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La Germanie: Texte latin avec introduction, notes et lexique des noms propres

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13. Nihil autem neque publicæ neque privatæ rei[1] nisi armati agunt. Sed arma sumere non ante cuiquam moris,[2] quam civitas suffecturum[3] probaverit. Tum in ipso concilio vel principum aliquis vel pater vel propinqui scuto frameaque juvenem ornant. Hæc[4] apud illos toga, hic primus juventæ honos; ante hoc domus pars videntur, mox reipublicæ. Insignis nobilitas aut magna patrum merita principis dignationem[5] etiam adolescentulis assignant; ceteris robustioribus ac jam pridem probatis aggregantur, nec rubor[6] inter comites[7] adspici. Gradus quin etiam ipse comitatus habet, judicio ejus quem sectantur; magnaque et comitum æmulatio[8], quibus primus apud principem suum locus, et principum, cui plurimi et acerrimi comites. Hæc[9] dignitas, hæ vires, magno semper electorum juvenum globo circumdari; in pace decus, in bello præsidium. Nec solum in sua gente cuique, sed apud finitimas quoque civitates id nomen, ea gloria[10] est, si numero ac virtute comitatus[11] emineat: expetuntur enim legationibus et muneribus ornantur, et ipsa[12] plerumque fama bella profligant.

[1] Nihil rei = nullam rem (Ragon, Gr. lat., § 255, rem. 2, et Riemann, Synt. lat., § 51, rem. 1). — Nisi armati. La loi salique ordonnait à plusieurs reprises d’apporter ces armes dans les réunions publiques. — Tite-Live (21, 20) rapporte la même chose des Gaulois: In his nova terribilisque species visa est quod armati (ita mos gentis) in concilium venerunt.
[2] Moris (s.-e. est) équivaut à mos est, qui est plus ordinaire. Cf. 15: mos est civitatibus. On trouve aussi mos est ou moris est avec ut au lieu de l’infinitif.
[3] Suffecturum, suppléez armis gerendis: avant que la cité ait reconnu qu’il sera capable de les porter. — Probaverit. Tacite emploie le subjonctif avec antequam pour marquer une action qui se répète. Cf. Ann., XV, 74: Deum honor principi non ante habetur quam agere inter homines desierit.
[4] Hæc, hic, les pronoms neutres id, hoc, illud, quod, s’accordent souvent avec le substantif attribut (Ragon, Gr. lat., 358). — Toga, c’est chez eux la robe virile, c.-à-d. cette cérémonie place le jeune homme au nombre des citoyens comme à Rome la robe virile. D’après les lois de certaines nations germaniques cette remise des armes devait se faire lorsque le jeune homme avait atteint quinze ans. C’est de là que semble venir l’usage si répandu plus tard d’armer chevalier. — Mox, ensuite. Cf. 10, note 4.
[5] Dignationem principis peut signifier: la dignité de chef ou la faveur, la considération du chef de la cité. Mais le second sens paraît mieux expliquer ce qui suit: ces jeunes gens sont rangés, par préférence, dans la suite du prince parmi les guerriers plus âgés et déjà éprouvés.
[6] Rubor au lieu de rubori: le nominatif au lieu du datif de destination ou d’effet. Cf. Agricola, 6: idque matrimonium ad majora nitenti decus ac robur fuit. Virg., Égl. III, 101: Amor exitium est, pour exitio est (Gr. lat., § 283, rem. 3). On trouve même (Germanie, 44) le double datif de destination remplacé d’une façon tout à fait insolite par un nominatif accompagné d’un adjectif: regia utilitas est pour regibus utilitati est.
[7] Comites, compagnons, gens de la suite du prince. On voit dans cet usage l’origine des leudes ou vassaux et l’explication des liens de fidélité qui les rattachaient à leur seigneur.
[8] Æmulatio quibus, il y a entre les compagnons une grande émulation pour avoir la première place. — Locus, s.-e. sit, et sint après comites. Le verbe esse se sous-entend en latin, mais rarement au subjonctif, au moins chez Cicéron. Tacite l’omet souvent à ce mode, surtout lorsque suit un autre subjonctif. Cf. 19: Ne ulla cogitatio ultra (sit), ne ament.
[9] Hæc, . Cf. 19, note 4. Un peu plus bas, dans id nomen, ea gloria, id et ea, qui s’accordent aussi par attraction, annoncent la proposition commençant par si.
[10] Nomen, gloria. Pléonasme. Le plus souvent en pareil cas le second mot est plus spécial ou plus expressif, de manière à renchérir sur l’autre. Cf. 2, note 10.
[11] Comitatus: génitif; emineat a pour sujet quisque sous-entendu.
[12] Ipse précise et par conséquent restreint: par lui-même, sans secours étranger, seul. En grec αὐτός a le même sens: Iliade, VIII, 99: αὐτός περ ἐών, quoique n’étant que lui, c.-à-d. quoique seul. Cf. 43, ipsa formidine. — Plerumque a souvent chez Tacite le sens de sæpe. Cf. 8, note 9. Plus bas, plerique équivaut à multi.

14. Cum ventum in aciem, turpe principi virtute vinci, turpe comitatui virtutem principis non adæquare. Jam vero[1] infame in omnem vitam ac probrosum superstitem[2] principi suo ex acie recessisse: illum defendere, tueri[3], sua quoque fortia facta gloriæ ejus assignare præcipuum sacramentum est; principes pro victoria pugnant, comites pro principe. Si civitas in qua orti sunt longa pace et otio torpeat[4], plerique nobilium adolescentium petunt ultro[5] eas nationes, quæ tum bellum aliquod gerunt, quia et ingrata[6] genti quies et facilius inter ancipitia[7] clarescunt magnumque comitatum non nisi vi belloque tueare[8]. Exigunt[9] enim principis sui liberalitate illum[10] bellatorem equum, illam cruentam victricemque frameam; nam[11] epulæ et quanquam incompti, largi tamen apparatus pro stipendio cedunt. Materia munificentiæ per bella et raptus. Nec arare terram, aut exspectare annum[12] tam facile persuaseris[13] quam vocare hostem et vulnera mereri. Pigrum quin imo et iners videtur sudore acquirere quod possis sanguine[14] parare.

[1] Jam vero indique une gradation énergique: en français, mais.
[2] Superstitem. César, B. G., III, 22: Neque adhuc hominum memoria repertus est quisquam, qui, eo interfecto cujus se amicitiæ devovisset, recusaret mori. Ce dévouement héroïque était donc commun aux Germains et aux Gaulois.
[3] Defendere, tueri: l’asyndète marque la gradation; defendere, le défendre lorsqu’il est attaqué; tueri, avoir l’œil fixé, veiller sur lui pour écarter les dangers possibles. — Præcipuum. Cf. 6, note 18 et 7, note 7.
[4] Torpeat: le subjonctif pour marquer le fait qui se répète, comme au chap. 10, si publice consultetur. — Plerique. Cf. 13, note 12.
[5] Ultro, d’eux-mêmes, de leur propre mouvement.
[6] Ingrata, s.-e. est. Cf. 13, note 8.
[7] Ancipitia, les choses dont l’issue est double, c.-à-d. incertaine, les hasards de la guerre.
[8] Tueare, comme instes, ch. 6. (Ragon, Gr. lat., 373.)
[9] Exigunt a pour sujet comites contenu dans le collectif comitatus.
[10] Illum, illam: sens emphatique (Gr. lat., 352, rem. 2). — Bellatorem: les substantifs en tor, employés comme adjectifs, marquent la destination, l’habitude.
[11] Nam, car les repas ne sont pas des présents gratuits, mais sont dus à titre de solde. — Pro stipendio cedere, tenir lieu de solde.
[12] Annum, ce que produit une année, la récolte. Ce mot est poétique en ce sens. Stace, Sylv., IV, 2: Nilus magnum inducit annum. Cf. Agricola, 31.
[13] Persuaseris, et plus bas possis: cf. note 8. — Vocare au lieu de provocare; Tacite aime à employer le simple pour le composé: il met ainsi en relief la valeur étymologique du mot et ajoute de l’énergie au style. Cf. Annales, XIII, 55, vocare pour invocare: sidera vocans. — Mereri. L’emploi de ce verbe est justifié, car les blessures sont un titre d’honneur: «gagner de glorieuses blessures».
[14] Sudore, sanguine. Allitération qui accentue le trait final. Tacite, en habile styliste, aime à achever son paragraphe par un trait qui le résume et le grave dans l’esprit du lecteur.

15. Quoties bella non ineunt, non multum venatibus[1], plus per otium transigunt, dediti somno ciboque, fortissimus[2] quisque ac bellicosissimus nihil agens, delegata domus et penatium[3] et agrorum cura feminis senibusque et infirmissimo cuique ex familia: ipsi hebent, mira diversitate[4] naturæ, cum iidem homines sic ament inertiam et oderint quietem. Mos est[5] civitatibus ultro ac viritim conferre principibus vel armentorum[6] vel frugum, quod pro honore acceptum etiam necessitatibus subvenit. Gaudent præcipue finitimarum gentium donis, quæ non modo a singulis, sed et[7] publice mittuntur, electi equi, magna arma, phaleræ torquesque[8]. Jam et pecuniam accipere docuimus.

[1] Venatibus: l’ablatif de manière s’emploie rarement sans qualificatif, sauf dans un nombre déterminé d’expressions toutes faites. — César semble contredire ce que dit ici Tacite: Bell. Gall., VI, 21: Vita omnis in venationibus consistit; mais chez Tacite il ne s’agit peut-être que des comites, gens d’un certain rang. — Per otium. Remarquez la variété d’expression: Cicéron recherche la symétrie, Tacite la fuit le plus souvent. — Plus transigunt, s.-e. ætatis.
[2] Fortissimus quisque, et plus bas infirmissimo cuique. Cf. Ragon, Gr. lat., 369.
[3] Penates, l’intérieur, le ménage.
[4] Mira diversitate. Tacite semble oublier que, selon une idée chère à l’antiquité, une certaine paresse pour ce qui concerne les occupations matérielles est sœur de la liberté et du courage. C’était l’avis de Socrate lui-même, qui donnait pour exemple les Indiens, paresseux mais libres, et les Lydiens, travailleurs mais esclaves.
[5] Mos est: cf. 13, note 2. — Ultro ac viritim: chacun offre sa contribution volontairement et pour son propre compte, sans qu’il soit besoin de collecteur. Cf. 29, nec publicanus (eos) atterit.
[6] Armentorum vel frugum: il faut suppléer aliquid avec ce génitif, à moins qu’on ne le fasse dépendre de quod. Cf. 18: Armorum aliquid.
[7] Sed et: cf. 35, note 5. — Publice, au nom de la cité, comme au chapitre 10, si publice consultetur.
[8] Phaleræ torquesque. Les phalères étaient des ornements en métal en forme de médaillon, que les soldats portaient sur la poitrine, les chevaux sur le poitrail; les torques étaient des ornements en forme d’anneau ou de chaîne, qu’on portait au cou ou au bras.

16. Nullas Germanorum populis[1] urbes habitari satis notum est, ne pati quidem inter se junctas sedes. Colunt discreti ac diversi[2], ut fons, ut campus, ut nemus placuit. Vicos locant non in[3] nostrum morem connexis et cohærentibus ædificiis: suam quisque domum spatio circumdat, sive adversus casus ignis remedium[4], sive inscitia ædificandi. Ne cæmentorum quidem apud illos aut tegularum usus: materia[5] ad omnia utuntur informi et citra[6] speciem aut delectationem. Quædam loca[7] diligentius illinunt terra ita pura ac splendente, ut picturam[8] ac lineamenta colorum imitetur. Solent et[9] subterraneos specus aperire eosque multo insuper fimo onerant, suffugium[10] hiemis et receptaculum frugibus, quia rigorem frigorum ejusmodi loci molliunt, et si quando hostis advenit[11], aperta populatur, abdita autem et defossa aut ignorantur aut eo ipso fallunt, quod quærenda sunt[12].

[1] Populis: datif. Dans la prose classique le datif ne s’emploie ainsi avec le passif qu’aux formes composées du participe, mais les poètes et les prosateurs de la décadence l’emploient avec une forme quelconque du passif. Il y a d’ailleurs entre le sens de ce datif et celui de l’ablatif avec ab une différence assez sensible. Cf. Ragon, Gr. lat., 293, rem., et Riemann, Synt. lat., § 46 (c). — Urbes. Il s’agit de villes véritables comme il y en avait en Italie. Car César et Tacite lui-même parlent d’agglomérations assez considérables qui pouvaient passer pour des villes au sens large du mot.
[2] Discreti ac diversi, leurs maisons sont isolées et éparses au hasard sans souci de la symétrie, comme aujourd’hui dans les pays de montagnes.
[3] In, dans le sens de c.-à-d., conformément à, selon.
[4] Sive remedium, sive inscitia, le premier à l’accusatif comme apposition à toute la phrase (Gantrelle, Gramm. de Tacite, § 75), le second à l’ablatif de cause.
[5] Materia, le bois. — Informi, non pas simplement informe, brut, mais disgracieux, employé sans souci de la beauté.
[6] Citra, en deçà de; par conséquent, sans aller jusqu’à (Ovide, Trist., 5, 8, 23: Citra scelus), puis par extension comme ici: sans.
[7] Quædam loca, certaines parties des parois à l’intérieur ou à l’extérieur.
[8] Picturam et lineamenta colorum. On change quelquefois colorum en corporum et on explique imitari par refléter comme un miroir; mais cette explication peu naturelle est difficile à admettre. Tacite veut dire que cet enduit de terre remplaçait et imitait, de loin sans doute, la peinture et les dessins au trait qui ornaient les maisons romaines. La chaux surtout devait être employée ainsi que des terres colorées de diverses nuances.
[9] Et a assez souvent chez Tacite le sens de etiam (et jam), aussi. Il se rattache ici à subterraneos specus. Il est souvent précédé de jam. Cf. Agricola, 30: Postquam defuere terræ, jam et mare scrutantur.
[10] Suffugium avec le génitif hiemis, comme 46, imbrium suffugium. Tacite emploie très hardiment le génitif objectif. Ainsi Ann., I, 46: Vulgi largitione, pour in vulgus.
[11] Advenit au parfait marque la répétition.
[12] Eo ipso fallunt quod quærenda sunt. Une de ces pointes qui flattaient le goût de l’époque.

17. Tegumen omnibus sagum[1] fibula aut, si desit, spina consertum: cetera intecti[2] totos dies juxta focum atque ignem agunt. Locupletissimi veste distinguuntur non fluitante[3], sicut Sarmatæ ac Parthi, sed stricta et singulos artus exprimente. Gerunt et ferarum pelles, proximi ripæ[4] negligenter, ulteriores exquisitius, ut quibus[5] nullus per commercia cultus. Eligunt[6] feras et detracta velamina spargunt maculis pellibusque[7] belluarum, quas exterior Oceanus[8] atque ignotum mare gignit. Nec alius feminis quam viris habitus[9], nisi quod feminæ sæpius lineis amictibus velantur eosque purpura[10] variant, partemque vestitus superioris in manicas[11] non extendunt, nudæ brachia ac lacertos[12]; sed et[13] proxima pars pectoris patet.

[1] Sagum. Cette sorte de manteau consistait en un simple carré d’étoffe suspendu à l’épaule par les deux extrémités supérieures; il ne couvrait donc que le dos et une partie de la poitrine. Ce vêtement est ici assimilé au sagum des soldats romains, moins à cause de sa forme qu’à cause de la matière dont il était fait et de sa couleur. — Si desit: cf. 14, note 4.
[2] Cetera: acc. de relation qui dépend de intecti: pour le reste, c.-à-d. à cela près. Cf. Salluste: Cetera ignarus, et Tite-Live: cetera egregius. Traduisez: «sans autre vêtement». — Totos dies: acc. de durée; agunt seul signifie passer le temps, vivre.
[3] Fluitante. Nous disons de même un vêtement flottant. — Stricta: serré, collant, de manière à mouler tous les membres.
[4] Proximi ripæ: les plus voisins des rives du Danube et du Rhin, c.-à-d. les plus rapprochés des Romains. Ces Germains, connaissant et appréciant les étoffes importées chez eux, portaient avec indifférence les peaux de bêtes lorsqu’ils étaient réduits à s’en servir, tandis que les plus éloignés, ne pouvant se procurer des vêtements plus élégants, y mettaient plus de recherche.
[5] Ut quibus: cf. 2, note 15, et 22, note 4. — Cultus: cf. 6, note 7.
[6] Eligunt: ils ne prennent pas au hasard, ils choisissent les animaux qui ont la plus belle fourrure.
[7] Maculis pellibusque: hendiadyn. Cf. 7, note 5, et 25, note 7. Ils les parsèment de taches, c.-à-d. de touffes de poils de couleur différente confectionnées avec les dépouilles d’autres animaux.
[8] Exterior Oceanus atque ignotum mare désignent la même chose. Il s’agit des mers qui s’étendent au nord de la Germanie et que l’insuffisance des renseignements géographiques ne permettait pas à Tacite de désigner autrement. Voyez au lexique Oceanus.
[9] Habitus ne désigne pas seulement le vêtement, mais d’une façon générale tout ce qui contribue à modifier l’aspect, l’extérieur, ou cet extérieur même. — Nisi quod: cf. 29, note 11.
[10] Purpura: ce n’est sans doute pas la pourpre proprement dite, connue des Romains, mais une teinture rouge quelconque.
[11] In manicas, en forme de manches. Notez l’acc. avec extendere. Cf. 20: in hos artus excrescunt.
[12] Brachia et lacertos: accusatifs de relation marquant une idée d’extension. — Brachium ordinairement désigne tout le bras; ici seulement l’avant-bras. Lacertus, le bras du coude à l’épaule.
[13] Sed et: cf. 35, note 5. — Patet. La partie de la poitrine la plus rapprochée de la tête et des épaules, c.-à-d. la partie supérieure, est à découvert.

18. Quanquam[1] severa illic matrimonia, nec ullam morum partem magis laudaveris. Nam prope soli barbarorum singulis[2] uxoribus contenti sunt, exceptis admodum paucis, qui non libidine[3], sed ob nobilitatem plurimis nuptiis ambiuntur. Dotem non uxor marito, sed uxori maritus[4] offert. Intersunt parentes et propinqui ac munera probant, non ad delicias muliebres[5] quæsita nec quibus nova nupta comatur, sed boves et frenatum equum et scutum cum framea gladioque. In[6] hæc munera uxor accipitur, atque invicem ipsa armorum aliquid[7] viro affert. Hoc maximum vinculum, hæc arcana sacra, hos conjugales deos arbitrantur. Ne se mulier extra virtutum cogitationes extraque bellorum casus putet, ipsis incipientis matrimonii auspiciis admonetur venire se laborum periculorumque sociam, idem[8] in pace, idem in prœlio passuram ausuramque: hoc juncti boves, hoc paratus equus, hoc data arma denuntiant; sic vivendum[9], sic pereundum; accipere se quæ[10] liberis inviolata ac digna reddat, quæ nurus accipiant rursusque ad nepotes referantur.

[1] Quanquam, cependant (Gr. lat., 499, rem.). Ce sens est rare chez Tacite (Dialog., 28–33). Sur l’autre emploi de quanquam, cf. 28, note 16.
[2] Singulis, une pour chacun. Cet usage n’était pas sans exception, comme l’avoue Tacite lui-même. Les premiers rois francs eurent souvent plusieurs épouses et il fallut leur conversion au christianisme pour extirper la polygamie.
[3] Non libidine, non par libertinage. Le sens s’oppose à ce que cet ablatif soit rattaché à ambiuntur; il faut suppléer un autre verbe. C’est la figure de style, assez fréquente chez Tacite, qu’on appelle zeugma. — Nuptiis: datif d’intérêt (Gr. lat., § 280). — Plurimis a un sens affaibli: plusieurs. Cf. 13, note 12, et 14, note 4.
[4] Non uxor marito, sed uxori maritus. Remarquez la disposition des mots: c’est la figure appelée entrecroisement, fréquente chez Tacite. — Tout ce chapitre, comme le suivant, est une satire à peine dissimulée des mœurs romaines.
[5] Delicias muliebres, la vaine parure des femmes. La proposition qui suit exprime la même idée.
[6] In hæc munera, contre, c.-à-d. à la condition de, en échange de, comme en grec ἐπὶ τούτοις.
[7] Armorum aliquid, une arme quelconque, spécialement une épée. Cf. 15, note 6. — Hoc, hæc, hos: cf. 13, note 4.
[8] Remarquez les anaphores fréquentes à la fin de ce chapitre: idem, hoc, sic, quæ sont répétés. Visiblement Tacite est entraîné par le tableau de ces mœurs viriles.
[9] Vivendum (esse) dépend de denuntiant; — accipere est suivi du réfléchi se parce que l’idée contenue dans admonetur se poursuit jusqu’à la fin de la phrase.
[10] Quæ: il s’agit moins des objets eux-mêmes que des sentiments qu’ils symbolisent. Le second quæ ne dépend pas de digna; un troisième quæ est à sous-entendre comme sujet de referantur et se tire du second qui est complément.

19. Ergo sæpta pudicitia[1] agunt, nullis spectaculorum illecebris, nullis conviviorum irritationibus corruptæ. Litterarum secreta[2] viri pariter ac feminæ ignorant. Paucissima in tam numerosa gente adulteria, quorum pœna præsens[3] et maritis permissa: accisis crinibus, nudatam coram propinquis expellit domo maritus ac per omnem vicum verbere agit. Publicatæ enim pudicitiæ[4] nulla venia: non forma, non ætate, non opibus maritum invenerit. Nemo enim illic vitia ridet, nec corrumpere et corrumpi sæculum[5] vocatur. Melius[6] quidem adhuc eæ civitates in quibus tantum virgines nubunt et cum spe votoque uxoris semel transigitur[7]. Sic unum accipiunt maritum quomodo unum corpus unamque vitam, ne ulla cogitatio ultra[8], ne longior cupiditas, ne tanquam maritum, sed tanquam matrimonium ament. Numerum liberorum finire[9] aut quemquam ex agnatis[10] necare flagitium[11] habetur, plusque ibi boni mores valent quam alibi[12] bonæ leges.

[1] Sæpta pudicitia, leur vertu est comme entourée, c.-à-d. défendue, protégée par les mœurs et les institutions. — Agunt: cf. 17, note 2.
[2] Litterarum secreta, non pas en général l’art de se faire comprendre au moyen de signes appelés lettres, c.-à-d. l’écriture, mais les correspondances secrètes: litteræ équivaut à epistolæ. Ici la satire des mœurs romaines devient presque directe.
[3] Præsens, immédiate, qui n’attend pas les délais de la procédure.
[4] Publicatæ pudicitiæ nulla venia, point de pardon pour celle qui prostitue son honneur.
[5] Sæculum, les mœurs du siècle. Traduisez: «ne s’appelle pas vivre selon le siècle, ou être de son temps».
[6] Melius, s.-e. agunt. Cf. Ann., I, 43: Melius et amantius ille qui gladium offerebat.
[7] Semel transigitur: on en finit une fois pour toutes avec... Ainsi la mort même d’un époux ne rendait pas au survivant sa liberté et n’autorisait pas les secondes noces. Tacite songe aux Romains, pour qui le divorce, introduit dans les lois et dans les mœurs, réduisait le mariage à n’être qu’une formalité, révocable presque sans motif.
[8] Ultra, s.-e. sit. Cf. 13, note 8.
[9] Finire numerum, limiter le nombre.
[10] Agnatis, litt., qui naît en sus, c.-à-d. nouveau-né qui vient grossir le nombre des enfants déjà existants.
[11] Flagitium habetur: en réalité le père avait droit de vie et de mort sur ses enfants, mais sans doute on considérait comme un crime honteux d’en user contre les nouveau-nés.
[12] Alibi: à Rome sans doute, où on avait dû, pour arrêter la dissolution croissante de la famille, attribuer par des lois des récompenses aux citoyens pères de plusieurs enfants.

20. In omni[1] domo nudi ac sordidi in hos artus[2], in hæc corpora, quæ miramur, excrescunt. Sua quemque mater uberibus alit, nec ancillis aut nutricibus[3] delegantur. Dominum ac servum nullis educationis deliciis[4] dignoscas; inter eadem pecora, in eadem humo degunt, donec ætas separet[5] ingenuos, virtus agnoscat. Sera juvenum venus, eoque inexhausta pubertas[6]. Nec virgines festinantur[7]; eadem juventa, similis proceritas: pares validæque[8] miscentur, ac robora parentum liberi referunt. Sororum filiis idem apud avunculum qui[9] ad patrem honor. Quidam sanctiorem arctioremque hunc nexum sanguinis arbitrantur et in accipiendis obsidibus magis exigunt[10], tanquam[11] et animum firmius et domum latius teneant. Heredes tamen successoresque sui cuique liberi, et nullum testamentum[12]. Si liberi non sunt, proximus gradus in possessione[13] fratres, patrui, avunculi. Quanto plus propinquorum[14], quanto major affinium numerus, tanto gratiosior senectus; nec ulla orbitatis pretia.

[1] Omni: chez les pauvres comme chez les riches. Cf. plus loin: donec ætas separet ingenuos. — Nudi ac sordidi: il s’agit des jeunes enfants, à peine vêtus; ils étaient facilement malpropres.
[2] In hos artus: cf. 17, note 11. — Miramur. Les Romains avaient souvent l’occasion de voir des Germains à Rome même, en qualité de soldats ou d’esclaves.
[3] Nutricibus: le contraire se faisait à Rome, et Tacite (Dial. Or., 29) déplore explicitement les funestes effets de cette coutume sur l’éducation: At nunc infans delegatur græculæ alicui ancillæ, etc.
[4] Deliciis, délicatesse, raffinements.
[5] Donec separet. Tacite emploie volontiers le subjonctif présent après donec pour marquer la répétition de l’action. Cf. 1, note 10. — Separet, agnoscat. L’âge met à part les jeunes gens libres, mais c’est le courage seul qui les désigne comme vraiment tels. Ici la vertu est personnifiée. Cf. 34, note 6.
[6] Sera... pubertas, «une longue ignorance de la volupté assure aux garçons une jeunesse pleine de vigueur».
[7] Festinantur. On ne hâte pas leur mariage.
[8] Pares validæque insiste sur l’idée précédente. Elles s’unissent lorsque l’âge les a faites également vigoureuses, comme s’il y avait: pares ætate pariterque validæ.
[9] Idem qui: cf. Ragon, Gr. lat., 337, rem. — Ad patrem équivaut à apud patrem.
[10] Magis exigunt, c.-à-d. hujusmodi obsides, sororum filios.
[11] Tanquam, chez Tacite, indique souvent la cause telle qu’elle est envisagée par les gens dont il s’agit: «dans la pensée que», en grec ὡς avec le participe. — Latius: les engagements s’étendent ainsi à plus de personnes. — Domum: cf. 21, note 3.
[12] Et nullum testamentum. Il y avait des coutumes et plus tard des lois qui réglaient la transmission des biens, mais ces lois ne faisaient que consacrer les droits naturels des parents. — Sur et suivi de la négation, cf. 28, note 5.
[13] Possessione, prise de possession. Ce mot se rattache non seulement à possideo, être en possession, mais aussi à possido, se rendre maître de.
[14] Propinqui, parents par le sang; affines, parents par alliance. — Orbitatis pretia: il n’y a aucun avantage à n’avoir pas d’héritier direct, tandis qu’à Rome les vieillards riches et sans enfants étaient entourés des soins et des respects d’une foule de gens attentifs à capter leur héritage. Beaucoup d’auteurs latins ou grecs nous dépeignent le cynisme avec lequel se pratiquait cette chasse aux testaments.

21. Suscipere tam inimicitias seu patris seu propinqui quam amicitias necesse est[1]. Nec[2] implacabiles durant: luitur enim etiam homicidium certo armentorum ac pecorum numero[3] recipitque satisfactionem universa domus, utiliter in publicum[4], quia periculosiores sunt inimicitiæ juxta libertatem[5]. Convictibus et hospitiis[6] non alia gens effusius indulget. Quemcumque mortalium arcere tecto nefas habetur; pro fortuna[7] quisque apparatis epulis excipit. Cum defecere[8], qui modo hospes fuerat, monstrator hospitii et comes; proximam domum non invitati adeunt. Nec interest: pari humanitate accipiuntur. Notum ignotumque quantum ad[9] jus hospitis nemo discernit. Abeunti, si quid poposcerit, concedere moris[10]; et poscendi invicem eadem facilitas. Gaudent muneribus, sed nec data imputant[11] nec acceptis obligantur: vinculum inter hospites comitas.

[1] Necesse est: ils regardent cette coutume comme fondée sur le droit naturel au même titre que les successions.
[2] Nec, de même que et, a souvent le sens adversatif; ici il équivaut à neque tamen.
[3] Certo numero: cf. 12, note 7. — Domus, dans le sens de «famille» comme au ch. 20.
[4] In publicum: cf. 5, note 2.
[5] Juxta libertatem = apud liberos homines. En prose classique, juxta ne s’emploie guère que pour signifier «près de», et au propre. Cf. ch. 30, encore un autre sens non classique et un emploi spécial à Tacite juxta formidinem.
[6] Convictibus et hospitiis. Le premier mot s’applique aux rapports avec voisins et amis, le second, aux relations d’hospitalité avec les étrangers. On remarque les mêmes coutumes à l’origine de toutes les civilisations; la Bible, Homère nous montrent déjà la même hospitalité cordiale: bienveillance dans l’accueil, présents au départ, respect de l’hôte comme d’un être sacré.
[7] Pro fortuna, selon sa fortune. Apparatus seul signifie bien apprêté. Tite-Live, XXIII, 4: apparatis accipere epulis.
[8] Cum defecere, s.-e. epulæ. — Monstrator, s.-e. fit.
[9] Quantum ad, pour ce qui est de, quant à, au lieu du classique quod attinet ad. Cette expression, qui se retrouve, Histoires, V, 10 et Agricola, 44, est déjà dans Ovide.
[10] Moris, s.-e. est. Cf. 14, note 2.
[11] Imputant, litt., porter quelque chose en ligne de compte; ici, se faire un titre à la reconnaissance.

22. Statim e[1] somno, quem plerumque in diem[2] extrahunt, lavantur[3], sæpius calida, ut apud quos[4] plurimum hiems occupat. Lauti cibum capiunt; separatæ singulis sedes[5] et sua cuique mensa. Tum ad negotia nec minus sæpe ad convivia procedunt armati. Diem noctemque[6] continuare potando nulli probrum. Crebræ, ut inter vinolentos[7], rixæ raro conviciis[8], sæpius cæde et vulneribus transiguntur. Sed et de reconciliandis invicem[9] inimicis et jungendis affinitatibus et adsciscendis principibus, de pace denique ac bello plerumque in conviviis consultant, tanquam[10] nullo magis tempore aut ad simplices[11] cogitationes pateat animus aut ad magnas incalescat. Gens non astuta nec callida aperit adhuc[12] secreta pectoris licentia joci. Ergo detecta et nuda[13] omnium mens postera die retractatur[14], et salva utriusque temporis ratio est[15]: deliberant dum fingere nesciunt, constituunt dum errare non possunt.

[1] Ex signifie souvent au sortir de, immédiatement après. César, Bell. Civ., I, 22, 4, ex prætura. Ce sens peut être précisé comme ici par statim. Cf. Ann., XV, 69, ex mensa.
[2] Plerumque: cf. 13, note 12. — In diem, jusque dans le jour, et non pas jusqu’au jour, sens que in a quelquefois à l’époque impériale. Quintilien, 8, 3, 68: usque in illum diem. Cf. 45, in ortum, et la note.
[3] Lavantur: forme passive qu’on peut rattacher à une voix moyenne (Ragon, Gr. lat., 409, et Riemann, Synt. lat., § 133, a 1o). Calida, s.-e. aqua.
[4] Ut apud quos: cf. 2, note 15. Cette proposition relative marquant la cause devrait être construite avec le subjonctif (Ragon, Gr. lat., 503, 3o). L’exception, qu’on rencontre quelquefois, est une construction incorrecte (Riemann, Synt. lat., § 221, rem. II et note 3). On propose d’ailleurs occupet au lieu de occupat, mais déjà au ch. XVIII, dans ut quibus nullus per commercia cultus, il semble bien qu’on doive sous-entendre est, et non pas sit. — Plurimum, s.-e. temporis ou anni.
[5] Separatæ sedes. Tacite, comme on peut s’y attendre chez un écrivain qui peint un peuple étranger, signale surtout les détails de mœurs qui s’écartent le plus des habitudes de son pays. Chez les Romains la salle à manger contenait trois lits, sur chacun desquels trois et quelquefois quatre convives prenaient place. Horace, Sat., I, IV, 86: Sæpe tribus lectis videas cenare quaternos. — Sua cuique mensa. C’était sans doute moins une table qu’un simple plateau sur lequel chacun mettait sa part du repas. Cf. l’allemand Tisch, qui vient du latin discus.
[6] Diem noctemque, un jour entier et la nuit suivante, comme l’indique le verbe continuare.
[7] Ut inter vinolentos: cf. 2, note 15. — Vinolentus désigne l’état d’ivresse en général, car nous voyons au commencement du chapitre suivant que les Germains s’enivraient avec autre chose que du vin.
[8] Raro conviciis: les injures sont le fait d’un homme qui n’ose en venir aux mains, d’un poltron. Dans les Niebelungen on lit: «Il ne convient pas à des guerriers de se blesser avec des paroles à la manière des vieilles femmes.» — Transigitur: cf. 19, note 7.
[9] Proprement, invicem ne signifie que tour à tour; mais à l’époque impériale on l’emploie fréquemment pour marquer la réciprocité au lieu de inter se. Cf. 37, multa invicem damna.
[10] Tanquam, dans la conviction que. Cf. 20, note 11.
[11] Simplices (de sim, «un», comme dans semel, singuli, et plico), litt., qui n’a qu’un pli, sans détour, franc, ouvert.
[12] Adhuc, si on le rapporte à aperit, signifie «jusqu’ici», Tacite voulant dire qu’à l’époque où il écrit, ce peuple n’a pas encore appris l’art de dissimuler; mais il vaut mieux le rattacher à secreta: des choses restées cachées jusqu’alors. Un commentateur allemand, qui voit partout de l’ironie, prend le contrepied de cette pensée (cf. Introduction), et cite non sans quelque apparence de raison Velleius Paterculus, 118, qui appelle les Germains natum mendacio genus.
[13] Detecta et nuda omnium mens. Corneille, Théodore, II, II: «Voilà pour vous montrer mon âme toute nue.» Racine, Britannicus, II, II: «Mais je t’expose ici mon âme toute nue.»
[14] Retractatur. Les idées exprimées en toute franchise durant le festin sont de nouveau discutées.
[15] Salva utriusque temporis ratio est. Ce qui convient dans les deux cas (la délibération et la décision) est ainsi sauvegardé.

23. Potui humor ex[1] hordeo aut frumento in quamdam similitudinem vini corruptus[2]; proximi ripæ[3] et vinum mercantur. Cibi simplices: agrestia poma[4], recens fera[5], aut lac concretum: sine apparatu, sine blandimentis[6] expellunt famem. Adversus sitim non eadem[7] temperantia: si indulseris[8] ebrietati suggerendo quantum concupiscunt, haud minus facile[9] vitiis quam armis vincentur.

[1] Ex marque la matière dont une chose est faite (Gr. lat., 250).
[2] Corruptus n’a pas ici un sens défavorable: altéré, c.-à-d. fermenté. On voit assez qu’il s’agit d’une sorte de bière. — In similitudinem vini, non pas à la manière du vin, mais de façon à ressembler à du vin. Sur in marquant le résultat ou l’intention, voir des exemples dans Draeger, § 80. Cf. 38: in altitudinem quamdam et terrorem... ornantur; et 17, note 11; 24, note 3.
[3] Proximi ripæ. Il s’agit des rives du Rhin et du Danube. Cf. 5, note 13.
[4] Agrestia poma. De même que frugifera arbor (10, note 3) signifie toute espèce d’arbre qui porte des fruits, ici poma désigne des fruits ou productions sauvages de toute espèce, des noix ou des baies, peut-être même certains légumes sauvages.
[5] Recens fera, venaison fraîche. — Lac concretum, lait caillé ou peut-être le lait à tous les états où il peut être rangé parmi les cibi que Tacite énumère ici par opposition à la boisson.
[6] Sine blandimentis, sans tous les raffinements inventés pour réveiller l’appétit paresseux, ce que Salluste appelle irritamenta gulæ.
[7] Eadem: formule de transition que nous avons déjà vue au ch. 4: non eadem patientia. Pour la pensée, voir aussi ce chapitre: minime sitim tolerare, etc.
[8] Si indulseris, si on se prête à.
[9] Haud minus facile est une litote, au lieu de facilius. Cependant l’affirmation de Tacite est relative: il ne veut pas dire qu’en fait les Germains sont faciles à vaincre (cf. 37), mais il compare seulement les deux moyens qu’on a de les dompter.

24. Genus spectaculorum unum atque in omni cœtu idem: nudi juvenes, quibus id ludicrum[1] est, inter gladios se atque infestas[2] frameas saltu jaciunt. Exercitatio artem paravit, ars decorem, non in quæstum[3] tamen aut mercedem: quamvis[4] audacis lasciviæ pretium est voluptas spectantium. Aleam, quod mirere, sobrii inter seria[5] exercent, tanta lucrandi perdendive temeritate[6], ut, cum omnia defecerunt, extremo ac novissimo[7] jactu de libertate ac de corpore contendant. Victus voluntariam servitutem adit: quamvis juvenior, quamvis robustior, alligari se ac venire[8] patitur. Ea est[9] in re prava pervicacia; ipsi fidem vocant. Servos conditionis hujus per commercia[10] tradunt, ut se quoque[11] pudore victoriæ exsolvant.

[1] Ludicrum est attribut de id: pour qui c’est un jeu. À Rome on voyait dans les arènes des exercices plus dangereux, mais ils étaient exécutés par de misérables condamnés pour qui ce n’était point un passe-temps.
[2] Infestas se rapporte également à gladios (Gr. lat., 228): menaçantes, dangereuses par la manière dont elles sont placées. Sidoine Apollinaire, 5, 246: Intortas præcedere saltibus hastas. — Saltu se jacere: expression plus pittoresque que saltare.
[3] In quæstum, «en vue d’un gain». Cf. 23, note 2.
[4] Quamvis ne signifie pas quoique et ne tombe pas sur le verbe à l’indicatif, ce qui serait doublement contraire au bon usage classique (Ragon, Gr. lat., 501, et rem.; Riemann, § 201, 2). Il tombe ici exclusivement sur audacis: quelque audacieux que soit. Tacite emploie d’ailleurs quamvis dans le sens de quoique avec le subjonctif: cf. Histoires, II, 79 et 85.
[5] Sobrii inter seria. Cette habitude pouvait étonner les Romains, pour qui ce jeu faisait partie des divertissements d’un festin, quand le vin avait déjà échauffé les têtes.
[6] Temeritate, s’exposant avec tant d’audace aux chances de gain ou de perte.
[7] Extremo ac novissimo: pléonasme oratoire. Cf. 1, note 9. Mais il n’en est pas de même de libertate et corpore: le second mot marque la conséquence du premier, la perte de la liberté entraînait le risque de perdre la vie même dans un pays où le maître pouvait punir l’esclave de mort. Cf. 25: occidere solent. — Jactu, coup de dés.
[8] Venire: inf. de veneo, qui sert de passif à vendo (Gr. lat., 411).
[9] Ea est, telle est.
[10] Per commercia. Cf. 17: nullus per commercia cultus.
[11] Quoque. Les vainqueurs veulent échapper eux aussi à la honte de leur victoire, comme le vaincu a voulu échapper en risquant sa liberté à la honte d’une défaite où il avait tout perdu.

25. Ceteris[1] servis non in nostrum morem[2] descriptis per familiam ministeriis utuntur: suam quisque sedem, suos penates regit. Frumenti modum[3] dominus aut pecoris aut vestis ut colono injungit, et servus hactenus[4] paret. Cetera[5] domus officia uxor ac liberi exsequuntur. Verberare servum ac vinculis et opere[6] coercere rarum: occidere solent, non disciplina et severitate[7], sed impetu et ira, ut inimicum, nisi quod[8] impune est. Liberti non multum supra servos sunt, raro aliquod momentum[9] in domo, nunquam in civitate[10], exceptis dumtaxat iis gentibus quæ regnantur[11]. Ibi enim et super ingenuos et super nobiles ascendunt: apud ceteros impares libertini[12] libertatis argumentum sunt.

[1] Ceteris sert de transition; il s’agit maintenant des esclaves autres que ceux dont il vient d’être parlé. C’étaient des prisonniers de guerre ou des fils d’esclaves.
[2] In nostrum morem, à notre manière. Cf. 16, note 3. En effet, les Romains pouvaient distribuer à tout un personnel composé parfois de plusieurs centaines d’esclaves (familia) une foule de rôles distincts qui répondaient à autant de besoins créés par le luxe. Les Germains qui n’avaient point de palais et dont la vie était fort simple auraient été plutôt embarrassés de tenir chez eux leurs esclaves. Ces derniers avaient donc leurs habitations sans doute groupées autour de celle du maître et se livraient aux travaux des champs. Ces mœurs, avec les modifications amenées par le christianisme, sont reconnaissables durant tout le moyen âge.
[3] Modum, une quantité déterminée. — Colono: le colon romain était un homme libre, mais la terre qu’il cultivait ne lui appartenait pas.
[4] Hactenus s’emploie tantôt en parlant du lieu (Agricola, 16), tantôt en parlant du temps (Virg., Énéide, XI, 823), ou comme ici au figuré: à cela se borne son esclavage. Il s’agit, bien entendu, de ce qui se passait habituellement, car l’esclave pouvait en certains cas être mis à mort par son maître.
[5] Cetera domus officia ne peut signifier les autres emplois de la maison, puisque Tacite n’en a encore cité aucun; il faut traduire: les autres services, ceux qui se font dans la maison, par opposition à la culture des champs. Ἄλλος a très fréquemment cet emploi, Odyssée, I, 132: ἔκτοσθεν ἄλλων μνηστήρων, loin des autres, à savoir des prétendants (Ragon, Gr. gr., 187 bis, rem.). — Uxor et liberi, s.-e. domini.
[6] Vinculis et opere, les fers et les travaux forcés. Tacite songe peut-être aux malheureux condamnés à Rome à tourner la meule. — Coercere: cf. 11.
[7] Disciplina et severitate = disciplinæ severitate, disciplina severa. Impetu et ira = impetu iræ. C’est la figure appelée hendiadyn (ἓν διὰ δυοῖν) qui consiste à réunir par et deux substantifs dont l’un précise l’autre et remplace soit un génitif, soit un adjectif.
[8] Nisi quod après une proposition affirmative et nisi seul après une négation, s’emploient avec l’indicatif pour signifier: si ce n’est que, avec cette restriction que (Gr. lat., 494).
[9] Momentum. Les affranchis ont rarement quelque influence. On dit plutôt momenti esse; Cicéron dit: esse maximi ponderis et momenti. Mais Tacite aime à employer le nominatif attribut au lieu d’un génitif ou d’un datif avec esse; il semble qu’ainsi la relation avec le sujet devienne plus directe. Cf. 13, note 6, et plus bas argumentum sunt.
[10] In civitate. À Rome, au contraire, des affranchis, tout-puissants auprès des empereurs, tenaient souvent les rênes du gouvernement.
[11] Le passif regnari n’appartient pas à la prose classique (Riemann, Synt. lat., § 31, d, et la note). Cf. 37, triumphati.
[12] Impares libertini. Le fait que les affranchis sont au-dessous des citoyens libres est une preuve de liberté chez un peuple. Impares joue ici le rôle d’une proposition circonstancielle. — Libertus, l’affranchi par rapport à son maître; libertinus, l’affranchi considéré dans ses rapports avec l’État, libertini, la classe des affranchis.

26. Fenus agitare[1] et in usuras extendere ignotum; ideoque magis servatur[2] quam si vetitum esset. Agri pro numero cultorum ab universis vicis[3] occupantur, quos mox inter se secundum dignationem[4] partiuntur. Facilitatem partiendi camporum spatia præbent. Arva[5] per annos mutant[6], et superest ager. Nec enim cum ubertate et amplitudine soli labore contendunt[7], ut[8] pomaria conserant et prata separent et hortos rigent: sola terræ seges[9] imperatur. Unde annum quoque ipsum non in totidem[10] digerunt species: hiems et ver et æstas intellectum[11] ac vocabula habent, autumni perinde nomen ac bona ignorantur.

[1] Fenus agitare. On n’est pas d’accord sur le sens de ce passage. On entend communément: faire valoir un capital et étendre cette opération aux intérêts eux-mêmes, c’est-à-dire prendre l’intérêt de l’intérêt. Après ce qui a été dit au ch. 5 de la rareté de la monnaie en Germanie, cette phrase peut paraître superflue; mais Tacite songe toujours à Rome, où l’usure et les dettes qui en naissaient avaient causé tant de troubles: Sane vetus urbi malum, dit-il, Ann., VI, 16.
[2] Servatur a pour sujet non agitare fenus, l’idée négative étant suggérée par ignotum; vetitum esset a le même sujet, mais sans négation. On reconnaît encore ici une de ces pointes qu’on aimait au temps de Tacite; mais la concision est obtenue aux dépens de la clarté.
[3] Ab universis vicis, des communautés entières se déplacent et occupent un espace de terrain plus ou moins grand, soit sans possesseurs, soit nouvellement conquis. — Mox: cf. 10, note 4.
[4] Dignationem, rang, considération.
[5] Arva, la terre cultivée par chacun, s’oppose à ager, le territoire entier assigné à la communauté.
[6] Mutant: afin de laisser reposer alternativement la terre épuisée par une récolte.
[7] Contendunt: ils n’essaient pas, à force de travail, de faire valoir chaque parcelle de terrain et d’en tirer tout ce qu’elle peut produire, comme cela se pratiquait en Italie, où, dès l’époque de Caton, on s’était préoccupé d’obtenir du sol le maximum de rendement.
[8] Ut a le sens consécutif: en sorte que, de façon à, au point de.
[9] Seges, les céréales.
[10] Totidem. Le second membre de la comparaison est sous-entendu. Il s’agit des Romains. — Species, formes sous lesquelles l’année se montre à nous, saisons.
[11] Intellectum, sens, signification. Ce mot est pris passivement. De même, dans Quintilien, intellectu carere = non intelligi, être inintelligible.

27. Funerum nulla ambitio[1]: id solum observatur, ut corpora clarorum virorum certis lignis crementur[2]. Struem rogi nec vestibus nec odoribus cumulant: sua cuique arma, quorumdam igni et equus adjicitur. Sepulcrum cæspes erigit[3]: monumentorum arduum et operosum honorem ut[4] gravem defunctis aspernantur. Lamenta ac lacrimas[5] cito, dolorem et tristitiam tarde ponunt[6]. Feminis lugere honestum est, viris meminisse.

Hæc in commune[7] de omnium Germanorum origine ac moribus accepimus. Nunc singularum gentium instituta ritusque, quatenus differant, quæ nationes e Germania in Gallias commigraverint, expediam.

[1] Ambitio, faste, désir de briller. À Rome, au contraire, les funérailles se faisaient en grande pompe; on célébrait à cette occasion des jeux funèbres fort somptueux.
[2] Crementur. Cet usage de brûler les cadavres paraît relativement récent chez les Germains; plus anciennement ils enterraient leurs morts; ils revinrent à cette coutume en se convertissant au christianisme.
[3] Cæspes erigit au lieu de cæspite erigitur: tour poétique qui se trouve dans Sénèque, Ep. 8: Hanc domum utrum cæspes erexerit an varius lapis gentis alienæ nihil interest.
[4] Ut, dans la pensée que, le regardant comme. Cf. 8, note 10, et 20, note 11.
[5] Lamenta et lacrimas: allitération. Cf. 40: præliis ac periclitando.
[6] Ponunt pour deponunt. Cf. 14, note 13. Cicéron avait déjà dit ponere dolorem. Tacite emploie ailleurs ponere au lieu de proponere et cet emploi lui est particulier.
[7] In commune: cf. 5, note 2.

28. Validiores[1] olim Gallorum res fuisse summus auctorum[2] divus Julius tradit; eoque credibile est etiam Gallos in Germaniam transgressos[3]. Quantulum enim amnis obstabat quominus, ut quæque[4] gens evaluerat, occuparet permutaretque sedes promiscuas adhuc et nulla[5] regnorum potentia divisas? Igitur[6] inter Hercyniam[7] silvam Rhenumque et Mœnum amnes Helvetii, ulteriora Boii, Gallica utraque gens, tenuere. Manet adhuc Boihæmi[8] nomen significatque loci veterem memoriam, quamvis mutatis[9] cultoribus. Sed utrum Aravisci[10] in Pannoniam ab Osis, Germanorum natione; an Osi ab Araviscis in Germaniam commigraverint, cum eodem adhuc sermone, institutis, moribus utantur, incertum est, quia pari olim inopia ac libertate eadem utriusque ripæ bona malaque[11] erant. Treveri et Nervii circa[12] affectationem Germanicæ originis ultro ambitiosi sunt, tanquam[13] per hanc gloriam sanguinis a similitudine et inertia[14] Gallorum separentur. Ipsam Rheni ripam haud dubie[15] Germanorum populi colunt, Vangiones, Triboci, Nemetes. Ne Ubii quidem, quanquam[16] Romana colonia esse meruerint ac libentius Agrippinenses conditoris sui[17] nomine vocentur, origine erubescunt, transgressi olim et experimento[18] fidei super ipsam Rheni ripam collocati, ut arcerent, non ut custodirentur.

[1] Validiores, plus puissants que les Germains, et non pas qu’aujourd’hui, comme le témoigne le passage de César, Bell. Gall., VI, 24: Ac fuit antea tempus cum Germanos Galli virtute superarent.
[2] Auctor, garant, autorité, et non pas écrivain.
[3] Transgressos. Il est plus probable que ces Gaulois qui habitaient en Germanie n’y avaient pas passé, mais s’y étaient maintenus, tandis que les autres avaient été refoulés de l’autre côté du Rhin.
[4] Ut, dans ut quisque, signifie tantôt «à mesure que», tantôt «dans la mesure où».
[5] Et nulla, au lieu de neque ulla, qui est plus ordinaire (Ragon, Gr. lat., 531; Riemann, Synt. lat., § 268 et rem.). Tacite emploie volontiers (cf. 10 et 20, et vingt fois dans les autres ouvrages) cette tournure qui semble accentuer davantage la négation. Après lui cet usage se répand de plus en plus.
[6] Igitur indique que l’auteur, après une courte digression ou explication préliminaire, revient à son sujet.
[7] Hercynia silva: la Forêt Noire, avec laquelle on l’identifie, ne devait en être qu’une faible partie. Cf. Hercynia, au lexique.
[8] Boihæmi. Le mot germanique heim signifie domicile, pays, et forme beaucoup de noms de lieu. Cf. lexique des noms propres.
[9] Mutatis. Les Marcomans avaient remplacé les Boïens dans la Bohême.
[10] Aravisci. Pour tous les noms propres, consulter le lexique.
[11] Bona malaque. Par conséquent on ne peut alléguer aucune raison qui ait pu pousser les uns plutôt que les autres à franchir le fleuve.
[12] Circa, dans l’usage classique, signifie autour de, environ. Son emploi dans le sens de «au sujet de» appartient à l’époque impériale. — Affectationem, désir d’atteindre, d’obtenir, prétention à.
[13] Tanquam: cf. 20, note 11.
[14] A similitudine et inertia. Il y a vraisemblablement hendiadyn. Il ne s’agit point d’une ressemblance extérieure: inertia explique en quoi consisterait la ressemblance qu’ils répudient (similitudine inertiæ). Cf. 25, note 7, et 29, note 8.
[15] Haud dubie tombe sur Germanorum: des peuplades incontestablement de race germanique. Tacite semble douter de l’origine germanique des Trévires et des Nerviens.
[16] Quanquam... meruerint. C’est ainsi que Tacite construit d’ordinaire quanquam contrairement à l’usage classique (Gr. lat., 499). — Mereri se construit avec ut, mais l’infinitif se trouve aussi chez Ovide, Tacite, Valère Maxime, Florus.
[17] Conditoris sui. On attendrait plutôt le féminin, Agrippine étant la véritable fondatrice de la Colonie. S’agit-il d’Agrippa qui les établit sur les bords du Rhin? On peut, à la rigueur, considérer sui comme le génitif du pronom personnel, car cet emploi peu correct, mais non sans exemple dans l’usage classique, n’est pas rare chez Tacite. Cf. Riemann, Synt. lat., § 53, rem. 1, et Draeger, § 63. L’emploi de conditor pour désigner une femme est poétique. De même, auctor s’emploie parfois au féminin.
[18] Experimento, sur la preuve acquise: abl. de cause.

29. Omnium harum gentium virtute præcipui Batavi non multum ex ripa[1], sed insulam[2] Rheni amnis colunt, Chattorum quondam populus et seditione domestica in eas sedes transgressus, in quibus pars Romani imperii fierent[3]. Manet honos et antiquæ societatis insigne[4]: nam nec tributis contemnuntur[5] nec publicanus atterit; exempti oneribus et collationibus et tantum in usum[6] prœliorum sepositi, velut tela atque arma[7] bellis reservantur. Est in eodem obsequio et Mattiacorum gens. Protulit enim magnitudo populi Romani ultra Rhenum ultraque veteres terminos[8] imperii reverentiam. Ita sede finibusque[9] in sua ripa, mente animoque nobiscum agunt; cetera[10] similes Batavis, nisi quod[11] ipso adhuc terræ suæ solo et cælo acrius animantur. Non numeraverim[12] inter Germaniæ populos, quanquam trans Rhenum Danuviumque consederint, eos qui decumates agros[13] exercent. Levissimus quisque[14] Gallorum et inopia audax dubiæ possessionis solum occupavere. Mox[15] limite acto promotisque præsidiis sinus imperii et pars provinciæ[16] habentur.

[1] Non multum ex ripa, une petite partie de la rive. Ex comme de a souvent le sens partitif. Il s’agit de la rive gauche du Wahal et de la Meuse.
[2] Insulam. L’île des Bataves est bornée au nord par une branche du Rhin et au sud par le Wahal et la Meuse, mais Tacite ne se trompe pas en l’appelant insulam Rheni, car les eaux de ce fleuve l’entourent réellement. Cf. Histoires, IV, 12: Insulam... quam mare oceanus a fronte, Rhenus amnis tergum ac latera circumluit.
[3] Fierent. Ce subjonctif de la proposition relative (Gr. lat., 503) marque la conséquence et non le but: «où ils étaient destinés à devenir».
[4] Honos et insigne: cf. 25, note 7. — Insigne ne fait qu’expliquer honos en indiquant qu’il constitue un trait distinctif. Cf. 38, note 3. Traduisez: «Il leur reste un privilège, marque certaine d’une antique alliance, c’est que...»
[5] Contemnuntur, atterit (eos). Remarquez l’énergie de l’expression et le changement subit du sujet. Cf. note 13.
[6] In usum, pour servir. Tacite donne volontiers à in deux emplois rares à l’époque classique: 1o pour marquer le résultat (Cf. 23, note 2); 2o pour marquer le but, au lieu de ad.
[7] Tela atque arma, armes offensives et défensives.
[8] Ultra Rhenum ultraque veteres terminos. Dans Tacite, et, que, neque sont souvent explicatifs, au lieu d’une apposition. Cf. Agricola, 4: De limine imperii et ripa, au delà du Rhin qui était l’ancienne frontière.
[9] Sede finibusque et mente animoque: ablatifs de relation (Gr. lat., 303). — Agunt, ils vivent. Cf. 17, note 2.
[10] Cetera. Cf. 17, note 2.
[11] Nisi quod: cf. 25, note 8. — Solo et cælo. Tacite reconnaît, en dehors de l’influence de la race, l’influence du milieu.
[12] Non numeraverim: cf. 2, note 2. — Quanquam: cf. 28, note 16.
[13] Decumates agros, terres qui paient la dîme. Cf. lexique des noms propres. — Exercent indique un travail pénible. Tacite aime à employer un mot caractéristique au lieu du terme général qui serait ici colunt. Cf. note 5.
[14] Levissimus quisque: cf. 15, note 2. Audax devrait être également au superlatif.
[15] Mox: cf. 10, note 4. — Limite acto. Il ne s’agit pas d’une simple frontière mais d’un rempart véritable qui, commencé sous Domitien et continué sous Trajan, ne fut achevé que par Hadrien; de là son nom de vallum hadrianum. Il s’étendit alors depuis le Danube près de Ratisbonne jusqu’au Rhin près de Cologne. — Sur l’expression limitem agere, cf. Virg., Énéide, X, 514, limitem agit ferro. — Sinus, enclave.
[16] Provinciæ. Une partie des champs décumates était rattachée à la Germanie supérieure, l’autre à la Rhétie. — Habentur: grammaticalement le sujet de ce verbe doit être le même que celui de occupavere ou plutôt de exercent; mais logiquement, dans la pensée de l’auteur, il s’agit des champs décumates eux-mêmes. Habentur paraît être ici le simple équivalent de sunt.

30. Ultra hos Chatti[1] initium sedis ab Hercynio saltu[2] inchoant[3], non ita effusis[4] ac palustribus locis, ut ceteræ civitates, in quas Germania patescit: durant siquidem colles, paulatim rarescunt, et Chattos suos[5] saltus Hercynius prosequitur simul atque deponit. Duriora genti corpora, stricti[6] artus, minax vultus et[7] major animi vigor. Multum, ut inter Germanos[8], rationis[9] ac sollertiæ: præponere[10] electos, audire præpositos, nosse ordines[11], intelligere occasiones, differre impetus, disponere diem, vallare noctem, fortunam inter[12] dubia, virtutem inter certa numerare, quodque rarissimum nec nisi Romanæ disciplinæ concessum, plus reponere in duce quam in exercitu. Omne robur in pedite, quem super[13] arma ferramentis[14] quoque et copiis onerant: alios ad prœlium ire videas, Chattos ad bellum. Rari excursus[15] et fortuita pugna. Equestrium sane virium id proprium, cito parare victoriam, cito cedere: velocitas juxta formidinem[16], cunctatio propior constantiæ est.

[1] Chatti: auj. les Hessois. Cf. lexique.
[2] Hercynio saltu: cf. 28, note 7, et le lexique.
[3] Initium inchoare. Cette expression, qui nous semble pléonastique, est tout à fait dans le génie de la langue latine, qui aime à rapprocher deux mots de sens analogue. Cf. Cicéron: Eligendi optio, et au chap. 31, visu mitiore mansuescunt.
[4] Effusis locis, pays de plaines.
[5] Suos. Ce fait que le pays des Chattes s’étend tout entier dans la Forêt Noire, crée une sorte de lien entre cette contrée et ses habitants. — Prosequitur simul atque deponit, les accompagne et les dépose. Les terrains montagneux sur lesquels vivent les Chattes s’abaissent au niveau de la plaine à leur frontière même et semblent les déposer, c’est-à-dire finissent avec eux. La couleur poétique est ici sensible. Cf. 34, note 6.
[6] Stricti, durs, nerveux. Cf. 17, note 3.
[7] Et doit être répété entre tous les termes d’une énumération (Gr. lat., 534), mais cette règle est souvent violée par Tacite dans les Histoires et les Annales. Ici il n’y a véritablement que trois termes sans liaison: le troisième se subdivise en deux plus étroitement unis.
[8] Ut inter Germanos restreint la portée du jugement (Gr. lat., 534, pour).
[9] Rationis, non pas intelligence en général, mais réflexion, calcul, opposé à l’irréflexion qui obéit au premier mouvement.
[10] Præponere: cet infinitif et ceux qui suivent développent les mots précédents en expliquant en quoi consiste l’habileté des Chattes.
[11] Nosse ordines, garder les rangs dans le combat. — Vallare noctem, fortifier la nuit, c.-à-d. la rendre sûre en s’abritant derrière des retranchements.
[12] Inter, «au nombre de», comme faisant partie de. Cf. 32, note 6. — Rarissimum (est).
[13] Super = præter, outre. On rencontre dans la Germanie deux emplois de super qui ne se trouvent ni dans Cicéron ni dans César: 1o super pour præter. Cf. 43, super vires; 2o au delà de, plus de. Cf. 33, super sexaginta millia ceciderunt.
[14] Ferramentis, outils de fer. — Copiis, vivres.
[15] Excursus, excursion, sortie, c.-à-d. attaque soudaine qui a pour résultat une bataille imprévue: fortuita pugna.
[16] Juxta formidinem, est voisine, touche de près à la peur. Cf. 21, note 5.

31. Et aliis Germanorum populis usurpatum[1] raro et privata cujusque audentia apud Chattos in consensum[2] vertit, ut primum adoleverunt, crinem barbamque submittere, nec nisi hoste cæso exuere votivum obligatumque[3] virtuti oris habitum. Super[4] sanguinem et spolia revelant frontem, seque tum demum pretia nascendi retulisse dignosque patria ac parentibus ferunt. Ignavis et imbellibus manet squalor[5]. Fortissimus quisque[6] ferreum insuper anulum (ignominiosum id genti) velut vinculum gestat, donec se cæde hostis absolvat[7]. Plurimis[8] Chattorum hic placet habitus, jamque canent insignes[9] et hostibus simul suisque monstrati. Omnium penes hos initia pugnarum, hæc[10] prima semper acies, visu nova: nam ne in pace quidem vultu mitiore[11] mansuescunt. Nulli domus aut ager aut aliqua cura: prout ad quemque[12] venere, aluntur, prodigi alieni, contemptores[13] sui, donec exsanguis senectus tam duræ virtuti impares[14] faciat.

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