L'Illustration, No. 3740, 7 Novembre 1914
LE GOUVERNEMENT BELGE AU HAVRE.—Une cérémonie quotidienne: chaque matin, devant l’hôtel affecté au ministère de la Guerre de Belgique,
les couleurs nationales belges sont hissées au sommet d’un mât et saluées par la garde ainsi que par le personnel et les officiers du ministère.
LA QUATORZIÈME SEMAINE DE GUERRE
29 octobre-4 novembre
La bataille continue avec une violence croissante sur tout l’immense front de la mer du Nord à la plaine d’Alsace; mais entre la Lys et la mer se joue sans doute la partie décisive. Si ardente que soit la mêlée dans beaucoup de régions, nulle part autant d’hommes ne sont aux prises; nulle part autant de races humaines ne participèrent à une guerre; nulle part aussi une telle accumulation de moyens d’attaque et de défense n’a encore été constatée. La bataille du droit et de la civilisation contre la barbarie a recruté des soldats jusque parmi les peuplades variées de l’Inde, les Arabes et les Berbères de l’Afrique du Nord, les nègres de l’Afrique occidentale. Les navires de l’Angleterre et de la France prennent une part considérable et glorieuse aux combats sur la terre ferme; l’aviation y participe par des flottes aériennes plus considérables et plus agissantes que celles jusqu’ici mises en ligne. Lorsqu’on connaîtra par le détail tous ces événements qui nous sont à peine révélés, les fictions les plus extraordinaires de Jules Verne et de ses imitateurs paraîtront bien dépassées.
Toute la semaine, les Allemands ont déployé une activité confinant à la furie. Ce n’est pas seulement vers Dunkerque et Calais qu’ils ont voulu percer: leurs opérations contre Arras paraissaient menacer Boulogne; en Picardie, ils voudraient trouer dans la direction d’Amiens; sur l’Aisne, on dirait qu’ils veulent retourner vers l’Ourcq et la Marne; par l’Argonne, la Meuse et la Woëvre, ils tentent d’envelopper Verdun; enfin du côté de la Seille, ils poussent de nouvelles pointes sur Nancy. Chaque jour les communiqués employaient les mêmes termes: «Violentes attaques sur tout le front.» Ces attaques ont été presque partout infructueuses, malgré l’effrayante consommation d’hommes qu’elles ont demandée à l’ennemi. C’est à plus de 200.000 que le colonel Repington, du Times, évalue le nombre des soldats sacrifiés par le commandement allemand depuis un mois. Cette semaine particulièrement sanglante s’est achevée par des symptômes de victoire qu’a soulignés la visite du président de la République à nos vaillantes troupes et par l’excursion sur le front même de la bataille, accomplie par M. Poincaré en compagnie de l’admirable roi des Belges.
LA BATAILLE DES FLANDRES
Les Allemands ont d’abord porté leur principale action sur les bords de l’Yser, entre l’embouchure du petit fleuve et Dixmude. Grâce à des masses sans cesse renouvelées ils avaient pu franchir le cours d’eau, et même dépasser le chemin de fer en occupant Ramscappelle et Perwyse. Les troupes belges ont eu recours à la mesure suprême des inondations: rompant les digues de l’Yser, tendant les barrages, nos amis ont amené le flot insidieux dans la plaine basse des polders. En même temps, aidés par nos troupes, ils enlevaient les villages occupés, et, sur les chaussées dominant les eaux, ont refoulé les colonnes ennemies du côté opposé, en leur infligeant des pertes considérables. Aux dernières nouvelles, Belges et Français avaient à leur tour traversé la rivière et se portaient vers la route d’Ostende à Dixmude où déjà serait parvenue à Leffinghe une colonne qui longea les dunes, tandis qu’une autre occupa Lombaertzyde le 3 novembre. Nous sommes donc près d’Ostende.
Devant cette difficulté de se diriger vers la frontière française par le littoral, devant l’inondation qui gagne chaque jour, l’ennemi a porté son effort vers le Sud, contre la ville d’Ypres. Ne pouvant aborder celle-ci par le Nord, ayant été chassé de Dixmude réduit en cendres et se trouvant en présence de forces alliées victorieuses occupant, entre Ypres et Roulers, les bourgs de Langemarck et de Parschendaele, il a dû se diriger sur un front étendu entre Roulers et Menin, où il a engagé de nombreux corps d’armée; depuis lors, c’est au Sud-Est et au Sud d’Ypres que la bataille a lieu; elle fut particulièrement ardente entre le canal d’Ypres à la Lys et le ruisseau de la Douve, autour du village de Messines, situé à mi-chemin d’Ypres et d’Armentières. Les positions ou points d’appui ont été pris et repris plusieurs fois; Anglais et Français ont rivalisé d’ardeur dans la résistance contre le flot allemand et dans les contre-attaques. Les nouvelles du 4 novembre disaient que nous avions maintenu notre front sur tous les points et que malgré des alternatives d’avance et de recul, nous étions en progrès. Sur le reste du théâtre flamand d’opérations, c’est-à-dire dans la Flandre française, autour des villes populeuses de Lille, Roubaix, Tourcoing, Halluin et Armentières, le silence a été complet, mais quelques indications furent fournies sur les combats livrés par les troupes britanniques aux abords de la Bassée. Les Allemands ont dirigé contre nos alliés de violentes attaques, à l’aide de forces très supérieures en nombre. Un moment obligés de reculer, les Anglais ont repris vigoureusement l’offensive, repoussé l’ennemi et repris position en avant des points d’où ils avaient été chassés. Toutes les attaques qui eurent lieu depuis dans cette direction sont restées infructueuses. Il en fut de même jusqu’à Arras, par les plaines de Lens et de Vimy.
A Arras, qui reste occupé par nous, l’ennemi a fait de violentes tentatives les 1er, 2 et 3 novembre; tout en continuant le bombardement de la malheureuse cité, il a cherché à parvenir au cœur de celle-ci; mais nous tenions bon dans les villages de la banlieue immédiate et les faubourgs; partout l’assaillant a été repoussé.
PICARDIE ET CHAMPAGNE
Les combats se sont poursuivis au Sud d’Arras jusqu’à l’Oise. Entre Arras et la Somme, il semble que tout se soit borné à des attaques contre nos positions, suivies de retours offensifs de notre part, nous faisant gagner quelques points retranchés par l’adversaire. Mais plus au Sud, en arrière, à l’Ouest de Roye et de Nesle, des deux côtés du chemin de fer de Tergnier à Amiens, l’ennemi a renouvelé l’effort entrepris depuis tant de semaines pour tâcher d’atteindre la capitale picarde. Il n’y a pas réussi; c’est nous qui, vers le 30 octobre, avons atteint, aux abords immédiats de Chaulnes, le bourg de Lihons, et, plus au Sud, à quelque distance de Roye, le village du Quesnoy-en-Santerre.
Contre le rideau ainsi avancé vers l’Est, les Allemands ont dirigé de furieuses tentatives, pendant trois jours; jusqu’au 3 novembre, tous leurs efforts se sont brisés contre la ténacité de nos soldats appuyés par notre puissante artillerie; même, le 4, nous faisions un nouveau pas vers l’Est.
Ligne générale (en grisé) des opérations militaires,
à la fin d’octobre, de la mer du Nord à Nancy.
Voir aussi la carte de la couverture et, pour la bataille des Flandres, le croquis panoramique des pages 350-351.