Expériences et observations sur l'électricité faites à Philadelphie en Amérique
EXPÉRIENCES
Qui confirment ce qui vient d'être
avancé.
EXPÉRIENCE I.
P
lacez une fiole électrisée
sur de la cire; tenez à la main une
petite boule de liége suspenduë
par un fil de soye séche: approchez-la
du fil-d'archal, elle sera
d'abord attirée & ensuite repoussée.
Lorsqu'elle est dans cet état
de répulsion, baissez la main, afin
que la boule se trouve vis-à-vis le
fond de la bouteille; elle sera
promptement & fortement attirée
jusqu'à ce qu'elle ait communiqué
son feu.
Si la bouteille avoit, comme son fil-d'archal, une atmosphère électrique, le liége électrisé seroit également repoussé par l'une comme par l'autre.
«Quand on tient dans sa main une bouteille bien électrisée, on aperçoit sur tout dans l'obscurité une aigrette lumineuse au haut du crochet, & on entend le sifflement de la matière électrique qui s'échape dans l'air par cette voye. Si dans cet état l'on pose la bouteille sur un support électrique de verre, de résine, &c. l'aigrette disparoît & le sifflement cesse. Cette observation suffiroit seule pour prouver que la bouteille doit se décharger plus lentement quand elle est sur un support électrique, que quand elle est sur un non-électrique. Un célebre Physicien a cependant cru remarquer le contraire; & c'est sur sa parole que le critique de M. Fr. sans s'être assûré par lui-même de la vérité du fait, lui adresse cette question 13: Pourquoi dans vos expériences la posez-vous toujours (cette bouteille) sur de la cire ou sur du verre? Ne savez-vous pas, continue-t-il, qu'étant ainsi placée sur un corps originairement électrique, elle perd promptement sa vertu?
»Voici les précautions que j'ai prises pour faire cette expérience.
1º. J'ai choisi deux bouteilles les plus égales qu'il m'a été possible de trouver en matière, en forme, en dimensions, en poids & en capacité: 2º. Les tenant toutes deux à la main, je les ai électrisées également & en même tems au même conducteur; & pour m'assûrer qu'elles étoient également chargées, j'ai fait toucher le crochet de l'une à celui de l'autre: 3º. Je les ai ensuite posées en même-tems l'une sur un plateau de verre, l'autre sur un plateau de bois à peu près égal, placés sur une table l'un à un bout, & l'autre à l'autre, au milieu d'une chambre. 4º. Après les avoir laissées en cet état pendant plusieurs heures, j'ai fait l'expérience de Leyde avec chacune de ces deux bouteilles, & j'ai trouvé que la commotion donnée par la bouteille posée sur le support électrique, étoit la plus forte.
»Après avoir recommencé plusieurs fois la même expérience, tantôt de la même façon, & tantôt en changeant les bouteilles de place, j'ai toujours eu le même succès. On doit en conclure que notre Critique n'a pas raison d'éxiger de M. Fr. que la bouteille électrisée soit placée sur un support non électrique pour faire la première expérience.
»Objecter que si l'on veut de bonne foi savoir & montrer l'état naturel & véritable de la surface extérieure ou du bas de la bouteille, il ne faut la poser ni sur de la cire ni sur du verre, puisque cela-seul peut faire changer d'état à l'une des deux surfaces, & qu'il convient de la laisser dans toutes les circonstances où elle étoit lorsqu'on la chargeoit d'électricité, &c. c'est faire connoître qu'on n'entend pas ce dont il s'agit, ou tout au moins que l'on perd son point de vûe; c'est oublier que la bouteille électrisée est dans un état tout opposé à celui de la bouteille qu'on électrise. Celle-ci reçoit sur une de ses surfaces, & perd d'autant sur l'autre; ce qui se passe en celle-là est précisément le contraire, & encore quelque chose de plus, si la bouteille est soutenuë sur un support électrique. M. Fr. a donc raison de la mettre dans la situation la plus favorable à ses vuës, lorsqu'il veut éprouver la force, l'effet, la différence & la manière d'être de chacune de ses surfaces. L'on sent bien que s'il traitoit la bouteille électrisée comme on veut le lui enseigner, il trouveroit en pure perte & la force & l'effet d'une de ses surfaces. Ingénieux comme l'est cet illustre Américain, consommé dans les recherches électriques, où il a fait lui-seul plus de progrès que tous les autres physiciens ensemble, pouvons-nous douter qu'il n'ait tenté des moyens aussi simples que ceux qu'on veut lui apprendre?»
EXPÉRIENCE II.
Fig. 3. D'un fil-d'archal courbé (a) & affermi sur une table, faites pendre un fil de lin (b) à distance d'un demi-pouce du ventre de la fiole (c) électrisée & posée sur de la cire: touchez avec le doigt le fil-d'archal de la fiole à plusieurs reprises; & à chaque attouchement vous verrez le fil aussitôt attiré par la bouteille. (Cette expérience réussit encore mieux avec un vinaigrier, ou tel autre vase bombé qu'on voudra.) Dès que vous tirez du feu de la partie intérieure en touchant le fil-d'archal, la partie extérieure de la bouteille en attire une égale quantité par le fil.
EXPÉRIENCE III.
Fig. 4. Faites tenir un fil-d'archal dans le plomb dont le bas de la bouteille est armé (d), de sorte qu'en faisant un coude pour se relever perpendiculairement, l'anneau qui le termine se trouve de niveau avec le haut ou l'anneau du fil-d'archal qui entre dans le liége (e) à trois ou quatre pouces de distance. Alors électrisez la bouteille & posez-la sur de la cire. Si un morceau de liége suspendu par un fil de soye tombe entre les deux fils-d'archal, il jouëra continuellement de l'un à l'autre jusqu'à ce que la bouteille ne soit plus électrisée: la raison en est qu'il charrie & apporte le feu du dedans au dehors de la bouteille jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli.
«Les objections que l'on fait contre cette troisiéme expérience, ou plutôt les faits que l'on oppose aux conséquences qui en résultent, doivent être partagés en deux classes. Je vais répondre à ceux de la premiere, & ceux de la seconde trouveront place ailleurs; notre auteur ayant examiné à fond la différence que l'on a remarquée entre un corps électrisé par un globe de verre, & un autre électrisé par un globe de soufre. 14.
»Comment notre critique, si clairvoyant d'ailleurs, a-t-il pû méconnoître l'effet des pointes dans l'expérience qu'il propose pour objection, pag. 102 & 103? Il avoit déjà déclaré dans la page précédente qu'il préféroit une petite feuille de métal aux boulettes de liége dont s'est servi M. Franklin: il s'en sert encore ici pour prouver que la surface extérieure de la bouteille électrisée n'attire pas ce que sa surface intérieure a repoussé, sans faire attention qu'en vertu du pouvoir des pointes, cette feuille métallique est dépouillée de son atmosphère électrique avant de pouvoir être attirée; je dis plus, c'est qu'elle est alors dans un état d'électricité négative, aussi bien que l'extérieur de la bouteille, & c'est pour cela qu'elle est repoussée. Il ne lui arrive en cet endroit que ce qui lui est arrivé auprès du fil-d'archal plongé dans la bouteille. La feuille du métal s'y est souvent électrisée sans toucher le crochet, de même elle se désélectrise sans toucher le ventre; après quoi elle en est repoussée; car c'est une vérité reconnue que les corps électrisés négativement se repoussent de même que ceux qui le sont positivement. Que notre critique substituë à sa feuille de métal ou une petite boule de liége, à l'imitation de notre auteur, ou une balle de métal, 15 comme je l'ai souvent éprouvé, je lui serai garant d'un succès aussi complet que celui qu'il entreprend de contester.
»Quant à l'expérience que l'on nous oppose, pag. 104. & suivantes, le R. P. Beccaria m'a dispensé de me mettre en frais pour y répondre. Voy. son Liv. I. de l'Électricité Artificielle, chap. II.»
EXPÉRIENCE IV.
Fig. 5. Placez une fiole électrisée sur de la cire: prenez un fil-d'archal (g) qui ait la forme d'un C: que ses extrémités, lorsqu'il est bandé, soient tellement éloignées, que la supérieure puisse toucher le fil-d'archal de la bouteille, tandis que l'inférieure en touche le ventre. Attachez-en la partie extérieure sur un bâton de cire d'Espagne (h), qui servira comme de manche: appliquez d'abord son extrémité inférieure au fond extérieur de la bouteille, & approchez par dégrés son extrémité supérieure du fil-d'archal qui est dans le liége, vous y verrez les étincelles se suivre successivement jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli; touchez d'abord le haut, & en approchant l'autre extrémité du fond, vous aurez un courant de feu continuel du dedans au dehors de la bouteille: touchez le haut & le bas en même tems, & l'équilibre sera bientôt rétabli, le fil-d'archal courbé formant la communication de l'intérieur à l'extérieur.
»Il est raisonnable en général de faire des questions pour s'instruire de ce que l'on n'entend pas; mais il ne l'est guères de les accompagner d'objections; c'est déclarer d'avance que l'on est déterminé à contredire. Que notre critique demande à Mr. Franklin ce qu'il prétend prouver par sa quatriéme expérience; à la bonne heure; mais qu'il ajoute tout de suite: Ne sçait-on pas qu'on fait cesser l'électricité d'un corps quand on en tire des étincelles? Ce que vous faites ici sur la bouteille de Leyde, vous l'éprouverez de même sur une barre de fer,..... Faudroit-il dire aussi que vous lui rendez par un côté le feu que vous lui ôtez par l'autre? C'est faire connoître qu'il n'entend pas l'état de la question; l'état d'une bouteille électrisée, & celui d'une barre de fer aussi électrisée, ne peuvent guères se comparer tant il se trouve de différence de l'un à l'autre: différence dans la charge, différence dans la situation, différence dans la décharge, différence dans l'effet; pour l'expliquer il faudroit un trop long détail, qui se trouvera d'ailleurs dans toute la suite de ce livre. Revenons à l'expérience dont il est question.
»Il est certain qu'en touchant successivement avec le fil de fer préparé comme il est expliqué, le fil-d'archal & le bas de la bouteille électrisée, l'on transporte le feu du dedans au dehors; quoiqu'en dise la critique, l'on rend peu à peu à la surface extérieure ce qu'on ôte à l'intérieure, ce que celle-ci a de trop, & ce qui manque à celle-là, jusqu'à ce qu'elles soient remises chacune dans leur état naturel. Il y a même un moyen de rendre ces effets si sensibles qu'on ne puisse plus les contester; il ne s'agit que de faire l'expérience suivante: tenez près du ventre de la bouteille une balle de liége suspenduë à un fil de soye; quand vous toucherez le fil-d'archal de la bouteille avec le fil de fer, le liége s'approchera de la bouteille; quant après cela vous toucherez le bas de la bouteille, si vous êtes dans l'obscurité, vous appercevrez au haut du crochet l'aigrette qui paroîtra & disparoîtra à chaque attouchement ainsi répété. Si on applique en même tems les deux bouts du fil de fer, l'un au fil-d'archal de la bouteille, & l'autre au bas de la même bouteille, l'équilibre sera dans l'instant rétabli entre les deux surfaces, comme l'a judicieusement avancé notre Américain.»
EXPÉRIENCE V.
Fig. 6. Entourez une bouteille (i) d'une bande de plomb laminé ou même de papier, à quelque distance au-dessus du fond: de cette bande circulaire faites monter un fil-d'archal jusqu'à ce qu'il touche le fil-d'archal du bouchon de liége (k). Il n'est pas possible d'électriser un bouteille disposée de la sorte: l'équilibre n'est jamais détruit; car tandis que la communication entre les parties intérieure & extérieure de la bouteille est continuée par le fil-d'archal du dehors, le feu ne fait que circuler, & ce qui sort du bas est constamment remplacé par le haut; il suit de là qu'on ne sçauroit électriser une bouteille qui est sale ou humide en dehors, surtout si cette humidité monte jusqu'au liége ou au fil-d'archal.
»À prendre les choses à la rigueur, Mr. L. N. a raison de dire, contre l'assurance de Mr. Franklin, qu'il n'est pas impossible de charger une bouteille préparée comme on vient de l'expliquer; j'en avois fait l'expérience de diverses manières long-tems avant d'avoir vû les lettres de l'académicien; je l'avois même poussée plus loin, puisque j'étois venu à bout de charger & de décharger la bouteille par parties, c'est-à-dire à plusieurs reprises, il ne s'agit pour cela que d'avoir une fiole fort allongée, de l'entourer de plusieurs bandes ou ceintures de métal parallèles, & assez éloignées pour que l'étincelle électrique ne puisse sauter de l'une à l'autre, & de ne pas forcer en l'électrisant. L'expérience qu'on nous oppose revient au même, elle réussit quand la main qui soutient la bouteille ne touche pas à la ceinture métallique, & qu'on ne force pas l'électrisation au point que le feu puisse franchir l'espace vuide qui se trouve entr'elles, elle ne réussiroit pas autrement.
»Quoi qu'il en soit, je ne trouve pas que le succès de cette expérience prouve beaucoup contre la proposition de Mr. Franklin: il n'en reste pas moins vrai que la bouteille ne se chargera point tant qu'il y aura une communication exactement établie entre son intérieur & sa doublure extérieure. Il faut toujours regarder la main qui lui est appliquée, comme faisant partie de cette doublure; si elle est assez écartée de la ceinture métallique pour que le feu ne puisse passer de l'une à l'autre, la bouteille pourra se charger foiblement; mais ce ne sera jamais mais que dans la partie qui est couverte par la main, & point du tout dans la partie qui est couverte par la bande de métal.»
EXPÉRIENCE VI.
Placez un homme sur un gâteau de cire, & donnez-lui à toucher le fil-d'archal de la fiole électrisée, que vous tiendrez à la main demeurant debout sur le plancher; à chaque fois qu'il le touchera, il sera électrisé de plus en plus, & quiconque sera sur le plancher pourra tirer de lui une étincelle. Le feu dans cette expérience passe du fil-d'archal dans son corps, & passe en même tems de votre main dans la partie extérieure de la bouteille.
EXPÉRIENCE VII.
Donnez-lui à tenir la fiole électrisée, & touchez le fil-d'archal; à chaque fois que vous le toucherez, il sera électrisé de moins en moins, & pourra tirer une étincelle de chacun de ceux qui sont sur le plancher. Ici le feu passe du fil-d'archal dans vous, & de lui dans la partie extérieure de la bouteille.
EXPÉRIENCE VIII.
Couchez deux livres sur deux verres dos à dos, à la distance de deux ou trois pouces; mettez sur l'un la fiole électrisée, & touchez le fil-d'archal, ce livre sera électrisé négativement; le feu électrique en étant tiré par le fond de la bouteille, ôtez la bouteille, & la tenez à la main, touchez l'autre livre avec le fil-d'archal, ce livre sera électrisé positivement: le feu passant du fil-d'archal dans le livre, & votre main en refournissant en même tems à la bouteille; une petite boule de liége suspendue à un fil de soye jouëra entre ces deux livres jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli.
EXPÉRIENCE IX.
Lorsqu'un corps est électrisé positivement, il repousse une plume, ou une petite boule de liége électrisée; lorsqu'il est électrisé négativement, ou qu'il est dans l'état commun, il les attire, mais plus fortement lorsqu'il est électrisé négativement que lorsqu'il est dans l'état commun, la différence étant plus grande.
EXPÉRIENCE X.
Quoique, comme dans l'expérience VI. un homme debout sur de la cire puisse être électrisé nombre de fois, en touchant à plusieurs reprises le fil-d'archal de la bouteille électrisée que tient quelqu'un aussi debout sur le plancher, parce qu'il reçoit à chaque fois le feu du fil-d'archal; cependant en la tenant lui-même dans sa main, & touchant le fil-d'archal, quoiqu'il tire une forte étincelle, & qu'il soit violemment frappé, il ne reste point en lui d'électricité, le feu le traverse seulement en passant de la partie intérieure à la partie extérieure de la bouteille. Observez, avant le coup, de le faire toucher par quelqu'un qui soit debout sur le plancher, afin de rétablir l'équilibre dans son corps; car en empoignant le bas de la bouteille, il devient quelquefois un peu électrisé négativement, ce qui continuë après le coup, de même qu'il conserveroit l'électricité positive, qui pourroit lui avoir été communiquée avant le coup; car le rétablissement de l'équilibre dans la bouteille n'affecte point du tout l'électricité dans l'homme que le feu traverse; cette électricité n'est ni augmentée ni diminuée.
EXPÉRIENCE XI.
Voici une jolie expérience qui rend extrêmement sensible le passage du feu électrique de la partie intérieure à la partie extérieure de la bouteille, pour rétablir l'équilibre. Prenez un livre dont la couverture soit ornée de filets d'or: courbez un fil-d'archal de 8 ou 10 pouces de long dans la forme (m), fig. 7. glissez-le & l'affermissez à l'extrémité de la couverture du livre sur le filet d'or, de sorte que le coude de ce fil-d'archal puisse presser sur une extrémité du filet d'or, l'anneau étant en haut, mais directement au-dessus de l'autre extrémité du livre: couchez ce livre sur un verre ou sur de la cire, & posez la bouteille électrisée sur l'autre extrémité des filets d'or: alors courbez le fil-d'archal élastique, en le pressant avec un bâton de cire; jusqu'à ce que son anneau soit proche de l'anneau du fil-d'archal de la bouteille; à l'instant vous appercevez une forte étincelle & un coup, & tout le filet d'or qui complette la communication entre l'intérieur & l'extérieur de la bouteille, paroît une flamme vive comme un éclair très-brillant. L'expérience réussira d'autant mieux que le contact sera plus immédiat entre le coude du fil-d'archal & l'or à une extrémité du filet, & entre le fond extérieur de la bouteille & l'or à l'autre extrémité. Il faut faire cette expérience dans une chambre obscure. Si vous voulez que tout le contour des filets d'or sur la couverture paroisse en feu tout à la fois, faites en sorte que la bouteille & le fil-d'archal touchent l'or dans les angles diagonalement opposés.
DE LA LETTRE VI.
1. Septembre 1747.
N
ous avions été quelque tems
dans l'opinion que le feu électrique
n'étoit pas produit, mais rassemblé
par le frottement, étant
en effet un élément répandu partout,
& attiré par d'autres matières,
spécialement par l'eau & par
les métaux: nous avions aussi découvert
& démontré son affluence
au globe électrique, aussi bien
que son effluence par le moyen
des roues d'un petit moulin à
vent
16, dont les aîles sont de
gros papier placées obliquement,
& tournant librement sur un axe
délié de fil-d'archal, & aussi par
de petites roues de la même matière,
mais qui ont la forme des
roues de moulin à eau. Je pourrois,
si j'avois le tems, vous remplir
une feuille de papier de la
disposition & de l'application de
ces roues, & des différens phénomènes
qui en résultent.
L'impossibilité de s'électriser soi-même, quoique placé sur un gâteau de cire, en frottant le tube & en tirant le feu, & la manière d'y réussir en approchant le tube d'une personne ou d'une chose placée sur le plancher, &c. s'étoient également présentées à nous quelques mois avant d'avoir lû l'ingénieux ouvrage (Sequel) de M. Watson; elles font même partie de ces nouvelles découvertes que je me proposois de vous communiquer..... Il ne s'agit maintenant que de rapporter certaines particularités qui ne se trouvent point dans cet ouvrage, en y joignant nos réfléxions, quoiqu'il fût peut-être plus à propos de vous les épargner.
28. Une personne sur un gâteau de cire ou de résine & frottant le tube, une autre personne aussi sur un gâteau de cire & tirant le feu; ces deux personnes paroîtront électrisées à une troisiéme sur le plancher, pourvû qu'elles ne soient pas assez près pour se toucher; c'est-à-dire que cette troisiéme personne appercevra une étincelle en approchant son doigt de chacune des deux premières.
29. Mais si celles qui sont sur la cire se touchent l'une l'autre pendant que le tube est frotté, aucune des deux ne paroîtra électrisée.
30. Si elles se touchent l'une l'autre, après que l'on aura excité le tube, & tiré le feu, comme ci-devant, il y aura une plus forte étincelle entr'elles, qu'elle ne l'étoit entre l'une d'elles & la personne qui est sur le plancher.
31. Après cette forte étincelle, on ne découvre dans l'une ni dans l'autre aucune trace d'électricité.
Voici de quelle manière nous tâchons de rendre raison de ces phénomènes. Nous supposons, comme ci-dessus, que le feu électrique est un élément commun, dont chacune des trois personnes susdites a une portion égale avant le commencement de l'opération avec le tube: A, qui est sur un gâteau de cire, & qui frotte le tube, rassemble de son corps dans le verre le feu électrique; & sa communication avec le magazin commun étant interceptée par la cire, son corps ne recouvre pas d'abord ce qui lui en manque. B, qui est pareillement sur la cire, alongeant son doigt près du tube, reçoit le feu que le verre avoit tiré de A; & sa communication avec le magazin commun étant aussi interceptée, il conserve de surplus la quantité qui lui a été communiquée. A & B paroissent électrisés à C, qui est sur le plancher; car celui-ci ayant seulement la moyenne quantité de feu électrique, reçoit une étincelle à l'approche de B, qui en a de plus, & il en donne à A, qui en a de moins. Si A & B s'approchent jusqu'à se toucher l'un l'autre, l'étincelle sera plus forte, parce que la différence entr'eux est plus grande. Après cet attouchement il n'y aura plus d'étincelle entre l'un des deux & C, parce que le feu électrique est réduit dans tous les trois à l'uniformité primitive. S'ils se touchent pendant qu'on électrise, l'égalité n'est point détruite, le feu ne faisant que circuler. De-là quelques termes nouveaux se sont introduits parmi nous. Nous disons que B (& les corps dans les mêmes circonstances) est électrisé positivement, & A négativement; ou plutôt B est électrisé plus, A l'est moins; & tous les jours dans nos expériences nous électrisons les corps en plus & en moins, selon que nous le jugeons à propos..... Pour électriser en plus ou en moins, il faut seulement savoir que les parties du tube ou du globe qui sont frottées, attirent dans l'instant du frottement le feu électrique, & l'enlevent par conséquent à la chose frottante. Les mêmes parties, aussitôt que le frottement cesse, sont disposées à donner le feu qu'elles ont reçu, à tout corps qui en a moins. Ainsi vous pouvez le faire circuler, comme M. Watson l'a enseigné: vous pouvez aussi l'accumuler sur un corps ou l'en soustraire, selon que vous liez ce corps avec celui qui frotte ou avec celui qui reçoit, la communication avec le magazin commun étant interrompuë. Nous croyons que cet ingénieux auteur s'est trompé lorsqu'il a imaginé dans son ouvrage que le feu électrique descend par le fil-d'archal du lambris au canon de fusil, de-là au globe, & électrise ainsi la machine & l'homme qui tourne la roue, &c. Nous supposons au contraire qu'il est chassé & non introduit à travers le fil-d'archal, & que la machine & l'homme, &c. sont électrisés en moins; c'est-à-dire, qu'ils ont en eux moins de feu électrique que les choses dans l'état commun.
Comme le Vaisseau est sur le point de faire voiles, je ne puis vous rendre sur l'électricité de l'Amérique, un compte aussi étendu que je me l'étois proposé, je me bornerai donc à quelques autres particuliarités.... Nous trouvons le plomb granulé meilleur que l'eau pour remplir la bouteille, parce qu'il est aisément chauffé, & qu'il conserve la chaleur & la sécheresse dans un air humide.... nous enflammons les liqueurs spiritueuses avec le fil-d'archal de la fiole... nous rallumons une chandelle qui vient d'être éteinte, en tirant une étincelle dans la fumée entre le fil-d'archal & les mouchettes.... nous imitons les éclairs en passant le fil-d'archal dans l'obscurité sur un plat de porcelaine qui a des fleurs d'or, ou en l'appliquant au câdre doré d'un miroir, &c.... nous électrisons une personne plus de vingt fois de suite par l'attouchement du doigt au fil-d'archal, de cette manière: placez quelqu'un sur de la cire; mettez-lui à la main la bouteille électrisée, touchez du doigt le fil-d'archal; touchez ensuite sa main ou son visage, il y paroîtra des étincelles à chaque fois... nous augmentons excessivement la force des baisers électriques. Ainsi placez A & B. sur un gâteau de cire, 17 mettez à la main de l'un des deux la fiole électrisée; faites empoigner à l'autre le fil-d'archal, il en sortira une petite étincelle; mais s'ils approchent leurs lèvres ils seront frappés & étourdis. La même chose arrive, si un autre homme & une autre femme C & D se tenant aussi sur de la cire, & joignant les mains avec A & B, viennent à se baiser ou à se prendre les mains.... nous suspendons par un fil de soye une figure d'araignée faite d'un petit morceau de liége brûlé avec les pates de fil de lin, & lestée d'un ou de deux grains de plomb pour lui donner plus de poids sur la table où elle est suspenduë; nous attachons un fil-d'archal perpendiculairement, aussi haut que le fil-d'archal de la fiole, & éloigné de l'araignée de deux ou trois pouces: alors nous l'animons en mettant la fiole électrisée à la même distance, mais de l'autre côté; elle volera sur le champ au fil-d'archal de la fiole, & bandera ses pattes, en le touchant; s'élancera de ce fil, & volera au fil-d'archal de la table, de-là encore au fil-d'archal de la fiole, joüant avec ses pattes contre l'un & l'autre d'une manière tout à fait amusante, & paroîtra parfaitement animée aux personnes qui ne seront pas instruites. Elle continuëra ce mouvement une heure & plus dans un tems sec.... nous électrisons sur de la cire dans l'obscurité, un livre entouré d'un double filet d'or sur la couverture, ensuite nous appliquons le doigt à la dorure; le feu paroît partout sur l'or comme un faisceau d'éclairs, & nullement sur le cuir, quand même on toucheroit le cuir au lieu de l'or.... nous frottons nos tubes avec une peau de chamois, & nous observons de présenter toujours le même coté au tube, & de ne jamais salir le tube en le maniant. Ainsi l'on travaille avec vitesse & facilité, sans la moindre fatigue, surtout si l'on a soin de l'enfermer proprement dans un étui de carton doublé de flanelle, dont la capacité réponde exactement au volume du tube... 18 J'entre dans ce détail, parce que les écrits d'Europe sur l'électricité parlent souvent du frottement des tubes, comme d'un éxercice pénible & fatiguant. Nos globes tournent sur des axes de fer qui les traversent: à une extrémité de l'axe il y a une manivelle avec laquelle nous tournons le globe comme une meule ordinaire, ce que nous trouvons d'autant-plus commode, que la machine ocupant peu de place, est portative, & peut être renfermée dans une boëte propre lorsque l'on ne s'en sert plus. Il est vrai que le globe ne tourne pas aussi vîte que lorsqu'on y employe une grande rouë; mais cet inconvénient est de peu de conséquence, puisque quelques tours suffisent pour charger la fiole, &c.
AUTRES EXPÉRIENCES
Qui prouvent que la bouteille de Leyde ne contient pas plus de feu électrique, lorsqu'elle est chargée, ni moins, lorsqu'elle est déchargée, qu'auparavant: que dans la décharge le feu ne sort point du fil-d'archal & des côtés en même-tems, comme quelques-uns l'ont pensé; mais que les côtés reçoivent toujours ce qui est déchargé par le fil-d'archal, ou une égale quantité; la surface extérieure étant toujours dans un état négatif d'électricité, tandis que la surface intérieure est dans un état positif.
32. Placez sous le coussin, frottant une lame de verre assez épaisse pour couper la communication du feu électrique entre le plancher & le coussin; alors s'il n'y a pas de pointes déliées ou de fils capillaires qui sortent du coussin ou des parties de la machine opposées au coussin (ce à quoi vous devez bien prendre garde) vous ne pourrez tirer du premier conducteur que peu d'étincelles, qui seront tout ce que le coussin en pourra donner.
33. Suspendez alors une fiole sur le premier conducteur, & elle ne se chargera pas, quoique vous la teniez par le côté; mais formez par une chaîne une communication des côtés de la fiole au coussin, & la fiole se chargera, car alors le globe tire le feu électrique de la surface extérieure de la fiole, & le pousse à travers le premier conducteur, & le fil-d'archal de la fiole dans sa surface intérieure.
Ainsi la bouteille est chargée avec son propre feu, nul autre ne pouvant y entrer, tandis que la lame de verre est sous le coussin.
«M. L. N. conteste cette expérience, en assurant qu'il l'a répétée, & que dans le premier cas; c'est-à-dire, quand on tenoit la bouteille à la main, elle s'est chargée de même que dans le second cas, où l'on avoit établi une communication de l'envelope de cette bouteille au coussin. Je ne sçai pas précisément la différence qui a pû se trouver entre sa manière d'opérer & celle de M. Franklin; mais sur l'exposé du Physicien François, je soupçonne ce qui a pû l'induire en erreur; il s'est apparemment persuadé que d'épuiser le coussin de son électricité, c'étoit une opération toute simple & de facile éxécution. Il s'en faut beaucoup que je ne l'aye regardée du même oeil; plus j'y ai réfléchi avant de l'entreprendre, plus elle m'a paru difficile; & depuis que j'en suis venu à bout, j'estime qu'il n'y a point d'expérience électrique plus délicate, & qui éxige tant de précautions. Voici quelques maximes générales tirées de mes remarques sur les différentes expériences que j'ai tentées pour épuiser le coussin, qui pourront le faire connoître. Il faut:
»1º. Que le carreau de glace ou de verre, qui porte le coussin l'excéde au moins de 7. à 8. pouces de chaque côté.
»2º. Que ni le carreau ni le coussin ne soient attachés par des ligamens extérieurs, pas même avec des cordons de soye, à moins qu'ils ne soient préparés, comme je le dirai ci-après.
»3º. Que les mandrins mastiqués au globe soient au moins à 6. ou 7. pouces du coussin.
»4º. Qu'il ne se trouve à 3. ou 4. pieds tout autour aucune pointe, de quelque nature qu'elle soit.
»J'ai d'abord essayé d'épuiser au coussin d'environ 7. pouces de diamètre, sous lequel j'avois mis une glace plane d'un pied quarré, le tout attaché avec des cordons de soye; l'expérience n'a point réussi.
»J'ai substitué à cette glace une capsule sphérique de 10. pouces de diamètre, dans laquelle j'avois fixé le coussin avec des cordons de soye, qui en passant par-dessus les bords de la capsule, les attachoient ensemble sur le support destiné à porter le coussin. Cette expérience n'eut pas plus de succès que la première; mais j'apperçus que les petits poils qui sortoient tout autour des cordons de soye se dressoient vers le coussin. Je jugeai de-là que c'étoient autant de pointes qui lui fournissoient de nouveau feu à mesure que le globe en tiroit. Après avoir remédié à ce défaut en cirant bien éxactement les cordons de soye, je répétai l'électrisation; mais je ne fus pas plus heureux. Le feu électrique parut sortir du conducteur presqu'aussi abondamment que si le coussin n'eût point été isolé. J'y apperçus cependant un changement marqué qui me donna bonne espérance; quand je présentois mon doigt à 3. ou 4. pouces du coussin, j'y sentois une espéce de suction, & j'entendois sur le coussin un bruit assez semblable à celui que l'on fait en retirant son haleine, les lèvres serrées, comme pour piper un petit animal. Cela me fit conjecturer que j'apercevrois dans l'obscurité une aigrette lumineuse au bout de mon doigt, & peut-être l'endroit d'où sortoit le feu qui étoit fourni au coussin.
»Dès-que la nuit fut venuë, & que j'eus recommencé l'opération, je vis, 1º. un courant de feu qui sortant en nappe d'un des mandrins du globe, se précipitoit jusques sur le coussin à l'endroit de sa jonction avec le globe; 2º. de petites aigrettes lumineuses à tous les poils de mes habits qui se dirigeoient vers le coussin; 3º. une longue aigrette mince & peu divergente qui partoit de mon doigt, lorsque je le présentois au coussin à 3. ou 4. pouces de distance, & qui se changeoit en un courant continu, pour peu que je l'approchasse davantage. M'étant aperçû que le coussin étoit plus près d'un des pôles du globe que de l'autre, & l'ayant remis le plus éxactement qu'il me fut possible, à égale distance des deux mandrins, je vis le courant de feu, qui auparavant sortoit de l'un d'eux, partagé en deux nappes à peu-près égales, une de chaque côté: Ayant fait cesser la rotation du globe, je remarquai que la vertu attractive du coussin s'y conserva encore long-temps. Plus d'une demi-heure après l'avoir laissé dans cet état, il suçoit & pipoit encore à l'approche du doigt.
»En réfléchissant sur ces observations, j'ai imaginé qu'il falloit avoir un coussin plus étroit & un globe plus gros, ou du moins dont les mandrins fussent plus éloignés de l'Équateur. J'essayai un globe de 14. pouces de diamètre; mais il se trouva un peu trop dur, ayant trop d'épaisseur de verre. D'ailleurs, quelque solide que fût la machine dont je me servois, il y causa par sa rotation un ébranlement qui m'inquiéta. Ces considérations me déterminérent à donner la préférence à un globe de cristal de 13. pouces que je fis monter exprès. Les goulots en sont minces, & les mandrins qui y sont mastiqués n'ont guère plus d'un demi-pouce d'empattement tout autour. En faisant rouler ce globe sur un coussin de 3. pouces de diamètre, les bords de celui-ci se trouvent éloignés des mandrins de plus de 7. pouces. Ma grande capsule au fond de laquelle j'ai fixé ce coussin avec du mastic, met encore un plus grand éloignement entre lui & le plateau de bois qui porte le tout.
»Ce n'est qu'après toutes ces précautions que je suis venu à bout d'épuiser la matière électrique du coussin, & de faire les expériences que M. Franklin nous a indiquées sur ce sujet. Je suis d'autant-moins étonné du peu de succès de ceux qui disent les avoir tentées inutilement, que je suis sûr qu'il est impossible d'y réussir sans toutes ces précautions. Sans entrer dans une discussion qui seroit trop longue & ennuyeuse, on trouvera dans cet exposé des réponses plus que suffisantes aux questions & objections de nos critiques, & la raison de la différence de leurs succès. Lisez Lettres sur l'Électricité, pag. 112-115. Pour les trois questions qui terminent la page 115, pourra-t-on apprendre, sans étonnement, qu'elles nous viennent d'un homme instruit? Je vais pourtant y satisfaire comme si elles le méritoient. Sur la dernière conséquence de M. Franklin qu'il n'entre dans la bouteille que le feu électrique qui vient de sa surface extérieure, on lui demande: Et quelle certitude en avez-vous? La matière électrique n'est-elle pas répandue dans l'air de l'atmosphère? Et pourquoi ne voulez-vous pas que la chaîne & le globe y trouvent ce feu électrique qui passe par le conducteur dans l'intérieur de la fiole? Il faut montrer que cela est impossible, ou que cela n'est pas, si vous voulez que votre conséquence soit reçuë. Soit, Monsieur, on s'en tient à votre parole. Voici la certitude que nous en avons, indépendamment de ce que nous voulons ou ne voulons pas. Écoutez bien. Si la chaîne & le globe trouvoient dans l'air de l'atmosphère ce feu électrique qui passe par le conducteur dans l'intérieur de la fiole, ils l'y trouveroient aussi bien avant qu'on eût établi une communication de l'extérieur de la bouteille au coussin, qu'après, & dans ce cas on l'apercevroit en touchant au conducteur. Il est cependant très-certain que dès-que le coussin est épuisé on ne tire pas la moindre étincelle des conducteurs: tirez, s'il vous plaît, la conséquence vous-même, & ne refusez plus de la recevoir.»
34. Suspendez deux balles de liége par des fils de lin attachés au premier conducteur; touchez alors le côté de la bouteille, & elles seront électrisées, & elles s'éloigneront l'une de l'autre.
Car autant que vous donnez de feu aux côtés, autant précisément il s'en décharge à travers le fil-d'archal sur le premier conducteur, d'où les balles de liége reçoivent une atmosphére électrique.
Mais prenez un fil-d'archal courbé en forme de C, avec un bâton de cire d'Espagne fixé à la partie extérieure de la courbure, afin de le tenir par-là, & appliquez une extremité de ce fil-d'archal aux côtés, & l'autre en même temps au premier conducteur, la fiole sera déchargée; & si les balles ne sont pas électrisées avant la décharge, elles ne paroîtront pas l'être après; car elles ne se repousseront pas l'une l'autre.
Maintenant si le feu déchargé de la surface intérieure de la bouteille à travers son fil-d'archal restoit sur le premier conducteur, les balles seroient électrisées & s'éloigneroient l'une de l'autre.
Si la fiole faisoit une explosion réelle aux deux extrémités & déchargeoit le feu tant des côtés que du fil-d'archal, les balles seroient électrisées en plus & s'éloigneroient plus loin, car aucune portion de feu ne peut s'échaper en étant empêchée par le manche de cire.
Mais si le feu, dont la surface intérieure est surchargée, est précisément la quantité qui manque à la surface extérieure, il passera circulairement à travers le fil-d'archal attaché au manche de cire, rétablira l'équilibre dans le verre, & ne causera aucune altération dans l'état du premier conducteur.
Nous avons trouvé conformément que si le premier conducteur est électrisé, & que les balles de liége soient dans un état de répulsion avant que la bouteille soit chargée, elles continueront d'y être après, sinon elles ne seront point électrisées par cette décharge.
«Tout ce qui est dans la critique, pag. 116. 117, & 118. contre cette expérience, me paroît tout-à-fait hors de propos; notre auteur, comme on vient de le voir, prouve incontestablement que l'expérience de Leyde n'électrise point les corps qui reçoivent la commotion, ou qui ont communication avec ceux qui la reçoivent, & M. L. N. en convient; mais après cela il se perd dans une discussion qui n'a aucun rapport au sujet dont il s'agit.»
LETTRE IV.
Nouvelles expériences & observations
sur l'Électricité.
1748.
M
ONSIEUR,
35. Il y aura la même explosion & le même choc, si la bouteille électrisée est tenue d'une main par le crochet, & touchée de l'autre par les côtés 19, que si elle est tenue par les côtés & touchée au crochet.
Note 19: (retour) M. Franklin s'est servi dans la plupart de ses expériences, & surtout dans les suivantes, de bouteilles garnies de métal en dedans & en dehors: il faut donc entendre par le terme côtés, la surface extérieure couverte d'une enveloppe métallique depuis le fond jusqu'au collet, ou jusqu'à deux ou trois pouces près du goulot.
36. Pour prendre impunément par le crochet la bouteille chargée, & en même tems ne pas diminuer sa force; il faut d'abord la placer sur un corps originairement électrique.
37. La fiole sera électrisée aussi fortement, si elle est tenue par le crochet & les côtés appliqués au globe ou au tube, que si elle est tenue par les côtés, & que le crochet leur soit appliqué.
38. Mais la direction du feu électrique étant différente dans la charge, elle sera aussi différente dans l'explosion; la bouteille chargée par le crochet sera déchargée par le crochet; la bouteille chargée par les côtés sera déchargée par les côtés, & jamais autrement; car le feu doit sortir par la même voye qui lui a donné entrée.
39. Pour prouver cela, prenez deux bouteilles qui soient également chargées par les crochets, une dans chaque main; approchez leurs crochets l'un de l'autre, il n'en résultera ni étincelle ni choc, parce que chaque crochet est disposé à donner du feu, & ni l'un ni l'autre ne l'est à en recevoir. Posez une des bouteilles sur le verre, levez-la par le crochet, & appliquez son côté au crochet de l'autre; il y aura alors une explosion & un choc, & les deux bouteilles seront déchargées.
»Sur l'assertion de Mr. Franklin que, si l'on approche l'un de l'autre les crochets des deux bouteilles également chargées, il n'en résultera ni étincelle, ni choc: Ho! voilà, s'écrie M. L. N. 20, ce dont je ne conviendrai pas; car dès la premiere fois que j'en fis l'épreuve, je vis très-distinctement éclater le feu électrique entre les deux crochets, & je ressentis un coup assez vif dans les deux bras. Cela peut être, & je crois que cela est, pour l'avoir éprouvé de même; mais la proposition de M. Franklin n'en est pas moins vraie, & il faudra que le physicien François en convienne malgré sa protestation, car il faut se rendre à l'évidence; il doit sçavoir qu'après l'expérience de Leyde, la bouteille n'est plus chargée, & qu'il n'y reste plus de feu: si les deux bouteilles dont il s'agit restent chargées après en avoir approché les deux crochets l'un de l'autre, c'est une preuve incontestable qu'elles n'ont pas produit tout leur effet. Celui que M. L. N. a ressenti n'est venu que de ce que l'une des bouteilles étoit plus chargée que l'autre, & le feu qu'il a vû si distinctement entre les deux crochets, n'est que ce qui en a passé de l'une à l'autre pour les remettre toutes deux en équilibre: elles n'en restent pas moins chargées l'une & l'autre après cette légère commotion, qui d'ailleurs n'est pas différente de celles qu'on ressent dans la main à chaque étincelle que l'on tire d'un peu loin du conducteur, quand on charge une bouteille.
»Pour avoir sur ce sujet une conviction encore plus complette, il ne s'agit que de varier l'expérience: prenez deux bouteilles dont l'une soit bien chargée & l'autre ne le soit point du tout; en approchant leurs crochets l'un de l'autre, vous verrez une étincelle & vous recevrez un coup; mais après cela les bouteilles seront toutes deux à demi chargées; preuve certaine que le feu est sorti par le crochet de celle qui étoit électrisée, comme il y étoit entré.
»Cette erreur de M. L. N. ne vient donc que de ce qu'il n'a pas fait attention que pour cette expérience les deux bouteilles doivent être également chargées. Quand elles le sont, il n'y a réellement ni étincelle, ni choc, comme l'a judicieusement avancé M. Franklin.
40. Variez l'expérience en chargeant deux fioles également, l'une par le crochet, l'autre par le côté; tenez par les côtés celle qui a été chargée par le crochet, & tenez par le crochet celle qui à été chargée par le côté; appliquez le crochet de la première au côté de la seconde, il n'y aura ni choc, ni étincelle: posez sur le verre celle que vous tenez par le crochet, levez-la par les côtés, & présentez les deux crochets l'un à l'autre, il y aura une étincelle & un choc, & les deux bouteilles seront déchargées.
»Cette expérience étant attaquée dans le même endroit & de la même manière que la précédente, trouve aussi la même défense.
Dans cette expérience les bouteilles sont totalement déchargées, & l'équilibre y est rétabli: l'excès du feu dans un des crochets, (ou plutôt dans la surface intérieure d'une bouteille,) étant exactement égale à ce qui manque de feu dans l'autre, & par conséquent comme chaque bouteille a en elle-même l'excès aussi bien que le défaut, le défaut & l'excès doivent être égaux dans chaque bouteille. Voyez §. 42. 43. 44. 45. Mais si un homme tient en main les deux bouteilles, dont l'une soit pleinement électrisée, & l'autre ne le soit point du tout; s'il rapproche leurs crochets, il ne sentira que la moitié du coup, & les bouteilles resteront à demi électrisées, l'une étant à demi déchargée, & l'autre à demi chargée.
41. Placez deux fioles également chargées sur une table à 5. ou 6. pouces de distance; suspendez une petite boule de liége par un fil de soye, qui tombe entre les deux bouteilles: si les fioles ont été toutes deux chargées par leurs crochets, lorsque le liége aura été attiré & repoussé par l'un, il ne sera pas attiré par l'autre, mais il en sera également repoussé; mais si les fioles ont été chargées l'une par le crochet & l'autre par le côté, 21 le liége après avoir été attiré, & repoussé par un crochet, sera aussi fortement attiré & ensuite repoussé par l'autre, & jouëra ainsi avec force entre les deux, jusqu'à ce que les deux bouteilles soient à peu près déchargées.
Note 21: (retour) Pour charger commodément une bouteille par le côté, mettez-la sur un verre: établissez une communication du premier conducteur à l'enveloppe métallique de cette bouteille, & une autre de son crochet à la muraille ou au plancher. Quand elle sera chargée, supprimez cette derniere communication avant que d'empoigner la bouteille, autrement une grande partie du feu s'échapperoit par cette voye.
42. Lorsque nous employons les termes de charger & décharger les bouteilles, c'est pour nous conformer à l'usage, & par disette d'autres termes plus convenables; puisque nous sommes persuadés qu'il n'y a réellement pas plus de feu électrique dans la bouteille après ce qu'on appelle sa charge, ni moins après sa décharge qu'il n'y en avoit auparavant, excepté seulement la petite étincelle que l'on peut donner ou enlever à la matière non-électrique, si elle est séparée de la bouteille: étincelle qui ne peut pas égaler la cinquantiéme partie de celle qui fait l'explosion.
Car si dans l'explosion le feu électrique sortoit de la bouteille par un endroit, & qu'il ne rentrât pas par un autre, il s'ensuivroit que si un homme placé sur de la cire & tenant la bouteille d'une main, tiroit l'étincelle en touchant avec l'autre le crochet de fil-d'archal, la bouteille étant par là déchargée, l'homme seroit chargé; ou que la quantité de feu perduë par l'une se retrouveroit dans l'autre, puisqu'il n'y a aucune issue pour la laisser échaper; mais il arrive le contraire.
43. D'ailleurs la fiole ne souffrira pas ce que l'on appelle une charge, à moins qu'il n'en puisse sortir autant de feu par une voye qu'il en entre par une autre. Une fiole placée sur la cire ou sur le verre, ou bien suspenduë sur le premier conducteur d'électricité, ne peut être chargée à moins qu'il n'y ait une communication établie entre ses côtés & le plancher pour servir de décharge.
»De toutes les expériences de Philadelphie, il y en a peu qui soient contestées avec autant de confiance que celle-ci. Dès le premier rapport que je fis à l'Académie royale des sciences en 1751. du succès des expériences de M. Franklin, on me soutint avec vivacité que cette observation étoit contraire à l'expérience. N'étant allé à l'Académie que pour y rendre compte de ce que j'avois fait & vû, & non pas pour disputer; je me contentai de répliquer que j'étois sûr de ce que j'avançois d'après mon auteur: je suis surpris qu'on n'en ait pas encore reconnu la vérité. Cette communication que l'on établit des côtés de la bouteille au plancher, est ce que nous appellons une décharge: quand on électrise une bouteille à la main, c'est la main qui en tient lieu; mais si la bouteille est suspenduë au conducteur sans décharge, & que l'air soit bien sec, je suis sûr pour l'avoir éprouvé cent fois, qu'elle ne se charge point: j'ai de même éprouvé que quand elle est appuyée sur un support électrique, plus ce support est large & élevé & moins elle se charge. J'ai cependant vû la bouteille de Leyde se charger quoique suspenduë au conducteur sans décharge, mais très-lentement & très-difficilement, dans des tems où l'air de l'atmosphère est chargé d'humidité, (c'est apparemment celui où notre critique a étudié son objection) mais cela ne vient que de ce que les particules d'humidité répanduës dans l'air font l'office de décharge: l'on peut d'autant moins se prévaloir de cette observation contre M. Franklin, qu'il est moins à portée de la faire par lui-même. La saison où il se livre plus particulierement à l'électricité, comme la plus favorable aux expériences, est l'hyver, & c'est le temps où la Pensylvanie jouit du ciel le plus beau & le plus pur; quoi qu'il en soit, des objections, la proposition de notre auteur restera dans toute sa force pour quiconque voudra se mettre dans sa position, & consulter l'expérience sans prévention.
44. Mais suspendez deux ou plusieurs fioles sur le premier conducteur d'électricité, l'une pendante à la queuë de l'autre, & un fil-d'archal de la derniere au plancher, un égal nombre de tours de rouë les chargera également, & chacune le sera autant que si elle seule eût été soumise à l'opération: ce qui est chassé de la queuë de la premiere servant à charger la seconde, ce qui est chassé de la seconde chargeant la troisiéme, & ainsi de suite; par ce moyen une quantité de bouteilles peuvent être chargées par la même opération, & aussi pleinement que s'il n'y en avoit qu'une seule; si ce n'est que chaque bouteille reçoit de nouveau feu, & abandonne son ancien avec quelque réticence, ou plutôt apporte à la charge quelque foible résistance, qui dans un nombre de bouteilles devient plus égale à la puissance chargeante, & repousse ainsi le feu sur le globe plus vite qu'une simple bouteille ne le pourroit faire.
45. Lorsqu'une bouteille est chargée par la voye ordinaire, ses surfaces intérieure & extérieure sont prêtes, l'une à donner le feu par le crochet, l'autre à le recevoir par le côté: l'une est pleine, & disposée à pousser, l'autre est vuide, & extrêmement affamée; & cependant comme la premiere ne chassera point, que l'autre ne puisse au même instant recevoir, de même la dernière ne recevra point, que la première ne puisse donner au même instant; lorsque l'un & l'autre peut se faire en même-tems, cela se fait avec une vitesse & une violence inconcevables.
46. Ainsi lorsqu'on bande un ressort avec violence (quoique la comparaison ne convienne pas dans tous les points) il doit, pour se rétablir de lui-même, resserrer le côté qui avoit été étendu en le bandant, & étendre celui qui avoit été resserré. Si l'une de ces opérations rencontre des obstacles, l'autre ne sauroit avoir son éxécution; mais on ne dit point que le ressort soit chargé d'élasticité, lorsqu'il est bandé, & déchargé, lorsqu'il est débandé; sa quantité d'élasticité est toujours la même.
47. Le verre a pareillement toujours dans sa substance la même quantité de feu électrique, & une fort grande quantité, par rapport à la masse du verre, comme il sera prouvé dans la suite.
48. Cette quantité proportionnée au verre, il la retient avec force & opiniatreté; il n'en aura ni plus ni moins, quelque changement qu'il éprouve dans ses parties, & dans sa situation; c'est-à-dire, que nous en pouvons tirer une partie de l'un de ses côtés, pourvû que nous en rendions à l'autre une égale quantité.
49. Néanmoins lorsque la situation du feu électrique est ainsi dérangée dans le verre, lorsque quelque partie a été retranchée de l'un des côtés, & que quelque partie a été ajoûtée à l'autre, il ne reste point en repos ou dans son état naturel, jusqu'à ce qu'il ait été rétabli dans son uniformité primitive .... & ce rétablissement ne peut être fait à travers la substance du verre, mais il doit se faire par une communication non électrique, établie au dehors, de surface à surface.
50. Ainsi la force totale de la bouteille, & le pouvoir de donner un choc est dans le verre-même; les corps non-électriques en contact avec les deux surfaces ne servant qu'à donner & à recevoir des différentes parties du verre; c'est-à-dire, à donner à un côté, & à recevoir de l'autre.
51. Nous avons fait ici cette découverte de la manière suivante. Nous proposant d'analyser la bouteille électrifiée pour sçavoir où réside sa force, nous la plaçâmes sur un verre, & nous ôtames le liége & le fil-d'archal, que l'on avoit eu attention de ne pas trop enfoncer. Alors prenant la bouteille d'une main, & approchant un doigt de l'autre main auprès de l'orifice, une forte éteincelle s'élança de l'eau, & le choc fut aussi violent que si le fil-d'archal n'eût point été dérangé, ce qui nous fit connoître que la force électrique ne résidoit point dans le fil-d'archal. Ensuite pour découvrir si elle résidoit dans l'eau, y étant comprimée & condensée, parce que le verre la serre de toutes parts (ce qui avoit été notre première opinion,) nous électrisâmes de nouveau la bouteille; & l'ayant mise sur un verre, nous otâmes, comme ci-devant, le liége & le fil-d'archal; levant alors la bouteille, nous versâmes toute l'eau dans une autre bouteille vuide qui étoit pareillement sur un verre; & levant cette derniere fiole, nous comptâmes, si la force résidoit dans l'eau, d'entendre partir un coup; mais il n'y en eut point. Nous jugeâmes donc qu'il falloit ou que la force se fût perduë en transvasant, ou qu'elle fût restée dans la première bouteille; & nous trouvâmes que notre derniere conjecture étoit juste. Car cette bouteille mise à l'épreuve donna un coup, quoique remplie, sans la déplacer, avec de l'eau fraîche, & qui n'étoit point électrifiée... Alors pour découvrir si le verre avoit cette propriété précisément comme verre, ou si la forme y contribuoit en quelque chose, nous prîmes un carreau de verre; & le posant sur la main, nous mîmes une plaque de plomb sur sa surface supérieure; ensuite nous électrisâmes cette plaque, & à l'approche du doigt il y eut une étincelle & un choc. Nous prîmes ensuite deux plaques de plomb de dimensions égales, mais plus petites que le verre qui les débordoit de deux pouces de tous côtés, & nous électrisâmes le verre entr'elles en électrisant la plaque de dessus. Après cela nous séparâmes cette plaque du verre, & par cette opération le peu de feu qui pouvoit être dans le plomb fut enlevé, & le verre touché avec le doigt sur les parties électrisées, ne donna que quelques petites étincelles piquantes; on peut cependant en tirer un grand nombre de différent endroits. Après avoir remis adroitement le verre entre les deux plaques, & achevé un cercle; c'est-à-dire, pratiqué une communication entre les deux surfaces, il s'ensuivit un choc violent .... ce qui démontre que le pouvoir réside dans le verre comme verre, & que les corps non-électriques en contact servent uniquement, comme l'armure de l'aimant, à unir les forces des différentes parties, & à les rassembler dans tel point qu'on désire. Car c'est une proprieté des corps non-électriques, que tout le corps reçoit ou donne dans un instant tout le feu électrique qui est donné ou enlevé à quelqu'une de ses parties.
»L'expérience de Leyde est sans contredit une des plus belles découvertes qui ayent été faites en Physique. C'est elle qui a donné lieu aux profondes recherches qui occupent si généralement les Physiciens depuis 1745. Chacun d'eux a fait ses efforts pour déveloper la merveilleuse bouteille qui en est le fondement; mais on ne voit pas qu'aucun y ait réussi avant M. Franklin. L'analyse de cette bouteille étoit, ce semble, la chose la plus aisée à imaginer & la plus simple à éxécuter, & cependant personne n'y a songé, comme si cette idée n'eût pû venir que du nouveau monde; mais à peine a-t-elle pénetré en Europe, à peine le succès en est-il connu qu'on entreprend de le contester; on veut documenter l'auteur, changer le procedé, & nier le résultat. Examinons chacune de ces choses.
»Si vous voulez, dit le Physicien françois à l'Américain 22, répéter cette expérience (l'analyse de la bouteille) de bonne foi & sans prévention, je vous dirai en quoi vous avez manqué; & je vous promets qu'en procédant, comme il convient, vous trouverez des signes très-marqués de la vertu électrique dans votre eau transvasée. Voici le procedé.
»Je vous avertis donc qu'il faut faire cette expérience avec une électricité passablement forte, éviter les longueurs... que le nouveau vase qui reçoit l'eau, ne soit pas d'un verre fort épais, & qu'au lieu d'être posé sur du verre, comme vous le faites, il le soit au contraire sur la main d'un homme ou sur quelqu'autre corps non-électrique. Si vous procedez ainsi, je vous réponds du succès. Pour moi je pense qu'en procedant ainsi, on ne feroit point l'analyse de la bouteille. Mais ni le critique, ni celui qui s'est laissé surprendre par cette expérience, ne se sont apperçus qu'ils manquoient dans le point essentiel. C'est ce défaut de sagacité qui paroît avoir assuré la défaite de l'un & la victoire de l'autre que l'on a fait sonner si haut.
»D'après ce résultat vrai en lui-même, mais faux dans son principe, on argumente contre M. Fr. on le presse: on le poursuit: on se persuade qu'il ne lui reste pas plus de ressource qu'à celui qu'on a nommé son plus zèlé partisan.
»Sans entreprendre de réfuter tout ce que l'éloquence étale en 8. ou 10. pages de la critique, & sans rétorquer tous les argumens adressé à notre Américain, je crois que quelques réflexions fondées sur l'expérience suffiront pour en effacer les impressions.
»Quand une personne tient dans sa main la bouteille électrisée, & qu'elle en verse l'eau dans une autre bouteille tenuë dans la main d'une autre personne, il arrive la même chose que si l'on faisoit toucher le crochet de la premiere bouteille à celui de la seconde qui seroit armée, la charge se partage entre les deux bouteilles. 23 Cela est si vrai que si la même personne fait seule cette expérience en tenant les deux bouteilles, une en chaque main, elle ressentira une commotion, qui ne sera pourtant que la moitié de celle qu'elle recevroit, si elle faisoit tout simplement l'expérience de Leyde. Donc en versant l'eau de cette façon on fait passer avec elle dans la seconde bouteille la moitié de la matière électrique contenuë dans la première. La preuve s'en tire encore d'une autre observation que voici. Si la matière électrique qui passe ainsi avec l'eau d'une bouteille dans l'autre, étoit précisément attachée à la liqueur, la quantité en seroit proportionelle à la quantité de l'eau transvasée: or cela n'est point; car que l'on vuide toute la liqueur, ou que l'on n'en vuide que la moitié, la seconde bouteille qui l'aura reçuë se trouvera également chargée, c'est-à-dire électrisée au même degré; & si toutes choses étoient égales des deux cotés: si les bouteilles étoient égales en capacité, en matiére, en forme, & leur intérieur également moüillé, ce degré seroit éxactement le même dans chacune. Donc notre critique n'a pas raison de dire que l'on ne sauroit lui objecter que les circonstances dont il fait dépendre le succès de l'expérience, changent l'espèce. Et pourquoi ne sauroit-on lui faire cette objection, dès qu'on voit évidemment que son procédé est erronné: que n'en apperçevant pas le défaut, il en tire avantage, pour combattre la doctrine d'un Physicien consommé dans cette partie, où il donne des leçons à tout le monde sçavant?
»S'il restoit encore quelques doutes sur l'analyse de la bouteille électrisée, qui est regardée avec raison comme une des plus belles expériences de M. Franklin, quoiqu'elle ne soit pas une des plus brillantes, & sur laquelle j'ai entendu un des Physiciens les plus experimentés en cette partie, se reprocher de ne l'avoir pas imaginée; si, dis-je, il restoit encore quelques doutes sur ce sujet, on pourroit les lever, en s'y prenant d'une autre façon que j'ai imaginée, & que je rapporte ici, pour répondre à ceux qui prétendent que la matière électrique ne paroît attachée au verre de la bouteille qu'en vertu de l'adhérence de l'eau à ses parois intérieures. Au lieu d'eau, je mets dans la bouteille du menu plomb, comme du plomb à perdreaux, ou de la cendrée: après l'avoir armée de son crochet, & l'avoir électrisée, j'en fais l'analyse, suivant la méthode de M. Franklin, & je trouve toujours que le plomb en étant vuidé, n'a point emporté l'électricité, mais que cette matière est restée presque toute entière en la bouteille où je l'avois fait entrer d'abord, puisque de nouveau plomb, ou à sa place de l'eau, ou toute autre substance non-électrique, ou même rien autre chose qu'un fil-d'archal, pourvû qu'il touche au fond intérieur, lui rend le pouvoir de donner la commotion à quiconque veut la tenter. J'ai même éprouvé qu'elle étoit, toutes choses égales d'ailleurs, toujours plus forte avec le plomb qu'avec l'eau, C'est en conséquence de cette observation, que depuis long-tems je ne me sers presque plus d'eau dans mes expériences électriques. J'ai trouvé que le métal, & sur tout le plomb granulé est bien préférable à la liqueur pour analyser la bouteille: il n'est pas sujet à l'évaporation: on peut le sécher aisément; il n'éclabousse point en le traversant: il ne s'attache ni aux parois ni au goulot de la bouteille, toutes choses qui font souvent manquer l'expérience, quand on opére avec de l'eau. L'usage de la limaille pour remplir la bouteille est aussi très-bon; mais si l'on veut en faire l'analyse, il faut avoir attention que la limaille soit bien séche, & qu'elle ne fasse point de poussière quand on la verse.
Il résulte de toutes ces observations que j'ai faites & répétées avec tout le soin & l'éxactitude possibles, qu'en s'y prenant comme l'enseigne M. L. N. on ne fait point l'analyse de la bouteille électrisée. Car, qu'est-ce que faire cette analyse? N'est-ce pas tout simplement séparer chacune des parties dont elle est composée, pour voir à laquelle de ses parties la matière électrique restera attachée? Or en suivant la route indiquée par M. Fr. on arrive sûrement à ce but; si l'on entreprend de m'en montrer une autre, il faudra me prouver qu'elle y conduit aussi sûrement, ou tout au moins me mettre dans l'impossibilité d'en découvrir l'erreur. Notre critique ne fait ni l'un ni l'autre, & malgré ses argumens spécieux, je n'y aurai pas plus de confiance que si, pour me prouver que l'électricité n'est pas attachée au verre, il commençoit par décharger la bouteille avant d'en faire l'analyse; il n'y a pas plus de raison à vouloir que la seconde bouteille dans laquelle on verse l'eau électrisée, soit dans la main d'un autre homme, qu'il y en auroit à éxiger que la premiere y fût aussi, quand on en ôte le fil-d'archal avec les doigts. Il y a donc, quoiqu'en dise la critique, des circonstances d'où on fait dépendre le succès de l'expérience, qui en changent l'espéce; & celles-ci sont du nombre. C'est pour cela que je prétens qu'en s'y prenant de cette façon, l'on ne fait point du tout l'analyse de la bouteille.
»Que notre adversaire au reste ne s'imagine pas que je n'aye en vûe que de le contredire. La recherche de la verité est mon seul objet. Aucune considération ne sauroit m'en détourner. Quand nous avons dit que l'eau ou le métal que l'on met dans la bouteille de Leyde n'emportent point avec eux d'électricité, dans le temps qu'on les verse dans un autre vase soutenu sur un support électrique; il ne faut pas prendre cette proposition à la rigueur. Je sçais par expérience que ces corps non-électriques ne se dépoüillent pas absolument, en sortant de la bouteille, de toute l'électricité dont ils étoient chargés. Cela se voit évidemment quand on se sert de limaille pour faire l'analyse de la bouteille. Notre auteur estime que la quantité qu'ils retiennent de cette matière n'équivaut peut-être pas la cinq-centiéme partie de ce qui fait la charge de la bouteille; mais cette petite quantité n'est pas ce dont il s'agit ici; quand elle seroit beaucoup plus considérable dans les circonstances établies, elle ne mettroit jamais la seconde bouteille en état de donner la commotion.»
52. Sur quoi nous avons fait ce que nous appellons une batterie électrique, consistant en onze grands carreaux de vitre garnis de lames de plomb appliquées sur chaque côté, placés verticalement, & soutenus à deux pouces de distance sur des cordons de soye, avec des crochets épais de fil de plomb, un de chaque côté, dressés en ligne droite, éloignés l'un de l'autre, & des communications convenables de fil, & une chaîne depuis le côté donnant d'un carreau jusqu'au côté recevant de l'autre, de sorte que le tout puisse être chargé ensemble, & par la même opération, comme s'il n'y avoit qu'un seul carreau. Nous avons fait encore une autre machine pour amener les côtés donnans après la charge, en contact avec un long fil-d'archal, & les côtés recevans avec un autre. Ces deux longs fils-d'archal donneroient la force de tous les carreaux de verre à la fois à travers le corps de quelque animal qui formeroit le cercle avec eux. Les carreaux peuvent aussi être déchargés séparément, ou tel nombre ensemble que l'on voudra; mais cette machine n'a pas été mise beaucoup en usage, comme ne répondant pas parfaitement à notre intention, relativement à la facilité de la charge par la raison donnée §. 44. Nous avons fait aussi avec de grands carreaux de vitre des tableaux magiques & des roues animées qui se meuvent d'elles-mêmes, & dont nous allons bientôt faire la description.
53. Je m'apperçois par le dernier livre de l'ingénieux Mr. Watson que j'ai reçu dernièrement, que le docteur Bevis s'est servi avant nous de carreaux de verre pour faire l'expérience de Leyde, & jusqu'au moment que ce livre m'est parvenu, je me proposois de vous communiquer cela comme une nouveauté. Si j'en fais mention ici, je vous dirai pour excuse que nous avons tenté l'expérience différemment, que nous en avons tiré des conséquences différentes, (car M. Watson paroît toujours persuadé que le feu est accumulé sur le corps non électrique, qui est en contact avec le verre, pag. 72.) & nous l'avons même poussé plus loin, autant que j'en puis juger jusqu'à présent.
LETTRE V.
PREMIÈRE PARTIE.
27. Juillet 1751.
M
ONSIEUR,
Je crois que M. Watson a fait à la hâte ses observations sur mon dernier écrit, avant d'avoir bien considéré les expériences rapportées dans le §. 51. qui me paroissent toujours décisives dans cette question: Si l'accumulation du feu électrique est sur le verre électrisé, ou sur la matière non-électrique jointe au verre; je crois qu'elles démontrent que l'accumulation est réellement sur le verre.
Quant à l'expérience dont parle cet ingénieux physicien, & qu'il regarde comme concluante pour le parti opposé; je me flatte qu'il changera de façon de penser à cet égard, lorsqu'il considérera que, comme une personne qui applique le fil-d'archal de la bouteille chargée à une liqueur spiritueuse échauffée dans une cuillier que tient une autre personne, toutes deux étant sur le plancher, en enflammera les esprits, & que cependant une pareille inflammation ne peut pas décider si l'accumulation étoit sur le verre ou dans le corps non-électrique; de même si l'on place une troisiéme personne sur un gâteau de cire entre les deux premières, qu'elle tienne d'une main un bassin dans lequel on verse l'eau de la bouteille, & qu'à l'instant de l'effusion elle présente un doigt de l'autre main à la liqueur spiritueuse; cette circonstance ne change rien du tout à l'état des choses, le filet d'eau tombant de la fiole, le côté du bassin, les bras & le corps de la personne placée sur le gâteau n'étant tous ensemble que comme un long fil-d'archal qui s'étend de la surface intérieure de la fiole à la liqueur spiritueuse.
54. Voici de quelle manière se fait le tableau magique. Ayant un grand portrait avec un cadre & une glace, (supposez que ce soit celui du Roi) ôtez-en l'estampe, & coupez-en une bande à la distance d'environ deux pouces du cadre tout autour; quand la coupure prendroit sur le portrait il n'y auroit pas d'inconvénient. Avec de la colle légere ou de l'eau gommée, fixez sur le revers de la glace la bande du portrait séparée du reste, en la serrant & l'unissant bien: alors remplissez l'espace vuide en dorant la glace avec de l'or ou du cuivre en feuille: dorez pareillement le bord intérieur du derrière du cadre tout autour, excepté le haut, & établissez une communication entre cette dorure & la dorure du derrière de la glace: remettez la planche ou le carton sur la glace, & ce côté est fini. Retournez la glace, & dorez exactement le côté antérieur sur la dorure de derrière, & lorsqu'elle sera séche couvrez-la, en collant dessus le milieu de l'estampe qui avoit été séparé de la bande; observant de rapprocher les parties correspondantes de cette bande & du portrait; par ce moyen le portrait paroîtra tout d'une piéce comme auparavant; seulement une partie est derrière la glace & l'autre devant....... tenez le portrait horizontalement par le haut, & posez sur la tête du Roi une petite couronne dorée & mobile. Maintenant si le portrait est électrisé modérément, & qu'une autre personne empoigne le cadre d'une main, de sorte que ses doigts touchent la dorure postérieure, & que de l'autre main elle tâche d'enlever la couronne, elle recevra une commotion épouventable, & manquera son coup. Si le portrait étoit puissamment chargé, la conséquence pourroit bien en être aussi fatale 24 que celle du crime de haute trahison: car lorsque l'étincelle est tirée à travers une main de papier couchée sur le portrait par le moyen d'un fil-d'archal de communication; elle fait un trou à travers chaque feuillet, c'est-à-dire à travers 48. feuilles, (quoique l'on regarde une main de papier comme un bon plastron contre la pointe d'une épée; ou même contre une balle de pistolet,) & le craquement est excessivement fort. L'opérateur qui tient ce portrait par l'extrémité supérieure, où l'intérieur du cadre n'est pas doré, à dessein d'empêcher la chute du portrait, ne sent rien du coup, & peut toucher le visage du portrait sans aucun danger, ce qu'il donne comme un témoignage de sa fidélité..... Si plusieurs personnes en cercle reçoivent le choc, on appelle l'expérience les conjurés.
«Avec une glace de 1200. pouces quarrés étamée sur ses deux faces, j'ai plusieurs fois percé jusqu'à 160. feuilles de papier commun.»
55. Sur le principe établi dans le §. 41. que les crochets des bouteilles différemment chargées attireront & repousseront différemment, on a fait une rouë électrique, qui tourne avec une force extraordinaire. Une petite fléche de bois élevée perpendiculairement passe à angles droits à travers une planche mince, & de figure ronde d'environ 12. pouces de diamétre, & tourne sur une pointe de fer fixée dans l'extrémité inférieure, tandis qu'un gros fil-d'archal dans la partie supérieure traversant un petit trou dans une feuille de cuivre, maintient la fléche dans sa situation perpendiculaire. Environ trente rayons d'égale longueur faits d'un carreau de vitre coupé en bandes étroites sortent horizontalement de la circonférence de la planche, les extrémités les plus éloignées du centre excédant les bords de la planche d'environ 4. pouces; sur l'extrémité de chacun est fixé un dé de cuivre. Maintenant si le fil-d'archal de la bouteille électrisée par la voye ordinaire est approché de la circonférence de cette rouë, il attirera le dé le plus proche, & mettra ainsi la rouë en mouvement. Ce dé dans le passage reçoit une étincelle, & dès-lors étant électrisé, il est repoussé & chassé en avant, tandis qu'un second étant attiré, approche du fil-d'archal, reçoit une étincelle, & est chassé après le premier, & ainsi de suite jusqu'à ce que la rouë ait achevé un tour: alors les dez déjà électrisés approchant du fil-d'archal, au lieu d'être attirés comme auparavant, sont au contraire repoussés, & le mouvement cesse à l'instant... mais si une autre bouteille qui a été chargée par les côtés est placée auprès de la même rouë, son fil-d'archal attirera le dé repoussé par le premier, & par là doublera la force qui fait tourner la rouë, en enlevant non-seulement le feu qui a été communiqué aux dez par la première bouteille; mais leur en dérobant même de leur quantité naturelle, au lieu d'être repoussés lorsqu'ils reviennent vers la première bouteille, ils sont plus fortement attirés; de sorte que la rouë accélère sa marche jusqu'à fournir avec une grande rapidité 12. ou 15. tours dans une minute, & avec une telle force que le poids de cent rixdales dont nous la chargeâmes une fois, ne parut en aucune manière ralentir son mouvement..... C'est ce que l'on nomme une broche électrique; & si un gros oiseau étoit embroché à la fléche perpendiculaire, il tourneroit devant le feu avec un mouvement capable de le rôtir.
«Au lieu de faire cette roue de bois, & d'y rapporter des rayons de verre, comme l'enseigne M. Franklin, j'ai imaginé qu'il étoit plus simple & plus commode de la faire d'une seule piéce de verre; j'ai choisi pour cela un carreau de verre de Bohême, le plus uni & le plus plane que j'ai pû trouver: je l'ai fait couper en plateau rond de 18. pouces de diamètre: j'ai collé sur chacune de ses surfaces une feuille de papier marbré en couleur de bois, qui n'approche pas de la circonférence du plateau plus près que de deux pouces: j'ai ensuite mastiqué sur son centre de chaque côté deux gros-fils-d'archal qui servent d'axe, dont l'un est terminé en pointe pour servir de pivot & pour tourner sur une petite crapaudine de cuivre, & l'autre plus long pour passer dans un trou rond pratiqué dans une traverse de bois. On pourroit faire l'axe tout d'une piéce en perçant la rouë au centre pour les recevoir. Cette roue étant ainsi mise à peu près en équilibre sur son axe, j'ai mastiqué sur ses bords 30. balles de cuivre creuses, à égales distance les unes des autres, & également éloignées du centre. L'on conçoit que cette roue est bien plus légère, & par conséquent plus mobile que celle de M. Franklin; aussi a-t-elle mieux réussi que celles qui ont été exécutées suivant sa méthode.»
56. Mais cette roue, ainsi que celles qui sont poussées par le vent, l'eau ou les poids, reçoit son mouvement d'une force étrangère, à sçavoir celle des bouteilles. La roue qui tourne d'elle-même, quoique construite sur les mêmes principes, paroîtra encore plus surprenante; elle est faite d'un carreau de verre mince & rond de 17. pouces de diamètre, dorée en entier sur les deux côtés, excepté 2. pouces vers le bord. On arrête alors deux petites hémisphères de bois avec du mastic au milieu des côtés supérieur & inférieur opposés à leur centre, & sur chacune une forte verge de fil-d'archal longue de 8. ou 10. pouces qui font ensemble l'axe de la roue. Elle tourne horizontalement sur une pointe à l'extrémité inférieure de son axe, qui pose sur un morceau de cuivre cimenté dans une salière de verre. La partie supérieure de son axe traverse un trou fait dans une lame de cuivre cimentée à un fort & long morceau de verre qui le tient éloigné de 5. ou 6. pouces de tout corps non-électrique; & l'on place à son sommet une petite boule de cire ou de métal pour conserver le feu. Dans un cercle sur la table qui soutient la roue sont fixés douze petits pilliers de verre à la distance d'environ 4. pouces, avec un dé sur le sommet de chaque pillier. Sur le bord de la roue est une balle de plomb communiquant par un fil-d'archal avec la dorure de la surface supérieure de la roue; & à 6. pouces environ est une autre balle communiquant de la même manière avec la surface inférieure. Lorsque l'on veut charger la roue par sa surface supérieure, il faut établir une communication de la surface inférieure à la table. Lorsqu'elle est bien chargée, elle commence à s'ébranler; la balle la plus proche d'un pillier s'avance vers le dé qui est sur ce pillier, l'électrise en passant, & dès-lors est forcée de s'en éloigner; la balle suivante qui communique avec l'autre surface du verre, attire plus fortement ce dé, par la raison que le dé a été électrisé auparavant par l'autre balle, & ainsi la roue augmente son mouvement jusqu'à ce qu'il vienne au point d'être réglé par la résistance de l'air. Elle tournera une demi-heure, & fera l'un portant l'autre vingt tours dans une minute, ce qui fait 600. tours dans une demi-heure. La balle de la surface supérieure donnant à chaque tour 12. étincelles aux dez, ce qui fait 7200. étincelles, & la balle de la surface inférieure en recevant autant des mêmes dez; ces balles parcourent dans ce tems près de 2500. pieds.... les dez sont bien attachés, & dans un cercle si exact, que les balles peuvent passer à une très-petite distance de chacun d'eux.... Si au lieu de deux balles vous en mettez huit, quatre communiquant avec la surface supérieure & quatre avec la surface inférieure, placées alternativement; lesquelles huit étant environ à six pouces de distance, complettent la circonférence, la force & la vitesse seront de beaucoup augmentées, la roue faisant cinquante tours dans une minute, mais elle ne continuera pas à tourner si long-tems...... On pourroit peut-être appliquer ces roues à la sonnerie d'un petit carillon 25, & faire par leur moyen mouvoir de petits planétaires fort légers.
57. Courbez un fil-d'archal circulairement avec un tenon à chaque extrémité; appuyez-en une extrémité contre la surface inférieure de la roue, & amenez l'autre extremité à la surface supérieure, il en résultera un craquement terrible, & la force sera déchargée.
58. Chaque étincelle ainsi tirée de la surface de la roue fait un trou rond dans la dorure, perçant, lorsqu'elle sort, une partie de cette dorure, ce qui montre que le feu n'est pas accumulé sur la dorure, mais qu'il est contenu dans le verre même.
59. La dorure étant vernissée avec un vernis à la térébentine, le vernis, quoique dur & sec, est brûlé par l'étincelle que l'on tire au travers, & répand une odeur forte, & une fumée visible. Lorsque l'étincelle est tirée à travers le papier, tout autour du trou qu'elle a fait, le papier se trouve noirci par la fumée, qui quelquefois même pénètre plusieurs feuilles. On trouve aussi une partie de la dorure emportée, après avoir été poussée avec force dans le trou fait au papier par le coup.
60. On remarque avec étonnement la quantité de feu électrique qui peut résider dans la plus petite portion de verre. Une bouteille de verre des plus minces d'environ un pouce de diamètre, pésant seulement six grains, à demi-pleine d'eau, en partie dorée sur le dehors, & garnie d'un crochet de fil-d'archal, donne, lorsqu'elle est électrisée, un aussi grand coup qu'un homme puisse le supporter. Comme le verre a le plus d'épaisseur vers l'orifice, je présume que la moitié inférieure, qui étant dorée, a été électrisée, & a donné le coup, n'excède pas 2. grains; car il paroît, lorsqu'elle est rompue, qu'elle est beaucoup plus mince que la moitié supérieure. Si une de ces bouteilles minces est électrisée par le côté, & que l'étincelle soit tirée à travers la dorure, le verre sera brisé au dedans en même temps que la dorure le sera au dehors.
61. En supposant (pour les raisons ci-dessus alléguées §. 42. 43. 44.) qu'il n'y a pas plus de feu électrique dans la bouteille après sa charge qu'auparavant, combien grande ne doit pas être la quantité de feu dans cette petite portion de verre? On seroit tenté de croire qu'il fait partie de sa nature & de son essence; peut-être que si la quantité requise de feu électrique retenue par le verre avec tant d'opiniâtreté, en étoit séparée, il cesseroit d'être verre. Il pourroit bien perdre sa transparence, ou son éclat, ou son élasticité.... Il n'est pas incroyable que l'on puisse trouver dans la suite des expériences qui conduiront à cette découverte.
«Pour peu que l'on force l'électricité en chargeant une bouteille de verre mince, il s'y fait à l'endroit le plus foible un petit trou ordinairement de figure ronde & sans félure; après cette explosion la bouteille est déchargée, & le petit trou paroît assez souvent bordé d'un petit cercle blanchâtre, plus ou moins large, dont le verre a perdu sa transparence, & semble brûlé par l'étincelle qui l'a pénétré. Si cette explosion se faisoit dans la main, le trou se trouveroit vis-à-vis d'un des doigts, & l'on y sentiroit une piqûre très douloureuse, sans pour cela recevoir la commotion proprement dite.»
62. Nous sommes surpris de lire dans le livre de M. Watson qu'un choc ait été communiqué à travers un grand espace de terre séche, & nous soupçonnons qu'il devoit y avoir quelque qualité métallique dans le gravier de cette terre, ayant trouvé que la simple terre séche pressée dans un tube de verre ouvert par les deux bouts, & un crochet de fil-d'archal inséré dans la terre à chaque extrémité, la terre & les fils-d'archal faisant partie d'un cercle, ne conduisoient pas le moindre choc sensible; & qu'en effet, lorsqu'un des fils-d'archal avoit été électrisé, l'autre donnoit à peine quelques signes de sa connéxion avec le premier..... & même une ficelle bien humide manque quelquefois de conduire un choc, quoique d'ailleurs elle conduise parfaitement bien l'électricité. Un morceau de glace sec, ou une chandelle de glace 26, que l'on tient entre deux bouteilles dans un cercle, empêche semblablement le choc, ce que l'on ne devroit pas attendre, puisque l'eau le conduit avec tant de perfection.... La dorure sur un livre neuf, qui d'abord conduit le choc avec beaucoup de régularité, le manque après 10. ou 12. expériences 27, quoiqu'elle paroisse toujours la même à tous égards; c'est de quoi nous ne sçaurions rendre raison. 28
63. Il y a encore une expérience qui nous a étonnés, & que jusqu'ici on n'a pas expliquée d'une maniere satisfaisante; la voici. Placez un boulet de fer sur un verre, & qu'une balle de liége humide, suspendue par un fil de soye, vienne toucher le boulet: prenez une bouteille dans chaque main, l'une électrisée par le crochet & l'autre par le côté: appliquez le fil-d'archal donnant au boulet qu'il électrisera positivement, & le liége sera répoussé. Ensuite appliquez le fil-d'archal recevant, qui tirera l'étincelle donnée par l'autre; alors le liége retournera au boulet: appliquez-le même une seconde fois & tirez une autre étincelle; alors le boulet sera électrisé négativement, & le liége dans ce cas sera repoussé comme auparavant; appliquez encore le fil-d'archal donnant au boulet, pour lui rendre l'étincelle dont il a été privé, & la balle de liége retournera; donnez-lui en une autre, qui sera une addition à sa quantité naturelle, & le liége sera repoussé une seconde fois.
L'expérience peut être répétée de la sorte aussi long-tems qu'il y a quelque charge dans les bouteilles. D'où il résulte que les corps qui ont moins que la quantité commune d'électricité, se repoussent l'un l'autre, aussi bien que ceux qui en ont plus.
Étant un peu mortifiés de n'avoir pû jusqu'ici rien produire par nos expériences pour l'utilité du genre humain, & entrant dans la saison des grandes chaleurs, pendant lesquelles les expériences électriques sont moins agréables, nous avons pris la résolution de les terminer pour cette saison un peu gayement par une partie de plaisir sur les bords de la Skuylkill 29. Nous nous proposons d'allumer les esprits des deux côtés en même-tems, en envoyant une étincelle de l'un à l'autre rivage à travers la rivière sans autre conducteur que l'eau, expérience que nous avons exécutée depuis peu au grand étonnement de plusieurs spectateurs. Nous tuerons un dindon pour notre dîner par le choc électrique, il sera rôti à la broche électrique devant un feu allumé avec la bouteille électrisée, & nous boirons les santés de tous les fameux Électriciens d'Angleterre, de Hollande, de France & d'Allemagne dans des tasses électrisées 30, au bruit de l'artillerie d'une batterie électrique.29. Avril 1749.
SUITE
Des opinions & des conjectures
sur les propriétés & sur les effets
de la matière électrique.
64. Il est dit dans le §. 8. que toutes les espèces de matière commune sont supposées ne pas attirer le fluide électrique avec une égale activité, & que les corps appellés originairement électriques comme le verre, &c. l'attirent & le retiennent avec plus de force, & en contiennent la plus grande quantité.
Cette dernière thèse pourroit avoir l'air d'un paradoxe pour quelques personnes étant contraire à l'opinion dominante; c'est pourquoi je vais faire ensorte de l'expliquer.
65. Pour le faire avec ordre, il faut d'abord considérer que nous ne pouvons par aucun moyen connu jusqu'à présent faire passer le fluide électrique au travers du verre. Je n'ignore pas que le sentiment commun est qu'il traverse aisément le verre, & qu'on allégue en preuve l'expérience d'une plume suspenduë par un fil dans une bouteille scellée hermétiquement, & qu'on la met en mouvement en approchant un tube frotté de la surface extérieure de la bouteille; mais si le fluide électrique traverse si aisément le verre, comment la fiole devient-elle chargée (pour me servir de l'expression usitée,) lorsque nous la tenons dans nos mains? Le feu poussé dans la bouteille par le fil-d'archal ne la traverseroit-il pas pour venir jusqu'à nos mains, & pour s'échapper ainsi sur le plancher? En ce cas la bouteille ne demeureroit-elle pas toujours dans le même état, c'est-à-dire sans être chargée, comme nous sçavons que demeureroit une bouteille de métal qu'on essayeroit de charger de la sorte? Assurément s'il y a la moindre fêlure, la plus petite solution de continuité dans le verre, quoiqu'il reste si serré que rien autre chose que nous sçachions n'y puisse passer; cependant le fluide électrique, à cause de son extrême subtilité, volera à travers cette fêlure avec la plus grande liberté; & nous sommes sûrs qu'une telle bouteille ne peut jamais être chargée. Quelle est donc la différence entre cette bouteille & une autre bien saine, si ce n'est que le fluide peut traverser l'une, & ne sçauroit traverser l'autre? 31
66. Il est vrai qu'il y a une expérience, qui à la première vûe, seroit capable de persuader à un observateur superficiel que le feu poussé dans la bouteille par le fil-d'archal, passe réellement à travers la substance du verre. La voici: placez la bouteille sur un verre sous le premier conducteur: suspendez un boulet par une chaîne depuis le premier conducteur jusqu'à ce qu'il soit à un quart ou à un demi-pouce au-dessus du fil-d'archal de la bouteille: mettez le revers du doigt précisément à la même distance du côté de la bouteille que celle du boulet à son fil-d'archal: maintenant faites tourner le globe, & vous verrez une étincelle frapper du boulet au fil-d'archal de la bouteille, & au même instant vous verrez & sentirez une étincelle exactement égale frapper du côté de la bouteille sur votre doigt, & ainsi de suite étincelle pour étincelle. Il sembleroit que la totalité reçûe par la bouteille en a été déchargée une seconde fois, & cependant par ce moyen la bouteille est chargée, 32 & par conséquent le feu qui abandonne ainsi la bouteille, quoique dans la même quantité, ne sçauroit être le même feu qui est entré par le fil-d'archal, car si c'étoit le même, la bouteille resteroit sans être chargée.
67. Si le feu qui abandonne ainsi la bouteille n'est pas le même que celui qui est poussé à travers le fil-d'archal, ce doit être le feu qui résidoit dans la bouteille (c'est-à-dire dans le verre de la bouteille) avant le commencement de l'opération.
68. Si cela est ainsi, il doit y en avoir une grande quantité dans le verre, parce qu'une grande quantité est déchargée de la sorte même d'un verre très mince.
69. Que ce fluide ou feu électrique soit fortement attiré par le verre, nous le reconnoissons à la rapidité & à la violence avec lesquelles il est repris par la partie qui en a été privée, dès qu'elle en trouve la facilité, & il suit de là que d'une masse de verre nous ne pouvons tirer une quantité de feu électrique, ou électriser moins la masse totale, comme nous pouvons le faire à l'égard d'une masse de métal; nous ne pouvons diminuer ni augmenter sa quantité totale, car il tient bien la quantité qu'il a, & il en a autant qu'il en peut tenir; ses pores en sont gorgés aussi pleinement que la répulsion mutuelle des particules le peut comporter; & ce qui est déjà dedans, refuse ou repousse fortement toute quantité surnuméraire. Nous n'avons qu'un seul moyen de mettre en mouvement le fluide électrique dans le verre, qui est de couvrir une des deux surfaces d'un verre mince avec des corps non-électriques, & de pousser sur une surface une quantité surnuméraire de ce fluide, qui se répandant sur le corps non-électrique, & étant limitée par lui à cette surface, agit par sa force répulsive sur les particules du fluide électrique contenu dans l'autre surface, & les chasse du verre dans le corps non électrique sur ce côté, d'où elles sont déchargées, & alors ces parties ajoutées sur le côté chargé peuvent y entrer; mais après cette opération il n'y en a dans le verre ni plus ni moins qu'auparavant, en ayant laissé échapper précisément autant de dessus un côté qu'il en a reçu sur l'autre.
70. Ici les expressions me manquent, & je doute beaucoup si je pourrai rendre cette partie de mon ouvrage intelligible. Par ce mot surface dans le cas présent, je n'entens pas simplement longueur & largeur sans épaisseur; mais lorsque je parle de la surface supérieure ou inférieure d'un morceau de verre, de la surface extérieure ou intérieure de la bouteille, j'entens longueur, largeur, & moitié de l'épaisseur; & je demande la grace d'être entendu en ce sens. Maintenant je suppose que le verre dans ses premiers principes & dans la fournaise n'a pas plus de ce fluide électrique que toute autre matière commune; que lorsqu'il est soufflé, qu'il se refroidit, & que les particules de feu commun l'abandonnent, ses pores deviennent un vuide. Que les parties composantes du verre soient extrêmement petites & déliées, je le conjecture de ce que ses parties brisées ne sont jamais raboteuses, mais toujours lisses & polies; & de la ténuité de ses particules, j'infére que les pores entr'elles sont excessivement petits; de là vient que l'eau forte, ni aucun autre menstruë connu n'y peut entrer pour les séparer, & en dissoudre la substance; nous ne connoissons même aucun fluide assez délié pour les pénétrer, excepté le feu commun & le fluide électrique. Maintenant le feu par sa retraite laissant un vuide, comme il a été dit ci dessus, entre ces pores que l'air ou l'eau ne sont pas assez fins pour pénétrer, ni remplir, le fluide électrique y est attiré, car il est toujours prêt dans ce que nous appellons les corps non-électriques & dans les mixtions non-électriques qui sont dans l'air; cependant il ne se fixe point avec la substance du verre, mais il y séjourne comme l'eau dans une pierre poreuse, retenu seulement par l'attraction des parties fixées, restant toujours fluide & sans adhérence; mais je suppose de plus que dans le refroidissement du verre, son tissu devient plus serré au milieu, & forme une espèce de séparation dans laquelle les pores sont si étroits que les particules du fluide électrique qui entrent dans les deux surfaces en même tems, ne peuvent les traverser, ou passer & repasser d'une surface à l'autre, & ainsi se mêler ensemble. Néanmoins quoique les particules du fluide électrique, imbibé par chaque surface, ne puissent d'elles-mêmes passer à travers pour se joindre à celles de l'autre, leur répulsion le peut faire, & par ce moyen elles agissent l'une sur l'autre. Les particules du fluide électrique ont une mutuelle répulsion, mais par le pouvoir d'attraction dans le verre, elles sont condensées, ou plus rapprochées l'une de l'autre. Lorsque le verre a reçu, & que par son attraction il a condensé autant de ce fluide électrique, que la force d'attraction & de condensation dans l'une est égale à la force d'expension dans l'autre, il ne peut plus s'en imbiber, & cela reste constamment sa quantité totale. Mais chaque surface en recevroit plus, si la répulsion de ce qui est dans la surface opposée ne résistoit à son entrée. Les quantités de ce fluide dans chaque surface étant égales, leur action répulsive l'une sur l'autre est égale, & par conséquent celles d'une surface ne sçauroient chasser celles de l'autre.
Mais si l'on en pousse dans une surface une quantité plus grande que le verre n'en tireroit naturellement, elle augmente le pouvoir répulsif de ce côté, & surmontant l'attraction de l'autre, elle chasse la partie du fluide qui a été imbibée par cette surface, s'il se trouve un corps non-électrique prêt à la recevoir, ce qui arrive dans tous les cas où le verre est électrisé pour donner un choc. La surface qui a été ainsi vuidée, pour avoir chassé son fluide électrique, en reprend avec violence une quantité égale aussitôt que le verre trouve l'occasion de décharger cette quantité excédente au-delà de ce qu'il peut retenir par l'attraction dans son autre surface, dont la répulsion additionnelle a occasionné le vuide; car les expériences favorisant, je dirois presque confirmant cette hipothèse, je dois, pour éviter les répétitions, vous prier de revoir ce qui a déjà été dit de la fiole électrique dans mes précédentes lettres.
71. Voyons maintenant l'usage que nous en pouvons faire pour expliquer plusieurs autres phénomènes..... Le verre qui est un corps extrêmement élastique, (& peut-être qu'il doit son élasticité jusqu'à un certain point à la grande quantité de ce fluide répulsif qu'il renferme dans ses pores,) le verre doit, lorsqu'il est frotté, avoir sa surface frottée un peu élargie, ou ses parties solides un peu écartées, de sorte que les interstices dans lesquels réside le fluide électrique, deviennent plus larges, laissant de la place pour une plus grande quantité de ce fluide, lequel y est immédiatement attiré du coussin, ou de la main frottante qui se refournissent toujours au magazin commun; mais aussitôt que les parties du verre ainsi ouvert & rempli ont essuyé le frottement, elles se referment, & obligent la quantité surnuméraire de sortir sur la surface où elle doit rester jusqu'à ce que ces parties retournent au coussin, à moins que quelques corps non-électriques, comme le premier conducteur, ne se présente d'abord pour les recevoir. 33
Note 33: (retour) Dans l'obscurité on peut voir le fluide électrique sur le coussin en deux demi cercles ou croissans, l'un sur le devant, l'autre sur le derrière, précisément dans l'endroit où le globe & le coussin se séparent. Dans le croissant antérieur le feu passe du coussin dans le verre: dans l'autre il quitte le verre & retourne dans la partie postérieure du coussin. Quand on applique le premier conducteur pour tirer le feu du verre, le croissant de derrière disparoît.
Mais si la partie intérieure du globe est doublée d'un corps non-électrique, la répulsion additionnelle du fluide électrique ainsi rassemblé par le frottement sur la partie frottée de la surface extérieure du globe, chasse une égale quantité de la surface intérieure dans cette doublure non-électrique, qui la reçoit, & l'entraîne de la partie frottée dans la masse commune à travers l'axe du globe & le cadre de la machine; le fluide électrique nouvellement ramassé peut entrer & demeurer dans la surface extérieure, & le premier conducteur n'en recevra rien ou en recevra fort peu. Lorsque cette partie chargée du globe en tournant revient au coussin, la surface extérieure dépose son feu excédant dans le coussin, la surface intérieure opposée en recevant en même tems une quantité égale du plancher. Il n'y a point d'Électricien qui ne sçache qu'un globe mouillé intérieurement ne rend que peu ou point de feu, mais jusqu'ici on n'a pas essayé d'en donner la raison, ou du moins je l'ignore.
72. Si donc un tube doublé d'un corps non-électrique 34 est frotté, il ne rend que peu ou point de feu, ce qui est rassemblé de la main dans le coup qui se donne en frottant de haut en bas, entrant dans les pores du verre, & en chassant une égale quantité de la surface intérieure dans la doublure non-électrique; la main en repassant du bas en haut pour donner un second coup, rechasse ce qui a été poussé dans la surface extérieure, & alors la surface intérieure reçoit une seconde fois ce qu'elle a donné à la doublure non-électrique. Ainsi les parties de fluide électrique appartenant à la surface intérieure, pénètrent & ressortent de leurs pores à chaque coup donné au tube. Mettez un fil-d'archal dans le tube, l'extrémité intérieure en contact avec la doublure non-électrique, il représentera la bouteille de Leyde. Qu'une seconde personne touche le fil-d'archal tandis que vous frottez, & le feu chassé de la surface intérieure, lorsque vous donnez le coup, passera à travers la personne dans la masse commune; ensuite il reviendra au travers de la personne lorsque la surface intérieure reprendra sa quantité. Par conséquent cette nouvelle espèce de bouteille ne sçauroit être chargée de la sorte; mais elle peut l'être ainsi: après chaque coup, avant que vous passiez la main pour en donner un autre, faites appliquer le doigt de la seconde personne au fil-d'archal, & prendre l'étincelle, ensuite retirer son doigt, & ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle ait tiré un nombre d'étincelles; de cette façon la surface intérieure sera épuisée & la surface extérieure sera chargée; alors enveloppez ferme une feuille de papier doré autour de la surface extérieure, & l'empoignant avec la main, vous pourrez recevoir un coup par l'application du doigt de l'autre main au fil-d'archal; car alors les pores vuides dans la surface intérieure reprennent leur quantité, & les pores surchargés dans la surface extérieure déchargent leur surplus, l'équilibre étant rétabli à travers votre corps, lequel ne le seroit pas à travers la substance du verre. 35
si le tube est épuisé d'air, une doublure non-électrique en contact avec le fil d'archal n'est pas nécessaire, car dans le vuide le feu électrique volera librement de la surface intérieure sans avoir besoin d'un conducteur non électrique. Mais l'air résiste à son mouvement, car étant lui-même un corps originairement électrique, il ne l'attire point, ayant déjà sa quantité suffisante. Ainsi l'air ne tire jamais une atmosphère électrique d'aucun corps qu'à proportion des particules non-électriques qui se trouvent mêlées avec lui; il conserve plutôt & resserre une atmosphère qui par la répulsion mutuelle de ses parties tend à se dissiper, & se dissiperoit immédiatement dans le vuide..... Ainsi voilà l'explication de la plume enfermée dans un vaisseau de verre scellé hermétiquement, & qui se meut à l'approche du tube frotté. Lorsqu'une quantité surnuméraire du fluide électrique est appliquée au côté du vase par l'atmosphère du tube, une quantité est repoussée & chassée de la surface intérieure de ce côté dans le vase, & y affecte la plume, retournant ensuite dans ses pores, lorsque le tube avec son atmosphère est retiré; mais les particules de cette atmosphère ne passent point elles-mêmes au travers du verre à la plume..... tous les autres phénomènes qui se sont présentés à nous, & qui concernent le verre & l'électricité sont, si je ne me trompe, expliqués avec une égale facilité par la même hypothèse; elle peut bien néanmoins n'être pas vraye, & je serai fort obligé à quiconque m'en fournira une meilleure.
73. Ainsi je prétens que la différence entre les corps non-électriques & le verre, qui est un corps originairement électrique, consiste en ces deux particularités; la première que le corps non-électrique souffre sans peine un changement dans la quantité du fluide électrique qu'il contient. Vous pouvez diminuer sa quantité totale, en en chassant une partie que le corps entier reprendra; mais quant au verre, tout ce que vous pouvez faire, c'est de diminuer la quantité contenuë dans une de ses surfaces, encore n'en viendrez-vous à bout qu'en fournissant en même tems une quantité égale, à l'autre surface, de sorte que le verre entier puisse avoir la même quantité dans les deux surfaces, leurs deux quantités différentes étant ajoutées ensemble, ce qui ne peut même s'exécuter que dans un verre fort mince; nous ne connoissons jusqu'ici aucun moyen d'opérer ce changement au-delà d'une certaine épaisseur.
La seconde que le feu électrique se transporte aisément d'un endroit à un autre, dans & à travers la substance d'un corps non-électrique, mais non à travers la substance du verre. Si vous en présentez une quantité à l'extrémité d'une longue baguette de métal, elle la reçoit, & lorsqu'elle y entre, chaque particule qui étoit auparavant dans la baguette pousse vivement sa voisine à l'extrémité la plus éloignée où le surplus est déchargé, & cela dans un instant lorsque la baguette fait partie du cercle dans l'expérience du choc; mais le verre à cause de la petitesse de ses pores ou de l'attraction plus forte de ce qu'il contient ne se prête pas à un mouvement si libre. Une baguette de verre ne conduira pas un choc, & le verre le plus mince ne laissera entrer aucune particule dans aucune de ses surfaces pour traverser de l'une à l'autre.
74. De là nous voyons l'impossibilité du succès dans les expériences proposées, de tirer les effluves salutaires d'un corps non-électrique, de la canelle par exemple, & de les mêler avec le fluide électrique pour les faire passer avec lui dans le corps, en l'enfermant dans le tube, & le soumettant au frottement, &c. Car quoique les effluves de la canelle & le fluide électrique fussent mêlés dans le globe, ils ne sortiroient jamais ensemble à travers les pores du verre, & ainsi n'iroient point au premier conducteur; car le fluide électrique lui-même ne sçauroit passer au travers, & le premier conducteur est toujours fourni par le coussin, & celui-ci par le plancher; & d'ailleurs lorsque le globe est rempli de canelle ou d'un autre corps non-électrique, le fluide électrique ne peut être tiré de la surface extérieure par la raison ci-dessus énoncée. J'ai essayé un autre moyen que je croyois plus efficace pour obtenir un mêlange de fluide électrique & d'autres effluves, si un tel mélange eût été possible.
Je plaçai une lame de verre sous mon coussin pour couper la communication entre le coussin & le plancher; alors je conduisis une petite chaîne du coussin dans un vase d'huile de térébentine, & j'amenai une autre chaîne de l'huile de térébentine au plancher, prenant garde que la chaîne du coussin au verre ne touchât aucune partie du cadre de la machine; une autre chaîne fut attachée au premier conducteur, & tenue dans la main d'une personne qui devoit être électrisée. Les extrémités des deux chaînes dans le verre étoient environ à un pouce de distance l'une de l'autre, l'huile de térébentine entre deux. Les choses ainsi disposées, je ne pus tirer le feu du plancher à travers la machine, la communication étant interceptée par l'épaisseur de la lame de verre sous le coussin; il fallut donc le tirer à travers les chaînes, dont les extrémités étoient enfoncées dans l'huile de térébentine; & comme cette huile étant un corps originairement électrique, ne pouvoit conduire ce qui sortoit du plancher, il étoit donc obligé de sauter de l'extrémité d'une chaîne à l'extrémité de l'autre à travers la substance de cette huile, ce que nous voyions dans de grandes étincelles; ainsi le feu électrique eut une belle occasion de saisir quelques-unes des particules les plus déliées de l'huile dans son passage, & de les entraîner avec lui; mais cet effet ne s'ensuivit pas, & je n'apperçus pas la moindre différence entre l'odeur de ces écoulemens électriques ainsi rassemblés, & celle qu'ils ont lorsqu'ils sont rassemblés d'une autre manière, & ils n'affectent pas autrement le corps d'une personne électrisée.
Je mis pareillement dans une fiole au lieu d'eau une liqueur fortement purgative, & alors je chargeai la fiole, & j'en tirai des coups à plusieurs reprises. Dans ce cas il falloit que chaque particule de fluide électrique, avant que de traverser mon corps, eût premièrement traversé la liqueur, lorsque la fiole se chargeoit, & qu'elle la traversât de nouveau lorsque la fiole se déchargeoit, & cependant il ne s'ensuivit pas d'autre effet que si la fiole eût été chargée avec de l'eau. J'ai aussi senti le feu électrique lorsqu'il avoit traversé l'or, l'argent, le cuivre, le plomb, le fer, le bois & le corps humain, sans y appercevoir aucune différence: l'odeur est toujours la même lorsque l'étincelle ne brûle pas ce qu'elle frappe, c'est pourquoi j'imagine qu'elle ne prend son odeur d'aucune qualité des corps qu'elle traverse, & en effet comme cette odeur abandonne si rapidement la matière électrique & s'attache au revers du doigt qui reçoit les étincelles, ainsi qu'aux autres choses, je soupçonne qu'elle n'a aucune connexion avec elle, mais qu'elle se forme sur le champ de quelque chose dans l'air, que l'air même pousse sur elle; car si elle étoit assez déliée pour passer avec le fluide électrique à travers le corps d'une personne, pourquoi s'arrêteroit-elle sur la peau d'une autre?
Mais je n'aurois jamais fait, si je vous entretenois de toutes mes conjectures, pensées & imaginations sur la nature & sur les opérations de ce fluide électrique, & si je vous rapportois les diverses petites expériences que nous avons essayées. Cet écrit n'est déjà que trop long; je vous en demande pardon; je n'ai pas eu le tems de le faire plus court. J'ajouterai seulement que, comme il a été observé ici que l'on peut enflammer en été les esprits par le moyen d'une étincelle électrique sans les avoir chauffés, lorsque le thermomètre de Farhenheit est au-dessus de 70. Ainsi lorsqu'il fait plus froid, si l'opérateur met une petite bouteille platte dans son sein ou dans son gousset avec la cuillier quelque tems avant d'en faire usage, la chaleur de son corps leur en communiquera une plus que suffisante pour le dessein qu'il se propose.
«L'imperméabilité du verre étant contestée par M. L. N. Lettre IV. il seroit dans l'ordre de rapporter ici les réponses que lui a faites Mr. David Colden. Mais comme les remarques de ce dernier embrassent plusieurs objets qu'il eût été embarrassant de séparer, pour les mettre chacun à sa place, il a paru plus convenable de les laisser comme il les a écrites sous le titre de Lettre XIV.»
LETTRE VI.
1er. Septembre 1747.
M
ONSIEUR,
Je vous ai appris dans ma derniere lettre qu'en continuant nos recherches électriques, nous avions observé quelques Phénomènes singuliers que nous avons regardé comme nouveaux; je me suis engagé à vous en rendre compte, quoique j'appréhende qu'ils n'ayent pas pour vous le mérite de la nouveauté. Tant de personnes ont travaillé en Europe sur les expériences électriques, que quelqu'un se sera probablement rencontré avec nous sur les mêmes observations.
Le premier Phénomène est l'étonnant effet des corps pointus tant pour tirer que pour pousser le feu électrique. Par exemple.
75. Placez un boulet de fer de trois ou quatre pouces de diamètre sur l'orifice d'une bouteille de verre bien nette & bien séche: par un fil de soye attaché au plat-fond précisément au-dessus de l'orifice de la bouteille, suspendez une petite boule de liége environ de la grosseur d'une balle de mousquet: que le fil soit de longueur convenable pour que la boule de liége vienne s'arrêter à côté du boulet; électrisez le boulet, & le liége sera repoussé à la distance de 4. ou 5. pouces plus ou moins, suivant la quantité d'électricité...... Dans cet état si vous présentez au boulet la pointe d'un poinçon long & délié à 6. ou 8. pouces de distance, la répulsion sera détruite sur le champ, & le liége volera vers le boulet. Pour qu'un corps émoussé produise le même effet, il faut qu'il soit approché à un pouce de distance, & qu'il tire une étincelle. Afin de prouver que le feu électrique est tiré par la pointe, si vous ôtez de son manche le côté applati du poinçon, & que vous le fixiez sur un bâton de cire à cacheter, vous présenterez en vain le poinçon à la même distance, ou l'approcherez encore de plus près, le même effet n'en résultera point; mais glissez le doigt le long de la cire, jusqu'à ce que vous touchiez le côté applati, le liége alors volera sur le champ vers le boulet..... Si vous présentez cette pointe dans l'obscurité, vous y verrez quelquefois à un pied de distance & plus, une lumière brillante, semblable à un feu follet, ou à un ver luisant. 36 Moins la pointe est aiguë, plus il faut l'approcher pour appercevoir la lumière, & à quelque distance que vous voyiez la lumière, vous pouvez tirer le feu électrique, & détruire la répulsion.... Si une boule de liége ainsi suspenduë est repoussée par le tube, & que la pointe lui soit brusquement présentée, même à une distance considérable, vous serez étonné de voir avec quelle rapidité le liége revole vers le tube. Des pointes de bois feroient le même effet que celles de fer, pourvû que le bois ne fût pas sec; car un bois parfaitement sec n'est pas meilleur conducteur d'électricité que la cire d'Espagne.
76. Pour montrer que les pointes poussent aussi bien qu'elles tirent le feu électrique, couchez une longue aiguille pointuë sur le boulet, & vous ne pourrez assez électriser le boulet pour lui faire repousser la boule de liége... ou bien faites tenir à l'extrèmité d'un canon de fusil suspendu, ou d'une verge de fer, une aiguille qui pointe en avant comme une espèce de petite bayonnette, dans cet état le canon de fusil ou la verge ne sauroit par l'application du tube à l'autre extrèmité, être électrisé au point de donner une étincelle; le feu s'échape ou s'écoule continuellement en silence par la pointe. Dans l'obscurité vous pouvez lui voir produire le même effet que dans le cas dont nous venons de parler.
La répulsion entre la balle de liége & le boulet est pareillement détruite, 1°. en sassant dessus du sable fin, ce qui la détruit par dégrés; 2°. en soufflant dessus, 3°. en faisant autour, de la fumée de bois brulé; 37 4°. par la lumière d'une chandelle 38 quand même la chandelle seroit à un pied de distance. Par ces moyens la répulsion est détruite subitement.... La lumière d'un charbon de bois allumé & la lueur d'un fer rouge produisent le même effet; mais non pas à une si grande distance. La fumée de résine séche, fonduë sur un fer rouge, ne détruit pas la répulsion; mais elle est attirée & par la balle de liége & par le boulet, formant autour d'eaux des atmosphères proportionnées, & les rendant agréables à la vûë, & presque semblables à quelques-unes des figures qui sont dans la Théorie de la terre de Burnet ou de Whiston.
Note 37: (retour) Nous supposons que chaque particule de sable, d'humidité ou de fumée étant d'abord attirée, & ensuite repoussée, emporte avec elle une portion de feu électrique, mais que cette portion subsiste toujours dans ces particules, jusqu'à ce qu'elles la communiquent à quelqu'autre corps, & qu'elle n'est jamais réellement détruite; ainsi quand on jette de l'eau sur du feu commun, nous n'imaginons point que ce dernier élément soit par-là détruit & anéanti, mais seulement dispersé, chaque particule d'eau emportant en vapeurs la portion de feu qu'elle a attirée & qu'elle s'est attachée.