Expériences et observations sur l'électricité faites à Philadelphie en Amérique
N. B. Cette expérience doit être faite dans un cabinet où l'air soit fort tranquille.
77. La lumière du Soleil poussée avec force & long-tems de suite par le moyen d'un miroir ardent sur la boule de liége, que sur le boulet, ne diminuë aucunement la répulsion. Cette différence entre la lumière du feu & la lumière du Soleil est une autre découverte qui nous semble nouvelle & extraordinaire.
EXPÉRIENCES.
78. Prenez de grandes balances de cuivre dont le fleau soit au moins long de deux pieds, & dont les cordons soient de soye; suspendez-les par une ficelle attachée au plat-fond, de sorte que le fond des bassins puisse être environ à un pied du plancher; les bassins tourneront circulairement par le détortillement de la ficelle; plantez le poinçon sur le plancher, de manière que les bassins puissent passer au-dessus de sa tête en décrivant leur cercle; électrisez alors un bassin en lui communiquant une étincelle du fil-d'archal de la fiole chargée; comme les balances tournent toujours, vous verrez ce bassin s'avancer plus près du plancher, & s'abaisser davantage, lorsqu'il vient sur le poinçon; & s'il est placé à une distance convenable, le bassin étincellera, & déchargera son feu sur cet instrument. Mais si on attache une aiguille sur l'extremité du poinçon, la pointe en haut, le bassin au lieu de s'approcher de l'instrument & d'étinceller en le frappant, déchargera son feu en silence à travers la pointe, & s'élevera plus haut que le poinçon; & même si l'aiguille est placée sur le plancher auprès du poinçon, la pointe en haut, l'extremité de l'instrument, quoique beaucoup plus élevée que l'aiguille, n'attirera point le bassin, & ne recevra point son feu, car l'aiguille le prendra & le dissipera avant qu'il vienne assez près pour agir sur le poinçon. C'est une observation constante dans ces expériences, que plus la quantité d'électricité sur le conducteur de carton est grande, plus il frappe de loin, & décharge son feu aisément; & la pointe pareillement le tirera toujours à une plus grande distance.
Fin du premier Volume.
EXPÉRIENCES
ET
OBSERVATIONS
SUR
L'ÉLECTRICITÉ
FAITES
À PHILADELPHIE EN AMÉRIQUE
PAR
M. BENJAMIN FRANKLIN;
& communiquées dans plusieurs Lettres à M. P. COLLINSON, de la Société Royale de Londres.
Traduites de l'Anglois.
SECONDE ÉDITION
Revue, corrigée & augmentée d'un supplément considérable du même Auteur, avec des Notes & des Expériences nouvelles.
Par M. d'ALIBARD.
TOME SECOND.
A PARIS
Chez DURAND, rue du Foin, au Griffon.
M. DCC. LVI.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
LETTRES
SUR L'ÉLECTRICITÉ
DE
M. BENJ. FRANKLIN
de Philadelphie en Amérique,
À
M. P. COLLINSON
de la Société Royale de Londres.
LETTRE VII.
Contenant des observations & des suppositions tendantes à former une nouvelle hypothèse pour expliquer les différens phénomènes des éclats de tonnerre. 39
M
ONSIEUR,
§. 79. Les corps non-électriques, lorsqu'ils ont été chargés de feu électrique, le retiennent jusqu'à ce qu'on en approche d'autres corps non-électriques qui en ayent moins, & alors il est communiqué avec craquement, & se trouve également distribué.
80. Le feu électrique aime l'eau, il en est fortement attiré, & ces deux élemens peuvent subsister ensemble.
81. L'air est un corps originairement électrique, & lorsqu'il est sec, il n'est point conducteur du feu électrique, il ne le reçoit point des autres corps, & ne leur donne point; autrement aucun corps environné d'air ne pourroit être électrisé positivement & négativement; car si on essayoit de l'électriser positivement, l'air emporteroit aussitôt le surplus, ou si c'étoit négativement, l'air suppléeroit à ce qui manqueroit.
82. L'eau étant électrisée, les vapeurs qui s'en exhalent seront également électrisées, & flottant dans l'air sous la forme de nuages ou autrement, elles retiendront cette quantité de feu électrique jusqu'à ce qu'elles rencontrent d'autres nuages ou d'autres corps qui ne soient pas électrisés au même point, & alors elles le communiqueront, comme il a été dit ci-devant.
83. Chaque particule de matière électrisée est repoussée par chaque autre particule également électrisée; ainsi le courant d'une fontaine également serré & continu, dès qu'il sera électrisé, se séparera & s'étendra sous la forme d'une vergette, chaque goute faisant effort pour s'éloigner de chaque autre goute; mais lorsque le feu électrique leur est enlevé, elles se raprochent & se rejoignent.
84. L'eau qui est fortement électrisée (aussi bien que celle qui est échauffée par le feu commun,) s'éleve en vapeurs plus abondamment, l'attraction de cohésion entre ses particules étant considérablement affoiblie par la puissance opposée de répulsion introduite avec le feu électrique; & lorsque quelque particule est dégagée par quelque moyen que ce soit, elle est immédiatement repoussée, & s'envole ainsi dans l'air.
85. S'il arrive que les particules soient situées comme A & B, elle sont plus aisément dégagées que C & D, parce que chacune est en contact avec trois seulement, au lieu que C & D sont chacune en contact avec neuf. Lorsque la surface de l'eau éprouve la moindre agitation, les particules sont continuellement poussées dans l'état représenté par la figure VIII.
86. Le frottement entre un corps non-électrique & un corps originairement électrique produit le feu électrique, non en le créant, mais en le rassemblant: car il est également répandu dans nos murs, dans nos chambres, dans la terre & dans toute la masse de la matière commune; ainsi le globe de verre tournant, tandis qu'il frotte contre le coussin, tire le feu du coussin, lequel en est dédommagé par le cadre de la machine, & ce cadre par le plancher sur lequel il est posé. Coupez la communication par le moyen d'un verre épais ou d'un gâteau de cire placé sous le coussin, le feu ne peut plus être produit, parce qu'il ne peut plus être rassemblé.
87. L'Océan est un composé d'eau, corps non-électrique, & de sel, corps originairement électrique.
88. Lorsqu'il y a du frottement entre les parties voisines de sa surface, le feu électrique est rassemblé des parties inférieures; il est alors manifestement visible dans la nuit, il paroît à la pouppe & dans le sillage de chaque vaisseau qui fait route; on l'apperçoit à chaque coup de rame, dans l'écume des vagues & dans les parties d'eau élevées par le vent.... Dans une tempête toute la mer paroît en feu.... Les particules d'eau étant alors repoussées de la surface électrisée entrainent continuellement le feu tel qu'il a été rassemblé, elles s'élèvent & forment des nuages, & ces nuages fortement électrisés retiennent le feu jusqu'à ce qu'ils aient occasion de le communiquer.
89. Les particules d'eau s'élevant en vapeurs s'attachent elles-mêmes aux particules d'air.
90. On dit que les particules d'air sont dures, rondes, désunies & éloignées l'une de l'autre, chaque particule repoussant fortement chaque autre particule; par ce moyen elles s'éloignent autant que leur gravité commune le permet.
91. L'espace entre trois particules qui se repoussent également l'une l'autre, sera un triangle équilatéral.
92. Dans l'air comprimé ces triangles sont plus resserrés, dans l'air raréfié ils sont plus étendus.
93. Le feu commun associé à l'air augmente la répulsion, élargit les triangles, & par là rend l'air spécifiquement plus léger; cet air s'élevera au-dessus d'un air plus dense.
94. Le feu commun aussi bien que le feu électrique donne de la répulsion aux particules d'eau, & détruit leur attraction de cohésion; de-là le feu commun, aussi bien que le feu électrique, facilite l'élévation des vapeurs.
95. Les particules d'eau qui ne renferment point de feu s'attirent mutuellement. Trois particules d'eau étant donc attachées aux trois particules d'un triangle d'air, & s'opposant par leur attraction réciproque à la répulsion de l'air, racourciroient les côtés, & diminueroient le triangle; delà cette portion d'air étant rendue plus dense tomberoit à terre avec son eau, & ne s'éleveroit point pour contribuer à la formation d'un nuage.
96. Mais si chaque particule d'eau, s'attachant elle-même à l'air, amène avec elle une particule de feu commun, la répulsion de l'air étant plutôt favorisée & fortifiée par le feu, qu'embarrassée & rallentie par l'attraction réciproque des particules d'eau, le triangle s'étend, & cette portion d'air devenue plus rare, & spécifiquement plus légère s'éleve.
97. Si les particules d'eau amènent du feu électrique, lorsqu'elles s'attachent elles-mêmes à l'air, la répulsion entre les particules d'eau électrisées se joint à la répulsion naturelle de l'air, afin de pousser avec force ses particules à une plus grande distance; par là les triangles sont dilatés, & l'air s'élève emportant l'eau avec lui.
98. Si les particules d'eau amènent avec elles des portions du feu commun & du feu électrique, la répulsion des particules d'air se fortifie & s'accroît de plus en plus, & les triangles sont de beaucoup élargis.
99. Une particule d'air peut être environnée par douze particules d'eau d'un volume égal au sien, toutes en contact avec elle, & de plusieurs autres ajoutées à celles-là.
100. Les particules d'air ainsi chargées seroient plus rapprochées ensemble par l'attraction mutuelle des particules d'eau, si le feu, soit commun, soit électrique, ne favorisoit pas leur répulsion.
101. Si l'air ainsi chargé est comprimé par des vents contraires, s'il est poussé contre des montagnes, &c. ou condensé par la perte du feu qui favorisoit son expansion, les triangles se resserrent: l'air avec son eau descend comme une rosée; ou si l'eau environnant une particule d'air, vient en contact avec l'eau qui en environne une autre, elles se réunissent & forment une goute, ce qui nous donne la pluye.
102. Le soleil fournit, ou semble fournir le feu commun à toutes les vapeurs qui s'élèvent tant de la terre que de la mer.
103. Ces vapeurs qui ont en elles du feu électrique & du feu commun, sont mieux soutenuës que celles qui n'ont que du feu commun. Car lorsque les vapeurs s'élèvent dans la région la plus froide au-dessus de la terre, le froid, s'il diminue le feu commun, ne diminuera point le feu électrique.
104. Delà les nuages formés par des vapeurs élevées des eaux fraîches de la terre, des végétaux, de la terre humide, &c. déposent leur eau & plus vîte & plus aisément, n'ayant que peu de feu électrique pour repousser les molécules, & les tenir séparées, de sorte que la plus grande partie de l'eau élevée de la terre est abandonnée & retombe sur la terre. Les vents qui soufflent sur la mer sont secs. La mer ayant peu besoin de pluye, paroîtroit-il raisonnable de priver la terre de son humidité, pour la donner à la mer en pure perte?
105. Mais les nuages formés par les vapeurs élevées de la mer, ayant les deux feux, & surtout une grande quantité de feu électrique soutiennent fortement leur eau, l'élèvent à une grande hauteur, & étant agités par les vents peuvent l'amener du milieu de l'Océan au milieu du plus vaste continent.
»Quoique cette hypothèse du tonnerre soit contestée par M. L. N. je n'entreprendrai point de la défendre. On ne doit la regarder que comme les premières idées que M. Franklin a euës sur la nature de ce météore; il ne les donne lui-même que pour des conjectures qu'il abandonnera dès que d'autres observations lui feront connoître qu'elles sont mal fondées. C'est cependant à ces conjectures que la physique est redevable des importantes découvertes qui font autant d'honneur à leur premier auteur qu'elles en font peu à quiconque cherche à tourner en ridicule ceux qui sont entrés dans ses vûes.
106. Nous allons examiner présentement ce qui oblige les nuages de l'Océan qui soutiennent leur eau avec tant de force à la déposer sur les terres qui en manquent.
107. Si ces nuages sont poussés par des vents contre des montagnes, ces montagnes étant moins électrisées les attirent, & dans le contact emportent leur feu électrique; & comme elles sont froides, elles emportent aussi leur feu commun; delà les molécules pressent vers les montagnes, & se pressent l'une l'autre. Si l'air est peu chargé, le nuage tombe seulement en rosée sur le sommet & sur les côtés des montagnes; il forme des fontaines & descend dans les vallées en petits ruisseaux, qui par leur réunion font les grands courans & les rivières. S'il est fort chargé, le feu électrique sort tout à la fois d'un nuage entier, & en l'abandonnant il brille comme un éclair & craque avec violence: les particules se réunissent d'abord faute de ce feu, & tombent en grosses ondées.
108. Lorsque le sommet des montagnes attire ainsi les nuages & tire le feu électrique du premier nuage qui l'aborde, celui qui suit, lorsqu'il approche du premier nuage actuellement dépouillé de son feu, lui lance le sien, & commence à déposer son eau propre. Le premier nuage lançant de nouveau ce feu dans les montagnes, le troisiéme nuage approchant, & tous les autres arrivant successivement agissent de la même manière d'aussi loin qu'ils s'étendent en arrière, ce qui peut être sur une étendue de pays de quelques centaines de lieuës.
109. Delà les déluges de pluyes, les tonnerres, les éclairs perpétuels sur la côte orientale des Andes, qui courant nord-sud & étant prodigieusement hautes, interceptent tous les nuages amenés contre elles de l'Océan atlantique par les vents de mer, & les obligent à déposer leurs eaux, qui forment les rivières immenses des Amazones, de la Plata, & d'Oroonoke, lesquelles renvoyent ces eaux dans la même mer, après avoir fertilisé un pays d'une étenduë fort considérable.
110. Quoiqu'un pays soit uni & sans montagnes qui interceptent les nuages électrisés, il y a cependant encore des moyens pour les obliger à déposer leurs eaux; car si un nuage électrisé, venant de la mer, rencontre dans l'air un nuage élevé de la terre, & par conséquent non-électrisé, le premier lancera son feu dans le dernier, & par ce moyen les deux nuages seront contraints de déposer subitement leurs eaux.
111. Les particules électrisées du premier nuage se resserrent lorsqu'elles perdent leur feu, les particules de l'autre nuage se resserrent aussi en le recevant. Dans l'un & l'autre elles ont ainsi la facilité de se réunir en goutes..... La commotion ou la secousse donnée à l'air contribuë aussi à précipiter l'eau, non-seulement de ces deux nuages, mais des autres qui les avoisinent, delà les chutes de pluyes soudaines immédiatement après la lumière des éclairs.
112. Pour le montrer par une expérience facile, prenez deux cercles de carton de deux pouces de diamètres; du centre & de la circonférence de chaque cercle, suspendez par des fils de soye longs de dix-huit pouces, sept petites boules de bois ou sept poids de grosseur égale. Les boules ainsi suspenduës à chaque carton formeront trois à trois des triangles équilatéraux, une boule étant dans le centre & six à égale distance de celle-là & les unes des autres; dans cette situation elles représenteront les particules d'air; enfoncez les deux bandes dans l'eau, alors cette liqueur s'attachant & tenant un peu à chaque boule, elles représenteront l'air chargé. Electrisez adroitement une bande, & ses boules se repousseront l'une l'autre à une plus grande distance en élargissant les triangles. Si l'eau soutenuë par les sept boules venoit en contact, elle formeroit une ou plusieurs goutes assez pésantes pour rompre la cohésion qu'elle avoit avec les boules, & ainsi elle se précipiteroit... Que les deux bandes représentent donc deux nuages; l'une un nuage de mer électrisé, & l'autre un nuage de terre. Amenez-les dans la sphère d'attraction, elles s'attireront l'une l'autre, & vous verrez ainsi les boules désunies se resserrer. La première boule électrisée qui approche d'une boule non-électrisée, la joint par attraction, & lui donne de son feu: aussitôt elles se séparent & revolent chacune à une autre boule de sa bande, l'une pour donner, l'autre pour recevoir du feu. Cela se continuë ainsi à travers les deux bandes, mais avec une telle vîtesse quelle est presque instantanée. Dans la collision elles secouent & font tomber leur eau en goutes, ce qui représente la pluye.
113. Ainsi lorsque les nuages de mer & de terre passent à une trop grande distance pour étinceller, ils sont attirés l'un vers l'autre jusques dans cette distance, car la sphère d'attraction électrique s'étend beaucoup au-delà de la distance ou les corps étincellent.
114. Lorsqu'un grand nombre de nuages de mer rencontre une quantité de nuages de terre, les étincelles électriques paroissent s'élancer de différens côtés; & comme les nuages sont agités & mêlés par les vents, ou rapprochés par la force de l'attraction électrique, ils continuent à donner & à recevoir étincelles sur étincelles, jusqu'à ce que le feu électrique soit également répandu dans tous.
115. Lorsque le canon de fusil (dans les expériences électriques) ne contient que peu de feu électrique, il faut en approcher fort près le doigt avant de pouvoir en tirer une étincelle. Donnez lui plus de feu, & il donnera une étincelle à une plus grande distance. Deux canons de fusil unis, & aussi fortement électrisés, donneront une étincelle à une plus grande distance. Mais si deux canons de fusil électrisés frappent à deux pouces de distance, & font un éclat sensible, à quelle distance énorme ne doivent pas être portés le coup & le feu d'un nuage de 10000. acres électrisé, & combien son craquement ne doit-il pas être épouvantable?
116. C'est une chose ordinaire de voir des nuages à différentes hauteurs tenir différens chemins, ce qui prouve différens courants d'air l'un au-dessus de l'autre. Comme l'air entre les tropiques est raréfié par le soleil, il s'élève; l'air du nord & du sud plus dense presse à sa place; l'air ainsi raréfié & contraint de monter passe du coté du nord & du côté du midi, & est forcé de descendre dans les régions polaires, s'il n'a point d'autre issuë avant que la circulation puisse être continuée.
117. Comme les courants d'air avec les nuages suivent des routes différentes, il est aisé de concevoir comment les nuages passans l'un sur l'autre peuvent s'attirer réciproquement, & ainsi s'approcher suffisamment pour le choc électrique & de même comment les nuages électriques peuvent être emportés sur les terres fort loin de la mer, avant d'avoir aucune occasion de frapper.
118. Lorsque l'air avec ses vapeurs élevées de l'Océan entre les tropiques, vient à descendre dans les régions polaires, & à être en contact avec les vapeurs qui y sont élevées, le feu électrique qu'elles amènent commence à être communiqué, & se fait appercevoir dans de belles nuits, étant d'abord visible où il commence à être en mouvement, c'est-à-dire où le contact commence, ou dans les régions les plus septentrionales: delà les courans de la lumière semblent s'élancer au sud, même jusqu'au zénith des contrées septentrionales. Mais quoique la lumière paroisse s'élancer du nord au midi, le progrès du feu est réellement du midi au nord. Son mouvement commence dans le nord, & voilà pourquoi il y est d'abord apperçu.
Car le feu électrique n'est jamais visible que quand il est en mouvement & qu'il saute de corps en corps, ou de parcelle en parcelle au travers de l'air; lorsqu'il traverse des corps denses il est invisible. Lorsque le fil-d'archal fait partie du cercle dans l'explosion de la fiole électrique le feu, quoiqu'en grande quantité, passe dans le fil-d'archal invisiblement, mais en passant le long d'une chaîne il devient visible, parce qu'il saute de chaînon en chaînon. En passant le long d'une feuille d'or il est visible, parce que la feuille d'or est pleine de pores; tenez-en une feuille à la lumière elle vous paroîtra comme un réseau, & le feu est vû tandis qu'il saute sur les interstices..... Comme lorsqu'on ouvre à l'une de ses extrémités un long canal rempli d'eau pour le vuider, le mouvement de l'eau commence d'abord auprès de l'extrémité ouverte, & continue vers l'extrémité fermée, quoique l'eau elle-même avance de l'extrémité fermée vers l'extrémité ouverte; ainsi le feu électrique déchargé dans les régions polaires, peut-être sur une longueur de mille lieuës d'air évaporé, paroît d'abord où il est d'abord en mouvement, c'est-à-dire dans les parties les plus septentrionales, & l'apparition s'avance du côté du midi, quoique le feu avance réellement du côté du septentrion. Cela pourroit passer pour une explication de l'aurore boréale.
119. Lorsqu'il y a une chaleur excessive sur la terre dans une région particuliere, (le soleil ayant brillé dessus peut-être pendant plusieurs jours, tandis que les contrées circonvoisines ont été couvertes par les nuages,) l'air inférieur est raréfié, & s'élève: l'air supérieur plus frais & plus dense descend. Les nuages dans cet air se rencontrent de tous côtés, & se réunissent aux endroits échauffés, & si les uns sont électrisés, & que les autres ne le soient pas, les éclairs & le tonnere succèdent, & la pluye tombe; delà les éclats de tonnerre après les chaleurs, & l'air frais après les orages. L'eau & les nuages qui l'amènent venant d'une région plus élevée, & par conséquent plus fraîche.
120. Une étincelle électrique tirée d'un corps irrégulier à quelque distance, n'est presque jamais droite, mais elle paroît courbée & ondoyante dans l'air; ainsi paroissent les faisceaux d'éclairs, les nuages étant des corps fort irréguliers.
121. Quand les nuages électrisés passent sur un pays, les sommets des montagnes & des, arbres, les tours élevées, les pyramides, les mâts des vaisseaux, les cheminées, &c. comme autant d'éminences & de pointes attirent le feu électrique, & le nuage entier s'y décharge.
122. Ainsi il est dangereux de se mettre à l'abri sous un arbre pendant le tonnerre. Cette retraite a été funeste à plusieurs tant hommes que bêtes.
123. Il est plus sûr d'être en pleine campagne par une autre raison. Lorsque les habits sont moüillés, si un tourbillon dans son chemin vers la terre vient à toucher votre tête, il courra dans l'eau sur la surface de votre corps, au lieu que si vos habits sont secs, votre corps en sera traversé.
C'est pour cette raison qu'un rat mouillé ne peut être tué par l'explosion de la bouteille électrique, ce qui peut arriver à un rat dont la peau est séche.
124. Le feu commun est dans tous les corps, plus ou moins, aussi bien que le feu électrique. Peut-être ne sont-ils l'un & l'autre que les modifications du même élément: peut-être aussi que ce sont des élémens distingués. Quelques auteurs ne s'éloignent pas de ce dernier sentiment.
125. Si ce sont des matières différentes, ils peuvent subsister & subsistent ensemble dans le même corps.
126. Lorsque le feu électrique traverse un corps, il agit sur le feu commun contenu dans ce corps, & met ce feu en mouvement; & s'il y a une quantité suffisante de chaque espèce de feu, le corps sera enflammé.
127. Lorsque la quantité du feu commun dans le corps est petite, il faut que la quantité du feu électrique (ou le choc électrique) soit plus grande; si la quantité du feu commun est plus grande, une moindre quantité du feu électrique suffit pour produire l'effet de l'inflammation.
128. Ainsi les esprits doivent être êchauffés 40 avant que l'on puisse les enflammer par l'étincelle électrique; s'ils sont fort échauffés, il ne faudra qu'une petite étincelle, s'ils le sont peu, il faudra une plus forte étincelle.
129. Jusqu'ici nous n'avions pû enflammer que des vapeurs chaudes, mais à présent nous pouvons brûler de la colophone séche. Lorsque nous pourrons nous procurer de plus grandes étincelles électriques, nous seront en état d'enflammer non-seulement les esprits froids, comme fait la foudre, mais même le bois, en donnant une agitation suffisante au feu commun qu'il contient, ce que nous sçavons que le frottement peut faire.
130. Les vapeurs sulphureuses & inflammables qui s'élèvent de la terre sont aisément allumées par la foudre. Outre ce qui s'exhale de la terre, de pareilles vapeurs sont envoyées par des tas de foin humide, de bled ou autres végétaux qui s'échauffent & qui fument. Le bois pourri des vieux arbres & des vieux bâtimens fait le même effet, c'est pourquoi ces matières sont souvent & aisément enflammées.
131. Les métaux sont souvent fondus par la foudre, quoiqu'ils ne le soient peut-être ni par la chaleur de la foudre, ni même par l'agitation du feu dans les mêmes métaux..... Car tout corps qui peut s'insinuer lui-même entre les particules du métal, & surmonter l'attraction par laquelle leur cohésion subsiste, (ce que peuvent faire les menstruës) changera le solide en fluide aussi bien que le feu, même sans l'échauffer. Ainsi le feu électrique ou la foudre causant une répulsion violente entre les particules du métal au travers duquel il passe, le métal est mis en fusion.
132. Si vous vouliez fondre à un feu violent l'extrémité d'un clou à demi-enfoncé dans une porte, la chaleur communiquée au clou entier, avant d'en fondre une partie, brûleroit la planche où il est enfoncé, & la partie fonduë brûleroit le plancher où elle tomberoit. Mais si la foudre peut fondre une épée dans le fourreau & l'argent dans la bourse, sans brûler ni le fourreau ni la bourse, il faut que la fusion soit froide.
133. La foudre déchire quelques corps: l'étincelle électrique perce aussi un trou à travers une main de gros papier. (§. 54.)
134. Si l'origine de la foudre assignée dans cette feüille est la véritable, on entendroit fort peu de tonnerre en mer, lorsque l'on seroit fort éloigné de la terre, & en effet quelques vieux Capitaines de vaisseaux que l'on a consultés sur cet article, assurent que le fait s'accorde parfaitement avec l'hypothèse. Parce qu'en traversant le vaste Océan on n'entend guères le tonnerre qu'on ne soit arrivé près des côtes dans des endroits où l'on peut se servir de la sonde, & que les isles éloignées du continent y sont fort peu sujettes. Un observateur curieux qui a vécu treize ans aux Bermudes, remarque qu'il y a eu moins de tonnerre pendant tout le tems qu'il y a séjourné, qu'il n'en a quelquefois entendu dans un mois à la Caroline.
Maintenant si le feu de l'électricité & celui de la foudre sont le même, comme j'ai tâché de le prouver, notre conducteur de carton & les bassins de l'expérience de la balance (78.) peuvent représenter les nuages électrisés. Si un tube long seulement de dix pieds frappe & décharge son feu sur le poinçon à deux ou trois pouces de distance, un nuage électrisé qui est peut-être de dix mille acres, peut frapper & décharger son feu sur la terre à une distance proportionnellement plus grande. Le mouvement horizontal des bassins sur le plancher, peut représenter le mouvement des nuages sur la terre, & le poinçon élevé, les montagnes & les plus hauts édifices, & alors nous voyons comment les nuages électrisés passant sur les montagnes & sur les bâtimens à une trop grande hauteur pour les frapper, peuvent être attirés en bas jusques dans la distance qui leur est nécessaire pour cet effet; & enfin si une aiguille est fixée sur un poinçon, la pointe en haut, ou même sur le plancher au-dessous du poinçon, elle tirera le feu du bassin en silence à une distance beaucoup plus grande que la distance requise pour frapper, & préviendra ainsi sa descente vers le poinçon; ou si dans sa course le bassin étoit venu assez près pour frapper, il ne le pourroit, parce qu'il auroit été d'abord privé de son feu, & par-là le poinçon est garanti du choc.
Je demande, cette supposition admise, si la connoissance du pouvoir des pointes ne pourroit pas être de quelque avantage aux hommes pour préserver les maisons, les églises, les vaisseaux, &c. des coups de la foudre, en nous engageant à fixer perpendiculairement sur les parties les plus élevées de ces édifices des verges de fer faites en forme d'aiguilles & dorées pour prévenir la rouille, & du pied de ces verges un fil-d'archal abaissé vers l'extérieur du bâtiment dans la terre, ou autour d'un des aubans d'un vaisseau, ou sur le bord jusqu'à ce qu'il touche l'eau? Ces verges de fer ne tireroient-elles pas probablement le feu électrique en silence hors du nuage, avant qu'il vint assez près pour frapper? & par ce moyen ne pourrions-nous pas être préservés de tant de désastres soudains & effroyables?
135. Pour décider cette question, sçavoir si les nuages qui contiennent la foudre sont électrisés ou non. J'ai imaginé de proposer une expérience à tenter en un lieu convenable à cet effet. Sur le sommet d'une haute tour ou d'un clocher, placez une espèce de guérite (comme dans la fig. IX.) assez grande pour contenir un homme & un tabouret électrique: du milieu du tabouret élevez une verge de fer, qui passe en se courbant hors de la porte, & delà se relève perpendiculairement à la hauteur de vingt ou trente pieds, & se termine en une pointe fort aiguë. Si le tabouret électrique est propre & sec, un homme qui y sera placé, lorsque des nuages électrisés y passeront un peu bas, peut être électrisé & donner des étincelles, la verge de fer lui attirant le feu du nuage. S'il y avoit quelque danger à craindre pour l'homme (quoique je sois persuadé qu'il n'y en a aucun) qu'il se place sur le plancher de la guérite, & que de tems en tems il approche de la verge le tenon d'un fil-d'archal, qui a une extrémité attachée aux plombs de la couverture, le tenant par un manche de cire; de cette force les étincelles, si la verge est électrisée, frapperont de la verge au fil-d'archal, & ne toucheront point l'homme.
136. Avant d'abandonner le sujet de la foudre, je puis citer quelques autres rapports entre les effets de ce météore & ceux de l'électricité. On sçait que la foudre a souvent rendu des personnes aveugles. Un pigeon que nous croyions avoir frappé à mort par le choc électrique, recouvrant la vie, languit quelques jours dans la basse cour, ne mangea rien, quoiqu'on lui eût jetté des miettes de pain, s'affoiblit, & mourut. Nous ne fîmes point attention qu'il avoit été privé de la vûe; mais ensuite un poulet tué de la même manière étant ressuscité en soufflant à plusieurs reprises dans ses poumons; lorsqu'il fut posé sur le plancher, il alla donner de la tête contre la muraille, & après l'avoir examiné nous reconnûmes qu'il étoit parfaitement aveugle; delà nous conclûmes que le pigeon avoit aussi été entiérement aveuglé par le choc. Le plus grand animal que nous ayons tué ou essayé de tuer par le choc électrique est un fort gros poulet.
137. En lisant dans la relation que l'ingénieux Docteur Hales a donnée d'un orage arrivé à Stretham, l'effet de la foudre qui avoit dépouillé toute la peinture qui couvroit la moulure dorée d'un panneau de boiserie, sans avoir endommagé le reste de la peinture, il me vint dans l'idée de mettre une couche de peinture sur les filets d'or de la couverture d'un livre, & d'essayer l'effet d'un grand coup électrique porté à travers cet or par un carreau de verre chargé; mais n'ayant point de peinture sous la main, je collai dessus une bande étroite de papier, & lorsqu'elle fut séche, je portai le coup à travers la dorure; alors le papier fut renversé d'un bout à l'autre avec une telle force qu'il fut déchiré en plusieurs endroits, & qu'en d'autres il emporta une partie des grains du maroquin sur lequel il étoit collé. Je suis persuadé que s'il eût été peint, la peinture auroit été enlevée, de la même manière que celle de la boiserie de Stretham.
138. La foudre fond les métaux, & j'ai avancé dans ma lettre sur ce sujet que je soupçonnois que c'était une fusion froide; je n'entens pas dire une fusion produite par la force du froid, mais une fusion sans chaleur. Nous avons aussi fondu l'or, l'argent & le cuivre en petites quantités par le coup électrique. Voici de quelles manière. Prenez une feuille d'or, d'argent ou de cuivre doré, communément appellé feüille de cuivre ou or d'Hollande: coupez de cette feuille des bandes longues & étroites de la largeur d'une paille: placez une de ces bandes entre deux lames de verre poli, qui soient environ de la largeur de votre doigt; si une bande d'or de la longueur de la feuille n'est pas assez longue pour le verre, ajoutez-en une autre à son extrémité; de sorte que vous puissiez avoir une petite partie qui déborde à chaque extrémité du verre: attachez ensemble les deux piéces de verre d'un bout à l'autre avec un bon fil de soye: alors placez-les de manière qu'elles fassent partie d'un cercle électrique, les extrémités de l'or qui pendent au dehors servant à faire l'union avec les autres parties du cercle: portez le coup au travers par le moyen d'un grand vase ou d'un carreau de verre électrisé. Si vos lames de verre demeurent entières, vous verrez que l'or manque en plusieurs endroits, & vous trouverez à la place des taches métalliques sur les deux verres. Ces taches sur le verre supérieur & sur le verre inférieur sont éxactement semblables jusques dans le moindre trait, comme on le peut distinguer en les tenant à la lumière. Le métal nous a paru avoir été non-seulement fondu, mais même vitrifié ou autrement, si enfoncé dans les pores du verre qu'ils paroissent le défendre contre l'action de la plus puissante eau forte & eau régale. Je vous envoye dans une boëte deux petites piéces de verre couvertes de ces taches métalliques, lesquelles ne peuvent être effacées sans enlever une partie du verre. Quelquefois la tache s'étend un peu plus que la largeur de la feuille, & paroît plus brillante sur le bord, comme vous pouvez l'observer sur celles-ci en les examinant de près. Quelquefois le verre se brise en morceaux; une fois le verre de dessus se cassa en mille piéces qui paroissoient comme des grains de gros sel. Ces morceaux que je vous envoye, ont été tachetés avec l'or d'Hollande; le vrai or fait une tache plus obscure & un peu rougeâtre, l'argent fait la tache verdâtre. Nous prîmes une fois deux morceaux de verre de miroir fort épais, larges d'environ un pouce & demi & longs de six pouces, & plaçant la feuille d'or entr'eux, nous les mîmes entre deux piéces de bois bien uni, nous les serrâmes dans une petite presse de relieur de livres, & quoiqu'ainsi serrées l'une contre l'autre, la force du choc électrique brisa le verre en plusieurs morceaux.... l'or fut fondu & fit des taches dans le verre à l'ordinaire. Les circonstances de ce brisement de verre varient beaucoup en faisant l'expérience, & quelquefois même le verre n'est point du tout brisé; mais il est constant que les taches des morceaux de dessus & de dessous sont exactement des contre parties les unes des autres. Et quoique j'aie pris les morceaux de verre entre mes doigts immédiatement après la fusion, je n'y ai jamais senti la moindre chaleur.
139. J'ai dit dans une de mes précédentes lettres que la dorure sur un livre, quoique d'abord elle communiquât parfaitement bien le choc, le manquoit néanmoins après un petit nombre d'expériences, sans que nous pussions en donner la raison. Nous avons trouvé depuis qu'un choc violent rompt la continuité de l'or dans le filet, & le fait paroître comme de la poussière d'or, quantité de ses parties étant rompuës & écartées; il ne sçauroit guères conduire plus d'un choc dans toute sa force. En voici vraisemblablement la raison, lorsqu'il n'y a pas une parfaite continuité dans le cercle, il faut que le feu saute pardessus les intervalles; il y a une certaine distance qu'il est capable de franchir proportionnellement à sa force; si un nombre de petits intervalles, quoique chacun soit excessivement petit, pris ensemble excèdent cette distance, il ne peut sauter pardessus, & ainsi le choc est empêché ou du moins fort affoibli.
140. En conséquence de la loi de l'Électricité dont nous avons parlé ci-devant, que les pointes; selon qu'elles sont plus ou moins aiguës, tirent & poussent le fluide électrique avec plus ou moins de force, à de plus grandes ou à de moindres distances, & dans de plus grandes ou de plus petites quantités en tems égal, nous pouvons trouver la manière d'expliquer la situation de la feuille d'or suspenduë entre deux lames métalliques, celle d'en haut étant continuellement électrisée, & celle d'en bas dans la mains d'une personne qui est debout sur le plancher. Lorsque la lame supérieure est électrisée, la feuille est attirée & élevée vers elle, & voleroit à cette lame, si elle n'étoit arrêtée par ses propres pointes; l'angle qui se trouve le plus haut, lorsque la feuille s'élève, ayant la pointe fort aigue à cause de l'extrême ténuité de l'or, tire & reçoit à une certaine distance une quantité suffisante de fluide électrique, pour se donner à lui-même une atmosphère électrique par laquelle son progrès à la lame supérieure est arrêté, & il commence à être repoussé de cette lame, & seroit renvoyé jusqu'à la lame inférieure sans que son angle le plus bas est pareillement une pointe, & pousse ou décharge le surplus de l'atmosphère de la feuille aussi promptement que l'angle supérieur l'attire; si la finesse de ces deux pointes étoit parfaitement égale, la feuille se placeroit exactement dans le milieu de l'espace, car la pésanteur n'est rien comparée au pouvoir qui agit sur elle; mais elle est généralement plus près de la lame non-électrisée, parce que quand la feuille est présentée à la lame électrisée à une certaine distance, la pointe la plus aiguë est communément affectée la première & élevée vers elle; ainsi cette pointe par sa plus grande finesse recevant le fluide trop tôt pour que son opposée puisse le décharger à distances égales, elle se retire de la lame électrisée, & s'avance plus près de la lame non-électrisée, jusqu'à ce qu'elle vienne à une distance où la décharge puisse être exactement égale à la charge. Cette dernière étant diminuée, & la première augmentée; & elle y demeure aussi long-tems que le globe continuë à fournir de nouvelle matière électrique. Ceci paroîtra évident, lorsque la différence de la finesse dans les angles sera devenuë fort grande. Coupez un morceau d'or d'Hollande (qui est le meilleur pour ces expériences, parce qu'il est plus fort) dans la forme de la figure X. que l'angle d'en haut soit un angle droit, les deux suivans des angles obtus, & le plus bas un angle fort aigu, & amenez cet or sur votre lame, qui est sous la lame électrisée, de manière que la partie coupée à angle droit puisse être d'abord élevée, ce qui se fait en couvrant la partie aiguë avec le creux de la main, & vous verrez la feüille prendre place beaucoup plus près de la lame supérieure que de la lame inférieure, parce que sans être plus près, elle ne peut recevoir aussi promptement à la pointe de son angle droit, qu'elle peut décharger à la pointe de son angle aigu. Tournez cette feüille de façon que la partie aiguë soit la plus élevée, & alors elle se placera tout auprès de la lame non-électrisée, parce qu'elle reçoit plus promptement à la pointe de l'angle aigu qu'elle ne peut décharger à la pointe de l'angle droit; ainsi la différence de la distance est toujours proportionnelle à la différence d'accélération. Prenez garde en coupant votre feuille de ne pas laisser de petits lambeaux sur les extrémités, qui forment quelquefois des pointes où vous ne voudriez pas les avoir; vous pouvez faire cette partie si aiguë dans sa partie inférieure, & si obtuse dans sa partie supérieure, qu'il ne soit pas besoin de lame inférieure, se déchargeant d'elle-même assez promptement dans l'air. Si elle est plus étroite, comme on le voit dans la figure comprise entre les lignes ponctuées, nous l'appellons le poisson d'or, à cause de sa manière d'agir. Car si vous le prenez par la queuë, & que vous le teniez à un pied, ou à une plus grande distance horizontale du premier conducteur, lorsque vous le laisserez aller, il volera à lui avec un mouvement vif, mais ondoyant, semblable à celui d'une anguille dans l'eau; il prendra place alors sous le premier conducteur, peu-être à un quart ou à un demi pouce de distance, & remuëra continuellement sa queuë comme un poisson, de sorte qu'il paroît animé. Tournez sa queuë, vers le premier conducteur, & alors il vole à votre doigt & semble le grignoter. Si vous tenez sous lui une lame à six ou huit pouces de distance, & si vous cessez de tourner le globe, lorsque l'atmosphère électrique du conducteur diminuë, il descendra sur la lame, & nagera encore en arrière à plusieurs reprises avec le même mouvement de poisson, ce qui fait un jeu amusant pour les spectateurs. Par une legère pratique d'émousser ou d'aiguiser les têtes, ou les queuës de ces figures, vous pouvez leur faire prendre la place que vous desirez, plus près ou plus loin de la lame électrisée.
MÉMOIRE
Lû à l'Académie Royale des Sciences,
le 13. Mai 1752. par
M. D'ALIBARD.
EXPÉRIENCES ET OBSERVATIONS
SUR LE TONNERRE,
Relatives à celles de Philadelphie.
L
e tonnerre est un de ces
phénomènes dont tous les
physiciens ont éssaye de découvrir
la nature, mais dont aucun
n'a encore donné d'explication
satisfaisante. Rien de plus commun
que les effets de ce redoutable
météore, rien de plus ignoré
que leur cause; il semble
même que plus on a fait d'efforts
pour en approfondir le principe,
plus on s'est écarté de la voye
qui pouvoit y conduire. Les connoissances
physiques n'étoient
point encore assez avancées pour
que l'on pût pénétrer un mistère
dont l'intelligence étoit réservée
à un siécle plus éclairé. Ce qui
a causé la difficulté, ce qui a retardé
jusqu'à présent l'explication
de ce phénomène, c'est
qu'on ne lui voyoit point de rapport
à aucune chose connuë, &
ce n'est que par l'enchaînement
des rapports que l'on peut arriver
d'une connoissance à une autre;
il étoit impossible de rapporter
le tonnerre à son vrai
principe, puisque le principe
même étoit inconnu. Les plus
sages physiciens en sont restés à
admirer les effets, sans pouvoir
presque rien dire des causes; ou
s'ils en ont hazardé quelqu'explication
on reconnoît aisément
dans leurs écrits que ce n'est
que par des conjectures relatives
ou à leurs préjugés, ou à leurs
affections, ou aux systèmes qu'ils
avoient embrassés, ou aux différentes
sciences qu'ils avoient
le plus cultivées. Les premiers
philosophes regardoient le tonnerre
comme un attribut des
Dieux, ou comme un esprit,
& ne poussoient pas plus loin
leurs recherches à ce sujet; d'autres
philosophes imaginèrent que
les corps célestes se renvoyoient
mutuellement des influences
dont la rencontre produisoit ce
météore: la plupart des physiciens
en ont cherché la cause
dans les exhalaisons des matières
inflammables de la terre. Les
chimistes ont prétendu en avoir
découvert le principe dans le
mêlange du nitre, du souffre &
du fer, des esprits acides & des
huiles essentielles; enfin chaque
physicien a saisi le moindre rapport
qu'il a pû appercevoir entre
ce phénomène & ce qu'il
connoissoit d'ailleurs pour en développer
la nature, & chacun
l'a expliquée à sa façon, mais
cette matière est toujours demeurée
en problême.
Ce n'est que depuis peu d'années que l'on a commencé à avoir sur ce sujet des soupçons mieux fondés.
M. Gray 41 est le premier à qui le tonnerre & les éclairs aient paru tenir beaucoup de la nature du feu & de la lumière électrique. Cette première opinion a été plus approfondie par MM. l'Abbé Nolet, 42 Hales, 43 & Barberet 44; ils ont trouvé une analogie surprenante entre les effets du tonnerre & ceux de l'électricité; mais tout ce qu'ils en ont dit les uns & les autres n'étoit encore qu'une conjecture, il falloit des observations suivies, des expériences certaines, des faits bien constatés; tout cela se trouve dans les lettres de M. Franklin. Il ne manquoit à cet ingénieux physicien qu'une dernière preuve pour achever de le convaincre que la matière du tonnerre est absolument la même que celle de l'électricité; n'étant pas apparemment trop à portée d'acquérir cette preuve par lui-même, il nous a enseigné le moyen d'y parvenir.
Après avoir répété avec un succés plus que complet toutes les expériences de Philadelphie, après m'être confirmé dans la confiance entière que j'ai aux sçavantes propositions qui y sont établies & démontrées, j'ai entrepris de vérifier jusqu'aux conjectures de mon auteur; & j'en suis venu à obtenir cette dernière preuve qui manquoit à sa conviction. L'importance du sujet m'a paru mériter l'attention de l'Académie. Le résultat de l'expérience dont je vais rendre compte, ne va pas moins qu'à faire connoître la nature du tonnerre, à le soumettre, pour ainsi dire, au pouvoir des hommes, à dissiper ce redoutable météore, & à prévenir ses funestes effets.
Mais pour me faire mieux entendre, sur tout de ceux qui ne sont point assez au fait des expériences de Philadelphie, j'en vais rapporter un extrait de ce qui est relatif à mon objet, & j'y ajouterai quelques autres observations dont je ne suis pas moins sûr.
1º. La matière électrique est un fluide, une espèce de feu répandu dans toute la nature en différentes proportions.
2. Quoique les corps contiennent chacun une certaine quantité de ce feu, on les a distingués en corps électriques & corps non-électriques. Ces distinctions sont assez connuës.
3. Les premiers sont propres à communiquer ce feu, & non à le conduire: les derniers le reçoivent & le transmettent, sans pouvoir le communiquer par eux-mêmes.
4. En ce sens l'air est naturellement électrique, & l'eau ne l'est pas.
5. Les corps non-électriques retiennent le feu dont ils ont été une fois chargés, jusqu'à ce qu'il en approche d'autres corps qui en ayent moins; alors le feu se communique avec bruit, & se distribue également entr'eux.
6. L'eau étant électrisée, les vapeurs qui s'en exhalent le sont aussi.
7. Les particules de matière électrisée se repoussent mutuellement; delà vient apparemment que l'électricité, aussi bien que la chaleur, augmente l'évaporation des liqueurs.
8. Le frottement entre un corps non-électrique & un corps originairement électrique produit le feu électrique, non en le créant, mais en le rassemblant.
9. La mer est un composé d'eau corps non-électrique, & de sel corps originairement électrique.
10. Lorsqu'il y a du frottement entre les parties voisines de sa surface, la matière électrique y est rassemblée des parties inférieures & y devient apparente. C'est ce qu'on remarque dans le sillage d'un vaisseau, sous les coups de rames, dans l'écume & dans les parties d'eau agitées par le vent. Enfin dans une tempête toute la mer paroît en feu.
11. Les particules d'eau détachées étant alors repoussées de sa surface électrisée, emportent avec elles le feu électrique qui a été rassemblé, & en s'élèvant elles s'attachent elles-mêmes aux particules d'air qu'elles rencontrent.
12. Les particules d'air ainsi chargées & appésanties par les particules d'eau qui y sont adhérentes, retomberoient bientôt sur la terre, si le feu électrique attaché à ces dernieres ne les rendoit spécifiquement plus légères. La chaleur du soleil contribuë encore à les alléger.
13. Aidées de ces deux puissances le feu électrique & le feu commun, les vapeurs de la mer s'élèvent fort haut dans l'air, & y forment des nuages chargés comme elles de l'un & l'autre feu.
14. Quand même ces nuages fortement électrisés viendroient à s'élever dans la région la plus froide au-dessus de la terre, le froid qu'ils y rencontreroient pourroit diminuer leur feu commun; mais loin de diminuer leur feu électrique, il ne feroit qu'en augmenter la force.
15. Les nuages formés des exhalaisons de la terre, ayant peu de feu électrique, ne s'élèvent pas beaucoup, & déposent leur eau promptement & aisément; c'est de là que les vents de terre qui soufflent sur mer se font facilement reconnoître par leur sécheresse.
16. Il en est tout autrement des nuages formés des exhalaisons de la mer; ayant beaucoup de feu électrique, ils soutiennent fortement leur eau, s'élèvent à une grande hauteur, & poussés par les vents peuvent la conduire du milieu de l'Océan au milieu du plus vaste continent.
17. Ces nuages électrisés étant poussés par les vents, sont attirés par les montagnes auxquelles ils communiquent leur feu électrique: alors les particules d'eau se rapprochent & tombent en rosée, si l'air est peu chargé; mais s'il est fort chargé, le feu électrique sort tout à la fois d'un nuage entier, & en l'abandonnant il brille comme un éclair & fait un bruit violent; dans ce cas les particules d'eau se réunissent faute de ce feu, & tombent en grosses ondées.
18. Lorsqu'une montagne attire ainsi les nuées, & tire le feu électrique du premier nuage qui l'aborde, celui qui suit, lorsqu'il approche du premier actuellement dépouillé de son feu, lui lance le sien, & commence à déposer son eau propre. Le premier nuage communiquant ce nouveau feu à la montagne, un troisiéme nuage survient, & tous les autres arrivant successivement agissent de la même manière sur ceux qui les précèdent & sur la montagne, d'aussi loin qu'ils s'étendent en arrière, ce qui peut être sur une étendue de pays de quelques centaines de lieuës.
19. Delà viennent les déluges de pluyes, les tonnerres, les éclairs presque perpétuels sur les montagnes les plus élevées, du pied desquelles les plus grands rivières tirent leurs sources.
20. Quoique les endroits voisins des hautes montagnes soient ceux où le tonnerre est le plus fréquent, ce ne sont pas les seuls qui y soient sujets; il se fait aussi entendre dans les pays plats & unis, & les nuages de mer y déposent leurs eaux sans y être arrêtés par les montagnes. Mais dans ce cas ce sont les nuages de terre qui font l'office des montagnes. Ceux-ci non-électrisés & beaucoup moins élevés venant à passer sous ceux-là qui sont électrisés & fort élevés, les attirent, en reçoivent le feu électrique, & par ce moyen sont contraints les uns & les autres de laisser tomber subitement les eaux dont ils étoient chargés.
21. Personne ne doute que les corps électrisés ne soient entourés d'une atmosphère électrique d'une étenduë considérable & précisément de la même figure que ces corps. On peut même rendre cette atmosphère visible en excitant au-dessous du corps électrisé une fumée de résine bien séche. L'attraction & la répulsion se font dans toute l'étenduë de cette atmosphère, quoique le feu électrique ne puisse se communiquer de si loin, du moins avec bruit; c'est pour cette raison qu'un nuage de terre non-électrisé venant à passer au-dessous d'un nuage de mer fort électrisé, l'attire à une très-grande distance.
22. Quand plusieurs nuages de mer rencontrent plusieurs nuages de terre, le feu électrique s'élance de différens côtés, & les élancemens continuënt jusqu'à ce que le feu électrique soit également répandu dans tous ces nuages.
23. La distance où se font les élancemens du feu électrique étant relative à l'étenduë des corps électrisés, si dans les expériences électriques deux canons de fusil électrisés frappent à deux pouces de distance & font un éclat & un bruit sensible, à quelle distance énorme ne doivent pas être portés le coup, le bruit & le feu d'un nuage de dix mille arpens électrisé?
24. Comme les courans d'air avec les nuages suivant des routes différentes, il est aisé de concevoir comment les nuages passant les uns sous les autres peuvent s'attirer réciproquement & s'approcher suffisamment pour le choc électrique. On conçoit de même comment les nuages électrisés peuvent être emportés sur les terres fort loin de la mer sans aucun obstacle.
25. Le feu électrique n'est visible & ne se fait entendre que quand il traverse l'air pour sauter d'un corps à un autre; on ne l'apperçoit point le long d'un fil de fer dans les expériences électriques; & on le voit le long d'une chaîne, parce qu'il saute de chaînon en chaînon. De même le feu du tonnerre ne brille que quand il saute d'un nuage à un autre. Quoique l'éclair & le coup partent en même tems, l'on ne voit le premier avant d'entendre le second, que parce que la lumière vole plus rapidement que le son; d'où il suit naturellement que l'on peut juger de l'éloignement du tonnerre par la distance de l'éclair au bruit, & qu'il n'y a jamais rien à craindre d'un éclat de tonnerre dont on a vû l'éclair.
26. Une étincelle électrique tirée à quelque distance d'un corps irrégulier par un autre corps pareil, paroît courbée & ondoyante dans l'air; delà vient l'apparition de l'éclair en zic-zac.
27. Les éminences, les grands arbres & les édifices élevés sont les plus exposés à être frappés du tonnerre; ainsi il est dangereux d'y chercher un abri pendant l'orage.
28. Une autre raison pourquoi il vaudroit mieux être en rase campagne, c'est que le feu électrique, s'il y atteignoit quelqu'un, pourroit glisser sur ses habits mouillés, sans lui faire de mal. Un rat mouillé ne peut être tué par l'explosion de la bouteille électrique.
29. Le feu électrique & le feu commun peuvent subsister, & subsistent ensemble dans le même corps. Le premier agit sur le second; & une quantité suffisante de l'un & de l'autre en différentes proportions produit l'inflammation.
30. Les métaux sont souvent fondus par la foudre, & ces sortes de fusions sont froides ou chaudes. La fusion froide ou sans chaleur n'est qu'une désunion des particules métalliques qui détruit l'attraction par laquelle leur cohésion subsistoit. C'est la même manière dont les menstruës agissent sur le métal. Quand une épée est fonduë dans son fourreau, & l'argent dans une bourse, sans que le fourreau & la bourse soient brûlés, il faut nécessairement que ce soit par une espèce de fusion froide. Je pourrois citer plusieurs autres exemples de faits tout semblables; mais pour abréger je dirai seulement que l'on imite cet effet dans une des expériences électriques de Philadelphie.
Il y a aussi des exemples que la foudre opère quelquefois des fusions de métaux par chaleur, ce sont alors de véritables fusions, des fusions brûlantes. Quoiqu'on n'ait pas encore poussé les expériences électriques jusqu'à des opérations pareilles, je ne doute point qu'on n'y parvienne dans la suite.
31. Comme il y a des corps qui ont été déchirés par la foudre, il y en a de même qui sont déchirés par l'étincelle électrique. En répétant l'expérience où l'on perce une main de papier, & où j'en ai souvent percé jusqu'à 96. feüilles, j'ai remarqué que les dernières feüilles ont quelquefois souffert une déchirure telle qu'on pouvoit y passer le doigt.
32. Il s'ensuit des observations précédentes qu'on devroit entendre très-rarement le tonnerre en pleine mer, lorsque l'on est fort éloigné de la terre. Quelques anciens officiers de marine qui ont été consultés sur ce sujet, assurent que le fait s'accorde parfaitement avec la conjecture, & que les isles éloignés du continent sont fort peu sujettes à l'orage. Un observateur judicieux a remarqué qu'il avoit moins entendu de tonnerre pendant treize ans qu'il a demeuré aux Bermudes, qu'il n'en a quelquefois entendu dans un mois à la Caroline.
33. M. Franklin ajoute à toutes ces observations celles de quelques effets singuliers du tonnerre, & rapporte à ce sujet des effets tout à fait semblables de l'électricité: par exemple des aveuglemens causés par l'un aussi bien que par l'autre: des filets dorés sur lesquels on avoit mis de la peinture, qui ont été découverts par l'électricité, de même que par le tonnerre; il y a une infinité d'autres effets de ce météore que l'on pourroit rappeller ici, & dont le rapport avec ceux de l'électricité peut se démontrer aussi facilement. Mais pour ne point quitter M. Franklin, je passe à une de ses expériences, qui paroît bien décisive pour le sujet dont il est question.
Si l'on suspend au plat-fond d'une chambre par une ficelle de grandes balances de cuivre, dont le fléau ait au moins 2. pieds de longueur, de manière que les bassins attachés à des cordons de soye soient environ à un pied de terre, ces bassins tourneront circulairement par le détortillement de la ficelle. Si l'on plante sur le plancher un poinçon de métal, dont la tête soit arrondie & polie, de façon que les bassins puissent passer pardessus en décrivant leur cercle; si dans cet état on électrise un des bassins en lui appliquant le fil-d'archal de la bouteille électrique, on verra ce bassin s'abaisser en passant sur le poinçon, & même décharger son feu sur cet instrument, s'il est à une distance convenable.
Si après cela on attache une aiguille la pointe en haut sur le plancher auprès du poinçon, la tête de cet instrument, loin d'attirer comme auparavant le bassin électrisé, semblera le repousser, parce que la pointe de l'aiguille, quoique beaucoup plus basse, aura tiré le feu électrique dont le bassin étoit chargé, avant qu'il soit venu à portée d'être attiré par la tête du poinçon.
Ces deux bassins peuvent nous représenter deux nuages, l'un un nuage de mer, & l'autre un nuage de terre; leur mouvement horizontal sur le plancher sera dans la même hypothèse, celui des nuages au-dessus de la terre, & le poinçon élevé représentera une montagne, une éminence ou un grand édifice; on comprendra alors comment les nuages électrisés, en passant au-dessus des montagnes ou des bâtimens à une trop grande hauteur pour les frapper, en peuvent être attirés jusqu'à la distance qui leur est nécessaire pour cet effet.
Comme d'ailleurs l'aiguille fixée la pointe en haut sur le plancher au dessous du poinçon tire en silence le feu électrique du bassin à une distance beaucoup plus grande que la distance requise pour frapper, & prévient ainsi la descente vers le poinçon: comme le bassin électrisé, quand même il viendroit par son propre mouvement assez près pour frapper, ne pourroit le faire, parce qu'il auroit alors été dépoüillé de la plus grande partie de son feu: comme enfin dans ces deux cas le poinçon seroit toujours garanti du choc, il est plus que probable que la connoissance du pouvoir des pointes peut être d'un très-grand avantage à l'humanité pour préserver des atteintes de la foudre des maisons, les églises, les vaisseaux, &c.
Il ne s'agiroit, pour y parvenir, que de fixer perpendiculairement sur les parties les plus élevées de ces édifices des verges de fer faites en forme d'aiguilles, & dorées pour prévenir la rouille, & d'abaisser du pied de ces verges, un fil-d'archal au dehors des bâtimens, jusqu'à ce qu'il touchât la terre ou l'eau de la mer. Ces verges de fer bien pointuës tireroient probablement & tireroit sans bruit le feu électrique hors du nuage, avant qu'il vint assez près pour frapper & pour causer aucun désastre.
Mais avant que d'en venir à cet expédient il restoit un problême à résoudre. Toutes les observations pouvoient paroître bien faites, toutes les réflexions naturelles, tous les raisonnemens suivis, toutes les inductions justes, sans que pour cela le succès répondît à la vraisemblance. Il étoit question de décider avant tout si les nuées qui contiennent la foudre sont électrisées ou non; c'est ce doute qui a empêché M. Franklin de prononcer hardiment sur toute cette matière. Ce que sa pénétration & la justesse de son raisonnement lui ont fait reconnoître, sa droiture & sa sincérité n'ont osé l'assurer. Tout ce qu'il a pû faire dans cette circonstance embarrassante, ç'a été de proposer sa conjecture, & de nous enseigner les moyens de décider la question. En suivant la route qu'il nous a tracée, j'ai obtenu une satisfaction complette. Voici les préparatifs, le procèdé & le succès.
1º. J'ai fait faire à Marly-la-Ville, situé à six lieuës de Paris, au milieu d'un belle plaine, dont le sol est fort élevé, une verge de fer d'environ un pouce diamètre, longue de quarante pieds & fort pointuë par son extrémité supérieure; pour lui ménager une pointe plus fine, je l'ai fait armer d'acier trempé & ensuite brunir, au défaut de dorure, pour la préserver de la rouille; outre cela cette verge de fer est courbée vers son extrémité inférieure en deux coudes à angles aigus quoiqu'arondis; le premier coude est éloigné de deux pieds du bout inférieur, & le second est en sens contraire à trois pieds du premier.
2º. J'ai fait planter dans un jardin trois grosses perches de vingt-huit à vingt-neuf pieds disposées en triangle, & éloignées les unes des autres d'environ huit pieds; deux de ces perches sont contre un mur, & la troisiéme est au-dedans du jardin. Pour les affermir toutes ensemble l'on a cloué sur chacune des entre-toises à vingt pieds de hauteur, & comme le grand vent agitoit encore cette espèce d'édifice, l'on a attaché au haut de chaque perche de longs cordages, qui tenant lieu d'aubans, répondent par le bas à de bons piquets fortement enfoncés en terre à plus de vingt pieds des perches.
3º. J'ai fait construire entre les deux perches voisines du mur, & adosser contre ce mur une petite guérite de bois capable de contenir un homme & une table.
4º. J'ai fait placer au milieu de la guérite une petite table d'environ un demi pied de hauteur, & sur cette table j'ai fait dresser & affermir un tabouret électrique. Ce tabouret n'est autre chose qu'une petite planche quarrée portée sur trois bouteilles à vin; il n'est fait de cette manière que pour suppléer au défaut d'un gâteau de résine qui me manquoit.
5º. Tout étant ainsi préparé, j'ai fait élever perpendiculairement la verge de fer au milieu des trois perches, & je l'ai affermie en l'attachant à chacune de ces perches avec de forts cordons de soye par deux endroits seulement. Les premiers liens sont au haut des perches environ trois pouces au-dessous de leurs extrémités supérieures: les seconds sont vers la moitié de leur hauteur. Le bout inférieur de la verge de fer est solidement appuyé sur le milieu du tabouret électrique, où j'ai fait creuser un trou propre à le recevoir.
6º. Comme il étoit important de garantir de la pluye le tabouret & les cordons de soye, parce qu'ils laisseroient passer la matière électrique s'ils étoient mouillés, j'ai pris les précautions nécessaires pour en empêcher: c'est dans cette vûe que j'ai mis mon tabouret sous la guérite, & que j'avois fait courber ma verge de fer à angles aigus, afin que l'eau qui pourroit couler le long de cette verge ne pût arriver jusques sur le tabouret. C'est aussi dans le même dessein que j'ai fait clouer sur le haut & au milieu de mes perches à trois pouces au-dessus des cordons de soye, des espèces de boëtes formées de trois petites planches d'environ 15. pouces de long, qui couvrent pardessus & par les côtés une pareille longueur des cordons de soye sans leur toucher.
Il s'agissoit de faire dans le tems de l'orage deux observations sur cette verge de fer ainsi disposée; l'une étoit de remarquer à sa pointe une aigrette lumineuse semblable à celle qu'on apperçoit à la pointe d'une aiguille, quand on l'oppose assez près d'un corps actuellement électrisé: l'autre étoit de tirer de la verge de fer des étincelles, comme on en tire du canon de fusil dans les expériences électriques. J'étois bien assuré du succès de la première de ces observations, m'étant rappellé que cette aigrette est connuë il y a deux ou trois mille ans. Les plus anciens auteurs, Homère, Aristote, Plutarque, Horace, &c. en ont parlé sous le nom d'astre d'Hélène, quand il n'en paroissoit qu'une, & sous les noms de Castor & Pollux, quand on en voyoit deux.
Il n'est point rare aux navigateurs d'appercevoir ces aigrettes lumineuses au haut des mâts, au bout des vergues, en un mot dans les endroits élevés, où il y a des pointes dressées en l'air, surtout pendant la nuit, à l'approche & dans le tems des orages; c'est ce qu'ils appellent le feu S. Elme. Outre cela un de mes amis de province m'a mandé avoir remarqué plusieurs fois dans des orages de nuit un feu follet à la pointe de la verge de fer d'une girouette qui se trouvoit devant la fenêtre de son appartement.
La certitude de cette première observation me donnoit aussi beaucoup de confiance pour la seconde; j'ose même dire que je n'étois pas moins assuré de son succès. Il me paroissoit impossible que la verge de fer étant bien isolée de tous corps non-électriques, ne donnât pas des étincelles, dès qu'elle tiroit & recevoit la matière électrique par sa pointe, mais il falloit voir ces étincelles.
Après avoir ainsi dressé toute la machine, ne pouvant pas toujours rester à la campagne pour attendre l'orage, j'ai chargé de faire les observations en mon absence un habitant du lieu, nommé Coiffier, qui a servi quatorze ans dans les dragons, & sur qui je pouvois également compter pour l'intelligence & pour l'intrépidité. Je lui avois donné toutes les instructions nécessaires, soit pour observer l'aigrette lumineuse qui devoit paroître à la pointe de la verge de fer, soit pour tirer les étincelles de cette verge avec le tenon d'un fil-d'archal que j'avois attaché au collet d'une longue fiole pour lui servir de manche, & par ce moyen le garantir des piqûres de ces étincelles qui pouroient être trop fortes.
Je lui avois encore recommandé de faire venir auprès de la machine quelques-uns de ses voisins, & même de faire avertir M. le Prieur Curé de Marly, qui m'avoit promis de s'y trouver sitôt que le tems paroîtroit disposé à l'orage.
Le Mercredi 10. Mai 1752. entre deux & trois heures après midi, mon ami Coiffier entendit un coup de tonnerre assez fort: il vole à la machine, prend la fiole avec le fil-d'archal, présente le tenon du fil à la verge, en voit sortir une petite étincelle brillante, & en entend le pétillement; il tire une seconde étincelle plus forte que la première & avec plus de bruit: il appelle ses voisins, & envoye chercher M. le Prieur: celui-ci accourt de toutes ses forces; les Paroissiens voyant la précipitation de leur Curé, s'imaginent que le pauvre Coiffier a été tué du tonnerre; l'allarme se répand dans le village: la grêle qui survient n'empêche point le troupeau de suivre son Pasteur. Cet honnête Ecclésiastique arrive près de la machine, & voyant qu'il n'y avoit point de danger, met lui-même la main à l'oeuvre, & tire de fortes étincelles. La nuée d'orage & de grêle ne fut pas plus d'un quart-d'heure à passer au zénith de notre machine, & l'on n'entendit que ce seul coup de tonnerre. Sitôt que le nuage fut passé, & qu'on ne tira plus d'étincelles de la verge de fer, M. le Prieur de Marly fit partir le sieur Coiffier lui-même pour m'apporter la lettre suivant qu'il m'écrivit à la hâte.
«Je vous annonce, Monsieur, ce que vous attendez; l'expérience est complette. Aujourd'hui à deux heures vingt minutes après midi le tonnerre a grondé directement sur Marly; le coup a été assez fort. L'envie de vous obliger & la curiosité m'ont tiré de mon fauteüil, où j'étois occupé à lire: je suis allé chez Coiffier, qui déjà m'avoit dépêché un enfant que j'ai rencontré en chemin pour me prier de venir, j'ai doublé le pas à travers un torrent de grêle. Arrivé à l'endroit où est placé la tringle coudée j'ai présenté le fil-d'archal, en avançant successivement vers la tringle à un pouce & demi ou environ; il est sorti de la tringle une petite colonne de feu bleuâtre sentant le souffre, qui venoit frapper avec une extrême vivacité le tenon du fil-d'archal, & occasionnoit un bruit semblable à celui qu'on feroit en frappant sur la tringle avec une clef. J'ai répèté l'expérience au moins six fois dans l'espace d'environ quatre minutes en présence de plusieurs personnes, & chaque expérience que j'ai faite a duré l'espace d'un pater & d'un ave. J'ai voulu continuer; l'action du feu s'est rallentie peu à peu; j'ai approché plus près, & n'ai plus tiré que quelques étincelles, & enfin rien n'a paru.»
«Le coup de tonnerre qui a occasionné cet événement n'a été suivi d'aucun autre; tout s'est terminé par une abondance de grêle. J'étois si occupé dans le moment de l'expérience de ce que je voyois, qu'ayant été frappé au bras un peu au-dessus du coude, je ne puis dire si c'est en touchant au fil-d'archal ou à la tringle: je ne me suis pas plaint du mal que m'avoit fait le coup dans le moment que je l'ai reçu; mais comme la douleur continuoit, de retour chez moi j'ai découvert mon bras en présence de Coiffier, & nous avons apperçu une meurtrissure tournante autour du bras, semblable à celle que feroit un cou de fil-d'archal si j'en avois été frappé à nud. En revenant de chez Coiffier j'ai rencontré M. le Vicaire, M. de Milly & le maître d'école à qui j'ai rapporté ce qui venoit d'arriver; ils se sont plaint tous les trois qu'ils sentoient une odeur de soufre qui les frappoit davantage à mesure qu'ils approchoient de moi: j'ai porté chez moi la même odeur, & mes domestiques s'en sont apperçus sans que je leur aie rien dit.»
«Voilà, Monsieur, un récit fait à la hâte, mais naïf & vrai que j'atteste, & vous pouvez assurer que je suis prêt à rendre témoignage de cet événement dans toutes occasions. Coiffier a été le premier qui a fait l'expérience, & l'a répétée plusieurs fois; ce n'est qu'à l'occasion de ce qu'il a vû qu'il m'a envoyé prier de venir. S'il étoit besoin d'autres témoins que de lui & moi, vous les trouveriez. Coiffier presse pour partir.»
«Je suis avec une respectueuse considération, Monsieur, votre, &c. signé Raulet, Prieur de Marly. 10. Mai 1752.»
On voit par le détail de cette lettre que le fait est assez bien constaté pour ne laisser aucun doute à ce sujet. Le porteur m'a assuré de vive voix qu'il avoit tiré pendant près d'un quart-d'heure avant que M. le Prieur arrivât, en présence de cinq ou six personnes, des étincelles beaucoup plus fortes & plus bruyantes que celles dont il est parlé dans la lettre. Ces premières personnes arrivant successivement n'osoient approcher qu'à dix ou douze pas de la machine, & à cette distance, malgré le plein soleil, ils voyoient les étincelles & en entendoient le bruit.
Il ne parut point d'aigrette lumineuse à la pointe de la verge de fer; il y en avoit cependant une, & Coiffier m'a dit y avoir apperçu une très-foible lueur; mais d'abord la lumière du soleil, & ensuite l'opacité de la grêle la dérobèrent bientôt à la vûe; d'ailleurs il y a toute apparence que l'aigrette seroit plus visible à la pointe d'une verge de fer qui ne seroit point isolée.
La comparaison des odeurs du tonnerre & de l'électricité n'a point échapé à mes recherches pour en tirer une preuve de leur identité; mais comme je ne connois point assez l'odeur du météore, je n'ai pas voulu m'y arrêter. Pour l'odeur de soufre dont il est parlé dans la lettre, elle pourroit bien être la même que celle de phosphore que l'on sent après de violentes explosions dans certaines expériences électriques. Quand on ne connoît pas bien distinctement l'une & l'autre, il est fort aisé de s'y méprendre.
Enfin il me paroît évidemment prouvé par l'expérience de Marly que le tonnerre est pour le moins aussi propre que le globe de verre à communiquer l'électricité aux corps non-électriques, & que les corps originairement électriques, comme le verre & la soye, retiennent aussi bien cette électricité naturelle que celle qu'on excite artificiellement. Je ne doute même point, & je crois que personne n'en doutera, que si l'orage duroit quelque tems, on ne pût faire avec cette électricité naturelle toutes les mêmes expériences que l'on fait avec l'artificielle.
Il résulte de toutes les expériences & observations que j'ai rapportées dans ce mémoire, & surtout de la dernière expérience faite à Marly-la-Ville, que la matière du tonnerre est incontestablement la même que celle de l'électricité. L'idée qu'en a euë M. Franklin cesse d'être une conjecture; la voilà devenuë une réalité, & j'ose croire que plus on approfondira tout ce qu'il a publié sur l'électricité, plus on reconnoîtra combien la Physique lui est redevable pour cette partie.
Il ne me reste plus qu'à dire quelque chose des avantages qu'on peut retirer de cette importante découverte. Puisqu'il est bien reconnu qu'une pointe métallique présentée à quelque distance vis-à-vis d'un corps actuellement électrisé en tire le feu, & le décharge entiérement sans bruit, sans explosion & sans commotion: puisqu'il est également vérifié qu'une verge de fer présentant sa pointe bien acérée vers un nuage chargé de tonnerre, tire en silence la matière électrique de ce nuage, dès qu'il est assez proche pour que la verge se trouve dans on atmosphère électrique, cette verge suffira pour le décharger entiérement de tout le feu qui y est retenu, & elle opérera ce bon effet d'autant plus surement & plus facilement que la nuée orageuse sera plus près & plus long-tems à passer à portée de la pointe.
Delà résultent les avantages infinis de dissiper presque à volonté la matière du tonnerre, & de préserver de ses atteintes les édifices tant publics que particuliers. Je suis persuadé que, si au lieu de terminer, comme on le fait ordinairement, les toits des pavillons, des tours, des clochers & les mâts des vaisseaux &c. par des giroüettes, par des coqs, par des croix, par des perroquets, &c. On y dressoit des pointes métalliques de la manière dont il a été expliqué ci-devant, on garantiroit ces édifices de la foudre. Dans la supposition même où ces pointes ainsi élevées, en tirant le feu des nuages orageux, en seroient assaillies par une quantité excessive, ou, pour me servir des expressions usitées, quand ces pointes fendroient la nuë, & attireroient sur elles un orage tout entier, le fil de fer attaché à leur extrémité inférieure suffiroit pour conduire ce feu jusqu'à la terre ou à l'eau au dehors des édifices, sans que la foudre pût leur toucher; la raison m'en paroît évidente. Comme le métal est moins électrique, & par-là plus perméable à l'électricité que les pierres, les bois & les autres matériaux qui entrent dans la construction d'un bâtiment; le feu électrique ne quittera point cette route que quand elle lui manquera.
Pour calmer les craintes de ceux qui, malgré ces raisons, pourroient appréhender que les pointes élevées sur leurs maisons n'y attirassent le feu du ciel, j'ajouterai ici un autre moyen de les mettre tout-à-fait en sureté. Il consiste à élever dans le voisinage autour de leurs châteaux ou maisons plusieurs de ces mêmes verges métalliques sur de grands arbres, sur des tours, sur des éminences, &c. ou simplement à les planter en terre, pourvû qu'elles ayent assez de longueur pour surpasser, ou tout au moins pour égaler la hauteur des édifices que l'on voudra préserver. S'il pouvoit arriver que le tonnerre tombât sur ces verges, il ne pourroit y faire aucun désordre. Il ne faudroit peut-être pas une centaine de verges de fer ainsi dressées & disposées dans les différens quartiers & dans les endroits les plus élevés, pour préserver de la foudre toute la Ville de Paris.
«Dès que ce mémoire eut été lû à l'Académie Royale des Sciences, où il avoit été écouté avec la plus grande attention, & reçu avec l'accueil le plus obligeant, le bruit s'en répandit; cette découverte fut mise dans toutes les nouvelles publiques, & l'expérience fut repétée avec le même succès dans toutes les parties de l'Europe. On imagina différens moyens pour élever des verges de fer pointuës suivant la situation des lieux, & il s'en trouva de très-ingénieux. Celui par exemple de dresser une pointe métallique au-dessus d'un cerf-volant que l'on élève en l'air à l'approche d'un orage, a fait voir des phénomènes très-singuliers. La matière électrique y étoit si abondante qu'elle faisoit à chaque instant des explosions assez bruyantes pour être entenduës à des distances considérables. Ces explosions doivent être regardées, & sont réellement autant de petits coups de tonnerre dont les effets pourroient être aussi funestes pour ceux qui se trouveroient à portée d'en être frappés. L'exemple de M. Richman, professeur de physique à Petersbourg & martyr de l'électricité, suffiroit seul pour avertir qu'il est quelquefois dangereux de s'approcher sans beaucoup de précaution de la verge de fer électrisée par le tonnerre. Il paroît par la relation de sa mort, arrivée le 6. Août 1753. & insérée dans les gazettes d'Hollande & de France du mois de Septembre suivant, qu'il n'a pas été tué par le tonnerre tombé directement du ciel, mais par l'explosion de la matière électrique dont la barre de fer trop bien isolée se trouva surchargée au moment que sa tête en approcha pendant qu'il faisoit ses observations.»
«Il est encore arrivé deux accidens du même genre, quoique moins tragiques, à deux célèbres physiciens, dont l'un 45 est associé & l'autre 46 correspondant de l'Académie Royale des Sciences. Tous les deux furent renversés par le coup dont ils furent frappés en voulant tirer des étincelles de leur appareil électrique. Un degré de plus dans la charge de cet appareil leur eût vraisemblablement fait éprouver un sort aussi funeste qu'au physicien Moscovite. Mais je suis sûr que les précautions dont je me suis presque toujours servi en pareil cas, auroient pû les en garantir, & j'exhorte tous ceux qui voudront faire de pareilles observations sur le tonnerre, à mettre en usage ces mêmes précautions.»
«Peu de jours après la publication du mémoire ci-dessus, j'imaginai adapter un petit carillon à une pointe métallique que j'avois fait élever au jardin du Roi pour M. de Buffon; ce carillon est composé de deux petits timbres, dont l'un est attaché au fil de fer correspondant à la pointe, & l'autre à la muraille, avec une petite boule de métal suspenduë entre deux par un fil de soye pour servir de battant. Dès le premier orage qui arriva le jour même, le carillon sonna plus d'une demi-heure avant que le tonnerre grondât & avant que les éclairs parussent. Par ce moyen nous avons toujours été avertis depuis de l'approche des nuages orageux; il nous est même arrivé plusieurs fois, à M. de Buffon & à moi, d'entendre sonner le carillon sans aucune apparence de tonnerre. Quand un nuage chargé d'électricité vient à passer au-dessus de la pointe métallique à une grande distance, il met le carillon en mouvement, & soit qu'il n'y ait point assez de matière pour causer un véritable orage, soit que la pointe en dissipe assez pour en empêcher, tout se passe sans fracas.»
«Ce carillon ainsi adapté à la machine du tonnerre sert à plusieurs usages importans; 1°. il avertit de l'approche ou de la présence d'un nuage orageux tant la nuit que le jour; 2°. il fait connoître l'abondance de la matière électrique dont un nuage est chargé, par la fréquence plus ou moins grande de ses battemens, & même par son silence, comme on le verra dans la suite; 3°. étant une décharge continuelle de la matière électrique, qui s'accumule sur la machine du tonnerre, il est suffisant pour en prévenir les funestes accidens. Je suis très-persuadé que ni M. Richman ni les autres n'auroient point été frappés si rudement, s'il y avoit eu de pareilles décharges aux machines dont ils se sont servis.»
DE LA LETTRE II.
29. Juin 1751.
D
ans la relation que le capitaine
Waddel a donnée
des effets de la foudre sur son
vaisseau, je ne puis m'empêcher
de remarquer les grosses
lampes comazants, (comme il
les appelle) qui parurent sur les
pointes du haut des perroquets
toutes en feu comme de grosses
torches (avant le coup de tonnerre);
suivant mon sentiment le
feu électrique étoit alors tiré de la
nuée comme par des pointes, la
grosseur de la flamme marquant
la grande quantité d'électricité
dans la nuée; & s'il y avoit eu un
bon fil-d'archal de communication
des pointes du sommet des
perroquets à la mer, qui eût
conduit plus librement que des
cordes goudronnées ou des mâts
de bois résineux, j'imagine qu'il
n'y auroit point eu de coup de
foudre, ou que s'il y en eût eu,
le fil-d'archal l'auroit conduit
tout entier dans la mer sans endommager
le vaisseau.
Ses boussoles perdirent la vertu de l'aiman, ou les pôles en furent changés; la pointe du nord se tourna vers le sud. Par le moyen de l'électricité nous avons souvent ici (à Philadelphie) donné aux aiguilles la direction au pôle, & nous en avons changé les pôles à notre gré.
À Londres M. Wilson a essayé cette opération sur de trop grosses masses & avec une force trop foible.
«MM. Wilson & Franklin ne sont pas les seuls qui ayent conjecturé que le magnétisme devoit être un effet de l'électricité; M. de Buffon doit partager avec eux la gloire, non-seulement d'avoir eu la même opinion, mais d'en avoir porté un jugement décisif long-tems avant d'apprendre les conjectures de ces deux sçavans. Dès le commencement de l'année 1752. il me pria de lui faire faire six aiguilles d'acier pour essayer de les aimanter d'un coup d'électricité. Ses affaires ne lui permirent pas d'en faire l'épreuve; & comme par déférence je ne voulus pas la faire sans lui, l'expérience fut retardée jusqu'en 1753. tems auquel je reçus le supplément ou deuxiéme partie des écrits de M. Franklin, où j'en trouvai la réussite avant de l'avoir tentée moi-même.»
«Ayant aussitôt fait armer, suivant la méthode de Mr. Franklin, une grande cucurbite de verre, je la joignis à un gros matras aussi préparé pour l'expérience de Leyde; je mis ensuite une de mes aiguilles, dont j'avois ôté la chape, entre deux lames de verre, l'une plus longue & l'autre plus courte, afin que les deux bouts de l'aiguille débordassent cette dernière: pour affermir ces trois piéces, je les mis dans une petite presse faite exprès & disposée de façon que l'aiguille touchât par l'un de ses bouts une feüille de métal sur laquelle étoient posés les deux vases: ayant ensuite chargé ces deux vases ensemble, & achevé le cercle par le moyen d'un fil de fer, dont j'appuyai l'une des extrémités sur le bout de l'aiguille, je tirai le coup fulminant au travers de cette aiguille. Ayant après cela démonté l'appareil, rajusté la chape & suspendu l'aiguille sur son pivot, elle prit la direction nord & sud, & fut vivement attirée par le fer que je lui présentai; en un mot elle se trouva très-bien aimantée. J'essayai sur le champ de changer ses pôles en lui donnant le coup en sens contraire; cette seconde expérience ne me réussit pas moins bien que la première, & je la répétai plusieurs fois. Cette aiguille a conservé sa vertu magnétique pendant plusieurs mois. Mais je n'ai pas été long-tems à m'appercevoir que sa force diminuoit imperceptiblement, présentement il faut en approcher une clef à trois ou quatre lignes, pour qu'elle puisse en être attirée.»
«J'ai aimanté par le même moyen deux autres aiguilles qui me paroissent conserver toute leur force depuis plusieurs mois. Elles ont été frappées d'un coup donné en même tems par deux grandes cucurbites de verre revêtuës en dedans & en dehors de fëuilles d'étain & bien armées pour l'expérience de Leyde, & par deux gros matras dorés.»
«Les expériences électriques développent tous les jours des mystères, qui sans elles seroient peut-être toujours demeurés impénétrables dans la physique; le succès de celle-ci nous apprend pourquoi les vieux fers qui ont été long-tems exposés aux injures de l'air sur le haut des édifices fort élevés, non-seulement se trouvent aimantés, mais même semblent convertis en véritable aiman. (Voyez Mém. de l'Acad. R. des Sc., tom. X. pag. 734.) Cette observation qui parut si surprenante en 1691. cesse de l'être dès que l'on sçait que la matière du tonnerre & celle de l'électricité sont la même, & que le magnétisme n'est qu'un effet de la matière électrique. Personne n'aura de peine à se persuader que les clochers de Chartres à cause de leur grande élévation au milieu d'une vaste plaine ont été & sont souvent frappés du tonnerre. Feriunt altos fulmina montes. Les fers qui ont été employés dans ces édifices étant moins électriques que les pierres & les autres matériaux qui sont entrés dans leur construction, sont par-là plus susceptibles des impressions de ce météore. C'est de là qu'ils ont acquis la vertu magnétique; & peut-être l'aiman lui-même n'est-il aiman que parce que c'est une pierre qui contient beaucoup de fer, & qui a été frappée de la foudre.»
«Cette propriété qu'a la matière électrique de s'attacher de préférence aux corps les moins électriques, & surtout aux métaux, nous apprend l'utilité d'un ancien usage presque général, dont on n'a peut-être jamais connu ni le fondement ni le principe, c'est celui de mettre dans les tems d'orage une piéce de fer sur les tonneaux de vin & dans le nid des poules & autres volatils que l'on fait couver. On dit que c'est pour empêcher le tonnerre de faire tourner le vin & les oeufs, ou de faire mourir les jeunes poulets dans leurs coquilles. S'il est vrai que le tonnerre puisse produire ces mauvais effets; il est assez vraisemblable qu'un morceau de fer ou d'autre métal peut les prévenir. Le matière électrique qui se répand de tous côtés pendant l'orage, sera attirée par la substance métallique, & y fera son impression bien plutôt que sur les autres substances qui en sont moins susceptibles.»
Un choc donné par quatre grands vases de verre en forme de jarres à une fine aiguille à coudre flottante sur l'eau, lui donne la direction magnétique, & la traverse aisément. Si l'aiguille est posée Est & Ouest dans le tems qu'elle est frappée, le bout par lequel le feu électrique est entré se tourne au nord.
Si l'aiguille est posée nord & sud, le bout qui est vers le nord continuëra de marquer le nord quand elle sera mise sur l'eau, soit que le feu soit entré par ce bout ou par le bout opposé.
«Dans quelque direction que mes aiguilles fussent posées, lorsqu'elles ont reçu le coup fulminant, j'ai toujours remarqué que le bout de l'aiguille par lequel le feu y est entré, est constamment celui qui se tourne au nord, & conséquemment celui par lequel le feu est sorti, se tourne au sud. Pour changer les pôles d'une aiguille aimantée de cette manière, il ne s'agit que de donner le coup en sens contraire. M. Franklin à qui j'ai communiqué cette observation, m'a répondu que n'ayant pas eu le tems de répéter plusieurs fois cette expérience, il n'avoit pû l'approfondir, & que delà il pouvoit être arrivé que ses observations à cet égard ne fussent pas tout-à-fait justes.»
Le magnétisme qu'elle acquiert est plus fort quand l'aiguille est frappée étant tournée au nord & au sud; il est plus foible quand l'aiguille est Est & Ouest; si la force du coup étoit beaucoup plus grande, peut-être que, l'aiguille étant nord & sud, si le feu entroit par le bout sud il deviendroit nord, autrement nous serions embarrassés de rendre raison du renversement des pôles des boussoles par le coup de foudre, puisqu'il n'a jamais pû trouver leurs aiguilles que dans cette position, & que selon nos petites expériences, soit que le feu électrique entre par le bout du nord & sorte par celui du sud de l'aiguille, ou au contraire, le bout tourné vers le nord continuëroit toujours à le marquer.
Dans ces expériences les bouts des aiguilles reçoivent quelquefois de la flamme électrique, une légère teinte de bleu comme celle que l'on voit à un ressort de montre. Cette couleur donnée par le coup de deux vases seulement se dissipera, mais quatre vases la fixent, & fondent souvent les aiguilles; je vous en envoye quelques-unes qui ont eu leurs têtes & leurs pointes fonduës par notre tonnerre artificiel, & une épingle dont le feu électrique a fondu la pointe & fait couler quelques parties de sa tête & de son collet. Il arrive quelquefois que la surface du corps de l'aiguille coule aussi un peu & paroît soulevée en forme de vésicules quand elle est examinée avec une loupe. Les vases dont je me sers contiennent sept ou huit gallons, 47 & sont doublés de feüilles d'étain au dedans & au dehors, il faut à chacun d'eux mille tours d'un globe de neuf pouces de diamètre pour être chargé.
Je vous envoye deux échantillons de feüilles d'étain fonduës entre des verres par la force de deux vases seulement.
Je n'ai point appris qu'aucun de vos Électriciens d'Europe ait pû jusqu'ici enflammer la poudre à tirer par le feu électrique. Nous le faisons ici de cette manière. On remplit de poudre séche une petite cartouche; on la bourre assez fort pour en écraser quelques grains; on y enfonce ensuite deux fils-d'archal pointus un à chaque bout, ensorte que leurs pointes ne soient éloignées que d'un demi pouce au milieu de la cartouche que l'on place dans cercle; quand les quatre vases se déchargent, la flamme sautant de la pointe d'un fil-d'archal à celle de l'autre dans la cartouche au travers de la poudre, l'enflamme, & l'explosion de la poudre se fait au même instant que le craquement de la décharge.
«Cette expérience m'a réussi d'une façon admirable. En voici le procédé. Après avoir roulé une carte à jouer, & l'avoir bien liée avec du fil, j'ai rempli à peu près au quart ce petit tuyau de poudre à tirer, que j'ai bien bourée pour en écraser les grains; après cela j'y ai mis encore autant de poudre que j'ai bourée de la même manière; & ainsi de suite jusqu'à ce que le tuyau fût rempli: j'y ai ensuite enfoncé deux fils de fer, un à chaque bout comme le dit notre auteur; en suivant le reste de son procédé, l'expérience a manqué plusieurs fois. Imaginant que le défaut ne pouvoit venir que de ce que les pointes des fils de fer étoient trop éloignées l'une de l'autre, je les ai enfoncées davantage, & l'expérience a réussi. Quelque préparé que l'on soit au bruit que doit produire cette inflammation, on en est toujours surpris, mais ce n'est pas ce qu'il y a à craindre dans cette expérience.»
«L'on doit y prendre des précautions contre deux accidens qui peuvent en résulter, l'un de tourner le petard du côté opposé aux spectateurs, afin qu'en sautant il ne puisse blesser personne; l'autre de ne pas tenir à la main les fils de fer dont les pointes sont enfoncées dans le petard, parce que si la poudre ne s'enflammoit pas, celui qui les tiendroit recevroit une commotion peut-être trop forte.»
Je ne me souviens pas si je vous ai écrit que j'ai fondu des épingles de cuivre & des aiguilles d'acier, changé les pôles d'une aiguille aimantée, donné le magnétisme & la pôlarité à des aiguilles qui n'en avoient point, & que j'ai enflammé de la poudre à tirer séche avec l'étincelle électrique. J'ai cinq bouteilles qui contiennent chacune 8. ou 9. galons; deux de ces bouteilles chargées suffisent pour ces opérations; mais je puis les charger & les décharger toutes ensemble, il n'y a point d'autres bornes dans la force que l'homme peut donner & employer dans la matière électrique, que celles qui viennent de la dépense & du travail; car on peut augmenter le nombre des bouteilles à l'infini, les unir & les décharger toutes ensemble, comme s'il n'y en avoit qu'une. La force & l'effet sera proportionnée à leur nombre & à leur situation. Les plus grands effets connus des coups de foudre ordinaires peuvent, je pense, sans beaucoup de difficulté, être surpassés par cette voye, ce que l'on n'auroit jamais cru il y a quelques années. Bien des gens même aujourd'hui pourroient regarder cette supposition comme un peu extravagante. Ainsi nous sommes plus avancés en science que les diables de Rabelais à l'âge de deux ans; il dit d'eux plaisamment qu'ils ne sçavoient qu'un peut tonner & foudroyer autour de la tête d'un choux.
Je suis avec un sincère respect, votre très-humble & très-obligé serviteur, B. Franklin.
LETTRE
De M. E. KINNERSLEY,
à Boston,
à B. Franklin, Écuyer à Philadelphie,
le 3. Février 1752.
M
ONSIEUR,
J'ai à vous communiquer les expériences suivantes. Je tenois dans une main un fil-d'archal qui étoit attaché par l'autre bout à la manivelle d'une Pompe, pour essayer si le coup du premier conducteur au travers de mes bras, seroit un peu plus fort que lorsqu'il passoit seulement sur la surface de la terre; mais je n'y découvris aucune différence.
Je plaçai l'aiguille d'une boussole sur la pointe d'une longue épingle; & la tenant dans l'atmosphère du premier conducteur à la distance d'environ trois pouces, je trouvai qu'elle pirouettoit avec une grande rapidité, comme les aîles d'un tourne-broche.
Je suspendis avec une soye une balle de liége environ de la grosseur d'un pois; je lui présentai de l'ambre frotté, de la cire à cacheter, du soufre, elle fut fortement repoussée par chacun de ces corps; ensuite j'essayai du verre & de la porcelaine frottée, & je trouvai que chacun l'attiroit jusqu'à ce qu'elle s'électrisât une seconde fois, & qu'alors elle fut repoussée comme la première fois; & tandis que cette balle étoit ainsi repoussée par le verre ou la porcelaine frottée, elle étoit attirée par l'un des trois, autres corps aussi frottés. Alors j'électrisai la balle avec le fil-d'archal d'une bouteille chargée, & je lui présentai du verre frotté (le bouchon d'un flacon) & une tasse de porcelaine; elle en fut repoussée aussi fortement que par le fil-d'archal. Mais quand je lui présentai un des autres corps électriques frottés, elle fut fortement attirée; & quand je l'électrisai par l'un d'eux jusqu'à ce qu'elle fût repoussée, elle fut attirée par le fil de la bouteille, mais repoussée par sa doublûre extérieure.
Ces expériences me surprirent, & me portèrent à en inférer les paradoxes suivants.
1°. Si un globe de verre est placé à l'un des bouts du premier conducteur, & un globe de soufre à l'autre; les deux globes étant également en bon état & dans un mouvement égal, on ne pourra tirer aucune étincelle du conducteur; mais un des globes tirera du conducteur aussi vîte que l'autre y fournira.
2°. Si une bouteille est suspenduë au conducteur avec une chaîne de son envelope à la table, & que l'on ne se serve que d'un des globes à la fois, vingt tours de rouë, par exemple, la chargeront, après quoi autant de tours de l'autre rouë la déchargeront, & autant la rechargeront encore.
3°. Les deux globes étant en mouvement, chacun ayant un conducteur particulier avec une fiole suspenduë à l'un d'eux, & la chaîne de celle-ci attachée à l'autre, la fiole se chargera, l'un des globes chargeant positivement, & l'autre négativement.
4°. La bouteille étant chargée de cette sorte, suspendez-la de la même manière à l'autre conducteur; faites tourner les deux rouës, & le même nombre de tours qui avoit chargé la bouteille la déchargera, & le même nombre encore la rechargera.
5°. Quand chaque globe communique avec le même premier conducteur, duquel il pend une chaîne jusques sur la table, l'un de ces globes (mais je ne puis pas dire lequel) quand ils sont en mouvement, tirera le feu au travers de son coussin, & le déchargera par la chaîne; l'autre le tirera au travers de la chaîne, & le déchargera au travers de son coussin.
Je serois fort aise que vous envoyassiez chez moi chercher mon globe de soufre avec son coussin, & que vous en fissiez l'épreuve; mais je dois vous avertir de ne pas frotter le coussin avec de la craye, un peu de soufre réduit en poudre fine sera beaucoup mieux. Si, comme je m'y attens, vous trouvez que les globes chargent le premier conducteur d'une manière différente, je sçai que vous êtes en état de découvrir quelque méthode pour déterminer quel est celui qui charge positivement.
Je suis, &c. E. Kinnersley.
LETTRE VIII.
De B. FRANKLIN, Écuyer
de Philadelphie.
À M. E. Kinnersley, à Boston,
le 2. Mars 1752.
M
ONSIEUR,
Je vous remercie des expériences que vous m'avez communiquées. J'envoyai sur le champ chercher votre globe de soufre dans le dessein de faire les épreuves que vous m'indiquiez; mais je trouvai qu'il n'étoit pas bien centré, & je n'avois pas le tems pour lors d'y remédier; mais au premier moment de loisir je le remettrai en état de servir; je tenterai les expériences, & je vous en rendrai compte.
En attendant je soupçonne que les différentes attractions & répulsions que vous avez observées, venoient plutôt de la plus grande ou plus petite quantité du feu que vous tiriez des différens corps que de ce que ce feu seroit d'une espéce différente, & auroit une différente direction.
Je suis avec précipitation, &c. B. Franklin.
LETTRE IX.
De B. FRANKLIN Écuyer
de Philadelphie.
À M. E. Kinnersley, à Boston
le 16. Mars 1752.
M
ONSIEUR,
Ayant mis votre globe de soufre en état de servir, j'essayai une des expériences que vous proposiez, & je fus agréablement surpris de voir que le globe de verre étant à une extrémité du conducteur & celui de soufre à l'autre, les deux globes en mouvement, on ne pouvoit pas tirer une seule étincelle du conducteur, à moins que l'un des globes ne tournât plus lentement, ou ne fût pas en aussi bon état que l'autre, alors même l'étincelle n'étoit que proportionnée à cette différence, ensorte que si on recommence à faire tourner les globes également ou à faire tourner plus lentement celui qui opéroit le mieux, l'on mettra encore le conducteur hors d'état de fournir une étincelle.
Je remarquai aussi que le fil-d'archal d'une bouteille chargée par le globe de verre attiroit une balle de liége qui avoit touché au fil-d'archal d'une bouteille chargée par celui de soufre, & cela réciproquement, en sorte que le liége continuoit à jouer entre les deux bouteilles, de la même manière que si une bouteille avoit été chargée par le crochet & l'autre par le côté par le seul globe de verre; & les deux bouteilles chargées l'une par le globe de soufre, l'autre par celui de verre, seront toutes deux déchargées en approchant leurs fil-d'archal, & donneront le coup à la personne qui les tient.
D'après ces expériences on peut être certain que les deuxiéme, troisiéme & quatriéme que vous proposez réussiront exactement, comme vous le supposez, quoique je ne les aye point tentées, n'en ayant pas le tems. J'imagine que c'est le globe de verre qui charge positivement, & celui de soufre négativement: en voici les raisons. 1°. Quoique le globe de soufre semble opérer aussi bien que le globe de verre, cependant il ne pourra jamais y avoir une étincelle aussi forte & à une distance aussi grande entre mon doigt & le conducteur, quand on se sert du globe de soufre que quand on employe celui de verre. Je suppose que la raison en est que les corps d'une certaine grosseur ne peuvent pas se séparer de la quantité du fluide électrique qu'ils ont & qu'ils conservent dans leur substance après l'avoir attirée, aussi aisément qu'ils peuvent en recevoir une quantité additionnelle sur leurs surfaces en forme d'atmosphère. Par conséquent on ne peut pas en tirer autant du conducteur qu'on peut y en faire entrer. 2°. J'observe que le ruisseau ou l'aigrette de feu qui paroît à l'extrémité du fil-d'archal attaché au conducteur est longue, large & fort divergente quand on se sert du globe de verre, & qu'elle fait un bruit avec éclat ou craquement; mais quand on employe le globe de soufre, cette aigrette est courte, petite, & ne fait qu'un sifflement. Et tout le contraire des deux arrive quand vous tenez le même fil-d'archal dans votre main, & que les globes travaillent tour-à-tour, l'aigrette est longue, large, divergente & craquante, quand on fait tourner le globe de soufre; elle est courte, petite & sifflante quand c'est celui de verre. Quand l'aigrette est longue, large, & fort divergente, le corps duquel elle part me semble jetter le feu: quand le contraire paroît, on diroit que ce corps le pompe. 3°. J'observe que quand j'ai présenté mon doigt devant le globe de soufre, lorsqu'il est en mouvement, le ruisseau de feu entre mon doigt & le globe semble se répandre sur sa surface comme s'il sortoit du doigt; il en est tout autrement du globe de verre. 4°. Le vent frais (ou ce qu'on appelle de ce nom) que nous avons coutume de sentir comme sortant d'une pointe électrisée, est beaucoup plus sensible quand on employe le globe de verre que quand c'est celui de soufre; mais ce ne sont ici que des pensées hazardées.
«Les effets opposés du verre & du soufre ont été reconnus à Paris comme ils l'avoient été à Boston & à Philadelphie. M. le Roy de l'Académie Royale des Sciences, lût le 9. Avril 1755. à la rentrée publique de cette Académie, un mémoire bien détaillé des nouvelles expériences & observations qu'il avoit faites sur ce sujet. Après y avoir établi toutes les différences qu'il avoit remarquées entre l'électricité positive & l'électricité négative, (différences essentielles qui avoient déjà été publiées par le R. P. Beccaria dans son Libro primo del Electricismo, sous des dominations différents,) il démontre par des preuves convaincantes que le verre & la résine frottés produisent des effets électriques tout contraires: que le verre communique l'électricité positive, & que le soufre & la résine communiquent l'électricité négative. L'auteur du mémoire conclut de ses observations avec juste raison qu'il faut en revenir à la distinction des électricités vitrée & résineuse établie par feu M. Dufay; (Mém. de l'Acad. ann. 1733. pag. 469.) ces deux sortes d'électricités, quoique différentes par leur nature, semblent agir à peu près également & de la même manière sur les corps conducteurs qui y sont présentés; elles paroissent aussi à la première inspection produire les mêmes phénomènes d'attraction, de répulsion, d'étincellement, de pétillement, de percussion, de commotion, &c. Cependant quand on en vient à un examen plus approfondi, l'on n'est pas long-tems à reconnoître que les phénomènes sont en sens contraire. Ces deux sortes d'électricités se détruisent: l'une attire ce que l'autre repousse: celle-ci se communique en donnant, & celle-là en recevant: enfin la première est par excès, & la seconde par défaut. La bouteille de Leyde dont on présente le crochet au conducteur électrisé par le verre ou par le soufre, ne s'en charge pas moins bien, mais avec cette différence que si le conducteur est électrisé par le soufre, la bouteille se chargera extérieurement de même que cela arriveroit, si en la tenant par le crochet, on en présentoit le côté au conducteur électrisé par le verre, & de même encore qu'elle se chargeroit si, après avoir épuisé le coussin, on lui présentoit (à ce coussin) le crochet de cette bouteille, en la tenant par les côtés.
«Outre les moyens indiqués par M. Franklin pour reconnoître si l'électricité est positive ou négative, voici celui qui me paroît le plus simple.
«On sçait que si l'on présente une pointe métallique à un corps actuellement électrisé, il paroît dans l'obscurité une petite lumière au bout de cette pointe. Mais cette lumière n'est pas la même, quand le corps est électrisé positivement, & quand il l'est négativement. Dans le premier cas ce n'est qu'un petit floccon de lumière que M. le Roi nomme point lumineux plus ou moins apparent, fort semblable à un ver luisant. Dans le second cas cette lumière est en forme d'aigrette plus ou moins longue, plus ou moins divergente, suivant la force de l'électricité. C'est ce qu'on peut aisément [manque la page 176] me je viens de le dire, étoit attachée tantôt au crochet & tantôt au ventre de la bouteille. En un mot l'endroit où paroît l'aigrette est celui d'où sort le feu, & conséquemment celui où est l'électricité positive; & l'endroit où paroît le point lumineux est celui où elle est négative.
«Les termes d'électricité positive & électricité négative ne doivent jamais s'entendre dans un sens absolu. Le point lumineux que j'apperçois quand je présente une pointe au conducteur électrisé par le globe de verre ne prouve pas que je sois électrisé négativement, puisque j'ai toujours ma quantité naturelle d'électricité, mais seulement que j'en suis moins chargé que le conducteur, que j'en reçois de lui, que je suis dans un état négatif par rapport au sien, et par conséquent que le sien est positif relativement au mien.
À l'égard de votre cinquiéme paradoxe, il peut pareillement être vrai, si les globes travaillent alternativement, mais s'il le font en même tems, le feu ne montera ni ne descendra par la chaîne, parce qu'un globe pompera le feu aussi vîte que l'autre le produira. Je ne serois pas fâché de sçavoir si les effets seroient contraires dans le cas où le globe de verre seroit solide & celui de soufre creux, mais je n'ai présentement aucun moyen de l'essayer.
Dans vos voyages vos globes de verre sont sujets à des accidens, ceux de soufre sont lourds & incommodes.»
Quest. Une plaque mince de soufre mise sur une table ne serviroit-elle pas de coussin dans l'occasion, pendant qu'un globe de cuir rembourré exactement, proprement monté, recevroit le feu du soufre & chargeroit le conducteur positivement, un pareil globe ne courroit aucun danger d'être cassé. Je crois concevoir comment cela pourroit s'exécuter. Mais je n'ai pas le tems d'ajouter autre chose si ce n'est que je suis, Monsieur, &c.
LETTRE X.
De B. FRANKLIN Écuyer
de Philadelphie.
19. Octobre 1752.
C
omme l'on parle souvent
dans les nouvelles d'Europe
du succès de l'expérience de
Philadelphie, pour tirer le feu
électrique des nuées par le
moyen des verges de fer pointuës
élevées sur le haut des bâtimens,
&c. Les curieux ne seront
peut-être pas fâchés d'apprendre
que la même expérience a
réussi à Philadelphie, quoique
faite d'une manière différente &
plus facile; en voici le détail.
Faites une croix de deux petites lates, les bras assez longs pour atteindre aux quatre coins d'un grand mouchoir fin de soye: quand il est étendu, liez les coins de ce mouchoir aux extrémités de la croix: par ce moyen vous avez le corps d'un cerf-volant; en y ajoutant adroitement une queuë, une gance & une ficelle, il s'élèvera en l'air comme ceux qui sont faits de papier; mais celui-ci qui est de soye est plus propre à résister au vent & à la pluye d'un orage sans se déchirer. Au sommet du montant de la croix il faut fixer un fil-d'archal très-pointu qui s'élève d'un pied ou plus au-dessus du bois. Au bout de la ficelle près de la main, il faut noüer un cordon ou ruban de soye, & attacher une clef dans l'endroit où la soye & la ficelle se joignent. On élève ce cerf-volant lorsqu'on est sur le point d'avoir du tonnerre, & la personne qui tient la corde doit être en dedans dune porte ou d'une fenêtre, ou sous quelqu'abri, ensorte que le ruban de soye ne soit pas mouillé, & l'on prendra garde que la ficelle ne touche pas le cadre de la porte ou de la fenêtre. Aussitôt que quelques parties de la nuée de tonnerre viendront sur le cerf-volant, le fil-d'archal pointu en tirera le feu électrique, & le cerf-volant, avec toute la ficelle, sera électrisé, les filamens de la ficelle qui ne sont pas serrés se dresseront en dehors de tous côtés, & seront attirés par l'approche du doigt, & quand la pluye a mouillé le cerf-volant & la ficelle, de façon qu'ils puissent conduire librement le feu électrique, vous trouverez qu'il découle en abondance de la clef à l'approche de votre doigt: on peut charger la bouteille à cette clef, enflammer les liqueurs spiritueuses avec le feu ainsi ramassé, & faire toutes les autres expériences électriques qu'on fait ordinairement avec le secours d'un globe ou d'un tube de verre frotté, & par ce moyen on démontre parfaitement l'identité de la matière électrique avec celle de la foudre.