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L'affaire Sougraine

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XVI


La Longue chevelure reprit:

--Je retardai mon départ pour sauver mes semblables. Je réussis à les faire sortir de l'endroit dangereux où ils s'étaient arrêtés. Ce fut presque un miracle. Ma femme leur servit de guide à travers les montagnes. Elle portait une enfant dans une nagane. J'avais mis dans les langes de la petite, comme plus en sûreté sous la protection de l'innocence, une somme considérable, toute ma fortune alors. Je dus rester dans mon wigwam pour empêcher les soupçons de peser sur ma tête. Ce fut en vain, l'on m'accusa de trahison. Je vis que je n'échapperais point à la vengeance et je profitai des ténèbres pour fuir. J'espérais rejoindre la caravane des Visages Pâles. Un matin, à la sortie des montagnes, je m'agenouillai sur le gazon au bord d'une source limpide qui descendait joyeusement de roche en roche comme un oiseau qui saute de branche en branche, et je priai pour les fugitifs, pour ma pauvre femme, pour ma petite enfant,..... Hélas! malheureux! c'est pour moi-même qu'il eût fallu prier, c'est moi qui avais besoin du secours de la sainte Providence! En reportant mes regards sur la terre autour de moi, je découvris, à quelques pas du ruisseau, sous un feuillage épais, le corps ensanglanté d'une femme. Un frisson parcourut mes membres, un horrible pressentiment me serra le coeur. Je me levai, je fis quelques pas. O Ciel! ô douleur! je reconnus ma pauvre femme!.... Une pensée amère traversa mon esprit comme un dard traverse le coeur de l'ennemi vaincu: Les blancs que j'ai sauvés m'ont donc récompensé de mon dévouement en laissant lâchement massacrer la femme qui leur montrait le chemin du salut. J'étais injuste. Les cadavres de six traîtres sioux gisaient un peu plus loin.

--Merci, Visages pâles, mes amis, m'écriai-je, vous l'avez vengée!

Je me mis à chercher mon enfant. La nagane gisait près de l'eau. Les infâmes l'auraient-ils donc jetée dans le torrent, pensais-je? Ont-ils eu honte de leur lâcheté? Ont-ils voulu cacher leur ignominie en livrant au courant, pour qu'il l'emportât, le corps de l'innocente créature? Mes recherches furent vaines; je ne trouvai nulle part le petit ange que l'amour m'avait donné.

Je fis à ma femme une fosse profonde dans un endroit d'accès difficile, sur la pente du ravin, où fleurissait un coin de verdure, où descendait un rayon de soleil et je mis au milieu de ce tertre simple une croix formée de deux bâtons. Je tressai une couronne de lierre et de fleurs sauvages que je suspendis aux bras du divin emblème, et, après avoir prié, je redescendis au fond de la vallée. Quand je fus en bas, je vis des corbeaux qui tournoyaient en croassant au-dessus des cadavres des meurtriers de ma femme. Je souris et passai sans bruit pour ne pas les effrayer. Cependant j'eus honte de mon action. Cette parole de la prière du Christ: Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, me venait à l'esprit. Je retournai sur mes pas, chassai les corbeaux avec ma carabine, réunis les morts sur une même couche, et les couvris de rameaux en attendant la sépulture. Comme j'achevais ma tâche pénible, deux des anciens de la tribu survinrent. Ils venaient quérir les restes de leurs fils.

--Pourquoi, me demandèrent-ils d'une voix mal affermie, pourquoi la Longue chevelure fait-il cela?

--Pour empêcher les corbeaux de ronger les entrailles de vos enfants.

La Longue chevelure ne sait-il pas que nos enfants ont tué sa femme?

--Il le sait.

--Il le sait et ne se venge point?

--Il vous l'a dit souvent, le seul et vrai Dieu qui existe, et que j'adore, ne veut pas que l'on fasse du mal à ses ennemis.

--Nous voulons le connaître ce Dieu qui t'a dit de respecter les cadavres des guerriers qui ont massacré ton épouse....

--Les vieux guerriers savent-ils, leur demandai-je, ce qu'est devenue mon enfant?

--Ils l'ont jetée dans le torrent.

--Pauvre petite! m'écriai-je en pleurant.

--Je voulais continuer ma route et rejoindre les voyageurs afin de savoir s'ils emportaient ma petite fille, et la pensée me vint qu'une mère seule pouvait s'imposer la tâche de porter un enfant dans ses bras à travers les précipices et les rochers, sous les ardeurs du soleil, dans les déserts, pendant des mois entiers et à des distances prodigieuses. Je ne pouvais non plus me séparer sitôt de la tombe où dormait la femme que j'avais tant aimée. Je revins au campement avec les vieux sioux. La colère des guerriers était terrible à cause des pertes qu'ils avaient subies, et les paroles sages des vieillards qui m'avaient pris sous leur protection ne purent me sauver. Je fus pris, enfermé, gardé à vue. En vérité, l'aspect de la mort ne m'effrayait nullement. Je souriais à la pensée d'aller revoir les deux créatures qui faisaient tout mon bonheur. Je trouvais qu'on tardait bien à me juger. Enfin, un jour j'appris que le conseil de la nation m'avait condamné, et que j'allais être exécuté le lendemain, à l'heure où le soleil sortirait de la prairie. Le lendemain était la fête anniversaire d'une victoire sur les américains, et les jeunes gens allaient se livrer à toutes sortes d'exercices et de divertissements. On s'exercerait à tirer de l'arc, et je servirais de cible. Celui qui me porterait le coup mortel serait déclaré vainqueur.

La nuit arriva, cette nuit qui devait être la dernière pour moi. Je priai longtemps et m'endormis ensuite d'un profond sommeil. Quand je m'éveillai, je me trouvais loin du village, seul dans le ravin qu'avaient suivi les blancs pour revenir de la Californie, près du tombeau de mon père. Ma carabine était près de moi. Je me rendis au pays de l'or, sur les rives de l'océan du soir.

Plusieurs des conviés vinrent serrer la main du brave sioux, et l'assurèrent qu'ils l'aideraient de tout leur pouvoir dans ses recherches.

Madame D'Aucheron, tout à fait remise, s'essuyait avec son mouchoir de fine batiste brodé. La Langue muette rêvait toujours. On eût dit qu'il n'avait guère écouté le récit de la Longue chevelure. Il avait sournoisement mais obstinément regardé l'impressionnable madame D'Aucheron. Il venait de prendre une résolution, et quand une résolution entrait dans cette tête-là elle ne devait pas être facile à déloger.

Il avait toujours été pauvre et misérable, ce mystérieux Indien, pourquoi ne serait-il pas riche à son tour? Est-ce que l'on est nécessairement gueux toute sa vie? N'arrive-t-il pas un moment où la fortune se laisse saisir par toute main adroite ou hardie?



XVII


Après la somptueuse collation quelques uns des convives se retirèrent, d'autres revinrent au salon, pour entendre la musique et le chant, d'autres encore, les nonchalants fumeurs, se retirèrent dans la petite salle consacrée à la pipe. Ils avaient l'air, ces derniers, de dieux ou de diables siégeant dans les nuages.

Une des jolies femmes venait de chanter en regardant au plafond avec des yeux éveillés qui voulaient paraître rêveurs, elle aborda le jeune ministre.

--Je sais, dit-elle, monsieur le ministre, que vous mettez bravement à exécution votre programme... comment dirai-je? d'économe?... d'économie?... d'économiste?... Je m'y perds dans ces mots-là, et dans cette chose-là aussi. Pourtant, il faut que vous m'accordiez une faveur.

Le ministre la regarda franc dans les yeux.

--Regardez-moi si vous voulez, mais il faut que j'obtienne cette faveur.

--Vous êtes bien impatientes, vous autres, mesdames, quand vous voulez une chose.

--Et vous donc, messieurs, temporisez-vous beaucoup d'ordinaire?

--Vous nous laissez longtemps parfois dans l'antichambre.

--On ne peut pas toujours recevoir.

--On doit toujours recevoir ceux qui nous aiment....

--Non, ceux que l'on aime, peut-être....

--Eh bien! que vous faut-il donc pour être heureuse?

--Mon mari se trouve sans position.... Voyons, ne prenez pas cet air désagréable.

--Ne prenez pas cette adorable figure, vous, madame,... c'est de l'influence indue.

--Mon mari est sans position. Ce n'est point sa faute. Il faut vivre cependant; vous comprenez-ça, M. le ministre. S'il ne trouve rien à faire, il faudra prendre le chemin de l'exil.... J'appelle cela l'exil, moi, l'existence à l'étranger.

--Il serait vraiment regrettable de voir disparaître une des étoiles qui rayonnent sur notre ville.

--Etoile, comète ou planète, elle disparaîtrait bien sûr.

--Je ne puis, cependant, malgré l'extrême envie que j'en aie, vous accorder madame, tout de suite du moins, ce que vous me demandez. La chose est grave. Je m'en occuperai.

--Sérieusement? Vous ne l'oublierez pas?

--Comment l'oublier puisqu'il faudrait vous oublier en même temps?

--Que je serais heureuse!

--D'être oubliée?

--Non, que mon mari ne le fût pas.

Le reste de la nuit s'écoula rapidement, et quand les premières lueurs de l'aube, perçant les vitres des fenêtres, vinrent colorer d'un doux éclat les grands rideaux de damas, la dernière danse déroula ses gracieuses figures et l'orchestre laissa mourir ses accords. La fatigue commençait à éteindre le feu des regards et la pâleur succédait aux teintes roses sur les frais visages de la jeunesse.

Chacun reprit frileusement le chemin de sa maison, trottinant sur les trottoirs glacés.

L'honorable M. Le Pêcheur s'en allait seul, et des paroles sans suite tombaient de ses lèvres serrées par la colère.

--Me préférer un va-nu-pieds!... Elle m'aimera!... Il faut que je l'épouse.... S'il n'était pas riche comme on dit.... Tout de même elle est bien belle.

Quelqu'un le suivait de près, mais il ne s'en apercevait point, tant il était absorbé dans la pensée de mademoiselle Léontine. Il la croyait riche héritière et l'aspect de l'or qu'il voyait scintiller dans ses rêves, l'aiguillonnait comme un éperon, les flancs d'un coursier. La lutte ne lui faisait point peur; au contraire.

Il se trompait cependant. D'Aucheron s'était dit riche et le monde l'avait cru très riche. Sa fortune idéale faisait boule de neige dans le champ de l'imagination.

--Je demande pardon à mon frère l'honorable ministre, dit tout-à-coup l'individu qui le suivait, je demande pardon à mon frère si j'ose lui adresser la parole.

Le Pêcheur se retourna tout surpris et reconnut la Langue muette. Il l'interrogea sans lui parler, d'un mouvement de la tête.

--Je sais, continua l'indien que l'homme illustre à qui je parle veut épouser une belle jeune fille qui pleurait en écoutant le récit de la Longue chevelure, et j'ai bien vu que la jeune fille aimait un autre homme. Plus on persécute l'amour et plus il grandit, c'est comme un feu de la prairie que le vent attise.

--Où veux-tu en venir? demanda Le Pêcheur d'un ton brusque.

--Mon frère l'honorable ministre veut-il me dire s'il épouserait mademoiselle Léontine, quand même elle ne l'aimerait point.

--Pourquoi cette demande?

--L'indien peut être d'un grand secours à l'honorable ministre.

--Comment cela?

--C'est un secret et jamais la Langue muette ne le révélera... mais avant que huit jours soient écoulés, mon frère l'honorable ministre remarquera un changement dans les manières de la jeune demoiselle, s'il a confiance en l'homme des bois et le prend à son service.

--Es-tu sorcier?

--Mieux que cela.

--C'est bien, travaille, agis, va.

--La Langue muette est pauvre et n'est point couvert de diamants comme la Longue chevelure; il aurait besoin de quelques dollars.

--Je te comprends, mon vieux, tu fais dans le chantage.... Au large! Il fit mine de repousser l'indien et continua son chemin.

--Mon frère l'honorable ministre me juge mal, dit la Langue muette.... Je sais un secret terrible, moi, et je pourrai tenir ce que je promettrai.

--Ces sauvages, pensa le ministre, ça parle au diable. Qui sait? Combien te faut-il, face de cuivre?

--Peu de chose; dix piastres pour commencer.

--Pour commencer? Tu promets de bien finir.

--Cela dépendra du succès.

--Viens ici.

Il lui glissa dans la main un billet de dix piastres de la banque de Montréal.

--C'est toujours cela, murmura l'Indien en s'éloignant.



DEUXIÈME PARTIE

LA LANGUE MUETTE ET LA LONGUE CHEVELURE



I


Le notaire Vilbertin, assis devant son bureau chargé de papiers, écrivait d'une façon distraite les paroles sacramentelles d'un acte de vente. Il se dictait tout haut.

Affaire de routine, car sa pensée n'était pas avec lui. Il s'arrêta tout à coup.

--Après tout je suis encore jeune, pensa-t-il.... Et puis, l'âge, qu'est-ce que cela fait? Il y a des jeunes gens qui sont vieux et des vieillards qui sont jeunes. Affaire de tempérament.... C'est un fait, je n'ai pas vieilli depuis dix ans.... Je suis comme à vingt-cinq.

Il se remit à écrire:

«Et le dit acquéreur déclare bien connaître la dite propriété et en être satisfait....

La plume resta le bec dans l'encre.

--Elle est belle, murmura-t-il, oui, elle est belle. C'est drôle comme je me sens troublé....

Il écrivit encore:

«Cette vente est faite à la charge par l'acquéreur de payer, à compter de ce jour et à l'avenir....

--L'avenir!.... l'avenir!.... On fera des objections, je le sais bien. Monsieur Le Pêcheur est entré en guerre lui aussi. Un ministre contre un notaire, c'est le pot de fer contre le pot de terre. N'importe! si l'on entre en danse on dansera.... Vilbertin, tu as deux rivaux devant toi.... Tu n'es ni très jeune, ni très beau, mais tu as de l'argent; l'avantage est de ton côté. Si tu sais manoeuvrer, mon vieux, tu gagneras la partie.... Oui, l'idée de la lutte me réveille.... Comment se fait-il que je l'aie vue tant de fois cette jeune fille et que je ne me sois pas aperçu plus tôt que je l'aimais? Vieux sot! attendre si longtemps. La rose s'est entourée d'épines. On pourrait s'y piquer. N'importe, elle la vaut bien la piqûre.... Allons! soyons âpre à la curée, mais prudent. Pas de bêtise. Mettons nos adversaires sous nos pieds en les comblant de faveurs. L'idée est ingénieuse. Vilbertin, ne fais pas les choses à demi. Elle a voulu former avec moi une société de bienveillance, exploitons la société. Il va m'en coûter cher, mais si l'on ne se refait pas en espèces sonnantes, on se refera d'une autre façon. La petite sera mon obligée et la famille qu'elle protège ne pourra pas prendre les armes contre un bienfaiteur.

Il essuya sa plume, plia ses papiers, les serra dans un casier et se mit à marcher à grands pas dans son bureau. Le sang lui montait à la tête et ses joues rouges paraissaient s'arrondir encore sous leur fiévreuse ardeur.

Il sortit.

--Que l'air est bon! pensa-t-il; je ne vivrais pas dans les climats brûlants. C'est absurde de vivre là. À moins que l'on n'aime point.

Au coin de la rue du Palais il rencontra la Longue chevelure.

--L'amour aveugle, se dit-il en lui-même! Depuis hier, je n'ai songé qu'à elle.... Et pourtant j'ai des intérêts à sauvegarder. Le salut avant tout. Pas l'éternel, l'autre. Sa peau avant sa chemise; c'est vulgaire, mais c'est juste. Au reste, les deux affaires peuvent marcher de front. Donnons notre amour, mais gardons notre argent.

Il monta la rue de la Fabrique, suivit la rue Buade, descendit l'escalier qui conduit à la rue Champlain, puis entra dans le bureau de monsieur D'Aucheron, rue St. Pierre.

D'Aucheron tenait un bureau où l'on transigeait toutes sortes d'affaires. Les deux pieds sur les chenets, il lisait son journal.

--Est-ce que l'on parle de ta soirée? demanda Vilbertin.

--Un excellent compte rendu. Toute une colonne.

--De fait, le succès à dépassé ce que l'on pouvait raisonnablement attendre. L'apparition des sauvages et l'histoire du sioux principalement, ont marqué cette fête d'un cachet tout particulier.

--Cela me pose, Vilbertin, oui cela me pose.

--Certaines gens prétendent que tu n'as pas les moyens de donner ces grands bals, sais-tu ce qu'à ta place je ferais pour leur imposer silence? J'achèterais une maison sur la Grande Allée. C'est le lieu le plus en vogue aujourd'hui. Notre aristocratie y bâtit des palais. Il y a là une superbe demeure à vendre. Je te fournis l'argent. Il faut aller de l'avant ou reculer. Ne recule pas, ce serait perdre tout ce que tu as gagné depuis dix ans.

--Je te dois beaucoup déjà, et si j'allais manquer mon contrat avec le gouvernement.

--Tu ne saurais le manquer avec les influences qui militent en ta faveur.

--Tant que Léontine montrera de la froideur au ministre qui l'adore les spéculations n'avanceront guère.

La causerie fut longue entre les deux amis. D'Aucheron était vaniteux. Il savait que l'on éblouit facilement le monde et que les sots--qui comptent pour un très grand nombre--n'ont d'estime et de respect que pour les choses ou les hommes qui jettent de l'éclat. Le conseil de Vilbertin ne lui déplaisait point. Il disait qu'il songerait, qu'il en parlerait à sa femme. Le notaire, ne voulant pas avoir l'air de le pousser, lui recommanda, de ne pas se hâter et de faire de sérieuses réflexions avant de se décider. Après avoir éveillé des désirs de luxe il faisait semblant de les combattre. C'était une ruse. Toutes les passions se révoltent contre les obstacles. Il lui suggéra aussi d'acheter cette propriété au nom de mademoiselle Léontine, Quand on est dans les affaires on ne saurait être trop prudent.

En sortant de chez son ami, Vilbertin se dit en lui-même.

--Il va mordre à l'hameçon.

Il revint à la haute ville par la côte de la Montagne et malgré le froid, il avait des sueurs au front.

--Il est toujours malaisé de monter, pensait-il.

Rodolphe, grâce à la scène que lui avait faite monsieur D'Aucheron, était rentré de bonne heure chez lui. Il habitait une petite chambre bien éclairée, mais peu chauffée, dans les mansardes d'une haute maison de la rue St. George, près du grand escalier. Il n'avait pas reposé de la nuit. Le dépit, l'inquiétude, l'amour tourmentèrent son âme pendant de longues heures. Le souvenir de Léontine le consolait cependant, et les injures des D'Aucheron ne pesaient guère quand il les mettait en regard de cet ineffable délice. Les D'Aucheron, que pouvaient-ils lui faire? Il s'en moquait bien. C'est vrai; mais ils s'irriteraient contre leur fille à cause de ses résistances, et peut-être, pousseraient-ils la vilenie jusqu'à la maltraiter. Voilà ce qu'il faudrait empêcher. Comment l'enlever à son existence fastueuse cependant?... Est-ce aimer véritablement une personne que de l'obliger à renoncer à ses habitudes de bien-être? Il ne pourrait pas, lui, satisfaire toutes ses exigences, et qui sait? elle finirait peut-être par se lasser des privations qu'elle aurait à subir. N'est-ce pas une folie pour un garçon pauvre de se faire aimer d'une jeune fille riche?... Pourtant elle était si bonne!... On pouvait avoir confiance.

Toutes ces pensées le tenaient éveillé. Il s'endormit à l'heure où le jour se levait.



II


Les incidents de la soirée de madame D'Aucheron furent cause de bien des émotions, la plus surprise, la plus troublée, la plus inquiète de toutes les personnes qui s'y trouvaient fut bien madame D'Aucheron elle même. Elle avait fait un grand effort pour reprendre une apparente tranquillité, mais l'orage grondait toujours au fond de son coeur, et rien ne pouvait dissiper le sombre nuage qui l'enveloppait.

--Ces récits d'enlèvement, de brigandage, d'assassinat, disait-elle à son mari, me font une impression des plus douloureuses; J'aurais mieux aimé que ces indiens ne fussent pas venus. Rien que les voir me fait peur maintenant.... Sont ils partis?

Monsieur D'Aucheron se moqua de ses vaines frayeurs et prétendit que ce n'était qu'un jeu des nerfs.

Léontine, s'étant mise au piano, jouait des motifs aimés de Rodolphe et chantait des vers pleins de tristesse et d'amour. Le chant et la musique sont les expressions de la douleur comme de la joie.

Madame D'Aucheron pensait:

--Elle ne l'oubliera pas aisément son Rodolphe. Il faut qu'elle l'oublie cependant. Plus que jamais son mariage avec monsieur Le Pêcheur est nécessaire. On ne touche pas à la belle mère d'un ministre.

--Ma Léontine, dit-elle, tu vas être raisonnable, n'est-ce pas? tu vas obéir aux voeux de ton excellent père, de ta petite mère qui t'aiment tant; tu vas consentir à devenir madame Le Pêcheur.... Voyons, sois soumise et le bon Dieu te bénira....

La pauvre enfant ne répondit pas, mais ses doigts tremblants s'arrêtèrent sur les touches d'ivoire et la douce romance finit dans un soupir.

Madame D'Aucheron allait continuer quand la servante lui dit qu'un indien désirait la voir.

--Un indien! fit-elle avec terreur, non, je ne reçois point; je suis malade.... Dites que je suis malade, et que je ne puis voir personne....

La servante obéit.

--Mon Dieu! comme vous voilà pâle, petite mère, qu'avez-vous donc? demanda Léontine....

--Rien, ce ne sera rien.... Je vais me reposer un peu.

Elle se leva pour sortir du salon. La servante apparut de nouveau.

--L'indien insiste, madame. Il dit qu'il reviendra tantôt, demain, tous les jours s'il le faut.

--Est-ce la Longue chevelure, demanda Léontine? Vous savez? ce beau sauvage avec de grands cheveux noirs et des diamants.

--Non, mademoiselle, ce n'est pas celui-là.

--Ce n'est pas la Longue chevelure?... répéta madame D'Aucheron, qui se remit un peu.

--Non, madame, j'en suis bien certaine.

--Peut-être, après tout, que je pourrais recevoir. Pourvu qu'il ne demeure pas trop longtemps.... Eh bien! faites-le entrer.

Des pas retentirent dans l'escalier. Un individu que nous connaissons déjà se présenta dans le salon. C'était la Langue muette.

--Tiens! pensa madame D'Aucheron, mon indien. Il vient me présenter ses hommages. Il a vraiment du goût et il est bien élevé.

La Langue muette salua poliment. On lui indiqua un siège. Il s'assit en roulant dans ses mains dont il ne savait que faire, son casque de chat sauvage. Il avait l'air abasourdi. C'était bien la première fois qu'il se trouvait seul dans un salon aussi somptueux. Il demeura quelques instants sans parler.

--J'espère que vous ne regrettez pas d'être venu à notre soirée, demanda madame D'Aucheron.

--A ta soirée? oh non! l'on ne le regrette pas.

--Pourtant, reprit Léontine, il me semble que vous ne vous être guère amusé....

--Guère amusé...? Oh! oui, l'on s'est bien amusé.

--Laissez-vous bientôt Québec?

--Laisser bientôt Québec? l'on ne sait pas.

--Il est assez laconique, pensa la jeune fille. Il est bien nommé Langue muette.

--La Longue chevelure est-il parti? demanda madame D'Aucheron.

--La Longue chevelure? oh! non, pas encore parti, oh! non.

--Quand part-il?

--La semaine qui vient.... ou plus tard.

--Ne serait-il pas aussi intelligent que je croyais, se dit-elle? C'est sans doute la gêne.

Après une vingtaine de minutes d'une conversation par questions et par réponses, l'indien se leva pour sortir. Madame D'Aucheron, tout à fait remise de ses terreurs, s'avança vers la porte du salon pour le reconduire.

--Vous reviendrez nous voir avant de partir? dit-elle.

--Avant de partir? oh! oui. On reviendra demain, après demain, et encore....

Elle fit un pas en arrière et parut surprise.

--L'indien voudrait te voir seule, ajouta Sougraine....

--Pourquoi?

--Parce qu'il a bien des choses à te dire, vois-tu.

--Vous? mais qui êtes-vous? Je ne vous ai jamais vu.

Elle s'était remise à craindre.

--Demain l'indien te fera souvenir. L'indien n'oublie pas, lui. Il est comme l'oiseau qui revient à son nid quand la neige s'en va.

Le piano remplissait le salon de ses accords et Léontine n'entendait rien. La Langue muette sortit et madame D'Aucheron rentra dans sa chambre en proie aux plus vives inquiétudes.



III


Quand Rodolphe se fut rasé, lavé, peigné, cravaté, il était bien près de midi.

--Quelle absurdité, pensa-t-il, que de transformer le jour en nuit! On y perd son temps et sa santé. Heureusement que cela ne m'arrive pas souvent..... Je vais dîner avec ma tante et ma cousine, pour les voir d'abord, ces deux charmantes personnes, et pour savoir comment a fini cette soirée....

Il fit comme il disait.

--O mon cher cousin, s'écria la jeune Ida, quand elle le vit entrer, quel dommage que tu sois parti si tôt! tu aurais entendu un récit bien intéressant! La Longue chevelure est cet indien sioux qui sauva la vie à ton père et à ses compagnons, dans les Montagnes Rocheuses, il y a vingt ans.

Quelqu'un frappa; le silence se fit. C'était le notaire qui entrait. Madame Villor ne le connaissait pas. Ce n'est pas elle qui s'occupait de chercher des logements ou d'aller payer les termes. Elle était d'une santé fort délicate et ne sortait guère. Ida, sa fille, et l'instituteur se mettaient de bon coeur à son service et géraient fort bien les petites affaires de la maison.

--Je vous demande pardon si je suis indiscret, madame, fit Vilbertin en saluant profondément, mais j'ai cru vous faire plaisir en vous apportant cette quittance.

Il tendait à sa locataire un papier soigneusement plié.

Madame Villor prit le papier et le parcourut des yeux.

--Mon loyer est payé jusqu'au premier de mai! dit-elle, toute surprise.

--Jusqu'au premier de mai, madame.

--Est-ce M. Duplessis?...

--Non, non, c'est moi... que diable! il faut faire un peu de bien si l'on veut se sauver...... C'est peu, mais c'est cela. Et plus tard..... on verra. Je ne dis rien; cela dépendra....

Il essayait de rire, le notaire; l'effort était visible.

Madame Villor, les larmes aux yeux, se confondait en remerciements. Rodolphe se joignit à elle pour féliciter le généreux notaire. Ida pensait qu'il était bien bon, ce gros homme dont on avait tant peur.

--Vous n'étiez donc pas sérieux, l'autre jour monsieur le notaire, quand vous nous menaciez de nous mettre dehors? demanda cette dernière.

Le gros Vilbertin, un peu décontenancé, répondit cependant:

--Bah! un moment d'humeur, une parole sans réflexion. J'ai comme cela des mouvements brusques, mais c'est l'écorce qui est rude. Le coeur n'est pas mauvais. Tenez, pour vous prouver que je ne déteste point mes semblables, et que je fais ma petite somme de bien comme les autres, j'ai cherché comment je pourrais venir en aide à monsieur Rodolphe que voici, votre neveu, madame, et l'objet de votre plus tendre affection, après mademoiselle votre fille, cela se comprend.

--Et puis, qu'avez-vous trouvé? demanda Rodolphe un peu sceptique?

--Aimeriez-vous à vivre à la campagne?

--Je me plais beaucoup à la campagne. La vie des champs a ses délices. C'est une vie calme comme la nature qui vous entoure. Les pensées y sont douces, les passions, tendres. On y est plus ignoré, moins envié par conséquent. On y vit de peu. Le luxe insensé des villes n'a pas encore pénétré partout. Pour celui qui n'a point trop d'ambition, qui ne recherche point les plaisirs enivrants, qui sait lire dans les oeuvres de Dieu, il y a vraiment du bonheur à demeurer loin des villes.

--Vous avez la sagesse d'un vieillard, docteur, répliqua le notaire, et vos goûts révèlent un jeune homme vertueux. Un de mes amis qui demeure à Notre-Dame-des-Anges, tout en m'annonçant, hier, la mort du médecin de l'endroit, me demanda si je ne connaissais pas quelqu'un qui pût le remplacer. La clientèle serait considérable. Je vous engage à prendre la chose en considération.

--Notre-Dame-des-Anges ou ailleurs, cela importe peu. La campagne est à peu près la même partout. Au reste, il y a, comme distraction, la pêche et la chasse. J'avoue que je suis du nombre de ces imbéciles qui se tiennent avec patience au bout d'une perche de ligne, pendant des heures entières, pour attendre qu'un innocent poisson vienne s'accrocher à l'hameçon. Ce qui fait que la chose est agréable, c'est qu'on ignore le butin que le lac ou la rivière nous réserve. L'homme est ainsi fait que rien ne l'amuse comme d'ignorer ce qui l'attend et de pouvoir espérer toujours ce qu'il n'aura jamais.

--Alors je vous conseillerais d'aller vous établir en ces lieux. Vous aurez un vaste champ pour exercer votre art et vos talents, et vous recueillerez, j'en suis sûr, une excellente moisson de dollars.

--Et tu pourras te marier bientôt, Rodolphe, ajouta madame Villor.

Le notaire fit une grimace dont personne ne comprit la signification.

--Il est bon, continua-t-il, de ne point se hâter trop en ces matières. C'est pour longtemps qu'on se marie. Je crois, du reste, qu'il est important de mettre le pain sur la planche avant d'aller chercher des marmots pour le manger.

--A Notre-Dames-des-Anges, reprit madame Villor, c'est là que demeuraient Sougraine et Elmire Audet dont la fuite, il y a vingt trois ans, fit joliment du bruit.

--J'étais jeune alors, dit le notaire, et je ne me souviens guère de cela. Est-ce que réellement cette affaire fit beaucoup de bruit?

--Beaucoup. Vous comprenez? un enlèvement et un meurtre....

--Un meurtre? êtes-vous bien sûre qu'il y eut un meurtre?

--La rumeur le disait.... Il est vrai qu'on doit ne se fier que peu à la rumeur.

--Avez-vous connu Sougraine, vous, madame Villor?

--Oui! il a passé deux ans à Lotbinière. Sa femme était d'une extrême habileté, et nulle part on n'a vu rien de joli comme les chapeaux qu'elle façonnait. Avec des écorces de frêne teintes des plus belles couleurs, elle imitait toutes les fleurs de la nature. Ils avaient deux enfants, deux petits garçons.

--Vous avez demeuré à Lotbinière, madame Villor? reprit le notaire, sans avoir l'air d'attacher d'importance à la réponse.

--Oui, monsieur; ma famille restait près du domaine. La famille Houde. Je suis la soeur de Léon Houde qui se trouvait au nombre des voyageurs surpris par les sioux dans les Montagnes Rocheuses. Pauvre Léon! il est mort des suites des blessures qu'il reçut alors.... Rodolphe est son fils.

--Vraiment! Ah! mais.... savez-vous que cela m'intéresse fort....

Votre mère vit-elle encore? monsieur Rodolphe?

--Non, elle n'a pu survivre à son malheur, reprit Rodolphe, et ma bonne tante a pris soin de moi; je suis devenu son fils....

--J'aurais bien voulu, dit madame Villor, prendre aussi la petite fille, mais je n'étais pas riche et j'ai dû conseiller à ma belle-soeur de la placer à l'hospice, avant de mourir.

--Ah! il y avait une petite fille? vous avez donc une soeur, M. Rodolphe?

--Pas du tout, monsieur le notaire, c'est une petite fille indienne que mon père avait apportée, l'enfant de son sauveur.... paraît-il....

--Mais je ne savais pas cela, moi! exclama Ida....

--Tu l'as sans doute oublié, car j'ai dû en parler devant toi, répondit madame Villor.

Trois petits coups furent alors frappés à la porte, et un beau vieillard entra. C'était le curé.

On le connaissait bien et il connaissait tout le monde, les pauvres surtout. Il prit le siége qu'on lui présentait et s'assit sans dire un mot, lui qui abondait en paroles gaies et détestait le silence en dehors de son oratoire. Il éprouvait certainement une surprise. Madame Villor, en femme d'esprit, se hâta d'ouvrir un champ à la conversation.

--C'est en vérité une bonne journée pour moi, fit-elle: la visite de mon neveu qui m'apporte toujours un rayon de joie, la visite de mon propriétaire qui me remet gracieusement le prix de mon loyer, la visite de mon curé qui, j'en suis certaine, va me dire de bonnes paroles.

Le curé se tourna vers le notaire.

--Comment, monsieur Vilbertin, vous êtes assez bon pour remettre à madame Villor le prix de son loyer.

--Jusqu'au premier de mai prochain, répondit le notaire en s'inclinant respectueusement.

--Ecoutez maintenant les rumeurs de la rue et fiez-vous donc aux gens, continua le curé! J'avais appris que madame Villor allait être mise sur le pavé et je venais lui offrir des consolations.

--Monsieur le curé, répondit l'excellente femme, si vous ne m'aidez pas à pleurer, vous m'aiderez à bénir la Providence et à remercier comme il le mérite ce bon M. Vilbertin.

--Non, ce n'est pas la peine, dit Vilbertin, l'air tout confus, ce que je fais n'est pas grand'chose.

--Monsieur le notaire, dit le curé, vous avez comme le prêtre, par votre état, de nombreux moyens de faire du bien aux malheureux.

--Oui, monsieur le curé, vous avez raison, cent fois raison, et je commence à voir le meilleur côté de ma profession, le côté qui en fait une espèce de sacerdoce.

--Monsieur le curé, dit Rodolphe, je vais peut-être aller me fixer à Notre-Dames-des-Anges.

--Notre-Dame-des-Anges, c'est dans le comté de Portneuf, sur la rivière Batiscan, ah! je connais parfaitement cette paroisse. J'ai été à la pêche maintes fois dans les lacs et les rivières d'alentour... le lac des sables, le lac Français, la rivière à Pierre, la rivière Tawachiche. La plus belle truite que j'aie prise en ma vie, ça été dans le lac Masketsy. On péchait sur un cajeu, à la mouche....Quelle belle pêche! C'est le malheureux Sougraine qui nous avait conduits. Nous sommes entrés dans sa cabane, au bord de la rivière, à deux milles de l'église. Il pêchait bien la truite, le malheureux! c'est dommage qu'il se soit mis à faire une pêche moins innocente. J'ai vu aussi cette jeune fille, Elmire Audet, dont l'enlèvement a fait tant de bruit! et Clarisse Naptanne, la femme de Sougraine, une grande et grosse micmacque, laide, sale, hargneuse, toujours la pipe à la bouche, souvent le verre à la main... Et, comme ça, tu vas aller demeurer à Notre-Dame-des-Anges?

--C'est M. Vilbertin qui me le conseille.

--Il ne faudrait pas tarder, ajouta Vilbertin, les bonnes paroisses sans médecin se font rares.

La conversation roula pendant quelque temps sur différents sujets, et le notaire, prétextant des affaires pressantes, reprit le chemin de son bureau. En s'en allant il songeait:

--Trente piastres de perdues.... pour le moment, du moins, mais plus tard, on ne sait pas. Il est bon d'obliger des gens qui peuvent devenir vos juges ou vos accusateurs.... Trente piastres... Dans tous les cas, on peut fort bien élever le prix des loyers, au printemps, et reprendre sur dix locataires ce que l'on donne à l'un deux. Vilbertin, tu n'es pas un sot.... Et puis, il faut qu'il s'éloigne mon rival.... mon rival! C'est la première fois de ma vie que je prononce ce mot menaçant.... L'absence tue l'amitié. On a beau dire, il faut se voir souvent pour s'aimer longtemps. Les amoureux sont unis par une chaîne quand ils sont près l'un de l'autre, par un fil quand ils sont éloignés. Je vais peut-être me fourrer dans un guêpier. Attention! Tout de même le bien trouve toujours sa récompense. Je viens de faire une bonne action.... et me voilà dédommagé au centuple. Tu as su des choses qui te regardent de près, mon brave Vilbertin. Qui m'aurait dit que j'avais pour locataire la soeur de Léon Houde?.... Elle me paraît avoir bonne mémoire....

Et le gros notaire, allant à pas courts et drus sur les trottoirs glissants, s'entretenait ainsi avec lui-même, parlant parfois tout haut comme pour se mieux entendre.

Le curé ne pouvait comprendre quelle grâce efficace avait touché l'avare notaire. Il admirait les voies mystérieuses que le Seigneur connaît pour aller aux âmes les plus endurcies, et trouvait un nouveau motif de publier sa bonté. Le Seigneur ne lui garda pas rancune de sa méprise.

Rodolphe se livrait aux espérances les plus douces. Il se voyait avec sa jeune amie, dans une charmante maisonnette, sous les grands arbres chargés de chants et de murmures, loin du tumulte de la ville, loin des regards jaloux. Et qui sait? plus tard il descendra peut-être, à son tour, dans l'arène politique. Mais, par exemple, jamais il ne transigera avec sa conscience. Ce n'est pas lui qui vendrait ses convictions pour les deniers de Judas. Il était trop profondément chrétien. Or les hommes d'une foi vive sont les seuls qui ne se heurtent point à ces pierres d'achoppement que la politique sème sur tous les chemins.

Il partirait dans quelques jours pour aller visiter cette paroisse où son existence allait peut-être s'écouler. Il voulait revoir Léontine, d'abord, pour lui demander conseil, et s'assurer que cette vie nouvelle au milieu de la solitude ne lui serait point trop désagréable.

Ida fut chargée de porter un billet à son amie. C'est elle qui était la messagère de leurs amours. Les rencontres des jeunes fiancés se faisaient d'ordinaire à la promenade, sur la rue St-Jean, à quatre heures de l'après-midi. La rue St-Jean, si elle pouvait parler!.... Ne craignez rien, amoureux de tous les âges, de toutes les formes, de tous les genres et de toutes les conditions, elle ne redira jamais les secrets qu'elle entend alors que vous marchez serrés l'un contre l'autre, par couples interminables, depuis la porte jusqu'à la barrière, et au delà, sous les arbres épais de la banlieue; elle ne dira jamais rien, si ce n'est au poète qui, du reste, devine tout, et au romancier qui a le droit de tout savoir.



IV


Le vieil instituteur et sa femme, assis à la porte du poèle bourdonnant, causèrent aussi de la brillante soirée de madame D'Aucheron.

--O quel étalage de luxe! disait le père Duplessis, quelle dépense! "Mais bah! Savonne bien: le savon a été pris à crédit." Voilà comment va le monde: Pendant que les uns gaspillent dans de vains plaisirs l'argent qu'ils amassent facilement, les autres mendient un morceau de pain; pendant que les uns chantent, dansent, se divertissent, les autres pleurent et grelottent près d'un foyer sans chaleur. Il est bon d'être témoin de la folie des riches, cela nous fait aimer les pauvres. Je me demande parfois, disait-il encore, ce qu'il en adviendrait de tous ces gens heureux si les déshérités de la terre n'avaient pas pour se consoler les promesses de la religion. L'esprit de révolte germerait dans les coeurs, la haine soufflerait sur le monde, l'envie relèverait sa tête de vipère, et, le moment favorable venu, toute l'armée des misérables se précipiterait sur les classes aisées. Ce serait le partage du butin après la bataille du luxe et de la vanité contre l'indigence incrédule ou impie. Cette bataille et ce partage épouvantables arriveront bientôt si les apôtres de la libre pensée continuent leur oeuvre diabolique.

--Le croirais-tu? ajouta le vieux professeur à sa femme, Madame D'Aucheron m'a refusé, pour les pauvres de la St. Vincent de Paul, les restes de son festin de Sardanapale.--Amenez-ici quelques affamés, m'a-t-elle répondu, et je leur donnerai à manger.--Comme s'il était bien aisé de transporter ainsi des gens qui n'ont pas même de vêtements pour se protéger contre le froid. N'importe, je vais lui en amener, et plus qu'elle ne voudrait.

Le renard est bien fin, mais celui qui le prend est encore plus fin.



V


Les indiens s'étaient rendus auprès des ministres. Ils voulaient de nouveau vivre en bourgade, à leur guise. Ils auraient leur conseil, régleraient leurs affaires sans l'intervention des blancs. Ils demandaient aussi une réserve assez considérable. La chose était prise en sérieuse considération.

Après l'entrevue, l'honorable Le Pêcheur avait accosté la Langue muette.

--Eh bien! as-tu agi? qu'as-tu fait?

--On n'a pas pu voir madame D'Aucheron seule; sa fille était là, l'indien ne pouvait pas lui dire de s'en aller.

--Prends garde à toi; si tu m'as trompé pour avoir de l'argent, tu ne m'échapperas pas.

--On le sait bien. Un ministre, c'est tout puissant.

--Quand retournes-tu chez monsieur D'Aucheron?

--On y va, là, tantôt.

Une heure ne s'était pas écoulée qu'il se dirigeait vers le haut de la rue St. Jean. Il pensait, la tête basse:

--Il ne faut pas que l'indien se prenne dans son piège.... Allons avec prudence et sans bruit. Le serpent qui rampe est plus à craindre que le serpent qui relève la tête.... Si le moyen ne réussissait pas comme on l'espère!... Elle est riche, elle a de puissants amis.... L'indien est pauvre et personne ne le protégera. Il sera poursuivi partout; on n'aura point pitié de lui. Quelle vie misérable il mène! Comme elle est heureuse, elle! Non, cela n'est pas juste, cela ne peut pas durer plus longtemps. Il faut qu'on ait de l'argent, que l'on vive à l'aise. Si elle ne veut pas tendre la main à l'indien son frère, elle verra ce qu'il peut faire.

Il rencontra, sans les voir, Rodolphe et Léontine qui marchaient lestement épaule contre épaule, l'air tout joyeux. Ils se vengeaient des souffrances de l'autre jour et bâtissaient avec des rayons leur château de Notre-Dame-des-Anges.

Il entra. Madame recevait, bien malgré elle cependant.

Le préambule fut court.

--Le sioux a raconté, l'autre soir, commença-t-il, une histoire qui t'a bien impressionnée, hein?

--C'est vrai. Je suis sensible, voyez-vous, très sensible, et nerveuse, oh! très nerveuse, répondit, avec assez d'assurance, madame D'Aucheron.

--Avais-tu peur que la jeune fille fût dévorée par le feu de la prairie?

Madame D'Aucheron ne répondit pas immédiatement.

--Le danger était grand, dit-elle enfin, et son lâche compagnon n'avait pas le courage de mourir avec elle,... avec elle qui avait tout trahi, tout abandonné pour le suivre.

A son tour l'indien resta muet. Après un assez long silence il reprit.

--On serait curieux de savoir où elle est cette jeune fille.

Madame D'Aucheron fit un mouvement des épaules.

--Tu ne pourrais pas le dire? recommença-t-il.

--Moi?... comment voulez-vous?... Est-ce que je l'ai connue?...

--Ecoute donc! cette jeune fille qui est ici avec toi, ce n'est pas la fille de ton mari, hein?

Madame D'Aucheron fut un peu surprise de cette question brutale. Elle crut cependant que l'indien ne voulait pas dire ce qu'il disait.... Il n'était pas familier avec la langue française. Elle répondit:

--Ni la fille de mon mari ni la mienne....

--Oh! elle doit être la tienne, affirma le sauvage.

--Vous oubliez que vous êtes chez une femme respectable et que vous n'avez pas le droit de la questionner, fit madame D'Aucheron avec dignité.

--L'Indien, va! ne connaît pas beaucoup les usages du monde.

--Eh bien! apprenez que vous faites là un vilain métier.

--L'indien peut bien te demander, il me semble, si ta fille est la fille de ton mari.

--C'est de l'insolence!

Elle se leva; Sougraine aussi. Il s'approcha d'elle.

--Voyons! dit-il, la jeune fille qui suivit Sougraine avouait qu'elle serait mère, hein?

--Vos paroles sont inconvenantes; retirez-vous.

--Elle s'est séparée de l'Abénaqui aux Montagnes Rocheuses? continua Sougraine.

--Demandez à ceux qui le savent.... Sortez, vous dis-je.

--Elle est revenue, le sioux l'a dit, et son enfant doit être quelque part, hein?

--Qu'est-ce que cela me fait?

--Si cela ne te fait rien, cela fait quelque chose à l'indien.

Et de la main il se touchait la poitrine afin qu'elle comprît bien qu'il s'agissait de lui même.

--A vous? balbutia-t-elle.

--Ah! oui... à moi.

Il tendit la main comme pour l'arrêter, car elle se retirait.

--Ne me touchez pas! dit-elle.

Elle tremblait. Elle pressentait un coup de foudre et n'osait plus parler. Elle sentait que chaque mot hâtait un fatal dénoûment.

--Je suis fatiguée, reprit-elle; je vous laisse.

--Attends donc, répliqua l'indien, on va parler de Sougraine.

Un frisson parcourut tout le corps de la jolie femme.

--De grâce, laissez-moi; vous reviendrez.

--Tu l'as connu?

Elle le regarda fixement pendant une seconde et devint blanche comme le marbre.

--Regarde bien, va! continua Sougraine, et dis si tu ne reconnais plus sous la vieillesse ridée de l'indien, la jeunesse de l'homme que tu as aimé l'autrefois?...

Madame D'Aucheron jeta un cri et tombant à genoux les mains jointes....

--Pour l'amour de Dieu, supplia-t-elle, Sougraine, ne me perdez point! ne trahissez point la femme qui fut coupable pour vous plaire! Oh! pitié! pitié!...

Sougraine la regardait d'un oeil curieux et un sourire méchant plissait le coin de sa bouche.

--Ne dites rien, mon bon Sougraine, je vous en conjure, ne dites rien à personne. On ne sait pas qui je suis, voyez-vous. J'ai changé mon nom autrefois.... Mon mari ignore tout. S'il allait savoir! Oh! de grâce! soyez bon, Sougraine, et souvenez-vous de notre amour passé.... Montrez-vous généreux; vous aurez votre récompense, oui vous l'aurez grande, je vous le promets.

--On va faire des conditions, répondit l'indien, avec un flegme désolant.

--Quelles conditions voulez-vous faire? Parlez! parlez vite, je serai généreuse. Vous verrez que je serai généreuse.

--Sougraine est pauvre et tu es riche, toi....

--Je ne suis pas aussi riche qu'on le dit; non je ne suis pas riche, mais je te donnerai de l'argent, Sougraine; oui je t'en donnerai, et tu vivras sans travailler le reste de tes jours; mais tu t'en iras, n'est-ce pas? tu iras loin, vivre tranquille... vivre heureux..... Ici, tu ne serais pas à l'abri toi-même. Tu sais, la justice veille toujours.

--Oh! oui, on le sait, mais on veille aussi. Sougraine n'est pas coupable après tout. Et puis, il n'a rien à perdre... qu'une vie de peines et de misères.

--Combien faut-il que je vous donne pour que vous partiez?

--Oh! l'on n'est pas prêt à partir. En attendant, il lui faudrait bien cent dollars.

--Cent dollars! c'est beaucoup.... comment les trouverai-je, moi?... Je vendrai des bijoux, s'il le faut.... Vous les aurez, mais, partez, allez loin.

--Partir? aller loin? Ecoute, il faut que ta fille... qui est peut-être la fille de l'indien....

Madame D'Aucheron fit un geste solennel.

--Il faut qu'elle épouse le ministre, tu sais. L'indien a promis cela,... et, tu comprends, il y tient; cela peut le sauver, et toi aussi.

--Je le désire de tout mon coeur, répondit madame D'Aucheron... mais elle aime un jeune médecin et ne veut entendre parler de nul autre.

--A toi de lui faire comprendre cela, écoute! sinon....

Il sortit, emportant un bon à compte sur les premiers cent dollars, et tout fier du succès de ses démarches.



VI


Léontine à son retour à la maison, trouva sa mère tout en pleurs.

--Que veut dire ce chagrin, bonne petite mère? demanda-t-elle, il n'y a pas longtemps je t'ai laissée tout à fait joyeuse.

--Puisqu'il faut te l'avouer, Léontine, c'est à ton sujet que je pleure.

--A mon sujet?

--Oui, c'est ta résistance à nos volontés qui va me faire mourir de chagrin....

--Ce n'est donc pas mon bonheur que vous cherchez?

--Tu serais heureuse avec l'honorable monsieur Le Pêcheur.... et quelle belle position tu occuperais dans la société!

--Je n'aime guère les grandeurs, et les jouissances intimes de la famille ont plus de charmes à mes yeux que l'éclat des fêtes mondaines.

--Il faut pourtant, ma fille, que ce mariage se fasse, oui, il le faut.....

--Mais! je ne l'aime point moi, cet homme.

--L'amour! une belle folie de jeunesse.... On se marie pour s'établir, pour avoir une position... C'est ton bonheur que je veux; tu le verras plus tard.

--Laissez-moi donc le chercher où mon coeur espère le trouver.

--Je t'en supplie, Léontine, obéis, fais le sacrifice de ta volonté et le bon Dieu te bénira; oui, mon enfant, il te bénira.

En parlant ainsi madame D'Aucheron entourait de ses bras le cou de sa fille et déposait un baiser sur son front pur.

--Pauvre enfant, continua-t-elle, tu serais bien récompensée de ton dévouement, va! tu sais: Père et mère tu honoreras afin de vivre longuement....

Léontine se sentait envahir par une poignante amertume. Les rêves d'or qu'elle venait de faire avec son cher Rodolphe, elle les voyait s'en aller comme la fumée sous le souffle de la tempête. Elle n'osait croire que l'ambition seule pût donner à sa mère une pareille ténacité. Elle devinait un mystère et craignait de le découvrir. N'y a-t-il pas des âmes nées pour souffrir? et ne suis-je pas un enfant de malheur pensait-elle? N'est-il pas de mon devoir de tout sacrifier, amour, joie, espérances, félicités, tout, tout, pour ceux qui m'ont comblée de biens depuis mon enfance?.... Pauvre Rodolphe!....

Elle s'échappa des étreintes de sa mère et se renferma dans sa chambre. Elle se jeta à genoux. Les mains jointes, les yeux levés vers le petit crucifix d'ivoire qui surmontait la tête de son lit blanc, elle implorait celui qui s'est sacrifiée pour sauver le monde. Pauvre enfant, comme elle souffrait! comme elle priait!

Madame D'Aucheron sourit quand elle vit l'affaissement de sa fille.

--Elle ne se révolte point, pensa-t-elle, c'est bon signe. Elle aura du chagrin, versera des larmes, mais finira par céder. Le chagrin passera, les larmes se dessécheront, et elle sera madame Le Pêcheur.

Monsieur D'Aucheron rentra vers le soir, la tête remplie de projets insensés. Il achetait une magnifique maison, des chevaux, des voitures. Il aurait des cochers en livrée, comme d'autres qui ne sont pas plus que lui. Il fallait éblouir les gens, faire parler de soi. On paierait avec les jobs du gouvernement. Quand on a pour gendre un ministre, on peut bien avoir sa part de la curée. Il souriait en songeant à l'étonnement des naïfs qui l'avaient vu battre la pavé jadis et qui n'avaient pas su faire leur chemin..... Vilbertin fournirait l'argent. Ce diable de notaire, il en avait bien de l'argent.... Il aurait sa part du gâteau, il entrerait dans la société. Il le savait et comptait là-dessus. Il n'avait pas une fille à jeter en pâture à une des sommités du monde politique, lui, pour en obtenir des faveurs, mais il possédait des pièces d'or et cela valait autant.

Madame D'Aucheron, qui n'était pas moins vaniteuse que son mari, approuva en tous points les projets nouveaux qu'on faisait miroiter à ses yeux, et se chargea de choisir un ameublement digne de la nouvelle demeure.

Il y a, comme cela, des gens qui ne voient jamais le revers de la médaille, et, quand ils achètent, ils n'ont pas l'air de se douter qu'il faudra payer. Ils ne veulent pas que leur plaisir soit gâté par une pensée triste.



VII


A l'heure du souper, comme on se mettait à table, le professeur Duplessis arriva avec six pauvres, des vieillards. Il entra malgré la servante qui voulait aller prendre les ordres de sa maîtresse.

--Je suis invité, dit-il, et priez madame de me pardonner si je me trouve en retard. Au reste, les premiers à la table sont les derniers à l'ouvrage.

Quand il était avec ses protégés il devenait hardi, presque gouailleur. Il puisait de l'audace dans le bien qu'il faisait.

Madame D'Aucheron se présenta, suivie de près par son mari. Elle était de bonne humeur à la perspective de la belle maison, des chevaux et des voitures qu'on allait acheter.

--Ce ne sont pas des convives brillants comme ceux de l'autre soir, que vous m'amenez-là, dit-elle en minaudant, mais enfin....

--Ce sont ceux-là que Notre Seigneur choisissait, repartit le père Duplessis.

--Nous sommes loin du temps de Notre Seigneur, continua madame D'Aucheron.

--Vous avez raison, madame, nous en sommes loin, trop loin.... c'est à vous, les riches, à nous aider à y revenir.... C'est songer à soi que de secourir les malheureux.

Elle fit passer les pauvres dans la cuisine.

--Notre Seigneur les faisait asseoir à sa table, murmura le professeur.

Il fut entendu.

D'Aucheron se frotta les mains en riant. Il était tout ragaillardi ce soir-là. Il approuva vivement:

--Pas mal donné, pas mal, mon vieux Duplessis. C'est superbe. Attrape, femme païenne!

Madame D'Aucheron répondit, en faisant une moue significative:

--Ah! bien, s'ils ne sont pas contents....

Elle acheva par un geste non moins significatif.

--Ce sont de braves gens, allez! reprit le père Duplessis.

--Braves tant que vous voudrez, croyez-vous que je vais les recevoir à ma table. Je n'ai pas déjà trop d'appétit....

--Ces pauvres en ont bien, eux, de l'appétit, je vous le jure, surtout, la vieille Marie. Une vieille qui ne fait point ses trois repas tous les jours.

--Je crois que Léontine m'a parlé de cette vieille femme. Elle vit seule?

--Toute seule dans une petite chambre mal éclairée, mal aérée, mal chauffée.... La pauvre vieille! elle est bien bonne et elle a beaucoup souffert.

--Vraiment! Il y en a tant qui ont souffert! il y en a tant qui souffrent encore!

--C'est vrai, mais celle-là plus que bien d'autres, parce qu'elle a souffert dans ses affections les plus pures: dans son mari, dans ses enfants!... Vous savez, une mère qui se voit délaissée de ses enfants, c'est cruel, allez!....

Madame D'Aucheron, qui voulait changer le sujet de la conversation, pensa à Léontine.

--Je vais appeler ma fille, dit-elle, peut-être qu'elle sera contente de voir sa vieille protégée...

Et elle courut à la chambre de la jeune fille. La porte était fermée.

--Léontine, cria-t-elle, le père Duplessis nous a amené des convives: six pauvres. Si tu aimes à les voir, descends, mon enfant. Les pauvres, tu sais, ce sont les amis du bon Dieu....

A cette dernière parole, Léontine ne put s'empêcher de sourire à travers ses larmes. Lorsqu'elles tombent de certaines lèvres les paroles les plus sacrées deviennent des plaisanteries. Mademoiselle D'Aucheron baigna dans l'eau froide son front pâle et ses yeux rougis afin de dissimuler mieux les chagrins dont elle était accablée, puis elle descendit à la salle à manger où se trouvaient ses parents et l'excellent instituteur.

--Où sont donc vos amis? M. Duplessis, demanda-t-elle, d'un air surpris.

Elle savait bien qu'ils étaient à la cuisine. Madame D'Aucheron se hâta de répondre:

--Ils sont attablés en bas. Catherine en prend soin. Ils sont bien servis.

Léontine descendit à la cuisine et prit la place de Catherine.

--C'est moi qui suis la servante des pauvres, dit-elle, laissez-moi faire.

Jamais ces déshérités de la terre ne firent un aussi bon dîner. Ils riaient, pleuraient, chantaient tour à tour ou à la fois, comme dans une orgie. L'orgie de la charité et de l'amour de Dieu. Quand ils eurent fini leur agape, Léontine les fit monter au salon, se mit au piano et trouva, pour les réjouir, des harmonies d'une suavité toute nouvelle, des chants d'une incomparable douceur. Elle était inspirée par sa profonde douleur et sa foi naïve. Les six pauvres qui l'entendaient croyaient voir la porte du paradis s'ouvrir et des vagues de mélodies célestes se précipiter vers eux.

Le professeur, monsieur et madame D'Aucheron vinrent aussi dans le salon pour être témoins des émotions de ces gens misérables à qui les délices de la terre étaient refusées.

Marie, la vieille femme, pleurait beaucoup.

--Je n'ai jamais rien entendu de si beau, disait-elle en branlant la tête, non jamais! que c'est donc beau, le ciel, puisque c'est encore plus beau que cela!

Sa voix chevrotante fit tressaillir madame D'Aucheron qui pensa:

--Je l'ai entendue quelque part.

Elle cherchait dans ses souvenirs.

--Venez souvent, fit mademoiselle D'Aucheron, venez, mère Marie. Je chanterai pour vous et pour vous je jouerai les plus belles symphonies.

--Si madame me le permet, repartit la vieille, de sa voix cassée, en regardant madame D'Aucheron, je reviendrai bien sûr; mais pas souvent peut-être, ni longtemps, car mes pieds achèvent leur course. Je me vois aller vite à la tombe. C'est aussi bon. Je n'ai plus personne qui m'aime et je suis un fardeau pour ceux qui m'entourent.

--Ne dites pas cela, mère Marie, reprit vivement Léontine, vous avez de bons amis.

--Je veux dire que je n'ai plus de famille.

--Vous avez la famille des âmes charitables, observa Duplessis, c'est la meilleure. Elle ne vous abandonnera point. Les puits dont on tire souvent de l'eau sont rarement à sec.

Madame D'Aucheron paraissait mal à l'aise. Elle aurait bien voulu dire quelque chose. Elle sentait qu'elle ne pouvait pas décemment garder plus longtemps le silence. Il faut au moins, quand on a des malheureux devant soi, ne pas leur refuser un mot de consolation.

--Je suis contente que ma fille vous ait prise sous sa protection, la mère, et je suis sûre qu'elle ne vous laissera manquer de rien. Je lui recommande chaque jour de bien s'informer de l'état de votre santé, de vous porter ces petites douceurs qui font tant de bien aux vieillards, et si elle vous oublie jamais, ce ne sera point ma faute.

Duplessis la regardait en souriant. Il savait bien qu'elle se vantait.

--Mon Dieu! que vous me rappelez une voix connue, chère Dame!

--Moi? fit madame D'Aucheron.

--Oh! oui, et plus vous parlez plus mon illusion est complète..... Il me semble entendre la voix de mon enfant, de ma fille.... Ah! la malheureuse, je l'aimais bien pourtant.....

Et la vieille femme fondit en larmes.

--Votre fille, demanda D'Aucheron, avec l'indifférence des âmes égoïstes, elle est morte?....

--Morte? peut-être... je n'en sais rien... Toute jeune encore elle a été enlevée par un sauvage... Je n'en ai plus entendu parler.

Madame D'Aucheron ne put retenir un cri. Elle faisait cependant un effort surhumain pour ne pas se trahir.

--Tiens! dit D'Aucheron, l'histoire du sioux qui revient. Puis il continua:

--Etes-vous la mère Audet, de Notre-Dame-des-Anges?

--Vous connaissez donc mes malheurs? répondit la vieille femme.

--L'affaire a fait du bruit dans le temps, paraît-il, et d'après ce que nous a raconté un sauvage de l'ouest, votre fille se serait séparée de son ravisseur, aux Montagnes Rocheuses, et serait revenue ici avec des voyageurs canadiens.

--L'on m'a dit cela, mais je ne l'ai jamais revue. Elle aurait dû savoir que le coeur d'une mère pardonne toujours; elle aurait dû venir se jeter dans mes bras. Oh! comme j'aurais été heureuse!...

Elle se mit à sangloter de nouveau.

--Chante donc, Léontine, ordonna madame D'Aucheron, pour se donner une contenance. La jeune fille répéta plusieurs romances dont les paroles s'adressaient à Rodolphe absent. Puis, pour ne pas abuser de l'extrême bonté des D'Aucheron, le père Duplessis ramena ses pauvres à leurs tristes réduits.

Alors madame D'Aucheron dit à sa fille:

--- Il vaut mieux que cette vieille ne revienne pas ici. A son âge, vois-tu, les émotions sont dangereuses. Tu lui porteras des secours à domicile. Sans compter qu'il y a plus de mérite à visiter les pauvres qu'à les faire venir chez soi.

Elle était contente d'avoir trouvé cette idée-là.



VIII


Dans les huit jours qui suivirent le bal, monsieur Le Pêcheur vint présenter ses hommages à madame et à mademoiselle D'Aucheron. Il était lustré, brossé, pimpant, jaseur. Il était confiant dans son étoile et croyait au pouvoir du sauvage.

Léontine l'accueillit froidement, mais sans le repousser tout à fait. Il en augura bien. Elle devait agir ainsi. C'était de bonne guerre que ne pas se livrer à la première sommation. La mélancolie répandue sur sa brune figure lui donnait un charme inaccoutumé. Il l'aimait mieux comme cela, avec une teinte de tristesse. C'était moins vulgaire. Il osa même faire allusion à l'époque du mariage. Elle pencha la tête comme une victime qui se résigne. Il aimait cela, la résignation chez une femme, et trouvait que c'était une belle vertu.

Il avait vu monsieur D'Aucheron auparavant, et monsieur D'Aucheron lui avait appris la grande nouvelle: l'achat d'une maison splendide, d'une voiture d'été, d'une voiture d'hiver, de deux chevaux.

--Vous comprenez, avait-il dit en clignant de l'oeil, c'est pour ma fille.

A son retour, il trouva Sougraine à sa porte, parmi les solliciteurs qui font pied de grue. Il le reçut assez mal, car il pensait n'avoir plus besoin de lui. Il s'était évidemment fait un travail dans l'esprit, sinon dans le coeur de sa future. Maintenant que l'onde avait pris son cours elle irait d'elle même et le sillon se creuserait davantage chaque jour. Il en était quitte à bon marché.

Sougraine insista et ses raisons n'étaient pas sans valeur.

--On peut défaire ce qu'on a fait, disait-il. Sois généreux envers ceux qui te font du bien. La reconnaissance est une belle chose, mais la vengeance est une plus belle chose encore.

Le ministre souriait.

--On verra, répétait-il, on verra. Tu demandes trop, tu n'es pas raisonnable. Tu reviendras quand je serai marié.

Il ouvrit la porte.

--Le mariage n'est pas fait, va! répondit Sougraine, en sortant.

--J'ai peut-être tort de le froisser, pensa le ministre. Il eut mieux valu attendre un peu.... Bah! qu'il aille au diable!



IX


Avant de venir à Québec la Longue chevelure avait parcouru plusieurs des villages échelonnés sur les bords du grand fleuve, demandant partout sa fille tant regrettée. Il avait visité le canton iroquois du Saut St. Louis, les indiens d'Oka, sur le lac des Deux Montagnes, les Abénaquis de la rivière Saint François. Nulle part il ne recueillit ces agréables rumeurs qui font naître l'espérance et soutiennent le courage. Il se rendit à Notre-Dame-des-Anges, sur la rivière Batiscan. Les gens de l'endroit se souvenaient à peine de l'enlèvement d'Elmire Audet. Le père de la jeune fille était mort; ses frères et ses soeurs travaillaient dans les fabriques américaines, et la mère, vieille et souffrante, s'était réfugiée l'on ne savait où. Quelques Abénaquis de la rivière Bécancour lui apprirent, aux Trois-Rivières, que Sougraine comptait des parents parmi eux. Il avait même laissé deux enfants, deux petits garçons, chez un de ses beaux-frères. L'un de ces enfants mourut fort jeune: l'autre était devenu quelqu'un, un monsieur, comme on dit à la campagne. Mais l'on ne savait plus où il demeurait. Quant à la jeune fugitive, personne n'avait eu connaissance de son retour. Il était, en différent temps, arrivé des voyageurs de l'Ouest, des pays d'en haut, de la Californie, mais on ne savait plus guère où les retrouver.

La Longue chevelure suivit ces indiens à la rivière Bécancour.

Les Abénaquis, dispersés parmi les blancs, songeaient à se réunir pour de nouveau vivre en tribu, comme par le passé. Ils désignèrent le chef Metsalabanlé, Thomas et plusieurs autres des plus considérables pour solliciter, auprès du gouvernement, l'autorisation de se réorganiser et d'aller demeurer sur des réserves. La Longue chevelure s'achemina vers Québec en leur compagnie. Il voulait se rendre jusqu'aux rives du Golfe St. Laurent. Il devait traverser en faisant la chasse, la chaîne des Alleghanys, visiter la Baie des Chaleurs, puis se diriger vers le sud, fuyant les neiges du Canada, pour retourner enfin sous les climats plus doux des Etats Américains.

Le hasard le conduisait: le hasard ou plutôt la Providence, cette force mystérieuse qui nous pousse à notre insu, par une voie étrange, vers un but que nous n'apercevons point.

Sougraine venait d'arriver. Il cherchait quelqu'un lui aussi.

Souvent le souvenir de ses enfants s'était réveillé dans son coeur. Les folles passions d'autrefois, devenues calmes aujourd'hui, n'avaient pas étouffé pour toujours, au temps de leur éclosion, la sollicitude paternelle. Pendant qu'il errait dans les montagnes de la Californie, se faisant tour à tour mineur et trappeur; pendant qu'il s'égarait dans les villes, au milieu des flots d'aventuriers apportés, comme des épaves, de tous les coins du monde, flânant au soleil ou dormant à l'ombre, vidant la choppe de bière dans les tavernes du sous sol, ou grugeant des bananes sous l'auvent des marchandes de fruits; pendant qu'il parcourait, demandant son pain au travail de la ferme, les vastes champs couverts de maïs d'or et les prairies vertes comme des mers profondes, il songeait au pays, aux parents, aux amis, aux enfants, à tout ce qu'il avait aimé, ce qui est la vie, l'espoir, le bonheur, et il se trouvait bien malheureux. Des larmes mouillaient ses paupières. Ses enfants surtout, ses deux petits garçons, comme il aimait se les rappeler! Il évoquait leur souvenir, et ils apparaissaient devant lui dans la fraîcheur de leur enfance, comme aux jours de jadis. Il les voyait babiller comme des oiseaux. Il s'imaginait entendre leur voix dans le murmure des ruisseaux, dans le gazouillement des feuillages. Il voyait encore étinceler leurs yeux noirs, rire leur bouche mutine.

Mais eux se souvenaient-ils de lui? Voulaient-ils s'en souvenir? Le croyaient-ils coupable ou savaient-ils son innocence? Ils avaient peut-être oublié son nom.... Oublier le nom de son père!.... Ah! comme il eût donné cher pour les voir, n'aurait-ce été qu'un instant. Comme ils devaient être changés! Ils étaient devenus des hommes. Oui, ses petits enfants qu'il laissa un jour, pour se sauver avec sa honte et son déshonneur, ils sont des hommes aujourd'hui.... Et que font-ils dans le monde où il les abandonna?... Ceux qui en ont pris soin les ont ils protégés fidèlement? Vivent-ils pauvres, découragés, misérables, ou bien, dominant la fortune par leur énergie, se sont-ils fait une bonne place au soleil?... Pauvres enfants!

Il les reverra. Après plus de vingt ans d'exil on peut bien retourner dans la patrie. La vengeance doit être satisfaite et l'expiation assez grande. Et puis, on n'a peut-être pas retrouvé le cadavre de sa femme.... Et, si on l'a retrouvé, il n'a peut-être pas été reconnu.... Qui peut l'accuser après tout, lui Sougraine, d'avoir tué sa femme?.... Il a été bon, trop bon, peut-être, et c'est ce qui l'a perdu. Il ne fallait pas retourner à St. Jean pour la chercher. On ne l'aurait pas accusé. Ses enfants auraient juré qu'il ne l'avait pas tuée. Ils ne savaient pas, eux, ce qu'il allait faire tout seul, la nuit, sur la rive où était restée leur mère.... Si, encore, il n'avait pas fait la sottise d'oublier sa corde au cou de la malheureuse....

Et puis Elmire dont le sioux l'avait cruellement séparé, qu'était-elle devenue?... Elle serait aujourd'hui sa femme légitime, et des rayons de félicité tomberaient sur leur existence. Il regrettait d'avoir obéi à cet impérieux étranger et de s'être séparé d'elle. Elle était la femme d'un autre aujourd'hui sans doute, et elle repoussait, comme une vision infâme, le souvenir de l'homme qu'elle avait un jour trop aimé... O châtiment! l'amour qui se change en haine.

Toutes ces pensées venaient souvent à l'esprit de Sougraine et ne lui laissaient guère de repos. Elles le fatiguaient, elles ébranlaient ses premières résolutions, comme le pic du travailleur ébranle et démolit le mur qu'il frappe incessamment.... Il résolut enfin de revenir chez les siens et de soulever le voile qui lui cachait tant de secrets.

Il s'aventurait donc maintenant comme fantôme dans les rues étroites de la ville, recueillant toutes les rumeurs qui passaient dans l'air, interrogeant rarement et discrètement. Il n'avait pas osé se rendre directement à Bécancour, crainte de quelque mésaventure. Metsalabanlé était peut-être encore le chef de la petite tribu qui vivait en cet endroit, et cet homme intelligent mais impitoyable lui faisait peur. Il fallait s'assurer auparavant des dispositions des frères indiens.

Il rencontra les délégués de la tribu et put se joindre à eux sans éveiller de soupçons. Il se fit appeler la Langue muette.



X


Ce fut au bal de madame D'Aucheron que la Longue chevelure apprit pour la première fois, les noms et la demeure de quelques uns des voyageurs qu'il avait jadis sauvés de la mort. Le lendemain, un habitant d'une paroisse éloignée l'emmena chez lui. Son voisin avait fait autrefois le voyage de la Californie. Il savait peut-être quelque chose. Vain espoir. Ce voyageur avait traversé les Montagnes Rocheuses deux ans après Houde et Pérusse. Ils les avait vus cependant, là-bas, et avait travaillé avec eux dans les mines. Leroyer revint à Québec. Il lui semblait, malgré tout, qu'un horizon nouveau, tout or et tout lumière, s'ouvrait devant ses yeux. Une confiance inaccoutumée remplissait son âme et il éprouvait d'étranges enivrements. Il lui tardait maintenait de voir madame Villor. S'il avait su, il n'aurait pas fait ce voyage inutile,... Peut-être aurait-il trouvé sa fille aujourd'hui....

Il peigna ses longs cheveux, mit un gros diamant à sa cravate, car il était cravaté comme un bourgeois, passa dans ses doigts des anneaux où scintillaient les plus belles pierres, s'enveloppa dans une large écharpe comme un seigneur espagnol, chaussa des mocassins de caribou, comme un coureur des bois, mais des mocassins garnis de vraies perles, enfonça sur sa tête un casque de loutre et se rendit chez Rodolphe, le jeune docteur. Il voulait s'en faire accompagner.

Rodolphe était sur le chemin de Saint Raymond.

Le professeur à l'école normale, qui ne perdait pas une occasion de faire le bien et ne souffrait pas une minute de retard dans l'exécution d'un projet, venait d'apprendre qu'on demandait un médecin en cet endroit. Saint Raymond, une belle, grande et riche paroisse, comme vous savez. Il courut chez madame Villor, qui dépêcha sa fille à Rodolphe. Il fallait faire diligence, les bonnes paroisses sont rares. Une heure après le jeune médecin était en route. Saint Raymond était bien plus avantageux que Notre-Dame-des-Anges.

La Longue chevelure pensa qu'il devait aller présenter ses hommages à madame D'Aucheron, il verrait madame Villor en revenant. Ce serait mieux, on pourrait s'attarder longtemps ici.

Quand il entra, monsieur, madame et mademoiselle D'Aucheron, assis tous trois dans le salon, en face d'un âtre flamboyant, étaient engagés dans une conversation fort animée.

Il s'agissait encore du mariage de Léontine.

--Je ne parle pas souvent, disait le chef de la famille, mais quand je parle je veux être écouté; je dois l'être. Il faut que ce mariage ait lieu prochainement. Il y va de mon honneur: j'ai engagé ma parole; il y va de ma fortune politique: l'honorable monsieur Le Pêcheur me promet une place de conseiller législatif. On dira: si jeune et déjà conseiller! Pas d'élection à subir. On se moque du peuple. C'est la couronne qui nous choisit et non pas une foule ignorante et préjugée.... Le titre d'honorable jusqu'à ce que mort s'en suive... jusqu'à la mort, je veux dire. Je deviendrai ministre. Oui Le Pêcheur me l'a dit et je le crois. Je le sais; je connais ma valeur.... Un homme qui se connaît apprend aux autres à le connaître.... Ton mari ministre, ton père ministre, ma Léontine, est-ce assez de chance comme cela?

--Et pourquoi, mon enfant, reprenait madame D'Aucheron, pourquoi serais-tu récalcitrante? ne nous dois-tu pas tout ce que tu es, tout ce que tu as?

--Exploitez-vous une industrie? demanda la jeune victime, tout-à-coup blessée, suis-je donc un objet de commerce?

--L'entends-tu? s'écria le futur conseiller législatif.

--Seigneur Dieu! fit madame D'Aucheron, la révolte dans une âme que je me suis efforcée de rendre angélique.

--Pardon, fit Léontine, je ne voulais pas oublier le respect que je vous dois.

Elle se mit à regarder jouer les flammes légères du foyer qui s'élançaient en flèches ardentes vers la cheminée; son âme aussi, dans ses brûlantes aspirations, s'élançait vers un avenir encore rempli de ténèbres.

Ce fut en ce moment que la Longue chevelure se présenta. Il s'aperçut qu'il arrivait un peu trop tôt ou un peu trop tard. Il y avait du mécontentement sur les figures, de la gêne dans les manières.

--Nous sommes heureux de vous voir, lui dit monsieur D'Aucheron.

--Ce n'est pas sûr, cela, pensa le sioux.

Quelques instants après, mademoiselle D'Aucheron, priant le visiteur d'être indulgent, lui dit qu'elle devait sortir. On l'attendait: elle était en retard déjà.

Vilbertin survint. Il parut regretter l'absence de Léontine.

Il n'était pas gêné avec D'Aucheron, le gros notaire; avec personne. Au reste, il était le plus intime ami de la maison. Il amena la causerie sur le mariage de mademoiselle D'Aucheron.

La présence du sioux ne comptait point à ses yeux....

--Ce sera un brillant mariage, dit monsieur D'Aucheron.

--Un mariage heureux, ajouta sa femme.

L'indien, surpris, questionna du regard. Il n'aurait pas osé se mêler à cette conversation.

--Elle fait bien quelques petites résistances, observa madame D'Aucheron, mais elle a trop de bon sens et elle nous aime trop pour ne pas consentir à cette splendide union.

--Ce serait un grand malheur pour moi que la rupture de ce projet, reprit le chef de la maison, en regardant La Longue chevelure.

--Je sais que dans votre société civilisée, remarqua alors le siou, il y a des mariages de convenance que l'on ne connaît pas chez nous, dans nos forêts. Vous vous mariez pour avoir de l'or, des honneurs, une position, nous nous marions pour avoir la personne que nous aimons. Vous avez souvent des chagrins intimes, nous n'en avons jamais. Il faut que le coeur aime et nulle puissance au monde ne peut l'empêcher de rechercher l'objet qu'il a choisi. S'il ne le possède pas par le mariage il le possédera malgré le mariage.

--Vous êtes naïfs, vous autres les indiens, dit en riant l'homme d'affaire, et vous placez encore l'amour parmi les choses sérieuses. Il y a longtemps que la civilisation l'a mis à sa place. C'est l'égoïsme qui prime tout, mais un égoïsme revu et corrigé: le soin de son bien-être. Vous comprenez? Ne pas souffrir. C'est moi qui ai trouvé ce mot. C'est très large et très juste. Songez-y. L'amour! c'est un passe-temps, une distraction, quelquefois une malice. C'est moi qui ai trouvé ce mot-là aussi. Il a son application.

--Mademoiselle votre fille ne me semble pas partager votre manière de voir, fit l'indien, qui se leva pour prendre congé.

--Elle est jeune, répondit D'Aucheron, et la jeunesse donne encore dans les vieilles idées, laissez-la vieillir, elle acceptera bien les nouvelles.

Vilbertin ne trouvait pas fort rassurantes les dispositions de son ami. Il se mit à parler affaires. L'achat de la maison de la Grande allée était chose faite. On ne le regrettait point. On paierait cela comme le reste, d'un coup de dé. Tous les spéculateurs ont des veines de chance; on l'attendait avec assurance, la veine, et les yeux fermés. Il y en a comme cela qui ferment les yeux pour ne pas voir leur folie.



XI



Leroyer se fit conduire rue Richelieu et monta chez madame Villor. Mademoiselle D'Aucheron venait d'entrer. Madame Villor tenait une lettre à la main et paraissait toute troublée. La Longue chevelure exposa le motif de sa visite. Il était tellement ému que sa voix tremblait comme celle d'un vieillard.

Léontine et Ida disaient:

--S'il pouvait retrouver son enfant!

A la grande surprise des jeunes filles, madame Villor balbutia, parut chercher des paroles, s'efforcer de se souvenir. Elle portait la main à son front. Ida pensait:

--Maman est-elle malade? Elle n'est pas comme de coutume.

La Longue chevelure semblait découragé.

--Qu'est-ce donc que cette lettre que tu viens de recevoir, petite mère? demanda mademoiselle Ida.

--Je ne sais pas, fit madame Villor, agitée par une émotion étrange.

--Mon Dieu! tu me fais peur, reprit la jeune fille.

--Rodolphe!... exclama Léontine, qui ne pensait qu'à son ami.... Serait-ce un malheur?

Et elle devint toute livide.

Madame Villor fit signe que non.

--Tu nous caches un secret... j'ai peur... montre cette lettre, mère. Voyons, il faut tout savoir, continua Ida.

Elle prit la lettre d'une main fiévreuse et lut vivement à haute voix.

"Malheur à vous! malheur à votre fille! malheur à Rodolphe! si jamais vous dites un mot à qui que ce soit, vous entendez bien? à qui que ce soit, au sujet de la petite fille sauvage amenée des Montagnes Rocheuses, par votre frère, il y a vingt-trois ans. On prouvera que vous avez eu votre part de l'argent...."

La figure d'Ida qui s'était colorée tout à l'heure, sous les coups de fouet du sang, devint d'une pâleur extrême à la lecture de cette dernière ligne. Ida l'avait lue tout d'un trait, sans y regarder d'avance. Elle était blessée au coeur. L'oeil de madame Villor étincelait.

--J'ai pris ma part de l'argent, dit-elle lentement, ma part de l'argent.... Mensonge! horreur!

Les deux jeunes filles se levèrent spontanément tout heureuses de cette énergique protestation. Elles savaient bien que Madame Villor était une femme d'une grande probité, et il leur était pénible de voir sa vertu subir les morsures de la calomnie. Mais si madame Villor n'avait rien à craindre de cette lâche accusation, elle pouvait bien parler. C'est ce qui vint à leur pensée. La pauvre femme comprit cela aussi.

--La jeune enfant, commença-t-elle, je l'ai... elle a....

Sa langue tout à coup embarrassée balbutia des mots incohérents.

--Qu'avez-vous donc, mère, s'écria la jeune Ida, qu'avez-vous donc?

Madame Villor venait de s'affaisser. Elle n'avait pu soutenir le choc des émotions. La surprise, la peur, le pressentiment d'une sourde persécution, la pensée de voir des malheurs inconnus tomber sur sa fille chérie, tous ces fantômes qui se précipitent, à certaines heures, dans les imaginations vives et bouleversent les tempéraments faibles, l'avaient brisée de même que l'orage brise une plante délicate, et elle gisait là comme dans une agonie cruelle. Les jeunes filles tout en pleurs crièrent au secours. Les voisins accoururent. On appela le prêtre et le médecin.

La Longue chevelure sortit désolé. Y avait-il eu un drame sur le berceau de sa fille comme sur la tombe de sa femme?



XII


Le notaire Vilbertin, de retour à son étude, se livrait aux charmes de la rêverie. L'exercice était nouveau pour lui. Il n'avait jamais songé qu'à grossir son trésor, à bien arrondir sa fortune, et cela tenait de la prose plutôt que de la poésie. C'était un travail, non une récréation. Aujourd'hui un nouveau rêve hantait son esprit. Il se sentait dominer par une mystérieuse puissance, il y avait un envahissement de tout son être par une passion étrange, et il eût voulu s'endormir dans cet enivrement des sens. Il redoutait le réveil. L'image de mademoiselle D'Aucheron passait et repassait sans cesse devant ses yeux fermés. On voit mieux sa pensée quand on ferme les yeux. On dirait qu'on regarde en dedans.

Il n'était pourtant pas sans inquiétude, le gros notaire, et plus il devenait amoureux plus il avait peur de ne pouvoir saisir l'objet de ses désirs. Le ministre était un rival formidable. D'Aucheron le laissait bien voir. Il était jeune, élégant, galant, sur la voie de la fortune, arrivé aux honneurs. Rodolphe, l'autre rival, serait moins difficile à supplanter. Il ne le redoutait guère, celui-là. Il comptait un peu sur la chance et jouait en aveugle. Il ne faudrait cependant pas tarder longtemps à se mettre sur les rangs; il ne fallait pas non plus brusquer une déclaration. N'importe le moyen, il l'aurait cette belle jeune fille. Il sentait maintenant un vide énorme dans son existence. Il ne s'était jamais vu seul comme cela. Oh! comme il l'aimerait, comme il la traiterait avec bonté! Il aurait du plaisir à satisfaire ses caprices, car elle en aurait des caprices; toutes les jeunes femmes en ont. Il ne vieillirait plus! non, il aurait tant de soin de lui-même que les années glisseraient, glisseraient sans laisser de traces sur son front.... Les rides--il était quelque peu ridé--les rides s'effaceraient sous les baisers de la jeunesse.

Il se leva. Le feu qui le mordait au coeur mettait des reflets pourpres sur sa face ronde.

--O amour! amour! soupira-t-il.

Et sa main cherchait à comprimer les battements de son coeur.

Une voiture attelée de deux chevaux fringants s'arrêta devant sa porte et une dame enveloppée de riches fourrures descendit aussitôt.

Les rêves couleur de rose du gros notaire s'envolèrent comme des oiseaux qu'épouvante un coup de foudre, et des pensées plus pratiques arrivèrent alors.

--Mon ami D'Aucheron n'a pas perdu de temps, pensa-t-il. Il donne dans le panneau comme un poisson dans le filet. La maison de la Grande allée, 15,000 dollars, l'ameublement, 5,000, cela fait 20,000; les voitures, les chevaux, les harnais, une couple de mille encore, cela fait bien 22,000 dollars. Et pour payer tout cela, il faut faite un emprunt.

Il n'eut pas le temps de piétiner davantage sur l'amitié de son intime, la visiteuse entrait.

--Comment vous portez-vous, depuis tantôt, mon cher notaire?

--A merveille, madame,... à merveille! En vérité, je vous le dis, on rajeunit; ma parole, on rajeunit.

--Que vous êtes heureux, vous!

--Et comment, belle dame, vous n'allez pas vous plaindre des rigueurs du temps, je l'espère. Vous êtes demeurée jeune, fraîche, aimable comme à dix-huit ans.

--Vous êtes trop flatteur pour être vrai. Dans tous les cas si j'ai eu du bonheur dans le passé, j'ai du chagrin aujourd'hui; oui, j'ai du chagrin.

--Vous paraissiez pourtant bien heureuse tout à l'heure... vite, contez-moi çà. Vous savez, le notaire c'est comme le confesseur.

--Je vais vous le dire mon secret. J'ai besoin d'un peu d'argent. Il me faudrait cent piastres et je ne voudrais pas les demander à mon mari. C'est une surprise que je veux lui faire.... Il faudrait garder la chose secrète, bien secrète. Je vous rendrai moi-même cette somme avant longtemps...

--Eh! juste ciel! chère madame, voilà pourquoi vous n'êtes pas heureuse, vous, parce qu'il vous faut cent dollars?

--Oh! non, il y a autre chose. Ce n'est pas un secret, du reste, et mon mari vous en a parlé il y a un instant. Il s'agit de ma fille, de Léontine. Elle est d'un entêtement ridicule. Elle s'obstine à repousser l'honorable M. Le Pêcheur. C'est vraiment décourageant. Il faudra bien qu'elle cède cependant. Je l'ai dans la tête, son père aussi. Elle s'est éprise de ce petit docteur. Heureusement qu'il va s'établir à la campagne, loin d'ici. Ils ne se verront pas souvent et finiront par s'oublier.

--C'est ce que je crois, ajouta le notaire; c'est aussi ce que j'espère. Et ce mariage avec le ministre se ferait bientôt?

--Le plus tôt possible.

--Allons, mon petit, pensa Velbertin, joue serré. Madame, ajouta-t-il tout haut, ma bourse est à votre disposition. Je ferai, pour vous être agréable, tout ce qu'il est possible à un galant homme de faire, et je serai discret par dessus le marché! mais si un jour j'ai besoin de vous, vous m'aiderez, n'est-ce pas?

--Comptez sur moi, monsieur le notaire.

Madame D'Aucheron sourit mais avec amertume.

--Savez-vous que madame Villor est bien mal, reprit-elle.

--Non? comment cela?

--Après la lecture d'une lettre, paraît-il, elle s'est évanouie, puis elle a été frappée de paralysie. Elle ne peut plus parler.

--Et que disait cette lettre?

--Cette lettre? je ne le sais pas.

--Pauvre femme! Je lui ai fait remise de son loyer... c'est peut-être la joie....

Madame D'Aucheron retourna chez elle dans son magnifique sleigh attelé de deux chevaux. Le cocher, un énorme bonnet de peau de loup sur le chef, un paletot à trois collets sur le dos, conduisait fièrement l'attelage. Il semblait né cocher, car il y en a qui naissent pour conduire comme d'autres pour être conduits. Secret du destin.



XIII


La Langue muette venait souvent chez les D'Aucheron et cela pouvait éveiller la curiosité. La curiosité éveille le soupçon, et le soupçon est le plus obstiné comme le plus sournois de tous les dénicheurs de choses louches. Il ne désirait qu'une chose: aller vivre et mourir tranquille, à l'abri de toute crainte, en quelqu'endroit éloigné. Pour arriver à ce terme heureux de sa destinée il avait besoin d'argent, et son ancienne amie lui en donnait à pleines mains. Il le fallait bien. Elle était à sa merci. Il n'avait qu'à dire un mot et tout était fini pour elle: Honneur, respect, plaisir, fortune, amour, tout! Pauvre femme! elle payait cher ses faiblesses de jadis. Elle eût voulu le charger d'or, ce monstre qui la poursuivait, le gorger de richesses, pourvu qu'il s'éloignât, pourvu qu'il disparût à jamais.... Ses nuits se passaient dans d'affreuses songeries. Le jour, elle pouvait se distraire un peu. Elle recevait ses amies, sortait pour faire admirer ses belles toilettes, et le bruit, les plaisirs l'étourdissaient un peu. Elle oubliait. La nuit, quand tout se taisait autour d'elle, les cris de sa conscience devenaient terribles. Il lui semblait que tout le monde pouvait les entendre. Mille pensées lugubres l'absorbaient. Ses amies se raconteraient son histoire. Comment trouvez-vous l'histoire de la D'Aucheron? diraient-elles, et elles éclateraient de rire. Des sueurs froides mouillaient son corps convulsivement agité. Son sommeil avait quelque chose de plus pénible encore, car elle ne pouvait point chasser les sombres visions qu'il lui apportait.

Elle remit à Sougraine les cent dollars qu'elle venait d'emprunter au notaire.

--Voyons, dit-elle, sois généreux enfin, pars, ne me condamne pas à un plus long supplice; j'en mourrai, bien sûr.

--Ecoute, tu ne veux pas dire à l'indien où est son enfant.... As-tu peur qu'il l'enlève comme il t'a enlevée autrefois?... Si c'est Léontine on la laissera ici pour qu'elle vive dans les plaisirs.... Oh! va! on l'aimera assez pour ne pas troubler son bonheur.... Avoir un enfant et ne pas pouvoir lui dire: moi, je suis ton père... et ne pas pouvoir mettre un baiser sur son front, et ne pas avoir le droit de lui demander une petite place dans son coeur! tu comprends, c'est affreux cela... Non, non, l'indien ne s'en ira pas ainsi!... Il ne dira rien, il ne fera rien, mais il ne s'en ira pas... Et puis, les deux garçons, tu sais? il faut qu'on les retrouve eux aussi....

--Je vous l'ai déjà dit, Sougraine, je ne sais pas ce qu'est devenu notre enfant. Je ne l'ai jamais vu... Nous avons pris à l'hospice des soeurs de la charité la jeune fille que vous voyez avec nous.

--Eh bien! écoute, l'indien ne partira pas, excepté si tu lui donnes encore de l'argent, beaucoup d'argent.

Le mal répugne d'abord à toute personne, quelque perverse qu'elle soit, parce qu'il est de sa nature opposé à Dieu. L'âme est faite pour Dieu et son premier mouvement doit être pour le bien. La lutte s'engage bientôt à cause de notre liberté d'action. Nous succombons souvent parce que nous écoutons nos sens, et c'est par eux que nous sommes vaincus. Les considérations supérieures de l'esprit ne valent pas, aux yeux de la foule grossière, les ivresses de la chair.

L'on cherche naturellement à se débarrasser de l'ennemi qui nous persécute. Madame D'Aucheron songeait à se défaire de Sougraine et se mettait l'esprit à la torture pour trouver le moyen d'y arriver. Elle n'aurait pas voulu commettre un crime, mais elle ne pouvait cependant pas supporter toujours cet affreux état de chose.



XIV


Rodolphe s'en revenait tout joyeux de St. Raymond. Sur la côte élevée qui domine le village, au sud, il s'arrêta pour embrasser d'un coup d'oeil les jolies maisons groupées dans la vallée, sur le bord de la rivière. Le clocher de l'Eglise étincelait au soleil et cent colonnes de fumée montaient en ondoyant dans le ciel d'azur.

--Léontine aimera bien ce poétique endroit, pensa-t-il; comme nous serons heureux ici!

Le cheval se mit au trot sur le chemin de neige qui serpentait comme un ruban d'argent à travers les montagnes bleues, et les grelots éveillés tintèrent joyeusement dans la vaste solitude des Laurentides, comme des chants d'oiseaux quand le printemps fleurit.

--Ce bon M. Duplessis, pensait encore Rodolphe, il me rend véritablement heureux. Je n'aurais pas songé à venir planter ma tente dans cette ravissante oasis. Mon vieux Québec je ne te regretterai guère. Le rêve de mon enfance va donc se réaliser: une retraite paisible sous les bois, une chaumière sur le bord d'un ruisseau, une femme adorée près de moi.

Il lui tardait de voir Léontine pour lui dire comme ils auraient du bonheur là-bas.... Et sa bonne tante et sa charmante cousine, il pourrait sans doute leur trouver un petit coin dans son nouveau paradis.

Il entra dans la ville qu'il trouva bien sombre et fit arrêter la voiture à la porte de madame Villor. Il monta. Sa cousine vint ouvrir. Il l'embrassa, couvrant d'un frimas léger ses lèvres roses.

--Ma tante? dit-il, ou est ma tante? Bonne nouvelle, va, cousine, bonne nouvelle.

--Triste nouvelle, cousin répondit-elle, et elle se mit à pleurer.

Rodolphe fut saisi de crainte.... Il devina.

--Ma tante est malade, Ida? Ma tante est malade? Dis, parle....

--Bien malade, mon cher Rodolphe.

Et elle le conduisit au lit de sa mère.

La pauvre malade eut un redoublement d'angoisses à la vue de son neveu, et des larmes remplirent ses grands yeux souffrants.

--La paralysie, fit le jeune médecin en branlant la tête.

Ida n'osait parler.

--Dis-moi tout, cousine, dis-moi comment cela est survenu; il faut que je le sache.... Il est plus facile de guérir une maladie quand l'on en connaît les causes.

Ida lui raconta comment l'accident était arrivé, car c'était bien comme un accident, cette maladie subite.

Rodolphe ne pouvait revenir de son étonnement. D'où partait le coup? Qui avait intérêt à cacher l'existence de cette enfant sauvage? Il devait y avoir une question d'argent au fond de cela. On trouverait sans doute en cherchant un peu. Il ne manquait pas de gens qui se souvenaient de son père, à lui, et de la petite fille toute jeune qu'il avait amenée de la Californie. Pour lui, il ne se souvenait de rien. Si sa tante pouvait parler! Il faudra bien qu'elle parle....

Le jeune médecin fit appel à toutes ses connaissances. Il commençait à livrer une guerre sans merci au mal qui tuait sa tante.



XV


Les D'Aucheron étaient venus habiter leur maison nouvelle de la Grande Allée; les visiteurs affluaient. Duplessis disait avec un peu de malice en voyant la splendide demeure: Quand on taille dans le cuir des autres on peut faire large courroie. L'Honorable monsieur Le Pêcheur ne manqua pas une si belle occasion d'aller visiter ce qu'il croyait être sa future propriété. D'Aucheron l'avait dit, c'était pour Léontine. Or, ce qui était pour elle était pour lui, n'est-ce pas? puisqu'elle allait devenir sa femme.

--Je suis née pour le malheur, pensait Léontine, inutile de chercher à fuir ma destinée, je serai malheureuse.

Elle devenait fataliste. Il n'y a pas de destinée absolument nécessaire. S'il y en avait une il n'y aurait point de liberté, par conséquent point de responsabilité; donc ni bien, ni mal. Il y a une destinée que l'on est libre de suivre ou de ne pas suivre. On est poussé vers cette destinée, mais on peut résister; on est sollicité, mais l'on discute les motifs.

Son amour pour Rodolphe ne faisait que grandir devant les obstacles, mais sa raison aussi parlait plus haut, et son coeur saignait à la pensée de causer une peine mortelle à des personnes dont l'affection pour elle avait été si profonde. A l'aspect de la douleur de sa mère, elle se sentait ébranlée dans ses résolutions et trouvait naturel le sacrifice de sa personne.

Voici comment, presque tout à coup, elle en était venue à cet état d'abnégation ou d'anéantissement moral.

Elle avait remarqué les visites fréquentes de la Langue muette et le trouble que la présence de cet étranger jetait dans l'esprit de sa mère adoptive. Sans chercher des mystères que sa naïve innocence ne soupçonnait point, elle voyait bien qu'il y avait quelque chose d'insolite dans cette obstination du sauvage à revenir sans cesse dans une maison où on le connaissait à peine. Elle ne songeait pas à scruter ce secret, et elle serait demeurée indifférente à ce qui se passait autour d'elle, si le hasard, ce terrible instrument de la providence qui y voit plus clair que nous, n'était venu lui montrer un abîme où pouvaient rouler, d'une minute à l'autre, les personnes qui lui tenaient lieu de père et de mère.

De retour de sa promenade, se rendant à sa chambre, elle passa devant la salle à manger dont la porte était fermée. Une voix suppliante frappa son oreille. C'était la voix de sa mère.

--Je t'en supplie, disait-elle, ne trahis point notre secret. Va-t-en pour ne plus jamais revenir....

Etonnée, elle s'arrêta instinctivement.

--L'indien veut encore de l'argent, dit une autre voix, une voix d'homme.

--Je n'en ai plus: je ne trouve plus personne qui veuille m'en prêter.

--Je resterai.

--Sougraine, je t'en conjure, ne me perds point.... Au nom de notre ancien amour! Pour le bonheur de notre fille!....

--Notre fille! hein! que dis-tu?..... Notre fille! Léontine est la fille de Sougraine?.... de Sougraine? Sa fille? oh! dis, c'est bien vrai?

--C'est vrai... mais sauve-la! sauve-nous...

Un flot de sang monta à la figure de Léontine. Elle crut qu'elle allait mourir. Elle s'appuya sur le mur, tenant son front dans ses mains crispées comme pour en arracher une pensée affreuse, puis elles se traîna jusqu'à sa chambre et tomba au pied de son crucifix. La prière, c'est le seul refuge efficace des vraies douleurs.

Sougraine! Sougraine! ce nom qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours tintait comme un glas funèbre à ses oreilles!

Sougraine! Sougraine! c'était le chant de mort de ses amours et de ses espérances!

Sougraine! Sougraine! Toujours il revenait ce nom fatal, et rien, rien ne pouvait le chasser. Il se liait au nom de sa mère.... ils devenaient inséparables, ces deux noms, comme deux serpents qui s'entrelacent et mêlent leurs orbes dans l'amour ou la haine....

Elle demeura longtemps au pied de la croix, dans un inexprimable abattement et ne parut pas au souper. Sa mère, fort agitée elle même, remarqua peu son absence. Cependant elle était plus gaie que d'ordinaire et elle s'applaudissait de l'heureuse idée qu'elle avait eue. M. D'Aucheron n'avait pas seul le monopole des idées heureuses. Pourquoi n'avoir pas pensé à cela plus tôt? Que de persécutions et de soucis elle se serait exemptés!... Sougraine aurait été son esclave au lieu de se faire son tyran! Il ne lui demanderait plus d'argent, maintenant, pour garder l'horrible secret. Il ne voudrait jamais rien faire qui pût troubler la douce quiétude de son enfant.... Son enfant!

Léontine venait de prendre aux pieds du Christ l'héroïque résolution de s'offrir en victime pour le salut de sa mère. Elle avait besoin du secours de la Foi pour ne pas faiblir. Ce qui l'effrayait surtout, c'était la pensée que Rodolphe, atteint dans ses affections les plus pures, déçu dans ses plus chères espérances, finirait peut-être par la mépriser. Il ne saurait pas, lui, les motifs impérieux et sacrés qui la faisaient agir; il ne les saurait jamais. Elle en mourrait probablement. On meurt de chagrin; les peines de l'âme minent et détruisent le corps. On dit: une maladie de langueur emporte cette jeune fille, cette jeune femme; oui, mais cette langueur est née de quelque grande douleur.

Les personnes énergiques n'aiment point les atermoiements et vont droit au but; l'incertitude les irrite; elles veulent des situations claires et bien dessinées. Pas de tergiversations! Aussi, Léontine se rendit immédiatement chez son amie, pour lui apprendre la pénible décision qu'elle avait prise tout à coup et lui demander de la soutenir dans le combat terrible qu'elle se livrait à elle même. Ce serait pour Ida un triste devoir à remplir. L'amitié en a souvent. Elle était si bonne, Ida, qu'elle ne s'arrêterait pas une minute à la pensée qu'on pouvait vendre son amour ou le sacrifier à des motifs de vanités. Elle soupçonnerait une raison, sans jamais deviner le terrible secret.

Ida fut péniblement affectée de la résolution de son amie. Elle en fut presque choquée. Mais quand elle vit pleurer la malheureuse jeune fille elle se laissa attendrir et se mit à pleurer elle-même.

Rodolphe, qui ne laissait guère sa tante malade, arriva sur les entrefaites. Il crut que les jeunes filles pleuraient à cause de la maladie de madame Villor et s'efforça de les consoler en leur disant qu'il y avait du mieux, un mieux sensible.

--O ma Léontine, fit-il, que nous serons heureux là-bas, dans le nid que nous allons construire, sous les bois, comme les oiseaux!... St. Raymond est une charmante paroisse. C'est en été qu'il fera bon d'y séjourner. De la verdure à foison, des arbres superbes, deux rivières qui luttent de limpidité et font au village une ceinture gracieuse, des côtes d'une hauteur prodigieuse et d'où les yeux plongent en des horizons d'or et d'azur!

Léontine, pâle, la douleur peinte sur la figure, le regardait à travers ses larmes et ne disait rien.

--Rodolphe, dit Ida, c'est un rêve que tu fais là... ce n'est qu'un rêve.

Léontine se cacha le visage dans ses deux mains et fit entendre un sanglot.

--Un rêve que je fais? reprit Rodolphe, un rêve qui va se réaliser, n'est-ce pas, Léontine?

Il avait peur de la réponse, malgré son air d'assurance.

Mademoiselle D'Aucheron branla la tête lentement à deux reprises et ne répondit point. C'était une réponse que ce silence, une réponse douloureuse que le jeune homme ne comprit que trop.

--Comment, vous trompez ainsi mes plus chères espérances, s'écria-t-il? vous ne m'aimez donc plus?....

--Rodolphe, je vous aime plus que jamais, Dieu m'en est témoin... et pourtant il faut que nous nous oubliions....

--Moi, vous oublier?..... Les femmes qui se vantent de leur tendresse infinie et de leur éternelle fidélité peuvent, dans l'espace d'un jour, mentir à leurs serments, oublier leur amour, mais les hommes ne sont pas ainsi, dit Rodolphe avec amertume.

--Rodolphe, je vous en supplie, fit Léontine, joignant les mains et regardant son fiancé avec l'expression de la plus affreuse douleur, ne me jugez pas, vous me jugeriez mal! ayez pitié de moi, je suis la plus infortunée des femmes! ne me méprisez point, je ne suis point coupable!

--Alors expliquez votre conduite et faites-moi connaître au moins le pouvoir occulte auquel vous obéissez.

--Impossible. Le secret qui me lie n'est pas le mien et je n'ai pas le droit de le révéler.... Ce serait un crime. Dieu seul peut le dévoiler. Rodolphe, il est un homme qui saura tout parce que cet homme prend la place de Dieu, c'est le prêtre. Je lui dirai tout; je lui ouvrirai mon coeur; il y verra tout l'amour que j'ai pour vous, toutes les angoisses qui me torturent. Il vous dira ensuite si je suis digne de mépris ou de pitié.....

Rodolphe réfléchit un instant puis il reprit d'une voix grave et brisée.....

--Léontine, ce que vous faites doit être bien, malgré le mal que j'en ressens. Vous m'aimez et vous me sacrifiez à un devoir plus saint que l'amour, que Dieu soutienne votre courage. Je serais indigne de vous si je ne respectais point votre secret ou si je suspectais vos motifs.

--Rodolphe, je n'ai plus qu'un espoir...... mourir bientôt......

Quand mademoiselle D'Aucheron fut sortie, Rodolphe et sa cousine, profondément attristés, cherchèrent longtemps, mais en vain, qu'elle pouvait être la cause de cette détermination subite.

--O mes beaux rêves! ô mes doux espoirs! ô félicités divinement entrevues!... adieu! adieu! dit à la fin le jeune docteur, et son front resta longtemps appuyé sur sa main. Un souffle avait passé et l'édifice de sa félicité n'était plus qu'une ruine.



XVI


Madame D'Aucheron, certaine maintenant que son ancien amant ne la trahirait point, se livrait à des accès de folle gaîté, riait, se moquait de la peur qu'elle avait eue, s'apostrophait à cause de sa sottise. Elle voulait se dédommager de ses angoisses. Elle s'attendait si peu à ce retour de la fortune. Les bonheurs vont deux par deux comme les malheurs. Quel allait être l'autre? Elle ne tarda pas à le savoir et faillit, dans sa joie inopinée, gâter sa délicieuse quiétude par une parole imprudente. Elle était dans son boudoir, voluptueusement enfoncée dans une berceuse de velours, rappelant avec délice les amertumes qu'elle avait bues, quand sa fille entra, se mit à genoux devant elle, l'entoura de ses deux bras et, l'embrassant avec une fiévreuse ardeur, lui dit:

--Mère, je n'apporte plus de résistance à tes volontés; je suis ton enfant soumise.

Madame D'Aucheron était sa véritable mère, il fallait donc qu'elle fût sa véritable fille. C'est ce qu'elle pensait. L'amour filial qui se réveillait tout à coup au fond de son coeur la transformait et lui donnait une grande force pour supporter les afflictions. On ne dit jamais au calice: Passe loin de moi! quand, en le vidant jusqu'à la lie, on peut arracher à la douleur le coeur d'une mère.

Madame D'Aucheron ne se mit pas en peine de savoir d'où venait un pareil changement dans les dispositions de sa fille. Elle crut y voir le travail de la vanité. Elle ne connaissait guère d'autre mobile aux actions, la pauvre femme.

--Chère enfant, dit-elle, comme tu me fais plaisir!... comme ton père va t'aimer! comme monsieur le ministre, ton futur mari, éprouvera de joie et de reconnaissance! Tu seras une grande dame. La femme de l'honorable monsieur Le Pêcheur! Il y en a qui ne trouvent point ce nom-là de leur goût, mais cela sonne bien; surtout avec le titre d'honorable. Tu vas faire des jalouses, ma petite, tu es bien heureuse. Et moi, quand je dirai: ma fille, madame la ministresse... Il m'en passe des frissons.... J'ai de l'orgueil, vois-tu. Une mère est toujours orgueilleuse de ses enfants.... C'est comme si tu étais ma propre file..... Je t'aime autant.....

Léontine, la tête appuyée sur sa mère, était navrée par l'émotion. Elle se releva subitement, à cette dernière parole, et son regard interrogea madame D'Aucheron qui ne comprit pas.

--Ma mère rougit de moi, pensa-t-elle, et j'irais dire à un homme: prends moi pour ta femme, je suis digne de toi!... jamais! oh! jamais! La honte de ma naissance sera le châtiment de celui qui m'achète.....

Elle alla plus tard, comme elle l'avait dit, épancher son coeur dans le sein de son directeur. Elle avait besoin de s'appuyer sur quelqu'un pour marcher dans cette voie douloureuse où elle venait d'entrer. L'étonnement du prêtre fut grand; grande aussi fut son admiration pour le dévouement sublime de l'enfant. Cependant il ne trouva pas qu'il y avait lieu de se hâter d'accomplir le sacrifice. On pouvait temporiser. Le danger ne semblait pas imminent. Que d'incidents pouvaient surgir et modifier la situation. Puis il fallait toujours espérer en Dieu, même contre toute espérance. C'est quand les hommes de bonne foi ont perdu leur voie et se sont égarés dans des ténèbres les plus profondes, que la Providence fait rayonner son étoile pour diriger leur pas.

Léontine revint consolée, fortifiée, et comme bercée par l'espérance d'une mystérieuse protection.



XVII


Les jours passaient.

Sougraine était content. S'il ne pouvait sans danger chercher ses deux garçons il pouvait, au moins, voir sa fille. Il pourrait un jour se faire connaître à elle, car par sa position elle le protégerait.... Elle allait se marier avec un homme puissant!... Quelle chance! Après tout, son affaire n'aurait pas si mal tourné.... Il entra dans un hôtel et but un peu sec. Il fallait saluer la bonne fortune. Quand il sortit il rencontra Leroyer.

--Viens prendre un verre de vin, lui dit-il, la Langue muette a la joie au coeur, et puis il a de l'argent.

Il montra un rouleau de billets de banque.

La Longue chevelure le regarda tout surpris.

--Je ne te croyais pas si riche, Langue muette, lui dit-il....

--Riche et heureux!... On n'a pas dit le dernier mot.

La Langue muette, grisé par le vin, par la satisfaction d'avoir extorqué une bonne poignée de dollars et le bonheur d'avoir retrouvé, dans une position fort honorable, un enfant qu'il n'avait jamais connu, s'abandonnait aux délices du moment. De taciturne qu'il avait été il devenait jovial, de méfiant il se faisait expansif. La Longue chevelure suivait avec une certaine curiosité les phases de son ivresse. L'homme qui boit perd tout contrôle sur lui-même et devient indiscret. Il ne voit plus les choses telles qu'elles sont, mais transformées de mille façons selon les caprices de son imagination ou l'humeur de son caractère. Il se croit plus fort et plus roué que tous les hommes ensemble et ne craint plus de les provoquer. Il se vante et ne souffre pas qu'on le mette en parallèle avec d'autres. Ce qu'il fait, nul ne le ferait mieux, ce qu'il ne fait pas, on aurait tort de le tenter. Il trahit souvent ceux qui ont mis en lui leur confiance et il se trahit lui-même.

--Mon frère La Langue muette a peut-être assez bu, observa La Longue chevelure.

--La Langue muette peut boire encore et garder toujours la prudence du serpent, répondit Sougraine. Il n'a que des amis, et des amis puissants.

--Il est bon d'avoir des amis, surtout de savoir les garder, répliqua La Longue chevelure.

--L'amitié de la Langue muette est recherchée comme un trésor et sa puissance est grande, répondit avec ostentation, l'Abénaqui.

Il ouvrait la porte aux confidences. La Longue chevelure profita de l'occasion.

--Ton influence et ton amitié sont bien payées si j'en juge par ce que je vois, dit-il.

--La Langue muette n'a qu'à parler et l'or tombe dans ses mains comme une pluie. La Langue muette a ses secrets. Il tient dans ses mains la destinée de plusieurs. Mais il ne parlera pas.

--La Langue muette n'était ni si riche, ni si puissant il y a quelques jours, alors qu'il me demandait quelques misérables écus pour faire le voyage de Québec à Bécancour.

--La Longue chevelure était bien pauvre la veille du jour où il trouva des diamants bruts dans les Montagnes-Noires....

--Qui t'a dit cela? Langue muette.

--La Longue chevelure, lui-même, à Los Angeles.

Le sioux s'approcha de l'Abénaqui et le regarda fixement dans les yeux.

L'Abénaqui perdait contenance. Il s'apercevait tout à coup qu'il n'avait pas eu la prudence du serpent.

--Tu as bien vieilli depuis vingt-ans, Sougraine, mais tu n'as pas acquis la sagesse. Je t'ai dit que tu buvais trop....

Sougraine fut un instant abasourdi.

--Si la Longue chevelure a reconnu Sougraine, qu'il ne le trahisse point, supplia-t-il.

--La Longue chevelure n'est pas un traître!... mais d'où te vient tant d'argent et tant de gaieté?...

--Sougraine a retrouvé un enfant.... Tu sais? l'enfant de la jeune canadienne qui le suivit aux Montagnes Rocheuses.... C'est une fille. Tu l'as vue, tu la connais. Elle est belle, elle est riche, elle va épouser un ministre, monsieur Le Pêcheur.

--Que dis-tu là, Langue muette? Mademoiselle Léontine est ton enfant?... Tu ne te moques pas de moi?... Mais comment sais-tu cela?...

--Voilà ce que la Langue muette aura la sagesse de taire.

Un éclair traversa l'esprit du siou; c'était un souvenir limpide de certains incidents de la soirée de madame D'Aucheron.

--Sougraine, sois prudent. Je te quitte, mais pour te revoir bientôt.

Il voulait avoir le coeur net de cette affaire mystérieuse, le beau siou, et il se rendit chez madame D'Aucheron. Le Pêcheur prenait justement congé des dames. Elles se tenaient debout près de la porte où s'engouffrait un petit vent froid qui les faisait frissonner sous leur châles de laine.

--Au revoir, ma charmante amie, disait-il à Léontine. A bientôt, pour ne plus jamais vous quitter.

--Tu y vas un peu vite, toi, pensa le siou. C'est la fille de Sougraine. Eh bien! nous allons voir; c'est une partie à deux....

Il entra.

Tout en causant il envisageait madame D'Aucheron qui, sous son regard perçant, rougissait comme une jeune fille. Elle ne soupçonnait plus aucun danger. Elle croyait que l'heure redoutable était passée. En cherchant un peu on trouve toujours, sous l'empreinte de l'âge, quelques traces de la jeunesse. Le voile épais que les années étendent sur nos fronts devient transparent et nous apercevons tout à coup les traits que nous avions oubliés.

La Longue chevelure se dit à part lui:

--C'est bien elle.

Il profita des paroles qu'il avait entendues en arrivant, pour amener la conversation sur le mariage de mademoiselle Léontine, et, malgré les protestations de madame D'Aucheron, il n'eut pas de peine à comprendre le rôle de victime de la pauvre enfant. Son coeur n'était pas là. Elle ne l'avait pas repris. Elle savait peut-être le triste secret de sa mère, et s'offrait en expiation.



XVIII


Léontine se rendit chez le vieil instituteur, afin de se faire accompagner de l'excellente madame Duplessis, dans sa visite aux pauvres du quartier.

--Savez-vous une chose, lui dit le bonhomme, ne vous mariez pas maintenant, bien qu'il faille manger le poisson frais et marier les filles jeunes. Attendez après les élections. On ne sait pas ce qui arrivera. Il peut être battu ce ministre de contrebande, et s'il tombe ça sera pour longtemps. Ces hommes-là n'ont pas deux chances en leur vie. C'est déjà trop d'une. Les gouvernements sont établis par Dieu, mais les gouvernants appartiennent souvent au diable. Vous me pardonnerez ma franchise si je parle ainsi de celui dont vous porterez peut-être le nom. Je sais que l'on vous offre en holocauste. Il va éprouver une rude contestation. Quand il ne sera ni ministre, ni député, il ne sera plus rien du tout, alors je ne crois pas qu'on s'obstine à vous le faire épouser. La mort des loups est le salut des brebis.

Le Pêcheur, lui, voulait épouser le plus tôt possible en prévision d'un échec. Avec une fortune on flotte toujours sur la mer politique.... D'Aucheron opinait aussi pour un mariage immédiat. Sa réputation d'homme d'affaire était intacte, et sa fortune, énorme dans l'imagination de tout le monde. Comment faire une alliance brillante quand les prétendants, au lieu d'une dot princière, n'auraient à recueillir que des titres inutiles et des comptes en souffrance?

Lorsque Léontine revint à la maison elle vit un rassemblement au coin de la côte Ste Geneviève et de la rue D'Aiguillon. Elle fut un peu effrayée parce que l'on y parlait fort. C'était un grand gaillard, à l'air intelligent, qui s'escrimait de la langue et des poings. Il était mécontent, indigné, furieux. On l'écoutait avec curiosité; plusieurs même l'applaudissaient....

--Oui, disait-il, on m'a jeté sur le pavé avec ma famille, sous prétexte d'économie, moi un vieux serviteur, un serviteur fidèle.... Que puis-je faire maintenant pour donner du pain à mes enfants? Vais-je, à l'âge de cinquante ans, apprendre un métier ou défricher une terre? Ah! l'on n'a plus besoin de moi!... Monsieur Le Pêcheur peut se dispenser de mes services. A nous deux, monsieur Le Pêcheur. Vous n'êtes pas encore élu.

--Savez-vous, demanda quelqu'un, l'heureux mortel qui vous remplace?

--Est-ce que je suis remplacé?... ce serait trop canaille par exemple....

--Tu n'as pas vu papillonner une jolie femme autour de l'honorable ministre? demanda un petit vieillard, d'un air narquois.

--Eh bien! ensuite? Cela ne veut rien dire. Les femmes papillonnent un peu partout....

--Où il y a de la lumière et quelque chose à butiner, ajouta quelqu'un.

--Et elles se brûlent les ailes, cria un autre.

Léontine, qui marchait toujours, n'en entendit pas plus long. Elle eut une pensée de mépris pour monsieur Le Pêcheur, et, comme elle s'était quelque peu habituée à l'idée qu'il serait son mari, elle ne put se défendre d'une légère atteinte de jalousie.



XIX


D'Aucheron jouait à la bourse. Il spéculait, achetant et vendant par l'intermédiaire d'un courtier, sans rien en posséder jamais, des actions de toutes les compagnies: compagnies de chemins de fer, de bateaux à vapeur, de canaux, de mines, et comme tous les spéculateurs, il s'éveillait quelquefois au chant de la hausse et souvent au gémissement de la baisse. Vilbertin lui prêtait les fonds et touchait les meilleurs bénéfices. Ce jeu de bascule avait des enivrements indicibles. Ceux qui risquent, sur le caprice des cartes, l'argent dont ils semblent embarrassés, peuvent avoir un aperçu du délire de ces grands joueurs aux millions, quand la partie s'engage à cent endroit divers et contre mille joueurs différents. Il y a, comme aux cartes, des trucs formidables, des coups d'une hardiesse folle, des succès inespérés, des pertes inouïes. Les lutteurs sont aux aguets; ils écoutent toutes les rumeurs, pèsent toutes les probabilités, questionnent continuellement les sentinelles qui se tiennent à l'affût. Le télégraphe parle partout à la fois à ces terribles hommes de proie, et chaque minute peut apporter un nouveau malheur ou une chance nouvelle....

D'Aucheron venait d'entrer chez le notaire. Il était très pâle, très énervé.

--Mauvaises nouvelles, dit-il. Les actions de la compagnie minière ont encore baissé tout à coup d'une façon désolante.... Elles sont descendues à cinquante-sept.

--Le notaire eut envie de sourire, mais il s'observa.

--C'est le temps d'acheter, répondit-il.

--Oui, mais il faut payer... j'en ai acheté trois cents sur marge, il y a un mois, à soixante-sept; c'est une perte énorme.

--C'est un peu lourd, en effet, dit le notaire.

--Il faut que je paie, cependant; j'attendrai ensuite que la hausse revienne; cela ne peut pas durer longtemps.

--J'espère que non, fit le notaire.

--Tu as été bien inspiré, toi, de ne pas acheter; tu croyais cependant qu'il n'y avait pas de danger.

--Je risquais ailleurs pendant ce temps-là....

--Vas-tu me fournir l'argent dont j'ai besoin?

--Je t'avoue que tu me mets un peu dans l'embarras.

--Il y va de mon honneur, tu sais, Vilbertin, ne va pas me lâcher....

--Veux-tu faire une belle spéculation? demanda le notaire.

--Je ne guette que l'occasion... et je trouve qu'elle tarde beaucoup....

--Cette fois, tu n'as pas de baisse à craindre; c'est un coup d'as... la plus belle affaire de ta vie....

--Comment se fait-il que tu ne la gardes pas pour toi, cette affaire, si elle est si bonne?

--J'y ai de grands intérêts.

--Vraiment? Alors, parle.

--Assieds-toi, là; écoute bien: j'ai envie de me remarier.

--C'est une idée.

--Très drôle, je l'avoue.

--Je croyais que tu avais fait voeu d'éternel veuvage.

--Oui, mais c'est la vertu personnifiée que j'adore en secret....

--A la bonne heure! Et c'est en secret que tu l'aimes?

--Oui, tu es le premier à qui je le dis.

--Sait-elle au moins, cette vertu, que tu existes et que tu peux devenir son protecteur légal?

--Elle ne le sait pas, mais tu vas te charger de le lui apprendre.

--Moi? est-ce que je la connais?

--Oh! parfaitement, c'est mademoiselle Léontine, ta fille. Quand je dis: ta fille....

D'Aucheron fit un bond.

--Tu plaisantes, dit-il... tu sais bien qu'elle est promise à Le Pêcheur, et que le mariage doit avoir lieu prochainement.

--Un mariage, c'est facile à rompre cela, surtout quand il n'est pas fait. Voyons, songes-y, la chose en vaut la peine. Je mets, dans la corbeille de noces, la maison que tu viens d'acheter avec mon argent et d'autres bagatelles encore.

D'Aucheron était ahuri. Les dollars se livraient devant ses yeux à une danse macabre des plus étourdissantes. C'était un tourbillon de pièces blanches qui sonnaient un carillon d'enfer en se heurtant dans leurs élans insensés. Une objection jeta du froid dans son imagination.

--Les dons que tu feras à ma fille, dit-il, te reviendront avec elle. Le risque n'est pas fort de ton côté....

--Tu n'auras toujours pas à les payer, toi, et c'est bien quelque chose, ce me semble.

--C'est à dire que je serai gros Jean comme ci-devant.

--Tu seras toujours mieux que maintenant, puisque d'un signe je puis décréter ta ruine....

D'Aucheron courba la tête.

--Je suis tombé dans un piège, pensa-t-il, cet ami-là est mon plus redoutable ennemi.

Il dit tout haut et d'un ton indécis:

--Je songerai à cela; j'y songerai.

--Je songerai, moi aussi, à la demande que tu m'as faite tout à l'heure, riposta Vilbertin.

--Voilà l'argument par excellence, pensa D'Aucheron; évidemment, je vais en sortir--si j'en sors--joliment déchiqueté.

Puis, il dit:

--Il faut toujours bien que je parle de cela à ma femme. Je prévois une opposition sérieuse.

--Ta femme sera plus accommodante que tu ne le supposes... tu peux m'en croire.

Il pouvait la compromettre. Une femme qui emprunte de l'argent à l'insu de son mari n'aime guère à rendre ses comptes. C'est ce que pensait le notaire Vilbertin.

Quand D'Aucheron fut sorti, il se frotta les mains avec une satisfaction évidente:

--Je l'aurai, se dit-il, en ricanant, je l'aurai! Et son gros ventre sautait, sautait si bien que tout son coeur semblait y être descendu.

D'Aucheron grommelait en marchant. Il voyait bien qu'il pouvait retirer quelque bénéfice du mariage de Vilbertin avec Léontine, mais il était un peu tard pour songer à cette union. La spéculation serait peut-être meilleure qu'avec monsieur Le Pêcheur. S'il avait parlé plus tôt, lui, le notaire, on aurait pu s'entendre et monter une excellente affaire. Il s'était mis dans un beau pétrin avec ses emprunts inconsidérés et ses spéculations hasardeuses. Et, qu'allait dire le ministre, le fiancé tant adulé? Que deviendraient ses contrats avec le gouvernement et toutes ces intéressantes annexes qu'on appelle le tour du bâton?...

Il sentait des chaleurs lui monter au visage et trouvait le vent tiède. Il se faisait une lutte terrible en son âme et cette lutte le fatiguait. Il ne pouvait pas résister au notaire, il le sentait bien, puisqu'il le ruinerait sur le champ. Ruiné, pourrait-il encore offrir sa fille à l'honorable monsieur Le Pêcheur et le ministre voudrait-il l'épouser? Mais qu'allait dire Léontine de ce changement à vue dans les sentiments et les calculs de son père? Se résignerait-elle encore? Ne finirait-elle point par se révolter et par traiter comme ils le mériteraient les caprices de ses bons parents. Pour lui, il comprenait bien son devoir; il n'y avait plus à balancer....

Il arriva chez lui sans avoir vu, sur sa route, nombre de ses connaissances qui le saluèrent. Seulement comme il mettait le pied sur le seuil de sa maison, il aperçut, à quelques pas, deux ministres qui lui firent des signes amicaux. Il était trop tard pour entrer; il dut subir leurs compliments.

--Nos félicitations, monsieur D'Aucheron, lui dirent-ils, en lui tendant la main. Il n'est bruit dans la ville que du prochain mariage de notre collègue avec mademoiselle votre fille....

--Ce n'est qu'une rumeur, répondit D'Aucheron embarrassé; les rumeurs ne sont pas toujours vraies.

--Oh! monsieur Le Pêcheur lui-même vient de confirmer l'heureuse nouvelle. Il est chanceux. Une jeune personne d'une beauté remarquable et d'une vertu plus remarquable encore, dit-on... et puis, ce qui ne gâte rien, une petite part des écus du papa.

Ils se mirent à rire.

D'Aucheron rongeait son frein: une colère sourde bouillonnait au fond de son coeur.

--Le mariage n'est pas du tout décidé, je vous le jure, répliqua-t-il. Vous savez, il faut toujours un peu consulter le goût et les sentiments de ces chères petites créatures... et parfois elles ont des caprices, toutes bonnes et toutes vertueuses qu'elles soient.

--En tout cas, présentez à la future nos hommages respectueux et nos voeux les plus sincères pour son bonheur.

--Je n'y manquerai pas, dit D'Aucheron en ouvrant la porte.

--Madame D'Aucheron est-elle sortie, demanda-t-il à la servante?

--Elle est dans sa chambre, monsieur, lui fut-il répondu.

Il monta. Madame D'Aucheron remarqua son air un peu singulier.

Il entra sans préambule dans le coeur du sujet.

--Tiens-tu beaucoup au mariage de Léontine avec monsieur Le Pêcheur?

--Pourquoi cette question? tu le sais bien que j'y tiens. Tu t'es donné bien du mal pour nous faire comprendre que cette alliance nous sauvait pour toujours, nous élevait au-dessus des autres, et je l'ai compris, et Léontine a fini par le comprendre aussi. Il me tarde qu'il soit accompli, ce mariage.

--Il ne s'accomplira pas cependant.

--Ce n'est pas sérieusement que tu parles?

--Très sérieusement.

--D'où vient ce changement d'idées? As-tu ton bon sens, mon mari?

--Nous sommes à la merci d'un excellent ami qui joue avec nous comme le chat avec la souris. Il faut en passer par ses volontés.

--Quel peut être ce tyran?

--C'est mon ami le notaire Vilbertin.

--Vilbertin? A-t-il quelque chose contre monsieur Le Pêcheur? A-t-il songé qu'en se vengeant de lui, c'est nous qu'il allait atteindre? Ce n'est pas possible qu'il nous fasse tant de mal, lui un ami cent fois éprouvé, non ce n'est pas possible.

--Ce n'est pas possible, si tu veux, mais c'est comme cela.

--Et pourquoi agit-il de la sorte? quelle raison donne-t-il?...

--C'est tout simplement une substitution qu'il veut faire...

--Une substitution? qu'est-ce que cela veut dire?

--Cela veut dire que Léontine aura toujours un épouseur quand même.

--Un épouseur? qui? Un autre ministre?...

--Non, pas un ministre...

--Un député au moins?

--Pas un député, non plus...

--Mon Dieu! mon Dieu! où s'en vont mes rêves?

Elle poussa un long soupir, puis elle demanda d'une voix inquiète:

--Est-il riche, au moins?

--Riche, veuf, assez jeune encore...

Elle poussa un autre soupir, un soupir de satisfaction, cette fois.

Elle avait pensé voir s'écrouler sa magnifique demeure, disparaître ses équipages, ses toilettes, toutes les délices de sa vanité. Cependant une ombre traversa cette lueur: le spectre de Sougraine. Si l'Indien allait tenir pour le ministre? Ils sont entêtés ces sauvages. Il ne voudrait pourtant pas troubler le repos de celle qu'il croyait être sa fille.

Madame D'Aucheron était très agitée; elle se sentait menacée de nouveau. Ça ne finirait donc jamais cette alternative de quiétude et de terreur? Elle regrettait bien d'avoir adopté cette enfant. C'est à cause d'elle qu'elle se voyait en butte à tous ces ennuis, à cause d'elle qu'un passé coupable se dressait tout à coup. Faites du bien maintenant, voilà la récompense. Elle avait presque envie de la haïr, cette jeune fille qui troublait sa sécurité et faisait sourdre des remords éteints.

--Enfin, reprit-elle, avec l'accent du dépit, où est-il cet homme qu'il faut accepter à la place de l'honorable monsieur Le Pêcheur?

--Tu ne le divines point? cela m'étonne.

--Ce n'est toujours pas le notaire Vilbertin.

--C'est là ton erreur: c'est précisément le gros, le rond, mais le riche notaire.....

--Le notaire Vilbertin! exclama madame D'Aucheron! Va-t-il se montrer généreux au moins?

--Comme tous les avares qui sont mordus au coeur par l'amour. Il fera des folies sublimes.... Et si nous sommes intraitables, il nous ruinera complètement.

Ils firent demander Léontine. La jeune fille, qui cherchait dans la musique un adoucissement à ses douleurs, fit, en se levant, glisser ses doigts agiles sur le clavier et les gammes s'élancèrent comme des fusées d'harmonie. Elle entra dans la chambre de ses parents adoptifs et attendit, debout, ce qu'on lui voulait.

--La nouvelle que j'ai à t'apprendre, mon enfant, commença madame D'Aucheron, va te surprendre un peu, beaucoup même, mais elle ne te causera pas de peine, j'en suis sûre.

--Parlez, mère.

--Ma fille, tu n'épouseras pas monsieur Le Pêcheur.

--Vraiment! fit Léontine en joignant les mains, que vous êtes bons, chers parents! Que je suis heureuse.

Les D'Aucheron sentirent qu'ils n'étaient pas si bons que cela. La joie naïve de leur fille leur fit mal. Ils se regardèrent un moment sans rien dire... A la fin, comme il valait mieux en finir tout de suite, D'Aucheron ajouta:

--Il se présente un autre parti,.... un homme riche, très riche même, et jeune encore. Il t'aime à la folie.... c'est un notaire.... Une profession très digne, le notariat. Il va te faire une corbeille de noces splendide..... et il m'aidera à sortir de mes embarras financiers..... Il vaut autant l'avouer, j'ai des embarras financiers. Tout le monde en a.

Léontine avait pâli et sa tête s'était inclinée sur sa poitrine. Elle ne répondit pas.

--Tu comprends, continua D'Aucheron, je ne te donnerais pas à un homme qui ne serait point honorable, bien posé dans le monde. Je tiens à ce que tu vives en grande dame. Vilbertin est mon ami d'enfance.....

--Vilbertin! s'écria Léontine, le notaire Vilbertin! Consommons vite le sacrifice, ô mon Dieu! car l'autre prétendant qui suivrait serait peut-être pire encore.

Son désespoir s'armait d'ironie.

--N'est-ce pas que tu vas te montrer soumise... comme toujours, mon enfant? murmura madame D'Aucheron, avec l'accent de la prière....

--Ne suis-je pas votre chose?.... vendez-moi donc au plus haut enchérisseur, répliqua Léontine en les regardant avec fierté.

Les D'Aucheron furent étonnés de cette sanglante réplique et courbèrent le front, à leur tour, sous le regard étincelant de la jeune fille.

--Vilbertin te rendra heureuse; il me l'a bien promis, reprit D'Aucheron, et, tu sais, ces gens là--il allait dire les avares--quand ils aiment, c'est une fureur, une folie.....

--Enfin, décidez de moi comme il vous plaira; répliqua Léontine, vous me trouverez toujours soumise.

Elle songeait maintenant au secret de sa mère et cela lui donnait l'esprit d'abnégation. Elle se retira. Quand elle fut sortie, monsieur D'Aucheron dit à sa femme.

--Ça n'a pas été, après tout, aussi malaisé que nous le supposions.

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