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La maison d'un artiste, Tome 1

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The Project Gutenberg eBook of La maison d'un artiste, Tome 1

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Title: La maison d'un artiste, Tome 1

Author: Edmond de Goncourt

Release date: July 3, 2014 [eBook #46183]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Claudine Corbasson, Hans Pieterse and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by The Internet Archive/Canadian Libraries)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MAISON D'UN ARTISTE, TOME 1 ***

Au lecteur

Table

LA MAISON
D'UN
ARTISTE
I

EUGÈNE FASQUELLE, éditeur, 11, rue de Grenelle


ŒUVRES DE EDMOND ET JULES DE GONCOURT

GONCOURT (Edmond de)

La fille Élisa, 37e mille 1 vol.
Les frères Zemganno, 8e mille 1 vol.
La Faustin, 19e mille 1 vol.
Chérie, 17e mille 1 vol.
La Maison d'un artiste au XIXe siècle 2 vol.
Les actrices du XVIIIe siècle: Mme Saint-Huberty 1 vol.
—— Mlle Clairon (3e mille) 1 vol.
—— La Guimard 1 vol.
—— Sophie Arnould 1 vol.
Les Peintres japonais: Outamaro. —Le Peintre des Maisons vertes, 4e mille 1 vol.
Hokousaï (peintre), (2e mille) 1 vol.

GONCOURT (Jules de)

Lettres, précédées d'une préface de H. Céard (3e mille) 1 vol.

GONCOURT (Edmond et Jules de)

En 18** 1 vol.
Germinie Lacerteux 1 vol.
Madame Gervaisais 1 vol.
Renée Mauperin 1 vol.
Manette Salomon 1 vol.
Charles Demailly 1 vol.
Sœur Philomène 1 vol.
Quelques créatures de ce temps 1 vol.
Pages retrouvées, avec une préface de G. Geffroy (3e mille) 1 vol.
Idées et sensations 1 vol.
Préfaces et manifestes littéraires (3e mille) 1 vol.
Théâtre (Henriette Maréchal.—La Patrie en danger) 1 vol.
Portraits intimes du XVIIIe siècle. Études nouvelles d'après les lettres autographes et les documents inédits 1 vol.
La Femme au XVIIIe siècle 1 vol.
La duchesse de Châteauroux et ses sœurs 1 vol.
Madame de Pompadour, nouvelle édition, revue et augmentée de lettres et documents inédits 1 vol.
La Du Barry 1 vol.
Histoire de Marie-Antoinette 1 vol.
Histoire de la Société française pendant la Révolution 1 vol.
Histoire de la Société française pendant le Directoire 1 vol.
L'Art du XVIIIe Siècle, 1re série (Watteau.—Chardin.—Boucher.—Latour) 1 vol.
2e série (Greuze.—Les Saint-Aubin.—Gravelot.—Cochin) 1 vol.
3e série (Eisen.—Moreau-Debucourt.—Fragonard.—Prudhon) 1 vol.
Gavarni. L'Homme et l'Œuvre 1 vol.
Journal des Goncourt. Mémoires de la vie littéraire (8e mille) 9 vol.

Paris.—L. Maretheux, imprimeur, 1, rue Cassette.—13914.

LA MAISON
D'UN
ARTISTE

PAR

EDMOND DE GONCOURT


TOME PREMIER


NOUVELLE ÉDITION


PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11


1898
Tous droits réservés

PRÉFACE

En ce temps où les choses, dont le poète latin a signalé la mélancolique vie latente, sont associées si largement par la description littéraire moderne à l'Histoire de l'Humanité, pourquoi n'écrirait-on pas les mémoires des choses au milieu desquelles s'est écoulée une existence d'homme?

Edmond de Goncourt

Auteuil, ce 26 Juin 1880.

LA
MAISON D'UN ARTISTE


PRÉAMBULE

Sur le boulevard Montmorency, au no 53, s'élève une maison portant, encastré dans son balcon, un profil lauré de Louis XV, en bronze doré, qui a tout l'air d'être le médaillon, dont était décorée la tribune de musique de la salle à manger de Luciennes, représenté dans l'aquarelle de Moreau que l'on voit au Louvre. Cette tête, que quelques promeneurs regardent d'un œil farouche, n'est point,—ai-je besoin de le dire?—une affiche des opinions politiques du propriétaire, elle est tout bonnement l'enseigne d'un des nids les plus pleins de choses du xviiie siècle qui existent à Paris.

La porte noire, que surmonte un élégant dessus de grille de chapelle jésuite en fer forgé, la porte ouverte, du bas de l'escalier, de l'entrée du vestibule, du seuil de la maison, le visiteur est accueilli par des terres cuites, des bronzes, des dessins, des porcelaines du siècle aimable par excellence, mêlés à des objets de l'Extrême-Orient, qui se trouvaient faire si bon ménage dans les collections de Madame de Pompadour et de tous les curieux et les curiolets du temps.

La vie d'aujourd'hui est une vie de combattivité; elle demande dans toutes les carrières une concentration, un effort, un travail, qui, en son foyer enferment l'homme, dont l'existence n'est plus extérieure comme au xviiie siècle, n'est plus papillonnante parmi la société depuis ses dix-sept ans jusqu'à sa mort. De notre temps on va bien encore dans le monde, mais toute la vie ne s'y dépense plus, et le chez-soi a cessé d'être l'hôtel garni où l'on ne faisait que coucher. Dans cette vie assise au coin du feu, renfermée, sédentaire, la créature humaine, et la première venue, a été poussée à vouloir les quatre murs de son home agréables, plaisants, amusants aux yeux; et cet entour et ce décor de son intérieur, elle l'a cherché et trouvé naturellement dans l'objet d'art pur ou dans l'objet d'art industriel, plus accessible au goût de tous. Du même coup, ces habitudes moins mondaines amenaient un amoindrissement du rôle de la femme dans la pensée masculine; elle n'était plus pour nous l'occupation galante de toute notre existence, cette occupation qui était autrefois la carrière du plus grand nombre, et, à la suite de cette modification dans les mœurs, il arrivait ceci: c'est que l'intérêt de l'homme, s'en allant de l'être charmant, se reportait en grande partie sur les jolis objets inanimés dont la passion revêt un peu de la nature et du caractère de l'amour. Au xviiie siècle, il n'y a pas de bibeloteurs jeunes: c'est là la différence des deux siècles. Pour notre génération, la bricabracomanie n'est qu'un bouche-trou de la femme qui ne possède plus l'imagination de l'homme, et j'ai fait à mon égard cette remarque, que, lorsque par hasard mon cœur s'est trouvé occupé, l'objet d'art ne m'était de rien.

Oui, cette passion devenue générale, ce plaisir solitaire, auquel se livre presque toute une nation, doit son développement au vide, à l'ennui du cœur, et aussi, il faut le reconnaître, à la tristesse des jours actuels, à l'incertitude des lendemains, à l'enfantement, les pieds devant, de la société nouvelle, à des soucis et à des préoccupations qui poussent, comme à la veille d'un déluge, les désirs et les envies à se donner la jouissance immédiate de tout ce qui les charme, les séduit, les tente: l'oubli du moment dans l'assouvissement artistique.

Ce sont ces causes, et incontestablement l'éducation de l'œil des gens du xixe siècle, et encore un sentiment tout nouveau, la tendresse presque humaine pour les choses, qui font, à l'heure qu'il est, de presque tout le monde, des collectionneurs et de moi en particulier le plus passionné de tous les collectionneurs.

VESTIBULE

Un riant pavé en marbre blanc et en marbre rouge du Languedoc, avec, pour revêtement aux murs et au plafond, un cuir moderne peuplé de perroquets fantastiques dorés et peints sur un fond vert d'eau.

Sur ce cuir, dans un désordre cherché, dans un pittoresque d'antichambre et d'atelier, toutes sortes de choses voyantes et claquantes, de brillants cuivres découpés, des poteries dorées, des broderies du Japon et encore des objets bizarres, inattendus, étonnant par leur originalité, leur exotisme, et vis-à-vis d'un certain nombre desquels je me fais un peu l'effet du bon Père Buffier quand il disait: «Voilà des choses que je ne sais pas, il faut que je fasse un livre dessus.»

Ça, une petite jardinière à suspension, fabriquée d'une coloquinte excentrique, dont la tige tournante et recroquevillée est une tige de bronze qui a la flexibilité d'une liane; cette grande planchette fruste de bois, toute parcourue des tortils d'un feuillage de lierre, exécuté en nacre et en écaille: le porte-éventail qui tient dans l'appartement l'éventail ouvert contre le mur; cette petite boule de porcelaine jaune impérial si délicatement treillagée: la cage au grillon ou à la mouche bourdonnante, que le Chinois aime suspendre au chevet de son lit; et cette plaque de faïence figurant une branche de pêcher en fleur, modelée à jour dans un cadre de bois en forme d'écran, vous représente la décoration de l'angle religieux et mystique d'une chambre de prostituée de maison de thé, l'espèce de tableau d'autel devant lequel elle place une fleur dans un vase.

Des broderies du Japon, ai-je dit plus haut, c'est là, dans leurs cadres de bambous, la riche, la splendide, l'éclairante décoration des murs du vestibule et un peu de toute la maison. Ces carrés de soie brodés appelés fusha ou foukousa font la chatoyante couverture sous laquelle on a l'habitude, dans l'Empire du Lever du Soleil, d'envoyer tout présent quelconque, et le plus minime, fût-il même de deux œufs[1]. Les anciens foukousas fabriqués à Kioto[2] sont des produits d'un art tout particulier au Japon, et auxquels l'Europe ne peut rien opposer: de la peinture, de vrais tableaux composés et exécutés en soie par un brodeur, où sur les fonds aux adorables nuances, et telles qu'en donne le satin ou le crêpe, un oiseau, un poisson, une fleur se détache dans le haut relief d'une broderie. Et rien là dedans du travail d'un art mécanique, du dessin bête de vieille fille de nos broderies à nous, mais des silhouettes d'êtres pleins de vie, avec leurs pattes d'oiseau d'un si grand style, avec leurs nageoires de poisson d'un si puissant contournement. Quelquefois des parties peintes, peintes à l'encre de Chine, s'associent de la manière la plus heureuse à la broderie. Je connais, chez Mme Auguste Sichel, une fusée de fleurs brodée dans un vase en sparterie peint ou imprimé, qui est bien la plus harmonieuse chose qu'il soit possible de voir. M. de Nittis a fait un écran, d'un admirable et singulier carré, où deux grues, brodées en noir sur un fond rose saumoné, ont, comme accompagnement et adoucissement de la broderie, des demi-teintes doucement lavées d'encre de Chine sur l'étoffe enchanteresse. Et dans ce vestibule, il y a, sur un fond lilas, des carpes nageant au milieu de branchages de presle brodées en or, et dont le ventre apparaît comme argenté par un reflet de bourbe: un effet obtenu par une réserve au milieu du fond tout teinté et obscuré d'encre de Chine. Il est même un certain nombre de foukousas absolument peints. J'ai coloriée, sur un crêpe gris, dans l'orbe d'un soleil rouge comme du feu, l'échancrure pittoresque d'un passage de sept grues, exécuté avec la science que les Japonais possèdent du vol de l'échassier. J'ai encore, jetées sur un fond maïs, sans aucun détail de terrain, deux grandes grues blanches, à la petite crête rougie de vermillon, au cou, aux pattes, à la queue, teintés d'encre de Chine. Et ne vous étonnez pas de rencontrer si souvent sur les broderies la grue, cet oiseau qui apparaît dans le haut du ciel aux Japonais comme un messager céleste, et qu'ils saluent de l'appellation: O Tsouri Sama, Sa Seigneurie la Grue.

Cependant le foukousa proprement dit est brodé, entièrement brodé, et semblable à celui-ci qui représente un coq et une poule avec ses poussins. Voici l'échevèlement du plumage pleureur du coq, le duvetis de la plume naissante d'un poussin monté sur le dos de sa mère, la chair caronculeuse des crêtes, et à toutes les pattes, des ongles faits d'une soie qui joue la corne, de vrais ongles. C'est encore, celui-là, le planement de deux grues parmi des branches de sapin couvertes de neige, avec la blancheur vivante de l'animal, si bien différenciée de la blancheur mate et morte de la neige; ou enfin ce dernier: sur un fond de soie azur, l'argentement vague et tout lointain du Fusi-yama, avec au dessous, tout seul dans l'espace et semblant voler dans l'air célestement bleu des altitudes, un faucon, les ailes déployées.

Et tous les sujets, les Japonais les tentent et les réalisent en broderie. Ils font le tableau de sainteté, le tableau de genre, que j'aime moins que le reste,—l'humanité en étant toujours médiocre,—et le paysage et la caricature. En ce dernier genre, est-il une composition plus drôlatique que cette troupe de rats costumés en Japonais, tirant à elle, au bout d'un câble d'or, une immense rave blanche, au haut de laquelle une rate s'évente voluptueusement?

Une des représentations que les Japonais réussissent le mieux après les animaux, c'est la représentation de la nature morte. Regardez, sur ce fond cendre verte, ces trois éventails ouverts imitant trois éventails en papier doré, avec le relief de leur dessin gaufré, et dans un coin l'attache d'un petit cornet de papier d'où sort un bouquet de fleurettes. L'éventail est un objet familier pour lequel l'artiste de là-bas a une prédilection, et il revient souvent sous l'aiguille des brodeurs. Voyez cet autre foukousa, où sur un fond rose turc sont déployés deux éventails blancs brodés de paysages. Il présente, ce carré, une particularité charmante. Le fond, dont le dessin damassé figure des bambous, montre ses bambous roses dans la marge, blancs dans la réserve des deux éventails. Un autre foukousa étale sous vos yeux, au milieu de pétales de fleurs, des albums avec le fac-similé de la mosaïque de leurs couvertures et le cordonnet extérieur de leur reliure; et dans un coin se trouve un râteau en bambou, et dans l'autre un balai, que tiennent parfois un vieil homme et une vieille femme, l'Adam et l'Ève du Japon, et qui sont, comme la grue et la tortue, des porte-bonheur dans les intérieurs. Sur celui-ci pendent trois kakemonos: une branche d'arbuste fleuri, une vue du Fusi-yama, un personnage saint appuyé sur un cerf blanc. Le foukousa le plus remarquable de la série est un carré de soie rouge, sur lequel sont deux coffrets dorés de la plus fine sculpture, d'où se détortillent de grosses cordelières bleues, se perdant parmi des coquilles à l'intérieur laqué, et qui, bâillant demi-ouvertes, laissent entrevoir de minuscules Japonaises dans des jardins roses[3]. C'est dans cette broderie la plus étonnante imitation à la fois d'une ciselure d'or et d'un fin ouvrage de laque polychrome; et la soie sous les doigts de ces merveilleux brodeurs pour cette figuration, et la figuration de tout au monde, se prête à des travaux à plat, à des travaux de chaînette, de cordelette, à de petits carrelages, à de petits cloisonnages, à des entremêlements, à des entre-croisements, à des habiletés de métier incroyables, qui arrivent au pelage d'un quadrupède, au plumage d'un oiseau, à l'écaille d'un reptile, au pulpeux, au charnu presque d'une fleur de magnolia s'entr'ouvrant.

Toutefois le plus extraordinaire foukousa que je possède, et le plus beau que je connaisse parmi tous ceux que j'ai vus, représente deux pigeons, l'un entièrement blanc, l'autre mi-roux, mi-blanc, tous deux avec des pattes et des yeux roses. Je ne sais pas comment c'est fait, et par quel artifice des fils de soie arrivent à être de la plume si réelle, mais la lumière joue sur le plumage des deux pigeons comme sur un plumage naturel[4].

Un des côtés curieux de cet art industriel dans la reproduction réaliste de la nature, c'est l'introduction d'éléments de pure fantaisie, c'est, par exemple, l'emploi de l'or, de cette chose qui ne se trouve ni dans les végétaux ni dans les animaux, et que les brodeurs savent si bien marier à de vraies couleurs de nature, si bien incorporer dans leur brillant trompe-l'œil. Ainsi voici, sur du blanc, une langouste, dont le fond n'est pas seulement moucheté d'or, mais dont toute la carapace est éclaboussée de parcelles dorées, qui se font très bien accepter et imitent, à s'y tromper, la lumière granuleuse et micacée d'une carapace[5]. Voici encore, sur de la pourpre, une jonchée de grosses fleurs jaunes où toutes les nervures du feuillage sont en or, sans que le bouquet perde de sa réalité. Et voilà,—audace encore plus extraordinaire,—voilà, sur un fond cerise, un pêcher au tronc rocailleux, coquillageux, tout brodé d'or, et qui, sans que cette orfèvrerie choque, semble, avec ses petites pousses vertes et ses fleurettes blanches, un arbuste de métal poussant une végétation de feu d'artifice.

Mais au fond la qualité supérieure de ces broderies et leur remarquable originalité, c'est d'être des choses tissées, tenant d'une manière intime au grand art du dessin, et dans lesquelles les brodeurs japonais luttent avec les peintres, travaillent à obtenir sur la soie des effets qui sont du domaine exclusif de la peinture, tentent,—le croirait-on?—avec l'aiguille à broder, l'ébauche, l'esquisse, la croquade. Vous trouvez dans des foukousas des parties restées volontairement à l'état de première idée, au milieu du fini du reste, des lointains touchés avec quelque chose de la liberté heureuse et volante d'un pinceau qui pose des tons, sans les assembler, et dans les ciels, des volées d'oisillons pareils à ces accolades faites en courant de deux coups d'une plume écrasée. Dans cet ordre de confection artistique, je possède un carré des plus intéressants. Sur une soie gros bleu, sillonnée de bandes pourpre, imitant les eaux de la mer éclairées des derniers feux du soleil couchant, nage, en se jouant, une bande de cormorans indiqués seulement par des traits brodés, tantôt en soie noire, tantôt en soie blanche, tantôt en or, avec sur les têtes une touche de couleur également brodée: un foukousa qui donne l'illusion d'un croquis d'artiste, où il n'y aurait encore sur le papier que de vagues contours et des taches. La broderie conçue et exécutée ainsi n'est plus de l'industrie, mais bien un peu de l'art.

Les beaux foukousas ne sont presque jamais sur ce bleu dur de soie légère, qui sert de fond aux foukousas modernes: ils s'enlèvent sur des satins épais comme des cuirs, sur des gros grains teints de bleu céleste, de vert poreau[6], de ventre de biche, de feuille morte, de jaune maïs, de rose groseille, etc. Ils ont aussi, en général, au lieu de leur doublure en crêpe de Chine rouge assez commune, des envers de soie damassés d'or et d'argent, où parfois se trouvent dans un coin les armoiries d'un prince. Une remarque curieuse faite par moi sur les vieilles broderies: les yeux des animaux sont faits en soie. C'est un point noir dans un ton brun ou bleu,—quelquefois recouvert d'un morceau de verre dans un petit rond de métal,—mais seulement chez les plus ordinaires. Les yeux en émail indiquent en général une origine moderne. Autre remarque: les foukousas que j'ai rencontrés sur fond noir, soie ou velours, sont toujours d'une qualité exceptionnelle. Les anciens foukousas portent quelquefois, mais très rarement, la signature ou le cachet du brodeur. Les deux pigeons sont signés: Shiko.

Parmi ces bibelots orientaux, une merveille française, un bas-relief de Clodion!

Un satyre agenouillé, un seul genou en terre, d'un bras nerveux entourant les deux jambes d'une bacchante nouées autour de son cou, est prêt à soulever la folle et jeune rieuse, qui, glissée au bas de ses reins et mollement renversée en arrière, s'appuie d'une main sur l'épaule d'un petit faunin, se haussant sur la pointe du pied.

La jeunesse et la gracilité de la fille des bois et des vignes, le modelage de ses petits seins rigides et de son ventre douillet, l'ingénu et voluptueux abandon de son attitude, le rythmique agencement des lignes gracieuses, l'art délicat et spirituel d'esquisse de la sculpture, le parti tiré de la demi-ronde bosse et de ses amincissements gradués, la caresse dans la glaise des détails de la tête, des mains, des mignons petits pieds se raidissant, enfin la science de cette œuvre facile, qui pourra la bien dire?

Cette terre cuite est une de mes bonnes fortunes des ventes publiques. L'expert avait inséré dans son catalogue: «Tout ferait supposer que ce bas-relief est de Clodion s'il n'était pas signé Michel», et encore il ne disait pas avec une faute d'orthographe. L'expert ignorait que le vrai nom du sculpteur est Michel, et qu'il n'a jeté ce surnom de Clodion au bas de ses œuvres qu'à une certaine époque de sa vie.

SALLE A MANGER

Une porte du vestibule ouvre à droite dans la salle à manger: une vraie boîte comme je les aime, et où ne se voient ni murs ni plafond sous les tapisseries.

Une suite de panneaux qui décorait autrefois un pavillon de musique dans un jardin, s'est trouvée, une suite qui recouvre, sans qu'il y manque un pouce, les quatre parois avec leurs angles coupés. Ces tapisseries, exécutées sur les dessins de Leprince et de Huet, mettent contre les murailles un paysage de fantaisie, où se mêle le rustique théâtral de Boucher aux perspectives de terrasses à balustres de Lajoue, aux lointains d'île enchantée de Watteau. Et le paysage de convention est peuplé par une création adorablement mensongère: des gardeuses de moutons enrubannées, des Tircis poudrés à blanc, des fileuses de campagne aux engageantes de dentelle, des chasseresses vêtues de l'habit rouge de Vanloo dans sa partie de chasse, et de petits paysans faunins chevauchant des chèvres: tout ce monde détaché d'un fond blanc, de ce fond précieux qui est l'enveloppement, l'atmosphère tendre des jolies tapisseries du xviiie siècle, et dans l'harmonie crémeuse duquel, sous les jeux du jour, le rose, le bleu, le jaune soufre sont à tout moment sillonnés de l'illumination brillantée de la soie transperçant la laine. Riants tableaux qu'encadrent, courant sur un vert, couleur de vieille mousse, des arabesques enguirlandées de chutes de fleurs et de lambrequins amarante. Au plafond, c'est une tapisserie d'Aubusson représentant la composition de Lancret gravée sous le nom de l'Adolescence. Malheureusement, cette tapisserie achetée à Munich en 1873, et sans doute prise en quelque château français pendant la guerre,—et qui n'avait guère moins souffert que la France,—fut si malheureusement réparée à deux reprises différentes, qu'il a été nécessaire de prier l'ami Eugène Giraud de la repeindre un peu,—et peut-être l'a-t-il repeinte avec trop de générosité?

Sur ces murs de peinture tissée qui ne souffrent aucune décoration, rien que deux grands bras en bronze doré, mettant sur le panneau du fond leur riche serpentement contourné, et dressant leur feuillage de rocaille, d'où la bobèche sort et s'épanouit comme l'efflorescence vigoureuse jaillissant du resserrement et du nœud d'une branche. Un beau et libre travail de bronze doré, qui n'a dans sa perfection quoi que ce soit du fini sec, du travail perlé moderne.

Le merveilleux art industriel que l'art des Meissonier, des Gouthière, et de tant de grands inconnus, pétrisseurs de bronze doré, fabricateurs de ces robustes et élégantes choses qui ont l'air de sculptures tournées dans un or malléable! Quel assouplissement de la matière rebelle, et les habiles caresses des ciselets sur cette fonte qui perd sa rigidité et prend quelque chose de la mollesse de son modèle en cire! Ces bronzes dorés, j'en possède quelques-uns qui sont de remarquables échantillons de la large facture de Meissonier, et de la facture précieuse des bronziers de la fin du siècle. J'ai dans mon antichambre un portoir, un des plus purs spécimens de cette rocaille, au départ semblable au dos bombé et sinueux d'un coquillage, et qui se creuse, et se renfle, et ondule, et serpente, et se branche, et se termine en des tiges ornementales qui ont pour boutons de fleurs ces perles longues qu'on dirait les larmes de la sculpture. Et l'or de ce portoir, si tranquille et si reposé en son éclat sourd, cet or qui a, pour lui, cette patine que le temps apporte aux vieux métaux! Parmi mes porcelaines de Chine est une gourde plate en céladon, montée dans le temps, et dont la monture est une des plus délicates montures du xviiie siècle. La gourde, au socle et au goulot à palmettes, est enguirlandée du flottement léger, soulevé par parties, et comme battant contre le vase, de quatre rameaux de branchages étoilés de fleurettes, attachés en haut sur les côtés par des nœuds de rubans, et s'entrecroisant au rentrant des deux panses de la gourde. Et là-dessus une dorure mate imitant le chagriné de la feuille, et au milieu de laquelle brille seulement le bruni des pétales. Parmi mes bijoux en bronze doré, n'oublions pas une paire de flambeaux en forme de carquois dont les perles, les branches de lauriers, un entrelacement de myrte aux grains brillant dans les intersections des feuilles, les ailettes du carquois, sont de cette ciselure inimitable, poussée au dernier fini, et qui, en son net détachement, n'a rien de coupant.

Mais à la description de ces bronzes dorés, il faut joindre la description des bronzes, où le bronze florentin des corps nus de femmes et d'hommes et d'enfants s'allie avec tant de goût aux accessoires dorés. Voici une paire de candélabres, un premier exemplaire des modèles bien connus de Clodion: le faunin aux pieds de bouc et la petite fille couronnée de pampres, tous deux si joliment à cheval sur la double branche du candélabre et semblant s'y balancer. Le beau gras et le chaud ton obscur du bronze au milieu de l'or du socle, de l'or de ces deux bras pareils à des thyrses tordus d'où pendillent des raisins dans de la vigne! L'intelligente entente de l'ornementation, et le soin et l'amour avec lesquels l'ouvrier du temps a parfait sa tâche, et le riche objet d'art que sont ces deux candélabres, qui ont cependant,—signature de l'époque,—de simples écrous en fer pour le rattachement des pièces! Ces deux candélabres ont pour milieu, sur la cheminée du petit salon, un Cupidon, dont je ne connais pas de double, et que je ne sais à quel sculpteur français du xviiie siècle attribuer. Debout, la tête baissée, le corps fléchi en avant, son carquois d'or tombé sur un socle de marbre blanc, il essaye du bout d'un de ses doigts le piquant d'une flèche. Un Amour qui n'a rien des rondeurs de Boucher, mais un Amour élancé à la longueur éphébique de ces génies de l'Hymen, dressés en haut des lettres de faire part de mariage de la fin du siècle, un bronze d'un modelage des plus savants et dont les jambes ont la filée ressentie des jambes d'un bronze italien du xvie siècle.

Un mobilier des plus simples que le mobilier de la salle à manger: une table et huit chaises sculptées par Mazaros à ses débuts, et encore dans les angles coupés deux meubles de deux civilisations bien différentes.

L'un est une servante en bois de rose, aux angles de bronze doré, à la galerie de cuivre entourant la tablette de marbre blanc: la servante sur laquelle successivement ma grand'mère et ma mère se sont fait apporter leur chocolat. L'autre meuble, c'est un grand écran, derrière lequel les daïmios se tiennent dissimulés à la porte de leur habitation: un panneau de trois pieds de hauteur merveilleusement sculpté sur les deux faces, et dont un côté représente un pêcher en fleurs, et le revers un rocher fleuri d'iris d'eau.

Sur la cheminée, entre la rocaille argentée de deux flambeaux à trois branches portant les armes d'un cardinal, luit dans la blancheur polie du Paros un petit marbre de Falconet: une baigneuse à moitié accroupie, à moitié agenouillée, et essuyant, de la torsade de ses cheveux ramenée et épandue sur sa poitrine, une goutte d'eau restée au bout d'un de ses seins, dans un ramassement du torse, où apparaît, délicieusement tortillée, la grâce abattue, fluette, allongée de son petit corps. Une sculpture où il y a du Corrège dans une matière, pour ainsi dire, voluptueuse, et que la lumière pénètre presque comme de la chair vivante.

Cette statuette, ces tapisseries éclairées du doux feu des bougies d'un lustre et de candélabres, alors qu'elles garnissaient notre ancienne salle à manger de la rue Saint-Georges, ont vu de gais dîners, de gais soupers. Janin, Gautier, Murger, de Beauvoir, Gavarni qui arrivait toujours en retard, et à qui on mettait une montre dans son assiette pour lui reprocher son inexactitude, et encore de très spirituels gens, pas du tout célèbres, ont été charmants de verve et de gaieté entre ces tentures. Il y avait en ce temps à la cave un certain Léoville, et un extraordinaire Saint-Péray, achetés à une vraie vente de diplomate, qui mettaient les convives en joie et en aimable folie, et avec ces deux vins nous possédions une cuisinière très forte sur le pudding, la pasta frolla, le kari, et nombre de plats étrangers vers la confection desquels elle était poussée par une vocation bizarre, une curiosité d'exotisme culinaire. Elle avait, cette espèce d'artiste passionnée pour son art, une cuisine qui parlait à l'imagination de l'estomac: qualité rare! Et vraiment l'on faisait, dans notre petit quatrième, du manger pas ordinaire à Paris. Les Parisiens dînent de l'architecture des plats montés, du damassé du linge, de l'éclat des cristaux, des fleurs qui sont sur la table, de la cravate blanche des domestiques, mais de beurre à 30 sous la livre, mais de vin ordinaire qui vient de chez le marchand de vins d'à côté; mais de poisson aux arêtes imprimées en bistre sur les filets, les malheureux ne se doutent en aucune façon! Il n'y a positivement que les provinciaux ou les hommes d'origine provinciale pour avoir ce qu'on appelle la gueule fine, et pour aimer la cuisine délicate, la cuisine que font seulement les femmes. Un gourmand émérite, M. de Montalivet, même en ses ministères, n'eut jamais de chef. Moi donc, qui suis de la province que je regarde comme la province des plats cuisinés, fricotés, mijotés avec le plus d'amour et d'art, j'avais eu l'ambition d'introduire à mes dîners un peu de vraie cuisine lorraine. Et pour cela j'accomplissais presque une œuvre méritoire: je faisais venir à mes frais à Paris, et m'engageais à loger et à nourrir pendant tout le carême, un vieux cordon bleu des Vosges, ancienne cuisinière d'évêque, demeurée très dévote et prise de la tentation de faire un carême dans la capitale, où elle n'était jamais venue. Il s'agissait de la bisque d'écrevisse et du salmis de bécasse! Me comprenez-vous bien? d'une bisque qui ne fût pas cette odieuse panade de crevettes et de blé de Turquie colorée avec quelques gouttes d'une teinture pourpre, mais un vrai beurre d'écrevisse obtenu avec les coquilles pilées et sur lequel sont étalées les plus belles queues; d'un salmis de bécasse qui ne fût pas cette ratatouille avec une liaison rousse, mais un salmis parfumé de baies de genièvre, dans une vraie sauce de coloriste, une sauce chaudement noire, où il y a comme des yeux d'huile.

Dans ce temps, il faut le dire, nous étions deux: c'était presque un ménage qui recevait.... Aujourd'hui la salle à manger d'Auteuil n'est plus que la salle à manger d'un vieil homme seul, qui aime mieux la salle à manger des autres.

PETIT SALON

Pauvre petit salon! Que de tristes et anxieuses journées passées entre ses murs, d'où l'ébranlement du canon faisait tomber les cadres, au milieu des livres ficelés en paquets, et près de ce feu de bois vert, le feu parisien des mois de décembre et de janvier 1870-1871!

Ce salon était à la fois ma chambre à coucher, ma cuisine et tout, et j'y vivais en compagnie d'une poule, la dernière survivante de six volailles: toutes les provisions que j'avais faites, hélas!—moi qui mange avec les yeux, et ne pouvais m'habituer au rose noirâtre de la viande des tire-fiacres.

Cette poule ou, pour mieux dire, cette poulette, toute blanche, et joliment cailloutée, et coquettement huppée, était bien la plus impudente petite bête que j'aie jamais rencontrée, sautant sur la table, au moment où on me servait à déjeuner,—quel déjeuner, mon Dieu!—et de deux coups de bec rapides comme deux éclairs, nettoyant la moitié du maigre plat. La petite misérable pondait, mais il n'y eut jamais moyen d'avoir d'elle un œuf; il n'était pas sorti de son corps qu'il était avalé! Et l'amusant spectacle qu'elle me donna, quand nous arrivâmes à ce pain qui ressemblait à un cataplasme lardé de cure-dents. Elle commençait à jongler avec les petits morceaux qu'on lui jetait, à la fois dédaigneuse et colère, puis elle gémissait, puis elle pleurait, demeurait rognonnante toute la journée, et ne se décidait à manger le pain du siège que le soir.

Somme toute, je m'y étais attaché, elle avait des allures si gamines, des remuements de la huppe si crânes, des familiarités si drôlettes, elle donnait à ses gloussements, à son caquetage un langage si humain; elle grimpait avec tant de gentillesse le long de mon corps, pour de là s'élancer sur la cheminée, et donner force coups de bec furibonds à la glace qui lui montrait une autre elle-même!

Bref, tous les matins, je la peignais au peigne fin... et ne pouvais me résoudre à la manger.

Cependant les moineaux et même les merles, en oiseaux intelligents, avaient disparu de Paris, ne s'offrant plus aux coups de fusil; j'avais dévoré mes poissons rouges; la mairie d'Auteuil venait de nous délivrer pour moi et ma domestique une petite queue de morue salée qui devait faire notre nourriture pendant trois jours; le pain était inavalable: il fallut prendre un parti. Je dis à ma domestique de tuer Blanche. Elle ne savait pas, elle n'avait jamais tué d'animaux. Moi pas plus, et je voulais faire passer de vie à trépas la bestiole sans la faire souffrir. Longtemps je cherchai le moyen, quand je me rappelai avoir à la maison un sabre japonais, dont la trempe, m'avait-on dit, valait la trempe des cimeterres avec lesquels le sultan Saladin coupait en deux un coussin de plumes.

L'instrument de mort était trouvé, et j'appelais la poulette dans le jardin. En ce moment, il y avait dans le ciel un ouragan d'obus prussiens passant au-dessus de la maison pour aller tomber dans le faubourg Saint-Germain; et la poulette interrogeait le ciel avec le regard défiant des bêtes du Jardin des Plantes d'alors,—et qui avaient l'air, du fond de leurs cabanes, de demander si l'orage qui tonnait là-haut depuis deux mois n'allait pas finir. Il faisait aussi le terrible froid de ce terrible hiver, et la frileuse hésitait à se risquer dehors. Enfin la gourmandise triompha, j'avais émietté par terre un peu d'une galette de vraie farine, cuite le matin, sur les carreaux de ma cheminée. Je prenais bien mes mesures, et au moment où elle relevait le cou pour la déglutition d'un morceau un peu plus gros que les autres, avec mon sabre japonais, je lui détachai la tête aussi bien qu'aurait pu le faire un bourreau du pays du sabre... mais ne voilà-t-il pas que la poulette décapitée se met à courir en laissant derrière elle un sillon rouge sur la neige de l'allée, et à travers le jardin aux arbustes cristallisés, dans le jour blême de l'heure entre chien et loup, elle allait toujours sur ses pattes titubantes, battant frénétiquement des ailes,—une aigrette de gouttelettes de sang, au-dessus de son col coupé, à la place de tête.

Cet assassinat est un de mes remords, ... d'autant plus que, je dois l'avouer, elle était horriblement dure, Blanche!


Enfin, un jour, de ce petit salon devenu un poulailler sous le siège, une cible à balles et à obus sous la Commune, il me prit la fantaisie d'en faire une espèce de musée des dessins de l'école française recueillis par mon frère et moi depuis longues années. Faire une pièce dans ma maison: voilà presque toujours, après la publication d'un livre et avec l'argent qu'il rapporte, la récréation, la récompense que je me donne. Bien souvent je me suis dit: Si je n'étais pas littérateur, si je n'avais pas mon pain sur la planche, la profession que j'aurais choisie, ça aurait été d'être un inventeur d'intérieurs pour gens riches. J'aurais aimé qu'un banquier, me laissant la bride sur le cou, me donnât plein pouvoir en un palais qui n'aurait eu que les quatre murs pour lui en imaginer la décoration et le mobilier avec ce que je trouverais, rassortirais, commanderais, avec ce que je découvrirais chez les marchands de vieux, les artistes industriels modernes ou dans ma cervelle. Mais cette profession n'étant pas encore la mienne, je travaille pour mon compte dans des conditions plus modestes. J'ai donc cherché mon nouveau petit salon de façon à faire ressortir le mieux possible des dessins, et des dessins montés en bleu, en ces intelligentes montures dont l'honneur de l'invention revient à Mariette. Après avoir longuement médité, et ainsi qu'on médite un chapitre de livre, je suis arrivé à la conviction qu'il n'y avait que le rouge mat et le noir brillant pour faire valoir les dessins anciens. Et j'ai fait peindre les boiseries, les portes, les corniches en noir, toutefois au poli, et de cette peinture employée pour les panneaux de voiture, et qui dure trois mois par les ponçages successifs, mais qui a le mérite d'enfermer les choses dans des compartiments d'ébène. Restait la tenture et la qualité de son rouge que je voulais mat: c'était là la difficulté. Je me rappelle un jour, sous le merveilleux plafond de Baudry, Mme de Païva me disant à propos de la tenture de son salon dont j'admirais la pourpre profonde:

«Oui... mais voilà l'histoire de ma tenture. J'ai dit au fabricant de Lyon qui me présentait son plus beau et son plus doux échantillon: Monsieur, il me faut une étoffe six fois plus épaisse que celle-ci, pesant six fois plus, vous m'entendez?—Et me faisant apporter un pèse-lettres, j'ai pesé son échantillon devant lui pour qu'il n'y eût pas d'erreur.»

—«Mais, Madame, jamais cela ne s'est fait. Et l'homme me regardait comme une folle.»

—«Eh bien, cela se fera pour la première fois!»

«Je pensais, continua-t-elle, que cette épaisseur qui ferait un cuir de l'étoffe, apporterait au tissu une qualité de couleur qu'il n'avait pas, et vous voyez que je ne me suis pas trompée.»

En effet, Mme de Païva avait eu raison, mais la tenture coûta 800,000 francs, et moi je devais trouver quelque chose d'un peu moins cher. La soie, dans les conditions ordinaires, n'était pas mon affaire; les étoffes de laine se mangent, deviennent facilement violettes, vineuses: il n'y a au fond que les étoffes de coton pour garder leur intense nuance de géranium. Et tout fut couvert d'andrinople. Je risquai même le plafond rouge, une audace! mais qui m'a réussi, et qui, par l'enveloppement complet des dessins dans une coloration une et chaude, en fait saillir les blancs et toutes les clartés laiteuses que tue un plafond de plâtre. Au fond, posons en principe qu'il n'y a d'appartement harmonieux que ceux où les objets mobiliers se détachent du contraste et de l'opposition de deux tonalités largement dominantes, et le rouge et le noir est encore la plus heureuse combinaison qu'un tapissier ait trouvée comme repoussoir et mise en valeur de ce qui meuble une chambre.

Les boiseries ainsi peintes, les murs ainsi tendus, on a refait avec du vieil or la toilette des cadres de chêne sculpté, trouvés en grande partie chez le vieux Goguet de l'ancienne rue de Childebert, sacristain de Saint-Germain-des-Prés, je crois bien, à certaines heures, et brocanteur amoureux de bois doré, le restant de la journée.

Et ce sont sur la rouge muraille, autour des dessins, ces élégants profils, ces délicats rangs de perles sculptées qui ne sont pas comme dans les cadres modernes un chapelet de boulettes de pâte enfilées dans une ficelle, et ces plates bordures aux jolies feuilles d'eau et surmontées d'un écusson, que surplombe tantôt une coquille au milieu d'une chute de fleurettes, tantôt un cartouche dans un nœud de ruban dont les deux bouts retombent de chaque côté.

Là, dans ce petit salon est la plus grande partie de mes dessins, qui couvrent encore les parois du grand salon, montent et descendent l'escalier, remplissent les cartons dans cette chambre et cette autre, et se répandent ainsi par toute la maison.

Cette collection est ma richesse et mon orgueil. Elle témoigne de ce qu'un pauvre diable avec de la volonté, du temps, et en massant un rien d'argent sur une seule chose, peut faire. Une collection de tableaux et très charmante,—elle m'était possible en ce temps;—mais je sentais qu'avec ma petite fortune, je ne pouvais faire qu'une collection secondaire, tandis qu'une collection de dessins, il m'était donné d'en rassembler une qui n'eut pas d'équivalent, qui fut la première de toutes. Et je puis dire sans fausse modestie que mon frère et moi l'avons réalisée, cette collection de dessins français du xviiie siècle! Oui, grâce au dédain de l'époque pour cette école, aux timidités de mes concurrents tous plus riches que moi, et à la résolution bien arrêtée de ne jamais acheter un tableau quelque bon marché qu'on me l'offrît, j'ai pu réunir près de quatre cents dessins montrant l'école française sous toutes ses faces, et presque dans tous ses spécimens, et des dessins qui sont en général les dessins les plus importants de chaque Maître, petit ou grand.

Mais vais-je en passer la revue en courant?... Non, j'aime mieux faire l'honneur de ma collection à mon lecteur, en lui mettant entre les mains le catalogue inédit précédé d'une préface.

PRÉFACE

Qui se rappelle aujourd'hui la vieille place du Carrousel avec tous ces cartons bâillant entr'ouverts à la porte de ses centaines d'échoppes? En 1848, j'y achetais, à seize ans, mon premier dessin, une aquarelle de Boucher: et elles ne sont pas communes, les aquarelles de Boucher. Qui se rappelle les cartons bâillant entr'ouverts sous les arcades de l'Institut, et tout le long des quais, et à l'entrée de cet antre s'ouvrant sous un jardin, là où s'élève aujourd'hui le Journal officiel? Je trouvai là un jour dans un carton à vingt sous, et collés sur une même feuille, neuf croquis de Gabriel de Saint-Aubin pour une illustration du Zadig de Voltaire qui n'a point été gravée. Qui se rappelle les cartons à la porte des bric-à-brac du boulevard Beaumarchais et dans le renfoncement de tous les vieux murs délités et des édifices religieux abandonnés, ainsi qu'autour de cette chapelle Saint-Nicolas, au haut du faubourg Saint-Honoré, où l'étalagiste fixait avec un clou ses plus beaux dessins dans la pierre pourrie? Là, pour une pièce de trois francs, je devenais possesseur d'un de mes jolis Cochin. Car, en ces années, il y avait des dessins partout, des dessins mêlés à de la ferraille, des dessins exposés entre des tire-bouchons sur des bouts de trottoirs, et l'un de mes Watteau me vient d'un vendeur de flèches de sauvages et de têtes d'Indiens boucanées. Donc on rencontrait alors des dessins, et des dessins de l'école française du xviiie siècle chez tous les brocanteurs de vieilleries quelconques. Et j'ai le souvenir lointain d'une regrattière de la rue Jacob à la cornette lorraine, qui, de sa porte quelquefois, me hélait, lorsque je me rendais à l'École de Droit, me disant: «Jeune homme, j'ai pour vous un petit dessin pas cher.» La vieille femme avait flairé un pays à qui elle aimait à vendre.

Et le beau temps des ventes, de ces ventes de dessins en l'hôtel Bullion de la place de la Bourse, en l'hôtel de la rue des Jeûneurs, où dans la solitude de la grande salle, il y avait bien en tout douze personnes, et où un dessin, adjugé à 25 francs, faisait pousser des oh! et des ah! comme pour une adjudication de fou, et où l'enchère était suivie, pendant quelques minutes, de risées, et comme d'éternuments de mépris, par deux ou trois contempteurs de l'école française aux chapeaux roux. Je vois, je vois encore une des premières et malheureuses ventes que faisait, en qualité d'expert, Thoré: vente dans laquelle une série de préparations de têtes de femmes pastellées par notre grand La Tour, et qui n'étaient pas encadrées, et qui n'étaient pas même montées, mais tout bonnement enveloppées de papier de soie dont on entortille les oranges, atteignaient avec une peine extrême 5 et 6 francs. Pas une ne dépassa ce prix. Et longtemps les ventes durèrent ainsi, et longtemps mon frère ou moi, un La Bruyère dans notre poche, pour tromper l'ennui de la vacation, nous allions tour à tour conquérir à vil prix quelque précieux dessin: un dessin comme «l'Épouse indiscrète» de Baudouin, ou les «Négrillons heiduques» de Portail.

Mais alors même les ventes n'apportaient à une collection que quelques dessins. Ce qui la grossissait soudainement, c'étaient les coups, ces acquisitions fortunées d'un marchand arrivant premier après un décès tout chaud, et lorsqu'on avait la chance de tomber dans l'emménagement de l'achat. J'ai dans la mémoire une de ces heureuses affaires faites par Danlos père, et où, pour quelques mille francs, il avait eu un régiment de cartons, bondés des plus curieux dessins et des plus rares estampes,—une collection à se vendre maintenant 500,000 francs. Dans la boutique, une montagne, un entassement de vieux portefeuilles éventrés, d'où se répandaient sur le plancher des morceaux de papier montrant des coins de crayonnages adorables; dans l'arrière-boutique, des amis, des bouteilles, des verres, et la célébration et le joyeux arrosage du marché fêté à la cantonade.

«Eh!... combien ça, monsieur Danlos?»

Et Danlos, au bout de quelques instants, faisant sa rentrée dans la boutique, en se grattant la tête de sa casquette violemment remuée sur son occiput, vous prenait la chose de la main, et la regardant d'un œil vague, et de côté, tout au bout de son bras tendu à la hauteur de sa cuisse, vous disait au hasard un prix fort cher... pour le temps, mais bien bon marché pour aujourd'hui.

Ah! l'heureuse époque pour un collectionneur, que ces années où, du lever au coucher du jour, il y avait chez les marchands d'estampes dix jours entiers à regarder des dessins français, et de quoi pour un homme qui aurait eu plus d'argent que je n'en avais alors dans ma poche, de quoi en charger un fiacre.

Et les pittoresques silhouettes de marchands, hélas! tous défunts.

Tout d'abord le père Blaisot, le descendant du libraire établi au xviiie siècle sur les marches du grand escalier de Versailles, le doyen des marchands d'estampes, qui avait eu d'abord la petite boutique de la rue Guénégaud, puis le long boyau de la rue Taitbout, où furent exposés tant de beaux et précieux dessins, enfin le grand magasin de la rue de Rivoli: un petit homme maigre, toujours en cravate blanche, avec du jovial et du renarré sur la physionomie, et une seule dent dans la bouche. On le rencontrait trottinant dans tous les quartiers de Paris, une gravure, un dessin, une toile sous le bras, qu'il vous mettait sous le nez en pleine rue. Un homme de goût, un connaisseur, le seul tenant dans sa profession pour l'école française, et le seul concurrent redoutable dans les ventes d'alors. Au fond bonhomme sympathique à ses jeunes clients, s'intéressant à leurs collections. Une des dernières fois que je l'ai vu avant sa mort, c'était le 8 septembre 1870, un jour où j'étais allé voir les travaux du fort de Montretout. Des 20,000 ouvriers qui devaient remuer la terre, il y en avait bien en tout deux ou trois cents, mais que regardait, avec une inquiétude suffisante, le père Blaisot, en cravate blanche, d'une petite vigne toute chargée de ceps de raisins noirs: une vigne, sa propriété où était arrêtée la construction de la maison dans laquelle sa vieillesse voulait respirer l'air pur de la colline, après avoir respiré tant d'air putride de salles de vente.

Un autre singulier petit homme,—celui-là tout en boule,—était Mayor, le marchand de dessins anglais, qui, dans sa figure rondelette et blême, avait deux petits yeux noirs, assez semblables à des pépins, dans un quartier de poire, et un nez qui était comme une gousse de piment. Perpétuellement à cheval sur Londres et sur Paris, Mayor avait ses dessins dans de grandes boîtes, et vous les montrait au fond d'un appartement aussi sombre que les boutiques des anciens marchands de drap de Paris. Debout devant vous, il tirait de ses boîtes posées sur le parquet des dessins qu'il vous présentait, et cela indéfiniment. Vous aviez beau demander grâce, il allait toujours avec la régularité mécanique d'un automate, un sourire en fer à cheval d'une caricature du Punch, et un nez qui, par l'afflux du sang à sa tête à tout moment penchée à terre, passait de la couleur écarlate à la couleur aubergine. Je soupçonne mon ami Mayor d'avoir parachevé bon nombre de Watteau que le Maître avait laissés à l'état de croquis.

Mais parlons un peu du vieux Guichardot, du temps de ma jeunesse, où il habitait la rue Saint-Thomas du Louvre, en un logis qui était le vrai cadre de l'original personnage.

Une rue d'ombre et de silence, où rarement s'aventurait le soleil, où jamais ne passait une voiture. Guichardot avait dans cette rue une boutique, une espèce de resserre rustique, aux volets clos, et contre les murs de laquelle montaient jusqu'au plafond des cartons, des cartons, des cartons comme je n'en ai vu nulle part, et tout remplis de dessins de toutes les écoles et qu'on n'avait jamais songé à débrouiller. Là dedans, c'était une odeur de papier moisi, délectable et prometteuse pour un amateur. Avec une lenteur qui désespérait votre impatience, Guichardot vous apportait une chaise cassée, puis un carton qu'il plaçait dans une filtrée de jour venant de la porte de la rue entre-bâillée, et dénouait longuement, longuement les cordons... Enfin, au milieu de l'effarement de cloportes fuyant dans tous les sens à travers les dessins, commençait la séance. Lui, placé derrière vous, regardait par-dessus votre épaule chaque dessin que vous regardiez, avec un regard énigmatique de son bon œil. Les heures passaient, une nuit rembranesque remplissait la boutique, une pénétrante humidité vous tombait sur les épaules comme une petite pluie invisible, la fatigue de voir commençait à vous venir... et lorsque vous vous retourniez, et que vous retrouviez cet œil narquois, et cet autre bouché par un morceau de taffetas noir, et cette houppelande qui avait des blanchiments imitant le salpêtre sur un vieux mur, il vous venait le sentiment d'avoir dans le dos un être fantastique: le gnome des vieux dessins.


Oui, pour terminer, rien n'était plus facile et à meilleur marché, dans ce temps, que de faire une collection de dessins français du xviiie siècle: seulement, il y avait dans l'atmosphère un si énorme dédain pour cette école, les gens que vous connaissiez faisant de la peinture, vous plaignaient avec des regards si tristes, vous passiez pour un homme tellement privé de goût par les Dieux, qu'il fallait avoir un grand mépris de l'opinion des autres, pour la faire, cette collection!

COLLECTIONS DE DESSINS DE GONCOURT

PEINTRES, SCULPTEURS, DESSINATEURS, VIGNETTISTES, ORNEMANISTES, ARCHITECTES DU XVIIIe SIÈCLE

Anonyme.—Sur un fond d'architecture, entre deux colonnes torses entourées de guirlandes de fleurs, un voile tendu par deux amours; en haut, au milieu, un petit cartouche représentant Jésus amené devant Caïphe; en bas, le lavement des pieds des Apôtres prenant tout le bas de la feuille de papier.

Dessin à la sanguine et à la pierre d'Italie[7].

Encadrement de page d'un livre religieux, dont le texte devait être imprimé sur le blanc et le vide du voile.

Manière de Hallé.

H. 34, L. 22.

—Même entourage; en haut, cartouche représentant l'Annonciation; en bas, le prophète Élie avec un aigle à ses pieds.

Dessin à la sanguine et à la pierre d'Italie.

Même destination que le précédent.

Manière de Hallé.

H. 31, L. 22.

Anonyme.—Sous de grands arbres, au bord d'une rivière, une Diane dormant nue au milieu de ses nymphes.

Bistre sur crayonnage.

Manière de Callet.

H. 23, L. 26.

Anonyme.—Une femme, un pied sur un banc, et qu'un jeune homme soulève, l'aidant à atteindre un bouquet de cerises; un homme couché à terre et regardant sous les jupes de la femme.

Lavis à l'encre de Chine sur trait de plume.

Manière de Queverdo.

H. 21, L. 17.

Anonyme.—Un sultan assis, les jambes croisées sur un divan, une aigrette de rubis à son turban; derrière lui trois Turcs, dont l'un fume.

Aquarelle sur trait de plume.

Manière mélangée de Liotard et d'Hilaire.

H. 25, L. 31.

Anonyme.—Zéphyr caressant Flore couchée à terre. Faune surprenant une nymphe endormie sur son urne.

Dessins sur papier jaune, à la pierre noire estompée, rehaussée de craie.

Ces deux dessins dont j'ai vu autrefois les tableaux, non signés, chez Évans, marchand de curiosités, sont faits dans la première manière de Vien.

H. 9, L. 25.

Anonyme.—Une vue des nouveaux boulevards, pleine de monde qui regarde un Arlequin, au son d'un violon, balancer un coq sur une corde.

Encre de Chine, très légèrement lavée d'aquarelle.

École de Huet.

H. 27, L. 34.

Adam (Lambert-Sigismond). Le sculpteur auquel Mariette reproche «de faire tout en sorte que tout forme trou dans ses ouvrages», le dessinateur facile et tourmenté.

—Fontaine, au pied formé par deux dauphins rejetant l'eau que versent, au sommet, deux amours aux extrémités de poissons. Tout autour du vase, orné de masques, court une frise représentant des jeux d'amours.

Bistre sur trait de plume.

Signé: Adam.

H. 40, L. 25.

Amand (Jacques-François). Un artiste que l'on ne connaît guère que par la petite eau-forte insérée dans le «Dictionnaire des graveurs» de Basan, un peintre qui a eu l'ambition de refaire pour son temps, dans une suite de grands dessins, les intérieurs d'artisans de Bosse qu'il peuple d'ouvriers à la tournure d'apôtres,—des ressouvenirs de peintre d'histoire, transportés dans la vie familière du xviiie siècle. Deux des dessins de cette suite, le Menuisier et le Doreur, mentionnés dans le catalogue du graveur Le Bas, se retrouvaient à la vente de M. Laperlier.

—Dans un atelier aux poutres du plafond soutenues par des colonnes de pierre, des ouvriers sont occupés à des travaux de menuiserie. Au premier plan, à gauche, une femme agenouillée remplit un panier de copeaux[8].

Dessin lavé à l'encre de Chine sur trait de plume.

Signé sur un rabot posé à terre: Amand.

Gravé par Chenu et Le Bas de la même grandeur sous le titre: l'Atelier du sieur Jadot établi dans l'emplacement de l'ancienne église de Saint-Nicolas.

Vente Lebas et Laperlier.

H. 33, L. 44.

Aubry (Étienne). Des dessins dans la manière de Greuze, lavés avec le bistre de Fragonard, mais qui n'ont pas la fougue du dessin du premier, ni la chaleur du procédé du dernier; le bistre en les dessins d'Aubry ne fait que des salissures[9].

—Dans une chambre de la campagne, une dame faisant embrasser par un garçonnet en matelot un tout petit enfant, que tient sur ses genoux une jeune femme; à gauche est assis un gentilhomme jouant avec une grande canne; à droite, derrière la chaise de la visiteuse, une vieille paysanne et un vieux paysan se tenant debout.

Bistre.

Gravé par De Launay, sous le titre: les Adieux a la nourrice. Le tableau a été exposé au Salon de 1777, et depuis a fait partie de la collection de M. Boitelle.

Vente Valferdin.

H. 39, L. 48.

—Femme tenant contre elle un enfant effrayé à la vue d'une souris, que lui montre, dans une souricière, une autre femme agenouillée.

Bistre.

Portant la marque A G P B, la marque de M. de Bizemont, fondateur du Musée d'Orléans.

H. 28, L. 24.

Bardin. Un dessinateur du nu, plus anatomiste et moins conventionnel que ses contemporains.

—Au milieu de femmes ivres, aux mains garnies de cymbales, un corybante dansant, en agitant au-dessus de sa tête un tambour de basque.

Camaïeu de gouache sur papier jaune réservé pour les lumières.

Signé: Bardin, 1776.

Vente Tondu.

H. 32, L. 16.

Baudouin (Pierre-Antoine). Je ne puis que répéter ce que j'ai déjà dit: c'est que la gouache de Baudouin n'a rien du petit art fini et pourléché de Lawreince, mais que ses gouaches sont esquissées dans la pâte à l'eau, ainsi que Fragonard esquissera, plus tard, ses nudités dans la pâte à l'huile. Et j'ajouterai que toute gouache finie, pinochée, qui a perdu le caractère d'esquisse, n'est pas un Baudouin ou n'est plus un Baudouin. Je vais m'expliquer sur cette dernière phrase. Il y a un certain nombre de Baudouin qui ont un dessous vrai, mais qui n'ont que cela, avec une peinturlure bête par dessus, et je citerai la «Soirée des Thuileries» venant du baron de Saint-Vincent, où il n'y a plus guère du peintre, à l'heure qu'il est, qu'un peu de la femme et son gant long; je citerai encore «le Coucher de la mariée» ayant appartenu à Roqueplan, où la touche de l'artiste n'est plus retrouvable que sur la garniture de la cheminée. Les gouaches de Baudouin, ces peintures fragiles, un moment abandonnées à l'humidité des fonds de magasins et même à la pluie des quais, ont généralement beaucoup souffert et ont été restaurées pour le goût de ceux qui les achetèrent bien avant les artistes, pour les vieux polissons. Puis au fond il n'a jamais existé de restaurateur capable de faire revivre l'esprit, le faire d'ébauche de ces sortes d'ouvrages. Non, disons-le encore, jamais on ne rencontre chez Baudouin le travail du dessus de tabatière, le joli peiné de la gouache courante; au contraire, il préfère au plaisant du métier, aux agréables et fausses colorations du genre, des couleurs qui visent à la solidité, à l'intensité, à la vérité de la peinture à l'huile, et les «Soins tardifs», de ma collection, sont un curieux spécimen du sérieux introduit, dans la gouache, par l'artiste si maltraité par le vertueux Diderot. Mais s'il y a beaucoup de Baudouin repeints, il est encore un plus grand nombre de copies du temps, exécutées dans une coulée sans transparence, sans rupture de tons, à l'apparence mate et plâtreuse de papier peint, et parmi lesquels je classerai les gouaches jusqu'ici connues du «Confessionnal» et du «Catéchisme». Parmi tous les Baudouin que j'ai vus, je ne connais de Baudouin originaux et sincères, en dehors de ceux catalogués ici, que sa gouache de réception d'une exécution très faible, le croqueton du «Fruit de l'Amour secret» gardé dans un carton du Louvre, un second exemplaire avec différences de «l'Épouse indiscrète» provenant de la vente du baron Saint-Vincent et possédé par M. Edmond de Rothschild[10].

—Une femme, cachée par un amas de matelas jetés sur un fauteuil, épiant son mari, qui prend la gorge d'une chambrière, renversée sur le lit qu'elle était en train de faire.

Gouache.

Gravée en réduction par Simonet, sous le titre: l'Épouse indiscrète. Elle est gravée avec changement: la femme, agenouillée dans la gravure, est debout dans le dessin.

Provenant de la collection Paignon-Dijonval, dans le catalogue de laquelle cette composition est cataloguée sous le no 3542.

H. 33, L. 29.

—Un gouverneur pénétrant avec son élève dans une chambre à coucher, où se voit, sur un lit, une femme dormant presque nue.

Aquarelle sur trait de plume.

Gravé par de Ghendt en réduction et avec changements dans la suite des Quatre parties du Jour, sous le titre: le Matin.

Vente Prault, où cette aquarelle est décrite sous le no 43, et seconde vente Tondu.

H. 25, L. 20.

—Une jeune villageoise et son amant surpris dans un grenier, au milieu de leurs ébats amoureux, par la mère de la jeune fille, dont la tête apparaît dans l'ouverture d'une trappe.

Gouache.

Gravé par De Launay sous le titre: les Soins tardifs.

Vente Tondu.

H. 29, L. 22.

—Une femme à sa toilette, dont un coiffeur accommode les cheveux, pendant qu'une fille de chambre l'éclaire avec une bougie; un gentilhomme accoudé sur la toilette.

Croquis à la plume, lavé d'aquarelle.

Première idée du sujet gravé par Ponce, sous le titre: la Toilette, mais différente de la composition définitive.

H. 23, L. 18.

Beugnet. Un de ces ignorés dessinateurs, dont je crois que toute l'existence artistique est révélée par «la Marchande de bouquet et la Marchande de noix à la guinguette», deux estampes mentionnées dans le catalogue de Paignon-Dijonval, et la présence dans ma collection, de deux grandes et mauvaises gouaches, très curieuses pour l'iconographie de la Révolution. L'une d'elles est incontestablement l'Ile d'Amour de Belleville, bal devenu une mairie, et qui avait conservé, dans sa cour, le kiosque de treillage de mon dessin, existant encore il y a une vingtaine d'années. Elles ont encore un intérêt, ces deux gouaches datées de 1793: elles vous donnent la représentation du bonnet rouge élégant de ces années, du bonnet, pour ainsi dire, des muscadins du temps, une espèce de bonnet à la houssarde, au gland tombant sur le côté, bleu de ciel, bordé d'une large bande rouge.

—Un cabaret de la Courtille sous la Terreur.

La façade est surmontée d'un écusson flanqué de drapeaux, tricolores et couronné d'un bonnet rouge. Aux tables du jardin, des femmes, des enfants, des civils, des militaires boivent, mangent, font l'amour. Sous l'ombre de grands arbres, un orchestre composé d'un violon, d'un cor, d'une basse, fait danser une contre-danse à quatre couples. Au premier plan est assis sur une table un militaire, le casque sur la tête, en habit à parements rouges, en gilet et en culotte jaunes, en bas bleus.

Gouache.

Signé: Beugnet, 1793.

H. 35, L. 53.

—L'Ile d'Amour.

Sous un pavillon de treillage surmonté d'un bonnet rouge, un couple danse. Les tables sont peuplées de femmes au petit bonnet de linge noué d'un ruban, aux amples fichus croisés sur la poitrine, et d'hommes poudrés en carmagnole de couleur tendre, en élégant bonnet rouge. Un homme, tout habillé de rose, donne le bras à une femme tout habillée de bleu, et qui porte sur la tête une sorte de chapeau de pierrot, entouré d'une guirlande de roses. Une femme qui a une ceinture tricolore, s'évente, un pied posé sur un tabouret, tout en causant avec des gardes nationaux. Au premier plan, à gauche, dans un appentis, un garçon cabaretier verse le vin d'un broc dans un litre d'étain.

Gouache.

Signé: Beugnet, 1793.

H. 35, L. 53.

Blarenberghe (Louis-Nicolas). On connaît le faire microscopique de cet artiste de tabatières et de boîtes. Aurait-il fait parfois des choses plus larges? Voici un dessin qui a tout l'air d'un Lepaon, et que je n'aurais jamais songé à attribuer à Blarenberghe, si je n'avais trouvé chez M. Edmond de Rothschild la gouache terminée et, je crois, signée. Malgré cela, je n'ai pas une bien entière confiance dans mon attribution.

—Course de chevaux dans la plaine des Sablons. Au premier plan des gentilshommes à chevalet des carrosses, dont l'un est attelé de six chevaux.

Croquis à la plume, lavé à l'encre de Chine, avec les figures de second plan et le paysage seulement indiqués à la pierre noire.

La gouache de M. Edmond de Rothschild porte la date de 1782.

H. 26, L. 64.

Boilly (Louis-Léopold). Dessinateur, dont les grandes aquarelles de scènes bourgeoises, aux contours d'une calligraphie facile, aux colorations par larges teintes plates étendues sur des ombres uniformément préparées à l'encre de Chine, ne manquent pas d'un certain effet dû à la simplicité du procédé, de l'effet qu'obtenait avant lui, dans ses humoristiques lavis en couleur, l'Anglais Rowlandson.

—Dans une rue de Paris, par une pluie battante, un mari, donnant la main à deux enfants, et suivi de sa femme et de sa fille, qui tient un parapluie sur la tête de sa mère en toilette de soirée, traverse une passerelle jetée sur un ruisseau. A gauche, un homme du peuple causant avec une cuisinière.

Dessin sur trait de plume, rehaussé d'aquarelle sur lavis d'encre de Chine.

H. 32, L. 40.

Boissieu (Jean-Jacques de). Un Hollandais de Lyon retrouvant parfois, en ses laborieux lavis à l'encre de Chine, les habiles petits coups de lumière des grands maîtres des Pays-Bas.

—Un groupe d'arbres, éclairés sur leurs cimes, par une lumière frisante qui vient de la gauche, et projetant leurs ombres à terre; au fond, un lointain montagneux du Lyonnais.

Lavis à l'encre de Chine.

Signé: D. B. 1793.

H. 12, L. 24.

Boquet. C'est le dessinateur officiel des Menus-Plaisirs, l'imaginateur, pendant toute la seconde moitié du xviiie siècle, de tous les costumes et travestissements pour les opéras représentés et les bals de la cour. Un trait de plume ou de crayon à la Eisen, mais encore plus cursif, balayé de quelques touches à l'aquarelle jetées à la diable, et voilà sur le papier pour le costumier un ingénieux, coquet, lumineux habillement. Et ces croquis ont encore, pour l'histoire du costume au théâtre, de précieuses indications écrites de la main de Boquet au bas de chacun d'eux. On connaît trois recueils de ces précieux dessins: l'un qui faisait partie de la collection d'estampes de M. Devéria, et qui a été acquis avec sa collection par le cabinet des Estampes, un autre qui a été acheté 5,500 fr. par les archives de l'Opéra, à la vente du baron Taylor, le troisième qui est chez moi.

—Sophie Arnould, en costume d'Eucharis dans l'Opéra des «Caractères de la Folie».

Aquarelle sur plume.

Le dessinateur des Menus a écrit au bas de son croquis: Mlle Arnould. Eucharis. 2me entrée. Fond de petit satin rose à bandes tamponnées, bandes de gaze d'Italie aussy tamponnées bordées de rézeau d'argent frisé; la gaze d'Italie traversée de bandes de satin découpées, bouillonnées de nœuds par distance de satin rose; une frange d'argent avec un rézeau sur la teste; vêtement de dessous d'argent; mante de satin rose imprimé.

H. 24, L. 15.

—Recueil de 106 costumes et travestissements exécutés pour les opéras représentés à la cour et les bals de la Reine.

Opéra. Le chant.—Mlle S. Arnould, 3 costumes pour l'opéra d'Argie.—Mlle Duplant, 1 pour le Prologue des Amours des Dieux.—Mlle Chevalier, 2 pour Acis et Galatée, etc.—Mlle Dubois, 2.—M. Pillot, 1 pour les Caractères de la Folie.—M. Cassaignade, 2 pour le Fragment de l'acte Turc, etc.—M. Legros, 2 pour Persée, etc.—M. Larrivée, 1 pour les Romans. La danse.—Mlle Guimard, 8 pour les opéras de Persée d'Azolan d'Ismenias, etc.—Mlle Lyonnois, 3 pour la pantomime des Suivantes de la Mode, etc.—Mlle Peslin, 3 pour Tancrède, Orphée, etc.—Mlle Vestris, 4 pour les Talents Lyriques.—Mlle Heinel, 1 pour Anacréon.—Mlle Allard, 3.-Mlle Lany, 1 pour Dardanus.—Mlle Mion, 1.—M. Vestris, 4 pour Cythère assiégée, etc.—M. Dauberval, 4 pour la Provençale, etc.—M. Lany, 2.—M. Laval, 1.—M. Léger, 1.—M. Gardel, 1.—M. Dupré, 1. Et encore des costumes d'acteurs et d'actrices chantant dans les chœurs, de danseuses et de danseurs, de figurants, de comparses, et de personnages intitulés «un Ruisseau», «un Plaisir», «un Monstre né du sang de Méduse»; puis de nombreuses feuilles de groupements d'acteurs et d'actrices, ou d'actrices seules, comme la figuration par Mlles Audinot, Duperré, Dervieux, du groupe des trois Grâces dans l'opéra d'Atalante. Enfin, des croquis préparatoires de la mise en scène, avec des légendes ainsi rédigées: «Un abbé apprenant à jouer de la flûte avec son maître; le maître est havre sec (sic), l'abbé gros, joufflu, avec de gros sourcils noirs

Comédie française, Mlle Doligny, 1 pour la Princesse de Navarre.

Bals de la Reine. La comtesse de Boufflers, 1.—Le duc de Bourbon, 1.—Le duc d'Avray, 1.

Tous ces dessins, sauf deux exécutés à la mine de plomb, sont croqués à la plume, et le plus souvent, enlevés au pinceau trempé d'encre de Chine et lavés d'aquarelle.

Borel (Antoine.) Le dessinateur et le vignettiste galant, qui de la volupté spirituelle de ses maîtres, fait la volupté bête et pataude, qui est le caractère et la signature de ses dessins et de ses tristes lavis.

—Un repas dans la campagne, où sur une table dressée sous de grands arbres, au milieu de paysans auxquels on distribue du vin, deux gentilshommes trinquent avec de jeunes villageoises.

Dessin à la plume, lavé d'encre de Chine et par dessus d'aquarelle.

Signé: Borel.

H. 22, L. 30.

Bouchardon (Edme). Le dessinateur que les monteurs de dessins du temps appelaient Apeliotès, dans le cartouche de leur encadrement; le dessinateur dont de simples contre-épreuves dépassaient 700 livres à la vente Mariette; le dessinateur à la filée savante du contour, à l'éphébisme de la ligne dans le nu académique, à la carrure puissante du trait dans l'habillé de ses Cris de Paris; oui, celui-là, si haut placé par le xviiie siècle, et si digne d'estime à toutes les époques, aurait-on pu penser qu'il tomberait si bas, que le dessin de ma collection,—et un dessin de cette même vente Mariette,—serait acheté 2 sous par Gavarni, dans sa jeunesse, étalé où? sur le boulevard du Temple, dans la boue!

—Un monstre ailé, sur des nuages, semant des fleurs.

Sanguine.

Au bas du dessin, de l'écriture de Bouchardon: le Vent d'orient.

Il porte la marque de Mariette, et était catalogué sous le no 1121 de sa collection.

H. 39, L. 28.

Boucher (François)[11]. Le sentiment et le rendu de la chair de la femme, de sa vie frémissante, de sa molle volupté, en dessin aussi bien qu'en peinture, c'est le talent de Boucher et qui n'appartient qu'à lui seul. A ce don joignez la perception du désordre pittoresque, du fouillis du paysage, qui fait du peintre de Mme de Pompadour un révolutionnaire dans la nature académisée et le feuillage à cinq doigts du xviie siècle. Et ce nu féminin et ce rustique de la campagne de son temps, Boucher le formule sur le papier avec toutes les adresses et toutes les habiletés imaginables, et vous trouverez, dans ma collection, des académies de femmes qui vont au maître des maîtres de la chair, à Rubens, et des paysages matutineux faits d'une caresse d'estompe d'une modernité qui étonne[12]. Vous y rencontrerez aussi presque tous ses procédés, même un spécimen de peinture à l'essence sur papier, et, une chose tout à fait rare, une aquarelle à la tonalité d'une vieille tapisserie passée. Ils sont nombreux et de belle qualité, les Boucher, en ma maison d'Auteuil, et cependant il m'en manque un, auquel je pense de temps en temps, comme on pense à une femme qu'un rien stupide vous a empêché de posséder. Il y avait en ce temps, dans la dernière boutique du quai Voltaire qui touche à l'École des Beaux-Arts, un marchand de tableaux et de dessins, un vieux Hollandais du nom de Steinhaut, méprisant très fort l'école française, et dans l'escalier noir duquel j'ai trouvé mon Moreau de «Marie-Antoinette se rendant à Notre-Dame». Un jour cependant je voyais exposé à son étalage un Boucher, une merveille, un tout petit portrait de Mme de Pompadour, miniaturé au pastel, dans un encadrement d'amours et d'attributs d'art de la plus large facture, pardieu! un Boucher, dont je retrouvais plus tard la description dans le catalogue de la collection de M. Sireul, celle que l'expert désignait sous le nom du Portefeuille de M. Boucher. Je marchandai le dessin au bonhomme Steinhaut: il me disait qu'il était honteux, qu'il s'était laissé entraîner dans une vente,—je crois, la vente de M. de Cypierre,—qu'il l'avait payé beaucoup trop cher, et m'engageait à ne pas acheter son dessin. La nuit, je ne pouvais dormir et avais tout le temps, dans mes yeux fermés, ledit Boucher. Le lendemain matin, après avoir réuni les 160 francs demandés du dessin, je courais quai Voltaire: le Boucher était vendu à un Anglais, et je sortais de chez mon Hollandais avec l'âpre et l'enragé désir des choses qui vous sont enlevées. A quelques jours de là, passant sur le quai, Steinhaut m'appelait du seuil de sa porte, et me disait que son Anglais était dégoûté du dessin, qu'il me le céderait au prix qu'il l'avait payé, que c'était convenu, que je n'avais qu'à y aller un dimanche matin, jour où j'étais sûr de le trouver. Le dimanche suivant, j'étais de fort bonne heure à l'adresse de l'Anglais. Une affaire imprévue par hasard l'avait forcé de sortir, et je me trouvais en présence d'une longue lady. Elle sonnait, on apportait le Boucher, et je commençais à sortir de mon gilet, avec des doigts tremblants d'émotion, mes huit louis, quand cette Anglaise, qui semblait avoir autant de vinaigre dans le caractère que de couperose sur la figure, s'écria tout à coup: «Mon mari, Monsieur, n'est pas forcé de vendre ce dessin comme vous semblez le croire?»—«Mais non, Madame, rien dans mes paroles...»—«Mais si.»—«Mais non.» Et finalement elle se refusa absolument à me le vendre. Ce n'est pas mon seul desideratum, il me revient en ce moment, dans le souvenir, un dessin de Watteau que moi seul à la vente, où il se trouvait, savais être la première idée de la Conversation, reproduisant le portrait de Watteau et de M. de Julienne, et encore dans une autre vente un vrai bijou, une gouache de Taunay, représentant une chasse à courre en habits rouges, sous la feuillée d'automne d'une forêt, et combien d'autres, hélas!

—Académie de femme nue, vue de dos, hanchant à droite sur ses pieds entre-croisés; une de ses mains est appuyée sur des étoffes, que son autre main soulève.

Dessin sur papier jaune, aux trois crayons, rehaussé de pastel.

H. 36, L. 34.

—Académie de femme nue, vue de dos, le talon du pied de derrière un peu soulevé, et dans le mouvement d'une femme passant une chemise.

Dessin sur papier gris, à la pierre d'Italie, rehaussé de craie.

H. 36, L. 21.

—Académie de femme nue, vue de face, le haut du corps appuyé sur un piédestal sculpté d'amours, les bras relevés au-dessus de la tête et la couronnant.

Dessin sur papier gris, à la pierre d'Italie, rehaussé de craie.

H. 35, L. 19.

—Académie de femme nue, couchée, vue de dos, le haut du corps un peu soulevé, une jambe repliée sous l'autre et dont on voit la plante du pied.

Dessin sur papier jaune relevé de quelques touches de pastel bleu.

H. 28, L. 35.

—L'Adoration des bergers.

Esquisse à l'essence sur papier.

Maquette pour le tableau d'autel de la chapelle du château de Bellevue.

Portant la marque du chevalier Damery et provenant de la vente Villenave.

H. 42, L. 28.

—Une jeune fille encore vêtue de sa chemise, du bout de ses pieds essayant l'eau d'un ruisseau dans lequel elle va se baigner; elle a le bras passé sur les épaules d'une compagne; des amours, à mi-jambes dans l'eau, jouent avec un cygne.

Dessin à la pierre d'Italie.

Gravé à l'eau-forte par Huquier sous le titre: Vénus au bain, en tête du Troisième livre de sujets et pastorales par F. Boucher, peintre du Roy; gravé également en fac-similé dans l'œuvre de Demarteau, no 345.

H. 22, L. 18.

—Jeune femme vêtue «à l'espagnole», assise sur une chaise aux pieds contournés; elle a un collier de ruban au cou, et tient, de la main droite levée en l'air, un éventail.

Dessin sur papier jaune aux trois crayons.

Signé: Boucher, 1750.

Ce dessin, provenant de la collection Niel, passait en 1781 à la vente Sireul, où il était acheté 123 fr. par M. Dulac.

H. 34, L. 24.

—Jeune femme assise dans un fauteuil de profil, tournée à gauche, la tête vue de trois quarts. Un petit bonnet jeté sur ses cheveux roulés, elle tient un écran à la main.

Dessin à la pierre d'Italie[13].

Vente Villot.

H. 34, L. 23.

—Un berger agenouillé retirant les bas d'une bergère en chemise qui va se mettre à l'eau; derrière, une femme qui commence à se déshabiller.

Dessin sur papier jaune à la pierre d'Italie rehaussé de craie.

H. 26, L. 23.

—Jardinière à mi-corps, un grand chapeau de paille sur le haut de la tête, et penchée sur un panier qu'elle tient de ses deux mains.

Dessin sur papier bleu à la pierre d'Italie, rehaussé de pastel.

H. 27, L. 30.

—Bergère assise sous des arbres, et mettant à son chapeau une rose que lui demande un berger; auprès d'elle, une chèvre et des moutons.

Aquarelle.

H. 16, L. 21.

—Un vase à l'anse formée par un masque d'où pend une guirlande de lauriers, sur la panse, un culbutis d'amours, fond de paysage.

Dessin sur papier jaune, à la pierre noire, rehaussé de craie.

Étude pour le vase figurant, dans la composition gravée par Aliamet, sous le titre de la Bergère prévoyante.

H. 26, L. 18.

—Petite passerelle en bois sur laquelle un enfant regarde un autre pêchant à la ligne.

Dessin à la pierre noire, au ciel estompé.

Vente Aussant.

H. 31, L. 23.

—Cour de ferme rustique; sous la treille de la porte ouverte, une mère avec un enfant dans sa jupe, au bas de l'escalier, une femme soulevant une terrine; au premier plan, un homme assis par terre à côté d'un âne.

Dessin à la plume, lavé de bistre, sur un frottis de sanguine.

H. 24, L. 21.

—Près d'une chaumière au toit de chaume, une femme en train de laver dans une auge, sous l'enchevêtrement de petits arbres s'entre-croisant au-dessus d'un puits.

Dessin sur papier gris, à la pierre noire, rehaussé de craie.

Signé à l'encre sur l'auge: Boucher.

H. 24, L. 26.

Caresme (Philippe.) Un bistreur, un aquarelliste, un gouacheur, toujours érotique, volontiers obscène, au dessin lourd, à la grâce mastoc, à la sensualité toute matérielle, et dont l'éternelle bacchanale ressemble à une suite de dessins copiés d'après de mauvais bas-reliefs de la décadence romaine.

—Des satyres courent dans la campagne, portant à cru sur leurs épaules des nymphes nues, la coupe à la main. Au premier plan une nymphe et un satyre sont tombés aux pieds d'un autel, décoré de têtes de bouc.

Dessin à la plume et au bistre.

Signé: Ph. Caresme 1780.

Vente Odiot.

H. 32, L. 53.

Carmontelle (Louis). «L'homme aux profils», un dessinateur qui n'est qu'un amateur, un aquarelliste dont les colorations ont quelque chose des petits tableaux de l'époque, fabriqués en paille colorié; et cependant, malgré tout ce qui lui fait défaut, Carmontelle est intéressant, comme un homme qui a fait poser devant lui la société de son temps, et a recueilli tout ce que donne à un artiste incomplet le d'après nature du dessin. Il faut avouer que ses croquis au crayon noir et à la sanguine sont très supérieurs à ses aquarelles.

—Une femme en robe blanche à fleurettes rouges, en mantelet noir fermé, travaillant les mains couvertes de mitaines. Elle est enfoncée dans une bergère sur le dossier de laquelle s'appuie un homme, le chapeau sous le bras, et a en face d'elle une femme en robe bleue, assise sur le bout d'une chaise et penchée vers elle.

Aquarelle.

J'ai cru longtemps que ces deux femmes étaient Mmes Hérault et de Séchelles, gravées par Delafosse, mon dessin ayant une certaine ressemblance avec la gravure, mais un examen plus attentif m'a convaincu que je m'étais trompé, et que les deux femmes, représentées ici, n'avaient point été gravées.

H. 26, L. 19.

—Un gentilhomme de profil tourné à gauche, le tricorne sur l'oreille, la main enfoncée dans la poche de sa veste.

Dessin au crayon noir et à la sanguine.

Au dos, d'une écriture du temps: M. le chevalier de Meniglaise[14].

H. 20, L. 15.

Casanova. Dessinateur qui, en ses dessins, a un peu de la furia que mettait le Bourguignon dans sa peinture militaire.

—Charge de cavalerie sur une batterie d'artillerie; au premier plan un artilleur, la tête nue, une mèche à la main.

Bistre sur trait de plume.

H. 22, L. 40.

—Près d'un grand arbre, sous lequel est bâti un petit corps de bâtiment, une pyramide surmontée d'une fleur de lys que des gens regardent.

Dessin à la pierre d'Italie, lavé de bistre.

Dans la marge, d'une écriture du temps: Obélisque élevé à Turenne où il fut tué d'un boulet de canon. Esquisse de Casanova.

H. 39, L. 31.

Chardin (Jean-Simon). «Chardin, dit Mariette, ne voulait s'aider d'aucun croquis, d'aucun dessin sur le papier.» Donc les dessins de Chardin sont de la plus grande rareté, et aucun des dessins très terminés, que les catalogues de ventes modernes lui attribuent, ne lui appartiennent. Tout ce qu'on peut espérer rencontrer de sa main, ce sont de hâtives croquades d'une composition, quelques études dans le genre de ce fusain représentant une femme le panier au bras, mentionné dans la collection des dessins de d'Argenville, des études pareilles à mon «Joueur de boule», à la silhouette flottante et comme estompée par le pouce du peintre,—une sanguine qui, par parenthèse, est la seule étude que je connaisse, signée d'une signature authentique.

—Homme coiffé d'un tricorne, de profil, tourné à gauche, une épaule appuyée à un mur, se disposant à lancer une boule.

Sanguine estompée.

Signé: J. B. Chardin 1760.

H. 35, L. 22.

—Un homme montrant la curiosité à deux polissons.

Sanguine avec quelques touches de crayon noir et de craie sur papier jaunâtre.

Au bas, d'une écriture du temps: Chardin, en haut, à droite, de la main de Chardin: demain..... Mouffard... chapon p... detin. C'est sans doute, rognée par le couteau du monteur Glomy, une invitation du peintre à un ami, écrite par lui sur son dessin, pour l'inviter à manger le lendemain un chapon au Plat d'Étain.

Ce dessin passait avec le titre de la Curiosité sous le no 482 à la vente anonyme du 2 mai 1791.

H. 20, L. 22.

—Un jaquet, un petit laquais au grand chapeau aux rebords retroussés, à la houppelande qui lui tombe sur les talons; il désigne de son bras droit étendu quelque chose à la cantonade.

Dessin aux trois crayons sur papier jaunâtre.

Ce dessin, dessiné sur le même papier que «la Curiosité» et monté dans la même monture ancienne, était attribué, par une écriture du temps, à Chardin.

H. 19, L. 10.

—Une vieille femme assise de face, représentée à mi-corps et tenant à deux mains un chat sur ses genoux.

Dessin sur papier jaunâtre, à la pierre d'Italie, rehaussé de craie.

Le dessin portait au dos, d'une écriture du temps, le nom de Chardin.

Première idée du portrait peint, possédé par Mme la baronne de Conantre, un des plus beaux portraits du xviiie siècle et dans la facture à la fois blonde et bitumineuse des Chardin de Vienne. On le dit signé, mais je n'ai pu vérifier la signature.

H. 26, L. 19.

Chasselat. Pauvre illustrateur, dont les dessins d'avant la Révolution sont rares. Ces dessins, qui viennent de chez Masquelier, avaient été attribués à ce petit maître par M. Villot, qui ignorait que Chasselat avait légué, à sa mort, tous ses dessins à Masquelier.

—Jeune femme assise de côté dans un fauteuil, la tête de face tournée à droite, les mains croisées à gauche sur un genou relevé; coiffure bouffante, robe à manches courtes, fichu sur les épaules.

Dessin sur papier jaunâtre, au crayon noir, rehaussé de craie.

Vente Villot.

H. 30, L. 18.

—Femme assise sur un fauteuil de face, un pied dont la pointe est relevée, posé sur un coussin. Coiffure dans laquelle est piquée une rose, ample fichu, rose au corsage à échelle.

Dessin sur papier jaunâtre, au crayon noir rehaussé de craie.

Vente Villot.

H. 30, L. 20.

Cochin (Charles-Nicolas). Le dessinateur issu de ces générations d'artistes, que Marolles appelait les faciles Cochins, l'homme qui dessina pendant soixante-sept ans, se reposant le soir des dessins de commande de la journée par des dessins pour les amis, l'historiographe au trait des Mariages et des Deuils royaux, le profileur des célébrités de son temps, l'estampier de tous les livres illustrés de l'époque, l'alerte crayonneur, dans une silhouette à la Guardi, du petit gentilhomme cambré, de la petite femme à la jupe ballonnante d'alors, et auxquels il fait une physionomie avec quatre points d'encre, le dessinateur à la pierre noire, à la mine de plomb, à la sanguine, au bistre, à l'encre de Chine, à l'aquarelle! Disons, par parenthèse, que Cochin est un assez piètre aquarelliste et dont les grandes aquarelles des Fêtes de cour ne valent pas beaucoup mieux que des enluminures, et Moreau jeune lui-même n'est guère plus aquarelliste que Cochin. De vrais peintres à l'eau, de coloristes tripoteurs du procédé, il n'y a guère parmi tous les artistes français du xviiie, que Baudouin et Gabriel de Saint-Aubin, et encore, dans le paysage, Moreau l'aîné, dont je me rappelle une petite vue du Pont-Neuf, qui avait tous les caractères de modernité d'une aquarelle anglaise de 1830.

Dans la série des Cochin qui sont réunis ici, il en est trois, qui sont de précieux documents pour l'histoire de notre ancienne académie, de son enseignement: ils nous font assister à une séance du modèle, ils nous introduisent dans la salle d'un concours.

—Portrait de Fenouillot de Falbaire; il est représenté dans un petit cadre octogone, surmonté d'un rameau de chêne.

Dessin à la pierre noire.

Signé au-dessous de la tablette: C. N. Cochin delin. 1787.

Gravé par Augustin de Saint-Aubin.

H. 14, L. 9.

—Portrait de Mme Dessaux, femme du premier médecin de l'Hôtel-Dieu de Paris; elle est représentée les cheveux frisés et hérissés autour de la tête, une large cravate de mousseline blanche au cou, la poitrine dans un corsage aux gros boutons et aux revers d'un habit d'homme.

Dessin à la pierre noire.

Signé dans la marge: C. N. Cochin f. delin. 1788.

Le nom de Mme Dessaux, ainsi que celui de son mari sur un dessin qui faisait pendant à celui-ci, était écrit au dos, d'une écriture du temps.

H. 15, L. 11.

—Portrait de femme, de profil, tournée à gauche; elle est représentée dans un médaillon, une fanchon de dentelles dans les cheveux, un collier de fourrure au cou, un mantelet jeté sur son corsage décolleté.

Dessin à la mine de plomb et à la sanguine.

Signé au-dessous de la tablette: C. N. Cochin filius 1759.

H. 17, L. 13.

—Petite société de gentilshommes et de dames parées conversant, en se promenant dans un parc; à gauche, une femme, vue de dos, montre en l'air quelque chose du bout de son éventail fermé.

Aquarelle sur trait de plume.

H. 13, L. 20.

—Salle de spectacle de Versailles garnie de ses spectateurs des loges, du parterre et des musiciens de l'orchestre; le roi est le seul homme assis au milieu des femmes qui garnissent la première rangée du balcon.

Lavis à l'encre de Chine.

H. 31, L. 41.

—Dans le décor et la perspective d'un immense palais, quatre groupes de danseuses et de danseurs, costumés d'une manière différente, exécutent un ballet.

Aquarelle sur trait de plume.

Signé sur le soubassement d'une colonne: Cochin f.

Au dos du dessin se trouve écrit de la main du peintre: Les Amours de Tempé. Ballet héroïque de quatre entrées 1752, à Versailles.

H. 41, L. 60.

—Deux compositions allégoriques: «L'une figurant le mausolée de la Reine de France (Marie Leckzinska) érigé dans l'église de Saint-Denys le 11 aoust 1768 et représentant la France désolée, couchée auprès d'un cyprès, à côté du tombeau de la Reine; l'autre figurant le catafalque de la Reine de France dans l'église Notre-Dame de Paris le 6 septembre 1768 et représentant le cercueil de la Reine, entourée des Vertus qui pleurent pendant que l'Immortalité lui présente une couronne d'étoiles.» (Catalogue de Cochin fils par Jombert.)

Sanguines.

Le second de ces dessins est signé: C. N. Cochin filius delin. 1768.

Tous deux ont été reproduits en fac-similé par Demarteau.

H. 11, L. 22.

La Sûreté, le Péril.—La Simplicité, la Ruse ou la Fourberie.—L'Opinion, l'Entêtement, l'Incertitude.

Les deux premiers dessins à la pierre noire, le troisième à la sanguine.

Ces trois dessins allégoriques ont été gravés dans l'Iconologie par Ponce, Gaucher, Leveau.

H. 9, L. 5.

—Au-dessous du cadre d'un médaillon vide, au haut duquel des amours attachent des guirlandes de fleurs, un génie assis, une main posée sur un livre; au bas, des amours regardent avec des loupes, les tiroirs d'un médaillier.

Sanguine.

Signé: C. N. Cochin del. 1776.

Gravé par Augustin de Saint-Aubin comme frontispice des «Pierres gravées» du duc d'Orléans.

Vente d'Augustin de Saint-Aubin, où il était catalogué sous le no 20.

H. 22, L. 15.

—Sur une estrade, une jeune femme, dans une jupe falbalassée, un soulier au haut talon appuyé sur un coussin, la tête ceinte d'une couronne de lauriers, pose assise au milieu d'un cercle d'élèves-peintres, dessinant le carton sur les genoux. Derrière la femme, trois professeurs dont le plus rapproché du modèle est Cochin.

Dessin sur papier jaunâtre à la pierre d'Italie, rehaussé de craie[15].

Signé dans la marge: Dessiné par C. N. Cochin le fils 1761. On y lit à côté de la signature: Concours pour le Prix de l'Étude des Têtes et de l'Expression fondé à l'Académie royale de peinture et de sculpture par M. le comte de Caylus, honoraire amateur en 1760.

Gravé en réduction sous le même titre par Flipart en 1763.

Ce dessin exposé au Salon de 1767, après avoir appartenu à M. de Caylus, passait chez Chardin où il était vendu sous le no 48 du catalogue de sa vente.

H. 30, L. 39.

—Une femme assise, vue de dos, la tête couronnée de roses, le visage un peu retourné, posant devant trois lignes d'élèves-peintres assis sur des gradins; au fond un professeur debout, la main dans son gilet.

Dessin sur papier jaunâtre, à la pierre d'Italie, rehaussé de craie.

Le même sujet que le précédent, mais moins heureusement composé et abandonné pour le premier.

H. 31, L. 39.

—Séance du modèle d'homme à l'Académie. Le modèle, allongé sur la table, soulevé sur une main, et vu de dos, pose devant les élèves, dont le premier rang est assis à terre, les jambes croisées à la façon du dessinateur de Chardin.

Croquis à la pierre d'Italie sur papier jaunâtre.

H. 36, L. 53.

Coypel (Charles). Quelque chose de fondu, de nuageux dans ses dessins qui sent le pastelliste qu'était le peintre Coypel.

—Près d'une colonne d'un palais, sous un pan de draperie relevée par un gland, une femme dans un costume oriental à l'antique, une coupe à la main, l'autre tendue vers un plateau qu'apportent deux suivantes.

Dessin sur papier bleu à la pierre noire estompée avec rehauts de craie.

Dans le milieu du dessin il semble qu'on distingue les trois lettres C O Y. Est-ce une signature?

H. 36, L. 24.

Dandré-Bardon (Michel-François). Un académique, au dessin dégingandé de la décadence italienne, et qui peuple ses ciels, de génies maniant la foudre avec les gestes et les emperruquements de danseurs de son temps.

—Allégorie. Assise sur le fût d'un canon, une femme a les bras levés, dans un mouvement de reconnaissance, vers un héros suspendu dans le ciel, un rameau d'olivier à la main, et derrière lequel s'envolent les génies de la Discorde.

Dessin à la plume, lavé au bistre sur frottis de sanguine, et rehaussé de blanc de gouache, avec un repentir pour la figure de la femme.

Signé: Dandré Bardon: On lit de l'écriture du peintre, au bas du dessin: Louis XV donne la paix à l'Europe en détruisant par son pouvoir tous les projets de la Discorde; et sur un phylactère déployé par un amour dans le dessin: La paix de 1748.

Répétition du dessin possédé par le Louvre et venant de chez Mariette.

H. 29, L. 19.

—Apollon, une main appuyée sur sa lyre et entouré des Muses, dans une salle fermée par une balustrade, et aux colonnes de laquelle des amours suspendent des tentures.

Croquis à la plume, lavé de bistre.

Signé: Dandré Bardon; et au dos du dessin, de l'écriture du peintre: Parnasse pour le fond de la salle du concert de la ville d'Aix en Provence par M. Dandré Bardon.

H. 20, L. 49.

David (Louis). Parfois, mais rarement, il échappe au semblant d'épure qu'il trace d'un corps humain; cependant dans un portrait,—le portrait est au fond son original et grand talent,—David jette, sur un morceau de papier, modelée dans une encre de Chine brutale et cernée par un trait dur, une physionomie pleine d'une vie intense.

—Portrait de David. Il s'est représenté en buste, de profil, tourné à gauche, les bras croisés. Il a au cou une large cravate blanche, et porte un de ces habits aux amples revers, au haut collet, un habit de l'époque de la Révolution.

Dessin à l'encre de Chine sur trait de plume.

Signé: L. David.

H. 18, L. 18 (ovale).

Debucourt (Louis-Philibert). L'habile et charmant graveur en couleur, aux dessins d'une telle rareté,—du temps qu'il gravait ses femmes en robe blanche et ses hommes en habit rouge,—que je n'ai jamais pu en rencontrer un. Je n'ai vu passer sous son nom que des broutilles fort contestables. M. Jazet lui-même, le descendant de Debucourt, ne possédait guère qu'une assez ennuyeuse étude de la vieille Annette, faite pour le médaillon d'Annette et de Lubin. Et, sauf la Fête de la Fédération, un dessin qui n'est pas terminé,—découvert chez Blaizot par M. Delbergue-Cormont,—on ne rencontre de Debucourt, que des dessins de l'époque du Directoire et de l'Empire, dans lesquels survit bien peu du talent du graveur et du petit peintre de la fin du xviiie siècle.

—Une tabagie, dans laquelle une jeune femme, coiffée d'une calèche ridicule, et qu'un homme cherche à retenir par la taille, se bouche le nez avec la serviette d'un garçon, porteur d'un plat de poisson dont la sauce se répand.

Gouache sur trait de plume.

Ce dessin caricatural a été gravé sans nom de dessinateur, sous le titre: les Goûts différens.

H. 18, L. 29.

—Femme en tunique courte, en jupe transparente, rattachant les bandelettes de sa chaussure.

Aquarelle gouachée.

Gravé sous le titre: le Prétexte (Modes et Manières du jour, no 1).

H. 16, L. 10

Desfriches. Négociant, amphitryon de Cochin qui vient riboter sous les chênes verts de sa Cartaudière, collectionneur, artiste, amateur, inventeur du papier-tablette, aujourd'hui papier Pelée, Desfriches est un agréable paysagiste de la banlieue d'Orléans, avec son branchage rameux, son feuillage étoilé, ses fonds légers, et ses petites lumières égratignées au grattoir.

—Un chemin bordé par deux bouquets d'arbres, sous l'un desquels est une chaumière; au premier plan, un homme soulevant un seau, causant avec une femme.

Dessin à la pierre noire sur papier-tablette.

Gravé en fac-similé de crayon par Demarteau, sous le no 223 de son Œuvre.

H. 15, L. 20.

Desrais (C.-L.). Le premier dessinateur, chez lequel meurt la ligne rondissante et verveuse de la vignette du xviiie siècle dans la ligne raide et sèche de la vignette de la Révolution et de l'Empire.

—Vue de l'intérieur de la salle du Panthéon de la rue de Chartres. Huit danseurs et danseuses groupés, deux par deux, dansent l'Allemande[16] sous les yeux de nombreux spectateurs, amassés autour d'eux ou garnissant les deux balcons circulaires de la coupole.

Lavis à l'encre de Chine sur trait de plume avec quelques rehauts de blanc de gouache. La partie architecturale du dessin n'est lavée que d'un seul côté.

Gravé par Croisé dans le Journal Polytype des Sciences et des Arts du 27 octobre 1786.

Vente Lavalette.

H. 20, L. 14.

Duclos (Antoine-Jean). L'habile graveur qui a produit quelques dessins à la facture petite et gentillette.

—Un homme dépouillé de son uniforme militaire, et que des soldats emmènent.

Bistre sur trait de plume.

Signé: A. J. Duclos invenit 1772.

En bas, dans la marge, de la main du dessinateur: le Déserteur. Oui, je déserte!

H. 15, L. 9.

Dumas. Architecte dont les dessins d'architecture sont animés de petites figures gribouillées sans une trop grande maladresse.

—Représentation de la Halle à la marée au moment de la criée.

Aquarelle sur trait de plume.

On lit dans la marge: Vue en perspective de la Halle à la marée. Cour des Miracles, commencée en 1785 par les ordres de monseigneur de Calonne... de messire Charles-Pierre Lenoir, alors lieutenant-général de police, et finie au mois de juillet 1786, sous les ordres de messire Thiroux de Crosne... par Dumas architecte.

H. 35, L. 51.

—Rentrée d'un régiment de gardes françaises dans une grande caserne, au fronton décoré de fleurs de lys, et au milieu duquel se voit une tête entourée de rayons. Carrosses, chaises à porteur, vinaigrette dans laquelle deux Savoyards traînent une femme.

Aquarelle sur trait de plume.

H. 26, L. 44.

Duplessis-Bertaux (Jean). Le dessinateur que l'Empire appelait son Callot, le dessinateur au dessin mouvementé, incisif, selon l'expression de M. Renouvier, qui lui reproche avec justesse le parti pris de ses corps allongés, de ses bras tendus, du théâtral apporté à ses petites figures. Je possède un dessin intéressant pour l'histoire de ses débuts. C'est le no 368 du cabinet du frère de Mme de Pompadour, un dessin qu'un catalogue postérieur annonce avec cette mention: fait à l'âge de 13 ans[17], et qui, entièrement exécuté dans la manière de Callot, dont il copiait alors les estampes, est un des plus curieux dessins historiques pour l'histoire de Paris du xviiie siècle: une composition énorme représentant en 1762, avec tous ses détails, la Foire Saint-Ovide.

—La Foire Saint-Ovide.

Vue des boutiques établies autour de la place Vendôme et des théâtres forains adossés au piédestal de la statue de Louis XIV. Au milieu du passage des carrosses et de la promenade d'une escouade du guet, nombre de petites figures, parmi lesquelles il y a des marchandes de fruits, des vendeurs d'orviétan, des débitants de moulins à vent pour les enfants. Sur la baraque la plus en vue, on lit ces trois affiches: Le sieur Nicolet fera l'ouverture de son théâtre lundi.—Aujourd'hui Arlequin Racolleur suivi d'un grand ballet pantomime.La grande troupe des sauteurs et voltigeurs de corde, la petite Hollandaise commencera. On distingue encore sur d'autres baraques: Chassinet joueur du Roy.Au Caffé royal.Magasin de toutes sortes de vins de Bourgogne et autres.

Dessin à la plume.

Signé dans la marge: Foire Saint-Ovide. Dédié à M. le marquis de Marigny, conseiller du Roy en ses conseils... Dessiné à la plume par son très humble et très obéissant serviteur Bertaux 1762.

Vente du marquis de Menars, no 368.

H. 41, L. 54.

—Vue d'une fête sous la Révolution. Au fond, derrière des statues de chevaux cabrés, trois temples, le premier dédié à la Paix, le second aux Arts, le troisième à l'Industrie. A droite, en avant d'une espèce de figuration de la Bastille, défile de la cavalerie; au premier plan des hommes du peuple, des enfants, des houssards, des femmes en tunique près d'une vendeuse en plein air.

Dessin à la plume trempé dans le bistre et lavé à l'encre de Chine.

Signé B. D. et dans la marge: Duplessis Bertaux 1794.

Durameau (Louis). Peintre d'histoire qui a souvent cherché dans ses dessins le rembranesque, faisant choix de papier fauve, chauffé de sanguine qu'il lavait de bistre, et dont il éclairait les lumières restreintes, de blanc de gouache. Durameau a fort peu traité de sujets de la vie contemporaine.

—Une partie de cartes, aux bougies, entre deux gentilshommes et une dame.

Dessin sur papier rosâtre, lavé de bistre et rehaussé de blanc de gouache.

Signé: Du Rameau 1767.

H. 17, L. 23.

—Scène romaine au lit de mort d'un mourant.

Dessin sur papier brunâtre à la pierre noire, lavé de bistre et rehaussé de blanc de gouache.

H. 29, L. 22.

—Éole ouvrant l'antre des Vents, qui se précipitent dehors, le visage gonflé par des souffles faisant une tempête autour d'un vaisseau: tempête que regarde, flottante dans le ciel, Vénus descendue de son char attelé de paons.

Dessin au crayon noir et à la sanguine, lavé et rehaussé de gouache.

Signé: Du Rameau 1775.

H. 33, L. 41.

Durand (P.-L.). Dessinateur très peu connu. Sans l'indication, au bas de la gravure de Fessard, de: P.-L. Durand delineavit, j'aurais été tenté d'attribuer ce dessin à un Marillier quelconque.

—Un obélisque sur lequel un amour attache un médaillon de Marie-Thérèse; une figure allégorique de chaque côté, au bas une femme pleurant, la tête d'un amour sur son genou, dans le ciel une Renommée mettant en fuite le Temps. Encadrement composé de palmes et d'amours, surmonté des armes de Marie-Antoinette.

Lavis à l'encre de Chine.

Le dessin porte dans une tablette: Filiæ, uxori, matrique Cæsarum, et dans la marge: Galliarum reginæ pietati, Felix Nogaret Massiliensis et Andegavensis Academiæ socius, inv. urnam... anno M DCC LXXXI.

Dessin commémoratif de la mort de Marie-Thérèse, gravé par Fessard. (Voir la longue description de ce dessin dans Bachaumont, vol. XVII, p. 249 et 250.)

H. 31, L. 22.

Eisen (Charles). Vignettiste inférieur à Gravelot, et trop abondant et trop facile, mais un dessinateur au contour fluide et joliment contourné, et qui a fait dans la traduction d'Anacréon et ailleurs, du nu microscopique que lui seul sait faire: de petites académies de femmes qui dans le cadre d'un cul-de-lampe, apparaissent, ainsi que de grandes études de Boucher, vues par le petit bout d'une lorgnette. Il y a une vingtaine d'années, j'ai acheté chez M. Jaquinot, l'heureux déterreur connu de tous les amateurs, un album où les imaginations d'Eisen sont visibles dans leur première conception et leur vague ébauche: le livre des Pensées de l'artiste, ainsi qu'on s'exprimait au xviiie siècle. Ces croquis, ces pensées étaient les esquisses des compositions, que l'illustrateur soumettait à l'éditeur, et qui, acceptées, étaient reprises par lui, dans des dessins finis très souvent sur peau vélin. Quelques-uns de ces croquis sont curieux, en ce qu'ils portent en marge les changements demandés par l'éditeur et quelquefois les explications et les objections du dessinateur. Outre un certain nombre de croquetons pour les livres illustrés par Eisen, et parmi lesquels il y en a du format d'une pierre gravée, le livre des Pensées d'Eisen contenait des projets de décorations pour lambris de château, la première idée de «la Nuit» et encore la première idée du seul tableau historique que le vignettiste ait jamais exécuté.

—Recueil de 68 croquis reliés en un volume.

Pensées des contes de La Fontaine suivants: Joconde, les Oies du frère Philippe, A Femme avare galant Escroc, le Calendrier des vieillards, On ne s'avise jamais de tout, le Contrat, le Tableau, le petit Chien, etc., et encore les variantes du Berceau, de l'Abbesse malade, etc. Pensées pour les Métamorphoses d'Ovide, la Henriade, les «État actuel de la musique du Roi», etc., etc.

Tous ces dessins sont à la mine de plomb, sauf un seul à la sanguine.

—Apollon et les Muses dans un vallon, au-dessus duquel piaffe Pégase.

Dessin lavé à l'encre de Chine sur trait de plume.

Signé: C. Eisen f.

H. 18, L. 22.

—Vénus entourée de sa cour, descendant sur un nuage, dans les forges de Vulcain, qui la regarde, une main appuyée sur son marteau.

Lavis à l'encre de Chine sur trait de plume.

H. 20, L. 16.

—Dans un bosquet près d'une fontaine, Henri IV aux pieds de Gabrielle d'Estrées, entourée de groupes d'amours jouant avec les armes du Roi; Sully apparaissant dans le lointain.

Dessin à la plume, avec des parties seulement indiquées à la mine de plomb.

Croquis du tableau d'Eisen gravé par de Mouchy, sous le titre: Henri IV et Gabrielle.

H. 18, L. 22.

—Deux enfants en buste, dont l'un a la joue appuyée contre ses deux mains, posées sur une cage.

Dessin lavé à l'encre de Chine sur trait de plume.

Gravé par Louise Gaillard.

H. 11, L. 19.

—Amours attachant, au milieu des plis de deux drapeaux croisés, un écusson représentant un coq, la tête levée vers une étoile, et que surmonte une banderole, où est écrit: Viget audax.

Mine de plomb.

Projet de décoration pour lambris, dans la marge duquel on lit de la main d'Eisen: Charles Eisen pour les panaux de derrière.

H. 32, L. 16.

—Dans une chambre à coucher, où se voit un lit à la couverture faite, une femme assise à sa toilette, et que ses filles de chambre accommodent pour la nuit, cause retournée avec un homme en robe de chambre.

Croquis à la mine de plomb.

Première idée de la composition gravée par Patas, sous le titre de: la Nuit.

H. 24, L. 19.

—Une femme lisant à sa toilette, qu'un amour derrière son fauteuil montre du doigt à un jeune homme qui entre. La scène a un encadrement à cariatides, et au bas des instruments de musique entourant un médaillon, qui contient ces quatre vers:

Dans ce moment cher à mon cœur
Qui m'offre tout ce que j'adore,
Ma belle a l'éclat d'une fleur
Que l'amour vient de faire éclore.

Lavis à l'encre de Chine sur trait de plume.

L'encadrement seul a été gravé dans le temps, sans nom de dessinateur ni de graveur.

H. 20, L. 26.

Fragonard (Honoré). Des imaginations de poète prenant corps dans des taches de la plus belle couleur, en des eaux bistrées d'un bistre chaud, roux, couleur d'écaille.

—Une jeune femme assise de côté et tournée à droite, la tête vue de trois quarts. Habillée d'une robe ouverte sur la jupe, elle a la poitrine enveloppée d'un fichu menteur, et est coiffée, sur ses cheveux relevés et bouffants, d'un pouf; ses pieds reposent sur un coussin.

Dessin estompé sur crayon noir et rehaussé de craie.

Cette étude est le portrait en pied de Rosalie Fragonard, une fille du peintre morte à ses vingt ans, ainsi que l'atteste l'authentification faite par son petit-neveu T. Fragonard, le peintre de la manufacture de Sèvres.

H. 49, L. 35.

—Femme assise sur une chaise de paille de face, la tête de trois quarts tournée à droite. Elle est vue jusqu'à mi-jambes, les mains l'une dans l'autre posées sur ses genoux, et a sur sa robe un mantelet à capuchon bordé d'une large ruche, se croisant sur sa poitrine.

Sanguine.

Signé: Frago. 1785.

Collection Marcille père.

H. 22, L. 17.

—Jeune fille assise par terre, la tête penchée, les bras abandonnés, les jambes croisées sous elle. Coiffée d'un petit bonnet, et habillée d'une robe et d'un mantelet[18], elle se détache d'un drap blanc étendu sur une table à l'effet de faire ressortir le modèle.

Sanguine.

Signé: Frago. 1785.

Collection Marcille père.

H. 22, L. 17.

—Une femme allongée sur un banc de jardin, au dossier à balustres, une joue appuyée sur sa main droite, ses souliers au haut talon posés l'un sur l'autre.

Dessin au crayon noir, légèrement lavé d'encre de Chine.

Signé au crayon: F... g......

H. 31, L. 39.

—Dans un hangar, au fond duquel s'élève une presse, et où travaillent des ouvriers imprimeurs, près d'un gentilhomme qui parle à un homme mettant en page une feuille d'impression, est assise une femme, tenant un masque à la main.

Grisaille à l'essence sur papier.

Un catalogue anonyme des premières années de la Révolution donne cette grisaille comme étant la représentation d'une «Imprimerie secrète».

H. 32, L. 22.

—Un grand-papa dans un fauteuil, une main appuyée sur une béquille, sourit à un enfant tenu par sa mère et qui lui tend les bras; le père est penché derrière le vieillard.

Dessin dans la manière de Greuze, à l'encre de Chine, dessiné et lavé au pinceau.

H. 32, L. 24.

—Dans un cellier, entourée d'enfants, une jeune fille est en train de couper du pain dans une grande miche; un petit garçon, à la courte chemisette, se tient debout devant elle, attendant sa tartine.

Bistre.

Dessin gravé en réduction par De Launay, sous le titre: Dites donc, s'il vous plaît?

Vente Villot.

H. 32, L. 45.

—Sur le pied d'un lit en désordre, où se voit deux oreillers, une jeune femme en chemise est assise, une jambe repliée sous elle, les mains jointes, la tête appuyée au mur; monté sur un escabeau, son chien la regarde tristement.

Bistre rehaussé de blanc de gouache autour de la tête de la femme.

Première idée du sujet gravé en fac-similé par Saint-Non, et au burin par Dennel, sous le titre: S'il m'étoit aussi fidèl (sic).

Porte la marque à froid F. R.

H. 27, L. 37.

—Dans une grange, un peintre en train de peindre une jeune villageoise, et dont le chevalet et la personne sont renversés par la brusque irruption d'un amoureux qui a jeté le modèle sur une botte de foin, où il le tient embrassé.

Bistre.

Gravé en fac-similé par Charpentier, sous le titre: La Culbute.

H. 28, L. 40.

—Un vieillard penché sur des sacs d'argent, que ses mains semblent défendre de la convoitise d'une jeune femme, les regardant par-dessus son épaule.

Dessin sur papier jaune, au crayon noir, rehaussé de brutales touches de pastel.

Vente Villot.

H. 20, L. 22 (ovale).

—Un berger et une bergère s'embrassant près d'un abreuvoir; un taureau les contemple.

Bistre.

H. 23, L. 17.

—Une écurie pleine de l'envolée de volailles, où des jeunes filles s'amusent d'un âne tout chargé d'enfants, et que tire par la bride, pour le faire entrer, un jeune garçon.

Aquarelle relevée de plume.

Signé: Fragonard 1770.

Gravé deux fois par Saint-Non, en 1762 et en 1770.

H. 18, L. 26.

—Paysage au milieu de rochers au pied d'un arbre tordu par le vent; un berger, couché à plat ventre, garde des bestiaux; à droite, une femme tenant sur les bras un marmot et donnant la main à un autre enfant.

Gouache.

Vente Pérignon.

H. 29, L. 42.

—A l'entrée d'une allée de grands arbres, vue d'une fontaine au milieu de laquelle s'élève une colonne surmontée d'une statue; à gauche, une charrette au trot.

Bistre.

H. 16, L. 22.

—Près des remparts d'une ville baignés par une rivière, un petit aqueduc où une roue fait monter l'eau; à droite, de grands arbres sous lesquels se promènent des gens; à gauche, une femme chargée de deux cruches.

Bistre.

H. 19, L. 31.

—Sous l'avance d'une roche, dans un site boisé, des bestiaux boivent à un abreuvoir.

Bistre.

H. 25, L. 30.

—Un four public rempli de femmes apportant leurs pains à cuire, et qu'un homme enfourne.

Bistre.

Sur une poutre de la toiture est écrit, de la main de Fragonard: Four banal de Négrepelisse, octobre 1773.

Et au dos du dessin se lit d'une écriture du temps: Dessin d'Honoré Fragonard fait dans son voyage d'Italie avec M. Bergeret. Du cabinet de M. le duc de Chabot.

Dans le journal manuscrit et inédit, qu'a rédigé Bergeret de ce voyage d'Italie, il fait mention d'un séjour de Fragonard du 12 au 26 octobre 1773, à sa terre de Négrepelisse, près Montauban.

H. 29, L. 37.

—Un escalier de parc italien surmonté de deux statues, et derrière lesquelles s'entrevoit une fontaine monumentale aux eaux jaillissantes. Au premier plan, au milieu de gens couchés à terre, une femme debout tenant une ombrelle.

Sanguine.

H. 22, L. 38.

—Vue de la villa Borghèse, animée de groupes de personnages sous les pins parasols.

Bistre.

Vente Defer.

H. 25, L. 39.

—Des cascatelles, au haut desquelles se voit entre des arbres une rotonde à colonnes; au premier plan, contre le piédestal d'un grand vase où montent des plantes grimpantes, est adossée une femme qui a près d'elle deux enfants.

Bistre.

Le dessin est signé au dos: Honoré Fragonard fecit 1788.

H. 51, L. 37.

—Dans une métairie de la campagne romaine, des enfants dont l'un est monté sur le dos d'un âne, font manger le baudet dans un autel antique, devenu une mangeoire, pendant que près d'une marmite qui bout, montée sur un piédestal, une jeune fille immobile se tient drapée dans l'attitude d'une statue.

Bistre.

Vente du duc de Chabot.

H. 34, L. 46.

Freudeberg (Sigismond). Un singe de Moreau jeune, parfois pas trop maladroit, mais dont la grâce reste en ses meilleures compositions légèrement allemande. Ces deux dessins de l'illustration du «Monument du Costume», en compagnie de cinq ou six autres Moreau de la même suite, étaient passés en Russie: M. Gigoux a eu le bonheur de les y déterrer, et, si je me souviens bien de ses paroles, au prix d'une dizaine de francs chacun, Moreau ou Freudeberg,—et seul, un Freudeberg de cette suite, s'est vendu 5,500 francs à la vente Mahérault.

—Dans une chambre à coucher, une jeune femme, déjà en bonnet de nuit, se fait enlever des épaules par une chambrière son caraco, pendant qu'une autre fille de chambre bassine son lit.

Bistre sur trait de plume.

Gravé sous ce titre: le Coucher par Duclos et terminé par Bosse, dans la «Suite d'Estampes pour servir à l'Histoire des Mœurs et du Costume des Français dans le xviiie siècle».

Vente Gigoux.

H. 28, L. 22.

—Dans un appartement aux lambris délicatement sculptés, une femme couchée sur un sofa, dormant la tête appuyée sur sa main; au dehors, par une porte-fenêtre entr'ouverte, on voit une chambrière lutinée par un gentilhomme, et le repoussant d'une main posée contre sa bouche.

Bistre sur trait de plume.

Gravé sous ce titre: le Boudoir par Maleuvre, dans la «Suite d'Estampes pour servir à l'Histoire des Mœurs».

Vente Gigoux.

H. 28, L. 22.

Gillot (Charles). Le maître de Watteau, un grand talent original à cheval sur l'antiquité et la comédie italienne, un dessinateur élégant et serpentant, un croqueur à la plume pleine de fantaisie, mais qui n'a jamais pu, dans ses dessins faits, se dépouiller de la sécheresse du graveur. Son crayon a quelque chose de la pointe d'un style qui entrerait dans le papier, et ses sanguines vues à distance apparaissent comme des contre-épreuves de fines impressions tirées en rouge.

—Au dessous d'une niche, où est placé le buste du dieu Pan, trois faunesses attirant à elle une panerée de fleurs apportée par un satyre; à droite, à gauche, des épisodes de bacchanale.

Sanguine.

Gravé par Gillot, sous le titre: Feste du dieu Pan.

H. 15, L. 36.

—Sous un drapeau déployé, marchant en bataillon, une troupe d'amours, dont chacun porte, sur son petit corps nu, un accessoire ou un morceau de costume de la Comédie italienne.

Sanguine.

H. 14, L. 21.

Girodet de Roucy Trioson (Anne-Louis). L'artiste aux dessins si en faveur sous la Restauration, si dépréciés aujourd'hui.

—Médaillon aux deux têtes accolées, où le peintre s'est représenté avec sa maîtresse, dessinée les cheveux coupés courts et coiffée en garçon.

Dessin au crayon noir, rehaussé de craie et de blanc de gouache qui a noirci.

Au dos du dessin, l'amant a écrit:

Je n'ai pu de tes traits retracer la douceur
Ni cette grâce enchanteresse
Que leur donnent à la fois ton esprit et ton cœur.
Cependant à mon âme ils sont présents sans cesse,
Et ma main seule est coupable d'erreur.
Mais que du sentiment ce faible et léger gage
Où s'est tracé ton plus fidèle ami
Répète encor après nous, d'âge en âge,
Que mon cœur à ton cœur fut constamment uni[19].

A bien des années de là, sur le papier jauni, la maîtresse prenant la plume, écrivait au bas des vers de son amant:

17 ans après.
Un amour immortel m'entraînait à sa gloire:
J'appris à l'admirer autant qu'à le chérir.
Et c'est pour m'attacher encore à sa mort,
Que j'ai différé de mourir.

Ces quatre lignes sont signées Julie, que suit un nom de famille qui a été gratté.

H. 11, L. 11 (ovale).

Bourguignon dit Gravelot (Hubert-François). Le grand vignettiste du xviiie siècle, un des plus savants dessinateurs de son temps[20], et dont le dessin a cette qualité d'être toujours, en les plus petites choses, un contour flottant et roulant de la forme, et cela encore très souvent cherché sur la chaleur du fond, sur un frottis de sanguine,—une des habitudes à laquelle on reconnaît, sur le papier, les coloristes de l'époque.—Gravelot a enfin une grâce, toujours appuyée sur l'étude de nature, que n'a pas Eisen, fabriquant trop souvent sa grâce de chic. La vente du général Andreossy, en livrant aux enchères de grands dessins trouvés par le général pendant son ambassade en Angleterre, a été une révélation de l'énorme travail de préparation des petites vignettes de Gravelot. Il les cherchait d'abord d'après nature, ou d'après des mannequins articulés qu'il avait fait exécuter à Londres, dans de larges dessins au crayon noir rehaussés de blanc, et tout semblables à des études de Lancret. Cela fait, il les mettait au carreau, puis les réduisait en de petits dessins du format des livres, exécutés à la mine de plomb avec le plus grand fini.

En 1809, à la vente Guyot passait le Portefeuille de Gravelot, le livre de ses croquis. C'est sans doute cette réunion de dessins retrouvée, par M. Danlos fils, qui a été vendue, il y a deux ou trois ans, à M. Bocher.

—Jeune homme en costume de cour, saluant, le tricorne à la main; derrière lui un piédestal, où il y a une femme-sphinx sur le dos de laquelle est assis un amour.

Dessin à la mine de plomb et à la sanguine.

Vente Andreossy.

H. 24, L. 17.

—Jeune homme en costume de cour, le tricorne sous le bras, une main étendue en avant; dans le fond, une architecture de palais.

Dessin à la mine de plomb et à la sanguine.

Ce dessin et le précédent sont frottés de sanguine au revers pour être gravés.

Vente Andreossy.

H. 24, L. 17.

—Dame debout, jouant de l'éventail, tout en s'entretenant avec un gentilhomme qui a le chapeau sous le bras.

Dessin sur papier jaunâtre, au crayon noir estompé, et rehaussé de craie.

Vente Andreossy.

H. 42, L. 34.

—Femme en petit bonnet, en manteau de lit, assise près d'une table de toilette autour de laquelle sont groupées trois silhouettes de jeunes filles, dont l'une semble tenir à la main une houppe; à ses pieds est couché à terre un homme, le coude appuyé sur un tabouret.

Dessin sur papier jaunâtre, au crayon noir, rehaussé de craie.

Vente Andreossy.

H. 28, L. 43.

—Femme couchée dans un lit, dont le pied découvert est manié par un chirurgien pour une saignée. Par une porte ouverte, une fille de chambre entre, portant sur un plateau une chocolatière.

Dessin sur papier jaunâtre, au pinceau trempé dans le bistre, sur estompage de crayon rehaussé de craie.

H. 43, L. 54.

—Deux personnages penchés sur une cuve.

Trait de plume lavé de bistre.

Signé: H. Grav. delin.

C'est un dessin satirique fait par Gravelot en Angleterre, et tiré, je crois, du poème d'Hudibras, et qui porte, en haut de son encadrement rocaille, cette inscription: The itinerant Handy-Craftsman or Caleb turn'd Tinker.

Vente Andreossy.

H. 22, L. 30.

—Une fouille à la porte d'une église d'architecture anglaise, et qui porte, dans une ogive, la date de 1301; un homme, la tête découverte, remet une lettre à un vieillard appuyé sur une canne, en train de surveiller les ouvriers. A gauche, sous un pigeonnier, sont assis un jeune homme et une jeune fille près d'un paon qui fait la roue.

Dessin à la plume, lavé d'encre sur papier jaunâtre.

H. 26, L. 22.

—Sur un fond d'architecture gravé, le char de Neptune, précédé de Vénus portée sur un dauphin et entourée d'amours; sur les deux rives des Turcs et des Indiens, auxquels des Néréïdes apportent des produits de l'Océan. Outre la scène principale tout entière dessinée, il y a, dans la voussure du plafond, des cartouches, dans les entre-colonnements du palais de théâtre, des niches, remplies par des écussons et des statues également dessinés.

Lavis à l'encre de Chine.

Dessin pour une Fête de Versailles, qui, après que les figures ont été dessinées sur le commencement de la gravure, a été entièrement gravé sous un titre que je ne retrouve plus.

H. 30, L. 48.

—Le Colin-maillard.

Dessin à la sanguine relevé de plume.

Signé deux fois dans la marge: H. Gravelot inven.

Gravé par Martinet dans une série de quatre vignettes avec des vers au bas.

H. 18, L. 12.

—Une jeune femme couchée sur un grabat, dont s'approche, suivi d'un petit garçon, un homme qui fait un geste d'étonnement.

Dessin sur papier jaunâtre, au crayon noir estompé, rehaussé de craie. Il a été mis au carreau pour la réduction du dessin en vignette.

C'est le dessin de la vignette gravée par Pasquier, t. Ier, p. 189 de l'Histoire de Tom Jones, traduit par M. de la Place, 1751.

Vente Andreossy.

H. 38, L. 46.

Greuze (Jean-Baptiste). A propos du grand dessin, exposé par Greuze au Salon de 1769, Diderot dit: «Il ne faut à Greuze qu'une matinée pour faire un dessin comme celui-là.» Oui, Greuze a le jaillissement du trait comme inspiré et enthousiaste; son lavis semble avoir la fièvre, et même en ses têtes d'études où il s'astreint à un travail de hachures, il apporte là dedans une fougue qui n'y laisse rien de mécanique. Un dessin, catalogué ici, présente un intérêt: c'est la répétition, pour ainsi dire, du «Coucher» de Vanloo, un dessin désagréable par la masculinité du torse, mais dont le fier et coloré modelage des jambes montre le puissant artiste qu'était Greuze à certaines heures.

—Dans un parc, un jeune homme debout, soutenant de la main gauche son fusil appuyé sur un banc de pierre, où se repose un chien, tandis que son bras droit est entouré des deux mains d'une jeune femme assise, qui appuie amoureusement sa tête contre lui.

Lavis au pinceau à l'encre de Chine.

Étude pour le portrait d'un jeune ménage, peut-être celui des de La Borde.

H. 38, L. 35.

—Jeune femme au seuil d'une porte, la tête baissée, les bras pendants; sur ses épaules est jeté un fichu à la large pèlerine.

Dessin au crayon noir et à la sanguine fondus et estompés.

Étude de femme d'après Mme Greuze pour la composition gravée par Massard, sous le titre: la Dame bienfaisante. Une étude semblable, mais à la sanguine seulement, existe au Louvre.

Vente Hope.

H. 49, L. 31.

—Une vieille femme paralytique, qu'un jeune homme approche d'un fauteuil, en la soutenant filialement sous les bras.

Lavis au pinceau à l'encre de Chine.

H. 31, L. 22.

—Académie de femme nue, vue de dos, la tête retournée par derrière. Une main appuyée sur un coin de toilette, elle a la jambe gauche agenouillée sur un fauteuil où est posée sa chemise.

Dessin au crayon noir et à la sanguine fondus et estompés.

Vente de Mlle Caroline Greuze, no 35.

H. 59, L. 37.

—Trois études d'amours.

Lavis au pinceau à l'encre de Chine sur trait de crayon et balafré de sanguine.

H. 26, L. 22.

Guérin (François). Un académicien de la vieille académie bien peu connu, et dont les dessins grouillants et tumultueux, lavés de bistre et sabrés de blanc de gouache, sont un mélange de faire de Boucher, son maître, et de Gabriel de Saint-Aubin. Ils ne sont pas signés, les dessins de ma collection, mais j'ai vu en 1860, chez Mallinet, un dessin du même Maître, et absolument de la même facture, représentant, dans un atelier plein d'enfants, une femme peignant à un chevalet, dessin signé F. G., les initiales de François Guérin.

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