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Galipettes

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Arrêtez-vous, Néron, j'ai deux moôs à vous dire....

L'aubergiste applaudit. Et lui, de se retourner:

—Madame l'hôtesse, retournez à vos fourneaux!


Pour dépeindre son admiration pour Rachel, il se plaît à raconter cette histoire:

Quand je jouais avec la grrrande trrragédienne, je ne déjeunais pas, pour ne rien perdre d'elle, je prenais un verre de vin, j'allais dans une loge et tout en trempant des mouillettes, je l'écoutais.... Je buvais Ma-de-moi-selle Rachel!


—Que les temps sont changés! exclamait-il, dernièrement. Aujourd'hui les jeunes artistes apprennent leur rôle et dès qu'ils savent le mot à mot, ils se figurent qu'ils sont prêts à paraître devant le public, ils ne veulent point se donner la peine de fouiller, de creuser leur personnage!

Ah! de mon temps nous cherchions dix ans un rôle et ... souvent nous ne le trouvions pas.

Ainsi, tenez, voici comment, j'ai trouvé l'entrée de Néron.

Depuis longtemps, je cherchais l'intonation du premier vers, cette phrase m'obsédait sans cesse, enfin, un jour, comme j'entrais chez un pâtissier, je fus frappé d'un trait de lumière, et, m'élançant vers le comptoir, je dis à ce paisible commerçant:

—N'en doutez point, Burrhus....

Le malheur c'est qu'en gesticulant je cassai une carafe que ce manant me fit payer!


Une marque d'attendrissement et de pitié:

Un pauvre malheureux qui jouait chez lui des «utilités», vient un jour lui dire:

—Monsieur le directeur, je suis très malade, je n'en peux plus, le médecin m'a conseillé la campagne et je viens vous demander la permission de me faire remplacer ce soir.

Alors le directeur, le regardant attentivement bien en face:

—Vous vous faites donc raser les sourcils?


A un auteur en lui rendant son manuscrit:

—C'est très bien fait, très joliment écrit, intéressant ... mais on devine trop tôt que le jeune premier épousera l'ingénue au troisième acte!

Au café ... où il était invité par un de ses pensionnaires ... naturellement.

Le garçon.—Que désire monsieur?

Lui.—Un curaçao.

Le garçon.—Sec?

Lui, le reprenant.—Pur.

Le garçon, s'en allant.—Un curaçao sec!

Lui, irrité.—Eh! pur, vous dit-on!

O puriste!


C'est encore lui qui, écrivant à un de ses artistes qui jouait chez lui les «grimes,» mit sur l'adresse

M. THÉOPHILE B...

financier

8, rue Fontaine

Vous voyez d'ici, ce que la concierge a dû être prévenante pour son locataire!

Du reste, quand dans une pièce du répertoire il y avait comme accessoires, des lettres, il mettait parfaitement, pour suscription: «A Mademoiselle, mademoiselle Lucile, amante d'Eraste» ou bien à «Monsieur, monsieur Valère, amant de Lucile».


Une invention du même:

Il y a six ans, il habitait rue F.... Vous montiez à son troisième, une fois là, vous sonniez et quelques instants après, il arrivait lui-même ouvrir. La porte était à peine entre-bâillée, qu'il jetait sur vous le contenu d'une fiole d'encre, sans souci de votre pantalon blanc ou de votre gilet chamois, et comme vous vous révoltiez étonné:

—Paix! disait-il, tout beau! venez ça, qu'on vous lave! suivez moi dans mon laboratoire!

Et, vous prenant par la main, il vous entraînait dans sa cuisine où, une fois rendus, il prenait un chiffon imprégné d'un liquide quelconque, qu'il avait inventé, et frottant énergiquement les endroits tachés, répétait avec la volubilité d'un camelot sur la place publique: «Cette substance qui n'est pas corrosive, enlève, nettoie et détache, etc. etc.» Très rarement, il rendait à l'étoffe son état primitif, mais chaque fois que l'opération ratait, il vous disait sur un ton de doux reproche:

—Mais, cher monsieur, ce n'est donc pas tout laine?

Après celle-là, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle.




UN CONCERT A ATHIS-MONS

A CABOIS.



Il existe sur la ligne d'Orléans, entre Juvisy et Ablon, un petit endroit charmant qu'on dirait fait pour les amoureux ou les poètes, tant les sentiers ombreux, les chemins étroits et les taillis mousseux y abondent, semblant inviter par leurs frais ombrages, leur calme solitude, les joyeuses caresses et les rimes étoilées!

Cet Eden champêtre a pour nom: Athis-Mons.

Aucun village, en effet, ne semble réunir autant de sites pittoresques que celui-là!

Rochers abrupts, peupliers géants montant la garde aux côtés de routes tortueuses, la Seine qui serpente dans le bas de la vallée et dont les eaux tranquilles sont sillonnées, le dimanche, par les barques des canotiers parisiens; tout y est empreint d'un charme pénétrant jusqu'au petit clocher qu'on aperçoit au loin, la mairie, maisonnette à un seul étage sortie d'une boîte de joujoux, les grands épis dorés qui le soir doivent abriter ... cocottes et serins, le chef de gare, lui-même, qui, poussant la complaisance jusqu'à ses dernières limites, attend le monsieur essoufflé qui court péniblement là-bas, pour donner le signal du départ ... tout, enfin, s'efforce de vous plaire et semble vous crier: Pourquoi t'en vas-tu?

Aussi, chaque fois que notre ami C..., notable habitant de ce village ensoleillé, vient me demander mon concours pour la fête du pays, non seulement je le lui accorde avec empressement, mais je le remercie; car, passer une journée dans cet endroit délicieux est pour moi une joie réelle.

Et il faut bien que ce soit pour aller dans un pays aussi charmant et pour un ami aussi aimable, car si l'homme est heureux d'aller à Athis, l'artiste entre toutes les fois dans des colères furieuses.

Que mes lectrices se rassurent: Je n'ai pas un caractère irascible et emporté; au contraire, on veut bien me trouver bénin et doux, à rendre des points à un mouton ... fût-il de Panurge.

Cependant il y a des moments où, sans être comme certain violoncelliste qui défend même de tousser pendant qu'il opère ... on ne peut s'empêcher de ... jugez plutôt.

Le concert qu'on organise à Athis-Mons a lieu sur l'unique place du village.

On dresse une de ces immenses tentes qui ont enrichi Pinard et Voisin (je demande pardon à Voisin de le mettre derrière Pinard) et c'est là-dessous que chanteurs, instrumentistes, comédiens ou monologuistes débitent à tour de rôle leur produit. Comme je vous l'ai déjà dit, le concert a lieu à l'occasion de la fête du pays, c'est assez dire que chevaux de bois, tirs au pistolet, grandes roues à loterie, massacres des innocents, passe-boules, tourniquets ... rien ne manque; et, comme la tente est adossée à l'Eglise (d'aucuns s'habillent dans la sacristie)—avec l'horloge, c'est complet!!!

Aussi l'on comprendra qu'avec l'air du Chapeau de la Marguerite, moulu par l'orgue des chevaux de bois, les pif, paf, pan, pan, pan du tir au pistolet, les dzing, dzing de la plaque de tôle servant de palais à l'énorme bouche qui rit (jeu, qu'on désigne, sous le nom de passe-boule, si je ne m'abuse), les grrirrirri des roues et de tourniquets, les sifflets de la locomotive qui passe non loin de là et surtout, oh! surtout, les dig, ding, don, dig, ding, don! de cette satanée horloge qui sonne tout, quarts, demies, trois-quarts et répète même l'heure à cinq ... il y a de quoi devenir fou à lier!

Du reste, je vais essayer de vous traduire l'effet que produit une poésie dite aux concerts d'Athis-Mons.

Le récitateur entre, il annonce:

Aimé pour lui-même, poésie de Aug. Erhard.

A ce moment, l'air du P'tit bleu, joué à tour de bras par les chevaux de bois, couvre la voix de l'artiste et prive le public du nom de l'auteur.

L'interprète, d'abord étonné, reprend:

Qui de nous tous, ô mes amis,

En cette existence si brève

N'a point fait (et c'est bien permis)

Cet irréalisable rêve?

Pif, paf, pan, pan, pan, pan, pan, tonnent les pistolets du tir.

Le diseur fait un soubresaut épouvantable, se trouble et perd la mémoire mais cherchant à maîtriser son émotion, continue:

Une femme au regard charmant

Brune ou blonde, ou rousse, ou bien même ...

Dzing, dzing, fait la plaque de tôle.

Le comédien décontenancé, perd la tête et poursuit en bafouillant:

Enfin, comme il plaît à l'amant.

Boum! Boum! Boum! prélude la grosse caisse du cirque voisin.

Le malheureux, dont une sueur froide inonde le corps, éperdu, rassemble toute son énergie et trouve encore la force de dire:

Mais qui vous aime pour ...

Dig! din! don! dig! din! don! dig! ding! don! carillonne à toute volée cette horloge diabolique.

—C'est un baptême, fait quelqu'un: il y en a pour cinq minutes.

—Arrêtez-vous, crie-t-on de toutes parts.

L'infortuné monologuiste, dont les yeux injectés de sang sortent de l'orbite, croyant avoir derrière lui l'armoire des frères Davenport, se précipite affolé dans les coulisses, en criant:—Si jamais on m'y repince!


Et il y est repincé la fois suivante; car, comment résister à un ami aussi charmant que C... et aux séductions d'un pays aussi ravissant qu'Athis-Mons!


LES MÉDECINS DE MOLIÈRE

A. L. CRESSONNOIS.


Parmi les spectateurs qui acclament Purgon, Diafoirus, Fleurant et autres médecins ridicules que Molière a semés dans plusieurs de ses pièces (Monsieur de Pourceaugnac, le Malade imaginaire, le Mariage forcé, l'Amour médecin, la Jalousie du barbouillé, le Médecin malgré lui, etc.), au grand esbaudissement du public, combien ignorent le véritable motif qui a poussé l'auteur à caricaturer ainsi les gens qui exercent la médecine!

Y a-t-il beaucoup de lecteurs du grand comique qui sachent à quel fil a tenu la création de ces types immortels?—Je ne crois pas.

C'est une vengeance personnelle, une satisfaction particulière qui a fait éclore toutes les œuvres citées plus haut.

Voici dans quelles circonstances l'auteur du Misanthrope résolut de stigmatiser les docteurs de tous genres.

Molière logeait chez un médecin, dont la femme, extrêmement avare, voulait augmenter le loyer de la portion de maison qu'il occupait; sur le refus qu'il en fit, l'appartement fut loué à un autre. Aussi, depuis ce temps-là, Molière n'a pas cessé de tourner en ridicule les médecins qu'il avait déjà attaqués du reste dans le Festin de Pierre.

Il définissait ainsi le médecin:

«Un homme que l'on paye pour conter des fariboles dans la chambre d'un malade jusqu'à ce que la nature l'ait guéri, ou que les remèdes l'aient tué.»

L'Amour médecin est la première pièce dans laquelle Molière a donné libre cours à sa verve satirique et antimédicale.

Afin de rendre ses plaisanteries plus agréables et en même temps plus acerbes, plus piquantes, dans l'interprétation de cette pièce, qui fut d'abord représentée devant le roi, l'auteur y joua les premiers médecins de la cour avec des masques qui ressemblaient aux personnages qu'il avait en vue.

Il fallait que Molière eût un rude courage ... et une bien grande confiance dans la protectionnelle amitié de Louis XIV!

J'ai retrouvé cette même audace chez un certain préfet du département de la Gironde, qui, à l'époque où l'on allait jouer Rabagas au théâtre Français de Bordeaux, fit venir le principal interprète de cette pièce et lui «ordonna» de se faire la tête exacte du héros de Sardou. Comme on le voit, ce magistrat réactionnaire se moquait complètement de sa destitution.

Mais quittons le XIXe siècle pour revenir au XVIIe.

Les médecins mis en scène, s'appelaient de Fourgerais, Esprit, Guénaut et d'Aquin—rien de Saint-Thomas—et comme Molière voulait déguiser leur nom (c'était bien le moins) il pria l'auteur du Lutrin de leur en confectionner de convenables.

Boileau en composa en effet, qui étaient tirés du grec et qui désignaient le caractère de chacun de ces messieurs.

C'est ainsi qu'il donna à M. de Fougerais, le nom de Desfonandrès, qui signifie tueur d'hommes; (il paraît, que ce bon Fougerais n'y allait pas de main morte, et que, à l'exemple du Crispin du Distrait: Il mettait double dose.) A M. Esprit, qui bafouillait en parlant, celui de Bahis, qui veut dire, jappant, aboyant, (j'ignore si ce cognomen a été trouvé par M. Esprit, saint!)

Macraton fut le nom qu'il donna à M. Guénaut, parce qu'il parlait lentement (ce rapprochement avec le père «Bahis» prouve une fois de plus l'évidence absolue de la loi des contrastes.)

Et enfin, celui de Ternès, qui, dans la langue familière à feu Egger, est synonyme de saigneur à M. d'Aquin, qui ordonnait souvent la saignée.

Je ne sais si, avec une réputation semblable, il réunissait beaucoup d'invités à ses bals, d'Aquin (aïe).

Eh bien, dire que si le propriétaire qui avait le très grand honneur de loger Molière avait été complaisant (mais j'oublie que propriétaire et complaisant sont mots incompatibles), nous n'aurions pas eu la bonne fortune d'applaudir le charmant docteur de la «Jalousie du Barbouillé», cette pièce de Molière si peu connue et pourtant si gaie!

Donc, ô propriétaire harpagonesque! merci, merci! car grâce à ta bourgeoise cupidité et ... à ta cupide bourgeoise, surtout, il nous a été donné d'acclamer le prolixe Pancrace et son gai compagnon, le réservé Marphurius.




LES ANIMAUX AU THÉATRE

A A. BERNHEIM.



J'avais tout d'abord l'idée de donner un autre titre à ces lignes, craignant la confusion; mais non, il n'y a pas de doute possible: c'est bien des bêtes à quatre pattes dont il s'agit ici.

Il y a environ douze ans, MM. Verne et Dennery faisaient représenter pour la première fois, au théâtre de la Porte Saint-Martin, le Voyage autour du monde en 80 jours, pièce en cinq actes et quinze tableaux.

Le succès de cette féerie scientifique fut pyramidal; cinq cents représentations ne purent épuiser ce succès persistant. Il fallait louer sa place quinze jours d'avance. Le soir, le strapontin le plus incommode faisait prime et les messieurs à pantalons pattus qui vendent bien plus cher qu'au bureau, firent rapidement fortune.

Tous les journaux furent unanimes à louer les auteurs, beaucoup les directeurs et énormément ... les machinistes, décorateurs ... et autres truqueurs ... sans jeu de mots.

Mais qui pouvait s'attribuer la gloire de cette vogue retentissante? A qui ou à quoi revenait le plus grand mérite de cet incontestable succès? Était-ce à la vulgarisation des livres de l'un des auteurs? car tout le monde, ayant lu ses émouvantes et spirituelles histoires qui instruisent un peu et amusent beaucoup, tout le monde désirait voir, mise en action, une de ces aventures que M. Verne, lui-même, qualifie d'extraordinaires! Voulait-on au contraire apprécier la part que son collaborateur, homme d'esprit, avait apportée, renouvelant ce genre de pièce à spectacles, en y ajoutant un grain de son originalité?

Voulait-on, peut-être, entendre la voix tonitruante et les ronflements sonores de Dumaine? La foule avide voulait-elle frémir aux mâles emportements de l'appétissante Patry?

Ou bien le peuple anxieux venait-il uniquement pour voir si Phileas-Fogg-Lacressonnière ne raterait pas le bateau en partance pour l'Amérique?

Non, impatient lecteur, ce n'était ni pour le talent du premier rôle, ni pour la grâce de la jeune première, pas plus du reste que pour les exploits du traître célèbre que le public se dérangeait en masse.

Ce qu'il venait voir, c'était ... l'éléphant.

Ah! la grande locomotive en carton pâte en dépérissait à vue d'œil ... elle en avait une figure de papier mâché ... mais il fallait se résigner en silence, se taire sans murmurer, aurait dit feu Scribe, Songez donc! un éléphant, un vrai, pour de bon, vivant, tout ce qu'il y a de plus vivant, un éléphant en viande!

Il n'y avait pas à aller là contre.

Ce n'étaient pas des gagistes à quinze sous par soirée, qui, montés les uns sur les autres dans un éléphant en baudruche, singeaient (mon mot est mal choisi) le pachyderme.

Non, c'était bien un éléphant qui, comme vous et moi, mangeait, buvait, dormait et aimait ... (je m'avance peut-être un peu, en disant ça). Bref, l'introduction seule de ce mastodonte, dans une pièce de théâtre, suffisait à exciter au plus haut point la curiosité fructueuse de la plèbe ébahie. On avait bien vu des chats, des chiens dans Mauprat, des colombes dans Latude, des chèvres dans le Pardon de Plœrmel, mais un éléphant, un é-lé-phant! Oh!!

En fourrière, les chevaux de Charles VI, à l'Opéra!

Oh! un éléphant!!!

Aussi le titi, sitôt sa journée faite, accourait-il, sans même prendre le temps de manger, faire la queue ... pour voir celle de l'animal. Et le lendemain, l'enfant demandait à son père si c'était la première fois qu'on voyait un éléphant en scène.

Ce à quoi le père répondait, à la prud'homme:

—Il y a peu de temps, en effet, qu'il y a des bêtes parmi les acteurs.

Et comme ce brave bourgeois serait étonné, si on lui disait que la première fois qu'on a introduit un animal sur un théâtre, ce fut en 1650!

Et l'abrutissement de ce philistin serait bien autre si, croyant que l'auteur qui le premier osa cette tentative s'appelait Cogniard, Clairville ou autre, on lui nommait: Pierre Corneille dit le grand Corneille.

Et pour peu qu'il veuille s'instruire, nous raconterions au bonhomme dans quelles circonstances l'auteur du Cid fut le prédécesseur de Dennery.

Le roi Louis XIV, dans les premiers temps de sa minorité, s'ennuyait, paraît-il, comme un simple mortel. Trop jeune pour jouer au billard, sa maman eut l'idée de demander à Corneille un divertissement pour le dauphin; mais Corneille, dont la corde comique n'était peut-être pas extrêmement développée—en dépit du Menteur—eut une idée folâtre, et s'écria tout à coup: faisons ... une tragédie, mais une tragédie où il y aura un clou.

Quelque temps après, il enfantait Andromède, tragédie avec machines. La reine mère, qui ne regardait pas à la dépense et faisait les choses grandement, fit orner d'une façon magnifique la salle du Petit-Bourbon. Le théâtre fort beau, élevé et profond, se prêtait du reste fort bien à la circonstance. Le sieur Torelli, ancêtre de Godin, machiniste du roi, s'occupa des machines d'Andromède et fit des merveilles; les décorations parurent si belles qu'elles furent gravées en taille douce.

Le succès qu'obtint cette tragédie engagea les comédiens du Marais à la reprendre, après la démolition au théâtre du Petit-Bourbon.

Quoique coûteuse, cette reprise leur réussit à tel point qu'elle fut renouvelée, avec profit, en 1682, par la troupe des Comédiens.

Comme on renchérit toujours sur ce qui a été fait, on représenta le Cheval Pégase par un véritable cheval, ce qui n'avait jamais été vu en France. Il jouait admirablement son rôle et faisait en l'air tous les mouvements qu'il pouvait faire sur terre.

Il est vrai qu'à cette époque-là, on voyait souvent des chevaux vivants dans les opéras d'Italie; mais ils paraissaient liés, et attachés de telle manière qu'ils ne pouvaient faire aucun mouvement, ce qui devait produire, on l'avoue, un effet peu agréable à la vue.

On s'y prenait d'une façon singulière dans la tragédie Andromède, pour donner au cheval une ardeur guerrière.

Extrêmement affamé par un jeûne à la Succi, qu'on lui faisait subir, lorsqu'il paraissait, un machiniste, de la coulisse voisine, vannait de l'avoine. Inutile de dire si, à cette vue, l'animal hennissait, trépignait et se cabrait. Ainsi, sans s'en douter, le quadrupède répondait-il parfaitement au dessein qu'on s'était proposé.

La scène du cheval était le clou de la pièce et valut à Andromède un nombre respectable de représentations.

Point n'est besoin d'ajouter que depuis, on a usé du truc.

L'avoine est remplacée à l'Opéra Comique par des carottes qu'on tend à la chèvre de Dinorah.

Nous connaissons certain acteur auquel l'appât d'une pièce de cent sous miroitant dans les frises donnerait un rude entrain.

Son directeur devrait en essayer!


RIEN DE NOUVEAU

A C. SAMSON.



Je ne sais quel journaliste, dernièrement, citait dans ses bons mots cette anecdote:

» Sur une ligne de chemin de fer:

» Le train s'arrête. Un employé annonce la station d'une voix enrouée et de façon inintelligible.

»—Parlez donc plus clairement, lui dit un voyageur, on n'entend pas un mot de ce que vous dites.

» L'employé, se retournant:

»—Faudrait-il pas vous f... des ténors pour 90 francs par mois».

Cette spirituelle repartie n'est pas absolument nouvelle et, sans accuser cet honnête et probablement illettré employé de plagiat, sans le traiter comme Uchard traite Sardou, je me permettrai de lui dire, peut-être même de lui apprendre, qu'en répondant ainsi au susdit voyageur, il ne faisait que parodier une phrase jetée du haut de la scène de l'Opéra par un acteur en courroux, au dix-septième siècle!

C'est, en effet, en 1696 que la scène se passa.

On jouait sur la première scène lyrique ... de l'époque, Ariane et Bacchus, tragédie-opéra, avec un prologue, dont les paroles étaient de Saint-Jean et la musique de Marais.

Au cours des représentations de cette œuvre lyrique, l'acteur qui jouait un des principaux personnages tomba malade. Obligé pour le remplacer de prendre une doublure, le directeur s'adressa à un de ces chanteurs subalternes, accoutumés à être sifflés, lorsqu'ils veulent sortir de leur étroite sphère.

Ce cabot (dirait-on, aujourd'hui) était chargé à l'improviste de représenter un personnage royal.

Ce roi postiche et hétéroclite parut donc et fut naturellement sifflé.

Mais comme cet accueil discordant n'était pas pour lui chose nouvelle et que, dès longtemps habituées à cette musique ... wagnérienne, avant la lettre, ses oreilles semblaient ne rien percevoir, il regarda fixement le parterre et sans se déconcerter, du ton le plus tranquille, lui dit avec un étonnement simulé:

» Je ne vous conçois pas. Est-ce que, par hasard, vous vous imaginez que, pour six cents livres qu'on me donne par an, je vais vous donner une voix de mille écus.

Et avant l'employé de P-L-M., un autre acteur avait déjà resservi cette même phrase, au public, dans les mêmes circonstances.

C'était en 1705, on jouait Alcine tragédie-opéra avec prologue, (—paroles de Danchet et musique de Campra). Ce fut un chanteur enroué, chargé de remplacer au pied levé une vedette, et la remplaçant aussi mal que possible, qui la jeta en réponse aux sifflets des spectateurs.

Ce qui prouve—car il faut toujours une moralité—qu'on n'invente rien de nouveau et qu'il ne faut pas s'étonner si, disant quelque part un mot drôle, et qu'on croit de soi, un monsieur aimable vous répond:

—Charmant, je l'ai lu dans l'amanach de 1827.


BILLET DE FAVEUR

A G. BESOMB.



Messieurs les secrétaires des théâtres de Paris—subventionnés ou non—se réunissent au moins une fois l'an afin de résoudre cette grave question: la suppression des billets de faveur.

Très grave et très importante, en effet, cette fameuse question des billets!

Moins compliquée à coup sûr que la question d'Orient, elle ne laisse pas d'être assez embarrassante.

Tous les jours, le nombre des quémandeurs de places va s'augmentant et, si messieurs les secrétaires de théâtres ne s'empressent pas de mettre un frein à la fureur des flots ... de raseurs, ils conduiront bientôt leurs patrons à la ruine.

Le Parisien ne peut se résoudre à payer sa place. La mode—déjà vieille, hélas!—consiste à aller au spectacle oculo. Et non seulement, le solliciteur se rencontre parmi les gens les plus pschutt, mais encore dans le peuple.

L'ouvrier ne paie pas plus sa place que le gommeux. Il trouve, je ne sais comment, le moyen d'entrer sans bourse délier. Est-ce au moyen de bassesses auprès du chef de claque qui l'embauche au service parce qu'il est pourvu de battoirs gigantesques? Est-ce parce qu'il est bien avec un contrôleur? Est-ce parce que sa femme a une amie qui est cousine d'une ouvreuse? Toujours est-il que la préposée à la location a rarement la bonne fortune d'apercevoir sa silhouette.

La seule différence qui existe entre le grelotteux et le titi, c'est que celui-ci se meurtrit les chairs sur les bancs du paradis, pendant que celui-là se prélasse aux fauteuils.

Un de nos amis, secrétaire du théâtre des Folichonneries Érotiques, nous communique quelques lettres de solliciteurs. Elles valent la peine d'être lues en bonne compagnie.

Premier exemple:

A monsieur, monsieur le secrétaire «général» du théâtre des

Folichonneries-Erotiques.

(Le solliciteur est persuadé que le qualificatif général attendrira l'unique secrétaire).

Monsieur,

J'ai fait un rêve (qui n'en fait en ce bas monde?) sera-t-il jamais réalisé? Chi lo sa!... dirait l'Italien. C'est d'assister à une représentation de Mâchoire d'âne.

Les colonnes de mon journal sont remplies de louanges en faveur de ce chef-d'œuvre. Il paraît que c'est merveilleux. Et cela doit être, car si le Nuage le dit, c'est que c'est vrai. (Oui, je lis le Nuage; que voulez-vous, il ne coûte qu'un sou et le format est si grand que nous avons tous de quoi lire. Ainsi ma femme ne s'intéresse qu'aux accidents; moi, ce sont les nouvelles à la main qui me passionnent, Eudoxie dévore les romans, c'est de son âge—et Réglisse, le mioche, déchiffre les rébus comme pas un).

Voici mes titres à la faveur du billet que je sollicite:

J'ai fait un acte intitulé Plumpuding et qui a été joué deux fois à Auxerre et une fois à Sens. On l'a répété à Joigny, mais l'ingénue a été obligée de s'aliter afin de ... enfin je ne peux pas en dire plus long.

Je crois donc que, comme auteur dramatique, j'ai des droits à la loge que vous allez avoir l'extrême obligeance de laisser chez le concierge à mon nom.

Agréez, monsieur le secrétaire général du théâtre des Folichonneries-Erotiques, avec mes remerciements anticipés, l'assurance de mon profond dévouement.

EUSÈBE FLORVILLE.

(Je m'appelle Maclou, mais je signe Florville pour des raisons de famille qu'il serait trop long de vous expliquer.)

P.-S.—Ah! mettez mon avant-scène au nom de Florville.

Passons à un autre.

Monsieur le secrétaire,

Dès ma plus tendre enfance, ce que les poètes appelleraient ma prime jeunesse, j'ai montré un goût très prononcé pour l'art dramatique. Mes parents, qui ne voulaient pas que je fusse saltimbanque, me mirent à l'école des frères, mais, malgré les excellentes leçons que je reçus dans cet établissement illaïque, je n'appris rien du tout. Ma très vive intelligence ne comprenait pas aisément le calcul; l'histoire et la géographie étaient trop arides pour elle et toujours, mon esprit se montrait rétif à la connaissance de la grammaire.

Je n'eus qu'un seul succès à la pension. Un succès d'acteur (déjà!) dans une pièce que nous jouâmes, à la fin de l'année, à l'occasion de la distribution des prix. A un moment donné, je devais imiter le cri de l'âne, dans la coulisse et je m'acquittai de cette tâche avec un naturel si parfait, qu'on me fit bisser. L'auteur me conduisit alors sur la scène, en me montrant au public et me fit ce compliment, que je n'oublierai jamais de ma vie: Un âne et vous, il n'y a pas de différence!»

Ma carrière était donc au théâtre. Je n'ai pas le temps de vous raconter tous mes engagements; tant pis pour vous! car, c'est extrêmement curieux de voir par quelles phases, j'ai passé, et, comment je suis arrivé à me faire cette situation que l'Europe artiste m'envie, à l'heure qu'il est.

Bref, car, je vois que le courrier s'avance, devant jouer, le mois prochain, le rôle de Flip dans «Mâchoire d'âne», je ne serais pas fâché de voir comment le tient ce garçon que vous avez engagé.

Ce n'est pas pour en faire mon profit, certes, mais il faut tout voir.

En attendant cinq heures, heure à laquelle je viendrai chercher mon billet, je vous salue bien, monsieur le secrétaire,

BAFOUILLARD

Grand premier comique des théâtres de Toulouse, Lille et Elbeuf.

Voyons celle-ci:

Mossieu,

Cé moa ki é fé la rob de madame Therez et afin de voar les fé quel fet, vous sriez bien emabe de me donné deux places, j'irai avec Gule.

Merci bien, bien, assurance simpathique.

Veuve PRIFIXE, tailleuse.

Et:

Si tu donnes un billet a ta fafame chérie, t'oras c'qu'tu veux.

BÉBÉ.

Autre musique:

Monsieur,

Puisque je ne peux parvenir à toucher un sou de ce qui m'est dû,

Vous me dédommagerez de mon attente en m'octroyant des places.

Si je n'en ai pas cinq pour ce soir, gare à la sortie!

Votre créancier: SCHEFER, bottier.

Et enfin!

Vieux.

J'viens t'rendre grand service, envoie baignoire très grillée à bibi,

Ton directeur devra reconnaissance d'remplir sa boîte.

Merci et tout à la joie,

OSCAR.


J'en passe et des plus drôles!




CHEZ MOMUS

A. Ed. LHUILLIER.



Mais si, vous le connaissez bien; voyons, tout le monde le connaît, le père Momus, le grand faiseur de revues breveté s. g. d. g., le grand abatteur de féeries en un nombre incalculable de tableaux, l'unique pourvoyeur des petits théâtres, le dernier survivant des auteurs de pantomimes.

Tout Paris défile de deux à six dans sa chambre. Car son appartement se compose exclusivement d'une pièce et d'un tout petit cabinet de toilette. La pièce de résistance lui sert donc de chambre à coucher, de salon, de salle à manger et de cabinet de travail.

Cette chambre «à tiroirs» est absolument encombrée de meubles bizarres, de tableaux de maîtres ... et d'élèves, surtout, de photographies d'artistes, de statuettes en marbre, en bronze, en plâtre, en terre cuite, en saxe; il y en a pour tous les goûts; aux murs, on ne pourrait trouver la surface d'une pièce de cinq francs, inoccupée. Le papier qui tapisse ce musée intime, disparaît complètement derrière les panoplies arabes, les tambours espagnols, les mandolines italiennes, les pipes turques ... autant de souvenirs qui ont été rapportés à Momus par des amis de toutes provenances.

Impossible de remuer dans ce capharnaüm sans casser quelque chose. Je me rappellerai toujours ma première visite à Momus. J'arrive porteur d'une lettre de recommandation; j'étais tellement troublé par la présence de ce monsieur qui m'en imposait, qu'en saluant, je fais tomber la pelle de la cheminée. Ahuri, je veux m'excuser et, en m'inclinant je décroche les embrasses d'un rideau.

Et Momus de me dire, gaiement:

—Eh bien, si vous venez chez moi pour casser mon mobilier....

Cette phrase me remit tout à fait.

Momus perche au cinquième, au coin de la rue Taitbout et du boulevard. Il a une fenêtre sur chaque voie, mais celle qui donne sur la rue est impraticable, barrée qu'elle est par l'immense table de travail.

Combien de fois ai-je gravi ces étages? Ah! dame, c'est qu'on s'y amuse chez Momus! On est toujours sûr d'y rencontrer des gens joyeux. Et l'on en entend de drôles, je vous assure! Les potins de coulisses sont dévoilés dans toute leur crudité. C'est là, seulement qu'on apprend le motif véritable qui a poussé Pichu à refuser son rôle, dans la nouvelle pièce de Meilhac. Si vous voulez savoir de qui est le vaudeville qu'on répète au Palais-Royal, allez chez Momus, vous trouverez l'étoile mâle de ce théâtre, qui vous renseignera. Tous les artistes de Paris viennent jaser un brin vers cinq heures, la répétition finie; aussi Momus est-il au courant de tout et de tous, par ouï dire.

Quel brave et spirituel bonhomme! Son âge? personne ne le sait, il l'ignore peut-être lui-même. Tout rasé, comme il convient à «l'ami des artistes», portant perruque, Momus se lève invariablement à six heures, il se met au travail à sept; à neuf heures il déjeune d'un œuf à la coque et d'une tasse de thé. Et à partir de midi, commence le défilé des auteurs, artistes, journalistes et autres gens, touchant à l'art de quelque côté.

A six heures et demie, Momus s'habille et va dîner en ville, car notre vieil ami a trois cent soixante-cinq invitations par an. Il ne dîne jamais chez lui. Aujourd'hui, c'est madame une telle qui le reçoit à sa table, demain ce sera M. Machin qui sera son hôte.

Et c'est bien naturel qu'on recherche la société de Momus; il est si gai, si fin conteur et en même temps si réservé dans ses gauloiseries! Il vous dit les choses les plus raides avec une naïveté telle, qu'on finit par les trouver toutes naturelles.

Ah! c'est qu'il en a vu et entendu! Vous comprenez qu'un monsieur qui a eu pour amis Roqueplan, Odry, Pottier, Arnal, Debureau père et fils, Lesueur, Levassor, Cham, Sainte-Foy (pour ne parler que des morts) doit avoir un stock d'anecdotes assez amusantes.

Toujours vêtu d'une manière irréprochable, cravate à la dernière mode, linge d'une blancheur immaculée, Momus cache bien les lustres qu'il doit avoir.

Personne ne possède autant et d'aussi belles connaissances que ce spirituel vieillard. Songez donc, il est contemporain de Scribe! Ouvrez un de ces gros albums qui sont sur ce guéridon et vous trouverez des dédicaces de Clairville, Thiboust, Barrière, Bayard, Duvert, Cogniard, etc, etc.

Momus ne possède qu'une seule chambre, comme je l'ai déjà dit plus haut. Et néanmoins, il trouve moyen de réunir dans cette unique pièce, le jour de sa fête, plus de cent personnes. Comment fait-il? Mystère. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils tiennent bien et ils tiennent bien ... à y venir, car je vous certifie que, cette nuit-là ... on est véritablement chez Momus, le dieu de la folie qui agite tellement ses grelots, qu'il les disperse aux quatre coins de la salle!

Et comment ne pas se dérider en compagnie de tous les comiques de Paris? Le petit tapis qui est devant la cheminée a été foulé par tous les grands artistes de la capitale. Ah! si un bourgeois voulait s'offrir un pareil intermède, il ferait pour sûr une brèche à sa fortune.

Tous les genres, hormis l'ennuyeux, se rencontrent chez lui. Voici Rousseil aux mâles et tragiques accents; voilà Théo, la divette des Variétés; ici Fusier, le gai compère; derrière lui, la bonne et honnête figure de Paul Legrand, dernier mime, le célèbre Pierrot; tous enfin se donnent rendez-vous chez le vieil ami qui, l'œil humide, les contemple d'un air paternel.

Il y a quelques ... années, il s'en est passé une bien bonne chez Momus. A ses five o'clock, venait assidûment Adolphe, qu'on pourrait assez justement dénommer Poivreau, vu son état d'émotion continuelle.

Adolphe, qui au sortir du Conservatoire, est entré à l'Odéon, pour en ressortir du reste aussitôt, son début n'ayant pas été précisément heureux et s'étant borné à deux soirées, que les étudiants—gens pervers—égayèrent de leur mieux, Adolphe, dis-je, est un type bien digne de la plume de Balzac.

Quoique n'ayant malheureusement rien de commun, hélas! avec l'auteur immortel de là «Comédie humaine», je vais essayer, cependant, de vous esquisser Poivreau ... non, Adolphe.

Quarante ou cinquante automnes (il cache soigneusement son matricule), assez grand, très myope, un air de saleté désagréablement répandu sur toute sa personne, Adolphe n'ayant pas—oh! non—réussi comme acteur, eut l'idée néfaste de faire de la direction, en province. Après plusieurs tentatives uniformément désastreuses, et le séjour des villes départementales n'étant pas, par cela même, d'une sécurité absolue pour lui, Adolphe crut prudent pour son repos, de regagner la capitale.



Il vint donc à Paris, où il vivote en organisant à Meaux ou à Coulommiers des petites représentations qu'il rend, il faut l'avouer, on ne peut plus extraordinaires par l'appât irrésistible de son concours. Il joue les Bressant ... c'est lui qui le dit du moins. Et son nom, mis en lettres fantastiques sur les affiches, attire quelque peu le public ... la première fois. De mémoire d'homme, on ne se rappelle pas lui avoir vu donner une seconde représentation, à la demande générale, dans la même ville.

Bref, Adolphe est extrêmement connu ... au café de Madrid et à la Chartreuse, estaminets uniquement fréquentés par les chanteurs de chansonnettes en quête d'alcazars et par les clowns en rupture de maillot. Les agences avoisinantes approvisionnent continuellement ce cabaret extrêmement artistique.

Adolphe possède, entre mille prétentions, celles d'homme à bonnes fortunes et, sous prétexte qu'il joue les Bressant, il essaye, mais en vain, de faire croire que sa vue seule fait tomber en pâmoison duchesses, marquises et honnestes dames de haulte noblesse.

Car, Adolphe ne fait pas dans le petit, il donne dans le grand. Il ne travaille pas dans le faubourg Antoine, mais bien dans le idem Saint-Honoré.

Foin des bourgeoises aux gants courts et des ouvrières, aux bottines vissées! Il fait fi de ce menu fretin, indigne de lui; c'est aux grandes dames, aux comtesses qui mènent le high-life à grandes guides qu'il s'adresse!

A lui, la noblesse! les blasons! les voitures armoriées! les couronnes princières! il ne jette son dévolu que sur une friponne titrée.

C'est encore lui qui le dit.

Et voici comment le hasard, nous montra qu'Adolphe ne se déchaussait pas pour mentir.

Un jour, Momus reçut une lettre, portant cette suscription:


A Monsieur MOMUS,


Auteur dramatique.

et tout petit, tout petit, dans le bas de l'enveloppe, cette ligne microscopique que le contemporain du père Dupin n'aperçut pas tout d'abord:

Pour remettre à M. Adolphe.

Naturellement Momus, ne lisant que son nom, décachette et lit.

Ah! grands dieux!!!

Ce qu'il lut!! non, je renonce à vous en raconter le contenu; c'est en mettant seulement la copie sous vos yeux, que vous comprendrez le légitime fou rire qui s'empara de Momus.

Inutile d'ajouter que je respecte scrupuleusement l'orthographe du poulet:

«Mon chérit,

» Je partirai en voyage jeudi, vient mercredie dans les bras de ta petite famme vilain méchant jalou, lâche ta famille, c'est moi qui payerai le dîné, je te ferai du plompoudin. At tu retrouvé ton portemonnais tu père toujour tout, grend enfan, tu aura le foit. Je t'embrace bien fors et je te remercit des places au téâtre qeu tu m'a envoillié par marie nous savons ris comme des bossu. J'espair que la présante te trouvera de m'aime bien por tant comme ta petit feamme qui t'aime toujour ne soie pas galou de Jules, il n'ait plus chés nous il est coché chés une grande cocotte madame l'a mit à la porte pardone mon grifonage je suis pressé je t'adresse c'ete letre chés ton ami Momuz où tu m'a di queu ta été l'autte jour,

Ta petite ami qui tembrace sur la tu sait t'ou,

«JOSÉPHINE CACHET.

» j'ai perdu ton adrese.»

Pendant deux mois, on ne parla chez Momus que de la dulcinée d'Adolphe ... qui, du reste, n'apprit jamais l'aventure.

Nous nous empressâmes—naturellement—de prendre une copie de ce chef-d'œuvre; nous étions une douzaine à connaître l'épître, aujourd'hui nous sommes davantage.




UN CHANTEUR COMMERÇANT

A C. de RODDAZ.



Il n'est pas rare de rencontrer un bourgeois, épicier ou coiffeur, ayant du goût pour la musique, par exemple, et s'exerçant le soir, les travaux finis, à déchiffrer quelque partition wagnérienne; ainsi mon dentiste, aussi bon chirurgien qu'aimable garçon, se livre régulièrement après son dîner, sur son violoncelle, à une folle sarabande de croches et de doubles croches.

Ce type de bourgeois-artistes est donc assez commun; mais ce qui ne se voit que très rarement, pour ne pas dire jamais, c'est l'artiste marchand;—ces deux choses, art et commerce, étant si diamétralement opposées qu'on ne conçoit pas un individu qui s'est voué à l'art par goût, trouvant dans la journée le moyen de débiter quelques denrées coloniales ou autres.

Et pourtant, il existe. Il m'a été donné de le voir cet oiseau rare, ce merle bleu.

Voici dans quelles circonstances:

Dernièrement, je fus appelé pour un grand mariage, en province, et nous étions là, trois artistes, une chanteuse, LUI et moi.

J'avais beaucoup entendu parler de lui.

Il habitait la ville où nous étions et ne chantait guère que dans les soirées données dans son département.

Très bel homme, avec une taille de carabinier, il a une figure bien étrange, notre héros.

Chauve à rendre des points à une bille de billard, il possède la plus épaisse, la plus longue et la plus rousse barbe qu'il m'ait été donné de contempler.

Après son premier morceau, je le félicitai bien sincèrement.

—Comment diable se fait-il que vous restiez ici, en province; on vous connaît un peu à Paris, vous avez beaucoup de talent, vous auriez vite une réputation superbe.

—Oui, je sais bien, j'ai même pour amis des gens illustres, tels que Faure.

—Eh bien, alors?

—Oui, mais il y a vingt ans que j'aurais dû y aller ... à présent, voyez-vous, c'est fini.

—Comment fini! vous avez?...

—45.

—Eh bien?

—Et puis je ne peux pas, mon commerce s'en ressentirait.

—Votre ...

—Ah! oui. C'est juste, vous ne savez peut-être pas?

—Non, rien.

—Je vends du champagne.

—Ah! bah!

—Oui. Oh! mon Dieu, c'est bien simple. Quand j'étais jeune, mes parents ne voulaient sous aucun prétexte m'entendre parler chant ou théâtre; alors, pour vivre, il a bien fallu faire quelque chose. J'entrai chez un ami, propriétaire d'une des plus belles caves de Reims. Il me prit comme premier commis, ensuite comme associé et enfin, aujourd'hui, je suis seul à la tête d'une importante maison? Vous n'êtes pas sans avoir bu de la carte tricolore?

—Non, assurément.

—Eh bien, c'est mon champagne!

—Tiens, tiens, tiens, tiens ... mais le chant? vous avez donc continué.... Ah! pardon, j'aperçois le maître de la maison qui vient me chercher ... après mon monologue, si vous voulez bien, nous reprendrons cette petite conversation qui m'intéresse infiniment.


—Vous disiez donc?

—Dès que je gagnai suffisamment, je pris des leçons et lorsque je fus assez fort pour voler....

—Vos clients?

—Farceur, va!... de mes propres ailes, je me risquai au théâtre d'ici, dans une soirée de gala, donnée sous le patronage du maire.

J'eus du succès et depuis ce temps-là, il ne se donne pas, je ne dirai pas ici, mais dans toute la contrée, une cérémonie quelconque, concerts pour les crèches, représentations au profit des pauvres, mariages, cinquantaines, distributions de prix, sans qu'on vienne me chercher.

Je suis, chose assez rare, prophète dans mon pays; mes compatriotes m'adorent ... peut-être bien, parce que je ne les ai jamais quittés pour la Grand'-Ville. Et de plus, j'ai énormément de leçons.

—Ah! je comprends alors....

—C'est égal, le moindre petit nom à Paris, ferait bien mieux mon affaire.

—Bah! vous êtes heureux comme un roi, ne vous plaignez donc pas.

Mais il doit s'en passer de drôles, tout de même, avec ce cumul bizarre. Je vois d'ici quelques qui proquos:

La scène représente une soirée dans le monde.

Accessoires: lustre brillamment éclairé, piano dans un coin, habits noirs au-fond; à l'avant-scène, dames et demoiselles luxueusement habillées.

X... vient de finir une romance de Lhuillier, tout le monde se lève, le maître de la maison enthousiasmé, prend le chanteur par le bras, l'emmène au buffet:

—Charmant! délicieux! suave! exquis!

—Mille fois trop aimable.

—Non, non, c'est sincère. Vous devez avoir besoin de vous rafraîchir, sans doute?

La figure du chanteur, de souriante qu'elle était, devient grave tout à coup.

Le maître de la maison, gracieux.—J'ai un champagne excellent!

LUI.—Moi aussi, monsieur Bidouillard.

BIDOUILLARD.—Ah! ah! carte blanche?

LUI.—Non, tricolore.

BIDOUILLARD, chauvin.—Vive la France! (plus calme.) Je vais vous offrir mon nectar.

LUI.—Non, c'est moi qui allais vous en proposer.

BIDOUILLARD.—Du mien?

LUI.—Non, du mien.

BIDOUILLARD, étonné.—Hé?

LUI, s'apercevant qu'il vient de faire une gaffe, timide, presque honteux.—Vous n'auriez pas besoin par hasard d'un petit champagne délicieux?

BIDOUILLARD, ébahi.—Hein?

LUI.—Je pourrais vous céder ça, dans des conditions extrêmement avantageuses.

BIDOUILLARD.—Non, merci, pas pour le moment.

LUI.—Ah! ça ne fait rien; nous en reparlerons (à part) après mon second morceau.

MADAME BIDOUILLARD, survenant.—Ces dames réclament avec insitance Mandolinata.

Lui.—Avec plaisir, madame!

Le chanteur-commerçant disparaît.

On aperçoit entre les basques de son habit, le col d'un flacon de champagne.


Double dièze et aï mousseux!




LE CONCERT DE LA PLACE DE LA BOURSE

A. ALF. et EUG. BÉJOT.



Vous connaissez sûrement l'Eldorado, l'Opéra des cafés-concerts; la Scala, qui donna l'hospitalité à une princesse pour de bon; les Ambassadeurs, rendez-vous des pschutteux tout à fait v'lan, en été; l'Alcazar, que la foule assiège en ce moment pour applaudir chaque soir Fusier, le gai compère; mais je parierais bien que vous ne connaissez pas le Concert de la place de la Bourse.


Ah! dame, comment deviner l'existence de ce ... cette réunion ... qui, à l'encontre des établissements cités plus haut, dédaigne les affiches-réclames, les voitures-annonces, et tout ce qui peut appeler sur elle l'attention publique. Au lieu de rechercher le bruit et la renommée, ce ... cette société écarte avec soin tout ce qui pourrait renseigner sur son ... fonctionnement! Vous ne comprenez, peut-être, pas très bien; n'est-pas? Cela ne m'étonne pas: comment, en effet, ne pas rester stupéfait à l'idée seule, d'acteurs évitant la presse, de musiciens insensibles à la vue d'un auditoire nombreux?

Voulez-vous que j'augmente encore votre surprise? Les soirées en question ne sont ni mensuelles, ni hebdomadaires ni quotidiennes; elles sont ... ou elles ne sont pas, selon le bon plaisir des acteurs ou selon la température, car, s'il pleut, nos chanteurs, ces rossignols en veston, se calfeutrent dans leur nid tout là-haut, tout là-haut au cinquième étage!

—Mais leur directeur ne leur intime donc pas....

Ils n'ont pas de directeur (les veinards), pas de maître, pas de tyran. En vrais démocrates de l'art, ils sont en république: seulement c'est une république ... artistique, rien de l'autre; autrement dit, ils sont en société comme aux Français ou mieux au Château-d'Eau (direction Bessac and Company). Les trois mots magiques qui flamboient sur nos monuments: Liberté, égalité, fraternité, sont remplacés chez eux par ces trois noms mythologiques «Melpomène, Thalie, Euterpe.»

Et pour mettre enfin le comble à votre ahurissement, je vous dirai que nos artistes ne sont pas payés; ils disent, jouent ou chantent pro ipsa arte!

Mais comme je vois vos yeux à moitié sortis de leur orbite, vos cheveux drus et vos nerfs contractés, je vais faire cesser cet affolement, bien compréhensible du reste, en vous donnant la clef de l'énigme.


Il y a quelques semaines, par une belle soirée d'automne, comme octobre nous en réserve quelquefois, je descendais lentement vers huit heures la rue de la Banque, pensant à mille riens qui portaient mon esprit bien loin de mes pas et me faisaient oublier mon itinéraire, lorsque j'aperçus devant la Bourse un cercle du curieux. Tout d'abord, je n'y prenais pas garde, sachant que de longue date les financiers, boursicotiers et badauds désintéressés ont pris la bonne habitude de stationner des heures durant, en groupes plus ou moins sympathiques, devant le temple de Plutus.

Je poursuivais donc mes pas, lorsque des applaudissements aussi nourris que chaleureux, dirait Prud'homme, attirèrent de nouveau mon attention et me décidèrent à m'approcher de cet endroit que j'avais jugé de voir être un banal rassemblement.

Pressentant un orateur loquace ou un ivrogne joyeux, et m'apprêtant à recevoir un flot d'éloquence ou de ... je m'approchai.


Ah! que grandissime fut donc mon ébahissement! Tout d'abord trois ou quatre rangs compacts de gens debout: devant eux, des privilégiés trônaient, assis sur les bons sièges en fer de la maison ... (pas de réclame) et enfin, au milieu du cercle, un gamin, vrai type de Gavroche endimanché, le chapeau sur l'oreille et les mains dans ses poches, récitant le Souvenir de la nuit du 4, d'Hugo, et avec quel emportement! quelle fureur! Je ne sais ce que l'empire a fait à ce moutard et si c'est une offense personnelle, mais saprelotte, il lui garde un chien de sa chienne! Aussi, vous dire les trépignements et les bravos recueillis par ce farouche déclamateur est impossible.

Pour faire trêve à cette émotion générale, une partie de l'auditoire demanda sur l'air des Lampions: Pâtissier! Pâtissier! Alors, sans se faire attendre, parut la frimousse éveillée d'un marmiton de chez Julien, vrai pâtissier de féerie. Ce jeune éphèbe, gâte-sauce par état et baryton par goût, entra donc «dans le rond» et entonna d'une voix fraîche les Blés d'or.

Cette romance sentimentale—genre Debailleul—parut être du goût général, car, à l'annonce de ce titre estival, un murmure approbateur courut dans l'auditoire et le refrain fut repris par le public avec un ensemble qu'on eût cru conduit par Danbé. Rappels et bis ne firent point défaut à cet émule de Maurel-Vatel.

Au pâtissier lyrique succéda un petit chasseur de chez Champeaux, qui vint à son tour monologuer avec le Monsieur qui a un tic; son succès a dû lui faire des jaloux....

La bise commençait à souffler, je partis sans prendre de contre-marque imaginaire.


Mais, tout en marchant, je songeais à ce bizarre concert en plein vent. Bien curieuse, en effet, cette salle de spectacle dont le plafond est le grand ciel bleu, où Phœbé sert de lustre, les réverbères de herses, les bancs verts de fauteuils d'orchestre, et où la Bourse elle même, ce monument si sévère dans la journée, ne craint pas de se rabaisser en tenant lieu, la nuit venue, de toile de fond, et où enfin, en fait d'étoiles, il n'y a que celles qui brillent au firmament!

Ce qui donne encore une note bien originale à ce décor, ce sont les deux statues de Pradier et Petitot. (La Fortune et l'Abondance) qui, du haut de leur piédestal, contemplent maternellement cette tentative bien digne de louanges: la propagation de l'amour de l'art!

Ah! c'est bien là, le vrai, le seul théâtre populaire ... ou je ne m'y connais pas.


Et quel bon public que celui qui est là!

Gobeur en diable, il a ses préférés; il fait des entrées aux «forts» et parfois, lorsque l'enthousiasme est à son comble, il jette des sous que s'arrachent ... les loueuses de chaises qui prêtent gratis leurs sièges.

Pour finir, un mot absolument authentique.

Comme je félicitais une jeune ouvrière qui venait d'expectorer quelques vers de Manuel, et lui demandais si elle pensait «faire du théâtre» plus tard. Mimi Pinson me répondit avec une pointe d'orgueil:

—Oh! oui, monsieur. Du reste, je suis allée voir M. Lapommeraye et il m'a dit que je réussirais très certainement, car j'avais le profil de la République.


SANS LE VOULOIR

RONDEAU SANS MUSIQUE


A Paul HENRION.


Sans le vouloir, un soir, on se promène,

Sans le vouloir on rencontre un minois

Dont l'aspect frais et riant, vous amène

A cheminer ensemble, en tapinois.


Sans le vouloir on rit, on jase, on cause,

Sans le vouloir on lui donne le bras,

Sans le vouloir vous offrez quelque chose;

C'est accepté ... sans faire d'embarras.


Sans le vouloir on prend une voiture.

Sans le vouloir on tient de gais propos,

Sans le vouloir tout bas on lui murmure

Des mots d'amour ... exigeant le huis clos!


Sans le vouloir on arrive, on se quitte,

On se sépare en se serrant la main;

Mais, cependant, on s'embrasse et s'invite

A faire encor, à deux, même chemin.


Sans le vouloir, la semaine suivante,

On prend le train pour aller dans les bois;

Sous la tonnelle, en déjeûnant l'on chante,

Quitte à froisser le vertueux bourgeois,


Sans le vouloir dans les champs on s'égare,

L'un contre l'autre étroitement serrés,

Et l'on revient, Lui, fumant son cigare,

Elle, baissant ses yeux mal assurés.


Sans le vouloir on se met en ménage,

Sans le vouloir on y reste dix ans,

Sans le vouloir, hélas! on n'est pas sage,

Sans le vouloir on a beaucoup d'enfants.


Sans le vouloir, alors, en se marie,

Pour bien finir ce qu'on a commencé,

Et l'on s'en va, joyeux, à la mairie

Lancer un oui, d'un ton bien décidé!


Et voilà comme on a changé sa vie,

Un soir d'été, causant sur le trottoir,

Avec deux yeux qui vous faisaient envie,

On est heureux et c'est sans le vouloir!


LES SOUFFLEURS

Au commandant GEORGIN.



Le lendemain d'une première à succès, on peut lire dans les journaux le triomphe de l'auteur, les louanges des artistes, le talent des décorateurs, le bon goût du costumier, l'adresse des couturières; on félicite le directeur; mais il y a un personnage dont on ne parle pas, qu'aucun courriériste ne nomme, et qui, pourtant, a droit à un salut; C'est le souffleur.

Et cependant, quel auxiliaire pour les mémoires incertaines! Sans lui, le jeune premier bafouillerait étrangement et la duègne, si rompue à la scène, perdrait complètement la tête, si elle ne se savait tenue.

Pour beaucoup d'artistes, la vue seule du souffleur suffit, Ils se disent qu'à la moindre absence cet humble leur «en verra le mot» et cela les tranquillise.

Et c'est cet homme, dont la collaboration est si nécessaire, le concours si indispensable, qu'on ne remercie même pas par un mot d'encouragement! Il serait bien heureux, pourtant, de lire son nom dans les feuilles, d'être seulement cité, fût-ce après la petite Trottoirine, dont l'opulent corsage fait seul le succès. Aussi, éprouvé-je le besoin de parler un peu de ce méconnu. C'est une classe si intéressante à étudier, que celles de ces gens modestes dont le seul agrément est la vue des mollets des petites femmes. Ah! dam, ce sont leurs petits bénéfices....



Mais en revanche, que de rebuffades, le souffleur doit-il essuyer!

Tel acteur qui ne sait pas un mot de son rôle et que cela rend furieux, à cause du directeur qui est à l'avant-scène, lui dit d'un ton bourru:

—Eh bien, quoi? Qu'attendez-vous? vous voyez bien que je suis en plan.

Tel autre qui, au contraire, sait à la lettre (c'est même là son seul mérite) veut faire le malin et lui dit impatienté:

—Mais saprelotte! ne me bourrez donc pas comme ça, vous voyez bien que je sais.

La plupart du temps, le souffleur est un ancien artiste qui, n'ayant pas réussi à prendre une place sur la scène, en a prise une dessous.

C'est souvent un homme de bon conseil, et que l'on consulte dans les cas de mise en scène embarrassants.

Un type bien amusant, c'est le souffleur gobeur.

C'est un jeune, celui-là! Il n'est pas encore blasé et s'amuse dans son trou, plus que le titi qui a payé sa place.

Pour lui, la pièce est toujours nouvelle; il sait tous les rôles par cœur, y compris ceux des femmes et pourrait, à la rigueur, souffler sans brochure.

Il faut le voir pendant la pièce, soupirer avec l'amoureux, rire avec le comique, pleurer avec l'ingénue, maudire avec le père noble; il sanglote trépigne, chauffe le traître, encourage la duègne et s'oublie parfois jusqu'à crier au premier rôle: «Vas-y!»

Heureux enfant, qui croit que c'est arrivé! Laissons-le à ses chères illusions! Pleure, exulte, va! ça vaut mieux que de blaguer la situation!

Combien je préfère ce souffleur convaincu à celui qui la fait au blasé!

Voyez-le dans sa niche, renfrogné, regardant dédaigneusement les artistes et semblant leur dire:

—Êtes-vous assez mauvais!

N'encourageant jamais personne, ne disant du bien que des morts et ne manquant jamais l'occasion de s'écrier, si l'on vient à lui parler de Saint-Germain:

—Ah! si vous aviez vu Arnal!

Un souffleur extraordinaire, c'est le père Ronflard.

Très curieux. Notre bonhomme dort en soufflant ou souffle en dormant, comme il vous plaira; pendant l'entr'acte, au lieu d'aller siroter le mêlé-cassis chez le concierge du théâtre, buvetière de messieurs de l'orchestre, machinistes et autres employés, il reste enfoui dans le fond de sa boîte et dort du sommeil du juste, jusqu'au moment précis où le rideau se lève; et ce n'est pas la sonnette qui l'a réveillé, non plus que la petite polka-vinaigre jouée par l'orchestre: c'est l'instinct. Il ouvre l'œil au moment voulu; son somme est mesuré.



Souffler est extrêmement difficile.

Il faut connaître les acteurs, pour les bien souffler; avoir étudié leur caractère, possédé leur tempérament, en un mot, savoir à quelle nature, on a à faire.

Le véritable souffleur doit voir, lorsque l'artiste entre en scène, dans quelles dispositions d'esprit il se trouve.

S'il est gai, porté aux cascades, disposé à ajouter au texte, alors, lui laisser la bride sur le cou.

S'il est au contraire, morose, ennuyé, chagrin par suite d'ennuis de famille ou de discussions avec l'administration, l'encourager, souligner ses effets, approuver son jeu.

Si l'artiste est traqueur, ne pas le lâcher, le tenir serré, afin qu'il se sente «soutenu.»

Une chose terrible pour l'artiste qui sait, c'est le souffleur qui «envoie» tout, prenant un temps pour une absence de mémoire et soufflant jusqu'à ce que le comédien ait dit le mot.

C'est horrible alors, de se sentir poussé l'épée dans les reins.


Un souffleur bien étrange, c'en est un dont on m'a raconté un fait, et qu'on pourrait dénommer: le souffleur patriote.

Voici pourquoi.

Un artiste parisien jouait un soir en représentation, dans une ville de l'Est.

N'ayant fait qu'un raccord, dans la journée, avec les comédiens de la troupe sédentaire, la pièce était loin d'être fondue, aussi à un moment donné, le spectateur initié aux choses de théâtre eut pu remarquer, ce qu'on appelle dans le langage des coulisses, un loup, c'est-à-dire le désarroi que procure parmi les acteurs une réplique omise ou une entrée manquée.

L'artiste, très ému, d'abord parce qu'on l'est toujours quand on joue en représentations dans une ville de province (la province se vante d'être plus difficile que Paris) et qu'ensuite, il jouait avec des acteurs qu'il ne connaissait pas, se trouble et quoique possédant une mémoire impeccable et, ce qui n'est pas à dédaigner au théâtre, l'esprit d'à propos, perd la tête et se voit dans l'impossibilité absolue d'enchaîner la situation par une phrase quelconque.

A Paris, cela eut été tout seul, avec un souffleur connaissant son métier, mais dans cette bonne ville, l'employé chargé de secourir les mémoires troublées heureux de voir l'artiste parisien patauger, lui chuchote au lieu de la phrase si anxieusement attendue:

—Hein? vous ne faites pas le malin, maintenant! comme en 70 ... devant les Versaillais!


Un de mes amis qui jouait un jour le Pauvre idiot si remarquablement créé par Laferrière, eut à subir un souffleur étonnant.

On sait qu'un acte se passe dans un cachot où le pauvre idiot est enfermé depuis une vingtaine d'années. Et cette longue solitude, cette complète ignorance du monde et des choses extérieures ont rendu idiot le héros de la pièce.

Cet acte doit être mimé par l'acteur chargé du principal rôle.

L'Idiot va, vient, rit, pleure, chante, pousse des exclamations, articule des sons rauques, arrose un pot de fleurs, fait des simagrées devant une chapelle; bref, il mime cet acte.

A la répétition, il avait été convenu entre le souffleur et l'artiste que celui-ci ne se mettrait pas à genoux ainsi que l'indiquait sa brochure.



Le soir, le moment de la génuflexion arrivé, mon ami supprime ce jeu de scène, et attend que le souffleur lui indique ce qui venait après.

Mais il avait compté sans son hôte; le souffleur lui dit: «A genoux.» Signe négatif de l'acteur. «A genoux!» répète plus fort l'enragé. «Non», murmure mon ami. «A genoux!» hurle presque le souffleur sortant à moitié de sa carapace. Et il fallut que le comédien obéit au souffleur dont il dépendait.

Le chef d'orchestre seul put entendre cet à parte de l'idiot:

—Je m'y mets, mais tu me le paieras!


Il m'a été donné d'en voir un que je n'oublierai jamais. Ancien premier rôle aussi mauvais que prétentieux, il souffrait de cette situation pénible: habiter les dessous.

Très fier, il ne daignait saluer que les chefs d'emploi et s'appelant Delacroix, mettait sur ses cartes: de La croix, en deux mots, sans doute pour faire croire que, si on le voyait dans sa trappe, il n'en descendait pas moins des Croisés.

Grincheux, ronchonneur en diable, faisant le compétent, sous prétexte qu'il avait joué avec des artistes du Français, on ne pouvait lui adresser la moindre observation. Or, un jour, à un artiste qui lui faisait une remarque, il répondit cette phrase monumentale:

—Monsieur, vous saurez que j'ai soufflé Ballande!


Et pour finir, je citerai cette anecdote ... salée qui a trait à Déjazet la Grande.

C'était en 1868, au théâtre de Grenoble où l'immortelle comédienne était en représentations.

Un soir, après le deuxième acte de Gentil Bernard, n'ayant pas eu le chaleureux succès qu'elle attendait—et qu'elle était en droit d'attendre,—elle fit venir le souffleur au foyer et l'interpella brusquement en ces termes:

—Ah! ça, mon garçon, que faisiez-vous donc pendant cet acte, vous aviez l'air de dormir? Que diable, à votre âge, vous devez savoir que lorsqu'on est dans un trou c'est pour se remuer!


UNE MALADIE DE PEAU

A. G. MAINIEL.



Ah! c'était un bien drôle de type que le vieux Marsac, le père de Sidonie Marsac, la Dorval moderne.

Né à Clermont (Puy-de-Dôme), ce brave homme avait conservé vivaces les qualités et les défauts de l'auverpin.

A côté de fines roublardises, il avait certaines naïvetés par trop ... simples et bien faites pour étonner les gens.

On parlera longtemps au quartier Bréda—résidence qu'il a choisie depuis la célébrité de sa fille—de sa curieuse maladie.... Oh! oui, l'étrange maladie de peau du papa Marsac n'est pas prête d'être oubliée!

Voici cette étonnante histoire qui a défrayé pendant un mois les conversations de Notre-Dame-de-Lorette.

Un matin du mois de janvier, alors que les carreaux de vitre sont tout barbouillés de givre et que la neige ouate les toits, le père Marsac, en s'approchant de la croisée, pour consulter son baromètre, constata non sans quelque frayeur, un phénomène assez bizarre sur ses mains: elles étaient veinées de noir.

Comme dans toutes les circonstances embarrassantes de sa vie, il fit de nouveau appel aux lumières de sa fille:

—Chidonie! cria-t-il par deux fois, viens, viens voir ton père, et dis-lui vite che qu'il a.

L'actrice, après avoir regardé attentivement la dextre paternelle, réprima un sourire et, pour rassurer l'auteur de ses jours, ajouta:

—Ce n'est rien, va, ça passera tout seul.

—Mais je chuis tigré!... che n'est plus un père que tu as, ch'est un tigre, vougri....

—Allons, du calme, ce n'est rien, te dis-je.

—Ch'est égal, je veux aller conchulter un médechin aujourd'hui même.

—Mon Dieu, dit le médecin du père Marsac, ce n'est pas grave, il ne faut pas s'effrayer outre mesure; vous allez me mettre là dessus un cataplasme de farine de lin, et demain ni vu ni connu, vous aurez la peau comme moi.

—Oh! merchi, merchi, monchieur le docteur, je vous promets que votre ordonnance chera chuivie, allez!

Effectivement, le soir même, le père Marsac se faisait préparer par sa bonne un bon cataplajme, qu'il se faisait appliquer sur ses extrémités aussi manuelles que zébrées.

Dam! vous dire que cette nuit-là, Morphée se livra à sa petite occupation nocturne, qui consiste à effeuiller ses pavots sur le front des gens qui oublient, serait mentir, car Marsac entendit sonner toutes les heures à la vieille horloge de l'église.

Aussi, dès que l'aube apparut indécise et tremblotante, le malade ne fit-il qu'un bond pour s'assurer à la clarté du matin des progrès de la cure. Il arracha vivement le linge qui entourait les parties colorées, et constatant aussitôt l'impuissance du remède, s'écria:

—Cha n'a rien fait; ch'est encore plus tigré qu'avant.

Qué faire, fouchtra, qué faire! J'irai aujourd'hui même conchulter un autre médecin, une chpéchialichte, vougri. Tant pis, cha couchtera ché qué cha couchtéra.

A deux heures, le montagnard pénétra dans le salon d'attente du docteur ... (pas de réclame), rue Caumartin, à l'entresol.

Six personnes attendaient leur tour, feuilletant impatiemment des albums, journaux, laissés là à dessein. Le père Marsac, qui ne savait pas lire mais qui ne voulait pas en avoir l'air, prit une brochure intitulée l'art dentaire (ce qui indiquait bien qu'on était chez un manicure) et s'endormit sur la première page qu'il tenait à l'envers.

Enfin, après deux heures d'attente, la porte du fond s'ouvrit et un domestique en livrée introduisit le client auquel nous nous intéressons.

—Mon Dieu, dit tout de suite notre homme, pour dire qué je chouffre, jé né chouffre pas, mais ces raies noires m'inquiètent et je ne sais comment les faire dichparaître.

Le prince de la science prit une loupe, regarda longtemps, réfléchit, s'arma d'une plume, écrivit quelques mots, et remettant le papier à Marsac anxieux, lui dit:

—C'est vingt francs!

L'habitant de Clermont fronça les sourcils, s'exécuta avec lenteur et, prenant la porte, fila comme un trait, désireux de connaître enfin le nom du mal et le remède à suivre.

Une fois dans la rue, il déplia le papier bien cher—bien cher est le mot—et lut avec stupeur:

Délayer du savon de Marseille dans de l'eau et se frotter les mains avec;—la crasse disparaîtra aussitôt.


LETTRE

A NICOLE T.


Le Hâvre, 25 Août 1884


Mon cher ami,

Voulez-vous savoir ce que, moi, infime, je fais cet été?

Je m'éreinte.

Sitôt l'usine fermée, je m'écrie:

—Ah! ah! A nous, la mer!

(Je ne garantis pas la phrase; c'est quelquefois: Oh! oh! à nous, la mer.)

Et j'écris tout de suite pour voir s'il n'y a rien à frire au casino de Levallois-les-Sables ou ailleurs.

Le directeur, qui ne demande généralement pas mieux que d'animer son casino, me répond invariablement:

«Oui, venez!»

Mais, neuf fois sur dix, je ne viens pas, ce brave industriel me proposant des petites conditions dans le genre de celle-ci: «Vous payez naturellement vos frais de voyage et d'hôtel, ainsi que ceux des artistes qui vous accompagnent; vous me donnerez deux cents francs pour la location de ma salle, soixante francs pour l'affichage; vous payerez les droits d'auteur, et nous partageons le reste.... Ah! j'oubliais; je me réserve deux loges et trois fauteuils d'orchestre.»

Aussi lui répond-on, comme chez Potin:

—Et avec ça?

Donc, ce que je recherche avant tout, et je pourrais généraliser, en disant, ce que l'artiste recherche, c'est le fixe, le bon fixe: comme ça on ne manque pas de cachet.

C'est, je crois, le seul cas où, en été, on recherche les feux!

Je suis d'autant plus partisan des assurances que je suis absolument déveinard comme directeur.

Lorsque je suis engagé, ça marche très bien; mais quand je suis intéressé, ça ne va plus du tout.

Aussi, ne suis-je presque jamais mon propre impresario, comme disent les Anglais ... qui parlent italien.

J'ai la guigne.

Je suis sûr, si je fais une affaire à mon compte, que ce jour-là il pleut ou le préfet est à toute extrémité: alors les gens pschutt de l'endroit ne vont pas au théâtre....

Et puis quels soucis, quels embêtements ne s'attire-t-on pas!! Ici, il n'y a pas de rideau; là, point de rampe; à tel endroit, c'est le trou du souffleur qui fait défaut; à tel autre, ce sont les portes qui manquent absolument; ailleurs, ce sont les loges pour s'habiller.

Comme à Luc-sur-Mer, il y a quatre ans (avant le casino actuel). Nous arrivons:

—Où est le Casino, ici?

—Vous voyez ces cabines, eh ben, la pus grosse, c'est le Casino.

A propos de Luc, un souvenir:

Pour nous habiller, nous nous étions installés dans les cabines des bains chauds; nous avions mis une planche sur la baignoire pour étaler nos affaires.

Comme psyché, nous avions un de ces morceaux de glace où on se voit vert (les établissements de bains et les hôtels de province ont seuls le monopole de ces miroirs).

Mais à un moment donné, je fais un mouvement—ça m'arrive quelquefois—et, v'lan! la planche bascule et la chemise immaculée glisse dans la baignoire ... où il restait de l'eau sale.

Heureusement que la chemise était à mon camarade de cabine. Ce que j'ai ri!!!


Dans les petits endroits, malheur à vous s'il vous faut un accessoire autre qu'une feuille de papier; vous ne trouvez rien, absolument rien. Je jouais, à Meaux, le Serment d'Horace. Vous savez que l'oncle Dubreuil appelle sa camériste avec son revolver.

Lorsque je demandai cet instrument nécessaire ... à l'action, on me répondit: «Depuis que l'illustre Hédannomur est parti sans payer la location des fusils pour les Quatre Sergents, l'armurier ne veut plus louer ses armes....»

Je termine cette trop longue lettre par la réponse la plus épique qui m'ait été faite—et je vous en assure l'authenticité absolue.

A Coulommiers.

Je demande un vase quelconque, un seau pour vider l'eau de savon.

Le concierge me répond:

—Pour ça, il faut voir le maire.

Ces pays de fromages sont étonnants: quand on veut une cruche, il faut aller trouver le maire.

Bien vôtre.

F. G.


L'ACTEUR RÉALISTE

A Charles et Victor LEGRAND.



Le naturalisme n'existe pas seulement en littérature, il sévit encore et surtout au théâtre.

Certains acteurs, sous prétexte d'être vrais, s'habillent, se griment et jouent de façon bien amusante, il faut en convenir.

Nous avons tous connu, au Conservatoire, un garçon un peu timbré et que nous désignerons, si vous le voulez bien, sous le prénom d'Isidore.

Je n'oublierai jamais sa première classe.


On sait comment se fait la répartition des élèves au Temple du faubourg Poissonnière.

Après l'examen, le doyen des professeurs, alors, le grand Régnier, choisit d'abord les élèves qui lui conviennent et laisse les autres à M. Got, lequel prend ceux qui ont une bonne voix et passe à M. Delaunay, jeunes premiers et ingénues—un genre qui tend à disparaître aujourd'hui.—Le reste devenait la propriété de feu Monrose, un comique qui enseignait merveilleusement la tragédie.

Ces quatre classes offraient un aspect bien différent.

Chez Régnier: les travailleurs enragés, ceux que le démon du théâtre tourmentait et qui voulaient arriver à tout prix (Régnier avait généralement les plus hautes récompenses aux concours de fin d'année.)

Chez Got: des farceurs qui ne demandaient qu'à s'amuser et organisaient des tournées à Étampes, cette tour d'Auvergne de la Seine-et-Oise, Chartres, etc.

Chez Delaunay: la haute gomme, boudinés et copurchics toujours tirés à plusieurs épingles; jeunes ... filles pour la plupart très fortes en l'art ... de se faire payer hôtel et voiture, mais ne se doutant pas des difficultés du théâtre, passant par le Conservatoire parce que c'est le tremplin, mais lâchant l'école dès que le vieux est trouvé. A la classe de l'éternel jeune premier, on ne voyait que pelisses, bouquets de violettes, fourrures ... tout au musc!

Chez Monrose, enfin, autre genre: la bohème (X... aujourd'hui, à l'Odéon, qui se coupait les poches parce qu'il n'avait rien à y mettre dedans) les échevelés, tragédiens farouches, Aricies pâlottes et grelottantes, beaucoup de jolis minois cependant: le maître était amateur!

Pour en revenir à notre héros, Isidore voulait jouer la tragédie ou la comédie: peu lui importait pourvu qu'il jouât!

Britannicus ou Crispin, son choix n'était pas fixé.

Ayant lu qu'en 1830, les romantiques se laissaient pousser les cheveux, Isidore n'avait rien à envier à Clodion ou à Monsieur de Lapommeraye. Sa toison était telle qu'obligé de la natter, il l'enfouissait sous son chapeau crasseux.

Cette nature bizarre avait empoigné le créateur d'Annibal, qui le prit dans sa classe et s'y intéressa un moment.

—Que savez-vous? lui dit tout d'abord Régnier.

—Je sais Oreste, répond Isidore en se cambrant.

—Ah! Eh bien, montez sur l'estrade et dites nous Oreste.


La scène jouée, le jeune éphèbe regarde, anxieux, la figure du maître, pour voir l'effet produit:

—C'est bien, dit celui-ci, vous apprendrez ... Scapin!

Inutile d'ajouter quels éclats de rire, saluèrent cette réplique!


Ce satané Isidore avait la rage de vouloir être vrai.

—Jouer vrai, il n'y a que ça! répétait-il à satiété.

Il est évident que l'acteur ne saurait fouiller trop minutieusement son rôle et en creuser les détails, jusque dans les plus petits recoins, mais enfin, il ne faut absolument pas aux dépens du «mouvement,» se perdre dans des détails bien souvent subtils; car alors on en arrive à faire comme ce malheureux Isidore, quand il jouait les Folies amoureuses.

Vous vous rappelez sans doute, lecteurs, les vers que Régnard met dans la bouche de Crispin:

Quand on veut, voyez-vous, qu'un siège réussisse,

Il faut premièrement s'emparer des dehors;

Connaître les endroits, les faibles et les forts.

Quand on est bien instruit de tout ce qui se passe,

On ouvre la tranchée,

(Ici, Isidore faisait le geste d'ouvrir avec une clef imaginaire).

On canonne la place,

(Boum! Boum!! Boum!!! tonnait le comédien).

On renverse un rempart,

(Parapatapouf).

On fait brêche.

(Tschb!).


Aussitôt on avance en bon ordre.

(Il marchait comme un soldat dans les rangs).

Et l'on donne l'assaut,

On égorge, on massacre, on tue, on vole, on pille....

Non; je renonce à décrire la pantomime fatigante à laquelle se livra l'élève; à ce passage, il sautait hurlait, poignardait l'espace, donnait des coups de baïonnette dans le vide, et tout ça, accompagné de pif, paf, pouf, pan, ra, ta, pa, ta, pan, pan, tzing, pft! pft! pan!!

C'est de même à peu près quand on prend une fille,

Sachons gré à Isidore qui, probablement intimidé par l'auditoire, ne mima pas ce vers caractéristique.

La tirade finie, ce Lauri dramatique tomba épuisé sur une chaise et la classe entière trépigna de joie.

Moralité: Ne cherchons pas trop la petite bête, sous peine de passer pour une grande.


A propos de vérité au théâtre, je terminerai par un mot épique de vieux cabot, consciencieuse utilité, qui, ayant à annoncer de la coulisse, le marquis de Z. dans une pièce se passant sous Louis XV, se grimait aussi sincèrement que s'il avait dû paraître en public.

—Était-ce bien utile? lui dit un camarade, en désignant sa perruque poudrée.

Et l'autre, sur un ton de mélo:

—Et si le décor tombait!




LAMENTATIONS DE BOIELDIEU

A Emile BOUCHER.



J'étais, l'autre jour, à Rouen, pour les fêtes de Corneille, et, passant au pied de la statue de Boieldieu, voici ce que j'entendis murmurer au grand compositeur:

Corneille! Corneille!! Corneille!!!

Eh bien, nous ne l'oublierons pas

Ce nom qui nous corne à l'oreille

Depuis huit jours. Vrai, j'en suis las!

Les Rouennais ont plein la bouche

De celui qu'ils nomment leur dieu,

Mais moi, l'on me trouve très mouche

Et pourtant je suis Boieldieu.


Qu'a-t-il donc fait ce si grand homme?

Le Cid, Horace et puis Cinna....

Eh bien, moi, je pense qu'en somme,

Mon œuvre est plus pschutteuse, na.

Je sais bien qu'il a fait Dom Sanche,

Le Menteur, ça c'est un peu mieux,

Mais, moi, j'ai fait la Dame Blanche

Et puis quoi, je suis Boieldieu.


Pour lui, seul, la ville est en fête;

C'est pour lui que sont accourus

Ministres, députés en quête

De placer leur speech très diffus.

Académiciens (folie!)

Bref, on est venu de tout lieu....

Et pendant ce temps on m'oublie

Moi, le seul, le grand Boieldieu.


Que de stances ont été lues!

Combien de poèmes divers!

Et Bornier qui, dans ses «statues»

Oublia de me mettre en vers!

Il chanta Jeanne d'Arc, Corneille!

Napoléon premier ... tudieu!

C'est une insulte sans pareille

De lâcher ainsi Boieldieu!


C'est pour lui seul, ces oriflammes,

Ces étendards et ces drapeaux,


Pour lui seul, les petites femmes

Ont arboré de grands chapeaux,

Pour lui, la plus belle toilette,

Pour lui regards troublants ... pardieu!

Mettre ton nom seul en vedette,

C'est bien vexant pour Boieldieu.


Mais bah, pourquoi tout ce tapage

Je préfère mon sort au tien,

Tous ces gens avec leur ramage

T'embêtent et tu ne dis rien.

Moi, du moins, Pierre, je n'avale

Pas de discours fastidieux,


Je rirais, foi de Boieldieu.



Il avait fait un temps atroce.

UN DROLE DE COUPLE

A P. BONHOMME.



Connaissez-vous les Pittalugue? Non? Oui? ah tant pis, vous me privez du plaisir de vous les faire connaître.

—Ça ne fait rien, allez-y, du portrait!

—Vous êtes vraiment bien bon; je commence:

M. et madame Pittalugue sont concierges chez un notaire de mes amis. Lui, fainéant comme un groupe de couleuvres, elle ... continuellement altérée et se rafraîchissant toujours (C'est même chez madame Pittalugue que j'ai observé pour la première fois ce curieux phénomène: le petit bleu fait les nez rouges et les gens gris, mais passons....)

Ces deux êtres bizarres ont le don de plaire à première vue, et parviennent à faire dire, quand on les quitte:

—Tiens, c'est étonnant, ils sont polis, ces concierges!

Mais lorsqu'on les revoit, la bonne impression s'efface promptement et l'on s'aperçoit bientôt qu'il faut en rabattre, leurs saluts exagérés étant pantomime mécanique, leurs compliments, leçon apprise et leur politesse enfin, pure et énervante obséquiosité!

Certes, des pipelets grognons, ronchonneurs et grincheux sont bien désagréables mais ils sont encore préférables aux Pittalugue en question, qui ont résolu ce nouveau problème: embêtants à force d'être trop gracieux!

Si vous passez vingt-cinq fois dans la même journée devant leur loge, vingt-cinq fois ils vous réciteront sans reprendre haleine et sur le même ton monocorde et irritant leur interminable chapelet:

—Ah! voilà, monsieur Bernard! Comment allez-vous monsieur Bernard? Bien? tant mieux! et cette bonne madame Bernard qui est si gentille elle va bien aussi? Ah! quel bonheur! vous êtes bien aimable, nous aussi, allons tant mieux, monsieur Bernard!

Vous êtes déjà au second étage que la litanie n'est pas terminée!!


Comme on ne reste généralement qu'une minute dans leur loge, ces gens-là sont tellement désireux de vous débiter le plus de choses aimables en très peu de temps qu'ils ne font pas du tout attention à ce que vous leur dites; ils posent les questions et y répondent eux-mêmes et aïe donc, ça ne fait rien!

Ainsi, un jour, le premier clerc de mon ami, honnête rond-de-cuir, depuis 25 ans dans la maison, très malade depuis un mois, avait cessé de venir à l'étude, lorsque la nostalgie de la paperasserie le prenant, il eut l'idée fatale de se traîner à son bureau.

Il arrive au premier étage où est située la loge des cerbères et n'en pouvant plus, tombe sur une chaise époumoné, soufflant comme un malheureux!

Je vous laisse à penser si les Pittalugue qui n'avaient pas vu ce moribond depuis un mois, ratèrent l'occasion d'entonner leur refrain:

—Ah! voilà monsieur Buvard! C'est monsieur Buvard; Joseph, viens voir monsieur Buvard.

Le mari arrive avec sa fille et recommence:

—Ah! voilà monsieur Buvard.... Comment allez-vous, monsieur Buvard?

Et le pauvre malade que tout ce bruit affolait, qui n'avait pas même la force de leur imposer silence, leur murmure entre deux quintes:

—Ah! je crois bien ... que c'est la dernière fois ... que vous me voyez!

Et tous les trois de s'écrier, en chœur:

—Allons, tant mieux! Quel bonheur! Qu'il est gentil!!

Le lendemain Buvard mourait ... pas de ça cependant!


Ces malheureux sont tellement habitués à être plus que polis envers le public, qu'entre eux-mêmes ils se servent des qualificatifs les plus tendres.

Mon gros chéri ... petit lapin ... coco adoré ... sont expressions courantes et font partie de leur répertoire.

La première fois que je me présentai chez eux, je demandai si mon ami était chez lui.

Je vais demander à bébé. Bébé? Bébé?

—Quoi, papa?

Je me retourne, baissant la tête, pour voir le poupon.

Mais je recule effrayé me trouvant en face d'une femme colosse, leur progéniture, âgée de 25 ans! (c'était Bébé!!!)

Comme Bébé n'était pas plus fixé que Coco.

—Je vais monter, dis-je.

Et tous les trois, à l'unisson, comme si je leur rendais un grand service:

—Oh! merci, vous êtes bien aimable!!


Ces chevaliers du cordon ont une manière à eux de vous faire un compliment.

Ils ont au-dessus de leur cheminée (on se demande pourquoi) une vieille lithographie représentant Lamartine enfant.

Comme je regardais, un jour, les traits de l'auteur de Jocelyn:

—Ah! me dit M. Pittalugue, en voilà un qui avait de l'esprit! il serait à désirer pour vous, que vous en ayez le quart autant que lui!

—Comment le quart! reprit aussitôt madame son épouse, arrivant à la rescousse et ne trouvant pas sans doute le compliment suffisamment flatteur, le quart! tu veux dire le cintième!!!

Et dire que ces impairs ne sont que la conséquence fâcheuse d'un désir immodéré de vouloir «être agréable à tout prix.»

Du reste, s'il me fallait citer les gaffes de cette intéressante famille, je n'en finirais pas; une cependant pour terminer cette esquisse.

Dernièrement, mon ami qui est célibataire (détail qui a son importance), avait ... comment dirai-je ... attrapé ... ce que nos pères appelaient «un coup de pied de Vénus».

Occupant une situation quasi-officielle, il ne tenait naturellement pas à ce que cet incident fût crié par dessus les toits, aussi s'entourait-il de précautions infinies.

Cette indisposition ne l'empêchant nullement de vaquer à ses affaires, il était un jour enfermé dans son cabinet avec deux familles, élaborant un contrat de mariage.

Madame Pittalugue, toujours zélée, se précipite dans l'étude, demandant aux clercs à parler immédiatement au maître.

On lui répond que c'est impossible dans ce moment, mais ne se tenant pas pour battue, elle force la consigne et tombant comme un aérolithe dans la pièce à côté, s'écrie joyeuse en tendant une facture à Monsieur:

—C'est pour votre petite note de copahu!


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