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L'art de faire le vin avec les raisins secs

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The Project Gutenberg eBook of L'art de faire le vin avec les raisins secs

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Title: L'art de faire le vin avec les raisins secs

Author: J.-F. Audibert

Release date: March 27, 2013 [eBook #42421]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
produced from images available at The Internet Archive)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ART DE FAIRE LE VIN AVEC LES RAISINS SECS ***

L’ART
DE
F A I R E   L E   V I N
AVEC LES
RAISINS SECS

L’ART

DE

FAIRE LE VIN

AVEC LES

RAISINS SECS

PAR

J.-F. AUDIBERT

Créateur et Promoteur en France de cette Industrie

7 fois Médaillé

Chevalier de l’ordre Royal du Sauveur (Grèce),
de l’Ordre Impérial du Medjidié,
Médaillé par M. le Ministre de l’Agriculture,
Ex-Candidat à la Chaire de Viticulture à l’Institut National
Agronomique,
Fondateur, Directeur et Rédacteur en chef
du Journal de l’Agriculture
l’Echo Universel,
Membre de l’Académie Nationale Agricole, etc.
———
12me ÉDITION

Complètement revue, corrigée et considérablement augmentée
renfermant,
avec les innovations faites depuis les premières éditions,
tous les renseignements et documents nécessaires
à cette fabrication,
les Circulaires Ministérielles, de la Régie, les Expériences
célèbres, divers tableaux synoptiques,
des planches et des figures.
————
MARSEILLE
L’ECHO UNIVERSEL, journal d’Agriculture, éditeur
53, Rue des Minimes, 53

1886


ECHO UNIVERSEL

IVme ANNÉE

———

SON BUT

Se rendre intéressant auprès de tous et par tous les moyens possibles, tel est le mobile qui fait agir constamment l’Echo Universel. Ce journal de 12 pages de texte attrayant d’un bout à l’autre, s’occupe de Viticulture, de Commerce, d’Industrie, de Finances, mais surtout d’Agriculture.

CEUX QUE L’ECHO UNIVERSEL INTÉRESSE

L’Echo Universel s’adresse à tous: aux Viticulteurs, Agriculteurs, Commerçants, Industriels et à toutes les personnes qui ont besoin, pour leurs achats, de conseils et de renseignements. Chaque numéro contient des petits cours pratiques pour les vins, le pain, les conserves, etc., etc. En un mot, les mille et une choses nécessaires de la vie sont consignées dans cette intéressante publication. POUR TOUS CEUX QUI TOUCHENT A L’AGRICULTURE, CE JOURNAL EST INDISPENSABLE.

L’Echo Universel est le principal organe de la lutte contre le Phylloxéra, le Mildew et autres maladies de la vigne. Chaque numéro contient: Les nouvelles de tous les vignobles, les prix de vente des produits de l’agriculture, les prix-courants commerciaux, les résumés de toutes les découvertes, recettes et innovations vinicoles et industrielles parues dans tous les pays du monde.

RÉDACTION

La Rédaction de l’Echo Universel se compose d’écrivains les plus pratiques et les plus populaires. Pour l’étranger, un service spécial de correspondance a été organisé dans tous les pays de l’Union postale, afin de justifier le titre de ce journal et de donner la primeur des nouvelles offrant un véritable intérêt. Le nom seul de son Directeur et Rédacteur en chef, M. J.-F. AUDIBERT, dispense de tout commentaire.

PRIX DE L’ABONNEMENT, BÉNÉFICES QU’IL PROCURE

Le prix de l’abonnement est insignifiant: 6 fr. par an pour la France et 8 fr. pour l’Etranger. Les abonnements partent du 1er janvier et 1er août de chaque année. Tout nouvel abonné reçoit les numéros parus depuis cette époque jusqu’au jour de l’abonnement. Cette somme minime est encore remboursée par des cadeaux-primes, graines, etc., utiles aux agriculteurs et pouvant rendre 100 francs à l’année.

Cette année, l’Administration s’engage à acheter le produit des graines.

Sur demande, des numéros spécimens, seront expédiés franco.

BUREAUX: à Marseille, 53, rue des Minimes, Direction principale où doivent être adressées demandes, correspondances, abonnements, etc., pour éviter tout retard.

BUREAUX: à Paris, 25, quai des Grands-Augustins.

J.-F. AUDIBERT
J.-F. AUDIBERT

A LA MÉMOIRE DE FRANÇOIS AUDIBERT MON NOBLE ET VÉNÉRÉ PÈRE SOURCE DE TOUTES MES CONNAISSANCES

VIENT DE PARAITRE DU MÊME AUTEUR Pour faire suite au présent ouvrage et sur les demandes pressantes des lecteurs des éditions antérieures L’ART DE FAIRE LES VINS D’IMITATION Madère, Malaga, etc., Vermouth, Bitter, Sirops, Infusions, Liqueurs avec les vins de raisins secs et autres Renfermant toutes les recettes complètes, détaillées simplement, et nécessaire à tout fabricant, négociant, propriétaire distillateur, vigneron, ainsi que tous les renseignements et documents nécessaires pour ces fabrications, avec planches et figures. PRIX: franco, 5 fr. 25 LES RAISINS SECS LEUR MONOGRAPHIE ET CELLE DE LEUR INDUSTRIE PRIX: franco, 1 fr. 75 LA VIGNE SAUVÉE Cause des Maladies de la Vigne, Phylloxéra, Mildew, etc. Cet ouvrage contient avec, un grand nombre de gravures, reproductions photographiques prises sur nature, la description complète de cet insecte, ses ravages, le moyen de le détruire ne coûtant rien ni comme achat, ni comme application, la description DE TOUTES LES MALADIES DE LA VIGNE et les moyens de les combattre. PRIX: 3 fr. 50; franco, 3 fr. 90 LE SORGHO SUCRÉ HATIF DU MINNESOTA OU 600 FRANCS DE REVENUS CERTAINS A L’HECTARE PRIX: franco, 1 fr. 75 EN VENTE A Marseille aux Bureaux de l’ECHO UNIVERSEL d’agriculture 53, Rue des Minimes, 53 ET CHEZ TOUS LES LIBRAIRES

AVANT-PROPOS

De la Première Edition parue en 1880

Afin de rendre le jugement de mes lecteurs moins sévère à mon égard en parcourant ce traité, il est essentiel que je leur apprenne à la suite de quelles circonstances il a été fait.

Nul moins que moi ne songeait à devenir auteur.

Au mois de septembre 1879, M. le Ministre de la Justice, ne suivant pas en cela les traces de ses devanciers qui s’y étaient opposés, (l’honorable M. Dufaure entr’autres) lançait la circulaire considérant les vins de raisins secs comme une falsification.

Il m’incombait à moi, le créateur et promoteur en France de cette industrie, d’y répondre. Je le fis par la voie des journaux. Mes réponses eurent un immense retentissement; et dans la plupart des lettres, trop élogieuses, qui m’arrivèrent de toutes parts, aussi bien de France que de l’étranger, se trouvait émis le même vœu. «Donnez un ouvrage, écrivez un traité pour justifier la fabrication de ce vin, que la science, l’hygiène et la nécessité conseillent, en attendant que les faits, plus puissants que les mesquines coalitions d’intérêt privé, proclament l’excellence et l’impérieux besoin de cette boisson.»

Près de douze cents lettres de ce genre m’arrivèrent dans les huit jours qui suivirent ma première réponse à M. le Ministre.

Devant cette demande spontanée, je considérai comme une obligation d’y accéder, malgré la tâche écrasante dont j’allais assumer la responsabilité. Les encouragements ne me firent pas défaut, et fort de la sympathie dont m’entouraient nos plus illustres savants contemporains, tous prêts à me soutenir si je faiblissais et à appuyer ma modeste œuvre de solides et indestructibles travaux, j’annonçai dans la plupart des organes vinicoles l’apparition de mon traité.

Que de fois n’ai-je pas été sur le point de renoncer à ce travail, en envisageant les difficultés sans nombre que j’avais à franchir! Que de fois n’ai-je pas rejeté ma plume en songeant à ma témérité!

J’écrivais, moi humble et inconnu fabricant, un traité sur les vins après Chaptal, Gay-Lussac, le Comte Odart, Pasteur, Dumas, Maumené, etc., tous immortels par leurs travaux gigantesques, auprès desquels les miens font songer à l’audace de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, du bon Lafontaine.

Ici, je dois un hommage sincère et éclatant à ces savants aussi modestes qu’illustres. Tous ont encouragé mes efforts et m’ont permis de puiser à pleines mains dans leur profonde science dont ils ont accumulé les fruits, avec tant de labeur et surtout tant de persévérance dans leurs ouvrages.

Que ne m’est-il permis de graver ici en lettres d’or, dans un même élan de reconnaissance, les noms de: MM. Reboul, Maumené, Dumas, de la Souchêre, Pasteur, Derbès, et de tous ceux qui m’ont encouragé et soutenu dans mes premiers pas.

C’est plein de confiance dans l’amitié et la sympathie de mes lecteurs, que je n’hésite pas à me présenter devant eux.

Cet ouvrage a pour devise l’épigraphe que M. le Comte Odart avait placée sur la première page de ses œuvres publiées en 1837: «Point de préceptes, beaucoup d’exemples; de la simplicité des moyens la perfection des résultats.»

Dans ce but on trouvera réunies dans le cours de ce livre, toutes les innovations pratiques que j’ai pu recueillir à l’appui des assertions que j’avance; de plus, j’ai groupé sous forme d’appendice, à la fin de ce traité, les circulaires et documents sur lesquels s’appuie la fabrication des vins de raisins secs.

L’assurance de mes bonnes intentions me fera-t-elle trouver grâce devant mes chers lecteurs? C’est le vœu que j’ose exprimer, et je serais heureux, si des idées que j’ai semées dans cet ouvrage d’une forme parfois heurtée, pouvait résulter l’utilité que j’ai eu en vue en l’entreprenant.

Ces idées sont de deux sortes: les premières tendent à vulgariser la fabrication des vins de raisins secs en indiquant les moyens que j’ai reconnus les plus simples et les plus pratiques pendant ma carrière de fabricant; les secondes, à populariser les doctrines scientifiques, autour desquelles on ne saurait faire trop de lumière, surtout pour les questions d’alimentation qui sont d’un si haut intérêt pour toutes les classes de la société.

Marseille, le 31 décembre 1879.

J.-F. AUDIBERT.

A MES LECTEURS

Quelques mois se sont à peine écoulés que mes prédictions se sont accomplies au-delà de toute espérance. Le vin de raisins secs, ainsi que toutes les grandes innovations de notre siècle, a eu à subir les épreuves les plus rudes dont il devait forcément sortir victorieux. Vainement on a tenté en haut lieu de lui opposer une infranchissable barrière au moyen d’une circulaire ministérielle. Je me suis constitué son champion, j’ai protesté énergiquement, soit par des conférences publiques, soit par des lettres publiées par la voie des journaux et adressées à MM. les Ministres et à MM. les Députés. Je défendais mon œuvre, mon enfant, en un mot, et ai dépensé là, toute l’énergie dont je pouvais être capable. Enfin, nous avons triomphé. Je dis nous avons triomphé, car le vin de raisins secs et moi avions lié d’une façon indissoluble notre destinée.

Aujourd’hui, le commerce en est libre. Par une circulaire en date du 26 avril 1880; M. Audibert, directeur général des Contributions indirectes, sur les instigations de M. le Ministre de la Justice, les rapports de la société d’Hygiène, de M. Reboul, doyen de la Faculté des Sciences, à Marseille, etc., a rapporté de la première circulaire parue en septembre 1879, tout ce qui entravait la libre circulation et le commerce des vins de raisins secs.

Je rends ici un juste hommage à MM. les Ministres de la Justice et des Finances, à ces hommes éclairés, qui, mus par le seul désir d’être utiles à leur pays, n’ont pas hésité de rétracter ce qu’ils avaient cru devoir faire pour le bien du peuple, et de reconnaître qu’ils s’étaient trompés. De pareilles rétractations, loin de diminuer le prestige des gouvernants, aux yeux des administrés, ne font que le relever et les faire aimer davantage. Les despotes seuls ne rétractent jamais.

Dans cette nouvelle édition, vous trouverez de nombreuses rectifications. Toutes les innovations que j’ai faites depuis deux ans y ont été consignées avec soins. De plus et par suite de ma correspondance avec un grand nombre d’entre vous, j’ai pu supprimer ce qui m’a paru inutile, et ajouter tout ce que j’ai jugé nécessaire. En un mot, je n’ai eu qu’un mobile, mes chers lecteurs, celui de vous rendre plus facile la tâche de la fabrication du vin.

Je voudrais pouvoir vous remercier aussi d’une façon toute particulière du succès que vous m’avez fait et des éloges beaucoup trop flatteurs que vous m’avez prodigués de toutes parts, onze éditions de 5000 volumes chacune, ont été épuisées en six ans. Je ne m’attendais pas à rencontrer dans le public une telle faveur. Mais ce qui a rendu mon étonnement plus grand encore, c’est de voir que tous les pays du monde, aujourd’hui, voulant le livre d’Audibert, fabriquent du vin de raisins secs. J’aurai peut-être ainsi permis de boire du vin à bon marché à des contrées qui jamais n’auraient pu jouir de ce bienfait. L’Amérique du Nord et du Sud, l’Ile de la Réunion, la Chine, les Iles de l’Océanie, l’Afrique centrale!!![1] etc., fabriquent et boivent du vin de raisins secs.

Le but unique que j’avais poursuivi, était de rendre service à la France. Il m’a été donné de voir se généraliser mon œuvre. C’est ma seule satisfaction, ma plus belle récompense; je me trompe, car ce à quoi surtout j’aspire de toute la force de mon âme, c’est à l’estime de mes concitoyens.

Marseille, le 25 février 1886.

J.-F. AUDIBERT.

L’ART
DE
FAIRE LE VIN

CHAPITRE I

Pourquoi le Vin de Raisins Secs?

C’était après la guerre de 1870-71, à la suite de nos malheurs; une clameur immense s’éleva du Midi de la France comme un triste écho des provinces si éprouvées du Nord. Le phylloxéra avait anéanti les vignobles du riche département de Vaucluse. Après la garance, invendable, le vin manquait complètement. A ce moment un appel impérieux fut fait à la science par le gouvernement, que la voix publique fit sortir de sa torpeur. Le terrible insecte, après avoir ravagé un département tout entier, s’avançait lentement et menaçait du même sort les départements limitrophes. On constatait déjà sa présence en de nombreux endroits des départements des Bouches-du-Rhône, du Gard, des Hautes et des Basses-Alpes.

Dans l’espoir de vaincre ce nouvel ennemi de la vigne, aussi facilement que l’oïdium, des promesses extraordinaires d’argent, de titres honorifiques, etc., furent faites par le Gouvernement et les Sociétés Savantes, à l’heureux innovateur qui trouverait le moyen de l’arrêter sinon de l’anéantir.

Le département de l’Hérault, seul, offrait un million de récompense. L’appât d’une pareille fortune devait forcément tenter bien des intelligences; de là ces nombreux soi-disant moyens de détruire le phylloxéra que les journaux enregistrèrent pendant plusieurs années avec fracas presque tous les jours.

Tous les sulfates, les phosphates et les carbonates y passèrent: hélas! les résultats nous les connaissons malheureusement tous trop bien. La plupart de ces remèdes détruisent certainement le phylloxéra; mais que de vignes sont mortes, de l’essai qu’on a fait sur elles, de tous ces véritables poisons anti-phylloxériques.

Des premiers, peut-être, je me suis occupé de cette importante question. Habitant le département des Bouches-du-Rhône et ma famille y ayant des propriétés, j’ai, pour ainsi dire, suivi la marche du fléau pas à pas[2].

Moi aussi je crus, après avoir essayé sur nos vignes tous les moyens connus, moi aussi, dis-je, j’eus un moment l’illusion d’être arrivé à une solution. C’était par ma méthode de l’inoculation des vignes, c’est-à-dire la vaccination. Ma découverte fit le tour de la presse, j’eus de fervents disciples, et l’honneur de voir discuter mon idée dans les Académies de Sciences.

Voici du reste en quoi consistait mon procédé et sur quel raisonnement il reposait: les véritables agriculteurs me comprendront tout de suite.

Etant donné que les racines d’une vigne de 3 à 5 ans sont à un mètre de profondeur au moins, la chevelure et les radicelles sont éloignées d’autant du tronc; pour atteindre le phylloxéra, il faut arriver jusque là, car c’est généralement par le bas qu’il tue les ceps.

Or, si le remède est énergique, il en faut peu, afin de ne pas tuer la vigne; mais alors l’éloignement dans lequel se trouve l’insecte le met à l’abri; tandis que si l’on en met beaucoup pour l’atteindre on tue la vigne.

Voilà, en peu de mots, le cercle vicieux dans lequel tourne la science. Je voulus en sortir et atteindre le but par un moyen diamétralement opposé: «Pourquoi, me dis-je, au lieu de chercher à tuer directement le phylloxéra, ne donnerions-nous pas à la vigne elle-même, la force de l’éloigner ou même de le tuer?»

Je cherchai un agent que le règne végétal acceptât et que le règne animal rejetât. J’avais trouvé: le sulfate de fer. Pour faire mon opération je l’employais ainsi:

Après en avoir saturé de l’eau, je faisais, au moment du mouvement de la sève, un trou dans le tronc de la vigne; j’y versais un peu de cette eau et je rebouchais avec du mastic de l’Homme le Fort. La blessure se cicatrisait et la sève entraînait avec elle, jusque dans les plus petites radicelles, du sulfate de fer dont l’odeur seule devrait suffire à faire disparaître le phylloxéra, ou à l’empoisonner s’il eût persisté à se nourrir de cette sève.[3]

Mon moyen fut expérimenté dans de nombreuses propriétés; les rapports arrivèrent, comme pour les autres procédés employés, tantôt favorables, tantôt défavorables. Voyant que les savants ne s’y arrêtaient pas et que peut-être le résultat en serait le même que celui de nombreux moyens déjà connus et employés, je l’abandonnai; et, pour moi, le problème devint celui-ci:

Que boira-t-on en France dans 10 ans si le phylloxéra ne trouve point un adversaire assez puissant pour le détruire?

Je cherchai et trouvai le vin de raisins secs. Depuis quelque temps déjà la distillerie clandestine s’en servait pour obtenir de l’alcool de vin, mais la boisson obtenue par ce procédé sommaire ne constituait pas encore le vin proprement dit. Je dirigeai alors mes recherches de ce côté et je créai à Marseille la première fabrique de vin avec les raisins secs. Ce fut un évènement. A cette époque, les tribunaux avaient déjà été quelquefois appelés à statuer sur les falsifications des vins par des colorants artificiels. Quelques jugements rendus et bruyamment publiés dans les journaux avaient tellement mis en émoi l’opinion publique que le Gouvernement, à l’annonce d’une fabrique de vin, s’était presque refusé à en accorder l’autorisation.

J’adressai un rapport à MM. les Ministres des finances et de l’agriculture, dans lequel j’exposais sommairement ma fabrication et mon but et j’obtins enfin, après trois mois d’attente, cette autorisation si désirée. Le parquet, le conseil d’hygiène, etc., avaient été mis au courant de ce qui se passait.

Un an plus tard les fabriques de vin de raisins secs se chiffraient par centaines en France. Aujourd’hui le vin de raisins secs est populaire. Mes concitoyens m’ont bien vengé des attaques injustes dont j’ai été l’objet.

Dans cet ouvrage, je me suis efforcé, suivant les traces de mes illustres devanciers et maîtres: Chaptal, Thénard, Gay-Lussac, Pasteur, Dumas, Maumené, etc., de grouper le plus simplement possible, mes observations et le résultat de mes expériences, persuadé que les choses dites le plus simplement sont les meilleures. Ce ne sont point des belles phrases que le lecteur doit espérer y trouver; ma seule ambition est d’arriver à populariser encore davantage dans notre beau pays, cette boisson économique et hygiénique qui permettra de boire du véritable vin à bien des gens que la modicité de leurs ressources en empêchait jusqu’à présent.

Avec mon ouvrage, je procure aux viticulteurs atteints par le phylloxéra ou les maladies les moyens de se refaire une nouvelle récolte; enfin, aux négociants et aux commerçants, je démontre de quelle utilité est pour eux ce vin avec lequel on peut imiter tous les vins étrangers[4] au point de ne pouvoir reconnaître le vrai du faux. Atteindrai-je ce but? C’est mon plus cher désir; puisse cet ouvrage m’aider dans cette ambition.

CHAPITRE II

Quels sont les meilleurs Raisins et à quoi les reconnaît-on?

En général, pour faire du vin, tous les raisins secs sont bons; mais, ainsi que pour presque tous les produits obtenus par l’homme, la qualité dépend d’abord du choix des matières premières les plus favorables et les plus propices, et de leur plus ou moins intelligente manipulation.

Les raisins secs les plus employés pour la fabrication des boissons à cause de leur abondance, et partant de leur prix minime, sont:

Les Corinthe;

Les Thyra;

Les Samos;

Les Vourla, etc.

Corinthe.—Comme leur nom l’indique, les raisins de Corinthe nous viennent directement de la fameuse presqu’île péloponésienne. La récolte de ces fruits, généralement abondante, donne lieu dans ce pays à un commerce considérable. Il est inutile que j’entre dans les détails de la dessication qui intéresseraient fort peu le lecteur; cependant, d’une manière sommaire, à titre de renseignement, je dirai plus loin comment on l’obtient.

Les Raisins de Corinthe sont les plus petits de tous; ils n’ont pas de pépins et sont débarrassés du bois de la grappe, ce qui rend leur emploi des plus agréables. Les grains secs sont à peine de la grosseur d’un gros pois; leur propreté est remarquable et surpasse celle des fruits de la Turquie d’Asie (j’en donnerai plus loin la raison); ils nous arrivent dans des caisses et le plus souvent dans des sacs de 80 à 130 kil. Ils y sont tellement entassés et pressés que, confondus les uns dans les autres, ils ne forment plus qu’un seul et même bloc; c’est du reste ainsi que sont expédiés des pays de production tous les raisins secs.

A mon avis, c’est la qualité qui convient le mieux à la fabrication. Le vin une fois obtenu, leurs grappes ont divers emplois qui feront l’objet d’un chapitre spécial.

Répondant à la demande d’un grand nombre de mes lecteurs qui ne veulent avoir aucun des soucis occasionnés par le choix des raisins de Corinthe, je me suis rendu propriétaire, seul concessionnaire autorisé par le Gouvernement Grec, de la première des grandes marques: Le roi de Grèce. Les sacs en sont plombés, estampillés et la qualité maintenant est garantie extra premier, de premier choix, sans jamais plus craindre d’être trompé[5].

Thyra.—Les Thyra forment une variété de raisins secs qui est principalement expédiée de la Turquie d’Asie et surtout de Smyrne où les négociants les achètent et les entreposent pour les expédier ensuite dans tous les pays de consommation. Ces raisins sont de la grosseur des nôtres ordinaires, et loin d’avoir subi l’égrappage comme les Corinthe, ils possèdent toutes leurs grappes, c’est-à-dire le bois où les grains sont suspendus. Cette qualité produit aussi du bon vin ordinaire, mais sa finesse n’égale pas celle du vin de raisins de Corinthe; cela tient au bois de la grappe dont j’ai parlé plus haut. Il lui communique une certaine rudesse, qui, pour certains coupages et suivant les goûts, est peut-être préférable à l’état presque neutre du vin de Corinthe. On trouve souvent mêlés à ces raisins divers corps étrangers, tels que: dattes, figues, et surtout des pierres, qui constituent par leur poids un véritable bénéfice pour les expéditeurs.

Je conseillerai donc aux fabricants de vin, de bien veiller à ces divers cas que je signale, suivant les produits qu’ils voudront avoir.

Samos.—Les Samos, comme l’indique leur nom, sont originaires de cette île, qui est presque toute complantée de vignes. La bonté de ces raisins et l’excellente qualité des vins qu’ils produisent à l’état frais leur a fait une juste réputation. Qui ne connaît en effet, du moins de nom, les fameux vins de Samos, si estimés, si recherchés?

Les raisins Samos, vulgairement appelés gros grains, sont employés de préférence dans les fabrications où l’alcool est surtout recherché. Ces raisins de la grosseur de nos gros raisins morvêdes, grenaches, contiennent assez de sucre. Par une bonne fermentation, on peut recueillir de l’alcool de bonne qualité. La pellicule est moins rude que celle de la plupart des raisins secs. Les envois sont soignés et on y trouve moins d’impureté que dans les raisins Thyra.

Il est aussi des raisins Samos, dit Muscats, dont on tire un grand parti pour faire les vins d’imitation.

Vourla.—Ces raisins sont de beaucoup les plus beaux comme type courant. D’une grosseur égale à nos grosses panses, dites de Malaga, un consommateur ordinaire peut facilement s’y tromper; leur partie sucrée abondante les fait presque ranger dans la catégorie des raisins secs de bouche; leur couleur seule, d’un beau jaune d’or foncé, décèle leur origine, car le raisin sec de bouche est généralement noir. Cette catégorie de raisins Vourla, servira plutôt au fabricant pour les vins fins. On peut en tirer un grand parti et dans un autre ouvrage j’expliquerai comment on peut obtenir, avec ces raisins, des Madères, des Xérès[6] etc.

Cette qualité de raisins, par une anomalie étrange, est pourtant moins chère que les Samos.

Cette différence, dans les prix, provient de la répugnance involontaire qu’éprouve le fabricant à user de ces raisins qui sont d’une apparence trop belle pour servir à la fabrication et de l’irrégularité des arrivages de ces fruits.

Cette situation me rappelle ce qui se passa lors de l’arrivée à Marseille, des premiers Corinthe. Les raisins généralement employés étaient les Thyra et en quelque sorte c’étaient les seuls connus. Une maison de Patras, en Grèce, voulut expédier un chargement de raisins de Corinthe et les fit offrir aux négociants de Marseille qui s’empressèrent presque tous de refuser ces raisins, même au prix les plus bas. La vue de ces raisins minuscules, semblable à de rognures de pellicules desséchées de raisins secs, les leur faisait rejeter. Ils ne contiennent pas de sucre, disaient les uns; ils ne produiront presque pas d’alcool, disaient les autres. Je mis fin à tous ces bruits en affirmant leur richesse alcoolique, que des expériences rigoureuses et répétées m’avaient démontrée. Alors, au récit que je faisais de l’excellence des vins obtenus avec ces raisins, à la vue de mes échantillons, un revirement subit se fit dans l’opinion et les Corinthe furent demandés de préférence aux autres qualités.

Maintenant voici les traits distinctifs auxquels on reconnaît les bons raisins secs de n’importe quelle qualité.

On doit, si les raisins sont en sacs ou en caisses, ne point juger de leur valeur par les grains qui coiffent les sacs, c’est-à-dire qui se trouvent immédiatement au-dessus. Enfonçant la main le plus possible dans l’intérieur, on en retire une motte que l’on brise sur une feuille de papier. Seulement alors, vous pouvez les juger réellement. Assurez-vous d’abord si les raisins de l’intérieur de cette motte sont en bon état et s’ils n’ont pas subi une première fermentation soit à cause de leur mauvaise préparation, soit par suite d’un accident qui les aurait mouillés. Dans ce cas, les raisins sont ce qu’on appelle sucrés, c’est-à-dire que recouverts d’une couche cristalline, on les croirait trempés dans du sucre. Ils subissent, dans cet état, une dépréciation notoire pour le vendeur car le raisin n’a plus cette belle apparence de propreté qui est déjà un gage de sa bonté.

Quelquefois les importateurs, afin d’éviter les frais que nécessite la mise en sacs, mettent les raisins dans la calle des navires tels quels, c’est-à-dire en grenier; les raisins peuvent subir des avaries avec ce mode de transport et bien souvent le fond de la calle, humide, humecte les raisins qui fermentent plus tard une fois mis en sacs.

Le fabricant ne doit pas repousser à priori les raisins pour ce seul fait. Les grains ont bien perdu, il est vrai, mais ils font encore du bon vin. C’est au fabricant à les acheter au plus bas prix possible pour en tirer le meilleur parti.

Cette première inspection passée, on doit s’assurer si les grains sont bien charnus, c’est-à-dire s’ils sont nourris et si, en les coupant avec la dent, on sent ce gras du sucre qui constitue sa principale qualité.

Les variétés de raisins secs sont très nombreuses; j’ai signalé les plus employées. Cependant, depuis l’extension colossale que l’industrie des vins de raisins secs a prise en France à la suite de mes efforts, le commerce s’est approvisionné pour avoir des fruits, dans tous les pays qui en produisent. Je n’ai pu parler de ces diverses qualités dans mes premières éditions, parce qu’elles n’étaient presque pas connues. C’est ainsi, qu’on vend aujourd’hui pour fabriquer du vin, des Chesmes, des Chypre, des Denia, etc., tous raisins portant le nom de leurs diverses provenances; j’engage mes lecteurs à se méfier de toutes ces qualités de raisins secs, et à n’employer qu’une marque, en première ligne, que des Corinthe, dont la supériorité est incontestablement démontrée.

Bien des personnes m’ont écrit pour me demander s’il n’existait pas une qualité qui donnât du vin rouge. Assurément, la plupart de ces raisins sont susceptibles de fournir à l’état frais des vins même très colorés; mais le soleil, cet ennemi mortel de la couleur, la fait disparaître des pellicules où elle est lors de la dessiccation. Les vins de raisins secs sont donc plus ou moins jaunes. Bientôt, je l’espère, je vous donnerai un moyen de les obtenir rouges naturellement.

Dans un chapitre spécial, après avoir indiqué les divers modes de fermentation et les soins à donner aux vins pour la fabrication, je parlerai des coupages et des moyens de colorer le vin blanc: mais, dans ce chapitre exclusivement réservé à la description des raisins, je vais terminer par quelques conseils à l’égard des agriculteurs, des fabricants et des personnes qui voudraient se livrer à cette fabrication.

Tenez vos sacs de raisins dans un endroit frais, mais non humide; la chaleur et l’humidité leur sont également préjudiciables.

Ne montez pas trop vos piles de sacs afin d’éviter l’échauffement provenant du poids des sacs sur la masse des raisins; Evitez le suintement, ce qui est à craindre quand les raisins sont bien nourris et charnus.

Ce suintement n’est autre chose que le sucre rendu liquide par la chaleur qu’engendre la pression, et constitue un déchet dans la production alcoolique, déchet qui atteint quelquefois de 5 à 6 0/0.

Voilà, en peu de mots, la description et l’histoire des divers raisins secs employés dans l’industrie.

La pratique, mieux que toute théorie, guidera à la longue le fabricant dans le choix qu’il devra faire.

Je termine par un avis amical:

Les qualités et les sortes de raisins étant diverses, l’industriel devra surtout s’attacher à s’adresser de préférence à une maison de confiance pour les achats, car la vue des échantillons ne suffit pas toujours.[7]

De la falsification des Raisins secs, des MOWRA-FLOWER, de leur abus.

Les demandes considérables et générales de raisins secs qui arrivèrent sur les marchés importateurs, durant l’année 1879 et 1880, de tous les départements et de certains pays étrangers, devaient fatalement donner naissance à des fraudes commerciales. Le prix élevé qu’atteignirent les raisins secs et le peu de connaissance qu’on a encore de ces produits, facilitèrent ces manœuvres. C’est ainsi que quelques négociants peu scrupuleux, afin de rendre aux raisins mouillés lors de la récolte ou détériorés, leur apparence ordinaire, les arrosent de mélasse. Les vins que l’on fait avec les raisins ainsi dénaturés sont généralement mauvais; les fermentations rarement menées à bonne fin. Que les fabricants veillent donc attentivement en achetant les raisins, et évitent d’être dupes de la manœuvre déloyale que je leur signale.

Des MOWRA-FLOWER.—Dans le courant de l’année 1879, je fus appelé à faire, dans le laboratoire de la Faculté des Sciences de Marseille, des expériences pratiques sur un produit nouvellement importé de l’Inde, appelé Mowra flower.

C’était une fleur dont l’apparence était celle des raisins de Thyra. A première vue un œil exercé pouvait seul reconnaître la différence existante. En regardant avec attention, il était cependant facile de ne pas s’y tromper. La forme du Mowra flower est celle-ci: un bouton de rose, dont le follicule est d’un seul morceau. En l’ouvrant on trouve dans l’intérieur les pétales.

La richesse saccharine de cette fleur est égale à celle des raisins, soit de 60 à 65 0/0; mais la fermentation s’établit très-difficilement, et le produit qu’on en obtient est affecté d’un goût amer sui generis très prononcé.

ABUS.—La grande ressemblance des Mowra avec les raisins secs et leur bas prix, ont permis quelquefois aux négociants de fruits secs de glisser de ces fleurs dans les sacs de raisins secs. Leur mélange, dans les proportions de 20 à 30 0/0, constitue un réel bénéfice pour les vendeurs. Je me fais un devoir, dans cette nouvelle édition, de porter à la connaissance des viticulteurs et fabricants, tous ces abus, heureux de pouvoir ainsi, dans une certaine mesure, empêcher des fraudes dont la réputation du vin de raisins secs souffrirait seule.[8]

CHAPITRE III

Du local et des ustensiles propres à la fabrication

Dans ce chapitre, un grand nombre de mes lecteurs, déjà viticulteurs, pourront recueillir quelques conseils que l’expérience et l’étude seuls procurent. Beaucoup d’agriculteurs ignorent même le nom de nos savants qui ont entassé dans leurs ouvrages ces précieuses observations; la raison en est plus simple qu’on ne le croit.

La plupart de nos illustres auteurs, tels que Chaptal, Lavoisier, Pasteur, Maumené, etc., ont fait des livres qui sont de véritables monuments scientifiques. Sont-ils à la portée de nos modestes agriculteurs? Evidemment non: leur prix élevé d’abord, à peine rémunérateur, en songeant aux longues heures et années de travail qu’ils ont exigées, éloigne les bourses modestes. D’un autre côté, il répugne visiblement à l’humble laboureur de parcourir ces magnifiques pages où la science s’entasse à chaque ligne dans sa langue naturelle, mais, hélas, comprise seulement par un bien petit nombre d’élus. C’est surtout ce point là que j’ai visé dans mon ouvrage: Mettre les sages conseils et avis de nos savants célèbres à la portée de tous dans le langage ordinaire.

Le cellier que le fabricant devra employer de préférence sera celui qui sert aux vendanges ordinaires; cependant, cette récolte de toute l’année exige des soins et des précautions que celles du mois de septembre et du mois d’octobre ne demandent pas.

Dans les pays vinicoles, le climat est véritablement tempéré. La température de 15 à 20° dans les celliers étant naturelle les fermentations s’établissent et s’activent naturellement sans aucun autre soin que ceux que la vieille routine a implantés chez les viticulteurs.

En parlant des dispositions à prendre pour la fabrication des vins de raisins secs, je signalerai les observations que m’ont suggérées mes visites dans un grand nombre de celliers, dont les mauvaises dispositions étaient les véritables ennemies d’une bonne fabrication de vins, et les innovations que j’ai faites, depuis mes premières éditions, pour la fabrication, même à l’air libre, des vins de raisins secs.

En premier lieu, la cave doit être établie dans des conditions convenables d’aérage, car, la fermentation exige cinq choses essentielles: 1º du sucre; 2º du ferment; 3º de l’eau; 4º de l’air; 5º une certaine température.

Nous parlerons, ultérieurement, des trois premiers points dans le chapitre des fermentations proprement dites et nous allons nous occuper ici des deux derniers.

L’aérage des celliers est d’une importance capitale. L’exemple que je vais citer, entre beaucoup d’autres, le prouvera surabondamment. M. S..., opticien à Marseille, possède dans les Bouches-du-Rhône une propriété au crû dit de St-Henry, qui, chaque année, lui rapporte une certaine quantité de vin.

Depuis dix ans environ, son vin ne pouvait plus se conserver malgré tous les soins qu’il y apportait, soit à la vendange, soit à la fabrication. Le même phénomène se représentant, et appelé à en rechercher la cause, je remarquai immédiatement le défaut presque absolu du renouvellement de l’air dans son cellier. Un tuyau que je fis poser, partant de l’extérieur, mit fin à cet état de choses. Depuis lors son vin est devenu un des meilleurs de ce crû.

Les cuves en bois, devant servir à la fabrication des vins de raisins secs, peuvent être soit petites soit grandes.

Je conseillerai des récipients de 50 à 100 hectolitres. Il est bien certain que les cuves plus grosses ou plus petites peuvent servir également. Mais, plus le récipient est grand, plus le liquide qu’il contient et le remplit, fermentent régulièrement.

Les cuves, tronc conique, sont préférables pour le gouvernement de la fermentation; leur forme, évasée par le bas, sert à maintenir le chapeau dans leur partie supérieure.

Les cuves en maçonnerie peuvent aussi servir à la fermentation et leur entretien exige peut-être moins de soins avant la vendange; mais, à mon avis, la fabrication des vins de raisins secs est préférable dans les cuves en bois.

Avant de déposer le moût dans une cuve, il est nécessaire de la nettoyer avec le plus grand soin, afin d’en extraire les végétaux étrangers qui ont pu prendre naissance sur les parois, et détruire les imperceptibles champignons qui forment la moisissure qui en tapisse les parois et qui peut être, plus tard, le sujet de bien des accidents dans la fermentation.

Voici le meilleur mode:

Un homme pénètre dans l’intérieur et, armé d’une brosse, il frotte fortement avec de l’eau tiède; après cette première opération qui radoucit les pores du bois, le lavage à l’eau fraîche fait disparaître les dernières impuretés; on enduit alors les parois d’une légère couche de chaud, couche qui doit être plus épaisse pour les cuves en pierre.

En Bourgogne, après avoir nettoyé avec l’eau, on passe un peu d’eau-de-vie dans les cuves, qui sont toutes en bois. Chaptal nous apprend que les anciens donnaient une grande importance aux moyens de préparer la cuve. Non seulement ils la frottaient avec divers liquides tels que des décoctions de plantes aromatiques, de l’eau salée, du moût bouillant, etc., mais ils y brûlaient ensuite des aromates.

Comme tout le travail de la vinification se fait exclusivement par une bonne fermentation, nous croyons devoir nous appesantir davantage sur ces détails. Eviter les causes d’une mauvaise fermentation, tel est le but dont doit se pénétrer le fabricant.

La question de la température est aussi des plus importantes; on regarde généralement, dit Chaptal, le 25e degré au-dessus de zéro au thermomètre centigrade, comme celui qui indique la température la plus favorable à la fermentation alcoolique: elle languit au-dessous de ce degré et devient tumultueuse au-dessus. A une température très basse, ou très chaude elle n’a même plus lieu.

Il suit de ce principe que, lorsque la température du lieu où la fermentation s’accomplit n’est pas au moins à 15 degrés centigrades, il faut l’y élever par des moyens artificiels, soit en mêlant du moût bouillant dans la masse pour la porter à la température convenable, soit en chauffant le cellier par des poëles pour y maintenir cette température.

Dans le chapitre ayant rapport à la mise en cuve du moût, j’indiquerai les moyens les plus propres à élever le degré de chaleur, naturellement ou artificiellement.

Il me reste à parler, ici, des ustensiles devant servir à la fabrication.

Ceux qui possèdent déjà le matériel nécessaire pour faire le vin de vendange, n’ont besoin de rien de plus: ceux qui veulent fabriquer, pour la première fois, le vin de raisins secs, doivent avoir au moins deux cuves.

Quant aux fabricants, proprement dits, mon appareil pour la fabrication mathématique de vin en général et de ceux de raisins secs en particulier, est pour ainsi dire obligatoire. Ils peuvent me demander sans crainte tous les renseignements dont ils pourront avoir besoin.

Je leur procurerai, s’ils le désirent, suivant leur mode de manipulation, les autres ustensiles à mesure que leurs besoins leur en feront sentir l’acquisition nécessaire. Ce sont les pots, les décalitres, les pompes, les tonneaux, etc.[9]

CHAPITRE IV

Soins à donner aux raisins avant la mise en cuves

Une fois certain de la propreté des cuves, qui vont recevoir le moût, il est bon de s’assurer aussi de celles des raisins qu’on va employer; pour cela, le moyen le plus simple est celui qui consiste à vider les sacs et à en écarter les matières ou corps étrangers qui peuvent s’y trouver mélangés.

Dans le chapitre ayant trait aux avantages qu’on peut tirer des marcs, j’indiquerai les diverses combinaisons que le viticulteur peut employer. Or, il est nécessaire que le marc de raisins soit le plus propre possible. Je recommande aussi, tout particulièrement, de briser les boules que forment les raisins entassés dans les sacs, avant de les jeter dans la cuve. Ce point est capital, voici pourquoi:

1º Ainsi que je l’ai dit au chapitre II, les raisins fortement pressés dans les caisses ou sacs et bien séchés à point, mélangent leur partie liquoreuse et forment de grosses boules de raisins amalgamés et comme soudés entre eux. Il arrive, parfois, qu’un commencement de fermentation s’est produit dans l’intérieur de ces mottes, et, suivant le vin qu’on se propose de faire, il est bon de sortir les grappes que l’on voit dans cet état; elles pourraient donner au produit un goût désagréable que l’on ne fait disparaître que très difficilement.

2º Les sacs de raisins, vidés sans ces soins dans la cuve, occasionnent des accidents de fermentation auxquels il est bien difficile ensuite de remédier. Ainsi, on remarque parfois, que la fermentation tumultueuse au début, reste quelque temps à reprendre et qu’elle s’établit irrégulièrement; d’autres fois, au moment d’atteindre son apogée, qu’elle s’arrête subitement. (Cet accident peut provenir aussi d’autres causes dont je parlerai plus loin).

Voici quel est le motif de ces irrégularités: Les raisins étant amalgamés et réunis en mottes dans la cuve, il en résulte que l’eau, ne pouvant pénétrer dans leur intérieur n’en mouille que la surface et laisse une grande quantité de raisins presque intacts. Ce point est trop important pour que tous les viticulteurs ne s’en pénètrent pas profondément, et ne se résignent pas au surcroît de main d’œuvre, presque insignifiant, d’ailleurs, que pourra causer le brisage des mottes de raisins.[10]

CHAPITRE V

Du Mouillage des Raisins secs

Cette opération a pour but de remettre les raisins dans l’état se rapprochant le plus de celui dans lequel ils se trouvaient à l’état frais. Le fabricant, visant à produire du véritable vin, emploie ce moyen artificiel pour rendre aux raisins la partie aqueuse naturelle que le soleil a fait disparaître au moment de leur dessiccation. Cette opération n’est donc, à proprement parler, qu’une préparation; cependant, c’est par ce dernier point que la fabrication des vins de raisins secs se rattache complètement à celle des vins de raisins frais, car, immédiatement après ce chapitre, les deux opérations étant complètement égales, la conduite de la fermentation des vins de raisins secs est identique à l’autre.

Les raisins de Corinthe font seuls exception à la règle générale. On peut supprimer le mouillage pour cette qualité de fruit. Le foulage est aussi inutile. On doit verser les Corinthe directement dans la cuve à fermenter, en les dispersant bien[11]. Cette restriction faite, je maintiens que le mouillage et le foulage sont nécessaires pour les autres qualités de raisins secs, et que le fabricant subit un préjudice notable en ne mouillant et ne foulant pas les Thyra, Samos, Vourla, etc.

J’ai dit, dans le chapitre précédent, qu’il était nécessaire d’avoir deux cuves: voilà l’emploi de la première que nous dénommerons cuve à tremper.

Sa situation doit être, dans le cellier, supérieure à celle destinée à la fermentation, afin d’éviter des mains d’œuvre qui occasionnent toujours des pertes de temps et d’argent.

On commence par verser dans la cuve la quantité d’eau nécessaire pour celle du vin que l’on veut obtenir avec les raisins secs; on les y verse ensuite, en bien les remuant, afin de les disperser, et de permettre à chacun d’eux de prendre de nouveau cette partie aqueuse qui leur a été enlevée, et de redevenir gros et gonflés comme à l’état frais.

Je conseillerai, à ceux qui pourront le faire, d’employer, pour le mouillage de raisins, les eaux les plus pures. En première ligne l’eau distillée. Les produits obtenus par ce moyen sont excellents et évitent souvent les désagréments qu’occasionnent les eaux de puits, de sources ou de rivières; la plupart contiennent des sels et des carbonates de chaux qui donnent naissance, soit à de mauvaises fermentations soit, quand le vin est fait, à des goûts désagréables et à des précipités permanents. Toutefois, toutes les eaux peuvent servir à faire du vin; et l’eau de rivière reposée est encore, après l’eau distillée, celle qui est préférable.

Afin de guider le fabricant à ses débuts, je vais indiquer, au moyen de tables, la quantité d’eau que l’on doit verser dans la cuve à tremper avant d’y mettre les raisins.

Cette table est presque une règle générale, mais, il peut y avoir lieu à des variations, suivant les plus ou moins bonnes qualités des fruits; ce dont le fabricant devra juger, avec l’expérience, par lui-même. C’est pourquoi les chiffres que je donne, quoique ordinairement exacts, ne pourraient servir de base immuable.

Tableaux des quantités d’eau nécessaires pour fabriquer du vin

1er TABLEAU
100 kilog. raisins secs Corinthe avec:
150 lit.   d’eau   don.   environ 150   lit. de vin de 19 à 22°
175 »»»» 175 » » 16 à 18°
200 »»»» 200 » » 14 à 15°
225 »»»» 225 » » 13 à 14°
250 »»»» 250 » » 12 à 13°
275 »»»» 275 » » 11 à 12°
300 »»»» 300 » » 10 à 11°
325 »»»» 325 » » 8 à 10°

2me TABLEAU
100 kilog. raisins secs Thyra avec:
150 lit.   d’eau   don.   environ 150   lit. de vin de 19 à 22°
175 »»»» 175 » » 16 à 18°
200 »»»» 200 » » 14 à 15°
225 »»»» 225 » » 13 à 14°
250 »»»» 250 » » 12 à 13°
275 »»»» 275 » » 11 à 12°
300 »»»» 300 » » 10 à 11°
325 »»»» 325 » » 8 à 10°
3me TABLEAU
100 kilog. raisins secs Samos avec:
150 lit.   d’eau   don.   environ 150   lit. de vin de 18 à 20°
175 »»»» 175 » » 15 à 17°
200 »»»» 200 » » 13°5 à 14°5
225 »»»» 225 » » 12 à 13°
250 »»»» 250 » » 11 à 12°
275 »»»» 275 » » 10 à 11°
300 »»»» 300 » » 8°5 à 10°
325 »»»» 325 » » 6°5 à 8°
4me TABLEAU
100 kilog. raisins secs Vourla avec:
150 lit.   d’eau   don.   environ 150   lit. de vin de 18 à 20°
175 »»»» 175 » » 15 à 17°
200 »»»» 200 » » 13°5 à 14°5
225 »»»» 225 » » 12 à 13°
250 »»»» 250 » » 11 à 12°
275 »»»» 275 » » 10 à 11°
300 »»»» 300 » » 8°5 à 10°
325 »»»» 325 » » 6°5 à 8°

Une fois que, dans la cuve à tremper, l’eau et les raisins se trouvent réunis, le fabricant n’a plus à se préoccuper que du moment favorable à la mise en cuve de fermentation.

Le mouillage dure l’hiver de 48 à 50 heures, et l’été 40 heures environ. Il convient de ne pas laisser prolonger plus longtemps cette immersion durant les chaleurs, afin d’éviter les accidents que pourrait occasionner le dégagement de l’acide carbonique dans la cuve, à la suite d’un commencement de fermentation.

On ne peut jamais, surtout pour cette fabrication, prendre trop de précautions pour empêcher les accidents.

Que les fabricants soient bien persuadés que les dangers de l’asphyxie par les dégagements de l’acide carbonique, dans la fermentation des vins de raisins secs, sont autant, sinon plus à craindre que dans la fermentation des vins de raisins frais.

CHAPITRE VI

Du Foulage

On comprend sans peine la nécessité d’écraser les raisins afin d’obtenir le moût et de le préparer à la fermentation. Cette opération, dont tous les viticulteurs ont toujours reconnu l’efficacité, s’imposait donc naturellement à notre fabrication. Cependant, on s’étonne de voir avec quelle persistance la critique l’a toujours poursuivie. Il est assurément peu de pays au monde où le foulage soit fait autrement que par des hommes nus, foulant les raisins avec leurs pieds.

Certainement, les hommes accomplissant cette fonction y apportent certains avantages, tels qu’un foulage intelligent, la rupture des grains sans écrasement des pépins, que la peau des pieds laisse intacts.

Mais, que des pays aussi où l’on refuse aveuglément le concours d’instruments animés pour le foulage des raisins, sous prétexte de l’écrasement des pépins et d’un foulage irrégulier, où les hommes écrasent les raisins et les pépins avec des souliers et des sabots!

Dans mes voyages dans les départements de l’Hérault, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, je remarquai presque partout le foulage ainsi pratiqué.

Cependant les machines en général, rendent de 4 à 5 0/0 de vin de plus que par le foulage avec les pieds. Ce n’est peut-être pas toujours un avantage réel, mais ce qu’on est sûr de gagner, c’est énormément de temps est beaucoup de propreté.

On comprend facilement l’importance d’un bon foulage. Il est essentiel que cette opération soit faite entièrement, car si on laisse dans la cuve en fermentation, des grains entiers, le jus qu’ils contiennent ne fermente pas, et c’est ce qui bien souvent, surtout dans la fabrication des vins de raisins secs, occasionne, après le soutirage et le pressage, des fermentations secondaires et parfois presque tumultueuses.

Aussi, j’appelle toute l’attention du fabricant sur cette opération, dont on n’apprécie généralement pas assez l’importance. Loin d’être une opération purement mécanique, comme on le croit vulgairement, c’est une véritable opération chimique.

Le but est de réunir et de mettre en contact toutes les parties séparées du raisin, de l’aérer et de lui fournir tout l’oxygène dont le moût a si grand besoin de s’imprégner pour commencer la fermentation.

Il ne faut pas craindre de remuer et d’agiter les raisins, soit en les foulant avec des hommes et en les jetant par pelletées dans la machine[12]. On doit aussi faire couler le moût d’un peu haut, en divisant, le plus possible, le liquide dans la cuve à fermenter.

L’air, loin de produire l’effet désastreux que l’on constate dans les vins faits, est l’agent le plus actif de la fermentation; aussi s’établit-elle promptement et activement quand on a pris les mesures nécessaires et donné les soins que je viens d’énoncer.

Il est convenable que l’appartement dans lequel est la cuve à tremper, soit plutôt humide et chaud que sec et froid.

Comme je l’ai dit, une seule qualité de raisins secs fait exception à la règle générale; ce sont les Corinthe. Leurs grains très petits et surtout leur fine pellicule évitent aux fabricants cette opération[13]. Dès leur contact avec l’eau, les Corinthe se gonflent et commencent à fermenter, à condition qu’on les brasse bien à mesure qu’ils tombent dans la cuve, et qu’on répète l’opération pendant les deux premiers jours.

Avec l’appareil pour la fabrication mathématique des vins de raisins secs, on évite le foulage, et chose importante, le pressurage. L’appareil fournit l’eau chaude dont on charge la cuve. Les raisins secs se gonflent immédiatement, et laissent échapper leur sucre, qui se liquéfie. On évite une main d’œuvre considérable en pratiquant ainsi. Nous reviendrons sur ce point en parlant des divers modes de fermentation.

CHAPITRE VII

De la Fermentation

Pour obtenir une fermentation prompte et régulière, il faut, comme je l’ai dit dans le Chapitre III, que la température du cellier au moment de la mise en cuve, ait au moins 20 degrés de chaleur. Dans la fermentation du moût de raisins frais, cette condition est à rechercher, mais elle n’est pas, comme ici, indispensable.

Cette eau, nouvellement ajoutée au fruit, n’est point encore intimement unie avec lui, et des soins vigilants au début de ces fermentations sont impérieux. Si vous avez plusieurs cuves, évitez qu’elles se trouvent au courant d’air, devant une porte ou une fenêtre; leur place est toute indiquée dans les côtés du cellier.

Dans le cas où les cuves seraient déjà placées, voici un moyen pratique et bien simple pour conserver leur chaleur et les préserver de l’influence de l’air ambiant. Sitôt qu’elles sont chargées, on essuie parfaitement leur surface, et on les entoure le mieux possible d’un paillasson de 10 à 12 centimètres d’épaisseur dont la paille, de froment, de seigle, etc., doit-être le moins serrée possible. On recouvre ensuite le paillasson d’une grande bâche en toile que l’on attache solidement avec des cordes. Ce moyen très simple et peu coûteux, donne des résultats merveilleux. Il ne laisse plus la chaleur, développée naturellement par le liquide en fermentation, se perdre, et il conserve à cette fermentation son degré de calorique presqu’en entier. Le moût reste ainsi, après un bon début, dans les bonnes conditions de température. Le froid même n’atteint pas sa chaleur qui demeure jusqu’au bout.

Par ce procédé, une fois la fermentation commencée, on évite bien des ennuis, car il est inutile de chauffer le cellier et de maintenir la température à grand renfort de chauffage, ce qui est très coûteux. Une température de 10 degrés suffit, car la fermentation développe assez de chaleur par elle-même pour se suffire et arriver jusqu’au bout avec de bons résultats.

Il est, cependant des cas où les fabricants devront employer des moyens énergiques pour faire atteindre au moût les 20 degrés de chaleur, nécessaires pour sa mise en fermentation. Il est certain que, durant l’hiver de 1879, où le thermomètre dans presque toutes les parties de la France a accusé de 5 à 25 degrés au-dessous de zéro, le chauffage des celliers ont été trop dispendieux et pour quelques-uns impossible. On emploie alors la méthode qui consiste à réchauffer le moût.

Cette idée très ancienne nous vient des Grecs, qui avaient compris tout l’avantage qu’on peut tirer de cette méthode qui se trouve consignée dans le recueil des Géoponiques, livre VII chap. IV.

Cette opération au premier abord frappe par sa simplicité: «Verser dans la cuve à fermenter, une partie du moût à la température de 60 à 80 degrés environ, afin de mettre la masse en fermentation au degré nécessaire, soit 15 à 20 degrés»[14]. L’idée est ingénieuse et assez pratique. Cependant je ne saurais trop appeler l’attention sur les altérations que cette application peut amener dans le vin.

Je signalerai, à ceux qui l’emploient ou qui désirent l’employer, ces deux grands inconvénients: 1º Par le chauffage du moût dans un vase en métal, on ne peut éviter la dissolution d’une partie bien faible, je le reconnais, de ce métal. Or, cette partie, si faible qu’elle soit, n’en constitue pas moins dans le vin un principe non seulement défavorable à la fermentation, mais encore quelquefois un véritable danger pour les consommateurs.

Le deuxième inconvénient résulte du goût de cuit, de brûlé, que le moût réchauffé donne au vin. Il est impossible d’empêcher l’altération du sucre, du tartre, de l’acide tartrique, etc., de se produire au contact du feu, malgré toutes les précautions qu’on a pu prendre.

On voit donc, d’après ce qui précède, que le chauffage du moût, dans ces conditions, est mauvais.

Maumené[15] conseille de se servir d’un vase de grès et de chauffer au bain-marie.

On peut calculer, aisément, la quantité de moût, dont le chauffage sera nécessaire, pour amener la cuve toute entière au degré convenable.

Ainsi, le nombre d’hectolitres à chauffer au bain-marie, s’obtient en multipliant le nombre total des hectolitres de la cuve, par le nombre des degrés auxquels on veut faire monter la température, et en divisant le produit par le nombre des degrés auxquels le moût, chauffé au bain-marie, peut être élevé au-dessus de la température primitive.

Je viens d’indiquer divers moyens de chauffer le moût afin de mettre la fermentation en branle. Pour le chauffage du moût directement dans la cuve, j’en ferai l’objet d’un chapitre spécial.

C’est au reste l’unique chauffage pratique, sans main d’œuvre et à bon marché, le mode le meilleur et le plus sûr pour fabriquer mathématiquement les vins en général et le vin de raisins secs en particulier[16].

On peut aussi chauffer les cuveries.

Chacun est à même de remplir les conditions nécessaires pour un bon chauffage. Il est certain que le calorifère est un moyen, mais inabordable pour la plupart des bourses de nos agriculteurs. Les poëles donc, rempliront bien l’office de chauffeurs. On aura soin d’éviter que la fumée se répande dans le cellier, surtout avec des cuves ouvertes. La liqueur vineuse est susceptible de s’emparer de l’odeur du charbon, ou du bois, si la fumée séjournait trop longtemps dans la cuverie.

On peut aussi chauffer l’eau au moyen des cylindres semblables à ceux qu’on emploie pour chauffer les bains. On arrive ainsi facilement à élever, jusqu’au 25me degré, la température et à l’y maintenir.

Je conseille d’employer ce procédé sur de petites quantités d’abord, et de s’assurer ainsi à l’avance des résultats qu’il procure.

Le Contrôle des Fermentations

Je vais indiquer, ici, le meilleur mode de contrôle, pour pouvoir se rendre compte immédiatement de la marche de la fermentation.

Il convient de placer d’abord, si on chauffe la cuverie, à l’endroit le plus éloigné du foyer de chaleur, un thermomètre qui indiquera le degré de température du cellier.

A chaque cuve, on place un ou plusieurs petits thermomètres spéciaux coudés de J.-F. Audibert, à 50 centimètres environ de sa base.

Ce thermomètre, que j’emploie parce qu’il est le plus commode et le meilleur marché, doit pénétrer dans la cuve, de façon à présenter et à baigner son réservoir d’esprit ou de mercure dans le moût. On place facilement ce thermomètre dans un bouchon de bouteille qui le maintient à la cuve. On est fixé, avec un coup d’œil, sans rien déranger, du degré de chaleur que possède le jus de raisins. Si le thermomètre n’indique, pendant les deux premiers jours, que 12 ou 15 degrés de chaleur, ou s’il baisse, chauffez le moût fortement, et, à défaut, le cellier, jusqu’à ce que vous remarquiez son ascension. Arrivé à 18 ou 20 degrés environ, la chaleur naturelle que développe la fermentation, suffira pour la mener à bonne fin. Si ayant suivi les conseils que j’ai donnés plus haut, votre cuve est bien enveloppée avec des paillassons, le thermomètre indiquera de 25 à 41 degrés; c’est le degré maximum que j’ai remarqué dans nos fabrications avec les raisins secs. Il est évident qu’il ne faut pas pour cela laisser refroidir l’appartement l’hiver, et qu’une température de 15 degrés au moins est nécessaire pour faciliter la fermentation alcoolique.[17]

CHAPITRE VIII

Fabrication mathématique des Vins de Raisins secs et autres Vins

Depuis mes premières éditions, et à la suite de la quantité considérable de lettres que j’ai reçues, j’ai recherché un moyen de fabriquer mathématiquement les vins en général et ceux de raisins secs en particulier.

J’ai comblé cette lacune en créant un appareil aujourd’hui breveté, qui résout cette importante question[18].

Voici le principe sur lequel mes recherches étaient dirigées: Faire accomplir, sous tous les climats et dans toutes les saisons, le changement complet de la partie sucrée en alcool et en acide carbonique, et cela avec juste le temps nécessaire à cette transformation, et le plus économiquement possible.

C’est l’eau chaude, que l’appareil fournit à un prix presque nul, au degré que l’on désire, qui est la base de mon innovation. Il est complètement inutile, avec ce mode de fabrication, de chauffer les celliers. Au contraire, le moût ayant fortement besoin d’oxygène pur, se fortifie au contact de l’air naturel du cellier non infesté de la fumée à laquelle donnent naissance les poëles ou réchauds. La métamorphose du sucre en alcool est complète dans cinq ou six jours. Les accidents de fermentation, tels que: refroidissements, arrêts, etc., ne peuvent plus se produire; la température étant constamment dans les cuves de fermentation à vingt-cinq degrés au-dessus de zéro.

En employant ce mode de fabrication, les vins de raisins secs n’ont, pour ainsi dire, plus le goût sui generis décelant leur origine, puisque le séjour sur les grappes, de l’eau servant à la fabrication, est insignifiant.

Appareil (B. s. g. d. g.) J.-F. Audibert, pour la Fabrication mathématique et complète des Vins de Raisins Secs garantie en dix jours et pour toutes les fermentations. (fig. 1)
Appareil (B. s. g. d. g.) J.-F. Audibert, pour la Fabrication mathématique et complète des Vins de Raisins Secs garantie en dix jours et pour toutes les fermentations. (fig. 1)

L’appareil est le seul pour la fabrication des vins de raisins secs, imitant à s’y méprendre les vins blancs de l’Entre-deux-Mers (Gironde), et pour toutes les fermentations en général. Il offre au fabricant les avantages suivants et garantis.

1º Fabrication complète du vin, macération, fermentation et collage, en 10 jours;

2º Plus de pressurage des marcs;

3º Plus d’égards à la température extérieure: qu’il fasse chaud ou froid, la fermentation est la même;

4º Rendement de 10 0/0 en plus sur les raisins;

5º Plus de fermentations secondaires qui rendent les vins troubles, plombés et impossibles à clarifier;

6º Enfin l’installation ne nécessite aucun travail de maçonnerie, tout se raccordant par des brides et raccords en cuivre. Quant à sa direction, un homme peut sans peine produire jusqu’à 100 hectolitres par jour.

L’appareil se compose:

1º De l’appareil proprement dit (en cuivre);

2º D’une cuve en bois de la contenance de 50 hectolitres disposée pour produire instantanément le moût du raisin sec;

3º D’un chauffeur, dénommé fromage à cause de sa forme, pour opérer la fermentation du moût dans la cuve qui le reçoit;

4º Des tuyautages et robinets de l’appareil proprement dit, de ceux de la cuve qui produit le moût et de ceux de la cuve de fermentation où se place le chauffeur, dit fromage.

Le tout en cuivre étamé.

Ces appareils sont simples et relativement peu coûteux. Je me mets entièrement à la disposition de mes lecteurs pour tous les renseignements, quels qu’ils soient, se rattachant à la fabrication mathématique des vins de raisins secs, dont ils pourront avoir besoin, et au sujet des détails complémentaires concernant l’appareil.

CHAPITRE IX

Des dangers de l’Acide carbonique

Avant de traiter à fond la question des divers modes de fermentation, je considère comme un devoir d’appeler l’attention des personnes qui se livreront à la fabrication des raisins secs, sur les dangers et les inconvénients qu’occasionne le dégagement de l’acide carbonique dans la fermentation.

Ces dangers, une fois connus, s’évitent facilement; c’est pourquoi je tiens surtout à mettre en garde les fabricants.

La fermentation alcoolique du moût dégage énormément d’acide carbonique. La chimie nous apprend que les proportions en sont mêmes énormes: 100 parties de sucre, en se décomposant par la fermentation, donnent environ moitié d’alcool et d’acide carbonique. Ce gaz est irrespirable et peut occasionner la mort. Il est donc important de connaître les moyens de combattre et surtout d’éviter ses funestes effets.

Il est, disent les savants, par lui-même inodore et sans saveur; il n’a pas non plus de couleur. Il est entièrement semblable à l’air pur. Aucun de nos sens n’est apte à nous le faire connaître directement. On ne peut juger de sa présence que par certains phénomènes chimiques. Dans de telles conditions, il est facile de comprendre que nous pouvons être exposés à le respirer même pur, sans être à l’avance avertis du danger.

Les accidents qu’il produit chaque année, aux vendanges, doivent suffisamment rappeler à notre esprit la gravité de cette importante question et nous empêcher de commettre des imprudences.

Pour les personnes qui ne connaissent pas la chimie, leur esprit sera suffisamment fixé, quand elles sauront que ce gaz est le même que celui que dégage le charbon au moment de sa première combustion.

Ce gaz est plus lourd que l’air, et tombe, formant sur la surface du sol une couche qui s’élève jusqu’à ce qu’elle trouve une issue.

Aussi doit-on se méfier des celliers qui sont dans les caves et où l’on descend par plusieurs marches.

Pénétrez toujours dans vos cuveries, une lampe à la main, et à la hauteur de votre ceinture. Si vous apercevez un tremblotement ou un trouble dans la clarté, il faut se méfier; si la lampe s’éteint ne vous aventurez pas, car on peut y laisser la vie. Ce gaz fait périr en un instant les animaux qui le respirent; des expériences nombreuses ont été faites sur des oiseaux et elles sont convaincantes.

Qui n’a entendu parler ou ne connaît la grotte célèbre située près de Naples dite: Du Chien. Dans cette grotte, l’homme pénètre impunément sans ressentir aucun symptôme de malaise, alors que le chien qui l’accompagne, meurt bientôt étouffé si on ne le rend promptement à la liberté.

Voici l’explication de ce fait:

Les terrains volcaniques, de ce pays, exhalent de l’acide carbonique qui se forme par sa pesanteur à une couche d’environ 50 centimètres au-dessus du sol. L’homme, en pénétrant dans la grotte, a la partie supérieure du corps complètement au-dessus, et peut y vivre impunément en restant debout, tandis que le chien, dont le corps en entier baigne dans cette atmosphère irrespirable, ne peut y demeurer sans périr.

On cite aussi un exemple de ce phénomène dans la Forêt-Noire: Un ruisseau qui se dessèche en été, et dont l’eau se trouve remplacée par une couche d’acide carbonique qui se dégage du sol, sert de prétexte à une chasse assurément bien bizarre et imprévue par la législation, en temps prohibé.

La couche du gaz s’élève à peu près à 90 centimètres, où elle se maintient, en raison de la tranquillité de l’air, à l’abri des plantations qui l’entourent. Les oiseaux, qu’attire la fraîcheur, viennent sans cesse voltiger autour du ruisseau jusqu’à extrême sécheresse. Tant qu’ils demeurent assez éloignés ou à une certaine hauteur, rien ne les trouble; mais, sitôt qu’ils s’approchent du lit du ruisseau, le vertige les saisit et ils tombent frappés de mort au bout de quelques secondes. Les bûcherons n’ont qu’à venir tous les jours ramasser le gibier, bénissant l’acide carbonique de l’aide merveilleuse et désintéressée qu’il leur apporte.

Règles générales et utilisation de l’Acide carbonique

Dès qu’une cuve est en fermentation, ce qu’on voit immédiatement en y présentant une bougie allumée qui s’éteint, ne pénétrez plus dans votre cave ou cellier sans prendre les précautions nécessaires.

Dans les fermentations à cuve ouverte, l’acide carbonique après avoir rempli le vide qui reste dans l’intérieur de la cuve, arrive au sommet et se déverse par les parois extérieures exactement comme un vase plein d’eau. Si vous voulez vous assurer de la marche de votre fermentation, en regardant dans l’intérieur de la cuve, veillez en montant sur l’échelle opposée contre elle, à ce que le gaz ne vous atteigne pas au visage, pour éviter la sensation désagréable qu’il procure en le respirant et les dangers qu’il fait courir.

Il est extrêmement important aussi, avant de pénétrer dans une cuve, soit pour la remplir, soit surtout pour la vider, de bien s’assurer qu’on peut le faire sans danger. Pour cela servez-vous toujours de la bougie allumée, qui est le plus sûr et le plus fidèle des avertissements.

Je vais donner le moyen qu’on peut employer pour éviter les accidents dont je viens de parler. Ceci s’adresse surtout aux fabricants qui vont établir leur cuve à fermenter dans les caves ou sous-sols, où l’on ne peut parvenir qu’en descendant de nombreuses marches d’escalier, et où les fenêtres, pour donner le jour et l’air, sont presque situées au-dessous du plancher supérieur, il faut saturer le gaz à mesure qu’il se précipite sur le sol du cellier, en disposant, sur plusieurs points, du lait de chaux ou de la chaux vive. On peut parvenir à désinfecter un lieu vicié par cette mortelle mofette, en projetant sur le sol et contre les murs de la chaux vive délayée et fusée dans l’eau. Une lessive alcaline caustique, telle que la lessive des savonniers ou l’ammoniaque, produira de semblables effets. Dans tous ces cas, l’acide gazeux se combine instantanément avec ces matières, et l’air extérieur se précipite pour en occuper la place.

Dans les cuves fermées, dont je vais parler au chapitre suivant, ces dangers disparaissent presque complètement, car elles permettent de se débarrasser assez facilement de cet ennemi redoutable. Au contraire, l’acide carbonique n’ayant qu’une petite issue, peut être facilement neutralisé à sa sortie et même employé fructueusement par les producteurs: La grosseur de l’issue, que l’on ménage au gaz, doit être proportionnelle à la grosseur des cuves. Une ouverture de 3 centimètres de diamètre suffit pour une cuve de 100 à 200 hectolitres. Cette issue ne doit point demeurer simplement ainsi, car le but qu’on se propose en fabricant avec les cuves fermées serait complètement manqué. L’air, en s’y introduisant quand la fermentation touche à sa fin, et que le dégagement de l’acide carbonique est faible, produirait, sur la cuvée, les accidents qu’on a voulu éviter avec ce genre de fabrication. Voici la fermeture qu’on doit employer pour éviter ces effets: On fixe, au trou servant à l’échappement de l’acide, un tuyau de verre ou de caoutchouc que l’on fait plonger dans un vase plein d’eau. L’acide carbonique traverse l’élément liquide, mais il en demeure une grande partie dans la cuve, à cause de la légère pression et résistance que l’eau exerce sur lui à sa sortie. L’air, au contraire, ne peut plus y pénétrer, car l’eau lui oppose une infranchissable barrière.

Il est un moyen bien simple de se servir de l’acide carbonique et d’en faire un véritable agent producteur et lucratif, en fabriquant du bi-carbonate de soude.—On se procure du carbonate de soude, bien pur, en cristaux, que l’on place dans une barrique, au fond de laquelle on a ménagé un faux fond percé de trous, à 20 centimètres de la basse.

On ferme hermétiquement ce récipient, et on y amène l’acide carbonique par un tuyau de verre ou de caoutchouc, après l’avoir préalablement débarrassé de sa vapeur alcoolique, en le faisant passer dans le vase ou baril, aussi hermétiquement fermé, à moitié plein d’eau, dont j’ai parlé ci-dessus.—L’effet produit par l’acide carbonique, est celui-ci: Le carbonate de soude, qui se trouve en cristaux, laisse échapper sa partie aqueuse au contact de l’acide carbonique jusqu’à sa complète saturation et jusqu’à son complet changement. On doit, de temps en temps, recueillir, au moyen d’un trou de cheville ménagé au bas de la barrique contenant le carbonate de soude, l’eau dont celui-ci se sépare.

Cette eau contient encore beaucoup de bi-carbonate que l’on recueillera facilement en laissant reposer, évaporer et cristalliser.

L’effet de ce simple appareil est suffisant. On utilise ainsi la grande quantité d’acide carbonique que produit la fermentation, production qui est une véritable richesse que presque tous les agriculteurs ont laissé perdre jusqu’à ce jour. Nul n’ignore, malgré les récentes découvertes de la chimie, combien la production de cet acide est encore coûteuse.

Peu de gens se font une idée de la quantité extraordinaire d’acide carbonique développée par la fermentation alcoolique. Voici ce que nous apprend la chimie à ce sujet: 100 hectolitres de vin produisent assez d’acide carbonique pour faire 2,000 kilogrammes de bi-carbonate.

J’ai tenu à faire part, ici, à mes lecteurs, de cette idée, trop heureux si un jour j’apprends qu’elle a profité à quelques-uns.

CHAPITRE X

Les divers modes de fermentation

La fermentation des vins de raisins secs s’obtient de plusieurs manières. Je vais les passer ici en revue, donnant mon appréciation sur chacune d’elles, et indiquant celles qui me paraissent les plus favorables à la production. Je les ai divisées en trois classes:

1º La fermentation à cuve ouverte;
2º La fermentation à cuve fermée;
3º La fermentation mathémathique.

La fermentation à cuve ouverte

En général, cette méthode, la première qui s’offrait pour la transformation du moût en vin, a été adopté. Au premier abord, il a semblé superflu de recouvrir la cuve, quoique connaissant l’effet pernicieux[19] de l’air sur le chapeau, c’est-à-dire la couche épaisse de grappes qui remonte par l’effet de la fermentation au-dessus du moût.

Voici le raisonnement, du reste assez fondé, qui a fait prendre racine à cette idée. Le moût de raisins en fermentation, dégageant beaucoup de gaz acide carbonique plus lourd que l’air, est donc recouvert hermétiquement par ce gaz qui repose immédiatement sur lui dans l’intérieur de la cuve. Le fait est vrai mais ne peut pas servir de règle invariable. Je vais citer quelques exemples afin de le démontrer. Au début, quand toutes les règles ont été observées, la fermentation est presque toujours tumultueuse et active. A ce moment, il est certain que la fermeture produite par l’acide carbonique équivaut au meilleur couvercle. Mais, cette fermentation très forte, au départ, se ralentit chaque jour davantage à mesure qu’elle arrive vers la fin. Il arrive bien souvent que ce dégagement de gaz est si faible, qu’il ne résiste pas à l’action de l’air qui se mêle avec lui au fur et à mesure de sa production.

L’effet est tel, qu’on peut impunément rester dans une cuve, dans cet état, sans être incommodé, car la bougie ne s’éteint pas. Le chapeau, cette masse poreuse, toute remplie de zyméïne altérée, détermine au contact de l’air une oxidation très rapide du moût qui l’imprègne et produit du vinaigre assez vite pour suivre la formation de l’alcool développé par le restant du sucre et faire un vin détestable.

Voici encore un fait qui arrive le plus souvent. Le viticulteur qui veut remplir plusieurs cuves, le fait généralement de façon à ce que la distance, qui sépare le moût du sommet de la cuve, soit assez grand pour qu’il ne s’en verse pas au moment de sa grosse effervescence. Quand la fermentation s’établit, le chapeau s’élève et dépasse les bords, s’offrant ainsi complètement, à l’action de l’air. Il ressort par conséquent de ce qui précède, la conclusion suivante: Il est nécessaire d’empêcher la mauvaise influence de l’air sur le chapeau au moment de la fermentation. Il convient donc de couvrir légèrement la cuve.

Une fermeture hermétique occasionnerait, par l’empêchement formé à la volatilisation du gaz, une explosion des parois. Pour éviter cela, le moyen le plus sage et le plus facile est celui qui consiste à couvrir la cuve avec des planches sur lesquelles on étend des couvertures ou de vieilles toiles. De la sorte, on n’interrompt pas toute communication avec l’air ambiant, et on ne craint ni les explosions, ni un ralentissement dans la fermentation: on a l’avantage de la régulariser, d’en rendre la marche plus égale, d’entretenir une température plus élevée, de prévenir l’acétification du marc et des écumes qui forment le chapeau, et de soustraire enfin la fermentation à toutes les variations de la température.

L’expérience m’a déjà prouvé souvent que cette méthode est bonne, et qu’elle contribue puissamment à obtenir une bonne fermentation. Elle est facile à mettre en pratique et peu coûteuse dans l’exécution. Ma correspondance avec les agriculteurs m’a appris qu’elle a été suivie partout des meilleurs effets.

Cette méthode est, du reste, avantageuse pour plusieurs raisons: d’abord parce qu’elle empêche l’air de s’introduire dans la cuve pour détruire la couche de l’acide carbonique qui découvre le moût, comme je le disais précédemment; ensuite, et surtout quand la température est froide, quand la variation de chaud et de froid se font sentir pendant le cuvage et quand il s’établit des courants d’air dans le lieu où se trouve la cuve.

Chaptal, et quelques autres savants, prétendaient aussi qu’à tous ces avantages, la fermeture des cuves, ainsi faite, joignait celui de retenir des quantités notables d’alcool, ou si l’on préfère, de vin que l’acide carbonique entraînerait sans cette précaution.[20]

M. Maumené a, par de nombreuses expériences, prouvé la fausseté de cette assertion et conclu à une perte très faible par évaporation.[21]

J’ai tenu à citer ces deux savants afin de clore la discussion, que l’assertion fausse de Chaptal avait fait naître. Ce n’est point la déperdition de l’alcool proprement dit, qu’il faut éviter, mais bien tous les accidents que j’ai énumérés plus haut.

Il est encore un moyen dont je vais parler ici, qui rend de très grands services à la fabrication: le refoulage. Il exige de grandes précautions, il est vrai, mais il est sans danger quand il est pratiqué par des gens prudents.

Voici comment j’ai pratiqué, souvent, pour éviter les inconvénients que j’ai cités précédemment et faire arriver, à bien, mes fermentations.

Quand le chapeau commence à s’élever au-dessus du moût et à former son épaisse croûte de grappes, je le fais refouler dans le liquide, en pressant avec des pelles ou des fourches, de façon à ce qu’il baigne, de nouveau, en plein dans le moût. Cette opération a besoin d’être répétée, au moins trois fois par jour: le matin, à midi et le soir, sinon, la couche de marc devient si épaisse, si compacte et si dure, qu’il devient impossible de l’enfoncer sous le liquide. Un jour de retard suffit pour mettre le fabricant dans l’impossibilité de pratiquer le refoulage du chapeau. Son arrosage devient obligatoire quand il dépasse les bords de la cuve, qu’on ne peut par conséquent plus recouvrir, comme je l’ai indiqué. Pour l’arroser, on tire, d’un robinet placé au bas de la cuve, le moût que l’on jette sur le chapeau. Ce dernier moyen, dont je suis presque l’inventeur, facilite beaucoup la reprise de la fermentation, quand celle-ci s’est arrêtée ou ralentie, pour une cause quelconque, quelques jours après la mise en cuve. Cette nouvelle aérification du moût active les ferments engourdis et réussit presque toujours à amener de bons résultats. J’ai ainsi, bien souvent, fait revivre et repartir, avec une véritable impétuosité, des fermentations qui menaçaient de durer indéfiniment et dont l’apparence était incompréhensible.

J’ai signalé ce moyen aux agriculteurs, afin qu’ils l’emploient pour la fabrication de leur piquette et éviter à la boisson qu’ils fabriquent avec le marc de raisins ayant donné tout leur rendement, ce goût d’aigrelet qui lui est propre; il provient de l’abandon où ils laissent les cuves contenant le marc additionné d’eau, dont la fermentation est livrée à elle-même. On s’est habitué dans la campagne à ce goût qui a donné son nom à ce genre de boisson, mais il est certain qu’elle sera bien plus goûtée en perdant ce principe acide.

M. Maumené, que je me plais à citer souvent comme l’un des auteurs qui ont le plus étudié cette partie de la fabrication des vins, a trouvé un moyen simple et pratique d’éviter les inconvénients du refoulage du chapeau.

Voici son procédé que je suis heureux, ici, de reproduire.[22]

«A mesure de la charge de la cuve, on tend sur chaque sixième, ou chaque cinquième, ou chaque quart de la masse des raisins versés, un filet de cordes maintenu par des crochets de bois, renversés et fixés d’avance à l’intérieur de la cuve; jamais ainsi le chapeau ne peut se former d’une seule masse; il s’en fait plusieurs, un, sous chaque filet; chacun d’eux est d’une faible épaisseur, et ne s’oppose pas, sensiblement, aux mouvements du vin. On n’a plus à faire descendre dans la cuve et, par conséquent, à exposer même la vie des hommes occupés à ce travail.—La dépense n’est pas bien grande.»

Il est nécessaire, cependant, de placer au centre des cuves, un tube carré en bois, percé de trous, pour donner au gaz un dégagement plus facile, tout en conservant l’isolement des portions du marc par étage.

Je crois avoir indiqué les diverses manières qui me paraissent les plus employées pour la fermentation à cuve ouverte. Je vais, maintenant, passer à la description de celles qu’on peut employer pour la fermentation à cuves fermées.

La Fermentation à cuve fermée

La différence essentielle, qui sépare cette seconde façon de procéder de la manière précédente, repose presque uniquement sur ce point: Empêcher le contact de l’air avec le chapeau et prévenir ses effets nuisibles sur celui-ci.

Les cuves fermées ont de grands avantages. Dans le cas où la fermentation languit et où la présence de l’air pourrait faire naître des fermentations acides ou putrides, rien n’empêche de laisser se prolonger le cuvage pour obtenir la complète métamorphose du sucre en alcool: le chapeau ne pouvant ni se dessécher ni se corrompre.

On appelle cuves fermées: les cuves à couvercles hermétiques, les vaisseaux ou foudres.

Il est inutile que je rappelle ici, que tous ces récipients, au moment du cuvage, éclateraient bientôt, si on ne ménageait, à leur sommet, une petite issue pour le dégagement de l’acide carbonique. J’en parlerai du reste plus loin.

La fermentation à cuve fermée, trouva, vers le commencement de notre siècle (1882) un véritable apôtre dans la personne de Mlle Gervais, qui les mit à la mode, en leur faisant présenter le grand avantage, croyait-elle, d’empêcher et d’éviter des pertes de 10 à 15 0/0 sur le vin en fermentation.

Gay-Lussac[23] fit justice de l’exagération et démontra d’une manière irréfutable combien Mlle Gervais se trompait.

Il n’en demeure pas moins un fait certain, c’est que ce mode de fabrication, quand on peut l’employer, évite bien des tracas et des ennuis, tout en facilitant énormément la régularité de l’opération.

Un grand nombre de viticulteurs seraient peut-être désireux de fabriquer avec des cuves fermées, mais ils ne le peuvent pas, ne possédant que des cuves ouvertes.

On peut facilement obvier à cet inconvénient, en faisant faire un couvercle en bois, qui joigne le mieux possible sur la cuve, où on aura, préalablement, ménagé une échancrure intérieure de quelques centimètres au sommet des douelles.

La fermeture hermétique s’obtient très facilement, soit avec de la farine de lin bouillie, soit avec des tourteaux de la même matière broyés et préparés de la même façon.

La farine de lin constitue, par sa matière de corps gras, une sorte de mastic qui permet d’empêcher, partout où il est nécessaire, l’air de pénétrer, et cela sans grande dépense ni grosse main-d’œuvre.

Certains propriétaires de vignobles, dévastés par le phylloxéra, ont voulu utiliser leurs foudres pour la fabrication des vins de raisins secs. Je vais signaler les divers inconvénients que présente, si on n’y prend garde, ce genre de fabrication.

Le premier est le tassement, dans les foudres, des raisins qu’on précipite par la porte de la bonde; on l’évite en agitant simplement, avec un bâton, le tas que l’on étend de façon que les grains soient le plus dispersés possible.

Le second inconvénient, et le plus grave, est celui qui force le fabricant à pénétrer, après le soutirage, dans le tonneau, pour en extraire les grappes. On peut courir de grands dangers si toutes les précautions que j’ai signalées au Chapitre IX: Des dangers de l’acide carbonique, ne sont pas prises scrupuleusement.

La fermentation Mathématique

Ce troisième mode de fermentation est complètement inconnu et n’a jamais été mis en pratique avant que je l’eusse répandu. Les cuves ouvertes ou fermées importent peu à sa réussite. Des cuves ou des foudres servent indifféremment à fabriquer le vin de raisins secs ou de raisins frais, quand on l’emploie. Ce genre de fermentation repose sur les principes du maintien, dans les cuves à fermentation, d’une température, rigoureusement exacte, à tel degré de chaleur reconnu nécessaire. Mes appareils sont un peu coûteux, il est vrai, mais aussi que de main-d’œuvre et de temps économisés. Il est inutile de chauffer les cuveries et de réchauffer le moût. Les pays, les plus froids, peuvent maintenant, avec ce procédé, faire le vin dans quatre ou cinq jours, en toute époque de l’année.

Les vins de raisins secs, obtenus ainsi rivalisent avec nos bons vins blancs de France et sont souvent préférés, par les négociants, pour certains coupages, avec les vins étrangers d’Espagne et d’Italie.

A l’appui de ce que j’avance, je dirai à mes chers lecteurs, que la médaille dont m’a gratifié M. le Ministre de l’agriculture et du commerce, au concours régional de Marseille en 1879, m’a été décernée par Messieurs les membres du Jury, à cause de la supériorité évidente de mes vins de raisins secs, sortant de l’appareil, qui pouvaient lutter avec avantage contre les meilleurs vins naturels.

Depuis cette époque, neuf décorations ou médailles délivrées pour le même motif sont venues confirmer ces faits.

Je signale ce mode de fermentation aux fabricants, qui s’empresseront de l’adopter sitôt qu’ils le connaîtront, j’en suis certain.

Pour la plupart l’appareil est indispensable. (Voir sa description au Chapitre VIII, page 56).

CHAPITRE XI

De la Fermentation rapide à l’usage des grands ou des petits fabricants

J’ai dénommé ainsi ce mode de fabrication que j’ai conseillé à un certain nombre de fabricants. J’en fais l’objet d’un chapitre spécial, car, ce dernier moyen, ne peut être employé que par un petit nombre de producteurs, à cause des frais que nécessite l’installation d’une fabrique de ce genre.

Cependant, les personnes, dont le but ne vise qu’à une petite production, peuvent s’en servir aussi sans inconvénients.

Voici en quoi consiste ce genre de fabrication:

Après avoir épuré les raisins et les avoir débarrassés des matières étrangères qu’ils pouvaient contenir, on les verse dans les foudres ou barils devant servir à la fabrication, sans leur faire supporter l’opération du trempage ni de la trituration.

On chauffe, à 40 degrés au moins, la quantité d’eau qui doit servir à la fermentation des raisins, et on maintient la température du cellier ou de l’appartement dans lequel se trouvent les cuves ou barils, à 25 degrés de température au-dessus de zéro.

Il est nécessaire de bien remuer les raisins à mesure qu’on verse l’eau chaude, afin de leur permettre de s’imprégner uniformément.

La fermentation s’établit généralement dans les vingt-quatre heures et se trouve terminée quatre ou cinq jours après, à la condition de maintenir le moût à 25 degrés de chaleur.

Il est incontestable, comme je le disais, que l’outillage, nécessité par ce genre de fabrication, est assez important; l’eau chaude ne s’obtient en quantité suffisante, surtout pour la grande production, qu’au moyen de chaudières et d’installations spéciales.

Je rappelle à mes lecteurs, que l’appareil système J.-F. Audibert, pour la fabrication mathématique des vins de raisins secs, a résolu ce problème à très bon marché.

La fermentation rapide est aujourd’hui en vigueur dans le monde entier; dans les Bouches-du-Rhône, dans l’Hérault, dans l’Aude, dans le Gard, dans les Charentes, dans la Meuse, dans les Vosges, dans la Haute-Saône, dans la Seine, en Algérie, etc., en Italie, en Espagne, en Amérique, dans l’île Bourbon à Saint-Denis, dans la Nouvelle Zélande, etc., etc.

Un grand nombre de personnes qui ne désirent fabriquer que par petites quantités et pour leur usage personnel, pourront se servir avec succès, du genre de fermentation que je viens d’indiquer.

Les distillateurs l’emploient de préférence aux autres modes de fermentation, à cause de l’économie de temps qu’ils font; il est un avantage énorme que l’on gagne: C’est la neutralité du goût des produits que l’on obtient. Les ferments alcooliques, se développant avec force, par la chaleur, agissent violemment sur la partie liquoreuse du moût et opèrent la métamorphose du sucre en alcool et en acide carbonique, presque impétueusement, sans permettre au liquide de s’imprégner des divers goûts, sui generis, que les pellicules de raisins secs, et surtout les grappes, donnent aux vins obtenus par une fermentation ordinaire.

Garniture intérieure des Robinets

Avant de terminer ce chapitre, je vais dire quelques mots sur une cause bien petite, dont les effets sont quelquefois bien grands.

L’été, où le vin se pique si facilement, les conséquences de cet état de choses peuvent occasionner de véritables pertes. Beaucoup de fabricants versent les raisins dans les cuves ouvertes ou fermées, sans préalablement aviser au moyen le plus sûr et le plus commode, qui permettra aux vins de s’écouler rapidement du robinet obstrué par les grappes.

J’ai reçu, sur ce sujet, plusieurs lettres me demandant la meilleure manière de pratiquer.

Quelques-uns ont employé des grilles en métal qui s’obstruent très facilement. Le plus simple, le plus économique et le plus sûr moyen, est l’emploi de balais de Bruyère que l’on a soin de fixer intérieurement, dans la cuve, devant le trou du robinet, avant de verser les raisins. De cette façon le vin sort, lors du soutirage, très vite, ne contenant qu’une quantité insignifiante de grappes et déjà en partie filtré.

CHAPITRE XII

Des fabrications Spéciales

Avec les raisins secs, il est facile d’obtenir un nombre varié de produits, suivant les moyens que l’on emploie. (Voir l’Art de faire les vins d’imitation, Madère, Malaga, etc., Vermouth, Bitter, Sirops, Infusions, Liqueurs, avec les vins de raisins secs et autres, renfermant toutes les recettes complètes, un millier environ, détaillées simplement et nécessaires à tout fabricant, négociant, propriétaire, distillateur, vigneron, ainsi que tous les renseignements et documents nécessaires pour ces fabrications, avec planches et figures.)[24]

Je vais enseigner celui qui consiste à faire fermenter le moût sans les grappes; les résultats que l’on obtient récompensent largement le fabricant des peines qu’il a prises pour y arriver.

La Fermentation du Moût sans Grappes

Après avoir suivi la règle de conduite, que j’ai tracée aux chapitres IV, V et VI, qui consiste à bien préparer les raisins dont on veut se servir pour fabriquer, on établit dans le cellier une chaleur de 25 degrés.

Environ 24 heures après, on brasse fortement les raisins avec le liquide, afin de mélanger la partie liquoreuse et sucrée; cette partie liquoreuse, se trouvant beaucoup plus lourde, tombe dans le bas de la cuve et s’y accumule. Si on ne prend pas cette précaution, on est obligé d’attendre le moment où la fermentation, commençant son œuvre, mélange cette partie sucrée avec le restant du liquide. Chacun peut du reste, facilement, se rendre compte du fait que je cite. Le premier je l’ai remarqué.

J’indiquerai plus loin le parti que j’ai tiré, pour certaines fabrications, telles que le sirop et le sucre provenant des raisins secs, de cette particularité bien naturelle.

Quand on a chargé une cuve de fermentation, on pèse 24 heures après à l’aréomètre Beaumé, les degrés de douceur[25]; la partie liquide supérieure accuse de 0 à 5 degrés à peine, tandis que le pèse-sirop donne 22 ou 24 degrés de sucre pour la partie complètement inférieure que l’on tire par un trou de vrille ou robinet.

Pour la fermentation du moût sans grappes, il faut donc, dis-je, 24 heures après la mise en cuve, bien mélanger le liquide qui baigne les grappes, de façon à n’obtenir qu’un unique degré de douceur, du sommet à la base de la cuve.

La fermentation ne tarde pas à se faire sentir; c’est le moment propice au soutirage du liquide contenu dans la cuve. Le moût, ainsi transvasé, loin de perdre quelques qualités, en acquiert de nouvelles. L’aérification qu’on lui fait subir, non-seulement ne paralyse pas la fermentation que l’on veut poursuivre, mais l’active à nouveau.

On met donc ce moût, complètement liquide, dans un foudre ou tonneau dont on ferme la bonde par le procédé dont j’ai parlé au chapitre X; intitulé: Des divers modes de fermentation.

Une température, bien égale, de 20 à 25 degrés de chaleur, est nécessaire dans la cuverie et surtout dans le moût[26], pour empêcher l’engourdissement des ferments et, partant, un arrêt dans la transformation de la partie liquoreuse en alcool. Il est important d’éviter ce dernier inconvénient, car on peut voir cette fabrication ne se terminer, quelquefois, que quatre ou cinq mois après. Je dois dire, cependant, qu’en prenant quelques précautions, on est sans crainte sur le sort du moût qui se trouvant sans chapeau, ne risque pas de s’aigrir et peut demeurer impunément intact, protégé par le sucre qui constitue un agent préservateur.

La fermentation alcoolique peut s’arrêter, dans le cas qui nous occupe, à la suite d’un refroidissement de température dans le cellier. Le moût demeure alors avec les degrés de douceur qui existent encore sans se détériorer. Dès que la chaleur se fait sentir, la fermentation reprend de plus belle et se termine heureusement, si on veille à ce que la cause que je viens de signaler ne se renouvelle plus.

Dans le chapitre consacré à l’emploi des grappes, j’expliquerai le parti que l’on peut tirer de celles ayant servi à ce genre de fabrication; leur manipulation, après le soutirage, constitue un bénéfice réel pour le fabricant, qui retire, comme je le démontrerai, leur quintessence de production.

J’ai fait l’épreuve d’un refroidissement de fermentation dont voici le résultat:

Après un commencement de fermentation, je soutirai, au mois de janvier 1879, le moût d’une cuve de 100 hectolitres. Je le mis dans un foudre placé dans une cave dont la température naturelle était de 7 à 8 degrés seulement, en moyenne, et je l’y abandonnai.

Pendant 6 mois je suivis, presque chaque jour, les changements qui s’opéraient à la suite de la fermentation très lente qui se manifestait à peine; le froid qui règne pendant cette époque de l’année l’avait presque complètement arrêté. Je remarquai que, suivant les plus ou moins chaudes journées, j’avais gagné soit un cinquième, soit un huitième de degré.

Le plus souvent, quand la température s’était abaissée, la fermentation s’arrêtait complètement. C’est ainsi que, durant environ 4 mois, cette fermentation fut réellement intermittente, sans que le moût ne s’altérât en rien.

Quand les premiers jours de mai arrivèrent, et avec eux une température plus chaude, la fermentation reprit régulièrement son cours et s’acheva d’une manière complète vers le mois de juin. Elle avait duré près de six mois.

J’ai tenu à signaler l’exemple de cette expérience importante, afin de démontrer aux personnes qui hésitent à se livrer à ce genre d’industrie, qu’il n’en est peut-être aucune qui présente autant de garanties de succès.

La Fermentation des raisins secs avec des raisins frais

Au moment où le vin va presque disparaître de certains départements dévastés par le phylloxéra, et où un grand nombre de propriétaires ne recueillent de leurs récoltes, plus que des quantités vraiment insignifiantes de raisins, il convient de répandre le plus possible le moyen de refaire une vendange artificielle et de permettre, aux propriétaires, de boire presque de leur vin.

Il est incontestable que l’intérêt particulier de tous les viticulteurs plaide en faveur de cette innovation; chacun préfère boire le vin qu’il a fait, serait-il de qualité inférieure, que celui acheté à son voisin. C’est plus économique et toujours plus sûr.

Voici donc comment on doit opérer le mélange des raisins afin d’obtenir un bon produit: On prépare, avant le foulage des raisins frais qu’on se propose de vendanger, les raisins secs, dans la cuve à tremper, comme je l’ai indiqué dans le chapitre V, de façon à faire coïncider le foulage des deux vendanges, si je puis me servir de cette expression.

Les raisins secs devront être traités, avant leur fusion avec les raisins frais, exactement comme si on voulait les faire fermenter seuls; c’est-à-dire que l’addition d’eau qu’on leur a faite, doit être celle que comportent les raisins secs ordinairement[27].

On opère le mélange des raisins secs et frais au moment du foulage, et on pratique de la même manière que pour les raisins frais, en suivant les diverses indications du chapitre VI.

Il est important, que cette dernière opération soit bien également faite, si l’on veut obtenir une marche régulière dans la fermentation. Quelques agriculteurs m’ont écrit pour me demander si l’on obtiendrait assez de couleur avec ces genres de vins.

Je vais répondre à cette observation: Suivant la qualité de raisins que l’on récolte et surtout suivant les années, le vin naturel se trouve plus ou moins chargé en couleur. J’ai remarqué qu’un hectolitre de beau vin rouge de raisins frais, donnait une jolie teinte à 10 hectol. de vin de raisins secs.

Or, la partie colorante résidant surtout dans la pulpe du raisin, on obtient par la fermentation, des deux qualités de fruits mélangés, une plus grande diffusion de la partie colorante. Nul n’ignore combien est grande la force et la richesse de ce colorant chez certaines variétés de raisins frais.

Qui n’a bu, chez les propriétaires de nos vignobles du Midi, de ces fameuses piquettes qui ne le sont que de nom, tellement est belle leur apparence et délicieux leur goût.

L’explication de ce fait réside dans la grande quantité d’œnocyanine, que contient la pellicule, et dont l’abondance est telle, qu’elle suffit à colorer, non-seulement le vin de sa propre cuvée, mais encore l’eau qui sert à la fabrication de la piquette; cela constitue un véritable lavage des marcs de raisins et démontre combien est grande la force de coloration qui demeure dans les grappes après le soutirage du vin.

Il faut donc, suivant la teinte de coloration que l’on veut obtenir, quand on fabrique des vins de raisins mélangés, il faut donc, dis-je, connaissant la qualité de raisins frais qu’on emploie, faire le mélange intelligemment.

Ainsi, si l’on vise à la production de vins bien rouges, la quantité de raisins secs à ajouter deviendra moindre, tandis que si l’on ne veut obtenir que des vins dits aramonts, c’est le contraire qui devra avoir lieu. La partie colorante, jaune des raisins secs, forme, avec celle des raisins frais, une couleur d’un rouge paille.

J’affirme que, par le moyen que je viens de décrire, un cultivateur peut encore longtemps, non-seulement boire du vin de sa propriété, mais se refaire, pour ainsi dire, une nouvelle récolte.

On m’a objecté que le vin obtenu avec les raisins secs était trop coûteux quand il revenait à plus de 20 francs l’hectolitre.

Il est facile de démontrer combien est fausse cette idée. Si les viticulteurs additionnaient les sommes considérables de main-d’œuvre et surtout d’argent que nécessite la culture de la vigne, à notre époque, s’ils établissaient le compte des dépenses qu’occasionne cette récolte, et s’ils les mettaient en parallèle avec les frais qu’occasionnent les nouveaux genres de vins, l’avantage demeurerait aux vins de raisins secs sans contestation.

La fermentation des Raisins secs avec le marc des Raisins frais

Je fais entrer la description de la fermentation des raisins secs avec le marc de raisins frais dans ce chapitre, à cause de la similitude qui existe entre cette fabrication et les fabrications précédentes.

On peut, par ce moyen d’employer les raisins secs:

1º Ne se servir du marc de raisins frais, que dans le seul but de donner au vin que l’on prépare un plus grand principe vineux;

2º Ne viser qu’à produire de la piquette avec le marc de raisins frais, et remonter son degré alcoolique avec une petite quantité de moût de raisins secs.

Dans le premier cas, l’agriculteur qui veut se livrer à cette fabrication, n’a qu’à suivre les règles que j’ai tracées pour le travail des raisins secs; seulement la quantité d’eau qu’il versera sur ceux-ci, mélangés de marc, devra être augmentée proportionnellement à la quantité qu’il aura ajoutée et qu’il voudra faire fermenter avec les raisins secs.

Dans le second cas, c’est-à-dire quand on veut obtenir de la piquette et que les raisins secs ne remplissent d’autre rôle que celui de producteurs d’alcool, la partie d’eau à ajouter devient d’autant plus grande, que l’on se contente d’un degré plus bas.

Il est, cependant, des limites qu’on ne saurait franchir impunément. Ainsi, le vin ne peut mériter ce nom, proprement dit, que tout autant qu’il pèse au moins 6 degrés d’alcool; au-dessous, il ne peut réellement porter que celui de piquette de marc de raisins.

Afin d’éviter aux agriculteurs, qui vont pratiquer cette fabrication, les ennuis d’un essai, je vais indiquer, en finissant ce chapitre, la quantité d’eau qu’il convient de verser sur les raisins secs auxquels on ajoute du marc de raisins frais, pour les différents degrés d’alcool que l’on veut obtenir.

On prend pour base le tableau des quantités d’eau nécessaires pour fabriquer du vin de raisins secs (Page 39).

Quand les marcs, dont on se sert, proviennent de raisins bien mûrs, de côteaux, qui ont produit du vin de degré alcoolique élevé, la quantité d’eau qu’on peut verser sur eux est plus grande, évidemment, que dans le cas contraire.

Ainsi, 50 litres d’eau par 100 kilog. de ces marcs, dans une cuvée de raisins secs importante, n’en changent pas le degré.

Cependant, pour ne pas être obligé de faire ici un nombre infini de tableaux qui seraient encore incomplets, vu la grande variété de coupages et d’additions que l’on peut faire avec les raisins secs, les marcs et l’eau, je dirai aux agriculteurs: Agissez pour la fabrication du vin de raisins secs coupés avec du marc, exactement comme pour celle des raisins frais mélangés de raisins secs. C’est-à-dire que, d’une part, vous suivez exactement la ligne de conduite que j’ai tracée pour la fabrication des vins de raisins secs, et que, d’autre part, vous verserez auparavant sur les marcs que vous voulez mélanger, la quantité d’eau que vous jugerez convenable, soit 30, 40, 50 jusqu’à 100 litres d’eau par 100 kilog. de marc.

J’avoue, qu’en général, on ne peut plus espérer, même un degré modeste d’alcool, avec la dernière proportion, si le moût de raisins secs n’a pas déjà au moins un degré de liqueur élevé.

CHAPITRE XIII

Moyen pratique de suivre la marche des fermentations

Un grand nombre de mes lecteurs, avant que ce traité ne fît son apparition, m’avaient demandé un moyen pratique de pouvoir suivre les fermentations et connaître facilement le moment où elles étaient terminées.

La science nous offre une assez grande quantité d’observations sur ce sujet, mais, conformément au but que je me suis proposé et dont je ne veux pas m’écarter, je ne m’étendrai pas sur la description des expériences que nos savants ont faites, afin de deviner le secret des fermentations.

Je vais donc indiquer aux fabricants le moyen qui m’a paru le plus simple et le plus commode, de suivre les diverses phases de la fermentation.

C’est d’abord le pesage du moût à l’aréomètre Beaumé, ensuite le thermomètre coudé[28] qu’on a appliqué à la cuve.

Le pèse-sirop, que tout le monde connaît et dont il est inutile de faire ici la description, accuse la densité liquoreuse du liquide dans lequel on le fait flotter.

C’est, en quelque sorte, le Mentor du fabricant ou agriculteur, qui trouve en lui un guide presque toujours infaillible.

Je n’en ai pas parlé plus tôt, afin de faire ressortir d’une manière plus grande son utilité, au milieu de toutes les hésitations auxquelles doivent être sujets les fabricants, avec le mode actuel de production.

Après un grand nombre d’expériences, j’ai remarqué que le degré de sucre qu’accusait le pèse-sirop pour le moût de raisins secs, au moment où la fermentation va commencer, était, à peu de chose près, le degré d’alcool obtenu une fois la fermentation terminée.

Ce résultat s’explique assez facilement. L’alcool ne se formant qu’au fur et à mesure de la métamorphose du sucre en acide carbonique et alcool, le pèse-sirop indique exactement la déperdition de la partie liquoreuse et le degré équivalent à son nouvel état.

Ainsi prenons un exemple:

Le moût, d’une cuvée, accuse au pèse-sirop 12° de liqueur au moment du départ de la fermentation, toutes les précautions nécessaires pour faciliter sa marche ayant été observées, dès le lendemain, ou 2 jours après, en pesant du moût de la cuve dans une éprouvette, le pèse-sirop indiquera une tendance à baisser. Si la fermentation est tumultueuse, l’aréomètre n’indiquera plus que 11° dès le 3e jour, 9°,5 ou 10° le 4e, 8° le 5e, 6º5 le 6e et ainsi de suite jusqu’à 0°, qui indique que toute la partie sucrée s’est transformée et qu’il faut soutirer le vin de dessus les grappes.

Ce moyen, comme je le disais, est bien simple et d’une grande facilité; le fabricant le moins expérimenté s’aperçoit immédiatement, en pesant le moût, si la fermentation suit un cours régulier et si la cuvée se refroidit.

Point n’est nécessaire d’être fort en chimie pour savoir qu’une cuvée a besoin d’une température plus chaude, quand l’aréomètre indique deux fois le même degré.

Il est urgent, quand on remarque un arrêt dans la fermentation, de suivre les conseils que j’ai donnés sur ce sujet dans les chapitres ayant trait à cette importante question.

Les indications de l’aréomètre Beaumé sont surtout nécessaires vers la fin de l’opération; à mon avis, c’est l’unique instrument pratique dont puisse se servir le fabricant.

Vers la fin d’une fermentation, alors que l’aréomètre n’accuse plus que 2 degrés de liqueur, il est essentiel que l’on remarque si l’opération ne subit pas d’arrêt; c’est le moment périlleux de notre genre de fabrication.

Pour plusieurs opérations entreprises et conduites heureusement, ces deux derniers degrés offrent une infranchissable barrière à leur bonne réussite.

Afin d’éviter ces grands inconvénients, le fabricant devra, dès la mise en cuve, peser quotidiennement le moût des cuves en fermentation et annoter chaque fois d’une manière exacte l’observation qu’il aura faite.

En se servant du moyen que j’indique, il n’est plus nécessaire de distiller chaque jour, comme le font plusieurs fabricants, du moût à l’appareil Salleron[29]; le résultat que l’on obtient est identique à celui du pèse-sirop.

Malgré cela, vers les derniers jours de la fermentation, il convient de faire la contre-expérience avec cet appareil, afin de connaître la richesse alcoolique que l’on a obtenue et de s’assurer concurremment, avec l’aréomètre, de la marche continue de l’opération.

Il est pourtant, des cas, où le pèse-sirop ne peut pas servir de guide au fabricant, et où l’emploi du petit appareil à distiller, de Salleron, est obligatoire, pour se rendre bien compte de la marche de la fermentation alcoolique.

C’est dans la fabrication que j’ai décrite au paragraphe intitulé: Fermentation des raisins secs avec le marc de raisins frais. La même restriction s’applique à tous les genres de fabrication, où l’alcool peut déjà se trouver en nature dans une plus grande ou plus petite quantité.

Personne n’ignore la richesse alcoolique des marcs de raisins frais qui, quoique pressurés au plus haut point, rendent encore de 5 à 15 0/0 d’alcool, suivant leur qualité ou leur état.

On comprend facilement, qu’en mélangeant du moût de raisins secs avec les grappes ou marcs, le pèse-sirop indiquera un degré de liqueur inexact à cause de l’alcool existant déjà dans les marcs, alcool dont le moût se sera emparé par suite du mélange.

Afin de connaître le degré alcoolique du moût de ces sortes de fabrication, on est donc obligé de se servir exclusivement de l’appareil Salleron qui indique, dès le début de la fermentation, l’alcool existant. On n’a plus qu’à essayer tous les matins, le vin, et qu’à bien s’assurer de la marche progressive de l’opération.

Il est cependant un point de repère pour connaître le moment du soutirage, c’est encore avec l’aréomètre Beaumé.

Quand le pèse-sirop marque 0°, la partie liquoreuse, s’étant transformée presque en entier, le vin peut être entonné.

Avant de m’occuper du soutirage du vin, je crois que mes lecteurs me sauront gré de leur faire la description d’un moyen de fabrication que la science et un petit nombre d’industriels connaissent; je l’ai appliqué à notre industrie, pensant qu’il rendra de grands services aux agriculteurs en général et aux fabricants de vins de raisins secs en particulier, en temps de hausse exagérée des raisins secs.

Je veux parler de l’opération du sucrage.

CHAPITRE XIV

Du Sucrage

Nos plus grands œnologues et nos meilleurs chimistes ont reconnu et accepté la nécessité et le naturel emploi du sucre. Chaptal, son immortel innovateur, a même laissé son nom à ce procédé; on dit: Chaptaliser du vin.

Je puis donc, couvert par de pareilles célébrités, acceptées par tous, traiter cette question, dédaignant les attaques qu’elles ont motivé de la part de quelques personnalités bruyantes dont le talent en la matière serait bien facile à contester.

L’épithète ironique et impuissante d’eau de raisins dont quelques négociants en vins, ni viticulteurs, ni chimistes, ont voulu stigmatiser le vin de raisins secs, devait ce me semble trouver un meilleur placement appliquée à l’opération dite du sucrage.

Pourquoi ne s’est-on jamais élevé contre cette opération?

Cependant cette façon de faire le vin est non-seulement connue de nos négociants, mais même approuvée et conseillée, pour bien des cas, par nos Facultés et nos Académies scientifiques.

Avant de pénétrer davantage dans ce sujet, je vais donner à mes lecteurs quelques notions préliminaires sur cette question et rappeler brièvement sa théorie:

L’opération du sucrage consiste à ajouter au jus de raisins frais, le sucre qui lui fait défaut, à la suite de circonstances malheureuses provenant de la température et du climat qui ont empêché son développement sur la vigne, et à remplacer ce sucre par celui de raisins ou d’autres. La nécessité de cette addition s’impose d’elle-même.

Chacun sait que la formation de l’alcool, principe fondamental du vin, s’obtient par le changement de la partie sucrée en acide carbonique et en alcool.

Or, supposons une année froide et pluvieuse, les raisins, au moment où l’époque des vendanges est arrivée, non-seulement ne sont pas mûrs, mais ne peuvent plus mûrir; la partie sucrée, dont ils devaient être pourvus, ainsi que dans les temps ordinaires, fait complètement défaut. Que faire de ce moût, véritable verjus, qui contiendra peu d’alcool et partant ne pourra se conserver?

La chimie a depuis longtemps répondu à cette interrogation et s’est engagée bravement dans la voie, qui, du reste, se présentait à elle toute tracée: Quand le sucre naturel manque il faut le remplacer.

Les sources sont nombreuses. Chaptal préconisait l’emploi du sucre de canne brut et surtout celui extrait du raisin lui-même.

Cependant il faut bien se garder de confondre le sucre de raisin avec le glycose obtenu de la fécule de pomme de terre; son emploi procure au vin une altération funeste. Le sucre dont on peut se servir est celui de raisin ou de canne. On doit se garder de l’exagération, qui, en tout, est un défaut. Il ne faut pas dépasser, par excès de sucrage, le degré de liqueur qu’accuse le moût, quand les vendanges sont heureuses.

Le but de cette opération est donc, dans ce cas, celui d’empêcher la perte de la récolte à cause du manque de sucre.

Nos viticulteurs de la Champagne, et surtout nos fabricants de vins de ce nom, ont étendu, plus loin encore, le bénéfice qu’ils pouvaient recueillir de l’avantage du sucrage, afin d’avoir une récolte toujours uniforme, qui pût leur donner, toutes les années, un vin identique pour fournir à leur clientèle du monde entier.

Un certain nombre de fabricants, et des renommés de ce pays, retirent d’abord simplement le moût des raisins frais, et versent sur les grappes, avec de l’eau, la quantité de sucre[30] qui est nécessaire pour remettre le liquide à un degré de liqueur suffisant et refaire une nouvelle cuvée. Quand la fermentation de ce nouveau moût est terminée, ils mélangent ce vin avec celui de la cuvée précédente, et obtiennent ainsi des produits qui ont fait rêver, pendant bien longtemps, des œnologues distingués qui cherchaient à deviner comment ils pouvaient obtenir ainsi, chaque année, malgré les différences de vendanges, des produits aussi similaires.

Il était nécessaire que j’expliquasse bien à mes nombreux lecteurs sur quoi reposait la théorie du sucrage.

Il importait aussi de rendre public ce procédé tout champenois, afin d’apprendre aux détracteurs de vins de raisins secs que l’appellation dont ils ont voulu gratifier ces vins: eau de raisins, pouvait assurément, et depuis longtemps, trouver justement sa place sur une foule de manipulations œnologiques, et que c’est faire réellement preuve d’ignorance de désigner ainsi le produit qui, seul peut-être, ne le méritait pas.

Peut-on nier que toutes les matières qui les constituent ne leur soit réellement propres?

Le sucre qu’ils contiennent est-il du sucre de raisin?

L’eau seule leur manque et on la leur rend; je dis: on la leur rend. Peut-on dire cela pour l’opération que j’ai rapportée plus haut, qui se pratique depuis si longtemps dans la Champagne, et n’est-ce pas à ce genre de vin, pourtant excellent qu’il eût fallu appliquer l’épithète d’eau de raisins?

Cette petite digression était nécessaire pour pouvoir m’étendre sur les divers emplois qu’on peut tirer du sucre dans la fabrication des vins de raisins secs. J’ai tenu à bien démontrer que, loin de créer une innovation, je ne visai, dans ce traité, qu’à faire l’application à notre genre de fabrication des méthodes bien anciennes, existant déjà dans la fabrication des vins de raisins frais, nullement répréhensibles, et approuvées par la science.

La fermentation des raisins, grappes, marcs, avec du sucre

Dans la description que j’ai faite de la fermentation du moût sans grappes, celles-ci demeurant dans la cuve après le soutirage du moût, j’ai promis d’indiquer le parti qu’on peut en tirer, vu leur état.

On doit se rappeler comment ce genre de fabrication se pratique; 24 ou 48 heures environ après le séjour de l’eau sur les raisins secs, on la soutire toute chargée de la partie sucrée qu’elle a dissoute dans cette sorte de lavage. Les raisins ou grappes conservent encore cependant une assez grande partie de ce sirop dont ils sont imprégnés.

Il est deux manières de les utiliser: La première, en y versant tout simplement de l’eau; la seconde, en refaisant une nouvelle cuvée, et en y ajoutant de l’eau et du sucre de canne pour remplacer celui qui a été entraîné après le soutirage du moût.

Si le produit que l’on veut obtenir ne doit avoir que 5 à 7 degrés, et si l’on vise à la quantité, on n’a qu’à verser environ 40 à 50 litres d’eau par 100 kilog. de grappes dans la cuve, sans ajouter de sucre. On remue bien cette nouvelle addition et on agit exactement comme pour une première fabrication de raisins secs.

Le premier moût qu’on a soutiré, quoique ayant enlevé une grande partie des matières que contenaient les raisins, leur en laisse encore assez pour faire fermenter et produire du vin qui peut très bien, une fois la fermentation terminée, servir pour le coupage de ceux dont le degré est trop élevé.

Si au contraire, pour des causes particulières, telles que: la cherté des raisins secs, leur prix excessif de transport, la proximité d’une raffinerie de sucre, le fabricant a intérêt à produire du vin de raisins secs en se servant du sucre, au lieu de vider l’eau purement sur les raisins, dont on a déjà sorti un premier moût, le producteur préparera ainsi sa nouvelle fabrication: Par 100 kilog. de raisins, il versera 100 litres d’eau et 10 kilog. de sucre. Afin que le mélange s’opère bien, je conseillerai de verser le sucre séparément dans l’eau que l’on veut employer, de manière à n’avoir plus qu’à mélanger l’eau ainsi préparée avec les raisins dans la cuve.

On peut de cette manière, comme je le disais plus haut, fabriquer, quel que soit le prix des raisins et surtout leur qualité, des vins à peu près toujours semblables.

La conduite de la fermentation de ce genre de fabrication est, bien entendu, toujours celle que j’ai indiquée dans le chapitre précédent; les soins à donner à la cuve à fermenter sont identiquement les mêmes pour toutes les façons de fabriquer.

Voulant prévenir les polémiques que l’application du sucrage, que j’ai faite à notre industrie, peut soulever, je prie mes lecteurs de vouloir se reporter à l’appendice qui termine ce volume. J’ai relaté tout au long, dans l’intérêt des agriculteurs, les magnifiques expériences faites par M. Petiot, sur une cuvée qui, en temps ordinaire, eut produit 60 hectolitres à peine, et dont il retira 285 hectolitres, soit près de cinq fois plus. Cette expérience, attestée par les célèbres chimistes et œnologues Thénard père et fils, par Maumené, et un grand nombre de savants, se dresse en vengeresse pour prouver une fois de plus aux détracteurs des vins de raisins secs, combien ceux-ci, incontestablement naturels, laissent loin derrière eux ces produits artificiels si admirés.[31]

CHAPITRE XV

Résumé de la Théorie de la Fermentation

Afin de présenter d’une manière plus saisissable les indications que j’ai données et les observations que j’ai faites dans les chapitres précédents ayant trait aux divers phénomènes de la fermentation, je vais les grouper ici sous forme de mémorandum.

Mes lecteurs pourront ainsi, suivant les cas qui les embarrasseraient, trouver l’explication immédiate de ce qui fera l’objet de leurs hésitations.

RÈGLES GÉNÉRALES

Pour obtenir une bonne fermentation, il faut:

1º Que l’opération du foulage des raisins secs ait été bien régulièrement et entièrement pratiquée;

2º Que la température du moût soit au moins à 25 degrés;

3º Que celle du cellier soit de 15 à 20 degrés environ et invariable, si on n’emploie pas l’appareil pour la fabrication mathématique;

4º Agiter fortement la cuvée au début, afin que le départ de la fermentation se fasse uniformément;

5º Entretenir avec soin la chaleur naturelle des cuves, développée par la fermentation;

6º Eviter l’acidification du chapeau et les développements de fermentations acides ou putrides;

7º Suivre bien exactement la marche de l’opération, afin de parer aux éventualités qui peuvent surgir pendant sa durée.

On peut, pour réaliser ces diverses conditions, employer les moyens que j’ai indiqués précédemment.

Quelques fabricants ne liront peut-être pas sans intérêt la description d’une fermentation faite dans une cuve ordinaire recouverte d’un couvercle en bois, adhérent avec de la farine de lin bouillie.

C’est le récit détaillé d’une fabrication de vins de raisins secs, jour par jour.

Les observations ont été notées avec le plus grand soin. Il se peut que quelques-unes soient utiles à certains propriétaires ou producteurs, c’est pourquoi je conseillerai à mes lecteurs de lire les détails de cette expérience incontestablement pratique.

Expérience faite avec 1.000 kil. de raisins secs, au mois d’avril 1877

La quantité employée a été celle dont généralement on se sert dans la pratique. La manipulation en est facile, les récipients commodes à trouver.

Le 1er avril 1877.—Je reçois dans ma fabrique 1,000 kilog. de raisins Thyra, dans des sacs de 105 à 110 kilog. en moyenne. Dès leur arrivée, je les dirige sur la salle de trempage, où ils commencent à recevoir les soins de propreté que leur état exige. Après avoir ouvert chaque sac, on étend, sur le plancher, les raisins, dont on brise les mottes et dont on sépare les corps étrangers. C’est ainsi que je trouve mélangés, aux grappes, des pierres, des figues, des dattes, des filaments, des herbes, etc. Les raisins sont bien épurés, afin d’éviter les ennuis que peuvent occasionner, dans la suite des diverses opérations, tous ces corps étrangers.

Le 2 avril.—Les 1,000 kilog. de raisins secs ayant été versés de 8 heures à 9 heures du matin, dans la cuve à tremper, avec 22 hectolitres 50 litres d’eau, je fais remuer fortement les raisins et l’eau, afin que le mélange soit bien homogène et qu’il ne reste plus de raisins amalgamés et formant des boules.

Le thermomètre indique une température de 13 degrés, pour l’eau servant au trempage. A 2 heures, à 5 heures et à 9 heures du soir, on agite encore fortement les raisins pendant quelques instants.

Le 3 avril.—Les raisins secs ont trempé environ 24 heures. Leur aspect rappelle complètement celui des raisins frais; ils se sont gonflés et ont repris une certaine apparence de vie. Une grappe entr’autres, à laquelle une douzaine de grains restent encore attachés, est bien faite pour compléter cette illusion. Quelques grains, que je presse entre mes doigts, m’indiquent par leur façon d’éclater en s’écrasant, que la durée du trempage est terminée.

Il est 9 heures du matin, je donne l’ordre de fouler à la machine.[32]

Voici comment j’ai pratiqué cette opération: La cuve, dans laquelle les raisins ont été mis à tremper, se trouve à la partie la plus élevée de la fabrique, dans l’appartement situé au-dessus des cuves à fermenter. Elle est relevée de telle sorte, que sa base se trouve de niveau avec le sommet de l’entonnoir en bois de la machine qui doit fouler les raisins. Cette précaution est prise dans le but d’éviter une main-d’œuvre de plus, et de permettre aux grains et aux grappes de glisser sans efforts, de la cuve à tremper dans la machine. Elle se trouve placée elle-même immédiatement au-dessus de la cuve à fermenter, qui est dans le cellier.

Les grappes et les raisins se précipitent ainsi, sans aucun travail, de la machine dans la cuve qui doit les recevoir pour fermenter.

Pour établir une plus grande affinité entre la partie liquide et les grappes, pendant qu’un ouvrier les rejette par-dessus le bord, dans la machine à fouler, je fais arriver le moût, dans cette même machine, au moyen d’un robinet placé au bas de la cuve. La partie liquide, dans de pareilles conditions, peut porter sans contestations le nom de jus de raisins.

L’opération du foulage et de la mise en cuve à fermenter, est terminée à trois heures du soir.

Je place immédiatement le couvercle sur la cuve et enduis toutes les jointures de farine de lin bouillie afin d’intercepter complétement le passage de l’air.

Me proposant de fabriquer du bi-carbonate de soude, j’établis au sommet de la cuve à fermenter, un tuyau de verre qui permettra au gaz acide carbonique, d’abord, de s’échapper de la cuve, qu’il ferait éclater sans cette précaution, ensuite, de transformer mon carbonate de soude en bi-carbonate.

Le 4 avril.—Ainsi que j’en avais donné l’ordre, la température est régulière. Le thermomètre du cellier indique 22 degrés de chaleur à 8 heures du matin. Je pèse le moût à l’aréomètre Beaumé en ayant soin d’en prendre du haut, du milieu et du bas de la cuve au moyen de petits robinets, afin d’éviter des erreurs provenant de la différence de degrés qui peut exister dans le moût avant le départ de la fermentation. Le pèse-sirop indique 22 degrés de liqueur.

Le thermomètre coudé, adapté à la cuve, dont le réservoir baigne dans le moût, n’accuse que 15 degrés seulement; la fermentation ne s’est point encore établie. Le soir à 8 heures, le thermomètre donne 16 degrés 5, soit une production naturelle d’un degré et demi de chaleur, de plus, depuis 12 heures.

Le 5 avril.—Je pèse le moût, je constate un sensible mouvement de fermentation; à 8 heures du matin, l’aréomètre indique une tendance à la baisse.

Le thermomètre de la cuve indique un peu plus de 17 degrés de chaleur; le soir, il atteint 18 degrés. Je remarque un petit dégagement d’acide carbonique.

Le 6 avril.—La fermentation existe en plein à 8 heures du matin; le thermomètre de la cuve marque 19 degrés; le moût a perdu un degré de liqueur; le dégagement de l’acide carbonique est vif.

A 3 heures du soir, le thermomètre est à 20 degrés; la fermentation s’accentue davantage; à 5 heures la fermentation développe une chaleur qui atteint près de 21 degrés et devient tumultueuse.

Le 7 avril.—Je pèse le moût à l’aréomètre Beaumé; à 8 heures du matin le degré indiqué est 10 degrés, soit: 2 degrés d’alcool formés. Le thermomètre indique 21 degrés 5; le soir il en marquait 23.

Le 8 avril.—Le thermomètre accuse à 8 heures du matin 23 degrés 5; je pèse le moût à l’aréomètre, son poids est de 9 degrés 5, soit: une perte de sucre de près de 3 degrés ayant servi à produire 3 degrés d’alcool; à 3 heures du soir, le thermomètre atteint 25 degrés.

La fermentation est excessivement vive et sa marche est excellente.

Devant la chaleur naturelle que développe la fermentation, je juge inutile de conserver dans le cellier, une température de 22 degrés et je la maintiens de 15 à 18 degrés environ, seulement.

Le 9 avril.—Le thermomètre, à 8 heures du matin, indique 25 degrés 5; l’opération suit un cours régulier; le pèse-sirop m’annonce, en flottant dans le moût, un poids spécifique de 8 degrés de liqueur, soit: une nouvelle perte d’un degré.

Le 10 avril.—Le thermomètre, à 8 heures du matin, atteint 26 degrés; je pèse le moût qui n’indique plus que 7 degrés.

La fermentation continue à être très-tumultueuse; le dégagement de l’acide carbonique se fait avec une telle force, qu’il éteint une bougie à 15 centimètres du tuyau d’où il s’échappe.

Le 11 avril.—La fermentation est à son apogée; à 8 heures du matin, le thermomètre se maintient à 26 degrés, l’aréomètre indique une perte de 1 degré 5 de sucre et par contre un bénéfice d’autant en alcool; le poids liquoreux est de 5 degrés 5.

Le 12 avril.—Je consulte le thermomètre de la cuve, à 8 heures du matin, et je remarque qu’il a des tendances à redescendre. La fermentation perd un peu de son impétuosité; la transformation alcoolique continue cependant toujours très régulièrement; la densité du moût est de 4 degrés.

Le dégagement de l’acide carbonique, quoique très-abondant, n’est point aussi vif que celui de la veille.

Le 13 avril.—Je remarque que la température intérieure de la cuve a décliné de un degré. Le thermomètre, à 8 heures du matin, est redescendu à 25 degrés; je me prépare à suivre l’opération bien exactement.

C’est la période de décroissance et le moment où le développement de chaleur naturelle qu’engendre la fermentation, à son début, s’arrête.

Afin d’éviter que les ferments ne s’engourdissent, je maintiens la température du cellier à 25 degrés, d’une manière bien régulière; je pèse le moût, et l’aréomètre donne 3 degrés de liqueur; le dégagement du gaz acide carbonique est bien moins fort que précédemment.

Le 14 avril.—Dès mon arrivée, dans le cellier, je remarque la chute du thermomètre à 24 degrés; le refroidissement des grappes continue, la fermentation s’affaiblit, l’aréomètre n’indique plus que 2 degrés de sucre.

L’acide carbonique ne se fait plus que légèrement sentir. Une bougie, que je présente à l’orifice de l’ouverture ménagée au sommet de la cuve pour le dégagement du gaz, ne s’éteint que quand elle est complètement rapprochée.

La production d’acide est presque arrêtée; la fermentation, du reste, touche à sa fin; elle est lente. Je fais une épreuve, avec l’alambic de Salleron, pour connaître la richesse alcoolique véritable du vin; le résultat de l’opération est: 9 degrés 5.

Le 15 avril.—Le thermomètre est descendu à 21 degrés, et la fermentation est insensible; l’aréomètre n’a qu’un demi-degré de différence avec celui qu’il donnait hier; le moût n’a donc plus que un degré de sucre.

Le 16 avril.—Le thermomètre descend toujours et indique 22 degrés à peine. L’aréomètre accuse la perte d’encore un demi-degré, soit la presque complète disparition du sucre.

Je fais une nouvelle épreuve à l’appareil Salleron et j’obtiens 11 degrés 5 d’alcool.

L’opération est de fait terminée.

Je soutirai mon vin, qui fut excellent, et qu’un grand nombre de négociants en vins prirent pour du picpoul, quand je l’eus collé et clarifié avec les précautions que j’indiquerai plus loin.

CHAPITRE XVI

Du Décuvage et du Pressurage

Quand le liquide n’accuse plus que 0 degré à l’aréomètre Beaumé, il faut décuver le vin de raisins secs. Voilà le principe fondamental. Cependant il convient d’attendre encore 24 heures pour obtenir le refroidissement du vin.

Après le soutirage, le liquide subit, durant quelques jours encore dans les tonneaux, une seconde fermentation qu’on a appelé la fermentation lente; la partie liquoreuse achève, par une fermentation insensible, de se transformer. Le vin, retiré de dessus les grappes, ne risque plus ainsi de s’acétifier.

Le moment favorable, à choisir, pour un bon soutirage, a donné lieu à bien des discussions. Malheureusement, ainsi qu’il arrive toujours pour les contestations, dont le point de départ est obscur, les opinions n’ont jamais pu tomber d’accord.

Pour être fixé exactement, sur le véritable moment du soutirage, il est incontestable qu’il est nécessaire de connaître si la transformation du sucre en alcool est terminée.

Pour le décuvage du vin de raisins frais il existe bien d’autres considérations.

Quant aux vins de raisins secs, en attendant que la science fasse revivre un jour, et la couleur et le bouquet, ce qui, je l’espère, arrivera bientôt, le fabricant reconnaît que le moment du soutirage est arrivé aux différents caractères suivants:

L’aréomètre Beaumé, dont les indications sont presque toujours certaines, lui offre déjà un moyen simple de reconnaissance. En suivant exactement les diverses variations du thermomètre adapté à la cuve, on peut en tirer aussi des déductions.

Mes lecteurs ont remarqué dans l’expérience que je viens de relater au chapitre précédent, combien le thermomètre m’avait été d’un grand secours pour suivre la marche de l’opération.

En général, on dit, pour soutirer, de ne pas dépasser le moment où la chaleur s’est dissipée tout entière. Ce qui est très vague.

En un mot, le moment le plus propice au décuvage est le terme du développement de l’alcool. J’appellerai donc l’attention des fabricants sur ce point.

Pour être certain du moment opportun, on peut faire chaque jour les expériences suivantes: D’un côté, peser le moût à l’aréomètre Beaumé et d’un autre, le distiller avec l’appareil de Salleron. Personne ne peut hésiter sur le moment où l’on doit regarder la fermentation comme terminée.

Afin de constater d’une manière aisée et simple la disparition totale du sucre dans le moût, il est encore un moyen indiqué par Maumené et à la portée de tout le monde.[33]

«On se procure du mérinos blanc, on le trempe pendant quelques minutes, dans une solution de une partie de bi-chlorure d’étain et deux parties d’eau. On le fait sécher au bain-marie, sur une bande de même étoffe, et on le découpe en bandelettes (de huit à dix centimètres de long sur trois de large.) Tous les pharmaciens prépareront ces bandes sans peine. Pour juger de l’absence du sucre dans le moût, on met une goutte de ce liquide, sur une bandelette et on la chauffe doucement, au-dessus d’un ou deux charbons. La goutte sèche promptement, et, tout à coup, elle devient noire, s’il reste du sucre; cette couleur noire se forme avant que le mérinos commence à jaunir par l’action du feu. Le sucre se change en caramélin

Il est nécessaire de prendre quelques précautions, pour éviter au vin fini, le contact de l’air. La meilleure précaution est de conduire le vin dans les tonneaux au moyen de tuyaux en cuir ou en caoutchouc.

Voici les conséquences qu’on peut tirer des principes que j’ai établis ci-dessus:

1º Le décuvage doit se faire dès que la partie sucrée s’est transformée en alcool;

2º Quand le vin, que l’on fait est destiné à la distillation et que le but qu’on se propose est la formation d’une grande quantité d’alcool, on peut laisser cuver, plus longtemps, pour permettre cette formation.

Les vins, dans ce cas, sont susceptibles de prendre de faux goûts. Le fabricant doit éviter cela quand le vin est destiné directement à la consommation.

Lorsqu’on a soutiré tout le vin, il faut s’occuper au plus vite, surtout l’été, de faire sortir, au moyen de la pression, celui qui reste absorbé, en assez grande quantité, par les parties solides, telles que les rafles, les pellicules, etc. On transporte donc les grappes au pressoir. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de décrire ici la forme de cet instrument et les moyens de s’en servir. Tout le monde le connaît. La majeure partie de mes lecteurs déjà viticulteurs, ont probablement dans leur cellier cet appareil. Depuis quelques années surtout, il est permis aux agriculteurs, de passer une véritable revue de toutes les innovations que cet appareil a reçues, en visitant les concours régionaux. Il en est de plusieurs sortes: à levier, à vis ou à coins. Ces derniers, sont presque partout abandonnés et remplacés par les premiers, à cause de la différence de rendement que l’on obtient.[34]

La quantité, de liquide, contenue dans les marcs de raisins secs est relativement énorme. Avec un bon pressoir, on retire encore tout près d’un quart de la cuvée. Cette opération est, comme on le voit, essentielle.

Le parti qu’on peut tirer du marc de raisins secs, comme je l’indiquerai au chapitre suivant, étant assez avantageux, il convient de presser, le plus possible, les grappes et de les sécher. Sinon, leur tassement donne naissance par l’échauffement, aux fermentations acides, extérieurement, et putrides, intérieurement; dans cet état elles ne peuvent servir exclusivement que comme engrais pour la culture.

Quant le fabricant se propose d’obtenir des vins de première qualité, il ne doit pas mélanger le vin de presse avec le surmoût ou premier vin.

On doit se tenir en mesure l’été, pour que l’opération du pressurage soit rapidement faite. On évitera ainsi l’acétification des marcs.

Dès que l’on est certain que la fermentation va être terminée, on prépare un récipient large et bas pour recevoir les grappes. On presse de suite, soit directement, soit au moyen de scourtins en sparterie. Les grappes, qui ne sont pas altérées, donnent un vin susceptible, une fois bien clarifié et collé, d’être mélangé sans difficulté avec celui du premier jet.

CHAPITRE XVII

Emploi des Marcs et Résidus

L’emploi des marcs a déjà été démontré dans les chapitres précédents, relatifs au sucrage; je ne reviendrai donc pas sur ce sujet, et je vais m’occuper des autres moyens de tirer parti des grappes et du marc de raisins secs.

Ainsi qu’on va le voir, les applications sont nombreuses. Les grappes peuvent servir pour:

La distillation,

La fabrication du vinaigre,

La nourriture des animaux,

L’engrais végétal,

La fabrication du Verdet,[35]

La fabrication du carbonate de potasse.

Les pépins eux-mêmes ont des destinations spéciales.

La distillation des Grappes

Les marcs de raisins secs, suivant le mode de fabrication du vin, fournissent encore jusqu’à 5 0/0 d’alcool.

On les distille, généralement, pour en faire de l’eau-de-vie. Mais, le fabricant intelligent, doit s’attacher à retirer tout son vin des marcs, ce qui est plus productif et bien plus économique.

Pour ceux, pourtant, qui tiendraient à obtenir de l’alcool, j’ai placé, dans ce livre, quelques figures d’appareils les plus propres à les guider dans le choix qu’ils voudront faire.[36]

Je ne décrirai pas ici l’alambic proprement dit, je dirai seulement qu’il en existe appropriés à tous les besoins.

Les uns produisent exclusivement de l’eau-de-vie ou servent à obtenir l’extrait des parfums, les autres, d’un usage aussi général, sont surtout employés dans la grande industrie pour l’obtention des alcools, à degrés très élevés et presque purs. Les premiers sont d’un usage fréquent dans une foule d’industries et d’une très grande simplicité. Les moins savants en matière de distillation peuvent les conduire et obtenir des résultats.

Ils se composent de la chaudière ou cucurbite, du chapiteau et col de cygne, et enfin du serpentin ou réfrigérant.

Au contraire, les appareils pour la production de l’alcool à titre élevé, sont d’une complication plus grande.

On les appelle alambics à colonne, à cause de celle-ci qui se trouve située sur la chaudière. La description de cet appareil nous conduirait trop loin et intéresserait trop peu les personnes pour que je m’y appesantisse davantage.

Nous donnerons du reste, par retour du courrier, à nos lecteurs intéressés, tous les renseignements, prix, croquis, etc.

Voilà, je crois, un aperçu suffisant de l’emploi des grappes de raisins secs, quant à la distillation.

Occupons-nous de leur utilité comme ferments acétiques.

La Fabrication du Vinaigre

Quand on veut obtenir de l’excellent vinaigre, on expose le marc de raisins secs, à l’air, en l’humectant légèrement avec du vin de presse, ou un peu d’eau; les grappes doivent former des tas, afin qu’elles puissent s’échauffer et fermenter; tous les deux jours environ on les agite pour activer l’acétification.

Il faut pourtant que la température ne soit pas trop froide, sinon la fermentation, ne pouvant être acétique, serait putride et butyrique. A 15 degrés environ, le vinaigre se forme assez facilement.

L’été, cette fabrication peut se faire en plein air, seulement les tas doivent être arrosés et remués souvent, car l’acidification du marc est rapide.

Sans cette précaution, le-marc se dessèche et empêche, par son état de dessication, toute fermentation.

Le moyen ordinaire de reconnaître que le vinaigre est fait, consiste, en général, dans la dégustation du liquide; quand on sent qu’il est d’un degré convenable d’acidité, on pressure de nouveau les marcs, pour extraire le produit de cette nouvelle fabrication.

Ce vinaigre doit être tenu dans des futailles au deux tiers pleines et à moitié bouchées; l’hiver, dans une température tiède, et l’été, en plein air.

Il ne tarde pas à devenir assez fort pour constituer lui-même une mère, de vinaigre, excellente.

La Nouriture des Animaux

Tous les marcs de raisins secs ne sont pas aussi propices, les uns que les autres, à la nourriture des animaux. Les qualités qui contiennent beaucoup de bois de grappes sont moins favorables et moins bonnes.

Les grappes de Corinthe, sont celles dont on peut faire la meilleure application à la nourriture du bétail.

Les grappes de Thyra, au contraire, très-aptes soit à la fabrication du vinaigre, soit au fumage de certaines qualités de terrain, ne peuvent presque pas s’employer pour donner en pâture.

A l’état frais et sortant du pressoir, le cheval mange volontiers le marc de raisins secs; pour le lui faire aimer, il convient de ne pas trop lui en donner à la fois.

Il faut aussi être certain que les grappes ne soient pas acides, car la bête les rejette et ne veut plus en manger.

J’ai nourri ainsi, pendant longtemps, variant sa nourriture avec du son et de la paille, un cheval poussif au suprême degré.

L’animal, que j’avais choisi à dessein dans cet état, au bout de deux mois de ce régime, se portait très-bien, avait engraissé et ne soufflait presque plus.

Les cochons s’engraissent aussi, très-bien, avec le marc de raisins secs en le pétrissant avec le son liquide et les pommes de terre qui font la base de leur nourriture.—J’ai fourni, à plusieurs éleveurs, des quantités considérables de grappes pour cet usage.

Quand on veut conserver longtemps, et en bon état, les grappes que l’on destine à la nourriture des vaches, brebis, etc., on suit la méthode suivante, qui m’est communiquée par un agriculteur, propriétaire d’immenses pâturages situés aux Milles, à Roquefavour et à Peyrolles, près d’Aix-en-Provence.

Voici comment s’exprime M. Fernand Montel dont nul ne peut contester l’expérience et les connaissances pratiques en la matière:

«Quand on se dispose à employer le marc de raisins secs, pour la nourriture des bestiaux, on doit s’attacher, au pressurage, à le sécher presque complètement par une grande pression; on évite ainsi les causes de fermentations secondaires qui nuisent à leur bonne conservation. On remplit ensuite des tonneaux, dans lesquels on le tasse le plus possible.

«Pour éviter le contact de l’air, on refonce, très soigneusement, les tonneaux, ou bien on les recouvre, d’une manière parfaite, avec de la terre argileuse préparée très purement; cet enduit s’obtient en faisant dissoudre de la terre d’argile, ordinaire, dans de l’eau qu’on laisse ensuite reposer pour en retirer l’argile à l’état de pâte très fine.»

C’est avec un véritable plaisir que je fais part à mes lecteurs de ce procédé, qui peut être utile à plusieurs d’entre-eux, propriétaires de bestiaux. Les vaches et les brebis aiment beaucoup cette nourriture, mais il faut agir modérément à leur égard de crainte que leur lait ne se tourne.

L’Engrais Végétal

Les viticulteurs et agriculteurs, en général, ne se sont pas assez rendus compte des services que les marcs de raisins secs et frais pourraient rendre, relativement à leur emploi, pour le fumage des terres.

Le marc de raisins secs, non seulement constitue un engrais remarquable pour certains terrains, mais, est unique pour les qualités qu’il apporte avec lui.

M. Derbès, professeur d’histoire naturelle à la Faculté des sciences de Marseille, dont les savantes recherches, bien connues du monde scientifique, on fait tant apprécier les capacités, dit que les marcs de raisins secs pourraient trouver un emploi remarquable dans le fumage des vignobles.

«L’engrais le plus favorable pour la culture des prairies, des terrains gras ou argileux est assurément le marc de raisins mélangés de fumier de cheval.

«Par le mélange de ce dernier avec le marc de raisins secs, le terrain est soulevé, le tassement n’est plus possible, et l’action du fumier de cheval, dans cette terre, est complète. Ce qui n’a pas lieu en employant ce dernier engrais tout seul.»

Le fait qu’avance M. Derbès, est incontestable. Le marc de raisins divise la terre et permet aux racines des plantes de prendre toute la nourriture et l’espace dont elles ont besoin.

Les conclusions de ce savant méritent d’être citées. Ceci s’adresse aux agriculteurs possédant encore quelques vignes que la phylloxéra n’a pas atteint ou semble avoir oublié.

M. Derbès, ainsi que beaucoup de nos célèbres académiciens, s’occupe de la vigne, de sa maladie et des moyens de la combattre.

Après avoir assisté à bien des expériences qui, malheureusement, n’avaient abouti à aucun des résultats pratiques qu’on attendait d’elles, il conseilla le fumage des vignes avec du marc mélangé d’engrais.

Il appuyait son assertion sur un fait qui est indubitable.

Le marc de raisins, possédant au suprême degré les sels dont la vigne a besoin pour croître d’une façon robuste, remplissait, en l’employant ainsi, deux conditions importantes: la première, de créer autour du tronc des vignes, l’espace nécessaire au passage de l’eau, soit d’arrosage, soit de pluie.

La deuxième, d’éviter de fumer les vignes avec des engrais, dont quelquefois la force des matières qui les constituent, brûle les radicelles et entraîne à la mort beaucoup plus souvent et plus sûrement que le phylloxéra.

On peut essayer la méthode dont je viens de parler; là, peut-être, se trouve un moyen de délivrance.

La Fabrication du sous-acétate de cuivre, dit Verdet

Depuis longtemps déjà, les propriétaires des provinces du Midi se livrent à la fabrication du sous-acétate de cuivre, généralement appelé vert-de-gris, (et verdet) au moyen du marc de raisins frais.

A Narbonne, dans le département de l’Aude, cette fabrication qui est assez étendue, m’a donné l’idée d’en faire l’application, au marc de raisins secs.

On peut essayer de la manière que M. H. Pinel, propriétaire et fabricant de produits chimiques, à Labruguière (Tarn), l’indique pour le marc de raisins frais.

«On étend les marcs, légèrement humides dans des caves d’une température tiède. On fait des couches d’une épaisseur de 20 à 50 centimètres suivant la quantité qu’on veut produire. On place sur le marc ainsi étendu, des feuilles de cuivre minces que l’on recouvre de nouveau avec du marc. Il se produit de l’acétification au contact des feuilles qui s’oxydent et produisent le sous-acétate de cuivre.

«Pour recueillir ce sel, des femmes frappent sur les feuilles ou les grattent avec des instruments pour faire tomber le vert-de-gris.

«Les plaques de cuivre, que l’on choisit de préférence, sont des plaques en mauvais état ayant servi au doublage des navires.»

La Fabrication du Carbonate de potasse

Le marc de raisins secs donne aussi d’assez brillants résultats, quand on retire du carbonate de potasse.

Dans ce cas on le brûle: 1,000 kilog. de marcs donnent environ 120 à 125 kilog. de cendres, pouvant fournir 26 à 25 kilog. de carbonate de potasse.

Emploi des Pépins

Les marcs des raisins secs peuvent servir de nourriture à la volaille.

Les pépins sont un engrais recherché pour les gallinacés.

J’ai nourri chez moi, durant trois mois, environ, toute une couvée de poules, errant en liberté, picotant à droite et à gauche les pépins et les grappes qui, à la suite des diverses manipulations, gisaient sur le sol.

On peut extraire des pépins une huile essentielle très recherchée par certaines industries. Je porte ce fait à la connaissance des fabricants, qui jugeront le parti qu’ils pourront en tirer.

Les pépins peuvent aussi servir à la préparation du tannin de raisins.

Cette question, excessivement sérieuse, doit attirer l’attention des viticulteurs et producteurs. Les vins de raisins secs sont généralement pauvres en tannin.

L’addition de cette substance est considérée, par tous les œnologues, comme un préservatif des plus efficaces contre les altérations du vin.

Maumené indique le moyen de préparer du tannin avec les pépins, par un procédé chimique.[37]

Ainsi qu’on l’a vu, les marcs de raisins secs offrent une grande variété d’applications.

Les fabricants pourront, suivant leurs besoins et leurs goûts, en tirer les conséquences qu’ils jugeront les plus favorables à leur industrie.

CHAPITRE XVIII

De la mise en futaille et des soins à donner aux Vins

Les vins de raisins secs, une fois terminés, demandent, comme les vins de vendanges, de grandes précautions pour leur logement dans les tonneaux.

Il convient que le fabricant prépare, au moment du décuvage, des tonneaux d’une grande propreté.

Je ne ferai point ici la description des bois qui sont, plus ou moins préférables, pour loger le vin.

Les bois de chêne et de châtaignier, dont la plupart de nos foudres sont construits, offrent toutes les qualités requises pour cela.

Les soins à donner aux tonneaux vieux sont très importants; les vins s’emparant avec la plus grande facilité des moindres goûts, bons ou mauvais. Les tonneaux qui seraient restés longtemps sans contenir du vin, ont besoin d’un énergique lavage.

Il en est de même pour l’emploi des tonneaux ou futailles neuves.

Voici les diverses méthodes généralement employées pour préparer les tonneaux.

Quand le tonneau, quoique vieux, a déjà contenu du vin, on le lave avec de l’eau froide en le remuant fortement (si les dimensions du tonneau ou de la futaille le permettent), après y avoir introduit une chaîne de fer, qui détache toutes les impuretés qui ont pu se loger sur les douves.

Quand les tonneaux, en bois de chêne ou autres, sont neufs, de crainte qu’ils ne communiquent aux vins des mauvais goûts, on les rince d’abord avec de l’eau bouillante dans laquelle on a jeté du sel; après cette opération, quand les tonneaux sont bien égouttés, on pratique avec de l’eau froide comme je le disais plus haut.

Voici une autre manière d’employer le moyen que je viens de donner pour les bois neufs:

On passe de l’eau chaude salée à plusieurs reprises dans les futailles, on agite ce liquide avec soin, et on l’y laisse séjourner assez longtemps pour qu’il en pénètre le tissu et extraie le principe nuisible.

Si les tonneaux, dont on veut se servir pour la fabrication du vin de raisins secs, sont trop vieux, et si l’on craint qu’ils aient contracté quelques mauvaises qualités, telles que: moisissure, goût amer, de sec, etc., il faut les défoncer et les brûler. Il est possible, quoique difficilement, de faire disparaître ces graves défauts, mais il est à craindre qu’ils ne reparaissent.

Quand les foudres et les tonneaux ont de trop grandes proportions, le meilleur moyen pour arriver à un bon résultat, sans beaucoup de frais, est celui-ci: On fait entrer dans le foudre, une personne qui nettoie les parois et enlève les moisissures, en changeant l’eau, jusqu’à l’obtention d’une parfaite limpidité. On laisse sécher à l’air.

On met ensuite dans l’intérieur du foudre des morceaux de pierre à chaux, en plus ou moins grande quantité, suivant sa capacité.

On verse sur ces pierres à chaux de l’eau froide, en fermant, immédiatement après, toutes les issues: trou de bonde et porte; peu à peu, au contact de l’eau, la chaux développe en bouillant une vapeur considérable qui force les bois des douves intérieures à pleurer, suivant l’expression des tonneliers.

De temps en temps on laisse dégager la vapeur par le trou de la bonde.

Sans cette précaution, la dilatation de la vapeur ferait éclater le vaisseau; on peut laisser la chaux dans l’intérieur durant plusieurs heures. On lave ensuite le tonneau à grande eau froide.

Quand les tonneaux ont seulement besoin d’être mis en état, on emploie, avec succès, le vin chaud dans lequel on a fait dissoudre du sel ordinaire, pour les laver et les rendre aptes à recevoir le vin.

L’odorat ne suffit pas toujours pour reconnaître si les foudres ou les futailles sont propres à contenir le vin. Pour être certain de leur bonne disposition, il suffit de plonger dans la barrique ou le tonneau, par le trou de la bonde, un morceau de mèche soufrée[38], allumée et fixée au bout d’un fil de fer. Si la mèche soufrée s’éteint c’est que l’intérieur du fût a besoin d’un nouveau nettoyage.

Dans les tonneaux, dont les douves intérieures ont gardé de la lie qui s’est acétifiée ou qu’il s’est produit quelques fermentations putrides, la mèche soufrée s’éteint immédiatement; il faut alors chasser, au moyen d’un soufflet, l’air corrompu que peut contenir la futaille.

Pour cela, on fait arriver au fond de la barrique, au moyen d’un tuyau, l’air nouveau qu’envoie le soufflet; au bout de quelques instants, l’atmosphère de l’intérieur du fût est complètement purifiée; on en acquiert la preuve en y présentant la mèche soufrée.

La préparation, la plus nécessaire, à faire subir aux foudres qui doivent recevoir le vin de raisins secs, est d’abord le soufrage.

Le vin de raisins secs, quoique ayant fermenté régulièrement, est sujet, beaucoup plus que le vin de raisins frais, à subir l’influence des fermentations secondaires.

Il est donc important de paralyser au plus tôt les ferments qui y demeurent.

Presque tous les vins, difficiles à clarifier, ont entre autres causes, celle que je viens de citer. Il faut donc prévenir ce danger. Lorsque le tonneau, qui doit recouvrir le vin, est dans l’état de propreté voulu, on doit brûler à l’intérieur plusieurs mèches soufrées.

Les tonneaux gagnent beaucoup à cette opération; l’acide sulfureux, qui se dégage, en brûlant, pénètre dans les pores du bois et y tue les animalcules qui pourraient y demeurer; d’un autre côté, le vin de raisins secs, comme je l’indiquerai plus loin, subit l’influence de ce premier mutage qui est très important.

J’ai parlé précédemment de la fermentation lente ou insensible, ainsi nommée à cause du caractère particulier qu’elle présente. Elle est sans chaleur, lente, et presque sans dégagement d’acide carbonique.

Ce qui donne naissance à cette nouvelle fermentation, est la petite partie de sucre, non transformée au moment du décuvage; il se développe un peu d’alcool, mais la quantité en est d’une très petite importance.

Les vins de raisins secs éprouvent plus qu’aucun autre vin cette seconde fermentation. Le fabricant doit donc attacher un grand intérêt à connaître les moyens de la conduire et surtout de l’arrêter.

Quand on décuve le vin de raisins secs il est généralement trouble; une grande partie de matières, soit terreuses, soit gommeuses, inhérentes à cette qualité de boisson, s’échappent avec elles dans les tonneaux. On laisse reposer le vin dont la grosse lie se précipite; au bout de quelques jours on transvase le vin, auquel on applique les moyens de bonification et de conservation, dont je vais parler aux chapitres suivants, et qui se résolvent dans: le soufrage, le collage et le soutirage.

Les grosses lies de vins de raisins secs, se recueillent facilement, avec des copeaux de bois de hêtre. J’ai fait plusieurs expérience dans ce sens, qui m’ont prouvé combien il était facile de séparer, très vite, la lie de la masse du vin.

J’ai employé, de préférence, les copeaux de hêtre, à l’état naturel, pour le tannin que ce bois contient en assez grande quantité. On ne peut faire ici qu’un usage restreint des copeaux, à cause du goût qu’ils peuvent communiquer au vin, à moins qu’ils ne soient bouillis.

L’explication de l’emploi de ces copeaux, est facile à donner: Plus le vin, dans les tonneaux, trouve de surface, plus la lie se sépare promptement.

Les copeaux de bois de hêtre sont surtout nécessaires pour aider la précipitation des lies de vins de raisins secs à degré élevé. Il est beaucoup plus facile d’obtenir des produits brillants, et en peu de jours, quand le titre alcoolique est de 7 ou 8 degrés. Dans les vins de 12 degrés et au-dessus, malgré tous les soins qu’on peut prendre, pour faciliter la transformation du sucre en alcool au moment de la fermentation tumultueuse, il en reste une petite partie qui ne se transforme qu’après. Cela tient, dans le premier cas, à la différence d’eau de fabrication qui, à cause de sa quantité, dissout complètement la partie sucrée, tandis que dans le second cas, l’eau mise avec parcimonie, est presque saturée de sucre.

Quand le vin de raisins secs vient d’être décuvé et qu’il repose dans les tonneaux, il faut bien se garder de les remplir et de fermer complètement la bonde. On laisse durant deux ou trois jours, suivant la bonne qualité des vins qu’on a fabriqués, le bouchon posé simplement sur le trou de la bonde. Cette précaution a pour but, dans le cas d’une reprise de fermentation, de donner passage à l’acide carbonique qui peut se développer et éviter ainsi un accident.

La température du vin, sortant de la cuve à fermenter, est toujours beaucoup plus élevée que celle du tonneau dans laquelle il arrive. Le vin de raisins secs subit l’influence de ce changement plus que ne le subissent bien des vins; le froid paralyse très facilement, chez lui, la fermentation; la transition qu’il éprouve en passant de la cuve dans les foudres, peut être utilisée d’une manière très favorable pour le fabricant.

Si l’on veut conserver les vins, pour leur permettre de se terminer complètement et développer leurs qualités, au bout de quelques jours, on ferme complètement les tonneaux, afin d’éviter le contact de l’air. Le fabricant doit savoir que l’acide acétique ou vinaigre, qui se forme avec la plus grande facilité dans les tonneaux où l’air a pénétré, est une combinaison d’oxygène et d’alcool. Il est essentiel, alors, de ne point laisser se former le vide dans les futailles. Ce dernier fait tient à l’évaporation qui se produit par le dégagement de l’acide carbonique, dont le vin était saturé au sortir de la cuve, et dont il a pu se former une petite quantité depuis le décuvage.

Il faut remplir sans cesse, pour remplacer le liquide manquant. Pour que le tonneau soit en bon état de conserve, il est nécessaire que le bouchon de la bonde soit toujours humecté par le vin. Quand on peut le faire, il convient même que la bonde soit un peu tournée de côté, de façon que le bouchon soit en contact continuel avec le liquide, ce qui empêche l’air de pénétrer, et évite l’opération presque quotidienne du remplissage des tonneaux. Cette opération, qu’on nomme ouillage, consiste comme on vient de le voir, à combler tous les 2, 4 ou 15 jours, le vide que l’évaporation a fait.

Quand le vin de raisins secs est de degré alcoolique bas, qu’on n’a pas ajouté de l’Extrait Vinicole[39] et que l’ouillage n’a pas été régulièrement pratiqué, il se couvre souvent de fleurs. Dès qu’on s’en aperçoit, on doit s’empresser d’ouiller, pour faire disparaître l’altération que le vin subit.

Il ne faut pourtant pas ouiller en versant le vin directement; celui-ci, en tombant, refoulerait le vin gâté qui est au-dessus, et le mélangerait avec l’autre. Pour éviter cet inconvénient, on fait arriver le vin, qui sert à faire le plein, par le bas du fût: on plonge dans la barrique un tube en verre léger; en l’introduisant, on ferme hermétiquement l’extrémité que l’on tient dans la main; quand le tuyau arrive au fond, on le soutient pour qu’il n’agite pas la lie qui pourrait troubler le liquide et on vide le vin au moyen d’un entonnoir. Le liquide, qui arrive lentement dans la futaille par les couches inférieures, force, quand le tonneau est plein, les couches supérieures à se déverser, et avec elles, les fleurs. Il se perd bien un peu de liquide, mais la quantité est insignifiante et ne vaut pas la peine qu’on s’y arrête.

Je vais indiquer, maintenant, les soins qu’on donne au vin pour obtenir des produits irréprochables et de conserve. Ils sont bien simples, et déjà probablement connus de la plupart de mes lecteurs. Je ne m’étendrai donc que sur les innovations que je croirai pouvoir se rattacher, d’une manière particulière, aux vins de raisins secs; mais qu’on pourra appliquer avec succès aux autres vins.

CHAPITRE XIX

Du Soufrage

On appelle soufrer, mécher ou muter un vin, l’action de l’imprégner de vapeur sulfureuse par la combustion de mèches soufrées.

La manière de composer les mèches soufrées, varie dans beaucoup de régions vinicoles. La plupart des fabricants, viticulteurs ou négociants, emploient la mèche soufrée ordinaire qui se compose de morceaux de toile, de un à deux centimètres de largeur, trempé dans le soufre fondu. Quelques-uns se servent de petites mèches appelées soufrettes; ce sont des morceaux d’attaches, minces, préparés de la même manière. Je signalerai aux personnes qui emploient ces sortes de mèches, les inconvénients qui peuvent naître, pour les tonneaux et surtout pour le vin, des émanations méphitiques, provenant de la combustion de la toile qui sert à la confection des mèches.

Un grand nombre d’altérations des vins, dont on recherche avec difficulté la cause, proviennent de là.

J’évite ce danger en faisant préparer les mèches à soufrer de la manière suivante:

Au lieu d’employer les chiffons comme base, je me sers du papier, trempé préalablement dans l’esprit de vin. On devine tout de suite l’avantage immense que l’on recueille avec ce moyen de préparer les soufrettes. La combustion du papier se fait en entier, sans dégagement de mauvaise odeur.

Je recommande tout particulièrement l’emploi de ce genre de mèches, dont toutes les personnes qui s’occupent de vin en général, reconnaîtront bien vite l’incontestable supériorité.[40]

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire plus haut, le moyen le plus énergique, pour arrêter la fermentation dans les vins de raisins secs, est le mutage au soufre. Les ferments, qui peuvent se trouver encore dans le vin, n’y demeurent qu’à cause de la présence de l’oxygène que le moût avait absorbé au moment de la fermentation et dont il reste encore une petite partie. L’acide sulfureux, qui se dégage par la combustion du soufre, très avide d’oxygène, s’empare et enlève celui qui peut se trouver en dissolution dans le vin et dans les lies. Les principes fermentescibles cessent d’exister sitôt la disparition de ce gaz. D’un autre côté, l’acide sulfureux, se combinant avec l’oxygène, forme de l’acide sulfurique dont tout le monde connaît les propriétés pour la destruction des corps organiques.

Par ces deux actions, concourant au même but, le soufre peut être regardé comme un des agents les plus actifs pour détruire les fermentations et en préserver les vins.

Les vins de raisins secs, à cause de leur nature et surtout des époques dans lesquelles on les fabrique, sont plus portés à voir naître chez eux des fermentations acétiques que les vins récoltés seulement en automne. Pour prévenir cet accident, on doit toujours, au moins légèrement, muter le vin de raisins secs au soufre.

Il est des cas où le mutage est indispensable. Dans mon ouvrage sur la fabrication des vins d’imitation[41], j’ai démontré combien, pour conserver la partie liquoreuse nécessaire aux imitations que l’on projette, il faut arrêter la fermentation par un fort mutage au soufre d’abord et à l’alcool ensuite.

Le soufrage a pour but donc de faire dissoudre, dans le vin, le gaz sulfureux.

Il existe plusieurs manières de muter les vins au soufre. La plus ancienne consiste, pour un demi-muid de 500 litres, par exemple, à y verser 50 litres de vin et à faire brûler une mèche soufrée de 4 centimètres en carré. On ferme, avec la bonde, et on agite dans tous les sens pour faire dissoudre le gaz sulfureux dans le vin. Cette solution est facile, mais elle n’est pas pratique.

M. Maumené[42] a dit que 30 litres, versés dans un 1/2 muid, peuvent facilement absorber l’acide sulfureux produit par la mèche qu’on y a brûlée. On recommence la même opération à mesure qu’on a versé 30 litres de nouveau vin, et ainsi de suite, jusqu’au remplissage complet. Dès la seconde mèche la combustion du soufre n’est plus possible, à cause du manque d’oxygène absorbé par l’acide sulfureux; on débonde la futaille, et on souffle fortement, dans l’intérieur, au moyen d’un soufflet. Après chaque mèche on recommence l’opération afin de renouveler l’air.

En faisant le mutage dans ces conditions, on sature le vin d’acide sulfureux. Il est ce qu’on appelle muet. On opère ainsi, en vue de certaines destinations que l’on doit donner au vin.

Généralement, le mutage ne se fait pas à un tel degré, et il suffit d’arrêter les tendances du vin à fermenter; pour cela les proportions minimes suffisent. On peut fortement soufrer le tonneau qui doit recevoir le vin au sortir de la cuve. On peut aussi ne le remplir qu’à moitié, et y faire brûler chaque jour quelques mèches, en fouettant pendant quelques instants le vin.

Le moyen que j’ai donné pour le mutage du vin de raisins secs, est le premier, il est vrai, qu’on ait employé, et le plus répandu, mais c’est aussi un moyen bien primitif.

Conçoit-on les difficultés qui se dresseraient devant le fabricant, s’il était dans l’obligation de muter fortement ses vins, et qu’il en eut 200 ou 300 hectolitres à préparer ainsi par jour. Je dirai même que cela me paraît impraticable.

Mutoir Audibert

J’ai inventé un appareil, que j’ai appelé le Mutoir Audibert, que tout le monde peut reproduire. Le travail énorme qu’exigeait la méthode ancienne, n’existe presque plus de fait, et la quantité d’acide sulfureux qu’on peut introduire dans le vin est illimitée. On peut arriver à la complète saturation du liquide. Dans le procédé précédent, l’acide sulfureux ne se mélangeait qu’avec beaucoup de peine au vin. Pour éviter cet inconvénient, je pratique ainsi:[43] je fais brûler du soufre sous une cloche ou entonnoir, auquel est adapté un tuyau qui conduit la vapeur sulfureuse dans un tonneau vide.—Plus le foudre est grand, meilleure est l’opération.—Je fais couler par la bonde de ce tonneau, le vin que je veux muter, en ayant soin de le diviser le plus possible, soit avec une sorte de peigne d’arrosoir, soit de toute autre manière; l’essentiel est que le vin tombe dans le tonneau par une infinité de petits trous, et presque goutte à goutte.

On le recueille à mesure, dans d’autres fûts, complètement muté, par le robinet du bas. Si un premier passage ne suffit pas, on le fait repasser de nouveau jusqu’à l’obtention du degré de saturation auquel on vise.

Le lecteur devine le résultat que l’on obtient: le vin, en se précipitant du haut du tonneau presque en poussière, absorbe avec la plus grande facilité le gaz acide sulfureux qui le pénètre sans peine. Le peu de résistance que lui opposent les minces filets de vin qui s’échappent de la bonde, fait que celui-ci s’en imprègne complètement dans sa traversée du sommet à la base.

Ce moyen est réellement pratique et peut rendre de véritables services. On peut, suivant les proportions que l’on donne à ce genre d’appareil, muter de 500 à 1,000 hectolitres de vins de raisins secs ou frais, par jour.

De la nécessité du Soufrage

Comme on le voit, le soufrage est une des opérations les plus importantes. Son emploi s’impose partout où se trouve entreposé du vin. Le viticulteur ou fabricant ne doit jamais tirer du vin d’un tonneau sans y brûler ensuite un morceau de mèche soufrée; l’été, c’est indispensable.

Voici l’explication de cette mesure: Le vin, qu’on retire d’un tonneau, laisse un vide qu’occupe l’air instantanément. Ce grand véhicule des ferments acétiques, une fois introduit dans la barrique, occasionne au vin, si on ne prend soin de l’en chasser immédiatement, une foule d’altérations telles que: les fleurs, un commencement de piqûre, etc.[44]

Le remède le plus simple, est de brûler dans le tonneau un morceau de soufrette. La vapeur sulfureuse emplit le vide qui peut exister et maintient le tonneau à l’état plein.

Cette opération a besoin d’être renouvelée de temps en temps pour les tonneaux en vidange, car l’acide sulfureux, sous l’influence de l’oxygène qui se combine avec lui pour former de l’acide sulfurique, disparaît au bout d’un certain temps.

Il arrive, parfois, que dans un foudre en vidange, la mèche soufrée ne peut pas brûler. On doit s’empresser, dans ce cas, si on le peut, de transvaser le vin, sinon, et en attendant de pouvoir le faire, d’en chasser l’air corrompu qui se trouve dans le tonneau au moyen du soufflet, jusqu’à ce que la combustion de la soufrette puisse s’opérer.

Je vais maintenant traiter le sujet du collage, sans lequel aucun produit vinicole ne pourrait obtenir les qualités telles que: la franchise de goût, la certitude d’une longue conservation et surtout la limpidité, qui sont l’apanage du bon vin.

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