L'art de faire le vin avec les raisins secs
CHAPITRE XX
Du Collage
Outre l’opération du soufrage, il en est une autre essentielle pour le fabricant: Le collage. Le collage lui permettra de livrer au commerce son produit d’une façon irréprochable, dans un laps de temps assez court.
Le vin contient, naturellement en suspension, une grande quantité de matières qui se précipitent difficilement; il est même de ces impuretés, qui pourraient devenir de sérieuses causes d’altérations, si on ne les écartait pas: de là, la nécessité de la clarification.
Louis Figuier a, dans ses Merveilles de l’industrie (série 32), traité cette question d’une façon scientifique et très pratique.
Les moyens employés pour le collage des vins de raisins secs et les plus usités sont:
Les gélatines;
L’albumine ou le blanc d’œuf;
Le sang frais ou cristallisé;
Le lait ou sa crême;
Des préparations, à base d’une ou d’autre de ces matières, livrées à l’industrie sous le nom de poudres clarifiantes et autres.
Enfin, la Colle Diamant.
La colle, qui occupe le premier rang parmi celles dont on se sert pour le collage de certains vins et surtout des liqueurs, est la colle de poisson.
C’est une substance très pure, qui offre les meilleures garanties sous ce rapport.
Cependant, je ne conseillerai pas son emploi aux fabricants de raisins secs, à cause des graves conséquences qu’elle pourrait avoir pour ce vin, dont la quantité de tannin est parfois minime (surtout dans les vins à degrés faibles).
Le fabricant doit comprendre le danger qui existe pour les vins de cette addition d’une manière azotée, soluble, éminemment putrescible.
De là peuvent naître une foule d’altérations, dont la première et la plus grave serait la fermentation putride.
Il est des provinces, en France, où l’on se sert, pour le collage, des gélatines ordinaires, des colles d’os, des colles de tendons, des colles de peaux[45].
Les colles d’os sont loin d’être toujours préparées avec des matières bien fraîches; de plus, et généralement, elles conservent du phosphate de chaux.
Les colles de tendons, de peaux, offrent aussi de très graves inconvénients; la plupart sont préparées avec des membranes ayant déjà subi un commencement de putréfaction. Il faut donc mettre complètement de côté ce genre de collage pour notre industrie.
Les blancs d’œufs, dont l’emploi est universel, tiennent leur pouvoir d’agir, sur les vins, par l’albumine qu’ils renferment.
Cette matière diffère peu de la gélatine; elle est presque inaltérable.
Pour les vins en tonneaux, on les emploie de la manière suivante: on sépare, dans un plat, les blancs, des jaunes d’œufs, à raison de un blanc par hectolitre[46]; on les bat fortement, jusqu’au moment où ils sont en neige.
Après cette préparation, on verse un peu de vin sur les blancs, afin de les mélanger intimement avec celui qu’on veut coller.
Pour aider et faciliter le collage, on peut ajouter une poignée de sel blanc aux œufs; on prépare, ainsi, la colle plus facilement; l’albumine, sous l’influence du sel, se dissout dans l’eau promptement.
Il se forme, alors, par la combinaison de ces deux matières, un réseau dont l’insolubilité apporte le meilleur concours à la parfaite réussite du collage.
Dans les villes où l’on peut trouver facilement du sang de bœuf, et qu’on est certain de sa fraîcheur, les fabricants de vins de raisins secs pourront aussi l’employer.
A défaut, on peut se servir du sang cristallisé.
La Colle Diamant.—Après bien des tâtonnements, depuis les premières éditions, j’ai pu enfin résoudre cette importante question du collage pour les vins en général et surtout ceux de raisins secs. Il suffit de faire un seul essai, pour employer la Colle diamant de préférence à tous les autres moyens de collage. L’albumine des œufs ou du sang agit comme clarifiant, chacun le sait, par son action sur le tannin. Il s’en suit une perte regrettable pour les vins dont cet énergique agent de conservation est le principal soutien.
Avec la Colle diamant le danger est écarté, ce qui nécessite son emploi et le rend indispensable pour les vins.
La Colle diamant, donc, rend le grand service de clarifier un vin, non malade, sans le dépouiller de son tannin et sans qu’il soit nécessaire d’ajouter cette substance, toujours chère et rarement pure.
La Colle diamant est le plus efficace collage pour les vins en général et ceux de raisins secs en particulier; elle est bien supérieure aux œufs. D’un autre côté, non seulement ceux-ci sont généralement trop chers, mais le sang de bœuf, à l’état frais, est lui-même presque introuvable dans certaines villes et notamment dans nos campagnes. Ce moyen de collage est donc un véritable service rendu au commerce des vins.
L’action de la Colle diamant ressemble à celle des blancs d’œufs; cela s’explique aisément: la première est à base de sélicate d’alumine dont les effets sont bien connus.
Voici le résultat convaincant obtenu par un des plus éminents chimistes, M. Macagne, sur le même vin, clarifié dans les mêmes proportions avec de l’albumine d’œufs ou de sang, d’une part, et de la Colle diamant, d’autre part. Le vin non clarifié contenait 0,91 de tannin. Après le collage, avec de l’albumine il n’en avait plus que 0,91, tandis qu’avec la Colle diamant il en avait conservé 0,89!! De plus, le vin avait pu être soutiré quatre jours plus tôt, ce qui est un avantage considérable.
Pour l’employer, on pratique comme pour les blancs d’œufs.
La Colle diamant a de plus, sur la colle de blancs d’œufs, comme je l’ai dit, l’avantage de tomber plus vite que celle-ci; la lie est lourde et tend moins à remonter dans le vin.
Dans l’industrie des vins de raisins secs, cette qualité est bien à remarquer. On vise généralement à obtenir de bons produits dans le plus court espace de temps; on ne doit donc pas dédaigner une circonstance aussi importante.
La quantité de Colle diamant à employer, varie comme pour les blancs d’œufs, suivant la capacité des futailles et l’état du vin à clarifier.
Pour un hectolitre de vin, voici comment on l’emploie: Il suffit de mettre 50 grammes de Colle Diamant dans 4 ou 5 litres de vin. On s’en sert ensuite exactement comme des œufs ou du sang à l’état frais. On bat la Colle Diamant pendant un moment, avec un kilo de gros sel environ par 15 hectolitres de vin. Quand elle est bien battue et écumante on y verse un peu de vin avec lequel on la délaie, et on vide le tout dans le foudre ou barrique qui contient le vin à clarifier[47].
Le lait est aussi considéré par les œnologues, comme une substance pouvant servir de colle pour les vins. Ce qui l’a désigné à l’attention des industriels, est la présence, dans ce liquide, d’une matière très analogue à la gélatine et à l’albumine. La chimie lui a donné le nom de caseïne.
Les manières d’employer le lait sont variées. Quelques-uns le versent ainsi à froid, sans aucune préparation; d’autres recueillent la crême, dont ils se servent uniquement; enfin, il en est qui le font bouillir.
La manière d’employer cette colle ne diffère pas des précédentes, car on ajoute aussi du sel, et on la prépare comme les blancs d’œufs et le sang.
Les fabricants de vins de raisins secs ne doivent pas s’en servir. Avec le lait, on introduit dans le vin le sucre de lait dont cette substance est assez largement pourvue; or, ce sucre est susceptible, par sa composition, autant que le sucre de raisins, d’éprouver les diverses fermentations alcooliques et surtout lactiques et butyriques.
On a bien proposé de coller le vin avec des matières toutes différentes de celles qui précèdent, mais je n’en parlerai pas, vu le peu d’importance que ces détails pourraient avoir pour mes lecteurs. Chacun du reste peut, dans les traités de chimie, voir les applications nombreuses que les savants ont réservées à cette partie de la science des vins.
Du Fouettage
La colle, versée dans le tonneau, ne remplirait point le but qu’on se propose si elle y demeurait sans être intimement mélangée au vin. C’est le fouettage dont je veux parler.
J’appelle d’une façon toute particulière l’attention des producteurs sur ce sujet.
Le collage ne peut avoir un effet solide que par l’opération d’un énergique fouettage.
Le vin de raisins secs contient, en suspension, une grande quantité de matières gommeuses dont les fibres reliées entr’elles forment un immense réseau, offrant une résistance véritable à l’action précipitante de la colle. Il faut rompre et diviser le plus possible cette sorte de filet, et mélanger la colle au vin le plus intimement.
Pour cela, après avoir vidé dans le tonneau la colle que l’on veut employer, on se sert habituellement, d’un instrument appelé fouet, et auquel chaque pays vinicole donne une tournure différente.
Ceux dont je me sers, et que je conseillerai à mes lecteurs, se compose d’un manche en bois ou en fer de 1 m. 25 environ,[48] au bout duquel est fixée une lame de fer percée de trous et recourbée comme une pioche, de 0 m. 30 centim. de long sur 0 m. 03 centim. de large et 0 m. 01 cent. d’épaisseur. Au bout de la lame de fer, est attaché quelquefois un morceau de chaîne de 0 m. 30 cent. environ de longueur.[49]
Pour fouetter, un ouvrier monte sur le tonneau, introduit la tige recourbée dans la bonde, et enfonce avec un coup sec et nerveux le fouet dans la direction de l’angle d’un fond.
Le vin bouillonne dans l’intérieur du foudre, avec une telle force qu’il en soulève presque le tonneau; l’opération se répète ainsi pendant 25, 30, 40 ou 50 minutes, suivant le degré d’impureté dans lequel se trouve le vin que l’on colle.
L’ouvrier, qui ne s’est jamais servi de cet instrument, peut être embarrassé au début, mais il en acquiert vite l’habitude, en se rappelant les principes suivants: plus on multiplie le nombre des coups de fouet, moins on agit sur le vin; plus le coup est sec, plus le vin bouillonne. En un mot, l’ouvrier, chargé de ce travail, doit lancer le fouet comme s’il avait le fond du foudre à démolir; en frappant dans l’angle, sans l’atteindre.
La longueur du manche du fouet, pour le tonneau, doit être calculée de telle sorte, qu’il manque 20 centimètres environ pour toucher le point que je signale.
Plus le vin est fouetté fortement, plus l’action de la colle se fait sentir promptement.
Il y va donc de l’intérêt du viticulteur ou du fabricant, de veiller à ce que cette opération soit faite suivant toutes les conditions voulues.
CHAPITRE XXI
Du Soutirage
Après les diverses opérations que je viens d’énumérer, les vins de raisins secs sont, de fait, terminés.
Le fabricant devra cependant veiller attentivement sur eux pour pratiquer le soutirage des vins.
Dès que le collage a produit l’effet que l’on attend de lui, on doit s’empresser de retirer le vin limpide du tonneau.
On ne peut être réellement certain de la qualité de son vin et de sa durée, qu’une fois mis en futaille, complètement dépouillé et débarrassé des matières qui peuvent y faire naître des complications.
Le soutirage est donc une chose importante: c’est le couronnement de l’œuvre.
On s’assure de la limpidité du vin, ce qui est facile, et on soutire dans des barriques bien soufrées.
La manière de soutirer les vins, demande encore des précautions infinies, qui ne pourront paraître indifférentes qu’à ceux qui ne savent pas quel est l’effet de l’air atmosphérique sur ce liquide.
Le temps le plus favorable, pour le soutirage des vins de raisins est le temps sec et froid. On choisit toujours une journée, si c’est possible, où le vent du nord souffle. Il est de fait que ce n’est qu’alors que le vin est bien déposé. Les temps humides, les vents du sud les rendent troubles, et il faut se garder de soutirer quand ils règnent.
Il est des régions où les soins qu’on donne au soutirage sont extrêmes; la différence des vins d’abord et leur prix ensuite, justifient jusqu’à une certaine mesure ces précautions. Mes lecteurs me sauront gré de leur apprendre les méthodes suivies par certains agriculteurs; la plupart soutirent, généralement le vin, d’un robinet placé à une hauteur convenable du fond de la barrique, pour éviter que le vin, en s’écoulant, ne détermine des mouvements dans la lie. C’est le plus simple et le plus répandu des procédés du soutirage.
Il y a bien à craindre, il est vrai, l’action de l’air sur le vin, mais on l’évite, assez facilement en plaçant au robinet d’où s’échappe le vin, un tuyau en caoutchouc qui le conduit jusque dans la barrique, déjà préparée. Le danger n’est donc point aussi manifeste que certains œnologues ont voulu le dire.
On peut soutirer le vin au moyen d’un syphon qu’on fait plonger d’une part dans le tonneau que l’on veut transvaser, en s’assurant préalablement de la profondeur pour ne pas troubler la lie, et d’autre part dans le fût qui doit recevoir le vin.
Il est certain que le soutirage par la pression est encore préférable, mais impraticable pour un grand nombre de fabricants et de viticulteurs.
Ce moyen est surtout usité dans le Bordelais. Les caves bordelaises ne contiennent généralement que des barriques de ce nom; or, leur petite contenance, 228 litres, force les viticulteurs à entasser ces futailles les unes sur les autres, pour gagner en hauteur la place qu’ils perdraient dans les caves si les barriques étaient placées à côté les unes des autres.
Afin de pouvoir soutirer le vin logé dans ces conditions, et cela sans courir les risques de remuer la lie, on emploie la pression; c’est-à-dire qu’on chasse par le soutirage avec une pompe ou un soufflet ad hoc, le vin des barriques qui s’échappe ainsi automatiquement, par la pression atmosphérique. On le dirige par des tuyautages dans les fûts superposés qui doivent le contenir. De la sorte le vin, dont le prix est élevé, ne risque jamais de s’éventer, ni de tourner.
C’est à l’aide des diverses opérations que je viens de décrire, qu’on purge, qu’on purifie, qu’on enlève au vin de raisins secs toutes les matières qui pourraient déterminer des fermentations mauvaises ou nuire à sa conservation.
La cave qui renferme le vin prêt à être livré au commerce, doit préoccuper le fabricant. Il importe, pour éviter des désagréments, qu’elle soit située dans un endroit frais et humide: l’excès de cette dernière recommandation, nuirait cependant au vin et déterminerait la moisissure des bouchons, tonneaux, etc. Je signalerai aussi l’inconvénient qui existe, l’été surtout, à loger les futailles, contenant le vin complètement terminé, dans le cellier où l’on presse les grappes. L’acide acétique, qui se forme sur elles et sur les instruments qui servent à fabriquer le vin, se répand avec la plus grande facilité dans l’atmosphère: les vins, en bon état, ne peuvent que perdre à ce voisinage. Quel est celui de nous dont l’odorat n’a pas surpris cette odeur pénétrante en arrivant dans un cellier où l’on a pressé des grappes de raisins?
Je ferai la même observation pour le voisinage des cuves servant à la fermentation.
Généralement, je le sais, les viticulteurs et fabricants n’ignorent pas ces recommandations, mais il en est qui, à la connaissance de ces détails, sépareront les vins collés de la salle de cuvage, ne sachant pas les conséquences graves que cette circonstance pourrait susciter à leur vin.
CHAPITRE XXII
Des altérations du Vin de Raisins secs, leurs causes et leurs remèdes
Les vins sont terminés, c’est-à-dire limpides et francs de goût. Le but que nous avons poursuivi est atteint.
Mais, il me reste encore à décrire les altérations et maladies auxquelles les vins de raisins secs peuvent être sujets, les remèdes à employer pour les sauvegarder.
De la dessication et des altérations qu’elle peut faire naître
Je suppose une fabrication parfaite, c’est-à-dire dont les raisins, les instruments et appareils, la température, contribuent à produire un bon vin. Chacune des choses que je viens d’énoncer, peuvent donner lieu, d’après leur état propre, à des détériorations ou maladies que je vais passer en revue.
Les raisins secs, base de notre fabrication, peuvent occasionner, les premiers, des altérations. Quelques-unes naissent de l’opération du séchage qu’on leur a fait subir, pour les transporter de l’Orient dans nos contrées.
La dessication des raisins s’obtient de plusieurs manières. En Turquie, les indigènes l’obtiennent en étendant simplement les raisins sur le sol à l’action du soleil. Les grappes sont entières, car les grains de raisins égrappés peuvent subir partiellement des fermentations qui amènent de fâcheux résultats.
Mélangés avec la masse, ces grains motivent des altérations que j’ai signalées, au début de mon ouvrage, dans le chapitre II: Quels sont les meilleurs raisins et à quoi les reconnaît-on?
Un commencement de fermentation de ces grains peut communiquer au vin des goûts désagréables. De forts collages sont nécessaires pour les faire disparaître. En Grèce, certains récoltants emploient, pour opérer la dessication des raisins, une méthode qu’il est bon de signaler, afin de permettre aux fabricants de se prémunir contre les conséquences que cette méthode pourrait entraîner.
Après avoir récolté les raisins, on les étend, en plein air, au soleil, sur une couche épaisse de fumier ou litière, d’animaux domestiques.
Les raisins, dans cette situation, subissent par la chaleur solaire d’une part et celle qui se dégage du fumier d’autre part, un effet de contraction de la pellicule. La vapeur alcaline, qui se dégage de la fiente, collaborant avec la chaleur solaire, durcit et épaissit l’enveloppe du raisin, par un effet à peu près semblable à celui du tan sur les peaux d’animaux. Par cette façon d’opérer, on active la dessication des raisins, mais ceux-ci emportent, le plus souvent avec eux, des principes alcalins qui sont la source de nombreux mécomptes pour les fabricants. De là naissent quelquefois ces goûts désagréables que possèdent certains vins de raisins secs.
On évite cela en se servant de l’eau chaude, pour le mouillage dans la cuve à tremper. L’eau chaude dissout, facilement, les sels qui ont pu se former sur la pellicule, et laisse à la fermentation, le soin de les décomposer ou de les précipiter sous forme de dépôts ou de lies.
On dessèche aussi les raisins, en les exposant au soleil sur une couche de paille ou dans les fours; ce dernier moyen exige de grandes précautions. On doit éviter une chaleur trop ardente qui pourrait les brûler. On les étend sur des claies et on les introduit dans le four un moment où en sort le pain, après sa cuisson.
La température doit être douce, car la dessication des raisins, reposant sur le principe de l’évaporation de l’eau contenue dans la pulpe, s’opérerait dans de très mauvaises conditions si l’on voulait accélérer l’opération.
En Espagne et dans certains pays, la dessication s’opère en trempant les grappes de raisins dans des bains de potasse qui, comme chacun le sait, est un sel alcalin.[50]
Les vins de raisins secs aigre-doux.
Le vin de raisins secs, quand on le soutire de la cuve à fermenter, doit être généralement un peu vert, sec, et non liquoreux. Les fabricants doivent bien se garder de confondre la verdeur avec l’aigreur du vin; tandis que la première; loin de lui nuire, est une garantie de bonne conservation, la seconde est sa plus directe ennemie. Pour mieux comprendre l’idée que j’expose, je vais établir les résultats que peuvent offrir ces fermentations bonnes ou mauvaises:
1º Après une marche régulière et sans arrêt de la fermentation, toute la partie sucrée du moût s’étant transformée en alcool, et le décuvage ayant été fait au moment convenable, le vin doit posséder un principe de verdeur. Une fois en tonneaux et bien clarifié ce principe devient une qualité et ce vin se conserve, en se bonifiant, sans aucune crainte d’altération.
2º Par suite d’un arrêt dans une fermentation à peu près achevée, si le vin possède encore deux degrés de liqueur, il faut se garder de le laisser dans la cuve et sur les grappes; on l’entonne dès le troisième jour dans des foudres non soufrés, en ne les remplissant qu’à moitié; sinon, dans cet état, les vins de raisins secs deviennent ce qu’on appelle aigre-doux. C’est-à-dire que, vers la fin de la fermentation, le chapeau, en s’affaissant dans le liquide, y développe un principe acétique, si la fermentation alcoolique ne suit pas entièrement son cours.
Au contraire, une fois décuvé et éloigné du marc, véritable foyer acétique, le vin qui garde quelques degrés de douceur, les perd dans le tonneau par l’effet de la fermentation lente. Le temps fixé, pour cette transformation, peut être illimité, car l’époque dans laquelle on se trouve, influe beaucoup sur sa durée. En été le vin, au bout de quelques jours, ne se ressent presque plus de cet état anormal. On achève de le remettre en état par des collages à la Colle Diamant avec 50 grammes d’Extrait Vinicole[51] par hectolitre, ce qui est un moyen radical. On doit aussi garnir le fond des tonneaux de copeaux de bois de hêtre et pratiquer de bons soutirages.
Dans tous les cas, le vin de raisins secs, séparé des grappes, avec quelques degrés de sucre, peut demeurer, sans crainte de l’aigreur, dans les tonneaux. La partie sucrée disparaît soit en se combinant avec d’autres principes du vin, soit en se convertissant en alcool par la fermentation insensible. Mais ce moyen est toujours très long.
Il vaut mieux repasser ce vin sur les nouvelles fabrications par petites quantités.
Cet accident arrive aux fabricants qui, par excès de confiance, ou le plus souvent par négligence, laissent trop longtemps le vin, dont la fermentation alcoolique est arrêtée, dans les cuves. Quand ils opèrent enfin le décuvage, le vin a le caractère que j’ai cité plus haut, il est aigre-doux.
Généralement, l’acétification n’est pas très avancée, mais la douceur, demeurant encore dans le vin, offre un contraste frappant à la dégustation.
Dans le cas qui nous occupe, on doit s’empresser d’enlever le vin de la position fâcheuse dans laquelle il se trouve.
Le tonneau dans lequel on l’entrepose doit être légèrement méché.
On mélange, ensuite, dans le vin, de la poudre de marbre blanc, à la dose de 100 grammes par hectolitre, en le remuant de temps en temps avec un bâton; on laisse reposer durant quelques jours, puis on soutire dans un nouveau fût, en ajoutant de 30 à 50 grammes d’Extrait Vinicole et plus si c’est nécessaire, suivant l’état du vin.
Le vin, après ces diverses additions, perd généralement son goût acide; la transformation de la partie sucrée s’opère, par la fermentation insensible, comme pour les vins non acétifiés.
Quelques fabricants ont essayé, pour traiter les vins dans cet état, d’employer les collages énergiques.
Le résultat est forcément négatif.
Cette opération n’atteint son but que pratiquée sur des vins qui lui permettent de produire son effet. Or, les vins contenant encore du sucre, sont sujets à la fermentation et, par conséquent, empêchent l’action précipitante de la colle. Celle-ci, entraînée par le dégagement, quoique léger, de l’acide carbonique, s’élève avec lui continuellement pour retomber, et loin d’agir sur les vins avec succès, peut y développer des altérations nouvelles.
La règle générale est donc celle-ci: Le collage ne peut opérer sur les vins, d’une façon heureuse, que tout autant que la fermentation est complètement achevée.
L’Extrait Vinicole est le seul remède qui ait donné des résultats pour cette altération.
Des Vins de Raisins secs nuageux
Un des accidents les plus fréquents dans les vins de raisins secs quand ils ont été atteints de l’altération aigre-doux, est celui qui constitue les vins troubles. Toutes les fois qu’une matière floconneuse devient brusquement insoluble, elle donne au vin dont elle se sépare, une apparence laiteuse. Cet effet peut se produire dans des circonstances diverses. Le vin, mis en mouvement par une fermentation, ou par une cause extérieure, laisse déposer un peu de ferment, et devient trouble. La cause la plus fréquente est le manque de tannin. Des soutirages nombreux produisent aussi le plombage dans un vin où les matières azotées sont abondantes; l’action de l’air, en se répétant durant les soutirages, amène une fermentation putride: le tartre se change en métacétates; le ferment développe de l’ammoniaque à l’état de carbonate, ou même de sulfhydrate, le vin perd son acidité et du ferment se dépose. Cette altération est commune chez les vins dont nous nous occupons. Ainsi qu’on le voit, les causes qui la font naître sont nombreuses.
On peut combattre le plombage quand le vin est bien sec. Mais généralement, sa cause réside dans ce principe de liqueur provenant d’un arrêt dans la fermentation touchant à sa fin. Dans ce cas, l’unique remède, est celui indiqué pour les vins aigre-doux.
Je ne conseillerai pas à mes lecteurs d’employer les divers remèdes que certains présentent comme panacée universelle, ce serait de l’argent perdu. Dans tous les cas demandez-moi un conseil, je suis tout prêt à vous répondre. Je m’étendrai plus loin sur la méthode qui consiste à chauffer les vins. Cette découverte importante permet de remédier, dans beaucoup de cas, à des altérations spontanées, et à quelques autres que je vais décrire au chapitre suivant.
CHAPITRE XXIII
Des maladies du vin de raisins secs
Ainsi que celui des raisins frais, le vin de raisins secs est sujet à des altérations spontanées. Telles sont les fleurs, l’acescence, etc.
C’est à l’augmentation des matières gommeuses et sucrées ou au manque de tannin et de tartre, qu’il faut attribuer ces altérations, ou maladies des vins en général et de ceux des raisins secs en particulier.
Chez ces derniers, la cause la plus commune et la moins connue, la plus bizarre assurément, est la couleur jaunâtre que tous les vins de raisins secs ont.
Je l’expliquerai plus loin.
Cependant, comme je l’ai démontré précédemment et par une anomalie étrange, le sucre a la propriété de conserver les vins et de les empêcher de s’altérer. Ce moyen employé depuis les temps les plus reculés, était connu des anciens qui additionnaient leur vin de moût de raisins cuits, ce qui revenait à les sucrer.
De nos jours les vins dits de liqueurs, tels que Malaga, Porto, Muscats de Frontignan, de Rivesaltes, n’offrent réellement des garanties de conservation que si, fortement alcoolisés, ils n’ont au moins 10 degrés de sucre.
La partie gommeuse, au contraire, est une véritable ennemie de la bonté des vins de raisins secs. C’est à elle que l’on doit en partie l’altération des vins troubles.
Le tannin aide beaucoup à précipiter la gomme du vin et à le clarifier; malheureusement cette substance n’est pas très abondante dans les vins de raisins secs. De là, la difficulté, quelquefois, de résoudre certaines questions embarrassantes, et l’impuissance dans laquelle se trouve le fabricant ignorant cette particularité. On trouve dans le commerce des tannins provenant des différents végétaux. Les plus connus sont ceux extraits de la noix de galle, du chêne-rouvre, etc. Mais leur emploi dans les vins de raisins secs est dangereux.
Le mieux est d’employer purement et simplement l’Extrait Vinicole qui contient avec le tannin toutes les matières qui sont nécessaires aux vins.
On peut employer le Tannin à l’Alcool qui possède les qualités requises pour remédier aux maladies du vin de raisins secs.[52]
Je me tiens, du reste à la disposition de mes lecteurs, pour tous les renseignements dont ils pourront avoir besoin sur cette importante question.
Un des faits qui présente le plus de particularité dans les vins de raisins frais, et qu’on remarque dans ceux des raisins secs est la maladie qu’on nomme les fleurs. Elles se forment dans les tonneaux en vidange et surtout dans les bouteilles dont elles occupent le goulot.
Leur présence signale au fabricant, comme un avertissement, la dégénération acide du vin. Elles se forment avec abondance sur les vins très aqueux. On les fait disparaître dès qu’on s’en aperçoit, en ouillant avec les précautions que j’ai indiquées.
Le moyen d’empêcher la production des fleurs sur le vin est simple: c’est l’ouillage régulièrement pratiqué.
L’acescence du vin, ou l’aigreur, est la plus naturelle de toutes les maladies dont le vin peut être atteint. La formation de l’acide acétique ayant pour base la transformation de l’alcool, par l’action de l’oxygène, on ne peut s’étonner de la facilité avec laquelle cette transformation peut s’opérer, étant donné les nombreuses occasions qui mettent l’air et l’alcool du vin en présence.
C’est une suite de la fermentation spiritueuse; mais connaissant les causes qui la produisent, et les phénomènes qui l’accompagnent ou qui l’annoncent, on peut parvenir à la prévenir.
Chaptal a décrit d’une manière savante, la formation de l’acide acétique dans les vins.[53] Ce phénomène est identique dans les vins de raisins secs.
Il existe pourtant, quant à la cause de l’aigreur, des différences importantes entre le vin de raisins frais et celui de raisins secs. L’opinion générale des savants, qui se sont occupés de vins de vendanges, est que les vins faibles sont plus sujets à l’acétification que les vins généreux. On admet même que les derniers, bien soufrés, collés et clarifiés ne tournent plus à l’aigre.
Dans les vins de raisins secs, c’est généralement le contraire qui peut arriver, si les vins subissent l’influence de l’air. J’ai remarqué que les vins faibles en degré se conservaient très bien et en parfait état, sauf l’altération des fleurs dont il est facile de les débarrasser; tandis que les vins, de degré élevé, subissaient bien souvent des changements anormaux malgré les soufrages et les collages. Le manque de tannin contribue, il est vrai, à ces changements; mais il convient d’observer, qu’un fort degré n’est pas toujours un garant suffisant pour la conservation des vins, comme quelques œnologues l’ont prétendu.
J’ai vu aigrir un vin de raisins secs dans les circonstances suivantes:
Au mois de juillet 1879 je mis à fermenter dans un baril, 10 kilogrammes de raisins de Corinthe avec 15 litres d’eau. Le moût pesait 15 degrés à l’aréomètre Beaumé. La température très chaude à cette époque, activa la fermentation à un tel point, qu’au bout de 4 jours, le vin ne demeurait qu’à 7 degrés à peine de douceur. Il s’était formé environ 8 degrés d’alcool. Voulant conserver le vin avec la partie liquoreuse existante, je le soutirai dans un autre fût et y ajoutai 8 nouveaux degrés, avec de l’alcool à 92 degrés, bien rectifié.
Je crus que ce fort vinage suffirait pour arrêter et la fermentation alcoolique et les altérations qui pourraient se produire.
Je me trompais grandement. Quelque temps après, je voulus revoir le vin dont je me disposais à faire un vin de liqueur. Jugez de mon étonnement, quand je constatai que non-seulement mon vin avait complètement achevé sa fermentation alcoolique, mais que la fermentation acétique l’avait changé en excellent et très fort vinaigre.
L’aigreur ne provient pas uniformément de la même cause. La première et la principale est l’influence de l’air dans le vin. L’action chimique s’exerce entre l’oxygène de l’air et l’alcool du vin. Le résultat de cette combinaison est la formation de l’aldehyde; c’est elle qui donne naissance au vinaigre.
La conclusion de cet exposé est celle-ci: Dès que la fermentation alcoolique est terminée, le contact de l’air doit être rigoureusement évité. Pour cela, la fermeture des tonneaux, si hermétique qu’elle soit, ne suffit pas toujours, et il est nécessaire, soit de tourner la barrique de côté pour que le liquide humecte continuellement la bonde et l’empêche, en se desséchant, de laisser un passage à l’air, soit à remplir le vide d’un tonneau en vidange, avec de l’acide sulfureux, au moyen d’une mèche.
Il arrive qu’on constate, chez les vins de raisins secs en foudre, un commencement de piqûre. Cette altération provient le plus souvent de la lie sur laquelle repose le vin; dans ce cas on l’appelle: piqué de lie.
L’acidité, dans le fait que je cite, provient d’un commencement de fermentation qui tend à se développer dans la lie où les ferments sont rassemblés.
Le remède est: le soutirage immédiat dans un tonneau fortement soufré. Un grand danger est à éviter quand on pratique cette opération. C’est l’aérification du liquide, car l’air se dissout en pareil cas et peut agir avec une grande force. Ainsi, il faut se garder de tirer le vin par un robinet dans des brocs ou cuviers. Mis en contact avec l’air, les symptômes d’aigreurs existant avant l’opération, prennent une intensité désastreuse après un soutirage fait dans ces conditions.
Pour éviter ces funestes effets, on soutire soit avec un syphon, soit en adaptant au robinet un tuyau en caoutchouc qui plonge dans le tonneau où l’on verse le vin. Un bon collage suffit pour le remettre en bon état.
L’acidité, comme on le voit, est une des maladies, du vin, dont le fabricant ou le viticulteur doit s’appliquer seul la responsabilité. Aucune altération ne décelle mieux le peu de précautions et de soins du producteur. Un vin aigre est un vin qui a été négligé.
On peut réparer ce défaut par plusieurs moyens: Le tartrate neutre de potasse (100 grammes environ par hectolitre), en se combinant avec l’acide libre contenu dans le vin, forme de l’acétate et du bitartrate de potasse. Par le repos, ce dernier sel se sépare spontanément à l’état cristallin, et le vin perd son acidité.
Il faut bien se garder, pour améliorer les vins aigres, de se servir de la craie, car cette dernière a l’inconvénient d’introduire dans le vin un sel calcaire, qui altère sa composition.
M. Fauré conseille l’emploi de la crême de lait qu’il verse dans le vin en la fouettant fortement. Quelques jours après il soutire.
Ce procédé serait, à mon avis, praticable, mais dangereux pour l’avenir du vin.
Je ne parlerai pas des méthodes plus ou moins honnêtes, pour corriger l’aigreur des vins, renfermées dans certains livres et citées par certains auteurs; ces moyens peuvent occasionner de graves désordres dans le corps et sont de véritables poisons.
Le Manque de Tannin.—J’ai dit aussi qu’une des principales sources d’altération et de maladie pour les vins en général, de raisins frais ou de raisins secs, était le manque de Tannin. Je vais le démontrer, je crois, d’une façon irréfutable. Tous les vins ont du tannin, c’est vrai, mais beaucoup n’en ont presque pas, suivant les années, par suite des bizarreries de la nature qui se montre parfois absolument hostile, dans certaines régions, à une bonne vendange.
Or, vous savez qu’il faut clarifier le vin, cette opération se produit par suite de l’effet de la colle sur le tannin, qu’elle dissout et précipite. Si ce vin est déjà pauvre en tannin ou s’il en contient juste la quantité nécessaire et qui lui est propre, quand on collera on épuisera le vin. Voilà pourquoi l’adjonction de tannin s’impose, pour éviter les maladies nombreuses que le manque de cette substance occasionne au vin.
Que de maladies n’ont pas d’autres causes!
Tous ceux qui lisent ces lignes et qui ne connaissaient pas ces faits y verront l’explication et le motif du dépérissement de leurs vins, alors que souvent, croyant les guérir et les sauver, ils collaient et recollaient à outrance.
Dans ces conditions, chaque nouveau collage épuise le vin, si on n’ajoute pas de tannin, de la même façon qu’on épuiserait un malade faible de sang en pratiquant des saignées répétées, croyant de le guérir.
Je résume et je conclus:
Sans tannin pas de clarification possible. Avec une quantité insuffisante de Tannin naturel, on ne peut obtenir qu’un mauvais collage, un effet incomplet, une boisson constamment trouble et plombée, un liquide en un mot impossible à clarifier malgré tous les efforts et les appareils, filtres ou autres. Quand on connaît si bien la cause d’un mal, on est bientôt prêt à le guérir radicalement. C’est ce qu’on obtient aujourd’hui si facilement en ajoutant purement et simplement la dose artificielle, d’Extrait Vinicole, à base de tannin; dose destinée à combler, naturellement, le vide que la nature ou notre industrie avait fait. Cette dose est de 30 à 50 grammes par hectol. C’est pourquoi aussi, il convient chaque fois qu’on colle un vin d’ajouter de l’Extrait Vinicole pour le laisser en possession de toute sa propre richesse de tannin.
Il est une altération bien étrangère aux ferments, qui mérite une mention toute particulière: C’est le goût du fût, de sec, de moisi.
La cause de cette maladie réside dans la malpropreté des tonneaux.
Quand le bois est vermoulu, vicié, pourri, ou bien quand la lie a demeuré dans les fûts et y a séché, le vin s’empare avec rapidité de ce goût qui le rend on ne peut plus désagréable. On conseille, pour ramener le vin à son bon état, l’huile d’olive bien fraîche.
Dans une futaille bien méchée, on introduit l’huile d’olive (200 à 250 grammes par hectolitre) et le vin qu’on fouette énergiquement. L’huile dissout les traces de matière odorante, et le vin reprend son goût naturel.
Tel était du moins l’unique et seul remède que l’on connaissait et que l’on employait contre le goût de moisi. Je dois avouer que le remède avait tellement peu d’efficacité que je me suis attaché à trouver un remède plus réel.
Après de nombreuses recherches, j’ai trouvé l’Audibertine, produit auquel j’ai attaché mon nom. Je puis dire que c’est le seul remède réellement efficace et ayant la grande et bien appréciable qualité, de produire un effet immédiat. De plus, loin d’être, comme l’huile, une matière peu compatible avec le vin, c’est du vin même que l’Audibertine, est obtenue. Avec elle, on change, aussi instantanément, le goût du vin, en celui d’un autre crû. Tous les mauvais goûts peuvent être enlevés.
Pour opérer, on en verse 100 grammes ou davantage, si c’est nécessaire, par hectolitre de vin au moment du collage.
Afin d’opérer sans risquer aucune dépense inutile, on pèse 10 kilogr. de vin dans lesquels on verse 10 grammes d’Audibertine en agitant le liquide pour rendre le mélange bien homogène. Si, après dégustation, cette dose ne suffit pas, on l’augmente progressivement jusqu’au moment où le vin est bouqueté ou complètement désinfecté.
Comme certains de mes lecteurs et amis m’ont posé la question suivante: mais qu’est-ce que l’Audibertine? cela pour ne point se mettre sous le coup de la loi. Je vous dirai ce que j’ai répondu, afin que vous soyez absolument fixé et tranquille sur l’emploi de l’Audibertine.
Par ce temps de poursuites à outrance pour falsification, l’Audibertine est-elle un produit qu’on peut verser impunément dans le vin pour le corriger, le bouqueter, et surtout lui enlever le goût de moisi?
Je réponds: j’affirme sur ma conscience et sur mon honneur, que l’Audibertine est à base d’un produit extrait du vin, qu’elle ne peut en aucune façon, employée dans les vins, être nuisible et que le bouquet de noyau, que l’on sent de prime abord, provient du Kirsch que l’on emploie, en petite quantité, pour rendre son odeur encore plus agréable. Et maintenant devant une déclaration aussi solennelle, j’espère qu’on aura, en moi, pleine et entière confiance[54].
Je vous ai dit aussi, qu’une ennemie inconnue, et partant d’autant plus dangereuse, était la couleur naturelle, jaune, du vin de raisins secs.
Voici pourquoi: cette couleur devrait être rouge. Si elle est jaune, c’est par suite d’une décomposition première, due à la façon dont la dessication a été opérée. Or, vous le savez, la principale cause d’ennuis, pour les vins, provient de son manque de limpidité. Cette couleur jaune avortée est souvent la source de ces ennuis. Il faut donc la faire disparaître. J’ai acquis la certitude de ces faits par de nombreuses expériences.
Voilà pourquoi aussi j’ai créé la Poudre Décolorante J. A.[55] exclusivement pour cela. Rendez votre vin de raisins secs absolument blanc et limpide et dites-moi s’il est possible qu’il ne remplisse pas tous les rôles que vous voudrez bien lui faire jouer.
La Poudre Décolorante J.A. a aussi la grande qualité d’être la seule complétement neutre, sans goût et sans danger pour les bouquets des liquides. Pour les commerçants en vins, fabricants de liqueurs, pour les vins de raisins secs et leur donner la couleur des vins blancs naturels, petits gris, etc., pour 3/6, rhum, cognac, vinaigre, etc., trop colorés, ou colorés accidentellement, c’est un aide puissant. Voici comment on l’emploie: On bat, dans un peu de vin que l’on veut traiter, environ 50 grammes de cette poudre avec autant de Colle Diamant. On verse ensuite dans la masse du vin que l’on fouette énergiquement. On peut employer sans crainte 100 gr. par hectol. et plus, sans augmenter la dose de colle, si on veut obtenir une décoloration compléte.
CHAPITRE XXIV
Du Chauffage des Vins de Raisins secs
Je me suis occupé dans les chapitres précédents, des altérations et maladies de nos vins. J’ai indiqué les moyens de les préserver et de les guérir, mais j’ai voulu faire l’objet d’un chapitre spécial de la nouvelle application aux vins, par M. Pasteur, de la méthode d’Appert.
Le chauffage a soulevé et soulève encore aujourd’hui, parmi les savants, des discussions vives, dans lesquelles je me garderai bien de mêler ma modeste personnalité. Je laisserai donc à d’autres plus autorisés, le soin de conclure les débats, et ne vais m’occuper ici que des observations que j’ai recueillies, sur l’application que j’en ai faite aux vins de raisins secs.
M. Pasteur à la suite de ses études remarquables, sur l’action que les ferments exercent sur les liquides d’origine organique, tels que le vin, la bière et le vinaigre, fut conduit par ses savantes réflexions à l’application de la méthode d’Appert, comme moyen de conservation pour les vins.
En attribuant les diverses maladies du vin, les fleurs, l’acescence, etc., à des ferments vivants, ce savant conclut que leur destruction devenait facile, en les soumettant à une température d’environ 55 degrés de chaleur. La cause de toutes ces altérations disparaissait de cette manière, des vins, qui offraient ensuite de solides garanties de conservation.
Le chauffage, appliqué aux vins de raisins secs, permet d’obtenir des produits supérieurs. Les points principaux auxquels les fabricants doivent ramener tous leurs efforts, sont: la franchise et la neutralité du goût. Cette dernière est surtout bien difficile à obtenir. J’ai dit en commençant cet ouvrage, que les raisins secs comme les raisins frais communiquaient aux vins des bouquets, des goûts, sui generis, contre lesquels il était bien difficile de réagir. Ces goûts particuliers tiennent à plusieurs causes différentes, que j’ai signalées; ce sont: la façon de dessécher les raisins, le goût communiqué par le bois des grappes, enfin les moyens de fabrication que l’on emploie.
L’opinion publique, à la suite de nombreuses expériences officielles prouvant l’excellence de la méthode Pasteur, rendit, spontanément, à son célèbre auteur, un éclatant hommage, en attachant d’une manière impérissable son nom à cette opération. On dit: pasteuriser le vin, l’action de le chauffer.
L’effet du chauffage sur les vins de raisins secs est surprenant. Les vins perdent, en partie ou complétement leur acidité, suivant qu’ils sont plus ou moins fortement attaqués. Les goûts de terroir disparaissent.
Ils acquièrent, eux dont la naissance n’est séparée que par quelques jours, de leur livraison à la consommation, ils acquièrent, dis-je, immédiatement, le principe vineux que plusieurs mois parviendraient difficilement à leur procurer. Leur conservation est presque absolue.
On a essayé plusieurs sortes de chauffage depuis l’origine de cette méthode. On tenta de chauffer, d’abord le vin sans le retirer des tonneaux; les difficultés qu’offrait l’opération ainsi pratiquée, forcèrent les viticulteurs à rechercher d’autres moyens.
L’industrie ne pouvait rester inactive en présence des savantes données de M. Pasteur. Elle offrit aux viticulteurs de nombreux appareils, qui, de perfectionnements en perfectionnements, permettent aujourd’hui de pasteuriser, une quantité considérable de vin, avec des appareils simples, commodes et peu coûteux.
Il en est d’abord, à travail intermittent et à travail continu; c’est-à-dire que ces derniers permettent de chauffer sans interruption des quantités qui se renouvellent.
Appareil J.-F. AUDIBERT, pour vins chauffés, infusés, bouquetés, la fabrication immédiate et sans évaporation d’alcool, des Madère, Malaga, etc., Vermouth, Bitter, infusions alcooliques, l’obtention des Eaux-de-Vie, de Cognac, l’infusion à chaud et instantanée des plantes, dans l’alcool et le vin, sans évaporation.
Répondant à la demande d’un grand nombre de lecteurs, de mes premières éditions et sur les données de M. Pasteur, j’ai fait un appareil de chauffage spécial pour les vins de raisins secs.
Cet appareil jouit d’une grande faveur. M. Pasteur lui-même approuve tout particulièrement ses dispositions. Je ne le décrirai pas, car l’homme le plus ignorant le comprend et peut le conduire en le voyant, mais je citerai les avantages qu’il offre à la fabrication.
A ce point de vue l’appareil rendra de réels services à ceux qui pratiquent la fabrication mathémathique des vins, car il aide puissamment à la fabrication du vin de raisins secs, et autres vins.
Il se compose de 3 pièces.
La première: Le Chauffeur, au bain-marie, pour obtenir l’eau chaude et remplacer une chaudière.
La seconde: Le Cylindre infuseur, pour infuser et aromatiser à chaud les alcools et les vins; pour changer le goût des vins de raisins secs après la fermentation, et leur donner celui de nos bons vins fins; pour les bouqueter, etc.
La réunion, de ces trois pièces, constitue l’appareil à infusion (en chauffant d’après le système Pasteur).
La réunion, de la 1re et de la 3me, constitue si l’on veut l’appareil, pur et simple, de chauffage des vins du Pasteur.
La 1re pièce, seule, remplace les coûteux et embarrassants moyens actuels pour le chauffage de l’eau, chaudières, etc. Il n’est plus besoin d’installations onéreuses, constructions avec les tuyautages, robinets, etc.
Le temps, dit-on, c’est de l’argent. En matière de chauffage et d’infusion, cette vérité est encore plus grande, surtout quand on opère sur d’importantes quantités.
Les gros fabricants qui ont besoin, par exemple, de 10 à 15 hectolitres par jour de vins chauffés ou d’infusions, soit alcooliques soit simplement vineuses, sont obligés, pour les obtenir, d’immobiliser un capital considérable en plantes et liquides et de supporter les pertes graves qu’occasionne l’évaporation.
Or cet appareil de chauffage sert aussi pour la macération des plantes dans l’alcool ou le vin.
Jusqu’à présent pour éviter les frais de la distillation on faisait macérer les plantes ou les fleurs dans le vin ou l’alcool. Les récipients, que l’on employait, en bois généralement, créaient des dangers: l’évaporation à travers les pores du bois pour les infusions alcooliques; (perte qui se chiffrait par de grosses sommes chaque année); l’acétification, pour les vins contenant des plantes à infuser.
Obtenir instantanément des résultats qui exigeaient des semaines et des mois, voilà le but poursuivi et atteint avec mon appareil de chauffage. La base sur laquelle il repose, est le système préconisé par Pasteur, de façon à joindre à l’infusion, la pasteurisation. Chacun sait qu’on appelle ainsi l’opération qui consiste à chauffer, à 55° environ, les vins et spiritueux pour tuer les animalcules et les ferments qu’ils contiennent, afin d’éviter toute fermentation ou détérioration postérieure.
Pour les fabrications à bases alcooliques, j’ai enfin résolu le problème, très important, avec cet appareil de chauffage, d’élever à 60° la température de l’alcool, en contact avec les plantes, sans la moindre déperdition.
Le vin est complétement inaltérable; les barriques ne souffrent nullement par son emmagasinage immédiat, car, à l’appareil est ménagé un réfrigérant, qui ramène à 20 degrés, à la sortie, la température du vin chauffé à 55 degrés dans l’intérieur du dit appareil. La dépense du combustible est aussi réduite que possible.
Pour la fabrication des Madère, des Malaga, dont le monopole était resté jusqu’ici la propriété d’un petit nombre, à cause des sommes importantes que nécessitaient les préparations et les avances pour leur fabrication, il est possible au plus petit fabricant d’obtenir les mêmes résultats, presque sans frais.
Les eaux-de-vie de cognac m’ont aussi fortement préoccupé. Les vins de raisins secs, comme nous l’avons-dit, alimentent, depuis longtemps, ce commerce, car l’eau-de-vie qu’on en retire est très supérieure aux autres. J’ai voulu rendre encore plus étonnants les résultats obtenus en faisant passer le vin de raisins secs dans mon appareil avant de le distiller:
1º Je le chauffe (le vieillissant par conséquent et lui donnant environ deux ans de plus);
2º Je le bouquète et le madérise et l’infusant d’écorces d’amandes, ce qui donne à la distillation des eaux-de-vie, une apparence de vétusté qui trompe les plus connaisseurs.
Je ne m’étendrai pas davantage sur les ressources que le fabricant trouvera dans l’appareil pour le chauffage, l’infusion à chaud et instantanée.
Je dirai en terminant que, dans les diverses dimensions, les prix ne sont pas élevés[56].
Je suis heureux, en finissant ce chapitre, de pouvoir adresser publiquement à M. Pasteur, au nom de notre industrie florissante, les félicitations les plus vives et les plus sincères, pour ses magnifiques travaux scientifiques et pour l’aide merveilleux dont il a doté la fabrication du vin de raisins secs: La pasteurisation.
CHAPITRE XXV
Du vinage, du coupage et de la coloration des vins de raisins secs
L’addition de l’alcool au vin, ou mieux le vinage, loin, comme on le croit quelquefois, d’être une fraude répréhensible, est une pratique entièrement autorisée par les Conseils d’hygiène et la science.
Depuis longtemps les viticulteurs ont été amenés par l’observation, à suppléer à la faiblesse du degré alcoolique des vins, provenant des moûts pauvres en sucre, par une addition directe d’alcool.
Cette addition, si naturelle de prime abord, exige de profondes connaissances de la part de ceux qui l’emploient.
Dans la fabrication des vins de raisins secs cette méthode est surtout pratiquée sur une vaste échelle dans le Midi de la France.
Au lieu de viser à obtenir des vins de degrés élevés, par la seule transformation du sucre de raisins ou de canne en alcool, on fabrique de grandes quantités de vins de 6, 7, 8 jusqu’à dix degrés d’alcool, que l’on remonte ensuite au degré demandé par l’acheteur. La différence de ces derniers vins avec ceux dont la force alcoolique est obtenue par la transformation du sucre en alcool, est notable.
On devine, sans peine que le sucre de raisin mis en fermentation, au contact des autres parties du raisin, produit autre chose que de l’alcool pur. Un grand nombre des principes vineux trouvent leur source dans les divers phénomènes auxquels donne lieu cette transformation.
D’autre part les sortes d’alcool son nombreuses dans le commerce. Les mêmes difficultés que je signalais pour l’emploi de certains sucres se dressent ici, pour l’addition de l’alcool. On n’ignore pas qu’on en fait avec du vin d’abord, des pommes de terre, des grains, etc. En un mot avec tout ce qui contient un principe fermentescible et du sucre.
Or, le mélange dans le vin d’un liquide alcoolique provenant des diverses dernières sources que j’ai signalées, peut y déterminer des fermentations susceptibles, au bout de quelques temps, d’altérer complétement le vin. La quantité à ajouter doit être aussi l’objet d’une observation. C’est une erreur de croire qu’elle est illimitée. On doit améliorer les vins en ajoutant fort peu d’alcool, deux ou trois litres par hectolitre suffisent.
Quelques négociants et fabricants emploient l’alcool comme moyen d’arrêter les fermentations. Maumené en signalant ce fait dit que ce n’est point à l’alcool, dont les effets sont nuls, qu’il faut attribuer cette particularité, mais aux substances qu’il tient en dissolution.
Le vin de raisins secs, bien fait, se mélange facilement avec tous les vins; il suffit de faire opérer un bon mariage en collant avec un peu de Colle Diamant.
Pour bonifier certains vins légèrement piqués, quelques fabricants ont essayé de les couper avec des vins encore doux. Les résultats, du reste, faciles à prévoir, ont été la perte complète de ces vins.
Le chauffage, quand le mal n’est pas trop avancé, peut apporter de sérieuses bonifications au vin piqué.
Le but des vins de raisins secs est de suppléer à ceux de raisins frais, dont le phylloxéra cause la disette.
A cet effet, ils servent généralement à couper les vins rouges de vendanges, et à augmenter le stock de vin dont le commerce a besoin.
Le vin de raisins secs peut, sans doute, servir au coupage de tous les vins. Cependant quelques-uns de ces mélanges donnent des résultats meilleurs.
Je vais signaler aux fabricants ceux qui me paraissent offrir les plus sérieuses garanties.
Dans le Languedoc et dans le Var, les vins, bien rouges et francs de goûts, se marient de la manière la plus parfaite avec les vins de raisins secs. Certaines qualités de vins rouges supportent, même facilement, 50 0/0 de vins de raisins secs sans qu’il soit possible à la masse des connaisseurs de reconnaître ce coupage.
Certains vins d’Espagne ou d’Italie, du Var, de Brignoles, Pierrefeu, supportent avec la plus grande facilité l’addition des vins de raisins secs. Bien plus, j’ai remarqué qu’un coupage fait dans les conditions que je cite, est un moyen magique de transformer la qualité des vins de ces derniers pays et de les rendre délicieux.
Mon assertion, qu’il est facile de contrôler, repose sur un fait très connu: Les vins du Var, forts en couleurs et en degrés, apportent avec eux un goût de terroir qui leur est nuisible pour la vente, dans certaines contrées habituées aux vins presque neutres du Sud-Ouest de la France. Avec le coupage au moyen du vin de raisins secs, ce goût disparaît complètement et fait place, plutôt à un bouquet provenant de la fusion de ces qualités bien différentes de vins.
Leur coupage, avec ceux du Languedoc et du Roussillon, a créé un vin spécial sous la dénomination vague de vin d’Aramont.
Il existait, dans l’Hérault, surtout avant le désastre occasionné par la terrible maladie, d’immenses propriétés complantées en vignes de raisins d’Aramont. La nature des terrains, généralement plaines et marécages, formaient là de véritables réservoirs à vin.
La qualité produite par ces fruits, était la plus ordinaire; ces vins étaient faibles en couleur et en degré, mais la quantité compensait la qualité. C’est là où le commerce et l’industrie puisaient pour leurs besoins. Les négociants les employaient pour leurs coupages avec les gros vins rouges; les distillateurs, pour en retirer l’alcool et faire du 3/6.
C’est pour répondre à ces divers besoins, que le commerce a produit la combinaison des vins de raisins secs coupés légèrement avec des vins rouges du Languedoc et du Roussillon, combinaison à laquelle il a donné le nom de vin d’Aramont, c’est-à-dire petit vin.
Depuis quelques années déjà, cette qualité de boisson a trouvé un débouché considérable dans toute la France. Cela a permis aux populations laborieuses de boire encore du vin, ce qui ne serait pas arrivé, en présence du manque de récolte, si les vins de raisins secs n’étaient venus, avec tant d’opportunité, apporter leur précieux appoint.
Les vins rouges, d’Espagne et d’Italie, exigent des qualités particulières, pour être mélangés sans danger pour leur conservation avec ceux de raisins secs.
La plupart de ces vins gardent un principe de liqueur, qui peut, à la suite de leur coupage avec les vins de raisins secs, engendrer de nouvelles fermentations.
Je conseillerai aux fabricants qui se disposent à employer de ces vins, à ne se servir que des qualités qui offrent le plus de garanties de conservation. Ces garanties sont: la verdeur et la franchise de goût. Je vise par ce dernier point principalement les vins d’Italie, dont quelques-uns, originaires des environs de Naples, apportent avec eux un goût de terroir très défectueux. Les terrains dans lesquels pousse la vigne, composés en grande partie de laves, procurent au liquide alcoolique un goût sulfureux qui ressort avec force dans les coupages.
Pour faciliter le mariage des vins et être certain du succès d’un coupage, le fabricant doit toujours coller les vins mélangés. Si ce sont des petits vins, il faut ajouter par prudence de 10 à 30 grammes par hectolitre d’Extrait Vinicole. On assure ainsi l’opération.
Comme on le voit, il est permis sans trop de peines, d’employer les nouveaux vins et d’obtenir de bons résultats.
Cela m’amène, naturellement, à parler de la coloration des vins de raisins secs.
J’ai déjà fait part à mes lecteurs, au commencement de ce traité, de l’impossibilité de colorer les vins de raisins secs en rouge avec leurs propres moyens. Je suis convaincu que la science trouvera, et peut-être bientôt, le moyen de faire revivre la couleur qui doit, à mon avis, demeurer insoluble dans la pellicule.
En attendant ce progrès, qui sera la confirmation indiscutable de cette boisson, je vais passer en revue, signalant tous les dangers, les moyens de colorations que quelques propriétaires ont employés pour donner une meilleure apparence au vin qu’ils ont fabriqué.
L’Unique Colorant autorisé par la Loi pour le vin, est: le vin lui-même; c’est-à-dire les raisins ou vins très rouges du Midi de la France ou d’ailleurs.
A l’époque de la vendange, on peut colorer les vins de raisins secs avec les raisins, en les mélangeant dans la cuve à fermenter.
J’ai parlé longuement de la coloration, par les vins rouges, dans le passage que j’ai consacré au coupage. Je n’y reviendrai donc pas. Je signalerai seulement aux fabricants le fait suivant: Le vin de raisins secs se colore avec la plus grande facilité, quand les vins de vendange, qu’on emploie, ont une couleur vive; 10 litres par hectolitre, de bon vin rouge, suffisent pour colorer le vin de raisins secs.
Un grand nombre de négociants ont tiré parti de ce fait, et à l’inverse de la donnée qui précède, versent 10 litres de vin de raisins secs, par hectolitre, dans leur vin rouge au lieu d’employer de l’eau. Cette addition est bien difficile à reconnaître, car le goût et la teinte ne changent qu’imperceptiblement. Cela constitue un sérieux et réel bénéfice, sans qu’il soit un instant possible, de les incriminer: le degré, le goût et la couleur ne changeant pas.
Malheureusement, quelques commerçants oublient que la loi défend et punit toute coloration artificielle. C’est la tromperie sur la marchandise vendue qui fait la base du délit. La science, les jugements et les journaux nous ont fourni la liste à peu près complète des colorants dont on a voulu faire usage frauduleusement, et qui tous ont des moyens faciles de reconnaissance. On a objecté que les teintures végétales se dérobaient facilement aux recherches; c’est une erreur dont il est facile de donner la preuve.
La conclusion est par conséquent qu’il n’existe pour la vente commerciale du vin qu’un mode légal de coloration commerciale pour les vins blancs de raisins secs ou AUTRES. C’est: le coupage par DU VIN.
La chimie est arrivée aujourd’hui, par des moyens plus ou moins faciles, à découvrir la nature de presque tous les colorants végétaux ou minéraux. Ils n’offrent pas, cependant tous, le désavantage de nuire à la santé; quoique complétement prohibés dans le commerce, chacun peut particulièrement en faire l’usage qui lui convient.
Le Colorant Vinicole.—Parmi les colorants dont chacun est absolument libre de se servir, j’ai pu conseiller et faire employer sans craintes, à mes lecteurs et amis: le Colorant Vinicole d’une richesse très grande de coloration, 8 à 10 grammes par hecto suffisent.
Ce colorant est garanti inoffensif, sans dangers aucuns, donnant du brillant et du corps au vin. Vous savez que je n’ai jamais eu et n’aurai jamais le défaut d’induire en erreur mes lecteurs. Aussi répondrai-je, par anticipation simplement, à quelques-uns d’entre vous; je répète: oui aucun colorant artificiel n’est admis dans les transactions commerciales, légalement. Tous se reconnaissent à l’analyse et, on trompe les acheteurs quand on propose des colorants introuvables.
A part cela, que chacun sache bien que l’emploi du Colorant Vinicole est complétement libre pour tous ceux qui veulent en faire usage. Dieu sait si ces usages sont nombreux.
Le Colorant Vinicole est, je le répète, complétement inoffensif, d’une richesse de coloration étonnante: 8 à 10 grammes par hectolitre suffisent pour rendre un vin blanc parfaitement rouge.
Son emploi est des plus simples: Il suffit de le faire dissoudre dans un peu de vin tiède et de le verser dans le vin ou liquide à colorer. La coloration est instantanée. Le vin obtient, de plus, du corps et un brillant très recherchés par les connaisseurs.
Avis très important: On doit toujours colorer APRÈS le collage, sinon on perdrait une grande partie de la couleur.
La composition du Colorant Vinicole est et restera le secret de ses fabricants. Il est pourtant permis de dire qu’il est à base de matières complètement inoffensives. C’est un conservateur du vin, son emploi est aujourd’hui très répandu[57].
L’analyse le reconnaît difficilement mélangé de vin rouge, mais elle le reconnaît.
Dans la vie privée, les communautés, les pensionnats, le Colorant Vinicole est universellement employé pour donner de la couleur aux vins de raisins secs ou autres, les bonifier, leur donner du brillant, pour remonter la couleur faible de certains vins, etc. En terminant, et pour donner une idée de son usage, de sa parfaite innocuité, et des services qu’il rend, il me suffira de dire que depuis plus de dix ans je m’en sers journellement.
En terminant, je ne citerai que pour les blâmer et en rejeter tout l’odieux sur ceux qui les emploient, les véritables poisons dont quelques négociants, peu scrupuleux, se sont servis parfois pour donner de la couleur à leur vin, ce sont: la fuchsine arsenicale, le carmin, la cochenille, le sulfate d’indigo, les baies Hièble, de Portugal (Phytolacca decandra) etc., etc.
La plupart de ces colorants contiennent de l’arsenic ou de l’alun pour les fixer dans le vin; quelques-uns, tels que l’hièble et le Phytolacca, contiennent des sucs purgatifs ou drastiques.
Tous ces colorants se reconnaissent facilement dans les boissons alcooliques et la nomenclature des moyens à employer pour déceler leur présence, serait trop longue si je voulais la publier ici. J’offre, du reste, bien volontiers de répondre à mes lecteurs toutes les fois que de nouveaux renseignements leur seront nécessaires.
CHAPITRE XXVI
Aperçu général sur les raisins secs et leur vin
Les raisins secs ne servent pas seulement à produire des vins. Certains industriels fabriquent avec eux du sirop et du sucre de raisin, tous les vins d’imitation, certains spiritueux, etc.
Répondant aux demandes que m’adressaient journellement mes lecteurs des précédentes éditions, j’ai fait un ouvrage spécial faisant suite à celui-ci et contenant toutes les recettes que j’ai pensé devoir intéresser les fabricants, viticulteurs, négociants en vins et propriétaires. Cet ouvrage a pour titre: l’Art de faire les vins d’Imitation, madère, malaga, etc., vermouth, Bitter, sirops, infusions, liqueurs, avec les vins de raisins secs et autres[58].
Le Sirop.—On obtient le sirop de raisin sans difficulté, en retirant le moût, qui est dans la partie la plus basse à fermenter, 24 heures environ après la mise de raisins et de l’eau. Ce moût donne à l’aréomètre de 25 à 28 degrés de liqueur. On le fait réduire par l’ébullition au bain-marie, jusqu’à ce qu’il atteigne 32 degrés, en ayant soin de jeter dans la bassine ou chaudron, un blanc d’œuf battu, par 15 litres de liquide, pour clarifier le sirop. Cette clarification consiste à écumer, quand le liquide bout, toutes les impuretés contenues dans le moût.
Le sirop ainsi obtenu est d’une très grande utilité pour la fabrication des vins d’imitation, de certains liquides spiritueux, tels que: le Vin de Malaga, les bitters, etc., etc.
Le Sucre.—La fabrication du sucre de raisins secs ne peut seulement qu’être mentionnée dans ce traité. Le développement que comporte sa description, m’entraînerait dans des détails qui n’intéresseraient qu’une faible partie de mes lecteurs. Je signale cependant, d’après Edouard Kahn de Francfort, cette innovation, à nos chimistes industriels, afin qu’ils étudient de près cette question qui me paraît assez importante.
Les vins de raisins secs, dont je viens de décrire la fabrication au moyen des procédés les plus connus et les plus certains, peuvent être pour le plus grand nombre de personnes qui se livreront à ce genre d’industrie, une source de revenus nouveaux, en faisant avec eux des vins d’imitations: Aucun vin n’est aussi apte à recevoir des bouquets et des arômes.
Avec le vin de raisins secs on peut imiter et obtenir, à un degré de ressemblance extraordinaire, des vins de Malaga, Madère, Xérès, Porto, Muscat de Frontignan, etc., etc.; on fabrique le vermouth avec eux; les eaux-de-vie, que l’on retire, sont d’un goût exquis et peuvent rivaliser nos meilleures eaux-de-vie de Cognac.
Les applications multiples de vins de raisins secs que je cite ici, ne reposent pas sur des suppositions, comme pourraient le penser quelques-uns de mes lecteurs. J’ai tenu à avoir un témoignage irréfutable à opposer aux dénégations. C’est celui du jury gouvernemental du concours régional de Marseille, (mai 1879) auquel toutes ces imitations ont été soumises. Après une dégustation sérieuse et approfondie de ces vins, comparés aux vins de raisins frais, le jury a reconnu leur supériorité en demandant pour eux, à Son Exc. M. le Ministre de l’Agriculture et du Commerce, une médaille de bronze.
CONCLUSION
Me voici maintenant arrivé à la fin de mon œuvre. En envisageant d’une manière générale cette industrie naissante, je songe aux modifications immenses que la science lui apportera, j’en suis convaincu, avant peu de temps. A peine ses recherches commencent-elles, que déjà elle se préoccupe des moyens à employer, pour rendre d’une manière parfaite aux vins de raisins secs, la couleur, les sels, les acides, etc., que l’opération de la dessication a neutralisés dans ces raisins. D’un autre côté, quel parti important ne pourrait-on pas tirer, soit pour la marine, soit pour les approvisionnements des villes de guerre et des forts, de la faculté qu’ont ces raisins secs de se conserver, 100 kilogrammes de ces fruits, facilement transportables, représentent 400 litres de vin ou mieux 80 litres d’eau-de-vie.
Pourquoi le Gouvernement n’emploierait-il pas cette ressource réellement incontestable, qui peut rendre à un certain moment, à nos braves soldats, la force, l’énergie et le courage pour vaincre?
La fabrication du vin avec des raisins secs, comme je l’ai démontré, s’obtient d’un grand nombre de moyens différents.
Le fabricant puisera, dans ce traité, les idées qui lui seront les plus particulièrement nécessaires.
Je crois avoir rempli la promesse que j’avais faite en commençant cet ouvrage. Loin de m’appesantir sur le côté purement scientifique de la question qui nous occupe, j’ai cherché à appliquer à la pratique, d’une manière générale et facile, ce que la théorie pouvait contenir de précieux pour elle. C’est pourquoi, et à mon grand regret, je me suis souvent arrêté pour ne pas dévier de la route que je me suis tracée. J’ai placé immédiatement après ce chapitre, sous forme d’appendice, la circulaire administrative de M. Audibert, conseiller d’Etat, directeur général des contributions indirectes, réglementant la fabrication des vins de raisins secs.
Mes lecteurs y trouveront également mes réponses à M. le Ministre de la Justice, adressées au nom des fabricants, enfin tous les documents se rattachant à la fabrication.
APPENDICE
Circulaire de M. le Directeur général des Contributions Indirectes[59].
Paris, le 4 Septembre 1879.
La fabrication des piquettes, qui a été pratiquée de tout temps, n’offrait autrefois d’importance que dans les années de mauvaise récolte; celle des vins de raisins secs et autres similaires du vin était tout à fait accidentelle et ne portait que sur des quantités restreintes.
Tant qu’il en a été ainsi, l’Administration s’est bornée à adresser au service des localités où ces sortes de boissons étaient produites, les recommandations nécessaires pour que l’impôt fût assuré à leur égard. Les fabrications dont il s’agit, ont pris aujourd’hui une grande extension, il devient, dès lors, indispensable de définir et de réglementer d’une manière générale, le régime qui doit leur être appliqué. Tel est l’objet de la présente circulaire.
Au point de vue fiscal, la régie n’établit aucune distinction entre les vins de raisins secs, les piquettes et les vins de vendanges.
D’après une jurisprudence constante (arrêté des 2 avril 1813 et 16 janvier 1816, décisions des 21 mai 1816 et 25 novembre 1818; circulaire nº 223 du 2 novembre 1877), elle impose comme vin toute boisson qui, par sa nature, sa dénomination et l’usage auquel elle est destinée, affecte le caractère propre au vin. C’est ainsi qu’elle taxe comme vins les vins d’oranges, de betteraves, de fraises, de framboises, qui par leur composition, diffèrent bien plus des vins de vendanges que les piquettes et les vins de raisins secs.
A cet égard, aucune difficulté ne saurait donc exister. Les piquettes, les vins de raisins secs, tous les similaires du vin, sont passibles de l’impôt au même titre que les vins de vendanges.
Deux arrêtés récents de la Cour de Paris, en date du 12 juillet 1879, viennent d’ailleurs, donner à cette interprétation de la loi, un nouveau caractère d’autorité. Ces arrêts, sans vouloir décider si le liquide soumis à l’appréciation de la Cour, est ou n’est pas du vin proprement dit, ont jugé; «qu’il constituait une boisson vineuse destinée à la consommation, et que l’intention du législateur a été d’atteindre tout liquide fermenté et tiré du raisin et pouvant servir de boisson.» Les conclusions de la Régie ont été, en conséquence, adoptées contrairement aux prétentions des préparateurs des vins de raisins secs, et les prévenus ont été condamnés pour avoir fabriqué sans déclaration, des boissons imposables.
Il résulte de cette jurisprudence, que toutes les dispositions législatives afférentes à la tarification, à la vente et à la circulation des vins de vendanges, sont applicables aux piquettes, aux vins de raisins secs et aux similaires du vin.
LICENCE
Nul ne peut notamment se livrer à la vente de ces sortes de boissons s’il n’est préalablement muni d’une licence, soit de marchand en gros, soit de débitant, suivant qu’il vend en gros ou en détail, et les obligations générales imposées aux marchands en gros ou aux débitants, lui deviennent alors applicables. Il n’y a à cet égard que l’exception spécifiée plus loin concernant le récoltant qui vend en gros des piquettes fabriquées avec des marcs de sa récolte.
Je vais passer en revue les règles spéciales relatives à la fabrication de ces produits, à la tenue des comptes et à la surveillance qu’il convient d’exercer chez les marchands en gros, chez les débitants, les récoltants et les simples particuliers.
Marchands en gros se livrant à la fabrication des vins de raisins sec, piquettes, etc.
L’article 100 de la loi du 28 avril 1816 dispose qu’il sera tenu pour les boissons en la possession des marchands en gros un compte d’entrée et de sortie, et que le compte des entrées sera réglé d’après les congés, acquits ou passavants que les marchands en gros sont obligés de représenter. Il suit de là que la loi n’autorise au domicile des marchands en gros aucune opération de nature à augmenter leurs entrées, et que tout accroissement de charges qui n’est pas justifié par la représentation d’une expédition constitue une contravention et peut donner lieu à la saisie des quantités irrégulièrement introduites. En fait, c’est interdire d’une manière générale aux marchands en gros la faculté de fabriquer. L’administration n’entend pas appliquer cette interprétation rigoureuse, mais elle se trouve, par suite de la disposition législative qui vient d’être rappelée, autorisée à prendre les précautions qu’elle juge indispensable pour garantir la perception de l’impôt sur les boissons fabriquées par les marchands en gros.
Le droit de la Régie, à cet égard, est d’ailleurs corroboré, dans les villes d’une population de quatre mille âmes et au-dessus, par les prescriptions de l’article 17 de la loi du 25 juin 1841, qui place expressément sous la surveillance des employés des contributions indirectes toutes les fabrications opérées à l’intérieur. Cet article stipule que toute personne qui récolte, fabrique ou prépare dans l’intérieur d’une ville sujette au droit d’entrée des vins, cidres, poirés, hydromels, alcools ou liqueurs, est tenue d’en faire la déclaration au bureau de la régie et d’acquitter immédiatement le droit, si elle ne réclame la faculté d’entrepôt.
Déclaration de fabrication
Ainsi, en vertu de l’article 100 de la loi du 28 avril 1816, dont l’application est générale dans les campagnes et dans les villes sujettes, et, en outre, par suite des prescriptions spéciales aux villes sujettes, de l’article 17 de la loi du 25 juin 1841, tout marchand en gros qui veut se livrer à la fabrication des piquettes et des vins de raisins secs doit, pour ne pas se mettre en contravention et éviter la saisie des produits qu’il se propose de fabriquer, faire une déclaration préalable de fabrication.
L’article 17 de la loi de 1841 veut que dans les villes sujettes, la déclaration précède de 12 heures la première fabrication de l’année. Dans les mêmes localités, la déclaration obligatoire pour chaque fabrication ultérieure sera faite également 12 heures à l’avance. Dans les campagnes le délai sera d’au moins 24 heures. La déclaration de fabrication sera reçue à la recette buraliste au registre nº 14; elle indiquera:
1º La date et l’heure du commencement de la fabrication; celle de la fin de la fabrication ou de l’entonnement;
2º Le poids ou le volume, ainsi que la nature, de chacune des matières qui seront mises en œuvre;
3º Le volume total des quantités mises en fermentation;
4º Par approximation, la richesse alcoolique du produit après la fabrication;
5º La quantité de boisson qui sera fabriquée.
Prise en charge des quantités déclarées
Lorsqu’il s’agit d’alcools ou de vins de vendanges, il est admissible que le fabricant éprouve des difficultés à faire une déclaration préalable énonçant exactement la quantité qui sera produite; il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de vins de raisins secs, puisqu’ici le fabricant connaît le volume d’eau qu’il se propose de verser sur les fruits. En conséquence, le rendement déclaré et enregistré au registre n.º 14 déterminera par son intégralité le montant de la prise en charge.
Cette prise en charge ne sera atténuée que sur des justifications que l’administration se réserve d’apprécier. Le cas échéant, les directeurs se saisiront de ces questions sous le timbre de la 1re division. La quantité exprimée dans la déclaration primitive pourra toutefois être accrue par une déclaration supplémentaire si, dans le cours de son travail, le fabricant reconnaît qu’il a imparfaitement prévu la densité des sirops ou la force alcoolique du produit fermenté, et que celui-ci comporte une plus forte addition; le nº 14 recevra à cet effet une nouvelle inscription modificative de la précédente.
Rendement et force alcoolique
Le rendement effectif peut varier selon la qualité des matières premières employées, selon la saison pendant laquelle la fabrication a lieu, et suivant la destination du produit. D’après les données généralement admises, 100 kilog. de raisins secs produisent, en moyenne, 3 hect. de vin dont la richesse alcoolique varie de 5 à 12 degrés, suivant le mode de fabrication et la qualité des fruits. Si d’après ces indications, les buralistes considèrent la déclaration comme exacte, ils la reçoivent purement et simplement; si, au contraire, la déclaration est manifestement insuffisante, ils doivent la discuter. Dans le cas où malgré les observations le fabricant maintiendrait sa déclaration, cette déclaration serait enregistrée; mais alors le buraliste informerait immédiatement le service, qui prendrait les mesures de surveillance nécessaires pour assurer la prise en charge de l’intégralité des fabrications.
Tenue des comptes, compte de fabrication.
Il est ouvert à chaque marchand en gros, fabricant au registre portatif nº 504.
Un compte général de fabrication;
Le compte de la fabrication produira à la page des entrées les indications fournies par le fabricant dans sa déclaration au registre nº 14 en ce qui concerne le poids et le volume des matières premières, le volume des quantités mises en fermentation, le degré alcoolique et la quantité des boissons qui seront fabriquées. Cette dernière quantité sera celle qui sera prise en charge. On y ajoutera ultérieurement, dans les conditions indiquées plus bas, les excédants reconnus par le service aux cuves de fermentation, à l’entonnement ou dans les inventaires.
Les décharges comprendront les quantités de vins qui après l’achèvement de chaque fabrication, seront prises en charge au compte définitif.
Les excédants reconnus au compte de fabrication dans les inventaires et recensements prescrits précédemment seront saisis par procès-verbal comme doit l’être tout excédant constaté chez un marchand en gros. En outre ces excédants seront ajoutés aux charges du compte.
Toutefois, dans le cas où il s’agira seulement d’une différence en plus représentant au maximum 5 p. 0/0 du total des fabrications déclarées et prises en compte depuis le dernier recensement, et si les employés ont lieu de croire qu’il y a eu réellement erreur d’évaluation de la part du fabricant, le service s’abstiendra de verbaliser et de saisir et se bornera de prendre l’excédant en charge.
Manquants
Tous les manquants constatés seront inscrits en sortie au compte de fabrication et pris en charge.
S’il s’agit d’accidents, les fabricants seront avertis que l’administration n’accordera la décharge des quantités perdues qu’autant que les employés auront été mis à même de le constater.
Eaux-de-vie employées à la fabrication des vins de raisins et autres similaires.
Aucune franchise de droit n’est actuellement accordée pour les alcools versés sur des vins (article 5 de la loi du 8 juin 1864); en conséquence, les eaux-de-vie qui serviront à la fabrication des vins factices ne seront pas portées en décharge; elles assortiront en manquants et seront passibles des droits dans les conditions générales.
Distillation des vins de raisins secs, etc
Si des marchands en gros, fabricants de similaires de vin se livraient à la distillation de leurs produits, ils seraient nécessairement soumis à la législation spéciale aux distillateurs de profession et à toutes les obligations imposées par les règlements pour les assujettir à cette catégorie.
Débitants se livrant à la fabrication des vins de raisins secs, piquettes, etc.
Les piquettes et les vins de raisins secs sont passibles du droit de détail ou de taxe unique édité pour les vins.
Aux termes de l’article 53 de la loi du 28 avril 1816, les débitants ne peuvent introduire des boissons dans leurs domiciles, caves ou celliers, qu’en vertu des congés, acquits ou passavants. Cette disposition est applicable aussi bien aux débitants des villes sujettes qu’aux débitants des campagnes.
Ils ne peuvent donc accroître leurs charges d’une manière qui n’a été ni prévue ni autorisée par la loi. Toutefois, ici encore, l’administration tolère les fabrications, à la condition que l’assujetti fasse les déclarations préalables et place sous la main de la régie l’intégralité des produits obtenus. Ces déclarations seront, comme celles des marchands en gros, reçues au registre n° 14. Dans les villes soumises au droit d’entrée, l’obligation d’une déclaration préalable résulte d’ailleurs des termes formels de l’article 17 de la loi de 1841, comme il a été expliqué à l’occasion des marchands en gros.
Chez les débitants exercés, la prise en charge des vins de raisins secs, piquettes, etc., sera faite au compte ordinaire, soit en vertu d’expéditions pour les quantités reçues du dehors, soit en vertu d’un acte motivé et relatant la déclaration inscrite au nº 14 pour celles qui seront fabriquées sur place.
Chez les abonnés, la prise en charge aura lieu dans les mêmes conditions au portatif nº 115. Le service ne devra pas manquer d’assister à tous les entonnements, enfin d’empêcher que les excédants de fabrication ne servent à couvrir ces manquants, et que l’abonné ne puisse ainsi fausser les bases de l’abonnement suivant.
Chez les débitants exercés et chez les débitants abonnés, établis dans les villes sujettes au droit d’entrée, les vins fabriqués sur place avec des raisins secs, seront immédiatement soumis au droit d’entrée.
Dans les villes à taxe unique, un compte sera ouvert à chaque débitant fabricant au registre 50 B. On inscrira à ce compte les résultats de la fabrication et de la déclaration.
Les débitants seront tenus au fur et à mesure de leur fabrication, d’acquitter les droits de taxe unique sur les quantités fabriquées; le décompte général sera établi en fin de trimestre et les droits seront inscrits à l’état de produits nº 52-AA (taxe unique).
En cas de déplacement ou de vente, le droit de vente, le droit de circulation est exigible sur les quantités de similaires du vin, mis en mouvements par les débitants, que ceux-ci aient ou non la position de récoltants.
Dans les villes sujettes au droit d’entrée, le récoltant et le simple particulier qui se livrent à la fabrication des vins factices sont tenus suivant la règle générale édictée par la loi du 25 juin 1841 et sauf l’exception relative aux piquettes, rappelée en note à la page 3, de déclarer leurs fabrications et d’acquitter immédiatement la taxe locale (prise en charge et décompte au portatif nº 50-3, constatation du droit à l’état de produit nº 52).
Dans les villes non sujettes et dans les campagnes, les récoltants et le simple particulier qui fabriquent des vins de raisins secs, des piquettes, etc., pour leur consommation personnelle, qui ne les vendent, qui ne les déplacent pas, ne sont pas astreints à faire des déclarations de fabrications.
Mais dans les villes sujettes comme dans les campagnes, la qualité de récoltant n’est acquise qu’au propriétaire qui opère avec des produits provenant exclusivement de sa récolte. Le récoltant peut donc vendre en gros, sans licence, les piquettes fabriquées par lui avec le marc de ces propres raisins. Il peut aussi déplacer ces piquettes de chez lui en franchise dans le rayon déterminé par l’article 20 du décret du 17 mars 1852. En dehors de ces cas, si en quelque lieu que ce soit, un récoltant livre à la vente en gros ou à la vente en détail, des vins fabriqués avec des raisins secs ou avec d’autres matières premières d’achats, il perd sa qualité de récoltant, devient immédiatement passible de la licence de marchand en gros et de débitant, et doit être assujetti à toutes les obligations générales établies par la loi et aux obligations spéciales indiquées plus haut, en ce qui concerne les marchands en gros et les débitants. S’il déplace des fabrications de cette nature, pour les conduire de chez lui, le droit de circulation est exigible, soit en dedans, soit en dehors du rayon déterminé par le décret du 17 mars 1852.
A l’égard de tous les mouvements de vins de raisins secs, piquettes, etc., spécifiés ci-dessus, les prescriptions rappelées, page 10 et 14, concernant la déclaration exacte de l’espèce et de la qualité des boissons sont pleinement applicables.
Récoltants distillant les vins de raisins secs provenant de leur fabrication
Un grand nombre de récoltants ne se livrent à la fabrication des vins de raisins secs ou autres produits similaires qu’en vue de distiller ensuite tout ou partie des produits ainsi obtenus. Il peut y avoir là une production importante d’alcool qui échapperait à l’impôt, si le service perdait de vue les règles applicables en pareil cas ou négligerait d’en assurer l’exécution.
Aux termes de l’article 8 de la loi du 23 juillet 1837, «sont seuls considérés comme bouilleurs de cru, les propriétaires ou fermiers qui distillent exclusivement les vins, cidres ou poirés, marcs et lies provenant de leur récolte.»
Si donc un récoltant livre à l’alambic, des vins fabriqués avec des raisins secs d’achat ou des marcs de cette fabrication, il cesse d’être bouilleur de vin, il devient bouilleur de profession; et il est tenu de se soumettre aux obligations imposées aux redevables de cette catégorie. «Déclaration d’établissements, d’appareils de fabrication, payement de la licence, etc.» Les employés rechercheront activement les récoltants qui se trouveraient dans cette situation et lorsqu’ils seront en mesure d’établir qu’un propriétaire ne brûle pas seulement ses propres produits, qu’il brûle des vins ou des marcs provenant des raisins secs ou d’autres matières premières d’achat, ils n’hésiteront pas à constater le fait par procès-verbal. Toutefois, avant de procéder par voie de répression, ils avertiront les intéressés des obligations qu’ils ont à remplir. Ce n’est que quand ceux-ci refuseront de s’y conformer, que, effectuant chez eux une visite dans les conditions déterminées par l’article 237 de la loi du 28 avril 1816, ils feront en sorte de surprendre une distillation clandestine et dresseront procès-verbal. Pour que l’affaire puisse, au besoin, être portée avec succès devant les tribunaux, il sera indispensable que l’acte soit conçu dans les termes précis et concluants.
C’est à l’égard des récoltants ou des simples particuliers que des mesures spéciales de surveillance sont indispensables.
Quand, par suite des informations recueillies, un simple particulier ou un récoltant, sera soupçonné de fabriquer des vins autres que de vendanges, ou de se livrer à la distillation des produits spécifiés ci-dessus, les enlèvements pouvant provenir de chez lui seront l’objet d’une surveillance particulière et, le cas échéant, les employés le mettront en demeure de se soumettre aux dispositions indiquées plus haut au chapitre des récoltants.
J’invite les directeurs et sous-directeurs, et inspecteurs à assurer l’exécution des dispositions de la présente circulaire.
AUDIBERT.
Conseiller d’Etat, Directeur général
des contributions indirectes.
Circulaire n° 298 du 26 août 1880
Appelé sur la demande de M. le Ministre de l’Agriculture et du Commerce, à se prononcer sur la question des vins de raisins secs, le Comité consultatif d’hygiène publique, par un avis en date du 12 janvier 1880, a fait connaître que ces vins renferment les mêmes principes que les vins de vendanges, mais toutefois dans des proportions différentes; que, mélangés avec ceux-ci, leur usage est sans inconvénient au point de vue de l’hygiène, que dans cet état de mélange, qui est d’ailleurs celui sous lequel cette boisson est généralement employée dans la consommation et en raison même de la similitude des principes contenus dans les deux espèces de liquides, la constatation par l’analyse de la proportion de vins de raisins secs ajoutée, présente d’autant plus de difficulté que l’addition de ce vin a été plus faible; que cette difficulté est une cause d’hésitation pour les experts, et enfin que l’importation en France, sans déclaration d’espèce, des vins de vendanges coupés de vins de raisins secs, peut ainsi être tentée, sans qu’on ait toujours les moyens de la réprimer.
En présence d’un avis ainsi formulé, l’administration a pensé qu’il convenait d’abandonner certaines dispositions prescrites par la circulaire nº 272 du 4 septembre 1879, qui sont gênantes pour le commerce et dont la suppression ne saurait préjudicier à la constatation de l’impôt. Elle a décidé en conséquence que désormais les déclarations de mélanges ne seraient plus exigées des négociants, et qu’il ne serait plus tenu de comptes distincts pour les vins de raisins secs.
Je vous prie de porter immédiatement cette décision à la connaissance des intéressés, et de donner les ordres nécessaires aux receveurs buralistes, pour qu’ils cessent de recevoir les déclarations de mélange, et de relater sur les expéditions, la distinction entre les vins de vendanges et les vins de raisins secs. Les comptes spéciaux des vins de raisins secs devront être immédiatement totalisés, et les totaux, y compris ceux des multiplications seront reportés au compte ordinaire de vins, par un acte motivé relatant le numéro et la date de la présente circulaire.
En dehors de ces deux points spéciaux, il doit être bien entendu que toutes les autres prescriptions de la circulaire nº 272 précitée, demeurent retenues et doivent être rigoureusement observées; les déclarations de fabrication comportant l’indication du rendement (volume et richesse) restent notamment obligatoires. Le compte de fabrication continuera à être tenu. Toutefois, au lieu d’être reportés à un compte spécial, les vins de raisins secs achevés et dont il aura été donné décharge au compte de fabrication, ainsi que les manquants constatés à ce dernier compte, seront inscrits aux charges du compte général des vins.
Comme par le passé le service doit prêter son plus entier concours à l’autorité judiciaire; à cet effet il devra suivre avec attention les fabrications des vins artificiels et se rendre compte des matières utilisées dans les fabrications et des procédés mis en pratique, afin d’être toujours en mesure de fournir les renseignements que les parquets pourraient désirer à cet égard. L’attention des employés devra tout particulièrement s’arrêter sur les opérations des propriétaires récoltants. Il importe de surveiller les arrivages de raisins secs dans les pays vignobles, afin de rechercher si ces raisins ne sont pas employés à la fabrication du vin, soit isolément, soit avec de la vendange, et si les vins qui en proviennent ne sont pas livrés à la distillation. La circulaire nº 272, contient à cet égard des instructions détaillées auxquelles il conviendra de se reporter. Les chefs de service devront veiller à l’exécution des dispositions qui précèdent.
Signé: AUDIBERT,
Conseiller d’Etat, Directeur général des
Contributions Indirectes.
1re LETTRE
Parue dans les principaux organes vinicoles en réponse à la circulaire ministérielle.
Marseille, le 7 octobre 1879.
Monsieur le Rédacteur en chef,
C’est aux colonnes hospitalières de votre excellent journal que je viens demander l’insertion de cette lettre; c’est à sa grande publicité que je recours pour provoquer le redressement d’une injustice inexplicable qui peut, en ruinant une des principales industries naissantes de la France, la priver ainsi du principal de ses revenus.
Je veux parler de la récente circulaire de M. le ministre de la justice, flétrissant du nom de falsification et punissant en conséquence les vins fabriqués avec des raisins secs.
Assurément la bonne foi de M. le ministre a été surprise.
Ici, j’en appelle à tous ceux de nos savants en renom qui se sont occupés de l’art de fabriquer le vin; c’est en les citant que je vais prouver combien M. le ministre a agi à la légère, en détruisant par une simple circulaire le résultat obtenu par la Science: doter le commerce et l’industrie d’une branche nouvelle pouvant, à un moment peut-être bien proche, indemniser le Trésor des pertes immenses que le phylloxéra lui fait subir.
Quand des millions d’hectolitres de vin de raisins secs sont fabriqués dans notre pays et bus sans plainte de la part des consommateurs, quand la statistique officielle constate un excédant dans la recette des contributions indirectes, bien qu’un tiers de la récolte ait disparu, que fait le gouvernement? Loin de reconnaître le service rendu au pays par les promoteurs de la fabrication du vin de raisins secs, on les défère aux tribunaux correctionnels comme prévenus de falsification et on anéantit du même coup une industrie qui donnait de si beaux revenus au Trésor.
Le vin fabriqué avec des raisins secs est-il réellement une falsification, et peut-on même établir un rapprochement entre cette boisson et la piquette?
Tel est le point de départ de la circulaire de M. le ministre de la justice. C’est cette erreur énorme que je vais combattre tout d’abord.
Sait-on comment ont intitulé leurs ouvrages les Lavoisier, les Chaptal, les Ténard, les Gay-Lussac, les Maumené, etc.?
Ce titre qu’on ne peut changer par aucun autre est celui-ci:
L’ART DE FABRIQUER LE VIN
Résumons, maintenant, l’opinion de tous ces auteurs.
Le vin, disent-ils, ainsi que presque toutes les boissons, n’étant point l’ouvrage pur et simple de la Nature, les mêmes raisins dans de bonnes ou de mauvaises mains feront, soit une boisson délicieuse, soit un liquide exécrable.
C’est donc un art que la fabrication du vin, et défense est faite, au ministre lui-même, de franchir les portes du laboratoire du fabricant, quand la chimie n’emploie pour les boissons, qui servent à l’alimentation, que des ingrédients (et ils sont nombreux) que la Science et le Gouvernement ont approuvés.
Nos vins de France ne doivent leur éclatante et impérissable réputation qu’à leur heureuse et savante fabrication.
Voyons maintenant ce que sont ces raisins secs qu’on traite si dédaigneusement.
Originaires, pour la plupart, du Midi de l’Europe et principalement de la Grèce et de l’Asie-Mineure, c’est eux qui produisent ces fameux vins de Chypre, de Samos, etc., dont M. le Ministre a dû plus d’une fois savourer le bouquet et le goût exquis, bien qu’ils n’eussent été fabriqués qu’avec des raisins secs.
La conclusion, à tirer de ceci, serait donc que les vins fabriqués en Asie-Mineure, en Grèce, etc., seront reconnus naturels et vrais, alors que les mêmes vins, obtenus de la même façon en France, ne seront considérés que comme de viles falsifications, passibles des tribunaux, et punissables de la prison.
Pourquoi, pourra-t-on alors m’objecter, ces innombrables quantités de raisins nous arrivent-elles séchées et non changées en vins? Je réponds: Parce que le manque de bras et le défaut de savoir empêchent les populations du Levant de produire même des vins ordinaires.
Entrant dans le cœur de la question qui fait l’objet de sa circulaire à MM. les directeurs des contributions indirectes, je défie qu’on puisse citer le principe au nom duquel on stigmatise de l’épithète de «falsifié» le vin de raisins secs.
Voici, d’une manière générale, comment ce vin s’obtient:
Comme pour les vins de vendanges, on met dans la cuve d’un cellier, à la température de 15 ou 20 degrés, les raisins secs, qui sont le produit de la vigne, et auxquels la partie aqueuse qu’on a extraite, par l’évaporation, fait seule défaut. Je dis la partie aqueuse seule car le raisin sec, dont la pulpe durcie forme un préservatif, contient en entier tous les principes: le sucre, le tannin, les acides, les sels, etc., qui constituent les qualités du raisin frais.
Le fabricant n’a donc à rendre à ces fruits que la partie aqueuse qui leur manque. C’est à ses risques personnels qu’il fait des vins plus ou moins bons et alcoolisés, suivant qu’il augmente ou diminue la proportion naturelle de l’eau que possédait le raisin à l’état frais. On foule ensuite et on mène la fermentation comme pour les vins de vendanges.
Où est donc, je le demande, la différence entre cette vendange de toute l’année et celle de septembre? Est-ce dans la mise de l’eau sur les raisins?
Qu’on ouvre les auteurs fameux que j’ai cités plus haut: tous reconnaissent d’un commun accord que la cuve, avant la fermentation vineuse, peut recevoir tous les ingrédients, et ils sont nombreux, reconnus hygiéniques, inoffensifs et susceptibles de rendre la liqueur vineuse meilleure.
Maintenant, peut-on établir un rapprochement entre le vin de raisins secs et la piquette?
Evidemment non. La piquette vendue comme vin constitue une fraude, un vol manifeste. Pour faire du vin qu’on puisse vendre comme tel, il faut non-seulement employer la pulpe du raisin, mais encore les innombrables matières qu’il contient.
Peut-on dire que l’eau ayant passé sur du marc de raisin d’où la fermentation vineuse a extrait tous les principes constituants est du vin? non!
La loi, que M. le garde des sceaux vise, est pourtant explicite: «Ne sont considérés comme boissons que: le vin, produit du raisin, le cidre, le poiret, l’hydromel.»
Un mélange d’eau et d’alcool ne peut donc en rien prétendre au titre de vin. Est-ce le cas des vins de raisins secs? Evidemment non.
Qu’on poursuive donc les fraudeurs qui sous le nom de vin livrent des piquettes au commerce; qu’on punisse sévèrement toutes les fraudes qui ruinent les bourses et les santés; mais que M. le Ministre revienne sur sa décision qui tue dans son berceau une industrie précieuse, fournissant aux classes populaires une boisson hygiénique et à bon marché, et assurant au Trésor une source considérable de revenus.
Si vous le permettez, Monsieur le rédacteur en chef, je démontrerai dans une seconde lettre l’impossibilité matérielle qu’il y a pour les employés du fisc de contrôler la véritable fraude que la circulaire a voulu réprimer; je prouverai en outre, qu’elle couvre et encourage cette fraude par l’impunité, et que le commerce et l’industrie des vins et spiritueux provenant des raisins secs sont frappés de mort par ladite circulaire de M. le Ministre de la justice.
Agréez, etc.
J.-F. AUDIBERT,
Créateur en France de l’Industrie des
vins de raisins secs, Chevalier de
l’ordre du Sauveur (Grèce), médaillé
par M. le Ministre de l’Agriculture
et du Commerce, Marseille.
2e LETTRE
2me lettre à M. le Ministre
Marseille, le 1er Janvier 1880.
La question des vins de raisins secs.
Monsieur le Ministre de la Justice,
C’est à vous que j’adresse ma seconde lettre, sachant que vous n’avez en vue que la prospérité commerciale et le bonheur de la France.
Au nom de la navigation, du commerce et des classes populaires, je viens vous demander, Monsieur le Ministre, de rendre à la fabrication des vins de raisins secs, la liberté dont l’a privée M. le Royer, votre honorable prédécesseur. Je suis le premier à rendre justice à l’intention qui la lui avait dictée; mais, ainsi que j’en ai apporté la preuve dans ma 1re lettre, en date du 7 octobre, et que je me propose de compléter, le remède était pire que le mal.
J’ai dit précédemment, Monsieur le Ministre, ce qu’étaient les vins de raisins secs, et combien ils justifient peu les mesures prises à leur égard. Je vais démontrer l’impossibilité matérielle de contrôle par les employés du fisc, la véritable fraude à laquelle elle donne naissance et qu’elle encourage indirectement, et les pertes que le Trésor subit, la fabrication se trouvant paralysée par ladite circulaire.
1º Les employés du fisc peuvent-ils reconnaître le vin de raisins secs et en déférer aux procureurs généraux, ainsi que leur a ordonné M. Audibert, directeur général des contributions indirectes, sur l’instigation de M. le Ministre de la justice? Je réponds: C’est matériellement impossible.
Ma réponse, Monsieur le Ministre, n’est aussi formelle que parce qu’elle s’appuie sur des faits irréfutables.
Voici le premier. «La Chambre de commerce de Marseille a fait faire l’analyse de ces vins sans aucun coupage, et le rapport fait par M. de la Souchère, chimiste expert auprès du tribunal de Marseille, et adressé à la Chambre des députés, conclut à l’identité du vin de raisins secs avec le vin de raisins frais. Bien plus, quelques parties (les plus importantes), telles que la crême de tartre, se trouvent dans des proportions supérieures dans les vins de raisins secs.»
Voici le second fait: «M. Reboul, l’éminent doyen de la Faculté des sciences à Marseille, chargé d’un travail semblable par l’administration, a pris les mêmes conclusions et a fait un rapport très important, dans ce sens, à l’Académie des sciences.»
Peut-on exiger que nos modestes et dévoués employés des contributions indirectes découvrent ce que les personnes les plus compétentes dans la science déclarent impossible à reconnaître?
Je parle ici des vins blancs de raisins secs, sans aucun coupage avec du vin de raisins frais.
Dans le cas de coupage, on comprend aisément, M. le Ministre, que leur recherche devient une chimère, et qu’il serait plus facile de reconnaître deux eaux de même source, mélangées dans le même vase, que les deux vins.
2º La fabrication des vins de raisins secs étant paralysée, la fraude est-elle arrêtée?
Ici je cherche celle qu’a voulu réprimer l’honorable M. Le Royer, dans sa circulaire à MM. les procureurs généraux. Voici, je crois, quel a été son but: Empêcher, sur le couvert du coupage, la consommation d’une boisson qu’il a cru malfaisante et la tromperie sur la marchandise vendue.
Je pense, Monsieur le Ministre, qu’après avoir lu ce qui précède, vous avez dû faire justice de la première supposition. Reste à combattre la seconde et prouver son évidente erreur.
Croyez-vous qu’en vendant au consommateur, sur son choix, un vin coupé franc de goût, aussi hygiénique que le vin de raisins frais, il y ait tromperie sur la marchandise vendue? Non, car ce n’est qu’après qu’il a dégusté et choisi lui-même le vin qu’on le lui vend. Que demande le consommateur? Du véritable vin. Quelqu’un peut-il soutenir que ceci n’en soit pas? le trompe-t-on?
Et pourtant, que d’autres produits alimentaires, aussi importants, la circulaire eût pu viser, et cela justement. Que sont ces huiles, soi-disant d’olives que la France en entier, et surtout le Nord, consomment? Des huiles purifiées de coton!
Combien d’autres exemples ne pourrais-je pas citer. Je comprends, dans cette occasion, le mot falsification et l’application de ladite circulaire; car, en somme, les produits faux peuvent ressembler aux vrais, mais n’ont point la même source et justifieraient presque l’épithète de tromperie. Est-ce le cas des vins de raisins secs?
Mais maintenant, Monsieur le Ministre, que j’ai exposé le plus clairement que je l’ai pu combien la circulaire de votre honorable prédécesseur était funeste à cette industrie naissante, appelée cependant à rendre de si grands services en présence des ravages croissants du Phylloxéra, permettez-moi de vous signaler les conséquences désastreuses qu’elle peut avoir pour le Trésor et la véritable fraude qu’elle fait naître.
Vous n’ignorez pas, Monsieur le Ministre, les prix exorbitants que nos vins ont atteints, à la propriété, dans le Midi, à la suite du Phylloxéra; 45 fr. l’hect. est le prix moyen auquel on peut acheter du bon vin rouge. Or, voici celui auquel revient le vin, rendu chez le débitant, à Marseille.
Ce tableau sera le plus saisissant exemple que je puisse faire passer sous vos yeux:
| Achat | l’hect. | 45 fr. | |
| Transport de la propriété à la gare voisine, prix moyen | — | »» fr. | 50 |
| Transport du chemin de fer à Marseille | — | 1 fr. | 50 |
| De la gare en ville | — | »» fr. | 25 |
| Droits d’entrée | — | 11 fr. | 25 |
| Perte et creux de route | — | »» fr. | 25 |
| Total | — | 58 fr. | 75 |
Soit, onze sous 1/2. Et cependant le vin se vend en général, à Marseille, 0 fr. 50 cent, le litre au maximum!
Je m’arrête, Monsieur le Ministre, vous devinez la fraude, la véritable fraude: l’eau. Le marchand de vin honnête ne sera plus forcé de mettre cette eau, le jour où il pourra couper, impunément et sans crainte de la prison, son vin avec ceux de raisins secs. J’ai cité Marseille; que serait-ce si je citais Paris, où l’eau ne remplit même déjà plus les fonctions économiques qu’on lui demande et où on la remplace par de véritables poisons.
J’ai promis de démontrer les pertes que la circulaire fait éprouver au Trésor. Il est facile, après ce que je viens de rapporter ci-dessus, de voir le déficit immense que cet état de choses occasionne à la caisse publique; car toute cette quantité d’eau, que même les plus honnêtes marchands emploient, ne paie pas de droits. Comme l’a dit si judicieusement un de nos plus vaillants députés: l’ouvrier par ce rigoureux hiver, et le pauvre, dont le cœur se resserre aux dures caresses de la neige, veulent et ont besoin de boire du vin, Monsieur le Ministre, ce principal agent de force et de vie de l’homme.
Convient-il de sévir contre ce débitant dont le passé irréprochable plaide pour lui, si, amené à votre barre, il vous répond: qu’il a coupé son vin avec de l’eau, parce que vous punissez aussi sévèrement, sinon plus, les coupages avec du vin de raisins secs regardés comme une véritable falsification.
C’est donc une perte immense et irréparable que le Trésor subit et qui se chiffrera cette année, pour la France, au moins par 40 ou 50 millions, si votre intelligente initiative n’apporte un prompt remède à cet état de choses aussi funeste aux populations ouvrières qu’au commerce vinicole.
Je m’arrête, plein de confiance dans votre justice, Monsieur le Ministre, etc.
Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, etc.
Joseph AUDIBERT,
C’est aux démarches qui accompagnèrent cette lettre, que l’on doit la circulaire n.º 298 du 26 août 1880, qui répara, en partie, le mal qu’avait fait celle du 4 septembre 1879.
EXPÉRIENCE
D’une fabrication de vin avec des raisins, de l’eau et du sucre, d’après M. Petiot lui-même.
Cette expérience, devenue populaire, était à base de sucre de canne parce que M. Petiot ne connaissait pas alors les raisins secs du Levant. Aujourd’hui, le propriétaire remplace le sucre par les raisins secs, ce qui est non seulement économique mais encore bien plus productif.
«Convaincu que le raisin seul pouvait fournir les éléments d’un liquide qui méritât le nom de vin, c’est sur le fruit de la vigne, que j’ai concentré mes expériences, en me proposant pour problème, d’obtenir un liquide en tout semblable au vin extrait par les procédés ordinaires, et ne considérant mon but comme atteint, qu’autant que ce liquide aurait identiquement les mêmes qualités, le même bouquet, la même faculté de s’améliorer en vieillissant.
«La première chose à faire était d’analyser le jus de raisin; il contient ordinairement sur 100 parties du poids 88 à 98 parties d’eau, 9 à 11 parties de sucre[60], une seule partie de tartre, du tannin, de matière colorante, de résine ou d’huile essentielle, et d’autres substances dans des proportions si minimes que toutes ensemble, elles ne forment, comme je viens de le dire, qu’environ 1 p. 0/0 du poids.
«Ainsi, l’eau et le sucre forment les 99 centièmes du jus de raisin; les matières donnant la couleur, le goût spécial, le bouquet ou arôme, particulier de chaque cru, n’entrent dans le vin que pour un centième.
«C’est cependant cette centième partie qui, à vrai dire, constitue le vin, qui les distingue des autres liquides, et qui lui donne, principalement, les qualités diverses qui en font le prix.
«Ce constaté, j’en ai conclu que pour faire le vin, il serait facile de reproduire les 99 centièmes des éléments qui le composent, l’eau distillée étant partout la même, et le sucre de betterave ou de canne, se transformant par la fermentation ou le contact des acides, en sucre identique à celui qui se trouve dans le raisin; mes expériences sur le sucrage et la fermentation des vins nouveaux ne m’avaient laissé aucun doute sur ce point.
«Il ne fallait donc plus ajouter au vin et au sucre que les substances diverses contenues dans cette centième partie qui fournit la couleur, le goût, le bouquet. Mais ces substances précieuses, caractéristiques, il ne me paraissait pas possible de les chercher ailleurs que dans le raisin, où la nature les a réunies et amalgamées dans des proportions et des conditions que l’art serait impuissant à imiter.
«Je me suis alors demandé si le jus de raisin, exprimé par les procédés ordinaires, avait entraîné, absorbé tout ce que contenait le raisin de ces matières colorantes et aromatiques, s’il n’en restait pas encore dans le résidu solide, la pulpe, la graine, la grappe, dans ce qu’on appelle le marc enfin, si ce qui restait ne pouvait pas encore s’en extraire et être utilisé pour donner de nouveau à de l’eau et à du sucre, parties intégrantes du vin pour 99 centièmes, le goût, l’arôme et les autres qualités du jus de raisin.
«La question ainsi posée, je me mis à la recherche des faits; je reconnus que ces matières, et surtout la plus précieuse, la résine, n’étaient dissoutes et utilisées, par les procédés ordinaires, qu’en très minime partie; la matière colorante, dans les années où le raisin a mûri pendant la sécheresse, et sous les rayons brûlants du soleil (comme pendant septembre 1855), est en très petite quantité, et forme contre la pellicule des grains de raisin une couche très épaisse, qui ne se dissout qu’en partie par une seule fermentation. Le tartre est la matière qui s’échappe le plus facilement; le tannin est en proportion considérable dans la peau, les pépins et la grappe. Le plus souvent ces deux dernières matières sont en excès dans le vin, et nuisent beaucoup à son agrément; la proportion du tartre qui est la plus convenable est de 3 ou 4 millièmes.
«Convaincu qu’une partie considérable de ces matières resterait dans le marc, je ne doutais pas qu’il ne fût possible de les utiliser de nouveau, en remplaçant l’eau et le sucre extraits du raisin, forme de jus, par une quantité semblable de ces substances et en provoquant une nouvelle fermentation. La décomposition du sucre et sa transformation en alcool, par la fermentation avec le marc, était pour moi, comme je l’ai déjà dit, un fait acquis d’après mes expériences précédentes.
«Au moment des vendanges de 1854, j’avais l’entière conviction que je pourrais doubler, au moins, la quantité de vin, en ajoutant, soit au moût, soit au marc, une quantité d’eau sucrée égale à celle du jus de raisin.
«Le raisonnement m’avait conduit également à la conviction que ce produit doublé devait se bien conserver, parce qu’il contiendrait en suffisante quantité toutes les substances utiles à la conservation du vin ordinaire, et en moins grande portion celles qui sont la cause de l’altération et de la maladie des vins. Je m’explique:
«Le vin ordinaire contient des ferments en grand excès, et un ferment glaireux qui se trouve près des pépins; les maladies des vins proviennent généralement de cet excès de ferment, qui (surtout dans les mauvaises années) contient beaucoup d’acide malique, d’une nature albumineuse, qui reste en suspension dans le liquide et qui ne s’enlève qu’imparfaitement par les collages et soutirages. Le vin contenant toujours un peu de sucre, lorsqu’il est exposé à la chaleur, le ferment le fait travailler de nouveau, et amène une fermentation intempestive, très difficile à maîtriser, parce que, dans cet état la colle n’agit plus. Aussi le vin, dans ces conditions, s’altère rapidement et finit par tomber en décomposition, produite par une faible fermentation acétique ou lactique.
«Le vin fait, sur le marc, avec de l’eau sucrée, ne devrait contenir au contraire que peu de ferment et surtout un ferment sec provenant en grande partie de la peau du raisin, ferment qui s’élèverait encore par les collages, et qui, dans tous les cas, demeurerait en quantité insuffisante pour produire une fermentation nouvelle.
«Passant du raisonnement à l’expérience matérielle, je me mis à l’œuvre en 1854, et le résultat dépassa toutes mes espérances.
«Avec une quantité de raisins de pineaux noirs, qui, par les procédés ordinaires, aurait produit 60 hectolitres de vin, j’en ai fait 285, près de cinq fois plus.
«Voici comment j’ai procédé:
«J’ai extrait de la cuve aussitôt après que les raisins furent écrasés, et avant la fermentation, tout le liquide qui a pu sortir: cela m’a fait un vin blanc légèrement teinté, très fin et très bon. J’en ai extrait de la sorte 45 hectolitres (les trois quarts de ce que j’aurais obtenu si j’avais pressé le marc).
«J’ai pesé ce jus de raisin au gleuco-œnomètre: il pesait 13 degrés. Pour amener de l’eau sucrée à la même densité, il fallait 19 kilogrammes de sucre par hectolitre d’eau.
«J’ai remplacé alors, dans la cuve, les 45 hectolitres de jus de raisin pur, par 50 hectolitres d’eau sucrée, à raison de 18 kilogrammes de sucre raffiné par hectolitre. J’ai laissé fermenter, et trois jours après, lorsque la fermentation a été terminée, j’ai tiré de cette même cuve 50 hectolitres de vin rouge ayant une belle couleur.
«Voulant pousser l’expérience jusqu’au bout j’ai renouvelé plusieurs fois l’opération.
A la seconde, j’ai remplacé les 50 hectolitres par 55 hectolitres d’eau sucrée à 22 kilogrammes, et après fermentation j’ai tiré, au bout de deux jours, la même quantité de vin.
«A la troisième, j’ai mis 65 hectolitres d’eau sucrée à 25 kilogrammes, la fermentation a encore duré un peu moins de deux jours, alors j’ai pressé le marc et j’ai obtenu 60 hectolitres de liquide.
«Au lieu de jeter le marc pressé, je l’ai remis dans la cuve avec 35 hectolitres d’eau sucrée, j’ai laissé fermenter et j’ai retiré 30 hectolitres de liquide.
«Enfin le vin blanc, non cuvé, naturel a été placé dans des futailles remplies, seulement à moitié, et que l’on a achevé de remplir, douze heures après, avec de l’eau sucrée à 18 kilogrammes.
«Sur ces divers liquides, voici les résultats constatés:
«Fermentation.—La fermentation a été très forte dans les quatre opérations d’eau sucrée, la première a été la plus longue à s’achever, et la troisième la plus courte.
«Couleur.—Des quatre cuvées de vin d’eau sucrée, c’est la troisième qui a le plus de couleur, et la quatrième, celle de marc pressé, qui en a le moins: la troisième cuve étant plus colorée que le vin par les procédés ordinaires.
«Alcool.—J’ai dit que le jus de raisin pesait 13 degrés au gleuco-œnomètre, et que, pour amener un hectolitre d’eau à la même densité, il fallait y dissoudre 19 kilog. de sucre. J’ai vérifié que cette eau sucrée au même degré donnait un vin plus alcoolique que le moût, ce que j’attribue à ce que celui-ci contenait des sels. En effet, le vin naturel donnait 12 pour 0/0 d’alcool, celui d’eau sucrée à 18 kilog. en contenait 13 pour 0/0, celui à 22 kilog. 15 pour 0/0 et celui à 25 kil. de sucre 17 pour 0/0.
«Goût, bouquet.—Le vin d’eau sucrée est moins acide, plus vineux, plus moelleux, plus présent à boire (comme disent les marchands), et a plus de bouquet que le vin naturel; en un mot, il est positivement meilleur.
«Conservation.—J’ai dit des raisons qui m’ont convaincu, d’avance, que le vin d’eau sucrée se conserverait non seulement aussi bien, mais mieux que le vin naturel. L’expérience a pleinement confirmé mes prévisions. Ce vin, est en effet d’une solidité extraordinaire. J’en ai envoyé à la Nouvelle-Orléans, il y est arrivé en parfait état et a été trouvé bon.
«Aux vendanges de 1855, j’ai renouvelé mes expériences de 1854, mais cette fois sur une beaucoup plus grande échelle; au lieu de 285 hectolitres, j’en ai fait 3,000. J’ai varié mes opérations, et, sur certaine cuvée, j’ai renouvelé l’addition d’eau sucrée jusqu’à 8 et 9 fois, savoir: deux opérations en vin blanc, avant fermentations; deux en vin rouge fermenté, et quatre ou cinq en vins blancs, plus ou moins colorés. Le ferment a toujours été suffisant pour faire tomber promptement l’eau sucrée, qui marquait 10° à 0°.
«Les personnes qui m’ont demandé et auxquelles j’ai fait connaître, avec empressement, ma manière d’opérer, parmi lesquelles je dois citer mes voisins, MM. Thénard père et fils, célèbres chimistes, ont fait cette année, dans la Saône-et-Loire et dans la Côte-d’Or, environ 2,000 hectolitres de vin d’eau sucrée. M. Thénard père m’a assuré que le vin, produit par mon procédé dans l’Auxerrois, était supérieur à celui fait avec des raisins seuls.
«J’ai fait goûter, à beaucoup de personnes, mes vins de 1851, faits avec des raisins de ma propriété de Chamirey, crû de second ordre: toutes les ont trouvés très bons, et elles n’ont pu distinguer le vin naturel, fait avec les mêmes raisins, de celui fait avec de l’eau sucrée.
«Les résultats obtenus pour les vins rouges sont superbes, puisqu’on pourrait tripler la quantité; mais ceux sur les vins blancs, et surtout sur les marcs de blancs, sont encore bien plus merveilleux et amèneront certainement une révolution dans le commerce.»
PETIOT.
Opinion de M. Maumené sur l’expérience de Petiot, relatée ci-dessus.
[61]Ces résultats parlent d’eux-mêmes; tous les esprits éclairés ne s’en étonneront pas. S’ils pouvaient causer de la surprise, ce serait uniquement parce qu’il a fallu près d’un siècle depuis Macquer pour les voir mettre en pratique aussi sagement, et sur une aussi grande échelle.
Je m’y arrête pour montrer combien ils sont conformes aux principes d’une saine théorie.
[62]D’après les résultats d’une analyse que j’en ai faite, il serait difficile de distinguer le vin, ainsi préparé, du vin naturel, et les esprits les moins favorables aux imitations du vin ne pourront refuser de convenir que ces vins n’ont au moins rien de dangereux.
L’avenir des vins raisins-sucreux est certainement immense. On ne peut voir sans une grande joie, s’étendre une méthode dont les produits augmenteront les ressources de notre principale industrie, celle du vin, remédieront à la pénurie du raisin dans les mauvaises années, et permettront de livrer en tout temps, aux classes pauvres une boisson saine, peu coûteuse, et aussi exempte que possible de toute sophistication. Le trésor public ne peut que gagner à son extension.
Opinion émise sur les vins de raisins secs, dans le bulletin du Laboratoire Agronomique du 1er mars 1880, par M. Jules Rivière de la Souchère, ancien élève de l’Ecole polytechnique, chimiste-expert auprès du Tribunal de Marseille.
Nous avons eu l’occasion de donner notre opinion sur cette industrie et sur la valeur de ses produits, et nous n’hésitons pas à lui donner une plus grande publicité.
Le vin de raisins secs a les plus grands rapports de composition avec le vin ordinaire ou de vendange, il en renferme tous les éléments.
L’ouvrier pouvant, grâce à ce procédé, trouver une boisson saine et réconfortante, alors que le peu d’abondance des vins de vendange, par suite du phylloxéra, ne lui permet pas de se procurer une boisson naturelle et non fraudée, nous n’y voyons qu’un bienfait de plus rendu par l’industrie.
La fabrication du vin de raisins secs ne date que de quelques années, des perfectionnements peuvent être apportés dans ses procédés, notamment pour améliorer le goût de la nouvelle boisson, et il n’est peut-être pas impossible de voir revivifier la couleur même, qui peut n’être qu’altérée, et non détruite, par la dessiccation.
Analyse des Vins de Raisins secs
L’analyse par M. De la Souchère, de trois vins de raisins secs, a donné les résultats suivants:
| ANALYSE | THYRA | VOURLA | CORINTHE |
| Titre, Alcool | 15 | 12.60 | 14.40 |
| Poids spécifique | 1003.96 | 995.56 | 999.96 |
| Extrait sec | 47.14 | 24.37 | 37.45 |
| Cendre | 4.73 | 4.19 | 3.51 |
| Matière protéïque | 0.27 | 0.10 | 0.16 |
| Glucose | 12.65 | 2.75 | 5.45 |
| Gomme | 24.99 | 11.72 | 16.33 |
| Crême de Tartre | 2.20 | 1.10 | 2.40 |
PETIT RÉSUMÉ
A l’usage des Particuliers et Producteurs
POUR FAIRE LE VIN:
Mettez 100 kilogr. de raisins secs dans une futaille défoncée et 300 litres d’eau chaude à 40° si c’est possible. La température de l’appartement doit être de 15 à 20°. L’opération serait plus vite terminée et le vin meilleur, si l’on maintenait constamment la température du moût à 30° de chaleur. On le constate au moyen d’un thermomètre spécial qu’on adapte au tonneau. La fermentation s’établit d’elle-même.
Le vin est fait et on soutire quand le liquide n’accuse plus que 0° au pèse-sirop et qu’il commence à devenir clair un ou deux jours après qu’il aura indiqué ce degré. Il faut éviter que les grappes forment, en fermentant, le chapeau, ce qui pourrait donner un peu d’acidité au vin.
On soutire le vin dans un fût propre dans lequel on a fait préalablement brûler une mèche soufrée sur papier (procédé Audibert). On clarifie fortement avec 30 grammes de colle diamant par hectolitre et 20 gram. d’Extrait Vinicole, en fouettant, pendant un bon moment, le vin et la colle, pour obtenir une prompte clarification; on fait le plein, 24 h. après, et on bouche bien.
Au bout de quelques jours, quand le vin est bien brillant, on le met en bouteilles que l’on tient couchées.
Après les avoir pressées, on lave les grappes avec de l’eau chaude, contenant 100 gram. d’Extrait Vinicole par hecto, qu’on y laisse séjourner deux ou trois jours et on retire une piquette légère.
Pour colorer on se sert de vin très rouge ou on emploie le Colorant Vinicole, 8 à 10 grammes par hecto suffisent. On peut en mettre davantage si on le veut plus rouge.
Il sera répondu immédiatement et sur échantillon à toute demande de renseignements concernant les soins à donner aux vins malades ou altérés.
Pour les Raisins secs, Thermomètres, Pèse-sirop, Mèches soufrées, Colle diamant, Extrait Vinicole, Colorant, Appareils ainsi que pour tout ce qui se rapporte à la fabrication du vin, s’adresser:
MAISON J.-F. AUDIBERT ++
Importateur direct des Raisins Secs à boisson
ENTREPOTS GÉNÉRAUX AGRICOLES ET VINICOLES
53, RUE DES MINIMES.—MARSEILLE
TABLE DES MATIÈRES
| Avant-Propos de la 1re édition parue en 1880 | v |
| A mes lecteurs | ix |
| CHAPITRE I | |
| Pourquoi le vin de raisins secs? | 1 |
| CHAPITRE I | |
| Quels sont les meilleurs raisins et à quoi les reconnaît-on? | 10 |
| Corinthe | 11 |
| Thyra | 12 |
| Samos | 14 |
| Vourla, etc. | 14 |
| De la falsification des raisins secs | 21 |
| Des Mowra-Flower | 22 |
| De leur abus | 23 |
| CHAPITRE I | |
| Du local et des ustensiles propres à la fabrication | 25 |
| CHAPITRE I | |
| Soins à donner aux raisins avant leur mise en cuve | 33 |
| CHAPITRE I | |
| Du mouillage des raisins secs | 36 |
| Tableau des quantités d’eau nécessaires pour fabriquer le vin de raisins secs | 39 |
| CHAPITRE I | |
| Du foulage | 42 |
| CHAPITRE I | |
| De la fermentation | 47 |
| Le contrôle des fermentations | 53 |
| CHAPITRE I | |
| Fabrication mathématique des vins de raisins secs et autres vins | 56 |
| Appareil J.-F. Audibert pour la fabrication mathématique et complète des vins de raisins secs garantie en 10 jours et pour toutes les fermentations | 58 |
| CHAPITRE I | |
| Des dangers de l’acide carbonique | 61 |
| Règles générales et utilisation de l’acide carbonique | 65 |
| CHAPITRE I | |
| Des divers modes de fermentation | 71 |
| La fermentation à cuve ouverte | 71 |
| La fermentation à cuve fermée | 80 |
| La fermentation mathématique | 84 |
| CHAPITRE I | |
| De la fermentation rapide à l’usage des grands ou des petits fabricants | 86 |
| Garniture intérieure des robinets | 89 |
| CHAPITRE I | |
| Des fabrications spéciales | 91 |
| La fermentation du moût sans grappes | 92 |
| La fermentation des raisins secs avec des raisins frais | 97 |
| La fermentation des raisins secs avec le marc des raisins frais | 102 |
| CHAPITRE I | |
| Moyen pratique de suivre la marche des fermentations | 106 |
| CHAPITRE I | |
| Du sucrage | 114 |
| La fermentation des raisins, grappes, marcs, avec du sucre | 120 |
| CHAPITRE I | |
| Résumé de la théorie de la fermentation | 124 |
| Règles générales | 124 |
| Expérience faite avec 1,000 kilog. de raisins secs au mois d’avril 1877 | 126 |
| CHAPITRE I | |
| Du décuvage et du pressurage | 137 |
| CHAPITRE I | |
| Emploi des marcs et résidus | 144 |
| La distillation des grappes | 145 |
| La fabrication du vinaigre | 147 |
| La nourriture des animaux | 148 |
| L’engrais végétal | 151 |
| La fabrication du sous-acétate de cuivre dit verdet | 154 |
| La fabrication du carbonate de potasse | 155 |
| Emploi des pépins | 156 |
| CHAPITRE I | |
| De la mise en futailles et des soins à donner aux vins de raisins secs | 158 |
| CHAPITRE I | |
| Du soufrage | 171 |
| Mutoir Audibert | 177 |
| De la nécessité du soufrage | 179 |
| CHAPITRE I | |
| Du collage | 181 |
| La Colle Diamant | 185 |
| Du fouettage | 190 |
| CHAPITRE I | |
| Du soutirage | 193 |
| CHAPITRE I | |
| Des altérations du vin de raisins secs, leurs causes et leurs remèdes | 199 |
| De la dessication et des altérations qu’elle peut faire naître | 199 |
| Des vins de raisins secs aigre-doux | 203 |
| Des vins de raisins secs nuageux | 208 |
| CHAPITRE I | |
| Des maladies du vin de raisins secs | 210 |
| Le manque de tannin | 219 |
| L’Audibertine pour enlever le goût du moisi | 223 |
| CHAPITRE I | |
| Du chauffage des vins de raisins secs | 227 |
| Appareil J.-F. Audibert (b. s. g. d. g.) pour le chauffage des vins | 231 |
| CHAPITRE I | |
| Du vinage, du coupage et de la coloration du vin de raisins secs | 238 |
| Le Colorant Vinicole | 248 |
| CHAPITRE I | |
| Aperçu général sur les raisins secs et leur vin | 252 |
| Le sirop | 253 |
| Le sucre | 253 |
| Conclusion | 255 |
| Extrait Vinicole | 258 |
| APPENDICE | |
| Circulaire de M. le directeur général des Contributionsindirectes | 259 |
| Licence | 261 |
| Marchands en gros se livrant à la fabrication des vins de raisins secs, piquettes, etc.indirectes | 262 |
| Déclaration de fabrication | 263 |
| Prises en charge des quantités déclarées | 264 |
| Rendement et force alcoolique | 265 |
| Tenue des comptes, compte de fabrications | 266 |
| Manquants | 267 |
| Eaux-de-vie employées à la fabrication des vins de raisins secs et autres similaires | 267 |
| Distillation des vins de raisins secs, etc. | 267 |
| Débitants se livrant à la fabrication des vins de raisins secs, piquettes, etc. | 268 |
| Récoltants distillant les vins de raisins secs provenant de leur fabrication | 271 |
| Circulaire nº 298 du 26 août 1880 | 274 |
| Première lettre parue dans les principaux organes vinicoles, en réponse à la circulaire ministérielle | 277 |
| Deuxième lettre à M. le Ministre de la Justice | 283 |
| Expérience d’une fabrication de vin avec des raisins, de l’eau et du sucre, d’après M. Petiot lui-même | 289 |
| Opinion de M. Maumené sur l’expérience de Petiot, relatée ci-dessus | 297 |
| Opinion émise sur les vins de raisins secs dans le bulletin du Laboratoire Agronomique du 1er mars 1880, par M. Jules Rivière de la Souchère, ancien élève de l’Ecole polytechnique, chimiste-expert auprès du tribunal de Marseille | 298 |
| Analyse des vins de raisins secs | 299 |
| Petit résumé à l’usage des particuliers et producteurs, pour faire le vin | 300 |