L'Illustration, No. 3740, 7 Novembre 1914
Sur l’Aisne, des événements auxquels les communiqués allemands ont donné une importance vraiment excessive se sont produits en amont de Soissons, autour de la petite ville de Vailly. Nous avions entrepris sur les plateaux de la rive droite de la rivière une marche en avant qui, heureuse entre la forêt de Laigue et Soissons, a échoué sur les plateaux au Nord de Vailly—près de Condé—nos colonnes s’étant heurtées à des forces très supérieures. Cet insuccès fut compensé le 1er novembre par l’échec des Allemands qui tentaient de poursuivre leur avantage par des attaques de jour et de nuit. Le 2, les Allemands, une fois encore renforcés, nous faisaient reculer sur la rive droite de l’Aisne jusqu’à Bourg-en-Comin, en amont de Vailly; mais mardi nous reprenions l’offensive et approchions de Bray-en-Laonnois par la reprise de la ferme du Metz. Depuis lors notre avantage s’affirme.
Sur le reste du front, en Champagne, les Allemands ont manifesté une recrudescence d’activité se traduisant surtout par une violente canonnade à l’aide de leur artillerie lourde et la reprise du bombardement de Reims. Plus à l’Est, du 30 octobre au 2 novembre, nous avons gagné de tranchée en tranchée au Nord de Souain, malgré une action d’artillerie presque ininterrompue.
Dans l’Argonne, la bataille commencée la semaine dernière, à travers la forêt, entre Vienne-la-Ville et Varennes, a continué toute la semaine. Les Allemands, pour s’assurer la communication à travers ces grands bois, nous ont attaqués avec fureur; chacune de ces tentatives a été repoussée avec des pertes considérables pour l’ennemi, et, le mardi 3, nous le rejetions au Nord du chemin de Varennes.
Sur la Meuse, dans le massif des Côtes et dans la Woëvre, il n’y a pas eu moins d’activité; les Allemands cherchent évidemment à envelopper le camp retranché de Verdun dans le but d’entreprendre le siège de cette grande place. L’armée qui manœuvre de ce côté, vers Saint-Mihiel, en Woëvre, au Nord de Verdun, a partout tenu l’ennemi à distance et gagné sur lui; elle a dépassé Pont-à-Mousson et, sans doute, atteint la frontière. Au Nord de Verdun, où le puissant fort de Douaumont avait été canonné pendant vingt-quatre heures sans subir, d’ailleurs, le moindre dégât, nos troupes ont obligé les assaillants à évacuer les positions lointaines d’où ils essayaient le bombardement du fort.
Pendant que des détachements français opèrent dans la vallée supérieure de la Seille, vers Château-Salins, l’ennemi a esquissé une contre-offensive contre Nomény au Nord de Nancy; sa reconnaissance a été rudement reçue et rejetée sur le territoire annexé.
Dans les Vosges moyennes, les Allemands maîtres du chaînon du Ban-de-Sapt, qui se dirige du col de Saales vers Raon-l’Etape, bombardaient presque journellement Saint-Dié; une brillante attaque les a rejetés sur le versant alsacien pendant que d’autres forces, franchissant le col de Sainte-Marie-aux-Mines, prenaient possession des hauteurs au-dessus de la petite ville portant ce nom.
La semaine, on le voit, a été marquée par de nombreux événements de guerre, mais c’est vers la Flandre surtout que s’est portée et que se porte encore l’attention.
LES OPÉRATIONS RUSSES
Peu de nouvelles, cette semaine, mais elles sont excellentes en ce qu'elles montrent les armées allemandes et autrichiennes obligées à une retraite semblable à une déroute. Si, dans la Prusse orientale, les Allemands résistent, grâce au réseau de lacs et de rivières qui entourent Lyck, ils se replient au Sud de la Vistule vers la Wartha, aussi rapidement que le permettent des routes boueuses transformées en fondrières. Ils ont dû abandonner précipitamment la grande ville de Lodz avec tous les approvisionnements qui y étaient réunis, et ils continuent leur navrante retraite, poursuivis par les Cosaques.
Au Sud de la rivière Piliza, les vaincus d’Ivangorod avaient trouvé des terrains de défense dans les forêts qui couvrent ce territoire. Du 24 au 28 octobre, Allemands et Autrichiens résistèrent avec une sombre énergie, mais ils finirent par être rejetés, laissant Radom aux mains de nos alliés. Aux confins de la Galicie, les Autrichiens n’ont pas été plus heureux; ils sont refoulés dans la direction de Kielce et même au delà. Sur le San, des combats ardents ont eu lieu, tournant tous à l’avantage des Russes qui achèvent de réduire la forteresse de Przemysl.
DANS LES PAYS SERBES
Les hostilités se poursuivent entre les Serbes et les Autrichiens sans qu’aucun résultat décisif soit obtenu. L’intérêt se porte plutôt vers le mont Lovcen et les Bouches de Cattaro. Les batteries françaises, installées sur la montagne, ne tarderont pas à avoir raison des fortifications autrichiennes. Déjà plusieurs forts ont été détruits, et le feu de nos pièces n’aura bientôt d’autre objectif que les navires autrichiens enfermés dans ce golfe étrangement indenté et que bloque la flotte anglo-française.
LA TURQUIE
Un grave événement s’est produit, transportant la guerre jusque dans la mer Noire et dans le désert du Sinaï. Dans la nuit du 28 au 29 octobre, deux contre-torpilleurs turcs, pénétrant dans le port d’Odessa, ont coulé une canonnière russe et canonné le paquebot français Portugal. Dans la matinée du jeudi 29, un croiseur a bombardé la gare et la ville de Théodosia en Crimée. Le même jour, un autre croiseur, le Hamidieh, faisait acte d’hostilité devant Novorossisk, à l’entrée de la mer d’Azov. Cette agression en pleine paix a amené le rappel des ambassadeurs français, anglais et russe à Constantinople, et la remise des passeports aux ambassadeurs turcs dans les trois pays alliés.
Ces événements ont eu leur contre-coup aux confins de l’Afrique et de l’Asie. L’armée russe du Caucase a franchi la frontière d’Arménie, bousculant les postes turcs.
De leur côté, les Anglais, apprenant que les Turcs, avec leurs contingents arabes, se préparaient à attaquer le canal de Suez sous la direction d’officiers allemands, n’ont pas attendu l’exécution de cette menace. Ils se sont portés au fond du golfe d’Akaba, qui, avec le golfe de Suez, entoure la presqu’île du Sinaï, et ont attaqué le fort d’Akaba, bâti à l’extrémité des rivages, sur la frontière même. Cette forteresse, dont un officier allemand, dit-on, organisait la défense, a été rapidement enlevée.
Enfin, à peine la rupture était-elle consommée que la flotte anglo-française allait bombarder les forts des Dardanelles: elle ouvrit le feu le 3 novembre à 5 heures du matin.
SUR MER
Pendant que la grande flotte anglaise maintient dans ses ports la flotte allemande qui devait jouer un rôle si éclatant, et dont aucune grande unité n’ose sortir; pendant qu’une escadre anglaise participe à la bataille des Flandres; pendant que la flotte française est maîtresse de l’Adriatique,—les croiseurs allemands des mers lointaines continuent leurs exploits. Grâce à un odieux subterfuge, en se maquillant en croiseur russe, l’Emden a assailli et coulé à Poulo-Pinang, dans la presqu’île de Malacca, un croiseur russe. Le torpilleur français Mousquet n’a pas craint de s’attaquer au gros navire; mais la lutte était par trop inégale; le vaillant petit bateau a été coulé à son tour.
EN AFRIQUE
La guerre s’étend au vaste continent africain. Les Anglais et les Français ont conquis ce Cameroun dont les Allemands étaient si fiers. De leur côté, les Allemands ont envahi l’Angola portugais; la jeune république doit envoyer contre eux une escadre et un corps expéditionnaire. Enfin, dans l’Afrique australe, les Allemands ont soudoyé un traître, le colonel Maritz, qui s’est révolté contre les Anglais. L’ancien général boer, Christian de Wet, s’est joint à lui avec le général Beyers, mais un autre héros de la grande guerre africaine, le général Botha, marche contre les insurgés et en a rapidement raison.
Ardouin-Dumazet.
LA DÉFENSE DE GERBEVILLER
C’est par suite d’une confusion, nous écrit un correspondant des plus qualifiés, que M. Gabriel Louis-Jaray a attribué à une section de nos admirables alpins la belle défense de Gerbeviller. Les alpins se sont vaillamment battus partout où ils ont été engagés. Mais, à Gerbeviller, c’est une section de chasseurs du 2e bataillon qui tint toute une journée contre des forces considérables. L’adjudant qui commandait cette section est aujourd’hui sous-lieutenant.