La Duchesse de Châteauroux et ses soeurs
XVI
Madame de Châteauroux à Champs et à Plaisance après le départ du Roi.—Lettre de la duchesse contre Maurepas.—Jalousie de la duchesse pour sa sœur madame de Flavacourt.—Départ des deux sœurs pour l'armée.—Mauvais accueil de la ville de Lille.—Lettre de la duchesse sur la capitulation d'Ypres.—Voyage du Roi et de sa maîtresse de Dunkerque à Metz.—Le Roi tombant malade le 8 août.—La chambre du Roi fermée aux princes du sang et aux grands officiers de la couronne.—Le comte de Clermont forçant la porte.—Conférence de la favorite avec le confesseur Pérusseau.—Journée du mercredi 12.—Le Roi prévenant la favorite qu'il faudra peut-être se séparer.—Le duc de Bouillon, sur l'annonce que Richelieu fait que le Roi ne veut pas donner l'ordre, se retire chez lui.—Le jeudi 13, Louis XV au milieu de la messe appelant son confesseur.—Expulsion des deux sœurs.—Le viatique seulement donné au Roi lorsque la concubine est hors les murs.—Louis XV demandant par la bouche de l'évêque de Soissons pardon du scandale de ses amours.
Madame de Châteauroux et son conseil, dans le premier moment, avaient été forcés de plier sous la manœuvre de Maurepas; et Richelieu n'avait pu tirer du ministre d'autre vengeance que de lui faire donner pendant la campagne, une mission d'inspection dans les ports, mission qui l'écartait de la guerre et du Roi[485].
Mais le mentor de madame de Châteauroux connaissait à fond le Roi. Il le savait «un homme d'habitude subjugué» et en quittant madame de Châteauroux, il avait assuré la favorite qu'elle n'aurait pas besoin d'une longue patience, et que la sagesse de Louis XV ne devait pas être de durée à alarmer ni ses familiers ni ses maîtresses.
Sur ces assurances, la veille du départ du Roi, la duchesse de Châteauroux allait embrasser à Paris le ministre de la guerre qui partait pour les Flandres, venait le lendemain pleurer à l'Opéra, puis se retirait avec madame de Lauraguais à Champs chez M. de la Vallière.
De là, elle se rendait à Plaisance dans la belle maison de Paris-Duverney, où, recevant du Roi courriers sur courriers, elle attendait, non sans impatience, la réalisation des promesses de Richelieu. Deux jours après le départ du Roi, les courtisans bien informés ne savaient-ils pas que M. de Boufflers faisait arranger pour la commodité des amours du Roi, les maisons perçant dans le Gouvernement[486]?
Le mois de mai, cependant, se passait tout entier, sans que Louis XV mandât la favorite auprès de lui, et le 3 juin, la duchesse, dans son inquiétude, écrivait à Richelieu cette lettre où déborde une si furieuse colère contre Maurepas qui fait le tourment de sa vie, et où se montrent de si vives alarmes et une telle hâte de se rapprocher du Roi.
Plaisance, le 3 juin 1744.
Brûlé cette lettre aussitôt que vous l'auré vue.
Je puis vous répondre, cher oncle, que M. d'Argenson s'est moqué du maréchal de Noailles en luy faisant entendre qu'il seroit ministre des affaires étrangères: car le Roy na point envie de les luy donner au moins quil nait changer de façon de penser depuis quatre jours, ce que je ne croit pas. À l'égard de faquinet (Maurepas), _je pense bien comme vous et suis persuadée que je n'en viendrai à bout qu'avec des faits, mais où en prendre? Que l'on m'en fournisse et je promet d'en faire usage, car il mest odieux et je ne l'avouré qu'à vous, car cela leur feroit trop de plaisir, mais il fait le tourment de ma vie. Lon parle plus que jamais de madame de Flavacourt l'on prétend quelle escrit au Roy, la Reine la ménage beaucoup et je sçai quelle luy a dit quelle vouloit estre sa confidente et que la poule luy a répondu quelle n'avoit nul goût pour le Roy, au contraire, mais que la peur d'estre chassé de la cour et de se retrouver avec son mary luy feroit tout faire.
Je nen ay pas soufflé le mot au Roy, parce que je croit que cela ne vaut rien par lettre et qu'en arrivant je veut l'assommer de tout ce que je sçay pour luy faire avoué si il y a quelque fondement. Convenés qu'avec ce que nous scavons, lon peut bien estre inquiète: mais parlé moy tout franchement, le Roy atil lair destre occupé de moy, en parle-t-il souvent, sennuye-t-il de ne me pas voir; vous pouvés fort bien démesler tout cela. Pour moy j'en suis très contente, lon ne peut pas estre plus exact à m'écrire ni avec plus de confiance et d'amitié, mais je n'en titrerois nul conséquence: le moment où l'on vous trompe est souvent celuy où lon redouble de jambes pour mieux cacher son jeu. Faquinet quoique absent remue ciel et terre; il faut nous en défaire et je nen désespère pas, parce que je ne perd pas cette idée là de vue et qua la longue lon réussit, que lon me donne des faits et je seré bien forte; mais il faut que je soit présente car c'est tout différent. Lon dit que le maréchal de Noailles ne désire pas que jaille, pourtant le duc d'Ayen en paroît avoir envie. Je ny comprend rien: en vérité, cher oncle, je nestois guère faite pour tout cecy, et de temps en temps il me prend des découragemens terrible; si je naimois pas le Roy autant que je fois, je serois bien tenté de laisser tout cela là. Je vous parle vray, je l'aime on ne peut pas davantage, mais il faut que je prenne part à tout, c'est un tourment continuelle, car réellement cela m'affecte plus que vous ne croyé. Cestoit si antipathique à mon caractère qu'il faut que je soit une grande folle pour mestre venu fourer dans tout cela. Enfin cest fait, il faut prendre patience; je suis persuadé que tout tournera selon mes désirs: quelque chose qui arrive, cher oncle, je puis vous assurer que vous naurés point d'amies qui vous aime plus tendrement. Madame de Modène[487] a pris le prétexte du logement que le Roy luy a donnée pour luy escrire un petit remerciment pour luy donner occasion de lui marquer par escrit quil auroit envie quelle vint à Lille pour pouvoir avoir une raison à donner à madame d'Orléans, ce que j'ay mandé au Roy, mais elle vouderoit que vous engageassiez lambassadeur de Naples à luy escrire pour la pressé de venir et quil luy mande que sa présence aist nécessaire pour les affaires. Arrangé tout cela comme vous voudrés, pourvu que nous allions, car je sens qu'il faut que je me rapproche. L'autre lettre que je vous escrit est pour que vous la fassies voir au Roy, veillez de près madame de Conty[488] et rendé moy compte de la réception que le Roy luy aura faite._
Pour vous seul[489].»
Indépendamment de la haine qu'elle avoue pour Maurepas, cette lettre est curieuse comme un témoignage autographe de la jalousie qu'éprouve la duchesse de Châteauroux pour madame de Flavacourt, jalousie qui s'était manifestée, pendant tout le printemps de cette année, par l'éloignement de sa sœur des soupers des petits appartements et des voyages de la cour[490]. Madame de Châteauroux consent à partager l'amour du Roi avec sa sœur Lauraguais: celle-ci est sa sœur d'adoption et lui est une habitude comme l'était madame de Vintimille à madame de Mailly, elle a les mêmes amis que la favorite, elle est attachée au même système politique; puis au fond elle est laide, et sa laideur rassure sa sœur contre une trop grande prise du cœur du Roi pour lequel elle n'est qu'un caprice libertin et un amusement des sens d'un moment. Madame de Flavacourt c'est autre chose: elle n'a jamais été en rapport de caractère et d'esprit avec madame de Châteauroux; madame de Flavacourt, en dépit de ses relations avec les deux sœurs, appartient d'une manière occulte au camp ennemi, elle est la familière de la Reine, elle a des relations avec Maurepas, «aux oreilles duquel elle est toujours pendue» dit madame de Tencin quelque part; elle est peut-être portée par le parti La Rochefoucauld pour remplacer sa sœur[491]; enfin elle est belle, d'une beauté supérieure à la beauté de la favorite, d'une beauté alors dans tout son éclat et qui la fait nommer quand on veut citer la plus belle de la cour[492].
Ce qu'il y a de certain, c'est que dans le mois de mai 1744, une correspondance s'était établie entre madame de Flavacourt et le Roi sous le couvert de Lebel[493].
Or, madame de Châteauroux n'avait pas une confiance sans limites dans la durée éternelle de la vertu de sa sœur, et attribuait avec l'opinion publique les premiers effarouchements de la Poule devant les désirs de Louis XV, à une peur un peu enfantine des menaces de son mari. Et vraiment elle ne pouvait être bien rassurée sur la solidité de cette sagesse par l'aveu presque défaillant de sa sœur, aveu qui ne se retrouve pas seulement dans la lettre de la duchesse, mais est exprimé dans des termes presque identiques par madame de Tencin qui dit le tenir du cardinal de Polignac auquel la Reine avait fait confidence[494].
Et cette annonce à l'avance de la facilité de sa défaite venait à la suite d'un petit incident de l'hiver, où s'était révélé l'amour du Roi pour la sœur de la favorite. Dans un bal masqué, donné au mois de janvier chez Mesdames, il y avait une mascarade de quatre personnes habillées en aveugles parmi lesquelles madame de Flavacourt menait le duc d'Agénois qui venait de reparaître à la cour. Madame de Flavacourt resta masquée pour ne pas être reconnue du Roi à qui elle avait dit qu'elle ne viendrait pas à ce bal; mais Louis XV informé de sa présence dans ce quadrille, montra un certain dépit et dit tout haut avec une brutalité qui n'était pas dans ses habitudes, qu'elle avait bien fait de ne pas se démasquer, car il lui avait annoncé que, s'il la reconnaissait, il la ferait sortir du bal et il ajoutait qu'il lui aurait tenu parole[495].
Or, il faut savoir que dans le moment, d'Agénois, l'ancien amant de madame de Châteauroux, affichait une grande passion pour madame de Flavacourt, qui sans se rendre, se laissait très-ostensiblement adorer. Cette comédie d'amour était-elle pour l'homme un moyen de raviver le sentiment mal éteint dans le cœur de son ancienne maîtresse? était-elle pour la femme avec la satisfaction de faire enrager sa sœur, le moyen d'exciter et de fouetter la passion naissante du Roi[496]?
* * * * *
Mais, pour que madame de Châteauroux allât à l'armée, il restait à sauver les apparences ou du moins à autoriser le scandale. Il fallait pour faire le pont une première complaisante. Ce fut une princesse du sang, la duchesse de Chartres, que sa belle-mère, la très-basse princesse de Conti, poussa à cette démarche, et dont le voyage fut couvert par une prétendue chute de cheval du duc de Chartres[497]. Le grand point était emporté: une cour de femmes était commencée à l'armée du Roy. Aussitôt Richelieu, inquiet du crédit que le maréchal de Noailles prend sur l'esprit du Roi, de la confiance dont le duc d'Ayen s'empare dans les conseils, brusque les choses et frappe les grands coups. Il mande à madame de Châteauroux de venir en Flandres, même sans l'ordre du Roi. Il annonce en même temps à Louis XV dans ce pathos anacréontique, auquel les femmes prêtaient tant de séductions: «le voyage de l'amour aveugle et désobéissant si digne de pardon quand il ôte son bandeau;» et pour mieux surmonter les craintes de la maîtresse aussi bien que les scrupules de l'amant, il déclare à l'un comme à l'autre d'un ton décidé et d'un air sans réplique, prendre la responsabilité de tout ce qui pourra suivre le rapprochement[498].
Le 6 juin, mesdames de Châteauroux et de Lauraguais venaient prendre congé de la Reine, sans toutefois qu'elles osassent parler de leur voyage de Flandres qui n'était plus un secret pour personne. La Reine les retenait à souper, leur parlait, et devant cette charité de la femme légitime, l'on remarquait l'embarras de la favorite pendant le souper et le jeu, où la duchesse s'était assise le plus loin possible de la Reine. Quant à madame de Lauraguais, dit de Luynes, «elle ne s'embarrasse pas si aisément»[499]. Mais l'épreuve de la Reine n'était pas encore finie: elle était forcée d'essuyer les salutations dérisoires de la cour des favorites, des autres coureuses à leur suite, de la duchesse de Modène venant prendre ses ordres avant le départ pour Lille: vile comédie! qui à la fin lassait la Reine et lui mettait à la bouche l'impatience de cette réponse: «Qu'elle fasse son sot voyage comme elle voudra, cela ne me fait rien.»
Deux jours après le 8 juin, dans le secret de la nuit, à l'heure où dorment les huées d'un peuple, une berline à quatre places, suivie d'une gondole pleines de femmes de chambre, emportait à l'armée les deux sœurs avec mesdames du Roure et de Bellefonds[500].
Quelque décence que Richelieu eût mise au rapprochement, quelque habiles que fussent les arrangements pris par ce maître des cérémonies des plaisirs du Roi, en dépit de cette cour d'honneur donnée à l'adultère où l'on ne comptait pas moins de trois princesses du sang; les murmures allaient croissant et les chansons des Suisses ne respectaient plus les oreilles du Roi.
Ce n'étaient que plaintes contre l'abandon des repas publics qui faisait dîner et souper le Roi chez sa maîtresse ou avec elle dans ses petits cabinets, ce n'étaient que paroles indignées contre l'installation de la favorite dans le Petit Gouvernement, la maison joignant le palais du Roi. Et dans la ville provinciale et religieuse le feu ayant pris à un corps de caserne, deux heures après l'arrivée de la duchesse de Châteauroux, les habitants voyaient, dans cet incendie, un effet de la colère céleste, et tous les soirs des troupes de jeunes gens, paraphrasant la chanson de madame Enroux, allaient chanter sous les fenêtres de la favorite:
Belle Châteauroux,
Je deviendrai fou
Si je ne vous baise[501].
. . . . . . . . . . . .
Le Roi, la favorite et sa sœur, le duc de Richelieu lui-même jugeaient bon de paraître céder au déchaînement de l'opinion de Paris, des provinces, de l'armée. Le Roi se séparant de madame de Châteauroux allait faire le siège d'Ypres.
Ypres était pris le 25 juin. Le même jour la duchesse écrivait à Richelieu cette lettre qui débute avec l'orgueil d'une rodomontade espagnole, et dont le papier, rencontre bizarre! porte Pro patria pour filigrane:
Lille, ce 25 juin 1744, à deux heures et demie après minuit.
Assurément, cher oncle, que voilà une nouvelle bien agréable et qui me fait grand plaisir, je suis au comble de la joye, prendre Ipres en neuf jours, savé vous bien qu'il ni a rien de si glorieux, ni de si flateur pour le roy, et que son bisaieul tout grand qu'il estoit n'en a jamais fait autant; mais il faudroit que la suite se soutint sur le mesme ton et que cela alla toujours de cet air la. Il faut lespérer, et je m'en flatte, parceque vous scavé qu'assé volontiers je vois tout en couleur de rose et que je croit que mon estoille dont je fais cas et qui n'est pas mauvaise influe surtout; elle nous tiendra lieux de bons généraux, ministre, etc. Il na jamais si bien fait que de se mettre sous sa direction. Dite moy donc un peu Meuse ce meurt[502], quelle folie, j'en suis pourtant faché reellement, cette nouvelle la ma chifonnée toute la journée: je n'aime point à voir finir les gens avec qui je vit; envoyé en scavoir les nouvelles de ma part, et si vous le voyé dite luy que je suis faché de son état. Madame de Modène meurt d'envie d'aller voir l'entrée du roy dans Ypres; elle vouloit que je le demanda au roy; je nen ay rien fait parce que je ne scay pas si il ne vaudroit pas mieux que je ni alla pas, parceque comme nous l'avons dit ensemble, si vous vous resouvené, avant votre départ qu'il faloit que je fus receus avec distingtion ou ni point aller, et je le pense. Je luy ay dit que je vous consulterois et que je n'en avois pas grande envie. Dite moy ce que vous en pensé et au plus vite parceque je crois qu'il ni a pas un moment de tems a perdre. Je seré bien aise que du Vernay me donne la réponse de Monmartel sur les Salles[503]. Il est trop tard pour mentendre sur ce chapitre; tout ce que je puis vous dire c'est que je les soutiendré tant que je pouré. Bonsoir cher oncle je vous aime de tout mon cœur[504].
Après la prise d'Ypres, madame de Châteauroux allait attendre le Roi à
Dunkerque et le laissait visiter seul les principales villes des
Flandres. À peine le Roi était-il venu la retrouver, que le passage du
Rhin par le prince Charles[505], la menace d'une invasion le
déterminaient à aller secourir l'Alsace.
Madame de Châteauroux refusait de quitter le Roi. Elle obtenait de le suivre[506] et dans cet itinéraire passant par Saint-Omer, Béthune, Arras, Péronne, La Fère, Laon, Reims, Châlons, Verdun, par toutes les villes où l'on s'arrêtait, le grand maréchal des logis, le comte de la Suse, ménageait à l'avance les communications des deux appartements.
Dans ce lent voyage qui ressemble un peu à une promenade militaire en bonne fortune, le Roi a souvent des aventures pareilles à celles de Laon. Il dîne incognito avec sa belle en quelque recoin caché. Le peuple l'a su et le guette, et quand le monarque sort en catimini avec la duchesse, on l'assourdit des cris: Vive le Roi! Louis XV s'esquive, serrant contre lui les basques de sa veste, se sauve dans un jardin. On l'a vu et l'on crie de nouveau: Vive le Roi! et Louis XV court encore… L'irrespectueux d'Argenson compare ces scènes à la fuite de Pourceaugnac poursuivi par des clystères[507].
À Reims un mal soudain et singulier[508] jetait la duchesse au lit. Et, tandis que les médecins ne voyaient dans sa maladie qu'une «ébullition», les courtisans y voulaient voir un remords, un des retours de cœur si ordinaires aux femmes, une révolution survenue en apprenant dans cette ville la dangereuse blessure que son ancien amant, le duc d'Agénois, venait de recevoir à la prise du Château-Dauphin. Le Roi donnant cours à son humeur funèbre parlait déjà de l'endroit où on enterrerait la duchesse, de la forme à donner à son tombeau[509].
Louis XV retardait d'un jour son départ de Reims, ne faisait que coucher à Châlons, et arrivait à Metz où le rejoignait madame de Châteauroux[510], guérie de son mal et faisant taire son cœur et son passé.
Ce fut là que les amours royales, aguerries aux murmures d'étape en étape, se cachèrent le plus impudiquement: une galerie en planches bâtie à grand bruit entre l'appartement du Roi et l'appartement de la favorite dans l'abbaye de St-Arnould, quatre rues barrées au peuple[511], en publiaient le scandale en en affichant le mystère.
Tout à coup dans la ville scandalisée, au milieu de ces jouissances éclatantes qui respectent à peine le regard des foules de la rue, le bruit se répand que le Roi est malade, très-malade[512].
Le samedi 8 août après une journée passée au grand soleil à visiter les fortifications, après un long souper et de nombreuses santés au roi de Prusse, son nouvel allié, après une nuit de fatigues amoureuses[513], le Roi se réveillait avec la fièvre et un violent mal de tête. Il devait entendre ce jour-là un Te Deum chanté pour les avantages remportés au passage des Alpes par le prince de Conti, son cousin le grand Conti, ainsi qu'il l'avait nommé la veille le verre en main; il se sentait hors d'état de pouvoir s'y rendre.
Malgré les saignées, l'émétique, les purgations, la fièvre et la douleur de tête du Roi augmentaient, les symptômes morbides s'aggravaient, et le 12, Castéra, un médecin de Metz appelé en consultation, déclarait ne pouvoir répondre de la vie de Louis XV[514].
Depuis le jour où le Roi tomba malade jusqu'au jeudi 13 après la messe, les deux sœurs et Richelieu se tenaient seuls dans la chambre du malade, n'y laissant pénétrer que les domestiques affidés, les quatre valets de chambre, les huit aides de camp qui appartenaient au parti de la favorite, enfin le service intime et compromis. Les princes du sang[515], les grands officiers de la couronne n'y entraient qu'à l'heure de la messe, et la messe dite, on les faisait avertir qu'ils avaient à se retirer. La Peyronie tout dévoué à la duchesse de Châteauroux[516], et complètement maître de Chicoyneau, le premier médecin et n'appelant que lui aux consultations, et se refusant à y admettre Marcot, le médecin ordinaire auquel il ne laissait que la faculté de tâter le pouls du Roi, un moment, dissimulait longtemps la gravité de la maladie[517].
Il arrivait même que sur la demande par les princes d'une consultation publique, la Peyronie ne craignait pas de déclarer que les transports du Roi n'avaient pas de quoi effrayer des médecins et que sa maladie n'avait point encore de caractère. Il ajoutait de plus que ceux qui l'interrogeaient devaient craindre de répondre de l'effet des alarmes qu'ils répandaient déjà, que ces alarmes, si le Roi s'en apercevait, pouvaient changer de nature ses redoublements fiévreux, le mettre en danger, et causer un événement dont ses médecins n'étaient pas responsables[518]. Et seul, tout seul, Richelieu continuait à assister à ces consultations en dépit du droit absolu du grand chambellan de se trouver à toutes, et de prendre part à tout ce qui intéresse la santé du souverain[519].
Les princes du sang éloignés de la personne du Roi, les grands officiers de la couronne parmi lesquels se trouvaient Bouillon, La Rochefoucauld, Villeroy, privés du droit d'exercer leurs charges, murmuraient tout haut dans la pièce qui était avant la chambre du Roi où les deux partis se rencontraient sans se parler[520].
On faisait représenter à madame de Châteauroux l'indécence du procédé, on la rappelait à la convenance, à la règle; à ces représentations, la favorite faisait répondre avec un dédain presque insultant que si on voulait obéir à ces principes, elle-même n'aurait pas le droit de rester dans la chambre du Roi. Sur cette réponse, le comte de Clermont, fort de son nom, de l'habitude du Roi, se décidait à forcer la porte[521] et, s'approchant du lit de la Majesté malade, lui disait respectueusement, mais avec les allures de la liberté militaire «qu'il ne pouvait croire que l'intention de Sa Majesté fût que les princes de son sang, qui étaient dans Metz, fussent privés de la satisfaction d'en savoir des nouvelles par eux-mêmes; qu'ils ne voulaient pas que leur présence pût lui être importune, mais seulement avoir la liberté d'entrer des moments, et que pour prouver que, pour lui, il n'avoit d'autre but, il se retirait sur-le-champ[522].»
Le Roi disait à Clermont de rester, mais ce n'était là pour le parti des princes et des grands officiers de la couronne qu'une bien petite victoire: la porte de la chambre du Roi ne restait qu'entrebâillée. L'important pour les adversaires de la maîtresse et de Richelieu était de faire arriver le confesseur au lit du Roi; et des conférences à ce sujet se tenaient tous les jours entre le duc de Chartres, le comte de Clermont, Bouillon, Villeroy, Fitz-James, le petit-fils de Berwick, évêque de Soissons, prélat d'une grande austérité, et le confesseur Pérusseau.
La duchesse de Châteauroux était instruite de ces conférences, et devant la faiblesse croissante de Louis XV, devant les premiers symptômes de ces terreurs religieuses qui feront tout à l'heure prendre au Roi pour les flammes de l'enfer la fumée d'un papier qui brûle, craignant de voir soudainement le malade appeler son confesseur et avec l'absolution entendre la sentence publique de son renvoi, elle tenait conseil avec Richelieu et le valet de chambre de service, et dans ce conciliabule on convenait de traiter avec le confesseur, de chercher à le gagner.
Alors derrière le lit du Roi[523], dans un petit cabinet dont Richelieu tenait la porte, avait lieu la conférence; une vraie scène de comédie entre la maîtresse et le jésuite.
La duchesse commençait par aller droit au but, demandant au père jésuite si elle serait obligée de partir, au cas où le Roi demanderait la confession et les sacrements; et comme l'homme de Dieu hésitait à s'expliquer, elle lui demandait une réponse nette, lui représentant combien un renvoi scandaleux compromettrait la réputation du Roi, et de quel avantage serait pour son honneur personnel comme pour celui du monarque, une sortie secrète et volontaire. Pérusseau qui, avec le zèle du salut du Roi avait de la finesse et de l'adresse et un grand attachement à son ordre en même temps qu'à sa place, parlait sans répondre, balbutiait, répétait en se sauvant dans les suppositions et les hypothèses: «Mais, Madame, le Roi ne sera peut-être pas confessé.»
«Il le sera,» lui disait vivement la duchesse qui, parlant de la religion de Louis XV, de la sienne, déclarait qu'elle serait la première à exhorter le Roi à se confesser pour le bon exemple, qu'elle ne voulait pas s'exposer à prendre sur elle qu'il ne le fût pas… et revenant sans ambages et sans circonlocutions à l'objet de la conférence, jetait au père jésuite: «Serai-je renvoyée, dites-le-moi?»
Pérusseau, troublé par cette interpellation, essayait d'esquiver la demande en lui remontrant qu'il n'était pas permis d'arranger d'avance la confession du Roi, que la conduite du confesseur dépendait de l'aveu du pénitent, qu'il n'avait, lui personnellement, aucune mauvaise opinion des rapports du Roi avec madame la duchesse, que tout en un mot dépendait des aveux du Roi.
«S'il ne faut que des aveux,» interrompait madame de Châteauroux, et en quelques mots, elle faisait d'un ton hautain et cavalier la confession de son amant, et, s'entêtant en sa demande, elle redemandait en face au jésuite: «Est-ce le cas de me faire renvoyer?… N'y a-t-il pas quelque exception pour un Roi?»
Plus embarrassé que jamais, tiraillé de côté et d'autre, lié de conscience avec le parti qui faisait de la confession le renvoi de la maîtresse, pesant aussi le ressentiment de madame de Châteauroux, si le Roi guérissait sans confession, Pérusseau à bout de paroles ambiguës, gagnait doucement le fond du petit cabinet et voulait s'évader, quand Richelieu voyant sa manœuvre lui barrait la retraite, et lui demandant en grâce de sortir des «car, des peut-être, des si,» le suppliait d'accorder d'avance à madame de Châteauroux d'être renvoyée sans scandale.
Mais comme le père Pérusseau s'enferme dans le silence, Richelieu saute sur lui, le presse, le cajole d'embrassades, le ramène à madame de Châteauroux qui, laissant monter des larmes à ses yeux, se faisant humble et caressante, et touchant de ses douces mains le menton du prêtre avec un geste de Madeleine repentie, lui jure que s'il veut bien éviter un éclat, elle se retirera de la chambre du Roi pendant sa maladie, qu'elle ne reviendra plus à la cour que comme son amie, qu'elle se convertira, que le père Pérusseau la confessera.
Promesses et caresses, rien ne put tirer du père jésuite le secret du sacrifice qu'il comptait exiger du Roi pour le réconcilier avec Dieu[524].
Malgré tout, la faiblesse, la maladie, la mort, retiraient d'heure en heure Louis XV des mains de madame de Châteauroux.
Le mercredi 12, en dépit de l'opposition de la Peyronie[525], quelques instants avant la messe, monsieur de Soissons s'approchant du lit du Roi, l'entretenait assez longtemps de la gravité de son état, des devoirs qu'il avait à remplir.
Richelieu, inquiet de cette conférence et n'osant la troubler, demandait à monsieur de Bouillon ce que l'évêque de Soissons pouvait dire au Roi. Monsieur de Bouillon lui répondait qu'il n'en savait rien, mais que si l'évêque parlait à Louis XV de choses sérieuses en ce moment, il n'y avait là que rien de très-naturel.
Aux pieuses sollicitations de monsieur de Soissons, Louis XV cherchait à échapper, disant qu'il était bien faible, qu'il avait un grand mal de tête, qu'il aurait beaucoup de choses à dire. Vainement monsieur de Soissons l'engageait à commencer sa confession, quitte à l'achever le lendemain.
Après la messe, tout le monde sorti, le Roi restait très-préoccupé de sa conversation du matin, pendant que Richelieu, qui depuis le commencement de sa maladie, jouait le médecin, lui tâtait le pouls à toute minute, jurait toute cette après-midi, très-inutilement sur sa tête, que le Roi n'avait qu'un léger embarras des viscères[526]. Madame de Châteauroux, qui à force de caresses parvenait à se faire baiser la main, entendait aussitôt le Roi lui dire: «Ah! princesse, je crois que je fais mal!» Elle voulait lui fermer la bouche avec un baiser. Louis XV se retirait de sa maîtresse, en laissant tomber sur la tendre effusion cette froide parole: «Il faudra peut-être nous séparer.»
La fin de la journée, le Roi la passait dans de grands troubles et de terribles inquiétudes de l'esprit.
Richelieu jugeant alors l'importance d'empêcher toute nouvelle action du parti religieux sur l'esprit du Roi, à onze heures du soir, à l'heure où les princes et les grands officiers étaient réunis dans l'antichambre, entr'ouvrait la porte de la chambre du Roi, appelait monsieur de Bouillon et lui disait que le Roi ne voulait pas donner l'ordre.
C'était refermer la porte de la chambre du Roi aux ennemis de la duchesse de Châteauroux. Aussi monsieur de Bouillon furieux déclarait-il que ceux qui voulaient prendre l'ordre d'un Vignerot étaient libres, mais que lui se retirait et ne reviendrait plus.
La nuit du mercredi 12 au jeudi 13 était très-mauvaise à partir de trois heures, si mauvaise que la Peyronie se voyait obligé d'aller avouer à monsieur de Bouillon qu'il ne croyait pas que le Roi eût deux jours à vivre et l'engageait à prévenir monsieur de Soissons. Monsieur de Bouillon le traitait avec la plus grande violence, lui reprochant d'avoir osé prendre sur lui toute la conduite de la maladie, l'accusant de l'avoir exclu des consultations contre tous les règlements de la maison du Roi. Puis aussitôt il envoyait quérir Champcenetz père et le chargeait d'avertir Louis XV qu'il entrerait ce jour dans sa chambre à moins d'un ordre exprès de Sa Majesté. Et avant que la messe commençât, il pénétrait chez le Roi avec MM. de la Rochefoucauld, de Fleury et les deux princes du sang. Et Bouillon parlait au Roi de la manière la plus forte et la plus touchante de la douleur inexprimable où il était de ne pouvoir lui montrer son zèle et son attachement, de même que les autres officiers de sa maison, en remplissant les devoirs de sa charge.
Le Roi tout mourant qu'il était, en l'esprit soupçonneux duquel étaient restées les paroles de Richelieu, lui représentant l'impatience des grands officiers de la couronne amenés par l'unique désir de faire parade de leurs charges, répondait: «Je le voudrais bien, mais il n'est pas encore temps.» Et la messe commençait, lorsque tout à coup le Roi s'écriait: «Mon Bouillon, mon Bouillon, je me meurs, le père Pérusseau, vite le père Pérusseau[527].»
Richelieu et madame de Lauraguais ont entraîné la favorite dans le cabinet où, quelques jours avant, elle traitait avec le confesseur. Madame de Châteauroux, anxieuse, palpitante, attend, écoute; étourdie de sa chute, dévorant sa honte, elle s'impatiente d'attendre la disgrâce, quand, la porte à deux battants s'entr'ouvrant, une voix jette ainsi l'exil au visage des deux sœurs: «Le Roi vous ordonne, Mesdames, de vous retirer de chez lui sur-le-champ.» Cette voix ajoutait encore à l'humiliation de madame de Châteauroux: c'était celle de l'évêque de Soissons[528].
Et l'ordre d'expulsion des deux sœurs était, sa confession finie, confirmé par le Roi disant à monsieur de Bouillon et aux grands officiers de la couronne: «Vous n'avez qu'à me servir présentement, il n'y a plus d'obstacles[529].»
Une scène tumultueuse pleine de violentes récriminations et de paroles colères, éclatait aussitôt dans l'antichambre, où les officiers de la couronne malmenaient les valets de chambre, le huguenot la Peyronie, le vieux de Meuse qui se trouvait mal et auquel il fallait aller chercher un verre d'eau[530].
On les menaçait tout haut, les amis de la Châteauroux, de répondre sur leurs têtes de la mort du Roi; Richelieu lui-même n'était pas épargné, mais l'impudent personnage sur un ton de goguenardise qui lui était habituel annonçait que, l'orage passé, les deux sœurs reviendraient plus puissantes et plus triomphantes que jamais[531], et cela jusqu'à ce qu'il reçût l'ordre de rejoindre l'armée du Rhin, avec tous les aides de camp, parmi lesquels restaient seuls à Metz, de Meuse et le duc de Luxembourg qui était malade[532].
Le soir, cependant, à l'heure où le Roi devait recevoir le viatique, l'évêque de Soissons apprend que la favorite n'a point encore quitté Metz; aussitôt le prélat fait dire à la paroisse que l'on attende pour apporter le viatique au Roi. Et rentrant chez Louis XV, il lui déclare que les lois de l'Église et les canons défendent d'apporter le corps de Notre-Seigneur, lorsque la concubine est encore dans les murs de la ville, et il arrache au mourant un ordre définitif de départ.
La communion n'est donnée au Roi que lorsque les deux sœurs, fuyant, les stores baissés, dans les colères de ce peuple impatient de ce retardement des sacrements et tout prêt à lapider les fuyardes, ont passé les portes de la ville[533].
Le vendredi 14, l'état du Roi s'aggravant, la résolution était prise de lui donner l'extrême-onction. Cependant monsieur de Soissons, apprenant que la duchesse de Châteauroux ne s'était pas éloignée et attendait à quelques lieues de Metz les évènements, obtenait du Roi un ordre qui lui prescrivait de continuer son voyage.
Le Roi administré, monsieur de Soissons faisait approcher les princes du sang et les grands officiers de la couronne et leur disait «que le Roi demandait pardon du scandale et du mauvais exemple qu'il avait donnés, déclarait au nom de Sa Majesté que son intention était que madame de Châteauroux ne restât point auprès de la Dauphine.» À quoi le Roi ajoutait d'une voix presque ferme: «Ni sa sœur[534].»
XVII
Fuite des deux sœurs de Metz.—La duchesse de Châteauroux décidée un moment à ne pas aller plus loin que Sainte-Menehould.—Ses lettres fiévreuses à Richelieu.—Les périls et humiliations du voyage.—Rentrée à Paris.—Nouvelles lettres.—État successif de découragement et de surexcitation de la femme.—Travail de Richelieu auprès du Roi toujours amoureux de la favorite.—Les chances de retour de la duchesse au mois d'octobre.—Entrevue du Roi et de la duchesse dans la nuit du 14 novembre.—Les têtes demandées par la favorite.—Exils de Châtillon, de Balleroy, de Fitz-James, de la Rochefoucauld, de Bouillon.—Maurepas chargé de la commission de rappeler la duchesse de Châteauroux à Versailles.—Soudaine maladie.—Délire furieux.—La malade est saignée onze fois.—Sa mort (8 décembre 1744).—Son enterrement.—Les accusations d'empoisonnement du temps.—La dissertation de l'abbé Galiani sur l'aqua tofana.—Conversation du médecin Vernage.—Maurepas encore plus incapable de crimes que de vertus.
Quel retour! quelle fuite pour la fière duchesse[535]! Réfugiée dans le fond de sa berline, poursuivie par les échos furieux des campagnes, elle courait à toute bride à travers les injures qui l'éclaboussaient, tremblante à la fois d'effroi et de colère.
Mais soudain, à Bar-le-Duc, la duchesse se rattachant à l'espérance avec la patience froide et la vue cynique des choses qui semblent le fond de son âme, déclarait à Richelieu sa résolution de s'arrêter à Sainte-Menehould et d'y attendre les évènements dans cette lettre où rien ne bat que l'impatience d'une vengeance de sang.
À Bar-le-Duc, à dix heures.
Je ne say pas pour quoy, cher oncle, vous ne voule pas que je prenne de l'espérance puisque le mieux est considérable, et que Dumoulin dit luy même qu'il y a grande espérance[536], je vous assure que je ne peut pas me mettre en teste qu'il en meurt; il est impossible que ce soit les monstres qui triomphe, mais ce que vous me dite de monsieur de la Rochefoucault, me fache beaucoup, surtout si c'est pour faire dire quelques choses à faquinet; je croit bien que tant que la teste du roy sera faible il sera dans la grande dévotion, mais dès qu'il sera un peu remit je parie que je lui troterez furieusement dans la teste, et qu'à la fin il ne poura pas resister et qu'il parlera de moy, et que tout doucement il demandera a Lebel ou a Bachelier ce que je suis devenu. Comme il sont pour moy, mon affaire sera bonne; je ne voit point du tout en noir pour la suite si le roy en revient, et en vérité je le croit; je ne vais plus à Paris, après mures reflections, je reste a ste menoult avec ma sœur, et ces dames s'en yront toujours; il est inutile de le dire parce quavans que lon le sache ils ce passera au moins deux ou trois jours, et puis je peut estre tombé malade en chemin, qui est assurément fort vraisemblable; mais remarqués que dicy a ce temps la chose sera décidé en bien ou en mal: si c'est en bien l'on nosera rien dire, et comme le roy ne ma pas fait specifier lendroit et qu'il a dit a paris, ou bien ou elle voudra, pourveu que cela soit loin, il est plus honneste pour luy si il en revient que j'aye crue que vingt lieus estoit au bout du monde, et que je me sois retiré dans un lieu ou je ne peut avoir nul sorte de nouvelles ni de consolation, et uniquement livrées à ma douleur; et puis dans la convalescence quarante lieues de plus ou de moins ne laisseront pas que dy faire, non pas pour me revoir car je ni conte pas sitot, mais pour me faire dire quelque chose; sy il en meurt je me renderé a paris, ou je vous attendrais la pour pouvoir vous parler; a légard de ma charge si je ne lay pas je vous dit que cela mets egal, mais je ne veus avoir rien a me reprocher pour raison, du reste qu'est ce que l'on pourra me faire, je resteré a paris, avec mes amis, mais je vous assure que je regretterai le roy toute ma vie, car je l'aimais a la folie et beaucoup plus que je le faisois paroistre, pour ce qui est de faire prévenir le Mirepoix, le Broglio, je ne pense pas comme cela, tant que le roy est vivant il ne me convient pas de faire aucunes demarches aupres de qui que ce soit, il faut souffrir avec patience tous les tourment que l'on voudra me faire; si il en revient je l'en toucheré davantage, et il sera plus obligé à une réparation publique; si il en meurt je ne suis pas pour faire des bassesses dut il men revenir le royaume de France; jusqua présent je me suis conduit tel qu'il me convenoit avec dignyté, je me soutienderé toujour dans le même gout, cest le seul moyen de me faire respecter, de faire revenir le public pour moy et de conserver la consideration que je croit que je mérite; j'oubliois de vous dire sur ce que le Soissons ce defent davoir parle au roy de madame de Lauraguais, que je le croirois assés et que jay pensé dès le premier moment que cela venait du roy, et par bonté pour moy pour que nous ne fussions pas séparé, et pour que ma sœur fut ma consolation, mais il ne faut pas le dire parce que cela justifieroit le Soissons et qu'en vérité je ne suis pas payé pour cela; je seré donc ce soir a sainte menoult, ainsi je vous en prie que demain matin jy ait un courier, et tous les jours, car vous ne scauriez croire quelle est ma situation de me trouver eloignée dans ce moment icy; ne laissé jamais monsieur de la Rochefoucaud teste a teste avec le roy, car cela m'inquiète; sil en revient, qu'il sera fâché de tout ce qu'il a dit et fait; je suis persuadé qu'il recevra la reine tout au mieux et qu'il lui fera cent mille amitiés parce qu'il ce croit des torts avec quelle et obliger de les réparer, vous me manderé quelle sont les dames quelle a amenes, vous diré a monsieur de Soubize la resolution ou je suis de rester a sainte menoult, et sur toutes choses des couriers, mais si il en revient, cher oncle, que cela sera jolie, vous verrez, je suis persuader que cecy est une grâce du ciel pour luy faire ouvrir les yeux et que les méchants périront; si nous nous tirons de cecy vous convienderé que notre étoile nous conduira bien loing, et que rien ne nous sera impossible, et jespere beaucoup. Vous faite fort bien de garder la lettre de Vernage, ne la perdez pas elle nous sera peut estre utile; ma sœur vous remercie de moitié, je vous aime tendrement. brulé mes lettres[537].
Arrivée à Sainte-Menehould le 18, le jour où se répand à Paris la nouvelle de la convalescence, nouvelle que n'a pas encore la duchesse de Châteauroux, le ton de son âme est complètement changé. Avec la fatigue physique qui fait manger les mots à sa plume et lui fait écrire davante pour davantage, l'abattement moral est venu.
Et dans cette confession du moment, dans cette désespérance d'une heure, elle donne à Richelieu sa parole qu'elle renonce pour toujours à la cour:
_À Sainte-Menoult, ce 18 à onze heures._
Je suis persuadé que le roy en reviendra et j'en suis dans le plus grand enchantement, sa dévotion me paroît poussée au plus loin, et cela ne métonne pas, ne soyé pas effrayé de ma proposition de rester icy. Ma lettre n'estoit pas party que je fis reflection que cela seroit ridicule, et nous partirons demain sans faute, mais c'est assé simple que ma teste se trouve égarée par cy par la, soyé tranquille je vous promets que je vais tout de suite a Paris, si l'on parle du retardement vous pouvé dire que ce sont les chevaux qui en sont cause, comme de fait, et je vous donne ma parole d'honneur que je ne paresse plus. Jespère que vous nauré pas de scène à essuyer, cela seroit aussi trop fort, mais il est bien certain que vous estes plus a plaindre que les autres, estant plus craint et moins soutenu, tout cecy est bien terrible et me donne un furieux degout pour le pays que jay habité bien malgre moy, et bien loin de desirer dy retourner un jour comme vous croyé, je suis persuadée que quand on le vouderoit, je ne pourrois pas my resoudre, tout ce que je voudrois par la suite cest que l'on repara l'affront que lon ma fait et nestre pas deshonorée, voila je vous assure mon unique ambition. bon soir, je ne peut pas vous en dire davante estant mourante. si vous mecrivez par la poste mandé moy simplement des nouvelles du roy sans aucunes reflections, mais je voudrois scavoir comment faquinet aura esté recuet; je conte sur des couriers de tems en tems, qu'est ce que madame de Bouflers dit de notre triste avanture, faite luy mes compliment, jay rencontré la Poule[538]; elle meriteroit bien que monsieur de Soissons luy donna une petite marque de bontée, je n'en desespere pas, ou elle viendra peut estre du roy[539], cela seroit assé plaisant; ah, mon Dieu qu'est ce que c'est que tout cecy, je vous donne ma parole que voila qui est fini pour moy, il faudroit estre une grande fôle pour avoir envie de sy rembarquer, et vous scavez combien peu j'estois flatté et éblouit de toutes les grandeurs et que si je m'en estois crue je n'en serois pas la, mais cest fait, il faut prendre son parti et ny plus songer, tacher de remettre du calme dans votre esprit, et de ne point tomber malade[540].
Le voyage recommença. Ce fut un éternel chemin fait à travers les malédictions, par le carrosse détesté et honteux qui semblait porter l'impopularité du Roi. Madame de Châteauroux se cachait aux relais. À chaque ville, à chaque bourg, elle s'enfonçait et se réfugiait dans quelque route de traverse où les chevaux venaient la reprendre, sans pouvoir l'emporter assez vite pour faire taire à ses oreilles les voix de l'horizon et ce murmure lointain qui demandait sa tête[541].
Enfin elle se glissait inaperçue dans ce Paris, tout entier tendu vers les courriers de Metz, plein d'anxiétés, de prières et de larmes et vouant à Louis le Bien-Aimé un de ces grands amours nationaux de la France qui ressemblent à l'amour: ils en ont la passion, l'élan, la sincérité, aussi bien que les retours, l'illogisme et le caprice. Là, encore cachée, et se sauvant du peuple parisien, enfermée chez elle par les risées des rues et les brutalités des halles, elle se débattait avec tout ce qui la soutenait et tout ce qui l'obsédait. Aux larmes succédaient les révoltes, à l'abattement l'orgueil. Elle rejetait la disgrâce, puis l'espérance; et dans ce faible corps de femme remué et tourmenté par des crises de nerfs qui allaient jusqu'aux convulsions, les crises de l'âme variaient et se renouvelaient sans cesse.
À la nouvelle de la réconciliation du Roi avec la Reine, madame de Châteauroux se laissait aller au désespoir; puis, le surmontant, elle reprenait courage et se rattachait à cette correspondance avec Richelieu, qu'elle n'avait point cessée, et qu'elle soutenait avec cet air d'ironie et ce sourire du bout des lèvres qui est parfois le masque et le ton des plus amères et des plus profondes douleurs de l'orgueil. Elle rassemblait ses esprits, son parti, ses chances. Elle pensait à l'habileté de Richelieu, aux démarches de la princesse de Conti; et, foulant aux pieds ses chagrins et le présent, elle s'oubliait dans la poursuite de ses rêves interrompus, elle se berçait avec l'avenir, elle voyait déjà ses amours renoués, et envoyait en ces termes ses plans d'intrigues et ses raisons d'espérance à Richelieu:
… Moy je croît que s'il (le Roi) y alloit tout seul[542] cela voudroit mieux pour le debarrasser de la reine, et puis pour qu'à son retour il prit son train de vie ordinaire; je suis persuadé même que c'est là sa façon de penser et qu'actuellement il rumine a tous ces arrangements la. Je crois que la première fois qu'il vera ses aides de camps, il sera un peu embarrassé, mais il faudra tacher de le mettre le plus a son aise que faire se pourra, vous ne scavé peut être pas la raison pour quoy monsieur de Soissons en a usé avec tant de douceur pour moy, c'est que c'est l'homme du monde le plus ambitieux, qui a demandé au Roy la place de monsieur le cardinal de Rohan, et qui a sceut que je m'y estois oposé et que javois beaucoup pressé le roy pour le coadjuteur, vous m'avouré que voilà un saint homme et qu'il est bien démontré que c'est la religion qui le conduit, en vérité avoir été au moment de voir périr le roy, pour des intérêts particuliers, est une chose incroyable, et dont je ne reviendrai pas sitot. Adieu, cher oncle, je mennuye beaucoup de ne vous pas voir, vous scavez combien je vous aime.
Remettes toutes ces lettres à leurs adresses, retournés. Depuis ma lettre ecrite japrend par la votre celle que monsieur d'Argenson vous a escrit. Je ne peut pas vous dire dans quel etat elle ma mis, je suis au désespoir, par la datte de celle de monsieur d'Argenson, je voit que c'est a sa seconde communion que l'on l'a exigé de luy, et jaime mieux que ce soit dans ce moment la qu'a present, qu'il est a luy totalement, cela n'est point ébruité du tout, aparamment qu'il n'en a pas nommé d'autre, et je ne tiens pas tout perdue, vous avez très bien fait de luy escrire, pour moy jay une petite lettre toute prete et je n'attend que le moment pour luy lacher, par ou il aprendra tout ce qui s'est passé depuis le commencement de sa maladie jusqu'à la fin. Mais il faut bien prendre son temps, car il ne faut pas manquer son coup. Je ne peut pas me mettre en teste que tout cela tourne à mal, et suis meme persuade que vous feré votre ambassade. Vous auriez du tenir secret la lettre de monsieur Dargenson, et je me meurs de peur que vous n'en ayez parlé; vous avez bien raison de dire qu'il seroit joli de faire revenire la journée des dupes pour moy, je n'en doute pas, c'est justement de meme un jeudy, mais il faut de la patience, il est vray qu'il en faut beaucoup. Tous les propos que l'on vous a mandé que l'on tenoit à Paris sont très réelle, vous ne scauriez croire jusqu'où ils sont poussé, si vous y aviez parue dans ce moment la, vous auriez été mis en pièces. Vous faite très bien d'aimer madame d'Aiguillon comme vous faite et de luy escrire si souvent, car elle fait bon usage de vos lettres et elle a marqués prendre un grand interest a vous et vous aimer beaucoup; je n'en ay jamais vue un si fol que vous, voue croyé tout ce que l'on vous dit et que l'on vous aime à la folie, en vérité c'est pitoyable. Le roy continue a s'ennuyer, je crains meme que cela ne fasse trainer sa convalescence, mais il ne tient qu'a luy d'y mettre ordre, moyennant quoy il est moins a plaindre. Vous m'aviez mandé que vous me diriés quel expédient vous aviés trouvé pour Lebel et Bachelier, vous rendissent conte de tout ce qui se passeroit, mais, dieu merci, vous n'en avez rien fait, et vous me paroissé très mal informé, mais quand on reçoit des lettres de ministres aussi agréables, on doit etre content; c'est très bien a monsieur d'Argenson d'en user comme il fait avec vous, et j'en suis d'autant plus aise, qu'il est très nécessaire dans ce moment cy d'avoir quelquun comme luy dans sa manche[543]. Je vous dis que nous nous en tirerons, et j'en suis persuadé; ce sera un bien jolie moment, je voudrais déjà y estre, vous le croiré sans peine. Adieu, cher oncle, je vous aime, je vous aime de tout mon cœur, et suis outré de vous entrainer dans mon malheur, cela l'augmente je vous jure de beaucoup. Brulé toutes mes lettres, c'est a dire celles que je vous escrit. Joubliois bien de vous dire que vous avez grande raison d'estre déterminé à ne point donner la démission de votre charge, vous seriez bien fol, il ne faut la donner qu'avec votre teste, et je suis persuadé que monsieur de Soissons aura beau faire et beau dire qu'elle restera sur vos épaules, et que nous aurons le plaisir de l'y voir encore longtemps. Cela seroit pourtant plaisant que l'on vous coupe la teste pour ce que vous avez fait pendant la maladie du roy, car je ne peux imaginer ce que l'on peut luy avoir dit[544].
Dans une autre lettre du 13 septembre, madame de Châteauroux songeait à prendre un nouveau rôle, un rôle inattaquable, le rôle d'amie du Roi, et cela dans sa lettre avec des allures viriles dignes de l'allégorie sous laquelle Nattier avait représenté la nerveuse duchesse.
Ce 13 septembre, à Paris.
_Tranquillisé vous, cher oncle, il se prépare de beaux cous pour nous, nous avons eut de rudes momens a passé, mais ils le sont, je ne connoit pas le roy dévot, mais je le connoit honneste homme et très capable damitié, quelques réflections qu'il fasse, sans me flatté je croit quelle ne seront qua mon avantage, il est bien sure de moi, et bien persuadé que je l'aime pour luy, et il a bien raison, car j'ay senti que je l'aimois à la folie, mais c'est un grand point qu'il le sache, et j'espère que sa maladie ne luy a pas oté la mémoire, jusquicy personne n'a connu son cœur que moy, et je vous répond qu'il la bon et tres bon; et tres capable de sentimens, je ne vous nires pas qu'il y ait un peu de singulier par mi tout cela, mais ce n'est pas ce qui l'emporte, il sera devot, mais point cagot, je l'aime cent fois mieux, je seré son amie, et pour lors je seré inattaquable: tout ce que les faquinets ont fait pendant sa maladie, ne fera que rendre mon sort plus heureux et plus stable, je nauré plus a craindre ni changemens ni maladie ni le diable, et nous menerons une vie délicieuse, ajouté un peu plus de foy que vous ne faites a tout ce que je vous dit, ce ne sont pas des reveries, vous veré si cela ne se réalisera pas, tout cela est fondée sur la connaissance que jay de l'homme a qui nous avons afaire et je vous assure que je connoit tous les plis et replis de son ame, et qu'il y a du beau et du bon, il ne faut pas le jugé parce qu'il a fait a votre egard, il n'estoit pas encore bien a luy et je suis persuadé que l'on luy a dit quelque chose d'affreux, et je ne peux pas imaginer ce que c'est, je ne suis pas encore bien convaincu que vous nalliés pas en Espagne; mais en tout cas je ne crois pas qu'il en nomme un autre, il fera faire la demande par l'eveque de Rennes, voila mon idée, quest ce que vous en dites. vous avés bien raison de dire qu'il ne faut marquer avoir aucune esperance de retour, est inutile et cela augmenteroit la rage de ces monstres qui est déja assé considérables, je pense comme vous sur ma lettre, il vaut mieux attendre que de manqué son coup[545]. Monmartel est bien pour cela aussi, madame Tencin voudroit déja qu'elle fut reçut, mais elles sent comme nous les conséquences si elle ne l'estoit pas bien. Adieu, cher oncle, porté vous bien; pour moy je vas songer réellement a me faire une santé de crocheteur pour faire enrager nos ennemis le plus longtemps que je pourré et avoir le temps de les perdre, et ils le seront, vous pouves en être sure. vous connoissé mon amitié pour vous, elle est, je vous jure, des plus tendres, faites mes compliment a messieurs de Soubise et d'Ayen, quand vous reverré du Mesnil dite luy milles choses et que je ne luy ay pas fait responce parce que je ne n'ay su ou le prendre, voila une lettre pour monsieur Daumont que vous lui remettré bien exactement en luy faisant mes complimens[546]._
Le souffle et l'humeur d'un moment emportaient tout: une désespérance absolue et sans bornes paralysait toutes ses facultés, la force même d'un désir lui manquait, et elle demeurait sans mouvement, la pensée endormie, la volonté morte, dans un de ces anéantissements qu'elle peignait si bien alors qu'elle disait «ne plus reconnaître en elle ni madame de la Tournelle ni madame de Châteauroux, et se sentir devenir une étrangère à elle-même[547].» Puis un rien la tirait de là, un aiguillon d'amour-propre, un sentiment de vengeance contre Maurepas, contre Pérusseau, et l'impatience d'une revanche éclatante et sans pitié, ne tardait pas à la posséder, et à donner à ses idées la furie de la fièvre.
* * * * *
Le Roi, entièrement guéri au mois de septembre, laissait bientôt voir une mélancolie qui rendait l'espoir et l'audace à Richelieu: l'amour n'était point mort dans ce cœur qui trouvait la solitude où madame de Châteauroux n'était pas. Le courtisan, retiré à Bâle, se remettait à l'œuvre, il reprenait ses plans, et travaillait pour la favorite avec l'ardeur d'un homme qui travaille pour sa fortune: ne voyait-il pas dans le lointain, au bout de ses efforts, derrière le retour de madame de Châteauroux, ce triomphe personnel de son ambition, cette superbe récompense de son zèle, le rétablissement en sa faveur de la dignité de connétable de France? Après s'être éclairé, après avoir fait tâter le Roi par le cardinal de Tencin et le maréchal de Noailles[548], il adressait au Roi un mémoire détaillé sur sa maladie de Metz, mémoire habile où il avait su glisser les ombrages et les soupçons, prêter à la conduite de ses adversaires des motifs d'ordre humain, attribuer enfin à tous les ennemis de madame de Châteauroux, qui avaient abusé des remords et de la faiblesse du Roi, des sentiments d'égoïsme, des vues ambitieuses le désir presque et l'impatience de la mort du Roi.
Madame de Châteauroux à laquelle le mémoire ou la lettre était adressée par Tencin écrivait à Richelieu avec le mépris supérieur qu'elle a l'habitude d'avoir pour l'expérience, la pratique de l'humanité de son oncle.
_À Paris, ce 18 octobre[549].
J'ay vue, cher oncle, le cardinal de Tencin dont je suis enchanté; il ma montré la lettre que vous avés escrit au roy que je trouve comique et tres bonne, surement elle luy aura plu, mais vous aves mal fait de lui repondre verbalement a ce qu'il vous avait demendé; il faloit lui escrire, c'est étonnant vous ne le connoissé pas du tout et vous estes surpris comme guelquun qui arriveroit à la cour, vous estes un drole d'homme. J'ai vu et vois madame de Bouflers tous les jours dont je suis tres aise; mais ma sœur pas tant je croit, je vous charge de faire mes compliments à monsieur de Belle-Isle et de luy dire que si je ne luy ai pas écrit sur sa lieutenance[550] c'est que… je ne scay pas quoy, je men raporte a vous pour tourner cela joliment, vous senté bien que c'est que jay oublié de lui écrire et que je veux que vous raccommodies ma sotise. Adieu, cher oncle, je vous aime, je vous assure on ne peut pas davantage et suis outré d'être si longtemps sans vous voir. À propos, le petit saint (Saint-Florentin) vous fera des difficultés sur le changement que vous demandés pour vos etats, mais tachez d'avoir gain de cause, car il seroit ridicule que vous eussiez quinze jours après le siége de libre sans venir à Paris, c'est pour lors que l'on diroit que vous estes en disgrace. Remettes cette lettre au chevalier de Grille[551].
Avec les lettres de Richelieu revenaient peu à peu autour du Roi quelques-uns des favoris que l'appareil des sacrements, les foudres de Fitz-James, les lettres de cachet de d'Argenson sous enveloppe, avaient dispersés pendant l'agonie du Roi. Et avec cette correspondance et ce monde, le Roi se refroidissait pour la Reine.
Dans un court séjour chez son beau-père à la cour de Lorraine, il montrait à tous par ses distractions et sa taciturnité, un homme amoureux absorbé dans le souvenir et les regrets. La gloire ne lui souriait plus, la guerre lui semblait une longue fatigue; et le 8 novembre, aussitôt la capitulation de Fribourg signée, il repartait en toute hâte pour Paris[552]. Il y courait chercher, non point l'applaudissement et le triomphe, mais le pardon de sa maîtresse.
Tenue au courant des choses par Richelieu, suivant de sa retraite, mouvement à mouvement, le cœur du Roi, raffermie et plus osée dans les insolences de son orgueil par la certitude de tout obtenir, la duchesse de Châteauroux avait pris la résolution de ne rentrer à Versailles qu'avec les plus formelles sûretés et les plus grandes satisfactions. Pour oublier, pour pardonner les scènes de Metz, les ignominies de la disgrâce, il lui fallait une expiation proportionnée à l'humiliation, une vengeance qui fît éclat,—ce n'était point assez,—qui fît peur. Et la duchesse attendait le Roi sans l'appeler, sachant bien qu'il viendrait.
Elle n'attendait pas longtemps. Dans la nuit du 14 au 15, le second jour de l'arrivée du Roi à Paris, les femmes de la Reine entendirent trois fois gratter à la porte. La Reine avertie dit que ce n'était rien, que c'était le vent. À la troisième fois cependant, au bout d'un intervalle, on ouvrit, mais on ne trouva personne[553], Le Roi n'y était plus, il était déjà sorti des Tuileries, avait traversé le Pont-Royal, et escorté de Richelieu, frappait rue du Bac, chez la duchesse de Châteauroux[554].
Devant cette visite inespérée, mais non si promptement attendue, devant cette visite d'un Roi venant dans la nuit lui apporter ses excuses et lui demander ses conditions pour renouer, la duchesse en dépit de son énergie morale, se trouvait mal, et ne pouvait dire autre chose que ces paroles qu'elle répétait et répétait encore: «Comme ils nous ont traités[555].» Le Roi la suppliait alors de revenir à Versailles. Madame de Châteauroux ne consentait à s'y rendre qu'incognito: son retour officiel devait être précédé de la retraite de tous ses ennemis. Et le lendemain elle partait pour Versailles cachée dans une de ces voitures publiques appelées pot-de-chambre. Avant de partir elle avait dit à ses gens qui l'avertissaient de l'espionnage de Maurepas: «Bientôt, il ne m'importunera plus.»
À Versailles la duchesse se montrait une autre femme que la femme de la veille. Elle reprenait ses hauteurs et ses exigences. Elle jouait le détachement, l'indifférence et répondait froidement aux sollicitations du Roi, «que satisfaite de ne pas aller pourrir dans une prison par ses ordres, et contente d'avoir la liberté et les plaisirs d'une vie privée, il en coûterait trop de têtes à la France, si elle revenait à la cour[556]…» Et la phrase n'a rien d'invraisemblable de la part de la femme qui dans ses lettres annonce. que «les méchants périront» et plaisante avec tant d'aisance sur des têtes coupées.
Le Roi cherchait à la calmer, lui disait «qu'il fallait tout oublier, et revenir le soir même à Versailles, et reprendre son appartement et ses emplois à la cour.» Mais ces paroles du Roi ne décourageaient guère les appétits de vengeance de la favorite.
Les scènes de Metz, la duchesse le savait, avaient froissé l'amour-propre du Roi; Louis XV y avait vu une diminution de l'autorité et de la volonté royale, un empiétement dangereux de l'Église, et une victoire du clergé grossie jusqu'à l'insolence par les prédicateurs de Paris. Le mémoire et les paroles de Richelieu avaient encore envenimé ces secrètes alarmes du Roi, et le tableau désillusionnant de toutes ces ambitions, empressées à son lit de mort avec des attitudes de dévouement, l'avait vivement et profondément touché. Tout ce qui lui rappelait Metz lui était importun et suspect; et tous ceux qui l'avaient précipité dans une pénitence publique de ses faiblesses, lui étaient devenus presque aussi odieux qu'à madame de Châteauroux. Il avait perpétuellement à la bouche la cabale de Metz, et quant à messieurs de la Rochefoucauld, Bouillon, Fleury, Balleroy, le Roi ne les appelait que «ces messieurs! où sont ces messieurs? que font ces messieurs»[557]?
Il couvait une haine sourde contre Châtillon, le gouverneur du Dauphin, qui, malgré ses volontés avait amené le Dauphin à Metz[558]; il nourrissait de vives colères contre madame de Châtillon, qui avait insulté ses amours, et parlé dans ses lettres à la reine d'Espagne de l'indignité de madame de Châteauroux[559]. Et pendant le reste de la campagne, il avait laissé échapper ses ressentiments contre l'évêque de Soissons Fitz-James, et contre son confesseur Pérusseau. Il n'y avait donc que l'horreur du sang qui séparât le Roi de madame de Châteauroux. La forme seule des vengeances demandées par sa maîtresse lui répugnait; et quand madame de Châteauroux abandonnait ces idées de sang, ces demandes de têtes, qu'elle descendait à se contenter de sévérités qui suffisaient à sa vanité, l'entente était prête de se faire. Le Roi lui abandonnait le duc de Châtillon[560] qui élevait le fils du Roi dans le dégoût des amours de son père. Il lui abandonnait Balleroy[561], Fitz-James[562], Pérusseau[563], la Rochefoucauld[564], le duc de Bouillon[565] qui tous étaient envoyés en exil ou punis par la disgrâce.
Pourtant l'impérieuse duchesse caressait de plus énormes satisfactions: elle voulait rentrer en triomphe dans une cour vaincue et décimée, et elle demandait que les princes du sang partageassent l'exil de leur parti, pour que l'expiation de Metz fût entière, et que la punition de la faction fût un mémorable exemple. Le Roi avait besoin de mille efforts sur lui-même pour lui refuser ce sacrifice.
Mais où la lutte fut la plus vive, où madame de Châteauroux s'acharna, ce fut autour de Maurepas. Madame de Châteauroux tenait absolument à ce qu'il fût chassé. Le Roi s'obstinait à garder ce ministre, le seul qui lui fit tolérable l'ennui du conseil et facile le travail du gouvernement. Enfin, après de longues batailles, une transaction eut lieu: madame de Châteauroux permit au Roi de garder Maurepas, mais à la condition qu'il lui serait permis de l'humilier, et que la façon, la mesure et les moyens de l'humiliation seraient laissés à son bon plaisir.
Tout adouci qu'il était, ce féroce traité de raccommodement entre les deux amants demandait douze jours de négociations, du 14 au 25 novembre.
* * * * *
Le mercredi 25 novembre, le duc de Luynes apprenait dans la soirée le rappel des deux sœurs à la cour. Mesdames de Modène et de Boufflers jouaient chez lui, quand un laquais de madame de Châteauroux apportait une lettre à madame de Modène. Madame de Modène lisait la lettre en hâte, se levait aussitôt, donnait son jeu à tenir, passait dans un cabinet où elle écrivait un mot, et allait parler dans l'antichambre au courrier auquel elle donnait huit louis. Le laquais de madame de Châteauroux montrait l'argent aux domestiques du duc de Luynes, en disant qu'il devait avoir apporté une bonne nouvelle puisqu'il était si bien payé. La duchesse de Boufflers recevait, elle aussi, une lettre de la favorite par le même courrier et dont elle donnait plus tard lecture en particulier à quelques personnes qui se trouvaient dans le salon. Voici les termes de cette lettre de madame de Châteauroux:
Je compte trop sur votre amitié pour que vous ne soyez pas instruite dans le moment de ce qui me regarde. Le Roi vient de me mander par monsieur de Maurepas qu'il étoit bien fâché de tout ce qui s'étoit passé à Metz et de l'indécence avec laquelle j'avois été traitée, qu'il me priait de l'oublier et que pour lui en donner une preuve, il espéroit que nous voudrions bien revenir prendre nos appartements, à Versailles, qu'il nous donneroit en toutes occasions des preuves de sa protection, de son estime, de son amitié, et qu'il nous rendoit nos charges[566].
Ce mercredi 25 novembre, en effet, le Roi au sortir du conseil faisait entrer monsieur de Maurepas dans le cabinet des perruques. Là avait lieu un entretien entre Maurepas et Louis XV qui imposait à son ministre l'humiliation d'aller en personne annoncer à madame de Châteauroux son rappel à la cour. Maurepas se disposant à écrire les paroles du Roi, Louis XV lui disait: «Les voilà toutes écrites» et lui remettait un billet.
Là-dessus Maurepas partait pour Paris et se rendait à six heures, rue du Bac à l'hôtel dépendant des Jacobins de la rue Saint-Dominique qu'habitaient les deux sœurs.
Maurepas demandait au suisse de l'hôtel si madame de Châteauroux était chez elle: on lui répondait que non. Il se nommait: on lui répétait qu'il n'y avait personne. Il déclarait enfin qu'il venait de la part du Roi: la porte lui était alors seulement ouverte[567].
Madame de Châteauroux était au lit, avait dans sa chambre le duc d'Ayen qui s'éloigna, quand il entendit que Maurepas venait de la part du Roi.
Il y eut d'abord un silence pendant lequel madame de Châteauroux considéra Maurepas sans un salut, sans une parole et donna aux ressentiments de sa vanité de femme le spectacle et la pâture de l'embarras du ministre. Maurepas un moment déconcerté lui remettait le billet du Roi[568] en lui disant que le Roi la priait de venir reprendre avec sa sœur leurs places à la cour, et le chargeait de l'assurer qu'il n'avait eu aucune connaissance de ce qui s'était passé à son égard pendant sa maladie à Metz.
Madame de Châteauroux répondait:
«J'ai toujours été persuadée, Monsieur, que le Roi n'avait aucune part à ce qui s'est passé à mon sujet. Aussi je n'ai jamais cessé d'avoir pour Sa Majesté le même respect et le même attachement. Je suis fâchée de n'être pas en état d'aller dès demain remercier le Roi, mais j'irai samedi prochain, car je serai guérie[569].»
L'infinie jouissance au fond de l'orgueilleuse femme, quand, la dure commission faite, Maurepas cherchait à se défendre des préventions qu'on avait pu lui donner contre lui…, avouait son embarras: aveu qui faisait venir sur les lèvres de la duchesse «qu'elle le croyait bien», avec une intraduisible intonation. Et de quel air encore, et avec quel: «Cela ne coûte pas cher[570],» faisait-elle l'aumône de sa main à baiser à Maurepas prenant congé et sollicitant cette faveur.
La duchesse était donc couchée le mercredi soir, avec un peu de fièvre, quand Maurepas lui avait fait sa visite[571]. La fièvre augmentait pendant la nuit, elle devenait plus violente dans la nuit du jeudi au vendredi, et le vendredi soir elle se compliquait d'élancements de tête insupportables. Vernage, aussitôt qu'il était appelé, déclarait que: «c'était une grande maladie,» parlait au duc de Luynes et à l'archevêque de Rouen de ses inquiétudes au sujet de la malignité de cette fièvre, ne se montrait pas rassuré par les apaisements momentanés du mal, et dès le troisième jour de la maladie appelait en consultation Dumoulin que l'on disait à la malade envoyé par le Roi pour ne pas l'effrayer[572].
La duchesse avait cependant conscience du danger de son état. Elle faisait son testament où elle instituait madame de Lauraguais sa légataire universelle, laissant des récompenses considérables en argent et en pensions à tous ses domestiques[573]. Elle demandait à voir le père Segaud auquel elle se confessait, se réconciliait avec sa sœur de Flavacourt dans une entrevue pleine d'attendrissement[574], recevait le viatique des mains du curé de Saint-Sulpice.
À la suite de plusieurs saignées, un mieux se produisait le samedi 28 dans l'état de la malade, et qui durait le dimanche et le lundi, mais le mardi 1er décembre les nouvelles de la nuit étaient très-mauvaises, et les courtisans faisaient la remarque que le Roi était fort sérieux et qu'il ne parlait à personne à son lever[575].
Dès lors ce furent chez la duchesse des douleurs folles, des convulsions, une agitation frénétique de tout le corps, des souffrances insupportables de la tête, un délire furieux, où dans les divagations accusatrices des paroles de la favorite se mêlait le mot de poison au nom de Maurepas.
Dans la nuit du vendredi 4, la malade qui avait perdu depuis deux ou trois jours la connaissance, était saignée trois fois, et l'on s'attendait à sa mort pour le samedi[576].
Le Roi ne sortait plus que pour aller à la messe[577], ne paraissait plus que pour assister au conseil ou donner l'ordre, restant toute la journée enfermé dans ses cabinets. Messieurs d'Ayen, de Gontaut, de Luxembourg se relevaient pour lui apporter des nouvelles deux fois par jour. Et Montmartel adressait chaque jour quatre courriers à Lebel qui envoyait encore à Paris des gens à lui, de manière que le Roi eût des nouvelles à toutes les heures.
Le visage du Roi qui, avec ses rembrunissements et ses éclaircies, était une espèce de miroir sur lequel la cour, tous les jours, lisait le bulletin de la maladie, annonçait un mieux dans la matinée du samedi. Dans la journée on parlait de moments où la tête de la malade redevenait libre, et les amis de la favorite recommençaient à espérer, le jour où l'on croyait qu'elle allait mourir.
La duchesse de Châteauroux avait autour de son lit le dévouement de chaudes amitiés[578]. Monsieur de Gontaut, lié avec elle du temps qu'elle n'était encore que madame de la Tournelle, y passait des heures. Il était remplacé par d'Ayen pour lequel la froideur de la favorite s'était changée en une véritable affection, et à d'Ayen succédait Luxembourg, l'ami personnel de madame de Mailly, d'abord en disgrâce, mais tout à fait réconcilié avec la duchesse par sa maîtresse madame de Boufflers. Madame de Boufflers était une des assidues à son chevet, et l'on raconta que, la veille de la mort de la favorite, dans un moment de lucidité, la duchesse eut avec elle une longue conversation et la chargea de dire plusieurs choses secrètes au Roi.
Mais la vraie garde-malade était madame de Modène dont la chaude affection pour la duchesse l'avait fait accuser de basse complaisance pendant le voyage de Metz, et qui, dans la sincérité de son affection, montrait une indifférence qui étonnait pour son mariage avec le duc de Penthièvre. Madame de Modène soigna la duchesse de Châteauroux jusqu'au dernier moment, la servant nuit et jour, tenant la place à son chevet de sa sœur bien-aimée qui manquait.
Car, pendant que la duchesse agonisait, madame de Lauraguais, accouchée d'une fille quelques jours avant, et alitée dans l'appartement au-dessus, ignorait que sa sœur était si proche de la mort, croyait qu'elle était seulement indisposée, qu'elle avait une fluxion sur les yeux[579]. Et quand les cris de la mourante, dans ses épouvantables souffrances, montaient jusqu'à madame de Lauraguais, on faisait du bruit dans sa chambre pour distraire son attention; mais enfin ces cris elle les entendait: on lui disait alors que c'étaient les cris d'une femme en douleur d'enfant dans la rue[580].
Le lundi 7, le duc d'Ayen apprenait au Roi que la duchesse n'était pas encore morte, mais qu'elle était à toute extrémité, et qu'il devait s'attendre à recevoir la triste nouvelle d'heure en heure. Le Roi montait aussitôt dans une voiture pour laquelle on gardait un attelage tout harnaché depuis deux ou trois jours, et escorté de deux palefreniers portant des flambeaux[581], se rendait à la Muette, mandant à d'Argenson avant de partir qu'on vînt lui rendre compte seulement dans le cas d'affaires très-pressées[582].
La duchesse de Châteauroux expirait à l'âge de vingt-sept ans, le mardi 8 décembre 1744[583], à sept heures du matin, après avoir été saignée une fois à la gorge, une fois au bras et neuf fois au pied sans que la perte de tout ce sang pût parvenir à maîtriser cette agonie furibonde et la rage de ce corps épuisé[584].
Elle mourait, la favorite, selon le vœu qu'elle avait formé dès l'enfance, un jour de fête de la Vierge, le jour de la Conception[585].
Le jeudi 10 décembre, la duchesse de Châteauroux était inhumée dans la chapelle de Saint-Michel à Saint-Sulpice, à six heures du matin, une heure avant l'usage, et le guet sous les armes, pour sauver son cercueil des fureurs de la populace.
Mort étrange, fatale, et qui, rapprochée de tant d'autres morts, de tant d'autres disparitions subites de la grande scène de Versailles, de tant d'autres foudroiements, promène, derrière la comédie, la folie et le sourire de ce siècle, derrière ce carnaval enchanté du plaisir, de la galanterie, de l'esprit, les soupçons et les terreurs d'une Italie du seizième siècle! Fins hâtées, brusques dénouements de jeunes existences, renversements des plus beaux rêves, les coups de la Providence ont en ce temps une violence qui ne semble appartenir qu'aux mains de l'homme: la mort y semble véritablement humaine, tant elle se montre jalouse et précipitée! Princes, princesses, maîtresses de roi, sont enlevés si vite et dans de si particulières circonstances, qu'on les dirait emportés par l'ombre de Locuste. Le poison! un poison inconnu et ad tempus, voilà la grande épouvante léguée par la cour de Louis XIV à la cour de Louis XV. Le poison, c'est le cauchemar des agonies de ce dix-huitième siècle, qui verra plus tard le successeur de Louis XV entre un homme accusé de l'empoisonnement du Dauphin, de la Dauphine, et encore entre un homme accusé de l'empoisonnement de madame de Châteauroux: entre Choiseul et Maurepas!
Il arrivera même au milieu du siècle que devant la conviction générale de l'empoisonnement des maîtresses, des princesses des princes, des hommes et des femmes jouant un rôle à la cour, et devant les soupçons accusateurs que laisseront échapper les médecins Tronchin et la Breuil, lors de la mort de la Dauphine[586], il arrivera que Louis XV chargera le ministre Bertin de s'enquérir s'il existe des poisons qui puissent faire périr à échéance fixe, sans laisser de traces.
Et quelqu'un aura la mission du ministre Bertin de faire causer l'abbé Galiani sur les poisons de son pays. Galiani, sans se douter que le Roi le fait interroger, dira: «… Par exemple à Naples, le mélange de l'opium et des mouches cantharides, à des doses qu'ils connaissent, est un poison lent, le plus sûr de tous, infaillible, et d'autant qu'on ne peut pas s'en méfier. On le donne d'abord à petites doses pour que les effets soient insensibles: en Italie nous l'appelons aqua di Tufania, eau de Toufanie[587].
«Personne ne peut en éviter les atteintes, parce que la liqueur qu'on obtient dans cette composition est limpide comme de l'eau de roche et sans saveur.
«Les effets sont lents et presque imperceptibles; on n'en verse que quelques gouttes dans du thé, du chocolat, du bouillon, etc. Il n'y a pas une dame à Naples qui n'en ait sur sa toilette pêle-mêle avec ses eaux de senteurs; elle seule connaît le flacon et le distingue; souvent la femme de chambre de confiance n'est pas dans le secret, et prend ce flacon pour de l'eau distillée ou obtenue par dépôt, laquelle est la plus pure et dont on se sert pour étendre ou développer les odeurs quand elles sont trop fortes.
«Les effets de ce poison sont fort simples. Vous ressentez d'abord un malaise général dans toute l'habitude du corps. Le médecin vous examine, et n'apercevant aucuns symptômes de maladie, soit externes, soit internes, point d'obstructions, d'engorgements, d'inflammations, il conseille les lavages, la diète, la purgation. Alors on redouble la dose, mêmes malaises, sans être plus caractérisés… Le médecin qui n'entrevoit rien d'extraordinaire, attribue l'état du plaignant à des matières viciées, à des glaires, à des humeurs peccantes qui n'ont point été suffisamment entraînées par la première purgation. Il en ordonne une seconde. Troisième dose, troisième purgation. Quatrième dose… Alors le médecin voit bien que la maladie lui échappe; qu'il ne l'a pas connue, qu'elle a une cause, qui ne se découvrira qu'en changeant de régime. Il ordonne les eaux, etc., etc. Bref les parties nobles perdent leur ressort, se relâchent, s'affectent, et le poumon surtout comme la plus délicate de toutes, et l'une des plus employées dans le travail de l'économie animale […]
«Et par cette méthode on suit quelqu'un, tant et si longtemps que l'on veut: des mois, des années; les constitutions robustes résistent plus longtemps…[588]»
Et le confident de cette conversation ne pouvait s'empêcher de reconnaître qu'il était impossible de mieux peindre «les symptômes, les périodes, les nuances» de la maladie du Dauphin et de la Dauphine.
* * * * *
L'imagination publique, encore sous l'émotion de la mort de madame de Vintimille, ne taisait plus à la mort de madame de Châteauroux le murmure de ses accusations. Les accusateurs alléguaient les dénonciations de la mourante, ses indications précises d'avoir été empoisonnée une première fois dans une médecine à Reims[589]. Ils appuyaient sur la demi-journée passée à Paris par Maurepas, et dont l'emploi était inconnu[590]. Ils parlaient de poisons, subtils comme les poisons de la Renaissance, glissés dans la lettre du Roi.
Mais ces accusations contemporaines n'étaient que des suspicions et des préventions passionnées. Les lumières que l'histoire possède aujourd'hui donnent à l'historien le droit et le devoir d'en faire justice. Il suffira pour cela de rapporter l'opinion et le témoignage du médecin de madame de Châteauroux, Vernage. Aux insinuations d'empoisonnement, Vernage haussait les épaules. Il racontait qu'au retour de Metz, il avait prescrit à madame de Châteauroux un régime rafraîchissant, de la distraction, de l'exercice. Mais la duchesse n'avait point voulu suivre ses recommandations. Tout entière au souvenir et au ressentiment de la disgrâce, à la vengeance, elle s'était abandonnée à la fièvre de ses projets et de ses passions. Quinze jours avant sa mort, à la prière des amis de madame de Châteauroux, Vernage avait eu avec elle une longue et sérieuse conversation sur sa santé. Il lui avait dit: «Madame, vous ne dormez pas, vous êtes sans appétit, et votre pouls annonce des vapeurs noires; vos yeux ont presque l'air égaré; quand vous dormez quelques moments, vous vous réveillez en sursaut; cet état ne peut durer. Ou vous deviendrez folle par l'agitation de votre esprit, ou il se fera quelque engorgement au cerveau, ou l'amas des matières corrompues vous occasionnera une fièvre putride[591].» Et Vernage insistait auprès d'elle sur la nécessité pressante de se faire saigner, de se soigner. La duchesse promettait de prendre soin d'elle à Vernage, à Richelieu, à ses amis, à tous ceux qui l'approchaient. Mais ce grand retour de fortune, la réconciliation avec le Roi, les débordements de la joie et de l'orgueil, les imprudences amoureuses dans un moment dangereux[592], amenaient la réalisation des prévisions de la médecine: c'était une fièvre putride, avec transport au cerveau, qui enlevait madame de Châteauroux. L'autopsie venait encore confirmer le dire de Vernage: elle ne révélait d'autres désordres intérieurs que la dilatation et le gonflement sanguin des vaisseaux capillaires de la tête[593].
Cependant, il est au-dessus de ces preuves matérielles des probabilités morales qui combattent plus victorieusement encore pour la défense de Maurepas. Le caractère du ministre le met au-dessus ou au-dessous d'une pareille accusation; et sa défense, une défense qui est en même temps le jugement de Maurepas, est tout entière dans cette parole de Caylus: «Je vous réponds qu'il est encore plus incapable de crimes que de vertus[594].» Pour passer outre, pour persister dans une accusation contre laquelle protestent toutes les déductions que la justice historique peut tirer de l'attitude morale de l'homme et des dehors de son âme, il faudrait admettre qu'il y ait eu dans le dix-huitième siècle des natures assez supérieures pour cacher sous l'insouciance et l'ironie, sous la plus charmante et la plus facile légèreté de la conscience et du ton, des sentiments et des paroles, une arrière-nature pleine de ténèbres et de profondeurs où les passions sans remords auraient travaillé à des crimes sans bruit. Évidemment ce serait là une supposition dont le dix-huitième siècle ne mérite pas l'honneur: les monstres n'y sont point si parfaits, les scélérats n'y sont que des roués.
XVIII
Conversion de madame de Mailly à un sermon du P. Renaud.—Elle quitte le rouge et les mouches.—Le lavement des pieds du Jeudi-Saint de 1743.—Les charités de l'ancienne favorite.—Sa vie de pénitence.—Son testament et sa mort.
Ainsi des sœurs que le Roi avait aimées, deux étaient mortes tourmentées de la persuasion d'avoir bu la mort, désespérées et délirantes. Et la survivante, celle-là qui la première avait mêlé le sang des Nesle au sang royal, madame de Mailly, condamnée à vivre et réduite à envier le repos de mesdames de Vintimille et de Châteauroux, traînait dans la déconsidération, dans les regrets, dans les austérités et les macérations religieuses les restes d'une existence qui n'était plus qu'une expiation.
Après quelques lueurs d'espérance, désabusée par les cruelles lettres du Roi[595], «un curieux monument de la sécheresse humaine,» comme les appelle le prince de Tingry, madame de Mailly s'était arrachée du monde pour se jeter en Dieu.
Touchée par un sermon du père Renaud, ce disciple du père Massillon qui, venu comme lui de la Provence prêtait à la religion les tendresses et les élancements amoureux du Midi, madame de Mailly se sentait tout à coup ravie et dégoûtée d'elle-même par cette parole douce et pénétrante qui parlait du bonheur de vivre avec Dieu. Un jour où elle devait dîner chez monsieur de la Boissière, où elle était attendue par les convives, qu'elle avait nommés, elle faisait dire qu'elle ne pouvait pas s'y rendre; et l'on apprenait ce jour-là le grand renoncement de madame de Mailly: elle quittait pour toujours le rouge et les mouches[596].
Une transformation s'était faite en elle, pareille à ces illuminations dont les historiens des premiers siècles de l'Église nous entretiennent comme de miracles.
De ce jour elle se vouait à une pénitence exemplaire[597] et le Jeudi-Saint de l'année 1743, la cour et le peuple se pressaient chez les sœurs grises de Saint-Roch pour voir madame de Mailly, qu'accompagnait la jeune veuve du duc de la Trémoille, faire humblement le lavement des pieds[598].
Toute la bourse de l'ancienne favorite, tout son temps, toute son âme étaient aux bonnes œuvres. Elle ne s'employait qu'à visiter les pauvres et les prisons, se ruinant et se dépouillant si bien en secours et en charités, que parfois, c'était à peine si elle se réservait pour son nécessaire personnel, deux ou trois écus de six livres[599].
Cette vie d'immolation et de sacrifice menée avec courage, avec gaieté même, dura jusqu'en 1751, année où madame de Mailly mourait avec un cilice sur la chair[600]. Son légataire universel était son neveu, le fils du Roi et de madame de Vintimille; son exécuteur testamentaire le prince de Tingry auquel elle laissait un diamant de prix et, en outre, une somme de 30,000 livres «pour ce qu'il savait bien». Cette somme était destinée à solder les créanciers mal payés par le Roi et lésés dans des accommodements[601].
On enterra la pécheresse selon ses volontés, dans le cimetière des Innocents[602], parmi les pauvres, sous l'égout du cimetière; et une croix de bois fut toute la tombe de celle qui, dérangeant quelques personnes à Saint-Roch et souffletée de ce mot: «Voilà bien du train pour une p…!» avait répondu: «Puisque vous la connaissez, priez Dieu pour elle!»
APPENDICE
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MADAME DE MAILLY.
Louise-Julie de Mailly-Nesle, né le 16 mars 1710, mariée le 31 mai 1726 à Louis-Alexandre comte de Mailly et seigneur de Rubempré, son cousin germain, morte la 5 mars 1751.
* * * * *
LA MARQUISE DE VINTIMILLE
Pauline-Félicité de Mailly de Nesle, appelée avant son mariage Mademoiselle de Nesle, née au mois d'août 1712, mariée le 28 septembre 1739 à Jean-Baptiste-Félix-Humbert, marquis de Vintimille, morte le 10 septembre 1741.
Compiègne, 30 juillet 1740[603].
Je suis persuadée, madame, que vous prenez part à ce qui me regarde; ainsi il ne me fallait pas d'excuse d'avoir tardé à me faire votre compliment sur la perte que je viens de faire[604]. Je me doutais bien que vous n'en saviez rien, je compte trop sur votre amitié, pour douter un moment que vous êtes capable de m'oublier, et, à vous parler franchement, je n'imagine jamais ce qui peut me faire de la peine: c'en serait une véritable pour moi, si je pouvais prévoir que vous fussiez un moment sans m'aimer. Sans fadeur, je vous trouve si aimable et si fort à mon gré, passez-moi ce terme, que je serais furieuse si vous étiez assez mal née pour n'avoir pas pour moi un peu de bonté, car, en vérité vous avez peu de gens qui vous soient aussi tendrement attachés. Je le disputerais quasi à madame de Rochefort, à qui je vous prie de faire mille complimens. Je ne vous en ferai point à vous, en finissant ma lettre: je vous dirai tout crûment que je vous aime et que je vous embrasse de tout mon cœur.
Compiègne, 8 août 1740.
_Je suis au comble de ma joie, Madame. Cette façon de commencer une lettre vous paraît peut-être singulière; mais quand vous saurez de quoi il s'agit, vous serez aussi contente que moi. Je vous dirai donc que j'ai trouvé le moment favorable de parler à ma sœur au sujet de M. de Forcalquier; je lui ai dit ce que je pensais de la façon dont le Roi le traite, et lui ai fait un grand détail avec beaucoup d'éloquence, qui dans toute autre occasion m'aurait surprise; mais je trouve que l'on parle toujours bien quand on soutient une bonne cause et surtout quand cela regarde quelqu'un à qui on s'intéresse; enfin j'ai parlé et persuadé: je suis parfaitement contente de cette réponse. Elle m'a promis de parler; je ne mets pas en doute qu'à son tour elle persuadera: je lui ai fait de grandes avances de la part de M. de Forcalquier, et l'ai assurée que s'il ne l'avait point encore vue chez elle, c'est qu'il n'avait osé.
Elle m'a paru sensible à tout ce que je lui disais d'obligeant de sa part, et m'a dit que je lui ferais plaisir de lui amener. Réellement elle s'est portée de si bonne grâce à tout ce que je lui disais, et si aise de trouver occasion de faire plaisir, que j'aurais voulu que vous fussiez témoin de notre conversation: si vous la connaissiez autant que moi, vous l'aimeriez à la folie; elle a mille bonnes qualités et une façon d'obliger singulière. Que tout ceci ne vous passe pas, et remarquez qu'en femme prudente je ne vous écris pas par la poste: on y lit les lettres fort ordinairement. Après que vous vous serez ennuyée de la mienne, mettez-la au feu, je serais au désespoir qu'elle fût perdue._
Le duc d'Ayen m'a donné un mémoire de votre part, je ferai ce qui dépendra de moi pour faire réussir votre affaire. M. le Premier n'est point ici, je compte qu'il sera bientôt de retour: en attendant je parlerai à M. de Vassé. Je compte bien aller souper dans votre petite maison, et je regrette beaucoup de n'être pas à portée de vous voir plus souvent. Je me flatte que vous pensez quelquefois à moi; vous me devez un peu d'amitié, car on ne peut vous être plus tendrement attachée que je vous le suis.
Je vous embrasse, Madame, de tout mon cœur. Voilà l'épître de Voltaire que je vous renvoie. Le duc d'Ayen me charge de vous rendre réponse pour lui, et de vous faire mille très-humbles compliments de sa part.
* * * * *
Le buste et le portrait que Louis XV avait commandés après la mort de madame de Vintimille furent-ils exécutés et existent-ils encore? Quant à moi, je ne connais aucun portrait peint ou gravé de madame de Vintimille. Il existait un dessin d'elle dans le cabinet Fontette qui devrait se retrouver au cabinet des Estampes, mais les recherches que j'ai fait faire ont été vaines, ainsi que les recherches faites pour le portrait de madame de Châteauroux faisant partie de la même collection.
* * * * *
LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS
Diane-Adélaïde de Mailly-Nesle, appelée avant son mariage mademoiselle de Montcavrel, née en 1714, mariée à Louis, duc de Brancas, dit duc de Lauraguais, morte le 30 novembre 1769.
À propos du mariage de mademoiselle de Montcavrel avec Lauraguais, donnons cette note écrite par Louis XV et trouvée dans les papiers de Richelieu:
«Je donne 24 ou 30,000 livres au plus pour les frais de noces; 80,000 livres en rentes sur les postes dont moitié seront mises en communauté.
«La pension de dame du palais dès à présent.
«Trente ans de privilège sur les juifs et je m'engage de le renouveler pour jusqu'en 1800 inclusivement. Mais je voudrois savoir si, en accordement du mari, la femme ou les enfants jouiront de ce don des juifs, ou si l'on compte qu'ils seront partagés avec les enfants du premier lit, et à qui l'on compte que ce don reviendra en cas de mort, sans enfants des futurs époux.
«Quels biens peuvent assurer le douaire à perpétuité pour les enfants, puisque l'on en exclut le duché et les terres du comtat?»
Brevet de dame d'atours de Madame la Dauphine pour la duchesse de Lauraguais.
AUJOURD'HUY 20 décembre 1744. Le Roy étant à Versailles, s'étant déterminé de bonne heure à penser au mariage pour Monseigneur le Dauphin qui pût, en perpétuant la succession de la Couronne dans la ligne directe, affermir de plus en plus l'union qui règne entre les deux plus puissants thrones de l'Europe, Sa Majesté a fait la demande de l'Infante d'Espagne Marie-Thérèse-Antoinette-Raphaelle, cette princesse a été accordée aux vœux de Sa Majesté et à ceux de M. le Dauphin et désirant qu'elle soit servie avec la magnificence convenable à une Princesse issue d'un sang aussi auguste, Sa Majesté a voulu former sa maison des personnes les plus dignes de cet honneur, Sa Majesté a nommé la dame de Mailly duchesse de Lauraguais pour remplir la charge de dame d'atours de cette princesse. Son mérite et les autres qualités qu'exige cette place de confiance répondent à sa naissance. À cet effet, Sa Majesté a retenu et retient ladite dame duchesse de Lauraguais, en l'état et charge de dame d'atours de madame la Dauphine pour après qu'elle aura presté le serment entre les mains de madite dame, la servir en ladite charge, en jouir et user aux honneurs, autorités, prérogatives, prééminences, privilèges, franchises, libertés, exemptions y appartenants et aux gages, pensions et autres droits qui seront réglés par Sa Majesté… (Archives nationales. Lettres missives de la maison du Roi. Registre O/1 88.)
* * * * *
Un brevet du 1er février 1743 nommait déjà à cette place la duchesse de
Lauraguais.
Madame de Lauraguais recevait en janvier 1745, les boutiques de Nantes qu'avait la maréchale d'Estrées et restait la maîtresse du Roi jusqu'à l'avènement de madame de Pompadour avec laquelle elle avait de vives altercations.
Congédiée par le Roi, madame de Lauraguais est, tout le temps de la faveur de madame de Pompadour, la maîtresse de Richelieu. Elle sert chaleureusement son amant par ses intrigues et le reste d'influence qu'elle a gardé sur Louis XV, et elle contribue beaucoup à la nomination de Richelieu au commandement de l'expédition de Minorque. (Voir notre histoire de madame de Pompadour.) Faur, l'auteur de la Vie privée du maréchal de Richelieu, a donné dans son troisième volume des lettres d'elle de cette époque qui sont peut-être un peu arrangées et que je n'ose donner textuellement ici. Mais voici une lettre parfaitement authentique de l'amoureuse duchesse à propos de l'expédition de Minorque, lettre qui passait à la vente d'autographes de A. Martin:
… «Ma pauvre tête me tourne. J'ai bien peur que l'amiral Bing n'arrive avant que la tranchée ne soit ouverte, et par conséquent ne vous donne beaucoup de difficultés, et ne vous allonge votre siège. J'espère bien que vous surmonterez toutes ces difficultés et que vous serez vainqueur de Mahon. Mais je crains bien que le siège ne soit bien meurtrier. Ah que je suis donc malheureuse de vous voir au milieu de ces dangers. Je voudrois être votre cuirasse. Mais songez je vous en conjure qu'un général ne peut ni ne doit s'exposer: et puis vous n'etes pas à vous, vous etes à moi, à moi qui vous adore, qui ne vis que pour vous, qui vous regarde comme ce que j'ai de plus cher au monde. Ma vie est attachée à la votre…»
Je ne connais pas de portrait peint, dessiné ou gravé de la duchesse de
Lauraguais.
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MADAME DE FLAVACOURT
Hortense-Félicité de Mailly-Nesle, nommée avant son mariage mademoiselle de Mailly, née le 11 février 1715, mariée le 21 janvier 1739 à François-Marie de Fouilleuse, marquis de Flavacourt, vivante encore en l'an VII de la République.
«Madame de Mazarin a demandé aujourd'hui (16 janvier 1739), l'agrément du Roi pour le mariage de mademoiselle de Mailly, sœur de madame de la Tournelle avec le marquis de Flavacourt. Mademoiselle de Mailly est belle-petite-fille et nièce à la mode de Bretagne de madame de Mazarin. Elle est fille de madame de Nesle, laquelle étoit fille de M. Mazarin; et du côté de M. de Nesle, le père de M. de Nesle étoit frère de M. de Mailly, lequel Mailly avoit épousé mademoiselle de Sainte-Hermine que nous avons vue dame d'atours de madame la Dauphine. M. de Mailly eut six enfants, trois garçons dont l'aîné épousa Mlle de Mazarin, c'est madame de Mailly dame du palais. Le second s'appelle Rubempré et a épousé mademoiselle d'Arbalette de Melun, et le troisième est le chevalier de Mailly qui vient de servir en Hongrie. Les trois filles sont: madame de Listenay, madame de la Vrillière (aujourd'hui madame Mazarin) et madame de Polignac. Madame de la Vrillière a eu un garçon qui est M. de Saint-Florentin qui a épousé mademoiselle Platen, une fille morte à 12 ou 13 ans, une autre qui a épousé M. de Maurepas, et une autre qui a épousé M. de Plelo; elle est morte. Madame de Polignac a eu deux ou trois garçons dont l'aîné vient d'épouser mademoiselle de Mancini. M. de Nesle, fils de M. de Nesle dont je viens de parler avoit épousé mademoiselle de Mazarin; de ce mariage sont venues cinq filles: madame de Mailly, dame du palais, dont je viens de parler, mademoiselle de Nesle et mademoiselle de Montcavrel, mademoiselle de la Tournelle et mademoiselle de Mailly qui se marie aujourd'hui; elle a environ vingt-trois ans. M. de Flavacourt a, à ce que l'on dit, 26,000 livres de rente, et madame sa mère en a encore 22,000. Madame de Flavacourt est Grancey, elle avoit une sœur qui s'appelait madame de Hautefeuille, toutes deux filles de madame de Grancey qui avoit épousé en secondes noces le maréchal de Montrevel. M. de Nesle d'aujourd'hui a une sœur qu'on appelle madame de Nassau, laquelle a un fils qu'elle a voulu faire présenter sous le nom de prince de Nassau, mais cela a souffert quelques difficultés. Madame Flavacourt étoit présentée le 25 janvier par madame de Mazarin.» (Mémoires du duc de Luynes, vol. II).
Au dire de Soulavie, après la mort de madame de Châteauroux, Richelieu vint trouver madame de Flavacourt et lui offrit de la part de Louis XV pour remplacer sa sœur tout ce qu'elle pouvait désirer. La vertueuse madame de Flavacourt, à la longue énumération des grâces promises, répondit simplement: «Voilà tout! Eh bien, je préfère l'estime de mes contemporains!» La réponse est bien belle pour la femme qui se disait prête à se livrer au Roi, pour ne pas retourner vivre avec son mari, pour la femme que nous allons bientôt voir devenir une des premières promeneuses et soupeuses de madame du Barry.
Madame de Flavacourt a été peinte dans un portrait de Nattier connu sous le nom du Silence. Ce tableau qui passait pour le chef-d'œuvre de Nattier est aujourd'hui perdu et je doute même qu'il ait été gravé.
Elle a été représentée une seconde fois par Nattier, les cheveux courts et finissant en petites pointes frisées, la gorge nue, un carquois au dos dont l'attache retient un fragment de tunique sur la pointe de ses seins.
On lit dans le tournant du cadre: LA MARQUISE DE FLAVACOURT; dans la tablette, la phrase de Soulavie: Je préfère l'estime de mes contemporains…, et tout en bas, gravé à la pointe: Peint par Nattier.—Gravé par Masquelier.
Le premier état porte en haut de la page: T. VII, page 52. Un état postérieur porte: T. VII, pag. 85.
Ce portrait a été gravé pour l'édition des Mémoires du maréchal duc de
Richelieu (par Soulavie), publié à Paris chez Buisson, en 1793.
Madame de Flavacourt passait au Tribunal révolutionnaire et y montrait une gaieté brave qui la sauvait de la mort. Soulavie qui donne ce détail dans ses Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, dit qu'elle vivait encore en l'an VII.
Madame de Flavacourt avait eu, en 1739, un fils, Auguste-Frédéric, et, en 1742, une fille nommée Adélaïde qui, en 1755, épousa le marquis d'Étampes.
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LA DUCHESSE DE CHÂTEAUROUX
À Versailles, ce 11 mai 1744.[605]
«Que vous este heureux, monsieur le maréchal, vous este avec le Roy, que vostre ritournelle est malheureuse, elle est éloigné du roy, vous allé voit le Roy toute la journée, moy je ne le verré peut-estre que dans cinq mois, c'est bien affreux, mais vous ne me plainderé pas, car vous avez bien autre chose à penser, aussi je ne m'y attend pas. Je connois votre attachement pour le Roy, ainsi je ne suis pas en peine du soin que vous prendrez de sa personne, l'on peut s'en rapporter à vous. Adieu, monsieur le maréchal, vous devé sçavoir à quoy vous en tenir sur l'amitiés que je vous ay voué depuis bien longtemps.»
À Plaisance, ce 16 mai 1744.
«Je vous rend mille graces, monsieur le maréchal, du bulletin que vous maves envoyé. Je suis, je vous assure, bien touché de toutes vos attentions, cela me fait juger de la bonté de votre cœur, car les malheureux vous font pitié, et vous faite ce qui est en vous pour leurs adoucir leurs peines. Je vous répond que cela vous sera méritoire. Recevez en attendant, monsieur le maréchal, les assurances de la plus sincère reconnoissance et de la plus tendre amitié.
MAILLY, Dsse DE CHÂTEAUROUX.»
À Plaisance, ce 3 juin 1744.
«Je ne saurois trop vous remercier, monsieur le maréchal, de toutes vos attentions et des marques d'amitiés que vous me donnée. Tout ce que vous me mandé du roy m'enchante et ne me surprend pas. J'estois bien sure que dès qu'il seroit connu, il seroit adorée: ce sont deux choses inséparables. Je vous supplie d'estre persuadé, monsieur, de la véritable amitié que votre ritournelle vous a voué pour sa vie.
La D. de Châteauroux.»
À Plaisance, ce 5 juin 1744.
«Je vous fais mon compliment, monsieur le maréchal; voilà un début fort agréable, car le siége n'a pas été long et lon dit qu'il en a couté fort peu d'hommes, et c'est fort jolie comme cela, le roy merite d'estre heureux et estant aussi bien secondé. Les gens qui lui sont attachés peuvent estre tranquilles et surement la campagne sera brillante. Personne, comme vous pouvez bien croire, ne le désire autant que moy ni que vous soyé persuades de la véritable amitié, monsieur, que je vous ay voué.
«La D. de Châteauroux.»
«Je reçois votre lettre, monsieur, par le courrier. Je vous en suis tres obligée. Tout ce que vous me mandé m'enchante.»
À Lille, ce 28 juin.
«C'est a faire a vous, monsieur le maréchal, de prendre des villes; il me paroît que vous n'aves qu'a les regarder. Je vous assure que je vous en fais mon compliment de bien bon cœur, et que tout ce qui peut vous arriver de glorieux et de flateur me fait un plaisir extrême. Vous ne devés pas etre surpris de cette façon de penser, car il y a long tems que vous deves connoitre l'amitie veritable que j'ay pour vous, et qui ne changera jamais.
«La D. de Châteauroux[606].»
TABLE DES CHAPITRES
I
Louis XV pubère dans le courant du mois de février 1721.—Amour de la chasse et sauvagerie du jeune Roi.—Son éloignement de la femme.—Le duc de Bourbon forme le projet de marier Louis XV.—État dressé des cent princesses à marier en Europe.—Les dix-sept princesses dont le Conseil examine les titres.—Mademoiselle de Vermandois et les causes qui l'empêchèrent de devenir Reine de France.—Marie, fille de Leczinski, Roi de Pologne.—Certificat des médecins sur ses aptitudes à donner au Roi de France des enfants.—Déclaration de son mariage par le Roi à son petit lever.—Contrat de mariage de Louis XV et de Marie Leczinska.—Épousailles par procuration de la princesse polonaise à Strasbourg.—Arrivée de la Reine à Moret.—Célébration du mariage de Louis XV dans la chapelle de Fontainebleau, le 5 septembre 1725.—Amour du Roi pour sa femme.—Dépêche du duc de Bourbon sur la nuit de noces de Louis XV.
II
Maison de la Reine.—Brevet de dame d'atours, octroyé à la belle-mère de madame de Mailly.—Portrait physique de Marie Leczinska.—Caractère de la femme.—Le jeune homme chez Louis XV.—Entrevue du Roi et du duc de Bourbon obtenue par la Reine.—Disgrâce de M. le Duc.—Lettre de cachet remise par M. de Fréjus à la Reine.—Les rancunes du premier ministre contre la Reine.—La Reine obligée de lui demander la permission de faire un souper avec ses dames.—Maladie de Marie Leczinska et indifférence du Roi.—La Reine ne trouvant pas dans son salon un coupeur au lansquenet.—Louis XV abandonnant l'intérieur de Marie Leczinska pour la société de jeunes femmes.—Mademoiselle de Charolais.—Passion qu'elle affiche pour le Roi.—Madame la comtesse de Toulouse.—La petite cour de Rambouillet.—Froideurs des relations du Roi et de la Reine.—Les manies de la Reine.—Lassitude de son métier d'épouse et de mère.
III
L'attente universelle de l'infidélité du Roi.—L'Œil-de-Bœuf et l'antichambre.—Les alarmes de Fleury d'un retour d'influence de la Reine.—Les suppositions des courtisans.—La santé du Roi à l'Inconnue.—Le devoir refusé par la Reine au Roi.—Bachelier écartant le capuchon de madame de Mailly.—Son portrait physique.—L'ancienneté de la famille des de Nesle-Mailly.—Le contrat de mariage de Louise-Julie de Mailly-Nesle avec son cousin germain.—Sa liaison avec le marquis de Puisieux.—Ses relations secrètes avec le Roi depuis 1733.—Souper du Roi chez madame de Mailly à Compiègne le 14 juillet 1738.—La facile et commode maîtresse qu'était madame de Mailly.—Les soupers des petits appartements.—Tempérament atrabilaire de Louis XV.
IV
Bachelier, le valet de chambre du Roi.—Les entretiens avec le Roi, le premier rideau tiré.—Le choix fait par Bachelier d'une favorite sans ambition et sans cupidité.—Le Roi souffrant du peu de beauté de sa maîtresse.—Les tribulations de madame de Mailly avec son père et son mari.—L'inconstance du Roi.—Sa maladie de l'hiver 1738.—Madame Amelot, la jolie bourgeoise du Marais.—Les immunités et les distinctions de la favorite.—Les quarante louis des premiers rendez-vous.—Les chemises trouées et la misère de madame de Mailly après la disgrâce de Chauvelin.—Mademoiselle de Charolais et madame d'Estrées travaillant à gouverner le Roi par madame de Mailly.—Humeurs de la favorite.—Quand vous déferez-vous de votre vieux précepteur?.
V
Mademoiselle de Nesle, pensionnaire à Port-Royal.—Son plan dès le couvent de gouverner le Roi et la France.—Le besoin qu'avait madame de Mailly d'une confidente de son sang à Versailles.—Installation de mademoiselle de Nesle à la cour en mai 1739.—Sa laideur.—Son caractère folâtre et audacieux.—Louis XV faisant à madame de Mailly l'aveu de son amour pour sa sœur.—Mariage de mademoiselle de Nesle avec M. de Vintimille, neveu de l'archevêque.—Célébration du mariage en septembre.—Le Roi donne la chemise au marié.—Les complaisances de madame de Mailly.—Madame de Vintimille faisant abandonner à sa sœur la société de mademoiselle de Charolais pour la pousser dans la société de la comtesse de Toulouse.
VI
Le comte de Gramont nommé au commandement du régiment des gardes sur la recommandation de madame de Vintimille.—La mort du duc de la Trémoille.—Le duc de Luxembourg porté par les deux sœurs.—Menaces de retraite du Cardinal.—Lettre dictée à madame de Mailly par madame de Vintimille.—Fleury le neveu du Cardinal nommé premier gentilhomme de la Chambre.—Les protégés des deux sœurs.—Le maréchal de Belle-Isle.—La fraternité du duc et du chevalier.—Les projets de démembrement de l'Empire de Marie-Thérèse.—Louis XV entraîné à la guerre par les favorites.—Belle-Isle nommé ministre extraordinaire et plénipotentiaire à la diète de Francfort.—Le Cardinal forcé de faire marcher Maillebois en Bohême.—Chauvelin.—Son passé mondain et galant.—Ses manières de fripon.—Il est exilé à Bourges.—Son pouvoir occulte sur les événements politiques.—Il est à la tête du parti des honnêtes gens.
VII
Le château de Choisi.—La vie intérieure.—Louis XV ne passant plus qu'un jour plein à Versailles par semaine.—Les tentatives de madame de Vintimille pour donner au Roi le goût du gouvernement de sa maison et de son royaume.—Ses moqueries à l'endroit de la déférence de Louis XV pour son valet de chambre.—Grossesse laborieuse de la favorite.—Elle est prise d'une fièvre continue.—Colère du Roi à propos de son mutisme obstiné.—Retour à Versailles.—Madame de Vintimille accouche d'un fils.—Sa mort (9 septembre 1741).—Son cadavre servant de jouet à la populace de Versailles.—Madame de Vintimille, la femme à idées et à imagination de la famille de Nesle.—Grâce maniérée et précieux sentimental de ses lettres.
VIII
Les deux portes de l'Œil-de-Bœuf restent fermées toute la journée de la mort de madame de Vintimille.—Chagrin du Roi partant pour Saint-Léger.—Louis XV relisant la correspondance de la morte.—Le Roi est heureux de souffrir d'un rhumatisme en expiation de ses péchés.—Le petit appartement de M. de Meuse.—Les tristes soupers du petit appartement.—Mademoiselle de Charolais ne réussissant pas à rentrer dans l'intimité de madame de Mailly.—Influence de la comtesse de Toulouse et des Noailles sur le Roi.—Les emportements de madame de Mailly contre Maurepas.—L'aversion du cardinal de Fleury pour le maréchal de Belle-Isle.—Le maréchal fait duc héréditaire par la protection de madame de Mailly.—Chaleur de l'obligeance de madame de Mailly.—Son billet de recommandation en faveur de Meuse.—Sa délicatesse en matière d'argent.—L'anecdote des fourrures de la Czarine.
IX
Le Roi las de madame de Mailly.—Introduction de Richelieu dans les petits appartements.—Richelieu travaille à faire renvoyer la favorite.—Exclamation d'admiration du Roi à Petit-Bourg devant madame de la Tournelle.—Mariage de Marie-Anne de Mailly-Nesle avec le marquis de la Tournelle.—Dévotion du mari.—Apparition de madame de la Tournelle à la cour en 1740.—Inquiétude de Fleury.—Entretien du Cardinal avec la duchesse de Brancas.—Maurepas, l'ennemi des maîtresses.—Il s'efforce de détruire madame de la Tournelle dans l'esprit du Roi, en même temps qu'il joue l'amoureux de sa personne.
X
Mort de madame de Mazarin.—L'histoire de la chaise aux brancards ôtés de madame de Flavacourt.—Les deux logements donnés à Versailles à mesdames de la Tournelle et de Flavacourt.—La demande d'une place de dame du palais de la Reine faite par madame de la Tournelle.—Embarras du Cardinal et ses efforts, avec Maurepas, pour empêcher la nomination.—Généreuse et imprudente démission de madame de Mailly en faveur de sa sœur madame de Lauraguais.—L'ancien sentiment de madame de la Tournelle pour le duc d'Agénois et sa lettre pour ravoir sa correspondance.—Les timidités du Roi dans son rôle d'amoureux.—Sa conversation avec le duc de Richelieu.—Les souffrances de madame de Mailly pendant six semaines.—Ses lâchetés amoureuses pour être gardée par le Roi.—Mes sacrifices sont consommés.—La déclaration du Roi à madame de la Tournelle, en grande perruque.—La sortie désespérée de madame de Mailly.—Lettre de madame de la Tournelle sur le renvoi de sa sœur.—Les conditions éclatantes posées par la nouvelle favorite.—La retraite de madame de Mailly à l'hôtel de Noailles.—Ses journées et ses nuits de larmes.—La visite que lui fait le duc de Luynes dans l'appartement de madame de Ventadour.
XI
Refus de la duchesse de Luynes de faire partie du voyage de Choisi.—Le souper, les jeux de quadrille et de cavagnole.—Madame de la Tournelle proposant à madame de Chevreuse de changer de chambre.—Le Roi grattant en vain à la porte de madame de la Tournelle.—Lettre de la favorite donnant à Richelieu le pourquoi de son refus.—Louis XV malade d'amour.—L'aigreur et les allusions de la Reine.—Les représentations du Cardinal.—Lettre faisant appel aux sentiments religieux du Roi.—Les calotines de Maurepas.—Second voyage de madame de la Tournelle à Choisi.—La chanson l'Alleluia chantée par la favorite.—Troisième voyage à Choisi.—La tabatière du Roi tirée par madame de la Tournelle de dessous le chevet de son lit.—Départ de Richelieu, dans sa dormeuse, pour les États du Languedoc.—La favorite à l'Opéra.—Chronique des petits appartements envoyée par madame de la Tournelle à Richelieu.—Post-scriptum polisson d'une lettre de Louis XV.
XII
Mort du cardinal de Fleury.—L'ambition sans vivacité de la favorite.—Interception d'une lettre du duc de Richelieu à madame de la Tournelle.—Disgrâce momentanée du duc.—Le pot-au-feu des deux sœurs dans un cabinet de garde-robe.—Le mutisme affecté de madame de la Tournelle sur les affaires d'État.—Elle abandonne Belle-Isle et Chauvelin.—La nouvelle société formée autour de la favorite.—La Princesse, la Poule, la Rue des Mauvaises-Paroles.—Croquis de la Poule.—Madame de Lauraguais, la grosse réjouie.—Les physionomies des ministres.—Crédit de madame de Lauraguais.—Émulation amoureuse entre les deux sœurs.—La beauté de madame de la Tournelle.—Son portrait sous l'allégorie de la Force.—Les bains de la favorite.—Voyage de la Cour à Fontainebleau en septembre.—Commencement de la maison montée de madame de la Tournelle.—Le cercle restreint des soupeurs et des soupeuses.—La jalousie de madame de Maurepas empêchant pendant neuf mois madame de la Tournelle d'être élevée au rang de duchesse.—Lettre de madame de la Tournelle sur son duché.—Sa nomination et sa présentation le 22 octobre 1743.—Lettres patentes de l'érection du duché de Châteauroux en faveur de madame de la Tournelle.
XIII
Refus de Louis XV de désigner à Maurepas le successeur du duc de Rochechouart.—Richelieu nommé premier gentilhomme de la chambre.—Les Parisiens le baptisant: le Président de la Tournelle.—Portrait moral du duc.—Appropriation par l'amant des qualités et des dons supérieurs de ses maîtresses.—Action dirigeante de madame de Tencin.—Curieux type de cette femme d'intrigue.—Ses axiomes de la vie pratique du monde.—Son activité fiévreuse.—La religion de l'esprit.—Madame de Tencin organise la ligue des Noailles avec les Rohan.—Guerre qu'elle mène contre Maurepas.—Ses jugements sur le contrôleur général, le maréchal de Belle-Isle, de Noailles, d'Argenson.—La surveillance de l'entourage de la favorite.—Ses mépris de Louis XV et son instinct d'une grande politique.—Madame de Tencin donne à la duchesse de Châteauroux l'idée d'engager Louis XV à se mettre à la tête de ses armées.
XIV
Transformation de la duchesse de Châteauroux.—Ses efforts pour ressusciter le Roi.—La nomination du duc de Noailles au commandement de l'armée de Flandre.—La vieille maréchale de Noailles.—Le sermon du Père Tainturier sur la vie molle.—La grande faveur de la duchesse de Châteauroux.—Elle est nommée surintendante de la maison de la Dauphine.—La nomination de toutes les places accordées au bon plaisir de la favorite.
XV
M. de Rottembourg, mari de la fille de madame de Parabère.—Son entrevue secrète avec Richelieu, place Royale.—Offre de la coopération armée de Frédéric pour la campagne de 1744.—Conseil tenu à Choisi entre le Roi, madame de Châteauroux et Richelieu.—L'alliance du roi de Prusse acceptée, et rédaction du traité confiée au cardinal de Tencin.—Entrevues de madame de Châteauroux et de Rottembourg.—Le traité de juin 1741 précédé du renvoi d'Amelot.—Lettre de remerciements de Frédéric à madame de Châteauroux pour sa participation aux négociations.—Lettre de la duchesse de Châteauroux au maréchal de Noailles pour obtenir son adhésion à sa présence à l'année.—Réponse du parrain de la Ritournelle.—Billet ironique de la duchesse.—Les représentations de Maurepas à Louis XV.—Départ du Roi pour l'armée sans sa maîtresse.—Madame Enroux en Flandre.
XVI
Madame de Châteauroux à Champs et à Plaisance après la départ du Roi.—Lettre de la duchesse contre Maurepas.—Jalousie de la duchesse pour sa sœur madame de Flavacourt.—Départ des deux sœurs pour l'armée.—Mauvais accueil de la ville de Lille.—Lettre de la duchesse sur la capitulation d'Ypres.—Voyage du Roi et de sa maîtresse de Dunkerque à Metz.—Le Roi tombant malade le 8 août.—La chambre du Roi fermée aux princes du sang et aux grands officiers de la couronne.—Le comte de Clermont forçant la porte.—Conférence de la favorite avec le confesseur Pérusseau.—Journée du mercredi 12.—Le Roi prévenant la favorite qu'il faudra peut-être se séparer.—Le duc de Bouillon, sur l'annonce que Richelieu fait que le Roi ne veut pas donner l'ordre, se retire chez lui.—Le jeudi 13, Louis XV, au milieu de la messe appelant son confesseur.—Expulsion des deux sœurs.—Le viatique seulement donné au Roi lorsque la concubine est hors les murs.—Louis XV demandant, par la bouche de l'évêque de Soissons, pardon du scandale de ses amours.
XVII
Fuite des deux sœurs de Metz.—La duchesse de Châteauroux décidée un moment à ne pas aller plus loin que Sainte-Menehould.—Ses lettres fiévreuses à Richelieu.—Les périls et humiliations du voyage.—Rentrée à Paris.—Nouvelles lettres.—État successif de découragement et de surexcitation de la femme.—Travail de Richelieu auprès du Roi, toujours amoureux de la favorite.—Les chances de retour de la duchesse au mois d'octobre.—Entrevue du Roi et de la duchesse dans la nuit du 14 novembre.—Les têtes demandées par la favorite.—Exils de Châtillon, de Balleroy, de Fitz-James, de la Rochefoucauld, de Bouillon.—Maurepas chargé de la commission de rappeler la duchesse de Châteauroux à Versailles.—Soudaine maladie.—Délire furieux.—La malade est saignée onze fois.—Sa mort (8 décembre 1744).—Son enterrement.—Les accusations d'empoisonnement du temps.—La dissertation de l'abbé Galiani sur l'aqua tofana.—Conversation du médecin Vernage.—Maurepas encore plus incapable de crimes que de vertus.
XVIII
Conversion de madame de Mailly à un sermon du P. Renaud.—Elle quitte le rouge et les mouches.—Le lavement des pieds du Jeudi-Saint de 1743.—Les charités de l'ancienne favorite.—Sa vie de pénitence.—Son testament et sa mort.
Appendice.
FIN DE LA TABLE.
NOTES:
[1: Journal et Mémoires de Mathieu Marais sur la Régence et le règne de Louis XV, publiés par M. de Lescure, t. I.—Voici le récit de Mathieu Marais: «Le Roi a eu un mal fort plaisant et qu'il n'avoit point encore senti: il s'est trouvé homme. Il a cru être bien malade et en a fait confidence à un de ses valets de chambre qui lui a dit que cette maladie-là était un signe de santé. Il en a voulu parler à Maréchal, son premier chirurgien, qui lui a répondu que ce mal n'affligeroit personne, et qu'à son âge il ne s'en plaindroit pas. On appelle cela en plaisantant le mal du Roi.»]
[2: Villars dit dans son Journal: «Il (le Roi) est plus fort et plus avancé à quatorze ans et demi que tout autre jeune homme à dix-huit ans.» Et au conseil tenu au sujet de son mariage, le duc prononce ces paroles: «Dieu pour la consolation des François a donné un Roy si fort qu'il y a plus d'un an que nous pourrions en espérer un Dauphin.»]
[3: Louis XV mangeait effroyablement dans sa jeunesse. Narbonne, le commissaire de police de Versailles, raconte que le lundi 22 juillet 1726, Louis XV, après avoir bien dîné, allait à la Muette et qu'il y mangeait beaucoup de figues, d'abricots, de lait, puis un levraut, puis une grande omelette au lard qu'il faisait lui-même, après quoi il revenait à Versailles où il soupait comme à l'ordinaire.]
[4: Nous avons déjà indiqué dans le «Louis XV enfant» donné dans les Portraits intimes du XVIIIe siècle l'espèce de méchanceté innée qui existe chez Louis XV. En 1724, Mathieu Marais nous le montre faisant mille mauvais et cruels tours à tout ce qui l'approche, coupant les sourcils à ses écuyers, et tirant une flèche dans le ventre de M. de Sourches.]
[5: Expression d'un seigneur du temps recueillie par Soulavie.]
[6: En juin 1724, Mathieu Marais note ceci sur son journal: «Le propre jour, que le maréchal de Villeroy est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de la Trémoille, premier gentilhomme du Roi, lui servait plus que de gentilhomme et avoit fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est devenu bientôt public et l'on a envoyé le duc à l'académie pour apprendre à régler ses mœurs… Le lendemain, on a proposé de marier ce jeune homme avec mademoiselle d'Évreux, sa cousine germaine, fille du duc de Bouillon et de sa première femme qui était la Trémoille, ce qui a été agréé du Roi qui a bientôt sacrifié ses amours.»]
[7: À propos de ce voyage où il était question de déniaiser le Roi, et où madame de la Vrillière qui était chargée de la commission, emmenait la jeune et jolie duchesse d'Épernon, Barbier dit: «On espère que cela le rendra plus traitable, plus poli.»]
[8: Le Roi venait tout récemment d'être saigné du bras et du pied dans une indisposition qui avait donné des inquiétudes à la cour; et l'on avait entendu le duc de Bourbon dire: «Je n'y serai plus pris; s'il guérit, je le marierai.»]
[9: Ce renvoi de l'Infante fut une très-grosse affaire. Le Roi et la Reine d'Espagne donnaient l'ordre a l'abbé de Livry, porteur de la nouvelle de sortir des terres d'Espagne, renvoyaient en France mademoiselle de Beaujolais qui était fiancée à Don Carlos, laissaient publiquement insulter les Français par la populace, contractaient un traité d'alliance avec l'Empereur, massaient des troupes à la frontière, tenaient pendant un certain temps la France sous la menace d'une déclaration de guerre. Quant à l'Infante, cette petite fille aux jolies reparties, et en laquelle perçait déjà, dans de gentilles paroles, le dépit enfantin de ne se sentir point aimée du Roi, et bientôt la grosse honte de se voir préférer une autre Reine de France, elle partait le 5 avril 1725 pour retourner en Espagne.]
[10: Archives nationales. Monuments historiques, carton K 139-140. La plus grande partie de ces pièces ont été publiées dans la Revue rétrospective, t. XV.]
[11: La chemise qui renferme cet état porte: Raisons de marier le Roy. 1° La Religion. 2° La santé du Roy. 3° Les vœux des peuples. 4° La tranquillité dans l'intérieur. 5° La confiance des puissances étrangères. 6° Les entreprises funestes. Le second paragraphe intitulé: La santé du Roy est rédigé en ces termes: «Son état actuel a presque la consistance d'un homme formé. La dissipation d'esprit que procure le mariage apportera des fruits utiles à sa personne et à son royaume, sans altérer sa santé, au lieu que les dissipations du célibat y sont presque toujours contraires et donnent une inquiétude nouvelle à ceux qui s'intéressent sincèrement à la conservation du Roy.»]
[12: Nous donnons ces observations d'après le rapport du duc de Bourbon au Roy sur le mémoire rédigé sur son ordre.]
[13: Le duc repoussait surtout cette princesse parce que sa mère était une d'Orléans.]
[14: La véritable raison de son exclusion était le mariage de mademoiselle de Valois, fille du Régent, qui avait épousé le duc de Modène.]
[15: On ne voulait pas de cette princesse parce qu'on disait dans le public que sa mère accouchait alternativement d'une fille ou d'un lièvre.]
[16: Les papiers que nous citons réduisent complètement à néant le mémoire de Lemontey publié dans le t. IV de la Revue rétrospective, mémoire où il traite le projet de mariage entre Louis XV et mademoiselle de Vermandois de fable inventée par l'auteur des Mémoires secrets pour servir à l'histoire de Perse, et copiée depuis par Voltaire et Duclos.]
[17: Au rapport du duc de Bourbon, qui ne craignait pas de proposer d'une manière si nette sa sœur, est joint un mémoire destiné à être mis sous les yeux du Roi qui, faisant le plus grand éloge de la princesse, presse le duc de faire célébrer ce mariage comme le meilleur à faire dans la situation actuelle de l'Europe. Le rapport s'exprime ainsi: «Est-il question de faire une alliance plutôt qu'une autre, pour nous tirer de quelque grand embarras? Faut-il rompre une ligue formidable et, par quelque traité de mariage, attirer dans notre parti quelque grande puissance? Non, notre royaume tranquille au dehors comme au dedans nous permet de choisir ce qui nous paraîtra le meilleur et n'exige que de voir marier le Roi, premièrement avec une princesse qui puisse avoir vraisemblablement des enfants; secondement qui puisse, par toutes qualités de l'esprit et du corps, laisser espérer à tous les bons Français qu'elle fera le bonheur de son mari et celui de l'État. Toutes ces bonnes qualités se rassemblent d'un coup d'œil dans la personne de mademoiselle de Vermandois… Si vous choisissez une princesse étrangère, vous ne connaîtrez ni son âme, ni son corps. Quant au corps, je veux qu'elle soit suivant toutes les apparences dans les conditions requises; qui est-ce qui me répondra de ce que l'on ne voit pas, des défauts du tempérament et des infirmités qu'on a tant de soin à cacher, surtout celles qui ont rapport aux enfants? Qui peut répondre si la figure plaira au Roi? Quant à l'âme, que savez-vous ce que vous prendrez? Tout le monde sait qu'il n'y a rien de pareil à tous les artifices que l'on emploie pour plâtrer une fille à marier. Il me semble qu'elles sont toutes des anges avant leurs noces, comme elles sont des diables fort peu après… Mais voici le triomphe de la cause que je plaide; par un miracle unique, nous sommes dans un cas qui ne peut avoir rien de pareil.—Le corps et l'esprit de mademoiselle de Vermandois sont à découvert; V. A. S. les peut connaître aussi bien que l'anatomiste et le confesseur.»]
[18: Un émissaire du duc de Bourbon était allé trouver le maréchal d'Uxelles dans sa retraite, et dans une longue conférence sur la nécessité de marier le Roi, amenait la conversation sur mademoiselle de Vermandois. Et comme le maréchal lui objectait, ainsi que le croyait tout le monde, qu'elle voulait se faire religieuse, l'envoyé secret du duc laissait échapper que si la volonté de la princesse était bien décidée, ce serait un empêchement sans réplique, mais que rarement la vocation tenait à de certaines épreuves. À quoi le maréchal, qui semblait se soucier médiocrement de cette alliance, répliquait que le duc s'exposait à ce que tous ceux qui étaient opposés au renvoi de l'infante diraient qu'il ne s'était déterminé à prendre cette résolution que pour la satisfaction de ses intérêts personnels, et que la maison d'Orléans allait acquérir autant d'amis qu'il y avait de personnes jalouses ou mécontentes.]
[19: Archives nationales. Monuments historiques. Carton K, 139-140.]
[20: On répandait dans le public qu'une des conditions de ce mariage était la reddition à l'Espagne de Mahon et de Gibraltar, et que le Parlement anglais s'y était opposé.]
[21: Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, par C. Lacretelle, Paris, 1812, t. II.]
[22: Madame de Prie, reconnaissant l'insuffisance politique du duc de Bourbon, avait formé un conseil intime des quatre frères Paris. Le rôle que jouèrent ces quatre frères sous les sœurs de Nesle et madame de Pompadour mérite qu'on raconte leur origine.
Le père Paris tenait au pied des Alpes une auberge ayant pour enseigne À la Montagne, aidé dans le service des voyageurs par quatre vigoureux garçons. En 1710, un munitionnaire cherchant à travers les Alpes un passage pour faire passer promptement des vivres en Italie au duc de Vendôme, tomba dans l'auberge et confia son embarras à l'aubergiste. Le père Paris lui dit que ses fils connaissaient tous les défilés et lui feraient passer son convoi; en effet, le convoi passa. Le munitionnaire présenta les jeunes gens au duc de Vendôme qui les fit entrer dans les vivres. Nés avec le génie des affaires, un abord plaisant, actifs, unis et agissant de concert sur un plan suivi, ils réussirent tout de suite. Devenus suspects à Law dont ils critiquaient les opérations, ils étaient un moment exilés, mais rentraient bientôt en France où leur fortune était déjà assez bien établie en 1722, pour que Paris l'aîné fût nommé garde du Trésor royal. La disgrâce de M. le Duc entraînait celle des Paris, mais ils reprenaient faveur en 1730, époque où Paris de Montmartel, le cadet des quatre, était fait garde du Trésor royal. Devenu banquier de la cour, pendant tout le cours du siècle il influe tellement sur la finance du royaume, qu'il fixe le taux de l'intérêt et qu'on ne place ni on ne déplace sans le consulter un contrôleur général.—Disons que la proposition de Paris-Duverney rencontra, peut-être pour son adoption et sa réussite, les louanges que lors de la négociation à Rastadt du mariage de la duchesse d'Orléans, le comte d'Argenson avait faites de la princesse Marie, voulant la donner comme femme au duc d'Orléans.]
[23: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, par Soulavie, t. IV.]
[24: Barbier dit tenir les faits des gens de la maison.]
[25: Dans l'état des princesses à marier Marie Leczinska avait été comprise dans la liste des dix princesses rejetées tout d'abord parce qu'elles étaient de branches cadettes ou trop pauvres.—Voici la note qui la concerne: «Marie fille du Roi de Pologne Leczinski.—21 ans. Le père et la mère de cette princesse et leur suite viendraient demeurer en France.»]
[26: Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV, par Duclos, t. II.—En l'excès de sa reconnaissance, Stanislas, dans la lettre en réponse (avril 1725) à la lettre de notification du duc de Bourbon, lui écrivait qu'il lui transmettait sa qualité de père et qu'il voulait que le Roi tînt sa fille de la main du duc.]
[27: Journal et Mémoires de Mathieu Marais, publiés par M. de Lescure, t. III. On chantonnait:
Par l'avis de Son Altesse
Louis fait un beau lien;
Il épouse une princesse
Qui ne lui apporte rien
Que son mirliton.
]
[28: Lettre communiquée par M. de Châteaugiron, Revue rétrospective, t. XV.]
[29: On parlait aussi d'un mal à la main.]
[30: Archives nationales. Monuments historiques. Carton K, 139-140.]
[31: Journal et Mémoires de Mathieu Marais, t. III.—Mathieu Marais dit que, devant cette déclaration de mariage, la cour se montrait triste comme si on était venu lui dire que le Roi était tombé en apoplexie. La cour éprouvait une humiliation de ce mariage et n'était pas sans inquiétudes sur les difficultés que pouvait nous susciter avec le concours de l'Empire, du roi d'Espagne, de l'Angleterre, Auguste, le vrai Roi de Pologne.]
[32: Archives nationales. Monuments historiques. Carton K, 139-140.—Le même jour le duc de Bourbon écrivait à Marie Leczinska: «Votre mariage avec le Roi n'étant pas déclaré, je n'ai pas osé jusqu'à présent vous écrire et je me suis contenté de supplier le Roi votre père de vous assurer du désir que j'avais de voir sur le trône de France une princesse dont les vertus retentissantes dans toute l'Europe ne pourraient pas manquer de faire le bonheur de l'État, la satisfaction du Roi et la consolation de ses sujets; mais aujourd'hui que le Roi vient de rendre publique cette grande et importante affaire, ce serait manquer à mon devoir, si je différais un moment de vous marquer ma joie d'avoir été assez heureux pour qu'il se trouvât, durant mon ministère, l'occasion de rendre à ma patrie le service le plus essentiel qu'elle pût attendre de moi.»]
[33: Il s'agissait de renseignements sans doute demandés à cause des bruits qui commençaient à courir en France sur les prédilections de la princesse pour les jésuites, et à propos de ce surnom d'Unigenita qu'on était en train de lui donner. Marie Leczinska préparait pour présent de noces au Roi un livre d'heures écrit de sa main et dont elle avait fait acheter pour la reliure le maroquin à Paris.]
[34: Revue rétrospective, t. XV.]
[35: Archives nationales. Monuments historiques. Carton K. 139-140.]
[36: Mémoires du comte de Maurepas Buisson, 1792, t. II.—Le Mercure de France dit à la date du 9 août: Les princes et princesses de la Maison Royale se rendirent dans le Cabinet du Roi à Versailles pour la signature du contrat de mariage de S. M. avec la princesse Marie, fille du Roi Stanislas. Le contrat ayant été lu par le comte de Morville, il fut signé par le Roi etc… et par le comte de Tarlo chargé des pleins pouvoirs de Stanislas et de la princesse Marie pour remplir ces fonctions, lequel partit le lendemain pour porter ce contrat au Roi Stanislas à Strasbourg.]
[37: Dans les lettres du duc de Bourbon conservées aux Archives, se montre une grande indécision sur le personnage qui doit épouser Marie Leczinska au nom du Roi. Le duc songe d'abord à faire épouser la Reine par son père, puis par le duc d'Antin; il réfléchit enfin qu'il serait plus convenant de charger de ce rôle un prince du sang, et il pensait au duc de Charolais, quand le duc d'Orléans réclamait cet honneur comme premier prince du sang.]
[38: Voici le récit que donne de ce mariage la Gazette de France du 5 août 1725.
«De Strasbourg, le 16 aoust 1725.
«Le 14 de ce mois après midy, le duc d'Orléans nommé par le Roy pour épouser en son nom la princesse Marie, fille du Roy Stanislas, estant accompagné du duc d'Antin et du marquis de Beauvau, ambassadeurs de Sa Majesté Très-Chrétienne, alla au Gouvernement dans les caerosses du Roy Stanislas. Ils montèrent dans l'appartement de la princesse Marie qui s'y rendit, aussitôt après leur arrivée, avec le Roy Stanislas, et la Reine son épouse. Après la lecture des pleins pouvoirs donnés par le Roy au duc d'Orléans, le cardinal de Rohan, grand Aumônier de France, fit la cérémonie des fiançailles.
«Le 15, vers onze heures du matin, la princesse Marie se rendit avec le Roy Stanislas et la Reine son épouse à l'Église Cathédrale où le duc d'Orléans l'épousa au nom de Sa Majesté Très-Chrétienne. Cette cérémonie fut faite par le Cardinal de Rohan, grand Aumônier de France, en présence des deux ambassadeurs. Après la célébration du mariage, le duc de Noailles, Capitaine des Gardes du Corps, et les officiers qui composoient la maison de la Reine entrèrent en fonctions de leurs charges auprès de Sa Majesté qui revint au Gouvernement, où elle trouva mademoiselle de Clermont, princesse du sang, Surintendante de sa Maison, qui luy présenta les dames que le Roy a envoyées au-devant d'Elle. La Reine disna en public avec le Roy Stanislas et la Reine son épouse; et Elle fut servie par les officiers du Roy de France.»
Le Mercure de France dit que mademoiselle de Clermont était partie le 25 juillet, suivie de dix carrosses du Roi attelés de huit chevaux, accompagnée de la dame d'honneur qui était la maréchale de Boufflers, de la dame d'atours qui était la comtesse de Mailly, et de la duchesse de Béthune, et de la comtesse d'Egmont et des marquises de Nesle et de Rupelmonde. Le Mercure ajoute que toutes ces dames, par respect pour la princesse et par bienséance pour les carrosses du Roi, firent le voyage sans écharpes et en manteaux troussés. Quant à la marquise de Prie, elle avait pris les devants avec la marquise de Tallard, et était partie le 19 juillet pour Strasbourg.]
[39: Journal de Barbier, édition Charpentier, t. I.—Le duc d'Antin représenta son maître et souverain avec la plus grande magnificence, étonnant la ville de Strasbourg par le luxe de ses équipages et la tenue de ses douze pages en habits galonnés d'argent et de soie, aux parements de velours vert garnis de réseaux d'argent.]
[40: Avis salutaires du Roi Stanislas à la Reine de France sa fille, au mois d'août 1725:
«Écoutez, ma chère fille, oyez et prestez l'oreille, oubliez votre peuple et la maison de votre père; j'emprunte la parole du Saint-Esprit, ma chère enfant, pour vous dire un adieu, puisque dans l'événement d'aujourd'hui, je ne contemple que son ouvrage et la droite du Tout-Puissant qui nous conduit au travers de toute la prudence humaine, de toutes les spéculations politiques, de toute attente.
«Répondez aux espérances du Roy par toute l'attention à sa personne, par une entière complaisance en ses volontez, par la confiance en ses sentimens, et par votre douceur naturelle à ses désirs; que de luy plaire soit toute votre envie, de luy obéir tout votre plaisir, et d'éviter tout ce qui peut lui faire la moindre peine soit votre étude, et que sa vie précieuse, sa gloire et son intérest soient toujours votre unique et aimable objet.»… (Archives nationales. Monuments historiques, K, 138.)]
[41: La Reine partait le 17 de Strasbourg, couchait ce jour-là à Saverne chez le cardinal de Rohan, arrivait à Metz le 21, en repartait le 24, se trouvait à Châlons le 28, gagnait Montereau le 3 septembre, d'où le lendemain 4, elle se mettait en Marche pour Moret où elle arrivait avec le Roi qui était allé au-devant d'elle.]
[42: Journal et Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t.1.—Barbier raconte qu'il y eut un retard à Moret, parce que le carrosse de la Reine était embourbé de telle façon qu'il fallut y mettre trente chevaux pour le retirer d'une fondrière.]
[43: Mémoires de Barbier, édition Charpentier, t. I.—Soulavie parle, au moment du mariage du Roi, d'une série de peintures érotiques commandées par Bachelier à Mademoiselle R…, célèbre par ses belles nudités, pour éveiller chez le jeune Roi le goût de la femme. C'était une lascive pastorale, où l'amitié innocente d'un berger et d'une bergère était menée en douze toiles, par la succession de curiosités entreprenantes et d'amoureux attouchements, au grand dénouement. Une série de peintures identiques et auxquelles la tradition attribuait la même destination aurait été vue par M. Thoré et existait sous l'Empire dans un coin caché d'un château royal. On ne doutait pas que ces peintures ne fussent de Boucher qui les aurait peintes un ou deux ans après avoir remporté le premier prix à l'Académie de peinture.]
[44: Dans cette année de pluie diluvienne, de misère et de famine, où le pain coûtait dans certaines provinces de France jusqu'à sept sols la livre, il avait été question de ne point faire affiche de luxe dans ce mariage; mais la noblesse de France ne put se résigner à n'être point magnifique en ses habits, et Narbonne raconte que la plupart des seigneurs avaient des bas de fil d'or pur trait de la valeur de 300 livres.]
[45: Marie Leczinska s'était mariée à Strasbourg—c'est le Mercure de France qui nous l'apprend—en habit d'étoffe d'or à fond noir avec une mante en point d'Espagne d'or.]
[46: Gazette de France, n° 37 de l'année 1725.]
[47: Lettre du duc de Bourbon au Roi Stanislas le 4 septembre 1725.—Une lettre du duc de Noailles, qui fut chargé d'aller au-devant de la Reine, et qui l'accompagnait pendant son voyage, témoigne également des sentiments amoureux du Roi:
«Sire, je n'ay point voulu importuner Votre Majesté de mes lettres pendant le cours du voyage de la Reyne, sçachant que Votre Majesté étoit informée de ce qui s'y passoit et que je n'aurois fait que grossir le nombre de ceux qui avoient l'honneur de lui en rendre compte, mais je ne puis garder le silence après avoir consommé la fonction dont j'ay eu l'honneur d'estre chargé et ayant autant de sujets de félicitations à faire à Votre Majesté. La Reyne est arrivée en parfaite santé, et la manière dont elle a été reçue du Roy doit combler Votre Majesté de la joie la plus vive; elle surpasse mesme, s'il est permis de le dire, l'attente que l'on en avoit et renferme une infinité des circonstances des plus flatteuses dont l'étendue d'une lettre ne me permet pas de faire le détail à Votre Majesté…» (Musée des Archives nationales. Plon, 1872.)]
[48: Journal de Barbier; édition Charpentier, tom. I.]
[49: On jouait ce soir-là à Fontainebleau l'Amphitryon et le Mariage forcé, de Molière.]
[50: Barbier dit: «Le Roi, étant tout déshabillé se jeta dans le lit avec une vivacité extraordinaire. Ils ont été depuis onze heures du soir jusqu'à dix heures du matin. Le Roi alla ensuite se mettre dans son lit jusqu'à une heure pour se reposer.»—Voir la lettre de Voltaire du 7 septembre 1725.]
[51: Lettre du duc de Bourbon au roi Stanislas en date du 6 septembre 1725, tirée des Archives nationales et publiée par la Revue rétrospective, t. XV]
[52: Nous trouvons aux Archives nationales dans le registre du secrétariat de la maison du Roy, année 1725, un brevet à la date du 21 may de 50,000 livres de pension pour Mademoiselle de Clermont, chef du Conseil et surintendante de la Maison de la Reine pour en jouir sa vie durant par-dessus les autres pensions qu'elle a et sur ses simples quittances.]
[53: La charge avait une grande importance. La dame d'honneur avait le pouvoir «de commander sur le fait de la chambre de la Reine, de recevoir les serments des femmes de chambre et autres officiers de la chambre, de leur ordonner et commander tout ce qu'elle verra nécessaire pour le service de la Reine, de les admonester selon que leurs fautes le requerront, de disposer et d'ordonner du fait et dépense de l'argenterie et autres dépenses pour son service; de faire prendre toutes sortes de marchandises pour ce nécessaires et d'en faire arrêter le prix avec les marchands comme elle verra bon et être juste et raisonnable, désigner les rôles et autres acquits…» Je ne trouve pas le traitement que recevait la dame d'honneur en 1726, mais en 1769 elle recevait 16,558 francs qui se décomposaient ainsi, sçavoir: Gages 1,200 fr.—Pour son plat, 7,200 fr.—Habillement, 930 fr.—Jetons et Tapis, 148 fr.—Charrois, 1,080. fr.—Pensions, 6,000 fr. Cy. 16,558 francs.]
[54: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, par Soulavie. Londres, 1790, t. IV.]
[55: Journal et Mémoires de Mathieu Marais, publiés par M. de Lescure. Didot, 1868, t. III.—On lit à la fin du brevet de nomination: «Aujourd'huy six septembre mil sept cent vingt-cinq, la Reine étant à Fontainebleau, la dame maréchale duchesse de Boufflers a presté entre les mains de Sa Majesté le serment dont elle est tenue.»]
[56: Archives nationales. Registres du Secrétariat du Roi. Registre O/69. Dans l'état de 1769 nous trouvons que la dame d'atours recevait neuf mille quatre-vingt-six livres, qui se décomposaient ainsi, savoir: Gages, 600 liv.—Plat, 3,600 liv.—Charrois, 886. liv.—Pension, 4,000 liv. Cy. 9,086 livres.]
[57: Soulavie donne très-positivement madame de Mailly comme nommée dame d'atours à la formation de la maison de la Reine.]
[58: Dans l'état de 1769, la première femme de chambre a six mille francs se décomposent ainsi, savoir: Gages, 150 fr.—Nourriture, 1297 fr. 10.—Entretenement 385 fr.—Et pour tous autres droits et profits, 4,167 fr. 10. Cy 6,000.]
[59: Archives nationales. Maison de Marie Leczinska. Carton O/3742.]
[60: Mémoires du Président Hénault. Dentu, 1855.—Mémoires du duc de Luynes, passim.]
[61: C'est la Reine qui dira quand elle apprendra la part prise par la vieille et galante princesse de Conti à l'intrigue de madame de Mailly: «Ce vieux cocher aime encore à entendre claquer le fouet.» C'est elle qui dira en 1738 à la maîtresse venant lui demander la permission de se rendre à Compiègne: «Vous êtes la maîtresse.»]
[62: Mémoires de d'Argenson, édition Janet, t. I.]
[63: Le marquis d'Argenson dit: «Le Roi fait véritablement un travail de chien pour ses chiens; dès le commencement de l'année il arrange tout ce que les animaux feront jusqu'à la fin. Il a cinq ou six équipages de chiens. Il s'agit de combiner leur force de chasse, de repos et de marche; je ne parle pas seulement du mélange et des ménagements des vieux et des jeunes chiens, de leurs noms et qualités que le Roi possède comme jamais personne de ses équipages ne l'a su, mais l'arrangement de toute cette marche, suivant les voyages projetés et à projeter, se fait avec des cartes, avec un calendrier combiné, et on prétend que Sa Majesté mènerait les finances et l'ordre de la guerre à bien moins de travail que tout ceci.»—À propos des chiens du Roi, on me communique, relié dans un petit volume en maroquin vert, aux armes, un manuscrit de la main du Roi intitulé: «État des chiens du Roy du 1er janvier 1738 et des jeunes chiens entrés depuis 17… Ce petit volume portant sur son dos: État des troupes, est curieux par les noms et les` appellations des chiens et des chiennes de Sa Majesté. C'est Triomphante, Pucelle, Sultane, Gaillarde, Topaze, Volage, Furibonde, Gambade, Princesse, Mascarade, Bacchante, Gogaille, Tonnerre, Soldat, Nicanor, Tintamarre, Naufrage, Ravage et toute la suite des terminaisons ronflantes en aux: Fialaux, Favinaux, Fanfaraux, Garçonneaux, Rapidaux, Merveillaux, Barbaraux, Demonaux, Cerberaux, etc.]
[64: Mémoires du duc de Luynes, t. II et III.—Mémoires du duc de Richelieu, par Soulavie, t. IV et V.]
[65: Dans le choix de ses soupeurs qui ne comprenait qu'un petit nombre des seigneurs qui avaient chassé avec lui dans la journée, le Roi mettait un despotisme taquin, cruel parfois. Un jour, ayant accepté du duc de Crillon un mouton venant du midi et dont la chair passait pour excellente, il se complaisait à ne pas l'inviter à manger de son mouton avec les autres chasseurs. Un autre jour, le prince de Léon qui était fort gourmand et désirait manger d'un poisson que l'on devait servir le soir, ayant été oublié sur la liste du souper, se mettait intrépidement à table avec le Roi. Aussitôt Louis XV de dire: «Nous sommes treize, et je n'ai demandé que douze couverts; il y a quelqu'un de trop et je crois que c'est M. de Léon; donnez-moi la liste, je veux le savoir.» Le duc de Gesvres, désirant sauver M. de Léon, faisait semblant d'aller chez Duport, huissier de l'appartement, et revenait disant qu'il n'avait trouvé ni Duport, ni la liste. «Je le crois bien, reprenait le Roi piqué, car Duport est à droite et vous avez été à gauche, allez donc le chercher où il est.» La liste fatale, où n'était pas M. de Léon, était apportée. Il restait néanmoins à table, mais le Roi ne lui disait pas un mot, ne lui offrait de rien, affectait même de faire le tour à droite en servant un plat de rougets barbets, et en finissant ce plat au voisin de M. de Léon. Le malheureux gourmand, dit Soulavie, eut la bonté de mourir de douleur pour cet affront.]
[66: Vie privée de Louis XV, à Villefranche, chez la veuve Liberté, 1782, t. V.]
[67: Journal de Barbier. Édition Charpentier, t. I.]
[68: Mémoires du Président Hénault, publiés par le baron de Vigan. Dentu, 1855.]
[69: Journal de Barbier, t. I.]
[70: Histoire de la Régence, par Lemontey, t. II.—Un manuscrit de l'Arsenal, Histoire de France, n° 220, donne une version un peu différente.—«Madame, ne soyez pas surprise des ordres que je donne. Faites attention à ce que M. de Fréjus vous dira de ma part; je vous en prie et vous l'ordonne.»]
[71: À propos du néant absolu auquel a été réduite Marie Leczinska après la chute du duc de Bourbon, donnons cette lettre de la Reine adressée à M. de Fréjus et que veut bien me communiquer M. Boutron.
«31 août 1726.
«Vous ne doutez pas, Monsieur, du plaisir avec lequel j'ay receu votre lettre, vous m'en avez fait infiniment en me mandant des nouvelles de la santé du roy, pour laquelle il m'est naturel d'être toujours inquiète; je suis bien fâchée que la peine qu'il a eue de se lever si matin aye esté inutile, ayant eu une si vilaine chasse, remercié (le) de la bonté qu'il a pour la femme du monde la plus ataché et qui la resent le plus vivement et dont le seul désir est de le mériter; toute mon impatience est de l'en aler au plutôt assurer moi-même, ce que j'espère ne tardera point, me portant de mieux en mieux; j'ay esté fort afoiblie par le chaud qu'il a fait, mais depuis qu'il est cessé, mes forces me reviennent; je n'envoye à Fontainebleau que lundi, comme nous sommes convenus, crainte d'incomoder le roy. Si je suivois mon inclination, vous i veyrez des couriers plus souvent; je suis fort contente de ce que vous me dites de mon entresol, vous connoissez mon gout a estre seule, ainsi vous pouvez juger par là qu'il ne me déplaira pas. Vous avez raison de dire que l'on ne fait point la même chose à ma cour qu'à celle du roy, au lieu que l'on ne fait que bailler à Fontainebleau, à Versailles on ne fait que dormir; pour moi, en mon particulier, je m'en fait une occupation et de jour et de nuit, m'ennuyant beaucoup, cela ne déplaît point à mes dames que vous sçavez estre très paresseuses. À propos desquelles je vous dirai que j'ay fait comme je vous dit qui esté comme elles sont toute la journée chez moy de leur donner la permission d'estre habillé plus commodément, et pour celles qui ne sont point dames du palais ont eu ordre d'estre en grand habit. Comme il m'est revenue de plusieurs endroits que cela faisoit de la peine aux autres, et que plusieurs même qui sont resté à Paris, ont tenue quelque discours sur cela; j'ay résolue aujourd'hui et j'est même dit à la maréchalle que me portant bien et sortant demain à la chapelle, qu'elles se missent toutes en grand habit. J'espère que vous approuverez cela, d'autant plus que effectivement, il n'y a ici, outre mes dames que très peu d'autres, et que l'on prétend que c'est cette raison qui les empêche de venir.
«Je souhaiteroit de sçavoir aussi les intentions du roy, sur mon ajustement et de celles qui me suiveront en arrivant à Fontainebleau; couchant à Petitbourg, cela fait une espèce de voyage; enfin vous me ferez plaisir de me donner vos conseils en tout, et celui qui me sera le plus sensible de tout est que vous soyez persuadé de ma parfaite estime pour vous.
«MARIE.»
«À Versailles.
«Je vous aurez escrit plutôt sur le mécontentement des dames, mais, j'ay esté trop foible, je crois que vous ne désaprouverez pas ce j'ay fait d'autant plus que me portant bien présentement elle n'ont pas besoin d'être si assidue, je ne doute point que vous n'ayez de la peine à lire ma lettre, ma main estant encore un peu tremblante.
«À Monsieur,
«Monsieur l'ancien Évêque de Fréjus,
«En Cour.» ]
[72: Journal de Barbier, t. II.]
[73: Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV, par Narbonne, premier commissaire de police de Versailles, édité par le Roi. Versailles, 1866.]
[74: Ce sera une amusante comédie, quand madame de Mailly sera devenue la maîtresse, de la voir le soir, au jeu quotidien de cavagnole de la Reine, après la visite d'un demi-quart d'heure du Roi, aussitôt le Roi sorti, demander à la Reine la permission de quitter et passer son tableau à une autre joueuse.]
[75: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. I.]
[76: Le marquis d'Argenson dit: «Pour ce qui est de la société, au commencement de son mariage, le Roi voulait passer ses soirées chez la Reine, y jouer et y causer. La Reine, au lieu de l'y attirer, de l'y mettre à son aise, de l'y amuser, faisait toujours la dédaigneuse. Aussi le Roi en prit-il du dégoût, et s'habitua à passer ses soirées chez lui d'abord avec des hommes, puis avec des femmes, sa cousine Charolais, madame la comtesse de Toulouse.» Disons que les dédains, attribués à Marie Leczinska par d'Argenson, étaient de l'embarras, de la gêne, de la peur.]
[77: C'est elle qui, faisant enlever une échelle ayant tout l'air d'une potence au moment d'une visite de Law à Saint-Maur, disait à madame la Duchesse: «Belle maman, il faut la faire ôter, il prendrait cela pour une incivilité.» C'était encore elle qui disait, à propos de madame Amelot, la prétentieuse femme du secrétaire d'État, qui se plaignait de ne pouvoir se rendre de sitôt à Versailles, parce qu'elle avait à meubler sa maison de Versailles, de Fontainebleau, de Compiègne: «Il ne faut pas s'étonner, c'est la tapissière du Marais.»]
[78: Mémoires du duc de Richelieu, par Soulavie, t. IV.]
[79: Ibid., t. V.]
[80: On la disait malade pendant les six dernières semaines de sa grossesse, et l'on allait savoir de ses nouvelles sans en demander plus. Malheureusement, un jour, un Suisse tout neuf répondait à un domestique qui venait s'informer de la santé de mademoiselle: «Aussi bien que son état peut le permettre et l'enfant aussi.»]
[81: Soulavie, sans donner aucune preuve de son dire, affirme que la liaison du Roi avec mademoiselle de Charolais est incontestable, mais qu'elle n'a duré que très-peu de temps, parce que Louis XV voulait trouver de la solidité dans les sentiments qu'on lui témoignait, solidité dont mademoiselle de Charolais était absolument incapable.]
[82: Marie-Victoire-Sophie de Noailles, née le 6 mai 1688, fille d'Anne, duc et maréchal de Noailles, et de Marie-Françoise de Bournonville, avait épousé en premières noces Louis Pardaillan d'Antin, marquis de Gondrin, avec lequel elle avait vécu seulement trois ans, et s'était remariée le 22 février 1728 avec Louis-Alexandre légitimé de France, comte de Toulouse.]
[83: Mémoires du duc de Richelieu, par Soulavie, t. IV.]
[84: Le Glaneur historique et moral, juin 1732.]
[85: Peut-être à la fatigue, au dégoût de ces plaisirs que sollicitait sans se lasser le tempérament du Roi, se joignaient des suggestions, des conseils à voix basse, des paroles tombées au fond de l'âme chrétienne de la Reine, maintenant mère d'un Dauphin, l'inspiration d'étranges scrupules sur le respect dû à la sainteté du sacrement, et le doigt d'un confesseur, montrant les anges qui gardent le lit nuptial purifié par la continence.]
[86: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, t. IV.]
[87: Mémoires du marquis d'Argenson, édition Renouard, t. II.—«Madame de Mazarin entretenait publiquement le beau du Mesnil, un joueur pour lequel elle était obligée de vendre un jour, dit d'Argenson, son hôtel, ses nippes, ses pôts-à-oille, ce qu'elle avait tiré de ses amants l'abbé de Broglie et M. de Maugis, ce qu'elle avait volé à la Reine.»]
[88: Madame de Gontaut, belle-fille du maréchal de Biron qui, au dire de Besenval, avait le visage le plus beau et le plus parfait qu'ait jamais formé la nature, s'était mise sur les rangs pour enlever le Roi à sa femme, quatre ou cinq ans après son mariage. Et l'intrigue, aidée par une cabale, touchait à la conclusion de si près que le vieux ménage des Biron, pour ne pas être témoin du déshonneur de sa belle-fille, se préparait à se retirer dans sa terre. Dans ce temps, M. de Gesvres, célèbre par son impuissance, et dont les manières de femmelette étaient si moquées, chargé d'un message pour le maréchal, était par lui retenu à souper. Madame de Gontaut, qui n'aimait pas le duc, apostrophait tout à coup, au milieu du repas, son fils, le jeune Lauzun: «Je vous trouve bien des couleurs aujourd'hui, par hasard auriez-vous mis du rouge?» Le jeune homme se défendant d'en avoir mis: «Eh bien, si vous dites vrai, reprenait madame de Gontaut, frottez-vous avec votre serviette pour faire voir à tout le monde que vous n'en avez pas, car rien n'est si affreux pour un homme et ne le couvre d'un plus grand ridicule.» Au retour de son message, comme le Roi vantait la figure de madame de Gontaut, le duc de Gesvres faisait chorus avec le Roi sur les charmes de la jeune femme, ajoutant que «c'était bien dommage que des dehors si séduisants couvrissent un sang entièrement gâté par la plus affreuse débauche.» Il n'en fallut pas davantage pour que le Roi ne songeât plus à madame de Gontaut.]
[89: Mémoires du duc de Richelieu, t. III.]
[90: Mémoires de Maurepas, t. II.]
[91: Mémoires du comte de Maurepas, t. II.—Le public faisait grand bruit autour du nom de madame Portail, la femme du premier président, mais Versailles n'ignorait pas que sa malice, sa folie, les allures entreprenantes de toute sa personne avaient effrayé le Roi qui s'était fait remplacer au rendez-vous par M. de Lugeac. On citait encore une madame d'Ancézune et d'autres, mais la cour savait qu'aucune de ces femmes, amenées au Roi pour tromper ses sens et le distraire des froideurs de la Reine, n'étaient faites pour toucher son cœur. Aucune n'était de taille à continuer son rôle au-delà d'un caprice, à étendre son rêve au-delà du réveil.]
[92: Mémoires du marquis d'Argenson, édition Renouard, t. II.]
[93: Mémoires du duc de Luynes, t. II.]
[94: Narbonne, le commissaire de police qui a fait un relevé des séjours du Roi hors de Versailles, nous apprend qu'en 1730 le Roi ne demeure que 102 jours à Versailles, en 1731, 116 jours, en 1732, 105 jours, en 1733, 125 jours.]
[95: Madame de Toulouse qui, au dire d'un contemporain, était d'une avarice égale à son père le maréchal de Noailles, tirait de temps en temps de Louis XV pour s'indemniser de ses séjours chez elle, des ordonnances de 150,000 à 300,000 livres.]
[96: Mademoiselle de Charolais acquérait au commencement de 1733 de M. de Pezé, gouverneur et capitaine de Madrid et du Bois de Boulogne, une maison dans la cour du château… Elle faisait de cette habitation à mi-chemin de Versailles et de Paris sa principale demeure et s'y réjouissait fort. Dans les jours gras de cette année, ayant renvoyé après le souper tout son monde, le petit duc de Nivernais, jeune homme de quinze ou seize ans, ennuyé de quitter la partie, se cachait derrière une portière, et était témoin d'un tête à tête très-vif de la princesse avec le comte de Coigny. Il était surpris et réprimandé par la princesse, dont il se vengeait par la chanson
La fille la plus vénérable,
Sans contredit,
S'ajoute un titre respectable,
Dont chacun rit.
Demoiselle par excellence.
. . . . . . . . . .
Deux mille à qui Coigny succède
Diront ici.
Ce qu'à la fée qui l'obsède
Dit Tanzaï.
]
[97: Le marquis d'Argenson raconte ainsi le fait dans ses Remarques en lisant, n° 2103: «Un domestique principal de la Reine m'a dit que c'était cette princesse qui avait la première fait divorce avec le Roi; que depuis deux ans il avait madame de Mailly; quand la Reine en fut informée, elle s'imagina sottement qu'il y avait du risque pour sa santé, puisque madame de Mailly avait eu accointance avec des libertins de la cour. Elle refusa donc les droits de mari au Roi, car il allait souvent coucher avec elle. La dernière fois, il passa quatre heures dans son lit sans qu'elle voulût se prêter à aucun de ses désirs. Il ne la quitta qu'à trois heures du matin en disant: «Ce sera la dernière fois que je tenterai l'aventure;» et ce fut la dernière fois.]
[98: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, par Soulavie, t. V.—Il n'y a pas pour ainsi dire de bibliographie à faire des biographies des demoiselles de Nesle; l'histoire de leur vie est éparse dans de Luynes, dans d'Argenson, dans les Mémoires de Richelieu. Et je ne trouve guère jusqu'à nos temps que deux morceaux de biographie spéciale consacrés à la plus jeune: la notice de deux pages sur la duchesse de Châteauroux insérée dans les Portraits et caractères de personnages distingués de la fin du XVIIIe siècle, par Senac de Meilhan, Dentu, 1813, et le Fragment des mémoires de la duchesse de Brancas, publié dans les Lettres de Lauraguais à madame ***. Buisson, an X (1802).
Je citerai cependant un petit volume très-rare publié, en Allemagne, sans indication de localité, intitulé: Remarquable histoire de la vie de la défunte Anne-Marie de Mailly, duchesse de Châteauroux, favorite de Louis quinzième, roi de France, 1746 (en allemand), volume contenant quelques anecdotes qui ne se trouvent que là.
En dehors de cela, il n'y a pas autre chose à consulter que les imbéciles romans allégorico-historiques qui contiennent si peu de vérité vraie. C'est Tanastès, Conte allégorique, la Haye, 1745, où madame de Mailly, madame de Châteauroux, madame de Lauraguais sont désignées sous les surnoms d'une fée antique, d'Ardentine, de Phelinette. Ce sont les Mémoires secrets sur l'histoire de Perse, Amsterdam, 1749; où Retima, Zélinde, Fatmé, sont les pseudonymes sous lesquels se dissimulent madame de Mailly, la comtesse de Toulouse, mademoiselle de Charolais. Ce sont enfin les Amours de Zeokinizul, Roi des Kofirans, Amsterdam, 1747, qui désignent la comtesse de la Tournelle sous l'anagramme de Lenourtella, madame de Vintimille sous celui de Lentinimil, madame de Mailly, sous celui de Liamil.
Et c'est là, je crois, presque tout. Cependant il ne faut pas oublier surtout pour l'histoire de madame de la Tournelle le curieux et rare livre intitulé: Correspondance du cardinal de Tencin et de madame de Tencin sa sœur avec le duc de Richelieu. Sur les intrigues de la cour de France depuis 1742 jusqu'en 1757, et surtout pendant la faveur des dames de Mailly, de Vintimille, de Lauraguais, de Châteauroux, de Pompadour, 1770. Ce livre cité, nous tombons dans le roman et les correspondances apocryphes comme celle-ci: Correspondance inédite de madame de Châteauroux avec le duc de Richelieu, le maréchal de Belle-Isle, de Chavigni, madame de Flavacourt, etc., par madame Gacon Dufour, Paris, Collin, 1806, 5 vol. in-16, etc.]
[99: Mélanges historiques, par M. B… Jourdain, t. II.—Boisjourdain, opposant la beauté de madame de Mailly à la beauté charnue et matérielle de madame de Vintimille, dit que c'était une beauté maigre et efflanquée.]
[100: Un grand nombre de peintres firent le portrait de madame de Mailly, puisqu'à la date de décembre 1739, le duc de Luynes écrit: «L'on peint actuellement madame de Mailly en pastel. C'est un nommé Latour. Madame de Mailly disait ce matin que c'était le seizième peintre qui a fait son portrait.»
De ces seize portraits et de ceux qui suivirent, il n'y en a pas un seul d'existant aujourd'hui dans les musées et les collections particulières.
Comme portrait gravé, nous n'avons qu'une misérable gravure exécutée pour l'édition de Soulavie de 1793.
Madame de Mailly est représentée en robe montante bordée de fourrure, avec sur la tête une espèce de fanchon noire nouée sous le menton, et le buste enveloppé d'un grand voile jouant autour d'elle.
Ce portrait porte dans le tournant du cadre: MADAME DE MAILLY: dans la tablette: Puisque vous la connaissez si bien, priez donc Dieu pour elle. Au-dessous de la tablette, on lit à la pointe sèche, sans indication de nom de peintre: N. V. I. Masquelier sc. 1702. Ce portrait figure dans le volume 7, page 88.]
[101: Voici le curieux récit du duc de Luynes (12 août 1739): «Le mercredi, le Roi partit de la Meute sur le midi, il alla à Madrid, où il entra chez Mademoiselle qui dormait; ne s'étant point réveillée, le Roi alla chez mademoiselle de Clermont qui se réveilla, mais la visite ne fut pas longue. Le Roi passa ensuite à l'appartement de madame de Mailly; elle était éveillée, mais dans son lit, toute coiffée et la tête pleine de diamants, mais elle couche toujours ainsi; elle avait sur son lit la jupe de son habit pour le mariage de Madame, et dans sa chambre un joaillier nommé Lemagnan qui a beaucoup de pierreries et qui prête des parures valant deux ou trois millions. Il y avait aussi des marchands de Paris de parure d'habits que l'on appelle de Charpes (Duchapt) et que madame de Mailly appelle ses petits chats. Le Roi entra dans la plaisanterie et les appela de même, examina la jupe et les pierreries du sieur Lemagnan fort en détail.»]
[102: «Le Roi, encore sauvage et délicat en 1732 (époque de ses premières passions pour madame de Mailly), ne recherchant alors aucune femme s'il n'en était recherché lui-même… Madame de Mailly, qui n'était ni entreprenante, ni dévergondée, avait fait toutes les avances pour séduire le Roi qui n'en fut pas séduit. Attendant le moment indiqué, assise sur un canapé, affectant une posture voluptueuse, montrant la plus belle jambe qu'il y eût à la cour et dont la jarretière se détachait; cette affectation même repoussa le jeune monarque. Bachelier voulut lui faire apercevoir des objets délicieux, et le Roi, honteux ou distrait, n'y prit pas garde. Madame de Mailly l'agaça et le prince fut froid; alors Bachelier voyant que tout était perdu sans une entreprise déterminante, prit le Roi sous les aisselles et l'obligea… et le Roi qui jouait à cheval fondu avec Bachelier et Lebel et autrefois avec le cardinal, dans l'intérieur de ses appartements quand il était seul avec eux, se laissa précipiter sur madame de Mailly par son valet de chambre.»
Au récit de Soulavie, ajoutons le récit de Boisjourdain, qui diffère sur les détails, mais qui témoigne d'une certaine violence exercée sur les sens du Roi: «Le duc de Richelieu fut chargé par le cardinal de Fleury de lui proposer madame de Mailly. Ce seigneur, qui savait se plier à tout et qui plaisait au Roi, trouva le moyen de le mettre adroitement dans la conversation sur le compte de la Reine; lui parla du vide qu'elle laissait dans son cœur, de son ingratitude et de la nécessité de remplacer la passion qu'il avait pour elle par une autre; enfin détermina le Roi à une entrevue avec madame de Mailly; mais elle fut infructueuse; le Roi, soit timidité, soit par un reste d'attachement pour la Reine, ne fut pas ébranlé. La dame en fut désespérée et se plaignit qu'on l'eût exposée à une sorte d'affront. L'on eut bien de la peine à la décider à un second tête-à-tête; on la prévint qu'il fallait oublier le monarque et ne s'occuper que de l'homme. La facilité du jeune prince à revenir à elle l'encouragea et l'enhardit elle-même. On assure que, dans ce rendez-vous, pour triompher et parvenir à son but, elle ne se borna pas aux agaceries ordinaires, mais qu'elle se laissa aller aux moyens et aux avances des plus habiles courtisanes. Alors le jeune homme se livra à des emportements d'autant plus violents qu'ils avaient été longtemps contraints. Enfin madame de Mailly sortit dans une espèce de désordre amoureux du lieu où elle avait été seule avec le Roi, et, passant devant ceux qui avaient intérêt à connaître le résultat de la démarche, elle ne leur dit autre chose que ces mots très-expressifs: «Voyez, de grâce, comme ce paillard m'a accommodée.»
Enfin, le marquis d'Argenson, tout en se trompant sur la date de l'aventure et sur l'introducteur, la raconte en ces termes: «Cela s'est accompli dans les entresols du Roi; un nommé Lazure en est le concierge; il a sous lui un second qui amena au Roi cette dame, c'était l'hiver dernier; elle parut derrière un paravent. Le Roi était honteux, il la tira par sa robe; elle dit qu'elle avait grand froid aux pieds, elle s'assit au coin du feu. Le Roi lui prit la jambe et le pied qu'elle a fort joli, de là il lui prit la jarretière. Comme elle avait ses instructions de ne pas résister à un homme si timide, elle dit: «Eh! mon Dieu! je ne savais pas que Votre Majesté me fît venir pour cela, je n'y serais pas venue!» Le Roi lui sauta au cou, etc.».]
[103: Mémoires du duc de Richelieu, par Soulavie, t. V.]
[104: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. I.]
[105: Mémoire signifié par Louis de Mailly, marquis de Nesle, chevalier des ordres du Roy, demandeur, contre les syndics et directeurs de ses prétendus créanciers, défendeur.—Mémoire pour les syndics.—Mémoire pour les syndics et directeurs des créanciers du marquis de Nesle contre le marquis de Nesle.—Les papiers séquestrés de la famille de Mailly aux Archives nationales contiennent plusieurs cartons de pièces imprimées ou manuscrites: procédures, saisies, ventes de vaisselle plate, etc., de l'infortuné marquis.]
[106: Papiers séquestrés. Famille Mailly de Nesle.—Contrat de M. le comte et madame la comtesse de Mailly, 30 may 1726. Carton 1/1-10.]
[107: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. I.—Le duc de Luynes nous apprend qu'en mars 1740, par suite de partage, les quatre sœurs—il y avait des arrangements particuliers pour mademoiselle de la Tournelle—avaient chacune 7,500 liv. de rente ou environ, savoir 100,000 écus à rente constituée au denier-vingt, 200,000 liv. qui étaient au denier-quarante, et 200,000 liv. d'argent comptant. Outre cela madame de Mailly, à qui M. de Nesle en la mariant avait promis 8,000 liv. de rente et qui n'en avait jamais rien touché, devait être payée de quatorze ou quinze années d'arrérages qui lui étaient dus.]
[108: Journal des règnes de Louis XIV et de Louis XV, par Pierre Narbonne, premier commissaire de police de Versailles, édité par Le Roi. Versailles, 1866.]
[109: Mémoires du duc de Richelieu, par Soulavie, t. V.]
[110: Journal de Barbier, édition Charpentier, t. III.]
[111:
Notre monarque enfin
Se distingue à Cythère;
De son galant destin
L'on ne fait plus mystère
Mailly, dont on babille,
La première éprouva
La royale béquille
Du père Barnaba!
]
[112: Journal des règnes de Louis XIV et de Louis XV, par Pierre Narbonne, Versailles, 1866.—Cette affiche publique de la liaison du Roi avec madame de Mailly venait à la suite d'une brouille. D'Argenson dit, à la date du 16 juin 1738: «Madame de Mailly a été brouillée avec le Roi pendant la semaine de la Pentecôte, et personne ne sait pourquoi, mais elle est raccommodée et bien mieux que jamais. Amantium iræ amoris integratio est, dit Térence.»]
[113: Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV, par Pierre Narbonne, Versailles, 1866.]
[114: En fait d'ingénuité, Barbier raconte celle-ci: «Le seigneur de la Roque qui fait le Mercure galant a été à l'extrémité avant le voyage de Fontainebleau… Fuzelier, poëte qui a fait plusieurs pièces, garçon d'esprit et mal à l'aise, a fait des mouvements auprès de M. de Maurepas, de qui cela dépend pour avoir cette commission. Comme il est de tout temps ami du marquis de Nesle et de madame de Mailly sa fille, il l'alla trouver un matin dans son lit et lui dit: «Madame, je viens vous prier de me rendre un service.» Elle se défendit d'abord sur ce qu'elle ne demandoit quoi que ce soit; il la tourmenta tant, qu'elle lui dit: «As-tu un mémoire?—Oui, madame.» Elle le prit, le lut. «Qu'on me lève, dit-elle: mes porteurs! Va m'attendre chez M. de Maurepas, j'y vais dans le moment.» Elle y arrive. M. de Maurepas n'étoit pas chez lui. Elle dit à son valet de chambre qu'elle reviendra, et de prier M. de Maurepas de l'attendre, et par un effort d'imagination, pour servir plus chaudement Fuzelier, elle va tout de suite chez M. de la Peyronie premier chirurgien du Roi. «Je viens, lui dit-elle, vous demander une grâce qu'il faut que vous m'accordiez absolument. Je vous demande pour Fuzelier, que je protège, un privilège exclusif pour distribuer le Mercure.» M. de la Peyronie tomba de son haut; il lui témoigna la disposition de lui accorder tout ce qui dépendoit de lui, mais en même temps l'impossibilité de le faire sur cet article… Malgré ses instances, madame de Mailly, persuadée que la demande était ridicule, s'en retourne chez M. de Maurepas tout en colère et lui dit: «Je venois vous demander une grâce pour Fuzelier, mais il faut qu'il soit fou pour me faire faire des démarches pour une chose qui ne se peut pas. Je viens de chez M. de la Peyronie qui me l'a bien assuré.—Mais, Madame, je suis informé de ce que demande Fuzelier, cela n'a point de rapport avec M. de la Peyronie.—Comment! dit-elle, il demande le privilège exclusif du Mercure.—«Cela est vrai, lui répondit le ministre, c'est le Mercure galant, qui est un ouvrage d'esprit.—Oh! dit-elle, que ne s'explique-t-il donc, cet animal-là! Si cela est ainsi, je vous le recommande très-fort.» L'anecdote est-elle vraie? Plus tard on prête, toujours sur le Mercure, une bévue à peu près pareille à madame du Barry.]
[115: Mélanges de M. de B… Jourdain, Paris, 1807, t. II.]
[116: À la date de juillet 1743, de Luynes dit: «Dans les commencements des cabinets les soupers étaient extrêmement longs; il s'y buvait beaucoup de vin de Champagne; le Roi même buvait assez; et quoiqu'il n'y parût pas tant qu'à quelques-uns de ses courtisans, il ne laissait pas que d'y paraître quelquefois.»]
[117: Les soupers des cabinets n'avaient lieu que les jours de chasse.]
[118: Moutier devenait le cuisinier des petits appartements seulement au moment où madame de Mailly était des soupers. Moutier était une espèce d'artiste qui avait chez M. de Nevers, outre des gages considérables, des conditions toutes particulières: il n'était tenu à faire à souper que deux fois par semaine, et le duc devait lui fournir tous les ans trois habits à son choix. Le Roi avait voulu absolument l'avoir, mais ça avait été une très-grosse affaire: les officiers de la bouche s'étant livrés à toutes sortes de brigues pour qu'il ne fût pas reçu, et ayant poussé la mauvaise volonté jusqu'à lui fournir des produits gâtés dans les premiers soupers où le Roi l'avait essayé.]
[119: Mémoires du duc de Luynes, t. II.]
[120: Vie privée de Louis XV, Londres, 1785, t. II.—Le duc de Luynes nous donne l'heure à laquelle se couchait le Roi au sortir de ces soupers. Le 26 juin 1738, à un souper où assistait madame de Mailly, le Roi, après avoir bu du Champagne, se couchait à six heures du matin, après avoir entendu la messe, et restait au lit jusqu'à quatre heures du soir. Le 3 juillet, dans un autre souper ou était encore madame de Mailly, le Roi, qui buvait pas mal de champagne, sortait de table à cinq heures du matin, allait jouer au tric-trac avec M. du Bordage et, toujours après avoir entendu la messe, se mettait au lit dont il ne sortait cette fois qu'à cinq heures du soir.]
[121: Louis XV enfant. Portraits intimes du XVIIIe siècle, par E. et J. de Goncourt. Un volume Charpentier.]
[122: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. II.]
[123: La fortune de cette famille des Bachelier est bizarre. Le père était un maréchal-ferrant auquel on amenait un cheval du duc de la Rochefoucauld à ferrer et qui l'enclouait. Il renonçait à son enclume et entrait au service du duc, puis passait au service de Louis XIV, en 1703; au bout de vingt ans de service de valet de garde-robe, il obtenait un brevet de survivance en faveur de son fils François-Gabriel Bachelier. Et en 1723, une note de Marais nous apprend que ledit Gabriel Bachelier, un des valets de chambre de Louis XV qui ne l'avait pas quitté pendant toutes ses chasses, recevait du jeune Roi un cheval superbement harnaché, un brevet de 4,000 livres de pension et une canne d'or.]
[124: Ces nouvelles avaient aussi le mérite d'être, selon l'expression de d'Argenson, le contre-poison des nouvelles remises par le lieutenant de police Hénault au cardinal Fleury.]
[125: Quand le maréchal de Belle-Isle sera nommé ministre plénipotentiaire à Francfort, ce sera de Bachelier qu'il prendra ses véritables instructions.]
[126: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. III.]
[127: Bachelier, en dehors de l'influence que pouvait lui donner sur le Roi une maîtresse de sa main, aurait été amené à rendre publique la liaison du Roi avec madame de Mailly par le souvenir d'une phrase, qu'un jour le cardinal lui aurait dite en travaillant avec lui: «qu'il quitterait le ministère à la première maîtresse qu'aurait le Roi[128].» Bachelier pensait du coup faire premier ministre Chauvelin ou le devenir lui-même.]
[128: Mémoires de d'Argenson. Édition Renouard, t. I.]
[129: C'était au commencement de la faveur de madame de Vintimille. Flavacourt et le mari de la Vintimille parlaient des amours du Roi, de la laideur de l'une et l'autre sœur, du mauvais goût du souverain. L'appartement des deux beaux-frères était situé au-dessous d'une chambre, où se trouvait dans le moment le Roi qui, pour mieux les écouter, avançant la tête dans la cheminée, jetait à la fin à celui qui tenait la parole, le terrible: «Te tairas-tu!»]
[130: M. du Luc écrivant à madame de Mailly pour qu'elle obtînt de placer un homme à lui dans un des châteaux du Roi, finissait sa lettre par cette phrase: «Un mot dit de la belle bouche d'une belle dame comme vous, finira l'affaire.» Sur le vu de la lettre, le Roi disait: «Ah! pour une belle bouche, vous ne vous en piquez pas, je crois?» En effet, madame de Mailly avait la bouche grande, mais bien meublée, selon l'expression d'un contemporain.]
[131: Sur ses 250,000 ou 200,000 livres de rente, le marquis était réduit alors à 24,000 livres de pension alimentaire, sur lesquelles dit de Luynes, il en avait fait 6,000 à ses filles.]
[132: Mémoires de d'Argenson. Édition Renouard, t. II.]
[133: La démarche de madame de Mailly semble avoir été une démarche pour la forme; M. de Bouillon lui avait persuadé que c'était le seul moyen de réduire son père à la raison et lui avait proposé «un ajustement» par lequel son père aurait 60,000 livres de rente payée à 5,000 livres par mois. La veille de la lettre de cachet, madame de Mailly travaillait à l'arrangement avec Maboul deux heures le matin et trois heures l'après-dînée.]
[134: Le marquis de Nesle avait été d'abord exilé à Lisieux, puis à Évreux, et enfin obtenait d'aller à Caen.]
[135: On lit dans les Mémoires du marquis d'Argenson, à la date du mois de mai 1740: «M. de Mailly, mari de la maîtresse du Roi, a eu ordre de sortir de Paris pour avoir tenu chez lui loge et souper de francs-maçons, malgré les ordres réitérés du Roi. L'auguste qualité de c… du Roi ne l'a pas exempté de cette proscription. Aussi cette dame voit en ce moment son père et son mari exilés.»]
[136: Soulavie dit: «Le Roi passa dans peu de temps d'une extrême réserve avec les femmes dans un grand libertinage.»]
[137: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. II.]
[138: Journal de Barbier, édition Charpentier, t. III.—Le chroniqueur dit: «On dit qu'un garde du corps avait gagné une pareille… de ladite petite bouchère, et que, voyant le Roi maigrir, sachant que la petite fille avait rôdé autour des petits appartements, il alla trouver le cardinal Fleury et lui avoua qu'il avait encore la … de la petite créature et que, si le Roi l'avait vue, il pourrait bien en avoir autant.»]
[139: Dans le moment où le Roi ne chassait plus, ne sortait plus même de sa chambre, M. le Duc engageant le Roi à voir des médecins, et le Roi s'y refusant sous prétexte que cela occuperait trop les nouvellistes, Courtanvaux s'écriait avec son franc parler: «Mais, sire, cela n'empêchera pas que tout Paris n'ait beaucoup parlé. On a dit publiquement que les chirurgiens étaient nécessaires à Votre Majesté plus que les médecins consultants.» Et comme on s'étonnait de la vivacité de l'apostrophe, Louis XV dit: «Je suis accoutumé à m'entendre dire par Courtanvaux tout ce qu'il pense.»]
[140: D'Argenson rapporte que madame de Mazarin, son amant du Mesnil, et leur conseil, l'abbé de Broglie, hasardant devant la Reine des projets de régence, Marie Leczinska répétait: «Ah! quel malheur si une telle perte arrivait!» et cela jusqu'à ce qu'au bout de ses exclamations elle laissa échapper tout bas et dans un soupir: «Pour la régence, je ne l'aurai pas!» Ces entretiens qu'on ébruita ne furent jamais pardonnés à la Reine par le Roi.]
[141: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. II]
[142: Le Roi, ayant vu à Rambouillet chez la comtesse de Toulouse la marquise d'Antin, l'avait trouvée fort jolie. Le soir, à un souper des cabinets, madame de Mailly, lui jetait tout à coup: «Sire, on dit que vous avez vu madame la marquise d'Antin et que vous l'avez trouvée charmante!»—Point du tout, répondait le Roi qui cherchait à se dérober, et était obligé, quelques instants après, de dire à la duchesse d'Antin: «Votre belle-sœur avait une coiffure qui lui seyait bien mal.»]
[143: Il arrivait parfois cependant à madame de Mailly d'éprouver des refus sur ce qui lui tenait le plus au cœur: la publicité de sa liaison avec le Roi. C'est ainsi qu'en septembre 1739, mademoiselle de Charolais et madame de Mailly faisaient l'impossible pour que le Roi allât au bal de l'Hôtel-de-Ville. Le projet de ces dames était de se mettre aux côtés de Sa Majesté, à la fenêtre qui donne comme une tribune sur la grande salle du bal et de se démasquer sous prétexte de la chaleur aux yeux de tous. Madame de Mailly s'entêtait à ce que le Roi y vînt, elle répétait: «Mais, Sire, ce pauvre M. de Gesvres, mais ce pauvre M. le prévost des marchands qui s'est donné tant de peine pour vous recevoir! Au moins, Sire, que ce soit pour l'amour de moi.» Mais le Roi, qui était au fait du projet de sa maîtresse, s'y refusa. En vain Mademoiselle fit cent singeries, composa un placet, l'attacha à un rideau par une épingle en disant au Roi: «Sire, vous ne lisez pas les placets qui vous sont présentés.» Le Roi répondait: «Je sais ce qu'il contient, j'y mets néant dès à présent.» Le soir, madame de Mailly toute masquée, sa chaise attelée, son relais préparé à Sèvres, le duc de Villeroy venait lui dire que le Roi n'irait pas au bal et qu'il avait défendu de lui remettre la clef de l'appartement du Roi à l'Hôtel-de-Ville, dans le cas où elle voudrait aller au bal sans lui. Et madame de Mailly, ainsi qu'elle le racontait au duc de Luynes, était obligée de se démasquer, de renvoyer sa chaise, de se coucher.]
[144: Mémoires du duc de Luynes, t. II et III.]
[145: Mémoires du marquis d'Argenson. Édition Renouard, t. I.—Madame de Mailly avouera plus tard qu'elle avait cédé à des besoins d'argent, qu'elle n'aimait pas le Roi, et que l'amour ne s'était déclaré chez elle qu'au bout de quelques années.]
[146: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. I.]
[147: Mémoires de d'Argenson, t. II.]
[148: Guérapin de Vauréal, petit-fils d'un mercier qui avait acheté une charge d'auditeur des comptes, possesseur d'une très-jolie figure et entré dans les ordres, débutait par être surpris en conversation criminelle à Marly avec la comtesse de Poitiers, dame d'honneur de la duchesse d'Orléans, ce qui le faisait surnommer coadjuteur de Poitiers. Il était aimé ensuite par la marquise de Villars et la duchesse de Gontaut, dont la jalousie à son sujet éclata dans des chansons où les deux rivales se dirent toutes les méchancetés possibles.]
[149: On voit, pendant ce temps, Mademoiselle se faire la garde-malade de madame de Mailly. La maîtresse a-t-elle un rhume, est-elle obligée de garder le lit? Mademoiselle passe chez elle toutes les après-midi, et se fait apporter dans sa chambre son souper.]
[150: «On dit que le sujet de la brouillerie de M. le Cardinal,—c'est Barbier qui parle,—vient de ce que Mademoiselle avait tant pressé et tourmenté le Roi pour renvoyer M. Amelot et pour donner la place de secrétaire d'État à M. de Vauréal, évêque de Rennes, que le Roi lui en avait donné sa parole. Il faut observer que le public critique donne ce Monseigneur pour amant à cette princesse et que c'était bien là le plus court chemin pour obtenir un chapeau de la cour de Rome et pour prétendre à la place de premier ministre. M. le cardinal de Fleury, instruit du fait, alla trouver le Roi, se déchaîna contre la princesse, lui remontra que cela était non-seulement contraire à ses intérêts, mais scandaleux. Le Roi lui répondit qu'il avait donné sa parole et qu'il le voulait. Sur cela le Cardinal prit congé du Roi et donna ordre à toute sa maison de partir sur le champ pour Issy. M. le duc d'Orléans a pris parti dans cette affaire et, avec l'autorité de la religion, a fait entendre au Roi que de pareilles paroles ne l'engageaient en rien. Il l'a déterminé à n'en rien faire; et il a engagé, d'un autre côté, le Cardinal à revenir prendre sa place à Versailles, de sorte que Mademoiselle piquée au cœur ne voulait point aller à Fontainebleau.»]
[151: Mémoires de d'Argenson. Édition Renouard, t. II.]
[152: Les amours du Cardinal consistaient en une liaison sans doute très-chaste, mais très-intime et très-suivie avec madame de Lévis, qu'on savait souvent dîner en tête-à-tête avec le vieux Fleury dans une maison de campagne à Vaugirard. C'était cette madame de Lévis, un esprit sage et éclairé, capable d'entrer dans les plus grandes affaires et d'un secret impénétrable. L'homme d'église consultait cette femme supérieure pour le maniement et la cuisine des plus délicates choses du gouvernement laïque d'une monarchie toujours gouvernée par une favorite.]
[153: C'est encore madame de Mailly qui disait un jour au Roi auquel elle demandait une grâce et qui répondait qu'il en parlerait au Cardinal: «Ne vous déferez-vous jamais de ce tic?»]
[154: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, par Soulavie, t. V.]
[155: Récit fait par madame de Flavacourt à Soulavie. (Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, par Soulavie, Paris 1801, t. I).]
[156: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, t. V.]
[157: «Elle avait de l'esprit, mais aussi brut qu'elle l'avoit reçu de la nature, sans éducation, sans acquit, sans connoissance.» (Mémoires du duc de Luynes, t. VII. Petite notice sur la Vintimille, page 102.)]
[158: Le duc de Luynes écrit à la date du 26 décembre 1738: «Versailles.—Mademoiselle de Nesle est ici depuis quelques jours c'est madame de Mailly qui en prend soin.»]
[159: Le duc de Luynes dit: «Madame de Mailly ne voit que mademoiselle de Nesle de toutes ses sœurs, les trois autres sont toujours chez madame de Mazarin.» Il n'y avait chez madame de Mazarin que madame de Flavacourt et madame de la Tournelle; la troisième sœur, appelée Montcarvel, mariée plus tard a M. de Lauraguais, demeurait chez madame de Lesdiguières.]
[160: La brouille était complète entre la nièce et la tante. Voici ce que raconte de Luynes à propos du voyage de Marly de mai 1739: «Le jour que l'on arriva, M. d'Aumont, qui avait fait la liste du souper, y avoit mis madame de Mailly et madame de Mazarin. Madame de Mailly ayant lu la liste, dit à M. d'Aumont d'ôter ou l'une ou l'autre, parce qu'elles ne soupoient point ensemble. La liste étoit montrée à madame de Mazarin avertie; cela embarrassa beaucoup M. d'Aumont; cependant il prit son parti d'aller dire à madame de Mazarin que c'étoit un malentendu, et qu'elle n'étoit point du souper.» (Mémoires du duc de Luynes, t. II.)]
[161: Mémoires du duc de Luynes, t. X.]
[162: Mémoires du duc de Luynes, t. X.—Ce récit donné par de Luynes est contredit par lui-même écrivant, à la date du vendredi 19 juin 1739, que mademoiselle de Nesle loge chez Mademoiselle qui lui fait continuellement des cadeaux.]
[163: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, t. V.—Elle était laide, dit un contemporain cité par de Luynes, d'une de ces laideurs qui impriment plus la crainte que le mépris; sa taille était gigantesque, son regard rude et hardi… Soulavie, qui eut de madame de Flavacourt, morte seulement en l'an VII de la République, de curieux renseignements sur ses sœurs, dit, et ce sont les expressions de madame de Flavacourt: «Elle avait la figure d'un grenadier, le col d'une grue, une odeur de singe.» Le mari de madame de Vintimille n'appelait sa femme que «mon petit bouc», disant que c'était un diable dans le corps d'un bouc.]
[164: Donnons la parole à l'anonyme cité par le duc de Luynes qui, contre toute vraisemblance et tous les témoignages historiques, cherche à montrer dans l'intimité du Roi et de mademoiselle de Nesle une passion platonique: «Elle ne connoissoit de devoirs que ceux qu'elle devoit au Roi et à sa sœur. Mademoiselle, qui avoit le plus contribué à son mariage et dont le motif étoit de s'en faire une créature et un moyen de plus pour parvenir à gouverner, s'aperçut bientôt qu'elle s'étoit lourdement trompée. Au lieu d'y trouver l'utilité qu'elle cherchoit, elle n'y trouvoit qu'une barrière insurmontable. Madame de Mailly n'eut plus le même besoin d'elle depuis qu'elle eut sa sœur. Cette princesse fut si irritée, qu'elle résolut de perdre madame de Vintimille en la rendant suspecte à sa sœur, et voici comment elle s'y prit: La Vintimille, comme je l'ai dit, étoit d'une assiduité extrême à faire sa cour au Roi; le Roi la traitoit avec toute la distinction imaginable, il l'écoutoit avec attention lorsqu'elle parloit, il étudioit ses regards lorsqu'il avoit parlé, enfin tout ce qu'un langage muet peut faire découvrir d'estime, de considération et de goût apprenoit à madame de Vintimille le cas qu'il faisoit d'elle et l'amitié qu'il avoit pour elle. Elle en fut flattée beaucoup moins par vanité, dont elle n'étoit pas extrêmement susceptible, que par la reconnoissance, qui produisit bientôt en elle des sentiments plus vifs. Il est sûr qu'elle prit une grande passion pour le Roi; il est vraisemblable que le Roi s'en aperçut, mais il est certain qu'elle ne songea jamais à nuire à sa sœur, et la conduite du Roi et d'elle a bien prouvé qu'elle ne l'auroit jamais supplantée, mais qu'elle auroit pu lui succéder si le Roi avoit perdu madame de Mailly, soit par la mort, soit par une retraite. Le Roi, fidèle à madame de Mailly, jouissoit de l'esprit de madame de Vintimille; il voyoit avec plaisir que madame de Mailly ne parloit que d'après elle; il étoit convaincu que madame de Vintimille l'adoroit, qu'elle ne vouloit que sa gloire et qu'elle étoit assez éclairée pour bien connoître les moyens de la lui procurer; il y a toute apparence qu'il se promettoit de lui donner toute sa confiance après la mort du Cardinal.»]
[165: Au mois de décembre 1739, madame de Mailly se fâchait toute rouge au sujet d'un voyage du Roi à la Muette, une semaine qu'elle était de service auprès de la Reine. Il y avait déjà eu précédemment, à propos d'un voyage à Choisi, une petite brouille entre le Roi et la maîtresse qui avait déclaré que si le Roi ne voulait pas la mener, elle demanderait la permission à la Reine, et arriverait tout à coup à Choisi.]
[166: Un jour que madame de Mailly soutenait qu'elle était plus blanche et moins sèche que sa sœur, le Roi lui dit brusquement: «Ne pariez pas, vous perdriez!»]
[167: Mémoires du duc de Luynes, t. II.]
[168: Ibid., t. III.]
[169: Ibid., t. III.]
[170: Une correspondance manuscrite de Dubuisson, citée par M. Rahery, dit: «J'ajoute à ce qui regarde mademoiselle de Nesle, que Mgr l'archevêque de Paris lui a fait présent de 25,000 fr. en bijoux, qu'il était du dîner de noce, que Mademoiselle en a fait le souper et que c'est elle et le Roi qui ont donné la chemise aux nouveaux mariés.»]
[171: Le dimanche suivant avait lieu la présentation par Mademoiselle à la Reine de madame de Vintimille entourée de mesdames de Mailly et de la Tournelle ses sœurs, qui tour à tour avaient pris, prenaient ou allaient prendre à Marie Leczinska le cœur du Roi. La Reine accueillait ce monde avec une froideur marquée.]
[172: Le mari qu'avait épousé mademoiselle de Nesle était une espèce de jeune cynique et de fou méchant, qui, tout en trouvant agréable d'être des soupers des petits appartements et d'user des chevaux du Roi, parlait de son mariage avec le plus sanglant des mépris, ne ménageait ni sa femme, ni sa belle-sœur, ni le Roi même, s'attirant la risée des honnêtes gens, les brusqueries de sa belle-sœur, l'aversion de sa femme qu'elle étendait bientôt à toute la famille et qui lui faisait refuser, lorsqu'elle accoucha, une magnifique layette envoyée par l'archevêque de Paris.]
[173: Le duc de Luynes écrit à la date du 4 janvier 1740.—Versailles. Madame de Vintimille nous montra hier une boîte d'or incrustée que le Roi lui a donnée pour ses étrennes; ce fut le jeudi, veille du jour de l'an. Le Roi lui fit beaucoup de questions, si on lui avoit jamais donné des étrennes, si elle vouloit qu'il lui en donnât, après quoi on se mit à table, et le Roi, pendant le souper, donna à M. le duc de Villeroy la tabatière qu'il remit sur-le-champ à madame de Vintimille. Elle est la seule à qui le Roi ait donné des étrennes.]
[174: On disait que madame de Mailly étant stérile et ne pouvant avoir d'enfant du Roi, lui avait livré sa sœur pour en avoir de lui afin de se l'attacher par cette progéniture, à l'exemple de Sara donnant Agar à Abraham.]
[175: Le duc de Luynes, assistant à un souper du Roi chez la comtesse de Toulouse, était frappé du sérieux, de la froideur de la maîtresse, qui à la fin cependant badinait avec un étui à cure-dents d'ivoire que le Roi avait tourné et qu'il lui avait donné.]
[176: Mémoires du duc de Luynes, t. III.]
[177: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. III.]
[178: Mademoiselle de Charolais écartée, la maréchale d'Estrées devenait la compagne habituelle de mesdames de Vintimille et de Mailly. Cette vieille femme, qui joue un assez triste rôle, plaisait par un fonds de gaieté naturelle, un esprit plaisant, une conversation badine et voltigeante.]
[179: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. III.—Quand cette princesse mourait au mois d'août 1741, un mois avant la mort de madame de Vintimille, la cour témoigna une grande indifférence pour la fin brusque de cette princesse de quarante-quatre ans.]
[180: Il y avait un autre petit fait passé au mois de février dernier qui montrait déjà la connaissance que l'on avait de l'autorité de madame de Vintimille sur la pensée du Roi. Sylva le médecin, à la suite de bruits et de propos survenus après la mort de M. le Duc qu'il avait soigné, écrivait à madame de Vintimille une lettre pour la prier de combattre les préventions qui pouvaient exister dans l'esprit du Roi.]
[181: Au mois de juin suivant avait lieu la réception du nouveau duc de Gramont comme colonel du régiment des gardes. Le régiment sous les armes, massé en bataillon carré sur la grande place entre les écuries et le château, le Roi à cheval, suivi du duc de Gramont en uniforme et à pied, s'avançait à sa rencontre, s'arrêtant à trente pas. Les officiers faisaient cercle autour du Roi, les tambours derrière. Alors le Roi prononçait la formule d'usage: «Vous reconnaîtrez M. le duc de Gramont pour colonel de mes gardes, et vous lui obéirez en ce qu'il vous commandera pour mon service.» Aussitôt les tambours de battre, les officiers de reprendre leurs postes, le Roi de se porter sur la droite, du coté des Récollets. Puis le régiment se mettait en marche pour Paris par compagnie, le duc de Gramont à la tête de la compagnie-colonelle, saluant le Roi au passage, et venant prendre place aux côtés de Sa Majesté. Mesdames de Vintimille et de Mailly assistaient à la réception dans le carrosse de madame de Gramont.]
[182: Le duc de la Trémoille, qui serait d'après quelques bibliographes l'auteur d'Angola, est une figure singulière et restée dans l'ombre. Accusé de goûts contre nature dans sa jeunesse, il meurt victime de son dévouement conjugal: s'étant enfermé avec la duchesse attaquée de la petite vérole, il périssait de cette maladie à laquelle sa femme échappait. Entré à la fin de 1737 avec plusieurs jeunes seigneurs et madame de Mailly dans la conspiration des Mirmidons,—celle des Marmousets est de 1732,—conspiration qui avait pour but de remettre en place Chauvelin, il priait le Roi, la mine éventée, de ne point le nommer au Cardinal. Le Roi ayant manqué à sa parole, le duc lui faisait les plus vifs reproches, le priait de le rayer du nombre de ses familiers, lui disant en propres termes: «qu'il ne pouvait plus être son ami,» et, se renfermant strictement dans les fonctions de gentilhomme de la Chambre, cessait de fréquenter les petits appartements.]
[183: Le Roi ayant appris la nouvelle de la mort de M. de la Trémoille pendant son souper, on avait remarqué qu'au sortir de table, madame de Mailly avait fait parler M. de Luxembourg au Roi.]
[184: Dans une audience qu'avait eue précédemment madame de la Trémoille, le Cardinal, sollicité par elle, lui avait répondu sèchement qu'il ne se mêlait point de ces sortes de grâces.]
[185: Madame de Vintimille se rendait compte de la situation en un moment. Elle n'était point encore assurée de sa toute-puissance sur la débile volonté du Roi, le Cardinal était bien vieux et ne pouvait guère vivre encore longtemps; la femme politique trouvait plus prudent d'attendre que de risquer sa fortune sur un coup de cartes douteux.]
[186: La lettre de madame de Vintimille envoyée au Roi dans la nuit,—Louis XV se couchait cette nuit-là à deux heures et demie, quoiqu'il dût se coucher de bonne heure à cause de la procession du lendemain,—la lettre envoyée la nuit ou le matin de très-bonne heure, faisait brûler, au dire de Soulavie, le billet déjà écrit par lequel le Roi acceptait la retraite du cardinal de Fleury.]
[187: Ce matin, le duc de Luynes qui se rendait à la toilette de madame de Mailly, était frappé du sérieux de la maîtresse, de la tristesse du duc de Luxembourg.]
[188: «Ah! me voilà compromis avec tous les princes du sang,» répétait à tout moment le Cardinal, qui craignait pour l'avenir l'hostilité de la maison d'Orléans qui avait appuyé en dernier lieu et très-chaudement la candidature du petit la Trémoille.]
[189: Récit d'un anonyme donné par le duc de Luynes. Mémoires du duc de Luynes, t. X.—Ibid., t. III.]
[190: Sur la réputation de l'homme de guerre nous ne pouvons mieux faire que de citer la lettre écrite par Frédéric au cardinal de Fleury et que donne le duc de Luynes.
Lettre du Roi de Prusse à M. le cardinal de Fleury:
«Berlin, le 20 décembre 1741.
Monsieur mon cousin,
L'attachement pour la France, le zèle pour votre gloire, et l'affection pour la gloire de la cause commune m'obligent aujourd'hui de vous écrire pour vous prier, par les motifs les plus pressants, de rendre M. de Belle-Isle à l'armée de Bohême, comme l'homme le plus capable du métier de la guerre, le plus conciliateur, et le plus susceptible de la confiance des princes d'Allemagne, que vous ayez actuellement. Vous ne sauriez croire (n'étant pas sur les lieux) quels poids M. de Belle-Isle donne aux affaires du Roi votre maître en Allemagne, tant par rapport à vos alliés (qui ont mis tous leur confiance en lui) que relativement à votre armée, chez qui le poids de la réputation de ce grand homme décide en partie du succès de vos entreprises.
Je le prendrai, moi personnellement, comme une marque des égards et de l'amitié que le Roi, votre maître, a pour moi, s'il continue le maréchal de Belle-Isle dans le poste qu'il lui a donné, et je vous le demande à vous personnellement comme la plus grande marque d'amitié que vous puissiez me donner.
Tout dépend dans le monde du choix des hommes capables que l'on emploie, et M. de Belle-Isle peut être compté dans son métier au rang des plus grands hommes…»
Et Frédéric terminait par ce post-scriptum: «Pour Dieu et pour votre gloire, délivrez-nous du maréchal de Broglie, et pour l'honneur des troupes françoises rendez-nous M. le maréchal de Belle-Isle.»]
[191: Il y avait au fond un charlatan chez le maréchal de Belle-Isle. On se moqua beaucoup de lui lorsque, le 3 mars 1743, arrivant de l'armée, il se rendit publiquement chez le Roi, soutenu sous les bras par deux écuyers.]
[192: Le maréchal avait encore en ce temps de corruption la réputation d'un homme de mœurs pures et qui ne cherchait des distractions que dans le travail.]
[193: Chronique du règne de Louis XV, 1742-1743, Revue rétrospective, t. IV. 1834.]
[194: Voici la vive et pittoresque et assez méchante biographie que donne le marquis d'Argenson du duc de Belle-Isle, le 13 février 1731, le jour où il est nommé maréchal de France: «Le roi de la fête est M. de Belle-Isle dont on présume de si grandes choses, quoiqu'il n'ait encore rien fait pour la guerre. Il n'a servi toute la guerre de 1701, que comme capitaine de dragons. Il eut un bon coup de fusil au siège de Lille, tout à travers la poitrine; il obtint ensuite une commission de colonel réformé; pendant la Régence, il fut en faveur. Il eut permission d'acheter la charge de mestre de camp général des dragons à force d'argent, ce qui donne rang de brigadier. Il alla comme volontaire à notre petite guerre d'Espagne, et attrapa quelque chose au talon, ensuite il commanda de beaux camps de paix. Il s'est montré homme de cour, homme de cabinet et grand pourvoyeur; homme à vues justes et d'un grand travail. Il a un frère sensé et pesant: sans ce frère il serait un fol; sans lui son frère (le chevalier de Belle-Isle) serait un homme ordinaire. À notre guerre de 1733, il a commandé la petite armée de Moselle, et chacun a été charmé d'y être, d'autant qu'on y était bien pourvu de tout et qu'on n'y voyait pas l'ennemi. Il prit Trabarch en pétardant, il parut à Philisbourg à deux tranchées et y hasarda l'attaque d'un ouvrage qui n'était pas mûr, mais qui réussit par bonheur. Enfin commandant dans les évêchés, lieutenant-général, cordon bleu, neveu de feu madame de Lévy, la bonne amie du cardinal, nommé plénipotentiaire à Francfort, on vient de lui donner le bâton de maréchal à l'âge de cinquante-quatre ans.]
[195: Mémoires du comte de Maurepas. Buisson, 1792, t. IV.]
[196: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. III.]
[197: D'Argenson dit que, quoique madame de Vintimille fut demeurée toujours fidèle à ses engagements avec le parti Chauvelin, elle lui donnait bien du mal avec son naturel emporté et indépendant.]
[198: Mémoires du comte de Maurepas. Paris, Buisson, 1792, t. III.—Le nom du ministre et de sa femme sont mêlés à nombre de sales affaires d'argent. Dans la vente d'un rubis du Roi, madame Chauvelin fut accusée d'avoir stipulé et reçu de Ganners, le lapidaire, des étrennes de diamants. Une accusation plus grave fut celle relative à la vente d'une cuirasse de diamants donnée par Mahomet II à François Ier que le mari et la femme vendaient à des marchands 600.000 livres, en en retenant pour eux 150,000.]
[199: Mémoires du marquis d'Argenson, édition Renouard, t. I.]
[200: Papiers de l'abbé Cherier. Bibliothèque de l'Arsenal. Manuscrits.]
[201: Narbonne le commissaire de police raconte en ces termes l'exil de Chauvelin le mercredi 20 février 1737. Maurepas, secrétaire de la Maison du Roi et ministre de la Marine, se rendait chez Chauvelin à six heures du matin et lui redemandait les sceaux au nom du Roi. Chauvelin entrait dans la chambre de sa femme et lui disait: «Ah! Madame, l'apostume est crevé, le Roi m'exile à Gros-Bois. Vous viendrez me rejoindre quand il vous plaira.» Et il partait sous la garde de cinquante mousquetaires. Au mois de juin il était transféré de Gros-Bois à Bourges. Soulavie donne la lettre suivante que je croirais apocryphe comme une lettre écrite par le Cardinal à Chauvelin après sa disgrâce:
«Les liaisons qui ont subsisté entre vous et moi, Monsieur, m'engagent à vous donner des marques de mon souvenir dans le malheur qui vient de vous arriver. Je ne puis que vous plaindre de vous être attiré l'indignation du Roi, mais faites réflexion à votre conduite.
«Le Roi vous honoroit de ses bontés, vous en avez mésusé au point de rompre les mesures que Sa Majesté prenoit pour l'affermissement de la paix de l'Europe et la tranquillité de ses peuples. Vous savez avec quelle ouverture de cœur je me suis toujours comporté à votre égard; malgré tout cela, vous trompiez ma confiance de la manière la moins permise; rappelez-vous, Monsieur, ce que je vous ai dit des premiers avis, que j'eus de certaines intelligences; la manière dont je vous en parlai me donnoit lieu d'espérer que la suite répareroit les premières démarches; si j'avois seul à me plaindre de vous, j'y serois moins sensible, mais le bien et le repos de l'État y étoient trop intéressés et dès lors je ne pouvois être indifférent. Vous avez manqué au Roi, au peuple et à vous-même; ce sont de tristes vérités à vous dire…»]
[202: Il semble que, tout exilé qu'il était, Chauvelin correspondait avec le Roi.]
[203: Mémoires du marquis d'Argenson, t. II.]
[204: Choisi-Mademoiselle, qui avait appartenu à mademoiselle de Montpensier avait été vendu par le duc de Villeroy à madame la princesse de Conti, il était acheté à son héritier, le duc de la Vallière, en 1739, et prenait le nom de Choisi-le-Roi. Ce château était célèbre par sa terrasse sur la rivière et par les huit grands morceaux de sculpture d'après l'antique de ses jardins, exécutés par Anguier pour le surintendant Fouquet.]
[205: Choisi devenait la maison favorite pour les petits soupers. Et l'on voyait souvent sortir à la nuit, d'un pavillon de Marly, madame de Mailly en chaise de poste, gagnant Choisi, escortée de porte-flambeaux et de deux pages de l'écurie du Roi.]
[206: Mémoires secrets sur l'histoire de Perse, 1749.—Vie privée de Louis XV, 1785, t. II.—Louis XV créa a Choisi le petit château, où le service des valets était remplacé par des mécanismes, des confidentes et des servantes. Il y construisit aussi un théâtre sur lequel on ne joua guère qu'une fois. C'était la pièce de Boursault, Ésope à la cour, où un courtisan reproche au Roi de se griser. Le Roi crut voir, dans le choix de cette pièce, une leçon que la Reine lui avait fait faire par le gentilhomme de la chambre sur le goût du champagne que lui avait donné madame de Mailly, et montra de l'humeur.]
[207: Mémoires du duc de Luynes, t. III.]
[208: Ibid., t. III.]
[209: Mémoires de d'Argenson, édition Renouard, t. III.]
[210: Mémoires du marquis d'Argenson, édition Renouard, t. III.—Madame de Vintimille a le franc parler avec tous et sur tous plus naturellement libre et oseur que sa sœur, qui ne le trouve, ce franc parler, que sous une pointe de vin, ou sous l'excitation de la mauvaise humeur. Au mois de juillet 1740, la cour s'était émue d'une conversation fort vive de madame de Vintimille avec le comte de Clermont, qui était pourtant l'ami intime des deux sœurs, où elle lui avait dit très-librement et très-ouvertement sa pensée sur la querelle des légitimés et des princes du sang, lui donnant absolument tort dans cette affaire.]
[211: Mémoires du duc de Luynes, t. III.]
[212: Le duc d'Ayen, au dire du mari, dire confirmé par d'Argenson, était devenu l'amant de madame de Vintimille. Le fait est-il vrai? Je n'en sais rien, mais, quoi qu'il en soit, il est incontestable que le duc d'Ayen vivait dans l'intimité la plus grande avec la favorite. Et un jour qu'il questionnait le Cardinal sur les voyages du Roi, le vieux Fleury lui disait narquoisement: «Eh! Monsieur, vous avez des amies qui le savent bien mieux que moi,» faisant allusion à madame de Vintimille.]
[213: Mémoires du marquis d'Argenson, t. III.]
[214: Quelques-uns remarquèrent chez madame de Vintimille comme une fatigue et un dégoût de la vie, et l'on dit qu'elle mourut sans montrer grand regret.]
[215: Le propos fut tenu, dit le duc de Luynes, devant dix à douze personnes.—L'anonyme cité par le duc de Luynes dans son volume Xe dit: «Sa maladie alarma ses amis; elle paroissoit plongée dans la plus profonde tristesse, et elle ne se prêtoit à rien de tout ce qu'on vouloit lui faire pour sa guérison. Le Roi parut véritablement affligé et dans une grande occupation d'elle; lui seul pouvoit la déterminer à suivre les ordonnances des médecins, et on avoit lieu de juger que madame de Vintimille se plaisoit à faire durer un état qui lui donnoit occasion de connoître chaque jour l'amitié du Roi pour elle.» Le marquis d'Argenson raconte que, madame de Vintimille ne voulant rien prendre de ce qui lui était ordonné, le Roi était obligé de se mettre a genoux devant son lit pour l'engager à se soigner.]
[216: «M. de Vintimille, dit l'anonyme cité par M. de Luynes, avoit augmenté tous les jours d'indécence et de folie, il n'y avoit point d'horreurs qu'il ne dît de sa femme; les détails les plus dégoûtants étoient pour l'ordinaire le sujet de ses conversations à table devant tous les valets. Il racontoit publiquement qu'il avoit surpris sa femme prenant de force le petit Coigny. Il en revint assez à madame de Vintimille pour fortifier la haine qu'elle avoit déjà pour lui, elle ne voulut plus vivre avec lui comme sa femme, elle fit lit à part. Cependant la famille de M. de Vintimille désiroit passionnément qu'elle eût un enfant. J'ignore ce qui la détermina à encourir le risque, mais au retour de Fontainebleau 1740, elle coucha avec son mari et devint grosse. Le premier mouvement de M. de Vintimille quand il l'apprit fut une joie extrême,… mais soit par de mauvais conseils, soit par un accès de folie inouïe, il changea de ton quelques jours après, et dit publiquement qu'il n'avoit aucune part à cette grossesse, que c'étoit l'ouvrage de M. d'Ayen, de M. de Forcalquier, ou du Roi…» L’anonyme ajoute que l'entrevue ne fut pas longue entre le mari et sa femme. L'enfant dont madame de Vintimille accouchoit fut le petit comte de Luc, appelé par ses camarades de collège le demi-Louis, que madame de Pompadour songea plus tard à marier avec sa fille Alexandrine.]
[217: L'appartement de M. de Fleury n'était point encore libre, et madame de Vintimille avait été installée dans l'appartement du cardinal de Rohan, alors absent de Versailles.]
[218: Mémoires du maréchal duc de Richelieu, t. V.]
[219: Madame de Vintimille mourait ainsi que mourra sa sœur, la duchesse de Châteauroux, persuadée qu'elle était empoisonnée, et Soulavie aura toutes les peines du monde à cinquante ans de là à faire revenir madame de Flavacourt sur l'idée que sa mort n'était pas naturelle et qu'elle avait été empoisonnée par Maurepas.]
[220: C'est un fait affirmé par Soulavie, mais que je ne retrouve pas dans de Luynes, dont Soulavie avait eu en communication le manuscrit et avec lequel il a fait tout son récit de la mort de madame de Vintimille qui se trouve dans le volume 5e des Mémoires du maréchal duc de Richelieu.]
[221: L'anonyme cité par de Luynes assure que madame de Vintimille succomba à un érésypèle laiteux. D'Argenson attribue sa mort à une fièvre miliaire, maladie commune en Piémont, mais presque inconnue alors en France. De Luynes dans son journal donne un détail curieux: «On lui a trouvé une petite boule de sang qui commençoit même à toucher au cerveau; madame d'Antin m'a dit qu'elle l'avoit entendue se plaindre depuis sa grossesse, qu'elle sentoit cette boule étant en carrosse. Elle m'a ajouté que madame de Vintimille, avant d'être mariée même, sentoit cette boule.»—C'étoit une veine dilatée qui avoit fait un petit enfoncement dans le cerveau, ce qui lui paroissoit être une petite boule. (Note postérieure du duc de Luynes.)]
[222: Mémoires du marquis d'Argenson, édition Jannet, t. II.—Le Roi avait exprimé le désir qu'on fît un portrait peint et un buste de madame de Vintimille.]
[223: Mémoires du duc de Luynes, t. III.—Mémoires du maréchal duc de Richelieu, par Soulavie, t. V.—D'Argenson dit: «Il est arrivé des horreurs à son cadavre… On la transporta morte avec un simple linceul sur le corps, du château à l'hôtel de Villeroy, et là ses domestiques la laissèrent et allèrent boire comme cela arrive souvent; le peuple monta et s'en saisit, on lui jeta des pétards… on fit toutes sortes d'indignes traitements à son vilain corps.»]
[224: On vit, pendant tout le XVIIIe siècle, un curieux ex-voto à l'église Saint-Leu; c'était un ex-voto représentant Louis XV âgé de six ans, avec derrière lui sa gouvernante madame de Ventadour, agenouillé devant Saint-Leu et lui demandant d'être guéri de la peur, de cette peur qui plus tard se changea en cette extrême timidité qui inspirait au Roi à la vue de tout visage nouveau, une sensation inquiétante. (Tableau de Paris, par Mercier, t. IX.)]
[225: Un jour c'était les nœuds, un autre jour la tapisserie. Le goût de la tapisserie prenait au Roi comme une envie de femme grosse, et le courrier qui allait à Paris chercher le métier, les laines, les aiguilles, ne mettait que deux heures un quart pour aller et venir.]