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Hokousaï: L'art japonais au XVII Siècle

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The Project Gutenberg eBook of Hokousaï

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Title: Hokousaï

Author: Edmond de Goncourt

Release date: July 1, 2006 [eBook #18724]

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Mireille Harmelin and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HOKOUSAÏ ***

Produced by Carlo Traverso, Mireille Harmelin and the

Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

HOKOUSAÏ

L'art japonais au XVIIIe siècle

par

EDMOND DE GONCOURT

                        POSTFACE DE M. LÉON HENNIQUE
                           de l'Académie Goncourt

    Édition définitive publiée sous la direction de l'Académie Goncourt
             ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR, 26, Rue Racine, 26

EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR, 11, Rue de Grenelle, PARIS

Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés pour tous les pays

PRÉFACE

L'Écho de Paris publiait, sous ma signature, le 7 juin 1892, cet article.

La vie littéraire, en ses duretés, a parfois d'aimables surprises, mais au bout de bien des années.

Cet hiver, je recevais cette lettre du Japon:

Yokohama (Hôpital général).

Monsieur,

Voulez-vous permettre à un jeune Français de vous exprimer tout le plaisir que lui a causé Outamaro, mieux placé que tout autre pour le comprendre puisque je suis au milieu des Japonais…

J'avais quinze ans quand j'ai lu Soeur Philomène et j'ai voulu être interne, et je suis médecin… La Maison d'un Artiste m'a fait venir au Japon. En un mot, comme cette étoile qui guide le marin, ignorante elle-même des destins qu'elle mène, vous avez eu une influence dominatrice sur toute ma vie.

Je vous le dis, pourquoi ne vous l'ai-je pas dit plus tôt,—cette timidité bête qui fait qu'on est muet devant la femme qu'on aime, fait aussi qu'on renferme en soi ses amours littéraires;—c'est peut-être la raison qui fait que je n'ai jamais osé aller vous rendre une seule visite quand j'étais à Paris. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Permettez-moi de me mettre à votre disposition. Je suis au Japon, j'aime le Japon, je parle le japonais et, comme on dit dans les vieux drames: «Profitez, usez de moi…»

Docteur MICHAUT.

Cette lettre me faisait demander au docteur, sans grand espoir de réussite, la traduction de la biographie d'Hokousaï tirée du livre manuscrit: Oukiyoyé Rouikô, par Kiôdén, complété successivement par Samba, Moumeiô, Guekkin, Kiôsan, Tanéhiko, traduction que je n'avais pu obtenir des Japonais habitant Paris, et je la reçois aujourd'hui, cette traduction, de l'aimable docteur, en collaboration avec le Japonais Ourakami.

Cette traduction, j'ai le projet de la faire entrer dans l'étude annoncée en un volume sur Hokousaï, mais, à mon âge, on n'est jamais sûr du lendemain, et je veux que cette étude biographique des Vasari japonais sur le grand artiste qui préoccupe si vivement le monde de l'art européen,—et qui n'a encore été ni imprimée, ni traduite en français, paraisse dans l'Écho de Paris pour la première fois.

HOKOUSAÏ.

Né à Yédo, Hokousaï est, dit-on, le fils d'un fabricant de miroirs de la cour de Tokougawa.

Son nom d'enfance est Tokitaro; plus tard, il le changea contre celui de
Tétsoujiro.

Il entre d'abord comme élève chez Katsoukawa Shunshô et, pour nom d'artiste, il prend le nom de Katsoukawa Shunrô. Là, il peint des acteurs et des scènes de théâtre dans le style de Tsoutzoumi Tô-rin et produit beaucoup de dessins sur des feuilles volantes, appelés Kiôka Sourimono.

Chassé de la maison de son maître pour des raisons restées inconnues, il va prendre la succession du peintre Tawaraya-Sôri, et se fait reconnaître pour le successeur de ce peintre.

Depuis, il change son style, en crée un tout nouveau, qui lui est personnel. Alors il repasse son nom de Sôri à son élève Sôji, et rend à la famille Tawaraya la signature qu'il avait reçue d'elle.

C'est seulement à la dixième année de l'ère Kwanseï (1789) que le public, pour la première fois, lit, au bas des impressions du maître, le nom d'Hokousaï (Hokousaï, Tokimasa Taïto) nom qu'il prit, dit-on, à cause de sa profonde vénération pour le dieu Hokoushin-Miôkén. Quant au nom de Taïto, il l'abandonna plus tard à son gendre Shighénobou.

Le style appelé Hokousaï-riou est le style de la vraie peinture Oukiyoyé, la peinture naturiste, et Hokousaï est le vrai et le seul fondateur d'une peinture qui, prenant ses assises dans la peinture chinoise, est la peinture de l'école japonaise moderne.

Et son oeuvre, lorsqu'il a paru, a eu la bonne fortune, non seulement d'exciter l'admiration de ses confrères les peintres, mais encore de séduire le gros public, tant il était une nouveauté particulière.

Durant les années de l'ère Kwanseï (1789-1800) Hokousaï écrit de nombreux contes et romans pour la lecture des femmes et des enfants: romans dans lesquels il fit lui-même des illustrations, romans où il signe comme écrivain Tokitaro-Kakô, et comme peintre Gwakiôjin-Hokousaï. Et ce fut grâce à ses pinceaux spirituels et précis que les contes populaires et les romans commencèrent à se répandre dans le public.

Il fut aussi un excellent poète dans la poésie Haï-Kai (poésie populaire).

Dans ce temps, il habita Asakousa où de nombreux élèves-peintres de Kiôto et d'Ohsaka vinrent le trouver et entrèrent dans son atelier, et, dans ce temps où il y avait bien des peintres dans les villes de Nagoya, de Kiôto, d'Ohsaka, aucun ne put le surpasser.

C'est alors que sortent, de dessous ses pinceaux, des livres ou modèles de gravures, et des impressions, et des dessins innombrables.

Bientôt (c'est l'habitude là-bas, pour les peintres, de changer perpétuellement de noms), le maître léguait sa signature d'Hokousaï à un de ses élèves qui tenait un restaurant dans le Yoshiwara, le quartier des maisons publiques, et qui peignait dans son établissement des peintures de 16 ken (32 mètres) chaque fois que Hokousaï faisait l'ouverture de réunions d'artistes pour l'adoption de nouvelles signatures.

À partir de ce temps, il signa ses impressions Sakino Hokousaï, Taïto (ancien Hokousaï Taïto). Il changea encore une fois son nom propre et s'appela Tamé Kazou ou I-itsou.

N'ayant pas eu assez de temps pour donner les modèles de la peinture à ses élèves, il en fit graver des volumes qui, plus tard, obtinrent beaucoup de succès.

Il fut encore très habile dans la peinture dite Kiokou yé, peinture de fantaisie, faite avec des objets ou des services de table trempés dans l'encre de Chine, tels qu'une boîte servant de mesure de capacité, des oeufs, des bouteilles[1].

[Note 1: Hokousaï affirmait par là que l'exécution d'un beau dessin ne tient pas aux instruments de la peinture, à d'excellente pinceaux, mais est tout entière dans l'art de dessiner du peintre.]

Il peignait encore admirablement bien avec sa main gauche, ou bien de bas en haut. Et sa peinture faite au moyen des ongles de ses doigts était tout à fait étonnante et, quant à ce fait particulier, il fallait être témoin soi-même du travail de l'artiste, sans quoi on eût pris ses peintures à l'ongle pour des peintures faites avec des pinceaux.

«Après avoir étudié, dit-il quelque part, pendant de longues années, la peinture des diverses écoles, j'ai pénétré leurs secrets et j'en ai recueilli tout ce qu'il y a de meilleur. Rien n'est inconnu pour moi en peinture. J'ai essayé mon pinceau sur tout, et je suis parvenu à réussir tout.» En effet, Hokousaï a peint depuis les images les plus vulgaires, nommées Kamban[2], c'est-à-dire les images-réclames pour les théâtres ambulants, jusqu'aux compositions les plus élevées.

[Note 2: Kamban, me dit Hayashi, n'est que l'enseigne ou l'affiche d'un marchand quelconque.]

Ses productions furent même très recherchées par les étrangers, et il y eut une année où l'on exporta ses dessins et ses gravures par centaines, mais presque aussitôt cette exportation fut défendue par le gouvernement de Tokougawa.

Durant les années de l'ère Témpô (1830-1843), Hokousaï publia, en nombre immense, des nishikiyé, impressions en couleur, et des dessins d'amour ou images obscènes, dites shungwa, d'une coloration admirable, qu'il signait toujours du pseudonyme de Goummatei.

Le plus grand honneur que cet artiste obtint, durant sa vie, fut que sa célébrité parvint jusqu'à la cour de Tokougawa, et qu'il put étaler son talent sans rival devant le grand prince. Une fois, pendant que le shôgoun faisait sa promenade dans la ville de Yédo, Hokousaï fut invité par le prince à peindre devant lui. Et, sur une immense feuille de papier, avec une brosse à colle, il commença d'abord à tracer des pattes de coq, puis, transformant soudainement le dessin par une couleur d'indigo mis sur les pattes, il en faisait un paysage du fleuve Tatsouta qu'il présentait au prince étonné[3].

[Note 3: Hayashi s'indigne de la mauvaise traduction de ce passage, et me communique la note suivante: la suite d'un retour de chasse aux faucons, le Shôgoun sur sa route prit plaisir à voir dessiner deux grands artistes du temps, Tani Bountchô et Hokousaï. Bountchô commença et Hokousaï lui succéda. Tout d'abord il dessina des fleurs, des oiseaux, des paysages, puis, désireux d'amuser le Shôgoun, il couvrit le bas d'une immense bande de papier d'une teinte d'indigo, se fit apporter par ses élèves des coqs, dont il plongea les pattes dans la couleur pourpre, les fit courir sur la teinte bleue, et le prince eut l'illusion de voir la rivière Tatsouta avec ses rapides, charriant des feuilles de momiji.

L'anecdote était racontée par Bountchô à Tanéhiko.]

Hokousaï avait la manie de changer perpétuellement d'habitation et ne demeura jamais plus d'un ou de deux mois dans le même endroit.

Hokousaï mourut le 13 avril de la deuxième année de Kayei (1849)[4], à l'âge de 90 ans. Il fut enterré au cimetière du Temple Seikiôji, dans le quartier de Hatchikendera-matchi à Asakousa, où se lit encore son épitaphe.

[Note 4: Erreur. Hokousaï mourut le 10 mai 1849.]

La poésie de la dernière heure, qu'il laissa en mourant, fut celle-ci, presque intraduisible en français:

«Oh! la liberté, la belle liberté, quand on va aux champs d'été pour y laisser son corps périssable»[5]!

    [Note 5: Je donne une traduction plus littérale d'Hayashi de «cette
    poésie de la dernière heure» au chapitre de la mort d'Hokousaï.]

Hokousaï eut trois filles, dont la plus jeune devint un peintre très habile. Elle épousa Minamisawa, mais divorça. Des nombreux élèves qu'eut Hokousaï, ceux dont les noms furent inscrits dans les chronologies, et connus du public, montent à seize ou dix-sept.

En 1860, j'ai découvert, et publié d'après le manuscrit des Séances de l'Académie Royale de Peinture, provenant de la bibliothèque d'un portier, ramassée sur les quais, la biographie inédite de Watteau par le comte de Caylus: biographie qu'on croyait perdue et qui manque aux MÉMOIRES INÉDITS SUR LES MEMBRES DE CETTE ACADÉMIE, éditée en 1854. Aujourd'hui je donne pour la première fois, dans une langue de l'Europe, la biographie inconnue d'Hokousaï, le plus grand artiste de l'Extrême-Orient.

Pour la biographie de ce grand peintre de l'Extrême-Orient, complètement inconnue en Europe, cette brève notice était quelque chose, mais ce n'était vraiment pas assez.

C'est alors que, dans la patrie d'Hokousaï, se publiait par le Japonais I-ijima Hanjûrô: Katsoushika Hokousaï dén, une biographie du peintre, illustrée de dessins et de portraits, contenant des renseignements du plus haut et du plus intime intérêt.

Or, la traduction de cette biographie japonaise, était-ce suffisant encore pour faire connaître l'Homme et son OEuvre? Non! Il fallait tenir entre ses mains cette oeuvre presque complète,—et, soit au Japon soit en Europe, il n'existe cette oeuvre, je crois, que chez Hayashi qui, depuis nombre d'années, collectionne son peintre favori. C'est donc sur cette oeuvre, contenant les impressions les plus belles, les petits livres les plus rarissimes, les illustrations des romans, en 90 volumes, les plus complètes, les dessins les plus authentiques, que j'ai pu écrire cette biographie, aidé de l'érudition de ce compagnon de travail qui s'est mis obligeamment à ma disposition et qui, dans de longues et laborieuses séances où j'ai eu l'idée de lui faire traduire les préfaces que Hokousaï a jetées en tête de ses albums, m'a fourni toute la documentation ne se trouvant pas dans le Katsoushika Hokousaï dén, ou dans le Oukiyôyé Rouikô[6] de Kiôdén.

Auteuil, 20 décembre 1895.

EDMOND DE GONCOURT.

[Note 6: Voici la décomposition des cinq mots Oukiyoyé Rouikô: Ouki «qui flotte, qui est en mouvement»—yo «monde»— «dessin» —roui «même espèce»— «recherche». Et rouikô, devenu un seul mot, signifie: «Étude d'ensemble d'une même espèce de choses.»]

HOKOUSAÏ

I

Dans les deux hémisphères, c'est donc la même injustice pour tout talent indépendant du passé! Voici le peintre qui a victorieusement enlevé la peinture de son pays aux influences persanes et chinoises et qui, par une étude pour ainsi dire religieuse de la nature, l'a rajeunie, l'a renouvelée, l'a faite vraiment toute japonaise; voici le peintre universel qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l'homme, la femme, l'oiseau, le poisson, l'arbre, la fleur, le brin d'herbe; voici le peintre qui aurait exécuté 30 000 dessins ou peintures[7]; voici le peintre qui est le vrai créateur de l'Oukiyô yé[8], le fondateur de l'ÉCOLE VULGAIRE, c'est-à-dire l'homme qui ne se contentant pas, à l'imitation des peintres académiques de l'école de Tosa, de représenter, dans une convention précieuse, les fastes de la cour, la vie officielle des hauts dignitaires, l'artificiel pompeux des existences aristocratiques, a fait entrer, en son oeuvre, l'humanité entière de son pays, dans une réalité échappant aux exigences nobles de la peinture de là-bas; voici enfin le passionné, l'affolé de son art, qui signe ses productions: fou de dessin… Eh! bien, ce peintre—en dehors du culte que lui avaient voué ses élèves,—a été considéré par ses contemporains comme un amuseur de la canaille, un bas artiste aux productions indignes d'être regardées par les sérieux hommes de goût de l'Empire du Lever du Soleil. Et ce mépris, dont m'entretenait encore hier le peintre américain La Farge, à la suite des conversations qu'il avait eues autrefois au Japon avec les peintres idéalistes du pays, a continué jusqu'à ces derniers jours où, nous les Européens, mais les Français en première ligne[9], nous avons révélé à la patrie d'Hokousaï le grand artiste qu'elle a perdu il y a un demi-siècle.

[Note 7: L'Art Japonais, par GONSE. Paris, Quantin, 1883.]

[Note 8: Hokousaï a pour précurseur Matahei au XVIIe siècle.]

[Note 9: Voir les articles de Burty et de Duret.]

Oui, ce qui fait d'Hokousaï l'un des artistes les plus originaux de la terre: c'est cela qui l'a empêché de jouir de la gloire méritée pendant sa vie, et le DICTIONNAIRE DES HOMMES ILLUSTRES DU JAPON constate que Hokousaï n'a pas rencontré près du public la vénération accordée aux grands peintres du Japon, parce qu'il s'est consacré à la représentation de la Vie vulgaire[10], mais que, s'il avait pris la succession de Kano et de Tosa, il aurait certainement dépassé les Okiyo et les Bountchô.

[Note 10: Je me conforme à la traduction consacrée, mais Oukiyô yé serait plutôt traduisible par: la vie courante, la vie telle qu'elle se présente rigoureusement aux yeux du peintre.]

II

Hokousaï[11] est né le dix-huitième jour du premier mois de la dixième année de Hôréki, le 5 mars 1760.

[Note 11: Les Japonais mangent le ou du nom et le prononcent Hok'saï. Maintenant encore, les Japonais aspirent très fort l'H du commencement du nom du peintre, et il faudrait peut-être, pour conserver au nom l'aspiration de là-bas, redoubler l'H, mais ce serait changer trop complètement l'orthographe à laquelle le public français est habitué.]

Il est né à Yédo, dans le quartier Honjô, quartier de l'autre côté de la
Soumida, touchant à la campagne, quartier affectionné par le peintre et
qui lui a fait un temps signer ses dessins: le paysan de Katsoushika,
—Katsoushika étant le district de la province où se trouve le quartier
Honjô.

D'après le testament de sa petite fille Shiraï Tati, il serait le troisième fils de Kawamoura Itiroyémon qui, sous le nom de Bounsei, aurait été un artiste à la profession inconnue. Mais, vers l'âge de quatre ans, Hokousaï, dont le premier nom était Tokitaro, était adopté par Nakajima Issé, fabricant de miroirs de la famille princière de Tokougawa: adoption qui lui faisait faussement donner pour père ce Nakajima Issé.

Hokousaï, encore garçonnet, entrait comme commis de librairie chez un grand libraire de Yédo où, tout à la contemplation des livres illustrés, il remplissait si paresseusement et si dédaigneusement son métier de commis qu'il était mis à la porte.

Ce feuilletage des livres illustrés du libraire, cette vie dans l'image, pendant de longs mois, avait fait naître chez le jeune homme le goût, la passion du dessin, et nous le trouvons vers les années 1773, 1774, travaillant chez un graveur sur bois, et en 1775, sous le nouveau nom de Tétsouzô, gravant les six dernières feuilles d'un roman de Santchô. Et le voilà graveur jusqu'à l'âge de dix-huit ans.

III

En 1778, Hokousaï, alors dit Tétsouzô, abandonne son métier de graveur, ne consent plus à être l'interprète, le traducteur du talent d'un autre, est pris du désir d'inventer, de composer, de donner une forme personnelle à ses imaginations, a l'ambition de devenir un peintre. Et il entre à l'âge de dix-huit ans dans l'atelier de Shunshô où son talent naissant lui mérite un nom: le nom de Katsoukawo Shunrô sous lequel le maître l'autorise à signer ses compositions représentant une série d'acteurs, dans le format en hauteur des dessins de comédiens de Shunshô son maître, et où commence à apparaître chez le jeune Shunrô un rien du dessinateur qui sera plus tard le grand Hokousaï.

Et, avec la persévérance d'un travail entêté, il continue à dessiner et à jeter dans le public, jusqu'en 1786, des compositions portant la signature de Katsoukawo Shunrô ou simplement Shunrô.

Les compositions de ces années d'Hokousaï, ainsi que les premières compositions d'Outamaro, étaient gravées dans des petits livres à cinq sous, ces livres populaires, au tirage en noir, à la couverture jaune, d'où ils tirent leur nom: Kibiôshi, LIVRES JAUNES.

Le premier livre jaune qu'il illustrait, en 1781, à l'âge de vingt et un ans, était un petit roman en trois volumes, intitulé: Arigataï tsouno itiji, GRÂCE À UN MOT GALANT, TOUT EST PERMIS, roman que ni Hayashi, ni les biographes du peintre japonais n'ont rencontré, et dont le texte, à l'époque de la publication, a été attribué à Kitao Masanobou, plus tard le célèbre romancier Kiôdén, tandis que le texte et les dessins sont d'Hokousaï qui avait publié cette plaquette sous le pseudonyme de Koréwasaï, sobriquet signifiant: «Est-ce cela?» le refrain d'une chansonnette du temps.

L'année suivante, en 1782, Hokousaï publie les COURRIERS DE KAMAKOURA, deux fascicules dont il fait le texte et les dessins et qu'il présente au public sous le nom de Guioboutsou pour le texte, et de Shunrô pour les dessins.

C'est le récit d'un fait historique, d'une tentative au XVIIe siècle du renversement du troisième shôgoun par Shôsétsou. Et l'on voit, dans la succession des planches, le jeune ambitieux complotant presque enfant, se livrant aux exercices militaires, apprenant d'un tacticien mystérieux l'art de la guerre,—et le moyen magique d'être vu par le regard des hommes, sous son apparence sept fois répétée. Et il organise la conspiration, qui fait égorger les courriers, et il rêve la protection d'un dieu favorable à ses desseins, et a l'illusion de se voir dans un miroir, en shôgoun, et un de ses affidés en premier ministre, et il tient conseil avec ses partisans, et il bataille bravement avec les soldats envoyés pour le prendre, et enfin, fait prisonnier, il s'ouvre le ventre, tandis qu'au milieu de ses complices enchaînés, sa mère, sa femme et ses enfants sont soumis à la torture,—sa mère à la torture de l'enfumage.

Il publie encore, la même année, un roman en deux volumes: Shiténnô
Daïtsou jitaté
, LES QUATRE ROIS CÉLESTES DES POINTS CARDINAUX, HABILLÉS
À LA DERNIÈRE MODE, avec l'annonce d'un texte de Koréwasaï qui est bien de
lui, ainsi que les dessins signés: Shunrô.

Cette année ou la suivante, il publie un autre livre jaune qu'il signe exceptionnellement Katsoukawa Shunrô, et qui est l'histoire de Nitirén, prêtre bouddhique, le créateur d'une nouvelle secte.

C'est le baptême, le commencement des études, la contemplation de la nature, la vie d'ascète dans une grotte de la montagne, l'expulsion de partout du prêtre révolutionnaire pour la nouveauté de ses opinions, sa retraite dans un temple, l'apparition d'une comète annonçant de tragiques évènements, sa défense avec un chapelet contre un guerrier qui veut le tuer, le pouvoir de son influence mystérieuse amenant le naufrage de la flotte mongole, sa condamnation à mort où le sabre du bourreau est brisé par un éclair, son exil dans une île éloignée, ses prédications, ses pèlerinages, sa mort au milieu de ses disciples en pleurs.

En 1784 Hokousaï illustre deux ouvrages: 1° Kaï-oun Aughino Hanaka,
LE PARFUM DES FLEURS D'ÉVENTAIL (2 volumes); 2° Nozoki Karakouri
Yoshitsouné Yama iri
. EXPÉDITION DE YOSHITSOUNÉ À LA MONTAGNE VUE DANS
LA BOITE À SPECTACLE (2 volumes). Texte de Ikoujimonaï (propre à rien)
et illustration de Shunrô. Cet Ikoujimonaï pourrait bien être Hokousaï.

En 1785 Hokousaï publie deux livres jaunes où il n'est pas parlé du texte, et où seulement est annoncé que l'illustration est de Shunrô. Ce sont: 1° Onnén Oujino Hotaroubi, TRANSFORMATION DE LA HAINE EN FEU DES LUCIOLES DE OUJI (3 volumes).—2° Oya Yuzouri Hanano Kômiô L'HÉRITAGE DU PARENT, LA GLOIRE DU NEZ (3 volumes). Dans ce dernier ouvrage Shunrô devient Goummatei.

Oui, en ces premiers temps, souvent Hokousaï est à la fois l'illustrateur et l'écrivain du roman qu'il publie, et sa littérature est goûtée, grâce à des observations intimes de la vie japonaise, est même parfois attribuée, comme on l'a vu pour son premier roman, à des romanciers de la réputation de Kiôdén. Selon Hayashi, la littérature du peintre a un autre mérite: l'esprit railleur de l'artiste en aurait fait un parodiste de la littérature de ses contemporains, de leur style, de leurs procédés, et surtout de l'entassement des aventures, et du méli-mélo des bonshommes modernes en contact avec des personnages du XIIe et du XIVe siècle, et ce serait très sensible dans LES COURRIERS DE KAMAKOURA, où il aurait employé, sur une légende du XIIe siècle, tous les faits fabuleux et invraisemblables de l'histoire du vieux Japon.

Ce double rôle d'écrivain et de dessinateur ne dure guère que jusqu'en 1804, où il n'est plus que peintre.

IV

En cette année 1789, où le jeune peintre a vingt-six ans, une circonstance particulière le fait quitter l'atelier de Katsoukawa. Il avait peint une affiche d'un marchand d'estampes, et le marchand en avait été si satisfait et si glorieux qu'il l'avait fait richement encadrer et placer devant sa boutique, lorsqu'un jour passe devant la boutique un camarade d'atelier, d'une réception plus ancienne que lui, et qui trouve l'affiche mauvaise, et la déchire pour sauver l'honneur de l'atelier Shunshô. De là une dispute entre l'ancien et le nouvel élève, à la suite de laquelle il quitte l'atelier avec la résolution de ne plus s'inspirer que de lui-même, de devenir un peintre indépendant des écoles qui l'ont précédé et, en ce pays où les artistes semblent changer de noms presque autant que d'habits, il abandonne la signature de Katsoukawa pour prendre la signature de Mougoura, qui signifie buisson, et disait au public que le peintre portant ce nouveau nom n'appartenait à aucun atelier. Et, secouant complètement le joug du style de Katsoukawa, les dessins signés Mougoura sont plus libres, plus vus sous une optique personnelle.

V

En 1786 Hokousaï publie le Zénzèn Taïkeiki, un fragment de l'histoire de Minamoto, où commencent à apparaître chez le jeune dessinateur les chevauchées terribles, les corps à corps homicides de son oeuvre future.

En 1792 Hokousaï, toujours sous le nom de Shunrô, illustre un CONTE POUR LES ENFANTS de Kiôdén, se rapportant à la légende de Momotaro où ses dessins, mettant de la vie humaine sous des figurations d'animaux, ont quelque chose des SCÈNES DE LA VIE PRIVÉE DES ANIMAUX de Grandville.

Une méchante vieille femme, au visage aigre comme du vinaigre, surprenant un moineau qui mangeait l'empois préparé pour empeser du linge, lui coupe la langue, et c'est une envolée comique des moineaux fuyant à tire-d'aile dans une bousculade de peur.

Mais, à côté de la méchante femme, il y a un bon ménage qui aimait ce moineau, et le mari et la femme s'en vont criant dans les champs et les bois: «Qui a vu le moineau à la langue coupée? Cher petit moineau, qu'es-tu devenu?» Enfin ils trouvèrent le pauvre petit blessé dans la maison des moineaux où la mère avait déjà pansé la langue de son enfant et où il était soigné avec amour par ses frères et soeurs. Oh! l'aimable accueil fait à ces bons vieux: le père leur dansa la Souzoumé odori, la vraie danse des moineaux et, quand ils partirent, on leur apporta une boîte dans laquelle ils trouvèrent, à leur rentrée à la maison, un marteau, un marteau dont chaque coup miraculeux faisait tomber une pièce d'or.

Or, la méchante voisine avait vu cela par la fenêtre. Elle obtient d'être invitée par les moineaux, se fait donner par eux une boîte dont sort, lorsqu'elle soulève le couvercle, une collection de monstres cornus qui la mettent en pièces.

Par contre, la bonne femme trouve encore la pêche d'où sort Momotaro, le conquérant du royaume des monstres.

En 1793 Hokousaï illustre Himpoukou riôdô dôtchûki, LA ROUTE DE LA RICHESSE ET DE LA PAUVRETÉ, un curieux livre dont le texte est de Kiôdén, et qui est, côte à côte, l'exposition de deux vies comme aimait à les représenter le peintre Hogarth.

La première planche représente le lavage de l'enfant pauvre par le père, près du lit de la femme couchée, tandis que la planche, en contre-partie, nous montre le lavage de l'enfant riche sous les yeux du médecin, de la sage-femme, des servantes.

Arrive pour le jeune riche et le jeune pauvre, à quinze ans, le guén boukou, la majorité, l'entrée dans la vie de l'homme, indiquée là-bas par le rasement du front et qui, chez le riche, est fait par un grand personnage, chez le pauvre par sa mère.

Et ici commencent vraiment les deux routes: la route du riche dans son norimon au milieu de ses serviteurs, la route du pauvre où il est tout seul et mal vêtu sous la pluie; la route du riche dans des paysages d'arbres à fleurs, tenant sa pensée dans les beautés de la peinture, la route du pauvre dans des paysages désolés, au milieu des montagnes, comme cette montagne près de Kiôto où les excavations forment comme le mot père, près de rochers comme ceux d'Isé, semblables aux mamelles desséchées de la mère du pauvre, peuplant sa pensée du souvenir de leurs privations.

Et les allégories continuent. C'est pour le riche la réception dans une auberge par de charmantes mousmés avec, dans le lointain, des lignes de paysages formant ainsi que des armoiries des femmes du Yoshiwara, tandis que le pauvre, qui est entré dans le commerce, passe sur un pont qui est un soroban (une machine à compter), se trouve sous des temples aux tours faites de pièces de monnaie, près d'une pagode au toit couvert d'un livre de caisse, et fait la rude route de sa vie en allumant le bout de ses ongles, ce qui veut dire en japonais: en supportant d'atroces souffrances.

Et, à la fin des deux routes, le pauvre devenu riche, monté sur un cheval traîné par un singe,—la volonté menée par l'intelligence,—rencontre tout dépenaillé le riche honteux de se trouver sur son chemin, tandis que disparaissent dans le lointain, sous des haillons de mendiants, deux de ses familiers au temps de sa richesse.

Et, comme apothéose du pauvre, la dernière planche le montre adossé à des caisses d'or surmontées de bouteilles de saké.

En 1794 Hokousaï, sous le nom de Tokitarô Kakô, illustre Mousoumé no Tomo zouna, LE CORDON D'UNE FILLE, petit livre dont le texte est de Kiorori.

Une histoire assez obscure, où se voit une jeune fille achetant un journal dont la lecture lui fait quitter la maison qu'elle habite, après avoir laissé une lettre qui met en larmes l'homme et la femme de la maison. En route, elle est attaquée par de mauvais samouraïs, et délivrée par un passant qui lui donne l'hospitalité. Elle serait partie dans l'idée de venger son père qui aurait été assassiné. Puis, au moment où elle va tuer l'assassin, elle apprend qu'il est le père de son sauveur, amoureux d'elle. Et Hokousaï la représente lâchant sa chevelure qu'elle tient dans sa main, prête à le tuer, et se contentant de lui faire perdre sa qualité de guerrier.

Peut-être cette année, ou les années qui suivent, paraît Seirô niwaka zénseï asobi, FÊTE IMPROVISÉE AU QUARTIER DES MAISONS VERTES, une série d'estampes en couleur, réunies en un album, montrant le Carnaval des rues du Yoshiwara où l'on voit des femmes théâtralement costumées et couronnées de chapeaux de fleurs, exécutant des danses, jouant de petites scènes dramatiques, représentant des revues de l'année.

En 1795 Hokousaï, alors dit Shunrô, change encore une fois de nom, prend la succession de l'atelier de Tawaraya Sôri de l'école de Sôtat-sou, et signe Sôri.

C'est l'époque où il met au jour ces innombrables séries de merveilleux sourimonos.

VI

Les sourimonos, les impressions moelleuses où la couleur et le dessin semblent tendrement bus par la soie du papier japonais, et qui sont ces images à la tonalité si joliment adoucie, si artistement perdue, si délavée, de colorations pareilles aux nuages à peine teintés que fait le barbotage d'un pinceau chargé de couleur dans l'eau d'un verre, ces images qui, par le soyeux du papier, la qualité des couleurs, le soin du tirage et des rehauts d'or et d'argent, et encore par ce complément du gaufrage—obtenu, le croirait-on, par l'appuiement du coude nu de l'ouvrier sur le papier,—ces images n'ayant rien de similaire dans la gravure d'aucun peuple de la terre, font une grande partie de l'oeuvre d'Hokousaï.

Ces impressions, dont le nom vient de souri (empreinte prise au moyen d'un frottement), et mono (chose), ne sont point faites pour le commerce. C'est une carte du Jour de l'An qu'on offrait à un petit nombre d'amis, c'est un programme de concert, c'est la commémoration d'une fête en l'honneur d'un lettré, d'un artiste mort ou vivant.

1793

Le premier sourimono qu'on connaît d'Hokousaï est à la date de 1793, avec la signature de Mougoura Shunrô. Il représente un jeune marchand d'eau fraîche, assis sur le bâton qui lui sert à porter ses deux barillets, à côté d'un petit dressoir où sont des pots de sucre, des bols de porcelaine, des bols de métal.

Ce sourimono porte, au dos, le programme d'un concert organisé au mois de juillet pour faire connaître le changement de nom d'un musicien, avec les noms des exécutants et avec l'invitation suivante qu'il est peut-être bon de donner:

«Malgré la grande chaleur, j'espère que vous êtes en bonne santé, et je viens vous informer que mon nom est changé, grâce à mon succès près du public, et que, pour célébrer l'inauguration de mon nouveau nom, le quatrième jour du mois prochain, j'organise un concert chez Kiôya de Riôgokou, avec le concours de tous mes élèves, un concert de dix heures du matin jusqu'à quatre heures du soir, et qu'il fasse beau ou pluie, je compte sur l'honneur de votre visite.

«TOKIWAZOU MOZITAYU.»

1794

En 1794, on connaît de Hokousaï quelques petites feuilles pour le Jour de l'An, de la grandeur de nos cartes à jouer.

1795

En 1795, des sourimonos de femmes mêlés à des sourimonos d'objets intimes, comme celui-ci, où se voient accrochés à une grille une serviette brodée, un sac de son, un parapluie, objets indiquant, que la maîtresse de la maison vient de prendre un bain.

Ces sourimonos sont signés Hishikawa Sôri, ou simplement Sôri.

1796

En 1796, un assez grand nombre de sourimonos dont les plus remarquables, deux longues bandes, sont une réunion d'hommes et de femmes sur ces tables-lits aux pieds plongeant dans la rivière, et sur lesquelles on prend le frais, le soir.

1797

En 1797, des sourimonos tirés de la reproduction d'objets de la vie familière, comme des enveloppes de paquets de parfums avec une branche fleurie de prunier; des sourimonos où il y a une femme riant du kami Fokorokou auquel elle a mis une cocotte en papier sur le crâne; ce sourimono où se voit un bateau dans lequel il y a un montreur de singe; et toute une série de sourimonos d'ironies contre les dieux de là-bas, sur papier jaune, avec coloration des sujets en violet et en vert.

En cette année qui, dans l'almanach japonais, est une année sous le signe du serpent, un joli petit sourimono représentant une femme que la vue d'un serpent a fait tomber sur le dos, une jambe en l'air.

Puis des bandes de grands sourimonos où se voient des promenades de femmes dans la campagne.

1798

En 1798, de nombreux sourimonos où, particularité curieuse, le cheval revenant avec l'élément de la terre dans le calendrier japonais, beaucoup des sourimonos représentent un cheval, et cette représentation du cheval va dans les sourimonos jusqu'à la figuration d'une tête de cheval faite par les doigts d'un enfant à travers un châssis.

Ce sont: un vendeur d'un joujou marchant sur une natte et que regardent des Japonais; deux enfants dont l'un fait danser, par-dessus un paravent, un pantin que l'autre accroupi à terre contemple, les deux mains sous le menton; un marchand de thé devant le temple d'Ouyéno à Yédo, avec un groupe de femmes et d'enfants; des hommes et des femmes se déguisant en dieux et en déesses de l'Olympe japonais; une course de chevaux; un grand paysage au bord de la Soumida, avec de tous petits personnages. Puis des sourimonos de femmes: la cérémonie du thé Tchanoyu entre femmes; deux femmes lisant couchées à terre, l'une la tête penchée sur le papier, l'autre lisant avec un joli mouvement de tête de côté, deux femmes roulées l'une sur l'autre sur le plancher, s'arrachant une lettre.

Et, dans ces grands sourimonos de femmes de cette année et des années qui vont suivre, Hokousaï échappe à la grâce mignarde, poupine, conventionnelle de ses premières années; il arrive dans des créatures plus amples, plus en vraie chair, à la véritable grâce féminine donnée par l'étude d'après la nature.

1799

En 1798 est apparu pour la première fois le nom d'Hokousaï joint à celui de Sôri. Mais ce n'est qu'au jour de l'an 1799 qu'il annonce officiellement son changement de nom, Sôri, changé de nom en Hokousaï. Il a cédé son nom de Sôri à son élève Sôji et, avec le nom d'Hokousaï, il prend le prénom de Tokimasa. Et l'année suivante, en 1800, il signe dans les premiers mois Hokousaï précédemment Sôri et, dans les derniers mois, Hokousaï fou de dessin, en japonais, GWA-KIOJIN HOKOUSAÏ.

L'année 1799 est une année où le mouton du zodiaque est revenu dans le calendrier japonais et où nombre de sourimonos ont, dans quelque coin de la composition, cet animal. Un de ces sourimonos même représente un Japonais tenant en ses bras un mouton, et c'est peut-être une allusion à ceci. Le Japonais d'autrefois, me disait le docteur Michaut, étonné de voir les Hollandais faire la traversée du Japon sans femmes, s'était persuadé que les moutons qu'ils avaient à bord les remplaçaient, et se l'était si bien persuadé qu'à l'heure présente les Japonaises qui ont commerce avec les étrangers sont appelées par leurs compatriotes moutons.

Des sourimonos curieux d'industries: la marchande de poudre dentifrice en train de façonner un bout de bois de camphrier noir pour en faire une brosse à dents; la fabricante de perruques et de nattes; la rouleuse de la soie et sa fabrication à la campagne.

Une série de femmes en buste.

Une série de petites femmes, à la grâce tortillarde: une femme qui balaie la neige; une femme qui debout plie une étoffe de sa hauteur avec une retraite du corps du plus joli contournement.

Un sourimono représentant le plus pustuleux de tous les crapauds.

Un grand sourimono d'une facture surprenante: un store à moitié relevé sur une branche en fleur dont une partie se voit obombrée à travers le tissage du store.

1800

Une série de quinze sourimonos: L'ENFANCE DES PERSONNAGES HISTORIQUES.

Une série de sept sourimonos: LES SAGES DES BAMBOUS, de vieux sages représentés par des femmes modernes.

Une série de vingt-quatre sourimonos intitulée: PIÉTÉ FILIALE, parmi lesquels un charmant dessin d'une femme lavant, le haut du corps nu, et dont le torse est tout étoilé des pétales d'un prunier en fleurs secoué par le vent au-dessus de la laveuse.

Une série des douze mois de l'année, représentés par des femmes, où est un gracieux dessin de fillette japonaise frottant un plancher et que regarde paresseusement sa maîtresse.

Trois musiques représentées par trois musiciennes.

Une série intitulée: HUIT CHAMBRES, qui sont huit figurations de petites femmes dont l'une, le torse nu, fait sa toilette devant un singe sur lequel elle a jeté sa robe; le singe étant cette année le dénominateur de l'année et revenant dans un certain nombre de planches.

Une jolie petite impression représentant un miroitier repassant sur une pierre un miroir de métal, à côté d'une femme dont le visage est reflété dans le miroir qu'elle tient à la main.

Une série un peu caricaturale de sourimonos, dans le genre des Otsouyé: cette imagerie industrielle d'Épinal du Japon se fabriquant à Otsou près de Kiôto.

Parmi les grandes pièces, qui sont en général des bandes ayant une hauteur de 19 centimètres sur une largeur de 51:

Tortues en marche avec leurs petits sur la carapace.

Une enceinte de lutteurs, formée de sacs de sable dans des enveloppes historiées, avec, au milieu, sur une petite table, deux bouteilles de saké destinées à être offertes aux génies du Japon, aux Kami, dans une cérémonie religieuse précédant la lutte.

L'entrée du temple Hatiman Foukagawa.

La récolte du thé dans un jardin.

La visite chez un horticulteur.

Des femmes regardant du pont Yeitaï, l'île Tsoukouda.

Trois femmes dont l'une, à l'occasion du Jour de l'An, écrit sur un paravent une pensée, dont l'autre peint un éventail, dont une troisième illustre une poésie.

Trois femmes en train de plier et de repasser une robe en plumes de paon, avec le fer japonais qui ressemble à une petite bassinoire dans laquelle est un charbon incandescent.

1801

Une série de douze petites pièces en hauteur intitulée: UNE PAIRE DE
PARAVENTS.

Une série de petites femmes modernes ayant à leurs pieds des vieillards historiques d'autres siècles.

Quelques planches représentant des femmes faisant jouer des marionnettes sur un petit théâtre.

Parmi les pièces séparées, des acteurs et des scènes théâtrales, dont l'une représente Daïkokou faisant pleuvoir des pièces d'or sur une femme puisant de l'eau.

Cette année, commencent à paraître des sourimonos de natures mortes qui vont fournir à Hokousaï de si originales compositions et de si admirables impressions. Ce sont, dans les petites pièces, un canard mort et un bol de porcelaine sur un plateau de laque; une cage où est un oiseau et un vase de fleurs.

Dans les grandes planches:

L'arrivée des manzaï dans un palais où éclate la joie d'un groupe d'enfants qui les acclament et où, derrière des stores, s'aperçoivent les ombres chinoises des princesses prises de curiosité mais ne se montrant pas.

Des femmes dans un jardin, l'une s'éventant avec un écran, l'autre poursuivant des papillons avec un filet.

Des femmes donnant la liberté à des grues, le jour de l'anniversaire d'une mort qui leur a été à coeur.

Et, parmi ces grandes pièces, deux très beaux sourimonos:

Une énorme et noueuse branche d'un de ces vieux pruniers appelés là-bas: dragon couché, toute fleurie de rose et de blanc.

Un chapeau de femme en paille, au fond de crêpe rouge, laissé au milieu d'une allée de jardin et dans lequel sont tombées de feuilles d'arbres.

1802

Une petite série de trois planches représentant un jeu japonais par gestes, où il y a un juge, un chasseur, un renard et où, dans une des planches, la femme fait le renard avec ses mains rapprochées de sa figure et recourbées devant elle.

Une série de douze planches donnant un simulacre des scènes des rônins par des femmes et des enfants.

Une série en l'honneur de la Lune représentée par des femmes, et dans laquelle rien de plus gracieux que cette petite femme, la tête renversée en arrière et d'une main retenant sur sa gorge un fichu-fanchon de crêpe noir, un bôshi, tout envolé autour d'elle et, de l'autre main, tenant contre son côté un parasol fermé.

Une série sur Yédo, représentée par des industries et de petits paysages.

Une série intitulée: LES DOUZE ANIMAUX DU ZODIAQUE, qui y figurent en général sous la forme de jouets entre des mains d'élégantes petites femmes.

Parmi les grandes planches:

Une promenade de femmes près d'un cours d'eau où sont entrés des enfants dont l'un élève en l'air une petite tortue qu'il vient de prendre.

Une grande langouste à la teinte rougeâtre, du savant dessin d'un naturaliste, un sourimono fait pour le Jour de l'An aux frais d'une société de vingt personnes.

Des passants dans la brume: des hommes porteurs d'instruments de travail, des femmes, des enfants.

1803

Une série de trente-six planches: LES TRENTE-SIX OCCUPATIONS DE LA VIE. Parmi ces compositions, une charmante impression: un petit Japonais qui apprend à écrire et dont la mère guide la main armée du pinceau.

Une autre série de cinq planches: LES CINQ FORCES, figurées par des femmes.

Une autre série de dix planches: LES CINQ CHEVALIERS ÉLÉGANTS: les cinq chevaliers élégants toujours représentés par des femmes.

Une série de sept planches: LES SEPT KOMATI, les sept périodes de la vie de la poétesse. Cette poétesse à la vie accidentée et si populaire au Japon, eut un moment l'ambition de devenir la maîtresse de l'Empereur, en même temps qu'un sentiment tendre pour un seigneur lettré de la cour, nommé Foukakousa-no-Shôshô, avec lequel on raconte qu'elle fit le pacte suivant:

Il viendrait causer avec elle amour et poésie quatre-vingt-dix-neuf nuits, et, à la centième nuit, elle lui appartiendrait. L'amoureux remplit les conditions imposées par la poétesse mais, à sa sortie de chez elle, la quatre-vingt-dix-neuvième nuit,—c'était par un hiver très froid,—il fut gelé. Au Japon une femme et un homme ont la réputation d'être morts vierges: la femme c'est Komati, l'homme c'est Bénkéi.

Parmi les grandes planches:

La danse d'une jeune fille avec un double parasol dans un palais où, derrière un store, est l'orchestre et derrière un autre store sont les princesses.

Des scènes de théâtre, entre autres Kintoki et sa mère.

Quelques sourimonos dans la facture un peu brutale des sourimonos de Kiôto, parmi lesquels une cantine en laque sur son tapis rouge, surmontée d'une branche de cerisier en fleurs.

1804

Une série intitulée: LES DOUZE MOIS DE L'ANNÉE. Rappelons une fois pour toutes que, sous tous ces titres, ce sont toujours de petits dessins de femmes.

Une série sans titre, et sans doute de dix, représentant les femmes de différentes classes: la femme de la noblesse, la grande courtisane, la yotaka, l'oiseau de nuit, raccrochant autour des chantiers et des entrepôts.

Une série d'une dizaine de planches: CONTEMPLATION DES BELLES VUES DE
YÉDO.

Une série de dix planches ayant pour titre: LES DIX ÉLÉMENTS.

Dans les planches parues séparément, un jeu de jeune fille où l'on prononce des noms d'animaux et où l'on pince le dessus de la main de celle qui se trompe,—et des branches d'arbustes fleuris sur un papier ressemblant à notre basin,—et une curieuse nature morte rappelant un peu la simplicité des sujets traités par Chardin: sur des feuilles de bambou une tranche de saumon et une tranche de katsouô, un autre poisson très estimé des Japonais.

Parmi les grandes planches:

La cour du temple Ohji, avec son concours de monde.

La maison de thé d'été, provisoirement établie sur une route, où la mousmé remplit la tasse de thé d'un voyageur sur un banc; à la porte, une femme à cheval et un garçonnet se rafraîchissant.

La coulisse d'une représentation dans un palais: l'ouverture du manuscrit de la pièce, les apprêts de la toilette des acteurs, les essais des instruments.

Cette année, étant sous le signe zodiacal du rat, un sourimono du Jour de l'An représente un énorme rat en neige, auquel un peintre peint l'oeil dans un attroupement d'hommes et de femmes.

L'année 1804 est l'année où Hokousaï a publié un nombre de sourimonos tel que Hayashi dit que personne ne pourrait en publier le catalogue complet.

À ce catalogue de sourimonos, qui me sont presque entièrement fournis par la collection de Hayashi, et un rien par la mienne, je voudrais joindre quelques-uns des plus beaux, des plus originaux parmi les grands, parmi ceux qui mesurent comme largeur 50 centimètres sur 18 de hauteur, et qui se trouvent dans les autres collections.

Et, tout d'abord, je citerai parmi ceux de la collection Manzi, qui sont en grandissime nombre, et tous hors ligne, comme beauté d'épreuves:

Un vol de sept grues sur le rouge d'un soleil couchant.

Un prunier en fleurs, au pied duquel sont deux faisans, et dont les rameaux s'étendant sur une rivière laissent voir sous la verdure fleurie la perspective de deux bateaux.

Trois femmes agenouillées au bord d'une baie, le regard à la mer, pendant qu'une servante souffle avec le vent d'un écran le feu d'un réchaud sur lequel chauffe le saké.

Au-dessus de la neige d'un cerisier tout fleuri, le vol de deux hirondelles au col rouge. Rien ne peut donner une idée de la douceur de cette planche et, dans le nuage de l'impression, le charme effacé de ces fleurs, où presque un imperceptible gaufrage détache les pistils.

Je citerai parmi les sourimonos de la collection de M. Gonse:

Un bouquet d'arbres sur une rivière, et la devanture d'un intérieur de maison où deux hommes travaillent à la fabrication de poupées. Ce serait l'habitation de Toyokouni, le voisin d'Hokousaï, dans le Katsoushika, en le temps où Toyokouni n'était pas encore peintre, mais fabricateur de poupées.

Un paysage tout blanc, tout rose, qui par la floraison des arbres fruitiers est comme le jaillissement du printemps dans un paysage d'hiver.

Je citerai parmi les sourimonos de M. Vever:

La promenade, dans un temple, de Japonais et de Japonaises examinant les tableaux accrochés au mur, et où est représenté un groupe de deux Japonais arrêtés devant un kakémono, dont l'un regarde la peinture et l'autre regarde les femmes.

Un Japonais dans une «Maison Verte» en train de fumer. Sa maîtresse, à côté de lui, fait essayer, pour l'amusement de son amant, un pas de danse à sa kamouro, à sa fillette de service, dont un maître de danse, agenouillé devant elle, guide les mouvements.

Je citerai, dans le format moyen, parmi les sourimonos de M. Haviland:

Un dieu du tonnerre se précipitant au milieu des éclairs dans le bain d'une femme à moitié déshabillée; un lutteur ou un kami, dont une femme remplit de saké la coupe, une coupe grande comme un plat, tandis que deux autres femmes accroupies à ses pieds rient de sa grosse bedaine poilue, prenant l'air.

Dans les grandes bandes:

Une vue de la Soumida couverte de bateaux.

Des tisseuses de soie, au métier établi en pleine campagne, et dont l'une se voit à travers les fils d'un compartiment du métier.

De petits Japonais jouant auprès d'un pont. Impression signée: Gwakiôjin
Hokousaï, en état d'ivresse
.

Citons en dernier lieu, dans la collection de M. Chialiva:

Un sourimono unique, le plus grand sourimono qu'on connaisse (L. 100) et qui représente un pont dans le genre du grand pont de la Soumida d'Outamaro et où, dans un personnage de profil, au petit bonnet noir, à la robe bleuâtre, on croit reconnaître Hokousaï. C'est, sur ce pont, des promeneurs et des promeneuses dans une halte de repos et de contemplation. Il y a un groupe de trois femmes dont la tête penchée de l'une en dehors de la balustrade, regarde dans la rivière; un autre groupe d'hommes est en train de disserter; un Japonais, qui a accroché à une traverse une branche d'arbuste fleuri, est à demi couché sur la barrière tandis qu'au bout du pont une femme cause avec une amie, les deux mains appuyées contre la rampe dans une attitude charmante de vérité.

Ce sourimono qui est la réunion de deux grands sourimonos est signé: Hokousaï Sôri.

VII

Mais revenons en arrière; revenons à ces années où, en même temps que Hokousaï publie de nombreux sourimonos, il illustre un certain nombre d'ouvrages.

En 1797, paraît Hatsou Wakana, LES PRIMEURS DES LÉGUMES VERTS.

Un volume rarissime, illustré en tout d'une seule planche d'Hokousaï, qui signe: Hokousaï Sori changé de nom.

Une paysanne en train de cueillir des herbes, à laquelle un enfant indique que le soleil se couche, et qui se retourne une main devant les yeux.

La même année paraît: Yanaghi-no-ito, CORDELETTES DU SAULE PLEUREUR, un volume de poésies, dont l'illustration était due à Yeshi, Kitao Shighémasa, et à Hokousaï, qui représente la rive de la mer, à Yénoshima, où déferle une grosse vague, une planche qui a le doux coloriage et le joli gaufrage d'un sourimono.

La même année paraît Shunkiô-jô, DISTRACTIONS DU PRINTEMPS, un volume de poésies dont Hayashi n'a jamais rencontré qu'un seul exemplaire, un volume aux nuances douces, amorties des planches, annonçant une publication faite par une société d'amateurs.

Une impression charmante est la planche en couleur où Hokousaï a représenté une collation dans la campagne, et où des femmes s'amusent à faire flotter sur un cours d'eau des coupes à saké, et l'homme auquel le courant l'apporte est obligé d'improviser une phrase poétique, sous peine, s'il ne peut l'improviser, de boire trois coupes.

La même année paraît encore Sandara Kasoumi, LA BRUME DE LA CAMPAGNE, un volume fait en collaboration avec Shighémasa et Tsoukané.

La planche qu'Hokousaï signe Hokousaï Sôri nous fait voir une habitation de la campagne dont sort une paysanne, un enfant à la main, un autre enfant lié sur son dos par sa ceinture, tandis que dans le fond arrivent des femmes de la ville suivies d'un porteur.

Des roses, des gris, des jaunes, qui sont comme l'aube de ces couleurs, et au milieu desquelles éclate le rouge de la robe de l'enfant que la paysanne tient par la main.

VIII

En 1798, paraît Dan tóka, CHANSONS DE DANSE POUR HOMMES[12].

[Note 12: Le titre est trompeur, car le volume ne contient que des poésies qui ne peuvent pas se chanter.]

Un volume de poésies où collaborent les dessinateurs Yékighi Tôrin, Yeishi, Shighémasa, Outamaro, Hokousaï: chaque artiste apportant le dessin d'une planche.

Une impression très soignée ressemblant à de la vraie aquarelle, avec le marron comme couleur dominante dans les robes des femmes.

La même année Hokousaï publie, sous la signature Kakô, l'HISTOIRE NATURELLE DES MONSTRES, Wakémono Yamato Honzô, dont le texte était donné par Kiôdén.

Un livre aux allusions ironiques, sans doute à propos de la publication d'un sérieux ouvrage sur l'histoire naturelle, et où l'imagination du dessinateur se donne toute liberté dans la création de ses monstres, les faisant, tour à tour, ridicules ou terribles. C'est dans l'effroi de femmes se cachant la figure, d'hommes couchés à terre, un monstre aux ailes de toile d'araignée, à la queue formée par le déroulement d'une lettre japonaise, à la tête faite par des besicles jouant l'appareil visuel de la libellule; c'est une tête de femme flottant sur l'eau, dont les épingles de la chevelure lui donnent l'aspect d'un crabe; c'est un arbre dont les feuilles sont des pièces d'or; c'est un oiseau à deux têtes, un dessin faisant revivre la légende des deux oiseaux si amoureux l'un de l'autre qu'ils semblaient ne faire qu'un oiseau.

IX

En ces années, en cette fin du XVIIIe siècle, le talent d'Hokousaï n'a pas seulement fait sa popularité chez ses compatriotes, ce talent commençait à être apprécié par les Hollandais faisant leur visite d'office, tous les cinq ans, à Yédo, et l'un d'eux, que l'on croit être le capitaine Isbert Hemmel, avait eu l'intelligente idée de rapporter en Europe deux rouleaux dus au pinceau de l'illustre maître, représentant, le premier, tous les épisodes de l'existence d'un Japonais depuis sa naissance jusqu'à sa mort, le second, tous les épisodes de l'existence d'une Japonaise, également depuis sa naissance jusqu'à sa mort.

Le prix convenu de ce curieux historique de la vie japonaise était de 150 rios d'or (le rio d'or vaut une livre sterling). Et Hokousaï recevait du médecin hollandais attaché à l'expédition une commande d'un double des deux rouleaux.

Hokousaï apporta tous ses soins et sa science à la confection des quatre rouleaux, terminés au moment du départ des Hollandais. Et, quand Hokousaï livra ces rouleaux, le capitaine, très enchanté, lui remit l'argent convenu, mais le médecin, sous prétexte qu'il avait un traitement inférieur à celui du capitaine, ne voulut payer que la moitié du prix. À quoi Hokousaï se refusa, aussi bien qu'à lui laisser un rouleau à 75 rios.

Mais la somme que le peintre devait toucher était déjà escomptée pour payer des dettes, et la femme d'Hokousaï lui reprochant de n'avoir pas cédé un rouleau au médecin, dont les 75 rios auraient sauvé le ménage de la grande misère, Hokousaï laissant parler sa femme, après un long silence, lui disait qu'il ne se faisait aucune illusion sur la misère qui les attendait, mais qu'il ne pouvait supporter le manque de parole d'un étranger les traitant avec si peu d'égards, ajoutant: «J'ai préféré la misère à un piétinement (humiliation).»

Le capitaine, mis au fait du procédé du médecin, envoyait son interprète avec l'argent et faisait prendre les deux rouleaux commandés par le médecin.

Maintenant, sont-ils arrivés en Europe ces quatre rouleaux? Le capitaine
Isbert Hemmel mourait en 1798, dans la traversée de Yédo à Nagasaki. Ce
qu'il y a de certain, c'est qu'ils ne sont pas au musée de la Haye, dont
M. Gonse a fait une étude.

Hokousaï continua de vendre un certain nombre de dessins aux Hollandais, jusqu'au jour, où il lui fut interdit de livrer aux étrangers les détails de la vie intime des Japonais.

X

Si vraiment il a été versé 300 rios d'or à Hokousaï par le capitaine hollandais, Isbert Hemmel, pour les quatre makimonos sur la vie japonaise, je crois bien que c'est la seule fois où sa peinture a été richement payée, car ses dessins pour l'illustration des livres—le revenu le plus clair de l'artiste,—sont misérablement rétribués par les éditeurs, et au moment où l'artiste jouit de toute sa célébrité. Je donnerai, comme preuve, ce fragment d'une lettre, adressée en 1836, d'Ouraga, à l'éditeur Kobayashi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je vous envoie trois feuilles et demie des Poésies de l'époque des Thang. Sur 42 mommés (le mommé vaut 10 sous), que j'ai à toucher, retranchez un mommé et demi que je vous dois; et veuillez remettre le reste, 40 mommés et demi, au porteur de la lettre.

D'après cette lettre, ça mettrait le payement des dessins d'Hokousaï de six à huit francs.

Et il se conserverait au Japon des billets où Hokousaï empruntait de misérables sommes pour le payement des choses de la vie journalière, près des fruitiers, des marchands de poissons, et c'est ainsi que j'entendais conter à M. Bing que, parmi les documents qu'il avait réunis sur Hokousaï, il existait la demande par le peintre à un éditeur d'un emprunt d'un riô (25 francs), le priant de lui payer ces 25 francs dans la plus petite monnaie possible, afin de solder ses infimes dettes criardes près des fournisseurs de son quartier.

Oui, ainsi que le témoigne une autre lettre, où Hokousaï se plaint de n'avoir qu'une robe pour défendre son vieux corps de 76 ans contre le froid d'un hiver rigoureux, l'artiste a vécu, toute sa vie, dans une misère noire, par suite des bas prix payés au Japon par les éditeurs aux artistes, et l'effet d'une indépendance d'esprit qui lui faisait accepter seulement le travail qui lui plaisait, et aussi à l'occasion des dettes qu'il eut à payer pour son fils Tominosouké et son petit-fils, né de sa fille Omiyo,—du reste tirant une espèce de vanité de cette pauvreté.

XI

En 1799 Hokousaï publie Azouma Asobi, PROMENADE DE L'EST (Promenade de la capitale de l'Est, qui est Yédo), un volume en noir, republié en trois volumes en couleur, l'année 1802.

Des intérieurs de ville et des paysages vilainement coupés de langues de nuages rouges, couleur de soleil couchant, dissimulant tout ce que l'artiste ne trouve pas d'intérêt à dessiner, procédé qu'abandonna plus tard Hokousaï.

Dans le premier volume: la vue intéressante du temple sinthoïste Shimméi avec sa sobre architecture, et le pont de Nihon-bashi avec la foule grouillante qui l'emplit tout le jour.

Dans le second volume: une boutique de nori, la plante marine comestible dont il se fait au Japon une grande consommation; une maison de thé où se tient sur la porte une guésha; une rue du quartier marchand de Sourouga-tebô; une boutique de poupées à Jikkendana, avant la fête des filles, avec les pyramides des caisses, le petit monde de ses vendeuses, la queue interminable des acheteurs allant jusqu'au bout de la rue; une teinturerie à la porte de laquelle un teinturier tend ses étoffes; une tuilerie; l'hôtel des Hollandais, Nagasakiya, devant lequel un rassemblement de curieux regarde trois habitants de l'hôtel à une fenêtre; la boutique du libraire Tsoutaya, l'éditeur d'Outamaro, avec sa marque faite d'une feuille de vigne vierge surmontée du pic de Fouzi-yama, sur une lanterne, et ses piles d'images, et ses commis en train de faire des rangements, et l'annonce de ses albums nouveaux sur les planches de bois de la devanture.

Dans le troisième volume: la cour du temple Asakousa emplie de la presse des acheteurs et des acheteuses devant les petites boutiques de la cour; un atelier d'armurier où un ouvrier martèle une pièce et où sont suspendus une selle, des étriers, des gants pour l'escrime du sabre.

XII

Avec les livres et les sourimonos mis au jour par Hokousaï depuis 1778 jusqu'à la fin du siècle, il est de toute nécessité de cataloguer les planches publiées séparément par l'artiste pendant ces vingt années.

D'abord, dans ces planches publiées séparément,—quoique souvent réunies en albums,—ce sont vers 1778, avons-nous déjà dit, des impressions d'acteurs ressemblant tout à fait à des Shunshô, et tirées dans des tons jaunes avec un rien de coloration rosâtre, d'une harmonie un peu triste.

Et parmi les rarissimes estampes de ces années, il y a un Kintoki entre un singe et un chien portant son coffre; un petit Japonnais riant d'un pêcheur auquel une pieuvre s'est attachée; des têtes caricaturales destinées à être découpées pour l'amusement des enfants; des promenades de Japonaises dans des campagnes désagréablement coupées par ces nuages rouges qui sont des imitations malheureuses des bandes de poudre dorée des anciens rouleaux. Au fond, des reproductions assez grossières de dessins que ne recommande pas encore aux éditeurs un nom connu.

Vers 1793, une belle planche représentant le corps à corps de deux lutteurs aux anatomies éléphantines.

Dans les années suivantes, un bateau de bonheur sur lequel l'Olympe japonais pêche à la ligne; deux diptyques, l'un représentant une procession d'enfants, l'autre, une réunion d'enfants dessinant d'après des images; un triptyque de l'attaque du château de Kôzouké par les ronins.

Parmi ces compositions, un dessin tout à fait capital, signé Shunrô, et où s'annonce la maîtrise future de l'artiste. Un dessin, où Kintoki est représenté une main autour du cou d'un ours, un aigle sur l'épaule, et où le corps couleur de brique de l'enfant herculéen, entre le noir de l'aigle et le fauve de l'ours, fait de la coloration toute-puissante.

Une autre impression d'un grand caractère, représentant l'impératrice Dakki qui, d'après une légende japonaise, serait un renard à neuf queues: cette impératrice ayant le goût du sang, faisant ouvrir le ventre des femmes enceintes, et que l'on voit à une fenêtre, regardant un enfant qu'un bourreau tient suspendu en l'air par le collet de sa robe, prêt à lui couper la tête avec son sabre.

Une autre impression vous montre la déesse du Soleil, née du mariage de Isanagui et de Izanami, les premières divinités mâles et femelles créatrices du Japon, retirée dans la grotte fermée par un immense rocher, et laissant le ciel et la terre plongés dans les ténèbres au moment où le dieu Tatikara, aux bras puissants, va la tirer, charmée qu'elle est par le chant d'Ousoumé, va la tirer hors de sa grotte.

En 1796 Hokousaï apprend la perspective de Shiba Kôkan, qui la tenait des Hollandais, et cette étude amène, cette année, la publication d'une suite de douze paysages qui ont, sous le pinceau du maître japonais, comme un sentiment hollandais, et où Hokousaï signe son nom horizontalement, ainsi que dans l'écriture de l'Europe.

De cette série qui renferme la première idée de «la Vague», M. Mauzi possède un tirage extraordinaire qui a l'air d'une suite d'aquarelles tirée sur un papier torchon.

Vers cette époque Hokousaï publie encore une série de huit feuilles représentant huit vues du lac Biwa, dans une teinte de grisaille violacée où bien certainement existe une influence européenne.

Ici il faut énumérer les séries de Tókaïdô, la route principale reliant Yédo à Kiôto, et qui traverse les villes servant de stations. De là le nom des 53 stations qui, ajoutant celles de Yédo et Kiôto, forme une suite de 55 planches.

On compte cinq séries, car cette route de Tôkaïdô a été un des sujets préférés par le pinceau d'Hokousaï qui, d'après Hayashi, en aurait dessiné quatre avant 1800.

Une première série est du format in-4 en largeur avec un médaillon:

De petits croquetons spirituels.

Une deuxième série également du format in-4 en largeur, tirée sur le papier des sourimonos, et où, comme ton, domine le bistre.

Une jolie impression: un enfant faisant du trapèze à la branche d'une ancre.

Une troisième série d'un petit format carré et où Yédo et Kiôto font des diptyques.

Coloriage d'une publication à bon marché.

Une quatrième série in-12 en hauteur. De beaux dessins anatomiques.

Une cinquième série de format in-12, tirée en sourimono, et qui a paru seulement en 1801.

Dans cette série il y a sept planches en format double et en largeur. Série d'une grande finesse dans le trait et d'une remarquable douceur de couleur.

Deux planches charmantes: une femme se coiffant accroupie à terre et tenant d'une main derrière elle sa natte qu'elle peigne de l'autre, tout en se regardant dans un miroir; et une femme faisant du filet, qui se retourne dans sa marche vers un petit enfant se traînant derrière elle, attaché par une corde à sa robe.

Il y a encore des séries de paysages.

La série des SIX TAMAGAWA, série de six paysages d'un faire un peu brutal.

Une seconde série des SIX TAMAGAWA, avec le médaillon.

Une série des TROIS SOIRÉES, série de trois petits paysages animés par des promenades de femmes.

Une grande vue panoramique des deux rives de la Soumida (H. 25, L. 65), aux maisons et aux arbres minuscules, commençant à la fin d'un pont qui réunit les deux rives, et où se voit dans le haut du ciel un imperceptible cerf-volant.

Et sans doute il existe d'autres, bien d'autres de ces feuilles de passages séparées, que peut-être la publicité donnée au nom d'Hokousaï fera retrouver au Japon ou ailleurs. Pour ma part je possède seize de ces paysages en largeur, réunis en un album qui porte sur la couverture le titre écrit à la main: Tòto Meisho shû, COLLECTION DES ENDROITS CÉLÈBRES DE YÉDO, ILLUSTRÉS PAR DES POÉSIES: seize feuilles au tirage le plus rapproché des sourimonos et qui ont dû être publiés à la fin du dernier siècle, ou au commencement de celui-ci.

1. Le coucher du soleil sur la mer à l'embouchure de la Soumida.

2. Dans la campagne, un grand cercle en paille entre deux bambous, un cercle sacré où un prêtre fait passer les enfants d'après la croyance que ce passage évite aux enfants les épidémies.

3. Un coup de vent forçant deux femmes à ramener sur elles leurs robes enroulées dans un enveloppement plein de grâce.

4. Admiration de Japonais et de Japonaises devant les pruniers en fleurs de l'autre côté de la Soumida.

5. Terrasse de Ouyéno où un enfant laisse tomber des feuilles de papier en bas.

6. Japonais flambant le fond d'un bateau qu'il vient de construire.

7. Promenade de trois femmes de la société suivies d'un serviteur au bord de la Soumida.

8. Le grand sapin sacré du temple de Miôkén à Yanaghishima, entouré de paille.

9. Terrasse du temple d'Inari à Mimégouri, où un Japonais porte sur ses épaules son petit garçon.

10. Maison de paysan à Sékiya, un endroit renommé pour la quantité de ses lucioles que les Japonais s'amusent à enfermer dans une petite cage de soie.

11. Deux femmes, suivies d'un serviteur porteur d'une plante et de deux bouteilles de saké, se promenant au bord de la Soumida, en vue d'un grand bateau d'où un homme puise de l'eau avec un seau.

12. Jardinier arrosant des légumes à Ayasé, près d'un petit pont sur lequel sèchent des bottes de paille de riz.

13. Une femme apportant une tasse de thé à un Japonais, jouissant à l'endroit, appelé autrefois Mattiyama, de la belle vue de la rivière.

14. Une barque où sont embarquées deux Japonaises.

15. Effet de neige à Mouméwaka.

16. Et la promenade se termine, comme pas mal de promenades de Hokousaï, par la descente de deux Japonais dans une «Maison Verte» du Yoshiwara.

Parmi d'autres impressions de collections parisiennes.

Une promenade dans le Yoshiwara.

Une vue de l'entrée d'un théâtre, avec les têtes de la foule d'hommes et de femmes rassemblés pour entendre le boniment des acteurs sur l'estrade.

Des teinturières, cette composition de deux femmes coupées par une bande d'étoffe, qui a tenté successivement Outamaro, Toyokouni.

Des bûcheronnes, la tête chargée de fagots.

Une série de caricatures amusantes par le changement de place du nez, de la bouche, des yeux.

Une série de SIX POÈTES, série de six feuilles, avec le portrait du poète accompagné d'un paysage ou d'une fleur. Imagerie un peu vulgaire.

Une représentation d'un théâtre chantant où les acteurs ne font que les gestes et où les paroles sont dites par des récitateurs aux bouches immenses.

Une planche de trois musiciennes, l'une jouant du koto, l'autre du schamisén, la dernière du kokû (espèce de violon).

Une planche d'une femme passant en barque sous un pont.

Une planche d'une femme se promenant sur un boeuf, dans la province de
Yénoshima.

Deux planches d'hommes et de femmes, la marée retirée, pêchant avec des paniers le poisson resté dans les anfractuosités de la plage.

Une planche représentant la réunion des six poètes sur une terrasse.

La plantation du riz.

La cueillette du thé.

Une charmante impression est une impression où un amoureux joue de la flûte à la porte d'une habitation, et où l'on voit une servante, envoyée par sa maîtresse qui l'entend de son balcon, traverser le jardin et lui ouvrir la porte.

XIII

En 1800 Hokousaï publie encore un petit livre jaune, avec son titre bien japonais, Kamado Shôgoun, LA TACTIQUE DU GÉNÉRAL FOURNEAU, un petit livre dont les dessins et le texte sont fournis par le peintre.

Il est curieux, ce petit livre, par la figuration de l'auteur présentant son livre à l'éditeur, agenouillé, les deux mains posées à terre dans une attitude de supplication, curieux par la modestie de la préface de l'écrivain-dessinateur.

Voici à peu près la préface de ce volume, qui va être un des derniers volumes dont Hokousaï écrira le texte:

Je viens de faire un travail maladroit, si cependant, après examen, ça faisait votre affaire? Et comme je ne suis pas habitué à écrire, pour les passages non réussis, faites-les retoucher par le maître Bakin. Or, si j'ai la chance d'avoir le moindre succès cette année, je travaillerai mieux l'année prochaine.

Maintenant si l'on veut avoir une idée de la littérature du peintre, voici un bout de traduction du livre jaune:

Dans une lointaine province de l'Ouest, il y avait un grand seigneur, nommé «le grand coeur», ayant un revenu d'un million de tonnes de riz. On le surnomma Dadara Daïjin, le Seigneur Désordonné, comme grand amateur de voluptés et fort buveur de saké. Et, non content du plaisir de la chasse dans les montagnes, de la pêche dans la mer, il s'amusait à faire nager les gens avec de lourdes pierres attachées à leurs corps, ou à les faire courir, pieds nus, sur la glace; et le monde de son entourage, il voulait qu'il fût habillé de chaude ouate, en été, et de toile claire, en hiver. Enfin il aurait fallu, pour la distraction de ce seigneur, que les poules chantassent et les roues tournassent de côté. C'est dire que l'argent et l'or étaient entre ses mains, comme l'eau de la rivière.

Or, il se trouvait dans la province voisine un autre seigneur appelé «l'Eau de riz», habitant le château des Créanciers…

Mais ici, le traducteur s'est arrêté, déclarant que le texte, se composant, d'un bout à l'autre, de jeux de mots et d'allusions seulement compréhensibles pour des Japonais, est intraduisible en français.

XIV

La même année, en 1800, Hokousaï illustre les trois volumes de Soumida gawa Riôgan itiran, COUP D'OEIL SUR LES DEUX RIVES DE LA SOUMIDA, un panorama des deux rives pouvant se déplier. Dans le premier volume, c'est à Takanava la vue de la baie où l'on voit contre le vieux mur des fortifications de Yédo, à la porte d'une maison de thé improvisée sous des nattes attachées à des bambous, une mousmé invitant les passants à se rafraîchir. Puis, en remontant la rivière, en face de l'île de Tsoukoudajima, ce sont des enfants enlevant un cerf-volant près d'un porteur de ballots de ouate, de cette ouate dont la mariée se voile le visage dans les cérémonies du mariage. A Ohhashi, une femme, à demi couchée sur un grand banc, prend le frais avec ses enfants.

Dans le second volume, voici le pont de Riôgokou, qui joint les deux rives de la Soumida, et que traverse une foule compacte au-dessus de laquelle s'élèvent les lances de l'escorte d'un daïmio. Plus loin, à Shubino Matzou, d'élégantes femmes en bateau pêchent à la ligne, avec des hameçons en forme de tridents. A Ohkavabashi, un saltimbanque fait des tours de force devant des enfants.

Dans le troisième volume, c'est la toiture élancée du temple d'Asakousa dans une nuée volante de corbeaux. Plus loin, toujours en remontant la rivière, nous sommes sur la colline Mattiyama d'où l'on découvre la campagne paysanne et maraîchère de Katsoushika. Enfin nous voilà à Invinado, le quartier de la tuile et de la céramique. Là, nous abandonnons la Soumida, et Hokousaï nous mène à l'entrée du Yoshiwara et nous promène devant les maisons aux grilles de bois, et dans les rues tout égayées de la musique des flûtes et des tambourins, la veille du Jour de l'An.

Car ce spectacle des deux rives de la Soumida, Hokousaï le commence au printemps d'une année et l'achève à la fin de cette année.

XV

En 1801 Hokousaï, qui quitte la signature Shunrô pour prendre la signature
Goummateï, publie:

UN TÉNGOU TOMBÉ DU HAUT DE SON NEZ DANS LE MONDE BÊTE D'ICI-BAS, un petit livre fantaisiste dont le texte est de Jakouseï. C'est l'histoire d'un de ces esprits aériens, de ces génies bons ou mauvais à l'interminable nez pointu, aux ailes de chauve-souris, si souvent représentés dans les albums japonais.

Du haut du ciel, un Téngou aperçoit une Japonaise, en devient amoureux, descend sur la terre et, tant bien que mal dissimulant son nez sous l'envolée d'un cache-nez, file le parfait amour avec elle, est réduit à vendre ses ailes à un marchand de plumes pour subvenir aux caprices de la femme, enfin tout à fait ruiné devient un vendeur de sarasins (de pâtes en forme de macaronis et de nouilles), tombe malade, a la vision, en un rêve, d'un acteur représenté dans un kakémono, qui a un nez comme les Téngou, obtient qu'il le soigne, le médicamente, lui fasse revenir le pouvoir mystérieux qu'il avait autrefois comme Téngou et qu'il a perdu dans le commerce de la courtisane, retourne enfin chez les Téngous, inquiets de sa disparition et qui lui ont dépêché un messager pour le ramener.

Et la dernière planche le représente écrivant les Mémoires de sa vie sur la terre.

La même année paraît le Onna Sanjû rokkasén, LES TRENTE-SIX POÉTESSES, illustré par Yeishi: un album renfermant peut-être les plus originales impressions en couleur existant dans les livres japonais, et au milieu d'une calligraphie jetée sur des espèces de nuages teintés des nuances du ciel, de l'aube au coucher du soleil. Et Hokousaï peint, en tête de l'album, une promenade de personnages de la cour dans la campagne.

La même année paraît encore Hitori Hokkou, CHACUN UNE PENSÉE, deux volumes contenant, en leurs cent pages et leurs cinquante dessins, de la littérature et des croquis de presque tous les lettrés et les artistes du temps.

Hokousaï n'a qu'un croquis, mais un croquis merveilleux: une oie sauvage, volant la tête en bas, une aile repliée, une aile éployée, les pattes rebroussées sur le ventre. C'est, pour ainsi dire, un instantané dont le cliché a été gardé au fond d'une mémoire.

XVI

Hokousaï publie, en 1802, Isosouzou-gawa Kiôka-Gourouma. CINQUANTE POÈTES MODERNES, album en couleur signé Hokousaï Tokimasa, où l'artiste a donné à ces poètes modernes un caractère ancien, les a comme travestis dans un carnaval archaïque. Une jolie planche est la première où les danseuses vierges d'un temple sinthoïste tournent autour d'un petit simulacre de torï-i, avec leurs couronnes en métal doré aux boules de cristal, et ayant en main des grelots, des branches de pin, de petits bâtons blancs traversés de papier portant des prières.

La même année Hokousaï publie le Yéhon Tchûshin goura, MAGASIN DES FIDÈLES VASSAUX, une suite de scènes de l'histoire des 47 ronins, tirées de la pièce jouée un an après l'événement.

Ce sont deux petits volumes en couleur, d'une exécution assez peu soignée, signés Hokousaï Tokimasa, ajoutant des épisodes peu connus aux épisodes connus. Ainsi la première planche vous donne la raison de la haine secrète entre le daïmio Takoumi no Kami et Kôzouké le maître de l'Étiquette près du shôgoun. Takoumi no Kami avait la garde d'un casque porté par l'aïeul du shôgoun vivant, et une planche montre la femme du daïmio le montrant dans une caisse à Kôzouké, envoyé pour l'inspecter. Dans cette entrevue Kôzouké devenait amoureux de la femme, écrivait une déclaration qu'elle traitait avec le mépris d'une honnête femme. De là sans doute la raison qui faisait mettre le sabre à la main à Takoumi no Kami contre Kôzouké, dans le palais du shôgoun.

Le bruit a couru au Japon que Hokousaï n'aimait pas à dessiner les épisodes de l'histoire des 47 ronins parce qu'il était un descendant d'un vassal de Kôzouké, mais il n'en est rien: Hokousaï ayant dessiné un grand nombre de scènes de cette dramatique histoire[13].

[Note 13: En effet nous avons une série en largeur, publiée, vers 1798, signée Kakô, puis deux séries en hauteur chacune de 12 feuilles en couleur, portant toutes deux le même titre Tchûshin-goura, LE MAGASIN DES VASSAUX FIDÈLES, une série de 11 feuilles en largeur.]

La même année, sous le titre de Itakoboushi, le nom d'une chanson à la mode dans ce temps, Hokousaï illustre deux volumes consacrés à la femme japonaise et la montrant saisie sur le vif, dans tous les abandonnements de ses poses et les coquets accroupissements de son être quand une pensée amoureuse l'occupe.

La série commence par une planche vous donnant à voir une jeune femme penchée sur un papier qu'elle déroule et sur lequel elle va écrire une lettre avec le pinceau dont elle tient le bout dans sa bouche. Suivent d'autres femmes, l'une arrangeant sa chevelure avec ce gracieux mouvement où la tête est de face et où les deux bras disposent la coiffure sur le côté; une autre, étendue à terre, une main sous le menton, lit un roman d'amour pendant qu'un enfant lui grimpe sur le dos; une dernière, dans un affaissement désolé, pleure sur le retard d'un amoureux qu'on aperçoit au bas de l'escalier. Et des attitudes de recueillement amoureux, et des causeries sur l'amour, entre deux femmes penchées en dehors d'un balcon sur des arbustes en fleurs, et encore des confidences d'amie à amie où, étendues tout de leur long à terre, l'une contre l'autre, deux autres femmes réfléchissent, un moment silencieuses: l'une d'elles, dans sa préoccupation, jouant avec un bout de fil.

Mais l'une des compositions les plus intimement charmantes est celle-ci: près d'une lanterne encore allumée, qui a dû servir à la reconduite de quelqu'un, c'est le ramassement à la fois heureux et accablé de la femme que vient de quitter son amant.

La même année paraît encore un volume de poésies, sans titre, illustré par Hokousaï d'une seule planche, mais d'une planche qui est une petite merveille et qui n'est qu'une branche de prunier fleuri passant sur l'argent oxydé d'une pleine lune.

XVII

En 1803, au commencement de l'année, c'est encore un petit livre jaune que publie Hokousaï, et qui a pour titre: Boutchôhô Sokouséki-riori, LA CUISINE IMPROVISÉE, une histoire de ménage éditée en 3 volumes dont le peintre fournit encore une fois et l'illustration et le texte et la préface, que voici:

Cette année, vous avez bien voulu me commander un livre, mais vous savez bien que je ne suis pas habile, et ça n'a pas marché, d'autant plus que vous m'avez pressé. J'ai commencé par le dessin et, seulement après, j'ai écrit le texte, ce qui pourrait bien avoir amené du décousu dans certaines parties du livre. Toutefois, si vous trouvez l'ouvrage présentable au public, je vous serais obligé de le faire graver.

Le volume est curieux, parce qu'il traite d'une manière fantaisiste des choses de la cuisine: Du riz.—Des soupes.—Des sakés.—Du thé et des gâteaux.—Des légumes frais.—Des légumes secs.—Des crustacés.—Des oeufs.—Des plats au vinaigre.—Des rôtis.—Des bouillis.—Des poissons grillés.—Des sarasin, macaroni, vermicelle.

Il est aussi question de choses qu'on ne mange pas en France, de pommes de caladium, de sésame brûlé, d'aubergine salée, d'ignames, de pieuvre, de bêche de mer, d'algues, de pousses de bambou, de racines de lotus.

Et voilà le morceau humoristique jeté par Hokousaï en tête du chapitre du saké:

S'il y a le moraliste qui dit qu'à la première coupe c'est l'homme qui boit le saké, qu'à la seconde coupe c'est le saké qui boit le saké, qu'à la troisième coupe c'est le saké qui boit l'homme, il en est d'autres moins sévères qui déclarent qu'il n'y a pas de limite pour boire du saké tant que ça n'amène pas du désordre. C'est ainsi que nous avons les gens qui avalent une grande quantité de saké pour se vanter de leur capacité, aussi bien que nous avons les gens qui se retiennent, pour vanter leur modération et proclamer qu'une petite quantité de saké est le meilleur des médicaments. Et nous avons les gens qui succombent tout de suite, et les gens qui se grisent indéfiniment. Au fond, la limite est le mal de coeur, aussi bien pour les grands buveurs que pour les apôtres de la modération. L'équilibre du buveur qui tient debout, le ventre vide de saké n'est-ce pas l'inverse de l'équilibre de la bouteille toute droite quand elle est pleine, et qui chute à terre quand elle est vide?

Puis Hokousaï décrit les différentes qualités des boissons fermentées, depuis l'esprit d'alcool qui brûle, jusqu'au mirin qui est doux comme du muscat.

La même année Hokousaï publie sous la signature de Tokitarô Kakô L'INVENTAIRE DES MENSONGES, Mouna-zanyô Ousono Tana-oroshi, un livre ironique où le texte et l'illustration, qui sont tous deux encore du peintre, semblent se moquer des affirmations mathématiques et qui pourraient bien être exagérées et aller au delà de la vérité, dans l'arpentage d'un champ, le mesurage d'un arbre, le pesage d'un éléphant. Et cela sous une forme blagueuse dont voici un échantillon, à propos d'une planche toute noire de rats: «Il est établi qu'un ménage de rats met au monde douze rats dans un mois, et au bout du douzième mois, chaque couple produisant 12 rats, il en existe 908, et la naissance continuant dans la même proportion, on arrive à la fin de la seconde année, au chiffre colossal de 27.682.574.402.

Enfin, la même année, Hokousaï illustre encore Ada-déhon Tsoushin-mouda, ALLUSION À LA PIÈCE DES 47 RONINS. Deux volumes contenant de petits bois sans importance.

XVIII

En 1804 paraît une publication importante d'Hokousaï, trois volumes aux images en couleur portant le titre de Yama mata yama, MONTAGNES ET MONTAGNES (paysages), qui sont une suite de vues prises autour de la baie de Yédo et qu'annonce ainsi la préface:

«Ceux qui ont rendu la beauté de ces paysages en peinture ou en poésie sont le dessinateur Hokousaï et le poète Taïguéntei.»

La première planche du premier volume représente la colline du temple Hatiman d'Ityaga, et l'on y voit deux femmes avec un enfant porteur d'un cerf-volant sur son dos, au moment de passer sous un tori-ï: une de ces portes à jour à l'entrée d'un temple sinthoïste.

La seconde planche est une vue du quartier Horino-outi, que traverse une femme portée dans un kago sur le toit duquel est une branche d'arbuste en fleurs; puis c'est à Ohji, devant une maison de thé, des hommes en train de laver des plateaux à une fontaine; puis à Asouka, c'est un porteur d'un barillet de saké en compagnie d'un camarade, dont la titubation d'ivrognes fait sourire deux femmes; puis à Hongo, c'est un balayeur grotesque balayant le chemin que prennent deux promeneuses. Et c'est sur la colline de Takata, d'où l'on voit le Fouzi-yama, trois femmes de la société, reconnaissables au rouleau de soie qui entoure leur chevelure, faisant collation auprès d'un arbre dans l'entre-deux des branches duquel est posé un télescope dirigé vers la montagne; et c'est dans la chute d'eau de Dondo, nommé ainsi à cause du bruit, des gens pêchant avec des charpagnes. Et c'est à Yédogawa, endroit célèbre par sa fraîcheur et d'où vient dans un conduit l'eau excellente baptisée eau pour le thé, des pêcheurs dans leurs barques.

Le second volume nous montre dans une planche des hommes et des femmes que surprend une pluie d'orage à Ohkido, contre l'enceinte de la fortification du shôgoun, et leurs attitudes comiques ou gracieuses pour s'en défendre; dans une autre planche, des jeunes femmes sur une terrasse d'Atago, en contemplation du vert paysage qu'elles ont sous leurs pieds; dans une autre planche à Shinjikou, un homme, le jour de la fête des Étoiles, attachant des lanternes et des papiers de couleur à un bambou; dans une autre planche à Foukagawa, une femme qui achète, à un marchand d'oiseaux et de poissons vivants, un oiseau qu'elle emporte dans une cage.

Nous trouvons dans le troisième volume une vue de la statue en pierre de Niô et l'entrée du temple à Zôshigaya; une vue de la terrasse du temple à Akasaka où sont des femmes et des enfants; une vue d'un paysage où un homme souffle devant des promeneurs des caramels pour les enfants, en forme d'oiseaux, de théières; une vue en pleine neige de Koudan, où une Japonaise est si joliment encapuchonnée de noir; une vue d'Asouka, où un Japonais est en train de tirer, sur une feuille de papier étendue sur l'inscription d'un monument commémoratif d'un artiste ou d'un lettré (sékihi), une épreuve de cette inscription dont une autre épreuve est tenue, séchant devant elle, par une femme.

La femme qui peuple les promenades de ces trois livres, c'est la femme très reconnaissable que dessine l'artiste vers ses quarante ans, la gracieuse petite femme longuette, au haut échafaudage de la chevelure traversée d'épingles, aux traits mignons rendus par trois points pour les yeux et la bouche et trois petites lignes pour le nez et les sourcils, à l'ampleur des manches et de la ceinture, au placage contre le ventre et les cuisses de la jupe étroite, s'évasant et se répandant en vagues à ses pieds: un type de femme élégant, fluet, gentillet, mais un peu mièvre.

La même année Hokousaï illustre encore Misoka Tsouzoura, LE PANIER À PAPIER, un petit album de la plus grande rareté, contenant des pensées, des réflexions de Hokousaï.

Une jolie planche, dans ces colorations délavées des impressions de ce temps, est une planche où se voient deux jeunes Japonaises jouant avec une souris blanche.

XIX

Fantasque comme tous les grands artistes, Hokousaï avait parfois l'humeur pas commode et trouvait un malin plaisir à se montrer désagréable aux gens qui ne lui témoignaient pas la déférence qui lui semblait due ou dont l'aspect lui était tout bonnement antipathique.

Onoyé Baïkô, un grand acteur des premières années du siècle, reconnaissant le talent tout particulier de Hokousaï pour inventer des revenants, avait l'idée de s'adresser à l'imagination du peintre pour qu'il lui dessinât un être de l'autre monde devant servir à la figuration d'une scène dans son théâtre. Et l'acteur invitait le peintre à venir le voir, ce que se gardait bien de faire Hokousaï. Alors l'acteur se décidait à lui faire visite mais, trouvant l'atelier d'une saleté telle qu'il n'osait s'asseoir à terre, il faisait apporter sa couverture de voyage sur laquelle il saluait Hokousaï. Mais le peintre froissé ne se retournait pas, continuait à dessiner, et l'illustre Baïkô, tout à fait mécontent, se retirait. Toutefois il tenait tant à son dessin qu'il avait, un jour, la faiblesse de faire des excuses à Hokousaï pour l'obtenir.

Vers la même époque Hokousaï recevait la visite d'un fournisseur du Shôgoun qui venait lui demander un dessin. On ne sait ce qui déplut du visiteur à Hokousaï, mais on sait que, dans ce moment, le peintre était à prendre, en plein soleil, des poux sur sa robe, et qu'il jeta brutalement au visiteur qu'il était très occupé et qu'il ne pouvait être à lui. Le visiteur se résignant à attendre la fin de la chasse d'Hokousaï, il obtenait le dessin qu'il désirait. Mais le visiteur avait à peine passé la porte que Hokousaï, courant après lui, lui criait d'une voix railleuse: «Ne manquez pas, si l'on vous demande comment est mon atelier, de dire qu'il est très beau! très propre[14]!»

    [Note 14: Biographie d'Hokousaï Katsoushika Hokousaï dén. par I-ijima
    Hanjurô.]

XX

Le roman japonais est toujours un roman d'aventures,—d'aventures tragiques, le plus souvent amenées par la vengeance ou la jalousie, les deux mobiles du roman de l'Empire du Lever du Soleil. De là, presque à chaque page, des batteries, des assassinats, des scènes de torture, des suicides, des hara-kiri (ouvertures de ventre), des expositions de têtes coupées: épisodes mêlés, dans le roman historique, aux tueries universelles de la lutte des Taïra et de Minamoto, prêtant à un dessinateur de la vie en action la bonne fortune de faire, dans une illustration, de beaux dessins mouvementés de la Guerre et du Crime. C'est dire, n'est-ce pas, que l'illustration de tels romans devait tenter Hokousaï, qui s'y absorbe presque tout entier, en 1805, 1806, 1807, etc., et lui donne, pendant près de vingt ans, les plus longues heures de son travail quotidien.

Puis, pour Hokousaï, il y avait encore une autre séduction dans cette illustration. Le Japon est amoureux du surnaturel, et ses romans sont pleins d'apparitions. Or l'artiste appelé là-bas le peintre des fantômes, le peintre qui a dessiné ces têtes des CENT CONTES qui vous laissent dans la mémoire un souvenir d'épouvante, le peintre auquel les directeurs de théâtres venaient demander des maquettes de visions d'effroi, le peintre près duquel les conférenciers macabres sollicitaient des figures de mortes, devait aimer à traduire, avec les imaginations de son art, les rêveuses imaginations dans le noir des lettrés de son pays, et c'est ce qui explique les longues années où une partie de son talent appartint à l'illustration des romans.

En 1805 Hokousaï illustre Yéhon azouma foutaba nishiki, LE BROCARD (l'éclat) DES DEUX POUSSES DE LA PLANTE DE L'EST, roman en cinq volumes dont le texte est de Kohéda Sighérou et dont l'illustration est, par volume, de six planches doubles.

Ce sont deux enfants d'un riche paysan des environs de Yédo, dont l'aîné est assassiné et que le cadet venge avec l'aide de sa femme et de la veuve de son frère.

Un dessin plein de mouvement: le dessin de l'assassin passant, dans sa fuite précipitée, sur le corps d'une femme couchée qui le reconnaîtra.

Une foule de péripéties et un tas de comparses prenant part à la fabulation, au bout de laquelle le cadet, à la recherche de l'assassin de son frère, arrive à une habitation mystérieuse où il retrouve la femme de son aîné, qui n'a pas cédé à l'assassin, toute suppliciée, tout attachée qu'elle est au milieu de cadavres, jetés la tête en bas sur le revers d'une colline et dont les côtes traversent les chairs pourries de la poitrine, et dont les figures ont les orbites vides des têtes de mort. Une horrifique planche!

Et le roman se termine par un jugement de Dieu, devant un tribunal où, en champ clos, les deux femmes, soutenues par le cadet, combattent et tuent l'assassin, à la suite de quoi le valeureux frère est fait samouraï par un daïmio.

L'année suivante, en 1806, Hokousaï illustre un autre roman dont le texte est également de Kohéda Shighérou, roman publié en dix volumes, dont les cinq premiers paraissent en 1806 et les cinq autres en 1808.

Ce roman, qui a pour titre: Yéhon Tamano Otiho, L'ÉPI DE PERLES TOMBÉ À TERRE, est l'histoire de Tokou-jumarou, le jeune prince de Nitta, un moment dépossédé de ses États.

Un roman illustré par nombre de dessins d'un grand intérêt pour l'histoire des moeurs du Japon, dessins de la réalité la plus absolue, entremêlés de dessins fantastiques, comme l'apparition d'un esprit à une mariée, la nuit de ses noces, apparition la faisant accoucher d'un monstre que le mari étrangle; comme l'étrange vision, en un paysage, la nuit, de milliers de renards dans la lumière d'un clair de lune: roman dont le dénouement montre, au milieu d'un noir ciel sillonné d'éclairs, le prince agenouillé devant la tombe de son père, la tête de son assassin posée sur un présentoir.

En 1807 Hokousaï illustre Shin Kasané guédatsou monogatari, LA CONVERSION DE L'ESPRIT DE KASANÉ, un roman en cinq volumes, du célèbre et populaire romancier Bakin.

Bakin, un romancier dont tous les romans ont, comme point de départ, une légende ou un fait historique et qui, dans son ambition de donner près du lecteur un caractère de vérité à ses récits, s'est fait un descripteur très fidèle, un géographe merveilleux, selon les Japonais, des paysages où se passe l'action de ses romans;—et la première planche d'Hokousaï offre la vue du village qu'habite Kasané.

Kasané est une femme laide et mauvaise, tuée par son mari et dont l'esprit hante la seconde femme de l'assassin: tel est le sujet du roman.

Et, dans les images, c'est tout d'abord la femme du passé, la femme jalouse devenue une religieuse, dont la légende a servi à la fabrication du roman, et qui est représentée près d'un plateau assailli par des volées d'oisillons! un symbole de là-bas pour exprimer le payement des péchés.

Le mari assassin, lui, est figuré montrant, au-dessus de sa tête, un écrit japonais qui se contourne et se termine en un serpent, tandis que sa vilaine femme à la tête pareille à une calebasse brandit un écran où se voit un crapaud.

Un dessin des plus spirituels: le père de Kasané, un marchand de marionnettes, qui en a de suspendues tout autour d'un parasol ouvert au-dessus de sa tête, et tient une espèce de pelle où les mouvements de sa main font danser un pantin aux articulations attachées à cinq ou six ficelles.

Une planche d'un grand effet est l'assassinat où la femme, jetée à l'eau, et se cramponnant des deux mains à la barque, se voit assommée par son mari à coups de rame.

Une autre planche curieuse montre la seconde femme se tuant par la souffrance qu'elle éprouve de la hantise de la femme assassinée: et, au moment où elle meurt, sort d'elle l'esprit qui la hante, sous la forme d'une fumée surmontée de la tête de la laide femme.

Et la dernière planche étale, dans une grisaille, une vision de l'enfer bouddhique avec un luxe de supplices inimaginable.

Dans cette année 1807 Hokousaï illustre Sou mida gawa Baïriû Shinsho, NOUVEAU LIVRE SUR LE PRUNIER ET LE SAULE DE LA SOUMIDA, un roman en six volumes dont le texte est de Bakin.

C'est le roman de deux jeunes frères de la noblesse, Matsouwaka et Ouméwaka, deux enfants que la mère, après la mort du prince son mari tué à la guerre, a fait cacher et, suivant une légende du XIIe siècle, à la recherche desquels elle se met quand il n'y a plus à craindre pour leur vie, et ne trouve que leur tombeau: un roman sentimental qui a eu un grand succès au Japon.

En tête de la table des matières est représenté, ainsi que c'est l'habitude dans les romans quasi historiques de Bakin, le paysage sur la rive de la Soumida où se trouvait le tombeau des deux frères. Et, dans une planche d'Hokousaï, l'on voit cette mère, en la recherche de ses enfants, sous la robe d'une mendiante jouant la folie, entourée d'une troupe d'enfants se moquant de la princesse Hanako devenue méconnaissable, et portant une branche d'arbuste où est pendu un éventail sur lequel est écrite une phrase qui doit seulement la faire reconnaître par ses enfants.

Puis, dans une autre planche, on voit la pauvre mère arrivée à l'endroit où est mort son plus jeune fils, avoir la vision, à travers les branches d'un saule, du cher mort, dans une robe lumineuse éclairant le paysage.

Dans cette même année 1807 Hokousaï illustre Kataki-outi Ourami Kouzou-no-ha, LA VENGEANCE DE KOUZOU-NO-HA, un roman en cinq volumes dont le texte est de Bakin.

Dans ce roman fabuleux qui se passe au temps de la guerre de Minamoto et des Taïra, le guerrier Tadanobou, parti en campagne, a laissé à la maison une femme et un tout jeune enfant. Pendant la guerre, au moment où un vieux renard allait être tué d'un coup de flèche par un de ses compagnons d'armes, Tadanobou l'a sauvé et le renard est resté reconnaissant au guerrier. Dans ce temps meurt assassinée la femme de Tadanobou. Or, le vieux renard qui a vécu mille ans et qui, d'après les croyances de là-bas, a le pouvoir de se changer en ce qu'il veut, se métamorphose en femme et va élever l'enfant de Tadanobou. Et une planche ingénieuse d'Hokousaï montre la femme qu'est devenu le renard se regardant dans la rivière et se voyant reflétée en renard.

Puis, au retour du mari, qui trouve son enfant tout élevé, la femme-renard disparaît, mais le père et le fils vont à sa recherche, et la femme-renard leur apparaît dans une de ces visions, semblables aux visions de Rembrandt, en un coin d'eau-forte à peine mordue, et apprend à l'enfant l'homme qui a assassiné sa mère—et que l'enfant tue.

Dans cette même année 1807 Hokousaï illustre: Sono-no-Yuki, LA NEIGE DU
JARDIN: un roman de Bakin en six volumes, qui est l'histoire du guerrier
Sonobé Yoritsouné et de la princesse Ousouyuki.

Cette illustration, supérieure à l'illustration des autres romans publiés cette année, pourrait faire supposer que les dessins d'Hokousaï, qui ont été gravés en 1807, sont, quelques-uns, de plusieurs années antérieurs à cette année et que ces dessins attendaient un éditeur.

L'illustration d'Hokousaï débute par la représentation d'animaux fantastiques et d'animaux réels, mais d'une grandeur, d'une puissance, d'une force qui les fait un rien surnaturels. C'est une araignée gigantesque, une araignée à la tête d'une pieuvre, au corps pustuleux d'un crapaud, ayant un chapelet de crânes d'hommes autour d'elle, une araignée montrée à la lueur de la torche de Yoritsouné qui a pénétré dans sa caverne; c'est une carpe du format d'un cachalot, soulevée au-dessus des flots; c'est un tigre chevelu, aux poils en forme de flamme, enchevêtré dans les replis d'un dragon interminable; c'est un ours aux griffes terribles dans des emmanchements de mastodonte; c'est un aigle, en le vigoureux et tressautant déploiement de ses ailes, avant de monter dans les airs:—des animaux qui ont des solidités de sculptures de bronze.

À côté de ces bêtes sorties d'une réalité imaginative, des dessins de femmes, tantôt d'une délicatesse de rêve, comme cette longue femme dans sa robe blanche, avec le flottement autour d'elle de sa noire chevelure, tantôt d'une originalité gracieuse, comme ces deux femmes dans un coup de vent qui les courbe presque à terre, avec l'envolée derrière elles de leurs cheveux et de leurs robes.

Une planche curieuse est un cimetière japonais avec ses tombes en pierre et ses longues et hautes planchettes portant écrites des prières: cimetière où la princesse et sa suivante sont cachées sous une tente de papier et qu'envahit une troupe d'hommes armés.

Et la dernière planche représente le traître écartelé par des boeufs, auxquels sont attachées ses deux jambes.

Hokousaï publie encore, en 1807, l'illustration de Thinsétsou Yumihari Zouki, LE CROISSANT DE LA LUNE OU LE CONTE DU CAMÉLIA, roman de Bakin, en six parties, dont la première et la seconde partie paraissent en 1807, la troisième vers 1808, la quatrième, la cinquième et la sixième en 1811: ces six séries forment vingt-huit volumes.

Ce roman est l'histoire de Tamétomo, un héros du XIe siècle, prenant parti pour un empereur dépossédé à la suite d'une révolte, et qui tente de reprendre le pouvoir. Au fond, ce roman est, comme une série de contes des Mille et une Nuits, une suite de voyages fabuleux dans l'île de Lieou-Khieou, Formose, les Pescadores, et autres îles de la mer du Japon, par ce Tamétomo, à l'arc irrésistible et où la topographie des endroits est entremêlée de toutes les croyances des localités et de toutes les légendes merveilleuses de ces îles dont quelques-unes passaient pour être habitées seulement par des femmes, et dont l'imagination de l'artiste a peut-être donné une habitante dans cette voluptueuse femme montée sur un boeuf, jouant d'une flûte où est posé un oiseau. Et Tamétomo terrorise et dompte ces populations sauvages,—représentées par Hokousaï assez semblables aux Aïnos couverts de poils,—par la puissance de son arc, avec lequel il coule un navire, fait sauter un quartier de rocher, et qu'aucun des hommes des contrées qu'il traverse ne peut tendre. Le roman n'a peur d'aucune invraisemblance: le fils de Tamétomo tombe malade, le père fait fabriquer un immense cerf-volant pour le transporter au Japon, tandis que l'empereur dépossédé, devenu dans un coup de foudre un Téngou,—un de ces génies du bien et du mal, si accrédités au Japon, un de ces génies au nez en vrille,—et qu'on voit tenir un conseil de guerre avec des généraux qui sont tous des Téngous, sauve par leur entremise Tamétomo d'un naufrage; et l'on voit à la fin Tamétomo dans une apothéose, entouré de flammes sur son cheval qui prend feu.

Et ce roman fabuleux, où se trouve un méli-mélo de géographie exacte et de récits impossibles, et de planches dignes d'une icthyologie sérieuse à côté de sirènes, finit par une interminable généalogie de Tamétomo dont les rois de l'île de Lieou-Khieou seraient des descendants.

Toujours en cette année 1807, Hokousaï publie l'illustration des cinq premières séries du Shimpèn Souikuo Gwadén, NOUVEAU COMMENTAIRE ILLUSTRÉ DE SOUIKO: un roman historique chinois, écrit sous la dynastie des Song par Sétaï-an, et présenté au public japonais dans une traduction arrangée par Bakin et Ranzan, publiée en neuf suites de dix volumes, dont la sixième, la septième, la huitième n'ont vu le jour, après un intervalle de trente ans, qu'en 1838 et années suivantes;—ces neuf séries composant un roman de quatre-vingt-dix volumes dont Ranzan a écrit quatre-vingts volumes.

L'illustration de ce roman célébrant les exploits guerriers de cent huit héros chinois, qui meurent tous l'un après l'autre, et qui n'est qu'une suite de duels mortels, de combats, de batailles, débute par la portraiture effrayante de neuf de ces héros, portraiture suivie du renversement d'un monument sacré d'où sortent, comme d'une éruption de volcan, toutes les dissensions et les guerres de ces années.

En même temps que le roman est une glorification de ces cent huit héros, c'est déjà un pamphlet contre la corruption gouvernementale de la Chine de ce temps, et un prêtre, qui revient dans toutes les pages, une barre de fer à la main comme bâton, apparaît comme le grand justicier de cette épopée. Une des planches de l'illustration qui a une réputation au Japon, et dont les artistes s'entretiennent comme d'un tour de force, est la composition où l'artiste représente ce prêtre poursuivant un fonctionnaire prévaricateur qui s'est jeté sur un cheval que, dans sa terreur de la barre de fer, il n'a pas vu attaché, et dont l'effort impuissant pour prendre le galop a fourni le Géricault le plus mouvementé qui soit.

C'est aussi, dans cette pile de livres, un étonnement, même pour les Chinois de trouver une Chine si exactement rendue avec ses costumes, ses types, ses habitations, ses paysages, chez un artiste qui ne l'a pas vue et qui a eu à sa disposition d'assez pauvres éléments de reconstitution du pays.

Et tout le temps, dans ces trois premières séries de puissants dessins, comme le dessin du guerrier Boushô étranglant un tigre, d'une grandeur telle qu'on le voit porté par plus de vingt hommes dans une autre planche; le dessin du même guerrier jetant par-dessus sa tête un colosse à terre, dont la chute forme la courbe d'un corps brisé, déjà mort; le dessin du même guerrier, deux têtes coupées à côté de lui, et écrivant sur un mur, avec le sang de ces têtes, que c'est lui qui a tué ces malfaiteurs.

Un dessin, d'un caractère indicible, montre un assassin, vu de dos, une main tenant son sabre prêt à frapper derrière lui, son autre main serrant à la gorge sa victime, un dessin où il n'y a d'ombré que ses cheveux et où le reste de l'assassin est dans la lumière d'un croquis esquissé seulement avec des traits.

Un autre dessin, d'une grâce douloureuse, est une scène de torture représentant une femme suspendue en l'air, les bras attachés derrière le dos, sa tête tombée de côté contre une de ses hanches, ses pieds dans le vide cherchant la terre.

Dans ces séries, Hokousaï tente—et je crois là seulement,—de tirer un parti pittoresque, dans ces compositions, de l'escalier, de l'escalier extérieur des habitations chinoises et japonaises, tente de représenter des scènes d'intérieur coupées par la montée ou la descente au premier plan d'un homme ou d'une femme dans un de ces escaliers aériens,—et c'est vraiment d'un très joli effet.

Dans la quatrième série, après un dessin représentant un médecin pansant la blessure faite dans le corps du guerrier Liô par une flèche qu'il vient de retirer et qu'il tient dans sa bouche, c'est une suite de violents, de colères, d'homicides dessins. Ici c'est un guerrier qui tombe avec son cheval dans un précipice, le cheval cabré dans le vide du trou noir sans fond, un dessin où il y a la furia d'un croquis de Doré réussi; là c'est l'herculéenne cavalière Itijôsei faisant un prisonnier qu'elle immobilise emprisonné dans son lasso; plus loin, un homme qu'un guerrier décapite d'un coup de sabre, et dont le tronc s'affaisse, pendant que sa tête, projetée en l'air, retombe d'un côté, son chapeau de l'autre.

L'amusant, chez Hokousaï, c'est la variété des sujets. Au milieu de ces féroces épisodes de la guerre, voici tout à coup, dans la sixième série, un palais féerique au haut d'un rocher auquel on arrive par des ponts, des escaliers, une montée d'un pittoresque charmant: palais né dans l'imagination du peintre au fond de son atelier. Et, à côté de cette architecture poétique, des dessins d'un naturel, comme cet homme qui dort la tête sur une table, visité par un rêve paradisiaque; comme cette société sur un pic de montagne, saluant le lever du soleil, les robes et les cheveux flottants et soulevés derrière eux par l'air du matin.

Et, jusqu'au bout, jusqu'à la fin de la neuvième série, toujours des images différentes ne se répétant pas. C'est la danse d'une femme au moment où, après s'être inclinée, elle se relève avec cette flexibilité des reins qu'Hokousaï sait si bien rendre, les bras étendus, la tête amoureusement renversée en arrière; c'est la vue d'un vaisseau de guerre japonais avec son architecture de pagode; c'est l'incendie d'un convoi militaire de vivres; c'est enfin une des dernières planches où, dans une nuit éclairée par une lune qui rend les vagues toutes blanchissantes, sur une barque que fait avancer un marinier, penché sur un long bambou, Roshûn, un des cent huit victorieux, boit une coupe de saké que lui verse une élégante femme, et la légende de la gravure est celle-ci: Roshûn buvant sous la belle lune dans la rivière de Waï.

L'illustration de ce roman en quatre-vingt-dix volumes est en général de trois images doubles par volume, ce qui fait avec les frontispices, pour l'ouvrage entier, près de trois cents estampes.

Une autre publication a été faite d'estampes se rapportant à l'illustration de Souiko par Hokousaï, mais d'estampes différentes de celles du roman, éditées en 1829 sous le titre: Yèhon Souikodèn, ILLUSTRATION DES PERSONNAGES DE SOUIKODÉN.

Nous y retrouvons le prêtre à la barre de fer, Rotishin, le tueur de tigre, Boushô, et Itijôsei la femme forte, à côté de Kiumonirô Shishin, l'homme au corps entièrement tatoué de dragons, et de Rosénsho, ce mortel qui avait le pouvoir de produire des orages pour terrifier l'ennemi;—tous deux faisant partie des cent huit héros de l'épopée chinoise.

En 1808, Hokousaï illustre Yûriakou Onna Kiôkoun, L'ÉDUCATION D'UNE FEMME HÉROÏQUE, un roman écrit par Ikkou sur une légende du XVe siècle, racontant ce qui s'est passé, dans le temps, au château du daïmiô Kitabataké, où l'une des planches vous montre une femme s'exerçant au maniement du sabre.

La même année 1808 Hokousaï illustre Kataki-onti Miyorino Miôgô,
LA GLOIRE D'UNE VENGEANCE.

Un roman du romancier Bakin, un roman en six volumes très chargé d'incidents, où il est question d'une méchante femme représentée dans un beau dessin, un sabre dans les dents, des malheurs d'un garçon de marchand de saké, d'une femme possédée par un esprit, d'un papier volé à un samouraï assassiné, d'une fille sauvée par le fils de l'assassin des mains de la méchante femme, de tueries nombreuses, de la retrouvaille du papier rapporté au prince, et du mariage du jeune homme avec la jeune fille qu'il a délivrée.

En 1808 Hokousaï publie l'illustration de Shimoyo-no-Hoshi, LES ÉTOILES
D'UNE NUIT, OÙ IL GÈLE, un roman de Tanéhiko en cinq volumes.

La jalousie de la femme est un des sujets le plus souvent traités par le roman japonais, et il s'agit encore—comme dans le roman de la CONVERSION DE L'ESPRIT DE KASANÉ, de Bakin,—de la jalousie d'une femme contre une rivale et de son assassinat par son mari.

La préface de Tanéhiko est gravée sur un éventail blanc jeté sur une page noire: l'imagination de Hokousaï trouvant à tout un ingénieux motif d'ornementation et, dans un autre roman, mettant la table des matières contre un cadre attaché sur un treillage de bambous tout garnis de feuillages et de fleurs.

C'est donc, comme première planche, Osawa, la femme jalouse, qui se regarde dans un miroir, en un mouvement de retraite du corps en arrière, les cheveux envolés d'où tombent son peigne et ses épingles, et sa ceinture aux fleurs de glycine se tordant autour d'elle comme la vraie image d'un serpent,—qui se regarde, effrayée de la laideur future que la jalousie va apporter à sa figure et qu'elle voit d'avance.

Puis une autre figuration de la jalousie de cette femme, sous la forme d'un monstre échevelé, un enfant attaché la tête en bas sur son dos, dont les deux pieds passant dans ses cheveux ébouriffés lui font deux cornes de diablesse, tandis que ses paroles de colère, à la sortie de sa bouche, se changent en une légion de rats et de souris qui se jettent à la gorge de son mari Itoyé.

Alors une autre planche, où le mari a mis à la torture sa femme qu'on voit battre des pieds dans sa souffrance et qui est après jetée à l'eau.

Cet assassinat est l'occasion d'une composition curieuse où l'on voit, dans le courant d'une rivière, une planche arrêtée sur laquelle est un fourneau allumé et un coq, d'après une croyance du Japon, qui veut que la planche, ainsi chargée, s'immobilise là où il y a un cadavre sous l'eau.

Et l'esprit vengeur de la femme assassinée pénètre sous la forme d'un serpent dans la chambre nuptiale où se trouve Itoyé avec sa nouvelle et charmante femme Ohana. Mais bientôt, dans un état de fureur étrange, il tirera son sabre, que cherche à rabattre Ohana,—elle, n'apercevant pas l'effrayante vision que voit seul son mari. Oh! une terrible vision! une tête de toute la grandeur de la page, où sont les traits reconnaissables de la morte, apparaît dans une broussaille de cheveux mêlés de terre, avec d'inquiétants yeux de gnome, un nez qui n'est plus qu'un trou nasal, des dents noires aux gencives rongées par les vers.

En 1808 Hokousaï publie l'illustration de Kana-déhon Gonitino Bounshô, HISTOIRE DES FIDÈLES VASSAUX APRÈS LA VENGEANCE, un roman en cinq volumes, dont le texte est dû à Tanshûrô Yémba.

Un roman dont l'intérêt artistique est tout entier dans la première composition, représentant les quarante-sept rônins qui déposent la tête de Kira sur le tombeau d'Asano.

Le reste du roman a l'air de se rapporter à des incidents de la vie d'Amanoya Rihei, le marchand qui a fourni les armes et les équipements militaires pour l'attaque du château fortifié de Kira. Tout au plus, dans l'illustration, une gravure amusante vous donnant, je ne sais à quel propos, la vue très détaillée de la cuisine d'une «Maison Verte»,—tout comme dans les ÉTOILES D'UNE NUIT OÙ IL GÈLE se rencontre également le jardin d'une «Maison Verte», dans lequel se profile sur le fond une longue galerie au travers de laquelle les femmes de l'intérieur se voient reflétées, sur les châssis de papier, en de caractéristiques ombres chinoises.

En 1808 Hokousaï publie l'illustration d'Onna-moji Nouyé Monogatari, L'HISTOIRE DE NOUYÉ ÉCRITE EN LETTRES DE FEMMES (en langue vulgaire), roman dont le texte est de Shakou yakoutei et forme cinq volumes.

Un roman écrit d'après une légende du XIe siècle et où l'empereur Toba prend sur une de ses femmes un petit sabre avec lequel il croit qu'elle va l'assassiner. Alors des scènes de torture et la mort. Mais la femme est innocente et le sabre a été mis dans ses vêtements par une rivale, jalouse d'elle. Le juge qui a prononcé sa condamnation, on le voit se réveiller d'un cauchemar où il a été visité par l'esprit de la morte dans une peau de tigre.

Est-ce avec la morte une résurrection du nouyé, cet animal fantastique qui a la tête d'un tigre, le corps d'un taureau, la queue d'un serpent, et qui est tué dans une image par Yozimasa?

La même année 1808 Hokousaï publie Yuriwaka Nozouyé no Taka, LE FAUCON
DE YURIWAKA, un roman en un volume dont le texte est de Mantei-Sôsa.

Un roman dans lequel le prince Yuriwaka, un prince du XIIe siècle, met à mort Beppou, l'ennemi de sa famille, un roman où se trouve un puissant dessin du faucon qui a donné son nom au roman, et un caractéristique dessin de Beppou qui, tombé à terre, se tient la tête, se bouche les oreilles sous le sifflement d'une flèche qui passe au-dessus de lui.

Dans ce roman il y a d'élégantes planches d'amour entre le prince Yuriwaka et la belle Nadéshiko dans leurs robes fleuries, pour l'homme de fleurs de cerisier, pour la femme de fleurs d'iris, et la gravure, qui traduit dans ce livre les dessins d'Hokousaï, différente, plus précieuse que les autres, a sur le bois des fonds ressemblant à l'aquatinte obtenue sur le cuivre et l'acier.

En 1808 Hokousaï publie l'illustration de Raïgô Ajari Kwaïso Dén, LE RAT MONSTRE DU PRÊTRE RAIGO; un roman de Bakin se passant au XIIe siècle, et où il a introduit la légende des rats du prêtre Raïgô dans l'histoire de la tentative de vengeance du prince Minamoto Yoshitaka contre Yoritomo: un roman édité en huit volumes.

Ce sont d'abord deux figurations en pied de ce prêtre Raïgô, qui est représenté dans l'une élevant en l'air un rouleau magique, avec des mains qui ressemblent, ainsi que ses pieds, à des pattes griffeuses de rats; dans l'autre, en train d'exercer son pouvoir sur ces animaux destructeurs, entouré de millions, de milliards de rats passant et repassant autour de l'estrade où il fait ses invocations, agite une sonnette: une planche extraordinaire par le rendu de l'infinie et grouillante multitude, en sa presque effrayante perspective à la cantonade. Et d'autres compositions nous montrent le prince Minamoto Yoshitaka, dans un pèlerinage, faisant la rencontre de Raïgô, et le prêtre lui communiquant son pouvoir surnaturel, si bien qu'un jour le prince, poursuivi par un ennemi, fait un appel aux rats dont le flot montant entre eux deux empêche de l'atteindre. Et une planche vous montre le roi de ces rats, le rat monstre du prêtre Raïgô, un rat qui, comparé à l'homme monté sur lui, est de la grandeur d'un éléphant.

Mais il se trouve que l'homme protégé par les rats a un adversaire protégé par les chats, un homme dans la famille duquel on a trouvé, en creusant la terre, un chat en or.

Des voleurs ont dérobé le chat en or, et la recherche de ce chat porte-bonheur par les anciens possesseurs, tombés dans la misère et la détresse, recherche mêlée à l'action d'une femme méchante nommée Karaïto, mêlée à l'organisation d'un complot et à quelques tueries, met mille incidents, mille complications dans ce roman où apparaît, çà et là l'élégante figure de Masago, la maîtresse de Yoritomo.

Au dénouement, sur l'ouverture d'un panier où se retrouve le chat d'or, tous les rats prennent la fuite, et le prêtre Raïgô, qui s'était engagé à tuer Yoritomo, se contente d'un assassinat allégorique, en perçant de son sabre le manteau du prince qui l'a gracié; et dans ces circonstances l'homme du chat, réduit à ne pouvoir mettre à mort l'homme des rats, perce également de son sabre le casque de ce dernier.

En 1808 Hokousaï publie l'illustration de Foutatsou Tchôtcho Shiraïto Zôshi, LES DEUX PAPILLONS OU LES DEUX LUTTEURS, roman dont le texte est de Shakouyakoutei, édité en cinq volumes.

C'est l'histoire de deux lutteurs, Nourégami et Hanarégoma, en une illustration très coloriste dans le noir.

L'une des planches représente Hanarégoma déracinant des rochers à la force de ses bras tirant une corde. Puis l'on voit les deux lutteurs mesurer leurs forces et, à quelques planches de là, se constituer volontairement prisonniers et comparaître devant un tribunal qui les déclare innocents d'un crime commis par d'autres.

Pourquoi ce titre: LES DEUX PAPILLONS? L'explication n'en est guère donnée que par un jardin où l'on voit de nombreux papillons, parmi lesquels est un papillon mort, tombé à terre.

En 1808 et 1811, Hokousaï publie l'illustration de Sanshiti Zéndén Nanka no Yumé, LE RÊVE DU CAMPHRIER DU SUD, un roman en dix-sept volumes, divisé en deux parties, et dont le texte est de Bakin.

Un roman contenant l'histoire de trois générations, commencée avec l'histoire du ménage Sankatou et Hanshiti, et finissant à Onono Otzou, la célèbre femme de lettres du XVIe siècle, qui a écrit au Japon la première pièce de théâtre sous une forme moderne.

L'illustration du roman commence par l'abatage d'un très vieux camphrier poussé sur la montagne de Yonédani-Yama, l'abatage d'un camphrier sacré, où les bûcherons, dans leur oeuvre sacrilège, se blessent en tombant des branches. Et la chute des bûcherons amène l'image d'un vendeur de pommade pour les blessures, qu'on voit accroupi sur une peau d'ours, à côté d'un grand pot où, après s'être fait une entaille à la peau, il puise de la graisse d'ours et montre aux assistants que l'application de cette graisse arrête le sang.

Hanshiti, auquel est apparu l'esprit du camphrier, un jour qu'il dormait sous son ombre amie, n'éprouve plus que des malheurs depuis l'abatage de l'arbre. Sa femme Sankatsou est obligée de se faire chanteuse de la rue, à jouer du kokiû, espèce de violon-guitare, sur les places publiques, et ils tombent dans une telle misère, lui, sa femme et sa fille, la femme de lettres future, déjà grandelette, que le malheureux est au moment de se suicider, quand l'inspiration lui arrive de fabriquer des chignons pour femmes,—les Japonaises portant de faux cheveux tout comme les Européennes, —et nous voyons le ménage installé dans une boutique où commence pour ces pauvres gens la bonne fortune. Mais ils sont accusés de vilaines actions, et obligés de quitter la province où les vrais coupables, après leur départ, avouent leurs méfaits en se suicidant dans un cimetière.

Au fond, Hanshiti est d'origine noble, mais descendu à l'état de rônin en sa détresse; seulement, s'il retrouve un sabre dont il était le détenteur, il redeviendra noble, et la seconde partie du roman se passe à la recherche de ce sabre, au milieu de toutes sortes d'aventures dans le genre de celle-ci: dans une attaque de malfaiteurs, la jeune fille a perdu une de ses chaussures en bois, un malfaiteur la lui rapporte et, enflammé par sa beauté, veut la violenter:—elle le tue.

En ce roman, qui commence par la description du camphrier, qui passe à la fabrication des chignons de femmes, se termine par une pièce de vers pour arrêter la sécheresse d'un été caniculaire, et la retrouvaille du sabre de Hanshiti, qui rentre dans la classe des guerriers,—toutes ces péripéties diverses du roman amenant à la fin, on ne sait trop comment, le salut de la princesse Yénju.

En 1810, Hokousaï publie l'illustration de On-yô Imoséyama, LES FIANCÉS ISOLÉS SUR DEUX MONTAGNES EN FACE, roman dont le texte est de Shinrotei, édité en six volumes.

Un roman où deux familles, séparées par des dissensions politiques, habitent deux montagnes voisines, et où le fils d'une de ces familles devient amoureux de la fille de l'autre famille et, plus heureux que Roméo, arrive à se la faire accorder: roman dans lequel l'intérêt amoureux est associé à l'intérêt dramatique d'une conspiration du prince Irouka contre l'empereur régnant.

Des planches représentant les palais des deux familles vous apprennent, par des cordes reliant les toitures et sur lesquelles glissent des cerfs-volants, les ingénieux moyens de communication qu'ont trouvés les amoureux.

Une autre planche, où Hokousaï donne un curieux échantillon de son imagination fantomatique, est la gravure de la salle où a lieu la conspiration, salle ayant la réputation d'être hantée par les mauvais esprits et qu'a choisie exprès Irouka pour n'être pas dérangé dans ses conciliabules.

Une salle éclairée par une lampe faite par l'assemblage de fémurs au haut desquels une tête coupée crache de la flamme; une salle qu'escaladent du dehors les branches d'un arbre à l'apparence d'ailes de chauve-souris. Là, court à quatre pattes un squelette d'enfant, au milieu de femmes qui ont des mufles de bouledogues, deux ou trois dents leur saillant hors la bouche, toutes avec les deux petites mouches au front des femmes de la noblesse; et cela sur des fonds de toile d'araignée derrière lesquelles s'entrevoient vaguement des visions d'êtres surnaturels.

En 1812 Hokousaï publie l'illustration de Matsouwô Monogatari, HISTOIRE DE MATSOUWÔ, roman dont le texte est de Koyéda Shiguérou, édité en six volumes.

Un roman qui est une suite d'apparitions, parmi lesquelles l'apparition de la jeune morte Yokobouyé, apparaissant, dans un éclair, au pied du lit de son amoureux Tokiyori, est d'un effet saisissant.

En 1812, Hokousaï publie l'illustration de Aoto Foujitsouna Moriô-an, LES DESSEINS DU JUGE AOTO (ancien juge célèbre du XIIIe siècle), un roman dont le texte est de Bakin, édité en dix volumes.

Une des premières planches représente le juge sur un pont, assistant à la recherche, dans une rivière, de quelques pièces de monnaie par des plongeurs. Et, comme on se moque de lui, et qu'on lui dit que cette recherche de l'argent dans l'eau coûte beaucoup plus cher que l'argent perdu, il répond que l'argent dans la rivière ne profite à personne, tandis que l'argent donné pour le retrouver profite à des gens.

Et ce sont de beaux dessins du juge lisant un papier, du juge jugeant dans son tribunal des criminels attachés les mains derrière le dos par une corde que tient un garde, et dont on voit les têtes dans une autre planche fixées sur les cornes des taureaux que ces animaux promènent.

Une idée ingénieuse: sur une des planches, ce que lit un homme, c'est la légende de la gravure.

Une planche caractéristique représente le terrible Shôki, le tueur des diables, venant rechercher chez eux un pauvre petit enfant qui pleure au milieu d'un paysage où, dans le fond, les loups mangent des cadavres.

Une planche singulière représente un chat monstre, en robe, tenant par le cou un médecin.

Une planche curieuse montre à gauche une chambre où se passe une scène de roman, et à droite une grande galerie vide, dessinée d'après les lois de la perspective la plus rigoureuse, et qui fait tomber absolument l'allégation que la peinture japonaise n'a pas le sentiment de la perspective.

Enfin, comme dénouement de l'histoire du juge Aoto, on voit une place d'exécution où un bourreau se dispose à trancher la tête à un homme attaché à deux pièces de bois croisées, liées par le haut, quand apparaît providentiellement, dans le fond, le juge auquel une femme parle et innocente le condamné, qui va avoir sa grâce.

En 1813 Hokousaï publie l'illustration de Ogouri Gwaïdén, LA LÉGENDE SUR
LE PRINCE OGOURI, roman de Koyéda Shighérou, dont l'action se passe sous
Ashikaga Yoshimitsou, au XIVe siècle, roman paru en deux séries de cinq
volumes, la première publiée en 1813, la seconde en 1828.

Le prince Soukéshighé, l'héritier de la famille Ogouri, a pour fiancée la princesse Térouté. Une intrigue politique fait perdre au père du héros du roman ses dignités et sa fortune, tandis que la même aventure arrive à la famille de la princesse, et les deux fiancés se perdent de vue.

Dans sa ruine le prince Ogouri épouse Hanako, la fille d'un richissime Japonais, où la princesse Térouté est servante, chargée du service du bain. Les deux anciens fiancés sont repris d'un sentiment amoureux. Et une planche représente Hanako se regardant dans un miroir où se reflète la jalousie qui la dévore. Oui, la jalousie au Japon est signifiée, chez la femme, par des cornes au front.

Térouté, battue dans la maison d'Hanako, s'est sauvée, et, au moment où elle erre désolée dans une forêt, la déesse Kwannon lui apparaît sous la figure d'un petit flûteur monté sur un boeuf, et la console.

Alors, Ogouri la rencontre, lui donne un rendez-vous la nuit, mais Hanako avertie la précède et prend sa place.

Sur ces entrefaites, et sans doute sur les ordres d'Hanako, Térouté est enlevée et vendue à une «Maison Verte»; mais un ancien sujet de sa famille, qui lui est resté fidèle, apporte une lettre au prince Ogouri, qui lui enseigne où est Térouté qu'il aime, insensible à l'amour de Hanako.

Et une des dernières planches montre Kotarô, le sujet dévoué de Térouté, précipitant à l'eau le maître de la «Maison Verte», tandis que Hanako vient s'y jeter.

En 1815 Hokousaï illustre Beibei Kiôdan, CONTE VILLAGEOIS DES ASSIETTES, histoire de deux jeunes filles portant des noms d'assiettes, dont le texte est de Bakin, roman publié en huit volumes et auquel l'artiste japonais a donné peut-être ses dessins les plus rembranesques.

La première composition représente un dignitaire japonais tendant à une femme qui pleure, et qui a un enfant sous elle, une tige de magnolia, tendant à une autre femme qui sourit, et qui a un enfant sous elle, une branche de prunier en fleurs. Ce dignitaire est un Chinois qui, sous la dynastie des Ming, à la suite d'une conspiration avortée, s'est sauvé au Japon, laissant en Chine, avec un enfant, la femme qui pleure, puis est devenu, grâce à sa science de lettré, un homme d'État au Japon, a épousé la Japonaise souriante, dont il a eu un fils, s'est laissé envoyer comme ambassadeur en Chine où, dans les recherches de sa première femme et de son fils, il a été reconnu comme l'ancien conspirateur, et exécuté.

Ceci n'est que le préambule du roman, qui est l'histoire du fils que l'ambassadeur chinois a eu de la femme japonaise,—roman où il y a, chez Bakin, la tentative de montrer que cet enfant, au sang mêlé de deux races, n'a pas l'énergie du caractère japonais.

La femme japonaise est morte à la nouvelle de l'exécution de son mari en Chine, et l'enfant est resté orphelin et sans ressources; mais un daïmio du Shôgounat des Ashikaga a pitié de l'enfant, le prend sous sa protection, et l'enfant, devenu un jeune homme, épouse une Japonaise, en a deux filles, l'aînée appelée Karakousa (le Rinceau), la cadette appelée Bénizara (l'Assiette rose).

En ce temps, le daïmio qui l'avait pris sous sa protection entre en guerre avec un autre daïmio, est battu et se fait exterminer, lui et tous les siens, ainsi que cela se pratiquait dans les guerres entre les Taïra et les Minamoto. Quant au jeune protégé, très légèrement blessé, et rappelé à la vie par un prêtre que tue aussitôt une flèche, il ne songe pas à mourir et se met à la recherche de sa femme et de ses deux filles, en cette contrée pour le moment pleine de combats, du matin au soir et du soir au matin. Traversant à toute heure de petits champs de bataille, une nuit il entend un cri d'enfant, va à ce cri, aperçoit un guerrier blessé tenant une petite fille dans ses bras, achève le blessé, s'empare de l'enfant, n'a pas le temps de le reconnaître devant le bruit d'une troupe de guerriers qu'il croit à sa poursuite, se met à se sauver à toutes jambes jusqu'à l'instant où, épuisé de fatigue, il se laisse tomber sur un tronc d'arbre. C'est alors que l'officier de la troupe s'approche de lui et le remercie d'avoir sauvé la princesse, la fille de son maître. «Mais c'est mon enfant! s'écrie le fils du Chinois.—Votre enfant? regardez-la bien!» Et le père de «l'Assiette rose» s'aperçoit que, quoique du même âge et lui ressemblant, ce n'est pas sa fille.

L'officier met ses soldats à sa disposition pour rechercher sa femme et ses filles, recherche inutile et qui lui donne la croyance qu'elles ont été égorgées dans la mêlée. Et il est amené par l'officier, qui l'a pris en amitié, au père de la princesse qui en fait son vassal.

Quelques années se passent, au bout desquelles, après de nouvelles recherches infructueuses, il se décide à se remarier à une seconde femme et a une fille qui sera «l'Assiette cassée». Alors qu'il vivait tranquillement dans son ménage, il a la mission de détruire un repaire de diables (brigands) près d'un temple au milieu d'une forêt, mais il est battu, ses soldats tués, et le sabre que lui avait donné le prince pour couper la tête du chef des brigands est pris. Le prince veut le disgracier, mais l'officier qui le protège, devenu premier ministre, fait observer au prince que c'est lui qui l'a choisi, ce qui serait un aveu public qu'il s'est trompé sur sa capacité. Et, sur le conseil du ministre, le voilà parti à la recherche de sa femme et de ses enfants, recherche qui dure trois ans.

Une seconde expédition avait été envoyée contre le chef des brigands du temple bouddhique, et avait eu l'insuccès de la première: ce chef de brigands ayant une force invincible, et voici à quoi il la devait. Il avait joué avec Niô, la statue colossale de l'entrée du temple, il avait joué une partie par laquelle, s'il perdait, il serait privé de la chance de tout gain au jeu pendant trois ans; mais, si Niô perdait, il lui donnerait sa force physique pendant trois ans. Et Niô a perdu. Et l'image d'Hokousaï représentant Niô en pierre, ayant quitté son piédestal et accroupi sur la table de go, à côté de son partner en chair et en os, évoque, dans votre souvenir, la scène de don Juan et de la statue du Commandeur.

Dans l'espace de ces trois ans, le joueur a rencontré dans ses voyages le fils du Chinois, n'a pas été reconnu par lui, est entré même en relations intimes avec celui-ci, qui lui a donné une lettre pour annoncer son retour à sa femme.

Or les trois ans sont expirés, il est au bout du bail de sa force mystérieuse, et poussé à cette visite par l'influence occulte de la statue qui veut se venger. Et le jour où il arrive, la femme du Chinois a rêvé que son mari a été assassiné par un malfaiteur et que ce malfaiteur lui apportera une lettre dans la journée. Un serviteur fidèle a fait le même rêve. Donc, si un homme vient, un homme semblable à l'homme du rêve, ce sera bien l'assassin du mari. Le brigand apporte la lettre. Aucun doute. Et la femme et le serviteur se jettent sur lui et le tuent avec l'aide invisible de la statue de Niô, qui lui tord le cou.

Au moment même où le malfaiteur vient d'être tué, le mari rentre chez lui et s'indigne de ce que sa femme et son serviteur ont égorgé un ami qu'il leur avait envoyé, et le serviteur et la femme, reconnaissant qu'ils ont été victimes d'un rêve, ne trouvent pas autre chose, pour désarmer l'indignation du mari,—le serviteur que de s'ouvrir le ventre, la femme que de s'ouvrir la gorge.

Mais ne voilà-t-il pas qu'au milieu de ce carnage entre dans la maison le ministre qui, dans une tournée, vient de faire arrêter deux brigands, qui dans le mort reconnaissent leur chef!

Alors le ministre, prenant la tête du brigand et le sabre retrouvé, rassure le mari en lui disant qu'il racontera au prince que c'est lui qui a tué le brigand, après qu'il avait assassiné sa femme et son serviteur.

À peine le ministre a-t-il passé la porte,—les incidents se précipitent dans le roman japonais,—qu'il rencontre une femme et deux jeunes filles demandant aux allants et venants s'ils connaissent un Japonais dont personne ne sait le nom. Le ministre leur apprend qu'il a changé de nom, leur donne son nouveau nom indiquant de la main une maison où il y a un grand arbre. Ce sont la première femme et les filles du descendant chinois, renseignées sur l'existence de leur mari et père par les fiches qu'il a laissées, pendant ses trois ans de pèlerinage, dans tous les temples bouddhiques, et, de temple en temple, ces femmes ont été amenées au temple de Niô où la fiche déposée dans les autres temples, manquant, elles ont supposé qu'il habitait dans le voisinage.

Et la première parole de la femme au mari, est: «Tu es remarié, tu as une fille, il faut mettre ta seconde femme à la porte.» Il lui montre le cadavre de cette seconde femme. Cette vue la radoucit, et elle consent à ce qu'il garde près de lui «l'Assiette cassée».

Mais presque aussitôt il se fait chez cette femme, jusque-là très bonne, très excellente, une révolution morale surnaturelle qui la transforme en une très méchante créature, hantée qu'elle est par l'esprit de la femme chinoise du père de son mari, venant se venger de son abandon, et de sa mort, sur la famille japonaise. Et cette méchanceté s'exerce à l'endroit de la fille de la seconde femme, qui était jolie, intelligente, et qui s'appelait Kahédé (Feuille d'érable) et qu'elle baptise du nom d'«Assiette cassée», par opposition au nom de sa fille «l'Assiette rose», lui répétant à tout moment: «Tu n'es que l'Assiette cassée!» Mal nourrie, mal vêtue, reléguée dans un bâtiment de ferme, condamnée aux tâches les plus fatigantes, occupée, jour et nuit, à coudre les robes de soie de ses soeurs, elle a la vie la plus triste, la plus humiliante, une vie de Cendrillon, où jamais elle n'obtient l'assistance de son père manquant de tout caractère.

En ces temps, il venait l'idée à la mère de «l'Assiette rose» de la marier au fils du ministre, mais il se trouvait qu'il était amoureux de «l'Assiette cassée» et qu'une correspondance existait entre eux sans qu'on le sût. A la fin, la mère se doute de cet amour et charge un mauvais prêtre d'enlever «l'Assiette cassée» et de la noyer. Et, s'en croyant débarrassée, elle persiste dans l'idée du mariage de «l'Assiette rose» avec le fils du ministre, et cherche à mettre dans ses intérêts un ami du jeune homme et qui passait pour avoir une grande influence sur son esprit. Malheureusement pour elle, cet ami était amoureux d'une jeune fille qui vivait avec «l'Assiette cassée», et était tout dévoué à l'amie de son amoureuse. Que fait-il? Il représente à la mère que le fils du ministre est d'une grande famille, que son mari n'est rien, que le mariage est bien disproportionné, qu'il n'y a qu'un moyen de réussir: c'est que sa fille ait une entrevue qui permette de croire à des rapports secrets entre eux, et que, dans ces conditions, le père ne voudra pas s'opposer au mariage. Il est donc convenu que la mère laissera la porte du jardin ouverte, la nuit; et, dans l'ambition de ce puissant mariage, elle arrive à décider sa fille, qui n'aime pas du tout ce jeune homme, à le recevoir. Mais l'homme reçu, la nuit, par «l'Assiette rose», n'est pas le fils du ministre. C'est, dans le dessin d'Hokousaï, le plus laid des hommes, le plus camus des Japonais. Et quand la mère a vu l'homme à la lueur de sa lanterne, et qu'elle s'étonne, c'est l'homme qui lui fait une scène, affirmant qu'on lui a assuré que sa fille était amoureuse de lui, qu'on lui a tendu un piège, qu'il va être ridiculisé s'il n'obtient la main de la jeune fille.

À quelques mois de là la nouvelle court le pays que le fils du ministre se marie, et le père et la mère de «l'Assiette rose» sont invités aux fêtes du mariage. Désespérée, la mère se rend sur la route pour savoir quelle est cette mariée et la voit arriver en norimon, mais elle est tellement troublée que, voulant la saluer, elle fait un faux pas, la couvre de boue et se sauve sans la connaître.

Le lendemain elle est en retard avec sa fille pour le service religieux qui a lieu exceptionnellement, pour ce mariage, dans un temple bouddhique, et ce n'est que le service fini qu'elle se trouve en présence de la mariée, qui est «l'Assiette cassée». Et «l'Assiette cassée» pardonne à la première femme de son père ses mauvais traitements, sa méchanceté attribuée à la hantise de la mère chinoise. Or le service religieux n'a été commandé que pour débarrasser la famille de cette hantise, la cause de toutes les vicissitudes de la famille, par une bénédiction sur tous les défunts de cette histoire,—dont Hokousaï montre les têtes fantômatiques au bas de cette dernière gravure;—mariage qui condamne «l'Assiette rose» à se marier avec le Japonais camus.

En 1845, après des années d'interruption dans l'illustration des livres, Hokousaï publie l'illustration de Kan-So-Goundan, LA GUERRE DES DEUX ROYAUMES DE KAN ET DE SO, roman historique en trente volumes formant trois séries, dont la première et la deuxième ont paru en 1815, et la troisième à une époque inconnue.

Ce roman chinois, traduit en japonais par Shôriô Sadakata, est l'histoire de la chute de l'empereur Shikô, l'empereur qui fit construire la grande muraille de la Chine, et de l'avènement de l'empereur Kôso, de la dynastie des Hang, 202 ans avant Jésus-Christ.

C'est, tout d'abord, la planche où se voit ce sujet si souvent représenté sur les gardes de sabre, ce vieillard mystérieux rencontré sur un pont, qui, pour éprouver la patience d'un jeune homme, se fait trois fois repêcher sa sandale,—au bout de quoi il lui donne un rouleau dont les instructions lui servent à faire le nouvel empereur de Chine.

Et, dans ce roman racontant la lutte pour l'Empire, de Kôso et de Kô-ou qui se perdit par ses cruautés, une terrible planche est celle où il a commandé la mort de cinq mille paysans fidèles à l'ancien empereur, et où défilent des gens pliant sous des filets remplis de têtes humaines.

Enfin, en 1846, trois ans avant sa mort, Hokousaï publie Guénji Ittôshi, LA POSSESSION DU POUVOIR PAR LA FAMILLE DE MINAMOTO, roman historique dont le texte est de Shôtei Kinsoui et dont on ne connaît qu'une partie, éditée en cinq volumes.

La planche capitale est celle où l'on voit Minamoto dormant en l'état d'inquiétude où il est chaque nuit par le kokori, la hantise dans son sommeil de cette terrible araignée, grande comme une pieuvre, filant une toile qui tient tout le fond de la chambre, et que son sabre de chevet, sortant de sa gaine,—un sabre miraculeux,—va tuer.

XXI

Parmi tous les romans illustrés par Hokousaï de 1805 à 1808, l'illustration du RÊVE DU CAMPHRIER DU SUD eut un immense succès, succès dont se montra jaloux le romancier, et un refroidissement se fit entre Bakin et Hokousaï et, avec ce refroidissement, la volonté chez chacun d'eux de ne plus travailler ensemble. Toutefois les éditeurs furent si habiles à ménager les amours-propres des deux hommes qu'ils obtinrent d'eux de collaborer encore pour la fin de l'ouvrage qui parut en 1811. Mais quand les dessins furent terminés et communiqués à Bakin, il trouva que les dessins ne correspondaient pas avec le texte, demanda qu'ils fussent modifiés, et Hokousaï, auquel on fit part de cette prétention de l'écrivain, répondit que c'était le texte qui avait besoin d'être modifié. Et les éditeurs ayant fait graver le texte et les dessins tels qu'ils leur avaient été livrés, une brouille éclata entre les deux hommes.

Du jour de ce dissentiment entre Hokousaï et Bakin, il entra dans la pensée du peintre de publier des dessins se passant du texte d'un littérateur, et d'une vente égale à un volume où avait associé à son nom le nom de Bakin.

C'est dans cette disposition d'esprit qu'à quelques années de là, prit naissance la MANGWA, dans des circonstances jusqu'ici tout à fait inconnues, et que nous révèle la préface de Hanshû en tête du premier volume, et que j'ai eu l'idée de faire traduire par Hayashi: «Hokousaï, le peintre d'un talent si extraordinaire, dit Hanshû, après avoir voyagé dans l'Ouest, s'est arrêté dans notre ville (à Nagoya), et là il a fait connaissance avec notre ami Bokousén, s'est amusé à s'entretenir du dessin avec lui et, dans ces conversations, a dessiné plus de trois cents compositions. Or, nous avons voulu que ces leçons profitassent à tous ceux qui apprennent le dessin et il a été décidé d'imprimer ces dessins en un volume, et quand nous avons demandé à Hokousaï quel titre il fallait donner au volume, il a dit tout simplement: Mangwa, que nous avons couronné de son nom,

HOKOUSAÏ MANGWA,

dont la traduction littérale est Man: au gré de l'idée; gwa, dessin, et la traduction serait peut-être: «le dessin tel qu'il vient spontanément

La Mangwa, cette profusion d'images, cette avalanche de dessins, cette débauche de crayonnages, ces quinze cahiers où les croquis se pressent sur les feuillets, comme les oeufs de la ponte des vers à soie sur une feuille de papier, une oeuvre qui n'a pas de pareille chez aucun peintre de l'Occident! La Mangwa, ces milliers de reproductions fiévreuses de ce qui est sur la terre, dans le ciel, sous l'eau, ces magiques instantanés de l'action, du mouvement, de la vie remuante de l'humanité et de l'animalité, enfin, cette espèce de délire sur le papier du grand fou de dessin de là-bas!

Alors tout de suite, le premier volume entr'ouvert, dans ces libres croquis où un peu de rose fait la chair, un peu de gris les demi-teintes sur le papier crème, des enfants, des enfants, des enfants, dans tous leurs jeux, leurs amusements, leurs poses, leurs gamineries, leurs gaietés; puis les dieux, les génies, les prêtres bouddhistes et sinthoïstes, moqués en mille petites caricatures rieuses; puis tous les métiers, toutes les professions dans le travail, et l'exercice de la profession; puis le monde des faiseurs de tours de force en l'effort de l'adresse et de la force; et encore des Japonaises dans les gracieux accroupissements de leur vie à quatre pattes, dans les coquetteries de leur toilette, dans les anatomies de leurs sveltes personnes aux bains; et encore le Japonais dormant, réfléchissant, priant, lisant, jouant, pérorant, s'éventant, cuisinant, se grisant, se promenant, cavalcadant, pêchant à la ligne, se battant, en un rendu de tous ces actes de la vie, spirituel, joliment ironique; et encore tous les animaux, même ceux que ne possède pas le Japon, comme l'éléphant et le tigre, et tous les oiseaux, et tous les poissons, et tous les insectes, et toutes les plantes: voici ce qui remplit les cinquante feuilles de ce premier volume dont la première planche représente le couple Takasago, le type du vieux ménage parfait au Japon, la femme portant un balai pour balayer les aiguilles des pins, l'homme une fourche pour les ramasser.

À la fin de ce premier volume paru en 1812, Hokoutei Bokousén (l'artiste à la conversation qui a fait naître la Mangwa) et Hokou-oun (qui deviendra le professeur d'architecture du Maître), dont la collaboration a consisté tout simplement à fac-similer les dessins réduits d'Hokousaï, se déclarent les élèves du Maître.

Le second volume de la Mangwa paraît seulement en 1814, deux ans après la publication du premier volume, avec une préface de Rokoujuyén, et la collaboration pour le fac-similé des dessins de Toyenrô Bokousén et de Todoya Hokkeï, qui deviendra le meilleur élève et approchera le plus du talent de Hokousaï.

Dans la multiplicité des motifs, c'est toujours la même variété, une page de métiers à côté de supplices de l'Enfer bouddhique; une page entière d'attitudes de femmes en face d'une page d'attitudes d'hommes; une page de masques en face d'une page d'ustensiles de ménage; enfin une page de morceaux de rochers pour décors du jardinage, en ce pays de jardins pittoresques où les morceaux de rochers se payent plus cher qu'en aucun lieu de la terre, en face d'une page d'animaux fantastiques qui mangent les mauvais rêves.

Le troisième volume paraît l'année suivante, en 1815, avec une préface de Shokousan qui jette carrément à l'eau la vieille école et déclare que les anciens artistes, qui ont illustré les manuscrits de Quénji, doivent céder la place aux artistes des images rouges (les dessins de l'École vulgaire).

Plusieurs planches de ce volume représentent les durs et laborieux travaux de l'industrie minière. Viennent après deux amusantes doubles planches: l'une consacrée à la lutte, vous faisant assister à ces empoignements colères, à ces musculeux corps à corps, à ces broiements de torses, à ces brusques déracinements du sol, à ces culs sur tête d'un vaincu jeté à bas; l'autre vous montrant des danseurs dans toute l'épilepsie d'entrechats d'une danse endiablée. Suivent les portraits préhistoriques des deux premiers rois de la Chine, une bande de nègres drôlatiques, à l'aspect d'ombres chinoises, trouvés dans l'imagination d'Hokousaï; et en face l'un de l'autre, la figuration du dieu du Tonnerre figuré dans un nimbe formé de tambourins, et du dieu du Vent, tenant fermées de ses deux mains, sous son menton, les deux ouvertures de l'outre des vents qu'il a sur le dos.

Le titre de ce volume, toujours gravé en ces belles grosses lettres ornementales de la Chine qui ont l'air de morceaux de jade sculpté, et dans un cadre que soutiennent sur leurs cous deux petits Japonais à la figure rieuse sous les houppes de leur front et de leurs tempes, et c'est un charmant frontispice.

Le quatrième volume paraît l'année suivante, en 1816, avec une préface d'Hôzan. Ce volume est tout plein de sujets de l'histoire mythologique et préhistorique. On y voit Kintoki chassant un diable; on y voit le dragon à neuf têtes venant boire aux neuf coupes où il trouvera la mort; on y voit un sennin chevauchant une carpe monstrueuse, etc., et au milieu de cela des planches de légumes, des planches d'herbes, des planches de branches d'arbustes en leurs tons roses et gris, d'une douceur d'impression inexprimable. Deux feuilles curieuses sont deux feuilles d'hommes et de femmes barbotant joyeusement, se soutenant dans l'eau avec des appareils natatoires, nageant, plongeant, détachant des plantes marines, prenant des poissons à la main.

La dernière planche représente un homme et une femme, gras à lard, aux bajoues tombantes, au ventre redondant, qui ont sur la figure le gaudissement canaille de ce qu'ils vont trouver à manger dans une marmite dont le mari soulève le couvercle; c'est le bon ménage aux joies crapuleuses de la basse classe, le bon ménage Wagôjin, le ménage en opposition avec le ménage Takasago, le ménage de l'homme à la fourche, de la femme au balai.

Le cinquième volume paraît, l'été de cette même année 1816, avec une préface de Rokoujuyén.

Un volume qui est presque un cours d'architecture, et qui débute par les portraits en costume officiel, et la planchette de leur nomination à la main, de Tatihoo-no-mikoto et de Amano-hikosati-no-mikoto, les deux premiers architectes qui ont appris aux Japonais l'art de construire des temples, des châteaux, des habitations, et c'est suivi de tori-i, d'une tour à la grosse cloche, de la bibliothèque hexagonale et tournante inventée par le prêtre Foudaï, de l'entrée du bâtiment où sont enfermés les livres bouddhiques, de toits ornementés de bonzeries. Parmi ces planches, une composition curieuse est une demande faite au ciel par un homme tout au haut du pic d'une montagne, les deux mains réunies dans un geste de prière autour d'un bâton au bout duquel est sa demande sur une bande de papier que le vent soulève dans l'air. Et le volume se termine par la représentation de personnages mythiques et historiques, comme la déesse Ousoumé, comme Saroudashiko, le dieu qui a rendu la lumière à la terre, comme le guerrier chinois Kwan-on qui est en adoration en Chine et dont l'image se rencontre dans les plus pauvres intérieurs.

En la même année 1816 paraît encore le sixième volume qui a pour frontispice un arc symbolique sur lequel la flèche est tendue par deux dragons.

Ici les exercices du corps, dans un prestigieux rendu du déploiement de la force et de l'adresse. Ce sont d'abord les tireurs d'arc, et le tirage de l'arc à la hauteur de l'oreille au-dessus de la tête, en bas de la ceinture, avec une dernière planche donnant les détails de l'arc, du gant de cuir, du canard en bois servant de cible. Après les lutteurs, les cavaliers, et le trot, et l'amble, et le galop, et le mors aux dents de ces petits chevaux chevelus, à l'aspect de larves, sous le cavalier en selle, et toujours avec une dernière planche donnant la selle ornée, les guides, les lourds étriers. Mais la merveille de ce volume, comme figuration d'un corps humain en mouvement, c'est l'étude de l'escrime pour la lance ou le sabre, où soixante-douze petits croquis d'homuncules, et une vingtaine de plus grands vous mettent, comme sous les yeux, les avances, les retraites, les torsions de corps, la volte des pieds, les parades, les ripostes de ce simulacre de la guerre. Une planche, tout entière de bras et de mains, indique la manière de s'empoigner dans une lutte à main plate. Enfin, des planches reproduisent le maniement des lourds mousquets introduits par les Hollandais, et même Hokousaï, dans une note, précise la date de leur introduction au Japon, qui est de l'année 1542.

En 1816, paraît encore le septième volume de la Mangwa.

Un volume pour ainsi dire entièrement rempli de paysages, par le soleil, le brouillard, l'orage.

Toujours en 1816 paraît le huitième volume, avec un titre fait à l'imitation d'un morceau d'étoffe brodée.

En tête, la figuration de Waka-mousoubi-no-Kami, la femme qui a inventé les tissus faits avec les fibres du bois, et près d'elle la princesse Seiriô, la femme du roi, qui a eu l'idée de l'élevage de vers à soie, 2614 ans avant l'ère chrétienne et, à sa suite, des métiers à tisser, qui ont tout l'air d'être dessinés par un ingénieur. Et soudain l'album saute à des gymnastes faisant du trapèze autour d'un bambou, à des acrobates jonglant avec un sabre, portant sur le front, au bout d'un long bâton, un vase plein d'eau en équilibre, ôtant debout leur chapeau avec un pied, buvant à la renverse une tasse de thé placée à terre derrière eux. Deux planches de têtes d'aveugles sont de la plus frappante vérité. Et en dernier lieu, des études sur les gras et les maigres d'une fantaisie et d'un drôlatique à mourir de rire. Il faut voir ces massives Japonaises en leurs lourdes promenades, les voir en l'avachissement de leurs charmes, dans le sommeil ou dans le bain, il faut voir leurs pléthoriques compatriotes dans l'essoufflement de la marche, dans l'épongement de la sueur, dans l'effondrement et l'anéantissement de leur repos sur leurs pesantes fesses. Et, la page des gras retournée, vous êtes en présence de ces torses que percent les côtes, de ces dos où se comptent les noeuds de la colonne vertébrale, de ces cous décharnés, de ces bras étiques, de ces jambes de phtisiques, de ces anatomies ridicules qui vous rappellent à la fois les macabres et comiques écoles de natation de Daumier.

Il y a un intervalle de trois ans entre la publication du huitième et du neuvième volume, qui paraît seulement en 1819.

Ce volume est plein d'anecdotes relatives à la vie intime de Kiyomori.

Cette voyageuse qui marche rapide à travers la campagne, se dirigeant vers deux femmes à la porte d'une habitation, au loin, au loin, c'est Hotoké, la maîtresse de Kiyomori, la plus belle et la meilleure danseuse de son temps. Deux soeurs ont sollicité de danser devant Kiyomori et, par bienveillance pour leur jeunesse et leur grâce, elle a fait accueillir leur demande par son amant. Mais le prince s'est épris d'elles et a voulu en faire ses maîtresses. Elles ont refusé et, pour se soustraire à sa toute-puissance, elles se sont faites religieuses, et Hotoké, reconnaissante de cette délicate conduite à son égard, va les rejoindre dans leur couvent.

Plus loin encore, c'est le sensuel Kiyomori, en présence de la femme de Minamoto, une main sous la joue, tristement réfléchissante dans une pose d'accablement. Kiyomori a vaincu Minamoto et veut exterminer sa famille dont il s'est emparé dans sa fuite et qui est composée de sa femme et de ses trois enfants. Mais, au moment d'ordonner leur mort, il a la curiosité de voir la femme de Minamoto et, soudainement séduit par sa beauté, il lui demande de lui appartenir, ce à quoi elle se résigne sur la promesse qui lui est faite que ses enfants seront épargnés. C'est ce marché qui fait le sujet de l'estampe. Or, un jour, ces trois enfants vengeront leur père, anéantiront la famille Taïra, et l'aîné des trois enfants sera Yoritomo, le premier shôgoun de Kamakoura.

Une autre composition: c'est Okané, femme, à la réputation d'une force herculéenne, qu'un musculeux guerrier a cru pouvoir arrêter dans sa marche et qui, d'un bras tenant un barillet sur sa tête, continue à s'avancer tranquillement, entraînant, de l'autre bras, l'homme aux deux sabres.

Et ce sont encore des représentations de musiciennes japonaises; d'une année de bonne récolte, avec la joie et l'engraissement subit des paysans; et, on ne sait pourquoi, le portrait d'un astronome hollandais.

La même année 1819 paraît le dixième volume avec une préface vantant la persévérance dépensée par Hokousaï pour arriver à la publication de ces dix volumes.

Des saltimbanques, des faiseurs de tours, des prestidigitateurs, des équilibristes, des avaleurs de sabres, des vomisseurs d'essaims d'abeilles, des thaumaturges se rendant la tête invisible.

Mais je ne veux décrire dans ce volume que deux compositions, deux compositions d'un fantastique macabre dépassant tout ce que l'Europe a imaginé en ce genre, et méritant bien à Hokousaï l'appellation de maître dessinateur des fantômes. Ce sont deux apparitions de femmes mortes. L'une, c'est Kasané, la femme laide, assassinée par son mari, qu'il représente avec son front de foetus hydrocéphale, sous la broussaille de ses cheveux, un oeil fermé et l'autre grand ouvert, où est une prunelle de poisson cuit, le cartilage dénudé de son nez, ses mâchoires sans gencives, entr'ouvertes dans un hiatus allant jusqu'aux oreilles, ses deux mains de squelette rapprochées de sa tête dans le tressautement de la danse idiote d'un naturel de la Terre-de-Feu. Une apparition à faire peur, regardée le soir à la lueur d'une lampe.

L'autre apparition a l'apparence, dans le ciel ténébreux, d'une longue et courbe et molle larve blanche enveloppée d'une chevelure; c'est l'âme de la petite servante Okikou. Elle était dans une maison où il y avait dix précieuses assiettes, et elle eut le malheur d'en casser une. Et le propriétaire des assiettes adressa des reproches si durs à la fillette qu'elle se jeta dans un puits. Or, depuis ce jour, elle revient toutes les nuits au-dessus du puits et, de la maison où est le puits et des maisons voisines, on l'entend dire, l'une après l'autre, les légendes des assiettes, puis, arrivée à la dixième, à celle qu'elle a cassée, on l'entend, cette fois, pousser un sanglot si déchirant, si déchirant que le voisinage a dû charger un prêtre de la faire monter au ciel par ses prières.

La Mangwa semble terminée en 1819 avec le dixième volume, et quinze ans se passent sans qu'il y soit donné une suite, quand, en 1834, il paraît un onzième volume avec une préface dans laquelle Tanehiko dit: «que la Mangwa a été terminée au dixième volume, mais que les éditeurs avides ont tellement pressé notre vieillard qu'il a consenti à reprendre son pinceau, qu'il vient de dessiner ce volume qu'il se propose un jour d'arriver au vingtième volume.»

Dans ce onzième volume, toujours la variété des premiers. Des poses, des attitudes de la vie intime, des croquetons de gens assis ou en marche, de gens dans la flâne ou l'effort du travail, de gens dans le calme des passions ou les fièvres de la colère, des planches, des planches de gras lutteurs, et des petits coins de paysages, et des modèles de canons et de pistolets, et deux peintres peignant la jambe d'un Niô sculpté, d'une dimension telle qu'elle semble le tronc d'un vieux chêne, et une Japonaise disant la bonne aventure à un guerrier en laissant, selon la méthode de là-bas, tomber son peigne à terre.

En la même année 1834 paraît le douzième volume.

Un volume très poussé à la caricature, où l'Olympe japonais est ridiculisé à outrance, un volume de chutes ridicules, de nez interminables de Téngous, sur lesquels se fait de la prestidigitation; de silhouettes, en ombres chinoises, d'épouvantables vieilles; de figures de femmes devenues monstrueuses, à travers une loupe posée sur leurs visages; d'allongements de cous pendant le sommeil, qui, selon une superstition du Japon et des îles Philippines, permettent aux têtes de ces possesseurs de cous d'aller visiter des contrées et des planètes étrangères; de corps de naturels d'un pays où les hommes ne sont possesseurs que d'un bras et d'une jambe, et où ils sont accotés deux par deux.

Et même, pour aider à l'antithèse des sujets qu'il offre au public, il arrive à Hokousaï de recourir parfois à la scatologie. Ainsi, dans le onzième volume, nous voyons une Japonaise, retroussée jusqu'à la ceinture, jeter à terre un de ses compatriotes par la violence d'un pet, et dans ce douzième volume apparaît par la lucarne d'un étroit privé, le profil péniblement contracté d'un samouraï entre ses deux sabres remontés au-dessus de sa tête, et au dehors trois Japonais se bouchant le nez avec leurs doigts et leurs robes.

Le treizième volume paraît seulement en automne 1849, après la mort d'Hokousaï, arrivée au printemps de cette année.

Dans le treizième volume: deux beaux dessins, la divinité Kwannon sur une de ces carpes monumentales comme seul Hokousaï sait les dessiner, et un tigre traversant une cascade au milieu de dessins représentant, dans la montagneuse province de Hida, la passe au panier: un pont fait d'une corde, le long de laquelle on se fait glisser à la force des bras; de dessins représentant des modèles d'habitations rustiques; de dessins représentant la préparation de ce melon qu'on dessèche et dont on fait des soupes; de dessins représentant le décorticage du riz.

Le quatorzième volume, tout moderne, paraît seulement en 1875, et est fabriqué avec des dessins laissés par Hokousaï après sa mort.

En dehors de quelques dessins divers, il ne contient pour ainsi dire que des animaux, des animaux réels et des animaux fantastiques; c'est un chat mangeant une souris, un chien aboyant à la lune, un renard dans la pluie, des lions de mer, des chèvres, un écureuil mâtiné de chauve-souris, un sanglier traversant une rivière, un ours dans la neige, des ânes, des chevaux, un lion de Corée, un conciliabule de rats.

Le quinzième et dernier volume paraît en 1878 avec un avertissement où l'éditeur dit que «propriétaire de tous les bois de la Mangwa, il a été convenu avec Hokousaï, avant sa mort, qu'on poursuivrait jusqu'au quinzième volume, et qu'il a fait graver les dessins destinés à la publication, qui ne l'étaient pas». Mais l'éditeur ment, car la plupart des dessins qui ont une valeur sont repris au volume intitulé: Hokousaï Gwakiô, MIROIR DES DESSINS D'HOKOUSAÏ.

Les dix premiers volumes, en leurs tirages primitifs, et lorsque les bois sont à Yédo, ont pour éditeurs trois éditeurs de cette ville et un éditeur de Nagoya; à partir du dixième volume les bois sont cédés à l'éditeur Yeirakouya de Nagoya.

Un seul volume, le douzième, porte le nom du graveur, et ce graveur est
Yégawa Tomékiti.

XXII

En 1806, à la suite du bruit qu'avait fait l'improvisation en public d'une grande peinture d'un Darma par Hokousaï, deux ans auparavant, il venait au shôgoun de Tokougawa la curiosité de le voir travailler.

Donc un jour d'automne, au retour d'une chasse au faucon, le shôgoun le faisait appeler devant lui et s'amusait à lui voir exécuter des dessins. Puis, tout à coup, Hokousaï couvrant la moitié d'une immense bande de papier d'une teinte d'indigo, faisait courir dessus des coqs aux pattes plongées dans de la couleur pourpre, et le prince étonné avait l'illusion de voir la rivière Tatsouta, avec ses rapides charriant dans leurs eaux des feuilles pourpres de momiji.

L'intérêt de cette entrevue: c'est que sous les Tokougawa, jusqu'à ce jour, un homme du peuple ne pouvait se présenter devant le shôgoun.

XXIII

En 1811 Hokousaï publie, en collaboration avec Hokousou qui dessine le premier volume, Jôdan Foutsouka Yehi, IVRESSE DE DEUX JOURS, une série de dessins comiques.

Dans l'illustration du second volume, dont il s'est chargé, il nous montre des porteurs ivres que regardent des enfants, et vraiment il est impossible de rendre mieux l'hilarité bête de ces visages, avec la demi-fermeture des yeux et l'égueulement de la bouche entr'ouverte de côté.

Une autre planche très amusante de ces scènes, qui se passent la veille et le jour même du Jour de l'An: c'est l'entrée dans un intérieur, d'un vieux prêtre pochard, à la tête impossible, travesti en manzaï, escorté d'une espèce d'enfant de choeur faisant du tapage avec un instrument pour appeler au service divin et, devant ces deux ivresses de la vieillesse et de l'enfance, le rire du bourgeois japonais, l'attention dédaigneuse de la femme, l'ahurissement d'un ami.

Enfin la dernière planche: dans une chambre décorée de feuilles de fougère et de branches de sapin, le décor des intérieurs de Jour de l'An, a lieu une terrible bataille à coups de balais, entre deux hommes que trois autres ne peuvent séparer.

La même année Hokousaï publie l'illustration de Hokou-yétsou Kidan, LES LÉGENDES FANTASTIQUES DE LA PROVINCE DE YÉTIGO, édité en 6 volumes, avec un texte par Tanéhiko.

Un ouvrage dans lequel se trouve reproduite par Hokousaï une carte de cette province où il neige beaucoup, au milieu d'un méli-mélo d'hommes-bêtes, de coraux, de plantes marines, de monnaies, d'objets usuels, de serpents d'une grandeur fabuleuse, enfin de choses réelles et de choses surnaturelles.

La même année Hokousaï publie encore l'illustration de Tawara-Tôda Rôko dén, CONTE D'UN VIEUX RENARD ET DU GUERRIER TAWARA TODA, pièce de théâtre par Tanéhiko, éditée en trois volumes et gravée avec une écriture plus grande, plus facile à lire que l'écriture du roman, de l'histoire.

Cette pièce de théâtre a pour principal personnage Hidésato, le guerrier qui, trouvant une femme pleurant aux bords du lac Biwa, lui demandait la cause de son chagrin. La femme qui était la reine du lac Biwa lui répondait que, depuis des années ses enfants étaient mangés par un scolopendre géant. Hidésato de s'informer où se trouvait ce monstre. Elle lui indiquait la montagne Ishiyama où son corps, lui disait-elle, faisait sept fois et demie le tour de la montagne et lui montrait, dans le moment, une masse brillante qui luisait au soleil comme un bloc de diamant: c'était l'oeil de l'insecte colossal dans lequel Hidésato mettait une flèche mortelle.

L'illustration de cette pièce par Hokousaï est intéressante. Dans le dessin de la reine de Biwa, de la femme d'Hidésato, de la fille d'Hidésato, l'amoureuse de Sadamori, le dessinateur a abandonné la mignonnesse un peu petite, un peu miniaturée de ses premières années; et, tout en leur laissant leur première grâce, il arrive à leur donner de l'ampleur, de la grandeur, à les varier et à ne plus toujours faire la même longuette petite femme de ses débuts. Dans l'oeuvre d'Hokousaï, les femmes de ces années ont une parenté avec les femmes de Hokouba.

En 1812, il n'illustre aucun livre.

En 1813, dans le Katsoushika Zoushi, PLAN ET TRADITIONS DE KATSOUSHIKA, dans ce volume contenant un plan de cette partie de la ville de Yédo, de l'autre côté de la Soumida, de ce quartier maraîcher et plein de salines aimé par le peintre, Hokousaï dessine, près de deux pêcheurs au jupon de roseaux, une femme puisant dans un petit tonnelet, emmanché à un grand bâton, l'eau d'une source célèbre.

XXIV

En 1814 paraît une illustration d'Hokousaï qui mérite d'être signalée à part et décrite pièce par pièce. C'est le Shashin gwafou, ÉTUDES D'APRÈS NATURE[15], publié en 1814, avec une préface de Hirata, sans nom d'éditeur, ce qui ferait supposer qu'il a été dessiné et gravé en couleur pour une société d'amateurs. Un livre composé de quinze planches où Hokousaï donne quinze échantillons divers de son talent multiple, au moment de sa plus grande puissance, dans les légères et délicates colorations des sourimonos: un livre dont les beaux exemplaires complets sont de la plus grande rareté et se vendraient en vente de douze cents à deux mille francs.

[Note 15: Sha:—copier; shiu:—vérité; gwa:—dessin; fou:—album.]

I. Hotei fumant. Le dessin caricatural du dieu de l'enfance, au triple menton, au ventre bedonnant, ramassé à terre, la tête renversée dans la jubilation de la fumerie d'une longue pipe.

II. Contemplation de deux papillons par un Japonais. Un disciple du philosophe chinois Sôshû, son éventail tombé à terre, près d'un bol de saké vide, les deux coudes sur un escabeau et les deux mains croisées sous le menton, suit des yeux le vol de deux papillons dans une rêverie qui lui fait regarder la vie humaine comme la vie éphémère de ces insectes d'un jour.

III. Un peintre de tori-i. Un homme, la tête en bas, une brosse dans une main, une écuelle pleine de noir dans l'autre, enduit de couleur la base d'un pilastre, le corps plié en deux, les reins cassés dans une dislocation toute-puissante.

Ces deux dessins, le philosophe et le peintre de tori-i, ont une parenté extraordinaire avec le beau faire brutal de Daumier et avec ses indications à la fois vigoureuses et comiques du muscle dans ses anatomies.

IV. La déesse Kwannon sur un dragon. Cette déesse, dont les prières ont pour but de faire arriver à la rive des bienheureux, les âmes pécheresses retenues de l'autre côté du fleuve, est représentée dans une glorieuse image avec la sérénité bouddhique de son visage se détachant d'un nimbe d'or pâle, et toute volante dans sa robe d'un rose mourant éparpillée sur la nuit du fond.

V. Paysage couvert de neige, avec une montagne dans le fond, et au premier plan un sapin s'élevant au-dessus des habitations rustiques de Tsoukouba dans la baie de Yédo[16].

    [Note 16: M. Bing possède des épreuves, tirées à part de cette planche
    et de la suivante, tout à fait extraordinaires.]

VI. Une branche de prunier rose sur une pleine lune indiquée seulement par un gaufrage presque invisible.

VII. Une branche de cerisier double au coeur de la fleur jaune; une espèce où les feuilles viennent en même temps que les fleurs et qui est appelée au Japon Shiogama.

VIII. Une tige de navet à l'élégant déchiquetage lyré de la feuille, employée souvent au Japon comme motif décoratif et vers laquelle vole une guêpe qui est un vrai trompe-l'oeil.

IX. Deux pivoines dans un panier, dessinées avec ce style que les Japonais mettent à la fleur; un style parent du style que nos vieilles écoles de peinture de l'Europe mettaient à la représentation de l'humanité.

X. Des tiges d'iris violacés, ces fleurs à la découpure héraldique.

XI. Un faucon sur une branche de chêne, une patte rebroussée contre lui dans un mouvement de prise de vol, avec le regard d'un oeil qui semble percevoir une proie dans le ciel.

XII. Un faisan qui s'épouille au milieu des traces que ses pattes ont laissées sur une terre rouge.

XIII. Deux canards mandarins, dans des mouvements de nage où le dessin cartilagineux de leurs pattes semble exécuté par un dessinateur spécialiste du canard.

XIV. Un renard fuyant dans une fuite où est exprimé le détalement sournois de la bête avec l'inquiétude du regard.

XV. Deux lapins, un lapin jaune à l'oeil noir, un lapin blanc à l'oeil rouge.

Une étude amusante de ces animaux affectionnés par les Japonais qui, par des croisements, cherchent à en faire des animaux phénomènes, comme longueur des oreilles, comme couleur des yeux, si bien que le gouvernement a frappé ces animaux, il y a une dizaine d'années, de l'imposition d'un dollar. La peinture les représente d'habitude, sous un rayon de lune, comme dans le rayonnement d'une lumière natale: les taches qu'on y aperçoit étant formées, dans l'imagination japonaise, par deux lapins, et encore aujourd'hui les gens du peuple croient que deux lapins, exposés la nuit dans une cage aux rayons de la lune, on ne les retrouve pas le lendemain, délivrés qu'ils sont par l'intervention de leurs confrères de là-haut.

Citons du Shashin Gwafou un exemplaire d'un tirage extraordinaire rapporté en Europe par Siebold, et peut-être acheté à Hokousaï en personne. Siebold avait rapporté six exemplaires, dont quatre ont été donnés aux bibliothèques de Paris, de Vienne, et deux étaient conservés à La Haye. M. Gonse a été assez heureux de pouvoir en obtenir un, par suite d'un échange.

XXV

En 1815 Hokousaî publie, avec la collaboration de Hokoutei Bokousén, le Jôrouri Zekkou, MORCEAUX DE DRAMES: une suite de scènes tirées des pièces les plus célèbres du XVIIe et du XVIIIe siècle, en cinquante-six impressions en noir, avec de très délicates demi-teintes, comme lavées.

Cette femme, la tête renversée, les deux mains s'étreignant au bout de ses bras tendus dans un geste de désespoir: cette femme est la maîtresse d'un Japonais marié que vient trouver le père de son amant et qu'il décide à le quitter, en lui exposant qu'elle est la ruine de son ménage: pauvre femme qui bientôt, ayant à subir les scènes de l'homme qui se croit quitté pour un autre, se tue.

Une autre planche curieuse est la représentation de la scène d'une pièce du XVIIIe siècle intitulée OHANA-HANSHITI, où deux femmes, deux apparentes amies, sont sommeillant l'une contre l'autre; l'une la femme d'un prince, l'autre sa maîtresse; et il se trouve que l'ombre portée par les cheveux de la maîtresse dessine sur le châssis de papier comme l'enlacement de deux serpents qui se battent. Et le prince, à la vue qu'il a de ces serpents à travers le châssis, pensant aux scènes que cette rivalité sourde a déjà amenées dans son intérieur, et des scènes qui suivront, abandonne son palais et se fait prêtre. Une pièce qui serait, au dire des Japonais, une étude psychologique de la femme très intéressante.

Une autre planche est la représentation d'une femme de la campagne parlant à une courtisane qui pleure à chaudes larmes. Or, voici le sujet. Une jeune fille dont le père a été tué par un malfaiteur, a été vendue au Yoshiwara, est devenue une grande courtisane, sans connaissance de son passé. Or, sa soeur cadette venue d'une province lointaine, apprend à l'aînée son histoire, et les deux soeurs se mettent à la recherche du malfaiteur et, comme autre fois existait au Japon le droit à la vengeance, le duel devant Dieu de l'ancienne Europe, les deux soeurs arrivent à tuer l'assassin de leur père.

Une autre planche vous montre un prêtre bouddhique devant un kakémono représentant une femme, et sa tête aux cheveux rebroussés et semblable à celle d'un diable, appuyée réfléchissante sur une main, est toute pleine d'une pensée fixe, soucieuse. Oui, ce prêtre de Bouddha, ce vertueux, ce savant, est devenu amoureux de l'image qui est devant lui et, indifférent au culte et ne remplissant plus ses devoirs religieux, est renvoyé de l'église et rencontre dans sa nouvelle vie une femme ressemblant à la femme du kakémono, qui dédaigne son amour et le rend le plus malheureux des hommes.

Cet album est vraiment l'album où les tristesses, les pleurs, les désolations, les crispations nerveuses, les affaissements, les désespoirs de la femme sont merveilleusement rendus avec toutes les grâces, les charmes, les coquetteries de la douleur féminine théâtrale.

La même année paraît Odori hitori keiko, LEÇONS DE DANSE PAR SOI-MÊME, un album représentant le dessinateur Hokousaï s'étirant les bras au réveil d'un rêve qui s'éloigne derrière lui et laisse entrevoir, dans l'effacement de sa vision, deux danseurs et une danseuse. Et c'est, après l'impression de chants pour accompagner les danses, une série de planches représentant chacune quatre ou cinq petites figurines de danseurs avec, à la droite ou à la gauche de leur bras ou de leur pied, une ligne droite ou courbe indiquant le développement complet du geste commencé par ce bras ou ce pied.

L'album débute par la Danse du Batelier, qui a 43 figures. Suit une danse comique, très gymnastiquement mouvementée. Puis une danse intitulée: la Danse du marchand d'eau fraîche. Mais la danse la plus originale, c'est la Danse du mauvais esprit, une danse diabolique avec des mouvements d'un disloquage anti-humain, et des expressions de têtes méphistophéliques, un moment sous des masques carrés aux caractères mystérieux, désignant les génies du mal, danse qui a 67 figures.

A la dernière page de l'album, Hokousaï, avec son ironie habituelle, dit: Si dans l'exécution des mouvements et des mesures il y a des erreurs, veuillez m'excuser. J'ai dessiné ainsi que j'ai rêvé, et comme le rêve d'un spectateur ne peut pas exactement tout donner, si vous voulez bien danser, apprenez-le près d'un maître. Or, si mon rêve ne peut pas faire un vrai danseur, ça fait tout de même un album. Mais, au fond, ce que je vous recommande quand vous voudrez danser, c'est de mettre en sûreté le tabako-bon (fumoir) et les bols à thé, car, même en les sauvant, vous aurez toujours dans vos nattes un dégât bien suffisant.

Et Hokousaï signe: Katsoushika Oyaji (papa Hokousaï).

En 1817, dans un album édité par Yeirakouya Tôshiro d'Owari et intitulé Yéhon Riôshitzu, ALBUM DE DESSINS PAR DEUX PINCEAUX, Hokousaï collabore avec Rikkosaï de Osaka,—lui se chargeant des personnages, animaux, oiseaux, et Rikkosaï dessinant les paysages et les arbres.

Un album où les personnages disparaissent dans le paysage, mais où peut-être Hokousaï s'est représenté léchant son pinceau dans la dernière planche.

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