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L'art russe: Ses origines, ses éléments constitutifs, son apogée, son avenir

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Fig. 67.

Fig. 67.

Sur les colonnes engagées qui montent de fond, reposent les charpentes qui reçoivent les parties saillantes de la couverture[1]. Ces saillies sont assez prononcées pour abriter complètement les tympans qui peuvent, dès lors, être décorés de peintures ou de mosaïque. La coupe G, faite sur l'axe du grand arc, montre la disposition de l'auvent; et la coupe H, faite sur l'axe des évidements triangulaires, la disposition de la corniche de charpente avec son chéneau I vidangé par une conduite qui passe au sommet de l'angle rentrant de l'évidement. Puis la figure 68 donne le détail de la combinaison de charpenterie sur les chapiteaux des colonnes engagées.

Cette construction est rationnelle: les pleins sont établis en raison des résistances à opposer aux poussées des voûtes. Il n'y a, en œuvre, que le cube de maçonnerie nécessaire. Ces évidements, qui donnent de la légèreté à la construction, sont favorablement disposés pour faciliter l'écoulement des eaux pluviales.

Enfin, toute la maçonnerie est bien abritée par ces auvents très-saillants.

Fig. 68.

Fig. 68.

Le faux goût classique fit abandonner ces couronnements saillants depuis le XVIIe siècle, bien qu'ils fussent indiqués par la construction même. On n'en retrouve aujourd'hui que des fragments; mais ils étaient primitivement très-usités, aussi bien dans l'architecture religieuse que dans l'architecture civile russe, et c'est encore là une tradition orientale hindoue qui établit une distinction franche entre l'architecture byzantine proprement dite et l'architecture russe. Dans l'architecture byzantine, nulle apparence de construction de charpente ni même de traditions dérivées de la charpenterie. Dans l'architecture hindoue, la tradition de la structure de bois apparaît partout, même lorsque les édifices sont taillés dans le roc, comme nous l'avons fait voir (fig. 36). Il en est ainsi dans l'architecture russe: les formes données par la structure de bois apparaissent conjointement à celles fournies par l'emploi de la voûte, et quand, au XVIIe siècle, les architectes russes prétendirent remplacer ces auvents préservatifs de bois par des couronnements saillants de maçonnerie, ils donnèrent à ceux-ci des formes empruntées à cette structure de bois, bien qu'ils n'employassent le plus souvent que de la brique ou du moellon revêtu d'un enduit.

Fig. 69.

Fig. 69.

 

Fig.

Ces architectes pouvaient, même avec de la brique, composer des encorbellements assez saillants et riches; ce qu'ils obtenaient en chargeant toujours chaque rang de ces briques à la queue.

La figure 69 présente une de ces corniches en perspective, la coupe étant donnée en A et le plan de l'angle en B (fig. 70).

Fig. 70.

Fig. 70.

On comprend que si l'on employait dans ce mode de construction des briques entaillées de diverses couleurs, on obtenait des effets décoratifs d'un effet très-vif.

La planche XXVI fournit encore un exemple de ces couronnements d'une tourelle à huit pans, revêtue de briques entaillées et de plaques de faïence.

Mais il faut dire qu'au commencement du XVIIe siècle l'architecture moscovite présente rarement des exemples de constructions exécutées avec soin. Les enduits colorés remplacent habituellement les briques et faïences entaillées et ces enduits sont parfois même assez grossièrement exécutés. Toutefois, les éléments existent, et dans un art qu'il s'agit de faire renaître, il est essentiel de distinguer ces éléments sans s'arrêter aux applications grossières qui en ont été faites.

La Russie, pour faire éclore une véritable Renaissance, ne doit pas se borner simplement à reproduire matériellement les exemples laissés au moment où l'art slave fut tout à coup arrêté dans sa marche par l'imitation peu réfléchie des œuvres occidentales, elle a mieux à faire: choisir parmi ces éléments ceux qui permettent une application perfectionnée, ceux qui proviennent des sources les plus pures, les plus originales, les plus conformes au génie national; les structures qui s'accordent le mieux avec les habitudes, les traditions, les matériaux, la nature du climat ou les ressources locales. Parfois, une œuvre barbare, dont l'exécution est médiocre par suite de circonstances particulières, ou l'intervention d'un artiste peu soigneux, fournit cependant des motifs qui, repris par un homme de talent, se prêtent à une excellente interprétation. Ainsi, par exemple, on remarque toujours dans les édifices russes un sentiment très-délicat des proportions, malgré une exécution souvent grossière. Cette qualité est apparente dans les couronnements, dans la disposition des pleins et des vides, dans les silhouettes générales de l'architecture. Elle est trop précieuse pour qu'il ne faille pas en tenir grand compte, lorsqu'il s'agit de reprendre cet art et d'en développer les applications.

S'il est bon, s'il est conforme à un état civilisé d'apporter des soins minutieux dans l'exécution des détails d'une architecture, il serait déplorable que cette préoccupation fit négliger l'étude très-attentive des effets que doivent produire les ensembles.

C'est ce qui est arrivé en France: les architectes ont le plus souvent apporté dans l'exécution des détails une rare perfection; mais ce soin semble les avoir détournés de l'entente des effets d'ensemble. Il est vrai qu'ils s'imposaient une tâche ingrate. Ils prétendaient soumettre l'architecture antique aux besoins, aux habitudes, aux mœurs de notre temps et en reproduire les formes à l'aide de matériaux que les anciens ne possédaient pas ou dont ils ne faisaient pas emploi.

Abandonnant les plates imitations de l'architecture occidentale,—qui elle-même n'est qu'un pastiche peu raisonné des arts de l'antiquité,—les architectes russes ont, par devers eux, un art déjà formé, qui n'est pas parvenu cependant à sa maturité, mais, par cela même, qui est plein de promesses et est susceptible d'un grand développement, à la condition de ne point mentir à ses origines, de rester logique dans ses expressions et de choisir dans les éléments qui le composent les motifs les plus purs et les plus délicats.

Nous ne prétendons pas, cela va sans dire, fournir des modèles, car cette prétention serait ridicule, mais nous essayons de montrer la méthode à suivre dans la composition de cette Renaissance d'une architecture russe, en choisissant précisément parmi ces éléments fournis par le passé et dont les sources ont été indiquées par nous.

Cette méthode consiste donc dans un travail de sélection que chacun peut entreprendre en se pénétrant des principes sur lesquels cet art russe s'appuyait encore au XVIIe siècle et qui remontent à une époque fort antérieure. Mais toute méthode doit faire ses preuves, montrer les appréciations. Il nous faut donc réunir des exemples. C'est ce que nous venons de faire déjà, dès le commencement de ce chapitre, à propos des voûtes et de quelques dispositions particulières à l'art russe.

Procédant toujours de la même manière, c'est-à-dire nous appuyant sur les données admises par cet art, et faisant abstraction des conventions prétendues classiques, nous poursuivons notre tâche.

Nous avons dit que l'architecture russe est habituellement pénétrée d'un sentiment très-délicat des proportions, ce qui lui est commun, du reste, avec les arts de la Perse.

Prenons comme exemple une porte d'église, abritée sous un auvent de charpente (pl. XXVII). Ce membre d'architecture est destiné, bien entendu, à être vu de près. Il forme un tout et doit être précieux dans ses détails, construit en matériaux de choix.

Notre dessin en indique la construction avec la fine ornementation sculptée qui encadre le cintre, la peinture qui le surmonte, l'auvent de charpenterie, couvert de métal et les riches vantaux de bronze.

Les proportions de cette porte sont étudiées avec soin conformément aux données admises par les architectes russes et qui paraissent avoir été souvent inspirées des exemples fournis par l'Arménie.

Cependant le galbe de la baie et l'auvent dérivent des éléments purement russes. En A est présenté le profil d'une des consoles en bois de l'auvent.

Il est entendu que ces auvents sont toujours peints.

On ne trouve pas dans la bonne architecture russe, non plus que dans celle de l'Arménie et de la Perse, cette ornementation sculptée à une grande échelle, si fréquente dans nos édifices occidentaux. Fine, délicate, plutôt gravée qu'en ronde bosse, cette ornementation sculptée est habituellement traitée comme une tapisserie destinée à garnir certaines places qui doivent attirer le regard.

Fig.

En cela, comme en d'autres points déjà touchés par nous, l'architecture russe diffère essentiellement de l'architecture occidentale et se rapproche des arts de l'Orient.

Cependant, vers la seconde moitié du XVIIe siècle déjà, les architectes russes, sous l'influence des arts de la décadence occidentale, essayèrent d'appliquer à leurs édifices l'ornementation lourde, prétentieuse et contournée de l'école de Bernin.

Si cette ornementation sculptée choque le goût lorsqu'elle est appliquée aux édifices occidentaux de cette époque, elle est intolérable dès qu'on prétend l'approprier à cette architecture russe dont le tempérament, pourrait-on dire, est tout oriental.

En effet, les silhouettes fines, sveltes, l'emploi de petits matériaux, la franchise des moyens de structure laissés apparents, qui sont les qualités essentielles de l'architecture russe, ne comportent pas une ornementation qui altère ces silhouettes et qui ne s'accorde pas avec la nature et l'emploi des matériaux.

En revenant à l'art slave, il est donc nécessaire d'apprécier exactement les qualités qui dominent chez lui, qui sont: l'élégance, non sans hardiesse; l'étude attentive de l'effet des ensembles; une ornementation discrète qui jamais ne puisse détruire les lignes principales et laisse des repos pour l'œil, ornementation qui doit consister surtout, dans les parties élevées au-dessus du sol, en colorations; car cette architecture, ainsi que nous l'avons dit déjà, exige le secours de la peinture pour produire son maximum d'effet, puisqu'elle se revêt d'enduits, le plus souvent, par suite de la nature des matériaux employés et du mode concret de structure.

Fig. 71.

Fig. 71.

Ce sentiment des proportions est manifeste encore dans les porches ou portiques qui s'élèvent à la base des édifices. Ces porches et portiques sont bas, larges, ainsi qu'il convient pour abriter les personnes qui circulent sur leur pavé, et cependant, ils sont le plus souvent accolés à des constructions hautes, d'une venue, dont les murs dépourvus de fortes saillies horizontales produisent un effet de grandeur saisissante, au-dessus de ces galeries et abris disposés à leur pied (fig. 71). Ces sortes de porches ne sont souvent, pour les palais, que de grands perrons couverts qui donnent sur un escalier droit logé dans le bâtiment ou sur l'un de ses flancs. Leur construction se compose d'arcs portant sur des piles trapues. Les tympans de ces arcs sont remplis par une fermeture reposant sur une arcature suspendue afin de ne point gêner le passage. Des toits saillants abritent le tout.

Fig. 72.

Fig. 72.

Fréquemment, les portiques bas reposent sur d'épaisses colonnes renflées, d'un aspect étrange et qui ne sont pas sans rappeler les formes hindoues.

Ces colonnes étant habituellement construites en brique, il est nécessaire de leur donner une forte épaisseur, surtout si les portiques sont voûtés (fig. 72). Nos yeux ne sont guère habitués à ces formes, mais si l'on veut comprendre l'art russe, il faut un peu oublier nos édifices de l'antiquité romaine ou du moyen âge.

A tout prendre, il y a harmonie dans ces ensembles et ces détails de l'architecture russe, et elle ne devient choquante que quand elle s'impose l'imitation de certaines formes occidentales et qu'elle prétend les mêler aux expressions du génie national.

Il est constant aujourd'hui que l'art russe cherche sa voie et que, s'il a la conscience de l'instrument mis à sa disposition, il ne sait trop comment l'employer, faute de connaître exactement les principes d'où cet art découle. Et, en effet, ce qui a été dit précédemment explique assez les difficultés qui s'opposent à la définition précise de ces principes. Mais, cependant, il est un point qui domine, c'est la soumission de la forme à la nature, à l'emploi des matériaux et au mode de structure. La bonne architecture russe, ainsi que toutes les architectures qui méritent une mention, n'emploient jamais une forme qui soit en contradiction avec ces conditions matérielles de structure. Et c'est pour avoir méconnu ce principe essentiel, dominant, que depuis plus de deux siècles cette architecture russe est tombée dans les plus étranges abus. Se contentant d'un vêtement parasite emprunté à l'occident, elle perdait de vue son point de départ et devait avoir grand'peine à le retrouver, le jour où elle se fatiguerait de ces imitations qui ne peuvent lui faire produire autre chose que des pastiches grossiers.

L'engouement pour l'architecture occidentale provenant de l'Italie, de la France ou de l'Allemagne, ne pouvait constituer un art. La Russie, en croyant ainsi se rattacher à la civilisation européenne et profiter de ses progrès, se plaçait au dernier rang; le dernier rang, dans les arts, étant assigné toujours aux œuvres qui manquent d'originalité.

Ce n'est donc pas par des concessions aux arts occidentaux que l'architecture russe reprendra la place qu'elle doit occuper dans les arts. Il est nécessaire, au contraire, qu'elle laisse entièrement de côté ces influences étrangères à son génie et qu'elle aille de nouveau puiser aux sources qui avaient développé cet art jusqu'au XVIIe siècle. Ces sources sortent de Byzance, de l'Orient, de l'Asie, de la Perse, de l'Arménie. Elles ont, au total, une origine commune et peuvent se mêler de nouveau comme elles se sont mêlées jadis, sans troubles, mais en composant un ensemble harmonieux.

Le moindre apport des arts occidentaux détonne dans ce milieu. Il n'est, en Occident, que notre art dit Roman qui ait des points de contact avec l'art russe, par la raison que cet art roman s'inspirait principalement des arts de Byzance et de la Syrie.

On ne doit pas perdre de vue ce point de départ, savoir: que l'art russe dérive de l'emploi de la voûte d'une part et de la structure de bois de l'autre. Le champ est ainsi suffisamment étendu, surtout si nous considérons l'extrême liberté dans les applications du système de la structure voûtée. Mais, mêler à ces deux principes primordiaux, l'emploi des Ordres qui, quoi qu'on ait pu dire, ne dérivent nullement de la structure de bois, et les formes qui découlent de la mise en œuvre de grands matériaux (pierre), c'est composer le plus étrange amalgame d'éléments disparates et faits pour rester séparés.

En réalité, l'architecture russe est plus voisine des arts de l'Assyrie que des arts helléniques, et elle trouverait sur les bords du Tigre et de l'Euphrate plus d'éléments à s'approprier que sur le territoire antique d'Athènes. La Rome impériale pourrait, dans ses constructions voûtées, lui fournir un contingent; mais la transformation byzantine se rapproche bien davantage de sa véritable constitution.

Nous ne sommes pas de ceux qui prétendent établir une connexité complète entre les institutions politiques des peuples et cette expression de leur génie: les arts.

Un état politique, une organisation civile peuvent être fort éloignés de ce que nous appelons la liberté, et les arts manifester cependant une grande indépendance.

La France, par exemple, était loin de posséder des libertés politiques au XIIIe siècle, et ses arts, à cette époque, montrent une indépendance dans leur application, très-supérieure à celle qu'ils peuvent manifester aujourd'hui.

Or, ce qui distingue l'art russe au moment de son apogée, c'est précisément cette liberté complète dans ses expressions, cette franchise d'allure qui exclut toute idée d'une ingérence étrangère aux choses d'art.

L'architecture, parmi les autres arts plastiques, possède ce privilège précieux de pouvoir se développer en liberté quand et comme bon lui semble. Les arts de la sculpture et de la peinture se manifestent par des images ayant une signification directe pour le vulgaire. On peut leur imposer dès lors une forme hiératique, ne pas leur permettre tel ou tel mode d'expression. En est-il ainsi de l'architecture? Non. Le public n'attache pas un sens à un mode de structure, à une combinaison de voûte, à la composition d'une fenêtre ou d'une porte. Pourvu que la chose remplisse son objet, ne choque pas les habitudes reçues et soit agréable à voir, personne ne s'inquiète de savoir comment le résultat a été obtenu. Quand donc la forme architectonique—ce qu'elle doit toujours observer—dérive de la structure, l'architecte possède une liberté absolue que nul ne lui conteste, puisque nul ne sait comment il en use et même s'il en use.

Mais aussi quand, s'écartant de ce principe, il ne soumet plus les formes qu'il emploie à la structure, quand il accepte des ornements décoratifs opposés même à cette structure, quand l'apparence n'est plus qu'un vêtement qui n'a point de rapports avec le corps, alors chacun peut lui imposer tel ou tel vêtement, puisqu'il n'a pas de motifs à faire valoir pour adopter celui-ci plutôt que celui-là; et il perd sa liberté. C'est ainsi que l'art de l'architecture se développe avec une grande indépendance à des époques relativement barbares, mais tant qu'il demeure attaché au principe de la conformité des apparences avec le mode de structure employé, et que cette indépendance lui est enlevée dès qu'oublieux de ces principes, il admet des formes étrangères à cette structure. N'ayant plus d'arguments à faire valoir pour choisir une forme plutôt qu'une autre, chacun peut lui imposer celle qu'un caprice lui fait préférer.

Alors voit-on, par exemple, sur l'édifice construit suivant le mode russe, avec les matériaux du pays, plaquer des pilastres, des colonnes et des entablements d'ordres antiques, décoration parasite obtenue à grand'peine avec des enduits sur de la brique, lesquels se détachent tous les hivers.

Certes l'architecture russe, généralement élevée en petits matériaux et composée d'une structure concrète, demande des jointoiements, des enduits ou des revêtements; mais cette parure doit être la conséquence du mode de construction adopté, en indiquer la nature. Or, il est clair que les enduits, pour durer, doivent n'offrir que de faibles saillies et être bien abrités. La véritable architecture russe avait parfaitement admis ce système rationnel. Les profils n'avaient que des saillies peu prononcées, souvent un simple jointoiement laissait à la brique son aspect réel, des combles saillants abritaient les parements.

Fig. 73.

Fig. 73.

Voulait-on de la richesse? elle était obtenue à l'aide de cette ornementation fine, gravée, qui rappelait les décorations persiques, ou au moyen de ces revêtements de faïences émaillées, ou par des imbrications de diverses nuances. Nous avons montré (fig. 54) une de ces fenêtres de monuments indiens ornées d'enduits. L'architecture russe adopta ce procédé avec plus ou moins d'adresse et sut en faire des applications élégantes (fig. 73 et 74). Ici la brique apparente et les enduits remplissent leur rôle. Entre ces baies qui pouvaient offrir sur une façade des points très-riches, les parements demeuraient lisses, étaient autant de repos pour l'œil et ne se couvraient point de ces pilastres et bossages qui conviennent à une structure de pierre, mais n'ont nulle raison d'être lorsque des murs sont destinés à être enduits.

Fig. 74.

Fig. 74.

Des chaînes et bandeaux de briques apparentes pouvaient encadrer ces tapisseries; car une condition de durée, pour les enduits, est de ne pas occuper des surfaces trop étendues. On maintient ainsi ces enduits au moyen des briques qui les affleurent et forment des dessins géométriques (fig. 75).

Fig. 75.

Fig. 75.

Mais il paraît inutile de s'étendre davantage sur ces détails variés à l'infini et qui se prêtent à la décoration extérieure des édifices sans nécessiter de grandes dépenses. Si l'on ajoute à ces stucs, à ces briques apparentes et pouvant être émaillées, des faïences de revêtement, on peut produire les effets les plus riches et les plus séduisants.

L'emploi du métal se prête à cette architecture moscovite, non-seulement pour les couvertures, mais aussi pour les supports, qui sont alors destinés à donner du roide à ces constructions concrètes, élevées en petits matériaux.

On sait que dans les architectures persane et arabe, avec les constructions de brique, de blocage et même de pisé ou béton, l'emploi du marbre est fréquent lorsqu'il s'agit d'établir des supports grêles ou certains revêtements. A défaut de marbre, la fonte de fer ou le bronze peuvent remplir le même objet.

L'architecture russe, mieux que nulle autre, doit profiter des moyens de construction que présente le métal, puisqu'elle procède le plus souvent comme l'architecture persane et qu'elle emploie les mêmes matériaux. Autant il est difficile d'assimiler le métal aux formes admises dans l'architecture occidentale moderne, autant on trouverait de facilités à employer cette matière en restant dans les données de l'architecture russe, qui n'a point à se préoccuper de ces ordres et des traditions de la structure de pierre auxquels notre architecture de l'occident croit devoir soumettre son apparence.

En cela, l'architecture russe, tout en restant fidèle à son principe, peut obtenir des résultats nouveaux et faire porter les voûtes sur des points d'appui grêles en évitant les masses épaisses de maçonnerie; car les supports métalliques, convenablement employés, permettent de neutraliser partie des poussées de ces voûtes.

Soit, en effet, une salle à douze pans, d'un grand diamètre et qu'il s'agit de voûter en maçonnerie (fig. 76). Admettons que dans les angles rentrants ABC nous élevions des colonnes suivant une inclinaison et conformément à la coupe sur EF (fig. 77). Il est évident que nous remplaçons par un moyen économique les encorbellements usités dans l'architecture orientale et dans l'architecture russe, ou les massifs de maçonnerie nécessaires pour résister à la poussée de la voûte. Cette poussée est neutralisée, puisque la résultante des pressions agit sur l'axe des colonnes inclinées. Les murs ne sont plus que de simples clôtures qui n'ont à porter que leur propre poids. Mieux que nulle autre, l'architecture russe, par l'emploi qu'elle a su faire de la voûte byzantine et par les développements qu'elle a su donner à ses combinaisons, se prête à ces libertés et peut obtenir de grands effets sans dépenses excessives. Il n'est pas besoin de démontrer comment cet intérieur se prête à la décoration peinte qui convient à cette architecture aussi bien qu'à celle des Orientaux; car, remarquons en passant que les édifices persans, byzantins et russes ne comportent pas dans les intérieurs ces membres d'architecture saillants, volumineux dont nous avons tant abusé dans l'architecture occidentale, et qui, à tout prendre, ne conviennent qu'à l'extérieur. Ces édifices orientaux et russes sont sobres de saillies, de moulures sur les parois intérieures. Ils présentent des surfaces unies très-favorables à l'application d'une ornementation délicate, de la peinture ou de la mosaïque.

Fig. 76.

Fig. 76.

 

Fig. 77.

Fig. 77.

Si l'extérieur d'un édifice est destiné à être vu à grande distance, il est fait pour produire un certain effet de loin sous la lumière du ciel. Il n'en est pas de même des intérieurs, qui sont toujours vus à une distance invariable et rapprochée. Il est donc assez étrange que l'on ait garni à l'intérieur, en occident, les vaisseaux, de ces ordres, de ces corniches, de cette décoration hors d'échelle qui écrase le spectateur et qui serait intolérable aux yeux des Orientaux, habitués aux surfaces unies, ornées seulement de gauffrures et de peintures, laissant, malgré l'excessive richesse parfois, les yeux et l'esprit se reposer.

Fig. 78.

Fig. 78.

Soit maintenant un plan carré dont les quatre piliers d'angle ABCD (fig. 78) portent quatre arcs-doubleaux sur lesquels il s'agit d'élever une coupole.

A la place des pendentifs, nous établirons quatre colonnes de métal inclinées Aa, Bb, Cc, Dd, sur lesquelles viendront reposer les huit arcs ae, eb, bf, etc.

La coupe sur XP (fig. 79) rend compte de cette construction, sans qu'il soit besoin d'autre explication, et le détail (fig. 80) montre comment les chapiteaux de métal reçoivent les sommiers des arcs. Un tirant placé en A et passant sur l'extrados du demi-arc diagonal (voyez la coupe) évite toute chance de déformation pendant la construction et avant qu'elle ne soit chargée.

Fig. 79.

Fig. 79.

On voit donc, sans qu'il soit nécessaire de multiplier les exemples, combien l'emploi des supports métalliques peut faciliter la structure voûtée suivant la méthode russe.

En résumé, l'architecture russe a devant elle un vaste champ ouvert. Elle peut puiser aux sources asiatiques, qui lui appartiennent, et prendre dans les produits fournis par l'industrie moderne les éléments qui doivent faciliter son développement; car ces produits s'allient merveilleusement à ces arts de l'Asie, si souples, si logiques et qui semblent avoir pour principe: la liberté des moyens.

Fig. 75.

Fig. 80.


CHAPITRE V

L'AVENIR DE L'ART RUSSE


LA SCULPTURE DÉCORATIVE

Si l'art de la statuaire a été largement pratiqué dans l'Inde, il est fort restreint dans les contrées où la loi de Mahomet est professée depuis le VIIIe siècle. Byzance eut une école de statuaire contrariée dans ses développements par les iconoclastes; mais les édifices si nombreux qui nous restent de la Syrie centrale, datant des IVe, Ve et VIe siècles, sont totalement dépourvus de statues ou de bas-reliefs représentant la figure humaine[86].

La statuaire byzantine est, dès les premiers temps, enfermée dans un hiératisme étroit qui la conduit rapidement à une décadence irrémédiable. Cette école fournit cependant des modèles à l'Occident depuis le règne de Charlemagne jusque vers le milieu du XIIe siècle; mais, à cette époque, les statuaires français, notamment, laissent de côté les modèles byzantins pour s'adonner à l'étude de la nature, et former cette admirable école du XIIIe siècle qui alors n'a pas d'égale en Europe.

Les Byzantins semblaient, d'ailleurs, lorsqu'ils représentaient la figure humaine, préférer les procédés de la peinture à ceux de la statuaire, qui ne s'appliquait plus guère qu'à des meubles ou à des menus objets. Les artistes russes manifestèrent la même tendance, et les monuments ne montrent que de rares exemples de statuaire traitée dans de petites dimensions et sans caractère spécial.

Il n'en est pas de même de l'ornementation. Celle-ci se montre déjà brillante dans les plus anciens édifices de la Russie et ne cesse de se produire avec éclat, empruntant ses éléments à Byzance, à l'Inde, à la Perse, à la Syrie et à la flore.

Nous avons donné quelques exemples de cette ornementation russe élégante, délicate, mélange harmonieux de ces divers éléments. Il nous reste à faire ressortir les principes constitutifs de cette ornementation sculptée, et à indiquer le parti qu'on peut en tirer.

On sait avec quelle sobriété les Grecs de l'antiquité appliquaient l'ornementation sculptée à leurs monuments à l'extérieur comme à l'intérieur. Les Romains de l'empire, fastueux, ne suivirent pas cet exemple, et ne tardèrent pas à couvrir leurs édifices d'une ornementation surabondante.

Les édifices de Baalbeck nous laissent voir une profusion d'ornements appliqués avec plus d'amour de la richesse que de discernement. On ne saurait douter que, à l'origine, Byzance n'ait suivi cet exemple; mais bientôt l'influence grecque et asiatique se fit sentir, et la décoration sculptée devint plus sobre, plus délicate, plus précieuse dans son exécution. Les nombreux édifices de la Syrie centrale en font foi, et la sculpture d'ornement qui les décore se rapproche beaucoup plus du sentiment grec que du faire lâché de la décadence romaine. On y voit réapparaître ces feuillages aux dentelures aiguës, aux arêtes vives qu'on observe dans l'antique sculpture grecque, puis cette ornementation dérivée d'un tracé géométrique (fig. 81)[87] qui appartient à l'Orient, à la Perse et qui, plus tard, fut si largement employée dans l'architecture dite arabe.

Fig. 81.

Fig. 81.

C'est à ces modèles que la Russie eut recours tout d'abord pour décorer ses édifices. Mais nous avons vu qu'elle possédait des traditions locales scythiques qui n'étaient pas sans valeur. Elle ne les négligea pas et sut les fondre avec les éléments qu'elle empruntait à Byzance, à l'Orient et aussi peut-être aux Scandinaves.

Toutes ces origines, d'ailleurs, s'accordaient sur un point, savoir: de ne jamais considérer la sculpture décorative que comme une tapisserie ou une façon de passementerie destinée à orner des fonds, des bandeaux, des frises, des tympans.

C'est là tout un système auquel les architectures persane, arabe, russe, demeurent attachées et qui fut adopté par les Byzantins lorsqu'ils abandonnèrent les traditions de la sculpture romaine pour se rapprocher des arts décoratifs de l'Asie et des Grecs des derniers temps.

On peut discuter les mérites et les avantages de ce système; mais on ne saurait disconvenir qu'il ne tende à faire valoir les masses architectoniques, en ce qu'il n'altère jamais les lignes principales et qu'il permet, au contraire, de les faire ressortir.

L'Arménie, la Géorgie, qui élevèrent de charmants édifices dans lesquels les éléments byzantins et persans semblent se confondre, édifices qui ne laissèrent pas que d'exercer à leur tour une influence sur l'architecture russe, nous montrent une ornementation sculptée qui se tient exactement dans les données indiquées (fig. 82 et 83)[88], c'est-à-dire qui se compose habituellement d'entrelacs, sorte de passementerie dérivée, comme toute passementerie, des figures géométriques. L'origine de cette ornementation est indiscutable: on la trouve dans les combinaisons produites par l'assemblage de cordons. Cette origine est, non moins évidemment, toute orientale, l'Asie ayant été, depuis l'antiquité la plus reculée, la grande fabricatrice des étoffes. Rien de semblable dans la sculpture décorative de la Grèce antique et de Rome, qui empruntent leur ornementation sculptée à la flore, à la faune et à des joyaux: perles, besants; ou à des objets d'un usage journalier: vases, flambeaux, armes.

Fig. 82.

Fig. 82

En adoptant, ainsi que l'avaient fait avec réserve les Byzantins, l'ornementation dérivée des étoffes et de tracés géométriques, les Russes ne négligèrent pas la flore et la faune et allièrent les deux systèmes dès le XIIe siècle, ainsi que l'indique clairement l'église cathédrale de Saint-Dimitri à Vladimir, dont nous avons donné des détails (pl. VII et VIII, et fig. 33 et 34). En cela, l'art russe semblait se rapprocher du mode hindou qui mêle dans sa décoration sculptée la reproduction des tissus et des passementeries à la faune et à la flore.

Fig. 83.

Fig. 83.

Il est même évident que, dans l'ornementation sculptée russe de cette époque déjà reculée, c'est la flore hindoue qui apparaît et non la flore locale[89], c'est-à-dire une imitation de seconde main.

Cependant, parmi les objets de fabrication russe d'une époque plus récente: bijoux, pièce d'orfèvrerie, faïences en relief, on remarque une tendance vers l'imitation de la flore locale.

La Russie, reconstituant son art abandonné, doit-elle changer de système s'il s'agit de la décoration sculptée, se rapprocher des méthodes occidentales? Nous ne le pensons pas. Son architecture ne saurait s'allier à notre ornementation moderne, ni même à celle qui fut adoptée chez nous pendant le moyen âge. Conservant son architecture dont nous avons développé les principes, les qualités et les ressources étendues, elle doit maintenir le seul système décoratif qui s'accorde avec cette architecture et avec les moyens de structure employés généralement. En effet, la nécessité où l'on est en Russie d'employer les enduits à l'extérieur comme à l'intérieur dans la plupart des cas impose l'adoption du mode décoratif qui seul peut s'appliquer aux enduits. Or ce mode décoratif ne se prête pas aux grands reliefs; il ne peut guère être employé que sur des nus, sur ce qu'on appelle tapisseries dans le langage des architectes. Il s'ensuit que cette décoration sculptée affecte un caractère différant essentiellement de celui qui lui est donné dans l'architecture romaine, et même dans l'architecture du moyen âge; et que, tout en se servant de la flore et de la faune, elle peut continuer de prendre aux sources si riches de l'Orient. Joignons l'exemple à la théorie et voyons le parti que l'on peut tirer de ces éléments.

Fig. 83.

Fig. 84.

La figure 84 présente un ornement composé suivant ces données, c'est-à-dire en alliant le système géométrique à la flore (fougères) et à la faune. On n'ignore pas que les Persans, et particulièrement les Arabes, ont employé pour décorer leurs édifices un procédé très-simple, très-économique et qui cependant permet d'obtenir des effets surprenants. Ce procédé consiste à estamper des reliefs sur des enduits au moyen de moules creux en bois. Ce mode d'ornementation par empreintes, d'une exécution si facile, peut tout aussi bien s'appliquer à l'architecture russe qu'à l'architecture de la Perse et de l'Afrique septentrionale, puisqu'il est la conséquence de l'emploi des enduits; il se prête à la peinture et a besoin, peut-on dire, de son secours pour produire tout l'effet qu'on doit en attendre. Les reliefs, étant peu sensibles, sont ainsi rehaussés par la diversité des tons.

Les Russes ont encore, comme les populations de l'Orient, le sentiment de l'harmonie des couleurs; les étoffes et les broderies qu'ils fabriquent, leurs peintures, leurs émaux possèdent cette qualité naturelle, et, par conséquent, il leur est aisé de donner à ces sculptures en bas-relief tout l'attrait qui nous charme dans celles de la Perse et des Arabes. Ils peuvent même ajouter à cet attrait la variété qui manque parfois aux compositions arabes et persanes, lesquelles dérivent, d'une façon trop rigoureuse peut-être, des figures géométriques. Les Russes, comme les populations de l'Asie centrale, savent habilement se servir de la flore dans leurs décorations monumentales, et ils ont ainsi devant eux un champ sans limites.

Mais l'emploi de la flore avec ce genre d'ornementation doit être fait dans des conditions particulières qui n'admettent pas l'imitation absolue, laquelle ne saurait s'accorder avec les figures géométriques. C'est une interprétation plutôt qu'une imitation des formes de la flore qui s'impose dans ces conditions. Et, en effet, les quelques ornements russes des belles époques se soumettent à ce programme avec un sentiment très-vif du style. De même qu'en Orient, ces inspirations de la flore sont prises souvent, de préférence, sur les bourgeons, les formes embryonnaires, les pistils, les boutons, sur des sujets très-petits perdus dans l'herbe et que le sculpteur grandit. Car les artistes des bonnes époques, chez tous les peuples doués, n'ont pas été sans observer que ces petites plantes à peine visibles possèdent un caractère de puissance, une beauté de galbe que ne présentent pas au même degré de grands végétaux. La nature semble avoir pourvu ces infiniment petits, parmi les plantes, d'organes d'autant plus robustes qu'ils ont plus à souffrir des intempéries. D'où il est résulté des formes remarquables par leur caractère énergique, par la vigueur de leurs contours, par une simplicité de galbe qui se prêtent au grandissement et à l'application du petit végétal à la sculpture monumentale.

Mais nous venons de dire que ce genre de sculpture d'ornement de faible relief demande, pour produire tout son effet, l'appui de la peinture. Indépendamment de cette nécessité décorative, il y a la tradition, il y a l'influence des origines.

Les édifices hindous sont entièrement revêtus de peinture, aussi bien les nus que la sculpture; l'art architectonique hindou ne se passe du secours de la peinture que quand il emploie des matières précieuses qui, elles-mêmes, portent leur coloration particulière.

Les surprenants monuments d'Ellora, taillés à même le roc, étaient entièrement revêtus d'un stuc fin, recevant de la peinture; et on en trouve encore de nombreuses traces. Ce stuc s'étendait aussi bien sur les parties sculptées que sur les parties nues.

On n'ignore pas que ce procédé était employé également par les Égyptiens et par les Grecs. Les Doriens aussi bien que les Ioniens revêtaient leur architecture et tous les parements qui la composent, la sculpture d'ornement et la statuaire d'une couverte délicate destinée à recevoir de la peinture.

Les monuments doriens de la Sicile et de la Grande Grèce en font foi. Ils coloraient même le marbre blanc lorsqu'ils l'employèrent, ne pouvant admettre que l'architecture pût se passer de la peinture.

Il est évident que ce parti général doit exercer une influence sérieuse sur l'emploi de la forme. Il ne viendra à personne l'idée de colorer un chapiteau corinthien romain, tandis qu'il est naturel de couvrir d'ornements peints l'échine du chapiteau dorique grec.

L'emploi de la peinture dans l'architecture grecque explique pourquoi les édifices doriens sont si pauvres en sculpture d'ornement, et pourquoi, quand cette sculpture se montre, elle est plate, découpée, quelque peu sèche. La peinture était là pour lui donner le relief, l'effet, l'harmonie, le flou qui lui manquait.

Il est bon d'apprécier ces arts sans omettre aucune des conditions qui leur étaient faites; prétendre les juger et déduire de ce jugement des conséquences, lorsque ces conditions ne sont pas groupées, c'est risquer fort de se tromper.

Ainsi, longtemps, certains défenseurs prétendus de la forme se sont refusés à admettre la coloration de l'architecture grecque des belles époques.

On avait beau leur montrer des traces nombreuses de couleurs, des ornements peints sur certaines parties des édifices, ils ne voulaient pas être convaincus et répondaient par cet axiome à l'usage de tous les doctrinaires: «Cela n'est pas, parce que cela ne peut être.»

Cependant cela est, c'est un fait indiscutable. Qu'il gêne certaines doctrines, qu'il ne soit pas conforme à un certain goût, c'est possible, mais le fait existe et l'on est contraint d'admirer l'architecture grecque avec ce complément ou de refuser aux Grecs le goût, sur un point.

C'est qu'il faut bien le dire, l'admiration en fait d'art architectonique, qui est un art de convention, est habituellement de convention elle-même et résulte plus souvent d'une certaine habitude contractée par les yeux que d'un raisonnement ou d'une appréciation exacte des conditions dans lesquelles cet art se développe.

Dire d'un art qu'il est barbare, cela peut s'entendre habituellement d'un art étranger aux habitudes de celui qui porte ce jugement, mais n'implique pas une infériorité.

Ceux qui ont pris la peine d'examiner une œuvre d'architecture en raison du milieu où elle s'est produite, des usages de ceux qui l'ont conçue, des matériaux employés, des traditions qui s'imposaient, de l'impression qu'elle prétendait produire, ne sauraient la considérer comme barbare si elle remplit ces conditions. Et, à cet égard, l'œuvre vraiment barbare est celle que parfois nous considérons, par suite d'une fausse éducation, comme un chef-d'œuvre.

Cette digression n'a d'autre objet que de mettre en garde nos lecteurs contre ce préjugé trop fréquent dans le monde des artistes, et qui tend à dédaigner comme inférieur ou barbare, si l'on veut, tout ce qui contrarie les habitudes contractées par les yeux.

Ainsi l'Occident et la Russie, depuis deux siècles, se sont habitués à considérer les ordres romains comme la dernière, la plus complète et la plus noble expression du support. Nous ne discuterons pas si en effet les ordres romains méritent ou ne méritent pas cet arrêt classique. Nous dirons simplement que d'autres peuples que les Romains ont imaginé et composé des supports qui ont leurs qualités propres, leur raison d'être, qui remplissent leurs fonctions suivant les conditions imposées et qui affectent des formes non moins logiques, sinon plus, que celles attribuées aux colonnes d'ordres romains.

Nous dirons que s'il est une œuvre barbare, c'est celle qui consiste, par exemple, à placer un entablement, qui est une saillie de comble, là où il n'y a pas de comble. Nous dirons qu'il est barbare—parce que cela ne peut se justifier d'aucune façon—de plaquer un ordre contre un mur, lequel semble ainsi n'être qu'un bouchement, fait après coup, entre des supports verticaux isolés. Nous dirons qu'il est barbare de placer un entablement sur un ordre, dans un intérieur, c'est-à-dire là où il n'est nul besoin de garantir ces supports contre les effets de la pluie, et nous ne pourrons considérer comme barbares les artistes, quels qu'ils soient, qui ont su échapper à ces fausses applications d'un principe.

Or, dans l'architecture de la Perse, non plus que dans l'architecture arabe, il n'est fait emploi de ces partis décoratifs, contraires à l'application vraie des formes et au bon sens. On en peut dire autant de l'architecture russe jusqu'au moment où elle s'est fourvoyée dans l'imitation irraisonnée des arts occidentaux. Des ordres, il n'est pas question. Les colonnes, lorsqu'elles existent, ou sont engagées et sont considérées, ainsi que dans l'architecture romane, comme des contre-forts (pl. VI et fig. 67), ou sont isolées et alors peuvent passer, comme dans l'architecture hindoue, pour des piliers. Mais l'influence des ordres romains ne se fait pas sentir. Comme aussi, dans quelques exemples de l'architecture hindoue, ces supports sont puissamment galbés et leurs chapiteaux forment des bourrelets saillants. Toutefois, le pilier hindou porte des plates-bandes, tradition d'une structure de bois, ainsi qu'il est apparent dans les monuments d'Ellora et d'Éléphanta, tandis que le pilier russe est destiné à porter des arcs.

On peut certainement tirer un grand parti décoratif de ce pilier galbé qui est si favorable à l'emploi de la sculpture plate sur stuc et de la peinture (fig. 85). Sa forme ample s'harmonise avec les larges arceaux des portiques bas, si propres à garantir le public contre la pluie, la neige ou les rayons du soleil, et si elle est, pour nous autres occidentaux, un sujet de critiques à cause des habitudes contractées par nos yeux, on ne saurait prétendre qu'elle soit contraire au système de structure admis et à l'emploi de la décoration propre aux stucs, lesquels n'ont de durée qu'autant qu'ils sont étendus par surfaces de peu d'épaisseur et qu'on évite les angles saillants.

Fig. 85.

Fig. 85

Ne pouvant changer leur système de construction imposé par l'emploi de certains matériaux de faible volume, les architectes russes, qui ont voulu imiter les arts italiens, ont été conduits à reproduire ces formes importées, à l'aide des moyens mis à leur disposition. Ils ont traîné en stuc des corniches saillantes, des chambranles, des membres volumineux appartenant à la structure de pierre. Aussi, cette décoration irrationnelle montre-t-elle des ruines qu'il faut réparer à la fin de chaque hiver. On ne peut impunément produire les mêmes formes avec des moyens dissemblables, et l'art russe avait cet avantage, comme toutes les architectures qui prennent une place, d'avoir adopté des formes et une décoration appropriées aux matériaux employés et au mode de structure imposé par ces matériaux. Nous ne saurions trop insister sur ce point, car, en dehors de ce principe, il n'y a pas d'art, mais seulement des pastiches assez puérils tels que ceux qui garnissent, par exemple, la rue de Saint-Louis, à Munich, où l'on voit des copies de certains palais florentins (lesquels sont bâtis en matériaux très-solides, très-robustes) faites à l'aide d'enduits sur lattis.

Nous l'avons dit déjà, le climat général de la Russie passe d'un extrême à l'autre. Peu de matériaux peuvent résister à ces écarts de température et surtout au froid excessif; et la Russie ne possède qu'exceptionnellement la pierre de taille d'une grande dureté. Force lui est d'employer la brique, de la revêtir d'enduits faits dans les conditions convenables et d'abriter ces revêtements afin de les soustraire à l'action directe de l'humidité.

Mais les enduits, en grandes surfaces planes, sont sujets à se gercer. Il faut donc les diviser pour assurer leur adhérence à la construction sous-jacente, les poser par parties non trop étendues; et ainsi, la décoration des parements dérive de cette nécessité même. C'est cette méthode que les Persans, que les Arabes ont parfaitement comprise et appliquée dans leurs édifices. Non-seulement ils ont toujours ainsi posé leurs enduits par parties, mais souvent ont eu le soin d'encadrer ces parties entre des matériaux résistants, pierre, brique ou bois même, lorsqu'ils ont entendu construire avec économie. Ces procédés donnaient les motifs décoratifs, lesquels dérivaient franchement de la structure et de la forme que revêt cette structure.

Or, il faut le reconnaître, les yeux du spectateur ne sont charmés que si ces conditions sont remplies. Le passant, à coup sûr, ne fait pas ces raisonnements et ne saurait se rendre un compte exact de cet accord, mais l'harmonie qui le séduit n'est à tout prendre que la conséquence de cette intime liaison entre les moyens de structure et la décoration.

Tout écart de logique choque même celui qui n'est pas logicien; nous en faisons chaque jour l'épreuve sur la foule, sensible tout d'abord aux déductions clairement tirées d'un fait ou d'un assemblage de faits.

Dans l'enseignement élémentaire des arts, nous avons toujours vu que les enfants sont immédiatement impressionnés par l'énoncé des raisons qui commandent telle ou telle forme, tandis qu'ils restent inattentifs devant un objet dont ils n'ont compris ni la fonction ni la raison d'être.

Mais si cet objet, par sa forme même, indique et sa destination et les moyens employés pour le constituer, cette harmonie s'empare de son esprit et le séduit avant que sa raison ait pu lui rendre compte des rapports qui existent entre la destination de l'objet et sa forme.

Nous savons qu'une éducation faussée peut étouffer cet instinct; nous le savons par une triste expérience. Nous savons qu'au contact continuel des intelligences les mieux douées avec des formes d'art dont on ne saurait expliquer la raison d'être, mais que l'on présente doctrinalement, comme belles, sans jamais définir en quoi elles peuvent l'être, ces intelligences perdent la notion instinctive du vrai; mais vis-à-vis la population russe, ce retour vers un art rationnel issu du génie national et d'une longue série de traditions est moins difficile à effectuer que partout ailleurs, peut-être. L'art importé d'Occident n'a jamais pénétré profondément les couches de la société russe; ç'a été une question officielle, une mode adoptée par la haute classe, un désir plus ardent que réfléchi de se rapprocher de la civilisation occidentale et d'en prendre toutes les formes sans distinction. La population est demeurée étrangère sinon indifférente à cet engouement prolongé. Il ne sera guère difficile de lui faire de nouveau parcourir la voie où elle s'était arrêtée, mais qu'au fond elle n'a jamais abandonnée.

Le peuple russe est fin observateur, pourvu d'un sentiment poétique avec une tendance au mysticisme, ce qui ne l'empêche pas de posséder le sens pratique dans les circonstances ordinaires de la vie. On peut admettre que ces dispositions ne favorisaient guère l'importation d'un art étranger à son propre génie, art qui s'imposait tout d'une pièce comme un décret, lequel ne souffre pas la discussion. Aussi cette invasion de l'art occidental ne fit-elle jamais qu'une triste figure au milieu des vieilles villes de la Russie et n'eut-elle aucune action sur les goûts et les habitudes du peuple, qui demeura fidèle à ses anciennes traditions.

Mais entrons plus avant dans le mode de décoration sculpturale propre à l'architecture russe. La flore, avons-nous dit, y joua et y doit jouer un rôle important. On ne saurait, à côté de cette sculpture plate appropriée aux enduits, à côté de ces tapisseries, placer des membres d'architecture, tels que des chapiteaux, par exemple, refouillés et plantureux, pris dans les exemples de l'architecture romaine ou même du moyen âge. Les Persans, les Arabes l'avaient compris, et leurs chapiteaux présentent des masses simples, galbées, plus ou moins décorées de fines sculptures. Les Byzantins eux-mêmes étaient entrés dans cette voie, et les chapiteaux de Sainte-Sophie de Constantinople présentent des formes générales très-simples, assez lourdes même, mais couvertes de délicates imitations de végétaux (fig. 86).

Fig. 86.

Fig. 86.

Ce parti est également convenable à l'architecture russe, tout en donnant à la flore un caractère plus large et se rapprochant davantage des beaux exemples de l'Asie (fig. 87).

L'art russe—nous l'avons fait ressortir—possède un sentiment d'élégance et de l'harmonie des proportions qui font souvent défaut à l'art byzantin: sentiment dû, très-probablement, à son contact avec l'Orient et peut-être aussi à certaines traditions grecques conservées assez pures. L'art russe, en un mot, est soustrait à l'influence romaine des bas temps beaucoup plus que l'art byzantin. Il est de son essence de profiter de ces avantages, s'il prétend marcher sur les traces ouvertes par ses anciennes écoles.

Comme les Grecs, les artistes russes, d'après les exemples qui nous restent de leurs œuvres anciennes et dont nous avons donné plusieurs, ont une tendance à chercher les formes appropriées à l'objet et sont pourvus de cette délicatesse dans le choix, qui nous charme chez les Grecs.

Comme le Grec aussi, l'artiste russe ne donne à l'ornementation, soit qu'elle s'applique à des monuments, à des meubles, à de l'orfèvrerie ou à des bijoux, qu'une importance soumise à la forme générale, si riche d'ailleurs que soit l'objet. Ce principe excellent et qui domine dans la plupart des œuvres d'art dues à l'Orient se prête aux compositions les plus variées.

On ne voit pas dans l'architecture russe ces couronnements fastueux composés de sculptures colossales, si fréquents dans notre architecture occidentale. Non-seulement le climat, les matériaux ne s'y prêtaient pas, mais la disposition architectonique ne pouvait les admettre. Si les couronnements des édifices sont très-pittoresques, ils se découpent sur le ciel par la disposition des masses mêmes de l'architecture; mais la sculpture n'y prend jamais que l'importance d'une broderie légère, ainsi qu'on a pu le voir. Il importe que l'architecture ne perde pas cette qualité précieuse et qui contribue si bien à lui donner de la grandeur et de l'élégance.

Fig. 87.

Fig. 87.

Mais si l'ornementation sculpturale n'occupe que des places secondaires, si elle doit se borner au rôle de tapisseries, de bandeaux, de frises, de tympans, il est d'autant plus nécessaire que, dans sa délicatesse même, elle soit largement traitée, qu'elle présente toujours des compositions compréhensibles. C'est pourquoi les dispositions géométriques, les entrelacs y trouveront fréquemment leur place. Que remarquons-nous, en effet, dans les compositions ornementales de la Perse, dans celles des Arabes, dans celles des monuments de la Géorgie et de l'Arménie? la délicatesse des détails n'amène jamais la confusion, parce que ces compositions dérivent toujours d'un principe large, d'un thème principal dominant. Si riches que soient les variations exécutées sur ce thème, on le retrouve sans peine. Tout le secret de ces conceptions décoratives, tout leur charme est dans l'heureuse clarté du thème.

On ne saurait trop, à notre avis, se pénétrer de ce principe, qui est la règle de toute l'ornementation orientale ou dérivée de l'art oriental.

Si l'artiste joint à son tracé principal, clair et bien choisi, des détails élégants et bien exécutés, c'est tant mieux; mais ces détails seraient-ils médiocres que si le tracé principal, le thème est bien conçu, l'effet obtenu n'en sera guère moins saisissant. C'est pourquoi, très-fréquemment, des ornementations orientales qui ne souffrent pas l'examen du détail et sont d'une exécution médiocre n'en remplissent pas moins leur objet. C'est pourquoi nous sommes souvent charmés devant une composition décorative, dite byzantine, sur nos monuments romans de l'Occident, qui cependant, au point de vue de l'exécution, est barbare, tandis que des imitations de ces ornementations rendues avec infiniment d'art, mais auxquelles manque la conception primordiale, large et claire, nous laissent froids. On a prétendu parfois que ce manque de charme était dû précisément à la perfection avec laquelle était traitée la sculpture, c'est une erreur. Le défaut de clarté dans la conception détruisait l'effet que la pureté d'exécution seule ne saurait produire.

ANGLE D'UN PORTIQUE A DEUX ETAGES

ANGLE D'UN PORTIQUE A DEUX ETAGES

Notre planche XXVIII, représentant l'angle d'un portique double dans le genre de celui établi en avant de la cathédrale du couvent de Donskoï à Moscou, indique mieux que ne le peut faire une description l'emploi des stucs décoratifs dans cette architecture moscovite, composée de petits matériaux. Toutefois ces stucs demandent à être bien abrités et les couvertures métalliques peuvent fournir des motifs de décoration très-élégants, tout en remplissant cette fonction préservatrice. Il en est de même des tuyaux de descente d'eaux pluviales qui, dans les édifices russes, viennent gauchement et après coup serpenter sur les façades.

Originairement, les combles semblent avoir été disposés pour laisser tomber directement les eaux pluviales, des saillies sur le sol. Mais depuis longtemps on a reconnu en Russie, comme partout, la nécessité d'établir des chéneaux à la base des combles et des tuyaux de descente, et cette partie si importante des édifices conserve un caractère provisoire qu'il est convenable de leur enlever. Cela est d'autant plus aisé, qu'en Russie le métal est employé pour les couvertures et aucune matière ne se prête mieux à la décoration des combles, à l'établissement des chéneaux, des conduites, etc.

Au point de vue décoratif, il y a donc là des éléments de valeur et qu'on ne saurait négliger. De plus, l'emploi fréquent des enduits exigeant des couvertures saillantes, préservatrices, on comprend le parti que l'on peut tirer de ces saillies dont la disposition est si heureusement trouvée par les architectes hindous[90], et comme elles se prêtent à une décoration brillante: les architectes russes ayant pour habitude de peindre et dorer les combles appartenant à des édifices importants. D'ailleurs, les artisans moscovites ont de tout temps été habiles à travailler les métaux, il y a donc dans ces couronnements une ressource quant à la décoration.

Fig. 88.

Fig. 88.

On a vu que les sommets bulbeux des tours d'églises russes sont fréquemment composés de lames de métal, curieusement ouvragées. Mais là semble s'arrêter l'effort des artistes, et rarement ont-ils tenté de profiter des qualités du métal pour orner franchement les saillies des combles, pour établir des chéneaux d'un aspect décoratif. Pourquoi? Tout devait les inviter à employer le métal dans ces conditions. Peut-être faut-il attribuer cette abstention à l'arrêt qui suspendit brusquement les développements de l'architecture russe au XVIIe siècle, pour porter ses études vers l'imitation des arts occidentaux. Toujours est-il que les exemples caractérisés font défaut ou qu'ils ne rentrent pas dans le système décoratif convenable à l'art russe. Cependant, le métal repoussé, le cuivre notamment, se prête parfaitement à l'emploi de ces décorations de couronnements d'édifices, avec larges saillies, et l'ornementation russe semble particulièrement trouvée pour recevoir cette application, ainsi que nous le démontrerons par quelques exemples.

Fig. 89.

Fig. 89.

Les figures 88 et 89 donnent un chéneau à la base d'un comble, dont la coupe est tracée en A (fig. 89). Ce chéneau est porté par un solivage S saillant de 0m,80 sur le nu du mur et soulagé par des corbelets B. Le canal C est supposé façonné en cuivre, avec lambrequin rapporté L, également en cuivre décoré d'ornements repoussés (voy. le tracé perspectif, fig. 88). La conduite des eaux pluviales est disposée dans l'angle en G. Ce chéneau, disposé en dehors du nu du mur, ne peut, même en cas de fuites, causer des dommages aux maçonneries, car ces fuites sont immédiatement constatées. Le lambrequin décoratif donne à ce couronnement très-saillant un effet très-vif et qui s'accorde avec le style de l'architecture russe. Nous n'avons d'autre prétention, d'ailleurs, en donnant cet exemple et les suivants, que de fournir des moyens décoratifs dérivés du système de structure conformément au caractère de l'architecture russe, tout en laissant à chacun le soin de varier les interprétations à l'infini.

L'ornementation adoptée ici est empruntée aux exemples russes qui ont tant de rapports avec ceux que nous fournissent les monuments de l'Hindoustan.

Voici un second exemple de décoration métallique des combles.

Il s'agit d'une de ces loges fréquemment établies sur les flancs ou la face d'un grand édifice et qui sont richement ornées. C'est la toiture qui fournit le principal motif de cette décoration (fig. 90). Les pignons sont couverts par des combles saillants portés sur des encorbellements de charpente et dont les faces découpées sont revêtues de métal décoré ou repoussé.

Il n'est pas besoin, croyons-nous, d'insister sur le parti que l'on peut tirer de cet exemple, conformément à la donnée russe. Ces faces de métal repoussé peuvent être enrichies de peinture et de dorure, ainsi que les encorbellements de charpente, et former ainsi un encadrement brillant autour des sujets peints sur les tympans protégés par la saillie de la couverture.

Fig. 90.

Fig. 90.

Les eaux pluviales s'écoulent facilement à la base des noues du comble, par les tuyaux de descente ménagés aux angles, en retraite des encorbellements.

Les architectes russes peuvent donc tirer de la décoration métallique un puissant secours en restant fidèles aux formes traditionnelles de leur art, en rentrant même plus intimement dans l'esprit de ces traditions.

Les Byzantins avaient employé à profusion le cuivre repoussé et le bronze coulé dans leur architecture. Les peuples orientaux se servirent souvent de ces matières dès une époque très-reculée. L'art russe, qui tient à la fois des arts de Byzance, de la Perse et de l'Inde, ne saurait, à une époque où l'emploi des métaux dans la construction tend à se vulgariser, négliger une pareille ressource, d'autant que l'ornementation dont il dispose s'applique merveilleusement à l'emploi du métal coulé ou repoussé. En effet, cette ornementation est habituellement de dépouille, c'est-à-dire qu'elle ne présente pas ces puissants reliefs, ces refouillements profonds, ces masses dégagées du fond, qui caractérisent, par exemple, la sculpture décorative française du moyen âge.

L'ornementation sculptée russe, ainsi qu'on a pu le voir par les exemples fournis précédemment, est traitée suivant la méthode byzantine et persane, comme une tapisserie; tous les fonds sont garnis et c'est à peine s'il y a deux plans, tandis que l'ornementation, dite arabe, en a parfois jusqu'à trois superposés; d'autre part, l'ornementation sculptée russe, plus grave, plus large, moins soumise aux formes géométriques que n'est l'ornementation dite arabe, semble inventée pour satisfaire aux exigences pratiques du repoussé métallique, soit cuivre, soit plomb, ainsi que le font voir les figures 91 et 92.

Fig. 91.

Fig. 91.

Cette ornementation large, bien que de faible relief, se prête évidemment au martelage ou repoussé métallique. Et c'est à la largeur du dessin que les compositions décoratives russes doivent une valeur particulière, aussi bien dans les œuvres sculptées que dans les peintures.

Fig. 92.

Fig. 92.

Il serait regrettable que les écoles russes actuelles ne continuassent pas cette tradition monumentale qui d'ailleurs permet la plus grande variété dans l'emploi des éléments.

La flore, ainsi qu'il a été dit, est un de ces éléments les plus riches, si toutefois on a le soin de l'interpréter dans le sens convenable, si on saisit le style de la plante, son caractère général. Tous les peuples qui se sont servis de la flore dans l'ornementation monumentale, ont commencé par l'interprétation du caractère, du style du végétal. Les Égyptiens, les Grecs, les Français, au moment de l'inauguration de l'architecture dite gothique, sans parler des Hindous et des peuples de l'extrême Orient, ont procédé de la même manière, aussi les Russes dans leurs belles peintures de manuscrits et dans certaines œuvres sculptées.

Puis est intervenue peu à peu l'imitation plus exacte des végétaux, et enfin le fac-simile.

Si séduisantes que soient ces dernières œuvres, elles ne parviennent pas à la puissance décorative des premiers procédés, elles ne tiennent pas à l'architecture, n'y participent pas et semblent des applications faites après coup.

Ce fait est sensible dans l'architecture française du moyen âge.

Autant la décoration sculptée fait corps avec l'édifice vers la fin du XIIe siècle et vers le commencement du XIIIe, autant elle s'en détache plus tard et ne participe plus de la structure.

Nous allons rendre compte maintenant des ressources de l'art russe au point de vue de la décoration picturale.


CHAPITRE VI

L'AVENIR DE L'ART RUSSE


LA PEINTURE DÉCORATIVE

Nous avons touché quelques mots de la peinture iconographique russe et des procédés employés par les artistes qui ont décoré des édifices moscovites, avant l'invasion de l'art occidental. Cet art russe ne diffère que bien peu de l'art byzantin, et l'école du mont Athos semble avoir conservé, chez les artistes moscovites, l'influence dominante jusqu'au XVIIe siècle.

En reprenant possession de son art national, la Russie doit-elle continuer d'observer l'hiératisme absolu qui caractérise l'art byzantin?

La question est délicate et mérite d'être traitée.

Les tentatives faites pour trouver un compromis entre l'art libre dans ses allures s'appuyant exclusivement sur l'étude de la nature et l'art hiératique n'ont généralement donné que de pauvres résultats. C'est qu'en effet il y a là deux principes en présence, inconciliables, du moins jusqu'à ce moment.

Il est évident que la peinture hiératique a commencé par l'imitation de la nature, mais par cette imitation de premier jet, qui se préoccupe des caractères généraux sans entrer dans l'étude des détails, sans pousser l'imitation jusqu'à ce que nous appelons aujourd'hui le réalisme. Si l'on examine les œuvres les plus anciennes dues aux artistes de l'Égypte, soit peintes, soit sculptées, on est frappé du caractère naturel donné à ces œuvres, comme ces artistes ont suivi avec exactitude le style dominant, l'allure de l'individu représenté, soit homme, soit animal, soit plante; on ne peut trop admirer la finesse de l'observateur et en même temps la simplicité des moyens employés pour reproduire le sujet. Cela peut paraître incomplet, sommaire, mais ce n'est ni barbare, ni grossier, et la preuve, c'est qu'avec tout le talent imaginable, on a grand'peine à reproduire ces premières images, soit peintes, soit sculptées.

Pour ce faire, il faudrait se replacer, pour ainsi dire, dans le milieu qui vit éclore ces œuvres et, tout en conservant les qualités d'observation très-délicate, oublier tout ce que la pratique des arts et la science nous ont enseigné. Or, ces conditions sont fort difficiles à trouver.

Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a tenté de revenir à un art primitif, après la lassitude causée par l'abus du réalisme. Sous l'empire romain, Hadrien, qui était un archéologue et prisait les œuvres les plus anciennes de la Grèce, provoqua ou protégea un mouvement dans ce sens; si bien, que quantité d'ouvrages de sculpture exécutés sous son règne ont été longtemps considérés comme d'une époque beaucoup plus reculée. Toutefois, l'erreur a été reconnue sans trop de peine, et aujourd'hui les bas-reliefs archaïques de l'époque d'Hadrien sont classés parmi les tentatives de retour en arrière, tentatives avortées; car les artistes, auteurs de ces œuvres, ne songeaient à autre chose qu'à reproduire ces sculptures archaïques dans leur naïveté, comme on dirait aujourd'hui, mais sans pouvoir se placer dans les conditions faites aux artistes primitifs. Ils faisaient, en un mot, des pastiches, rien de plus, tandis qu'il eût fallu voir la nature comme la virent ces artistes primitifs.

Sous les Ptolémées en Égypte, et bien qu'alors sur les bords du Nil les œuvres de la Grèce fussent connues et prisées, on s'en tint à l'hiératisme de l'art primitif, on n'y changea rien ou plutôt on eut la prétention de n'y rien changer, car, de fait, les types allaient chaque jour s'affaiblissant, et autant les œuvres primitives sont empreintes de style et d'un vif sentiment d'observation de la nature, autant les dernières sont pauvres, ne présentent plus que l'expression d'un art tout de convention.

Lorsque la civilisation se développe chez un peuple doué d'une grande aptitude pour les arts et sous un climat favorable à leur éclosion, la sculpture, la peinture même peuvent atteindre un degré de perfection particulier, dont nous montrerons tout à l'heure la hauteur. Et si ce peuple est soumis par exemple à une théocratie étroite, pour laquelle l'art est un élément de puissance, un instrument nécessaire, un langage pour la foule, la théocratie ne manque pas de poser des limites à cet art, de lui interdire d'aller au delà du degré supérieur où il a su atteindre.

Alors, toute chose est réglée, toute représentation figurée doit être reproduite de la même manière.

Et n'oublions pas qu'en Égypte l'art composait l'écriture primitive et que, pour que la confusion ne se mit pas bientôt dans les textes, il fallait nécessairement que chaque objet et chaque individu fussent représentés toujours de la même manière.

Mais, avant d'arriver à ce point où l'art est, pour ainsi dire, figé par la théocratie, il a suivi des étapes: il s'est fait, en un mot, et pour se faire il a dû recourir à une étude attentive de la nature, agir en liberté, avoir son enfance, son adolescence et sa puberté. C'est alors, au moment de sa puberté, qu'on prétend l'arrêter afin de lui conserver éternellement sa jeunesse vigoureuse. Vaine tentative, renouvelée plusieurs fois dans l'histoire des civilisations et renouvelée sans succès.

La vieillesse, quoi qu'on fasse, arrive pas à pas, et ce corps, auquel on a prétendu conserver la jeunesse, finit par présenter les signes de la sénilité.

Mais avant cet arrêt il y a eu l'apogée, le moment de splendeur, et c'est ce moment-là qu'il faut apprécier à sa juste valeur.

Le même phénomène s'est présenté en Assyrie et enfin à Byzance. Les plus anciennes peintures de l'école du mont Athos sont de beaucoup les plus belles, et successivement, malgré la rigueur de l'hiératisme, les types consacrés, sans cesse recopiés les uns sur les autres, tombent dans les pastiches de plus en plus pauvres.

Comment s'était formée cette école byzantine de peinture?

Les Grecs y avaient la plus grande part, et quoique nous n'ayons que peu de données sur la peinture grecque de l'antiquité, il n'est guère douteux qu'elle ait atteint un niveau très-élevé, niveau qui avait fléchi nécessairement à l'époque où l'empire romain se transporta sur le Bosphore.

A cet art grec se mêlaient alors des influences asiatiques, mais qui avaient dû s'exercer beaucoup plus sur l'ornementation que sur l'art du peintre proprement dit.

Le christianisme, en interdisant dans la peinture la représentation du nu, porta un premier coup funeste à l'art. Puis, bientôt au milieu des schismes qui s'élevaient, on prétendit régler la figuration de toute image sacrée, l'attitude des personnages, leur physionomie, la forme et la nature de leurs vêtements, leur couleur, les accessoires qui les entouraient; la théocratie jouait là son rôle tout comme elle l'avait joué en Égypte. L'art fut dès lors enfermé dans un hiératisme rigoureux, son développement fut arrêté. Mais telle était la vigueur de son tempérament qu'il produisit encore des œuvres d'une grande valeur, et, dans les recettes qui constituent tout l'enseignement de l'école du mont Athos, on retrouve longtemps les traditions d'un art élevé.

Sont-ce ces recettes qu'il faut suivre aujourd'hui? Nous ne le pensons pas, car c'est s'enfoncer de plus en plus dans la décadence.

Ce qu'il faut prendre ou ce qu'il faudrait retrouver, ce sont les principes sur lesquels s'appuyaient les artistes qui avaient amené l'art à la sommité où on prétendit le fixer à tout jamais, principes que nous allons essayer de définir.

L'art de la peinture a, sans contredit, pour point de départ l'imitation de la nature. Pour imiter là nature, il faut l'observer. Mais il y a tant de manières d'observer la nature!... Pour nous, hommes très-civilisés, l'observation de la nature consiste en un examen analytique. Pour observer, nous décomposons: c'est la méthode scientifique. Il n'en va pas ainsi chez les peuples primitifs supérieurs. Ce qui les frappe dans la nature, c'est d'abord tout ce qui rappelle la vie ou qui semble doué de vie, et comme l'homme primitif ne saurait admettre la vie sans un organisme semblable au sien ou à ceux des animaux, il personnifie tout ce qui a mouvement réel ou apparent. Le soleil, les nuages, les fleuves sont ainsi des attributs d'êtres agissant, luttant, ayant des passions.

L'homme supérieur primitif est donc conduit à rapporter tout phénomène naturel à un être, c'est-à-dire à donner à tout phénomène naturel la figure d'un être agissant, homme ou animal. C'est là l'origine du panthéisme figuré, ou, si on l'aime mieux, de l'imagerie du panthéisme. Mais il faut donner à ces mythes un caractère qui les distingue de la foule des êtres organisés. Alors on exagère certains attributs et surtout on essaye de donner à ces images, représentant la personnification d'un phénomène, une qualité supérieure, soit en les faisant colossales, soit en leur imprimant une physionomie particulière de sérénité, de beauté, de férocité, de force, de puissance ou d'ascétisme.

Pour obtenir un pareil résultat, il faut nécessairement que l'artiste ait parfaitement observé chez les êtres organisés ces caractères dominants, savoir: ce qui constitue la sérénité, la beauté, la force et la férocité.

On pourrait croire qu'une pareille tâche est au-dessus de l'intelligence et des moyens dont l'artiste primitif dispose. Non, cet artiste primitif, du moment qu'il appartient à une race supérieure, remplit cette tâche, ainsi que le démontrent les premiers monuments figurés de l'Égypte, de l'Asie et de la Grèce ancienne, et il fait cela consciemment, car parmi ces monuments figurés de l'Égypte, par exemple, à côté du mythe qui réunit ces qualités dominantes, ce caractère particulier résultant d'une observation très-délicate de ses manifestations physiques, on trouve des portraits, c'est-à-dire des images ayant une physionomie individuelle, étant la reproduction d'une personnalité humaine spéciale, mais non d'un type général.

L'artiste primitif de race supérieure, ayant atteint un certain développement, a donc observé la nature, non-seulement dans ses expressions individuelles, mais dans les caractères généraux inhérents aux types, et il arrive ainsi à composer des résumés de ces types, résumés dans lesquels se manifeste tout particulièrement la physionomie du type reproduit, et cela, avec une vérité frappante. Ce n'est certainement pas la méthode analytique qui a pu le conduire à ce résultat, c'est une méthode inverse; c'est, pourrait-on dire, la méthode du groupement, c'est l'observation d'une certaine qualité sur un grand nombre de sujets produisant sur tous une certaine particularité physique. Et ce genre d'observation était plus facile au sein d'une population dont les mœurs étaient peu compliquées et les classifications très-tranchées, qu'elle ne le serait de nos jours. La pureté gracieuse des formes était nécessairement l'apanage de la classe dominante et oisive, de même que la souplesse des membres était le privilège du chasseur et du nautonnier.

L'artiste était ainsi conduit à composer des types correspondant chacun à un état social, et quand il voulait représenter un personnage appartenant à une certaine classe, il retraçait le type y correspondant. Ainsi faisait-il pour la représentation des animaux. Saisissant avec une singulière finesse d'observation le caractère particulier à chaque espèce, sans tenir compte des détails individuels, il composait le lion, la panthère, la gazelle, le chien, le chat, l'ibis, le héron, l'épervier, etc.

Cette manière de voir et d'interpréter la nature, non par la copie de l'individu, mais par un résumé typique de chaque espèce, devait amener à dire un jour: «C'est bien! les expressions justes sont trouvées, ne les varions plus.»

Le spectateur, placé devant l'œuvre d'art développée dans ces conditions premières, est tout aussi ému, sinon plus que ne peut l'être l'amateur blasé de nos jours qui regarde une toile. Et l'artiste égyptien qui représentait Sésostris combattant les peuples asiatiques, monté sur son char, six fois plus grand que ses soldats, foulant aux pieds de ses chevaux les Assyriens vaincus, criblés de traits, reconnaissables au type uniforme de leur physionomie, produisait plus d'effet sur la foule que ne le peut faire un de nos meilleure peintres modernes reproduisant l'épisode d'une bataille dans toute sa réalité.

Si l'on ne peut plus aujourd'hui avoir recours à ces moyens primitifs lorsqu'il s'agit de rendre par la peinture des scènes historiques ou de genre, il n'est pas moins évident que s'il s'agit de peinture monumentale, c'est-à-dire appliquée à la décoration des monuments, il est possible de se servir de ces moyens primitifs dans une certaine mesure, surtout si l'on s'adresse à la foule et non à quelque dilettante. Or, la peinture monumentale est faite pour la foule.

D'ailleurs cette manière de comprendre l'art n'est-elle pas, au total, la plus grande et plus noble? et, pour entrer dans un autre ordre d'idées, n'est-il pas plus conforme aux règles immuables de l'art de mettre sur la scène l'avare, le misanthrope, l'étourdi, c'est-à-dire un type d'un vice ou d'un travers que de montrer une individualité qui risque fort d'être une exception, un monstre? Quoi qu'il en soit, et pour ne pas étendre plus que de raison cette digression, disons que si l'art hiératique ou arrivé à l'hiératisme se plonge dans une décadence irrémédiable, l'art qui s'est produit avant le moment où l'hiératisme l'a figé est une source pure où l'on peut puiser.

L'art russe peut donc revenir à la source grecque avant l'époque où le byzantinisme chrétien a prétendu arrêter son cours. Cet art, plein de grandeur et de noblesse, pouvait se prêter au sentiment dramatique, il n'était pas momifié, ainsi qu'il le fut plus tard par les moines du mont Athos; il servit d'école aux grands peintres italiens des XIVe et XVe siècles, précurseurs des Raphaël et des Michel-Ange; il permit à ces maîtres pendant trois siècles de fournir une belle carrière; il permettrait encore d'en fournir une nouvelle si on voulait reprendre la voie qu'il a tracée, non en faisant des pastiches de ses produits, mais en étudiant la nature comme surent l'étudier les premiers artistes grecs et les premiers artistes égyptiens.

La peinture monumentale, pour produire son maximum d'effet, doit être traitée très-simplement. Non-seulement elle n'a pas besoin d'appeler à son aide les artifices de la perspective linéaire ou aérienne, mais ces moyens nuisent plutôt qu'ils n'aident à l'aspect général.

Ces peintures s'étalant sur des parois plus ou moins élevées au-dessus du sol et n'étant pas faites pour être vues comme un tableau, d'un point unique, mais au contraire, étant destinées à être vues de plusieurs points, il est évident que la perspective linéaire sera toujours défectueuse et offensera les yeux les moins exercés. Quant à la perspective aérienne,—à moins qu'il ne s'agisse d'un plafond,—par les mêmes motifs elle perdra tout son prestige. Les figures ne doivent donc occuper que deux ou trois plans rapprochés, au plus.

Nous avons dit que l'exécution doit être d'une grande simplicité. Il ne s'agit pas, comme sur une toile encadrée et placée dans un salon, d'obtenir à l'aide de sacrifices un effet saisissant par la concentration de la lumière sur un point, mais au contraire de répartir la clarté partout afin que la peinture participe de l'ensemble monumental et ne produise pas des trous ou des saillies qui nuiraient à cet ensemble.

Sous ce rapport, les Byzantins sont restés fidèles aux règles tracées certainement par les peintres grecs; ils ont évité les fonds de perspective linéaire réelle, mais les ont couverts d'or ou de semis d'ornements comme une tapisserie; de même aussi se sont-ils abstenus des plans éloignés, de toute perspective aérienne et des tons susceptibles de faire des taches dans l'ensemble.

Le dessin des figures, dans les plus anciennes peintures byzantines, est correct, très-arrêté, tient peu de compte des détails et s'attache surtout à reproduire l'allure, le geste, l'attitude des personnages; les draperies sont traitées à la manière antique, mais avec plus de maigreur et une certaine manière qui sent plus l'école que l'observation de la nature.

Fig. 93.

Fig. 93.

Les nus, sauf les têtes, sont pauvres et ne rappellent plus ce bel art antique dont il nous reste quelques débris, soit au musée de Naples, soit encore dans les catacombes de Rome. On voit que les artistes ne s'attachaient plus à cette étude et qu'ils concentraient tous leurs efforts à reproduire certains types de têtes qui d'ailleurs sont parfaits et d'une grande beauté de style.

Arrivons à faire comprendre les transformations de cet art antique sous la main des artistes byzantins. La figure 93 est la copie d'une peinture de Pompéi, déposée dans le musée de Naples. Grande simplicité de moyens, nulle recherche de l'effet. C'est un carton coloré dans l'exécution duquel le dessin tient le rôle principal. Et cependant cette peinture, par la simplicité même du moyen employé, qui ne saurait préoccuper, et par la grandeur du caractère imprimé à la figure, cause une émotion profonde.

Passons maintenant à l'examen d'une peinture grecque byzantine du IXe siècle (fig. 94)[91]. Le personnage principal représente Moïse commandant aux flots de se refermer sur l'armée de Pharaon.

Il y a encore dans le geste un sentiment dramatique puissant; du style et de la grandeur dans la façon dont est drapé le personnage; mais déjà la manière se fait sentir dans le dessin du détail. Il y a quelque chose de conventionnel dans le faire des plis; cela sent plutôt l'école que l'étude de la nature. Cependant on remarque une affectation à faire sentir le nu sous les draperies.

Poussons plus loin, arrivons au XIIe siècle. Nous donnons à la page suivante (fig. 95) la copie d'une des mosaïques qui décorent les pendentifs de la coupole centrale de l'église Saint-Marc de Venise. C'est un des quatre évangélistes. On voit percer l'exagération des défauts pressentis déjà dans la figure 94. Il est évident que l'artiste, auteur de cette image, ne s'est point inspiré de l'étude de la nature. Tout est exécuté d'après un procédé d'école. L'artiste grec veut encore exprimer le nu, et il le fait avec une singulière affectation. L'hiératisme est d'ailleurs complet, absolu, et ce n'est plus que dans les têtes que les peintres semblent se permettre de consulter le modèle vivant, ainsi que le fait voir la figure 96, représentant le saint Marc de la porte centrale de l'église de Saint-Marc de Venise[92].

Fig. 94.

Fig. 94.

Fig. 95.

Fig. 95.

Fig. 96.

Fig. 96.

Voyons où arrive cet art en Russie à une époque beaucoup plus rapprochée de nous (fig. 97)[93]. Il n'est guère possible de pousser plus loin le caractère hiératique. Mais, dans cette exagération même, il y a de la grandeur, on y sent les traditions d'une école puissante, et si le dessin est tout de convention, le style ne fait pas défaut. Or, c'est là que gît la difficulté.

L'hiératisme, dans les arts de la sculpture et de la peinture, a cet avantage, malgré la faiblesse de plus en plus grande du dessin qui ne recoure pas à la source vivifiante de la nature, de conserver le style; on peut même dire qu'il ne conserve que cela; mais c'est une qualité précieuse qui compense bien des défauts, surtout s'il s'agit de statuaire ou de peinture monumentale.

Fig. 97.

Fig. 97.

La difficulté, disons-nous, est donc, lorsque l'on prétend s'affranchir des derniers vestiges d'un art arrivé à la décadence par l'observation prolongée d'un hiératisme étroit, de conserver ce style tout en recourant à l'étude de la nature. La plupart des artistes modernes échouent dans cette tentative périlleuse. On peut même assurer qu'aucun d'eux n'a réussi à résoudre cette difficulté.

Il faut, en effet, se replacer dans les conditions d'art qui ont précédé l'établissement de l'hiératisme, retrouver ce point culminant qui luit un moment au sein d'une civilisation.

L'entreprise est-elle impossible? Nous ne le croyons pas. C'est une question d'enseignement.

Tout consiste à apprendre à observer la nature comme l'ont observée ces artistes primitifs qui ont élevé l'art si haut, qu'on a cru devoir et pouvoir le fixer à tout jamais. Mais, pour cela, il faut abandonner tous ces modèles d'après des œuvres antérieures et à l'aide desquels on prétend enseigner les arts du dessin; il faut recourir seulement à la nature, la regarder avec le sentiment large que possédaient ces artistes primitifs, s'attacher à la reproduction du caractère dominant, à l'observation du geste, dégager le sens dramatique vrai de tout ce qui tend à l'altérer. Or, au milieu de notre société civilisée, la chose est plus difficile qu'elle ne l'est au sein d'un état social primitif.

Nos mœurs, nos usages et jusqu'à nos vêtements tendent à couvrir nos corps d'un vernis uniforme; le geste nous est interdit dans ce qu'on appelle le monde; sous nos vêtements il semble ridicule, et la suprême élégance aussi bien que le maintien convenable dans un salon consistent à faire ressembler chacun à une figure de cire.

Mais une nation tout entière ne vit pas que dans les salons. Le paysan, l'homme du peuple s'affranchissent de la banalité; pour qui sait voir et observer, c'est là qu'il faut aller demander l'enseignement de l'art vrai, de l'art qui sait allier le style à la reproduction de la nature dans ses traits généraux, dans son allure vivante et toujours jeune.

Par leur situation géographique, par leur affinité avec l'Orient, les Russes sont mieux qu'aucun autre peuple en situation d'étudier la nature humaine dans ses expressions les plus vraies. Faire tomber plus bas encore la décadence byzantine ou s'efforcer d'imiter les arts italiens de la Renaissance, ce ne peut être l'avenir de la peinture monumentale russe. L'école byzantine l'a maintenue dans les limites du style, mais sans les franchir; il est possible de composer un art plein de sève en puisant dans l'étude de la nature.

C'est ce qu'ont su faire, au XIIIe siècle, nos sculpteurs et nos peintres français qui, eux aussi, étaient avant cette époque enfermés dans l'étroite école byzantine et qui, tout en conservant le style dans les arts de la statuaire et de la peinture, s'affranchirent hardiment de l'hiératisme par l'étude de la nature.

Nous ne saurions passer sous silence, en parlant de l'iconographie russe, la représentation de la Vierge qui remplit un rôle si important dans le culte grec. Là, en Russie, la Vierge est toujours représentée conformément au type caucasien le plus pur.

Nous possédons en France quelques exemples de Vierges noires, et jamais, que nous sachions, on n'a pu donner de ces images une explication plausible. Mais ce fait ne paraît pas se présenter en Russie: si les traits de la mère du Sauveur ont parfois une coloration très-brune, cela tient uniquement à l'altération des couleurs sous l'action du temps.

Passons en revue maintenant les ressources fournies par la peinture ornementale russe.

Ces ressources sont étendues, car elles ont pour champ les arts de l'Orient.

Deux éléments constituent la décoration peinte, la forme: le dessin de l'ornementation et la juxtaposition des tons, l'harmonie en un mot.

Mais nécessairement ces deux éléments sont connexes: l'harmonie colorée de l'ensemble peut dépendre en partie et dépend en effet de la composition du dessin. Or, il y a deux manières principales de procéder: ou considérer le dessin comme une ornementation posée sur un fond, ou faire que ce dessin soit combiné de telle sorte que les tons, juxtaposés à peu près suivant des surfaces égales, forment une tapisserie dont les valeurs colorantes composent un ensemble harmonieux.

Le premier de ces deux systèmes a été appliqué par les Grecs et par les Romains; le second, par les Orientaux et notamment par les Indiens, les Persans et les Arabes. C'est évidemment à ce dernier système que la décoration peinte des Russes se rattache plus particulièrement, surtout pendant la dernière période qui a immédiatement précédé l'invasion des arts occidentaux; car, antérieurement, la peinture décorative des Russes se rattachait intimement à celle des Byzantins, laquelle est une sorte de compromis entre les deux systèmes que nous venons d'indiquer.

Les peintures décoratives qui nous restent de l'antiquité grecque et romaine nous montrent, sauf en des cas très-rares, des fonds unis blancs, noirs, rouges, jaunes ou bleus, sur lesquels se détachent en vigueur ou en clair des arabesques, des rinceaux. L'ornement est ainsi, comme nous le disons, une juxtaposition.

Les Byzantins ont, en maintes circonstances, adopté ce parti et ils ont ajouté à cette variété de fonds l'or qui n'était guère employé par les Grecs et les Romains, leurs initiateurs, que comme rehauts. L'emploi de l'or, comme fond, modifia nécessairement tout le système harmonique admis par les Occidentaux, puisque cette couverte métallique a par elle-même une puissance de ton qui impose un parti très-énergique, soit en clair, soit en vigueur. L'or, d'ailleurs, présente des apparences colorées d'une extrême variété, il parcourt toute la gamme des valeurs, depuis le clair le plus brillant, qui fait grisonner le blanc, jusqu'à l'intensité sombre qui lutte avec le noir, si bien que des tons intermédiaires peuvent se confondre absolument avec les demi-teintes du métal.

De plus, l'éclat métallique de l'or, en tant que fond, a le grave inconvénient d'enterrer les couleurs et les tons, de leur donner un aspect louche. Avec les fonds d'or, on se servit donc, pour obtenir la coloration des ornements et des figures, de pâtes de verre. Ainsi l'éclat vitreux de ces matières pouvait lutter de puissance avec les reflets métalliques. L'emploi de la mosaïque n'était pas nouveau et il s'allia ainsi avec le parti des fonds d'or. Ceux-ci, d'ailleurs, étaient composés également de petits cubes de pâte recouverts d'une feuille d'or prise sous une légère couche de verre transparent. Si le métal en prenait plus d'éclat, ces petites facettes juxtaposées, séparées par une cloison de ciment, n'offrant pas une surface plane, reflétaient la lumière de différentes façons et donnaient ainsi à ces fonds une valeur colorée chaude, douce, transparente et vitreuse, que ne peut posséder la feuille d'or étendue sur une surface parfaitement dressée.

Toutefois, la mosaïque, surtout avec les fonds d'or, acquiert une telle puissance de tonalité, qu'aucune matière, aucune peinture ne peuvent lutter avec elle, à moins que ces matières ne possèdent les mêmes qualités colorantes et le même aspect métallique ou vitreux, comme les bronzes, les marbres, les porphyres, les granits et les jaspes polis.

Si l'on ne peut employer ces matériaux, il faut nécessairement renoncer à la mosaïque, sous peine d'écraser par son aspect puissant les parties des édifices qui n'en sont point couvertes. Aussi, les monuments dans lesquels la mosaïque produit un effet satisfaisant sont-ils entièrement revêtus ou de ce genre de peinture ou de matériaux précieux, y compris les pavés. Telles sont les églises de Saint-Marc à Venise, de Montréale près Palerme; telle est la charmante chapelle Royale de la même ville.

C'est donc là un moyen de décoration très-dispendieux et qui exige une exécution longue. Aussi ne peut-on le considérer comme d'un emploi ordinaire.

Quant à la peinture décorative, si les fonds d'or peuvent être employés, ce ne doit être qu'avec discrétion ou en atténuant leur éclat par un travail qui équivaut aux inégalités de facettes que présente la mosaïque. L'or, au contraire, dans la peinture, peut être employé comme rehauts pour donner une valeur particulière à des parties que l'on veut faire saillir. Mais l'or exige l'emploi de tons très-vifs et très-chauds ou de tons blancs ou presque blancs. Quant aux tons mixtes, qui n'ont qu'une faible valeur, ils offrent cet inconvénient de se confondre avec les demi-teintes du métal et d'apporter ainsi de la confusion dans la composition. Ces tons mixtes étant nécessaires toutefois en maintes circonstances, on doit les employer suivant certaines conditions dont nous rendrons compte tout à l'heure.

On peut donc dire: du moment que l'or intervient dans la décoration picturale, il faut adopter une gamme de tons différente de celle qui conviendrait si on évitait la présence du métal, et c'est de quoi l'on ne se préoccupe pas assez lorsqu'il s'agit de peintures décoratives.

Pour nous faire mieux comprendre, si, avec quelques tons légers, des gris, des rouges pâles, des jaunes et le blanc, on peut composer une décoration picturale d'un bon effet, on détruit cet effet en mêlant l'or à cette ornementation d'une tonalité douce, en ce que les reflets du métal, qui ont une extrême puissance de coloration, font paraître faux ou passés ces tons doux.

Prodiguer l'or est un moyen d'éviter la difficulté, et c'est ce à quoi beaucoup de nos peintres décorateurs modernes ont été entraînés.

Mais cette prodigalité n'est pas toujours une marque de goût et de savoir.

Les peintures décoratives de la Perse, qui sont certes d'une élégance harmonieuse rare et souvent d'une grande richesse d'effet, n'emploient l'or qu'avec beaucoup de mesure et d'à-propos.

Des peintures byzantines présentent ces mêmes qualités que l'on retrouve également dans l'ancienne décoration russe, bien qu'en Russie on ait souvent adopté les fonds d'or.

Mais, pour en revenir à notre point de départ, nous allons donner quelques exemples des deux systèmes, c'est-à-dire de l'application d'un ornement sur un fond, à la manière des anciens, et de l'ornement composé comme une tapisserie dans laquelle le fond proprement dit n'existe pas ou du moins est réduit au point de disparaître presque entièrement.

Il est clair que, dans nos exemples, nous nous servirons des éléments adoptés par les artistes, russes, savoir: des traditions byzantines, mais avec une influence orientale, autrement franche.

Dans la planche XXIX nous avons réuni les conditions qui s'imposent lorsqu'on emploie l'or comme fond. Cet ornement présente des demi-tons en assez grande quantité, suivant la méthode si habilement appliquée par les Vénitiens; mais ces demi-tons, pour prendre leur véritable valeur au contact de l'or, doivent être accompagnés de filets blancs et d'un redessiné noir assez ferme.

Que l'on suppose cet ornement dépourvu de ces deux éléments, tous les demi-tons s'enterreront dans les demi-teintes de l'or et laisseront de véritables lacunes dans la décoration.

Au contraire, soutenus par les filets blancs et le redessiné noir, leur couleur participe à l'harmonie générale, indépendamment de l'égalité de valeur.

Car il ne faut pas se priver dans la décoration des mêmes valeurs de tons juxtaposés, ce procédé donnant des résultats d'une grande finesse lorsqu'il est bien appliqué; mais il faut que ces tons de même valeur ne se confondent pas et qu'ils conservent leur coloration propre. La présence du blanc et du noir, sous forme de filets entre eux, permet d'obtenir l'harmonie douce et transparente que peut présenter l'emploi des mêmes valeurs juxtaposées.

Il est une observation dont tous les peuples doués des qualités de coloriste ont tenu compte dans l'ornementation: c'est d'employer toujours des tons rompus et de ne se servir des couleurs franches qu'exceptionnellement.

Il est impossible d'obtenir une décoration harmonieuse avec les trois couleurs: le rouge, le jaune et le bleu purs. On arrive avec beaucoup d'efforts à obtenir l'harmonie par l'emploi simultané de ces trois couleurs en y ajoutant le blanc et le noir; mais le résultat est toujours dur. Quand on analyse les tons qui composent un beau tapis de Perse, par exemple, on constate parfois la présence d'une des trois couleurs employée pure, tandis que tous les tons qui accompagnent cette couleur sont rompus. Le plus souvent, la décoration colorée n'est composée que de tons rompus, et les plus harmonieuses ne sont pas celles où les couleurs franches sont les plus nombreuses.

Ce fait peut être observé également dans les belles décorations byzantines de Saint-Marc à Venise, de Montréale à Palerme, de Torcello, et de Sainte-Sophie à Constantinople.

Les artistes anciens ont employé à profusion les gris clairs de diverses nuances et les effets les plus saisissants ont été obtenus à l'aide de ces tons, au milieu desquels apparaît une couleur pure, comme une touche qui illumine l'ensemble. Le blanc joue un rôle très-important dans ces peintures, surtout avec la présence de l'or. Et, quand on calcule, sur une peinture ou une mosaïque qui semble très-vive et soutenue de ton, les surfaces occupées par le blanc ou les tons gris très-clairs, on est surpris de l'étendue relative de ces surfaces.

Nous donnons (pl. XXX) une peinture composée dans ces conditions, d'après les éléments russes. Il n'y a dans cette peinture de parement que des tons rompus, des touches d'un rouge vif peu importantes comme surface occupée, puis des tons blancs.

Mais une des conditions de l'harmonie est de diviser ces tons rompus, tout en conservant au dessin d'ensemble des dispositions larges qui permettent d'en saisir l'ordonnance.

Les Persans et les Arabes ont poussé cette qualité très-loin, et jamais leurs peintures ne présentent de confusion. Si délicats que soient les détails, si multipliées que soient les divisions, l'œil retrouve toujours un thème large, facile à saisir comme dessin et comme parti de coloration, sans cependant qu'il y ait solution entre les divers membres de la composition. Quand une peinture décorative est traitée à la manière antique, ou encore comme celle que présente la planche XXIX, c'est-à-dire quand elle consiste en un ornement plaqué sur un fond, l'harmonie est simple: il suffit d'obtenir un effet en clair ou en vigueur du fond sur cet ornement, ou de celui-ci sur le fond; mais quand l'ornementation peinte rentre dans le parti des tapisseries ou parements, le problème est plus délicat et plus compliqué. Si l'on veut obtenir une harmonie brillante ou sombre, triste ou gaie, heurtée ou douce, il faut avoir recours à des ressources très-diverses et très-étendues; il faut calculer, peser, pourrait-on dire, la valeur de chaque ton, afin de donner à ces valeurs une puissance voulue en raison de l'effet à obtenir; car il est bien entendu que ces valeurs sont relatives et ne remplissent leur rôle que par suite de leur opposition à une autre valeur.

Que les peuples orientaux soient arrivés à des résultats merveilleux sous ce rapport, d'instinct ou par une longue expérience pratique, d'où aurait découlé un enseignement méthodique, cela importe peu; mais ce que nous pouvons constater, c'est que, si la théorie n'a pas précédé la pratique, elle peut la suivre et que, en ceci comme en bien d'autres choses, l'observation vient expliquer comment le sentiment de l'artiste se conforme à certaines lois que la science constate et définit.

Certes, jamais la démonstration scientifique ne fera composer une peinture décorative harmonieuse; mais elle peut expliquer pourquoi et comment cette peinture décorative est harmonieuse, et éviter ainsi à l'artiste de longs tâtonnements, surtout si les traditions ont été altérées ou perdues.

Or, l'instruction d'art prétendu classique, imposée à l'Occident et qui n'a pas été épargnée à la Russie lorsqu'elle croyait bon d'imiter les Occidentaux, a suggéré les idées les plus incomplètes et souvent les plus erronées en matière de décoration picturale.

On a cru faire de la peinture néo-grecque en posant à côté les uns des autres des tons pâles, presque toujours faux, parce que, dans les ruines, on trouvait des traces de peintures ternies et altérées par le temps, tandis que l'on supposait imiter les colorations décoratives du moyen âge en juxtaposant au hasard les couleurs les plus vives et les plus criardes.

L'art russe, par ses rapports fréquents avec l'Orient, par ses traditions, peut mieux qu'aucun des arts de l'Europe échapper à cette funeste étreinte de l'enseignement classique occidental, contre lequel il nous est si difficile de réagir. Le voisinage de la Perse, ses relations avec l'extrême Orient, lui permettent de rentrer franchement dans la véritable voie de la peinture décorative monumentale.

Dans les étoffes, dans les broderies qu'il fabrique, le peuple russe montre qu'il est demeuré fidèle à d'anciennes traditions précieuses.

Il suffit donc que l'enseignement les veuille reprendre en tournant ses regards vers l'Orient, non vers l'Occident. Comme le dit judicieusement l'auteur du texte qui accompagne les dessins de broderie,—dont nous avons donné quelques exemples figures 17, 18, 19 et planche IV[94],—les dessins russes brodés ou tissés sur toile ont conservé des exemples nombreux et originaux de l'art russe. Sur les essuie-mains, sur les draps de lit, sur les taies d'oreiller, sur les chemises, sur les tabliers, sur les coiffures, c'est-à-dire sur tous les objets d'un usage journalier, vêtements du paysan russe ou mobilier de l'izba, se sont manifestés de tout temps les goûts de ces populations pour les arts. Représentations religieuses, symboliques, traditionnelles, combinaisons géométriques ingénieuses, forment des dessins charmants exécutés avec une rare perfection et d'une harmonie remarquable de tons.

On sent là une influence asiatique qui remonte aux époques les plus anciennes et qui s'est conservée pure jusqu'à nos jours.

On peut, en examinant ces broderies, se rendre compte du procédé employé pour composer leurs dessins.

La figure la plus importante, celle qui occupe le centre de chaque motif, a été d'abord tracée, puis sont venus s'adjoindre les ornements secondaires qui accompagnent le sujet central, puis enfin les remplissages.

Ainsi était obtenue une composition toujours pondérée, symétrique et dans laquelle les parties colorées sont heureusement réparties sur les fonds blancs de la toile.

C'est là, en effet, le secret de la composition de toute ornementation de parement, de toute broderie, depuis les temps les plus reculés.

Le goût du paysan russe pour la décoration picturale se manifeste incessamment. Le Slave est évidemment plus sensible aux effets de la couleur qu'à ceux obtenus par la forme plastique; et, en cela aussi, se rapproche-t-il plutôt des peuples de l'Asie que de ceux de l'Occident. Dans l'izba, rarement trouve-t-on une image sculptée, tandis que l'image peinte se rencontre partout.

La destination de ces essuie-mains, de ces draps brodés, dont nous parlions tout à l'heure, est variée. Les jours fériés, ces pièces d'étoffe brodée servent à décorer l'izba à l'intérieur.

A cet effet, on suspend ces morceaux de toile brodée, comme des lisses, à des ficelles tendues le long du mur. Par intervalles s'attachent les icônes, et ainsi la salle est-elle décorée d'une peinture murale.

Ces usages, très-anciens chez le paysan russe, indiquent assez combien la décoration peinte est populaire. Mais ce qui témoigne encore de cette ancienneté, c'est que nous retrouvons dans ces broderies ces figures affrontées qui apparaissent sur les monuments les plus anciens de la Russie, ainsi que nous l'avons fait connaître, et chez les Iraniens.

Les représentations que nous retrouvons également dans l'ornementation persane moderne sont une tradition des anciennes figures symboliques de l'art iranien. Les oiseaux, les chevaux, les lions, les figures humaines qui apparaissent dans l'ornementation russe et notamment dans les broderies, par paires et pour la plupart affrontés devant un arbre[95], ne sont autre chose qu'une tradition de ces mêmes figures disposées de la même manière sur les cylindres, les bas-reliefs, les chapiteaux, ustensiles et vases de l'art assyrien et ancien persan; tradition venue jusqu'à nous par l'intermédiaire d'exemples existant en Perse depuis l'ère chrétienne.

Nous avons dit que l'ornementation persane et l'art persan ont exercé une influence considérable sur les arts byzantin et arabe; et ceci pouvait faire croire que la Russie n'a reçu ces traditions que de seconde main. Mais, indépendamment des objets scythes dont nous avons donné quelques exemples et qui reproduisent les mêmes représentations d'animaux affrontés, ces broderies d'une époque récente n'ont pas le caractère de l'ornementation byzantine et semblent empruntées à une source beaucoup plus pure.

En cela, nous nous trouverions d'accord avec l'auteur d'un ouvrage déjà cité. M. Victor de Boutovsky dit, en effet, à propos de ces broderies:

«Cette industrie de village a des origines fort anciennes; elle compte certainement des siècles d'existence. Les ethnographes et les archéologues y trouvent la trace des styles byzantin et oriental: ils sont fondés sans doute à l'expliquer par de longs et anciens rapports des Russes, tantôt avec l'empire grec, d'où ils ont reçu la religion orthodoxe, tantôt avec les tribus asiatiques, dont ils ont subi le joug.... Néanmoins, un examen attentif de ces œuvres naïves y fait découvrir les signes d'une origine sui generis

Fig.

Cette ornementation des étoffes au moyen de la broderie ou du tissage est évidemment un art transmis d'âge en âge, avec des modifications peu sensibles. Le tracé géométrique commande habituellement le dessin, et cette méthode est suivie, comme on sait, dans la plupart des décorations peintes de la Perse et des Arabes.

Elle peut fournir les éléments les plus variés, et nous ne croyons pas nécessaire d'en présenter plus d'un spécimen (pl. XXXI) dans une tonalité claire et suivant les données traditionnelles de l'art russe.

On peut d'ailleurs se faire une idée exacte des ressources que fournit l'art de la peinture décorative russe en consultant l'Histoire de l'ornement russe du Xe au XVIe siècle, d'après les manuscrits[96].

Dans l'Introduction de ce précieux ouvrage, M. V. de Boutovsky fait parfaitement ressortir les aptitudes du peuple russe pour la décoration picturale:

«Sans parler, dit-il, du caractère poétique des chansons nationales en Russie, du goût si prononcé du paysan russe pour la musique, il suffit de citer la recherche particulière qui préside au décor de sa demeure, de son mobilier modeste et peu varié, de ses simples et grossiers tissus. En parcourant les villages de la grande Russie, on se plaît à regarder les bordures à dessins multicolores, souvent d'une légèreté charmante, qui ornent les serviettes, les nappes, les chemises et autres produits du même genre de travail rustique des villageoises russes.... La même ornementation caractéristique se retrouve dans les chariots, les traîneaux et les bateaux des paysans russes. Le vêtement national de l'un et de l'autre sexe en Russie porte un certain cachet d'élégance; les couleurs vives y dominent, sans offenser l'œil par trop de bigarrures; simple et même grossier dans ses éléments, le costume russe présente de l'harmonie et se prête facilement, moyennant de légères modifications, aux exigences du goût le plus épuré.»

On peut en dire autant de la décoration peinte. Les vignettes des manuscrits russes présentent toujours une entente parfaite de l'harmonie des tons et, très-souvent, un dessin aussi élégant qu'ingénieux en dépit de la naïveté de certains détails. Ces peintures sont d'un aspect frais, gai, brillant, et leur étrangeté même est pleine de charme.

En un mot, il y a là les principes d'un art vivant qui n'ont été altérés qu'au moment où les éléments occidentaux sont venus s'y mêler.


CONCLUSION


Dans un rapport, plein de renseignements précieux, fait sur l'Exposition de Vienne, en 1873, par M. Natalis Rondot, on lit ce passage:

«La Russie a eu, à différentes époques de son histoire, un art national dont les origines sont obscures; mais l'affinité est grande entre cet art et celui d'Orient. On voit, suivant le temps, le caractère primitif tantôt accentué, tantôt altéré par quelque influence finnoise, mongole ou persane; tantôt à demi effacé par des traits empruntés au style byzantin ou au style indou. Charmée par les inventions de l'art français, la société russe lui a donné depuis longtemps ses préférences, et c'est récemment qu'elle est revenue au goût du vieil art slavon...»

C'était bien observé et bien dit, et c'est en face de ce mouvement national de la Russie en faveur de ses arts que nous avons essayé d'en apprécier les origines, les développements et les expressions si originales.

Découvrir les sources auxquelles un grand peuple composé de races diverses avait dû puiser, démêler au milieu des siècles de barbarie le travail d'assimilation entre des éléments existants sur le sol ou fournis par des civilisations antérieures et voisines, examiner comment le génie populaire dégagea un art du milieu de ces éléments, la tâche était séduisante.

Nous l'avons entreprise non sans quelque appréhension; mais plus nous entrions dans cette étude, à l'aide des nombreux documents qui nous étaient fournis généreusement par les personnages les plus éminents de l'empire russe, soutenus par les travaux de M. Victor de Boutovsky, de M. Natalis Rondot, renseigné par les notes recueillies sur place par M. Maurice Ouradou, le travail, entrepris d'abord avec une défiance trop naturelle, nous a paru bientôt présenter un vif intérêt; il nous permettait de soulever un des coins du voile qui couvre encore l'histoire des arts asiatiques.

Sur place, dans la Russie même, nous retrouvions des monuments scythiques d'une valeur considérable et datant d'une haute antiquité; puis, venaient se joindre à ces éléments primitifs les influences de l'art grec, de l'ail byzantin, ou plutôt dues aux sources auxquelles l'art byzantin avait été puiser.

L'histoire de la Russie nous donnait successivement l'occasion de rechercher le caractère propre aux monuments appartenant aux phases si étranges de cette histoire, et nous arrivions à expliquer ainsi les principales transformations de l'art russe.

Bientôt, à la confusion qui semblait résulter de tant d'éléments divers succéda, dans notre esprit, un ordre logique, conséquence des aptitudes de race, des relations de ce vaste territoire russe avec l'Asie orientale et méridionale; et à chaque grand fait historique se rattachait ainsi un certain mouvement dans le développement de l'art.

Et cependant apparaissait toujours l'empreinte du génie national qui s'assimilait ces éléments, les ramenait bientôt à un tout remarquable par son unité d'expression.

Le doute disparaissait: il y a un art russe, car le propre de tout art ayant un caractère national est précisément de posséder une sorte de creuset dans lequel viennent se fondre les influences étrangères, pour composer un corps homogène.

Mais là ne devait pas se borner notre tâche. Il nous a paru que nous pouvions insister sur les conséquences qu'on peut tirer de cette étude.

Il est bien évident que le peuple russe a su conserver à l'état latent les traditions de son art et qu'il n'est pas trop malaisé, par conséquent, de les reprendre pour qu'elles suivent de nouveau leur cours naturel momentanément interrompu.

Ce n'est jamais d'en haut que surgissent les principes vivifiants sans lesquels l'art se traîne dans les pastiches: c'est d'en bas, c'est par le sentiment ou l'instinct populaire. Tout renouvellement se fait par suite d'une élaboration dans l'esprit du peuple, des masses: il n'est jamais le produit d'une élite.

Les écoles d'art russe n'auront probablement pas de longues luttes à soutenir pour ressaisir ces traditions, pour les développer et leur faire produire des fruits; car il est bien entendu que nous ne considérons pas l'hiératisme comme le dernier mot dans les arts; mais, conserver la chaîne et y ajouter chaque jour un nouveau chaînon, c'est ce que doit se proposer tout art national.

Nous n'ignorons pas que de bons esprits s'élèvent aujourd'hui contre ces tentatives de retrouver, et de perpétuer les arts nationaux. Ils prétendent que l'art est cosmopolite, un, et qu'il est vain de tenter de rendre aux expressions diverses de l'art une autonomie. A leurs yeux, il n'y a que l'art et, par suite, qu'une expression supérieure de l'art que chacun doit s'efforcer d'atteindre.

En théorie, cette manière de voir est séduisante; mais, dans la pratique, elle conduit fatalement à l'uniformité et aux pastiches.

Il faut bien reconnaître d'ailleurs que tous les peuples ne sont pas doués des mêmes aptitudes, et que d'un Prussien, d'un Normand ou d'un Anglais, on ne fera jamais un Grec.

Qu'il y ait, parmi toutes les expressions connues de l'art, un produit supérieur aux autres au point de vue esthétique, cette théorie peut se soutenir, mais il ne s'ensuit pas que ce produit supérieur, qui s'est manifesté au sein d'une certaine civilisation, dans des circonstances particulièrement favorables, soit le seul et doive être le but unique vers lequel tendront d'autres civilisations.

Or, si le Slavo-Russe a des affinités avec le Grec et l'Asiatique, il n'en a guère avec le Romain.

Pourquoi contraindrait-il sa nature?

Il semble,—contrairement à cette pensée de ramener l'art à un type unique, déclaré le meilleur (ce qui est d'ailleurs toujours contestable),—que l'essence même de l'art est non-seulement la variété dans ses produits, mais la conformité de chacune de ses diverses expressions avec les mœurs et le génie de chaque peuple. Autrement, l'art risque de n'être qu'une plante exotique en serre chaude, de ne pouvoir atteindre son développement et de ne présenter que des pastiches, et des pastiches souvent mal compris.

Les imitations d'un temple grec ou romain, transportées a Londres, à Berlin, à Paris ou à Saint-Pétersbourg, semblent non-seulement déplacées, mais jurent avec les mœurs, les habitudes et les traditions des populations au milieu desquelles s'élèvent ces édifices, comme des hors-d'œuvre faits pour plaire à quelques dilettanti.

Chaque peuple peut exceller dans le genre qui lui est propre et fournir ainsi des œuvres plus ou moins belles ou charmantes, mais certainement originales; et, dans les arts, de toutes les qualités la plus précieuse parce qu'elle est naturelle, c'est l'originalité. Cette qualité essentielle s'altère parfois sous certaines influences; mais le peuple la conserve quoi qu'on fasse, en dépit des systèmes, des modes et d'un enseignement étranger.

Au lieu de chercher à étouffer ces qualités natives, tout enseignement vraiment national doit tendre à les distinguer, à les développer et à leur faire produire tout ce qu'elles peuvent produire.

Notre siècle aura fait de grands pas dans cette voie; le premier, il aura su dresser un inventaire exact des ressources fournies par les différentes civilisations; il aura su fouiller dans le passé afin de retrouver les origines, et il permettra ainsi à ces civilisations variées de reprendre leur bien propre.

Beaucoup voient un péril dans cette tendance des civilisations modernes vers l'autonomie; plusieurs traitent ces tendances de chimères, de mode passagère provoquée par les théories de quelques savants.

Les uns et les autres, attachés aux idées qui régnaient dans le dernier siècle et au commencement de celui-ci, ne tiennent pas compte d'un phénomène qui s'est produit depuis lors et qui prend chaque jour plus d'importance.

Les études historiques, ethnographiques, anthropologiques ne sont point une chimère. Ce qui est chimérique, ou pour parler plus correctement, ce qui est vain, c'est l'étude historique comme on la faisait jadis, la compilation chronologique des faits politiques, des accidents successifs, sans tenir compte de l'origine des peuples, de leurs éléments d'agrégation ou de désagrégation, de l'état des masses aux divers moments de l'histoire et des influences produites par les invasions à l'intérieur ou par la conquête à l'extérieur. Ce qui est vain, c'est l'étude historique présentée en vue de prouver l'excellence d'un système gouvernemental théocratique ou politique, conçu a priori, comme est, par exemple, l'Histoire universelle de Bossuet qui fait converger les quelques civilisations dont s'occupe l'illustre écrivain autour d'un peuple prédestiné.

Ce qui est passé de mode, à tout jamais probablement—à moins qu'une période de barbarie ne succède à l'état présent des lumières,—c'est cette façon d'écrire l'histoire. Il faut là-dessus prendre son parti.

L'histoire doit aujourd'hui tenir compte tout au moins de l'ethnographie, c'est-à-dire ne plus se contenter de relater des faits passés, souvent à l'état de légendes, mais s'occuper des conditions de formation, d'existence et de développement des populations dans les diverses phases qu'elles ont dû traverser, des migrations, des invasions qui ont pu modifier ces conditions, des institutions que ces populations se sont données ou qu'elles ont acceptées, des influences climatériques, géologiques ou géographiques.

L'histoire des arts est essentiellement déduite de ces conditions diverses; mais les écrivains qui ont bien voulu s'occuper de cette expression du génie des peuples, la plus vive et la plus persistante peut-être, sont généralement en retard sur le siècle et veulent considérer ces arts à un point de vue absolu, en partant d'un idéal fixe.

Ils procèdent ainsi comme l'historien des religions répandues sur le globe, qui les analyserait les unes après les autres, en considérant à priori l'une de ces religions comme l'expression de la vérité absolue. C'est de la doctrine, non de la science.

En d'autres termes, les écrivains, s'occupant des arts, soutiennent une thèse. Nous croyons que cette manière de procéder n'est pas de nature à éclairer les questions et à faire progresser la civilisation.

La civilisation n'est pas tout d'une pièce, elle se compose d'éléments divers, souvent opposés même, et qu'il est bon de développer dans leur sens propre.

Procéder autrement c'est, croyons-nous, méconnaître les lois les plus élémentaires.

Nous avons donc essayé, dans ces chapitres, de faire ressortir la valeur des arts que possède la Russie, les origines et la nature de ces arts, comment ils ont procédé, se sont développés, et de préciser le but où ils doivent tendre. Leur originalité ne nous parait guère contestable, leurs ressources sont étendues, et, loin d'admettre que la Russie tourne le dos à la civilisation en abandonnant l'imitation des arts occidentaux, nous pensons au contraire qu'elle agira dans son propre intérêt aussi bien que dans l'intérêt de l'art en général, si elle puise résolument dans son propre fonds.

Il n'est pas nécessaire que les peuples n'aient à leur disposition, pour participer au grand concert de la civilisation et du progrès humain, qu'une même expression, un même sentiment sur toute chose. La diversité n'exclut nullement l'harmonie; elle en est au contraire une des conditions essentielles, et l'entente—si jamais elle doit s'établir—entre les diverses nations du globe résultera de la libre expression des aptitudes, des goûts, des tendances de chacune d'elles.

FIN

NOTES:

[1] Les habitants du territoire de Kiew.

[2] Voisins des Polaniens, sur les bords de la Desna, de la Séma et de la Soula, dans les Gouvernements de Tchernigov et Pultava.

[3] Sur les bords de la Seja, dans le gouvernement de Mohilof et sur l'Oka, dans les gouvernements de Kalouga, de Toula et d'Oral.

[4] Vivien de Saint-Martin, Histoire de la géographie.

[5] L'Empire grec au Xe siècle, par Alfred Rambaud.

[6] Ces noms sont on effet scandinaves.

[7] En 866.

[8] Karamsin, Histoire de Russie.

[9] Madjares, Hongrois de nos jours.

[10] Renseignements fournis par M. Guise, consul de France à Damas et relatés par M. Choisy dans son Mémoire adressé à la Commission des Annales des ponts et chaussées. (Voyez Note sur la construction des voûtes sans cintrage pendant la période byzantine, par M. Choisy, ingénieur des ponts et chaussées.)

[11] Monastère de Vatopedi (Athos).

[12] Dictionnaire raisonné de l'architecture française du Xe au XVIe siècle (art. VOÛTE)

[13] Voûte de la grande citerne de Constantinople.

[14] Citernes de Constantinople; l'une, près de celle des mille et une colonnes; l'autre, récemment découverte au nord-est de l'Et-Meïdan.

[15] Nous avons développé ces observations dans l'Histoire de l'habitation humaine.

[16] Musée de Saint-Germain-en-Laye.

[17] A l'époque dite de l'âge de bronze.

[18] Bibliothèque synodale, Moscou. Voyez l'Histoire de l'ornement russe du Xe au XVIe siècle, d'après les manuscrits, avec une préface de M. Victor de Boutovsky. Pl. I.

[19] Ibid. Pl. II.

[20] Œuvres de Saint-Grégoire de Nazianze, Ibid., pl. VII.

[21] Les églises anciennes de Kiew, bâties par la grande Olga, étaient de bois. Dans cette ville, la tradition rapporte que l'église de la Dîme fut la première qui fut construite en maçonnerie (999). Fondée par le grand prince Vladimir, tout ce que l'on sait de cette église, c'est qu'elle était construite en pierre et brique et ornée à l'intérieur de peintures et de mosaïques. (Histoire de l'architecture en Russie, par Val. Kiprianoff.)

[22] Église de Saint-Nicodème, à Athènes.

[23] L'Empire grec au Xe siècle, p. 531.

[24] Melpomène, liv. IV, LXXXI.

[25] Id., liv. IV, CVIII.

[26] Au tiers de l'exécution. (Voy. Recueil d'antiquités de la Scythie, publié par la Commission impériale archéologique. Saint-Pétersbourg.)

[27] Musée du Louvre.

[28] Aux deux tiers de l'exécution.

[29] Moitié d'exécution.

[30] A, broderie d'un tablier tchérémisse; B et D, d'une chemise ostiaque; C, d'un costume vollaque. (Musées de la Société géographique, de l'Académie des sciences. L'ornement nat. russe, broderies, tissus, etc., avec texte explicatif de W. Stassof. Saint-Pétersbourg.)

[31] Bordure d'un essuie-mains; gouvernement de Twer (Ibid.).

[32] Broderie sur la manche d'une chemise mordwine, coton jaune et bleu, soie noire et laine rouge, bordure de perles fausses. (Acad. des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg.)

[33] Zend-Avesta.

[34] Mensch, homme.

[35] Recherche sur le culte de Mithra, sect. I, chap. V, Félix Lajard.

[36] Le Zend-Avesta.

[37] Taureau-homme.

[38] Nom du feu Créateur.

[39] Femelle qui représente la Terre.

[40] Voyez l'Atlas de l'ouvrage de M. J. Lajard, pl. XXV, XXXVIII, XLIII, XLIX.

[41] Fragment d'une cuirasse de cuivre rouge, travail au repoussé (Musée du Louvre). Lajard.

[42] Lajard, cylindre de belle hématite.

[43] Bas-relief découvert à Persépolis par M. le colonel Macdonald Kinneir. Lajard.

[44] Seuil, Antiquités de Ninive. Place.

[45] Boucles de baudriers (Musée de Saint-Germain, Musée de Dijon).

[46] Évangéliaire du XIIIe siècle. Moscou, cathédrale de l'archange Saint-Michel. Histoire de l'ornement russe. (Voyez l'Introduction de H. V. de Boutovsky.)

[47] Manuscrit, biblioth. d'Amiens, provenant de l'ancienne abbaye de Corbie (XIIe siècle). Psautier.

[48] Manuscrit de la sacristie du couvent de Saint-Serge (Troïtza Sergié) (XIVe siècle). Histoire de l'ornement russe, pl. XXXVIII.

[49] Église de Saint-Nicodème d'Athènes.

[50] Église de Kapnicarea, Athènes.

[51] Le couronnement bulbeux de la coupole est d'une époque plus récente.

[52] Voyez les Entretiens sur l'architecture et, dans le Dictionnaire de l'architecture française du Xe au XVIe siècle, les articles PROFIL, SCULPTURE.

[53] Voyez la Syrie centrale, par M. le comte de Vogué, planches de M. Duthoit.

[54] Cabinet de l'auteur.

[55] Voyez Monuments d'architecture byzantine en Arménie et en Géorgie, par Grimm.

[56] Voyez l'Histoire de l'ornement russe.

[57] VIIe siècle avant J.-C.

[58] D'après des photographies.

[59] Au XIIIe siècle, ces Tatars, qui possédaient presque toute l'Asie jusqu'à son extrémité orientale, avaient adopté le luxe des peuples conquis. Il suffit, pour constater ce fait, de lire les relations de Marco Polo. Voici comment le célèbre voyageur décrit le palais du grand Khan, dans la cité de Khanbalou (Pé-king): «Et, en milieu de cestes mures est le palais dou grant sire qui est fait en tel mainere con je voz dirai. Il est le greingnor que jamès fust veu. Il ne a pas soler (il n'y a qu'un rez-de-chaussée) mès le paviment est plus aut que l'autre tore entor dix paumes. La covreure est mout autes, mes les murs de les sales et de les canbres sunt toutes covertes d'or et d'argent, et hi a portraites dragons et bestes et osiaus et chevals et autres diverses jenerasions (espèces) des bestes; et la coverture est aussi faite si que ne i se port autre que hor et pointures. La sale est si grant et si larges, que bien hi menuient plus de six mille homes. Il ha tantes chanbres que c'en est mervoilles à voir. Il est si grant et si bien fait que ne a home au monde que le pooir en aiist qu'il le seust miaus ordrer ne faire, et la covreture desoure sunt tout vermeile et vers bloies et jaunes et de tous colors, et sunt envertrée (vernie) si bien et si soitilemant, qu'il sunt respredisant corne cristians, si que mout ou loingne environ le palais luissent. Et sachiés que cele covreure est si fort et si ferméement faite que dure maint anz...»

Recueil de voyages et mémoires publiés par la Société de géographie, t. I. Paris, 1824. (Voyages de Marco Polo.)

[60] Ménologe du XIVe siècle, collection Pogodine, Saint-Pétersbourg, Bibliothèque impériale. (Voyez Histoire de l'ornement russe, pl. XLIX.)

[61] Les quatre sujets qui occupent la partie inférieure du vantail de gauche représentent: la descente de la croix, l'ensevelissement, l'apparition de Jésus aux apôtres et l'ascension

[62] Musée l'Oroujeinaia Palata, à Moscou. (Antiquités de l'Empire de Russie, édit. par ordre de S. M. l'Empereur.)

[63] Elle aurait été apportée du Mont-Athos, par Théodore.

[64] Voyez les dernières figures jointes à notre texte.

[65] Korsoune (chersonèse), c'est-à-dire issue du berceau de la religion grecque en Russie.

[66] «Il n'y a encore que la Chine, disait M. J. Mohl dans un Rapport annuel fait à la Société asiatique en 1846, où un pauvre étudiant puisse se présenter au concours impérial et en sortir grand personnage. C'est le côté brillant de l'organisation sociale des Chinois, et leur théorie est incontestablement la meilleure de toutes. Malheureusement, l'application est loin d'être parfaite. Je ne parle pas ici des erreurs de jugement et de la corruption des examinateurs, ni même de la vente des biens littéraires, expédient auquel le Gouvernement a quelquefois recours en temps de détresse financière...»

[67] Voyez dans les tombeaux scythes, des objets grecs et aborigènes mêlés (pl. II et III et fig. 15).

[68] Voyez planche VI.

[69] Basile le Bienheureux.

[70] Enceinte du couvent de Saint-Serge, à Troitza, près Moscou.

[71] Planche IX.

[72] Histoire de l'ornement russe, du Xe au XVIe siècle, d'après les manuscrits; texte historique et descriptif par S. Exc. M. V. de Boutovsky, directeur du Musée d'Art et d'Industrie de Moscou.—100 planches en couleur, reproduisant en fac-simile 1332 ornements divers du Xe au XVIe siècle, et 100 planches à deux teintes représentant des motifs isolés et agrandis. Paris, Librairie Ve A. Morel et Cie (Voy. la Préface de M. de Boutovsky.)

[73] Psautier, Bibliothèque du couvent de Saint-Serge, gouvernement de Moscou.

[74] Missel, XVIe siècle, Bibliothèque de la Laure de Saint-Serge.

[75] L'Histoire de l'ornement russe.

[76] Les cantiques de louanges, XVIIe siècle, Bibliothèque de la Laure de Saint-Serge.

[77] Editées par ordre de S. M. l'Empereur Nicolas Ier.

[78] Sur l'une des portes d'un temple de la ville de Bhopal.

[79] Temple de la ville de Bhopal.

[80] Gouvernement de Kostroma.

[81] Bazar.

[82] Histoire de Russie, t. VII, p. 279. Traduction de MM. Saint-Thomas et Jauffret. Paris, 1820.

[83] Herbentein, Ber. Mosc. Comment, p. 92.

[84] Voyez à ce sujet la relation de l'ambassadeur Jenkinson (1557) à la cour d'Ivan IV: au banquet de Noël, pendant lequel Jenkinson eut l'honneur d'être admis en face de l'Empereur. «Les tables, dit-il, ployaient sous le poids de la vaisselle d'or et de la vaisselle d'argent. Il était telle coupe enrichie de pierreries qui eut valu à Londres 400 livres sterling. Une pièce d'orfèvrerie avait deux yards de long; des têtes de dragons admirablement ciselées y flanquaient des tours d'or.» (Voy. Revue des Deux-Mondes, 1er octobre 1876: les Marins du XVIe siècle, par le vice-amiral Jurien de la Gravière.)

[85] Revue des Deux-Mondes, livraison du 1erer avril 1876.

[86] Voyez Syrie centrale, architecture civile et religieuse du Ier au VIe siècle, par M. le comte Melchior de Vogué; dessins de M. Duthoit.

[87] Syrie centrale. Betoursu.

[88] Kaben, Géorgie

[89] Voyez les figures 32, 33 et 34.

[90] Voyez figure 87.—Bien que ce fragment du monument d'Ellora soit taillé à même le roc, il reproduit évidemment une couverture métallique ou se prête à l'emploi de ce système de couverture.

[91] Manuscrit grec. Psalm. Biblioth. nationale, Paris.

[92] Mosaïque du XIIe siècle.

[93] Image de l'Assomption de la Vierge (au revers de l'image de Notre-Dame-du-Don).

[94] Voyez L'ornement national russe, 1re livraison, BRODERIES, TISSUS, DENTELLES. Édité par la Société d'encouragement des artistes.—W. Stassof, Saint-Pétersbourg.

[95] Tradition du culte de Mithra.

[96] Ve A. Morel et Cie, Paris.

Paris.--IMPREMERIE DE M. MARTINET, RUE MIGNON, 2.


ERRATA (déjà corrigés)

Page 8, ligne 2.—Au lieu de Sanovoy, lisez Stanovoy.

Page 10, ligne 9.—Au lieu de Kostof, lisez Rostov.

Page 10, ligne 21.—Au lieu de Varègnes, lisez Varègues.

Page 13, ligne 15.—Au lieu de Rostof, lisez Rostov.

Page 120, ligne 3.—Kremnik, ajoutez ancien nom du Kremlin.

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