Histoire des salons de Paris (Tome 5/6): Tableaux et portraits du grand monde sous Louis XVI, Le Directoire, le Consulat et l'Empire, la Restauration et le règne de Louis-Philippe Ier
SALON DE Mme LA DUCHESSE DE BASSANO.
1811.
Pendant les onze années que M. le duc de Bassano passa à la secrétairerie d'État, il n'eut pas chez lui l'apparence même de ce que nous avions, par nos maris, nous autres jeunes femmes dans une haute position, une maison ouverte. La confiance illimitée que lui accordait l'Empereur, la connaissance intime qu'il avait de toutes les choses politiques, le danger pour lui de répondre une parole en apparence frivole et dont la conséquence pouvait être importante; tous ces empêchements avaient mis obstacle à l'exécution d'un de ses désirs les plus vifs. Celui d'avoir une réunion habituelle d'amis et de personnes agréables du monde, pour rétablir cette vie sociable toute française et que ne connaissent en aucun point les autres pays que par nos vieilles traditions. Nul n'était plus fait que le duc de Bassano pour mettre un tel projet à exécution. Il était homme du monde en même temps qu'un homme habile. Il avait la connaissance parfaite de ce que la société française exige et rend à son tour. Il était alors, ce qu'il est encore aujourd'hui, l'un des hommes les plus spirituels de notre société élégante; racontant à merveille, comprenant tous les hommes et sachant jouir de tous les esprits qui s'offrent à lui, quelque difficile que leur clef soit à trouver.
Madame la duchesse de Bassano était une des femmes les plus remarquables de la cour impériale. Elle était grande, belle, bien faite, parfaitement agréable dans ses manières, d'un esprit doux et égal, et possédant des qualités qui la faisait aimer de toutes celles qui n'étaient pas en hostilité avec ce qui était bien. Lorsqu'elle se maria elle n'aimait pas la cour, où elle vint presque malgré elle. Aussi, bien qu'elle fût alors dans toute la fleur de sa jeunesse et de sa beauté, elle vivait fort retirée et tout à fait dans l'intérieur de sa maison. Nommée dame du palais lors de l'Empire, elle devint alors l'un des ornements de la cour. Le genre régulier de sa beauté lui donnait de la ressemblance avec celle de la duchesse de Montebello. Les traits de la duchesse de Montebello étaient peut-être plus semblables à ceux des madones de Raphaël, mais madame de Bassano était plus grande et mieux faite.
En parlant du salon de madame la duchesse de Bassano, et le prenant au moment où son mari fut ministre des affaires étrangères[119], je dois nécessairement parler beaucoup du duc; c'est alors un des devoirs de ma mission de le faire connaître tel qu'il était, et de le montrer éclairé par le jour véritable sous lequel il doit être vu.
La famille de M. Maret[120] (depuis duc de Bassano) était généralement estimée; son père, médecin distingué, était en outre secrétaire perpétuel de l'académie de Dijon, et dans la plus haute estime, non-seulement de tout ce que la littérature française avait de plus élevé, mais des savants étrangers les plus en renommée. Je donnerai tout à l'heure une preuve, comme en reçoivent rarement les hommes de lettres entre eux, de cette affection portée à M. Maret le père par la science étrangère.
Un fait peu connu, même des amis de M. de Bassano, c'est qu'il a vivement désiré, après de très-fortes études, de suivre la carrière du génie ou de l'artillerie.
Il n'avait que dix-sept ans lorsque le concours s'ouvrit à l'académie de Dijon pour un éloge de Vauban. Tourmenté déjà du désir de marcher sur les traces de cet homme illustre, le jeune homme voulut aussi concourir, lui, pour cet éloge. Mais le moyen; son père était bon, mais sévère, et ne voulait permettre aucun travail de ce genre. Heureusement pour lui, le jeune Maret avait à sa disposition la vaste bibliothèque des jésuites; il allait y travailler, et là, il demeurait au moins quelques instants sans être troublé. Quelques jours avant la fin de son ouvrage, étant seul dans ce lieu, il y fut surpris par le bibliothécaire lui-même, ennemi personnel de M. Maret le père.....
—«Votre père vous demande, dit-il au jeune homme....» Et tandis qu'il y court, le bibliothécaire, curieux de voir à quel genre de travail s'occupe le jeune élève, prend le livre qu'il avait laissé ouvert à l'endroit même qu'il copiait, et lit ce passage. Ce livre était l'Histoire des siéges, par le père Anselme.... Le bibliothécaire fut éclairé, et remit aussitôt le livre à sa place. Il en savait assez pour nuire.
L'éloge de Vauban terminé, il fallait le faire parvenir à l'académie de Dijon pour qu'il y prît son rang et son numéro. M. Maret le père, comme secrétaire perpétuel, était chargé de ce soin. Mais le travail était long. Il avait d'autres soins, et il s'en remettait souvent à son fils pour ouvrir les lettres qui arrivaient de Paris, pour les concours surtout. Un jour où le courrier avait été plus considérable que de coutume, le jeune homme eut soin de ménager une grande enveloppe, et dit, en substituant son éloge au papier insignifiant qu'elle contenait:
—«Ah! voilà encore une pièce pour le concours!
—Vraiment, observa M. Maret, elle arrive à temps! Le concours ferme demain, et il ne reste que le temps de lui assigner une place; donne-lui un numéro.»
Le jeune Maret place son éloge sous une autre enveloppe, lui donne un numéro; et le voilà attendant son sort avec une anxiété que peuvent seuls connaître ceux dans cette position.....
Le dépouillement fait ne laisse que deux éloges pour se disputer le prix. L'un est d'un jeune officier du génie, l'autre d'un enfant[121] pour ainsi dire; et cependant il lutte avec tant d'avantage, que la commission qui devait prononcer hésite dans son jugement.
Le bibliothécaire, qui connaissait l'auteur de l'un des deux éloges, et qui avait la volonté de lui nuire, cherchait mille moyens pour déverser une sorte de défaveur sur le morceau que tout le monde s'accordait à trouver vraiment beau. Enfin, le président impatienté de cet acharnement, qui devenait visible, dit au bibliothécaire:
—«Il me semble, monsieur, que les personnalités sont interdites parmi nous.»
Enfin l'académie prononce. Un des éloges a le prix, l'autre l'accessit. La médaille appartient à l'officier du génie, l'accessit à M. Maret.....
La pièce avec laquelle il avait concouru était de Carnot, sous-lieutenant alors dans l'arme du génie. Sans doute elle était bien; mais celle de son concurrent était peut-être plus belle, parce qu'il y avait mis toute la chaleur de son âge et toute l'ardeur qu'on apporte à cet âge au travail pour lequel on demande une couronne... Il était visible que les académiciens avaient un grand regret de prononcer le jugement tel qu'il était... Malheureusement il fallut que cela fût ainsi..... Mais la pièce du jeune Maret eut les honneurs de la lecture en pleine séance académique, présidée par M. le prince de Condé[122]..... M. Maret le père, vivement ému de cette scène inattendue pour lui, sortit aussitôt que la séance fut terminée, et passa dans le jardin avec son fils..... À peine le jeune homme avait-il fait quelques pas, qu'il fut rejoint par son concurrent... Carnot avait les deux médailles... le grand prix... un grand honneur enfin... mais une voix lui criait que le triomphe n'était pas dans tout cela, et cette voix ne le trouva pas sourd. Il aurait dû l'écouter avec équité; il n'en fut pas ainsi.
—«Monsieur, dit-il au jeune Maret, l'académie n'a pas été juste en m'accordant les deux médailles... Je sens moi-même tout ce que votre éloge de Vauban renferme de beau et de bien..... J'ai moins de mérite que vous si j'ai réussi en quelques points, car je suis officier du génie... et je puis avouer que j'ai mis en oubli un fait d'un haut intérêt, que vous n'avez pas omis[123]. Permettez-moi de faire ce que l'académie n'a pas fait, et veuillez accepter de ma main cette seconde médaille.»
Il était évident que Carnot était blessé de cette concurrence qui lui faisait trouver presque une défaite dans la victoire, car il voyait trop bien quel intérêt inspirait l'éloge du jeune Maret; et il crut en imposer au public et... et peut-être à lui-même en partageant avec lui le prix de l'académie..... Le jeune Maret sentit instinctivement que la proposition n'avait pas cette expression franche et de prime-saut qu'aurait inspirée un élan généreux; et puis, dans sa modestie, il ne se croyait pas de force à lutter avec Carnot, qu'il remercia, mais sans accepter.
—«Monsieur, lui dit-il, j'eusse été fier et heureux de mériter la médaille... mais je sais trop bien qu'elle est on ne peut mieux entre vos mains; permettez-moi de l'y laisser. Ne l'ayant pas reçue de l'académie, je ne peux la recevoir de vous[124].»
Les deux rivaux se séparèrent. Carnot emporta ses médailles, et Maret un nouvel espoir de succès dans la carrière littéraire. Ce fut alors qu'il fit un petit poëme en deux chants, intitulé la Bataille de Rocroy, qu'il dédia au prince de Condé[125].
Mais son père voulait qu'il étudiât profondément les lois. Il se mit sérieusement à ce travail, et par une sorte de pressentiment il y joignit l'étude du droit politique... Peu après il prit ses grades à l'université de Dijon, et fut reçu avocat au parlement malgré sa grande jeunesse.
Toutefois son goût le portait avec ardeur vers la carrière diplomatique; son père l'envoya à Paris. Là, recommandé vivement à M. de Vergennes dont le crédit était tout-puissant en raison de l'amitié que lui portait le roi; ne voyant que la haute société et la bonne compagnie, étudiant constamment avec la volonté d'arriver, M. Maret put se dire qu'il pouvait prétendre à tout. Recommandé et aimé de toutes les illustrations de l'époque, il obtint un honneur très-remarquable: ce fut d'être présenté au Lycée de Monsieur (l'Athénée) par Buffon, Lacépède et Condorcet... Être jugé et estimé de pareilles gens au point d'être présenté par eux à une société savante aussi remarquable que l'était celle-là à cette époque, c'est un titre impérissable.
M. de Vergennes mourut. M. Maret perdait en lui un protecteur assuré. Il résolut alors d'aller en Allemagne pour y achever ses études politiques... mais à ce moment la révolution française fit entendre son premier cri: on sait combien il fut retentissant dans de nobles âmes!... M. Maret jugea qu'il ne trouverait en aucun lieu à suivre un cours aussi instructif que les séances des états-généraux qui s'ouvraient à Versailles: il fut donc s'y établir. Ce fut donc les séances législatives qu'il rédigea pour sa propre instruction, et de là jour par jour, le Bulletin de l'Assemblée nationale. Mirabeau, avec qui le jeune Maret était lié, lui conseilla, ainsi que plusieurs autres orateurs tels que lui, de faire imprimer ce bulletin.... Panckoucke faisait alors paraître le Moniteur: il y inséra ce bulletin, auquel M. Maret exigea qu'on laissât son titre. Il avait une forme dramatique qui plaisait. C'était, comme on l'a dit fort spirituellement, une traduction de la langue parlée dans la langue écrite. Ce fut un nouveau cours de droit politique d'autant plus précieux qu'il n'avait rien de la stérilité d'intérêt de ces matières. C'était en même temps un tableau vivant des fameuses discussions de l'Assemblée nationale et ses athlètes en relief avec leurs formes spéciales, en même temps qu'il rendait l'énergique vigueur de leurs improvisations et les orages que soulevaient leurs débats.
L'Assemblée nationale finit: M. Maret fut alors nommé secrétaire de légation à Hambourg et à Bruxelles. Là, malgré sa jeunesse, il fut chargé des affaires délicates de la Belgique, après la déclaration de guerre, ainsi que de la direction de la première division des affaires étrangères, avec les attributions de directeur général de ce ministère... et M. Maret n'avait alors que vingt-huit ans!...
Envoyé à Londres, où cependant étaient en même temps M. de Chauvelin et M. de Talleyrand, il fut député auprès de Pitt, pour traiter des hauts intérêts de la France... À son retour, et n'ayant pas encore vingt-neuf ans, M. Maret fut nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Naples. Il partit avec M. de Sémonville qui, de son côté, allait à Constantinople. Ce fut dans ce voyage que l'Autriche les fit enlever et jeter, au mépris du droit des gens, dans les cachots de Mantoue[126], non pas comme des prisonniers ordinaires, mais comme les plus grands criminels... Chargés de chaînes si pesantes, que le duc de Bassano en porte encore les marques aujourd'hui sur ses bras!... jetés dans des cachots noirs et infects, ils en subirent bientôt les affreuses conséquences... Trois jeunes gens de la légation moururent en peu de temps. Attaqué lui-même d'une fièvre qui menaçait sa vie, M. Maret fut bientôt en danger.
Ce fut alors que le nom de son père fut pour lui comme un talisman magique. Il avait correspondu avec l'académie de Mantoue... Une députation de cette académie, conduite par son chancelier Castellani, demanda et obtint à force de prières que M. Maret fût transféré dans une prison plus salubre.
«Ce que nous demandons, dit la députation, c'est d'apporter du secours et des consolations au fils d'un homme dont la mémoire nous est si chère!...»
Les prisonniers furent transférés dans le Tyrol, dans le château de Kuffstein... Là, Sémonville et Maret passèrent encore vingt-deux mois dans la plus dure captivité. Seulement ils étaient au sommet du donjon, et non plus dans ses souterrains. Mais séparés... seuls... sans livres ni papier... ni rien pour écrire... l'isolement et l'oisiveté... pour seule occupation les souvenirs de la patrie... de la famille... et le doute de jamais les revoir!... L'enfer n'a pas ce supplice dans tous les habitacles du Dante!...
La tyrannie nous donne toujours le désir de la braver. M. Maret, privé de tous les moyens d'écrire, voulut les trouver: il y parvint. Avec de la rouille, du thé, de la crème de tartre et je ne sais plus quel autre ingrédient, qu'il sut se procurer, sous le prétexte d'un mal d'yeux, il obtint une encre avec laquelle il put écrire. Il chercha dans son mauvais traversin et il trouva une plume longue comme le doigt, qu'il tailla avec un morceau de vitre cassée.... On lui portait diverses choses dont il avait besoin pour sa santé ou sa toilette... Ces objets étaient enveloppés dans de petits carrés de papier grands comme la main... M. Maret les recueillit au nombre de trois ou quatre et transcrivit sur ces feuilles informes une comédie, une tragédie et divers morceaux[127] sur les sciences et la littérature. Enfin on échangea MM. Maret et Sémonville et les autres prisonniers contre madame la duchesse d'Angoulême, qui souffrait aussi dans le Temple un supplice encore plus horrible que les prisonniers du Tyrol... car des larmes seulement de douleur et de colère coulaient sur les barreaux de leur prison... tandis que l'infortunée répandait des larmes de sang et de feu sur les tombes de tout ce qu'elle avait aimé!...
Rentré dans sa patrie, M. Maret trouva la France reconnaissante; et le Directoire rendit un arrêté, en vertu d'une loi spéciale, par lequel il fut reconnu que M. de Sémonville et lui avaient honoré le nom français par leur courage et leur constance.
Ce fut alors que M. de Talleyrand, rappelé en France par le crédit de madame de Staël, intrigua par son moyen pour être ministre des affaires étrangères... Une autre faveur était à donner au même instant: c'était d'aller à Lille pour y discuter les conditions d'un traité de paix avec l'Angleterre.
C'était lord Malmesbury qu'envoyait M. Pitt... M. Maret et M. de Talleyrand furent les seuls compétiteurs et pour la négociation et pour le ministère... M. Maret, qui savait qu'on traitait en ce moment de la paix avec l'Autriche, à Campo Formio, voulut contribuer à cette grande œuvre, et sollicita vivement d'aller à Lille: il fut nommé. C'est alors qu'il eut pour la première fois des rapports qui ne cessèrent qu'en 1815, avec Napoléon... Une immense combinaison unissait les deux négociations de Lille et de Campo Formio; la paix allait en être le résultat... mais la faction fructidorienne était là... et malgré les efforts constants des grands travailleurs à la grande œuvre, tout fut renversé et le fruit de la conquête de l'Italie perdu... Alors Bonaparte s'exila sur les bords africains... M. Maret dans ce qui avait toujours charmé sa vie, la culture des lettres et de la littérature... Au retour d'Égypte, les rapports ébauchés par la correspondance de Lille à Campo Formio se renouèrent à la veille du 18 brumaire. Dégoûté par ce qu'il voyait chaque jour, comprenant que sa patrie marchait, ou plutôt courait à sa ruine, M. Maret eut la révélation de ce qu'elle pouvait devenir sous un chef comme Napoléon, et il lui dévoua ses services et sa vie, mais jamais avec servilité, et toujours, au contraire, avec une noble indépendance. M. Maret assista aux 18 et 19 brumaire, et, le lendemain, fut nommé secrétaire général[128] des Consuls, reçut les sceaux de l'État, et prêta le serment auquel il a été fidèle jusqu'au dernier jour. À dater de ce moment, M. Maret fut le fidèle compagnon de Napoléon. On a vu qu'il travaillait avec lui à la place des ministres; mais, indépendamment de cette marque de confiance, il en reçut beaucoup d'autres aussi étendues, de la plus grande importance. Devenu ministre secrétaire d'État lors de l'avénement à l'Empire[129], M. Maret ne quitta plus l'Empereur, même sur le champ de bataille; et lorsque Napoléon entrait, à la tête de ses troupes, dans toutes les capitales de l'Europe, le duc de Bassano était toujours près de lui pour exercer un protectorat que plusieurs souverains doivent encore se rappeler, si toutefois un roi garde le souvenir d'un bienfait.
Napoléon aimait à accorder au duc de Bassano ce qu'il lui demandait.
—«J'aime à accorder à Maret ce qu'il veut pour les autres,» disait l'Empereur, «lui qui ne demande jamais rien pour lui-même.»
C'était vrai, et l'avenir l'a bien prouvé.
J'ai déjà dit que le père du duc de Bassano était fort aimé et estimé, et qu'il lui acquit beaucoup de protecteurs, dont le plus puissant était M. de Vergennes, alors ministre des affaires étrangères; et on a vu que, se conduisant toujours avec sagesse et grande capacité, il eut partout de grands succès.
J'ai raconté la vie de M. de Bassano avant l'époque où Napoléon, qui se connaissait en hommes, le choisit pour remplir le premier poste de l'État auprès de lui; c'est une réponse faite d'avance à ces esprits chercheurs de grands talents, et qui demandent ce qu'il a fait, l'avant-veille du jour où ils connaissent un homme. Pour eux, son existence est dans le moment présent; quant à la conduite de M. de Bassano, pendant tout le temps où il a été au pouvoir, elle a été admirable, non-seulement sous le rapport d'une extrême probité, mais comme homme de la patrie; et lorsque Napoléon fit des fautes, ce fut toujours après une lutte avec M. de Bassano, surtout à Dresde et dans la campagne de Russie, ainsi qu'en 1813 et 1814.
Mais je n'écris pas l'histoire dans ce livre, je n'y rappelle que ce qui tient à la société française. Cependant, comme le duc de Bassano n'ouvrit sa maison que lorsqu'il fut ministre des affaires étrangères, et que tout alors fut officiel, en même temps qu'il était littéraire et agréable, il me faut bien en montrer le maître, éclairé du jour qui lui appartient.
J'ai déjà dit qu'avant le moment où M. le duc de Bassano fut ministre des affaires étrangères, il n'eut pas une maison ouverte. Sa maison était une sorte de sanctuaire, où les oisifs n'auraient rien trouvé d'amusant, et les intéressés beaucoup trop de motifs d'attraction. Il fallait donc centraliser autant que possible ses relations, et ce fut pendant longtemps la conduite du duc et de la duchesse de Bassano.
Mais, lorsque M. de Bassano passa au ministère des affaires étrangères, sa position et ses obligations changèrent, et madame de Bassano eut un salon, mais un salon unique, et comme nous n'en revîmes jamais un, et cela, par la position spéciale où était M. de Bassano. Ces exemples se voyaient seulement avec Napoléon. C'est ainsi que le duc d'Abrantès fut gouverneur de Paris, comme personne ne le fut et ne le sera jamais.
Le salon de la duchesse de Bassano s'ouvrit à une époque bien brillante; quoique ce ne fût pas la plus lumineuse de l'Empire[130]. On voyait déjà l'horizon chargé de nuages; ce n'était pas, comme en 1806, un ciel toujours bleu et pur qui couvrait nos têtes, mais c'était le moment où le colosse atteignait son apogée de grandeur: et si quelques esprits clairvoyants et craintifs prévoyaient l'avenir, la France était toujours, même pour eux, cet Empire mis au-dessus du plus grand, par la volonté d'un seul homme; et cet homme était là, entouré de sa gloire, et déversant sur tous l'éclat de ses rayons.
Avant M. de Bassano, le ministère des affaires étrangères avait été occupé par des hommes qui ne pouvaient, en aucune manière, présenter les moyens qu'on trouvait réunis dans le duc de Bassano. Sans doute M. de Talleyrand est un des hommes de France, et même de l'Europe, le plus capable de rendre une maison la plus charmante qu'on puisse avoir; mais M. de Talleyrand est d'humeur fantasque, et nous l'avons tous connu sous ce rapport; M. de Talleyrand était quelquefois toute une soirée sans parler, et lorsque enfin il avait quelques paroles à laisser tomber nonchalamment de ses lèvres pâles, c'était avec ses habitués, M. de Montrond, M. de Narbonne, M. de Nassau et M. de Choiseul et quelques femmes de son intimité... Quant à madame de Talleyrand, que Dieu lui fasse paix!... on sait de quelle utilité elle était dans un salon; la bergère dans laquelle elle s'asseyait servait plus qu'elle, et, de plus, ne disait rien. L'esprit de M. de Talleyrand, quelque ravissant qu'il fût, n'avait plus, devant sa femme, que des éclairs rapides, fréquents, mais qui jaillissaient sans animer et dissiper la profonde nuit qu'elle répandait dans son salon. Ce n'était donc qu'après le départ de madame de Talleyrand, lorsqu'elle allait enfin se coucher, que M. de Talleyrand était vraiment l'homme le plus spirituel et le plus charmant de l'Europe... Vint aussi M. de Champagny... Quant à lui, je n'ai rien à en dire, si ce n'est pourtant qu'il était peut-être bien l'homme le plus vertueux en politique, mais le plus cynique[131] en manières sociables que j'aie rencontré de ma vie... et, comme on le sait, cela ne fait pas être maître de maison, aussi, M. de Champagny n'y entendait-il rien, pour dire le mot.
Le salon de M. de Bassano s'ouvrait donc sous les auspices les plus favorables, parce qu'on était sûr de ce qu'on y trouverait... Madame de Bassano, alors dans la fleur de sa beauté et parfaitement élégante et polie, était vraiment faite pour remplir la place de maîtresse de maison au ministère des affaires étrangères.
Cette époque était la plus active et la plus agitée, par le mouvement qui avait lieu d'un bout de l'Europe à l'autre... Les étrangers arrivaient en foule à Paris; tous devaient nécessairement paraître chez le ministre des affaires étrangères... L'Empereur, en le nommant à ce ministère, voulut qu'il tînt une maison ouverte et magnifique; quatre cent mille francs de traitement suivirent cet ordre, que M. de Bassano sut, au reste, parfaitement remplir...
L'hôtel Gallifet[132] est une des maisons les plus incommodes de Paris mais aussi une des plus propres à recevoir et à donner des fêtes; ses appartements sont vastes; leur distribution paraît avoir été ordonnée pour cet usage exclusivement. Jusqu'à l'entrée et à l'escalier, les deux cours, tout a un air de décoration qui prépare à trouver dans l'intérieur la joie et les plaisirs d'une fête.
Le corps diplomatique avait jusqu'alors vécu d'une manière peu convenable à sa dignité et même à ses plaisirs de société; beaucoup allaient au cercle de la rue de Richelieu, et y perdaient ennuyeusement leur argent; d'autres, portés par le désœuvrement et peut-être l'opinion, allaient dans le faubourg Saint-Germain[133], dans des maisons dont souvent les maîtres étaient les ennemis de l'Empereur, comme par exemple chez la duchesse de Luynes, et beaucoup d'autres dans le même esprit.
Le corps diplomatique avait été beaucoup plus agréable; mais il était encore bien composé à ce moment: c'était, pour l'Autriche, le prince de Schwartzemberg, dont l'immense rotondité avait remplacé l'élégante tournure de M. de Metternich; pour la Prusse, M. de Krusemarck; quant à celui-là, nous avons gagné au change... Je ne me rappelle jamais sans une pensée moqueuse la figure de M. de Brockausen, ministre de Prusse avant M. de Krusemarck... Celui-ci était à merveille, et pour les manières et pour la tournure; il rappelait le comte de Walstein dans le délicieux roman de Caroline de Lichfield.
La Russie était représentée par un homme dont le type est rare à trouver de nos jours, c'est le prince Kourakin: cet homme a toujours été pour moi le sujet d'une étude particulière; sa nullité et sa frivolité réunies me paraissaient tellement compléter le ridicule, que j'en arrivais, après avoir fait le tour de sa massive et grosse personne, à me dire: «Cet homme n'est qu'un sot et un frotteur de diamants.» Potemkin l'était aussi... mais du moins quelquefois il laissait là sa brosse et ses joyaux pour prendre l'épée, ou tout au moins le sceptre de Catherine, et lui en donner sur les doigts, lorsqu'elle ne marchait pas comme il l'entendait. Il y avait au moins quelque chose dans Potemkin; mais chez le prince Kourakin!... Rien... absolument RIEN. Ajoutez à sa nullité, qu'en 1810 il se coiffait comme Potemkin, brossait comme lui ses diamants en robe de chambre, et donnait audience à quelques cosaques, faute de mieux, parce que les Français n'aiment pas l'impertinence, et qu'aujourd'hui, chez les Russes de bonne compagnie, il est passé de coutume de reconnaître comme bonnes de pareilles gentillesses.
Le prince Kourakin avait la science de la révérence; il savait de combien de lignes il devait faire faire la courbure à son épine dorsale. Le sénateur, le ministre, le comte, le duc, tout cela avait sa mesure: malheureusement, le prince Kourakin ne pouvait plus mettre en pratique cette belle conception et la démontrer, par l'exemple, à tous les jeunes gens de son ambassade. L'énormité de son ventre s'opposait à ce qu'il pût s'incliner avec toutes les grâces des nuances qu'il demandait à ses élèves. Parfaitement convaincu de son élégance et de sa recherche, il était toujours mis comme Molé dans le Misanthrope, aux rubans exceptés, encore chez lui les mettait-il. Les jours de réception à la cour, il faisait dès le matin un long travail avec son valet de chambre, pour décider quelle couleur lui allait le mieux, et lorsque l'habit était choisi, il fallait un autre travail pour la garniture de cet habit; et, comme M. Thibaudois, dans je ne sais plus quelle vieille pièce de la Comédie-Française, il voulait pouvoir répondre à celui qui lui disait: Monsieur, vous avez-là un bien bel habit bleu!...—Monsieur, j'en ai le saphir!...
Voilà quel était l'homme; aussi envoyait-on M. de Czernicheff, lorsqu'il y avait une mission un peu difficile, et même M. de Tolstoy.
Un homme fort bien du corps diplomatique était M. de Waltersdorf, ministre de Danemark. Il était le digue représentant d'un loyal et fidèle allié. Sa physionomie, qui annonçait de l'esprit, et il en avait beaucoup, révélait aussi l'honnête homme.
Pour la Suède, il y avait M. d'Ensiedel: ce qu'on en peut dire, c'est que M. d'Ensiedel était ministre de Suède à Paris[134].
Venaient ensuite les ministres de Saxe, Wurtemberg, Bavière, Naples, et puis tous les petits princes d'Allemagne qui formaient à eux seuls une armée.
La vie littéraire de M. de Bassano avait eu une longue interruption pendant le temps donné à sa vie politique. Cependant ses relations n'avaient jamais été interrompues avec ses collégues de l'Institut[135] et tous les gens de lettres dont il était le défenseur, l'interprète et l'appui auprès de l'Empereur; lorsqu'il fut plus maître, non pas de son temps mais de quelques-uns de ses moments, il rappela autour de lui tout ce qu'il avait connu et qu'il connaissait susceptible d'ajouter à l'agrément d'un salon; personne mieux que lui ne savait faire ce choix. Le duc de Bassano est un homme qui excelle surtout par un sens droit et juste; ne faisant rien trop précipitamment et pourtant sans lenteur; d'une grande modération dans ses jugements et apportant dans la vie habituelle et privée une simplicité de mœurs vraiment admirable: on voyait que c'était son goût de vivre ainsi; mais aussitôt qu'il fut ministre des affaires étrangères, il fit voir qu'il savait ce que c'était que de représenter grandement. Du reste, ne levant pas la tête plus haut d'une ligne, et quand cela lui arrivait c'était pour l'honneur du pays. Cet honneur, il le soutint toujours avec une fermeté, et, quand il le fallait, avec une hauteur aussi aristocratique que pas un de tous ceux qui traitaient avec lui; toutefois, aimé et estimé du corps diplomatique avec lequel, toujours poli, prévenant et homme du monde, il n'était jamais ministre d'un grand souverain qu'en traitant en son nom. Il était également aimé à la cour impériale par tous ceux qui savaient apprécier l'agrément de son commerce. Jamais je n'écoutai avec plus de plaisir raconter un fait important, une histoire plaisante, que j'en ai dans une conversation avec le duc de Bassano. Les entretiens sont instructifs sans qu'il le veuille, et amusants sans qu'il y tâche. La figure du duc de Bassano était tout à fait en rapport avec son esprit et ses manières; sa taille était élevée sans être trop grande; toute sa personne annonçait la force, la santé, et le nerf de son esprit. Sa figure était agréable, sa physionomie expressive et digne, et ses yeux bleus avaient de la douceur et de l'esprit dans leur regard.
Voilà comment était M. de Bassano au moment où il marqua d'une manière si brillante dans la grande société européenne qui passait toute entière chez lui comme une fantasmagorie animée.
Aussitôt, en effet, que le salon du ministre des affaires étrangères fut ouvert, il devint l'un des principaux points de réunion de tout ce que la cour avait de plus remarquable et de gens disposés à jouir d'une maison agréable et convenable sous tous les rapports. À cette époque, les femmes de la cour étaient presque toutes jeunes et presque toutes jolies; elles avaient la plupart une grande existence, une extrême élégance et une magnificence dont on parle encore aujourd'hui; mais seulement par tradition et sans que rien puisse même les rappeler.
Tous les samedis, la duchesse de Bassano donnait un petit bal suivi d'un souper: c'était le petit jour, ce jour-là; les invitations n'excédaient jamais deux cent cinquante personnes; on ne les envoyait qu'aux femmes les plus jolies et les plus élégantes de préférence. Quant aux hommes, ils étaient assez habitués de la maison pour former ce que nous appelions alors le noyau; c'est-à-dire qu'un grand nombre y allait tous les jours. Madame la duchesse de Bassano, étant dame du palais, voyait plus intimement les personnes de la maison de l'Empereur, ainsi que celles des maisons des Princesses; notre service auprès des Princesses nous rapprochait souvent les uns des autres indépendamment de nos rapports de société qui par là devenaient encore plus intimes. Aussi la maison de l'Empereur et celle de l'Impératrice, ainsi que celles des Princesses, formaient le fond principal des petites réunions que nous avions en dehors des grands dîners d'étiquette que nous étions contraintes de donner, ainsi que nos jours de réception.
Les femmes de l'intimité de la duchesse de Bassano étaient toutes fort jolies, et plusieurs d'entre elles étaient même très-belles. C'étaient madame de Barral[136], madame d'Helmestadt[137], madame Gazani[138], madame d'Audenarde la jeune[139], madame de d'Alberg[140], madame Des Bassayns de Richemond[141], madame Delaborde[142], madame de Turenne[143], madame Regnault-de-Saint-Jean-d'Angely[144], et beaucoup d'autres encore; mais celles-là n'étaient pas de l'intimité de la semaine. Il y avait après cela d'autres salons dont je parlerai et qui avaient également leurs habitudes. Quant aux hommes, les plus intimes étaient M. de Montbreton[145], M. de Rambuteau[146], M. de Fréville, M. de Sémonville, M. de Valence, M. de Narbonne[147], M. de Ségur[148], M. Dumanoir[149], M. de Bondy[150], M. de Sparre, M. de Montesquiou[151], M. de Lawoëstine, M. de Maussion. Puis venaient ensuite les hommes de lettres, parmi lesquels il y avait une foule d'hommes d'une haute distinction comme esprit et comme talent; comme génie littéraire, c'était autre chose; il y en avait deux à cette époque; mais le pouvoir les avait frappés de sa massue et les deux génies ne chantaient plus pour la France; l'un était Chateaubriand, l'autre madame de Staël!...
Chez la duchesse de Bassano, on voyait dans la même soirée Andrieux, dont le charmant esprit trouve peu d'imitateurs, pour nous donner de petites pièces remplies de sel vraiment attique et de comique; Denon, laid, mais spirituel et malin comme un singe; Legouvé, qui venait faire entendre, dans le salon de son ancien ami, le chant du cygne, au moment où sa raison allait l'abandonner; Arnault, dont l'esprit élastique savait embrasser à la fois l'histoire et la poésie, et contribuait si bien à l'agrément de la conversation à laquelle il se mêlait; Étienne, l'un des hommes les plus spirituels de son époque. Ses comédies et ses opéras avaient déjà alors une réputation tout établie, qui n'avait plus besoin d'être protégée; mais Étienne n'oubliait pas que le duc de Bassano avait été son premier protecteur, et ce qu'il pouvait lui donner, comme reconnaissance, le charme de sa causerie, il le lui apportait. On voyait aussi, dans les réunions du duc de Bassano, un vieillard maigre, pâle, ayant deux petites ouvertures en manière d'yeux, une petite tête poudrée sur un corps de taille ordinaire, habillé tant bien que mal d'un habit fort râpé, mais dont la broderie verte indiquait l'Institut: cet homme, ainsi bâti, s'en allait faisant le tour du salon, disant à chaque femme un mot, non-seulement d'esprit, mais de cet esprit comme on commence à n'en plus avoir. Il souriait même avec une sorte de grâce, quoiqu'il fût bien laid.
—«Qu'est-il donc?» demandaient souvent des étrangers, tout étonnés de voir cette figure blafarde, enchâssée dans sa broderie verte, faire le charmant auprès des jeunes femmes... Et ils demeuraient encore bien plus surpris, lorsqu'on leur nommait le chantre d'Aline, reine de Golconde, le chevalier de Boufflers!... Gérard et Gros étaient aussi fort assidus chez M. de Bassano, ainsi que Picard, Ginguené, Duval, et toute la partie comique et dramatique, comme aussi la plus sérieuse de l'Institut, c'étaient Visconti, Monge, Chaptal, qui alors n'était plus ministre; Lacretelle, dont le caractère avait alors un éclat remarquable; Ramond, dont l'esprit charmant a su donner un côté romantique à une étude stérile, et dont les notes, aussi instructives qu'amusantes, font lire, pour elles seules l'ouvrage auquel elles sont attachées[152]. Combien je me rappelle avec intérêt mes courses avec lui dans les montagnes de Baréges, la première année où j'allai dans les Pyrénées! Cet homme faisait parler la science comme une muse. Il y avait de la poésie vraie dans ses descriptions, et pourtant il embellissait sa narration. Je ne sais comment il faisait, mais je crois en vérité que j'aimais autant à l'entendre raconter ses courses aventureuses, que de les faire moi-même.
Il était, comme on le sait, très-petit, maigre, souffrant et ne pouvant pas supporter de grandes fatigues. Un jour, il était à Baréges, chez sa sœur, madame Borgelat; tout à coup il dit à Laurence, son guide favori:
—«Laurence, si tu veux, nous irons faire une découverte?»
Le montagnard, pour toute réponse, fut prendre son bâton ferré, ses crampons, son croc, son paquet de cordes et son bissac, sans oublier sa belle tasse de cuir[153] et sa gourde bien remplie d'eau-de-vie, et les voilà tous deux en marche.
—«Sais-tu où je te mènes, Laurence?
—Non, monsieur; ça m'est égal. Là où vous irez, j'irai.
—Nous allons essayer de gravir jusqu'au sommet du pic du Midi.
—Ah! ah! fit le montagnard.
—Tu es inquiet?
—Moi!... non... ce n'est pas pour moi... Mais vous, monsieur Ramond, comment que vous ferez pour monter sur cette maudite montagne que personne ne peut gravir?... J'ai peur pour vous.»
Ramond sourit. Lui aussi avait bien quelques inquiétudes sur la manière dont il s'en tirerait. Mais il y avait un stimulant dans sa résolution spontanée, qui le portait à faire ce qu'il n'eût pas fait, peut-être, à cette époque de l'année, avec sa mauvaise santé.
Il y avait alors à Saint-Sauveur et à Cauterêts, ainsi qu'à Baréges, une foule de buveurs d'eau, dont le plus grand nombre étaient de Paris. Parmi ceux-ci étaient la duchesse de Chatillon et M. de Bérenger, qu'elle épousa depuis. Ce monsieur de Bérenger avait une manie que rien ne pouvait lui faire perdre, même le mauvais résultat de ses courses. Il grimpait toujours, n'importe où il allait. Un jour, il dit devant Ramond, que certainement le pic du Midi était une bien belle montagne, mais pour celui qui aurait eu le courage de monter jusqu'au sommet. Ce que voulait Ramond, c'était de vérifier une dernière fois l'exactitude de ses découvertes. Cependant, cette sorte de provocation, de la part du jeune élégant parisien, lui donnait comme un tourment vague qui l'obsédait la nuit comme le jour. Enfin, il partit, comme on l'a vu, avec Laurence, mais cachant son voyage à M. de Bérenger. Arrivé sur le pic du Midi, à l'heure nécessaire pour voir le lever du soleil[154], Ramond commença ses expériences; et, lorsque tout fut terminé, il voulut essayer de gravir jusqu'à cette petite plate-forme qui termine le pic, comme le savent tous ceux qui ont été le plus haut possible; mais la force lui manqua. Cependant, il en avait un bien grand désir et sa volonté était ferme habituellement... ce qui prouve qu'elle n'est pas tout, cependant...
—«Vingt pieds! disait Laurence, et dire que vous ne pouvez pas monter là, monsieur Ramond... vous!...
Ramond enrageait encore plus que lui. Enfin, après avoir pris un peu de repos, il essaya pour la troisième fois, mais toujours infructueusement; Laurence était aussi désolé que lui; et, pour ceux qui ont connu Laurence, cette histoire est une de celles dont il les aura sûrement réjouis plus d'une fois. Enfin, il s'approcha de Ramond, dont il devinait la contrariété, car l'autre ne disait pas une parole.
—«Monsieur, lui dit-il.
—Qu'est-ce que tu me veux?
—Si nous disions que nous sommes montés là-haut... hein?»
Et il faut connaître la physionomie pleine de finesse du montagnard béarnais pour comprendre celle que mit Laurence dans le hein qui termina sa phrase.
—«Non, non, répondit Ramond, je ne veux pas mentir pour satisfaire ma vanité; car qu'est-ce autre chose qu'une vanité pour répondre à ce Bérenger?... Allons, qu'il n'en soit plus question.»
Il quitta la montagne, que ses observations avaient classée parmi les plus belles des Pyrénées, en soupirant de ce qu'elle lui avait ainsi refusé l'accès de sa plus haute cime... Revenu à Saint-Sauveur, il raconta sa course avec toute vérité.
—«Et finalement, dit M. de Bérenger en se frottant les mains de contentement, vous n'êtes pas monté jusqu'au sommet du pic?
—Non.
—Ah!... c'est fort bien.»
Et voilà M. de Bérenger allant trouver Laurence, et lui disant qu'il fallait absolument qu'il retournât au pic du Midi pour y monter avec lui..
—«Mais, monsieur, c'est impossible! Je vous jure que le diable garde cette roche qui finit le pic. Je l'ai tournée, je l'ai regardée de tous les côtés, elle est imprenable!»
M. de Bérenger n'écouta rien, et il décida enfin Laurence à venir avec lui... Le fait est que je ne sais pas comment il s'y est pris, mais il est de fait qu'il est monté sur l'extrémité la plus aiguë du pic du Midi. Lorsqu'il se vit sur cette petite plate-forme, qui n'a peut-être pas vingt-cinq pieds d'étendue, il se crut un homme destiné à faire les choses les plus étonnantes. Il revint à Bagnères, et l'on peut croire que la première parole dont il salua Ramond fut celle qui lui annonçait son ascension... En l'apprenant, Ramond éprouva un petit mouvement d'impatience et même d'humeur.
—«En vérité, disait-il, c'est vraiment bien dommage qu'une si pauvre tête soit sur de si bonnes jambes!...»
Ramond était surtout charmant en racontant ses voyages et ses courses à Gavarni, au Mont-Perdu, à Gèdres surtout... Oh! la grotte de Gèdres avait laissé dans son âme des souvenirs qui devaient avoir leur source dans de bien puissantes impressions... C'est en parlant de Gèdres, dans cette charmante pièce intitulée[155]: Impressions en revenant de Gavarni, qu'il y a cette idée gracieuse: Le parfum d'une violette nous rappelle plusieurs printemps!
On conçoit qu'avec des hommes d'un talent aussi varié, la conversation devait avoir un charme tout particulier dans le salon du duc de Bassano. Un jour, c'était M. de Ségur, le grand-maître des cérémonies, qui racontait dans un souper des petits jours des anecdotes curieuses sur la cour de Catherine. Il parlait de sa grâce, de son esprit, du luxe asiatique de ses fêtes, lorsqu'elle paraissait au milieu de sa cour avec des habits ruisselants de pierreries, entourée de jeunes et belles femmes, parées elles-mêmes comme leur souveraine, et contribuant par leurs charmes et leur esprit à justifier la réputation de Paradis terrestre, que les étrangers, qui ne voyaient que la surface, donnaient tous à la cour de Catherine II. Les décorations en étaient habilement faites; on ne voyait pas ce qui se passait derrière la scène, tandis que souvent une victime rendait le dernier soupir sous le poignard ou le lacet non loin du lieu où la joie riait et chantait, couronnée de fleurs et enivrée de parfums.
Jamais M. de Ségur et moi ne fûmes d'accord sur ce point. Il aimait Catherine et je l'abhorrais!... Au reste, il était le plus aimable du monde; c'était l'homme sachant le mieux raconter une histoire. Sa parole elle-même, sa prononciation, n'était pas celle de tout le monde. Je l'aimais bien mieux que son frère.
Madame Octave de Ségur, belle-fille du grand-maître des cérémonies, était une femme fort aimable, à ce que disaient toutes les personnes qui la voyaient dans son intimité. Elle était dame du palais de l'Impératrice; mais, quoiqu'elle fût de la cour, elle n'était habituellement de la société d'aucune de nous. Elle était jolie, et possédait ce charme auquel les hommes sont toujours fort sensibles, qui est de n'avoir de sourire que pour eux. Ses grands yeux noirs veloutés n'avaient une expression moins dédaigneuse que lorsqu'elle était entourée d'une cour qui n'était là que pour elle. Comme sa réputation a toujours été bonne, je dis ce fait, qui, du reste, est la vérité.
Une histoire étrange était arrivée quelques années avant dans la famille du comte de S.....; le héros de cette histoire n'était revenu que depuis peu de temps, et reparaissait de nouveau dans le monde: c'était l'aîné de ses fils, Octave de S....., le mari de mademoiselle d'Aguesseau, la même dont je viens de parler.
Octave de S....., quoique fort jeune, remplissait les fonctions de sous-préfet, soit dans les environs de Plombières, soit à Plombières même, en 1803, lorsque tout à coup il disparut, sans que le moindre indice pût indiquer s'il était parti pour un long voyage, ou s'il s'était donné la mort.
La police fit des recherches avec le plus grand soin; tout fut infructueux. Cependant, comme rien ne donnait la preuve qu'il n'existât plus, sa femme, ses enfants et son frère ne prirent point le deuil.
Un jour le comte de S..... reçut une lettre sans signature, mais son cœur de père battit aussitôt, car il reconnut un cachet qui appartenait à son fils.
Ne soyez pas inquiets. Je vis toujours et pense à vous.
Ce peu de mots n'étaient pas de l'écriture d'Octave de Ségur; mais combien ils donnèrent de bonheur dans cette famille désolée, dont les inquiétudes, sans cesse redoublées, prenaient quelquefois une couleur sinistre qui amenait le désespoir dans cet intérieur si digne d'être heureux! M. de Ségur ne voulant pas jeter au public un aliment de curiosité, ne parla de cette nouvelle qu'à quelques amis qui partagèrent sincèrement sa joie.
Philippe de S.....[156], l'auteur du dramatique et bel ouvrage sur la Russie, est le frère d'Octave. Il adorait son frère... Du moment où il disparut, le malheureux jeune homme fut atteint d'une mélancolie qui dévorait sa jeunesse. Dans ses yeux noirs si profonds, au regard penseur, on voyait souvent des larmes et une expression de tristesse déchirante. Il avait alors vingt ou vingt et un ans, je crois. On aurait cru que c'était l'abandon d'une femme, une perfidie de cœur qui le rendait aussi triste; et on demeurait profondément touché en apprenant que la perte de son frère était la seule cause de sa pâleur et de son abattement. La nouvelle qui parvint à la famille ne lui donna même aucun réconfort. Jamais il n'avait cru à la mort de son frère.
«Je serais encore plus malheureux si je l'avais perdu, disait le bon jeune homme!... Je le saurais par l'instinct même de mon cœur!...»
Un jour, Philippe inspectait des hôpitaux dans une petite ville d'Allemagne, pendant la campagne de Wagram... Il parcourait les chambres et parlait à tous les blessés, pour savoir s'ils avaient tous les secours qui leur étaient nécessaires... Tout à coup il croit voir dans un lit un homme dont la figure lui rappelle son frère!.. Il s'approche!.. À chaque pas la ressemblance est plus forte..... Enfin il n'en peut plus douter, c'est lui! c'est son frère!.. c'est Octave!....
Octave fut ému par cette expression de tendresse vraie, qui ne peut tromper. Quelle que fût sa résolution, il se laissa emmener par Philippe et revint dans la maison paternelle. Il revit sa femme, ses enfants et tous les siens avec un air apparent de contentement; personne ne lui fit de questions, on le laissa dans son mystère, tant on redoutait de lui rendre la vie fâcheuse; il ne parla non plus lui-même de ce qui s'était passé, et tout demeura comme avant sa fatale fuite. Le prince de Neufchâtel avait besoin d'officiers d'ordonnance, on lui donna M. de S.....
Nous étions un jour dans je ne sais plus quelle lande parfumée de ma chère Espagne, il était assez tard, M. d'Abrantès allait se coucher, et moi je l'étais déjà, lorsque le colonel Grandsaigne, premier aide-de-camp du duc, frappa à la porte en s'excusant de venir à une telle heure, si toutefois, ajouta-t-il (toujours au travers de la porte) il y a une heure indue à l'armée. Il avait la rage des phrases.
—«À présent de quoi s'agit-il? demanda M. d'Abrantès. Vous pouvez entrer.
—Un officier du prince de Neufchâtel, mon général, qui demande que vous lui fassiez donner des chevaux. Il doit porter au quartier-général des ordres de l'Empereur, et l'alcade prétend qu'il n'a pas de chevaux ni de mulets à lui donner.»
Pendant le discours du colonel, l'officier voyant une femme au lit n'osait avancer et se tenait dans l'ombre... Le duc, très-ennuyé de ces ordres multipliés qui forçaient à imposer les habitants d'un village à donner leurs montures, était toujours fort difficile pour les autoriser; et j'ai vu quelquefois, après s'être informé du cas plus ou moins pressant qui réclamait son intervention, la refuser au moins pour quelques jours.
—«Votre ordre, monsieur, dit-il au jeune officier en tendant la main vers lui sans le regarder.»
L'officier avança timidement, et lui remit son ordre.
—«Ah!... S.....! .... Est-ce que vous êtes parent du grand-maître des cérémonies?
—Je suis son fils, mon général.
Et le duc se retourna vivement vers le jeune homme, mais s'arrêta stupéfait en voyant une figure qu'il ne connaissait pas.
—«Qui donc êtes-vous, monsieur, demanda-t-il d'une voix sévère?...» car sa première pensée fut que l'homme qui était devant lui pouvait être un espion. Elle se traduisit probablement sur sa physionomie si mobile, car le jeune homme devint fort rouge.
—«J'ai eu l'honneur de vous dire, mon général, que le comte de S..... est mon père. Je suis l'aîné de ses fils.
—Ah! s'écria joyeusement le duc, c'est donc vous qui êtes le perdu!... Pardieu! mon cher, soyez le bien retrouvé!... Voyons, que voulez-vous?... des chevaux? Vous en aurez; mais d'abord vous passerez le reste de la nuit ici, attendu qu'il est tout à l'heure minuit, et que, dans la romantique Espagne, les voyages au clair de lune commencent à n'être plus aussi agréables qu'au temps des Fernands et des Abencerrages.»
Quelque délicatesse que l'on mît à ne pas parler à Octave de S..... de son aventureuse absence, cependant, comme ami fort intime de son père, dont souvent il avait même essuyé les larmes, le duc d'Abrantès avait presque le droit de lui en dire quelques mots. M. de Ségur ne fut pas mystérieux et lui raconta comment une raison, qu'il nous cacha par exemple, l'avait déterminé à mener une vie errante:
—«J'avais besoin de voir d'autres lieux, disait-il, de parcourir d'autres contrées!...
Octave de S..... était aimable, avec un autre genre d'esprit que son père et son frère, et, comme eux, par des manières charmantes et gracieuses; je l'ai vu dans le monde pendant le peu de temps qu'il y est demeuré et j'avoue que je n'ai pas compris l'éloignement qu'avait pour lui, disait-on, une personne qui pourtant aurait dû l'apprécier.
Le duc de Bassano aimait beaucoup la famille de M. de Ségur, cette famille même lui avait même de grandes obligations.
Les femmes qui étaient invitées et reçues de préférence chez la duchesse et le duc de Bassano étaient les plus jeunes et les plus jolies de la cour. On pouvait choisir, en effet, parmi elles, car excepté deux ou trois il n'y en avait pas de laides parmi nous. J'excepte la dame d'honneur, madame de Larochefoucauld; mais elle était de bonne foi et savait qu'elle était non-seulement laide mais bossue, et lorsque nous nous trouvions ensemble dans quelque voyage où notre service nous appelait, elle disait souvent en riant, à l'heure de sa toilette:
—«Allons, il faut aller habiller le magot!...»
Mais lorsque, dans un des grands cercles de la cour, l'Impératrice était entourée de ses dames de service, et que parmi elles étaient madame de Bassano, de Canisy, de Rovigo, de Bouillé, madame de Montmorency, dont les traits n'étaient pas ceux d'une jolie femme, mais dont l'admirable et noble tournure était unique parmi ses compagnes; jamais on ne vit plus d'élégance dans la démarche, plus de perfection dans la taille d'une femme: en la voyant marcher, courir ou danser, on ne la voulait pas autrement, ni plus belle ni plus jolie. C'était, en outre, de ces agréments du monde qu'elle possédait parfaitement, une personne remarquable dans son intérieur et même fort originale sur plusieurs points de la vie habituelle. En résumé, c'est une femme bien agréable et charmante, je dis c'est, parce que les personnes comme elles ne changent pas. Madame de Mortemart était une fort bonne et aimable femme, elle était fort bien et presque jolie. J'ai déjà parlé de madame Octave de Ségur; il y avait aussi sa belle-sœur, madame Philippe de Ségur[157]; elle était fort jolie, avait d'admirables yeux noirs, une très-jolie petite taille, dont elle tirait bien parti, et passait enfin avec raison pour une jolie femme. Quant à la duchesse de Montebello, je n'ai pas besoin de rappeler son nom, pour qu'on sache qu'avec la duchesse de Bassano elle était la plus belle parmi ses compagnes.
La maréchale Ney n'avait rien de régulier, mais elle était jolie et surtout elle plaisait. Ses yeux étaient de la plus parfaite beauté, sa physionomie douce et spirituelle, et tous les accessoires si nécessaires à une femme pour qu'elle puisse plaire; tels que de beaux cheveux, de jolies mains et de petits pieds; ces beautés-là donnent tout de suite une sorte d'élégance qui n'est pas celle de tout le monde et qui est un aimant agréable.
Madame Gazani n'était pas dame du palais et ne l'avait jamais été; elle avait pourtant escamoté on sait comment, dans un certain temps, la prérogative de marcher avec les dames du palais; elle était lectrice de l'Impératrice, ce qui, pour le dire en passant, était assez drôle, puisqu'elle était italienne-génoise et que notre Impératrice était souveraine des Français. Mais après tout, madame Gazani était une femme ravissante, et jolie comme on l'est à Gênes, lorsqu'on se mêle de l'être, et voilà le grand secret de sa nomination. Elle était donc parfaitement belle, encore plus engageante et piquante, faite pour la cour sans en avoir pourtant les manières, mais très-disposée à les prendre, ce qu'elle a prouvé; car elle aimait cette vie de la cour, la galanterie, les intrigues. Quant à de l'esprit, elle avait celui du monde, à force d'en être, mais du reste peu, et même pas du tout dans le sens bien prononcé qu'on attache à ce mot. Pendant la durée de sa faveur, elle ne fut hostile à personne, ce dont on lui sut gré; et puis cette faveur passée, elle demeura une des plus belles personnes de la cour et une des plus inoffensives, ce qui n'arrive pas toujours.
J'ai dit qu'il y avait tous les samedis de petits bals chez la duchesse de Bassano, où l'on était moins nombreux que les jours de grande réception. Indépendamment de ces bals, il y avait un grand dîner diplomatique; je l'appelle ainsi parce que chez le ministre des affaires étrangères il y avait nécessairement, en première ligne, les ministres étrangers et tout ce qui tenait au corps diplomatique, présenté par les ambassadeurs. Ce dîner avait lieu dans la grande galerie de l'hôtel de Gallifet où était alors le ministère des affaires étrangères; et il était suivi d'une fête[158] à laquelle était invité autant de monde que pouvait en contenir les vastes appartements du ministère, et dont la duchesse de Bassano faisait les honneurs avec une grâce et une convenance tout à fait remarquables.
Il fallait bien cependant se reposer un peu de cette foule, de ce mouvement, tourbillon dont la tête se fatigue si vite; et les samedis n'étaient pas encore faits pour cela, comme je viens de le dire, puisqu'il y avait encore deux cents personnes d'invitées. La duchesse de Bassano organisa une société habituelle, qui venait chez elle non-seulement les jours de réception, mais tous les autres jours de la semaine. Les femmes les plus assidues chez elle dans son intimité étaient la belle madame de Barral[159], madame d'Audenarde, jeune, jolie et nouvelle mariée, madame de Brehan, madame de Canisy, madame d'Helmstadt, madame Gazani, madame Legéas, sa belle-sœur, élégante et jolie[160], madame de d'Alberg, charmante et aimable femme; madame de Valence, dont l'esprit est si piquant et si vrai, si naturel dans le charme de la causerie et un autre charme qu'on ne peut définir, mais dont on éprouve la puissance et qui retenaient la jeunesse qui déjà s'enfuyait. Les hommes étaient le duc d'Alberg, M. de Sémonville, M. de Valence, M. de Montbreton, M. de Lawoëstine, M. de Flahaut, M. de Narbonne, Lavalette, dont j'ai déjà fait connaître l'aimable caractère et le charmant esprit; M. de Fréville, l'un des hommes les plus spirituels que j'aie rencontrés en ma vie; M. de Celles, dont la causerie rappelle tout ce qu'on nous dit du temps agréable de Louis XV; M. de Chauvelin, dont les preuves étaient faites à cet égard-là, mais qui depuis prouva combien il était à redouter plus sérieusement; M. de Rambuteau[161], M. le comte de Ségur, M. de Turenne, et tous les maris des femmes que j'ai nommées, venaient alternativement passer la soirée chez madame de Bassano; on voit que le noyau autour duquel venait ensuite se grouper progressivement la foule était déjà assez nombreux pour alimenter une causerie journalière; et lorsque le duc de Bassano pouvait quitter un moment ses nombreux travaux pour venir s'y joindre, elle n'en était que plus aimable.
Un soir de ces réunions intimes, plusieurs habitués causaient autour de la cheminée, dans le salon ordinaire de la duchesse de Bassano. C'était en hiver et même en carnaval (le dimanche gras); on était fatigué des bals et des veilles; et c'était un grand hasard que ce soir-là on fût en repos. On causait donc. Je ne sais plus qui se mit à parler de madame de Genlis, qui venait de publier un nouvel ouvrage.
LA DUCHESSE DE BASSANO.
Mon Dieu! croiriez-vous que je ne connais pas madame de Genlis!... Je ne l'ai même jamais aperçue...
MADAME GAZANI.
Ni moi!...
MADAME D'HELMSTADT.
Ni moi!...
MADAME DES BASSAYNS.
Ni moi!..
Et trois ou quatre autres femmes, en même temps:
Ni moi non plus!...
LA DUCHESSE DE BASSANO.
C'est bien étrange, en vérité!... Je ne sais ce que je donnerais pour voir une personne aussi célèbre et en même temps si digne de l'être!...
MADAME DE BARRAL.
Et moi aussi!...
MADAME DES BASSAYNS.
Allons la voir!...
LA DUCHESSE DE BASSANO.
Mais comment faire? quel prétexte prendre?...
Une voix, à l'extrémité du salon:
Aucun. Si vous voulez, je vous y conduirai.
Tout le monde se tourna vers celui qui venait de parler: c'était un grand jeune homme élancé, blond, dont la figure était charmante, ainsi que la tournure: c'était M. de Lawoëstine. En le reconnaissant, tout le monde se mit à rire.
—Vraiment, dit la duchesse de Bassano, voilà un introducteur bien respectable!...
—Pourquoi non? Voulez-vous véritablement voir ma grand'-mère?
LA DUCHESSE DE BASSANO.
Certainement!
Eh bien! je vous y conduirai.
Plusieurs de ces dames à la fois:
Oh! nous aussi, n'est-ce pas?... nous aussi!..
M. DE LAWOESTINE.
Mesdames, vous êtes toutes charmantes, et sans doute fort aimables; mais cependant notre caravane doit être limitée à un certain nombre; car, enfin, je ne puis vous emmener toutes...
MADAME D'HELMSTADT.
Mais moi?...
MADAME DE BARRAL.
Et moi?...
MADAME GAZANI.
Et moi?...
M. DE LAWOESTINE.
Écoutez, madame la duchesse décidera entre vous. Seulement, laissez-moi vous dire que madame de Genlis aime fort tout ce qui est extraordinaire... Il faut donc que cette visite ne ressemble à aucune autre; voilà, je crois, ce que vous devez faire.
Tout le monde se mit autour de lui, et il expliqua un plan qui fut trouvé charmant. On ne voulut pas en remettre l'exécution plus loin que le même soir.
Par une singularité assez remarquable, aucune des femmes qui étaient chez madame de Bassano n'allait au bal; et si les hommes avaient des engagements, ils les sacrifièrent avec joie pour être de la partie. Voilà le nom de ceux qui se trouvaient chez la duchesse: M. de Rambuteau, M. Adolphe de Maussion[162], M. de Montbreton, M. Alexandre de Laborde, M. de Lawoëstine, M. de Grandcourt et peut-être quelques autres hommes dont le nom ne se présente pas à la mémoire. Les femmes étaient: madame Gazani, madame d'Helmstadt, madame des Bassayns, madame de Barral et la maîtresse de la maison. Aussitôt que la chose fut convenue, ces dames, ainsi que les hommes, envoyèrent chercher leurs dominos chez eux. Grandcourt, lui seul, eut l'heureuse pensée, que peut-être même on lui suggéra, de se déguiser, et le costume qu'il choisit fut celui de Brunet, dans les Deux Magots. On envoya aussitôt aux Variétés; Brunet venait précisément de jouer le rôle, et il prêta le costume. Cela seul valait la soirée, de voir Grandcourt en magot. Lorsqu'on fut prêt, toute la troupe monta dans plusieurs fiacres et se rendit rue Sainte-Anne, où demeurait alors madame de Genlis[163]. Il était minuit, et madame de Genlis allait se coucher, lorsqu'elle entendit un fort grand bruit et que tout son appartement fut envahi par une troupe de masques, au milieu de laquelle figurait le charmant magot Grandcourt. Madame de Genlis était déjà déchaussée et coiffée de nuit. Mais, comme l'avait dit son petit-fils, elle aimait ce qui était extraordinaire. L'invasion de sa chambre, au milieu de la nuit, par une troupe de gens qui paraissaient de très-bonne compagnie (ce que son habitude du grand monde lui fit voir en un instant), ne pouvait être qu'un amusement de cette même bonne compagnie à laquelle, malgré sa retraite, elle appartenait toujours. Elle ne voulut donc pas être un empêchement à cette folie de carnaval; elle fut parfaitement aimable; prétendit se croire au bal masqué et causa de la manière la plus piquante et la plus charmante avec toutes ces figures masquées qu'elle ne connaissait pas du tout, non plus qu'elle ne reconnaissait son petit-fils, qui ne s'était pas démasqué pour augmenter le comique de la chose. Cependant, elle ne pouvait se prolonger longtemps; de même que l'imprévu avait tout le mérite de cette aventure, de même aussi il fallait qu'elle fût courte; madame de Genlis le comprit la première:
—En vérité, dit-elle, à la douceur de vos voix, à votre mystérieuse venue, je suis tentée de croire que des anges ont visité ma pauvre demeure: confirmez mon espoir. Laissez-moi voir vos visages.
Après une courte résistance, madame des Bassayns laissa tomber son masque, et madame de Genlis vit, en effet, une charmante figure entourée d'une forêt de boucles blondes et fort convenable au personnage d'ange.
—Et vous? dit madame de Genlis à un petit domino qui était près d'elle, et tirant elle-même les cordons de son masque, elle vit aussitôt une ravissante personne dont bien sûrement Canova eût fait son Hébé, s'il l'eût connue. C'était la fraîcheur, la jeunesse même avec sa peau veloutée et ses dents perlées, ses lèvres de corail, et ses yeux riants et joyeux: c'était madame d'Helmstadt.
—«Ah! s'écria madame de Genlis; j'avais bien pressenti que vous étiez des anges!»
Mais elle fut arrêtée dans le cours de son admiration à la vue des deux personnes qui, se démasquant, vinrent à elle; c'étaient madame de Bassano et madame Gazani!...
On sait comme elles étaient belles!... La tradition de leur beauté franchira le temps, et nos petits-enfants en parleront avec raison comme de celle de madame de Montespan et de madame de Longueville... À l'aspect de ces deux femmes, madame de Genlis demeura stupéfaite; elle avait été curieuse de connaître les visages après avoir entendu les voix, et maintenant elle voulait savoir les noms de ces belles personnes qui venaient ainsi dans sa maison au milieu de la nuit... M. de Lawoëstine ne s'était pas démasqué. Sa vue seule lui aurait nommé les inconnues... Toutefois leur rare beauté, leurs manières, l'élégance de leurs costumes de bal masqué[164], étaient pour madame de Genlis une certitude qu'elle pouvait se hasarder à causer avec elles. Mais il était tard, la duchesse comprit qu'il fallait laisser coucher celle qu'elles étaient venues troubler au moment de son repos...
—«Eh quoi! sans vous connaître! dit madame de Genlis; sans que je puisse savoir quel ange je dois prier?
—Eh bien, reprit la duchesse, promettez de nous recevoir samedi prochain[165], et nous viendrons toutes pour vous remercier de votre aimable accueil...
—Et moi, dit madame de Genlis enchantée, je vous promets que vous aurez une soirée comme depuis longtemps vous n'en avez vu, peut-être; vous aurez de mes proverbes, et Casimir jouera de la harpe avec moi.»
Et toute la troupe prit congé, laissant l'auteur de Mademoiselle de Clermont enchanté de cette aventure. Le samedi suivant la soirée eut lieu en effet et fut charmante comme elle l'avait promis. Le duc de Bassano y accompagna sa femme.
Lorsque M. de Bassano se fut retiré du ministère des affaires étrangères, il n'y eut plus ce mouvement, ce tourbillon de monde autour de sa maison; mais comme on avait compris que la duchesse et lui savaient ce que la vie a de plus doux en France, qui est d'employer ses heures et d'en donner une partie à la communication mutuelle, à la causerie, à cette fréquentation quotidienne qui amène l'intimité et maintient quelquefois des relations qui se fussent rompues autrement tout naturellement et par l'éloignement... C'est ainsi que de saintes amitiés se sont trouvées perdues sans aucune autre raison!... La duchesse était aussi bonne que belle; son esprit aimait tout ce qui tenait au bon goût, à l'extrême élégance; d'une apparence sérieuse, elle avait pourtant une chaleur de cœur, un dévouement d'amitié, qui lui avaient donné de vrais amis. Aussi, lorsqu'elle fut hors de l'hôtel du ministère, son salon ne fut plus un salon officiel, mais on y fut toujours, parce que c'était un salon où l'on trouvait une maîtresse de maison aimable, bonne et belle.
Enfin, vinrent les malheurs de l'Empire et sa chute. La famille de Bassano fut exilée, proscrite!... et pourquoi!...
Mais elle revint!... Ce fut alors que le duc de Bassano occupa son hôtel de la rue Saint-Lazare[166]. Il y passait les hivers; et l'été, il allait dans sa terre de Beaujeu, en Franche-Comté. Cette époque est celle où, véritablement, on put juger de la manière dont la duchesse et lui tenaient leur maison. Elle était bien toujours celle d'un grand personnage, mais d'un particulier ne souffrant jamais qu'on s'occupât de politique, à laquelle il était devenu étranger; le duc provoquait alors lui-même une causerie dont le charme avec lequel il conte, et la vérité de ses souvenirs en doublait le prix. Étienne, Arnaud, Denon, Gérard, Gros, tous les littérateurs et les artistes remarquables continuèrent à aller dans une maison où ils trouvaient tout ce qui pouvait les attirer, et surtout bonne mine d'hôte.
Cependant le temps s'écoulait. Autour de la duchesse de Bassano s'élevait une famille nombreuse, dont la beauté aurait rappelé la sienne, si cette beauté eût éprouvé la moindre altération; mais bien loin de là, elle était toujours une des femmes les plus remarquables lorsqu'elle paraissait dans une fête. C'est ici où je dois faire connaître la duchesse de Bassano sous le rapport étranger à l'agrément d'une femme du monde.
Puisque j'ai parlé de sa jeune famille, je dois dire en même temps combien elle était bonne mère, combien elle était femme d'intérieur, après avoir été la plus élégante, la plus brillante d'une grande fête. S'occupant de ses enfants, qui l'adoraient, elle était pour eux une amie autant qu'une mère, et un regard désapprobateur était souvent une punition plus sévère pour ses fils, que toutes celles de leur gouverneur. Elle avait deux garçons et trois filles.
Rien n'était plus charmant que de voir cette mère, jeune encore[167], non-seulement par l'âge, mais par sa figure, toujours au même point de fraîcheur et d'éclat, entourée de ses enfants!...
Tous se groupaient autour d'elle et formaient un ravissant tableau. Bientôt le temps développa la beauté de Claire de Bassano; elle devint l'ornement des bals et des fêtes, ainsi que sa sœur Louise. Fière de ses filles, la duchesse n'allait plus dans le monde que pour jouir du triomphe qu'elles y trouvaient, tandis qu'elle-même était encore radieuse de beauté. Cette époque est celle où sa maison fut vraiment charmante. Elle recevait beaucoup, donnait des fêtes admirablement ordonnées, auxquelles on se faisait inviter quinze jours d'avance... Elle en faisait les honneurs, aidée de son mari et de ses quatre beaux enfants, et chacun sortait de ce palais de fées, attaché par la politesse courtoise du duc de Bassano et son esprit remarquable, par le charme des manières de la duchesse, et par cet ensemble enfin qu'on ne pouvait s'expliquer, mais qui faisait désirer d'y retourner, d'abord pour revoir cette maison et ce qu'elle renfermait d'attrayant dans ses habitants, et bientôt pour être leur ami à tous.
C'est au milieu de ces joies que le malheur se ressouvint de cette famille.
La duchesse devait conduire ses filles à un bal chez M. Perrégaux; elles se faisaient d'avance une joie de cette fête. Elles avaient été au bal, la veille, chez M. Hoppe, où la duchesse de Bassano avait été remarquée à côté des femmes jeunes et belles, et même entre ses deux filles. Coiffée avec des camélias[168] naturels qui faisaient, par leur couleur blanche et rouge, ressortir l'ébène de ses cheveux; elle était charmante... Le jour du bal de M. Perrégaux, les jeunes personnes s'occupèrent de leur toilette avec une telle joie de jeunes filles, que leur mère n'osa pas leur dire qu'elle avait une de ces affreuses douleurs de tête, qui, depuis quelque temps la faisaient beaucoup souffrir. Elle le dit seulement à la baronne Lallemand, qui l'engagea à ne pas insister. Elle voulait conduire ses filles au bal!... Mais la douleur devint intolérable; elle dut rester...
La maladie fut courte! La duchesse se coucha le même soir, c'était un lundi... Le mercredi elle n'existait plus!... Et au moment où elle quitta la vie et ce monde où elle avait été si aimée, si admirée, elle était toujours radieuse de beauté!... elle semblait dormir!...
Horace Vernet, l'un des intimes de la maison, eut le pénible courage de faire son portrait après sa mort!... Elle avait à peine quarante ans[169]!
Elle mourut avant que les camélias qui avaient été dans ses cheveux au bal de M. Hoppe fussent fanés!
FIN DU TOME CINQUIÈME.
TABLE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE CINQUIÈME VOLUME.
- Salon de l'Impératrice Joséphine. 1
- Première partie.—Madame Bonaparte. Id.
- Deuxième partie.—L'Impératrice Joséphine. 83
- Troisième partie.—L'impératrice à Navarre. 173
- Quatrième partie.—La Malmaison. 1813-1814. 245
- Salon de Cambacérès, sous le Consulat et l'Empire. 279
- Salon de madame la duchesse de Bassano. 333
Imprimerie d'Adolphe ÉVERAT ET Cie, rue du Cadran, 16.
Notes
1: Les Barras étaient une de ces douze grandes familles de la Provence, qui avaient, avec juste raison, de hautes prétentions à une noblesse que peu de familles pouvaient leur disputer en France. L'ancienneté des Barras était passée en proverbe: Noble comme un Barras, disait-on en Provence; les Barras sont aussi anciens que nos rochers, disaient les paysans.
2: Étant un jour avec lui dans son cabinet[2-A], il me dit, en me parlant de quelques amis intimes que j'avais dans le faubourg Saint-Germain, et qu'il n'aimait pas alors:—Je ne crains pas votre faubourg Saint-Germain... pas plus que votre hôtel de Luynes... je ne les crains pas plus que je ne les aime... et que je ne les aimais lorsque je croyais que l'impératrice (Joséphine alors) était elle-même un gros bonnet parmi tout ce monde-là.
2-A: C'est de cette conversation que lui-même rend compte dans le Mémorial de Sainte-Hélène, et dans lequel il avoue lui-même aussi que je le traitai comme un petit garçon.
3: Ce nom de madame Leclerc me rappelle un livre qui m'est tombé sous la main l'autre jour, et qui s'intitule: Mémoires d'une Femme de qualité, dont l'auteur est, dit-on, madame du C...., les documents en sont tellement fautifs, que je parle ici de cet ouvrage pour engager à le lire comme un livre spirituel et parfaitement écrit, mais d'une telle inexactitude, que je recommande aussi de ne pas s'y fier pour les renseignements qui concernent le Consulat et l'Empire. C'est ainsi qu'on y voit toute une histoire, ou plutôt un roman sur madame Leclerc (princesse Pauline), sur laquelle, en vérité, il y a bien assez de choses vraies à dire. L'auteur lui fait épouser le général Leclerc, la première année du Consulat, tandis qu'elle l'a épousé à Milan, en 1796, cinq ans auparavant!... Ils partirent tous deux pour Saint-Domingue, où le général Leclerc mourut, en 1802 (au commencement); elle revint en Europe, et, en 1803, elle épousa le prince Borghèse. Mais ce n'est pas tout: on fait du général Leclerc un charmant et beau cavalier... lui qui était petit, chétif et de la plus insignifiante figure; si ce n'est pourtant qu'il avait toujours l'air de méchante humeur, ce qui lui faisait une expression comme une autre. Quant à être amoureuse du général Leclerc, sa femme n'y a jamais songé: ce fut un mariage de convenance, arrangé par Bonaparte, et accepté par l'ambition de Leclerc. Tout ce qui a rapport à Madame-Mère est aussi peu vrai. J'ai déjà réfuté tout ce qui frappait sur elle pour le reproche d'avarice, et crois l'avoir fait de manière à convaincre. Je continuerai ici pour son esprit. Jamais madame Lætitia (comme on l'appelait pour la distinguer de sa belle-fille), n'a dit une parole inconvenante; et, certes, tous les dialogues où elle entre en scène sont inconcevables de bêtise, pour dire le mot. Quel est, ensuite, ce titre d'Impératrice-Mère, qu'elle n'eut jamais? Si c'est une dérision, je ne la comprends pas; si c'est une erreur, elle est trop forte. Mais ce n'est pas seulement pour la famille Bonaparte que l'auteur s'est mépris; il paraît qu'il n'aimait pas à suivre la publication des bans: il fait marier le général Moreau avant le 18 brumaire et même le retour d'Égypte, tandis qu'il s'est marié depuis. Il en est de même de M. de Turenne (Lostanges); l'auteur des Mémoires d'une Femme de qualité le fait conduire sa femme chez madame Bonaparte, un mois après le 18 brumaire. M. de Turenne n'était pas marié à cette époque; ou, s'il l'était, sa femme n'allait pas aux Tuileries, et n'était pas même à Paris. Quant à M. de Turenne, ce fut beaucoup plus tard qu'il fut lui-même admis aux Tuileries.
Il en est de même d'une foule de détails sur lesquels le livre repose en entier, et qui ne sont pas plus vrais. Aucun des personnages n'est même ressemblant physiquement, quand il lui arrive de parler de leur figure. C'est ainsi que madame Lætitia a, selon lui, la physionomie PÉTULANTE, tandis que jamais visage ne fut plus calme et plus reposé: ce fut même toujours son expression habituelle. L'auteur n'est pas mieux instruit du reste. Il fait causer Hortense et Joséphine avec madame de Nansouty, qui n'était pas mariée non plus alors, et qui, d'ailleurs, n'a jamais articulé que de spirituelles et convenables paroles: c'est une charmante personne, aussi aimable que bonne, toute gracieuse et surtout n'ayant jamais rempli le rôle de flatteuse, que lui donne si bénévolement l'auteur des Mémoires. Je lui fais aussi le reproche d'être tout aussi mal instruit des choses frivoles qui nous concernent. Je lui ferai donc observer que Leroy ne faisait que des chapeaux et des modes à l'époque du Consulat. C'étaient madame Germont et madame Raimbaud qui étaient les Camille et les Palmyre de cette époque. Mesdames Bonaparte et Hortense se servaient de préférence de madame Germont. Madame Raimbaud était la couturière de madame Récamier, de madame Hainguerlot, de la société financière élégante et rivale de celle des Tuileries. On n'a jamais dit non plus madame Despaux,—toujours mademoiselle Despaux.—Son mari s'appelait M. Hyxe, et était marchand de chevaux et non pas chef de division à la guerre. Tout cela serait de peu d'importance, sans doute, si le livre ne se composait d'autres choses; mais ces faits liés ensemble par des conversations tenues par des personnages nommés plus haut forment les quatre cents pages de ce volume, et il n'y a même pas l'illusion.
C'est ainsi qu'on fait tenir à Rapp un propos qu'il ne peut avoir dit: l'auteur des Mémoires d'une Femme de qualité lui fait prendre fort à cœur la première nouvelle du concordat (1802), et Rapp s'écrie: «Pourvu qu'on ne fasse prêtres ni nos aides-de-camp ni nos cuisiniers! J'en suis fâchée pour Rapp, car le mot est bien pour un homme comme lui, mais il ne peut pas l'avoir dit. Rapp, à l'époque du concordat, n'était que lieutenant-colonel, n'avait pas d'aides-de-camp et l'était lui-même. Mais je ne puis relever toutes les fautes. M. de Narbonne, que la femme de qualité fait aller, pendant le Consulat, aux Tuileries, n'y alla que sous l'Empire. Il n'y avait pas non plus d'officiers du palais chamarrés de cordons et de croix sous le Consulat, en 1802; la Légion-d'Honneur ne fut elle-même distribuée qu'en 1804. Jamais non plus on n'a annoncé Madame, femme du premier Consul. Où l'auteur a-t-il été prendre de pareilles histoires? C'est comme Junot arrêtant le colonel Fournier!... et surtout le tutoyant! l'un est aussi peu vrai que l'autre pour qui les aurait vus un moment ensemble—ils se connaissaient à peine et ne s'aimaient pas du tout, ayant été sous la bannière différente de l'armée du Rhin et de l'armée d'Italie.
L'affaire de Cerrachi est tout aussi faussement rapportée, comme on peut le voir dans mes Mémoires et ceux de Bourrienne: ces derniers sont vrais quand la passion ne le domine pas. L'auteur des Mémoires d'une Femme de qualité ne consulte même pas le Moniteur: il fait arrêter Cerrachi le 9 novembre 1801, et il le fut le 25 octobre 1800; ce fut le général Junot, alors commandant de Paris, qui en fut chargé, et non pas le général Lannes, qui, en sa qualité de commandant de la garde, n'y avait que faire. J'ai une époque précise pour me rappeler cette circonstance; mon contrat de mariage devait être signé ce jour-là, et il ne le fut que le surlendemain, en raison de cet événement; mais voilà ce qui arrive lorsque l'on fait des livres avec des ouï-dire et des propos répétés. Des mémoires ne doivent être faits que par des personnes ayant vu les acteurs du drame qu'elles racontent. Sans cette condition observée, il arrive qu'on parle des gens comme la femme de qualité parle de M. de Metternich, qu'elle représente avec une coiffure comme celle de Mirabeau! Je ne fais aucune remarque; assez de personnes ont connu ou seulement vu M. de Metternich, et se rappellent sa charmante tournure; aussi je ne veux pas répondre là-dessus à la femme de qualité, qui peut bien être de qualité, mais qui n'est pas toujours exacte.
Je finirai ma critique en lui rappelant qu'elle devrait retrancher dans une nouvelle édition ce qu'elle dit de Madame-Mère, «Madame Lætitia, dit-elle dans le premier volume, faisait argent de tout et se faisait payer pour chaque place qu'elle faisait obtenir.» Ceci n'est plus une erreur, c'est une calomnie!... Je l'ai vu seulement hier en parcourant ce volume dont on m'avait parlé, et je déclare aussitôt que c'est une des plus odieuses calomnies que l'on puisse élever contre quelqu'un dont l'honorable caractère, dans la prospérité comme dans le malheur, aurait dû lui être une sauvegarde contre une attaque de ce genre. Madame Lætitia a un caractère noblement antique. Il faudrait un Plutarque pour la louer dignement.
4: Ces détails ne se trouvent pas dans mes Mémoires, parce que la place me manquait pour mettre un détail spécial pour chaque événement.
5: Aucune de nous n'était encore mariée à cette époque de la translation du gouvernement du Luxembourg aux Tuileries; presque tous les mariages se firent dans l'année.
6: L'hôtel de Brionne n'existe plus. Il était situé à la place de la porte et du guichet des gens à pied, qui se trouvent près de l'escalier pour aller chez le trésorier de la couronne. Madame Murat alla y loger dès que son frère fut aux Tuileries, et elle y fit même ses couches lorsque naquit le prince Achille, son fils aîné.
7: Madame Lætitia et ma mère avaient été élevées ensemble, et cela dès l'enfance; les maisons de leurs mères se touchant immédiatement; et, depuis, cette liaison s'était encore resserrée par l'événement de la mort de M. Bonaparte le père dans la maison de ma mère, à Montpellier.
M. Benezeth avait été ministre de l'intérieur; il était aussi fort ami de ma famille, qu'il avait connue en Languedoc.
8: On jouait l'Auteur dans son Ménage, jolie petite pièce, je crois, d'Hoffmann.
9: On lui donnait ce nom dans sa famille où personne ne l'appelait Pauline. Nous l'appelions aussi Paulette.
10: C'était alors dans cette maison, qui appartenait à Joseph, que logeait madame Lætitia.
11: Lucien logeait alors rue Verte, et je voulais que nous fussions chez lui, pour avoir de ses nouvelles par sa femme.
12: Première femme de Lucien.
13: Les sabres et les fusils, les baguettes, les pistolets d'honneur, furent une des premières institutions du Consulat. La loi qui les créa fut rendue au Luxembourg. Ce fut à la même époque que M. de Talleyrand fit observer au premier Consul que les journaux devaient être limités. Déjà ils l'avaient été par l'influence du directeur Sieyès, mais on ne trouva pas assez longue la coupure de ses ciseaux, et l'on rendit un arrêté où il était dit:
Le ministre de la police ne laissera paraître pendant toute la durée de la guerre que les journaux ci-après nommés:
- Le Moniteur Universel.
- Le Journal de Paris.
- Le Bien-Informé.
- Le Publiciste.
- L'Ami des Lois.
- La Clef du Cabinet.
- Le Citoyen Français.
- La Gazette de France.
- Le Journal des Hommes Libres.
- Le Journal du soir des frères Chaigneau.
- Le Journal des Défenseurs de la Patrie.
- La Décade Philosophique et les journaux s'occupant exclusivement des arts, etc.
14: En voici une preuve. Napoléon ne cessait de me parler du faubourg Saint-Germain, de mes amis, de leur opinion... et ce sujet de conversation ne tarissait jamais jusqu'au moment où lui-même s'entoura du faubourg Saint Germain, qui du reste ne demandait pas mieux, et lorsque je vis toutes les nominations, qui se trouvent encore au reste dans les almanachs des années 1808-9-10 et 11, je fus peu surprise. Je m'y attendais.
C'était pour lui une chose de prévention; il ne comptait que sur tout ce qui avait un nom pour former la cour. Je dirai là-dessus ce qui m'est arrivé à mon retour de Lisbonne après mon ambassade, cela fera juger de l'importance que l'Empereur attachait à tout ce qui tenait à la cour.
Je n'avais vu l'Empereur qu'au cercle de la cour et il m'avait seulement parlé comme à son ordinaire. Me trouvant de service un dimanche, au dîner de famille où j'avais accompagné Madame Mère, je fus appelée dans un petit salon ou plutôt l'un des cabinets de l'Empereur, où il se tenait souvent le dimanche après dîner pour causer avec ses sœurs, sa mère et l'Impératrice. L'Empereur voulait me faire causer sur le Portugal et sur la cour; je lui répondis ainsi que sur l'Espagne, et la conversation fut tellement longue et de son goût, que Madame voulant se retirer, il lui dit deux fois: «Un moment, madame Lætitia.» Il appelait toujours sa mère ainsi lorsqu'il était de bonne humeur; il disait même: Signora Lætizia. Enfin, lorsqu'il eut assez causé et questionné, il se recueillit d'un air sérieux et dit à l'Impératrice en me montrant à elle: «C'est inconcevable comme elle a encore gagné depuis son séjour dans une cour étrangère. Eh! ce n'est que là, dans le fait, qu'on sait ce que c'est que le monde!... Je souris.—Pourquoi riez-vous, madame?—Parce que Votre Majesté attribue à une influence qui est imaginaire, ce qui peut lui plaire dans mes manières.—Comment? Que voulez-vous dire?» Je continuai de sourire sans répondre.—«Eh bien, ne voulez-vous pas me dire le sujet de votre gaieté?—C'est que je crois, sire, que je puis en apprendre beaucoup plus en ce genre à ceux que vous croyez mes maîtres que je ne recevrais de leçons d'eux.» Il fut étonné et puis se mit à rire; mais il ne me croyait pas alors; il jugeait du Portugal par dom Lorenço de Lima, qui était ambassadeur de Portugal à Paris, et qui a les bonnes et parfaites manières d'un vrai don Juan du temps de la Régence.—Le marquis d'Alorna, le comte Sabugal, tout cela était très-bien, mais la cour!... c'était une parodie!
15: Il est évident que l'homme qui s'élança au-devant du tilbury a été trompé par la couleur de la livrée et qu'il nous a pris pour le premier Consul, qui revenait quelquefois seul, avec Joséphine ou Bourrienne, n'ayant qu'un ou deux piqueurs. Depuis ce jour-là cela n'arriva plus.
Cet événement ne se trouve pas rapporté dans mes Mémoires, parce qu'alors on me dit que dans l'intérêt de l'Empereur il ne fallait pas parler du grand nombre de tentatives faites contre lui: plus éclairée moi-même depuis lors, je crois que la vérité tout entière est ce qui vaut le mieux touchant un homme comme Napoléon.
16: Celui qui est au bout du château contre le petit pont.
17: Elle devait faire le rôle de la Créole, mais je crois qu'une grossesse l'en empêcha et que ce fut madame Davoust qui prit le rôle, et qui jouait bien mal, autant que je puis me le rappeler.
18: Le voyage de madame Bonaparte à Plombières n'avait pas eu lieu à cette époque, et nous étions au mieux, le premier Consul et moi. Qu'on voie le détail de cette scène, dont, au reste, le souvenir l'a suivi à Sainte-Hélène, dans le quatrième volume de mes Mémoires, 1re édition.
19: Émilie de Beauharnais, fille du marquis de Beauharnais, beau-frère de Joséphine, dont la mère avait épousé un nègre.
20: Cela seul aurait dû rendre la Malmaison un lieu consacré pour la France... Mais son intérêt devrait au moins éveiller sa reconnaissance. Ne sait-on pas que c'est à la Malmaison que la plupart de ces plans gigantesques, dont l'exécution nous transporte d'admiration aujourd'hui, ont été conçus et tracés, lorsque Napoléon, dont la France était la maîtresse adorée, voulait la rendre la plus puissante et la plus belle entre les nations de l'univers?—Ces quais, ces marchés, ces monuments, ces arcs de triomphe, qui donc a décrété qu'ils seraient élevés, qu'ils seraient bâtis?—C'est lui... Ces rues si larges, ces places, ces promenades, qui donc a dit que le cordeau les tracerait? Toujours lui... oh! nous sommes ingrats!...
21: 30 pluviôse an VIII.
22: Cette représentation à laquelle elle faisait allusion avait eu lieu en effet à Neuilly, dans une maison où logeait Lucien et qu'on appelait alors la Folie de Saint-James... Lucien faisait Zamore et madame Bacciochi Alzire. On ne peut se figurer la tournure qu'elle avait avec cette couronne de plumes et le reste. Mais ce n'était rien auprès de la traduction et des gestes; aussi le premier Consul, qui était venu accompagné de la troupe de la Malmaison qui était rivale de celle de Neuilly, dit-il à son frère et à sa sœur, après la représentation, qu'ils avaient parodié Alzire à merveille.
23: Je ne vois plus de ces mousselines dont je parle; les pièces n'avaient que huit aunes, et la mousseline était si fine et si claire que dans l'Inde on est obligé de la travailler dans l'eau pour que les fils ne cassent pas. Le prix de ces mousselines était exorbitant: je crois que la pièce de huit aunes revenait à six cents francs.
24: Les Transtévérins ou hommes au-delà du Tibre sont très-beaux, mais tout à fait communs. C'est dans les Transtévérines que les peintres retrouvent encore les vraies madones de Raphaël.
25: Mère de madame de Contades. Elle entendait à ravir tout ce qui tenait à l'étiquette de la cour. J'ai rapporté ce fait pour montrer à quel point Bonaparte attachait de l'importance à ces sortes de choses.
26: Le trésor de la famille Borghèse, comme eux-mêmes l'appelaient, était estimé plus de trois millions. Madame Leclerc avait déjà de beaux diamants à elle en propre, et le prince Borghèse avait ajouté pour plus de trois cent mille francs à ceux de sa famille pour ce mariage.
27: Dans les premiers moments de la Révolution, on fit un ruban où des raies vertes et bleues se mélangeaient.
28: Nom d'amitié qu'elle donnait à ma mère. Ce nom de Panoria qui, au fait, était celui de ma mère, en grec signifie la plus belle.
29: Ma mère avait connu l'Empereur tellement enfant, que, pour elle, la gloire du vainqueur de l'Italie et la haute position du premier magistrat de la république n'étaient pas aussi éblouissantes que pour les autres. Je me suis souvent demandé, connaissant sa manière de voir et son opinion très-tranchée pour un autre ordre de choses, comment elle aurait pris l'Empire.
30: Ces détails sont positifs.
31: Que pouvait-il entendre par ces paroles? De quel embarras parle-t-il; il ne communiquait jamais un plan ni même un projet politique à Joséphine, dont il connaissait la discrétion.
32: Ces lettres sont copiées sur celles originales, fournies par la reine Hortense, à qui elles sont revenues après la mort de l'Impératrice.
33: La poste avant Vienne.
34: Le comte Valesky,—le comte Léon.
35: Et même à la fin; il faisait déjà froid. J'arrivais des Pyrénées, et l'Empereur revenait d'Allemagne après la campagne de Wagram.
36: C'était ainsi qu'il m'appelait lorsqu'il y avait peu de monde, et même les jours de fête, à l'Hôtel-de-Ville lorsqu'il était de bonne humeur.
37: Tous ces détails ne pouvaient trouver place dans mes mémoires, qui étaient déjà bien longs. Je ne mis que le fait du divorce, sur lequel d'ailleurs, et par égard, j'avais alors les mains liées.
38: J'ai cette lettre.
39: Le sujet de la contestation était l'opinion plus que tranchée qu'avait la Reine sur la famille de Naples exilée en Sicile; Murat reprenait sa femme sur des mots trop durs dits par elle sur la reine Caroline et le roi Ferdinand!... elle le fit taire!...
40: Le malheureux duc de Lavauguyon était tombé dans un marasme complet, quelques années avant sa mort. Il ne voyait plus que moi et son beau-frère le prince de Beaufremont, lorsqu'il était à Paris: la plus tendre amitié m'attachait à lui, et j'ai cherché, par tous les moyens que cette même amitié peut inspirer, à détourner de sa pensée de funestes projets qui prenaient quelquefois une telle action sur lui, que je le retenais de force pour dîner avec moi, ou pour prolonger une conversation qui pût le distraire. Que de fois, j'ai mis de pieuses fraudes en œuvre, afin de détourner un orage dont les effets me faisaient trembler!... Alors cet homme que j'avais vu si brillant et si heureux... cet homme que j'avais connu si pénétré, surtout de son bonheur, n'était plus qu'un faible enfant, pleurant devant des souvenirs..... Oh! de quelles scènes cruelles j'ai été témoin!... Quelles douleurs j'ai vues dans cette âme; quelles blessures profondes!... Mais une vérité que je dois dire, c'est que jamais, dans aucun temps, il n'a démenti son affection pour Murat; jamais il n'a pu soutenir que je misse, dans une page de mes mémoires, un mot qui pût faire penser qu'il m'avait dit quelque chose contre Murat. On me croira un ingrat, me répétait-il!... Enfin, pour calmer sa tête qui s'échauffait pour la moindre chose, je fis une note dans laquelle je disais que je ne tenais mes renseignements, en aucune manière, de M. le duc de Lavauguyon, quoique je le visse souvent. Tout ce qu'il m'a révélé et confié au reste est en grande partie au moins de nature à être caché plutôt qu'à être publié. C'était un homme profondément malheureux que le duc de Lavauguyon, et il n'était pas fait pour l'être. Il avait de l'âme et du cœur, et ce ne fut qu'après avoir été violemment frappé par le sort qu'il a été en hostilité, comme il l'était, avec ses meilleurs amis. Dans les dernières années de sa vie, il ne voyait que moi et son beau-frère; encore choisissait-il, de préférence, les heures où j'étais seule. Lorsqu'il perdit son beau-frère, je crus qu'il mourrait avec lui.
«Je n'ai plus que vous,» m'écrivait-il le lendemain de cette mort. «Mon Dieu! ne soyez pas malade, car mon affection porte le malheur avec elle!... Je frappe de mort tout ce que j'aime!...»
Et c'est moi qui lui ai survécu!
Il aimait Murat avec une telle tendresse, que jamais il ne voulait me permettre de parler de lui en plaisantant; et un jour il faillit attaquer de propos une personne de ma société, qu'il trouva chez moi, et qui parla légèrement de Murat.
«J'ai un regret qui devient chaque jour un remords, me disait-il... c'est d'avoir trompé Murat!... J'ai trompé cet homme, en partageant une affection avec lui. C'est indigne à moi.»
La première fois qu'il me dit ce que je viens de rapporter, je crus qu'il voulait rire; car certes il savait bien qu'il n'était pas le seul!... mais pas du tout, la chose était des plus sérieuses. Non-seulement il la répéta sans varier; mais j'ai dix lettres de lui, dans lesquelles il me le rappelle. Le curieux de cela, c'est que la femme était devenue pour lui un être odieux!...
Il me racontait qu'un jour, étant à Naples, il était auprès de cette femme (elle logeait au palais). Son valet de chambre de confiance vint l'avertir que le roi le demandait... Aussitôt M. de Lavauguyon s'élança dans un escalier dérobé qui conduisait à une galerie commune, de laquelle il pouvait facilement regagner son appartement; mais, à l'instant où il y arrivait, le roi y arrivait de son côté. Il était pâle, agité. Une pensée instinctive lui révélait qu'il était trahi... Il s'élança sur le duc, et, saisissant le bouton de sa redingote, il lui dit d'une voix étouffée:
—«D'où venez-vous, monsieur?
—Je ne puis le dire à Votre Majesté, répondit le duc avec fermeté.
—Je veux le savoir.»
Le duc ne répondit rien.
—«Je le sais,» s'écria Murat furieux!
Le duc le regarda fixement:—«Non, sire, vous ne le savez pas et vous ne le saurez jamais.»
Le roi se frappa le front, et retourna dans son appartement...
—«Si vous saviez tout ce que j'ai souffert pendant que cet homme, qui avait tant fait pour moi, était là, comme un juge, pour me reprocher ma perfidie!... Il aurait été vengé s'il l'avait pu voir... Eh bien! croiriez-vous, poursuivit le duc de Lavauguyon, que lorsque je racontai cette entrevue terrible à cette femme, elle ne comprit pas que le dramatique de cette scène était tout entier dans la perfidie dont elle et moi nous nous rendions coupables?
—Oh! lui dis-je, je vous comprends, moi!... et plus que vous ne le pouvez croire!... J'ai aussi mes souvenirs!..
—Oui!... et comme ceux du duc de Lavauguyon, ils sont ineffaçables, c'est-à-dire qu'à côté s'élève une pensée de vengeance. Si, jusqu'à cette heure, le mal qui fut fait ne fut reconnu que par le silence, c'est que j'ai obéi à la voix de Dieu, qui commande l'oubli des injures. Il est des êtres qui lassent toutes les patiences...
41: Foncier et Marguerite. Ils étaient à côté de Biennais, le singe violet. Foncier avait beaucoup de goût, mais il était horriblement cher. Sa famille était fort nombreuse et fort unie. Sa belle-sœur était madame Jouanne, bonne et digne femme que je voyais beaucoup à Versailles, et pour qui j'avais une sincère amitié, ainsi que pour son mari qui est le plus honnête et le meilleur des hommes. Elle était mère de madame Alexandre Doumerc, cette femme spirituelle qui chantait si bien, et qui était si agréable. Madame Jouanne est morte. C'est sa fille qui occupe sa maison de Versailles avec son père.
42: Il formait le premier cabinet particulier de l'Empereur.
43: M. le marquis de Beausset, neveu de l'archevêque de Beausset, homme de grand esprit et d'une mémoire la plus rare qui ait existé jamais.
44: Freyre était valet de chambre de confiance de l'Impératrice. Il lui était fort attaché.
45: Du dix-neuvième jour du mois de ventôse de l'an IV de la république française, acte de mariage de NAPOLIONE Bonaparte, général en chef de l'armée de l'intérieur, âgé de vingt-huit ans, né à Ajaccio, domicilié à Paris, rue d'Antin, no ; et de Marie-Joséphine-Rose de Tascher, âgée de vingt-huit ans, née à la Martinique, dans les îles sous le vent, domiciliée à Paris rue Chantereine, no , fille de Joseph-Gaspard de Tascher, capitaine de dragons, et de Rose-Claire Desvergers, dite Anaïs, son épouse.
Moi, Charles-Théodore Leclerc, officier public de l'état-civil du deuxième arrondissement du canton de Paris, après avoir fait lecture, en présence des parties et témoins, 1o de l'acte de naissance de Napolione Bonaparte, qui constate qu'il est né, le 5 février 1768, de légitime mariage de Charles Bonaparte et de Lætitia Ramolini; 2o de l'acte de naissance de Marie-Joséphine-Rose de Tascher, qui constate qu'elle est née, le 23 juin 1767, de légitime mariage de Joseph-Gaspard, etc.., j'ai prononcé à haute voix que Napolione Bonaparte et Marie-Joséphine-Rose de Tacher étaient unis en légitime mariage. Et ce en présence des témoins majeurs ci-après nommés, savoir: Paul Barras, membre du Directoire exécutif, domicilié au palais du Luxembourg; Jean Lemarrois, aide-de-camp-capitaine du général Bonaparte, domicilié rue des Capucins; Jean-Lambert Tallien, membre du corps législatif, domicilié à Chaillot; Étienne-Jacques-Jérôme Calmelet, homme de loi, domicilié rue de la place Vendôme, no 207; qui tous ont signé avec les parties et moi. (Suivent les signatures.)
46: Ce n'est pas la Malvina et l'Ossian de Gérard; c'est le sujet assez confus, représentant les guerriers d'Ossian recevant Kléber, Hoche, Marceau, etc., aux Champs-Élysées.
47: M. le duc de Bouillon était extrêmement aimé dans sa terre de Navarre ainsi qu'à Évreux. Aussi ne lui est-il rien arrivé dans la Révolution.
48: Cette lettre est sans date de mois dans l'original. Mais d'après ce que dit Napoléon pour les plantations, on présume que c'est du mois de janvier ou de février.
49: Bois-Préau, la maison de mademoiselle Julien, à Ruelle, celle que Napoléon appelait la vieille fille. Il la détestait parce qu'elle n'avait jamais voulu lui vendre sa maison tant qu'elle vécut.
50: Le roi de Bavière et la reine, le roi de Wurtemberg, le roi de Saxe, le roi de Westphalie et tous les princes d'Allemagne alors à Paris, où ils étaient en foule.
51: Toutes ces lettres ont été fournies en original par la reine Hortense, et sont fidèlement transcrites sur ces mêmes originaux.
52: L'impératrice ayant fait la remarque que, lorsqu'elle voulait venir à Paris, elle ne savait où descendre, l'Empereur fit arranger pour elle l'Élysée-Napoléon.
53: La campagne de Bessières était Grignon... à sept ou huit lieues de Paris. Bessières avait imaginé ce rapprochement comme si tout n'était pas rompu! Ces lettres doivent montrer à Marie-Louise combien sa fausse jalousie était absurde, et combien elle était peu fondée, puisque, même avant le mariage, toute relation était rompue entre Joséphine et Napoléon.
54: Cette lettre, écrite au moment où elle le fut, contenant une demande d'argent et de faveur extérieure, c'est-à-dire pour contenter l'amour-propre, fut une des démarches les plus inconvenantes que l'on ait conseillées à l'impératrice Joséphine; l'Empereur le sentit amèrement.
55: 100,000 francs pour Malmaison; 200,000 francs pour l'achat de Boispréau, la terre de mademoiselle Julien; 100,000 fr. pour la parure de rubis; 1,000,000 pour payer les dettes et 600,000 francs trouvés dans l'armoire de Malmaison.
56: La reine Hortense avait été fort affectée de l'abdication de son mari, qui renonça à la couronne de Hollande, comme un honnête homme qu'il était, lorsque Napoléon voulut lui faire faire ce que sa conscience lui défendait. Il se retira en Bohême, puis ensuite en Styrie, à Gratz.
57: J'omets les phrases inutiles du compliment de madame de Rémusat. Cela me paraît inutile à l'objet principal de la lettre.
58: Duroc, grand-maréchal du palais.
59: Cette phrase est de l'Empereur lui-même, ainsi que plusieurs autres qui se reconnaissent aisément. L'Empereur a conseillé d'écrire la lettre, et puis ensuite il l'a dictée à moitié.
60: Cette lettre est un chef-d'œuvre d'habileté pour qui connaissait l'impératrice Joséphine; ainsi la placer comme rivale triomphante d'une jeune femme de dix-huit ans, et lui parler de sa fraîcheur quand la seule beauté réelle de Marie-Louise était une peau éblouissante et un teint admirable, était aussi habile que peu croyable pour tout autre.
61: Croirait-on qu'en 1833 ou 32, j'ai oublié l'époque, j'ai reçu une lettre de cette madame Pauline, qui était fort scandalisée de ce que j'avais mis sur elle dans mes Mémoires. Mais savez-vous ce qu'elle blâmait? Peut-être ce que je disais pour l'Égypte?... Ah bien oui!... Pas du tout: madame Pauline réclamait contre l'insertion d'un fait qui, je le vois bien, en effet, n'était point vrai.—Elle m'affirmait que j'avais commis une erreur en disant qu'elle avait voulu consacrer sa fortune à sauver l'Empereur quand il était à Sainte-Hélène... Je n'ai pas répondu à cette belle épître pour deux raisons: d'abord parce qu'elle était sotte, et puis parce qu'il devenait inutile de prendre près d'elle de nouveaux renseignemens.—Ceux que j'avais eus sur elle ne pouvaient être douteux pour moi; et quant à cette dernière partie de sa vie, j'étais pleinement convaincue. La femme qui peut se défendre d'avoir voulu sauver Napoléon, lorsqu'elle pouvait invoquer pour cette action le droit d'en avoir été aimée; la femme qui peut nier l'avoir voulu faire cette action est incapable de l'avoir en effet jamais imaginée.
62: L'ancienne noblesse s'est alliée souvent à nos rois. Un Montmorency a épousé la veuve de Louis-le-Gros.
63: Elle n'avait pas encore épousé le général Reil. Elle était charmante.
64: J'ai déjà parlé de cette singulière propriété de l'oreille de Marie-Louise. Elle la faisait tourner sur elle-même par un simple mouvement de la mâchoire.
65: Ce premier maître d'hôtel s'appelait Réchaud. Ils étaient deux frères, sortant tous deux de chez le prince de Condé, aussi fameux l'un que l'autre. L'autre frère était à mon service.
66: Cette lettre est, comme les autres, copiée sur les lettres originales fournies par la reine Hortense.
67: Propriété qu'avait l'Impératrice tout près de Genève.
68: Le prince Auguste-Charles-Eugène, né à Milan, le 9 décembre 1810; la princesse Joséphine, mariée au prince Oscar de Suède; et la princesse Eugénie-Hortense, née à Milan, le 23 décembre 1808, mariée au prince héréditaire de Hohenzollern-Hechingen.
69: La princesse de La Leyen, mariée au comte Tascher, cousin germain de l'impératrice Joséphine.
70: La princesse Amélie, née à Milan, le 31 juillet 1812, mariée à l'empereur du Brésil.
71: M. Deschamps était un homme rempli d'esprit et d'amabilité; il avait fait, avant d'entrer dans la maison de l'Impératrice comme secrétaire de ses commandements, plusieurs jolis vaudevilles. Sa fin fut tragique et mystérieuse. Après la mort de l'Impératrice, sa vie à venir fut assurée par une pension que lui firent la reine Hortense et le vice-roi; tout-à-coup, il devint triste et même inquiet; ce changement fut remarqué par une jeune orpheline dont il prenait soin. Enfin, un jour, il disparut, et jamais depuis on n'a pu découvrir sa trace: il est évident qu'il s'est tué; mais où, comment et pourquoi, voilà ce qu'on ignore.
72: Madame d'Audenarde était une bonne et excellente personne et avait été une des plus jolies femmes de son temps. On sait comment les créoles sont charmantes lorsqu'elles sont hors de la ligne ordinaire; elle était mère du général d'Audenarde, écuyer de l'Empereur, et qui ensuite, placé dans la compagnie des gardes-du-corps du roi, compagnie de Noailles, tint cette belle conduite, lorsque des enfants imberbes voulurent faire la loi au vieux soldat, quoiqu'il fût jeune aussi, lui, mais respectable pour cette foule adolescente qui ne devait pas élever la voix devant un homme qui avait vu bien des batailles, et dont le sang avait coulé pour son roi[72-A]. Madame d'Audenarde fut toujours à merveille pour la mémoire de l'impératrice Joséphine, qu'elle n'appelait que sa bienfaitrice. Je l'ai entendue parler ainsi à l'Abbaye-aux-Bois, où je la rencontrais chez sa sœur, madame de Gouvello, ange de vertus et de piété, que Dieu vient de rappeler à lui.
72-A: Le général d'Audenarde a servi dans l'émigration dans l'armée de Condé.—Napoléon l'aimait et l'estimait beaucoup.
73: M. Deschamps fait ici une singulière méprise: on sait trop bien que ce ne fut pas l'Impératrice qui appela madame Gazani à Paris, ce fut l'Empereur; et même, pendant longtemps, Joséphine la tint dans la plus belle des aversions. Elles ne se rapprochèrent que lorsqu'elles furent toutes deux malheureuses. Madame Gazani fut elle-même gênée en chantant ce couplet: elle ne l'avait pas vue auparavant, et fut contrariée, je le sais, de chanter ces paroles.
74: Madame Auguste de Colbert, dame du palais de l'Impératrice; elle demanda à la suivre. C'est une excellente femme, vertueuse et bonne; elle était veuve du brave général Auguste Colbert qui fut tué en Espagne en plaçant ses tirailleurs. Madame de Colbert était fille du sénateur, général, comte de Canclaux. Elle est aujourd'hui remariée à M. le comte de la Briffe. La Fête de Campagne, que rappelle ici Deschamps, fait allusion à une fête donnée à Joséphine, tandis qu'elle était à Aix-la-Chapelle, un 19 mars. On lui donna une fête charmante.
M. de Canclaux était le plus digne des hommes, mais comme tous, il avait quelques petits côtés par lesquels il donnait à rire; l'un d'eux était une manie des plus prononcées d'être mélomane et d'aimer l'italien. Le fait réel, c'est qu'il n'aimait pas la musique, et n'entendait pas très-bien l'italien. Cela n'empêchait pas que, lorsque je le rencontrais et que je lui demandais s'il avait été content de Crescentini ou de madame Grassini dans le bel opéra de Roméo et Juliette... il me répondait: Pas mal, pas mal! ce dont j'ai surtout été content, c'est du finale et du tutti. Or, ces deux mots, il les prononçait comme tous les mots italiens prononcés par ceux qui ne savent pas la langue, en appuyant fortement sur la dernière lettre et la dernière syllabe. Du reste, c'était l'honneur et la probité en personne.
75: Mademoiselle de Mackau, fille du contre-amiral de ce nom, était attachée comme dame à la princesse Stéphanie, grande duchesse de Bade. L'Impératrice, toujours bonne, sachant que mademoiselle de Mackau était malheureuse d'être si loin de sa famille, la demanda à la princesse Stéphanie, et la fit dame du palais. Elle fut, à quelque temps de l'époque dont je parle, mariée au général Wathier de Saint-Alphonse. Elle est nièce de M. de Chazet, aimable poëte, connu par une foule de jolis ouvrages.
76: L'Impératrice, en arrivant à Navarre, trouva la plaine autour d'Évreux infectée de marais très-nuisibles; elle les fit dessécher; ils avaient été formés par les eaux de l'Iton et de l'Eure qui passaient autrefois par des canaux pour alimenter les cascades et les bassins du parc; et ces canaux ayant été rompus par défaut d'entretien, l'eau qu'ils conduisaient avait formé ces marais.
77: L'école de jeunes filles, instituée par Joséphine, où elles apprenaient à faire de la dentelle, mais où elles recevaient aussi une parfaite éducation, spécialement dirigée vers le but dans lequel elles étaient élevées.
78: L'Impératrice avait non-seulement rendu aux habitants la promenade du parc de Navarre qu'on leur avait ôtée, mais, de plus, elle allait faire embellir leur promenade, et pour cela avait acheté un terrain.
79: Allusion à la réédification du théâtre que l'Impératrice allait faire. Rien n'était comparable à M. de Vieil-Castel dans ce rôle de paysan, avec son flegme et sa tranquillité habituelle; rien n'était au reste plus parfaitement comique: il avait beaucoup d'esprit, et son air sérieux ajoutait du comique à son rôle. Son fils, Horace de Vieil-Castel, a un talent remarquable pour dire les vers et jouer la comédie, à part son esprit qui est très-remarquable.
80: Je crois que la duchesse de Frioul (madame Duroc) jouait aussi, mais je n'en suis pas sûre. Je ne me la rappelle sur le théâtre de la Malmaison que dans un seul rôle, la soubrette du Bourru bienfaisant, qu'elle joua fort bien. Mais, dans cette même pièce, qui fut vraiment excellent, ce fut le marquis de Cramayel dans le rôle du Bourru...
81: Sœur de madame Rémusat, et femme du premier écuyer de l'Impératrice.
82: La comtesse de Lavalette, nièce de l'Impératrice. Jamais une femme n'a plus froidement joué un rôle.
83: M. de Mont-Breton, premier écuyer de la princesse Pauline.
84: Chambellan de l'Empereur.
85: Chambellan de l'Empereur.
86: Il y avait beaucoup de malades à Navarre; elle était revenue à la Malmaison.
87: Et le divorce de sa mère fut encore pour elle, à cette époque, un coup bien rude.
88: Bessières fut tué d'un boulet de canon dans le défilé de Wesseinfeld, le jour même de la bataille de Lutzen. Bessières commandait toute la cavalerie de l'armée; c'était à la fois un homme habile, brave, rempli de cœur, et doué de bonnes qualités. Je perdis un ami en lui, ainsi que Junot.
89: Quant à la mort de Duroc, ce fut pour ses amis, et il en avait beaucoup, un des coups les plus rudes de ces temps désastreux; elle fit aussi une profonde impression sur l'Empereur; mais, quoiqu'il en ait été vivement frappé, les derniers moments de Duroc ne se sont pas passés comme le Moniteur l'a dit. Bourienne les a également racontés avec sa haine accoutumée, et il a menti dans un autre sens... J'avais deux amis auprès de l'Empereur dans cette cruelle circonstance, et voilà comment chacun m'a rapporté l'événement; ces deux amis sont le duc de Vicence et le duc de Trévise:
La bataille de Bautzen était livrée et gagnée, la journée finissait; l'Empereur poursuivait les Russes, voulant reconnaître par lui-même ce qu'il voulait juger; il crut mieux voir sur une colline en face de lui; il voulut gagner cette éminence, et descendit par un chemin creux avec une grande rapidité; il était suivi du duc de Trévise, du duc de Vicence, du maréchal Duroc, et du général du génie Kirgener, beau-frère de la duchesse de Montebello, dont il avait épousé la sœur. L'Empereur allant plus vite que tous ceux qui le suivaient, ils étaient à quelque distance de lui, serrés les uns contre les autres. Une batterie isolée qui aperçoit ce groupe tire à l'aventure trois coups de canon sur lui: deux boulets s'égarent, le troisième frappe un gros arbre près duquel était l'Empereur, et va ricocher sur un plateau qui dominait le terrain où était l'Empereur. Il se retourne, et demande sa lunette. Comme il a fait un détour, il n'est pas étonné de ne voir auprès de lui que le duc de Vicence. Dans le même moment arrive le duc Charles de Plaisance[89-A]; sa figure est bouleversée. Il se penche vers le duc de Vicence, et lui parle bas.
—«Qu'est-ce?» demande l'Empereur.
Tous deux se regardent et ne répondent pas...
—«Qu'est-il arrivé?» demande encore l'Empereur.
—«Sire, répond le duc de Vicence, le grand-maréchal est mort!...
—Duroc! s'écria l'Empereur... et il jeta les yeux autour de lui comme pour y trouver l'ami qu'il venait d'y voir... «Mais ce n'est pas possible!... il était là! à présent!...»
Dans ce moment, le page de service arrive avec la lunette, et raconte la catastrophe: le boulet avait frappé l'arbre, il avait ricoché sur le général Kirgener, l'avait tué raide, et puis avait frappé mortellement le malheureux Duroc.
L'Empereur fut attéré. La poursuite des Russes fut à l'instant abandonnée; son courage, ses facultés, tout devint inerte devant la douleur qui envahit son âme en apprenant le malheur qui venait d'arriver. Il retourna lentement sur ses pas, et entra dans la chambre où Duroc était déposé. C'était dans une petite maison du village de Makersdorf. L'effet du boulet avait été si complet, que le drap du blessé n'offrait presqu'aucune trace sanglante... Il reconnut l'Empereur, mais ne lui dit pas ces paroles qui furent mises dans le Moniteur: «Nous nous reverrons, mais dans trente ans, lorsque vous aurez vaincu vos ennemis!» Il reconnut l'Empereur, mais il ne lui parla d'abord que pour lui demander de l'opium afin de mourir plus vite, car il souffrait trop cruellement. L'Empereur était auprès de son lit; Duroc sentant l'agonie s'approcher, le supplia de le quitter, et lui recommanda sa fille et un autre enfant, un enfant naturel qu'il avait de mademoiselle B... Seulement l'Empereur insistant pour rester, Duroc dit en se retournant:
«Mon Dieu! ne puis-je donc mourir tranquille!»
L'Empereur s'en alla; et Duroc expira dans la nuit. L'Empereur acheta la petite maison dans laquelle il mourut, et fit placer une pierre à l'endroit où était le lit, avec telle inscription:
«Ici le général Duroc, duc de Frioul, grand-maréchal du palais de l'empereur Napoléon, frappé d'un boulet, a expiré dans les bras de son Empereur et de son ami.»
L'Empereur fit donner une somme de 4,000 francs pour ce monument, et 16,000 francs au propriétaire de cette petite maison. La donation fut faite et ratifiée, et conclue dans la journée du 20 mai, en présence du juge de Makersdorf. Napoléon a profondément regretté Duroc, et je le conçois!...
Et qui ne l'aurait pas pleuré! Quant à moi, quoiqu'il y ait bien des années écoulées depuis ce terrible moment, je donne à sa perte les regrets que je dois à la mort du meilleur des amis, du plus noble des hommes, de celui qui aurait changé bien des heures amères en des heures de joie pour l'exilé de Sainte-Hélène, s'il avait vécu!!...
89-A: Fils de l'archi-trésorier, du troisième Consul Lebrun.
90: Les détails de cette horrible aventure sont dans le Salon des princesses de la famille impériale.
91: M. de Thiars s'était fort occupé de madame Gazani, et les faiseurs de propos, à Fontainebleau, disaient que ce n'était pas en vain.
92: Madame de Turpin est accusée, par mademoiselle Cochelet, d'avoir parlé contre la reine Hortense; c'est faux. Je sais, par des personnes aussi bien instruites qu'elle tout ce que faisait et disait madame de Turpin, et rien ne ressemble à cela. Les affections de madame de Turpin pouvaient lui faire voir avec joie le retour des Bourbons que les siens aimaient depuis longtemps. Que ne dirions-nous pas, nous, si l'on nous annonçait que le duc de Reichstadt n'est pas mort, et qu'il est aux portes de Paris? Madame Turpin a donc pu jouir du retour des Bourbons, sans pour cela oublier que la reine Hortense et l'impératrice Joséphine avaient été bonnes pour elle et pour M. de Turpin... Mais, au reste, mademoiselle Cochelet est souvent si passionnée dans ses amours et dans ses haines, qu'on ne sait trop comment se tirer des positions où elle vous place, pour blâmer ou approuver.
M. de Boufflers, dont elle vante beaucoup l'amitié pour elle, et qui était, comme on sait, bien spirituel, a dit sur elle un mot qu'elle ne connaissait pas. Il disait qu'on se trompait, et qu'au lieu de l'appeler Cochelet, il fallait dire Coche-laide.
93: On prétend que les grand'-mères et les grands-pères n'aiment autant leurs petits-enfants que parce qu'ils les regardent comme leurs vengeurs.
94: Par la mort de Duroc.
95: On appelait cela un charivari.
96: Il fut en effet longtemps à comprendre, étant enfant, les dizaines ajoutées aux dizaines.
97: Le roi de Bavière fit en effet cette proposition au prince Eugène: ce fut le prince Auguste de la Tour-Taxis qui porta la lettre au vice-roi.
98: La justice qui fut rendue à chacun est bien remarquable dans cette circonstance. La reine de Naples (madame Murat) eut de la peine à trouver un asile à Trieste!... en Autriche!... tandis que le prince Eugène fut royalement accueilli et traité à Munich.
99: Et savez-vous qui disait cela? Aucun des grands noms de France: ceux-là furent toujours ce qu'ils devaient être. Mais c'étaient des personnes presque inconnues aux Bourbons, et qui la plupart n'avaient pas quitté la France.
100: Il n'y a, du reste, aucun mensonge. Seulement, mademoiselle Cochelet s'abusait par sa grande amitié pour la Reine. En général, son affection la faisait errer souvent dans ses jugements; ainsi M. de Boufflers, qu'elle croit son plus ardent admirateur, disait d'elle le mot le plus charmant, mais auquel l'esprit avait plus de part que le cœur; il disait qu'il fallait l'appeler Cochelaide et non pas Cochelet.
101: Aujourd'hui madame Sébastiani, et ambassadrice à Londres.
102: Ce tableau valait plus du double de celui de Richard.
103: Les hommes tels que Charlemagne et Napoléon édifient trop en grand pour que le monument puisse durer après eux. Le colosse n'est plus là pour soutenir, de ses fortes épaules, le vaste empire qu'il a créé... Alors tout devient confusion, rien ne marche, tout est entravé, et il faut de nouveau poser une pierre et rebâtir... Des hommes comme Charlemagne et Napoléon ont des HÉRITIERS et pas de SUCCESSEURS.
104: Lorsqu'il y avait beaucoup de monde et que la file était longue, on demandait sa voiture aussitôt qu'on en était descendu.
105: On dansait toujours à la cour au moins deux anglaises par bal.
106: Plût au ciel qu'en 1814 et 1830, lorsque la possibilité existait de proclamer le roi de Rome, nous eussions eu des Français aussi bons patriotes que M. de Metternich!
107: Lui parlant plus tard de ce discours, je lui demandai s'il avait été dicté par l'Empereur. L'archi-chancelier me donna sa parole d'honneur que Napoléon ne le connaissait que comme tous les discours qui se prononçaient devant lui; il en prenait lecture avant qu'on ne le lui dît, pour savoir s'il n'y avait rien contre sa politique européenne. «J'étais si touché moi-même, ajouta Cambacérès, que j'aurais fait quelque chose de plus louangeur encore, moi qui pourtant ne le suis guère, si je n'avais craint de lui déplaire, car je sais qu'il n'aime pas cela.»
108: Oui, malgré toutes les victoires de Masséna qui fut un vrai héros, et qui nous sauva des Russes avec sa belle campagne de Suisse. Mais cette victoire ne pouvait être que passagère, et encore une comme celle-là, et nous étions perdus même dans notre honneur, car le moyen de faire la paix convenablement; et pourtant nous n'avions ni soldats ni ressources; la France était dans un état de délabrement moral et physique, qui était comme l'avant-coureur de notre perte au moment du retour de Napoléon. Aussi, quand j'entends Gohier dire que la France était grande et glorieuse au 18 brumaire, je me demande comment la haine et la vengeance peuvent aveugler à ce point. Gohier, du reste, est souvent méchant et surtout peu véridique en parlant de Napoléon.
109: Cette phrase est en rapport avec les propos des républicains, qui disaient alors qu'il y avait à craindre que Bonaparte ne ramenât les Bourbons. On a même prétendu que la mort du malheureux duc d'Enghien n'eut pas d'autre cause!...
110: Il est impossible de rien comprendre à ce fatras de mots sans couleur, sans aucun sens, et aussi absurdes que les paroles de Bobêche, voulant nous persuader que deux et deux font cinq.
111: Faute immense de Napoléon! ces provinces illyriennes n'étaient rien pour lui, et l'Autriche y attachait le plus grand prix. Si elles eussent été rendues en 1812, le prince Schwartzemberg marchait avec nous en Russie!... quelle différence!...
112: Elle avait une telle tendresse pour cette bonne et belle personne, qu'après le départ de Marie-Louise, madame Bernard[112-A] portait un bouquet à la duchesse, de la part de l'Impératrice, comme si elle eût été à Paris, et cela dura un an au moins.
112-A: Fameuse bouquetière qui a précédé madame Prevost, et qui faisait les bouquets presque aussi bien qu'elle.
113: D'Aigrefeuille était conseiller à la cour des aides de Montpellier: c'était un homme d'esprit, quoique ridicule; mais il l'était plus par sa figure que par lui-même.
114: Le cardinal Maury m'a toujours tenu ce langage, même dans un temps où l'archi-chancelier n'avait plus le même pouvoir.
115: On l'a beaucoup dit dans le temps, mais je ne le crois pas, l'Empereur estimait trop l'archi-chancelier. Le comte Dubois ne put me dire s'il avait ou non connaissance de la chose.
116: Cambacérès a dit depuis à Dubois, qu'il avait cru d'abord que c'était quelque émigré rentré, à qui, jadis, une consultation de lui avait fait perdre un procès.
117: Cette circonstance, remarquée pendant tout le temps que dura cet étrange entretien, avait frappé Cambacérès plus peut-être que le reste. Peut-être l'individu avait-il des semelles de liége; ce qui est bien étonnant, c'est que dans le premier moment, l'archi-chancelier ne fut pas éloigné de croire au surnaturel.
118: On défendit sévèrement de parler de cet événement, qui fut même ignoré de beaucoup de gens qui assistèrent à la fête de l'archi-chancelier et s'y trouvaient en ce moment; des personnes de la maison même ne l'ont appris que plus tard, par la voix publique, parce que, sous la Restauration, il n'y avait plus de raison pour cacher cette affaire, et que les auteurs en parlèrent. Cambacérès, quoique innocent du vote à mort, à ce qu'on prétendait, fut cruellement frappé de cette apparition. Le comte Dubois, qui avait un intérêt réel à découvrir la chose, en me la racontant chez lui, à Vitry, il y a quatre ans, me dit qu'il n'avait jamais pu découvrir la moindre trace du cet événement. Lorsque l'Empereur l'apprit, il dit à l'archi-chancelier: «Allons... c'est un rêve... vous avez dormi...»
119: En 1811.
120: Hugues-Bertrand Maret, né à Dijon, en 1763.
121: Sans aucun doute on était encore enfant (surtout un homme) quand on n'avait que dix-sept ans à l'époque dont je parle.
122: Il présidait aussi, comme on le sait, les États de Bourgogne.
123: Voici ce dont il s'agit: Vauban avait fortifié la ville d'Ath..... Cette ville retombe dans les mains des Espagnols; plus tard les Français mettent le siége devant ses remparts, et Vauban lui-même est chargé de le conduire. Quelle position que la sienne! si la ville est prise, il l'a donc mal fortifiée; s'il ne la prend pas, que devient-il?... Louis XIV le presse... l'excite... de la reddition de la place dépend le succès du traité de Riswith!..... L'humiliation ou la disgrâce! Dans cette extrémité, Vauban prend le parti qui convenait à un homme de génie comme lui; il invente un moyen d'attaque inconnu jusqu'alors, et la ville est prise. Mais Vauban avait le droit de dire: «Elle ne pouvait l'être que par moi.» Le moyen qu'il inventa est la batterie à ricochets.
124: Croirait-on, avec le noble et beau caractère de Carnot, que JAMAIS il n'oublia cette circonstance!..... et le duc de Bassano ressentit encore les atteintes de ce souvenir en 1815!.....
125: Ce sujet n'avait jamais été traité.
126: Une circonstance remarquable, c'est que de la mission de ces deux envoyés près des différentes cours d'Italie surtout, dépendait la vie de la reine, de madame Élisabeth, et du jeune roi Louis XVII, ainsi que de sa sœur. On ne comprend pas comment l'Autriche a pu mettre ainsi une entrave à la réussite d'une chose qui assurait la vie de la reine..... elle était la tante de l'Empereur enfin!... Je ne puis m'expliquer cette étrange conduite[126-A]... M. Maret et M. de Sémonville correspondirent ensemble malgré leurs geôliers. J'en ai détaillé le spirituel moyen dans mes mémoires, ainsi que de la plaisante rencontre que M. de Bassano fit ensuite à Munich ou à Vienne, de l'un de ses compagnons de captivité.
126-A: Ainsi que la réponse faite par François, alors empereur d'Allemagne, à M. de Rougeville!...
127: J'ai tenu dans mes mains ces chefs-d'œuvre d'une patience étonnante. Je les ai vus. La comédie a treize cents vers, la tragédie dix-huit cents; les deux pièces sont écrites très-lisiblement sur la quantité de papier qui fait la valeur de deux feuilles de papier à lettre. La comédie s'appelle le Testament; la tragédie, Pithèas et Damon; l'autre comédie a pour titre l'Infaillible. Le brouillon en était fait par lui sur la faïence de son poêle, où il s'effaçait à mesure.
128: Par la Constitution de l'an 8, le secrétaire-général avait le titre et les fonctions de secrétaire-d'État. C'était une position de haute faveur et surtout de haute importance: les ministres lui remettaient leurs portefeuilles; il prenait connaissance de leurs rapports sur les affaires de leurs départements, et, dans le travail de la signature qu'il faisait seul avec le premier Consul, il lui en rendait un compte verbal très-abrégé. Quant à l'exécution des décrets, elle avait lieu sur l'expédition que les ministres recevaient du secrétaire-d'État. Celui-ci était donc un intermédiaire officiel entre le gouvernement, le Conseil d'État et les ministres.
129: Le secrétaire-général ou le secrétaire-d'État (ce fut à l'Empire qu'il eut le titre de ministre secrétaire-d'État) avait non-seulement d'immenses attributions, mais on peut dire qu'il était le seul ministre.
130: La plus belle époque de l'Empire est depuis 1804 jusqu'en 1811.
131: Il était parfaitement bon, et le plus probe, le plus honnête des hommes; c'était un type que M. de Champagny. Mais en vérité, jamais on ne vit une plus étrange façon d'aller par le monde civilisé! jamais on ne vit un renoncement aussi complet à l'élégance même la plus ordinaire.
132: Rue du Bac, presque contre la rue de Sèvres.
133: Je ne voyais du corps diplomatique que ceux qui étaient mes amis et qui me convenaient: à l'époque où M. de Bassano ouvrit sa maison, j'étais en Espagne.
134: Les trois membres du corps diplomatique les plus assidus chez le duc de Bassano étaient M. le prince de Schwartzemberg, M. de Krusemarck et M. de Kourakin.
135: Et de l'Académie.
136: Mademoiselle de Mondreville mariée à M. de Barral, beaucoup plus âgé qu'elle, au point d'être pris pour son père, remariée aujourd'hui au comte Achille de Septeuil, et dame pour accompagner la princesse Pauline.
137: Fille de M. de Cetto, ministre de Bavière; elle était ravissante de fraîcheur, de jeunesse et de grâce.
138: Appelée la belle Génoise, lectrice de l'Impératrice, puis ayant le rang de dame du palais, on ne sait trop comment, ou plutôt on le sait.
139: Mademoiselle Dupuis, dont la mère était créole de l'Île-de-France, et dame pour accompagner la reine Julie d'abord, et puis ensuite madame mère.
140: Mademoiselle de Brignolé, dont la mère était dame du palais; jolie, mais l'air d'un serin effaré.
141: Mademoiselle Mourgues, dont le père a été ministre de Louis XVI en 1790 ou 91, pendant vingt-quatre heures; et belle-sœur de M. de Villèle.
142: Ravissante femme comme on peut le voir encore aujourd'hui. Elle était veuve du baron de Giliers, et elle épousa en secondes noces le comte Alexandre de Laborde.
143: Riche héritière qui, sans être ni laide ni jolie, épousa M. de Turenne. Elle n'avait pas de jambes, ou, du moins, étaient-elles si courtes qu'elles étaient comme absentes.
144: Elle n'était attachée à aucune maison, mais fort aimée de nous toutes.
145: Écuyer de la princesse Pauline.
146: Chambellan de l'Empereur, gendre de M. de Narbonne.
147: Aide-de-camp de l'Empereur.
148: Grand-maître des cérémonies.
149: Chambellan de l'Empereur.
150: Chambellan de l'Empereur.
151: Grand chambellan.
152: Lettres sur la Suisse, par William Coxe, avec les notes par Ramond.
153: Elle fut remplacée par une belle tasse en argent que lui donna M. Ramond pour cette course au pic du Midi. Ces tasses servent aux guides des glaciers pour faire fondre de la neige, à laquelle ils mêlent de l'eau-de-vie ou tout autre spiritueux, pour éviter de boire l'eau trop crue des glaciers.
154: Tous ceux qui ont été dans les Pyrénées savent combien le spectacle qu'on a sur le pic du Midi, au lever du soleil, est admirable.
155: Fragments imprimés dans le Mercure de France, de 1788 ou 1787.
156: Je regrette seulement qu'il ait mis autant en oubli ce que nous devions à l'Empereur, tout en parlant des fautes de la campagne de Moscou.
157: Mademoiselle de Luçay.
158: Le traitement du duc de Bassano était de 400,000 fr.; la dépense de sa maison s'élevait à 300,000 fr.
159: Aujourd'hui madame de Septeuil.
160: Quelque extraordinaire qu'il puisse paraître qu'étant aussi liée avec M. et madame de Valence, la duchesse de Bassano ne connût pas leur mère, cela est pourtant positif.
161: Et M. de Rambuteau, qui a prouvé qu'on pouvait être à la fois un homme du monde et un habile administrateur. Napoléon l'avait, au reste, bien deviné.
162: Frère du comte Alfred de Maussion, auteur de plusieurs romans écrits avec goût et remplis de cet intérêt qui fait tourner les pages... Le succès du dernier ouvrage de M. le comte de Maussion, intitulé Faute de s'entendre, doit lui donner la volonté de ne se pas arrêter, et à nous le regret qu'il n'y ait qu'un volume. On y retrouve les scènes du grand monde, ses perfidies, ses joies, comme son malheur; et tout cela raconté dans ce langage de bonne compagnie dont bientôt nous n'aurons plus que la tradition, qui, encore elle-même, pâlit chaque jour. Le comte Alfred de Maussion est le seul des deux frères qui ait écrit.
163: Et non pas à l'Arsenal, où mademoiselle Cochelet place la scène qu'elle raconte en tout (comme beaucoup d'autres choses) avec une grande absence de vérité, et une si grande, que je crois qu'elle n'y était pas. La manière dont l'aventure s'est terminée me le fait croire.
164: Les dominos étaient presque toujours en gros de Naples, et souvent en satin noir garni de très-belle blonde. Dans les bals masqués particuliers, nous mettions des dominos en satin rose ou blanc, également garni de belle blonde; le camail était charmant ainsi et allait à merveille lorsqu'on avait ôté son masque, ce qu'on faisait presque toujours avant la fin du bal.
165: C'était son jour de réunion.
166: La première année de la Restauration, il logeait rue de la Ville-l'Évêque.
167: À peine quarante ans, et elle en paraissait trente-un ou trente-deux au plus.
168: C'était alors la mode de se coiffer avec des camélias et des bruyères naturelles.
169: En 1820 elle avait trente-six ans.