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La lutte pour la santé: essai de pathologie générale

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L'influence de la grossesse est non moins évidente. Nous avons dit qu'elle était quelquefois salutaire, parce que l'utérus développé remplaçait la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois l'utérus revenu à son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, la ptose abdominale devient un des principaux éléments de la «maladie». C'est alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la forme du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables services.

Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce qu'elles étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est parce que la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicité normale. Si on avait soigné la future ptosique en temps utile, alors qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du système nerveux, de l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument si merveilleux, ne doit, à notre avis, être considéré que comme un moyen thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer la malade et lui permettre de se passer de ceinture.

On y parvient, sauf quand la déchéance est trop avancée, par une bonne hygiène générale, s'adaptant aux indications fournies par chaque individu. Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez les autres par le repos, chez les unes par une saison à Vichy, chez les autres par un régime restreint, chez toutes par la reconstitution du système nerveux, qui toujours laisse à désirer.

La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, ne sera employée que le moins de temps possible. Chez les femmes non surmenées musculairement, on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit par les exercices de plancher de la gymnastique suédoise, soit par la pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la pulsion de l'air, on ne fasse à la fois de la bonne thérapeutique abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les chanteurs et même toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force extraordinaire des muscles droits antérieurs; en se contractant, ils repoussent la main qui les comprime10.

Note 10: (retour) Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce dynamomètre donnerait des indications très intéressantes sur la valeur biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant vaut l'individu.

On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion qui attribue à la ptose abdominale toutes les misères des dyspeptiques, des neurasthéniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme a de la ptose et mille misères variées: une ceinture fait disparaître presque toutes ces misères, c'est donc, conclut-on que la ptose était l'unique cause? Mais non; c'est toujours la théorie du moindre effort appliquée au raisonnement humain. La vérité est que la ptose est symptomatique, que la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut déjà être malade pour devenir ptosique,—en dehors, bien entendu, des cas où la contention abdominale insuffisante serait due à une éventration.

La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il existe même des ptoses qu'on pourrait appeler aiguës, si l'on nous permettait cette expression. Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le cours d'une bonne santé, à la suite d'un coup de froid, d'une émotion violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un jour à l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son élasticité, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pâteux, d'un chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni le caecum, ni le côlon. On perçoit, dans la fosse iliaque, un gargouillement dont l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre typhoïde que parce qu'on l'y cherche.

Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les «maladies» aiguës. Il est toujours l'indice d'une sidération du système nerveux abdominal; et, comme le système nerveux abdominal n'est pas sans avoir des relations intimes avec le système nerveux central, l'effondrement en question est toujours l'indice d'un état de «maladie» assez grave. Mais il peut n'être que passager, durer quinze jours, trois semaines; d'autres fois, il dure deux à trois mois, dans certains états subaigus; puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa forme, son élasticité, renaître: c'est le commencement de la guérison.

En même temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose aiguë, la sonorité abdominale subit des modifications extrêmement intéressantes. Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal, ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes différentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit et le gauche (octave supérieure au côté droit).11

Note 11: (retour) Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et la percussion, donne les renseignements les plus précieux sur la valeur digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier, évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essayé d'apprendre cette lecture à ses contemporains. Mais, il ne faut pas se le dissimuler, l'exploration abdominale est chose très difficile; je la pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'être en relations scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la difficulté de cette étude, en même temps que j'en apprécie mieux toute l'importance.

Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui résument ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous ne saurions trop affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil digestif est, pour le biologiste, une source de faits inépuisable. Quelle variété de renseignements, quelle précision dans l'observation, ne devons-nous pas attendre d'un procédé à la perfection duquel nous voyons concourir les données fournies, presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? Ajouterons-nous que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité, dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou rénal, nous constatons toujours des signes positifs du côté de la sphère gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils organiques sont impuissants à objectiver, le tube digestif les enregistre avec une fidélité remarquable et une variété de nuances que l'on n'a point soupçonnée jusqu'ici. Et toutes les modifications de forme et de volume, d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, toutes les variations de sonorité des membranes digestives, ne sauraient être considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, d'une part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, d'autre part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation générale des réactions de l'organisme correspond à ces modalités digestives.» (Mémoire lu à la Société de Médecine de Gand, 4 avril 1905.)

Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient encore à être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; c'est là un chapitre de séméiologie qui est tout entier à faire, et que je ne puis qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stéthoscope, ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une valeur insoupçonnée jusqu'à ce jour.

Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service momentané qui n'est pas à dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les guérit, quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, c'est un régime approprié, et du repos ou un exercice gradué, suivant les cas. Le régime devra être celui qui donne le moins à travailler à l'estomac et à l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou semi-liquide. Les prises alimentaires devront être fréquentes,—très fréquentes, dans l'état aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est le meilleur des agents thérapeutiques. Quand le ventre commence à se ressaisir, le régime devra être plus substantiel: potages épais, purées légères prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait un nouveau progrès, alimentation plus dense et moins fréquente (six repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purées épaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque égaux, dont un avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passé, quand le ventre a retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, alors seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit être assez copieux (café noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, composé en général de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes de terre en robe de chambre; 2° viande non saignante; 3° fromage, peu de pain, pas encore de vin, un verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: 1° potage épais; 2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.

Telles sont les grandes lignes de la diététique des états aigus ou subaigus. En même temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'état aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les malades au lit; puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal après les repas; et toujours beaucoup de sommeil, même diurne, le sommeil diurne étant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, à l'inverse de ce que l'on croit ordinairement.

On comprend combien, dans cet état d'équilibre instable, une violente perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit par une alimentation trop hâtive, peut être défavorable au malade.

CHAPITRE IV

PSYCHOTHÉRAPIE

Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, les causes diverses qui produisent la «maladie». Mais cette étude même n'a fait encore que mieux nous montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine comme dans l'évolution de la «maladie», l'ébranlement du système nerveux. Et de là résulte l'importance, également prépondérante, d'une médication destinée à remonter le système nerveux: médication dont un des éléments essentiels est cette «psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a commencé à préoccuper vivement le monde médical, sans qu'on soit encore parvenu à en fixer exactement le domaine et l'application.

A en croire un certain nombre de nos confrères, français et surtout étrangers, le psychothérapie serait simplement destinée à remplacer toute thérapeutique. L'imagination, d'après ces savants, jouerait dans la production et le développement des «maladies» un rôle si énorme, qu'il suffirait de découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitôt la santé. La psychothérapie consisterait donc à étudier, à ce point de vue, l'état d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment s'emparer de sa confiance pour lui ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes que les moyens de persuasion sont, jusqu'ici, très difficiles à trouver; et je dois dire, quant à moi, qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique me paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque peu fantaisiste.

Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit des malades, et de ce qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle n'en tenait, hier encore, dans la médecine officielle. Mais j'estime que la psychothérapie peut faire mieux que d'imposer aux malades l'illusion,—toujours bien brève et bien fragile,—de se bien porter: elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus précieux de la guérison.

Étant donnée l'idée que nous nous faisons de l'origine nerveuse de la «maladie», voici, à notre avis, la meilleure définition de la psychothérapie: «C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par lesquels on améliore ou on reconstitue le capital nerveux.» Son action s'étend: 1° à toutes les déviations mentales; 2° à un grand nombre de troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie, etc., l'incontinence d'urine, etc.

Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilité de l'étude, être divisés en deux grandes catégories:

1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;

2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.

I

MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES

Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le savoir; il faut leur apprendre à l'économiser, leur démontrer combien est fatigante, pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle, leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir prendre un parti dans les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti médiocre immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. Or, pour savoir vite prendre parti et s'épargner la peine de remettre en discussion tous les motifs et mobiles qui doivent déterminer l'acte à accomplir, il y a un procédé très recommandable, qui consiste simplement à adopter des principes, et à se dire: «Dans telle circonstance, je ferai ceci, dans telle autre je ferai cela»; et puis, une fois le principe adopté, à y rester fidèle,—sans cependant en devenir esclave. Car il ne faut pas que l'entêtement remplace l'hésitation, que l'océan devienne terre ferme. Un petit moyen pratique à recommander aux hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire dans la journée et les jours suivants, puis, une fois la chose écrite, d'exécuter ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté parvient ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même temps qu'on s'évite des pertes considérables d'influx nerveux.

D'une façon générale, il faut inspirer aux malades le respect du temps, leur faire comprendre que le temps, c'est l'étoffe dont la vie est faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de choses utiles avec un minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, peu à peu, un modus vivendi, qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des économies de dépense nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes d'ordre, de tout régler dans leur vie,—les heures du lever, du coucher, des repas, etc.,—de donner à chaque chose, à chaque préoccupation, la place et l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur épargner les dépenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente psychothérapie.

Appliquons ces idées générales à un cas particulier. Voici une jeune fille atteinte de ce qu'on appelle la «folie du doute»; dès son lever, elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et finira par reprendre la première; elle passera deux heures à faire sa toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se laver les mains; et toute sa journée se passera ainsi dans un état vague d'anxiété. Le soir, la situation est plus pénible encore: la malade ne parvient pas à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller, s'interrompant à tout instant pour confier à un petit cahier une foule d'idées qui ont torturé son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. On dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. J'ai chez moi plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspirés par ce même esprit. Or, cette agitation stérile, continue, occasionne une dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier une malade de ce genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tête, mais que tout est malade chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a des urines rares et chargées alternant avec des urines claires et abondantes. Elle est mal réglée, etc.

Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; dont nous indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un traitement psychothérapique.—Et lequel? La première chose est de lui dire combien cette manière de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de peine à le lui faire admettre, elle le sait très bien; le preuve, c'est qu'elle cache son infirmité avec le plus grand soin à tout son entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette dépense nerveuse, si stérile, la fatigue, et entretient ou cause sa «maladie» physique. Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans un sens déterminé. A l'une, on fera apprendre une langue étrangère, à l'autre on proposera une autre occupation, non moins précise. Le médecin s'inspirera d'une foule de considérations d'ordre secondaire; l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la volonté et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par une bonne orientation de son activité. Nous avons pris là, à dessein, un cas des plus difficiles à guérir: et cependant nous affirmons que la guérison y est possible, quand, à la psychothérapie, on joint un traitement somatique convenable et suffisamment prolongé.

Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la paralysie générale, dans tous les cas de délire aigu occasionnés par les «maladies» infectieuses, l'influx nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se font de toutes parts. La pensée est si rapide, chez le maniaque, que l'aliéniste expérimenté ne parvient pas à la suivre. Les associations d'idées se font avec une telle rapidité que le malade n'a pas le temps de les exprimer, et, quelle que soit sa volubilité, sa langue n'a pas un débit égal à celui de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être utile à des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai dire, son rôle est alors négatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas s'acharner à discuter avec le malade, à rectifier ses appréciations; il faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner à éviter au malade toute cause d'excitation prochaine ou éloignée. Il faut se rappeler, surtout, qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore à user d'extrêmes précautions, et à ménager le cerveau fragile.

Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, est limitée à un point fixe, la psychothérapie intervient d'une façon plus active. Voici un homme en proie à une obsession: une idée a envahi son cerveau, il y pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensées ont pour pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux qu'il estime pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne trouvant pas de solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser à ce qui le préoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les plus amples détails, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci fait, pour acquérir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre d'en parler, et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. De même que, dans une hémorragie pulmonaire, le médecin bien avisé fait une saignée générale, qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idée obsédante, mais faire naître des courants d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer une idée morbide par une série d'idées saines. C'est la psychothérapie dérivative.

Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, moyen à employer dans les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du fait acquis, en d'autres termes la résignation; c'est la psychothérapie sédative. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent la «maladie», de se nourrir de son chagrin, de se remémorer les causes morales qui l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse énorme. Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif d'une sorte de sommeil de la cellule nerveuse.

Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi dire passive, est un acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberté, sans restrictions, sans protestations, ses misères, pour les offrir dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la passivité, et déjà elle rentre dans la deuxième catégorie des moyens psychothérapiques. L'étude de cette résignation active va donc nous servir de transition toute naturelle.

La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter plusieurs fois par jour qu'on se résigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de volonté; et encourager le malade à accomplir cet acte de volonté, c'est faire de l'excellente psychothérapie reconstituante. Malheureusement, cette résignation active est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité humaine, de la réversibilité des mérites et des souffrances, en un mot la doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce à titre exceptionnel que les ressources de la résignation active peuvent être employées.

Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin en face d'un malade qui va jusqu'à voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, a priori, que le médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est rien. Le médecin doit rester à son poste; et tout en encourageant le malade dans cette voie, en fortifiant sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas négliger les moyens thérapeutiques que réclame son état. Car enfin le résigné actif ne commet pas une erreur de logique en désirant guérir et en acceptant les soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, au contraire, de se résigner aussi à ce que veut pour lui la nature, c'est-à-dire à ne rien omettre pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une vie plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le résigné actif est d'ordinaire le plus obéissant, le plus stable des malades, le plus reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont donnés; c'est le malade de choix.

II

MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES

La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques comprend, comme nous l'avons dit, ceux qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de deux façons:

1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante gymnastique de la volonté. (L'homme ne vaut que par sa volonté: donc discipliner, fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre le plus grand des services.)

2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux étranger.

Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci devient le collaborateur du médecin, dont le rôle se borne à indiquer les procédés de gymnastique de la volonté et à surveiller l'application.

Dans le deuxième cas, une volonté étrangère vient en aide à la volonté défaillante, ou insuffisante, du patient.

Gymnastique de la volonté.—Il y a des procédés d'éducation de la volonté,—cette faculté, comme la mémoire, comme l'attention, étant susceptible d'être améliorée par une bonne gymnastique. Le principe général, dans cette éducation, c'est de procéder lentement, de ne pas demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de lui demander, au début, un tout petit effort, qui sera augmenté tous les jours. Ainsi nous invitons nos malades à faire trois fois, tous les matins, trois mouvements déterminés des bras, puis six, puis douze, puis d'en faire autant avec les membres inférieurs. En ordonnant ces exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique musculaire elle-même que sur l'effort de volonté que nous obtenons du malade, avec son libre consentement. Dans le même esprit, nous envoyons certains de nos malades faire une gymnastique spéciale, tous les jours, par tous les temps, à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent supporter la fatigue d'un déplacement quotidien. Là, nous leur faisons faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien gradué d'après des règles précises, régularise la circulation du sang, les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par conséquent, l'acte respiratoire. Grâce à cette gymnastique, on arrive, au bout d'un mois, à faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher12.

Note 12: (retour) Ajoutons que cette course ne provoque jamais d'essoufflement le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter l'essoufflement par une progression sage et bien réglée dans la longueur et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée par notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des études très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est pas le lieu de parler avec détail de cette méthode d'entraînement; disons seulement qu'on ne se fait pas une idée, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur dans la progression à imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas gymnastique de l'armée ne doit être atteinte, chez l'homme même bien portant, qu'après quinze minutes de course progressivement plus rapide. C'est comme cela que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que le pas gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. De même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure, c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes de course en progression. Si, à cette prudence dans la progression, on joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. Mais si le coureur n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au bout de vingt à trente minutes, d'une transpiration énorme, telle que la course en flexion a pour complément indispensable, soit une friction sèche avec changement de linge, soit, mieux encore, une douche tiède. Cette nécessité de la douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, par parenthèse, l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale, puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison d'hydrothérapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.

Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction de moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinée, ne soient des facteurs importants dans l'excellent résultat total que j'obtiens de ce que j'ai appelé la dromothérapie; mais j'estime qu'une grande part du résultat utile revient à cette gymnastique de la volonté que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous les jours à ses progrès, il éprouve un vague sentiment de contentement à la pensée qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. Dût-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la course en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative, puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers jours.

Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité de l'attrait dans l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de la gymnastique respiratoire. Cet exercice est souverainement ennuyeux, et c'est chose rare que nos malades les plus obéissants le continuent régulièrement plus de deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est, pour le psychothérapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un effort énorme de volonté. Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse de faire disparaître ces rougeurs émotives, si désagréables à certains neurasthéniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez les timides, car les personnes hardies et décidées leur payent aussi leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer l'obsession de la rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et mérite l'attention du clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce symptôme, on voit qu'il s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et quelquefois de sensations précordiales; et c'est, sans doute, parce que l'exercice en question régularise la respiration, qu'il est le meilleur traitement de la rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, je l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices sont, je le répète, extrêmement désagréables, il faut savoir les graduer de façon à ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses propres progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à faire faire au malade des mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et soir. On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de cette gymnastique méthodique, telle que les Suédois l'enseignent, c'est-à-dire faite d'après les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand elle est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal instruits, elle trouble les phénomènes de la circulation, et peut même amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant, mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la thérapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire. Aux malades qui n'ont pas l'énergie de la faire simplement dans leur chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts mécanothérapiques.

On peut exercer la volonté du malade, et, par conséquent, la fortifier, par mille autres moyens, qui seront inspirés par les diverses conditions de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer les progrès, et surtout un travail qui ne demande pas une dépense, soit cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un côté ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le rôle du psychothérapeute doit prendre fin à un moment donné, quand le malade a reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres ailes. On doit alors l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement: il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le médecin imite le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son élève, puis l'abandonne momentanément, sans qu'il s'en doute; l'élève confiant continue à pédaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment où il est assez sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur le soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas de progrès.

Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux insuffisant.—Dans les cas où la volonté est tellement défaillante que l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de fournir à son malade un apport étranger d'influx nerveux: il y arrive par le procédé de l'hypnose. Rien ne m'ôtera la conviction que, dans l'hypnose, il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son sujet, «influence» étant compris dans son sens étymologique (fluere, couler). L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de lui-même; il a une action personnelle; et les médecins qui prétendent le contraire, qui disent que les passes peuvent être remplacées par le braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule ou mobile comme un miroir à alouettes, ne me paraissent pas être dans la vérité.

L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus variés; non seulement il peut rectifier des idées erronées, faire disparaître les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit encore pour ramener chez le malade la quiétude de l'esprit, la confiance en soi-même.

Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de faire disparaître des troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des vomissements, des métrorragies, de faire revenir les règles, le sommeil naturel, de régulariser les selles, etc.

Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir l'influence hypnotique, et que, précisément, ceux qui en auraient le plus besoin se trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les hallucinés, les grandes hystériques, les malades atteints de délire systématisé, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est d'autant plus difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, chez les aliénés, nous avons vu notre excellent maître le Dr A. Voisin s'acharner pendant des heures entières sans obtenir le moindre effet; mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! Nous connaissons pour notre part de grands nerveux qui, très désireux de pouvoir être endormis, sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou tels confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance spéciale de l'hypnotisme, et toujours avec un insuccès complet.

C'est là une première raison qui restreint grandement l'emploi de l'hypnose. Une deuxième raison qui doit le limiter, c'est que, quand on emploie l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans l'esprit du malade, si on ne réussit pas du premier coup, et alors on le prive du secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. Mais il existe des procédés permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable, de façon qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser de côté, sans en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables.

Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que celle-ci, quand elle réussit, risque de devenir un moyen thérapeutique trop actif. Même avec la plus grande prudence, on ne parvient pas toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare souvent par trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien faire sans son conseil.

J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, renommé pour sa sévérité à l'égard des inférieurs, et névropathe de grande marque. Son médecin crut bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard, que c'était un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil hypnotique, le médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès le lendemain, les procédés de cet homme à l'égard de ces inférieurs se firent tellement bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses subordonnés eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour ses chefs. Il ne parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarité humaine. On le crut fou; il ne l'était pas, mais il était devenu tellement différent de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, averti de ce changement à vue, s'efforça, en plusieurs conversations, de modérer le zèle charitable du néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait avec lui les théories socialistes, et serait devenu le pire des utopistes. Il fallut une nouvelle séance d'hypnose pour atténuer, au point voulu, les effets de la suggestion première.

Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant demander pourquoi l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe à un cheval qui ne demande qu'à se laisser conduire? Réservons donc le mors arabe pour les cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!

Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le médecin doit cesser de recourir à l'hypnose, sous peine de compromettre le résultat final. Une fois le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction de sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensée, je prendrai la comparaison suivante: l'hypnose est à la défaillance du système nerveux ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance fonctionnelle du corps thyroïde, ce que l'opothérapie hépatique est à l'insuffisance fonctionnelle du foie. Or, de même que le médecin qui s'est servi de foie de porc pour remettre en état un hépatique, ne continue pas indéfiniment l'emploi du foie de porc, de même le psychothérapeute doit cesser l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat voulu, c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en assez bon état pour pouvoir compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq séances suffisent, dans la majorité des cas.

Toutes ces considérations expliquent la rareté des cas où l'hypnotisme est à conseiller. Mais quant à dire, comme le font les adversaires irréconciliables de la thérapeutique par l'hypnose, que quelques séances amènent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que l'hypnotisme «dissocie la personnalité normale du sujet» (Grasset), «aboutit à la ruine déplus en plus complète de ce moi qu'on voudrait sauver» (Duprat), c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de l'hypnotisme ont quelque chose de dégradant pour la dignité humaine, parce que le médecin qui impose sa volonté au malade porte atteinte au dogme de la liberté, c'est énoncer une erreur non moins absolue, la suggestion hypnotique n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état de veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, on n'aurait plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discréditent le médecin, c'est affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait en rien, car le médecin n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le répétons, sa conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procédés hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades qu'avec leur assentiment formel, et en présence d'un tiers représentant la famille.

Ajoutons enfin que le médecin seul doit avoir recours à ce procédé thérapeutique; et que ce médecin doit agir uniquement pour le bien du malade, sans la moindre préoccupation étrangère, voire même sans aucune préoccupation scientifique.

Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques.—Nous venons de passer en revue les moyens psychothérapiques par lesquels on peut améliorer le capital nerveux d'un malade. Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien voulant employer la psychothérapie; il semble donc utile de le compléter par des considérations d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées par une expérience personnelle.

1° Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire de la bonne psychothérapie, il faut soigner le malade non seulement avec toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le médecin qui ne ferait que de la psychologie, démontant curieusement pièce à pièce tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est défectueux, sans se préoccuper avant tout d'être utile, ne ferait pas de bonne psychothérapie. Il lui faut être bon mécanicien, bon psychologue, c'est entendu; mais surtout il lui faut être un homme charitable. Je sais que le mot «charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle plus que d'altruisme, de solidarité, etc. Le mot «charité» pourra disparaître du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses soi-disant synonymes; mais la charité restera toujours au fond du coeur de l'homme, et sera, comme par le passé, l'inspiratrice des actions généreuses et véritablement utiles.

2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime son malade. S'il veut avoir sur lui une autorité morale effective, il faut en outre qu'il ne soit pas pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il ne le soit pas en réalité. Savoir se donner tout entier à l'affaire présente est la première condition du succès, en psychothérapie. Il faut que, dès la première entrevue, s'établisse entre le malade et le médecin un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'établir que si le malade sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, et ne lui ménage pas son temps. La première consultation, surtout, doit pouvoir durer tout le temps nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.

3° Il faut encore que le médecin sache écouter, c'est-à-dire laisser parler le malade aussi longtemps qu'il le désire, surtout pendant les premières consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, parce qu'on apprend toujours quelque détail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de cette façon, le malade, par une sorte de discrétion inconsciente, arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser de la patience de son auditeur, et se contente de répondre aux quelques questions bien précises qu'il lui pose.

Une fois que le médecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il donnera, non seulement sur l'hygiène mentale, mais sur l'hygiène alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'être suivis; et ainsi tout concourra à la guérison ou à l'amélioration cherchée.

4° Un autre principe, c'est de dire au malade la vérité dans la mesure du possible. Évidemment, s'il y a une lésion organique incurable, le médecin doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les cas exceptionnels où le malade a des motifs sérieux pour savoir la vérité entière. Mais le plus souvent il faut dire la vérité au malade, lui dire très franchement l'idée que l'on se fait de son état, la durée probable du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des années, comme il arrive trop souvent chez les malades à capital restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: «Le traitement sera long, un peu pénible, mais la guérison est assurée.» Il faut encore, dès les premières entrevues, avertir le malade des rechutes possibles, probables, ou certaines: si c'est une femme, la prévenir que, dans les douze jours qui précéderont l'époque menstruelle, elle aura fatalement, durant quelques mois, une réapparition de toutes ses misères, mais à un degré de moins en moins marqué; dans tous les cas, avertir le patient, s'il s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir une légère aggravation, puis, quand son état s'améliorera, tous les trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause appréciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le système nerveux à protester d'une façon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir que toute émotion violente, et surtout que toute infraction au régime alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a été ou qui va lui être prescrit, se soldera inévitablement par une rechute plus ou moins grave, suivant la gravité de l'infraction,—une rechute qui, chose curieuse, ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'écart commis;—l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en particulier, fera faire un pas en arrière d'autant plus grand qu'elle aura été plus grave, et soignée plus tardivement; donner, par conséquent, au malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, dans la mesure du possible, à l'abri des affections intercurrentes, et lui recommander de demander ou de prendre des soins immédiats, en lui faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves, en général, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignées dès leur début.

5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui seraient plus pénibles que les malaises dont il se plaint. Il doit même éviter, en général, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque de décourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre égoïste et hypocondriaque, et d'entretenir sa «maladie» par le soin même apporté à la combattre. Aussi bien la thérapeutique est-elle, en général, plus simple qu'on ne croit, et les questions de régime, en particulier, sont presque toujours faciles à résoudre.

Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une prescription, c'est de la mesure où il sera possible et facile, au malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrête jamais un programme de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec le malade, et, si possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade une feuille où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis l'heure du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, aux heures prescrites, sont indiqués les menus des repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, en outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis est défendu», en laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproché «tout ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le malade, pourvu de cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus possible, mais sans en devenir l'esclave.

On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la «maladie», si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où ce traitement doit être simplifié au maximum: par exemple, chez une mère de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait souverainement absurde de proposer à cette malade un régime ou des soins personnels qui l'empêcheraient d'accomplir ses devoirs de tous les instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus importantes, en faisant comprendre à la malade que l'on ferait mieux si les circonstances de sa vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en définitive, le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et qu'on en sera quitte pour prolonger le traitement plus longtemps.

En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent à un traitement méthodique proviennent de deux sources: 1° De l'absence de foi du malade, 2° de la mauvaise volonté de son entourage.

1° Il est des malades qui viennent nous consulter malgré eux, sous la pression de leur famille, avec l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre une consultation de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, comprenne la mentalité des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut être fixé dès les premières paroles échangées, voire dès le premier abord. A lui, alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y prendre, il peut arriver à faire, d'un malade irréductible en apparence, l'être le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et il parvient alors à des résultats inespérés. Les choses se passent ainsi huit fois sur dix.

Plus difficiles à convaincre sont les malades qui n'ont pas d'énergie, qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises à l'avance, ou encore ceux qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent que la mort. En face de tous ces malheureux, le médecin ne doit pas se dérober, quelque souci que lui réservent les patients de cette sorte.

Enfin, plus difficiles encore sont les malades à théories, qui ont leur siège fait, après avoir vu des médecins de tous les pays, suivi, dans les sanatoria les plus variés, les traitements les plus dissemblables; qui connaissent toutes les dernières nouveautés sur les choses médicales, le discours de la veille à l'Académie de médecine, les livres qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le mieux, pour ne pas perdre un temps précieux, est de leur déclarer de suite qu'on ne parviendrait pas à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, ces cas sont assez rares.

Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale qui commencent par dire toujours non, ou à le penser, ce qui est encore plus grave. La psychothérapie, comme tous les agents thérapeutiques, a à compter avec ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».

2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient de l'hostilité de l'entourage du malade.

On ne peut se faire une idée de l'influence néfaste qu'exerce cet entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du médecin, discute sa manière de penser, ses prescriptions; le malade, alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au médecin ou à l'entourage.

Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement déclarée. Mais c'est pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, à propos des moindres prescriptions. Le malade sent très bien que le médecin est dans le vrai, qu'il a compris sa «maladie»; il voudrait de tout son coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est là qui, sans dire un mot, proteste intérieurement et exécute à contre-coeur tout ce qui a été prescrit. La position est des plus difficiles. Cette contre-suggestion, qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer la confiance, si nécessaire, que le malade avait tout d'abord; les prescriptions ne sont qu'à moitié observées. Ces tiraillements continus sont véritablement lamentables.

Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la femme, c'est souvent la mère ou la belle-mère, plus souvent encore des personnes qui touchent de moins près au malade. Les plus dangereux ennemis sont ceux qui ont à donner des soins immédiats; ce sont les gardes, qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout les domestiques. De là la dure nécessité pour le médecin d'être bien avec tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout le monde voudrait que le malade fît de l'exercice; le régime restreint, alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il prît du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la partie est perdue d'avance; et c'est alors que le médecin doit user de toute son autorité pour imposer l'isolement, tandis qu'il eût été quelquefois très simple de guérir à peu de frais le malade, en le laissant chez lui.

Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la confiance d'un malade, et d'avoir conquis, non la neutralité,—elle n'existe nulle part,—mais l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; il ne reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, et surtout à entretenir la foi du malade en sa guérison à échéance plus ou moins éloignée. Pour remplir ce double but, il faut que le médecin ait avec le malade de fréquents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer, dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer instamment, quelles que soient ses doléances, que la guérison est assurée.

Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. Il l'est, par exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers temps, pour calmer leur système nerveux. Ne dormant presque jamais, ces malheureux ont toutes les peines du monde à rester au lit; il faut leur faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour au lit, mais de l'excitation du système nerveux; que cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze jours, pour faire place à une détente de bon aloi, avec sensation de fatigue énorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil réparateur, retour de l'appétit, disparition spontanée de la constipation, etc. Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent, des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront être espacées: il faut savoir se faire désirer.

Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser le malade en tête-à-tête avec le médecin. L'influence de celui-ci est, alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'épancher en toute liberté, tirent un grand bénéfice de la visite du médecin, qui ne tarde pas à devenir leur ami.

C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit insister pour faire de la suggestion optimiste et de la véritable psychothérapie, d'après les principes que nous avons étudiés antérieurement.

Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose provoquée par les causes morales chez les jeunes femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir, à titre de confident de leurs misères: ce rôle est toujours difficile, et quelquefois dangereux. Le besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir confier sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues; c'est lui qui pousse les criminels à venir s'accuser d'un acte dont l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, a excité un de mes malades à prendre sa femme, en tant que sa meilleure amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On comprend donc combien un confident sûr et discret peut rendre de services, chez les malades de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme l'a dit le poète:

En se plaignant on se console,

Et quelquefois une parole

Nous a délivrés d'un remords.

Mais il est des cas où la douleur humaine ne peut être atténuée par une confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd tous ses droits.

Il est d'autres cas où elle est également impuissante. C'est quand le malade ne veut pas guérir,—s'il se complaît dans son chagrin, par exemple.—Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guérir; dans leur égoïsme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, véritables vampires qui épuisent jusqu'au bout la patience, les forces, les ressources pécuniaires de leurs proches, sans avoir un éclair de reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le médecin qui se dépense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles sont, avant tout, des malades, et ont droit à toute notre indulgence; leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme morbide. Ainsi j'ai soigné une dame qui, avant d'être malade, était exquise de bonté, de bienveillance, de politesse. Or, quelques mois après le début de sa «maladie», en même temps qu'elle devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en ne mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractère se modifia et la fit devenir le tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. Aujourd'hui, elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychothérapie est impuissante. Si habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents thérapeutiques.

PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX

Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, comme moyen psychothérapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse? Grave question qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.

En principe, le médecin ferait mieux de laisser ce soin au prêtre, ou au pasteur, ou au rabbin, à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces délicats problèmes; mais il est des circonstances où il ne peut pas se dérober, et il nous faut en dire quelques mots.

Il est certain, en tout cas, que le médecin ne doit jamais aborder, le premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est pas son rôle, et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense d'une doctrine philosophique quelconque, pourrait être, et serait à juste titre, sévèrement jugée. Mais, d'autre part, il doit s'attendre à ce que, poussé par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à entrer avec lui dans ce domaine.

Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui, pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalité des consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'à son corps défendant, se sent, à un moment donné, préoccupé d'une façon insolite par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée humaine. Sans compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois n'ai-je pas entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur de quoi? Ils n'en savent rien; ce n'est pas, en général, d'avoir à quitter cette lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;—encore que parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent une peur vague, animale; et, dans cette détresse morale, ils s'accrochent désespérément à tout ce qui peut leur donner du réconfort.

Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve souvent le malade d'aborder des problèmes qui, en état de santé, lui étaient complètement indifférents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne religieuse, qui répondra à toutes les questions par de petites dévotionnettes ou des pratiques tout à fait en dehors des habitudes du malade, des pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les fervents, et qui risquent de révolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le sens caché? Est-ce avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'à ses affaires pendant qu'il lui détaille ses misères, se borne à lui répondre: «Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors que la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! Vraiment, tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux; non seulement ils ne sont d'aucune utilité, mais ils contribuent à entretenir la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du lit des patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secrètes, n'ont plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient en partie à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue par des confidences réciproques; or, à partir du jour où le malade a été sérieusement touché, il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires de ses meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne s'intéresse qu'aux siennes, c'est-à-dire à sa «maladie».

Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves préoccupations, les personnes de son entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?

Quelle médiocre ressource!—Certes, ce n'est ni le dévouement, ni la bienveillance, ni la tendre affection qui font défaut aux membres de la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de tout temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, le prêtre n'a pas ses entrées dans la maison; et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état soit un peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps d'appeler le prêtre quand le malade sera sans connaissance!

Que reste-il donc?—Le médecin.

Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé de son corps, lui donne une influence et une autorité morales supérieures à celles mêmes des parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui surtout que le malade est tenté de confier ses doutes, ses préoccupations d'au-delà, ses vagues espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui avec une abondance et une intensité inaccoutumées.

Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa tâche, sur ce domaine particulier de la psychothérapie, dont l'importance est souvent capitale.

Mais que doit-il faire? En présence d'un malade qu'il voit partagé entre des restes de foi plus ou moins effacés, et cet état d'incrédulité, active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence d'un malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir, et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour lui l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la société de ceux qu'il a le plus aimés sur cette terre; en présence d'un tel malade, que doit faire le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde jamais de vue que le malade est semblable à un noyé qui cherche à se raccrocher à la moindre branche de salut; si donc il n'a à lui offrir que de froides théories philosophiques, aboutissant à la désespérance finale, s'il est lui-même bien convaincu que la mort signifie, pour le malade, la fin absolue, et la séparation à jamais d'avec ce qui lui est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des doctrines qui, en admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'espérance. Or, où trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit: «Venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»

L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les médecins qui se sont occupés des «maladies» nerveuses; et c'est avec plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr Dubois13, de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage, développe avec complaisance des théories philosophiques fort éloignées de l'orthodoxie chrétienne:

Note 13: (retour) Dr Dubois. Les Psychonévroses et leur traitement moral, 1904.

«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif contre ces «maladies» de l'âme, et le plus puissant moyen pour les guérir, si elle était assez vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, dans les milieux bien pensants, l'homme devient invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, il ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber sous les coups d'une «maladie» physique, mais, moralement, il reste debout au milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux émotions pusillanimes des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: «Ceux à qui leur tournure d'esprit permet encore la foi naïve trouveront un appui dans leurs convictions religieuses, à condition qu'elles soient sincères et vécues.»

Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en résulte pas, pour le médecin psychothérapeute, d'encourager son malade dans ces convictions religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux émotions pusillanimes des névrosés»?

Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, vivante «pour créer un vrai stoïcisme chrétien», subsiste encore, et cherche vaguement à se raviver sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme mondains, est-ce que ce n'est pas une obligation pour le médecin de l'y aider, autant qu'il le peut?

Voici donc le médecin transformé, malgré lui, en apôtre. Mais nous ne craignons pas de le redire: pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas préparé, il a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne doit s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain aussi dangereux.

CHAPITRE V

AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES

La psychothérapie est la base du traitement, pour les malades chez qui les troubles nerveux et mentaux prédominent. Dans les autres formes de la déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un rôle important; de là les résultats remarquables obtenus, même dans les «maladies» à forme gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confrères, qui arrivent, en effet, à soulager et guérir un certain nombre de dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systématiquement toute préoccupation de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces confrères tombent dans l'exagération; même s'il n'y a pas de troubles gastriques, le régime du malade doit être surveillé; et à plus forte raison quand l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en réalité, joue, dans la thérapeutique des malades à phénomènes intestinaux et gastriques, un rôle au moins égal à celui de la psychothérapie.

Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: lorsque vous faites du régime, lorsque vous imposez à vos malades telle ou telle alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une maison de santé à l'autre, les bons résultats que vous obtenez sont dus, exclusivement, à la psychothérapie que vous faites sans le savoir. Si le docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur estomac en état, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en fait, il les guérit par suggestion, et malgré le régime. Car le régime, ajoutent-ils, entretient plutôt l'idée de «maladie»: le malade s'auto-suggestionne à chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver de plus malheureux à un névropathe, c'est de trouver un médecin qui le soumette à un régime alimentaire, quel qu'il soit.

Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir traiter, par la psychothérapie seule, telle ou telle jeune fille qui vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs mettant sa vie en danger. Qu'on réussisse souvent à guérir les «malades» sans régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, qui n'est en somme que la suralimentation, dans une maison de santé, c'est possible: le changement de milieu, l'éloignement des causes qui avaient produit et entretenu la «maladie», l'influence salutaire indiscutable du médecin, expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder de généraliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en même temps qu'on fait de la suggestion, instituer un régime alimentaire approprié au fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.

I

RÉGIME

Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac et l'intestin, atteints d'une sorte d'inertie, se refusent à tout travail, et indiqué les symptômes physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. Il est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac et à cet intestin un travail fréquent, mais peu actif; de là, nécessité de la diète liquide dans les cas très graves, parfois même de la diète absolue pendant vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diète semi-liquide dans les cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes les deux heures, suivant le degré d'inertie constaté.

Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le nombre des aliments. Je me rappelle un malade qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, qui depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait plus rien, avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se traîner, ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un régime consistant à s'alimenter exclusivement de Revalescière. Je lui ai donné, toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures, jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures pendant huit jours, uniquement de la Revalescière, cuite dans du bouillon de légumes et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac lui permit de tolérer d'autres potages, puis des purées, puis des oeufs et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il partit guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que je faisais, en même temps, de la psychothérapie! me dira-t-on encore? Sans doute, j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup pour faire accepter ce régime à mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait pas une «maladie» incurable, pour le faire rester à Paris, dans les conditions d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; mais j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui l'a guéri, et que, malgré la confiance qu'il avait en moi, malgré toute l'autorité que j'exerçais sur lui, malgré le repos au lit, si je lui avais donné à manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas guéri; et la preuve en est que, à partir du premier mois, sitôt que je m'écartais du régime méthodique, et que, pour essayer de gagner du temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet essai, si timide qu'il pût être, amenait invariablement un petit recul. Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement amené une rechute.

Inutile de dire, après cela, que la Revalescière n'est nullement un spécifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amené le même résultat (panade bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root, phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de riz, etc)

Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le régime ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le régime sec est d'un maniement difficile et doit être très vite remplacé par le régime «à restriction des boissons». Ces cas sont ceux où, à l'inertie, se joint un élément spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois jours, des aliments secs à grignoter; et ce régime est spécialement indiqué chez les malades chroniques dont le capital est gravement atteint. Il est bien certain que la psychothérapie intervient assez peu dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à un malade qui aurait besoin d'un régime sec le régime liquide, ou même semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empêcher les fâcheux résultats d'une pareille erreur thérapeutique.

Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas pouvoir digérer, et ne digère pas, en effet, simplement parce qu'il a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! alors la psychothérapie fait merveille. On doit donc forcer le malade à manger, et à manger n'importe quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout digérer. Mais je ne conseillerai jamais à un médecin d'essayer ce système, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas étudié de très près le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre.

D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut procéder avec une sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments nécessaire à la conservation de la vie.

Il nous est impossible de tracer, même à grands traits, les indications de régime qui conviennent aux divers malades. Théoriquement, le régime doit varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour à l'autre, pendant toute la durée de la «maladie». Mais, en pratique, les choses se passent plus simplement. Le principe général, c'est qu'il faut faire manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phénomènes spasmodiques (tiraillements d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut les faire manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour assurer le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris vers minuit, après le premier réveil, dans les cas où le régime doit être plutôt sec, une tasse de cacao dans les cas où le régime doit être plus liquide, font mieux, pour procurer le sommeil, que la meilleure des préparations opiacées.

Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades après avoir mangé. Nous avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position horizontale après les repas s'impose, et n'est pas moins nécessaire après le goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien de faire, après les repas, un exercice modéré; et il y a aussi quelques dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande exception.

Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre à table immédiatement après un travail musculaire. C'est ce qu'a parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer mes lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur toutes les questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice.

II

MOYENS ACCESSOIRES

Outre le régime, il est encore un grand nombre de petits moyens thérapeutiques que la psychothérapie ne remplacera certainement pas. Il est très simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le massage, la douche tiède, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une conception par trop facile, et qui se trouve démentie par l'expérience. Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, indépendante de toute suggestion, action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils, tout comme l'hygiène alimentaire, être soumis à un contrôle sérieux, et ne pas être employés à tort et à travers: mais, quand ils sont bien maniés, ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. Le principe général, c'est qu'il faut en user avec une extrême prudence, et que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir.

Hydrothérapie.—L'hydrothérapie froide est rarement indiquée; on commence à le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des désastres.

Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la base du traitement de la folie, y on tous entièrement renoncé: la douche froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunément soutirer une dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais la douche froide à la saignée faite chez les malades qui n'ont plus de pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignée peut parfois rendre le pouls et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée dans les cas d'oppression des forces». Or, pour pratiquer à coup sûr la saignée, dans ces cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il faut être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer convenablement l'hydrothérapie froide, chez les malades graves.

Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, les lotions, le manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien appliquées, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionné par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aéré, où son cerveau reste en jachère par le fait de l'horrible tristesse du milieu, et s'il s'y soumet à une alimentation plus raisonnable que celle qu'il avait chez lui. Tous ces éléments entrent pour une part indéniable, dans les remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent encore, à un moindre degré, ses successeurs et ses élèves, à Altkirch, en particulier.

Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit être employée que chez les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce genre, le maillot humide, notamment, constitué par un drap mouillé et tordu étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un procédé souvent très utile et à la portée de toutes les bourses. On entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant ensuite de trois couvertures préalablement étendues, sous le drap. Nous avons vu des malades, qui ne parvenaient pas à dormir, trouver, vingt minutes après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil réparateur. La durée des applications ne doit pas dépasser trois quarts d'heure; et leur nombre peut sans inconvénients atteindre 80, employées quotidiennement, même pendant les règles.

L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses indications. Le tub tiède, pratiqué dans la matinée, avec une infusion de tilleul et l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sédatif, si le malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.

Le bain répond aussi à de nombreuses indications; mais c'est un moyen beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des malades qui ne le supportent pas, que le bain, même de cinq minutes, énerve, empêche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilité, et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire. Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois amenés à donner des bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est là une médication très active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que les malades ont des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer autour d'eux. Les bains de six heures consécutives sont journellement employés à Louéche, et avec grand profit, pour les malades atteints de certaines formes d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une qualité particulière, qui rend tolérables ces bains prolongés; ce qu'il y a de certain, c'est que les bains de la même durée avec de l'eau de Paris, comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, ne sont, en général, pas tolérés, et qu'on a dû réserver ce traitement pour les cas exceptionnels.

C'est également une qualité particulière de l'eau qu'il faut invoquer pour expliquer la tolérance de certaines eaux minérales. A Badenweiller, en particulier, à Gastein, à Néris, les nerveux supportent des bains très prolongés (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un bain d'un quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.

Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau, même aux stations minérales que je viens d'indiquer; les médecins de ces stations auraient tort d'insister si, après les deux ou trois premiers bains, ils observaient une aggravation de l'état maladif.

Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de pieds les révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la figure avec très peu d'eau tiède, ou même avec du cold-cream. Dira-t-on que ce sont là des phobiques? Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne connaissons pas tous les degrés de susceptibilité du système nerveux, réactif d'une sensibilité invraisemblable; et cette intolérance de la peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparaît en même temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tête, et autres misères dont l'ensemble constitue la «maladie». Mais, aussi longtemps qu'existe cette intolérance, le médecin doit savoir la respecter, et ne pas s'obstiner à faire faire au malade l'hydrothérapie même la plus mitigée.

C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur sèche. Un sac en caoutchouc, à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur l'estomac après les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds, est très apprécié de beaucoup de malades. Ce procédé, très simple, facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant, on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas, c'est la compresse froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au patient.

Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore être remplacé par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion. Ces petits appareils, connus sous le nom de dermothermes ou de dermophores, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient d'être un peu lourds; aussi, quand l'installation le permet, leur préférons-nous un tissu métallique très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffé par un courant électrique à 70 volts.

Massage.—Ce que nous disons de l'hydrothérapie s'applique, de point en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait jamais être pratiqué en dehors du médecin. Employé même légèrement, il fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier, qui a été fort en honneur il y a quelques années, constitue un procédé thérapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire avec la plus grande douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout à fait accessoire. Les médecins qui auraient la prétention de guérir la constipation par le massage abdominal exclusivement s'exposeraient à un échec certain, parce que la constipation n'est pas causée seulement par une inertie des muscles de l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état général, ainsi que nous l'avons déjà expliqué.

Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de services que le massage, et sont d'une application plus facile, puisqu'elles peuvent être confiées à toutes les mains. Elles sont faites avec un gant de molleton, jamais ou très rarement avec le gant de crin; seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une grande somme de résistance, supportent la friction violente au gant de crin. Une bonne manière de faire la friction humide est la suivante:

Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibé d'une solution alcoolique tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un gant sec, frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de même. Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut, puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos, n'importe en quel sens, l'étendre de nouveau, travailler légèrement le devant de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. L'opération doit durer dix minutes. Elle est à recommander chez presque tous les malades, même chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien faite, et comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse.

Les bains de vapeur sont en général bien supportés; mais les prendre dans des établissements spéciaux expose à une grande perte de temps, et à un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre à domicile, soit dans des boîtes portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une forte lampe à alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tôle. Mais un procédé qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans des boites disposées ad hoc, mettre deux briques bien chauffées,—appliquer une de ces boîtes aux pieds du malade couché, une autre boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la transpiration survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce système permet: 1° de graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller les draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé de vapeur qui sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons ces bains d'air sec chez les malades obèses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.

En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: tout ce qui peut être utile au malade doit être l'objet de nos recherches; et c'est le soin des détails qui fait la force, et, disons-le franchement, le légitime succès de quelques-uns de nos confrères étrangers.

Électricité.—L'électricité n'est pas, non plus, à négliger. Il est certain que les courants de haute fréquence ont, sur la nutrition en général, et sur le système nerveux en particulier, une action très puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente de froid. Mais c'est là un procédé forcément limité, à cause des difficultés d'installation et du prix de revient. Les applications faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent également avoir leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, et qui, fort heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile.

Le tabouret électrique est souvent recommandable, à condition qu'on ne tire pas d'étincelles. Les machines statiques à domicile sont des jouets qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone qu'elles dégagent n'a pas une influence utile?

Les bains électriques constituent aussi un moyen puissant, et, par conséquent, difficile à manier. Ce que nous avons dit des contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains électriques; il est des cas où le bain électrique, bien appliqué, rend d'excellents services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une façon générale, on peut dire que le bain électrique occasionne une courbature notable qui, à l'inverse de la courbature produite par l'excès d'exercice musculaire, amène le sommeil. Ces bains ne devraient être donnés que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale très exacte pendant toute la durée du bain. Dire qu'un pareil moyen agit par suggestion, c'est énoncer une affirmation qui n'a rien de scientifique.

Injections hypodermiques.—Les injections hypodermiques constituent un des agents les plus utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1° toute injection, en tant qu'injection, a une influence utile; 2° le médicament injecté a son action propre; 3° une part de suggestion s'attache à l'emploi des injections.

I. On sait, depuis les remarquables études du Dr Chéron, que toute injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide injecté ne soit pas toxique, produit un relèvement momentané de la tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-être, de vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogénique plus ou moins prolongé, Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres conditions.

Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de Brown-Séquard, de l'océanine, etc.; il y a toujours à compter avec cette action particulière de l'injection en tant qu'injection sous-cutanée ou intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine. De là l'utilité des doses massives de liquide, comme aussi la vogue qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de sérum artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes de sel marin pour un litre d'eau stérilisée. Malheureusement on sait, depuis quelques années, que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il peut devenir toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas très bien. Il faut donc en user avec grande prudence.

Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer stérilisée (océanine). On donne de 300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs de ce nouveau médicament en disent merveille: il est possible que l'eau de mer soit un heureux mélange de substances utiles à l'organisme. Je n'ai pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essayé l'océanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie, sans résultats appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite à la Société de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il résulte que ces injections, pratiquées à des doses plus fortes, ont des effets vraiment importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles n'ont pas les inconvénients graves des injections salées ordinaires, si bien mis en lumière par M. le Dr Hallion à la même séance de la Société. L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement un des précieux médicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent également en tant qu'injections de liquide non toxique.

II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecté. Il existe, certainement, des médicaments doués d'une action reconstituante sur le système nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de soude et surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, peut-être la lécithine, les phosphates, etc. Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces médicaments: disons seulement un mot des principaux.

Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier ordre; on peut l'employer sans danger à des doses beaucoup plus élevées qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à la Société de Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicité du produit, ainsi que l'utilité des hautes doses longtemps continuées, dans certains cas exceptionnels14. Le plus souvent, la dose indiquée par le professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et il n'est pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette injection, à la condition de continuer le traitement pendant deux ou trois mois dans les cas moyens.

J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée de l'action des cacodylates de soude et de magnésie, à la Société de Thérapeutique, en 1902, en indiquant les très rares contre-indications, et en précisant, dans la mesure du possible, les indications15. Le cacodylate de fer en injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels où le fer est indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, chloro-anémiques): mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites à raison de deux par semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.

Note 14: (retour) Considérations sur la médication cacodylique, in Ann. de dermatologie et Syphiliographie, 6 mars 1902.
Note 15: (retour) Bull de la Soc. de Thérapeutique, 27 mars 1901.

Les injections orchitiques de Brown-Séquard, après avoir eu un moment la faveur que l'on sait, sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la bonne fortune d'être en relations personnelles et suivies avec le vénéré maître, de recueillir de sa bouche des aperçus thérapeutiques de grande envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps de vérifier et d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'étude de l'action dynamogénique du liquide de Brown-Séquard, préciser les doses, le nombre des injections, etc. Ce travail n'a été qu'ébauché par le grand initiateur.

D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble une méthode pleine de promesses; j'ai cité notamment, à la Société de Thérapeutique, en 1904, le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au dernier degré du marasme, avec muguet dans la bouche, qui a été comme ressuscitée par l'emploi de trois lavements quotidiens préparés avec une macération de 200 grammes de foie de porc, fraîchement tué, dans 300 grammes d'eau bouillie. Cette dame, une grande malade avec phénomènes nerveux et dyspeptiques anciens, avait eu, à un moment donné, une insuffisance hépatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxième mois de cette complication, elle était arrivée à l'état lamentable que j'ai indiqué, quand nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à son foie. Le résultat a dépassé toute espérance; trois heures après le premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit jours après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les selles régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger immédiat conjuré, il m'a encore fallu continuer à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, la peau de ma malade: mais, trois mois après, elle put aller achever sa convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien. La complication hépatique n'avait été qu'un épisode dans le cours de la «maladie», qui évoluait depuis vingt années.

D'une façon générale, les préparations opothérapiques, auxquelles un immense avenir semble réservé, ne rendront tous les services qu'elles peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par voie sous-cutanée, comme le faisait Brown-Séquard avec son liquide orchitique.

Chez certains malades, les préparations de strychnine par injections hypodermiques ont un effet très utile: mais il ne faut pas dépasser en général la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arséniate de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, réparties sur trente jours.

Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurasthéniques. De là, la préoccupation constante que nous avons de faire la guerre à cette affection accidentelle, de la couper dès ses débuts. Or, il m'a bien semblé trouver, dans le cacodylate de gaïacol, un agent antigrippal spécifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes confrères, à la Société de Thérapeutique, en janvier 1906.

Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de gaïacol, dans un gramme d'eau stérilisée, et préalablement saturée de gaïacol, fait merveille chez les grippés au début: elle les guérit en quelques heures. Deux ou trois injections consécutives suffisent toujours pour couper la grippe, même quand elle n'est pas prise au début, à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et, même alors, le cacodylate de gaïacol me semble très recommandable. Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui résistent à tous les traitements.

Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même avec pneumonie, nous nous sommes très bien trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours de suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution suivante, introduite profondement dans le muscle, est très bien tolérée et n'occasionne jamais d'abcès:

Chlorhydrate neutre de quinine
Antipyrine
Eau distillée
3 grammes.
2     —
6     —

Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les névralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui résistent même aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques, névralgies intercostales).

Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces suites éloignées de la grippe, cas de grippe aiguë et de névralgies postgrippales,—on ne peut pas tout faire,—mais je crois bien que la quinine à petites doses, donnée en injections à tous les malades à dépréciation nerveuse momentanée, aurait un effet dynamogénique précieux.

Dans certains cas de douleurs névralgiques trop pénibles, les injections d'héroïne sont indiquées; mais il faut savoir que l'héroïne doit se manier à doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes, on ne doit jamais dépasser un milligramme d'héroïne, surtout chez les malades dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique de l'héroïne nous a semblé supérieure à celle de la morphine; mais il faut bien se rappeler que l'héroïne est un médicament aussi dangereux que la morphine, auquel les malades s'habituent, et réserver son emploi pour les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me disposais, à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, me ravisant, je me demandai si la névralgie crurale qui le torturait ne serait pas, par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment en cause; et une seule piqûre de calomel eut raison à tout jamais de cette névralgie si pénible; tant il est vrai que le médecin doit toujours penser à la syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.

Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire, quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous semble être les injections mercurielles; celles au benzoate sont douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; celles de biiodure en solution aqueuse sont très douloureuses. Nous préférons l'huile grise pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et l'huile au sublimé,—dont nous avons donné la formule en 1881 à la Société de Dermatologie,—chez les syphilitiques épuisés, auxquels l'huile sert d'aliment.

Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de dire un mot de nos travaux antérieurs sur l'action dynamogénique de l'huile créosotée, en injections sous-cutanées à dose maxima tolérée. Nous les avons surtout employées et les employons encore chez les tuberculeux; mais nous étions guidé par une fausse conception théorique; et si la créosote bien maniée reste,—et restera longtemps,—le médicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le système nerveux.

La créosote est, en effet, un agent dynamogénique de premier ordre. Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'être les seuls malades qui puissent tirer parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le moindre bénéfice, à cause de la difficulté que présente le maniement de la créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la fièvre. Là où les injections d'huile créosotée font merveille, c'est chez les pseudo-tuberculeux, qui sont tellement démolis par les troubles gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée rend, en quelques jours, l'appétit, la force, en un mot la vie.

Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra longtemps son emploi, c'est l'extrême difficulté qu'il y a à la manier. Pour ma part, je me suis attaché à surprendre les moindres manifestations de l'intolérance, et à les décrire minutieusement afin de permettre aux praticiens de ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention sur les intolérances accidentelles, qui doivent faire immédiatement suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptée les jours précédents. J'ai même tellement insisté sur les dangers de la créosote que quelques confrères m'ont accusé d'avoir fait son procès; mais la dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien maniée, elle rende des services16.

Note 16: (retour) Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas seulement que la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un mois, avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux, un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade est resté à la diète absolue, ce qui a donné à l'ulcère le temps de se cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de 150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des injections huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'où peut résulter une embolie qui peut être mortelle; mais j'ai indiqué le moyen de se mettre sûrement à l'abri de tout accident grave. Le secret consiste à bien connaître les moindres symptômes d'introduction de l'huile dans le torrent circulatoire, et à arrêter l'injection dès l'apparition de ces symptômes. Rien n'est plus facile que d'arrêter à temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont étudiés dans mon livre sur le Traitement de la tuberculose par la créosote.

III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent encore d'une autre façon. En dehors des propriétés particulières à chaque médicament, et de l'action dynamogénique reconnue à toute injection sous-cutanée et même intra-musculaire, elles agissent encore par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant que les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène cérébrale, médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, etc., aient eu le temps de produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le malade serait vite découragé, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant, factice peut-être, mais certainement utile, et ayant une action évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance.

La pratique des injections hypodermiques est également utile au médecin à un autre point de vue: elle lui permet d'apprécier très vite le degré de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de ce degré de confiance dérive, dans une notable mesure, le résultat thérapeutique final. Si le médecin sent que son malade a foi en lui, il déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira à tout instant, gêné, paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas toute la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il y a, pour lui, à évaluer le degré de confiance qui lui est octroyé. Eh bien! pour l'apprécier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci aveuglément, du premier coup, sans même demander la formule du liquide injecté, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade acceptera avec la même obéissance les diverses prescriptions qui lui seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe, il acceptera avec la même passivité les prescriptions qui lui seront faites, et c'est là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou surtout son entourage, manifestent une curiosité inquiète, qu'on ne parvient pas à satisfaire par une réponse banale, quand ils expriment des appréhensions sur la nature et les effets du liquide injecté, on peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins médiocre; et le médecin aura beaucoup à faire pour conquérir la confiance.

Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont légitimes, et ce que nous disons ici ce n'est pas pour les empêcher: mais il n'en est pas moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le médecin a intérêt à connaître afin de travailler à la faire cesser et d'établir ainsi, entre son malade et lui, cette confiance réciproque qui est la condition indispensable d'un traitement efficace.—Or l'attitude des malades en face des injections qu'on leur propose constitue, à ce point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral.

Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des applications locales, révulsives ou dérivatives, qui étaient autrefois si en honneur, et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.

Vésicatoires.—Autant nous protestons contre les larges vésicatoires employés autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait guérir; autant nous continuons à penser que le petit vésicatoire, sous forme de mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez les grands malades qui ont le système nerveux sens dessus dessous, une mouche, appliquée derrière l'oreille, peut faire un mal extrême et produit un état d'agitation inconcevable, non pas à cause de la douleur insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de circulation qu'elle produit à distance. Ce seul fait suffirait à prouver que l'application d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs, n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez certains malades qui ont encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquée derrière l'oreille droite, de préférence, produit une sédation des plus remarquables, amène le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles innommables qui constituent l'état nerveux; c'est sans doute à cause de l'infériorité fonctionnelle de la partie gauche du corps,—habituelle chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,—que la mouche appliquée derrière l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle produirait moins si elle était appliquée à gauche; en tout cas, c'est un fait d'observation. De même, la mouche sur le creux de l'estomac peut amener, si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop aigus, une aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient à son heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remèdes à apporter à la constipation. Cette affirmation peut sembler singulière, mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours nerveuse, de la constipation.

Emplâtres.—Les applications d'emplâtres d'opium ne sont jamais dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Étant donnée l'extrême susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se laisse impressionner par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout cas, j'affirme, au nom d'une expérience prolongée, qu'une mouche d'opium appliquée à la tempe est souvent très appréciée par les malades céphalalgiques, qu'un emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone, laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une façon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une série d'injections de morphine.

De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué sur la colonne vertébrale, immédiatement au-dessous de la première vertèbre dorsale, sur une longueur de dix centimètres, atténue singulièrement certains phénomènes médullaires dont se plaignent les malades, en particulier les inquiétudes dans les jambes qui sont si fréquentes chez les grands neurasthéniques.

Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à dédaigner. A eux seuls, ils seraient insuffisants; mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos méthodiquement dosé, aux applications hydrothérapiques raisonnables, et à la psychothérapie, ils amènent sûrement la guérison, lorsqu'il reste assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.

Purgatifs.—Nous usons très peu des médicaments fournis par la pharmacopée, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin, et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents thérapeutiques à action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer? c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas.

Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un médicament. J'ai mis, quant à moi, des années à étudier l'action du bromure, quand je m'occupais plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; et quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier l'étude du cacodylate de soude, la première chose que je lui ai dite, c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet agent thérapeutique une appréciation ayant quelque valeur. Enfin, pour ce qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans à en connaître l'effet.

Comment, alors, avoir confiance dans des publications hâtives sur des médicaments découverts de la veille? Et, en ce qui est des médicaments anciens, ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, je les redoute, à cause de l'extrême sensibilité des malades, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.

Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une véritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons employer sans dommage, et même avec une apparence de succès qui saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs à une indication bien rationnelle, puisqu'il faut évacuer les résidus de la digestion qui empoisonneraient l'économie! Il nous faut réfuter ces objections en passant: qu'on donne un purgatif à un homme solide qui a un léger embarras gastrique, il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien; mais c'est une erreur d'interprétation, et si le purgatif ne lui a pas fait de mal appréciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains. Mais donner un purgatif à un malade grave dont le système nerveux est profondément atteint, c'est provoquer chez lui des réflexes dont personne ne connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait jusqu'alors une certaine tonicité, devenir flasque, inerte, perdre toute réaction; l'intestin est alors inhibé dans son fonctionnement, et il faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades constipés? La réponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut les soigner en tant que malades; la constipation disparaîtra d'elle-même. Le moment nous semble venu de protester une dernière fois contre les idées des gens du monde, et des médecins, relatives à la constipation.

Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une façon de parler: car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument bien portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la vie commune, tout en ayant une constipation opiniâtre; de plus il y a beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipés. Une dame nous disait plaisamment, à ce sujet, que son intestin avait «horreur du vide». Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, elles tolèrent leur infirmité sans se douter qu'elle existe. Mais malheur à elles quand elles commencent à se préoccuper de leur constipation! C'est à partir de ce moment qu'elles rapportent à la constipation les mille et une misères qui sont l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, surtout, quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiède d'abord, puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours aux purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur intestin, et qu'à leur constipation anodine succède l'entéro-colite membraneuse.

A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle vicieux est établi. Plus elles irritent leur intestin, plus la constipation devient opiniâtre, et, pour lutter contre cette constipation opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin. L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent plus qu'à leurs fonctions alvines, à la liberté du ventre, qu'elles disent être la plus nécessaire des libertés. Elles donneraient la vie du genre humain pour obtenir une selle; elles se présentent à la garde-robe plusieurs fois dans la journée, sans succès ou avec des résultats insignifiants, et, cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet état mental des constipés mérite d'être étudié de très près; et toute thérapeutique qui ne cherche pas à le modifier est, par avance, condamnée à l'impuissance.

La première chose à faire, quand on se trouve en présence d'un de ces constipés à obsession, est de lui persuader que la constipation n'est pas l'ennemie, n'est pas la cause immédiate de toutes les misères qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptôme d'importance secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de défectueux dans le fonctionnement du système nerveux abdominal.

Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller à la garde-robe tous les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils iront quotidiennement; invitez-les à ne s'y présenter qu'une fois par jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y aller en dehors de l'heure réglementaire. Recommandez-leur de ne pas lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont la constipation n'est qu'un symptôme, et, s'ils vous écoutent, si vous avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul à moitié guéris.

Cependant, comme il faut tenir compte de leur état mental, et un peu aussi de la mentalité de l'entourage, on peut autoriser un petit lavement d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour de présentation inefficace, à l'heure réglementaire de la présentation, lavement qui sera gardé cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir du troisième jour de présentation inefficace, un lavement d'huile, non pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerées à bouche d'huile pure, lavement destiné à être gardé toute la nuit; si l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le lendemain, un effet magique.

Les pilules de belladone d'après la formule de Trousseau sont également recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas être nuisibles.

Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide orchitique de Brown-Séquard; c'est de la bouche même du savant professeur que je tiens ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'était hier, le jour où il me disait ces paroles: «De tous les services que m'ont rendus à moi-même mes injections de suc orchitique, celui que je place en première ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont guéri d'une constipation opiniâtre». Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut avoir été, comme moi, torturé par la constipation pour savoir toutes les angoisses qu'elle occasionne».

Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joué aucun rôle dans la circonstance, car M. Brown-Séquard ne s'attendait pas le moins du monde à cet effet des injections do liquide orchitique.

Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, j'ai traité et je traite encore par les injections de liquide orchitique les grands neurasthéniques atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.

Eaux minérales.—Si nous donnons peu de créance aux médicaments de la pharmacopée, nous croyons, par contre, que les eaux minérales constituent des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, qui ne respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont été inventés par des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en général, les eaux sont le dernier conseil de la médecine poussée à bout. «On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remède.»

Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient là de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute antiquité, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles n'avaient pas vraiment une certaine efficacité.

Certes, dans les bons effets des cures minérales, il faut compter, pour une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agréable du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile quelquefois, est quelquefois fâcheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital n'est pas sérieusement compromis.

Le changement de régime alimentaire qui est imposé aux malades, dans les stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous savons, en effet, que, à un moment donné, il est utile de ne pas se confiner dans un régime alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui souvent est utile, peut être dangereux, au contraire, quand le système nerveux n'est pas de taille à supporter le soudain assaut imposé.

C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, où le bon effet des eaux est, en grande partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, dans toutes les villes d'eaux, des «tables de régime» comme il en existe dans toutes les maisons de santé bien tenues, où chaque malade, pour ainsi dire, a le régime alimentaire qui lui convient, dosé et surveillé par le médecin de l'établissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos stations minérales, parce que les médecins n'y sont pas libres de tous leurs actes, et ont à compter avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à compter avec leurs chefs de cuisine.

A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables de régime»; et j'y ai vu moi-même des menus imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le papier. A Vichy, par contre, plusieurs médecins sont arrivés à imposer à des tenanciers de pensions de famille l'obligation de donner aux malades des régimes variés, suivant les prescriptions médicales.

Quant aux indications des eaux minérales, elles varient à l'infini.

Certaines eaux ont certainement une action prédominante sur tel on tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur d'observation, ou d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique sur les troubles périphériques de la circulation (varices, hémorroïdes, phlébites). Les malades atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, à Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs misères (troubles nerveux, dyspeptiques), mais plus particulièrement les misères locales causées par leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une action non douteuse sur le symptôme constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au contraire, favorise la constipation pendant la durée du traitement.

De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains entéralgiques, convalescents d'appendicite, etc., une action véritablement spéciale. De même encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des symptômes de la «maladie», elles ont une bienfaisance incontestable, surtout si, à leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne bien comprise et bien réglée. Les eaux de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas d'action spéciale, mais elles rendent de précieux services aux nerveux fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées chez les malades dont le système nerveux digestif est en détresse, et la Grande Grille, en particulier, a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique pas plus par la théorie des ions que par les théories chimiques, mais qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas là de psychothérapie ni de suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se rappeler que c'est une arme difficile à manier, comme toutes les armes puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant encore une grande force de résistance vitale.

Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque année, il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptômes cérébraux prédominent, à condition, bien entendu, que ces symptômes ne soient pas en rapport avec des lésions organiques; et ces malades se trouvent au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptômes gastriques ou hépatiques.

Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault les malades atteints de lésions organiques du cerveau ou de la moelle, hémiplégiques, congestifs, etc. Depuis quelques années, la physionomie de cette station a changé. Il y a eu des accidents provoqués par l'eau chaude sur les malades à artères friables; et l'on se borne actuellement à y envoyer les malades à troubles médullaires superficiels, connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou articulaires, sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de grands services aux rhumatisants et aux obèses sans lésions organiques appréciables.

Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège de recevoir des malades à lésions organiques nettement définies, et dont nous ne nous occupons pas dans ce travail.

Vittel et Contrexéville conviennent aux malades chez lesquels le trouble de la nutrition, qui n'est, en général, qu'un trouble du système nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins17.

Note 17: (retour) Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon estomac, à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De là le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer à Vittel. Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez que, longtemps avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cérébraux, ne fût-ce que des migraines, de petits troubles cutanés, de l'obésité. Un beau jour, une colique néphrétique les surprend, et l'on se figure que c'est à partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien. La colique néphrétique n'a été chez eux, qu'un accident; bien avant de l'avoir, ils avaient, même du côté du rein, de petites misères qui passaient inaperçues: du lumbago, des urines chargées de sable. Et si, au moment où l'on s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait soignés méthodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas, par telle ou telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique hydrothérapique, telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu de coliques néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir au traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une façon temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.

Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos malades; la Bourboule en particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens.

Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minérales françaises et étrangères. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux minérales sont un agent thérapeutique de premier ordre, un agent que tous les médecins doivent connaître, non seulement parce qu'ils voient dans les livres, non seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils goûtent, par eux-mêmes, aux diverses sources, et qu'ils tâtent parfois des bains. Ils ne tarderont pas à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: je leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, à forte dose d'eau salée. Aussi le monde médical doit-il être très reconnaissant à celui de nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, tous les ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux françaises; quinze jours de voyage sous une bonne direction médicale sont plus utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi à connaître non seulement les eaux, mais aussi les médecins des stations, parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idées générales très intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des villes d'eaux sont, d'ailleurs, pour les praticiens, de précieux collaborateurs, quand ils veulent bien ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, les bains, les douches, etc., et consentir à faire, en même temps, oeuvre médicale véritable, c'est-à-dire surveiller le régime, doser avec soin le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie ne perd jamais ses droits.

Voyages.—Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus grand bien aux malades en général, qu'à la suite d'un état aigu, par exemple, dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien loin de chez lui, et que, dans les états chroniques, ce déplacement lointain est la condition sine qua non d'une guérison. Cette opinion est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain qu'un homme bien portant se trouve très bien d'un déplacement annuel, et les vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son âge et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachère, prenne l'exercice dont il a été en partie privé pendant le reste de l'année. Ce temps consacré au repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du temps bien employé.

Les vacances sont également nécessaires à l'enfant qui travaille: et par vacances nous entendons non seulement le repos cérébral, qui doit être presque absolu,—ce qui, par parenthèse, contre-indique l'usage des devoirs de vacances,—mais aussi, autant que possible, le changement de milieu, ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De là l'utilité des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle «des croisades de paix et de rédemption». Elles sont, dit-il très justement, la «première ligne de défense contre la tuberculose». M. Plantet a fait sur ce sujet, à la demande de l'Office central du travail, un rapport des plus intéressants et des plus complets, publié dans la Réforme sociale, (16 juin et 1er juillet 1905). Il résulte de ce rapport que la France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que le sixième rang dans la lutte des sociétés contre le dépérissement de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entrée dans le mouvement, et les colonies scolaires françaises sont déjà en nombre considérable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions privées parisiennes, 40 comités de patronage s'occupant de procurer des vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en 1902, 14000 petits Français ont bénéficié de ces institutions philanthropiques18.

Note 18: (retour) Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse se rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des résultats obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés en commun dans un même local (villas scolaires, écoles communales vacantes pendant l'été, propriétés privées, louées, acquises, spécialement aménagées pour abriter une collectivité à la campagne ou à la mer). C'est la colonie d'internat.

Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes de deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables, moyennant un prix débattu, dans les régions réputées les plus saines. C'est le placement familial.—Les deux systèmes présentent des avantages et des inconvénients qui sont analysés de très près dans le travail que nous signalons.—En ce qui concerne la santé, tous les rapports constatent la plus-value dans toutes les régions, en montagne, en plaine, à la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les colonies familiales.

Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de l'esprit qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner à de pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux à faire, on peut réaliser un bien plus durable: il faut viser à ce qu'ils rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne se devine guère. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensée dominante et le rêve du directeur. Le tout est de savoir choisir.

Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu fatigué par le surmenage cérébral, et par les petites émotions quotidiennes, se trouve très bien de changer d'air, de milieu, non seulement une fois par an, mais même chaque fois qu'il sent, chez lui, cette sorte de malaise cérébral prémonitoire de la neurasthénie, ou certains troubles digestifs mal définis qui prouvent que son système nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un déplacement de quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il aille, il verra son appétit renaître, sa constipation disparaître, la santé lui revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de monter en chemin de fer produit des effets appréciables, et, le jour même du départ, on les voit transformées. Elles laissent à la première station leurs phobies, leurs inquiétudes; c'est un changement à vue, un véritable coup de théâtre.

Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien portant, ou du candidat à la «maladie» dont le capital est encore presque intact, et autre l'hygiène du vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, les gens du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré eux, par le fait d'un faux raisonnement, à croire que ce qui fait du bien à l'homme valide doit en faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck saignant est certainement utile à un travailleur bien portant; combien il doit être plus utile à un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra, plus vite il sera guéri!» Le malade proteste, il affirme que la viande saignante lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en donne au moins autant que son estomac pourra en digérer, ce sera toujours pour son bien! On disait la même chose, autrefois, pour le vin; les gens intelligents commencent à comprendre que le vin, si utile à un travailleur bien portant, n'est pas un aliment héroïque quand il est donné à des malades, même sous forme de vins médicamenteux.

De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modéré est utile aux gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le peu d'appétit et de sommeil qu'il avait encore; c'est égal, il faut qu'il marche! On ne conçoit pas qu'il doive rester à la chambre, du moment qu'il peut se tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couché, il sent que le lit lui est utile; c'est encore là, dit-il, qu'il souffre le moins. Mais non, il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigné, plus il a à lutter contre ces préjugés, qu'on parvient difficilement à déraciner même dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit! Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, et que le sommeil est le meilleur remède à apporter à cette excitation, et que, par conséquent, le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! Quand donc aurez-vous une notion un peu précise et raisonnée sur la pathogénie de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?

C'est aussi par une faute grossière de raisonnement qu'on considère les voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce qu'ils permettent à l'homme doué d'un beau capital biologique de faire de ces petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces placements à gros intérêts qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai, il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'énergie, et met quelquefois quinze jours à se refaire d'une excursion par trop fatigante. Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les gens bien portants, ces risques de dépenses exagérées sont réduits à très peu de chose. Le malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas dépenser à tort et à travers, mais il doit parcimonieusement, et avec un soin jaloux, garder le peu qu'il possède encore, et chercher à faire des économies. Si son indigence est momentanée, il se remettra assez vite à flot. Si elle est définitive, a fortiori devra-t-il chercher à ne pas faire de fausses dépenses.

Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une dépense; le changement d'habitudes, le surcroît de fatigue inévitable, à eux seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est un grand malade, le voyage peut même le tuer, comme il tue ces malheureux typhoïdiques qu'on est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur des cacolets qui les secouent d'une façon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts à l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur état est extrêmement aggravé. Si on avait pu les soigner sur place, ou les évacuer à très petites journées, dût-on les tenir privés des ressources de la thérapeutique, et se borner à leur faire deux lotions fraîches par jour, ils auraient eu bien plus de chances de guérir. Je l'affirme au nom d'une expérience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie. Mais, sans parler des états aigus qui contre-indiquent absolument tout long déplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des états chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le vain espoir de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont aux eaux lointaines chercher la guérison promise, et en reviennent bien plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les tuberculeux avancés! ces tristes victimes des théories régnantes et de la crainte de la contagion.

Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et on commence à comprendre que les grands déplacements ne sont pas favorables aux grands malades.

Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades moyens.

Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digère plus, qui dort mal, qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux du Nord pour l'envoyer sur la côte d'Azur, on va lui faire le plus grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle souhaitera, dans son for intérieur, de quitter le délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut même se faire qu'à la longue son état s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que son état s'aggrave assez pour que l'entourage se rende à l'évidence, et ramène à grands frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.

En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre manière de voir que nous exagérons, à dessein, la formule de notre pensée.

Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au monde déplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, il existe toute une série d'intermédiaires auxquels les voyages peuvent rendre des services. Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut être utile à l'individu qui n'est que sur la frontière de la «maladie». Quitte à avoir dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, un dyspeptique pourra se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il laisse ses préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. Comme toute chose humaine, le déplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne peut formuler de règles absolues pour les cas moyens; c'est au médecin, s'il est consulté, à peser le pour et le contre, et à donner les indications générales.

Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade. C'est:

1° De ne pas voyager de nuit.

2° De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans les cas où, pour une raison quelconque, on est obligé de gagner les altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade des stations intermédiaires, car l'expérience démontre que rien n'est préjudiciable à une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une seule traite de Paris en Engadine. Elle peut être sûre que, en arrivant à destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques jours, elle aura un malaise extrême, et, en particulier, de l'insomnie, tandis que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle n'aurait pas eu à payer ce tribut à la dépression barométrique.

3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que le lever à l'aube est favorable à l'alpiniste bien portant, il soit également favorable aux neurasthéniques qui ont besoin de leur sommeil matinal.

4° Une prescription importante, c'est encore de se reposer, à l'arrivée à destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de l'individu, pour réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce repos sera plus ou moins complet, suivant la gravité des cas. En principe, il vaut mieux pécher par excès que par défaut de prudence.

5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra pas faire de sorties quotidiennes, sous le fallacieux prétexte de s'entraîner; l'entraînement convient aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» doit disparaître du vocabulaire du malade. Certes, le rôle du médecin est d'entraîner le malade; mais cet entraînement, que j'appellerai médical, doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, pour ainsi dire, rien de commun avec l'entraînement de l'homme bien portant et de l'homme de sport.

Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et profiter des jours intermédiaires pour se reposer. Ainsi il parviendra à reconquérir des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner en dépensant tous les jours un peu plus de son misérable capital, il ira droit à la ruine.

On comprend aisément qu'un des facteurs importants du voyage est sa longueur. Le voyage autour du monde ne convient à aucun malade; on peut dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller très loin. Le malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villégiature à Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extrême susceptibilité du malade au changement de milieu. Une simple promenade extra muros impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui ne peuvent pas aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptômes morbides?

Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent que c'est affaire d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le médecin, qui connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans certains cas, par une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la psychothérapie réconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-même. Mais, avant de donner cette suggestion, le médecin doit bien étudier son sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui demandant un effort au-dessus de ses forces.

Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de connaître la valeur exacte d'un système nerveux; c'est presque impossible pour le médecin qui voit le malade pour la première fois. Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait d'être préjudiciable; on se repent rarement d'avoir été trop prudent. Un élément d'appréciation qui est d'un grand secours pour le médecin, en pareille occurrence, c'est le désir du malade lui-même.

S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y a gros à parier qu'il l'est en réalité. Le malade a toujours, en effet, une vague conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appréciation. Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de changer de milieu, c'est qu'il sent vaguement qu'il a des réserves de force nerveuse ayant besoin d'être utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, le guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du médecin est singulièrement restreint; il consiste à s'enquérir plus ou moins discrètement des désirs du malade, et à les transformer habilement en prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait encore de la psychothérapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette façon. Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés ataviques, dos théories plus ou moins scientifiques; et le rôle du médecin est, en ce cas, de remettre tout au point, de démontrer à son malade que son instinct, dans telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors le beau titre de directeur de la santé.

La mer.—Les voyages à la mer auraient dû, en bonne logique, être étudiés à la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de mer est un agent thérapeutique comparable aux bains d'eau salée qu'on va prendre à Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais nous les plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, parce que, dans la pratique, le bain de mer est plutôt considéré comme voyage d'agrément que comme traitement médical. Cela est si vrai que le médecin est rarement consulté sur l'opportunité du traitement marin, sur le choix de la plage: et c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le traitement n'est pas surveillé comme il l'est dans les stations d'eau salée, et c'est également regrettable; car la médication par l'eau de mer est active, et son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention fait du bien ou du mal.

Les principaux conseils que nous ayons à donner aux malades livrés à eux-mêmes, à la mer, sont les suivants:

1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se reposer des fatigues du voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire;

2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, une action appréciable, et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par jour au bord de la mer;

3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un véritable traitement minéral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir des effets sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable d'aller à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à la fatigue du voyage et de l'acclimatation sans aucun profit. A fortiori, ne doit-on pas prendre un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train spécial, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et se croient obligés de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutôt fâcheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces émotions du revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur soutirer une réserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un état subaigu, au retour, qui reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se joignent souvent des douleurs rhumatismales.

Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude rapide, les indications et contre-indications des bains de mer. Le principe général est qu'il ne faut pas en donner aux malades à capital restreint, et que, en réalité, ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est entamé, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain, au point de vue de sa fréquence et de sa durée. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faut, en général, le prendre très court, cinq minutes en moyenne.

Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois premiers bains. S'ils amènent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop prolongés, ou trop fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du mal, les suivants feront du bien. D'une façon générale, d'ailleurs, l'organisme ne s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les médications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de mal, même momentanément. Mais c'est là un point de doctrine dont la démonstration nous entraînerait trop loin, et en dehors de notre plan.

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