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L'Illustration, No. 3740, 7 Novembre 1914

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DEUX ENGAGÉS DE LA GUERRE DE 1914


Ces deux soldats fraternellement unis, et pourtant si dissemblables, ont une bien belle histoire. La voici:

Dès les premiers jours d’août, quand éclata la guerre, le père D..., un fils d’Auvergne, devenu petit commerçant dans la banlieue de Paris, parut se transformer. Vieux sang ne saurait mentir. Il se souvenait de son service militaire, au Tonkin, et aussi qu’il avait eu un oncle tué à Reichshoffen. En dépit des objections des autorités et de son épouse, il réussit à fonder une garde civique. Des individus à mine équivoque rôdaient par le pays. Le fusil de chasse à l’épaule, le père D... aperçut un jour un promeneur suspect. Par trois fois, il le somma vainement de montrer ses papiers. Alors coup de feu à chevrotines... Le père D... s’approcha. L’homme était à terre. Dans ses poches, des statistiques, des plans de forts. Le maire, le commissaire spécial furent mandés. On se transporta au domicile du personnage. On trouva un uniforme de capitaine de la landwehr et l’ordre de rejoindre son régiment à Paris! Le vieux chasseur fit un cran à sa ceinture: il avait tué son premier Boche.

Mais ce n’était là qu’un préambule. Une obsession tourmentait le père D... Il en avait bien touché un mot à son épouse, mais la digne femme avait poussé les hauts cris. Et ses affaires, et ses enfants, et elle-même! La guerre! A cinquante ans! Mais il était fou!

Un jour, enfin, il n’y tint plus et se présenta au bureau de recrutement. On était peu disposé à l’écouter; mais il montra tant d’éloquence qu’on finit par accepter ce vétéran à la barbe plus blanche que grise, au nez orné d’une paire de lunettes.

Vers la mi-septembre, le père D... se trouvait sur le front. C’est ici que l’épopée commence. Simple soldat à son arrivée au régiment, il était promu caporal huit jours après, sergent dix jours plus tard. Désirait-on des volontaires pour un coup de main? C’était toujours le père D... qui de sa voix caverneuse répondait le premier: «Présent!» Signalait-on là-bas, dans la tranchée, un tireur boche trop adroit? C’était lui qui se chargeait de le descendre. Le régiment donnait-il tout entier à l’attaque? C’était encore lui qui se glissait au premier rang. Il fut, avec son colonel, un brave entre les braves, le merveilleux entraîneur de son régiment. Ce vieil homme, par son humeur endiablée, son insouciance, son courage, donnait l’exemple à tous. Les jeunes recrues lui demandaient conseil et ne redoutaient rien tant que son blâme. Les trembleurs n’osaient se montrer devant lui. Au fait, depuis qu’il était là, il n’y avait plus de trembleurs!

Voilà que l’assaut est ordonné contre une position qui domine ces profondes carrières à sangliers où les Allemands se retranchent. La nuit tombe. La tâche sera rude. Le colonel s’est porté en avant. En tête des éclaireurs, il aperçoit le père D..., le corps plié, le fusil à la main, l’œil aux aguets...

—Encore toi!

—Toujours moi, mon colonel.

—A ton âge! Mais tu n’es pas à ta place, ici!

—Vous non plus, mon colonel!

—Tais-toi! Je te fais adjudant!

Deux engagés de 50 et de 17 ans. Agrandir

... Beaucoup sont demeurés sur le plateau jonché déjà de tant de cadavres! Mais la position a été enlevée à la baïonnette. Hélas! le vieux sergent n’aura pas vu la victoire. A 1.200 mètres de la ligne de tranchées, il a tiré le premier coup de fusil sur une ombre imprudente. La tache noire s’est effondrée. Les obus, les fusils, les mitrailleuses ont riposté. Un shrapnell a décoiffé d’abord le père D..., effleurant son crâne. Le sang coule et l’aveugle:

—Hardi! les enfants. Et, si je tombe, ne perdez pas la direction. Le groupe d’arbres, à gauche du croissant de la lune!

Il n’avait pas achevé qu’une balle lui brisait l’avant-bras droit. Il tomba.

—Veux-tu bien me laisser là! A gauche du croissant, je te dis!

Il n’est plus bon à rien pour aujourd’hui... Rampant à travers les betteraves, il a pu réussir à regagner la crête du plateau où des ambulances l’ont recueilli.

Dans le train de blessés, le père D... a retrouvé sa bonne humeur:

—Une fracture, les gars! une simple fracture! Le sang est bon. D’ici vingt jours, tout ça sera raccommodé. Comme adjudant, plus de fusil à porter. J’aurai quand même plaisir à en descendre encore quelques-uns. La musique des «boîtes à singe» et du «moulin à café» commence à me manquer!

En style de guerre 1914 on désigne sous ces vocables l’obus et la mitrailleuse.

A chaque station, le père D... baise galamment les mains des demoiselles de la Croix-Rouge qui lui offrent de bonnes choses... Mais une ombre passe sur son visage... Il soulève son képi et grattant, de son geste familier, cette dure caboche auvergnate que les obus allemands n’ont pu entamer:

—Tout de même, qu’est-ce que va dire ma femme quand je rentrerai à la maison?...

Dans l’hôpital où est maintenant le père D... se trouve un autre engagé volontaire, mais de la plus jeune génération, celui-là. Il n’a que dix-sept ans. On appelle l’un le «vieux», et l’autre le «gosse». Ce «gosse», enfant de Lorraine, a aussi quelques exploits à son actif. Un Prussien qui avait réussi, un jour, à gagner nos lignes afin de se faire capturer, assura que nombre de ses camarades l’imiteraient volontiers. Le gamin, qui parle l’allemand, s’offrit pour l’accompagner jusqu’à la tranchée d’où il s’était échappé. Au crépuscule, le plan fut exécuté. Devant la tranchée que nul officier ne surveillait à cet instant, Français et Allemand vantèrent les charmes de la captivité. Plus de coups de schlague, une bonne nourriture, finie la corvée! Dix-huit lâches se laissèrent convaincre et abandonnèrent leur poste pour les suivre... Le cortège désarmé se mit en marche... Mais bientôt les autres Allemands, revenus de leur surprise, ouvraient le feu... Une batterie entra même en action:

—Je franchissais nos lignes avec mes dix-huit prisonniers et mon guide, raconte le «gosse», quand j’entendis siffler un obus. J’ai trop d’expérience pour ne point connaître à l’avance où un obus va tomber. Celui-là nous arrivait en plein dessus. Alors, je poussai brusquement mon guide devant moi... Pfuitt! Boum! C’était un bon diable, ce Boche... Il m’avait été utile... Mais que voulez-vous? Il a tout pris!

Lui en fut quitte pour une forte contusion. A l’hôpital, les majors, le voyant surmené, voulurent le rendre pour un mois aux jupes de sa mère. Mais le «gosse» n’entendit pas de cette oreille. Dans quelques jours, avec le «vieux», il retournera au front.


Officiers de highlanders d’outre-Atlantique. Agrandir   Étendard du régiment d’Infanterie Princesse Patricia. Agrandir

LES CONTINGENTS CANADIENS DE L’ARMÉE BRITANNIQUE OPÉRANT EN FRANCE.

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