La biche écrasée
La haute lyre sonna les premières notes de l’hymne héroïque. Elles s’en allaient lentes, graves, puissantes. Un corbeau noir et triste s’envola en gémissant. Au-dessus de nos têtes, les sapins s’agitèrent. Il s’épandit de la terreur. Les soldats qui chantaient au loin se turent étonnés, vaguement troublés déjà, ployés sous la menace et le mystère.
—Et maintenant, dit Bonaventure, maintenant!...
Ce fut encore, comme dans son grenier, un silence effrayant, un silence strident, plein d’ombres mordantes, mais mille fois plus fortes, la ruée perfide dans l’air nocturne des vibrations inouïes multipliées par milliards, farouches et toutes puissantes, l’élan muet de la mort qui se précipitait à son but.
—Ah! assez! criai-je. Tu ne vois donc pas, malheureux, que nous aussi nous allons mourir!
C’était en nous la décomposition des cellules nerveuses, la secousse mortelle, la dissolution de l’être. Nous n’y avions pas pensé. Oui nous allions mourir. Je vis tomber Bonaventure, le premier. J’eus à peine le temps ensuite de percevoir une conflagration géante, l’éruption d’un volcan, le bruit de dix mille caissons éclatant à la fois, le crépitement sec et successif de milliards de cartouches, pareil à celui d’une machine à écrire manœuvrée par une main gigantesque. Un clocher à la toiture en forme de bulle, tel qu’il y en a beaucoup dans l’Est, s’ouvrit comme le couvercle d’une grosse marmite avant de tomber sur le sol. Le cri de trois cent mille douleurs et de cent mille agonies répondit à la lyre. Je perdis connaissance.
Quand je revins à moi, un homme me mettait une compresse d’eau glacée sur le crâne.
—Et Bonaventure, demandai-je, mon ami?
On ne me répondit pas. Mais je vis une pauvre forme misérable, étendue à mes pieds. Ses nerfs, à lui, n’avaient pas résisté. La farouche musique de la lyre avait été trop forte pour ses cellules trépidantes et brûlées d’alcool. Mais l’ennemi? Il n’y avait plus d’ennemi. Il n’y avait plus que des débris sanglants, des blessés par centaines de mille, une déroute sans nom, sans exemple, et comme il n’y en aura plus jamais, parce qu’il n’y aura plus de guerre: on n’oserait plus.
La Victoire en chantant... Ah! cette nuit terrible!
FIN
TABLE
IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS.—9802-5-10.
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