Histoire de France: Tirée de Ducoudray
CHAPITRE XIII
LOUIS XIII (1610-1643)—MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU
Régence de Marie de Médicis.—La mort prématurée de Henri IV rejeta le royaume dans la confusion. Son fils, Louis XIII, n'avait pas neuf ans, et la régente, Marie de Médicis, princesse étrangère, d'un caractère faible, n'était point femme à continuer la sage et ferme politique de Henri IV. Elle combla de dignités et des plus hautes charges de la cour un Italien, Concini, et, en quatre ans, son faible et funeste gouvernement avait dissipé les millions amassés par Henri.
Les seigneurs se révoltaient pour se faire acheter leur soumission par de grosses pensions. Voulant paraître faire quelque chose pour le bien public, ils demandèrent la convocation des États généraux (1614). Dans cette réunion on vit commencer entre les trois Ordres la lutte qui, un siècle plus tard, devait déchirer la France. Le président du tiers état dit que les trois Ordres étaient trois frères, enfants de leur mère commune, la France. La noblesse protesta contre cette comparaison qui tendait à établir l'égalité des seigneurs et du peuple. Elle chercha à humilier les députés du tiers, et la querelle devint si vive que la cour, dès qu'elle eut obtenu les subsides demandés, se hâta de renvoyer les États. Ce furent les derniers avant ceux de 1789.
Concini et de Luynes.—La faveur insolente de Concini, devenu marquis d'Ancre et maréchal de France, ne put durer. Louis XIII, écarté des affaires et livré aux amusements les plus puérils, écouta les conseils d'un gentilhomme, Albert de Luynes, qu'il affectionnait beaucoup à cause de son habileté à dresser des pièges aux oiseaux. De Luynes persuada au jeune prince de ressaisir l'autorité par un coup hardi. Le maréchal d'Ancre fut tué un matin qu'il entrait au Louvre (1617). La reine mère dut se retirer à Blois, et Louis XIII crut enfin régner, lorsque le vrai maître c'était de Luynes.
Au favori de la reine mère succéda le favori du roi, et le vainqueur montra même avidité, même incapacité. Albert de Luynes fut fait connétable sans avoir jamais commandé un régiment, puis chancelier. Aussi a-t-on dit de lui «qu'il était aussi propre à faire un magistrat en temps de guerre qu'un général en temps de paix.» Albert de Luynes montra cependant quelque énergie contre le parti protestant qui reprenait les armes, et mourut enlevé par une épidémie au siège de Montauban (1621). Au règne des favoris qui peuvent à peine distraire un roi ennuyé, succède enfin le règne d'un vrai ministre.
Le ministère de Richelieu.—En 1624 arriva au pouvoir Armand du Plessis de Richelieu. Richelieu était le troisième fils d'un capitaine des gardes de Henri IV. Suivant l'usage, l'aîné suivit la carrière des armes, le second embrassa l'état ecclésiastique, mais bientôt se confina dans un cloître, et le troisième le remplaça dans les dignités ecclésiastiques et devint évêque de Luçon. Aumônier de la reine Marie de Médicis, protégé par elle, il partagea sa mauvaise fortune après la chute de Concini, puis s'entremit avec zèle pour réconcilier la mère et le fils. Après la mort de Luynes, l'évêque de Luçon qui avait déjà donné bien des preuves de sa haute intelligence, reçut le chapeau de cardinal; le roi refusait cependant de l'admettre au conseil. «Cet homme, disait-il à la reine mère, je le connais mieux que vous, madame; il est d'une ambition démesurée.» L'habileté et la patience du cardinal, la volonté de Marie de Médicis triomphèrent des hésitations du roi, et, dès que Richelieu fut au conseil (1624), il y fut bientôt le maître.
Richelieu, une fois au pouvoir, jugea nettement la situation. Il inaugura une politique nouvelle, hardie à l'intérieur comme à l'extérieur. «Le roi a changé de conseil et le ministère de maximes,» écrivait-il dans une de ses plus fières dépêches.
Ayant résolu d'abord d'en finir avec les protestants qui remuaient toujours, il conduisit le roi au siège de la Rochelle, «ce nid d'où avaient coutume d'éclore les desseins de révolte.» C'était la grande forteresse du parti protestant et les seigneurs catholiques ne se dissimulaient pas qu'elle leur était utile en embarrassant la royauté. Le cardinal de Richelieu anime tout de son âme; le mot d'ordre est: «passer ou mourir.» Enfin on parvient, malgré la flotte anglaise, à jeter dans l'île 6000 soldats; les Anglais, vaincus dans une bataille sanglante, sont obligés de se retirer et d'abandonner la Rochelle à ses seules ressources. Mais la ville était forte. L'énergie des habitants s'exalta, soutenue par les ardentes prédications du ministre Salbert, par le courage viril de la vieille duchesse de Rohan, et surtout par son maire, le rude marin Guiton. En acceptant cette charge, Guiton déclara qu'il poignarderait de sa propre main quiconque parlerait de se rendre; pour rappeler cette menace, il plaçait son poignard sur la table du conseil. Le ministre cependant se montrait général, intendant des vivres, ingénieur; pour affamer la ville, il eut recours à une digue de 700 toises; du côté de la terre une circonvallation s'étendait sur plus de trois lieues, garnie de treize forts. Enfin la famine est dans la Rochelle; Guiton reste inébranlable, attendant les secours de la flotte anglaise qui deux fois apparaît à la vue de la ville assiégée et deux fois recule devant la marine improvisée de Richelieu. On montre à Guiton des habitants expirant de faim: «Il faudra bien que nous en venions tous là,» se contente-t-il de répondre. «Mais bientôt la ville n'aura plus d'habitants.—C'est assez qu'il en reste un pour fermer les portes.» Enfin la révolte se met dans la ville, il a fallu exécuter plusieurs des malheureux qui demandent du pain ou la capitulation. Les rues sont parcourues par des «ombres d'hommes vivants» et encombrées de cadavres qu'on n'a plus le courage d'ensevelir. Il faut finir par se rendre au cardinal qui entre dans la ville précédé d'un grand convoi de vivres, «marchant seul devant le roi,» comme pour bien montrer qu'il était la seconde personne de France (1628).
Au dehors, Richelieu défendait les intérêts de la France. «Jusqu'où allait la Gaule, disait-il, jusque-là doit aller la France.» Ce ne fut pas sa faute s'il ne réalisa pas cette parole: il en fut bien près. Il prit surtout part à la grande lutte qui armait alors une moitié de l'Europe contre l'autre, et connue dans l'histoire sous le nom de guerre de Trente Ans (1618-1648), lutte qui avait pour but d'empêcher l'Allemagne de devenir la proie de la maison d'Autriche.
Celle-ci avait déjà écrasé deux adversaires. Richelieu va en chercher un troisième au fond du Nord, le roi de Suède Gustave-Adolphe, un des plus grands capitaines de l'époque, «un soleil levant,» comme on l'appelait. Gustave-Adolphe se lance sur l'Allemagne, «fait une guerre à coups de foudre,» mais tombe bientôt enseveli dans un dernier triomphe à Lutzen (1632).
Mais dès la seconde campagne la France est envahie. La ville de Corbie est prise; l'effroi règne dans Paris. Déjà les bourgeois s'imaginaient voir arriver les Impériaux. Quelques-uns, collant l'oreille contre terre, prétendaient entendre le canon ennemi. Richelieu lui-même désespère. Son fidèle conseiller, le capucin Père Joseph, ranime son courage et l'engage à se montrer. Richelieu sort: il va à l'Hôtel de ville pour réclamer l'appui du peuple. Le patriotisme éclate. Les volontaires affluent et le maréchal de la Force reçoit leurs noms sur le perron de l'Hôtel de ville. L'armée marche sur Corbie, qui est repris aux Espagnols.
Même pendant qu'il épuisait sa vie à la poursuite de ces grands desseins, Richelieu avait encore à se défendre contre les intrigues et les complots. Il avait dû réprimer une révolte du comte de Soissons qui périt au combat de la Marfée (1641). Il lui fallut, aussi en 1642, donner encore un terrible exemple par le supplice d'un jeune seigneur, Cinq-Mars, qui avait conspiré et traité avec l'Espagne. Cinq-Mars fut décapité, à Lyon, avec son ami, le jeune de Thou, accusé seulement de ne pas l'avoir dénoncé et dont le sort inspira une juste pitié (12 septembre 1642).
Richelieu était déjà atteint de la maladie qui devait l'enlever quelques mois après. Il voyageait tantôt sur un bateau, tantôt, quand on ne pouvait naviguer, dans une vaste litière portée sur les épaules de ses gardes: cette litière était si vaste et si haute qu'on abattait devant elle des pans de murailles, les portes des villes et des édifices étant trop étroites pour lui donner passage; il arriva ainsi à Paris le 17 octobre, au milieu de la foule étonnée et terrifiée en présence d'un pareil triomphateur.
Cependant sa santé, minée par les travaux, par les soucis du pouvoir, faisait prévoir une fin prochaine. Louis XIII vint lui rendre visite et essaya de lui donner quelques consolations. «Sire, lui dit le cardinal, voici le dernier adieu. En prenant congé de Votre Majesté, j'ai la consolation de laisser son royaume plus puissant qu'il n'a jamais été et vos ennemis abattus.» Aux derniers moments, Richelieu, qui ne voulait plus être flatté, fit signe à celui des médecins en qui il avait le plus de confiance: «Parlez-moi, dit-il, à cœur ouvert, non en médecin, mais en ami.—Monseigneur, dans vingt-quatre heures vous serez mort ou guéri.—C'est parler, cela, dit Richelieu, je vous entends.» Et il se recueillit pour mourir. «Voilà mon juge qui doit bientôt prononcer mon arrêt, dit-il: je le supplie de me condamner si pendant mon ministère j'ai eu d'autre objet que le bien de l'État, le service de mon souverain, la gloire de Dieu et les avantages de la religion.» En entendant ces dernières paroles, l'évêque de Lisieux ne put s'empêcher de dire tout bas: «Voilà une assurance qui m'épouvante.» Richelieu expira le 4 décembre 1642.
Pierre Corneille (1606-1684.)—L'époque de Louis XIII est celle où la nation française est vraiment constituée. Dès ce jour aussi sa langue est formée et sa littérature arrive au plus haut point de la perfection avec le philosophe René Descartes et le poète Pierre Corneille.
Corneille était né à Rouen le 6 juin 1606; son père était avocat du roi au parlement de Normandie. L'aîné de sept enfants, Pierre fut placé de bonne heure au collège des Jésuites de la ville, et il fut reçu avocat comme son père. Mais sa vocation le portait vers la poésie et le théâtre. Sa tragédie, le Cid, fut accueilli avec un enthousiasme sans précédent. On ne pouvait se lasser de voir cette pièce; chacun en savait quelque partie par cœur; on la faisait apprendre aux enfants, et il était passé en proverbe de dire: Cela est beau comme le Cid.
En 1639 et 1640, Corneille écrivit encore Horace, Cinna, Polyeucte, trois chefs-d'œuvre. Sa vie, vouée tout entière à la culture des lettres, fut sans agitation extérieure, et ses dernières années s'écoulèrent dans la gêne et dans la tristesse. Il mourut à Paris, en 1684.
La popularité du grand poète a survécu et s'est même augmentée avec le temps. Selon l'expression d'un éminent critique, elle honore notre pays. «Elle y est l'effet de cet amour pour les grandes choses et de cette passion pour les grands hommes qui sont un des traits de notre caractère national. Le jour où Corneille cesserait d'être populaire sur notre théâtre, nous aurions cessé d'être une grande nation.»
Il ne faut pas non plus oublier les services rendus aux lettres par Richelieu, qui aimait les poètes jusqu'à en être jaloux; les pensions accordées aux écrivains; la création de la presse périodique, par le privilège de la Gazette de France, accordé au médecin Renaudot; et surtout l'institution de l'Académie française (1635).
CHAPITRE XIV
LOUIS XIV (1643-1715)—MAZARIN
Bataille de Rocroy.—Richelieu n'avait pas eu le temps d'achever la longue guerre dans laquelle nous étions engagés. Louis XIII le suivit quelques mois après au tombeau (mai 1643). Cette double mort releva le courage des Espagnols; le trône passait à un enfant de cinq ans, la régence à une femme. Les ennemis avaient repris l'offensive du côté de la Champagne et assiégeaient Rocroy. Le jeune duc d'Enghien, fils du prince de Condé, commandait de ce côté: il avait reçu comme dot de son mariage avec une nièce de Richelieu la direction d'une armée, et il en était digne. Ayant la ressemblance il a aussi l'audace de l'aigle. Cinq jours après la mort du roi, malgré l'avis de ses plus vieux officiers, il ose attaquer une armée presque double de la sienne et composée en grande partie de ces vieilles bandes espagnoles dont, depuis Pavie, la réputation était si grande. Les Espagnols, suffisamment couverts par les marais et les bois dont Rocroy est entouré, pressaient vivement le siège. On se canonna d'abord jusqu'à la nuit, et le lendemain (19 mai 1643) on s'ébranle pour un choc décisif. Le duc d'Enghien avec Gassion, enfonce l'aile gauche des Espagnols; les deux chefs, manœuvrant habilement, se séparent: Gassion poursuit les fuyards, Enghien se jette sur le centre ennemi. Or, à ce moment l'aile droite des Espagnols, victorieuse, écrasait les Français dont les chefs étaient mis hors de combat. Enghien voit le danger et le prévient. Il passe avec sa cavalerie derrière les lignes ennemies et court attaquer l'aile droite espagnole qui se croyait maîtresse du champ de bataille. Cette manœuvre, dont on n'avait point eu d'exemple, décida du succès; il fallait le compléter. Restaient au milieu de la plaine les gros bataillons de l'infanterie espagnole jusque-là invincibles: ils se forment en carrés; dès que les nôtres approchent, les carrés s'ouvrent, démasquant dix-huit pièces de canon, qui vomissent la mort de toutes parts. Mais les bandes espagnoles sont entourées; Gassion a rejoint le duc d'Enghien. Toute l'armée française se précipite contre les quatre mille vieux soldats qui résistent avec la plus admirable intrépidité. Enfin, pour éviter un carnage inutile, des officiers espagnols demandent quartier. Enghien s'avance pour les écouter; soit erreur, soit exaltation, les soldats espagnols continuent le feu. Alors nos troupes indignées se précipitent de nouveau avec fureur et cette glorieuse journée se termina par le carnage le plus affreux. Sept mille ennemis jonchaient le champ de bataille; deux cents étendards étaient le trophée de cette victoire d'un général de vingt-deux ans.
La réputation que venaient de gagner et nos troupes et Condé fut soutenue l'année suivante à Fribourg (grand-duché de Bade), où, de concert avec un autre illustre capitaine, le vicomte de Turenne, il vainquit, après plusieurs attaques meurtrières, l'habile général bavarois Merci (1644).
Turenne.—Tout jeune, Turenne avait manifesté un vif amour des combats. Par une froide soirée d'hiver, il s'échappa du château. Sa mère, saisie d'une inquiétude mortelle, envoya à sa recherche. Son père, le duc de Bouillon, averti, s'écria: «Je gage qu'il est sur les remparts, dans quelque bivouac, à se faire raconter des histoires de guerre.» Le duc de Bouillon alla donc de bivouac en bivouac et bientôt rencontra son fils qui, de lassitude, dormait sur l'affût d'un canon. «L'ennemi, l'ennemi!» lui cria son père. Turenne s'éveilla aussitôt et se mettait dans l'attitude du combat, lorsque son père l'entoura dans ses bras en lui disant: «Prisonnier! prisonnier!» Fort grondé, Turenne s'excusa en répondant: «Je voulais, mon père, en me couchant sur la dure par cette nuit glacée, m'essayer aux fatigues de la guerre et voir si je serais capable de faire bientôt mes premières armes sous vos ordres.»
Mazarin.—A Paris heureusement règne, sous le nom de la régente Anne d'Autriche, un ministre qui s'entend à recueillir le fruit de ces victoires et continue la politique de Richelieu; c'est Mazarin. Né à Rome en 1602, d'une famille sicilienne assez obscure, Mazarin avait d'abord étudié chez les jésuites: il se distingua de bonne heure, aux représentations du collège, par cet art de comédien qu'il déploya plus tard sur le théâtre de la politique. Ami des plaisirs et du jeu, on le vit s'attacher à une grande famille, celle des Colonna, accompagner un jeune prince de cette maison aux universités d'Espagne, jouer à Madrid comme à Rome, mais étudier néanmoins. Il laissa bientôt les livres pour l'épée et partit capitaine dans un régiment. Puis il débuta dans la diplomatie comme attaché de légation, et, du premier coup, effaça ses maîtres. Il arrêta deux armées, dont l'une était l'armée française, prêtes à engager une grande bataille (1630 à 1631). Richelieu l'apprécia, l'attira en France et obtint pour lui en 1640 le chapeau de cardinal bien qu'il ne fût pas prêtre. Si Mazarin était étranger, il avait le cœur français et le prouva dès qu'Anne d'Autriche lui eut confié le pouvoir. Mazarin donna toute son attention à la grande lutte contre l'Empire et contre l'Espagne, et, lorsque de nouvelles victoires de Condé à Nordlingen (1645) et à Lens (en Artois) (1648) eurent enfin déterminé l'Empire à signer la paix, l'habile ministre conclut le traité de Westphalie qui modifiait ou plutôt rétablissait l'équilibre de l'Europe. La France y gagnait l'Alsace. L’Espagne continua la guerre, mais onze ans plus tard elle céda à son tour; Mazarin eut encore la gloire de négocier et de signer le traité des Pyrénées, qui nous abandonnait l'Artois et le Roussillon. La France avançait ainsi de plus en plus vers ses limites naturelles.
La Fronde.—Le ministre était moins heureux à l'intérieur. Mazarin ne ressemblait en rien à Richelieu. Doué de beaucoup d'esprit, actif, il était surtout souple et patient; il savait courber la tête devant l'orage, pour surnager ensuite «comme le liège qui revient sur l'eau.» Son titre d'étranger avait obligé Mazarin, comme la reine, à beaucoup donner au commencement de son ministère; la guerre vint encore ajouter à la pénurie du trésor épuisé.
Au mois de janvier 1649, la régente s'enfuit de Paris à Saint-Germain, où la cour coucha presque sur la paille, en plein hiver. Une guerre peu sérieuse commença, à laquelle on donna le nom d'un jeu d'enfants, la Fronde: Les Parisiens sortaient en campagne ornés de plumes et de rubans. Ils fuyaient dès qu'ils rencontraient deux cents hommes de l'armée royale. Tout se tournait en raillerie. Les troupes parisiennes, qui revenaient toujours battues, étaient reçues avec des huées et des éclats de rire... Les cabarets étaient les tentes où l'on tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chansons et de la gaieté la plus dissolue.
On lisait autrefois l'histoire de la Fronde en riant, il faut en réalité la lire en pleurant. En plein dix-septième siècle, on peut se croire revenu aux guerres des Anglais ou aux luttes des Bourguignons et des Armagnacs.[8] Les terres sont tombées en friche sur beaucoup de points du royaume et des villages entiers abandonnés de leurs habitants; les routes couvertes de milliers de malheureux expirant de faim, l'infection répandue partout dans les campagnes par des cadavres sans sépulture. Dans les campagnes on ne laboure plus, ou on s'attroupe pour aller à la charrue en armes à cause des bandes de pillards et de soldats errants; en Picardie, des populations entières vivent dans des grottes ou dans des carrières; les loups se multiplient et prennent possession des villages déserts.
Saint Vincent de Paul.—Les misères que causa la guerre folle de la Fronde mirent en relief les vertus de saint Vincent de Paul qui avait voué sa vie aux œuvres de charité. Il avait déjà, sous le règne de Louis XIII, fondé la confrérie des Prêtres de la Mission pour évangéliser les campagnes, et institué la congrégation des Filles ou Sœurs de la Charité. Ému de compassion pour les nombreux enfants qu'on abandonnait, il les avait recueillis. Faisant appel à la générosité des puissantes familles qui le secondaient, il vit les plus grandes dames lui apporter leurs bijoux, leurs bracelets, leurs colliers et fonda l'Œuvre des Enfants-Trouvés (1638).
Mazarin mourut en 1661 après avoir apaisé les troubles au dedans et terminé les guerres au dehors. Il laissa à Louis XIV une autorité tellement absolue que jamais souverain en France n'en avait eu de semblable. Noblesse, Parlement, peuple, tout était aux pieds du roi.
Louis XIV et sa cour.—Louis XIV ne voulut plus de premier ministre. Quand on vint lui demander, à la mort de Mazarin, à qui il fallait s'adresser pour les affaires: «A moi,» répondit-il, et il commença, dès ce jour, à gouverner par lui-même.
Son éducation pourtant avait été fort négligée, mais il y suppléa par un esprit naturel. D'ailleurs sa taille, son port, son grand air, l'adresse et la grâce majestueuse de toute sa personne le faisaient distinguer au milieu de tous les autres hommes, selon une heureuse expression, comme le roi des abeilles. Il aima l'ordre et la règle. Il aima la gloire et la magnificence. Mais il imposa l'ordre et la règle jusqu'à la tyrannie; son amour de la gloire dégénéra en une ambition immodérée et son goût de la magnificence alla jusqu'à la profusion. La flatterie l'enivra à un tel point que sans la crainte du diable, dit dans ses Mémoires le duc de Saint-Simon, il se serait fait adorer.
Il réduisit les nobles à servir d'ornements à sa cour. Pour lui plaire, ils se jetèrent en des dépenses excessives en habits, en équipages, en bâtiments, si bien qu'il leur fallait, pour soutenir ce luxe, recourir à ses libéralités.
Afin de piquer l'émulation des seigneurs, Louis XIV multipliait les distinctions. Les uns avaient le droit d'entrer dans sa chambre dès son réveil et pendant qu'il s'habillait. Les autres n'entraient que plus tard. Le soir, quand il se couchait, il donnait le bougeoir à tenir à l'un des plus titrés et c'était une faveur; il fallait lui demander la permission de l'accompagner dans ses voyages. Il vivait ainsi au milieu de sa noblesse comme jadis les rois francs au milieu de leurs guerriers, avec cette différence que la politesse la plus raffinée avait remplacé la grossièreté barbare. Les courtisans épiaient jusqu'aux paroles, jusqu'au sourire du roi et se trouvaient honorés d'un regard.
Ministres et grands hommes.—Louis eut le bonheur de rencontrer et le mérite d'apprécier des ministres d'un rare génie. Colbert rétablit les finances, développa notre industrie et notre commerce. Louvois organisa l'armée. Vauban fortifia les places et perfectionna l'art de prendre les villes. Turenne, Condé ne demandaient qu'à gagner de nouvelles victoires.
Colbert (1619-1683).—Colbert fut, si l'on peut ainsi parler, le ministre de la paix. Fils d'un marchand de drap de Reims, il entra au service de Le Tellier, puis à celui de Mazarin. Avant de mourir, Mazarin dit à Louis XIV: «Sire, je vous dois tout, mais je crois m'acquitter en quelque manière en vous donnant Colbert.» Ce fut en effet le ministre le plus sage comme le plus utile de Louis XIV. Parvenu à la plus haute fortune, il ne l'oublia point et écrivait dans ses instructions à son fils: «Mon fils doit souvent faire réflexion sur ce que sa naissance l'aurait fait être si Dieu n'avait pas béni mon travail et si ce travail n'avait pas été extrême.»
Ce financier austère et dur, «cet homme de marbre» avait des sentiments élevés et généreux. «Il faut, écrivait-il à Louis XIV, épargner cinq sous aux choses non nécessaires et jeter les millions quand il s'agit de notre gloire. Un repas inutile de 3000 livres me fait une peine incroyable, et lorsqu'il est question de millions d'or pour l'affaire de Pologne, je vendrais tout mon bien, j'engagerais ma femme et mes enfants, et j'irais à pied toute ma vie pour y fournir.» «Je voudrais, disait-il dans une autre circonstance, que mes projets eussent une fin heureuse, que l'abondance régnât dans le royaume, que tout le monde y fût content, et que, sans emploi, sans dignité, éloigné de la cour et des affaires, l'herbe crût dans ma cour.»
Colbert encouragea l'agriculture, exempta de la taille les familles nombreuses et, comme Sully, interdit la saisie des instruments de labour, mais il chercha surtout à développer l'industrie. Il voulut que la France n'achetât plus au dehors les étoffes dont elle avait besoin, attira d'habiles ouvriers et leva, aux frontières, de droits considérables sur les produits des manufactures étrangères. Bientôt à Sedan, à Louviers, à Abbeville, à Elbeuf, on fabriqua des draps recherchés; à Lyon, des étoffes de soie mêlées d'or et d'argent; aux Gobelins, à Paris, de plus belles tapisseries que celles de Flandre.
Afin de faciliter le commerce, il supprima quelques-unes des douanes qui existaient entre les provinces, agrandit les ports, répara les routes. Il fit déclarer que le commerce de mer ne dérogeait point à la noblesse; racheta plusieurs des îles des Antilles et développa les colonies en Amérique et en Asie. La marine marchande devint bientôt florissante, et Louis XIV eut à Brest une flotte militaire de cinquante vaisseaux.
Malgré tant de services et bien d'autres que nous ne pouvons énumérer, Colbert, qui cherchait en vain à arrêter Louis XIV sur la voie des funestes et ruineuses entreprises, mourut presque disgracié du roi pour la gloire duquel il avait tant travaillé. «Si j'avais fait pour Dieu ce que j'ai fait pour cet homme, disait-il, je serais sauvé dix fois.» Il refusa de lire une lettre que le roi lui adressait. Le peuple même, mécontent des derniers édits financiers dont Colbert n'était certes point coupable, voulait outrager les restes de ce grand ministre, trop dur et trop inflexible à la vérité pour être populaire. «Le roi fut ingrat, le peuple fut ingrat, la postérité seule, dit Augustin Thierry, a été juste.»
Louvois (1641-1691).—Louvois organisa le système militaire qui devait se maintenir jusqu'en 1789. Fils de Michel Le Tellier, secrétaire d'État de la guerre, il fut désigné, dès l'âge de quinze ans, pour obtenir la charge de son père. Il fut en quelque sorte élevé pour les fonctions qu'il allait remplir. Serviteur parfois désagréable, trop souvent complaisant, toujours associé à la pensée de son maître, il était intègre, soucieux des intérêts du soldat; il établit un ordre sévère dans l'administration, les subsistances de l'armée, ce qui ne l'empêchait pas de faire ravager d'une manière horrible les pays ennemis.
Louvois obligea les propriétaires de régiments (car les régiments étaient alors une propriété) à les tenir complets, à veiller à leur subsistance, à leur habillement, qui fut uniforme dans chaque régiment; de là l'origine de l'uniforme.
La discipline militaire s'exerça à tous les rangs de la hiérarchie militaire, des reproches atteignirent les officiers négligents. Mme de Sévigné nous a conservé un curieux dialogue entre un colonel de bonne famille et le rude ministre. «M. de Louvois dit l'autre jour tout haut à M. de Nogaret: «Monsieur, votre compagnie est en fort mauvais état.—Monsieur, je ne le savais pas.—Il faut le savoir, dit M. de Louvois; l'avez-vous vue?—Non, monsieur, dit Nogaret.—Il faudrait l'avoir vue, monsieur.—Monsieur, j'y donnerai ordre.—Il faudrait l'avoir donné; car enfin il faut prendre parti, monsieur, ou se déclarer courtisan, ou faire son devoir quand on est officier.» Les officiers généraux avancèrent selon la durée des services. Louvois remplaça la pique par le fusil armé de la baïonnette. Il créa des magasins de vivres pour l'approvisionnement des armées en campagne, des hôpitaux militaires, et, sur les conseils de Louis XIV, fit construire le magnifique Hôtel des Invalides. Mais Louvois poussa trop Louis XIV à la guerre et mourut en 1691, au moment où ses funestes inspirations engageaient le roi dans les luttes les plus acharnées contre l'Europe.
Vauban (1633-1707).—«Né le plus pauvre gentilhomme du royaume,» comme il le disait lui-même, Sébastien Le Prestre, seigneur de Vauban, n'avait qu'une chaumière de paysan: une seule chambre, une grange et une écurie; on la montre encore dans le Morvan bourguignon, et elle fut longtemps au dix-huitième siècle occupée par un sabotier. Orphelin à l'âge de dix ans, il reçut quelques leçons du pauvre curé de son village, pour lequel il travaillait en échange de l'abri qu'il avait reçu chez lui. A dix-sept ans, il s'engage dans les troupes de Condé pendant la Fronde, se distingue, est fait prisonnier. Mazarin, qui a entendu dire que le jeune soldat s'entend en fortifications, le convertit facilement à la cause royale. On l'attache comme aide à un homme médiocre qui passait pour le premier ingénieur du temps. Vauban eut bientôt dépassé son maître, qui mourut à temps pour lui laisser sa place; dès 1677 il fut nommé commissaire général des fortifications du royaume.
Sa vie militaire est des mieux remplies: «il a fait réparer 300 places fortes anciennes, en a fait construire 33 neuves; il a conduit 53 sièges et s'est trouvé en personne à 143 engagements de vigueur.» Il porte l'art de la défense au degré de perfection où il avait aussi porté l'art de l'attaque, de sorte que dans l'armée il y avait deux dictons militaires: «Ville assiégée par Vauban, ville prise; ville fortifiée par Vauban, ville imprenable.»
Vauban, pour lui-même hardi jusqu'à la témérité, se montra toujours ménager au plus haut degré du sang des autres; à ce point de vue, l'homme de guerre est digne de vénération. «Il ne faut jamais, a-t-il écrit quelque part, faire à découvert ni par force ce qu'on peut faire par industrie. La précipitation ne hâte point la prise des places... Il vaut mieux brûler plus de poudre et verser moins de sang.»—«Sire, disait-il à Louis XIV, j'aime mieux conserver 100 soldats à Votre Majesté que d'en tuer 3000 aux ennemis;» et une autre fois: «Vous gagnerez un jour, mais vous perdrez 1000 hommes: ne le faites pas;» ou: «Vous perdrez tel homme qui vaut mieux que le fort: n'attaquez pas.»—C'était, nous dit Saint-Simon qui n'a pas habitude de flatter, «le plus honnête homme et le plus vertueux homme de son siècle, le plus simple, le plus vrai, le plus modeste.» C'était aussi un grand citoyen, pour lequel ce sévère Saint-Simon créa le nom de patriote.
Jeune, ardent, ambitieux, Louis XIV voulut encore agrandir la France. Dans une campagne qui sembla le voyage d'une cour (1667), il fit la conquête de la Flandre et gagna la possession de la forte place de Lille, conquête précieuse qui fut confirmée par le traité d'Aix-la-Chapelle (1668). En 1672, il envahit la Hollande et s'en fût rendu maître si les Hollandais, désespérés, n'eussent rompu les digues qui retenaient la mer, et inondé une partie de leur pays.
Ils furent soutenus par une coalition des principales puissances de l'Europe. Mais les armées de Louis XIV tinrent tête aux Hollandais, aux Allemands, aux Espagnols. Condé gagna sur Guillaume d'Orange, chef ou stathouder de la Hollande, la sanglante bataille de Senef (1674). Turenne délivra l'Alsace, envahie par les Impériaux, et les poursuivit en Allemagne (1675). Malheureusement l'armée se vit tout à coup privée de ce grand général, qui fut tué par un boulet. Les Français battirent en retraite. Il fallut envoyer le prince de Condé pour prendre le commandement; mais ce fut là aussi sa dernière campagne. Son âge et ses infirmités le condamnaient au repos.
Bien que privé de ces deux fameux capitaines, Louis XIV continua la guerre, prit les villes de Valenciennes, de Cambrai, de Gand, et signa les traités de Nimègue (1678) qui lui assuraient la possession de la Flandre et celle de la Franche-Comté.
Mort de Turenne.—La plus belle de toutes ces campagnes fut celle de Turenne, qui, en plein hiver, délivra l'Alsace, occupée par les Impériaux. Malheureusement c'était sa dernière. Au mois de juillet 1675, Turenne, qui était allé chercher les Impériaux au delà du Rhin, avait en face de lui un adversaire redoutable, Montecuculli. Tous deux, en généraux habiles, semblaient faire, avec leurs manœuvres savantes, une vraie partie d'échecs. La partie était sur le point de se terminer, et Turenne allait la gagner. Il avait choisi pour livrer bataille d'admirables positions. Il n'avait pu, lui d'ordinaire si modeste, s'empêcher de s'écrier en voyant les ennemis: «Je les tiens!» Le 27 juillet 1675, la veille de la bataille, Turenne achève ses dernières dispositions. Dans le milieu de la journée, près d'un bouquet de vieux arbres, il s'assied sur le gazon pour déjeuner tranquillement. Vis-à-vis se trouvait une batterie ennemie, dont les décharges ne troublèrent point le repas frugal du héros. Cependant le lieutenant général Saint-Hilaire était soucieux. Cette batterie suspecte lui paraissait avoir pour but de détourner l'attention d'un mouvement que faisaient les troupes ennemies. Il alla en observation et se confirma dans son opinion. Aussitôt il en fait part à Turenne. Turenne monte à cheval pour aller reconnaître le point faible où l'ennemi se proposait de porter ses efforts, et l'emplacement d'une batterie que Saint-Hilaire voulait y établir. «Oui, dit Turenne en arrivant au lieu désigné, oui, Saint-Hilaire, le conseil est bon: dressez une batterie ici.» Au même moment, un boulet casse le bras de Saint-Hilaire et vient frapper Turenne au cœur. Le fils de Saint-Hilaire, voyant son père blessé, se jette sur lui en pleurant: «Ce n'est pas moi, mon fils, répond le blessé en montrant le cadavre de Turenne, c'est ce grand homme qu'il faut pleurer.»
Ce fut, en effet, une perte irréparable et un deuil universel. Le secret de la bataille du lendemain périt avec Turenne. L'armée fut saisie d'une vraie panique; il fallut battre en retraite, et les soldats, répétant «qu'ils avaient perdu leur père,» repassèrent le Rhin. Louis XIV fit rendre les plus grands honneurs à Turenne et voulut qu'il fût enterré dans les caveaux de Saint-Denis; depuis on l'a transporté aux Invalides.
Il fallut, pour rétablir les affaires, une campagne de Condé. Mais ce fut, à lui aussi, sa dernière campagne. Ses infirmités l'obligèrent à se retirer dans son domaine de Chantilly. Il y passa le reste de sa vie, qui se prolongea jusqu'en 1686, se consolant de ses douleurs dans la conversation des hommes de génie en tout genre dont la France était alors remplie. Une foule de poètes, de savants, d'orateurs, d'artistes, rehaussait et glorifiait par des chefs-d'œuvre immortels ce règne si brillant.
Louis XIV est alors au comble de la puissance. Il n'y avait qu'une autorité en France, celle du roi. Louis XIV ne voulut plus qu'une foi religieuse. Cependant les protestants, paisibles, ne formaient plus un parti politique; mais Louis XIV voulut les forcer à se convertir. Enfin il révoqua l’Édit de Nantes (1685). L'exercice du culte protestant fut interdit, ses ministres furent bannis du royaume; trois cent mille réformés les suivirent malgré la surveillance rigoureuse exercée pour empêcher l'émigration et les supplices qui la punissaient. Cette persécution dépeupla un quart du royaume. Elle arrêta les progrès de l'industrie, qui presque tout entière était entre les mains des protestants. Elle fit passer les secrets de nos manufactures aux étrangers et fit fleurir leurs États aux dépens du nôtre.
Louvois, pour hâter le succès des missions organisées pour la conversion des protestants, imagina d'y mêler du militaire. Il logea des gens de guerre chez les calvinistes. Ces soldats commirent les plus grands excès, et, comme les dragons se distinguèrent surtout par les violences, on appela cette exécution les Dragonnades.
L'intendant de Béarn écrivait dans son journal: «Il s'est converti six cents personnes dans cinq villes ou bourgs sur le simple avis que les compagnies étaient en marche. De quatre mille religionnaires qu'il y avait à Orthez, il s'en convertit deux mille avant l'arrivée des troupes, en sorte que, pendant le séjour que j'y fis avec des missionnaires, ils se convertirent tous, à la réserve de vingt familles opiniâtres.» Les nouvelles de conversions ainsi arrachées arrivaient par milliers à la cour. Louvois écrivait à son père, le chancelier Le Tellier: «Il s'est fait 60,000 conversions dans la généralité de Bordeaux et 20,000 dans celle de Montauban. La rapidité dont cela va est telle qu'il ne restera pas 10,000 religionnaires dans toute la généralité de Bordeaux, où il y en avait 150,000 le 15 du mois passé.»
Ces conversions apparentes firent illusion à Louis XIV et lui persuadèrent qu'il n'avait plus qu'à signer la révocation de l'Édit de Nantes pour que le protestantisme fût détruit. Ce fut le commencement de ses fautes et de ses malheurs.
Cette persécution des protestants contribua à rendre plus hostiles les nations protestantes, auxquelles se joignirent les nations catholiques effrayées déjà de l'ambition de Louis XIV. La ligue d'Augsbourg se forma (1686). Louis XIV engagea la lutte (1688) et bientôt compliqua cette nouvelle guerre en voulant rétablir sur le trône d'Angleterre le roi Jacques II, renversé par ses sujets, qu'il avait voulu ramener au catholicisme.
Les vaisseaux français, conduits par l'amiral Tourville, portèrent Jacques II et une armée en Irlande (1690). Mais la cause de ce roi incapable était désespérée. Louis XIV ne s'en obstina pas moins. Tourville soutint un combat glorieux sur mer contre des forces supérieures, mais une partie de ses vaisseaux vint échouer dans la rade de la Hougue, où leurs équipages les brûlèrent pour ne pas les laisser prendre par l'ennemi (1692).
On ne livra plus dès lors de grands combats sur mer, mais de hardis marins, Jean Bart, Duguay-Trouin et une foule d'autres, dans leurs courses audacieuses, infatigables, causent beaucoup de mal au commerce ennemi.
Jean Bart et Duguay-Trouin étaient les fils d'armateurs, l'un de Dunkerque, l'autre de Saint-Malo. Jean Bart tout enfant avait révélé sa vocation; il se plaisait surtout, dans les longues veillées, à construire de petits navires. Jean Bart entre comme lieutenant dans la marine royale en 1679. Duguay-Trouin, plus jeune, n'y entre qu'à la fin de la guerre de la ligue d'Augsbourg. Leurs noms toutefois retentissent ensemble pendant cette guerre.
Jean Bart, fait prisonnier par trahison, menace de mettre le feu aux poudres du bâtiment sur lequel on l'a attiré si on ne le délivre aussitôt.
Duguay-Trouin, avec son navire, soutient seul un combat acharné pendant douze heures contre six navires anglais. Jean Bart s'en va chercher, dans le Nord, un convoi de blé vivement attendu de la France affamée; il le rencontre, mais déjà pris et escorté de huit vaisseaux de guerre hollandais; avec six frégates, il attaque les huit vaisseaux, les bat, en prend trois et rentre triomphant avec le convoi de blé (1694). En 1696, quatorze vaisseaux bloquent Dunkerque pour empêcher Jean Bart de sortir: il sort néanmoins; il rencontre une flotte marchande hollandaise bien escortée: il prend cinq vaisseaux et vingt-cinq bâtiments marchands. Survient une flotte hollandaise: Jean Bart renvoie ses prisonniers sur les cinq vaisseaux dont il s'est rendu maître, et brûle les autres navires en présence des ennemis stupéfaits. Duguay-Trouin, non plus que lui, ne compte ses adversaires et, comme lui, marque chaque année par des prises nombreuses qui ruinent bien plus encore l'ennemi qu'elles n'enrichissent les armateurs. Duguay-Trouin, luttant contre six vaisseaux anglais, force, l'épée à la main, ses matelots à retourner à un combat dont ils ne veulent plus. Un officier se plaignait d'avoir été mal secondé par son équipage. «Mon cher, lui répondit Duguay-Trouin, c'est que vous n'aviez pas de courage pour eux tous.» Jean Bart transportait le prince de Conti en Pologne; on rencontra des forces ennemies bien supérieures, mais on leur échappa. «C'est bien heureux, dit le prince, car nous étions pris.—Non, répondit Jean Bart.—Comment auriez-vous fait?—Plutôt que de me rendre, dit froidement le capitaine, j'aurais fait mettre le feu au vaisseau: nous aurions sauté, mais ils ne nous auraient pas pris.» Le prince frémit à cette révélation: «Le remède est pire que le mal, dit-il; je vous défends de vous en servir tant que je serai sur votre vaisseau.»
Jean Bart meurt en 1702 prématurément, car il n'avait que cinquante ans. Duguay-Trouin lui survit et fournit une brillante carrière pendant la nouvelle lutte que Louis XIV soutient de 1702 à 1714 contre l'Europe coalisée.
Guerre de la Succession d'Espagne.—Les guerres nombreuses avaient déjà épuisé le royaume quand, en 1700, mourut le roi d'Espagne, Charles II, frère de la reine de France. Louis XIV prétendait à la succession pour ses enfants. D'ailleurs, par un testament qu'on avait su obtenir de lui, Charles II avait légué à un petit-fils de Louis XIV la monarchie espagnole, qui comprenait l'Espagne, les Pays-Bas, le royaume de Naples et le Milanais. Louis, présentant son petit-fils à sa cour, dit simplement: «Messieurs, voilà le roi d'Espagne.» Puis se tournant vers son petit-fils, il lui dit: «Seulement n'oubliez pas que vous êtes fils de France.» L'ambassadeur d'Espagne fit observer que le passage allait devenir aisé, «que les Pyrénées étaient fondues.» On a fait de cette remarque le mot célèbre: «Il n'y a plus de Pyrénées.»
L’Europe s'effraya de la puissance que cet avènement d'un prince français au trône d'Espagne donnait à notre pays. Elle craignit que l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas fussent un jour réunis à la France, et Louis XIV commit la faute de laisser voir qu'il espérait cette réunion. La France eût alors constitué une puissance beaucoup plus redoutable que celle de Charles-Quint. Dès lors ce fut de la part de l'Europe une haine violente et une guerre acharnée qui se prolongea treize ans.
Les premières années, Louis XIV soutint la lutte avec avantage, mais il confiait trop souvent ses armées à des favoris et prétendait les diriger de Versailles. Il fallut sortir de l'Allemagne, puis de l'Italie après la bataille de Turin (1706). Les défaites de Ramillies (1706), d'Oudenarde (1708), nous forcèrent à abandonner les Pays-Bas. La France fut envahie. Malgré l'héroïque défense du maréchal de Boufflers, la ville de Lille dut capituler (1708). Des cavaliers ennemis coururent jusqu'à Versailles et enlevèrent sur le pont de Sèvres un officier de la maison du roi qu'ils prirent pour le dauphin.
L'hiver de 1709 fut horrible. «Une gelée, qui dura près de deux mois de la même force, avait, dès ses premiers jours, rendu les rivières solides jusqu'à leur embouchure et les bords de la mer capables de porter des charrettes. Les arbres fruitiers périrent, il ne resta plus ni noyers, ni oliviers, ni pommiers, ni vignes; les autres arbres moururent en très grand nombre; les jardins périrent et tous les grains dans la terre. On ne peut comprendre la désolation de cette ruine générale.»
Louis XIV, courbant son orgueil devant tant de malheurs, demanda la paix. Les coalisés, le croyant réduit à toute extrémité n'en devinrent que plus acharnés: ils voulurent le forcer à chasser lui-même Philippe V d'Espagne. «Mieux vaut faire la guerre à mes ennemis qu'à mes enfants,» répondit-il, et il releva la tête; il écrivit à tous les gouverneurs, aux évêques, une lettre noble et patriotique. Le sentiment national éclata et fit oublier toutes les souffrances. «Les soldats de Villars n'avaient point de pain et ils étaient gais.»—«Quand des brigades marchent, écrivait Villars, il faut que les brigades qui ne marchent pas jeûnent. On s'accoutume à tout. Je crois cependant que l'habitude de ne pas manger n'est pas bien facile à prendre.» Attaqués à Malplaquet (septembre 1709), les soldats jetèrent le pain qu'on venait de leur distribuer, pour courir plus légèrement au combat. Ils furent vaincus, mais causèrent à l'ennemi plus de mal qu'ils n'en reçurent. L'espoir revint à la France.
En Espagne, Vendôme gagna la bataille de Villaviciosa et dit à Philippe V fatigué: «Je vais vous faire donner le plus beau lit sur lequel un roi ait couché.» Il fit apporter les étendards et les drapeaux pris à l'ennemi.
Des malheurs domestiques vinrent, en même temps que les malheurs de l'État, accabler Louis XIV vieillissant. Le dauphin mourut en 1711; le fils du dauphin, le duc de Bourgogne, mourut avec sa femme en 1712. Louis XIV se trouva presque isolé; il n'avait plus pour héritier qu'un arrière-petit-fils âgé de cinq ans. Et à ce moment la France était menacée d'une invasion. Louis XIV confia à Villars sa dernière armée, il lui dit d'un ton pénétré: «Vous voyez mon état, monsieur le maréchal; il y a bien peu d'exemples de ce qui m'arrive et que l'on perde, dans la même semaine, son petit-fils, sa petite belle-fille, et leur fils, tous de très grande espérance et très tendrement aimés. Dieu me punit: je l'ai bien mérité,» puis il ajouta: «La confiance que j'ai en vous est bien marquée, puisque je vous remets les forces et le salut de l'État. Je connais votre zèle et la valeur de mes troupes, mais enfin la fortune peut vous être contraire: s'il arrivait ce malheur à l'armée que vous commandez, quel serait votre sentiment sur le parti que j'aurais à prendre?» Villars n'osait répondre, balbutiait. Le roi reprit: «Je compterais aller à Péronne ou à Saint-Quentin y ramasser tout ce que j'aurais de troupes, faire un dernier effort avec vous et périr ensemble ou sauver l'État.» Noble parole qui en fait oublier d'autres, trop égoïstes; il n'eut pas besoin de la tenir.
Villars, avec une habile et heureuse audace, enleva un camp retranché à Denain (1712). Ce fut une victoire complète, que suivit la conquête des places surprises par les ennemis. La France était sauvée.
Louis XIV et les lettres.—La France, à cette époque, s'enorgueillissait de ses écrivains et de ses artistes, que Louis XIV encourageait. Aussi a-ton reconnu cette protection royale en réunissant autour de son nom tous les hommes de génie du siècle.
Le roi combla de faveurs Racine, qui nous a laissé des tragédies aussi nobles que touchantes; Boileau, qui par ses préceptes et ses exemples donna dans ses vers les règles de l'art d'écrire; Molière, dont les comédies spirituelles tournaient en ridicule les vices et les défauts de la société. Apprenant qu'à sa cour Molière subissait des avanies parce qu'il était comédien, Louis XIV le fit un jour asseoir à sa table: «Vous me voyez, dit-il aux seigneurs, occupé à faire manger Molière, que mes officiers ne trouvent pas d'assez bonne compagnie pour eux.»
Boileau, dont les satires étaient mordantes, avait cependant le caractère le plus généreux. Apprenant que des nécessités financières avaient fait supprimer la pension du vieux Corneille,[9] il écrivait aussitôt au roi et offrit le sacrifice de sa propre pension. Louis XIV n'accepta pas ce sacrifice, maintint la pension de Corneille et lui envoya en outre deux cents louis d'or.
Mais le charmant fabuliste La Fontaine déplaisait au roi, qui ne comprenait pas le génie du Bonhomme aujourd'hui tant aimé de l'enfance.
En 1715 Louis mourait, à l'âge de 77 ans, laissant la France plus grande qu'il ne l'avait reçue, mais meurtrie et épuisée.
CHAPITRE XV
LOUIS XV (1715-1774)
Louis XV; la Régence.—Une joie inconvenante accompagna les funérailles du grand roi. La Régence commença, temps resté fameux par la licence à laquelle s'abandonnèrent la cour et la noblesse, invitées au plaisir par le régent lui-même, le duc d'Orléans, neveu de Louis XIV, qui se dégrada au milieu des débauches avec ses amis.
La grande difficulté était de trouver de l'argent pour payer les dettes de l'État et aussi celles des seigneurs. Le duc d'Orléans accorda sa confiance à un Écossais Law. Celui-ci voulait répandre l'usage du papier comme monnaie. Il créa une banque qui émettait des billets très utiles pour les grandes transactions. Il fonda aussi une Compagnie des Indes, destinée, selon lui, à réaliser d'immenses bénéfices; tout le monde voulait s'associer à une entreprise qui promettait d'être si fructueuse et on acheta en foule des actions de la compagnie. Toutes les têtes étaient tournées. Le prix de ces actions s'élevant sans cesse, avec une rapidité incroyable, on n'avait qu'à revendre aussitôt pour faire des gains énormes: des artisans, des laquais devinrent millionaires. Pour satisfaire l'avidité du public, on multiplia outre mesure les billets de la banque, réunie à la Compagnie. La confiance s'ébranla; on voulut de l'argent, la banque ne put en donner: tous les porteurs de billets se trouvèrent n'avoir que du papier. Ce fut une ruine immense. Law s'enfuit (1720). Mais s'il avait échoué, il avait révélé la puissance du crédit.
Louis XV était à peine reconnu majeur, en 1723, que le régent mourut; son ministre trop peu scrupuleux, le cardinal Dubois, l'avait précédé au tombeau. Le duc de Bourbon, homme avide et sans mœurs, prit la place de premier ministre. Le roi de Pologne détrôné, Stanislas Leczinski, vivait en France où on l'avait accueilli. Un jour il entre dans la chambre où étaient sa femme et sa fille. «Mettons-nous à genoux, dit-il, et remercions Dieu.—Seriez-vous rappelé au trône de Pologne? lui dit sa fille.—C'est bien mieux, vous êtes reine de France!» La pieuse et douce Marie Leczinska devint, en effet, la femme de Louis XV, qui, à l'exemple de son aïeul, ne tarda pas à la délaisser, poussant le scandale bien plus loin que Louis XIV. En 1733, le cardinal Fleury, ancien précepteur de Louis XV, et qui avait succédé au duc de Bourbon, fut obligé, malgré son amour de la paix et de l'économie, de prendre part à une guerre presque générale et dite de la succession de Pologne. Cette guerre, qui aurait pu avoir de grands résultats, si elle avait été énergiquement conduite, releva cependant, par quelques victoires, le prestige de nos armes, et la France parut au traité de Vienne (1738) l'arbitre de l'Europe. Stanislas n'eut point le trône de Pologne, mais garda le titre de roi, si désiré pour l'honneur de son gendre: on lui céda la Lorraine; après sa mort, cette province, importante comme frontière, devait retourner à la France. Ce retour eut lieu en 1766.
Bataille de Fontenoy (1745).—Le cardinal Fleury, plus qu'octogénaire et peu belliqueux, vit encore, malgré lui, commencer une guerre générale à l'occasion de la succession au trône d'Autriche (1740-1748). Plusieurs compétiteurs disputaient à la fois les États autrichiens à Marie-Thérèse et la couronne impériale à François de Lorraine. Cette guerre ne profita qu'au roi de Prusse, le célèbre Frédéric II, qui se porta avec trop peu de loyauté tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. La France se rangea parmi les ennemis de l'Autriche.
Notre armée, mal payée, mal nourrie par le trop économe Fleury, se disperse, après de faciles succès, partout où elle peut vivre. En 1744, Louis XV, jusque-là inerte, fit un effort. Il entre dans les Pays-Bas avec Maurice de Saxe qui s'empare de plusieurs villes. On mit le siège devant Tournai. Les Anglais et les Hollandais vinrent pour défendre cette place et il fallut se battre à Fontenoy (1745).
Les Français étaient retranchés dans d'excellentes positions et appuyés au village de Fontenoy. On s'aborda. Un régiment des gardes anglaises parut le premier. A cinquante pas de distance, les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Les officiers des gardes-françaises leur rendirent leur salut. Lord Charles Hay, capitaine aux gardes-anglaises, cria: «Messieurs des gardes-françaises, tirez.» Le comte d'Auteroche leur dit à voix haute: «Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers; tirez vous-mêmes.» Les Anglais firent un feu roulant. Dix-neuf officiers des gardes tombèrent blessés à cette seule décharge, 95 soldats demeurèrent sur la place, 215 furent blessés, sans compter les ravages faits dans les régiments suisses. Le premier rang abattu, les autres terrifiés se dispersèrent. Les Anglais, formant une colonne longue et épaisse, avançaient à pas lents, comme faisant l'exercice. Le maréchal de Saxe, qui voyait de sang-froid combien l'affaire était périlleuse, fit dire au roi qu'il le conjurait de se retirer avec le dauphin. «Oh! je suis bien sûr qu'il fera ce qu'il faudra, répondit le roi, mais je resterai où je suis.» Le maréchal de Saxe tente une dernière attaque: on braque des pièces de canon qui font de larges trouées dans l'épaisse colonne anglaise; tous les régiments l'enveloppent: la colonne s'entr'ouvre, est mise en pièces et la bataille est gagnée.
Cette victoire eut d'importants résultats; elle nous donna tous les Pays-Bas, et les ennemis se décidèrent enfin à signer la paix d'Aix-la-Chapelle (1748). Mais à cause de quelques défaites en Italie et sur mer, Louis XV «qui traitait en roi et non en marchand,» ne sut rien demander pour nous. Nous tenions les Pays-Bas; il les rendit. «La France en rendant ses conquêtes, dit le maréchal de Saxe, s'est fait la guerre à elle-même. Les ennemis ont conservé leur même puissance; elle seule s'est affaiblie.»
Guerre de sept ans (1756-1763).—Huit ans après, l'Angleterre, jalouse de notre prospérité renaissante, nous déclarait de nouveau la guerre.
Dupleix aux Indes.—Tout le fort de cette guerre se passa dans les Indes et en Amérique, car l'Angleterre était principalement jalouse de nos colonies qui n'avaient jamais connu une si grande prospérité. Aux Indes, nous aurions conquis un immense empire si le gouvernement avait soutenu les entreprises intelligentes et hardies de Dupleix. Fils d'une famille de financiers et d'administrateurs, Dupleix devint, par l'influence de son père, un des directeurs de la Compagnie. Nommé gouverneur général des possessions françaises en 1741, il avait conçu, pour établir notre puissance dans ces contrées, le projet de s'immiscer dans les querelles des souverains de l'Inde. Dupleix était surtout aidé par sa femme, Jeanne Albert, fille d'un médecin de Paris et d'une créole portugaise, célèbre dans l'Inde sous le nom de princesse Jeanne; familière avec tous les dialectes du pays, elle entretint, pour le compte de son mari, une vaste correspondance diplomatique. Dupleix, intervenant dans les guerres que se faisaient les gouverneurs des provinces, acquit deux cents lieux de côtes. Mais il n'obtenait pas de renforts; il éprouva quelques échecs. Enfin le ministère anglais se plaignit impérieusement du génie ambitieux de cet homme qui troublait toute l'Asie; le déplorable gouvernement de Louis XV rappela Dupleix (1755). Avec lui disparut son œuvre; un jeune commis de la compagnie anglaise, devenu le général Clive, suivit ses traces, et, mieux compris, donna à sa patrie un vaste empire qui aurait pu être le nôtre.
Montcalm au Canada.—Même désastre au Canada. Pour sauver le Canada il eût suffi de cinq ou six mille soldats, et de quelques millions d'argent; on ne jugea pas à Versailles que la Nouvelle-France, si digne de ce nom par son dévouement à la mère patrie, méritait ce sacrifice. «Ces déserts glacés,» comme on disait, coûtaient trop cher à défendre.
«Nous combattrons, écrivait Montcalm au ministre qui l'abandonnait, et nous nous ensevelirons, s'il le faut, sous les ruines de la colonie.» La population canadienne était digne d'un pareil chef. On décida que tous ceux qui pouvaient porter un fusil iraient à la guerre, et qu'on laisserait les travaux des champs aux femmes, aux moines, aux enfants, aux vieillards.
Mais Montcalm et ses braves troupes ne pouvaient être partout sur la ligne immense des opérations. L'ennemi parut enfin devant Québec; Montcalm prend avec lui ce qu'il a de troupes disponibles, court aux Anglais pour ne point leur laisser le temps de rendre leur position inexpugnable, et se trouve avec 4500 hommes en face de 8000, rangés en carré et décidés à se bien battre, car, en cas de défaite, la retraite leur est impossible; Bougainville, le fameux navigateur, alors colonel, n'était pas loin de là avec 3000 hommes. Montcalm ne l'attend pas; il ne se donne même pas le temps de ranger son armée en deux lignes; il n'établit pas de réserve; il oublie toute sa science au moment où il fallait surtout s'en souvenir. Le général anglais Wolfe avait donné l'ordre de ne tirer qu'à vingt pas, et avait fait mettre deux balles dans les fusils. Ce feu meurtrier causa du désordre dans les rangs français. Les Canadiens, excellents comme tirailleurs, valaient moins en ligne, ils se replièrent pour se battre à leur manière, isolément, derrière les arbres. Wolfe déploya alors ses colonnes et chargea à son tour. Déjà blessé au poignet, il se mit à la tête de ses grenadiers: une balle l'atteignit encore et lui traversa la poitrine; on l'emporta sur les derrières de l'armée, tandis que les siens poursuivaient leurs succès. «Ils fuient!» s'écrie un de ceux qui accompagnaient le général mourant. Cette parole le ranime. «Qui? demande-t-il.—Les Français, lui répond-on.—Alors je meurs content.»
Montcalm tombait au même moment. Malgré deux blessures, il dirigeait la retraite, lorsqu'un coup de feu dans les reins le jeta à bas de son cheval. «Au moins, dit-il, je ne verrai pas les Anglais dans Québec.» Il mourut le lendemain. Ses soldats l'enterrèrent dans un trou fait par une bombe. Trois jours après, Québec capitula.
Un habile ministre, le duc de Choiseul, essaya de relever le royaume en rétablissant la marine et en réformant l'armée; à la mort de Stanislas (1766), il réunit à la France la Lorraine, et puis en 1768 acheta l'île de Corse aux Génois.
Choiseul tendait aussi une main amie à la Pologne que menaçaient la Prusse, la Russie et l'Autriche. Mais la grande politique ne convenait pas aux courtisans de Louis XV. Choiseul s'était fait de puissants ennemis en bannissant les jésuites (1762), il ne voulut pas s'humilier devant une nouvelle favorite, la cynique Mme du Barry et il fut disgracié (1770). Le chevalier Meaupou et l'abbé Terray, contrôleur des finances, prirent le pouvoir: ils entrèrent en lutte contre les parlements. La magistrature élevait en effet la voix contre ce gouvernement qui patronnait l'association dite Pacte de famine pour l'accaparement des grains; qui laissait démembrer la Pologne (1773) et creusait chaque jour le gouffre du déficit. Les colères s'amassaient. Louis XV disait «Ceci durera bien autant que moi, mon successeur s'en tirera comme il pourra.» Et la favorite répétait avec lui: «Après nous le déluge.»
Le mouvement intellectuel était immense; jamais on n'avait mieux compris le vice des institutions et les abus qu'au moment où le pouvoir cherchait à les maintenir sans compensation. Le gouvernement demeurait absolu. Louis XV n'était pas homme à oublier les leçons qu'il avait reçues. Lorsqu'il était jeune, la multitude, le jour de la fête de Saint-Louis, encombra le jardin des Tuileries, pour le voir. Le maréchal de Villeroy, son gouverneur, lui fit remarquer cette multitude prodigieuse qui venait pour le saluer: «Voyez, lui disait-il, cette affluence, ce peuple; tout cela est à vous, vous en êtes le maître,» et sans cesse lui répétait cette leçon pour la lui bien inculquer.
Les lettres de cachet (ordres d'emprisonnement) se donnaient avec une facilité incroyable. A la mort de Louis XIV «il y eut, dit Saint-Simon, des histoires fort étranges. Parmi les prisonniers de la Bastille,[10] il s'en trouva un arrêté depuis trente-cinq ans, le jour qu'il arriva à Paris, d'Italie d'où il était, et qui venait voyager. On n'a jamais su pourquoi, et sans qu'il eût jamais été interrogé, ainsi que la plupart des autres. Quand on lui annonça sa liberté, il demanda tristement ce qu'on prétendait qu'il en pût faire. Il dit qu'il n'avait pas un sou, qu'il ne connaissait personne à Paris, pas même une seule rue, que ses parents d'Italie étaient apparemment morts. Il demanda de rester à la Bastille le reste de ses jours avec la nourriture et le logement.» Devant les tribunaux point de défenseur pour l'accusé, procédure toujours secrète, la question ou la torture pour arracher des aveux, et comme sanction de lois inégales et cruelles, des supplices plus cruels encore.
Les crimes, du reste, étaient nombreux, parce que la misère était profonde. D'Argenson écrivait, pour l'année 1739: «En pleine paix, avec les apparences d'une récolte, sinon abondante, du moins passable, les hommes meurent tout autour de nous, comme des mouches, de pauvreté, et broutent l'herbe. Le cri sinistre: «Du pain! Du pain!» sera le premier cri des émeutes terribles de la Révolution. Cette Révolution est prochaine.»
CHAPITRE XVI
LOUIS XVI—LA RÉVOLUTION (1774-1793)
Louis XVI.—Le fils de Louis XV, le Dauphin, était mort avant lui, en 1765, laissant trois fils qui, comme les trois fils de Philippe le Bel, et comme les trois derniers Valois, devaient tous monter sur le trône, mais aussi être les derniers rois de la maison de Bourbon. A l'avènement de l'aîné, Louis XVI (1774), qui avait vingt ans, on espéra un changement complet de l'État. On trouva un matin sur le piédestal de la statue de Henri IV, au Pont-Neuf, cette inscription: «Il est ressuscité.»
Louis XVI comprenait peu les progrès politiques à réaliser, mais il avait un désir sincère d'améliorer la condition du peuple: il encouragea toutes les inventions, toutes les découvertes utiles. Il fut un des premiers à comprendre l'utilité de la vaccine et à la défendre contre les préjugés. Il encouragea et seconda Parmentier qui s'efforçait de répandre l'usage de la pomme de terre; pour vaincre le dédain des courtisans, il fit servir sur sa table ce mets aujourd'hui populaire et porta à sa boutonnière la fleur de cette plante méprisée.
Louis XVI, pour éviter de grands malheurs, n'aurait eu qu'à soutenir de son autorité les deux hommes de bien qu'il avait d'abord fait entrer au ministère, Malesherbes et Turgot. Malesherbes voulait réformer la justice, donner des défenseurs aux accusés, rendre aux protestants la liberté de conscience et à tous les Français la sûreté de leur personne par la suppression des lettres de cachet.
Turgot, déjà renommé par l'habileté qu'il avait déployée dans l'administration du Limousin, voulait proclamer la liberté du commerce et de l'industrie alors gênés par une foule d'entraves. Afin de prévenir les famines trop nombreuses dans le cours du dix-huitième siècle, il rendit libre le commerce des grains et améliora la navigation intérieure. Mais ces réformes soulevaient contre lui tous les privilégiés qu'elles blessaient.
Malesherbes, le premier, donna sa démission au roi, qui lui dit: «Vous êtes plus heureux que moi, vous pouvez abdiquer.» Turgot attendit d'être renvoyé. Louis XVI eut la faiblesse de congédier un ministre dont il avait dit: «Il n'y a que Turgot et moi qui aimons le peuple.»
Guerre d'Amérique (1778-1783).—La guerre d'Amérique vint un moment faire diversion aux difficultés intérieures. Les colonies, que l'Angleterre avait fondées au delà de l'Atlantique, s'étaient soulevées et avaient, en 1776, proclamé leur indépendance.
Un planteur devenu général, Washington, dirigeait les armées. Franklin, autre grand citoyen, homme aussi savant que vertueux, qui a inventé le paratonnerre et travaillé à la délivrance de sa patrie, vint solliciter les secours de la France. Le jeune marquis de La Fayette alla le premier offrir son épée à Washington. Louis XVI envoya 8000 hommes sous la conduite de Rochambeau, un des brillants élèves du maréchal de Saxe (1778). A cette troupe vinrent se joindre en volontaires bon nombre de gentilshommes. Une lettre de La Fayette à sa femme, qui désirait le voir revenir (6 janvier 1778), montre qu'à côté de l'exaltation du jeune marquis, il y avait une haute raison: «L'abaissement de l'Angleterre, écrit-il, l'avantage de ma patrie, le bonheur de l'humanité, qui est intéressée à ce qu'il y ait dans le monde un peuple entièrement libre, tout m'engage à ne pas quitter.»
La France, dont la marine s'était relevée, ouvrit glorieusement les hostilités. Un combat naval indécis près d'Ouessant étonna l'Angleterre; une tempête seule empêcha notre flotte, unie à une escadre espagnole, de débarquer à Plymouth et d'attaquer l'Angleterre jusque dans son île. Les flottes françaises avec d'Estaing et le comte de Grasse, dont ses matelots disaient: «Il a six pieds, et six pieds un pouce les jours de bataille,» dominèrent dans les mers des Antilles. L'amiral de Grasse vint concourir au plan formé par Washington, Rochambeau et La Fayette, de cerner l'armée anglaise de lord Cornwallis dans York-Town. Conduite par La Fayette avec une prudence et une fermeté qu'on n'eût pas attendues d'un jeune général de vingt-quatre ans; secondée par la bravoure des soldats d'un fameux régiment commandé par Rochambeau, l'entreprise réussit complètement et l'armée anglaise se rendit (1781). Ce fut le salut des Américains.
Les États généraux (5 mai 1789).—La guerre d'Amérique, entreprise pour la liberté d'un peuple, avait, en France, excité les désirs de liberté; de plus elle avait coûté cher et accru le déficit dans les finances. Pour sortir des embarras financiers, Louis XVI rappela Necker, habile banquier genevois. Necker cependant ne pouvait rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses sans remédier aux abus, sans demander des réformes politiques. Il voulut porter la lumière dans l'administration en publiant le budget. Il se rendit impopulaire et fut disgracié. Sa retraite mécontenta l'opinion déjà toute puissante.
La reine Marie-Antoinette, qui était Autrichienne et qui gardait à la cour de France la fierté de sa maison, était déjà regardée comme l'âme du parti qui s'opposait aux réformes. Elle fit donner le contrôle des finances à un dissipateur, Calonne, qui, pour faire croire l'État plus riche, dépensait beaucoup. Le moment vint enfin où il fallut avouer qu'on ne pouvait aller plus loin.
Calonne céda la place à Loménie de Brienne, qui se montra encore moins capable de remédier au mal, et il fut lui-même obligé de proposer au roi la convocation des États-Généraux.
Les élections faites au commencement de l'année 1789, firent comprendre que la nation était déterminée à soutenir ses députés. La Révolution commençait, et, avec elle, un nouvel âge de la France et du monde.
La première séance des États (5 mai) fut un jour de joie et d'espérance. Le roi prononça un discours plein d'excellentes intentions et de promesses; il recommanda l'accord, mais dès les premiers jours, les défiances s'éveillèrent, les haines se montrèrent.
On y voyait trois nations, représentées par les trois Ordres: noblesse, clergé, tiers état. Mais les députés du Tiers voulurent tout d'abord qu'on supprimât cette distinction des trois Ordres. En nombre double des deux premiers Ordres, les députés du Tiers n'étaient rien si l'on votait par ordre. Ils étaient tout si l'on votait par tête.
Les ordres privilégiés refusèrent de délibérer avec le tiers état. Celui-ci passa outre. Il considéra qu'à lui seul il représentait la masse la plus nombreuse de la nation et, le 17 juin, se déclara Assemblée nationale (plus tard la Constituante).
Le serment du Jeu de paume (20 juin 1789).—La cour, irritée de la résistance du tiers état, qui demandait la réunion des trois Ordres, décide le roi à tenir un séance solennelle pour imposer le maintien des trois Ordres. On ferme la salle sous un prétexte frivole. C'était le samedi 20 juin. Les députés, auxquels on refuse l'entrée de la salle, s'assemblent par groupes, les uns demandant à délibérer en plein air, d'autres sous les fenêtres mêmes du roi. Le président Bailly, leur propose de se réunir dans une salle de jeu de paume,—ce jeu était alors fort à la mode;—ils s'y rendent. Là, dans cette salle sombre et nue, un bureau est improvisé avec un établi de menuisier, quelques planches et quelques banquettes. Tous debout répètent avec enthousiasme la formule d'un serment mémorable par lequel ils s'engagent «à ne point se séparer jusqu'à ce que la Constitution du royaume soit affermie sur des fondements solides.»
Le comte d'Artois, frère du roi, s'imagine déconcerter les députés en louant la salle pour y jouer à la paume. Les députés, auxquels se joint la majorité des députés du clergé, siègent alors dans l'église Saint-Louis.
La séance du 23 juin.—Le 23 juin, se tint la séance royale, et les députés du tiers état pour ce jour-là rentrèrent dans leur salle. Louis XVI vint, avec un cortège solennel, faire entendre des paroles sévères et casser les décisions prises par les députés. Il ordonnait que les États délibérassent suivant les anciennes formes, par Ordres.
Après le discours du roi la séance fut levée. Les députés du tiers état ne bougèrent pas de leur place. Le grand maître des cérémonies vint dire aux députés de se séparer comme l'avait ordonné le roi. Alors le comte de Mirabeau, député du tiers état, et qui déjà avait une haute réputation d'éloquence, répondit: «Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu'on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes.» Louis XVI céda. A quelques jours de là il engageait lui-même les nobles à se joindre aux députés du tiers état.
La prise de la Bastille.—Louis XVI n'avait cédé que pour gagner du temps. Il appelait autour de Paris de nombreux régiments, la plupart étrangers, puis renvoya l'habile ministre Necker, qui conseillait de marcher d'accord avec l'Assemblée. Le renvoi de Necker alarme les Parisiens, mécontents déjà d'être entourés de troupes. Des groupes nombreux se forment au Palais-Royal. Un jeune avocat au Parlement, Camille Desmoulins, monte sur une table, un pistolet à la main, et ameute la foule; des rixes avec la troupe font des victimes. Le peuple veut des armes, envahit l'Hôtel des Invalides, où il prend des canons et des fusils. Enfin, le 14 juillet, un cri général entraîne la population parisienne: A la Bastille!
Comme un torrent furieux, la foule, au milieu de laquelle on remarquait beaucoup de gardes-françaises et que conduisaient deux soldats, Élie et Hullin, se précipite contre la redoutable forteresse, à peine défendue alors par quelques Suisses et des invalides. Les portes sont enfoncées à coups de canon, et, après quelques heures de résistance, la garnison capitule. Cette première victoire populaire fut malheureusement souillée par des vengeances, le meurtre du gouverneur de Launay, de plusieurs officiers, du prévôt des marchands, Flesselles.
Louis XVI, apprenant la prise de la Bastille, s'écria: «C'est donc une révolte?—Dites une révolution, sire,» lui répondit-on. Comptant encore sur le prestige de la royauté, il se rendit à Paris. Il y fut bien accueilli, mais par une population en armes. Bailly, nommé maire de Paris, lui présenta les clefs de la ville, offertes jadis à Henri IV. «Ce bon roi, dit-il, avait conquis son peuple; c'est aujourd'hui le peuple qui a reconquis son roi.» Louis XVI confirma la nomination de Bailly comme maire et du marquis de La Fayette comme chef de la milice bourgeoise ou garde nationale. Il mit à son chapeau la cocarde bleue et rouge des Parisiens. La Fayette y ajouta ensuite le blanc, couleur de la royauté: ce furent désormais les trois couleurs nationales, la cocarde tricolore. «Prenez-la, sire, disait-il à Louis XVI: voilà une cocarde qui fera le tour du monde.» Il disait vrai.
Tous ces événements excitèrent une vive agitation dans les provinces. Les paysans, las du régime féodal, se précipitèrent sur les châteaux, les abbayes, qui étaient leurs bastilles. Alors l'Assemblée résolut de calmer cette effervescence par des décisions promptes et hardies. A la séance de nuit du 4 août, le comte de Noailles déclare que le grand moyen, c'est de donner satisfaction au peuple en abolissant le régime féodal. Aussitôt seigneurs, évêques, députés des villes se succèdent à la tribune et viennent tous, au milieu des applaudissements, renoncer à leurs privilèges. On décréta en quelques heures la destruction du régime féodal qui durait depuis tant de siècles. On rivalisait de générosité. On s'embrassait au milieu de la joie universelle. Il semblait qu'une France nouvelle fût née en cette nuit mémorable du 4 août, qui est restée la plus belle date de la Révolution.
Les journées des 5 et 6 octobre.—Au mois d'octobre, des démonstrations imprudentes de la cour et la famine amènent un nouveau soulèvement de la capitale.
La population de Paris marche le 5 octobre sur Versailles, les femmes en tête, portant des armes et criant: «Du pain! du pain!» Le roi accueille une députation et promet de prendre les mesures qu'on lui demande. Bientôt la nuit, la pluie, la fatigue dispersent les attroupements. La Fayette cependant, qui n'avait pu arrêter cette invasion, la suivait pour la contenir avec la garde nationale. Il n'arriva à Versailles que pendant la nuit, et eut bien de la peine à parler à Louis XVI, car dans ces moments de danger on respectait encore les lois de l'étiquette. Vers le matin, voyant la foule réfugiée dans les abris qu'elle avait pu rencontrer, et tranquille, il se retire, épuisé de fatigue. Il commençait à peine à reposer qu'on vint lui dire que le palais était forcé.
Le 6 octobre, vers les sept heures du matin, les bandes d'hommes et de femmes qui rôdaient depuis la veille autour du château, trouvèrent enfin le moyen de s'introduire, non seulement dans les cours, mais dans les appartements. Des gardes qui cherchaient à les arrêter sont massacrés. Tremblante, la reine se réfugie auprès du roi. Les gardes défendent vaillamment sa chambre et se font tuer. Le plus affreux pillage commençait, et les scènes les plus sanglantes allaient avoir lieu, quand La Fayette, averti, accourt. Il pénètre dans le château et fait évacuer les appartements. Mais la foule rassemblée dans la cour demandait que le roi vînt à Paris. Il fallut que Louis XVI se montrât et promît d'y aller. La famille royale se dirigea vers Paris au milieu de cette foule qui témoignait par les cris les plus grossiers de sa joie farouche. Le roi fut dès lors comme prisonnier dans sa capitale et se trouva à la merci des émeutes. L'Assemblée vint à son tour se fixer à Paris et s'installa dans la salle du Manège, près du jardin des Tuileries. Déjà elle avait fixé les principes sur lesquels elle entendait établir le gouvernement, dans une Déclaration célèbre dite des droits de l'homme. Ces principes, ou vérités premières, appelés les principes de 1789, établissaient la souveraineté du peuple, l'égalité, la liberté de tous les citoyens.
Mirabeau (1749-1791).—L'Assemblée, dans ses travaux, avait été souvent dominée par la grande voix de Mirabeau, l'orateur le plus éloquent qu'on eût encore vu à la tribune. Dès les premières séances des États généraux il se fit remarquer par son rare talent d'orateur. Il prit une part active et décisive aux grandes discussions de l'Assemblée constituante. Toutefois la marche rapide de la Révolution l'effraya. Dans l'hiver de 1790 à 1791 il guida la cour et s'efforça de raffermir le trône que sa voix puissante avait ébranlé. Sa popularité en reçut de vives atteintes, et des publications hostiles le dénonçaient comme traître. L'orateur n'en parut point affecté et à la tribune accabla de son mépris ses accusateurs.
Bientôt cependant Mirabeau, vieux avant l'âge (il avait quarante-deux ans), épuisé par les excès de deux années d'un travail prodigieux, sentit son corps défaillir et plier sous le poids de son âme énergique. Il mourut le 2 avril 1791.
La fuite de Varennes.—Louis XVI, privé des conseils et de l'appui de Mirabeau, ne compta plus que sur la force pour arrêter la Révolution: il voulut aller rejoindre une petite armée qu'on lui préparait dans le Nord, et tout fut disposé pour la fuite. Le 20 juin 1791, à minuit, le roi, la reine, la sœur du roi, Madame Élisabeth, sortent, les uns après les autres et déguisés, par une porte dérobée du palais des Tuileries. Ils se réunissent ensuite, non sans peine, et parviennent à sortir de Paris. Une berline à six chevaux les entraîna rapidement sur la route de Châlons, où les fugitifs arrivèrent heureusement. Ils continuèrent leur route vers Montmédy, où les attendait une petite armée commandée par le marquis de Bouillé.
Mais à Sainte-Menehould le roi, qui commettait l'imprudence de mettre trop souvent la tête à la portière, fut reconnu, tandis qu'on changeait les chevaux, par le fils du maître de poste, Drouet. N'ayant point le temps de le faire arrêter, Drouet saute sur un cheval et court à Varennes prévenir les autorités. Quand la voiture arrive, au milieu de la nuit, on demande le passeport: il faut descendre. Les gardes nationales averties arrivèrent; on força le roi à remonter dans la voiture, qui reprit le chemin de Paris. A ce moment les dragons de Bouillé apparaissaient auprès de Varennes, mais il était trop tard.
Le retour dura huit jours; la voiture marchait au pas, au milieu des gardes nationales qui l'escortaient et par une chaleur accablante. Trois députés, envoyés par l'Assemblée, accompagnaient la famille royale, pour la surveiller. L'entrée à Paris fut morne et silencieuse, le roi fut plus que jamais captif aux Tuileries.
L'Autriche et la Prusse, excitées par les émigrés, déclaraient vouloir rétablir le roi dans son autorité absolue, et la guerre étrangère s'ajouta à la guerre civile. La France fut envahie par les Prussiens. L'Assemblée décrète aussitôt que la patrie est en danger, et le 22 juillet 1792 la proclamation en est faite avec un appareil imposant. D'heure en heure le canon tonnait en signe d'alarme; un cortège militaire, portant des bannières avec des inscriptions, parcourut la ville de Paris, s'arrêtant sur les places pour lire le décret de l'Assemblée. Huit amphithéâtres avaient été dressés sur différents points: une table posée sur deux caisses de tambour y servait de bureau aux officiers municipaux pour inscrire les noms des citoyens qui demandaient à rejoindre les armées. Les volontaires affluaient et se faisaient inscrire au milieu des applaudissements. On compta cinq mille enrôlements en deux jours. Ces soldats improvisés, indisciplinés, causèrent d'abord beaucoup d'embarras; mais, encadrés dans les vieux régiments, ils ne tardèrent pas à montrer une grande solidité.
Mais bientôt le péril grandit. Les Prussiens s'emparaient de Longwy, de Verdun. Alors les ministres décrètent la formation de plusieurs camps, on convertit les cloches en canons, les fers des grilles en piques; on arrête en masse toutes les personnes suspectes, c'est-à-dire soupçonnées de rester attachées à la royauté; les prisons se remplissent de nobles, de prêtres. Puis des bandes organisées et payées par quelques chefs, sans que les ministres cherchent à s'y opposer, se précipitent dans les prisons et égorgent en foule les prisonniers de tout âge et de tout rang (3, 4, 5 et 6 septembre).
Victoire de Valmy.—Des massacres ne sauvent pas un pays. Ce qui le délivra, ce fut l'ardeur des volontaires qui, joints aux vieux régiments, arrêtèrent l'ennemi. Les Prussiens avaient surpris les défilés des montagnes de l'Argonne et se préparaient à envahir la Champagne. Dumouriez essaya encore une fois de les arrêter: il se posta près de Sainte-Menehould et occupa les hauteurs où l'on remarquait le moulin de Valmy. Il garnit ces hauteurs d'artillerie et attendit de pied ferme les Prussiens qui, commandés par le duc de Brunswick, tentèrent de les escalader. Immobiles dans leurs lignes, les Français accueillirent l'ennemi par un feu terrible, aux cris de Vive la nation! Les Prussiens reculèrent et attendirent un corps autrichien qui arrivait: les alliés donnèrent un nouvel assaut vers le soir; ils se heurtèrent à la même résistance et battirent en retraite (20 septembre 1792). La Champagne ou plutôt la France entière était délivrée. Le canon, qui annonçait cette victoire, annonçait en même temps l'ouverture de la Convention.
CHAPITRE XVII
LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
La Convention.—La Convention, la troisième Assemblée depuis 1789, se réunit le 21 septembre 1792. Elle abolit la royauté, proclama la République, mais en réalité concentra en elle-même tous les pouvoirs. Ses membres faisaient les lois, et, divisés en comités, s'étaient partagé l'administration.
Deux grands partis s'étaient tout de suite dessinés au sein de la Convention: les Girondins et les Montagnards. Les Girondins, ainsi nommés, parce qu'ils avaient pour chefs plusieurs députés de la Gironde,[11] Brissot, Pétion, Vergniaud, Guadet, etc., croyaient la Révolution terminée et prêchaient la modération. Les Montagnards, ainsi appelés parce qu'ils étaient groupés sur les bancs les plus élevés, avaient pour chefs les députés de Paris, Robespierre, Danton, Marat, etc. Ils voulaient, au contraire, pousser plus loin les changements et demandaient des mesures terribles pour effrayer les ennemis de la Révolution.
Procès et mort de Louis XVI.—La découverte d'une armoire de fer cachée dans un mur des Tuileries venait de révéler les correspondances de la cour avec l'émigration et l'étranger. Les Montagnards demandèrent la mise en accusation de Louis XVI et disaient qu'il fallait «jeter en défi aux souverains une tête de roi.» La Convention instruisit le procès du roi. Malesherbes, âgé de 72 ans, s'offrit pour servir de conseil au prince qu'il avait servi et aida les avocats Tronchet et de Sèze. Louis XVI, touché de ce dévouement, lui dit: «Votre sacrifice est d'autant plus généreux que vous exposez votre vie et que vous ne sauverez pas la mienne.» Héritier malheureux de haines accumulées depuis un siècle, Louis XVI fut condamné à mort, malgré l'éloquente défense de l'avocat de Sèze. «Je cherche en vous des juges, s'écria-t-il avec véhémence, et je ne vois que des accusateurs!» La majorité de la Convention se prononça pour la mort.
Le roi, qui dans sa prison du Temple avait gardé la plus sereine résignation, monta avec calme et dignité sur l'échafaud dressé sur la place Louis XV devenue place de la Révolution, et aujourd'hui place de la Concorde (21 janvier 1793). «Je meurs innocent, s'écria-t-il, de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France.» Il allait en dire davantage lorsqu'un roulement de tambours couvrit la voix de Louis XVI qui se livra aux exécuteurs.
La Terreur.—Maîtres du pouvoir, les Montagnards déployèrent contre les ennemis de l'intérieur et de l'extérieur une énergie farouche. Le pouvoir se trouva bientôt concentré entre les mains du Comité de salut public. Maximilien Robespierre ne tarda pas à devenir l'âme de ce comité redoutable qui, pendant quatorze mois, fit planer sur la France une terreur profonde. Le Tribunal révolutionnaire devint impitoyable. Le général Custine, pour avoir été malheureux, fût traîné à l'échafaud. La reine Marie-Antoinette refusa de se défendre contre d'infâmes calomnies. Condamnée à mort dans la nuit du 16 octobre 1793, après une séance de vingt heures et le matin même, elle fut conduite au supplice dans la charette ordinaire sous le feu des insultes. Vingt-deux Girondins, parmi lesquels des orateurs du plus grand talent, périrent ensuite, soutenant mutuellement leur courage par des chants patriotiques. Mme Roland, femme d'un ancien ministre, et du parti de la Gironde, s'écria sur l'échafaud, en saluant une statue de la liberté: «O liberté, que de crimes on commet en ton nom!» Le duc Philippe d'Orléans, qui s'était rallié à la Révolution et avait voté la mort de Louis XVI, n'échappa point lui-même au supplice, ainsi que Bailly, un des savants renommés du temps, le vénérable président de l'Assemblée constituante, le premier maire de Paris.
Le 9 thermidor.[12]—La terreur n'avait cessé d'aller en croissant dans les premiers mois de l'année 1794. Chaque jour des charrettes emmenaient des victimes vers la barrière du Trône, où l'échafaud était en permanence. Ces cruautés firent horreur, d'autant plus qu'à ce moment les périls extérieurs disparaissaient, grâce aux victoires des armées.
Robespierre devint l'objet de l'animadversion générale, et, le 9 thermidor, les députés de la Convention, secouant le joug de la peur, l'attaquèrent en face. Épuisé par les efforts qu'il faisait pour parler au milieu des clameurs, Robespierre pouvait à peine respirer. La Convention enfin le fit arrêter avec son frère et ses collègues, Couthon, Lebas, Saint-Just.
Robespierre toutefois ne tarda pas à être délivré par ses partisans les chefs de la Commune de Paris. Il se rendit à l'Hôtel de ville pour préparer une insurrection. Mais la Convention appela à elle la garde nationale: des bataillons fidèles se dirigèrent pendant la nuit sur l'Hôtel de ville, qui bientôt se trouva cerné. Robespierre se tira un coup de pistolet qui lui brisa la mâchoire. Après avoir passé toute la matinée du 10 étendu sur une table, il fut porté tout meurtri à l'échafaud avec vingt-deux de ses amis. Le lendemain, on exécuta encore soixante-dix de ses partisans, et cette sanglante hécatombe fut une digne fin de la Terreur.
Le Directoire (27 octobre 1795-9 novembre 1799).—La Convention avait organisé un nouveau gouvernement républicain qui se composait de deux Chambres distinctes, le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents. Le pouvoir exécutif était composé de cinq membres qui formaient le Directoire. Divisé, mal obéi, le Directoire s'épuisa en luttes incessantes contre les partis, il ne put se soutenir qu'en ayant recours à des coups d'État et devait périr lui-même victime d'un coup d'État.
Cette époque eut un caractère particulier de licence qui s'explique par les terribles épreuves qu'on avait subies. La société s'abandonnait au luxe, aux fêtes avec une liberté que ne gênait plus l'ancienne distinction des classes et qui rappelait celle de la Régence.[13]
Le général Bonaparte.—Mais l'intérêt de l'histoire se porte au dehors; les armées françaises passent de tous les côtés les frontières pour triompher de l'Autriche toujours en armes et toujours soutenue par l'Angleterre. Le général Bonaparte étonne alors le monde par ses victoires et cherchera bientôt à le dominer.
Né à Ajaccio le 15 août 1769, il était le second de huit enfants. A l'âge de dix ans, son père le fit admettre à l'école de Brienne, où les jeunes gentilshommes recevaient les principes d'une éducation militaire. Bientôt il se fit remarquer par son ardeur pour l'étude et surtout par son goût pour les mathématiques. Son amour-propre était vif. Condamné un jour à dîner à genoux au réfectoire, avec la robe de bure, il s'évanouit. On raconte aussi que manifestant un goût précoce pour les combats, il faisait élever des retranchements de neige par ses camarades.
Au bout de cinq ans, il passa à l'école militaire de Paris. Réservé, taciturne, absorbé dans ses études ou ses lectures, il étonna bientôt ses maîtres: «Corse de nation et de caractère, disait son professeur d'histoire, il ira loin si les circonstances le favorisent.» Il sortit de l'école lieutenant dans un régiment d'artillerie; dès les premiers jours de la Révolution il se montra favorable aux idées nouvelles. Mais sa carrière militaire ne commença qu'au siège de Toulon.
C'était en 1793, au milieu des plus grands périls de la France. Les généraux envoyés par la Convention s'efforçaient en vain de reprendre Toulon, tombé au pouvoir des Anglais. Le commandement de l'artillerie est donné à Bonaparte, qui n'avait encore que vingt-quatre ans. Lorsqu'il arriva, le général Carteaux lui dit: «C'était bien inutile: nous n'avons plus besoin de rien pour reprendre Toulon. Cependant soyez le bienvenu; vous partagerez la gloire de le brûler demain sans en avoir eu la fatigue.» Puis il le conduisit vers les travaux. Le commandant d'artillerie aperçoit alors quelques pièces de canon, mais elles se trouvaient à une distance beaucoup trop éloignée. Survient le représentant du peuple, commissaire de la Convention. Bonaparte se redresse, l'interpelle, lui démontre l'ignorance inouïe de tous ceux qui l'entourent, et le somme de lui faire donner la direction absolue de sa besogne. De ce jour il eut en réalité la direction du siège, et Toulon ne tarda pas à être enlevé. Ce brillant fait d'armes attira sur lui les regards, et le général Dugommier apprécia le mérite de Bonaparte. «Récompensez ce jeune homme, disait-il, car si l'on était ingrat envers lui, il s'avancerait de lui-même.»
La révolution du 9 thermidor vint pourtant arrêter sa carrière. Un moment il fut emprisonné, on le mit bientôt en liberté, mais on le priva de son commandement. Alors il vint à Paris, où il reclamait en vain, dans les bureaux de la guerre, la place qui lui était due. Aubry, membre du comité, la lui refusait. «Vous êtes trop jeune.—On vieillit vite sur le champ de bataille, répliqua Bonaparte, et j'en arrive.» Il resta quelque temps à Paris presque sans resources. Dévoré d'un immense besoin d'activité, Bonaparte sollicita la faveur d'aller en Turquie, comptant régénérer l'Orient. Il allait partir lorsque, le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), la Convention, attaquée par les royalistes, l'appela pour la défendre sous les ordres de Barras. Bonaparte prit des mesures énergiques, d'habiles dispositions et triompha de l'insurrection. On lui donna le commandement de l'armée de l'intérieur.
Un jeune enfant de douze ans vint un jour, lorsqu'on avait ordonné le désarmement, réclamer l'épée de son père, le général de Beauharnais, mort sur l'échafaud. On la lui rendit; l'enfant pleura à la vue de cette épée. Bonaparte, touché de ce sentiment, le combla de caresses. Sur le récit qu'il fit à sa mère de l'accueil qu'il avait reçu, Mme de Beauharnais, Joséphine Tascher de La Pagerie, encore dans tout l'éclat de la jeunesse, alla remercier Bonaparte. A quelque temps de là leur mariage fut conclu; mais le général courut vite prendre le commandement, vivement désiré, de l'armée d'Italie.
La campagne d'Italie (1796-1797).—Bonaparte, en arrivant à l'armée d'Italie, ranime tout de suite les soldats par une énergique proclamation: «Soldats, leur dit-il, vous êtes mal nourris et presque nus; votre patience et votre courage vous honorent, mais ne vous procurent ni gloire ni avantage; je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde; vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage?»
Il franchit les Alpes au point où elles sont le plus bas; puis de victoire en victoire, à Montenotte, Mondovi, Lodi il s'avance dans les belles plaines de la Lombardie. Il triomphe encore des Autrichiens à Castiglione, puis à la célèbre bataille d'Arcole.
Les Autrichiens cependant n'abandonnent pas l'Italie. Bonaparte les bat encore à la fameuse journée de Rivoli (14 janvier 1797), s'avance toujours plus loin et se dirige vers les Alpes pour entrer en Autriche.
Il franchit de nouveau les Alpes, à leur autre extrémité, à l'est, par le col de Tarwis, et menace la capitale de l'Autriche. Les Autrichiens l'arrêtent alors en acceptant la paix de Campo-Formio.
Les armées d'Allemagne avaient été moins heureuses. Mais, en 1796, le général Moreau s'était distingué par une retraite demeurée justement célèbre. Il avait traversé l'Allemagne pour rentrer en France sans perdre ni un drapeau, ni un canon, ni une voiture. Cette armée se prépara à recommencer la campagne avec une autre qui fut confiée au général Hoche, l'un des hommes qui ont laissé la renommée la plus pure.
Hoche et Marceau.—Hoche, né à Versailles, en 1768, était sergent au moment où éclata la Révolution. Il avança rapidement; à 25 ans, il commandait en chef l'armée de la Moselle, et délivra l'Alsace. Le plus brillant avenir s'ouvrait devant lui. Il comptait traverser l'Allemagne pour joindre Bonaparte sous les murs de Vienne. Il débuta par de brillants succès au commencement de l'année 1797; mais, quelques mois après il mourait prématurément à l'âge de 29 ans.
Son émule et son ami, Marceau, né à Chartres, s'était distingué et était mort l'année précédente, plus jeune encore. Soldat à seize ans, général à 22 ans, il vainquit dans les champs de Fleurus, sur les bords de la Moselle et du Rhin, et, à 27 ans, il tombait frappé d'une balle ennemie. Les Autrichiens, qui l'estimaient, lui rendirent les honneurs funèbres dans leur camp et renvoyèrent solennellement son corps à l'armée française désolée. Sur le monument qu'on lui a élevé à Coblentz on lit encore: «Qui que tu sois, ami ou ennemi, de ce jeune héros respecte les cendres.»
Expédition d'Égypte (1798-1799).—Restait à dompter l'Angleterre. Bonaparte, pour la frapper dans son commerce, fit décider l'expédition d'Égypte, par laquelle il menaçait la route des Indes. Le jeune général part avec trente mille hommes pour conquérir un vaste et riche pays. Il débarque à Alexandrie (1er juillet 1798), traverse le désert et paraît devant les Pyramides, les plus grands et les plus anciens monuments qui soient sortis de la main des hommes. «Songez, s'écria Bonaparte, en les montrant à ses soldats, songez que du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent!» Une brillante victoire disperse la redoutable cavalerie des Mameluks. Bonaparte entre au Caire et ne tarde pas à rester maître de l'Égypte.
Il gouverne alors et administre sa conquête. Il envoie de tous côtés des savants qu'il a amenés avec lui pour étudier les monuments mystérieux de cette terre, jadis si renommée. Puis il s'en va au-devant des Turcs qui arrivent par la Syrie: il les bat à la journée du Mont-Thabor. Mais il échoue au siège de Saint-Jean-d'Acre, car la flotte anglaise protège cette ville. La flotte française qui l'avait amené, avait été détruite par les Anglais dans la rade d'Aboukir. Bonaparte n'a plus aucune communication avec la France. Les Anglais débarquent une nouvelle armée turque à la pointe d'Aboukir. Bonaparte n'attend point qu'elle attaque: il va au-devant d'elle, la jette à la mer et la détruit (25 juillet 1799). Bonaparte ayant appris les revers de nos armées et l'agitation du pays, laissa son armée à l'un de ses plus habiles lieutenants, Kléber, et quitta l'Égypte seul. Il échappa aux croisières anglaises, débarqua à Fréjus, arriva à Paris où il ne tarda pas à renverser le Directoire et à se rendre maître du gouvernement par le coup d'État du 18 et du 19 brumaire (9 et 10 novembre 1799).
CHAPITRE XVIII
LE CONSULAT (1799-1804)
Bonaparte organisa un nouveau gouvernement: le Consulat. Trois consuls devaient exercer le pouvoir, mais Bonaparte, nommé Premier Consul, concentra en lui toute l'autorité. En quelques mois l'administration fut réorganisée, les finances, l'armée, tout fut remis en ordre sous l'impulsion vigoureuse de Bonaparte, qui s'entendait à tout, aux lois comme à la politique, aux chiffres comme aux batailles.
La seconde campagne d'Italie.—Le Premier Consul ne perd point de temps pour relever au dehors la France, menacée de perdre toutes ses conquêtes. Les Autrichiens, en Italie, pressaient dans Gênes l'intrépide Masséna qui soutenait une lutte héroïque. La famine désolait la ville. Masséna régla tellement les rations, recourut à tant d'expédients, qu'on vécut là où d'autres seraient morts. «Il nous fera manger jusqu'à nos bottes,» disaient les soldats. Bonaparte se porte à son secours, et pour surprendre l'ennemi, tente de franchir les Alpes sur un point imprévu. Il choisit la route, à peine praticable, du Grand Saint-Bernard (entre la Suisse et l'Italie). Les troupes commencèrent à monter dans la nuit du 14 au 15 mai (1800). Les vivres, les munitions passèrent à la suite des régiments; mais l'obstacle c'était l'artillerie. On imagina de partager par le milieu des troncs de sapins, de les creuser, d'envelopper avec ces deux demi-troncs une pièce d'artillerie et de la traîner ainsi enveloppée le long des ravins. Des mulets furent attelés à ce singulier fardeau; mais bientôt les mulets manquèrent; les soldats s'attelèrent alors aux pièces et les traînèrent. La musique jouait des airs animés dans les passages difficiles et encourageait les troupes à vaincre ces obstacles d'une nature si nouvelle. Au sommet, l'armée trouva des vivres préparés par les religieux du Saint-Bernard et après quelque repos commença la descente, qui ne présentait pas moins de difficultés que l'ascension.
Bataille de Marengo.—En quelques jours, le Premier Consul avait jeté au delà des Alpes quarante mille Français. Vingt mille autres venaient les rejoindre par d'autres passages. Toutefois il y avait eu des retards qui amenèrent la chute de Gênes où la famine était devenue extrême. Masséna obtint les conditions les plus honorables. «Je serai de retour dans quinze jours,» dit-il en rendant la place. Bonaparte assura l'exécution de cette parole.
Le 14 juin 1800 il rencontra l'armée autrichienne près de Marengo.
Obligé de disperser son monde dans la crainte de voir l'ennemi lui échapper, le Premier Consul ne put d'abord opposer que des forces inférieures aux troupes autrichiennes. Jusqu'à trois heures il perdait la bataille, mais il tient bon et ne recule que pas à pas. Heureusement le général Desaix, récemment arrivé d'Égypte, avait été la veille détaché avec sa division, dans une autre direction. Il entend le bruit du canon; il descend de cheval, et approche son oreille de la terre. Nul doute, une bataille est engagée; son devoir est d'y courir; il y court avec ses six mille hommes. Lorsqu'il arrive, les généraux l'entourent. Bonaparte, qui persiste, malgré l'avis de ses lieutenants, à poursuivre la lutte, demande l'avis de Desaix. Celui-ci regarde le champ de bataille: «La bataille est perdue, répond-il, mais nous avons encore le temps d'en gagner une.» Bonaparte ravi donne ses ordres. «Enfants, cria-t-il, nous avons fait trop de pas en arrière; le moment est venu de marcher en avant! Rappelez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de bataille.»
Le général autrichien, M. de Mélas, ne se doutait point du désastre qui le menaçait. Il était rentré dans Alexandrie et expédiait à son souverain des courriers lui annonçant son triomphe. La division Desaix s'avance et arrête les colonnes autrichiennes sur la route. Le général lui-même s'élance à la tête d'un régiment, mais dès les premières décharges il tombe frappé à mort. Les soldats désespérés se précipitent avec une véritable fureur sur les masses profondes des Autrichiens que des charges de cavalerie achèvent de mettre en déroute. L'armée tout entière pleura Desaix et Napoléon le regretta plus d'une fois dans le cours de ses longues guerres.
Une autre victoire du général Moreau, en Allemagne, força l'Autriche à signer la paix qui fut conclue à Lunéville (1801). L'Angleterre elle-même, l'ennemie la plus acharnée qu'ait eue notre Révolution, signa la paix d'Amiens (1802).
Organisation de la société nouvelle.—Le Premier Consul, dès qu'il put donner ses soins au gouvernement intérieur, organisa la société nouvelle. Il créa un système régulier d'administration, qui dure encore. Il fit constituer la Banque de France, qui est encore la plus importante de nos institutions de crédit. Il régla la distribution de la justice et fit rédiger le Code civil, recueil des lois qui protègent encore aujourd'hui la famille et la propriété des citoyens. Il signa, en 1802, avec le Pape, un traité, le Concordat, qui décida le rétablissement en France du culte catholique et d'après lequel sont encore fixés les rapports de l'Église et de l'État.
Les anciens ordres de chevalerie supprimés furent remplacés par l'Ordre de la Légion d'honneur auquel tout le monde pouvait prétendre sans distinction de naissance ou de fortune. La croix d'honneur brilla sur la poitrine du simple soldat comme sur celle du général et signalait les services civils aussi bien que les services militaires. Elle portait une simple et noble devise: Honneur et Patrie.
En même temps, il encourageait l'agriculture, l'industrie, le commerce, que tant d'années de troubles avaient ruinés, et le pays, rassuré, oublia ses divisions pour se remettre avec ardeur au travail qui ramena la prospérité.
L'Angleterre, jalouse de voir la France s'agrandir, relever sa marine et ses colonies, nous déclara de nouveau la guerre en faisant saisir douze cents navires français.
CHAPITRE XIX
L'EMPIRE (1804-1815)
Napoléon Ier.—Les complots sans cesse renaissants favorisèrent d'ailleurs l'ambition du Premier Consul. Déjà nommé consul à vie, il obtint le rétablissement de la monarchie déclarée héréditaire dans sa famille, et le Sénat renouvela pour lui le titre romain d'empereur (18 mai 1804). Le général Bonaparte était devenu Napoléon Ier.
Napoléon cependant, pour attaquer l'Angleterre, rassemble une armée à Boulogne et prépare tous les moyens de la transporter en quelques heures au delà de la Manche. Pour être maître de la mer pendant quelques heures, il fallait l'arrivée d'une flotte supérieure à celle des Anglais. Napoléon apprit bientôt que sa flotte était retardée. De plus l'Angleterre détourna le péril en soulevant de nouveau le confinent et en déterminant l'Autriche et la Russie à former une coalition. Obligé d'abandonner son projet, Napoléon se retourna avec l'ardeur de la colère contre les ennemis qu'il pouvait saisir. Il frappa des coups décisifs.
Tandis que notre flotte essuyait un désastre sur les côtes d'Espagne près du cap Trafalgar, l'empereur transportait avec une rapidité merveilleuse sa grande armée du camp de Boulogne en Allemagne. Il marcha sur Vienne où il entra sans résistance. L'armée autrichienne s'était retirée en Moravie pour se joindre à l'armée russe.
Bataille d'Austerlitz.—Napoléon, sans perdre de temps, était allé au-devant des deux armées russe et autrichienne. Il se dirigea sur Brünn et arriva en face de l'ennemi, non loin du village d'Austerlitz. Ses forces étaient inférieures à celles des deux empereurs d'Autriche et de Russie qui cherchaient à lui couper la retraite. Napoléon devinait leur plan comme s'il eût assisté à leurs conseils. Il les encouragea, en feignant d'avoir peur, à poursuivre les mouvements qu'ils avaient ordonnés de manière à amener leurs troupes sur le champ de bataille qu'il avait choisi.
Le 1er décembre 1805, au soir, voyant les Russes quitter en masses serrées les hauteurs dont lui-même convoitait la possession, il ne put s'empêcher de s'écrier: «Cette armée est à moi!» Comme il parcourait son camp, les soldats allumèrent des milliers de torches, le saluant de leurs vivats et lui promettant pour le lendemain, anniversaire de son couronnement, une belle victoire. Ils tinrent parole.
Le 2 décembre, un soleil brillant qui avait dissipé les brouillards du matin, éclaira un terrain affermi par la gelée. La bataille s'engagea et ne fut qu'une série de manœuvres précises par lesquelles l'armée alliée fut coupée en plusieurs tronçons. Les Français s'établirent en maîtres sur les hauteurs que les Russes avaient abandonnées et plusieurs divisions russes se trouvèrent enveloppées dans une étroite vallée que fermaient des étangs. Les Russes cherchèrent à s'échapper par ces étangs recouverts de glace: les boulets brisèrent la glace et un grand nombre de fuyards périrent. Les armées russe et autrichienne étaient tellement défaites que l'empereur d'Autriche se hâta de demander une entrevue au vainquer, aux avant-postes.
Un armistice fut conclu; l'armée russe eut la liberté de se retirer et la paix de Presbourg termina la guerre (26 décembre 1805).
Guerre contre la Prusse et la Russie.—La Prusse qui n'avait pas osé se joindre aux coalisés, engagea seule, l'année suivante, la lutte contre Napoléon. Tandis que les Prussiens se dirigeaient vers le Rhin, l'empereur, les trompant, se dirigea vers l'Elbe pour leur couper la retraite. L'armée prussienne revint en toute hâte sur ses pas, divisée en deux corps. Napoléon écrasa un de ces corps d'armée à la fameuse journée d'Iéna (14 octobre 1806), tandis que l'autre corps d'armée était défait, le même jour par le maréchal Davout, près du village d'Auerstaedt. L'armée prussienne, complètement dispersée, n'existait plus. Cependant les Russes arrivaient au secours des Prussiens. Napoléon alla au-devant d'eux. Les Russes voulurent le surprendre pendant l'hiver; il les repoussa et leur livra dans un pays couvert de neige (8 février 1807) la sanglante bataille d'Eylau. Un de nos corps d'armée s'égara, aveuglé par la neige qui tombait en abondance et se fit écraser, ce qui causa un moment un grand désordre et faillit compromettre le succès.
La campagne d'été fut courte et brillante. Les Russes avaient reformé une nouvelle armée et revenaient conduits par l'empereur Alexandre lui-même. Ils furent écrasés à Friedland (14 juin 1807).
Alexandre, bien vaincu cette fois, demanda la paix et l'obtint à l'entrevue de Tilsitt sur un radeau construit au milieu du Niémen. Il renonçait à une partie de la Pologne et s'engageait à fermer ses ports aux Anglais. Napoléon rendit au roi de Prusse son royaume, mais mutilé. Des provinces du Rhin, il forma pour son frère Jérôme le royaume de Westphalie. Un des frères de l'empereur, Joseph, occupait déjà le trône de Naples; les autres membres de sa famille avaient des principautés et il en donnait à ses plus habiles ministres, formant ainsi à l'Empire une ceinture de monarchies vassales.
L'Empire s'agrandit encore de la Hollande, qu'un des frères de Napoléon, Louis, gouvernait en qualité de roi, mais où il refusait d'appliquer des mesures rigoureuses qui ruinaient le commerce du pays. L'empereur ne souffrait plus d'obstacle à sa volonté: il réunit la Hollande à la France (juillet 1810). L'empire français compta alors 130 départements. Un des maréchaux de Napoléon, Bernadotte, était désigné comme prince héritier de la Suède. La Prusse, mutilée, n'existait que parce qu'il l'avait bien voulu; il s'attachait l'Autriche par une alliance de famille.
Mariage de Napoléon avec Marie-Louise d'Autriche.—De son mariage avec Joséphine de Beauharnais, Napoléon n'avait pas d'enfant; malgré son affection pour Eugène Beauharnais, qu'il avait adopté et créé vice-roi d'Italie, il ne voulait pas le déclarer son héritier. Il fit annuler son mariage avec Joséphine, divorce qu'on n'approuva point et qui parut un divorce avec le bonheur. Il demanda à l'empereur d'Autriche la main de l'archiduchesse Marie-Louise (1810) et fit asseoir sur son trône, à ses côtés, une fille des Césars. Un fils lui étant né le 20 mars 1811, l'empereur le décora du nom de roi de Rome.
Napoléon était alors à l'apogée de la puissance et de la gloire. Rien ne résistait plus à ses volontés. Les grands corps de l'État restaient muets ou ne parlaient que pour applaudir aux vastes projets du maître et exalter ses succès. L'empereur s'efforçait de se faire pardonner ce gouvernement arbitraire en développant toutes les ressources de la prospérité publique. Il perfectionnait le système financier, la Banque de France, promulguait le Code de Commerce.
Il entreprenait de grands travaux d'art ou d'utilité générale en France et dans les pays annexés: la colonne Vendôme, l'arc de triomphe de l'Étoile, l'achèvement du Louvre et des Tuileries, des fontaines, des canaux, des routes, etc. Il encouragea aussi l'industrie et créa le Conseil général des fabriques et manufactures. Le blocus continental, qui écartait du continent les produits de l'industrie anglaise, fit naître des industries nouvelles. Par un décret du 15 janvier 1812, Napoléon destina cent mille hectares de terrain à la culture des betteraves, pour la fabrication du sucre indigène, qui devait remplacer le sucre des colonies.
Napoléon favorisa surtout l'application des sciences utiles à l'industrie. Il honora et récompensa les savants aussi bien que les manufacturiers.
On vit naître deux sciences nouvelles: la géologie, ou histoire naturelle de la terre, et la paléontologie, science qui traite d'animaux et végétaux disparus, dont les débris sont enfouis dans la terre. La littérature et les arts pourtant, ne brillèrent pas du même éclat à cette époque.
Campagne de Russie.—La France, malgré cette prospérité, avait besoin de repos et d'un gouvernement moins despotique. Mais Napoléon, résolu à dominer l'Europe entière, rompit avec la Russie et voulut aller à Moscou. Cette témérité le perdit.
La Russie n'exécutait qu'à moitié le blocus ordonné contre les Anglais. Napoléon lui déclara la guerre tandis que ses meilleurs soldats étaient encore occupés à soumettre l'Espagne. Il marcha vers le Niémen à la tête de six cent quarante mille hommes de toute nation: il entraînait pour ainsi dire toute l'Europe à sa suite (1812).
Il franchit le Niémen, le 24 juin, entra à Wilna, où il s'arrêta trop longtemps, s'empara de Smolensk, après un combat acharné (17 août).
Les Russes reculaient toujours, dévastant le pays. Cependant le général Kutusoff décida à livrer une bataille sur les bords de la Moskowa, à Borodino (7 septembre 1812). Ce fut un des plus terribles chocs des temps modernes. L'action dura toute la journée, mais les Russes se retirèrent horriblement maltraités.
Les Français à Moscou.—Cette victoire, bien qu'elle eût coûté cher, ouvrait la route de Moscou; l'armée se dirigea vers cette fameuse capitale. Le 14 septembre elle dépassa la dernière hauteur qui lui dérobait la vieille cité russe. Les soldats, émus au spectacle grandiose qui se déroulait devant leurs yeux, s'arrêtèrent en criant: «Moscou! Moscou!» Moitié européenne, moitié asiatique, demi-orientale et demi-grecque, Moscou, ville immense, sur la limite de la civilisation et de la barbarie, offrait le mélange le plus singulier de palais, d'églises, de dômes dorés étincelant aux rayons d'un soleil d'automne, de jardins, de bosquets, de maisons aux toits brillant de couleurs variées, et de pauvres cabanes tartares. Bien des soldats avaient vu le Caire, les Pyramides, Milan, Vienne, Berlin, Madrid: Moscou surprenait ces hommes déshabitués de l'étonnement. L'armée défila, ivre d'enthousiasme, et entra dans la cité sainte des Russes.
La joie fut courte. La ville était déserte et morne: toute la population avait fui à la suite de l'armée russe. Dans la nuit du 15 au 16 septembre, un immense incendie éclata, allumé par les bandits qu'avait laissés le gouverneur Rostopchine. Un vent furieux vint aider les incendiaires, et, changeant presque chaque jour, porta tour à tour les flammes dans les différents quartiers de la ville. Trois jours et trois nuits, Moscou présenta l'aspect d'un horrible brasier, dont l'armée eut beaucoup de peine à sortir; les flammes ne s'arrêtèrent qu'après avoir dévoré les quatre cinquièmes de cette opulente cité où les soldats espéraient trouver, sinon la paix, du moins le repos pendant l'hiver. Cet acte sauvage indiquait assez à quelle nation on faisait la guerre. Napoléon néanmoins engagea des négociations. Il perdit un temps précieux, croyant toujours que l'empereur Alexandre traiterait. Mais Alexandre ne pensait qu'à le jouer, comptant pour nous chasser sur son allié favori, l'hiver.
La retraite de Russie.—Cet allié fut plus fidèle encore qu'à l'ordinaire et plus énergique. Napoléon se décida enfin à partir le 15 octobre. Dès le 23 le mauvais temps commença. Le 9 novembre le ciel, sur lequel on avait tant compté, se déclara contre nous. La neige tomba. Tout alors est confondu et méconnaissable; on marche sans savoir où l'on est, sans apercevoir son but; les flocons de neige, poussés par le tempête, s'amoncellent et s'arrêtent dans toutes les cavités; la surface cache des profondeurs inconnues qui s'ouvrent perfidement sous nos pas. Là le soldat s'engouffre, et les plus faibles s'abandonnant y restent souvent ensevelis. L'hiver russe attaque les soldats de toutes parts; il pénètre au travers de leurs légers vêtements et de leur chaussure déchirée; leurs habits mouillés se gèlent sur eux; devant eux, autour d'eux, tout est neige; c'est comme un grand linceul dont la nature enveloppe l'armée! Les seuls objets qui se voient, ce sont de sombres sapins avec leur funèbre verdure, et la gigantesque immobilité de leurs tiges noires, et leur grande tristesse qui complète cet aspect désolé d'un deuil général, d'une nature sauvage et d'une armée mourante au milieu d'une nature morte.
A Smolensk, on ne trouva ni les vivres ni les secours espérés. Tout était pillé. On ne put s'y arrêter. Il fallut poursuivre cette retraite, de plus en plus désastreuse à mesure que le froid devenait plus rigoureux et que l'ennemi se rapprochait. Il fallait acheter par des combats une route couverte de neige. Ney à l'arrière-garde protégeait de son solide courage toute l'armée. Des lignes de cadavres marquaient les bivouacs. Depuis longtemps on laissait les canons faute de chevaux, et, ce qui est plus triste, les blessés. Presque toute la cavalerie était à pied. Les rangs étaient abandonnés, et une foule désarmée, souffrante, suivait les régiments qui conservaient encore quelque organisation et quelque discipline. Ce fut cette foule accrue des marchands et des vivandiers qui occasionna l'encombrement des ponts au passage de la Bérésina, et fut en partie sacrifiée pour le salut de l'armée, car on se vit obligé de rompre les ponts à l'arrivée de l'ennemi. Des scènes douloureuses se produisirent alors (28 novembre) et sont restées célèbres sous le titre de passage de la Bérésina.
A Smorgoni, Napoléon quitta l'armée pour prévenir à Paris la nouvelle de son désastre. Il traversa l'Allemagne incognito et arriva aux Tuileries, lorsqu'on commençait seulement à connaître quelque chose de l'horrible vérité. Après son départ, la retraite devint plus désastreuse. Le froid redoubla. Le 9 décembre on arriva à Wilna, mais sans pouvoir s'y arrêter. Il fallut reculer jusqu'au Niémen, et c'est à peine si une poignée de soldats, débris d'une armée de 400,000 hommes, repassa ce fleuve.
Campagnes d'Allemagne et de France.—Ce désastre porta un coup mortel à la puissance de Napoléon. Dès qu'on vit son armée détruite par le froid, les défections commencèrent. La Prusse d'abord se souleva. Même le prince de Suède, un maréchal de l'Empire, Bernadotte, entra dans la coalition. Napoléon, cependant, réussit à recomposer une armée de deux cent mille hommes avec les troupes laissées en Allemagne et les conscrits de France.
Trois armées, prussienne, russe, autrichienne, se dirigent sur Dresde. Napoléon leur fait face. Le 26 et le 27 août, il livre une grande bataille à Dresde et remporte une sanglante victoire. Mais les lieutenants de Napoléon se laissent battre, et bientôt l'empereur voit trois cent mille coalisés se réunir contre lui près de Leipzig. Pendant trois jours Napoléon arrête, tour à tour, chacune des armées ennemies. Malgré l'héroïsme de ses soldats il ne peut continuer cette lutte inégale. Il fallut reculer encore et reculer jusqu'en France.
La France à son tour fut envahie. Trois masses énormes formant un total de quatre cent mille hommes arrivent par la Hollande et la Belgique, par la Moselle, par la Bourgogne, et convergent vers Paris. Devant ce danger Napoléon retrouve son activité d'Italie: il déploie dans cette lutte suprême un génie qui excite l'admiration. Avec une poignée de soldats aguerris, trois mois il tient tête à la coalition et frappe des coups énergiques. Les alliés négocient; mais ils n'offrent à l'empereur que les limites de 1789. Napoléon s'indigne: «Voulez-vous que j'abandonne les conquêtes qui ont été faites avant moi, s'écrie-t-il, que je laisse la France plus petite que je l'ai trouvée! jamais!» Nouveaux combats et nouveaux succès, mais les armées alliées se réunissent toujours et, après la bataille indécise d'Arcis-sur-Aube (20 et 21 mars), marchent sur la capitale. D'héroïques soldats résistent, autant qu'ils peuvent, aux 180,000 hommes qui les attaquent; ils sont écrasés par le nombre. Paris capitule (31 mars), et on demanda à l'empereur son abdication. Abandonné de ses généraux, il la signa enfin, plein de douleur (6 avril). Un traité lui assurait la souveraineté dérisoire de l'île d'Elbe. Avant de partir, Napoléon composa un bataillon d'hommes et d'officiers de différents corps de la garde, bataillon qui devait l'accompagner; puis, dans la cour du palais de Fontainebleau, il fit aux régiments qui demeuraient de touchants adieux. Puis il partit, accompagné de quelques serviteurs fidèles, pour un exil qui, dans sa pensée, n'était point définitif.
Première restauration des Bourbons.—Les Bourbons revinrent dans cette France entièrement renouvelée à laquelle ils parurent des étrangers. Louis XVIII regardait comme nul tout ce qui s'était fait en son absence et appelait 1814 la dix-neuvième année de son règne. L'arrogance des émigrés, leur prétention de détruire toutes les conquêtes de 1789, excitèrent de vifs mécontentements. On regarda du côté de l'île d'Elbe, où avait été relégué le puissant empereur. Napoléon comprit qu'on l'appelait. Il arriva.
Échappant à la vigilance des croisières anglaises, il débarque le 1er mars 1815 avec son bataillon de grenadiers de la garde, au golfe Jouan, près de Cannes, et arrive à Grenoble, où le colonel Labédoyère se rallia à lui. Il poursuivit sa marche triomphale de Grenoble à Lyon, de Lyon à Paris. Le 20 mars 1815 Napoléon rentrait aux Tuileries, que Louis XVIII avait quittées pour s'enfuir en Belgique.
Instruit par le malheur, Napoléon déclara qu'il allait satisfaire les désirs de liberté qu'il avait trop méconnus. Mais Napoléon remontant sur le trône fut un sujet d'effroi pour l'Europe. Les souverains resserrèrent leur alliance et mirent en mouvement leurs armées.
Bataille de Waterloo.—Napoléon, en quelques mois, avait aussi réorganisé son armée et entra en Belgique, à la tête de cent trente mille hommes. Il battit les Prussiens à Fleurus et à Ligny (16 juin). Mais il fallait aussi arrêter les Anglais. Il les attaqua le 18 juin 1815 au plateau du Mont-Saint-Jean, près du village de Waterloo. Le maréchal Grouchy était chargé de poursuivre les Prussiens et de les empêcher de secourir les Anglais. Ney entraîna par son ardeur la cavalerie, qui exécuta des charges répétées. Ce furent des scènes grandioses, telles qu'on n'en avait point vu. Les cuirassiers surtout firent des prodiges. Napoléon se préparait à soutenir ces belles charges par son infanterie, lorsque les Prussiens arrivèrent. Bülow débouchait sur la droite avec 30,000 ennemis, quand, à sa place, on espérait Grouchy avec 30,000 Français. Il fallut leur faire face.
Toutefois le combat se soutenait, les Prussiens furent refoulés. Ney entraîne une seconde fois toute la cavalerie sur le plateau du Mont-Saint-Jean, que Wellington a repris et qu'il veut défendre jusqu'à la dernière extrémité; il sait qu'il sera secouru. Dix mille cavaliers se précipitent avec furie sur les bataillons anglais formés en carrés, les entament, les ouvrent, s'emparent des canons. Déjà les Anglais se débandent, et Wellington inquiet ne sait si les Prussiens auront le temps de paraître. Il est sept heures du soir. Ney demande toujours de l'infanterie; «De l'infanterie! Où voulez-vous que j'en prenne? Voulez-vous que j'en fasse?» répond Napoléon obligé de tenir tête aux Prussiens. Toutefois, ceux-ci avaient décidément reculé. Napoléon forme une colonne de bataillons de la garde, destinée à enfoncer le centre des Anglais. Elle est à peine organisée que le reste de l'armée prussienne avec Blücher se montre sur l'extrême droite: et Grouchy ne vient point! Napoléon ordonne d'attaquer avec quatre bataillons seulement. Peut-être aura-t-il le temps de percer les Anglais. Tout cède devant les redoutables bataillons que Ney dirige avec l'entrain du désespoir. On entoure Wellington, on lui demande ses instructions, s'il est tué. «Mes instructions, répond-il, c'est de tenir ici jusqu'au dernier homme.» Il mérita bien, ce jour-là, par sa froide ténacité, le surnom de Duc de fer. Des soldats de réserve, couchés dans les blés, se lèvent tout à coup, et leur feu subit, meurtrier, met le désordre dans les rangs des Français, qui plient.
Il est huit heures. On pourrait renouveler l'attaque avec les huit bataillons qui restent, mais Blücher arrive et tourne notre aile droite. La vieille garde n'a plus qu'une mission à remplir: c'est de jeter sur cet immense désastre un peu de gloire, par son sublime héroïsme. Elle protège la déroute de l'armée, qui s'enfuit, vivement poursuivie. Décimés, les bataillons de vétérans se sacrifient pour le salut de tous. Ils se forment en carrés qui rétrogradent en combattant: plusieurs sont détruits. «La garde meurt et ne se rend pas,» noble parole qui fut réellement prononcée et admirablement tenue. Napoléon, entouré par les débris de sa garde, fut entraîné, la mort dans l'âme, loin de ce funeste champ de bataille de Waterloo où venait de s'abîmer sa merveilleuse carrière.
Napoléon se hâta d'accourir à Paris, croyant y trouver un appui. Se voyant abandonné, il abdiqua en faveur de son fils. Mais les alliés arrivèrent, rappelèrent Louis XVIII et n'accordèrent la paix qu'aux conditions les plus onéreuses. Les traités de 1815 ramenèrent la France, au nord et à l'est, en deçà des limites de 1789. Elle perdait non seulement les conquêtes de l'Empire, mais encore toutes celles de la République et même quelques-unes de l'ancienne monarchie.
Hors du continent, la France renonçait à la plupart des colonies que l'Angleterre avait prises pendant la guerre. L'Angleterre restait la plus grande puissance maritime. La Russie obtenait presque toute la Pologne. L'Autriche dominait l'Italie. La Prusse recouvrait ses anciennes provinces et recevait la rive gauche du Rhin. La Belgique, réunie à la Hollande, formait un royaume des Pays-Bas, destiné à servir de barrière contre la France. Partout les alliés de la France, les faibles, étaient écrasés.
Napoléon à Sainte-Hélène.—Napoléon avait demandé à l'Angleterre l'hospitalité et était passé librement sur un vaisseau anglais: on le déclara prisonnier et on l'envoya sur un îlot de l'océan Atlantique, à Sainte-Hélène, dans la zone torride. Là encore on sembla vouloir le tuer lentement. Au lieu de lui abandonner le château du gouverneur, situé dans une fraîche vallée, on choisit pour sa demeure un plateau brûlé par le soleil et désolé par les vents. Une limite fut tracée aux promenades de celui qui avait l'habitude de parcourir l'Europe. Hors de ces limites, Napoléon ne pouvait aller à cheval sans être suivi. Aussi, pour éviter cette gêne odieuse, se livrait-il le moins possible à l'exercice du cheval, nécessaire à sa santé. Les généraux Bertrand, Gourgaud et Montholon avec leurs familles faisaient tous leurs efforts pour adoucir ses peines; ils n'y parvenaient pas. Ne voulant plus monter à cheval, il se livra à l'exercice du jardinage et éleva des épaulements en terre pour protéger sa demeure contre les vents. En costume de planteur, on le voyait avec ses compagnons surveiller la culture de son jardin, et combattre encore la nature de ce roc stérile sur lequel on ne lui épargnait pas les humiliations.
En 1821, dans les premiers jours de mai, une maladie qui faisait souffrir Napoléon depuis plusieurs années et que le climat avait développée, fit des progrès alarmants. Le 3, le délire commença, et à travers ses paroles entrecoupées on saisit ces mots: «Mon fils... l'armée... Desaix...» On eût dit, à une certaine agitation, qu'il avait une dernière vision de la bataille de Marengo regagnée par Desaix. Le 4, l'agonie dura sans interruption. Le temps était horrible; un ouragan des tropiques déchaînait sa fureur sur l'île et y déracinait quelques-uns des grands arbres. Enfin, le 5 mai on ne douta plus que le dernier jour de cette existence extraordinaire ne fût arrivé. Tous les serviteurs de Napoléon, agenouillés autour de son lit, épiaient les dernières lueurs de la vie. Ce jour-là, le temps était redevenu calme et serein. Vers cinq heures quarante-cinq minutes, juste au moment où le soleil se couchait dans des flots de lumière et où le canon anglais donnait le signal de la retraite, les nombreux témoins qui observaient le mourant s'aperçurent qu'il ne respirait plus, et s'écrièrent qu'il était mort.
Napoléon avait alors cinquante-deux ans. On l'enterra dans l'île, près d'une fontaine qu'il affectionnait. Il avait, dans son testament, exprimé le désir d'être enterré «sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français qu'il avait tant aimé.» Ce dernier vœu fut réalisé en 1840, et les restes de Napoléon reposent maintenant dans l'Hôtel des Invalides à Paris.
CHAPITRE XX
LA FRANCE DEPUIS 1815
La Restauration; Louis XVIII (1815-1824).—Une invasion plus funeste que celle de 1814 se continua pendant plus de trois mois après la bataille de Waterloo. Les Prussiens occupaient Paris, les Anglais tenaient les environs de la capitale. Pendant trois ans une partie de la France resta occupée par les troupes étrangères.
La Chambre des députés voulait rétablir l'ancien régime, et Louis XVIII se vit obligé lui-même de la dissoudre. Il s'efforçait de réconcilier les classes divisées par une révolution si profonde: il comprenait que la royauté devait se rattacher la société nouvelle et non la combattre. L'assassinat du duc de Berry (13 février 1820), neveu du roi et alors dernier héritier du trône, rejeta le gouvernement dans les bras des royalistes exaltés. Les rigueurs recommencèrent et provoquèrent des conspirations qui amenèrent de nouveaux supplices.
Afin de regagner l'armée et pour défendre au dehors comme au dedans le principe de l'autorité royale, le gouvernement entreprit l'expédition d'Espagne pour rétablir sur le trône le roi Ferdinand VII, qui avait été renversé par son peuple et se trouvait dans une situation analogue à celle où s'était trouvé Louis XVI. L'armée française, commandée par les maréchaux et les généraux expérimentés de l'Empire, pacifia rapidement toute l'Espagne.
L'année suivante, Louis XVIII, qui avait eu à traverser les temps les plus difficiles, acheva paisiblement son règne.
Charles X (1824-1830).—Son frère Charles lui succéda. Charles X avait alors soixante-sept ans: le duc de Bordeaux était son petit-fils, et tout semblait l'inviter à continuer, après les secousses violentes des trente dernières années, la politique de Louis XVIII. Il n'en fit rien. C'était lui qui, en 1789, avait donné le signal de l'émigration, et il disait en parlant de La Fayette, un des principaux chefs du parti libéral et l'un des premiers acteurs de la Révolution: «Il n'y a que M. de La Fayette et moi qui n'ayons pas changé depuis 1789.» Un moment il céda à l'opinion en prenant des ministres modérés, mais il revint presque aussitôt aux vieilles théories de pouvoir absolu, et se crut assez fort en 1830 pour déchirer la Charte consentie par Louis XVIII.
Une révolution éclata et une bataille de trois jours s'engagea dans les rues de Paris, 26, 27 et 28 juillet 1830. Charles X abdiqua en faveur de son petit-fils le duc de Bordeaux, mais trop tard, et s'embarqua à Cherbourg, partant pour un dernier et nouvel exil. Les Chambres donnèrent la couronne à Louis-Philippe d'Orléans. La France reprit le drapeau tricolore.
Règne de Louis-Philippe Ier (1830-1848).—Le nouveau roi, Louis-Philippe Ier, rassurait par sa politique libérale la société, qui ne craignait plus de retour en arrière. Mais les partis ne désarmaient point, et le règne de Louis-Philippe fut fort troublé jusqu'en 1840; à plusieurs reprises, des insurrections ensanglantèrent les rues de Paris et de Lyon. Des attentats sans cesse répétés contre la vie du roi perpétuaient l'inquiétude.
Louis-Philippe, cependant, parvint à triompher de toutes les agitations: il maintenait au dehors la paix de l'Europe, mais on lui reprochait d'acheter cette paix par de trop grandes concessions. L'industrie et le commerce, qui, depuis le commencement du siècle, avaient pris un essor rapide, avaient accru l'importance de la population ouvrière, dont le gouvernement ne se préoccupait pas assez. Deux maîtres en l'art de la parole et en l'art d'écrire, M. Thiers et M. Guizot, se disputaient sans cesse le pouvoir, et leur rivalité fut le grand événement d'un règne où les luttes de la tribune tinrent la place principale. Tandis que les amis mêmes de la royauté réclamaient de justes réformes, ses ennemis se préparaient à profiter de ces divisions. Une émeute commencée aux cris de Vive la réforme! devint bientôt, le 24 février 1848, une révolution d'où sortit pour la seconde fois la République. Louis-Philippe n'essaya même pas de lutter; comme Charles X, il abdiqua en faveur de son petit-fils le comte de Paris, mais trop tard aussi, et il dut s'enfuir en Angleterre, où il mourut deux ans après.
Conquête de l'Algérie.—La plus grande œuvre et le plus beau résultat du règne de Louis-Philippe, ce fut la conquête de l'Algérie. La colonie s'est développée, et la France possède ainsi sur la côte d'Afrique un vaste territoire très fertile qui compte trois millions d'habitants.
République de 1848: le suffrage universel.—La révolution de février 1848 assurait le triomphe de la République. Le gouvernement provisoire, qu'on établit d'abord à l'Hôtel de ville, voulut tout de suite marquer la portée de la nouvelle révolution par des mesures libérales. Il abolit la peine de mort en matière politique et, dès le 2 mars, proclama le suffrage universel. Le 27 avril, il proclama également l'abolition de l'esclavage dans les colonies.
La Constitution nouvelle donnait le pouvoir à un Président élu pour quatre ans et à une Assemblée législative. L'Assemblée et le Président devaient être nommés par le suffrage universel. Cinq millions de suffrages désignèrent pour la présidence le prince Louis-Napoléon, dont le nom entraîna les populations des campagnes. Deux fois déjà, sous le règne de Louis-Philippe, il avait tenté de s'emparer du pouvoir: deux fois il avait échoué. Devenu président de la République, il s'appliqua à préparer son avènement à l'Empire.
Louis-Napoléon s'appuya d'abord sur les anciens partis monarchiques, et commença une véritable réaction contre les doctrines républicaines. Mais bientôt il se sépara des monarchistes, qui ne voulaient point l'accepter pour souverain. Afin de se faire réélire, il demanda la revision de la Constitution, mais tous les partis se réunirent contre lui et repoussèrent la revision de la Constitution. Alors le Président songea à recourir à la force.
Coup d'État du 2 décembre 1851.—Le 2 décembre 1851, il fit arrêter les députés les plus influents du parti républicain et des partis monarchiques, occuper Paris militairement, fermer la salle des séances de l'Assemblée. Il détruisait lui-même la Constitution, qu'il avait fait serment et qu'il avait pour mission de maintenir. La résistance qui s'organisa à Paris, échoua devant l'attitude des troupes dont le Président s'était assuré le concours. Des transportations sans jugement éloignèrent les ennemis du nouvel ordre de choses. Sept millions et demi de suffrages (20 et 21 décembre) confièrent à Louis-Napoléon la présidence pour dix ans.
Louis-Napoléon se hâta alors de publier une Constitution (14 janvier 1852). L'autorité effective, la pleine puissance était concentrée entre les mains du Président. Le pouvoir législatif était exercé par le Corps législatif et le Sénat. Louis-Napoléon se fit enfin, après un nouveau plébiscite,[14] proclamer empereur des Français (2 décembre 1852).
La guerre d'Orient.—Bien qu'il eût prononcé, pour rassurer l'Europe, ces mots fameux: «L'Empire, c'est la paix,» Napoléon III ne craignit pas d'inaugurer son règne par une grande guerre. Le tsar de Russie, Nicolas, avait envahi les provinces du Danube, le 3 juillet 1853. Napoléon III s'allia alors avec l'Angleterre pour s'opposer aux projets ambitieux du tsar.
Une flotte anglo-française alla dans la mer Baltique. Une armée française fut transportée en Turquie, où les troupes anglaises la rejoignirent. Les généraux alliés, ne voulant point se lancer à la poursuite des armées russes au delà du Danube, se décidèrent à attaquer Sébastopol, son principal arsenal, menace perpétuelle pour Constantinople. Le 14 septembre 1854, le corps expéditionnaire, dirigé par le maréchal Saint-Arnaud et lord Raglan, débarqua en Crimée. Les Russes, retranchés derrière le petit fleuve de l'Alma, sur des hauteurs hérissées d'artillerie, comptaient nous rejeter dans la mer. Grâce à l'élan, à l'agilité des soldats français, les hauteurs furent escaladées, les Russes tournés, refoulés: ce fut une victoire décisive et brillante (20 septembre 1854).
La victoire de l'Alma ouvrait la route de Sébastopol, dont le siège commença (octobre 1854) sous les ordres du général Canrobert, puis du général Pélissier. Il fallut creuser des tranchées dans un terrain rempli de rochers; les armées opéraient à cinq cents lieues de leur pays, attendant le plus souvent leur matériel et leurs provisions, livrés à la merci des vents impétueux qui soufflent dans la mer Noire.
Survint un hiver des plus rigoureux. Dans les tranchées les souffrances étaient affreuses, et il fallait travailler, combattre. Au mois de mars 1855 l'empereur Nicolas mourut, mais son fils, Alexandre II, continua la guerre. Alors les alliés poussèrent le siège avec une nouvelle vigueur.
Après un bombardement terrible, la tour Malakoff, qui était devenue, grâce aux travaux des Russes, une citadelle redoutable, fut attaquée le 8 septembre, tandis que le reste de l'armée s'élançait sur les bastions voisins. Malgré un feu épouvantable et plusieurs retours offensifs, la division du général de Mac-Mahon demeura maîtresse de la tour Malakoff, qui n'était plus qu'un amas de décombres. Le grand résultat était obtenu: Malakoff pris, Sébastopol tombait au pouvoir des Français.
Ce magnifique succès termina la guerre. Un congrès se réunit à Paris; la paix fut signée le 30 mars 1856, et la Russie perdait le fruit de longues années de travail et d'énormes dépenses.
Guerre d'Italie (1859).—Après la Russie, Napoléon voulait abaisser l'Autriche et délivrer l'Italie, dont le nord appartenait depuis 1815 aux Autrichiens. Le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel, et surtout son ministre, le comte de Cavour, entraînèrent Napoléon à cette guerre, qui fut populaire et brillante.
Les Français battirent les Autrichiens à Montebello (20 mai 1859) et encore au village de Magenta (4 juin).
Les Autrichiens semblèrent alors abandonner la Lombardie, mais, quand l'armée française approcha des bords du Mincio, elle vit tout à coup les hauteurs voisines de cette rivière couvertes d'ennemis. Les Français, sous un soleil ardent, s'élancèrent à l'assaut des hauteurs de Solferino et de Cavriana (24 juin), et s'en emparèrent après une lutte acharnée. Un orage qui éclata empêcha les Français de changer en déroute la défaite des Autrichiens, qui purent se retirer au delà du Mincio.
On se répétait encore les derniers détails de la journée de Solferino, lorsque le télégraphe annonça tout à coup la conclusion de la paix. Une entrevue eut lieu à Villafranca, entre l'empereur d'Autriche François-Joseph et l'empereur Napoléon III. Les deux souverains signèrent les préliminaires de la paix: l'empereur d'Autriche cédait la Lombardie à Napoléon III, qui la remettait au roi Victor-Emmanuel. L'Italie centrale demanda à s'unir au Piémont et, par une suite de révolutions, d'invasions successives, le Piémont devint le maître de la péninsule. Le royaume de Sardaigne se transforma en royaume d'Italie. L'unité italienne fut faite.
Dès 1860 la France, à raison de ces changements, avait réclamé sa frontière naturelle des Alpes, perdue en partie lors des traités de 1815. La Savoie et le comté de Nice furent cédés à la France par le roi Victor-Emmanuel (mars 1860), et les populations, consultées par la voie du suffrage universel, accueillirent avec joie ce retour à la patrie française. Le 14 juin, le drapeau français était porté par des guides hardis sur la plus haute cime du mont Blanc.
Guerre de 1870.—La Prusse n'avait été depuis 1815 qu'une puissance secondaire. Mais sous le roi Guillaume Ier, monté sur le trône en 1861, un ministre habile et audacieux, le comte de Bismarck, entreprit d'assurer à la Prusse l'empire de l'Allemagne. Il s'unit à l'Italie contre l'Autriche, et l'armée prussienne remporta une victoire décisive à Sadowa (3 juillet 1866). L'Autriche signa la paix, et les États allemands se virent obligés de reconnaître la suprématie de la Prusse. Ce royaume, considérablement agrandi, devenait un dangereux voisin. Un conflit était dès lors inévitable avec la France. Le gouvernement impérial s'y prépara d'une manière insuffisante, et la Prusse, qui connaissait les imperfections de notre armée, eut l'art de se faire déclarer la guerre qu'elle désirait (15 juillet 1870).
Les Prussiens saisissent l'occasion que leur offrent les mauvaises positions de l'armée, dispersée sur une ligne trop étendue le long de nos frontières. Le 4 août, au nombre de quarante mille hommes, ils écrasent une division française isolée sur les bords de la Lauter, à Wissembourg. L'ennemi entre en France.
Le maréchal de Mac-Mahon, qui occupait l'Alsace, cherche et trouve une forte position à Reichshoffen et à Frœschwiller. Mais il avait à peine trente-cinq mille hommes, et le prince royal de Prusse lui en opposa cent vingt mille. Le maréchal de Mac-Mahon, pour assurer sa retraite, dut sacrifier sa magnifique brigade de cuirassiers. Le même jour, à Forbach, le corps d'armée du général Frossard était repoussé et abîmé par une autre armée prussienne (6 août 1870).
L'invasion s'étendit dans les départements de l'Est, rapide, terrible, avec ses exigences, ses réquisitions, ses cruautés même.
L'armée principale, commandée par le maréchal Bazaine, restait sous la protection de la place de Metz, au lieu de se replier rapidement: et malgré les glorieux combats de Borny (14 août), de Gravelotte (16 août) et de Saint-Privat (18 août), où les armées prussiennes firent des pertes énormes, l'armée française fut entourée et resserrée autour de Metz.
Une nouvelle armée, formée à Châlons, fut témérairement envoyée à son secours; cette seconde armée, acculée à la frontière du Nord, fut enveloppée autour de la petite place forte de Sedan. Après deux jours de combats sanglants, cette armée, privée de son chef, le maréchal Mac-Mahon, grièvement blessé, se vit refoulée dans la place de Sedan, où, accablée par l'artillerie allemande, elle ne pouvait ni résister ni vivre. L'empereur Napoléon III, qui se trouvait avec cette armée, capitula en se rendant prisonnier de guerre avec quatre-vingt mille hommes (2 septembre 1870).
Lorsque cette nouvelle arriva à Paris, une révolution éclata (4 septembre); un gouvernement nouveau s'installa à l'Hôtel de ville, prenant le titre de gouvernement de la Défense nationale. Les principaux membres de ce gouvernement, présidé par le général Trochu, gouverneur de Paris, étaient MM. Jules Favre, Ernest Picard, Jules Simon, Crémieux, Gambetta.
Tandis que les armées prussiennes, victorieuses à Sedan, venaient investir et assiéger Paris, d'autres troupes allemandes s'emparaient successivement des forteresses.—Strasbourg, boulevard de l'Alsace, investi le 13 août, se vit, à partir du 15, exposé à un bombardement qui s'attaquait à la ville même. Tout le centre de la ville fut dévasté par l'incendie. La cathédrale elle-même fut mutilée. La ville, à bout de ressources, dut capituler le 28 septembre. Paris cependant, investi depuis le 19 septembre, tenait à distance les Prussiens, qui ne se trouvaient pas en mesure de l'attaquer de vive force. Des troupes se rassemblaient sur les bords de la Loire, et la situation paraissait s'améliorer. La capitulation du maréchal Bazaine[15] à Metz (27 octobre) vint changer la face des choses. Investi, enserré par des lignes de batteries, qu'il n'était pas aisé de franchir, il n'essaya pas sérieusement, malgré la belle qualité de ses troupes aguerries, qui constituaient la plus belle armée que la France ait eue depuis longtemps, de rompre le cercle de fer et de feu tracé autour de lui. Lorsque les vivres diminuèrent, il négocia. M. de Bismarck ne voulut plus entendre parler de convention lorsqu'il comprit que l'armée devait nécessairement se rendre. Le jour fatal arriva en effet. Le maréchal dut capituler, et livrer prisonniers de guerre les cent mille hommes qui lui restaient, un matériel énorme, des forts superbes, un arsenal de premier ordre et une ville qui était un des plus solides remparts de la France. Verdun, assiégé depuis le 25 août, capitule le 8 novembre et Belfort se préparait sous la direction du colonel Denfert à une résistance digne de la réputation de cette forteresse.
A Paris, le général Trochu se hâta d'accélérer l'organisation de l'armée, qui déjà avait tenté plusieurs reconnaissances. Apprenant que l'armée de la Loire comptait s'approcher du côté de la vallée de la Seine, il prépara une sortie du côté de la Marne. Deux combats (30 novembre et 2 décembre) furent honorables pour l'armée de Paris, mais n'eurent aucun résultat. En même temps l'armée de la Loire avait à lutter contre l'armée prussienne de Frédéric-Charles, que la capitulation de Metz avait rendue libre. Une série de combats, les 2, 3 et 4 décembre, en avant d'Orléans, se termina par la retraite des Français et la reprise d'Orléans par les Prussiens. Paris, à bout de vivres et bombardé depuis le 6 janvier, avait enfin capitulé. Le gouvernement de la Défense nationale signa un armistice (28 janvier 1871). Une assemblée se réunit le 13 février à Bordeaux, nomma M. Thiers chef du pouvoir exécutif, et, après une douloureuse délibération, ratifia, le 1er mars, les préliminaires de paix. La France était forcée de payer cinq milliards et d'abandonner aux Allemands l'Alsace et la partie de la Lorraine qu'ils appellent allemande.
La guerre civile; la Commune de Paris.—Comme si ce n'était pas assez de tant de malheurs, une affreuse guerre civile suivit la guerre étrangère. Des ambitieux, exploitant les souffrances et la colère de la population parisienne, soulevèrent une partie de la garde nationale (18 mars 1871), et organisèrent la Commune. Le gouvernement légal fut obligé de se retirer à Versailles, et ne put rentrer à Paris qu'après un siège de deux mois (avril-mai). Encore, dans la dernière semaine, Paris faillit-il être anéanti par les incendies qu'allumèrent les vaincus. Cette lutte sinistre ne finit que le 28 mai.
Présidence de Thiers (1871-1873).—Le gouvernement de la Défense nationale avait déposé ses pouvoirs entre les mains des représentants de la nation, et ceux-ci, quoique appartenant en majorité à des opinions monarchiques, n'osèrent pas rétablir la monarchie. Ils choisirent pour Président du pouvoir exécutif M. Thiers, désigné d'ailleurs par ses lumières, son expérience et ses efforts, pendant la guerre, pour intéresser l'Europe aux malheurs de la France.
Chef du pouvoir exécutif et vainqueur de l'insurrection de la Commune, Thiers, travailleur infatigable, malgré son grand âge, se hâta de préparer, en devançant les époques de payement de l'indemnité de guerre, l'évacuation du territoire français. En deux ans l'indemnité de guerre de cinq milliards était payée, grâce à l'empressement du public à souscrire aux emprunts destinés à ces payements. Les Prussiens abandonnèrent toutes les positions qu'ils occupaient sur le territoire français. En même temps, de concert avec l'Assemblée, Thiers réorganisait l'armée, l'administration, les finances. Une loi (27 juillet 1872) déclarait le service militaire obligatoire pour tous les Français jusqu'à l'âge de quarante ans. Mais Thiers, qui s'efforçait de faire prévaloir la forme républicaine, tomba sous une coalition des partis monarchiques et donna sa démission le 24 mai 1873. Quelques mois auparavant (9 janvier) était mort en Angleterre l'empereur Napoléon III.
Présidence du maréchal de Mac-Mahon (1873-1879).—Le maréchal de Mac-Mahon fut désigné par l'Assemblée pour remplacer Thiers, et bientôt, comme les efforts pour rétablir la monarchie ne pouvaient réussir, les pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon furent prolongés (20 novembre) pour une durée de sept années. Toutefois il fallait une Constitution déterminée. Républicains et monarchistes, avec des vues différentes, s'entendirent pour organiser un gouvernement.
La Constitution du 25 février 1875 établit deux Chambres, le Sénat et la Chambre des députés. Le Président de la République était élu pour sept ans par les deux Chambres réunies en Congrès. La République devint dès lors le gouvernement légal de la France, et l'Assemblée nationale se sépara à la fin de l'année 1875 pour laisser s'accomplir les élections nouvelles qui donnèrent dans la Chambre des députés la majorité au parti républicain, mais en 1879, quand de nouvelles élections eurent enlevé aux monarchistes la majorité au Sénat, Mac-Mahon donna sa démission.
Présidence de Grévy.—Le Congrès élut pour Président un libéral éprouvé, Jules Grévy. Toutefois le vrai maître du pouvoir était Gambetta qui savait rallier les différentes fractions du parti républicain. Mais Gambetta, contraint d'accepter la présidence du conseil, voulut trop marquer son autorité, et en quelque sorte dominer la Chambre des députés. Il ne put la déterminer à changer le mode de nomination des députés et se retira (janvier 1882). A la fin de la même année il mourait prématurément, et c'est alors que le parti républicain mesura l'étendue de sa perte.
Après la mort de Gambetta, Jules Ferry parut le plus capable de devenir le guide du parti républicain. Il resta deux ans au pouvoir, fit voter la loi sur l'instruction primaire obligatoire et gratuite (mars 1882) et surtout s'appliqua à tourner vers les entreprises extérieures l'activité française. Il fit voter une expédition au Tonkin qui nécessita de grands sacrifices d'argent et surtout d'hommes, car le climat malsain en dévorait beaucoup. La conquête du Tonkin amena une guerre avec la Chine. Mais un échec survenu au Tonkin produisit à Paris un mécontentement tel que Jules Ferry dut se retirer (30 mars 1885). Il mourut quelques années plus tard (1893).
Les différentes fractions du parti républicain se combattaient les uns les autres: l'animosité des discussions politiques n'amena pas seulement de fréquents changements de ministère; le Président Grévy, qui pourtant en 1885 avait été réélu et paraissait, quoique âgé, en état de fournir une nouvelle période de sept ans, se vit forcé de donner sa démission (2 décembre 1887).
La présidence de Carnot (1887-1894).—Grévy fut remplacé par Sadi-Carnot, petit-fils du conventionnel Carnot et issu d'une vieille famille républicaine.
A l'occasion du centenaire de la Révolution de 1789, une admirable Exposition universelle attira, en 1889, à Paris, des étrangers de toutes les parties du monde. Une tour en fer, de 300 mètres, le plus haut monument du globe, dressée par l'ingénieur Eiffel, dominait un ensemble magnifique de palais et couronnait par une merveille de la science les merveilles accumulées de l'industrie du monde entier.
Tandis que la France paisible et laborieuse ne songeait qu'à développer les éléments de sa richesse et à multiplier les travaux qui profitent à tous, un péril grave menaçait la société. Poussant les idées de liberté jusqu'à l'extrême, des fanatiques prétendaient supprimer toute autorité et proclamaient comme une doctrine l'anarchie, qui est la ruine de toute société humaine.
Des attentats répétés contre les souverains, les particuliers, troublèrent la Russie, l'Allemagne, l'Espagne. La France n'y échappa point. Des bombes chargées d'une substance explosible terrible, la dynamite, furent, depuis 1892, jetées dans les maisons de Paris et firent des victimes. Une bombe fut même lancée, le 9 décembre 1893, au milieu de la Chambre des députés et en blessa plusieurs. Recrutés dans tous les pays, ces anarchistes frappèrent enfin, par la main d'un misérable Italien, à Lyon, le 24 juin 1894, le président Carnot, tué d'un coup de poignard qui rappela le sinistre coup de Ravaillac.[16]
La présidence de Casimir-Périer (1894).—Dès le lendemain de la mort du président Carnot, les Chambres françaises se préoccupèrent de lui donner un successeur. Le 27 juin, réunies en Congrès à Versailles, elles nommèrent M. Casimir-Périer, petit-fils de cet ancien ministre du roi Louis-Philippe qui avait beaucoup contribué, en 1831, à raffermir l'ordre profondément troublé. Mais M. Casimir-Périer donna sa démission au bout de six mois.
Présidence de M. Félix Faure.—Le Congrès se réunit encore et son choix se porta sur M. Félix Faure, député du Havre, ministre de la marine. La nouvelle présidence fut heureusement inaugurée par l'expédition de Madagascar qui assurait à la France la possession de cette grande île (avril-septembre 1895).
En 1896, le tsar Nicolas II vint à Paris avec l'impératrice et fut reçu (6-8 octobre) avec des démonstrations enthousiastes qui affirmaient et cimentaient l'union franco-russe. Le Président Félix Faure alla à son tour rendre au tsar sa visite en Russie où il arriva par mer. Il débarqua à Cronstadt le 23 août et fut magnifiquement accueilli au palais de Peterhof. Il visita Saint-Pétersbourg où la population russe le salua des plus vives acclamations. Dans ce voyage fut prononcée par les chefs d'État la déclaration précise de l'union des «deux nations amies et alliées.»
Le 16 février 1899, le Président Félix Faure est mort subitement et, le 18 février, M. Émile Loubet, président du Sénat, a été élu Président de la République. Une nouvelle Exposition Universelle a eu lieu en 1900.
LEXIQUE
(La prononciation française des mots étrangers est donnée dans tous les cas.)
Aisne (êne), rivière au nord de la France.
Aix (èss or èks), ancienne capitale de la Provence.
Ajaccio (a-jak-cio), ville de Corse.
Albigeois, secte religieuse du midi de la France.
Allemagne, empire de l'Europe centrale.
Allemand-e, qui habite l'Allemagne.
Allia, rivière d'Italie près de Rome.
Anne d'Autriche, femme de Louis XIII et mère de Louis XIV.
Armagnacs (ar-ma-nyak), parti opposé à celui des Bourguignons et dont le chef fut Bernard, comte d'Armagnac.
Augsbourg (oz-bour), ville d'Allemagne.
Autriche, État de l'Europe (anglais Austria).
Autrichien-ne, qui habite l'Autriche.
Auxerre (o-cèrr), ville de France.
Auxerrois (x = ks), Saint Germain, l', église à Paris.
Bailly (ba-yi), Président de l'Assemblée constituante, puis maire de Paris.
Bavarois, qui habite la Bavière.
Bavière, pays d'Europe.
Belgique, pays d'Europe au nord de la France.
Bicoque (la), village du Milanais.
Blücher (blu-kèrr), général prussien.
Boufflers (bou-flèrr), maréchal de France.
Bourgogne, ancienne province de France (anglais Burgundy).
Bourguignon-ne, qui habite, ou qui appartient à la Bourgogne: Les Bourguignons, parti opposé à celui des Armagnacs, et dont le chef fut Jean, duc de Bourgogne.
Brest (brèstt), ville de France; vaste port militaire.
Bretagne, ancienne province de France (anglais Brittany).
Breton-ne, qui habite la Bretagne.
Brunswick (brons-vik), général allemand.
Chramne (ch = k), fils de Clotaire Ier.
Christ (cristt) (mais voyez aussi Jésus-Christ).
Chypre ou Cypre, île dans la Méditerranée.
Cinq-Mars (sain mar), Marquis de, favori de Louis XIII.
Coblence (coblance), ville d'Allemagne au confluent du Rhin et de la Moselle.
Corse, île dans la Méditerranée (anglais Corsica); qui habite la Corse.
Dupleix (du-plèkss), gouverneur des Indes françaises.
Desaix (de-cè), général français, tué à Marengo.
Èbre, fleuve d'Espagne qui se jette dans la Méditerranée.
Écossais, qui habite l'Écosse (Scotland).
Eiffel (è-fel), ingénieur français, constructeur de la tour célèbre à Paris.
Enghien (an-gain), duc d', titre du fils aîné du prince de Condé.
Étrurie, ancienne contrée du centre de l'Italie.
Flamand, qui habite la Flandre (anglais Fleming).
Flandre, ancienne province des Pays-Bas.
Fleurus (fleu-rûss), ville de Belgique.
Fréjus (fré-jûss), port de France sur la Méditerranée.
Galles, principauté à l'ouest de l'Angleterre: l'héritier de la couronne de la Grande-Bretagne porte le titre de Prince de Galles.
Gand, ville de Belgique (anglais Ghent).
Gantois, qui habite Gand.
Garigliano (ga-ri-lyano), fleuve d'Italie.
Gaulois-e, qui habite la Gaule.
Gênes, ville d'Italie (anglais Genoa).
Génois-e, qui habite Gênes.
Guillaume (ghi-iome), nom de baptême.
Guizot (gu-i-zo), historien et homme d'État.
Hongrie, contrée de l'Europe centrale (anglais Hungary).
Hongrois-e, qui habite la Hongrie.
Impériaux, troupes de l'empereur d'Allemagne.
Jérusalem (jé-ru-za-lème), ville de Palestine.
Jésus-Christ (jé-zu-kri) (mais voyez aussi Christ).
Kléber (klé-bèrr), général français, assassiné en Égypte.
Leczinski (lek-zain-ski), roi de Pologne, fut détroné et reçut en compensation le duché de Lorraine. Sa fille Marie Leczinska épousa Louis XV.
Leipzig ou Leipsick (lip-cik), ville d'Allemagne.
Lens (lanss), ville au Nord de la France.
Lombard-e, qui habite la Lombardie.
Lombardie, province d'Italie.
Longwy (lon-goui), ville de la France orientale.
Lorraine, ancienne province de la France; habitante de la Lorraine.
Manche (la), mer qui sépare la France de l'Angleterre et qui communique par le pas de Calais avec la mer du Nord.
Mahomet (ma-o-mè), fondateur de la religion musulmane.
Malesherbes (mal-zèrb), un des défenseurs de Louis XVI.
Mameluks, soldats égyptiens.
Marignan (ma-ri-nyan), village d'Italie.
Médicis (mé-di-ciss), Catherine et Marie de, reines de France.
Mélas (mé-lass), général autrichien.
Metz (mêss), ville d'Allemagne; autrefois de France.
Michel (toujours mi-chel excepté dans Michel [mi-kel] Ange), nom de baptême.
Milanais, ancien État d'Italie dont Milan était la capitale; aussi, qui habite le Milanais.
Morvan, ancien petit pays de France.
Narbonne, ville de France près de la Méditerranée.
Niémen (ni-é-mène), fleuve de la Russie occidentale qui se jette dans la mer Baltique.
Oger ou Ogier, guerrier célèbre dans les romans de la chevalerie.
Orthez (or-tèss), ville de la France méridionale.
Ouessant, île française près des côtes du Finisterre.
Pays-Bas, nom donné de 1814 jusqu'à 1830 à la Belgique et à la Hollande; depuis 1830 il s'applique à la dernière seulement.
Picard, qui habite la Picardie.
Picardie, ancienne province de la France septentrionale.
Piémont, contrée d'Italie; depuis 1860 réuni au royaume d'Italie.
Pologne, ancien État de l'Europe maintenant partagé entre la Russie, la Prusse et l'Autriche.
Reims (raince), ville de France.
Saint-Cloud (clou), ville et château près de Paris. Le château fut brulé pendant la guerre de 1870-71.
Sainte-Menehould (me-nou), village de la France orientale.
Saint-Just (justt), membre de la Convention et du Comité du Salut public.
Saint-Siège, la papauté, la cour de Rome.
Sardaigne, île dans la Méditerranée au sud de la Corse; ancien royaume compris aujourd'hui dans le royaume d'Italie.
Thiers (tièrr), historien et homme d'État célèbre.
Tite-Live, historien latin.
Tonkin, province de l'empire d'Annam (Asie orientale).
Tunis ou Tunisie, État de l'Afrique sous le protectorat de la France.
Vergniaud (ver-nyo), chef du parti girondin.
Versailles (ver-sa-i), ville de France près de Paris.