques de l'internet. J'aimerais avoir directement accès à des oeuvres numériques de la Library of Congress, par exemple, de la même façon que les archives de journaux, que je lis maintenant en ligne. Pour le moment, je trouve bien des livres en ligne (en mode image, ndlr), mais j'ai besoin d'avoir une version imprimée pour les utiliser. Je préférerais avoir accès en ligne à une version en mode texte et copier les parties dont j'ai besoin pour mon travail, au lieu d'avoir à photocopier ou scanner les pages qui m'intéressent.
J'espère que l'internet proposera bientôt la téléphonie avec vidéo, ce serait un progrès vraiment appréciable.
Je ne sais pas si je publierai des livres sur le web, au lieu de les publier en version imprimée. J'utiliserai peut-être ce nouveau support si les livres deviennent multimédias. Pour le moment je participe au développement de matériel pédagogique multimédia. C'est un nouveau type de matériel qui me plaît beaucoup et qui permet l'interactivité entre des textes, des films, des documents audio et des graphiques tous reliés les uns aux autres.
*Entretien du 3 août 1999 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre entretien de 1998?
En plus des livres complétés par un site web, je suis en train d'adopter la même formule pour mes oeuvres multimédia - qui sont sur CD-Rom - afin de les réactualiser et d'enrichir leur contenu.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Je pense que la solution est de créer des unités d'information ne pouvant être volées. En d'autres termes, l'oeuvre qui est vendue doit avoir plus de valeur que sa copie. Par exemple, il est pour le moment plus facile et meilleur marché d'acheter un de mes livres que de le photocopier dans son intégralité. J'essaie donc de concevoir mes livres de telle façon que toutes les pages aient leur utilité, et non seulement quelques-unes.
J'aimerais vendre mes livres en ligne - au format PDF - mais je n'ai pas encore étudié la manière d'empêcher les acheteurs de redistribuer les fichiers. Ceci est peut-être possible par le cryptage. Mais je ne connais pas cette technique.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
La rencontre avec des experts et des auteurs qui ont participé à mes projets de publications.
= Et votre pire souvenir?
Avoir été insulté par une personne que je ne connaissais pas, et qui avait très mauvaise opinion de moi alors qu'elle ne savait absolument rien à mon sujet.
*Entretien du 11 octobre 2000 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre entretien de 1999?
EDVantage Software, notre société, est maintenant une société internet et non plus une société multimédia (CD-Rom). Nous procurons du matériel pédagogique en ligne aux étudiants et aux professeurs.
= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?
Non, nous utilisons très peu de papier. Nous faisons cependant quelques impressions, surtout pour les réunions au cours desquelles nous discutons des manuscrits.
= Pensez-vous que le papier sera encore utilisé à l'avenir?
J'espère que non.
= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?
Je n'ai pas encore eu l'occasion d'en utiliser un.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Il est n'importe où, c'est-à-dire partout. L'exemple le plus simple est ma boîte aux lettres électronique, qui me suit où que j'aille.
= Et la société de l'information?
Une société dans laquelle les idées et le savoir sont plus importants que les objets.
JUNE THOMPSON (Hull, Royaume-Uni)
#Directeur du C&IT (Communications & Information Technology) Centre, basé à l'Université de Hull
Depuis ses débuts en 1989, le C&IT Centre fait partie de l'Institut des langues de l'Université d'Hull (Royaume-Uni), et vise à promouvoir l'utilisation des ordinateurs dans l'apprentissage et l'enseignement des langues. Le Centre donne des informations sur la manière dont l'apprentissage des langues assisté par ordinateur peut être effectivement intégré à des cours existants en offrant un soutien aux professeurs qui utilisent l'informatique dans l'enseignement qu'ils dispensent (par exemple dans la rubrique: Internet Resources for Language Teachers and Learners).
Hébergé par le C&IT Centre, EUROCALL (European Association for Computer Assisted Language Learning) regroupe des professeurs de langues exerçant en Europe et dans le monde entier. L'association a pour but de promouvoir l'utilisation des langues étrangères en Europe, l'utilisation de la technologie pour l'apprentissage des langues à l'échelon européen, et l'élaboration et la diffusion d'un matériel de qualité. Un congrès annuel fait le point sur les recherches et les applications dans ce domaine.
EUROCALL a contribué à la création de WELL (Web Enhanced Language Learning). Destiné à l'enseignement supérieur au Royaume-Uni, ce programme vise à développer l'utilisation du web pour l'apprentissage des langues et à sensibiliser les professeurs sur les possibilités offertes par le web et les nouvelles technologies. Le site permet l'accès à des ressources web de qualité dans douze langues différentes. Sélectionnées et décrites par des experts, ces ressources sont complétées par des informations et des exemples sur la manière de les utiliser pour l'enseignement ou l'apprentissage d'une langue.
*Entretien du 14 décembre 1998 (entretien original en anglais)
= Quel a été l'apport de l'internet dans votre activité?
L'utilisation de l'internet a apporté une nouvelle dimension à notre tâche, qui consiste à aider les professeurs de langue à utiliser les nouvelles technologies dans ce domaine.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?
Avec l'internet, on a la possibilité de davantage utiliser les langues étrangères, aussi notre organisation ne soutient absolument pas la suprématie de l'anglais en tant que langue de l'internet. A ce sujet, une intéressante conférence a été donnée par Madanmohan Rao à la Conférence WorldCALL de Melbourne en juillet 1998.
A mon avis, dans un avenir proche, l'utilisation de l'internet pour les langues va continuer à se développer en même temps que d'autres supports (par exemple l'utilisation de CD-Rom - certains établissements n'ont pas suffisamment de matériel informatique en réseau), dans le cadre d'activités à caractère pédagogique. Dans cette optique, notre organisme travaille étroitement avec le projet WELL (Web Enhanced Language Learning).
JACQUES TRAHAND (Grenoble)
#Vice-président de l'Université Pierre Mendès France, chargé de l'enseignement à distance et des TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation)
*Entretien du 17 décembre 1999
= Pouvez-vous présenter le site web de votre université?
Ce site a été restructuré depuis 1996 pour éviter une trop grande hétérogénéité des présentations des différentes unités et équipes de notre université. Il vise entre autres à donner une meilleure information aux étudiants français et étrangers qui envisagent de venir étudier dans notre université.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je suis vice-président chargé de l'enseignement à distance et des technologies de l'information et de la communication pour l'éducation. A ce titre je supervise le déploiement des technologies permettant d'améliorer les services aux étudiants (et donc aux enseignants, aux personnels administratifs et à tous les acteurs et partenaires).
= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?
Internet est un nouveau type de ressource utilisable pour chercher, produire et stocker des connaissances, à ce titre les activités de formation et de recherche ne peuvent l'ignorer. Ce nouveau média modifie les contraintes liées à l'espace (présentiel versus distant) et au temps (synchrone versus asynchrone).
= Comment voyez-vous l'avenir?
Il va falloir inventer et organiser les nouveaux métiers de la formation (éditeur, médiateur, tuteur, évaluateur…) et les faire prendre en compte dans les institutions de formation.
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Ces problèmes me semblent voisins de ceux du photocopiage. Il faut développer un code de bons usages et tenter de le faire respecter.
PAUL TREANOR (Pays-Bas)
#Gère sur son site personnel une section consacrée à l'avenir des langues en
Europe
Créé en 1996 par Paul Treanor, ce site web est divisé en six parties: idéologie de l'internet et du cyberespace, géopolitique et nationalisme, avenir de l'Europe, théorie et planification urbaines, libéralisme et éthique, et questions académiques. Certaines pages - dont le contenu prêtant à controverse pourrait donner lieu à des poursuites judiciaires - ne se trouvent que sur le site dupliqué. Ainsi, au cas où celui-ci serait fermé, le premier site se trouverait toujours disponible. Paul Treanor écrit également des articles pour le magazine en ligne allemand Telepolis.
*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)
= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?
Vous parlez du web au singulier. Comme vous l'avez sans doute lu (sur mon site, ndlr), je pense que "le web" est un concept politique, non technologique. Une civilisation est possible avec des ordinateurs très sophistiqués mais pas d'interconnexion. L'idée qu'il devrait exister "un web" est dérivée de la tradition libérale du marché unique ouvert, de préférence mondial.
L'internet devrait être tout simplement découpé en nets multiples, et l'Europe devrait couper ses liens avec les Etats-Unis et construire un autre Net spécifique et incompatible avec le premier. (…) Rappelez-vous qu'il y a quinze ans tout le monde pensait qu'il n'y aurait qu'un émetteur de télévision à l'échelle mondiale, CNN. Or il existe maintenant des chaînes de télévision nationales françaises, allemandes ou espagnoles.
La réponse à votre question est donc que l'entité "un web" sera de toute manière divisée, probablement en quatre parties:
1. un internet propre aux Etats-Unis et au Canada, avec nombre des caractéristiques actuelles;
2. des internets nationaux séparés, avec des liens limités avec l'extérieur;
3. un nouvel internet général pour relier entre eux les nets de la catégorie 2;
4. et peut-être un internet spécifique à l'Union européenne.
Comme vous le voyez, cette structure est parallèle à celle qui existe en géopolitique. Toute l'infrastructure des télécommunications a suivi des modèles similaires. (…)
La politique actuelle de l'Union européenne prétend être neutre, mais en fait elle soutient le développement de l'anglais comme langue de contact pour communiquer.
*Entretien du 25 juillet 1999 (entretien original en anglais)
= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?
La nature de l'internet a profondément changé durant ces deux dernières années. Il n'est désormais plus possible de parler de manière idéaliste de son impact social ou politique: l'internet est devenu entièrement commercial, ce qui était aisément prévisible. Je l'ai toujours décrit comme une structure libérale et comme un marché de l'information. Cette main-mise du commerce est donc logique.
On dit souvent que l'internet s'apparente maintenant à la télévision. Son contenu est certainement déterminé par les forces du marché, et il consiste de plus en plus en un certain nombre de sites très volumineux qui proposent une quantité considérable d'informations. D'une certaine manière ceux-ci ressemblent à des chaînes de télévision, bien que cette métaphore ne soit pas tout à fait exacte.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?
Le multilinguisme futur de l'internet est déterminé par les forces du marché. A présent il n'existe pas de volonté politique d'imposer le multilinguisme. Le fait d'avoir des informations dans plusieurs langues correspond à un intérêt commercial, au moins pour l'Europe. Par contre, pour les différentes langues de l'Afrique, il n'existe pas de potentiel économique.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Je ne me fais aucune illusion sur l'internet. Il ne me vient à l'esprit aucune exception à citer.
= Et votre pire souvenir?
La pire chose que j'aie vue récemment sur l'internet est le fait que des milliers de personnes aient ajouté le logo de la radio B92 de Belgrade sur leur site, sans se poser de questions sur la nature de cette radio ni sur la politique qu'elle représentait. En fait cette radio émettait déjà d'un avion de l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). La campagne menée montre combien il est facile de manipuler le public de ce nouveau médium.
ZINA TUCSNAK (Nancy)
#Ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français)
L'ATILF a développé des programmes de recherche sur la langue française, principalement son vocabulaire. Traitées par des systèmes informatiques spécifiques, les données (lexicales et textuelles) portent sur divers registres du français : langue littéraire (du 14e au 20e siècle), langue courante (écrite et parlée), langue scientifique et technique (terminologies), et régionalismes.
Les bases de données de l'ATILF comprennent notamment: (1) Frantext, un corpus à dominante littéraire constitué de textes français qui s'échelonnent du 16e au 20e siècle. Sur l'intégralité du corpus, il est possible d'effectuer des recherches simples ou complexes (base non catégorisée). Sur un sous-ensemble comportant des oeuvres en prose des 19e et 20e siècles, les recherches peuvent également être effectuées selon des critères syntaxiques (base catégorisée); (2) l'Encylopédie de Diderot et d'Alembert, en collaboration avec l'ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) de l'Université de Chicago. Il s'agit de la version internet de la première édition, à savoir 17 volumes de texte et 11 volumes de planches; (3) Dictionnaires d'autrefois (16e-19e siècles): Dictionnaires de l'Académie française, 1re (1694), 5e (1798), et 6e (1835) éditions, Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne, Thresor de la langue françoyse (versions ancienne et moderne) de Jean Nicot, Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle; (4) le Catalogue critique des ressources textuelles sur internet (CCRTI), un ensemble de sites qui diffusent des ressources textuelles en ligne sur le web, sélectionnés en fonction de leur sérieux sur le plan du traitement éditorial et du traitement numérique des textes; (5) le Dictionnaire de l'Académie française, 8e édition (1932).
*Entretien du 23 octobre 2000
= Pouvez-vous présenter votre organisme?
Je fais partie du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), plus précisément du département des Sciences de l'homme et de la société (SHS). L'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français) participe activement à la valorisation des innovations scientifiques et techniques et au rayonnement de la culture française à l'étranger.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Je suis ingénieure informaticienne. Mon travail s'articule autour de deux axes principaux: gérer des bases textuelles informatisées (Encyclopédie Diderot, Dictionnaires d'autrefois) et assurer l'administration des serveurs de notre laboratoire. Je gère plusieurs sites internet: Encyclopédie Diderot, Dictionnaires d'autrefois, Webcourrier et Ressources informatiques à l'INaLF.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je ne conçois pas l'avenir sans internet. C'est une évolution constante.
= Utilisez-vous encore des documents papier?
Non, pas personnellement. Les dictionnaires électroniques et autres e-books révolutionnent l'accès à la culture. En quelques clics, l'utilisateur peut trouver l'information recherchée.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
L'e-book offre une combinaison d'opportunités: la digitalisation et l'internet. Les éditeurs apportent leur titres à tous les lecteurs du monde. C'est une nouvelle ère de la publication.
= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le web?
Le droit en informatique et en particulier le droit d'auteur sur la toile est une discipline de plus en plus développée et recherchée. Malgré quelques cas qui ont fait jurisprudence, le législateur n'est pas en mesure de solutionner toute la problématique actuelle. L'absence des frontières est un gros handicap.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le web?
C'est un vaste problème. Le meilleur moyen sera l'application d'une loi par laquelle on va attribuer un "quota" à chaque langue. Mais est-ce que ce n'est pas une utopie de demander l'application d'une telle loi dans une société de consommation comme la nôtre?
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Il faudrait fournir des alternatives équivalentes au contenu visuel et auditif: le texte peut être expédié directement à des synthétiseurs vocaux et à des générateurs de braille et peut être représenté sur du papier.La voix synthétique et le braille sont indispensables aux individus non voyants et mal entendants.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Je crois que, dans le cyberespace, l'information et la quantité de l'information sont gouvernées par des lois mathématiques. Mais les modèles mathématiques n'ont pas trouvé encore leur solution, un peu comme le mouvement perpétuel ou la quadrature du cercle.
= Et la société de l'information?
La société de l'information peut être définie comme un milieu dans lequel se développent la culture et la civilisation par l'intermédiaire de l'informatique, qui restera la base et la théorie de cette société.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Mon meilleur souvenir est lié à la mise en oeuvre d'un serveur qui permet la lecture de son courrier depuis n'importe quel ordinateur muni d'une connexion internet. Le principe d'un tel serveur existait déjà, surtout sur des grandes sites américains. Mais rien ne remplace la sensation du devoir accompli.
= Et votre pire souvenir?
Ce sont les CV bidons, publiés sur des pages personnelles. Surtout quand les auteurs s'appropient des réalisations ou des activités qu'ils n'effectuent pas. Mais cela ouvre un débat plus large sur la répression des fraudes sur internet.
FRANCOIS VADROT (Paris)
#Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press), société de cyberpresse
*Entretien du 20 mai 2000
= Pouvez-vous présenter FTPress?
FTPress (French Touch Press) est une société française de cyberpresse. Elle a donné naissance aux sites suivants:
- www.ftpress.com, le site de la société de presse "maîtresse", qui présente le concept, les produits, l'organisation… et les membres de l'équipe, sous forme de portraits très personnels;
- www.internetactu.com, le site d'Internet Actu, consacré à l'actualité d'internet et des nouvelles technologies, créé le 9 septembre 1999 sous cette forme-là (mais successeur de LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu), qui se trouvait au sein de la Délégation aux systèmes d'information (DSI) du CNRS (Centre national de la recherche scientifique));
- www.pixelactu.com, le site de Pixel Actu, consacré à l'actualité de l'image numérique, créé le 31 janvier 2000;
- www.esanteactu.com, le site de eSanté Actu, consacré à l'actualité de la eSanté, à savoir le croisement de la santé (vue par les professionnels du secteur) et d'internet, lancé le 16 mai 2000;
- www.lafontaine.net, le site de Jean de la Fontaine, qui présente l'intégralité de son oeuvre, ainsi que plein de dessins, pastiches, enregistrements, et publie quotidiennement "La fable du jour";
- www.commissairetristan.com, le site des Aventures du Commissaire Tristan, le premier cyberpolar online (gratuit), coproduit par FTPress et AlloCiné, lancé à mi-juin 2000.
Les projets sont nombreux pour les prochains mois.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
En (très) résumé, cela consiste à développer une société, FTPress, spécialisée dans la presse online (enfin pour l'instant, car tout bouge tellement vite que ce pourrait bien ne plus être le cas dans quelques mois). Le concept de FTPress est de réaliser des médias professionnels spécialisés chacun dans un secteur économique: la santé, l'automobile, l'image numérique, les ressources humaines, la logistique, etc. Chaque média traite de l'économie, de la technologie, des aspects politiques et sociaux, d'un secteur modifié par l'arrivée des nouvelles technologies et d'internet. Le premier a été Internet Actu, créé au CNRS en février 1996, suivi de Pixel Actu (février 2000), puis de eSanté Actu (mai 2000). Nous sommes partis de l'écrit, mais nous allons maintenant vers le multimédia, avec prochainement des émissions de télévision. FTPress réalise aussi des médias pour des tiers.
= Comment voyez-vous votre avenir professionnel?
Mon avenir professionnel, je le vois comme un présent professionnel. Si vous m'aviez posé cette question il y a deux ans, je vous aurais répondu qu'à force de travailler avec internet (en tant que directeur aux systèmes d'information du CNRS) et à propos d'internet (en tant que directeur de la publication LMB Actu), je rêvais de créer une entreprise internet. Mais je me demandais alors comment m'y prendre. Si vous me l'aviez posée il y a un an, je vous aurais répondu que j'avais fait le saut, que les dés étaient jetés, et que j'avais annoncé mon départ de l'administration… pour créer FTPress. Je ne pouvais plus supporter de rester où j'étais. Je devenais aigre. C'était créer mon entreprise ou bien… prendre une année sabbatique à ne rien faire. Et aujourd'hui je suis en plein dedans. J'ai l'impression de vivre les histoires que l'on lit dans la presse sur les start-ups. C'est dur à supporter physiquement, tant le développement est rapide. Alors, mon avenir, je le vois à la plage, sans internet, pour me reposer avec ma femme ;-)
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Ces débats sont fondés. Certaines personnes, souvent d'ailleurs celles qui ont le pouvoir donné par une institution d'appartenance, s'assoient sur le droit d'auteur, n'hésitant pas à apposer leur nom sur un texte écrit par un autre. Chez FTPress, nous appliquons grosso modo le principe de la GPL (general public licence, licence publique qui sert de fondement à Linux, ndlr) pour les logiciels libres. Nos textes sont reproductibles gratuitement dans la mesure où ce n'est pas fait dans des fins commerciales, et bien sûr sous réserve que la source soit mentionnée. Quant aux auteurs des dits textes, ils sont rémunérés normalement, avec un statut de journalistes, et également intéressés dans l'entreprise, par le jeu de bons de souscription (alias stock options). Cet intéressement aux résultats et à la valeur de l'entreprise complète la rémunération traditionnelle du journaliste pour un texte destiné à une publication déterminée. En contrepartie, FTPress ne paie plus les auteurs si le texte est revendu à un tiers (qui en fait un usage commercial). Je pense que c'est une solution à cette question dans le domaine de la presse. Mais c'est un problème complexe et varié, qui ne peut trouver une seule réponse.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Je ne sais pas répondre, sinon une banalité, comme: "chacun gardera son langage privilégié, avec l'anglais comme langue d'échange". Mais peut-on réellement penser que toute la population du monde va communiquer dans tous les sens? Peut-être? Via des systèmes de traduction instantanée, par écrit ou par oral? J'ai du mal à imaginer qu'on verra de sitôt des outils capables de translater les subtilités des modes de pensée propres à un pays: il faudrait pour lors traduire, non plus du langage, mais établir des passerelles de sensibilité. A moins que la mondialisation n'uniformise tout cela? En résumé, je pense que la bonne question est celle d'un internet multiculturel.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Quand nous avons franchi la barre des 10.000 abonnés à LMB Actu, début 1998.
= Et votre pire souvenir?
Une fois, quand nous avons écrit une bêtise dans Internet Actu, et que les messages incendiaires des abonnés ont commencé à arriver en trombe, dans les dix minutes suivant l'envoi. On a tous commencé à paniquer, car on venait de basculer LMB Actu dans le privé et la société FTPress ne reposait que sur le successeur, Internet Actu. Un désabonnement massif et c'en était fini de nous. Mais finalement, toutes ces réactions nous ont permis de démarrer la tribune des lecteurs, qui a été bien appréciée! Souvent, les erreurs ont du bon, du moment qu'on les avoue, et qu'on l'affiche ouvertement: ces échanges créent des liens entre les lecteurs et les auteurs.
*Entretien du 25 novembre 2000
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Plein de choses! De nouveaux magazines (DRH Actu, NetLocal Actu, Automates intelligents dans quelques jours, Correspond@nces avec la Fondation la Poste, etc.), de la TV (avec un studio propre), un nouveau système d'information (ou de production) très puissant (Reef.com), le kiosque de presse (avec des partenaires presse externe, à commencer par Diora), etc.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Ça n'a pas changé: j'imprime souvent nos propres publications pour les lire dans les transports en commun. Je n'ai pas beaucoup le temps de lire, hormis des romans.
= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?
Oui, il a encore de l'avenir, il y aura toujours du papier, ou si ce n'est pas le papier (matériau) que l'on connaît, ce sera un support souple, léger et fin comme lui (pour dans dix ans en principe).
= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?
Ce n'est rien d'autre qu'un ordinateur portable dédié. Je ne vois pas bien pourquoi on se priverait des autres fonctions de l'ordinateur, quitte à transporter un écran.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Ne pas abuser des interfaces purement graphiques, et conserver une distribution en texte simple (il n'y a d'ailleurs pas que les aveugles qui apprécient).
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Rien d'original… Je ne vois pas très bien quoi rajouter au sens des deux mots qui composent ce terme.
= Et la société de l'information?
Une société dont l'information est le moteur, dans tous les sens du terme.
CHRISTIAN VANDENDORPE (Ottawa)
#Professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture
Professeur à l'Université d'Ottawa (Canada) et sémioticien spécialisé dans les théories de la lecture, Christian Vandendorpe est l'auteur d'un essai intitulé Du papyrus à l'hypertexte (La Découverte, Paris, 1999).
*Entretien du 21 mai 2001
= Pouvez-vous vous présenter?
Je suis professeur à l'Université d'Ottawa. Intéressé par la sémiotique (théorie générale des signes et des systèmes de significations linguistiques, ndlr), j'ai fait une thèse sur la lecture de la fable. J'ai découvert l'hypertexte comme outil de rédaction à partir de la réalisation d'une grammaire sur disque compact pour mes étudiants, Communication écrite (Didascom, Kingston, 1999). C'est pour raffiner ma réflexion sur ce nouvel environnement d'écriture et de lecture que j'ai rédigé un essai, Du papyrus à l'hypertexte.
= Comment voyez-vous l'avenir de l'imprimé?
Le papier est un support remarquable: léger, économique, polyvalent, et dont les diverses textures en appellent non seulement au sens de la vue, mais aussi au toucher et à l'odorat. Il a encore de beaux jours devant lui, surtout pour les ouvrages de luxe ou de prestige et que l'on voudra pouvoir manipuler et conserver pour leur valeur en tant qu'objets. Le papier va aussi rester comme support pour des textes d'une certaine ampleur que l'on voudra pouvoir lire à loisir. L'impression sur demande va répondre à cette demande. En même temps, les textes destinés à la lecture courante vont de plus en plus être appréhendés sur des supports numériques. C'est déjà le cas pour le courrier électronique et les activités de lecture sur le web. Mais l'ordinateur n'est pas un support idéal pour la lecture, en raison de la position qu'il impose au lecteur. En outre, la technologie de l'hypertexte encourage une lecture ergative, tournée vers l'action et la recherche de réponses brèves et rapides plutôt que vers la lecture de fiction ou d'essais.
= Comment voyez-vous l'avenir de l'internet?
Cet outil fabuleux qu'est le web peut accélérer les échanges entre les êtres, permettant des collaborations à distance et un épanouissement culturel sans précédent. Mais cet espace est encore fragile. Il risque d'être confisqué par des juridictions nationales. Ou il peut être transformé en une gigantesque machine à sous au moyen de laquelle la quasi-totalité de nos activités entrerait dans le circuit économique et ferait l'objet d'une tarification minutée. On ne peut pas encore prédire dans quel sens il évoluera. Le phénomène Napster a contribué à un début de prise en main par les juges, qui tendent à imposer sur cet espace les conceptions en vigueur dans le monde physique. On pourrait ainsi en étouffer le potentiel d'innovation. Il existe cependant des signes encourageants, notamment dans le développement des liaisons de personne à personne et surtout dans l'immense effort accompli par des millions d'internautes partout au monde pour en faire une zone riche et vivante. Il faut aussi saluer la décision du MIT (Masachusetts Institute of Technology) de placer tout le contenu de ses cours sur le web d'ici dix ans, en le mettant gratuitement à la disposition de tous. Entre les tendances à la privatisation du savoir et celles du partage et de l'ouverture à tous, je crois en fin de compte que c'est cette dernière qui va l'emporter.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Le livre électronique va accélérer cette mutation du papier vers le numérique, surtout pour les ouvrages techniques. Mais les développements les plus importants sont encore à venir. Lorsque le procédé de l'encre électronique sera commercialisé sous la forme d'un codex numérique plastifié offrant une parfaite lisibilité en lumière réfléchie, comparable à celle du papier - ce qui devrait être courant vers 2010 ou 2015 -, il ne fait guère de doute que la part du papier dans nos activités de lecture quotidienne descendra à une fraction de ce qu'elle était hier. En effet, ce nouveau support portera à un sommet l'idéal de portabilité qui est à la base même du concept de livre. Tout comme le codex avait déplacé le rouleau de papyrus, qui avait lui-même déplacé la tablette d'argile, le codex numérique déplacera le codex papier, même si ce dernier continuera à survivre pendant quelques décennies, grâce notamment au procédé d'impression sur demande qui sera bientôt accessible dans des librairies spécialisées. Avec sa matrice de quelques douzaines de pages susceptibles de permettre l'affichage de millions de livres, de journaux ou de revues, le codex numérique offrira en effet au lecteur un accès permanent à la bibliothèque universelle. En plus de cette ubiquité et de cette instantanéité, qui répondent à un rêve très ancien, le lecteur ne pourra plus se passer de l'indexabilité totale du texte électronique, qui permet de faire des recherches plein texte et de trouver immédiatement le passage qui l'intéresse. Enfin, le codex numérique permettra la fusion des notes personnelles et de la bibliothèque et accélérera la mutation d'une culture de la réception vers une culture de l'expression personnelle et de l'interaction.
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
En gros, je suis assez favorable aux positions défendues aux États-Unis par l'Electronic Frontier Foundation (EFF). D'abord, il me paraît prématuré de légiférer en cette matière, alors même que nous sommes au milieu d'un changement de civilisation. Il faudrait sans doute revoir les principes philosophiques sur lesquels repose la législation actuelle au lieu de prendre pour acquis qu'ils sont valides, tels quels et sans plus d'examen, dans le nouvel environnement technologique en train de se mettre en place. Plusieurs arguments militent en faveur d'une telle révision. D'abord, l'expérience de la lecture et l'appréhension du texte ne sont pas du même ordre selon qu'elles s'effectuent à partir d'un livre, d'un écran d'ordinateur, d'un livre électronique ou, demain, d'un codex numérique. Il y aurait donc lieu de faire des distinctions au plan du droit de citation ou du droit de lecture. Si, sur un écran, la valeur d'usage du texte n'est pas la même, ni sa pérennité en tant qu'objet, les droits ne devraient pas s'appliquer non plus de la même façon.
Idéalement, l'ensemble de la production intellectuelle devrait être accessible sur le web après dix ans (et même sans aucun délai en ce qui concerne les articles scientifiques). On ne paierait pour lire que si l'on choisissait de faire imprimer un texte donné en format codex dans une librairie agréée ou si l'on choisissait de le télécharger sur son livre électronique ou son codex numérique. Évidemment, le fait qu'un texte soit accessible gratuitement sur le web ne signifierait pas que l'on ait le droit de se l'approprier. La paternité intellectuelle est un droit inaliénable. Et la piraterie resterait un délit: il ne serait pas permis à un éditeur d'éditer à son profit un texte qu'il aurait "trouvé" sur le web.
Un autre argument à considérer est que la nouvelle technologie accélère la globalisation des échanges et que les conditions d'épanouissement de la culture sont en train de changer. On invoque généralement à l'appui du droit d'auteur le fait que l'absence de rétribution des artistes aurait un effet négatif sur la création. Mais est-ce vraiment le cas dans la situation actuelle? On voit en effet des auteurs très créatifs qui ne retirent guère de droits par manque d'une commercialisation adéquate; en revanche, des auteurs qui bénéficient d'une position dominante dans la distribution commerciale amassent des fortunes avec des productions insignifiantes. Le mouvement de globalisation va renforcer à l'extrême cette inégalité. En bref, on peut se demander si, au lieu de favoriser la diversité culturelle, le droit d'auteur ne sert pas principalement à la constitution d'immenses conglomérats de distribution qui imposent des produits standardisés. Au lieu de renforcer ce phénomène de commercialisation de la culture, et de criminaliser les comportements de millions d'usagers, il serait plus intéressant, d'un point de vue culturel, de faire du web une zone franche, à l'égal de la bibliothèque publique, où chacun peut être en contact avec la rumeur du monde, tant et aussi longtemps que l'on ne fait de celle-ci qu'un usage privé.
Surtout, il faut craindre les effets pervers d'une juridiction "dure" en matière de droits d'auteur. Pour en gérer l'application, les empires commerciaux vont exiger la mise en place de mécanismes de traçabilité des oeuvres qui transformeront le web, et donc notre principal instrument d'accès à la culture, en un immense réseau grillagé où seront entièrement placées sous contrôle non seulement nos habitudes de consommation, mais aussi nos habitudes de lecture. Une perspective qui fait peur et qui marquerait la fin de la bibliothèque.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
C'est le nouveau territoire de la culture, un espace qui pourrait jouer le rôle de l'Agora dans la Grèce ancienne, mais à un niveau planétaire.
ROBERT WARE (Colorado)
#Créateur de OneLook Dictionaries, un moteur permettant une recherche rapide dans 650 dictionnaires
Créé par Robert Ware, OneLook Dictionaries est un moteur de recherche puisant dans les quelque 3 millions de mots de 750 dictionnaires (chiffres 2001) traitant de sujets divers (affaires, argot, généralités, informatique et internet, médecine, religion, sciences, sports, technologie, etc.) dans diverses langues (en anglais, français, allemand, italien et espagnol). Son correspondant français est Dicorama.
*Entretien du 2 septembre 1998 (entretien original en anglais)
= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?
A titre personnel, je suis presque uniquement en contact avec des gens qui ne pratiquent qu'une langue et ne sont pas très motivés pour développer leurs aptitudes linguistiques. Etre en contact avec le monde entier change cette approche des choses. Et la change en mieux! J'ai été long à inclure des dictionnaires non anglophones (en partie parce que je suis monolingue). Mais vous en trouverez maintenant quelques-uns.
Un fait intéressant s'est produit dans le passé qui a été très instructif pour moi.
En 1994, je travaillais pour un établissement scolaire et j'essayais d'installer un logiciel sur un modèle d'ordinateur particulier. J'ai trouvé une personne qui était en train de travailler sur le même problème, et nous avons commencé à échanger des courriers électroniques. Soudain, cela m'a frappé… Le logiciel avait été écrit à 40 km de là, mais c'était une personne située de l'autre côté de la planète qui m'aidait. Les distances et les considérations géographiques n'importaient plus!
En effet c'est épatant, mais à quoi cela nous mène-t-il? Je ne puis communiquer qu'en anglais mais, heureusement, mon correspondant pouvait utiliser aussi bien l'anglais que l'allemand qui était sa langue maternelle. L'internet a supprimé une barrière, celle de la distance, mais il subsiste la barrière de la langue, bien réelle.
Il semble que l'internet propulse simultanément les gens dans deux directions différentes. L'internet, anglophone à l'origine, relie les gens dans le monde entier. Par là même il favorise une langue commune pour communiquer. Mais il crée aussi des contacts entre des personnes de langues différentes et permet ainsi le développement d'un intérêt plus grand pour le multilinguisme. Si une langue commune est appréciable, elle ne remplace en aucun cas cette nécessité.
L'internet favorise ainsi à la fois une langue commune et le multilinguisme, et ceci est un facteur qui aide à trouver des solutions. L'intérêt croissant pour les langues et le besoin qu'on en a stimulent de par le monde la création de cours de langues et d'instruments d'aide linguistique, et l'internet fournit la possibilité de les rendre disponibles rapidement et à bon marché.
RUSSON WOOLDRIDGE (Toronto)
#Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne
Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, Russon Wooldridge est créateur de sites dans le domaine des études françaises (voir son site professionnel, notamment "Summary of electronic publications"), dont le Net des études françaises. Il est également éditeur en ligne (revue, actes de colloques) et chercheur (histoire de la langue, évolution des médias du papier et du web).
*Entretien du 8 février 2001
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Aider les étudiants à vivre en français (cours de langue de première année du 1er cycle d'études, par exemple), à perfectionner leurs compétences linguistiques (cours de traduction de quatrième année du 1er cycle, par exemple), à approfondir leur connaissance de domaines spécifiques du savoir exprimés en français (cours et thèses de 2e et 3e cycles) et, à tous les niveaux, à se servir des outils appropriés. Mes activités de recherche, autrefois menées dans une tour d'ivoire, se font maintenant presque uniquement par des collaborations locales ou à distance.
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
Pour moi, c'est presque la même question. Tout mon enseignement exploite au maximum les ressources d'internet (le web et le courriel): les deux lieux communs d'un cours sont la salle de classe et le site du cours, sur lequel je mets tous les matériaux des cours. Je mets toutes les données de mes recherches des vingt dernières années sur le web (réédition de livres, articles, textes intégraux de dictionnaires anciens en bases de données interactives, de traités du 16e siècle, etc.). Je publie des actes de colloques, j'édite un journal, je collabore avec des collègues français, mettant en ligne à Toronto ce qu'ils ne peuvent pas publier en ligne chez eux. En mai 2000 j'ai organisé à Toronto un colloque international sur "Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies". Tout cela se trouve sur mon site.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je me rends compte que sans internet mes activités seraient bien moindres, ou du moins très différentes de ce qu'elles sont actuellement. Donc je ne vois pas l'avenir sans. Mais il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu, par les intérêts commerciaux. Ce qui se passe dans l'édition du livre en France, où on n'offre guère plus en librairie que des manuels scolaires ou pour concours (c'est ce qui s'est passé en linguistique, par exemple), doit être évité sur le web. Ce n'est pas vers les amazon.com qu'on se tourne pour trouver la science désintéressée. Sur mon site, je refuse toute sponsorisation.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
J'imprime de moins en moins. Alors qu'il y a trois ans je distribuais encore beaucoup de papier à mes étudiants, depuis quelque temps je mets tout sur le web et c'est à eux d'imprimer, s'ils le souhaitent! Je n'envoie plus de papier à mes correspondants; je leur écris par courriel et, si j'ai un document à leur transmettre, je l'envoie en fichier attaché en format html. Je n'écris plus pour le papier mais uniquement pour le web. Je prends toujours plaisir, quand même, à lire un roman relié ou un journal sur papier, bien que je consulte régulièrement la presse en ligne.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Dangereux de jouer aux prophètes! Le sort de l'imprimé dépendra peut-être plus de facteurs écolo-économiques que de facteurs humains ou sociaux. Que peut faire en général le goût ou l'habitude face aux forces économiques? On peut constater que le coût du papier va en augmentant, que le nombre d'arbres va en diminuant, que la pollution croît tous les jours, qu'un ordinateur utilise de moins en moins d'électricité avec chaque nouveau modèle. La fabrication du papier est-elle, sera-t-elle, plus ou moins polluante et consommatrice de sources naturelles que la fabrication de l'électricité?
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Il est certain que le livre électronique devient de plus en plus attrayant avec les progrès techniques, tout comme les jeux électroniques. Je dois avouer que je ne m'intéresse de près ni aux livres électroniques, ni aux jeux électroniques. Je lis en ligne pour mon travail, mais je préfère quitter mon ordinateur quand il s'agit de lire pour le plaisir.
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
C'est une question importante, qui est loin d'être résolue. Je préfère parler de la propriété intellectuelle. On a le modèle du livre imprimé: si un auteur universitaire publie un livre sur papier, son institution n'en réclame pas la propriété, alors qu'il arrive qu'un livre publié sur un serveur institutionnel soit considéré comme appartenant à l'institution en question, ce qui est, à mon avis, injuste. A part cela, tout ce que l'auteur peut faire est de mettre un copyright à son nom sur les textes qu'il a écrits et qu'il publie en ligne et puis compter sur sa réputation pour que ses lecteurs "sérieux" en sachent la provenance. Le piratage a toujours existé: Voltaire voyait ses livres publiés anonymement en Hollande au 18e siècle, par exemple.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Je n'ai pas de compétence pour répondre à cette question. La technologie trouvera sûrement un moyen de rendre l'accès possible par chacun des cinq sens, l'odorat y compris.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Je travaille dans la même université que Marshall McLuhan autrefois (nos carrières se sont un moment croisées). Le "village global" qu'il entrevoyait à l'époque de la radio et de la télévision est devenu une réalité dans l'ère d'internet. Mais un village sans classes sociales (il n'y a pas de châtelain).
= Et la société de l'information?
Si on veut parler de "société" il ne peut pas être question d'une opposition "haves" vs. "have-nots" (munis vs. démunis), sauf dans la mesure où l'accès à l'information est plus ou moins libre ou limité d'un point de vue technologique ou économique, voire politique. Par exemple, l'accès à l'information en ligne est plus libre au Canada qu'en France, plus libre en France qu'en Algérie, etc. Internet est potentiellement un moyen pour que chacun puisse s'approprier son propre contrôle de l'information, qui n'est plus diffusée par les seuls canaux dirigistes, comme l'Edition ou l'Université, entre autres.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Une lettre que j'ai reçue par courriel à propos de mon site sur le Dictionnaire de l'Académie française. Je la cite intégralement:
"Sujet: 'Bravo! mais encore un effort' / Bonjour, Je m'appelle Sophie, j'ai 10 ans, et je suis contente de trouver un dictionnaire sur internet. Mais je voudrais tout trouver, j'ai un exposé à faire sur la Fête du travail (1er mai) et ma requête n'a pas abouti… L'on voudrait tout trouver… Merci encore. Sophie"
= Et votre pire souvenir?
Voyons… (j'ai tendance à évacuer les mauvais souvenirs). Je pense ne pas avoir vraiment de "pire souvenir" en fait. Disons plutôt quelques déceptions quand je donne à X, Y et Z (et à d'autres) et que X, Y et Z ne donnent rien en retour. Je connais pas mal de "chercheurs" carriéristes. Stoïque et un peu cynique, j'observe d'un oeil désabusé, mais quand même dégoûté, le détournement mercantile de matériaux créés en premier lieu dans le but de les mettre librement en ligne (un cas particulier est documenté sur le site du projet d'informatisation du Dictionnaire de l'Académie française). La nature humaine est partout la même: la soif de pouvoir chez certains vs. le partage et le pouvoir individuel.
*Entretien du 15 mai 2001
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Un pas de plus vers l'autonomisation de l'usager comme créateur de ressources en ligne: la dernière version de TACTweb, récemment installée sur un serveur de l'Université de Toronto, permet dorénavant de construire des bases interactives importantes comme les dictionnaires de la Renaissance (Estienne et Nicot; base RenDico), les deux principales éditions du Dictionnaire de l'Académie française (1694 et 1835), les collections de la Bibliothèque électronique de Lisieux (base LexoTor), les oeuvres complètes de Maupassant, ou encore les théâtres complets de Corneille, Molière, Racine, Marivaux et Beaumarchais (base Théâtre 17e-18e). À la différence de grosses bases comme Frantext ou ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) nécessitant l'intervention d'informaticiens professionnels, d'équipes de gestion et de logiciels coûteux, TACTweb, qui est un gratuiciel que l'on peut décharger en ligne et installer soi-même, peut être géré par le chercheur individuel créateur de ressources textuelles en ligne.
DENIS ZWIRN (Paris)
#Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques
*Entretien du 19 février 2001
= Quelle est l'origine de Numilog?
Dès 1995, j'avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques permettant d'emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de poche. Début 1999, j'ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des appareils de lecture électronique mobiles et le développement d'internet, qui permet d'acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les coins du monde.
= Pouvez-vous décrire l'activité de la société?
Numilog est d'abord une librairie en ligne de livres numériques. Notre site internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il permet également de vendre des livres par chapitres.
Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques: aujourd'hui, les livres numériques n'existent pas chez les éditeurs, il faut donc d'abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les convertir à des formats convenant aux différents "readers" du marché: Acrobat Reader, Acrobat eBook Reader (que nous sommes les premiers en France à diffuser), et bientôt Microsoft Reader et les lecteurs électroniques du type Rocket eBook. Ce qui signifie également soigner leur mise en page numérique: la mise en page d'un livre numérique ne doit pas être la même que celle du livre papier correspondant si on veut proposer au lecteur une expérience de lecture confortable qui ne le déçoive pas.
Enfin, Numilog devient progressivement un diffuseur car, sur internet, il est important d'être présent en de très nombreux points du réseau pour faire connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d'intérêt correspondent à leur sujet (sites de fans d'histoire, de management, de SF…). Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples "boutiques de livres numériques" thématiques.
= Pouvez-vous décrire le site web?
Le site www.numilog.com présente un catalogue thématique de livres numériques. Le site a été ouvert au public en septembre 2000 et propose 500 titres à la mi-février 2001 (et près de 650 en juin 2001, ndlr). Chaque mois, 50 à 100 titres nouveaux devraient y être ajoutés. Cette base de livres est accessible par un moteur de recherche. Chaque livre fait l'objet d'une fiche avec un résumé et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte bancaire, puis reçu par e-mail ou téléchargement. Début mars 2001, le site de Numilog sera relooké et présentera des fonctionnalités nouvelles, comme l'intégration d'une "authentique vente au chapitre" (les chapitres vendus isolément seront traités comme des éléments inclus dans la fiche-livre, et non comme d'autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture multiples. (Toutes ces fonctionnalités sont maintenant opérationnelles, ndlr.)
= Comment voyez-vous l'avenir?
Le développement attendu d'internet est une panacée qui possède suffisamment d'évidence pour ne pas y insister: il ne s'agit pas d'une mode, mais d'une révolution des moyens de communication qui présente des avantages objectifs tellement forts qu'on ne voit pas, sauf nouveau saut technologique inattendu, comment elle pourrait ne pas se répandre.
En ce qui concerne les livres numériques, selon Dirk Brass (Microsoft), dans les trente ans qui viennent, ils devraient représenter 90% des livres. Ce pari est moins certain que le précédent, mais ce n'est que parce qu'il indique une date. Je vois donc l'avenir de mes activités comme lié à ces deux anticipations: il s'agit de permettre à un public d'internautes de plus en plus large d'avoir progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse d'utilisation et à moindre prix.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Numilog en tant qu'entreprise utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où nous scannons de nombreux livres pour les numériser, mais il s'agit là d'une activité ayant pour but de faire disparaître la nécessité du papier!
A titre personnel, j'utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où de nombreux documents ne sont pas encore disponibles sous forme numérique, la presse hebdomadaire notamment… et les livres, puisque le volume de titres disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport aux quelques 600.000 titres existant en français. Pour écrire et envoyer du courrier ou des documents, par contre, j'utilise très peu le papier: le couple traitement de texte / courrier électronique en a fait disparaître quasiment totalement l'utilité.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Je pense sincèrement que l'usage du papier devrait fortement régresser dans les dix à quinze ans qui viennent, grâce à toutes les techniques de rédaction, de lecture, et de communication numérique. Et cela aura un impact positif sur les forêts! Cela ne signifie pas qu'il disparaîtra, notamment si on parvient à réaliser des hybrides papier / numérique, grâce à des techniques telles que l'encre électronique. Mais il se peut dans ce cas qu'il soit concurrencé par d'autres types de matières souples présentant des qualités de robustesse et d'agrément tactile équivalente ou supérieure.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Le concept de livre électronique représente une extraordinaire avancée technologique et culturelle. Il doit permettre de faciliter la lecture et l'accès aux livres d'un très large public dans les années à venir. Ses principaux atouts sont la possibilité de transporter avec soi des dizaines de livres, de les lire dans des conditions de très bonne ergonomie en reproduisant l'agrément des livres traditionnels, tout en bénéficiant de nombreuses fonctionnalités de lecture absentes des livres traditionnels. Pour qu'il devienne un produit de consommation de masse, il faudra toutefois qu'il perde encore du poids et surtout que son prix soit attractif. En effet, le livre électronique stricto sensu est aujourd'hui concurrencé par des appareils que les gens achètent déjà massivement pour d'autres raisons que la lecture, mais qui peuvent servir de lecteurs électroniques grâce à des logiciels dédiés à la lecture: les assistants personnels (PDA) et les ordinateurs ultra-portables. Le coût marginal de la fonction "livre électronique" dans ces appareils est nul. Pour cette raison, je crois que l'avenir est à l'usage de plate-formes diversifiées selon les profils et les besoins des utilisateurs, et à une convergence progressive entre les lecteurs électroniques stricto sensu (qui intégreront des fonctions d'agendas) et les PDA (dont certains auront des écrans plus grands).
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
Sur le plan juridique, une confusion est souvent faite entre la diffusion des oeuvres en réseau, l'accès à des sources d'information gratuites en ligne (mais qui ne sont pas des livres) et la vente d'exemplaires individuels de livres numériques. Il est de la responsabilité de chaque acteur du web de ne pas diffuser d'oeuvres sans l'accord de l'auteur, le web n'étant qu'un support de diffusion parmi d'autres. Dans une librairie en ligne, on achète un livre numérique comme un livre papier: après paiement et pour un usage individuel. Après le téléchargement, le code de la propriété intellectuelle s'applique à la version numérique au même titre qu'à la version papier de l'oeuvre: la reproduction n'est autorisée que pour l'usage privé de l'acheteur.
Le problème est donc exclusivement d'ordre technologique (….et civique): comment faire pour que ces droits soient effectivement respectés, compte tenu de la possibilité de copier un livre numérique et de l'envoyer à des amis? Plusieurs réponses sérieuses existent déjà. Les livres destinés aux lecteurs électroniques peuvent être cryptés de telle manière que seul un appareil désigné (ou plusieurs) puisse les lire. Ils ne peuvent en général pas être imprimés et sont donc en ce sens bien plus protecteurs que les livres papier, en évitant tout "photocopillage". En ce qui concerne les livres numériques pour ordinateurs, des solutions logicielles comparables ont été développées, par exemple par Adobe et par Microsoft, qui permettent de désigner un ordinateur ou un PDA comme support de lecture unique d'un livre. Des logiciels tels que Adobe Content Server proposent déjà des solutions plus sophistiquées, telles que la possibilité de définir un temps de lecture autorisée ou de prêter un livre numérique comme on prêterait un vrai livre.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
L'usage de logiciels de reconnaissance vocale et la conception de sites web adaptés à ces logiciels est sans doute à terme la meilleure solution. En ce qui concerne les malvoyants, les livres numériques présentent l'intérêt de pouvoir agrandir fortement la police de caractères.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Le jour de ma première connexion à domicile, le 31 décembre 1995: c'est un de mes plus beaux souvenirs de réveillon!
INDEX DES ENTRETIENS PAR PROFESSION
[Auteurs "classiques" / Auteurs hypermédias et multimédias /
Bibliothécaires-documentalistes / Concepteurs d'appareils de lecture / Créateurs
de sites littéraires / Editeurs / Gestionnaires / Journalistes / Libraires /
Linguistes (langue française) / Linguistes (toutes langues) / Professeurs]
(*) Entretiens traduits par Marie Lebert
= Auteurs "classiques"
Silvaine Arabo (Poitou-Charentes) / Poète et plasticienne, créatrice de la cyber-revue Poésie d'hier et d'aujourd'hui
Michel Benoît (Montréal) / Ecrivain, utilise l'internet comme outil de recherche, de communication et d'ouverture au monde
Alain Bron (Paris) / Consultant en systèmes d'information et écrivain.
L'internet est un des personnages de son roman Sanguine sur toile.
Raymond Godefroy (Valognes, Normandie) / Ecrivain-paysan, publie son recueil
Fables pour l'an 2000 sur le web avant de le publier sur papier
Anne-Bénédicte Joly (Antony, région parisienne) / Ecrivain auto-éditant ses oeuvres et utilisant le web pour les faire connaître
Tim McKenna (Genève) / Ecrivain, s'interroge sur la notion complexe de "vérité" dans un monde en mutation constante
= Auteurs hypermédias et multimédias
Alex Andrachmes (Europe) / Producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte
Lucie de Boutiny (Paris) / Ecrivain papier et pixel. Auteur de NON, roman multimédia publié en feuilleton sur le web
Anne-Cécile Brandenbourger (Bruxelles) / Auteur de La malédiction du parasol, hyper-roman publié aux éditions 00h00.com
Luc Dall'Armellina (Paris) / Co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures hypermédias
Jean-Paul (Paris) / Webmestre du site hypermédia collectif Des cotres furtifs
Naomi Lipson (Paris & Tel-Aviv) / Ecrivain multimédia, traductrice et peintre
Xavier Malbreil (Ariège, Midi-Pyrénées) / Auteur multimédia, créateur du site www.0m1.com, modérateur de la liste e-critures
Murray Suid (Palo Alto, Californie) / Ecrivain, travaille pour EDVantage
Software, société internet de logiciels éducatifs
= Bibliothécaires-documentalistes
Emmanuel Barthe (Paris) / Documentaliste juridique chez Coutrelis & Associés, cabinet d'avocats, et modérateur de la liste de discussion Juriconnexion
Michael Behrens * (Bielefeld, Allemagne) / Responsable de la bibliothèque numérique de la Bibliothèque universitaire de Bielefeld
Olivier Bogros (Lisieux, Normandie) / Créateur de la bibliothèque électronique de Lisieux et directeur de la bibliothèque municipale
Bakayoko Bourahima (Abidjan) / Documentaliste à l'Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée (ENSEA)
Bruno Didier (Paris) / Webmestre de la bibliothèque de l'Institut Pasteur
Michael Hart (Illinois) / Fondateur du Project Gutenberg, la plus ancienne bibliothèque numérique sur l'internet
Roberto Hernández Montoya (Caracas) / Responsable de la bibliothèque numérique du magazine électronique Venezuela Analítica
Pierre Le Loarer (Grenoble) / Directeur du centre de documentation de l'Institut d'études politiques de Grenoble et chargé de mission TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation)
John Mark Ockerbloom (Pennsylvanie) / Fondateur de The On-Line Books Page, répertoire de livres en ligne disponibles gratuitement
Anissa Rachef (Londres) / Bibliothécaire et professeur de français langue étrangère à l'Institut français de Londres
Peter Raggett (Paris) / Directeur du centre de documentation et d'information
(CDI) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
Jean-Baptiste Rey (Aquitaine) / Webmestre et rédacteur de Biblio On Line, un site web destiné aux bibliothèques
= Concepteurs d'appareils de lecture
Olivier Pujol (Paris) / PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique
Pierre Schweitzer (Strasbourg) / Architecte designer, concepteur d'@folio (support de lecture nomade) et de Mot@mot (passerelle vers les bibliothèques numériques)
= Créateurs de sites littéraires
Isabelle Aveline (Lyon) / Créatrice de Zazieweb, un site consacré à l'actualité littéraire sur l'internet
Fabrice Lhomme (Bretagne) / Créateur d'Une Autre Terre, site consacré à la science-fiction
Blaise Rosnay (Paris) / Webmestre du site du Club des Poètes
= Editeurs
Nicolas Ancion (Madrid) / Ecrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique
Marie-Aude Bourson (Lyon) / Créatrice de la Grenouille Bleue et de Gloupsy, sites littéraires destinés aux nouveaux auteurs
Pierre-Noël Favennec (Paris & Lannion, Bretagne) / Expert à la direction scientifique de France Télécom R&D et directeur de la collection technique et scientifique des télécommunications
Pierre François Gagnon (Montréal) / Créateur d'Editel, pionnier de l'édition littéraire francophone en ligne
Olivier Gainon (Paris) / Fondateur et gérant de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne
Emmanuel Ménard (Paris) / Directeur des publications de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne
Jacky Minier (Orléans) / Créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires
Nicolas Pewny (Annecy) / Créateur des éditions du Choucas
Hervé Ponsot (Toulouse) / Webmestre du site web des éditions du Cerf, spécialisées en théologie
Bruno de Sa Moreira (Paris) / Co-fondateur des éditions 00h00.com, spécialisées dans l'édition numérique
= Gestionnaires
Patrice Cailleaud (Paris) / Membre fondateur et directeur de la communication de
HandiCaPZéro
Gérard Jean-François (Caen) / Directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen
Pierre Magnenat (Lausanne) / Responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne
Jean-Philippe Mouton (Paris) / Fondateur et gérant de la société d'ingénierie
Isayas
Jacques Pataillot (Paris) / Conseiller en management chez Cap Gemini Ernst &
Young
= Journalistes
Bernard Boudic (Rennes) / Responsable éditorial du serveur internet du quotidien
Ouest-France
Jean-Pierre Cloutier (Montréal) / Auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet
Jacques Coubard (Paris) / Responsable du site web du quotidien L'Humanité
Jacques Gauchey (San Francisco) / Spécialiste en industrie des technologies de l'information, "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe, journaliste
Philippe Rivière (Paris) / Rédacteur au Monde diplomatique et responsable du site web
Jean-Paul Rousset Saint Auguste (Paris) / Journaliste spécialisé dans l'histoire des techniques
François Vadrot (Paris) / Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press), société de cyberpresse
= Libraires
Pascal Chartier (Lyon) / Créateur de Livre-rare-book, site professionnel de livres d'occasion
Catherine Domain (Paris) / Créatrice de la librairie Ulysse, la plus ancienne librairie de voyage au monde
Muriel Goiran (Rhône-Alpes) / Libraire à la librairie Decitre
Hélène Larroche (Paris) / Gérante de la librairie Itinéraires, spécialisée dans les voyages
Alain Marchiset (Paris) / Président du Syndicat de la librairie ancienne et moderne (SLAM)
Denis Zwirn (Paris) / Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques
= Linguistes (langue française)
Arlette Attali (Paris) / Responsable de l'équipe "Recherche et projets internet" à l'Institut national de la langue française (INaLF)
Guy Bertrand & Cynthia Delisle (Montréal) / Respectivement directeur scientifique et consultante au Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues (CEVEIL)
Alain Clavet (Ottawa) / Analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada
Marcel Grangier (Berne) / Responsable de la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse
Christiane Jadelot (Nancy) / Ingénieur d'études à l'Institut national de la langue française (INaLF)
Philippe Loubière (Paris) / Traducteur littéraire et dramatique, spécialiste de la Roumanie
Zina Tucsnak (Nancy) / Ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français)
= Linguistes (toutes langues)
Guy Antoine (New Jersey) / Créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne
Robert Beard (Pennsylvanie) / Co-fondateur de yourDictionary.com, portail de référence pour les langues
Christian Boitet (Grenoble) / Directeur du Groupe d'étude pour la traduction automatique (GETA), qui participe au Universal Networking Language Programme (UNLP)
Tyler Chambers * (Boston, Massachusetts) / Créateur de The Human-Languages Page (devenue iLoveLanguages en 2001) et de The Internet Dictionary Project
Helen Dry * (Michigan) / Modératrice de The Linguist List
Bill Dunlap (Paris & San Francisco) / Fondateur de Global Reach, société qui favorise le marketing international en ligne
Barbara Grimes (Hawaii) / Directrice de publication de l'Ethnologue, une encyclopédie des langues
Randy Hobler (Dobbs Ferry, New York) / Consultant en marketing internet, notamment chez Globalink, société spécialisée en produits et services de traduction
Eduard Hovy (Marina del Rey, Californie) / Directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud
Brian King * / Directeur du WorldWide Language Institute, qui est à l'origine de
NetGlos, un glossaire multilingue de la terminologie de l'internet
Geoffrey Kingscott * (Londres) / Co-directeur du magazine en ligne Language
Today
Steven Krauwer (Utrecht, Pays-Bas) / Coordinateur d'ELSNET (European Network of
Excellence in Human Language Technologies)
Michael Martin * (Berkeley, Californie) / Créateur de Travlang, un site consacré aux voyages et aux langues
Yoshi Mikami * (Fujisawa, Japon) / Créateur de The Languages of the World by
Computers and the Internet, et co-auteur de Pour un web multilingue
Caoimhín Ó Donnaíle (Ile de Skye, Ecosse) / Webmestre du principal site d'information en gaélique écossais, avec une section consacrée aux langues européennes minoritaires
June Thompson * (Hull, Royaume-Uni) / Directeur du C&IT (Communications &
Information Technology) Centre, basé à l'Université de Hull
Paul Treanor (Pays-Bas) / Gère sur son site personnel une section consacrée à l'avenir des langues en Europe
Robert Ware * (Colorado) / Créateur de Onelook Dictionaries, un moteur permettant une recherche rapide dans 650 dictionnaires
= Professeurs
Jean-Pierre Balpe (Paris) / Directeur du département hypermédias de l'Université de Paris 8
Richard Chotin (Paris) / Professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de
Lille
Kushal Dave * (Yale) / Etudiant à l'Université de Yale, devenu professeur depuis
Emilie Devriendt (Paris) / Elève professeur à l'Ecole normale supérieure de
Paris et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne
Gérard Fourestier (Nice) / Créateur de Rubriques à Bac, bases de données destinées aux étudiants du premier cycle universitaire
Gaëlle Lacaze (Paris) / Ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un institut universitaire professionnalisé
Maria Victoria Marinetti (Annecy) / Professeur d'espagnol en entreprise et traductrice
Patrick Rebollar (Tokyo) / Professeur de littérature française, créateur d'un site web de recherches et activités littéraires, modérateur de la liste de diffusion LITOR (littérature et ordinateur)
Henri Slettenhaar (Genève) / Professeur en technologies de la communication à la
Webster University
Jacques Trahand (Grenoble) / Vice-président de l'Université Pierre Mendès France, chargé de l'enseignement à distance et des TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation)
Christian Vandendorpe (Ottawa) / Professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture
Russon Wooldridge (Toronto) / Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne
BILAN, par Marie Lebert
[Genèse / Les débuts / Pourquoi par courriel? / Pourquoi ces questions? / Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres? / Pourquoi sur plusieurs années? / Pourquoi en plusieurs langues? / Tentatives auprès des "canaux dirigistes" / Publication sur le Net des études françaises / Bilan sur les questions posées, et leurs réponses / Quelques chiffres / Le Livre 010101 / Les Entretiens sont eux-mêmes un réseau / La suite des Entretiens / Publications issues des Entretiens]
Profession: traductrice-éditrice pour gagner ma vie, chercheuse, écrivain et journaliste le reste du temps. Comme tant d'autres, je suis une adepte de l'internet. Je m'intéresse aux bouleversements apportés dans le monde du livre par le réseau et les technologies numériques. Entre 1998 et 2001, je conduis des entretiens par courriel avec une centaine de professionnels du livre et de la presse, et apparentés, souvent à plusieurs reprises (une fois par an environ) avec les mêmes correspondants. En 2001, je rassemble le tout dans un livre d'enquête. En 2002, j'en fais une synthèse. Récit. [14 septembre 2002]
= Genèse
Mon premier contact avec le web date d'avril 1996. Je commence à m'y intéresser de près en décembre 1997. A l'époque le réseau est en pleine expansion. On assiste aux prémices de ce qu'il va rapidement devenir, soit, entre autres, une formidable encyclopédie, une gigantesque bibliothèque, une immense librairie, un organe de presse des plus complets, et plus important encore, un nouveau moyen de faire circuler l'information et le savoir. De plus, au cours de l'année 1998, d'embryonnaire avec quelques dizaines de sites québécois, le web francophone devient progressivement l'oeuvre de toute la communauté francophone. On devine aussi les débuts de fortes secousses numériques dans l'industrie du livre imprimé. Le tout forme un sujet passionnant, insaisissable, avec de mois en mois des éléments nouveaux dans un domaine jusque-là relativement statique. Ce sujet m'intéresse. Je décide de lui consacrer du temps.
= Les débuts
Entre décembre 1997 et juin 1998, je me promène sur la toile à la recherche de sites et de ceux qui les font. Recherche de lien en lien, école buissonnière, utilisation des moteurs de recherche existants, surtout AltaVista pour le web international et Yahoo! pour le web francophone. A l'époque il est encore possible - mais plus pour longtemps - de faire le tour de la toile sur un sujet donné sans trop se perdre dans ses multiples méandres. Sous-entendu: la quantité de pages web est encore lisible par un seul individu. En bref, je me fais ma propre culture du réseau (une expression un peu pompeuse peut-être…) avant de contacter les gens.
En juin 1998, en utilisant les adresses électroniques trouvées sur les pages d'accueil, je contacte par courriel une cinquantaine de professionnels du livre et de la presse particulièrement actifs sur le réseau, l'expression "professionnels du livre et de la presse" étant à prendre au sens large puisqu'elle englobe écrivains, journalistes, éditeurs, libraires, bibliothécaires, documentalistes, professeurs, traducteurs, linguistes, spécialistes du numérique, etc. Presque tout le monde répond à la parfaite inconnue que je suis, alors que je n'enquête ni pour Le Monde ni pour Libé. Le web des débuts, coopératif, participatif et solidaire, me diront les nostalgiques, et ils ont raison. C'est comme cela que les Entretiens ont débuté.
= Pourquoi par courriel?
Tout d'abord parce que le courriel abolit le temps, les distances et les frontières. Reste le problème de la langue, on y reviendra plus loin. Ensuite parce que répondre par écrit est censé être relativement facile pour les professionnels du livre et de la presse, dont le métier est justement l'écrit. Et enfin parce que cela permet au correspondant d'avoir tout à la fois le temps de réfléchir, de répondre quand il veut, de se relire, de reprendre ses réponses dans les jours qui suivent, et d'en garder une trace.
D'emblée, la "règle du jeu" est que les participants répondent à leur guise à tout ou partie des questions, dans leur délai qui leur convient, qui va du jour suivant à plusieurs mois après. Je suis souvent séduite par leur disponibilité malgré une activité professionnelle prenante. Je suis souvent séduite aussi par la qualité de leurs réponses. Réponses courtes ou longues, envoyées toutes ensemble ou en plusieurs fois, sans discussion ou avec. Pour certains, il s'agit d'une simple réponse à un questionnaire, pour d'autres il s'agit d'un échange sur plusieurs courriels, d'où le terme "entretiens". Beaucoup me disent que ces questions leur donnent l'occasion de réfléchir sur des thèmes essentiels, par exemple la place que conserve l'imprimé dans leur vie, les avantages qu'ils voient au numérique, ou encore ce qu'ils entendent par société de l'information.
Point important, les professionnels sollicités ont des profils variés. Il se trouve que, sur les 97 participants, les différents corps de métiers sont à peu près correctement représentés: 14 écrivains, 7 journalistes, 10 éditeurs, 12 bibliothécaires-documentalistes, 12 professeurs, etc. Point tout aussi important, les participants ne sont en aucune façon choisis en fonction de leur notoriété. Ils sont choisis en fonction de leur expérience du numérique et de l'intérêt de celle-ci. Si certains ont de gros moyens financiers et bénéficient de l'appui des médias, d'autres se débrouillent avec conviction et sans moyens dans un anonymat relatif ou total, et il est grand temps de leur donner aussi la parole.
Entre 1998 et 2002, au fil de mes voyages, ou dans le but précis de faire leur connaissance, je rencontre plusieurs correspondants, à Paris, en Normandie, à Genève, à Montréal, à San Francisco ou ailleurs. A la date d'aujourd'hui, j'ai rencontré 32 correspondants sur les 97 interviewés, et j'ai l'intention d'en rencontrer encore quelques autres. Mais, même dans les rares cas où il m'est arrivé de rencontrer un correspondant en personne avant de lui proposer un entretien, l'entretien véritablement dit a toujours eu lieu par courriel. J'ai refusé les propositions d'entretiens verbaux, non pas pour m'éviter la fatigue de les retranscrire, mais pour les raisons évoquées plus haut.
= Pourquoi ces questions?
Je voulais absolument éviter tout ce dont j'ai moi-même en horreur, c'est-à-dire les questionnaires à trous, les réponses par oui ou par non, les réponses dans les huit jours, les réponses où on vous demande d'emblée de faire court même si, pour une fois, vous avez des choses à dire, les réponses à but uniquement statistique où on vous considère non pas comme une personne mais comme un numéro, etc.
Je voulais offrir à chacun une certaine liberté. Liberté de choix: chacun répond uniquement aux questions jugées intéressantes. Liberté de temps: pas de délai. Quand les gens prennent le temps de vous répondre sur des sujets relativement difficiles, la moindre de choses est de ne pas "leur mettre la pression". Liberté de parole: les réponses sont toutes publiées dans leur intégralité, et les correspondants qui le souhaitent peuvent les modifier dans les jours suivant publication. Liberté d'exploitation (quel horrible mot…): chacun peut bien sûr réutiliser son texte à sa guise.
En 1998, les questions concernent l'activité de chacun: aussi bien l'activité professionnelle que l'activité liée à l'internet, qui sont parfois différentes. Si possible aussi un descriptif du site web ainsi qu'un historique, tout comme une description rapide de l'organisme émetteur s'il y a lieu. Eventuellement une courte biographie de l'auteur, pour expliquer comment il en est venu à l'internet. Et enfin la vision que chacun a de l'avenir, soit pour son activité, soit pour l'activité de l'organisme dont il relève, soit pour l'internet lié au livre, soit pour l'internet en général.
Un an après, j'envoie de nouvelles questions aux personnes interviewées en 1998. Nous sommes dans un domaine qui évolue très vite, et il se passe tellement de choses d'une année sur l'autre qu'il m'apparaît plus important de contacter les mêmes personnes que de multiplier à l'infini le nombre des participants (je limite ce nombre à cent). Dans les 47 personnes interviewées en 1998, 14 s'en tiennent à un seul entretien et 33 poursuivent les années suivantes, une ou plusieurs fois de suite. Parallèlement, je contacte aussi d'autres personnes, le plus souvent par le même biais, à partir de leur site web. Les nouveaux participants venant s'ajouter aux "anciens" sont au nombre de 9 en 1999, 25 en 2000 et 16 en 2001.
En 1999, les nouvelles questions posées ont trait au multilinguisme, au droit d'auteur, à l'accessibilité du web pour les aveugles et malvoyants, et aux souvenirs personnels (meilleur et pire souvenir) liés au réseau. En 2000, elles concernent l'imprimé, le livre électronique et, pour les auteurs hypermédias, le rôle que joue l'hyperlien dans leur écriture. En 2001, les questions envoyées visent essentiellement à actualiser et compléter les réponses des années précédentes, et poser à nouveau les questions laissées de côté jusque-là.
Certains ne sont pas intéressés par les questions proposées telle ou telle année, et me disent préférer "passer leur tour" jusqu'à l'année suivante. Ou alors ils me disent ne rien avoir à ajouter pour le moment, y compris pour l'actualisation des informations, les choses n'avançant souvent pas aussi vite qu'ils l'auraient souhaité. Sur les 97 personnes ayant participé aux entretiens entre 1998 et 2001, 48 personnes participent une fois, 32 personnes participent à deux reprises (et pas toujours d'une année sur l'autre, pour les raisons que je viens d'évoquer), 13 personnes participent à trois reprises, et 4 personnes participent à quatre reprises.
Les questions ont un effet de cumul d'une année sur l'autre, si bien que les personnes contactées en 2000 ou 2001 se trouvent avoir des questionnaires nettement plus longs que les personnes contactées en 1998 et 1999.
= Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres?
Si je décide de poser les mêmes questions aux uns et aux autres, ce n'est bien sûr ni par souci de rapidité, ni pour éviter de me fatiguer, ni parce que je manque d'imagination. C'est le meilleur moyen que j'aie trouvé de rassembler de nombreux avis sur le même sujet, pour pouvoir ensuite juxtaposer et éventuellement recouper ces réponses. Ceci m'est notamment très utile pour écrire certains passages du Livre 010101 sans me contenter de généralités un peu faciles, sinon de platitudes. De plus, comme, à partir de 1999, les Entretiens sont disponibles en ligne, plusieurs correspondants me disent avoir plaisir à lire les différentes réponses aux questions sur lesquelles ils ont eux mêmes "planché". Ils me disent aussi être souvent surpris par la diversité de ces réponses, par exemple, en 2000, le sentiment de chacun sur le livre électronique (e-book), qui vient de faire son apparition.
= Pourquoi sur plusieurs années?
Comme dit plus haut, je préfère interviewer les mêmes participants sur plusieurs années, à raison d'un entretien par an environ, plutôt que de multiplier le nombre des participants. A la réflexion, je suis heureuse d'avoir adopté cette démarche, qui était au début un peu intuitive.
Chose qui était pressentie par beaucoup dès 1998, les années 1998-2001 s'avèrent bien des années charnières pour le développement de l'internet et des technologies numériques dans le monde du livre et de la presse. Ces années apportent des changements considérables, à savoir en 1998 la création de nombreux sites, en 1999 le développement d'un web à la fois francophone et multilingue, en 2000 le passage du papier au numérique et les perspectives du tout numérique, et en 2001 des pronostics revus à la baisse pour le numérique qui, plutôt que de faire cavalier seul, semble parti pour cohabiter avec l'imprimé pendant pas mal d'années. Les réponses des uns et des autres sur plusieurs années permettent de mesurer cette évolution de l'intérieur.
A titre individuel aussi, l'actualisation des entretiens d'une année sur l'autre a un réel intérêt puisque, pour chaque participant, les choses bougent souvent de manière significative pendant ce laps de temps. Pour plusieurs participants, une actualisation est même nécessaire au bout d'un trimestre ou d'un semestre, ce qui explique que les dates de certains entretiens soient assez rapprochées dans le temps.
= Pourquoi en plusieurs langues?
Il est évident que, même si ce travail est d'abord destiné à prendre le pouls de la communauté francophone, ceci ne doit pas être un carcan, d'autant que, pour des raisons à la fois historiques, géographiques et techniques, l'internet est d'abord anglophone avant d'être multilingue. Des pionniers comme Michael Hart, fondateur du Project Gutenberg en 1971, ou encore John Mark Ockerbloom, fondateur de The Online Book Page en 1993, ont tous deux participé à "mes" entretiens. Sur les 97 personnes qui participent, 72 personnes sont francophones ou considérées comme telles puisque totalement bilingues, 23 personnes sont anglophones et 2 personnes sont hispanophones. Je traduis systématiquement en français les entretiens reçus en anglais et en espagnol, et les mets (presque) immédiatement en ligne dans les deux langues, qui sont donc - comme chacun l'a déjà compris - la langue originale et le français.
Je traduis aussi plusieurs entretiens du français vers l'anglais (avec l'aide de Greg Chamberlain qui vérifie et améliore mes traductions) et du français vers l'espagnol (avec l'aide de Maria Victoria Marinetti pour la même raison). Si tous les entretiens reçus en anglais et en espagnol sont traduits en français, je considère que les participants anglophones et hispanophones ne comprenant pas le français ont eux aussi le droit de savoir ce que pensent les francophones, d'où l'intérêt de ces traductions. Les remerciements de correspondants anglophones à ce sujet - à commencer par les participants anglophones aux entretiens - me montrent que je n'ai pas perdu mon temps. Plus généralement, comme le multilinguisme sur le web me paraît essentiel, ainsi que la nécessité de multiplier les traductions, cela m'a permis de mettre ces idées en pratique à mon très modeste échelon.
Point de détail qui a son intérêt, certains participants appartenant aux communautés non francophones et ne maîtrisant pas parfaitement le français font de réels efforts pour répondre en français, ce qui est méritoire, mais qui enlève aux réponses une partie de l'intérêt qu'elles auraient pu avoir si le correspondant s'était exprimé dans sa langue maternelle. J'ai pu en juger en comparant les réponses lorsque le correspondant change de langue d'une année sur l'autre. Ceci montre une fois de plus l'avantage de s'exprimer dans sa propre langue et l'intérêt de traductions professionnelles, on ne le répétera jamais assez. Mais j'ai été touchée par cette attention, et j'ai bien aimé aussi les commentaires du genre : "Surtout n'oubliez pas de corriger mes fautes…"
Quelques chiffres maintenant. L'intégralité des 97 entretiens est proposée en français, avec 72 entretiens originaux et 25 traductions. Sur les 39 entretiens en anglais, 24 sont des textes originaux et 15 des traductions. Sur les 12 entretiens proposés en espagnol, 2 sont des textes originaux et 10 des traductions (j'explique dans le paragraphe suivant la raison des dix traductions). Par ailleurs, sur les 97 entretiens, 57 entretiens sont unilingues (à savoir uniquement en français), 31 entretiens sont bilingues (30 bilingues français-anglais et un bilingue français-espagnol) et 8 entretiens sont trilingues (français, anglais, espagnol). Un entretien est quadrilingue, celui de Bruno Didier, grâce à la traduction en allemand faite par sa collègue Monika Wechsler.
En fait j'aurais souhaité que la série soit intégralement trilingue, et j'y crois encore en 1999-2000. A cette date, j'ai aussi pour projet de contacter plusieurs hispanophones, d'autant que le web hispanophone est en pleine expansion, particulièrement en Amérique latine. Il me faut donc montrer aux hispanophones unilingues en quoi consiste "mon" projet, non pas en théorie, ce qui ne sert pas à grand chose, mais en leur donnant la possibilité de lire une douzaine d'entretiens. Voici la raison pour laquelle je traduis en espagnol dix entretiens francophones et anglophones. Mais, une fois de plus, je place la barre un peu haut. Les traductions du français vers l'anglais et l'espagnol restent malheureusement trop peu nombreuses pour des raisons de temps (les journées n'ont que vingt-quatre heures et je dois gagner ma vie par ailleurs) et pour des raisons financières (je rémunère bien sûr Greg et Maria Victoria pour leur travail). Quant aux quelques contacts pris en vue de trouver un financement pour ces traductions, ils échouent tous lamentablement, aussi bien en Europe qu'en Amérique du Nord.
= Tentatives auprès des "canaux dirigistes"
Comme nombre de ceux qui poursuivent contre vents et marées une activité bénévole pendant plusieurs années, je fais également quelques tentatives auprès des "canaux dirigistes" pour les intéresser à mon travail et obtenir un financement tant en gardant le même esprit et toute liberté de manoeuvre. J'y mets vraiment du mien puisque je prends à plusieurs reprises mon bâton de pèlerin pour sillonner la France, le Québec, la Belgique et la Suisse, en suivant les conseils de certains disant que, dans ce domaine, le contact "réel" est préférable au contact "virtuel".
Je contacte des organismes en tous genres, traditionnels et numériques, y compris des éditeurs et sociétés de presse qui, à priori, sont censés s'intéresser au livre, et qui s'y intéressent, mais uniquement pour couvrir le travail d'organismes "reconnus" et donner la parole aux directeurs et responsables de ceci ou de cela. On n'a donc pas vraiment la même optique. On me propose aussi de monter un projet (une expression qui semble vraiment à la mode…) alors que le projet est non seulement monté mais aussi réalisé, et qu'il marche très bien, merci pour lui. On me propose encore de remplir des dizaines sinon des centaines de paperasses pour un résultat tout à fait hypothétique, une chose que j'ai faite par le passé à l'ère du papier mais qui me paraît passablement ringarde à l'heure de l'internet.
Pour résumer, encore du temps perdu pour un résultat nul, mais au moins, comme tant d'autres, j'aurais essayé.
= Publication sur le Net des études françaises
Dès 1999, la série des Entretiens est disponible en ligne, afin que les participants potentiels sachent à quoi s'en tenir sur l'esprit du travail et puissent lire ce qui a déjà été écrit sur tel ou tel sujet. Autre avantage de la mise en ligne, les participants peuvent retrouver leurs propres textes pour les relire s'ils en ont envie, ou encore pour créer un lien vers eux à partir de leur propre site, ou encore pour les actualiser et les compléter l'année suivante. Avant la mise en ligne, j'archivais toutes les réponses et j'envoyais à chacun un copier-coller avec son texte de l'année précédente, au cas où il ne l'aurait pas conservé, ce qui s'est avéré plus d'une fois fort utile.
Avant de trouver leur place définitive en juillet 2001 sur le Net des études françaises (NEF), les Entretiens déménagent malheureusement un peu trop souvent, à mon corps défendant. Une première série trouve place sur Biblio On Line (merci à Jean-Baptiste Rey), puis sur le site du CEVEIL (merci à Cynthia Delisle). De courts extraits de versions anciennes et actualisées depuis sont publiés dans E-Doc, une rubrique d'Internet Actu que j'anime pendant cinq mois, entre juin et octobre 2000 (merci à François Vadrot). Je décide ensuite de poster les Entretiens sur mon site personnel CompuServe en attendant la possibilité de les publier sur le même site pendant de nombreuses années, sans craindre une fermeture de rubrique et un changement d'URL.
Enfin la lumière après les errements… Quelques mois après avoir interviewé Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, notre correspondance se poursuit de manière informelle. En été 2001, je lui demande s'il accepterait de publier la série des entretiens sur le Net des études françaises (NEF), créé à son initiative et dont l'esprit me séduit. Le NEF se veut d'une part "un filet trouvé qui ne capte que des morceaux choisis du monde des études françaises, tout en tissant des liens entre eux", d'autre part un réseau dont les "auteurs sont des personnes oeuvrant dans le champ des études françaises et partageant librement leur savoir et leurs produits avec autrui". Deux belles définitions qui s'appliquent aussi aux Entretiens. Il était donc normal qu'il y ait synergie puis fusion. Les Entretiens sont intégrés au NEF en juillet 2001, tout comme Le Livre 010101: enquête, qui rassemble les réponses de manière thématique (voir ci-dessous un descriptif plus détaillé du Livre 010101). En mai 2002, Russon crée une base interactive sous TACTweb qui permet des recherches textuelles dans l'ensemble du travail.
= Bilan sur les questions posées, et leurs réponses
Revenons de manière plus détaillée sur les questions posées. Elles sont parfois liées aux préoccupations du moment, par exemple le droit d'auteur ou le multilinguisme. Certaines sont intemporelles, par exemple la définition par chacun du cyberespace ou de la société de l'information. Certaines sont beaucoup plus profondes qu'elles n'en ont l'air, par exemple le meilleur et le pire souvenir de chacun sur le réseau.
Demander à chaque participant de se présenter et de décrire son activité et/ou l'activité de son organisme va de soi avant d'aller plus avant. L'actualisation d'année en année montre que les choses avancent à la fois vite et pas vite (comme diraient mes amis normands…. Chose qui s'avère aussi vraie dans la vie cyber que dans la vie réelle, l'enthousiasme et la ténacité à titre individuel sont souvent contrés par des problèmes financiers ou des problèmes de "reconnaissance" par l'organisme ou la structure.
Certaines questions visent à entraîner une prise de conscience. La question sur le multilinguisme - qui a suscité quelques remous - est censée faire toucher du doigt plusieurs problèmes à la fois: nécessité d'un web multilingue (en 1998, c'était moins évident que maintenant), nécessité de défendre la place du français sur le réseau (idem), et enfin importance de la traduction dans les deux sens: vers le français, et à partir du français. Plus généralement, on n'insiste peut-être pas assez sur le fait que l'internet et les technologies numériques ne nous offrent pas seulement l'e-book mais aussi la possibilité d'un meilleur échange entre les différentes communautés linguistiques. De plus, au lieu de vilipender les anglophones, certains francophones devraient plutôt reconnaître que, pour la première fois peut-être, grâce au réseau, et pas seulement pour des raisons commerciales, la communauté anglophone s'intéresse au multilinguisme. Un sujet qu'il serait intéressant de creuser.
Autre question visant à entraîner une prise de conscience, celle sur l'accessibilité du web aux personnes aveugles et malvoyantes. Les réponses montrent la nécessité d'une véritable sensibilisation des personnes voyantes (y compris les professionnels du livre…) au fait que les personnes handicapées visuelles ont elles aussi droit à deux modes de connaissance - la lecture et l'écoute - tout comme les personnes voyantes. Si les professionnels interrogés suggèrent presque tous le développement de documents audio, beaucoup ne pensent pas à la conversion désormais possible des documents numériques en braille. Pourquoi les personnes aveugles devraient-elles se limiter à l'écoute, alors que le développement du numérique leur ouvre enfin largement accès à la lecture?
Plus généralement, nombre de passages des entretiens sont à mon humble avis de petits chefs-d'oeuvre, dans l'esprit et/ou le style, et je les ai relus plusieurs fois au fil des années. Entre autres, j'ai beaucoup aimé les réponses sur le meilleur et pire souvenir de chacun. J'ai d'ailleurs regroupé ces réponses sur une page web spécifique. J'ai beaucoup aimé aussi les définitions personnelles des uns et des autres sur le cyberespace et la société de l'information, qui pourraient faire l'objet d'une étude, pourquoi pas, si l'étude en question veut bien ne pas se limiter à les gloser. Comme le dit très justement un de mes correspondants à qui je m'ouvrais du problème, les réponses se suffisent sans doute à elles-mêmes, d'où l'intérêt de tout simplement les rassembler, ce qui donne là aussi une très belle page web. De par son contenu bien sûr. Pour le graphisme, je laisse aux auteurs hypermédias le soin de se pencher sur la question.
= Quelques chiffres
Bien que n'aimant pas trop les statistiques - qui deviennent vite réductrices - je regroupe ici quelques chiffres (pour la plupart déjà cités), et laisse aux spécialistes le soin d'aller plus avant s'ils le souhaitent (conversion en tableaux et analyses de tous ordres).
Etablie à titre purement indicatif - puisque de nombreux participants ont en fait plusieurs casquettes - la liste par professions donne les chiffres suivants: 14 auteurs, dont 6 auteurs "classiques" et 8 auteurs hypermédias, 12 bibliothécaires-documentalistes, 2 concepteurs d'appareils de lecture, 3 créateurs de sites littéraires, 10 éditeurs, 5 gestionnaires, 7 journalistes, 26 linguistes, dont 8 francophones et 18 non francophones, et enfin 12 professeurs. En fait, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les linguistes ne sont pas sur-représentés. Il s'agit plutôt d'une erreur de ma part. D'une part, le terme est utilisé faute de mieux pour tous ceux qui s'intéressent de très près aux langues. D'autre part j'aurais dû faire éclater cette catégorie en plusieurs catégories: traducteurs, concepteurs de dictionnaires et d'encyclopédies, spécialistes de la traduction automatique, etc. Cette dernière précision est à destination des chercheurs qui vont se pencher sur le problème, puisque certains m'ont déjà dit vouloir étudier cette série d'entretiens. Ils peuvent d'emblée indiquer que, si j'ai réussi un relatif équilibre entre les divers corps de métiers, j'ai complètement raté la parité, puisque, sur les 97 participants, 77 sont des hommes et 20 sont des femmes. A tort ou à raison, je n'ai pas utilisé le sexe comme critère de choix des correspondants.
Les langues maintenant. Les 97 entretiens ont une version française. Ce sont soit des textes originaux (72) soit des traductions (25). Les 39 entretiens en anglais sont soit des originaux (24) soit des traductions (15). Les 12 entretiens en espagnol sont soit des originaux (2) soit des traductions (10). Dans les 97 entretiens, 57 entretiens sont unilingues (français), 31 entretiens sont bilingues (français-anglais, sauf un français-espagnol), 8 entretiens sont trilingues (français, anglais, espagnol) et un entretien remporte la palme du multilinguisme puisqu'il est quadrilingue (français, anglais, espagnol, allemand).
La répartition sur plusieurs années enfin. 47 personnes participent aux entretiens en 1998. 14 s'arrêtent là et 33 poursuivent les années suivantes. Viennent s'ajouter ensuite 9 nouveaux participants en 1999, 25 nouveaux participants en 2000 et 16 nouveaux participants en 2001. Sur les 97 participants, 48 participants répondent une fois, 32 participants répondent à deux reprises, 13 participants répondent à trois reprises, et 4 participants répondent à quatre reprises. Précision qui a son importance, ces derniers chiffres ne peuvent être exploités tels quels puisque, contrairement à ceux qui ont participé à l'aventure dès ces débuts, les participants qui n'ont été contactés qu'en 2000 ou 2001 n'ont évidemment pas eu le loisir de répondre sur plusieurs années. Cependant, que ce soit dans un seul questionnaire (en 2000 et 2001) ou dans plusieurs questionnaires (1998, 1999, 2000 et 2001), tous ont reçu à peu près les mêmes questions.
= Le Livre 010101
Au printemps 2001, forte d'une centaine d'entretiens, je rassemble les réponses par thèmes, en y ajoutant des informations techniques sur le développement de tel ou tel secteur: édition électronique, bibliothèque numérique, librairie en ligne, livre numérique, livre électronique, référence en ligne, logiciels de traduction, etc. Cela donne Le Livre 010101: enquête, publié en juillet 2001.
Le deuxième semestre 2001 marque la fin d'une époque (la préhistoire du numérique peut-être…) avant le début d'une autre, et ceci vaut non seulement pour la "nouvelle" économie dans son ensemble mais aussi pour le livre numérique. Après les nombreuses initiatives individuelles et collectives des années 1998-2001 et l'enthousiasme qui va avec, on assiste à un ralentissement accompagné d'une certaine lassitude, avant un nouveau départ sans doute.
Si, en 2001, j'avais l'impression que ce n'était pas "mûr" pour une synthèse sur le sujet, le premier semestre 2002 me paraît la période opportune pour l'écrire. Je m'appuie sur les trois sources que sont les entretiens, les enquêtes et le suivi de l'actualité pendant cinq ans. Cela donne une nouvelle version du Livre 010101, distribué par Numilog au format PDF en septembre 2002. Sous toutes réserves, le livre devrait être régulièrement actualisé selon une périodicité qui reste à déterminer. Une version imprimée serait également bienvenue, mais à ce jour mes démarches n'ont (encore) rien donné pour trouver un partenaire qui prenne en charge la fabrication (de qualité) et la distribution (efficace).
= Les Entretiens sont eux-mêmes un réseau
Dès 1999, les Entretiens agissent comme un réseau, les participants se contactant ensuite directement, parfois à mon initiative, parfois en consultant tout simplement la liste des entretiens. Il arrive aussi que des participants soient contactés par des organismes ayant trouvé "leur" entretien par le biais de moteurs de recherche. C'est le cas de certains auteurs hypermédias. J'aime en tout cas cette idée d'un réseau aux multiples ramifications.
Pour moi aussi les Entretiens ont agi comme un réseau.
En février 2001 je prends contact avec Russon Wooldridge, créateur du Net des études françaises (NEF), grâce à Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux, qui participe régulièrement aux Entretiens depuis 1998 et qui est lui-même membre du NEF. Russon participe d'abord aux Entretiens avant de les publier sur le NEF en juillet 2001.
Je prends ensuite contact avec Emilie Devriendt grâce à Russon. Emilie participe aux Entretiens en juin 2001 avant que je ne lui propose l'année suivante de poursuivre ce travail. Elle décide de former équipe avec Russon Wooldridge et Dominique Scheffel-Dunand.
Olivier Gainon, fondateur de CyLibris, participe aux Entretiens en décembre 2000. Pionnier de l'édition en ligne, CyLibris publie une lettre d'information électronique volontairement décalée et souvent humoristique, dont le ton me plaît, et à laquelle je contribue à partir d'octobre 2001.
Denis Zwirn, co-fondateur et PDG de Numilog, participe aux Entretiens en février 2001. En septembre 2002, Numilog distribue la nouvelle version du Livre 010101 au format PDF.
Quelques exemples parmi d'autres, sans parler de la trentaine de rencontres "virtuelles" qui sont ensuite devenues réelles.
= La suite des Entretiens
En janvier 2002, je décide de repasser le flambeau à une nouvelle équipe. Tout bénévole "fatigue" au bout de quelques années, surtout quand il s'agit d'un travail très prenant en plus de l'activité professionnelle habituelle, limitée au minimum vital pour avoir justement du temps pour l'animation des entretiens et le travail de recherche qui l'accompagne. Lors du colloque du Net des études françaises en mai 2002 à Lisieux (Normandie), trois membres actifs du NEF composent une petite équipe pour reprendre le flambeau. Ce sont Emilie Devriendt (Ecole normale supérieure de Paris), Dominique Scheffel-Dunand (Université de Toronto) et Russon Wooldridge (Université de Toronto). La nouvelle série d'entretiens débute en juin 2002. Elle est intitulée Entreliens. Nouveau souffle, nouvelles personnes, nouvelles questions, nouvelles idées… le réseau continue de s'étendre.
= Publications issues des Entretiens, ou qui en citent des extraits
2003 [en projet]: Le Livre 010101 (1993-2003). Deux volumes publiés en ligne sur le Net des études françaises (Université de Toronto).
2002: Littérature et internet des origines (1971) à nos jours: quelques expériences, communication lors du 2e colloque international "Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies d'information et de communication", Lisieux (Normandie), mai 2002.
2001-2002: Articles dans Edition Actu, la lettre d'information électronique de CyLibris (Paris).
2001: Le Livre 010101: Enquête. Publié en ligne sur le Net des études françaises (Université de Toronto).
2001: Entretiens / Interviews / Entrevistas (1998-2001). Série trilingue (français, anglais, espagnol) publiée sur le Net des études françaises (Université de Toronto).
2000: Série d'articles (E-Doc, 1-20, juin-octobre 2000) dans Internet Actu, publié par FTPress (French Touch Press, Paris).
2000: "L'impact des NTIC [nouvelles technologies de l'information et de la communication] sur les auteurs, les éditeurs et les libraires", dans: La publication en ligne, Les cahiers du numérique, I/5 (Hermès Science, Paris).
1999: "Les cyberbibliothèques" et "Sélection de sites web", dans: "L'information scientifique et technique et l'outil internet", Le Micro Bulletin Thématique, n° 1, publié par la Délégation aux systèmes d'information du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, Paris).
1999: De l'imprimé à internet. Publié en version PDF et en version imprimée par les Editions 00h00 (Paris) entre avril 1999 et décembre 2002. Publié ensuite en ligne par le Net des études françaises. Disponible aussi en anglais avec un texte différent.
1999: Le multilinguisme sur le web. Publié en ligne par le CEVEIL (Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues, Montréal) entre février 1999 et décembre 2002. Publié ensuite par le Net des études françaises. Disponible aussi en anglais.
Copyright © 2001 Marie Lebert