← Retour

La maison d'un artiste, Tome 1

16px
100%

«Je suis attristé par la mort de mon général auquel je pense toujours: l'ennemi doit être haché en pièces, comme des oignons, avec ses femmes et ses enfants, au pied des palissades. Cela suffira et mettra fin à la guerre.

«Je suis attristé par la mort de mon général auquel je pense sans cesse: ma colère est pénétrante comme le goût du gingembre. C'est en les exterminant tous qu'il faut mettre fin à la guerre.»

Des albums sont consacrés aux objets de laque, et nous y relevons une série de ravissants peignes de luxe. D'autres albums apportent au travail du fer des modèles d'une imagination merveilleusement créatrice, et nous font passer, sous les yeux, des couvercles de boîtes, des gardes de sabre, des manches de couteaux qui sont de la vraie bijouterie.

Les albums qu'on pourrait appeler «Éléments de dessin» ne peuvent se compter. Je citerai, parmi ces albums, un petit cahier très curieux, dessiné d'après ce principe qui avait fait sculpter les joujoux exposés à la dernière exposition, et qui composaient une série d'animaux à l'état de premier dégrossissement d'une sculpture, et d'ébauche rudimentaire de la forme. L'album contient un méli-mélo d'hommes, d'animaux, cherchés dans le dessin extérieur, dans le contour spirituel, bizarre, caractéristique, excessif, de l'être représenté, avec un dedans rempli par une teinte plate. Cela donne des silhouettes très originales, et où l'œil n'est distrait par aucun détail secondaire. C'est, en plein jour, des choses à peu près dessinées comme des figurations d'ombres portées par une lumière sur un mur. Il existe ainsi des drapements de femmes dégingandées, contournés d'un gros trait écrasé d'un effet saisissant; et une planche de cigognes,—de vrais triangles volant dans l'air,—est tout simplement étonnante.

Mais vraiment l'on ne peut parler de croquis d'art, sans ouvrir une parenthèse en faveur d'O-kou-saï[55] et de ses quatorze petits cahiers classiques. Cet homme a le génie du dessin de premier jet, le talent unique d'enfermer, dans une ligne tracée en courant, la vie d'un mouvement humain ou animal, la physionomie d'une chose inanimée. Figurez-vous, au milieu de toutes ces images gardant un rien du hiératisme chinois, des dessins empreints à la fois de la modernité d'un Gavarni et d'un Decamps, et qui cependant n'ont rien d'occidental, mais sont le triomphe du d'après nature oriental. Ce sont des centaines de croquetons, où pêle-mêle, et au gré du motif tombé sous les yeux du dessinateur, défilent des hommes, des femmes, des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons, des reptiles, des paysages, des objets bizarres et imprévus, comme la coupe intérieure d'un pistolet, et jusqu'à un pétale de fleur, un caillou, un brin d'herbe. En ces pages qui ne finissent jamais, O-kou-saï montre, grands comme le pouce, ses compatriotes, dans les poses, la tenue, les habitudes de leurs corps, et aussi bien dans l'action de leurs muscles parmi les durs travaux des mines, que dans la détente heureuse de leurs membres en la fumerie des pipettes. Avec le dessinateur, nous voyons les Japonais galopant sur de petits chevaux ébouriffés, plongeant sous l'eau à la recherche des coquillages, se disloquant dans des tours de force ou d'adresse impossibles, et encore des Japonais sommeillant, s'éventant, lisant, jouant aux dames, se promenant, contemplant un pot de fleurs, faisant kow-tow, la révérence où l'on touche la terre du front. Partout sur les feuilles qui se succèdent, foisonne une humanité d'homuncules aux contours cahotés et ressautants, et dont la myologie est légèrement écrite sur la nudité. Il y a une série de planches de lutteurs et de bâtonnistes, où les ramassements, les retraites, les développements, les allongements des bras et des jambes forment une suite d'infiniment petites académies d'une science d'anatomie extraordinaire. Enfin, sous le crayon d'O-kou-saï, revit, saisie sur le vif, toute la mimique corporelle de ce peuple si expansif, si démonstratif. Et le tortillage de la femme dans son éternel accroupissement à terre le rend-il d'une manière assez divertissante! Dans la figuration rigoureuse, dans la copie fidèle de ses hommes et de ses femmes, O-kou-saï apporte un grossissement comique qui n'est pas, à proprement parler, caricatural, mais plutôt humoristique. L'artiste, si l'on peut dire, a la réalité ironique. Quelquefois même cette réalité, tout en restant humaine, prend chez l'artiste un caractère fantastique dans des vieillards raccornis et poilus qui ont l'air de satyres octogénaires, dans des femmes, sur les épaules desquelles il met la tête inanimée et cabossée des poupées de là-bas, et surtout dans des phtisiques, que le squelette transperce çà et là, et rend macabres.

Du reste, O-kou-saï est attiré par le fantastique, et y va quelquefois résolument. On rencontre parfois, dans son Œuvre, une femme-revenant, une larve dressée dans le ciel, comme une longue chenille recourbée, et qu'enveloppe une tignasse de pendu. Et je ne sais guère d'apparition plus terrible que ce crâne chevelu, dans la tête de mort duquel regarde un seul œil vivant, grand ouvert.

Tournez la page, après l'image effrayante, ce sera peut-être une plaisanterie scatologique: une lucarne de privé que dépasse la tête d'un samourai plongeant entre les manches de ses deux sabres, tandis qu'au dehors les nez se bouchent jusqu'à la cantonade. Et toujours ainsi, l'imagination se mêlant à la réalité, une image inattendue mène à une autre. On passe de l'épure d'un dévidoir à cocons de vers à soie à la fantaisie de deux porteurs, dont les nez font le bâton auquel est suspendu le fardeau branlant; du tour d'un jongleur rendant le contenu d'une tasse dans une envolée de papillons qui lui sort de la bouche, à l'action d'une jeune fille qui, en se tordant de rire, éteint une chandelle avec un pet; de la méditation d'un lapin dans un clapier, à un bain de famille où un Japonais fait sa barbe, à côté de jeunes femmes vêtues seulement de leurs épingles à cheveux, au milieu de petits enfants jouant avec des tortues.

Mais où O-kou-saï est vraiment inimitable, c'est dans le crayonnage de l'oiseau, de l'insecte, du poisson, du reptile. C'est là incontestablement la vraie et la grande spécialité des Japonais, et voici, dans un album d'inconnu jeté sur la table, une crevette dessinée avec la grandeur d'un dessin de Michel-Ange. Mais nul n'a rendu aussi bien que O-kou-saï, le galbe, l'aspect, la tache de ces animaux dans le paysage, nul n'a surpris comme lui le rampement, la nage, le vol, et surtout l'immobilité frémissante et animée de l'animalité vêtue d'écailles ou de plumes, des habitants de l'eau ou de l'air.

Et toutes les habiles figurations de l'artiste sont plaisantes à l'œil par la coloration particulière de leurs impressions. Comme fusinées, elles se jouent dans trois teintes: le gris du papier de Chine pour le fond, une teinte bleutée pour les vêtements, les pelages; une teinte rosée pour les carnations, les fleurs, etc. Et le dessin et les couleurs semblent bues par la soie du papier.

L'œuvre de réalité humoristique de O-kou-saï nous mène aux albums absolument caricaturaux, en général de date assez récente. La caricature au Japon, chez ce peuple moqueur, a une verve, un entrain, une furia indicibles; il semble qu'elle soit le produit de la fièvre d'une cervelle et d'une main, et parfois son étrangeté lui donne l'aspect d'une hallucination de fou. Elle est copieuse, exubérante, et les imaginations cocasses, et les bonshommes drôlatiques de toutes les couleurs jaillissent sur la page blanche de l'album à la façon de la poussée violente et de l'éparpillement multicolore, dans le ciel, d'un bouquet d'artifice. Le caricaturiste n'économise pas son comique, il couvre, il surcharge la feuille d'innombrables compositions, et le papier jusqu'en ses recoins grouille, fourmille de gens contorsionnés, de bousculades réjouissantes, de chutes montrant à cru des derrières à des idoles, qui s'indignent sous leur patine verte, de maux de cœur tournés au mal de mer, d'inénarrables natations de femmes obèses et ventripotentes. C'est tumultueux, diffus, enchevêtré, avec quelque chose du trouble remuant des morceaux de papier colorié d'un kaléidoscope qu'on secouerait. Ici, des enfants peignent en vermillon le ventre de Silène d'un dormeur; là, un vieux vétérinaire examine de tout près l'anus d'un cheval qui pétarade; plus loin, un borgne court après son œil emporté au bout d'un fil par une grosse mouche. Il s'y trouve, dans ces croquis, tous les contrastes amusants des gras et maigres, toutes les déformations d'un visage vu en long et en large dans une cuiller, tous les galbes de crânes d'imbéciles, et de cet imbécile particulier au Japon, qui a le type d'un Jocrisse kalmouck, enfin tous les ingénieux emprunts faits par notre Granville pour la construction de son humanité. Notons en passant que, chez les Japonais, la pieuvre devient la maquette d'après laquelle le caricaturiste façonne toute une série d'étranges têtes, aux protubérances, aux nodosités d'une calebasse, au profil creusé comme un quartier de lune. On y voit encore des femmes, emprisonnées dans leur parapluie fermé, qu'elles ne peuvent rouvrir,—le parapluie en papier jaune huilé couvert de grands caractères noirs joue un rôle important au Japon,—des goinfreries bestiales d'hommes aux longs cheveux rouges, des sortes d'Aïnos, autour de platées de nourritures gigantesques, des promenades ridicules de samourais dans la silhouette farouche de leur arsenal militaire en marche, des ascensions plaisantes de montagnes saintes par des pèlerins qui ont l'air de larves blanches sur un champignon pourri, et au milieu du délire général de l'illustration, des Bouddha, sortant de leur immobilité de bronze, pour faire la grimace et demander à boire.

Et toujours dans la grosse charge, par-ci par-là, un détail délicat: la jupe d'une femme renversée, les jambes en l'air, figurera la volute d'une coquille; l'hébêtement d'un ivrogné de saki tiendra, du bout des doigts d'une main, l'orteil de sa jambe allongée par un de ses serpentins mouvements d'un maître de notre xvie siècle. Nous trouverons même, parmi ces planches pour rire, la fine et distinguée observation du peintre de mœurs qui, sans l'outrance de la caricature, fait risibles de simples mouvements de l'âme: la colère de celui-ci, l'admiration amoureuse de celui-là; fait risibles le vautrement congestionné de ce savant sur un rouleau d'écriture, la pipette de travers dans la bouche, et encore la joie dansante et disloquée du populaire, et les grâces de la Japonaise disgracieuse.

Les étrangers, les Hollandais, les Anglais, se trouvent volontiers sous le pinceau du caricaturiste japonais. Et voici une caricature très réussie de l'Occident par l'Orient. Un officier de marine anglais, l'air un peu nigaudinos, et qui se tient les côtes de bonheur, est embrassé par une pudibonde lady, coiffée d'un chapeau bibi;—et devant l'amour bête de ces deux personnages farces, les êtres fantastiques peuplant la terre, le ciel et l'eau de l'Empire du Lever du Soleil se livrent à une formidable gaieté.

Bien souvent, en effet, dans l'Extrême-Orient, le fantastique se mêle à la caricature, ainsi que nous l'avons vu dans l'œuvre de O-kou-saï. Il n'a pas d'albums spéciaux, et se déverse un peu sur toutes les pages, mettant à côté du rire son surnaturel, sa terreur. C'est à droite et à gauche qu'il place ses effrayants vieillards, balayés de chevelures blanches, au visage rouge; ces daïmio mystérieux, tenant entre leurs mains une tête de femme coupée, ressemblant à ces petites têtes de suppliciés en terre cuite, peintes en vert, une grosse larme sous l'œil droit, et qui pendent aux franges du manteau du diable punisseur des crimes dans l'enfer bouddhique; ces personnages à têtes d'oiseaux groupés dans des branches, ainsi qu'en un arbre de Jessé d'un conte de fée; ces gros hommes aux lobes d'oreille leur balayant le ventre; ces femmes poursuivies par des jambes sans corps, et ces luttes de lutteurs sans têtes.

Ici, dans l'obscurité d'une chambre à demi éclairée par une lanterne, la fumée d'une pipe se transforme en un immense serpent se tordant au-dessus de la tête du fumeur épouvanté. Là, dans le noir de la nuit, est tendue à travers la campagne une toile qui tient le ciel, et où est blottie une formidable araignée-crabe dont les pinces sont partout. Les monstres enfantés et aimés par l'imagination nationale entrent bientôt en scène. Dans cette planche, où un guerrier galope parmi les flots obscurs, apparaît la légendaire tortue à la tête de chien, à la queue d'algues flottantes, à l'antique carapace, où se sont formés des rochers, où poussent des arbres. Dans cette autre planche, sort, des profondeurs des Océans, le dragon des typhons, dont la présence perturbatrice de l'atmosphère soulève la mer dans le ciel, et fait courir, autour du bateau en détresse, des vagues qui ont comme des griffes, des doigts crochus à leurs crêtes.

Souvent aussi à ces apparitions d'une animalité de rêve et de cauchemar, l'Orient associe la vision d'épouvante de l'Occident: le squelette,—qu'en leur qualité de coloristes, les Japonais aiment à colorier en lilas tendre. Et trouvez, dans notre fantastique à nous, une composition supérieure à celle-ci? Par une de ces nuits, où un nuage sinistre est jeté avec un art si admirable sur une lune livide, un samourai, les mains sur les gardes de ses deux sabres, regarde, dans le ciel noir, une bataille de squelettes menés par une Mort, chevauchant une carcasse de cheval, et brandissant au-dessus de son crâne, aux orbites vides, un long fauchard.

Un fantastique moins terrifiant, plus autochtone, presque entièrement personnel aux Japonais, et qui revient dans tous les albums: c'est l'allongement des nez qui deviennent des trapèzes autour desquels des équilibristes font de la voltige, l'allongement des jambes qui semblent avoir les rallonges de grandes échasses,—et en première ligne l'allongement de cous qui prennent le serpentement et la ténuité d'un ver de terre interminable. Longtemps j'ai pris ces allongements bizarres pour des visions de l'ivresse du hachisch, mais aujourd'hui après l'étude de «la Science politique», il faut abandonner cette interprétation de ces fantaisies physiologiques. Il s'agit de la figuration d'une superstition japonaise partagée par quelques tribus indigènes des îles Philippines. C'est le rok-ri-koubi (la tête à six lieues) ou la croyance que lorsque le corps est complètement endormi, le cou s'allonge, devient mince comme un fil, flexible comme un roseau. Et la tête de l'endormi peut ainsi s'éloigner à des distances infinies, et assister à des choses absconses et secrètes, qu'il n'est pas donné de voir à l'homme éveillé.

Une étude des albums japonais serait incomplète si l'on n'accordait pas un mot aux albums érotiques. L'Orient n'a pas notre pudeur, ou du moins il a une pudeur autre, ainsi que je l'ai indiqué à propos du théâtre. Le Japon est le pays où un homme tirant des quatre compartiments d'une boîte, du sable rouge, bleu, blanc et noir, ainsi qu'un paysan ensemençant son champ, sème sur le parquet, à la volée d'une main artiste, des dessins obscènes, qui mettent en joie un public d'honnêtes femmes et de jeunes filles. Donc ces sortes d'albums sont nombreux, très nombreux. Mais avant tout, il faut le déclarer, ces images n'ont rien de la polissonnerie froide de l'Occident et même de la Chine. Ce sont d'énormes gaietés, et comme le portefeuille d'un dieu des Jardins où l'indécence des choses est sauvée par une naïveté de temps primitifs, et, le dirai-je? par le michelangelesque du dessin. Il se révèle en ces impressions un amour physique, qui, dans les contractions des orteils des hommes, dans les pamoisons des femmes, a quelque chose de l'épilepsie, et apporte au dessinateur une tourmente de lignes superbes. Ces albums représentent en général des Maisons de thé, où, derrière le repliage de quelques pages figurant l'habitation au grand toit noir, aux boiseries laquées de rouge, au jardin rose, se dissimulent les scènes amoureuses.

Mais entrons dans une de ces maisons, à l'aide d'une chanson populaire[56]:

«Voyez donc sur cette fleur ces deux jolis papillons. Pourquoi voltigent-ils ainsi sans se séparer?

—C'est sans doute parce que le temps est beau et qu'ils se sont enivrés du parfum des fleurs.

—Nous aussi, allons, comme ces papillons, visiter les fleurs.

—Avez-vous étudié la science des fleurs?

—Je l'ai étudiée sous la direction d'un excellent maître de Yosiwara.

—Cette étude coûte-t-elle beaucoup d'argent?

—De l'ouverture de l'établissement jusqu'à l'aube du jour, on donne de trois à quatre taels.

—Voilà la grande porte.....

—Ne connaissez-vous aucun professeur?

—Je connais le professeur Komourasaki (Pourpre foncée).


—Veuillez attendre un peu, le professeur Ousougoumo (Nuages légers) va venir.

—Le professeur se fait attendre bien longtemps; je ne comprends absolument pas pourquoi?

—Les professeurs de Yosiwara perdent beaucoup de temps à cause des complications de leur toilette. D'abord ils aiment à employer pour l'arrangement de leur coiffure la pommade de Simomoura et les cordonnets de Tsyôzi. Il en est qui adoptent la mode de Katsouyama, d'autres préfèrent celle de Simada. Ils ne s'aperçoivent pas que leur peigne d'écaille, et leurs aiguilles de tête en corail, pour lesquels ils dépensent mille livres, augmentent leurs dettes. Poudre de riz pour le visage, poudre de riz pour le cou, fard pour les lèvres, et jusqu'à du noir pour les dents, il n'y a rien chez eux qui ne décèle la prodigalité.

Un instant après le professeur se présente. En vérité, il est très joli, distingué, aimable. A ses sourcils se dessine la brume des montagnes lointaines; à ses yeux s'attachent les frémissements des vagues d'automne; son profil est élevé, sa bouche petite, la blancheur de ses dents fait honte à la neige du Fouzi-yama; les charmes de son corps rappellent le saule des champs durant l'été. Son vêtement de dessus est orné de dragons volants brodés en fils d'or sur du velours noir. Elle porte une ceinture en brocart d'or; en un mot, sa toilette est irréprochable.

—Je suis venu m'entretenir avec vous à l'effet d'entreprendre l'étude des fleurs.

—Mais avez-vous bien réfléchi combien est fatigante cette étude?


Veuillez venir dans ma chambre . . . . .


La description de ces chambres étant connue de tout le monde, il est inutile d'en parler en détail. Sur l'estrade disposée pour recevoir six nattes, on a suspendu trois stores du peintre Hôïtsou, représentant des fleurs et des oiseaux. On y a rangé le jeu de sougorokou (tric-trac), le jeu de go (jeu de dames très compliqué), des ustensiles pour faire chauffer le thé, une harpe, une guitare. A côté, dans une bibliothèque, on trouve depuis la célèbre histoire des Ghenzi de Mourasaki Sibikou jusqu'aux romans de Tamenaga Siounsoui.

Or donc, lorsque le professeur se présente pour la seconde fois, il est habillé de ses vêtements de lit, comprenant une casaque de crêpe rouge, surmontée d'une robe de nuit de satin violet ornée de pivoines et de lions brodés avec des fils d'or. Il laisse tomber en arrière ses noirs cheveux capables d'enchaîner le cœur de mille hommes, et permet d'apercevoir un corps dont la blancheur mortifierait la neige elle-même. Sa figure, au sourire de prunier, est semblable aux fleurs de poirier, émaillées de gouttes de pluie.

«La fleur est faible; de grâce, arrosez-la souvent.....»


Ici commence la libre interprétation populaire de l'Étude des fleurs a Yosiwara, par les albums.

Les images sont en couleur, mais le plus souvent elles sont précédées d'un texte entremêlé de petits dessins imprimés en noir, et ces petits dessins sont toujours supérieurs aux grands. Il y a là des copulations dont les raccourcis sont dignes d'un Jules Romain, et à côté de cela des imaginations spirituelles d'une fantaisie charmante. C'est ainsi qu'un de ces croquis montre le rêve d'une femme, dont le sommeil agité a rejeté loin d'elle ses couvertures, et qui voit une farandole de phallus, habillés à la japonaise, dansant et agitant de grands éventails. Cette danse de phallus s'éventant est, certes, une des compositions les plus excentriques sorties de la cervelle et du crayon d'un artiste en une heure de caprice libertin. Ce petit album, que n'a pas signé l'artiste, s'appelle U memigouça ou Rêve amoureux.

Le nombre, l'abondance, la prodigalité de l'image, au Japon, dépasse tout ce qu'on peut imaginer. Ce n'est pas une feuille, c'est presque toujours trois feuilles qui donnent la représentation d'une scène quelconque. Il existe un passage de gué par une femme de daimio, escortée dans l'eau de ses neuf dames d'honneur portées sur de petits planchers, qui se développent sur six feuilles. Le voyage d'un bateau de plaisance sur une rivière en compte douze. Un catalogue de la chalcographie japonaise, je ne sais pas ce qu'il contiendrait de volumes, tant les enfants et les femmes des maisons de thé font une consommation effrayante de ces livres illustrés qui ne coûtent rien, et en ce pays, où la passion de l'image est telle, qu'au dire de M. Humbert, une bouteille d'absinthe ou de chartreuse décorée d'une belle étiquette, se vend le double.

Le curieux n'est-il pas que nous en sachions si peu sur ces impressions[57]? Il y a quelques années, tout ce qu'on savait d'elles, c'est qu'elles étaient imprimées avec des bois, à peu près comme le sont nos grossières indiennes, mais sans posséder aucun détail de la fabrication. Aujourd'hui, des conversations de Félix Régamey, des observations de Bracquemond, il résulte que l'impression se fait de la manière la plus primitive, et,—on ne s'en douterait guère,—sans l'aide d'une presse. L'imprimeur a un disque de bois, une feuille de bambou au dessous rugueux et côtelé; il replie sa feuille sur son rond de bois, la noue en haut avec un de ces inimitables nœuds qu'on trouve sur certaines boîtes de laque et qui lui sert de poignée. Cela fait, il prend une planche de bois entaillée des deux côtés, et dont le repérage est fait au moyen de quatre petites encoches; il encre le recto d'une couleur, place sa feuille dessus, et frotte sur les aplats, de la couleur à l'eau avec son rond de bois enveloppé de la feuille de bambou, absolument comme d'un froton. Alors il nettoie son verso, encre le recto,—une planche fournissant deux impressions,—puis il passe à la seconde planche, et à une autre. C'est au fond absolument le procédé avec lequel, au moyen d'un brunissoir, nos graveurs sur bois tirent l'épreuve d'un fumé. Mais l'admirable, c'est le nombre d'impressions que par un procédé si élémentaire, subit le papier. J'ai compté dans une planche et qui n'est pas des plus compliquées: 3 verts, 2 gris, 1 noir, 2 roses, 1 brun rouge, 1 jaune, 3 bleus, en tout 12 tons, et cela sans les planches pour l'or, pour les divers métaux, pour le gaufrage. Et ces impressions si chères à obtenir en Europe, en chromo-lithographie, reviennent à quelques itchibou, par la simplicité de l'installation et de l'outillage, et par l'association au travail de l'imprimeur du travail de la femme, des enfants, de toute la maisonnée.

Elles ont, ces impressions obtenues si facilement, une fleur de couleur, une égalité de teintes, une perfection de dégradations qui témoignent d'une habileté de main désespérante pour nos ouvriers. Et le goût de ces albums, et toutes les jolies additions et inventions autour de la composition principale, et toute la menue ornementation du papier. Des papiers jouent le basin, et le plumage des oiseaux y est rendu par un gaufrage dans le sens des plumes, un gaufrage qui n'a rien de l'ignoble gaufrage européen. Il y a des papiers, où les personnages se détachent sur des fonds striés en creux au milieu d'une pluie de petites macules jaunes et violettes,—une idée bien certainement empruntée par les Japonais à la contemplation de leurs grandes clématites blanches. Dans quelques-uns de ces albums, en haut de la page, un kakemono, à moitié déroulé, laisse voir un motif orné, un rien décoratif: un insecte posé sur un livre, une brindille fleurie qui pourrait faire un signet, et presque toujours la dernière page donne à voir l'essuyement riant des pinceaux de l'aquarelliste, qui est comme l'exposition, pour le regardeur, de sa tendre palette. Et ces impressions, dont nous n'avons en général que des épreuves très ordinaires, il faut les avoir comme il en est venu quelques-unes, il y a une dizaine d'années, à la Porte Chinoise, des épreuves d'artistes, où la fraîcheur du coloris sur le fort, l'épais, le blanc papier, est comme fondue dans une moelle de sureau, une bulbe de camelia.

Encore je n'ai parlé ici que des albums des trente dernières années, mais si l'on remonte à des albums plus anciens, à des albums du siècle dernier, nous nous trouvons en présence de gravures coloriées, qui mériteraient une place dans les cabinets d'estampes de nos collections publiques. Là, ce qu'on peut reprocher à l'imagerie moderne japonaise, le voyant un peu brutal, n'existe absolument pas. C'est, dans le coloriage, un assoupissement du ton, un passé de la nuance, une harmonie délicieusement discrète. On dirait vraiment que l'art japonais de ce temps a pris ces couleurs aux émaux des porcelaines de la famille verte et qu'il a cherché la gamme de ses compositions dans l'accord d'un jaune œillet d'Inde, d'un vert éteint, d'un violet de manganèse,—des compositions presque toujours détachées d'un fond doucement rosé.

Dans ces impressions la femme développe une élégance qu'elle n'aura bientôt plus; son dessin profile les longueurs et les élancements des grandes époques du dessin occidental. Et même, une remarque qui n'est pas sans valeur, le type féminin y est presque différent, et comme fabriqué d'une pâte plus raffinée, plus aristocratique. La femme japonaise, les anciens albums la représentent le front remarquablement bombé, les sourcils semblables à un trait de pinceau, l'ouverture de l'œil tout étroite et extrêmement fendue avec une prunelle coulée dans un coin sous la mince paupière, un petit nez courbe d'une très grande finesse, une bouche toujours entr'ouverte dans le dessin du peintre, comme une bouche d'enfant, et l'ovale long, long, long, mais parfaitement régulier. On la voit ainsi sous des cheveux très noirs et bouffants, d'où s'échappe une petite mèche tortillarde serpentant le long de sa tempe, avec un visage pâle où l'entour seul des yeux est fardé, et une physionomie ingénument étonnée. A des yeux européens, cette femme doit paraître peu régulièrement belle, et cependant en elle est un beau, fait d'une construction mignonne de traits aux fines arêtes, et en quelque sorte, de la délicatesse aiguë d'une longue statuette de porcelaine. Et je retrouve comme vulgarisé dans ce type de la femme des anciens albums, le type de la femme de Kioto, dont la beauté est proverbiale au Japon, et telle que nous la peint M. Bousquet, avec son nez aquilin, ses yeux bien fendus, son ovale maigre.

Quelquefois on rencontre des impressions exceptionnelles, ne venant pas d'ordinaire assemblées en albums, mais dont on trouve par hasard une ou deux collées au verso d'une couverture[58]. Ces impressions, en général d'un format restreint, sont tirées sur un papier de choix, qui est l'idéal du papier par son glacé soyeux et sa blancheur crémeuse. Sur ce papier, où les légendes et les inscriptions prennent une netteté à prendre en pitié tous les imprimés de l'Occident, et où les rubriques sont du plus adorable carmin, les linéaments des figures, tracés d'une manière presque imperceptible, les donnent à voir dans une espèce d'effacement vaporeux, au milieu d'accessoires accusés, pour ainsi dire seulement, par l'ombre du creux de l'impression, et apparaissant comme des objets de pure lumière, où court ici un mince filet d'azur, où boutonne là le rose d'une fleur non encore ouverte.

Dans ces impressions, un gaufrage précieux soulève le relief des choses, des fleurs d'une robe, des sculptures d'une boîte de laque rouge, et l'or, l'argent et même les autres métaux introduits avec une économie exquise sur les saillies et les petits renflements du papier, vous amusent du trompe-l'œil presque matériel des ferrurres d'argent d'un cabinet, du bronze vert d'un chibatchi, du disque de fer poli d'un miroir. Un grand nombre de ces impressions ne sont que de surprenantes figurations d'objets de la vie intime et familière. Une feuille représente un sabre appuyé contre un coffret à armure, une autre une tasse de fer damasquinée en or avec trois pétales de fleurs, une autre tout simplement un bonnet de papier noir laqué de fonctionnaire. Cela est tout, et cette représentation d'art de si peu de chose suffit à l'artiste, comme suffisait à Chardin la peinture d'un verre d'eau à côté de deux prunes!

CABINET DE TRAVAIL

Au plafond, c'est un enroulement colère de lions de Corée, au milieu d'un champ de pivoines. Se détachant du fond de velours noir, parmi d'énormes fleurs de toutes couleurs, les deux monstres trapus, les yeux injectés de sang, et semblables à une animalité fabriquée dans une rocaille barbare, se contournent dans un ramassement puissant, et foulent la flore éclatante,—tout tissus et hérissés d'ors de tons divers. Ainsi clouée en l'air, elle apparaît comme le noir ciel d'un pays fantastique, cette robe de théâtre du tragédien japonais, dont MM. Sichel ont rapporté en France la terrible et farouche garde-robe[59].

Le cabinet n'est que livres. Sur les quatre murs, de haut en bas sont rangés des volumes, des volumes à la portée de la main, et qu'un doigt peut atteindre.

Tous ces livres sont des livres du xviiie siècle, et je demande au libraire chargé de ma vente, après ma mort, de donner à cette réunion, ce titre, sur son catalogue:

Bibliothèque du xviiie siècle.

Livres, Manuscrits, Autographes, Affiches, Placards.

Ce titre seul peut donner l'idée de mon goût des livres. Il a fallu toujours qu'il s'y mêlât un peu de l'inédit épars dans le manuscrit et l'autographe. Et même dans l'imprimé, le morceau de papier qui n'était pas un livre, et dont je fabriquais un livre, au moins une plaquette, avait pour moi une attache supérieure à celle d'un bouquin vanté. Par exemple, le petit bulletin déposé chez les suisses des hôtels[60] pendant la maladie de Louis XV, dans le cartonnage que je lui ai fait faire, m'est plus précieux, m'est plus intime, m'est plus inspirateur, que quelque livre que ce soit du temps. Il en est ainsi pour l'immense lettre d'invitation de Grimod de la Reynière pour le souper du cochon, avec son grand V sur larmes d'argent. Et il en est encore ainsi, pour la collection unique des placards, que le révolutionnaire Vincent faisait de la maison d'arrêt du Luxembourg afficher dans Paris, au mois de frimaire de l'an deuxième de la République française une et indivisible.

Dans ces livres couvrant les murs, la théologie est absente. La jurisprudence manque également, sauf quelques procès curieux pour l'histoire des mœurs, répartis dans les autres divisions, et un exemplaire du Tribunal révolutionnaire, dont il ne manque que cinq ou six numéros. La philosophie n'est guère représentée que par un Helvetius, qui court après une Philosophie de M. Nicolas, philosophie qui court, elle, après les Confessions de Mme (de Fourqueux). La science, avec toutes ses subdivisions, n'a sur mes planches qu'un seul et unique volume, le Traité de géométrie de Sébastien Leclerc 1764, et encore doit-il sa place, là, aux amours qui montent dans les A B C des triangles, aux rustiques paysages de Chedel, aux petites scènes galantes de Cochin, égayant le bas des théorèmes, vrai livre de science à la Fontenelle, et dont tous les bibliophiles voudront, quand ils s'apercevront que c'est un des volumes les plus joliment illustrés du xviiie siècle. Et la bibliothèque ne commence qu'avec l'art.

Ne voulant pas être interminable, je ne parlerai ni des ouvrages esthétiques et historiques de l'art français, ni de la collection des expositions et critiques de salons, etc., etc.; je me contenterai de donner un extrait d'un manuscrit inédit contenant le journal des séances de l'Académie de peinture et de sculpture pendant l'année 1748; une petite biographie des artistes, faite avec les plaquettes rares, les manuscrits, les lettres autographes qui se trouvent réunis, côte à côte, sur les planches de ma bibliothèque; enfin un travail raisonné sur les catalogues et les livres relatifs à la curiosité.

JOURNAL ABRÉGÉ DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE POUR L'ANNÉE MDCCXLVIII[61].

Du vendredi 5 janvier.

Conférence ouverte par le secrétaire, qui y lit un Essai de la vie de Jean Jouvenet, de sa composition, et ensuite une Dissertation sur le vrai de la peinture par feu M. de Piles.

M. de Favanne, adjoint à recteur, est nommé à son rang pour faire les fonctions de recteur, pendant le quartier courant, à la place de M. Coypel, qui a prié la compagnie de l'en dispenser, occupé comme il l'est d'ailleurs, pour d'autres affaires très pressantes qui l'intéressent.

M. de Troy, directeur de l'Académie de Rome. Lettre de politesse à la compagnie sur le renouvellement de l'année, dont est fait lecture.

M. Dandré-Bardon adjoint à professeur, idem d'Aix-en-Provence.

M. l'abbé de Lowendal, associé libre, idem de son abbaye de la Cour-Dieu.

Du samedi 27 janvier.

Rapport de la députation faite à M. de Tournehem en conséquence de la délibération du 30 décembre dernier.

M. Coypel lui a dit au nom de la compagnie: «Monsieur, l'Académie vient vous rendre ses devoirs. Elle vous présente une copie de ce qu'elle a couché sur ses registres depuis un an. C'est, monsieur, une longue liste des bienfaits qu'elle a reçus de vous.»

Réponse de M. de Tournehem très polie et très encourageante.

Ensuite, la même députation s'étant rendue chez M. de Vandières, M. Coypel lui a dit: «Monsieur, l'Académie vient vous rendre ses devoirs et vous assurer qu'elle ne négligera rien pour mériter la bienveillance que vous avés pour elle.»

A quoi M. de Vandières a répondu d'une façon très obligeante.

Lettre écrite à l'Académie par les officiers composant le corps municipal de la ville de Reims, au sujet d'une École académique qu'ils désireroient établir en ladite ville.

Réponse ordonnée être faite à cette lettre contenant.....

M. Restout, adjoint à professeur, nommé pour suppléer M. de Favanne, son collègue, hors d'état, par indisposition de satisfaire à l'arrêté de l'assemblée précédente.

M. Vanloo, premier peintre du roi d'Espagne, écrit de Madrid une lettre de politesse sur le nouvel an.

M. La Datte, adjoint à professeur, sculpteur du roi de Sardaigne, idem de Turin.

Annonce qu'en l'assemblée prochaine M. le comte de Caylus donnera la Vie d'Antoine Watteau.

Du samedi 3 février.

Conférence où le secrétaire lit la Vie d'Antoine Watteau, composée par le comte de Caylus, à qui M. Coypel adresse un discours en forme de réponse.

Décès notifié de Pierre d'Ullin, ancien professeur, arrivé le 28 janvier 1748, âgé de soixante-dix-huit ans.

Le Maire, ancien huissier de l'Académie, étant décédé, Perronet, huissier actuel, est mis en possession des gages attachés à cette place, conformément à la délibération du 27 juillet 1743.

Du samedi 24 février.

M. Coypel se fait excuser de se trouver à l'assemblée pour cause d'indisposition.

M. Jacques-Charles Oudry, fils de M. Oudry, se présente sur plusieurs tableaux d'animaux, fruits et fleurs, et est agréé par le scrutin (tout blanc) et chargé d'aller prendre son sujet de réception de M. le Directeur. Et comme fils d'officier, il a pris séance.

Seconde lettre des officiers de la ville de Reims..... plus diffuse et moins claire.

M. Moyreau, graveur et académicien, présente deux épreuves de la planche, par lui gravée d'après Wouvermans et intitulée: la Fontaine de Neptune; laquelle planche est approuvée et mise sous le privilège de l'Académie.

Du samedi 2 mars.

La capitation de 1748 ordonné être répartie et les comptes de 1747 réglés et arrêtés par MM. les Directeurs, Recteurs, Adjoints à Recteurs, Professeurs en exercice et par les autres officiers étant de tour, sçavoir:

M. Le Clerc, ancien professeur;
M. Parrocel, professeur;
M. Nattier, adjoint à professeur;
M. Du Change,   conseillers;
M. Toqué,
M. Lépicié, secrétaire.
M. Lobel, académicien;

Jour fixé au samedi 30 mars.

Conférence remplie par la lecture de quelques notes de feu M. Antoine Coypel, premier peintre du Roi.

Décès modifié de M. Allégrain, peintre, académicien, arrivé le 24 février 1748, âge soixante-dix huit ans.

Du samedi 30 mars.

Relate (sic) des délibérations du quartier expirant.

La capitation pour 1748 répartie le matin de ce jour, mais l'arrêt de compte de 1747 renvoyé à une autre séance.

Le repas, que les commissaires nommés étaient dans l'usage de faire à cette occasion, supprimé, comme contraire à la dignité du corps, aux usages des autres académies, et tombant dans ceux de la maîtrise.

M. Jacques Gay, natif de Marseille, graveur en pierres précieuses, agréé le 23 juin 1747, présente l'ouvrage à lui ordonné alors pour sa réception, ayant pour sujet: Apollon couronnant le génie de la peinture et de la sculpture, exécuté sur une cornaline montée en bague, est reçu, prête serment et prend séance.

Ce fait, M. Coypel s'est adressé à la compagnie et a dit:

«Messieurs,

«L'ouvrage précieux que M. Gay vient de présenter à la compagnie, paraît avoir été fait pour consacrer à la postérité la grâce que Sa Majesté vient d'accorder à son Académie de peinture en la prenant sous sa protection immédiate. C'est, messieurs, au chef des arts que nous sommes redevables d'une faveur si longtemps désirée. Ne serait-ce pas faire un digne usage de cette pierre gravée que de la lui présenter comme un monument de notre éternelle reconnaissance.»

Cette proposition ayant été agréée unanimement, il a été décidé que M. le Directeur, avec les officiers en exercice, se transporterait vers M. de Tournehem pour l'effectuer au nom de l'Académie s'il vient à Paris; sinon, que M. Coypel et le secrétaire l'iront trouver aux mêmes fins à Versailles.

M. Pesne, premier peintre du roi de Prusse et académicien, demande par lettre et obtient la faveur d'être mis au rang des anciens professeurs.

En exécution de la délibération du 29 juillet 1747, les officiers sortant d'exercice, pour le quartier courant, déclarent avoir fait la visite des tableaux, figures et effets étant en l'Académie et d'avoir trouvé le tout en bonne conservation.

Jugement pour les petits prix dudit quartier, fait par les mêmes officiers:

Premier le S. Corrège P.
Second le S. Guiard S.
Troisième le S. Baudouin P.

Du samedi 6 avril.

Conférence où M. Hulst, associé libre, lit un mémoire pour pressentir le goût de l'Académie sur la place qu'il conviendra le mieux à donner au travail sur ce qui la concerne, ou celui du Journal, ou celui des Annales, ou celui des Grandes Époques déterminées par les protectorats.

M. Coypel a répondu à ce mémoire par un compliment et la compagnie s'est décidée pour la forme des Annales.

Choix fait de huit élèves sur l'examen de leurs esquisses pour le concours au grand prix, sçavoir:

Les S. Joullain,   Peintres.
Doyen,
La Traverse,
Mettay,
Hutin,
Du Mont,   Sculpteurs.
Caffieri,
Perasche,

Décès notifié de M. Christophe, recteur, arrivé le 29 mars 1748, âge quatre-vingt six ans.

Et comme son exercice tombe sur le présent quartier, ordonné que M. de Favanne, adjoint à recteur, le suppléera, et que les remplacements à faire, en conséquence de ce décès, n'auront lieu qu'après l'expiration dudit quartier.

Du samedi 27 avril.

Lecture faite par le secrétaire de la Vie de Pierre-Charles Trémolière, adjoint à professeur, composée par le comte de Caylus.

M. Coypel répond par un petit discours, où, par occasion, il propose la suppression des visites de sollicitation qui se font lorsqu'il s'agit de remplir les charges vacantes.

Décidé que les visites de sollicitation demeureront supprimées.

Du samedi 4 mai.

Assemblée générale et extraordinaire à l'occasion d'une lettre de M. de Tournehem en date du 6 courant, portant indiction d'une Exposition publique des ouvrages des académiciens au 25 août prochain, et établissement d'un comité pour examiner les ouvrages qu'on présentera à cette exposition et renvoyer ceux qui ne leur paraîtront pas dignes d'être mis sous les yeux du public.

Résolu par l'Académie de se conformer par devoir, par justice et par reconnaissance, à ce qui est prescrit par cette lettre.

Convenu que la dernière assemblée de ce mois, qui devait se tenir le samedi 25, sera remise au vendredi 31, d'autant que la première assemblée de juin ne pourra être tenue le premier samedi, à cause que ce sera la veille de la Pentecôte.

Reddition du compte du Sr Reydelet,concierge et receveur de l'Académie:

Recette 7,009   8
Dépense 6,975 15
Reliquat 33 13

L'arrêté de compte, fait le matin de ce jour par les commissaires nommés le 2 mars dernier, confirmé et validé par l'Académie.

Règlement arrêté en cette séance pour cette gestion:

Art. 1er.

Le sieur Reydelet ne pourra faire aucune dépense sans un ordre par écrit de M. le Directeur et de messieurs les officiers en exercice: lesquels ordres il représentera lors de la reddition de ses comptes.

Art. 2.

Tous les mois, il fera voir, à la dernière assemblée, l'état de la dépense faite durant le mois: lequel état sera vérifié et approuvé par l'Académie.

Art. 3.

Il aura soin de retirer des quittances de tous les marchands et ouvriers auxquels il fera des payements pendant le courant de l'année: et, à faute d'y satisfaire, lesdites dépenses ne lui seront pas allouées dans son compte.

M. Disle, contrôleur général des bâtiments du Roi au département de Paris, est proposé par M. Coypel de la part de M. le Directeur général comme un sujet qui devoit être agréable à la compagnie pour remplir la huitième place d'associé libre, qui est demeurée en réserve, depuis l'institution de cette classe.

Cette proposition reçue avec plaisir, M. Disle admis par acclamation, et M. Dumont le Romain, professeur en exercice, député avec M. Natoire pour aller lui notifier son élection.

M. Noel Hallé, né à Paris, peintre d'histoire, fils de feu M. Claude Hallé, ancien directeur et recteur de l'Académie, et qui avoit été agréé le 25 juin 1746, présente le tableau qui lui avoit été ordonné pour sa réception représentant la Dispute de Neptune et de Minerve, est reçu en la manière accoutumée, prête serment, etc.

M. Jacques-Charles Oudry, peintre de talent pour les animaux, fruits et fleurs, agréé le 24 février dernier, présente deux esquisses pour son morceau de réception; l'une desquelles est approuvée par le scrutin, et lui est donné six mois pour l'exécuter en grand.

M. Louis Vassé, né à Paris, sculpteur, fils de feu M. Antoine Vassé, aussi sculpteur et agréé de l'Académie, se présente sur plusieurs modèles de sa façon, et entre autres celui d'un berger dormant appuyé sur son bâton, est agréé, et obtient la permission d'exécuter ce dernier modèle en marbre; terme d'un an pour satisfaire à ce devoir.

Le sieur Presler, graveur, résidant à Copenhague, écrit de là, à l'Académie, en date du 23 avril dernier, une lettre par laquelle il lui présente, comme son élève, le portrait qu'il a gravé en pied du feu roi de Danemarck et le supplie de vouloir bien l'honorer de son sentiment.

La compagnie, après avoir examiné ledit portrait, l'a trouvé très bien gravé et d'un très bon ouvrage et le burin conduit avec force et délicatesse: elle a chargé le secrétaire de lui mander ce jugement de sa part.

M. Coypel, directeur, retire le tableau de réception de feu Noël Coypel, son aïeul et aussi directeur de l'Académie, dont le sujet étoit le moment où Dieu apparoît à Caïn, après qu'il eut commis son fratricide, et en substitue un autre sur le même sujet, de la même main et infiniment supérieur au premier: ce que la compagnie reçoit avec reconnaissance.

Réglé que, les jours de conférence, on fera entrer les élèves dans la salle d'assemblée, pour entendre la lecture des discours et dissertations qui en sont l'objet, et que les auteurs de ces ouvrages auront la liberté d'y pouvoir amener jusqu'au nombre de six personnes.

Du samedi 8 juin.

Assemblée par convocation générale.

M. Disle, élu associé libre, le 31 du mois dernier, prend séance en cette qualité et fait un remerciement.

M. de Silvestre, premier peintre du roi de Pologne et ancien professeur de l'Académie, est venu en l'assemblée de ce jour, et a témoigné à la compagnie le plaisir qu'il éprouvait de se retrouver au milieu d'elle, après une absence de tant d'années (32). L'Académie, pour lui prouver comme elle était pénétrée du même sentiment, l'a par acclamation fait passer au rang d'ancien recteur où il a pris place sur l'heure.

Lecture a été faite ensuite par le secrétaire d'une lettre de M. de Tournehem, adressée à la compagnie et écrite de Versailles le 4 juin 1748, par laquelle il lui fait part de la fondation faite par le Roi de six places d'élèves protégés, pour être logés, nourris et entretenus de tout, et formés dans les arts sous une éducation commune. Députation ordonnée pour remercier M. de Tournehem de ses attentions si généreuses et si utiles pour l'avancement des arts, et pour cette députation l'Académie nomme M. Coypel et les officiers en exercice.

Les élèves sont mandés, réunis en l'assemblée. Le secrétaire fait une seconde lecture de ladite lettre. Ensuite M. Coypel fait un discours à cette occasion qu'il adresse directement à eux.

M. Watelet, associé libre, a lu après cela la première partie d'une dissertation intitulée: De la Poésie dans l'Art de la peinture, précédée d'un avant-propos.

M. Coypel y a répondu par un discours, que la compagnie a ordonné être transcrit à la suite de cette séance.

Convenu que le dernier samedi du mois tombant sur la fête de Saint-Pierre et Saint-Paul, l'assemblée sera avancée d'un jour.

Du samedi 22 juin.

Assemblée publique et extraordinaire, convoquée pour célébrer l'Année séculaire de l'Établissement de l'Académie.

M. le Directeur général s'y rend sur les six heures du soir.

M. le Directeur et les officiers en exercice vont au-devant de lui pour le recevoir jusque dans le grand salon. Ils le conduisent par le corridor en la salle d'assemblée, et à la place d'honneur.

M. Coypel se place à sa droite. Les autres officiers ainsi que les honoraires, siégeant chacun à leur rang, forment le cercle ordinaire de la séance.

Au dehors de ce cercle, plusieurs personnes de considération, membres des autres académies, gens de lettres, ont occupé cette portion de la salle sur des sièges ordinaires avec les Académiciens. Les médaillistes qui devoient avoir part à la distribution des prix, derrière lesdits Académiciens et externes, debout.

La séance prise, M. Coypel prononce un discours convenable au sujet de cette fête.

Il lit ensuite une ode de M. Desportes, sur la Protection immédiate accordée par le Roi à son Académie.

Après quoi, M. le Directeur général a fait, au nom du Roi, la Distribution des Prix, qui, par des circonstances particulières n'avoit point eu lieu depuis le 13 novembre 1744, et a été faite au nombre de XLII prix, tant grands que petits.

GRANDS PRIX POUR L'ANNÉE 1745[62].

Peinture.
Second prix le sieur Lesueur.
Sculpture.
Premier prix le sieur Larchevêque.
Second   — Gillet.

PETITS PRIX.

1743.

Quartier d'octobre.
Premier  prix le sieur Duguet S.
Second    — Reen G.
Troisième — Coustou P.

1744.

Quartier de janvier.
Premier  prix le sieur Briard P.
Second    — Seest S.
Troisième — Glain P.
Quartier d'avril.
Premier  prix le sieur L'Épine S.
Second    — Duvivier le Je G.
Troisième — Corrège P.
Quartier de juillet.
Premier  prix le sieur Clément P.
Second    — Doyen P.
Troisième — Les Loys P.
Quartier d'octobre.
Premier  prix le sieur Seest S.
Second    — Corrège P.
Troisième — Aubert P.

1745.

Quartier de janvier.
Premier  prix le sieur Glain P.
Second    — Dumont S.
Troisième — Drouais P.
Quartier d'avril.
Premier  prix le sieur Doyen P.
Second    — Fontaine S.
Troisième — Perronnet P.
Quartier de juillet.
Premier  prix le sieur Beauvais P.
Second    — Lechevalier P.
Troisième — Fournier S.
Quartier d'octobre.
Premier  prix le sieur Lechevalier P.
Second    — La Traverse P.
Troisième — Deshayes P.

1746.

Quartier de janvier.
Premier  prix le sieur Melling P.
Second    — Eisen P.
Troisième — Du Pré P.
Quartier d'avril.
Premier  prix le sieur Duvivier le Je G.
Second    — Drouais P.
Troisième — Michel S.
Quartier de juillet.
Premier  prix le sieur Suzanne S.
Second    — Pajou S.
Troisième — Jeaurat P.
Quartier d'octobre.
Premier  prix le sieur Deshays P.
Second    — Wilton S.
Troisième — Mettay P.

Cela fait, la séance a été levée, et M. le Directeur général a été reconduit avec le même cérémonial qu'on a suivi à son arrivée.

Du vendredi 28 juin.

Assemblée par convocation générale.

Le directorat de M. Coypel proposé, à sa réquisition, à la mutation autorisée par l'article IX des statuts de 1663. Décidé unanimement et par acclamation que M. Coypel y sera continué.

Le sieur Reydelet fait vérifier et approuver l'état de dépense du mois prêt à expirer.

Les officiers dudit quartier déclarent avoir fait leur visite et avoir trouvé les tableaux, figures et autres effets de l'Académie en bon état.

Jugement fait par eux, des petits prix dudit quartier:

Premier  prix le sieur Lagrénée P.
Second    — Joullain P.
Troisième — Auvray S.

Du samedi 6 juillet.

Assemblée par convocation générale pour les élections indiquées, auxquelles il est procédé par le scrutin.

M. de Favanne a été élu recteur à la place de M. Christophe (décédé).

M. Dumont le Romain, adjoint à recteur, à la place de M. de Favanne;

M. Pierre, professeur, à la place de M. Dumont;

M. Hallé, adjoint à professeur, à la place de M. Pierre.

Ensuite M. le comte de Caylus a lu la Vie de feu François Lemoine, premier peintre du Roi.

Et M. Coypel a prononcé un discours en forme de réponse à cette Vie.

Du samedi 27 juillet.

Lecture de quelques-unes des conférences de feu M. Antoine Coypel, premier peintre du Roi. M. de Pesne, premier peintre du roi de Prusse, remercie l'Académie, par lettre, de la faveur qu'elle lui a faite de lui accorder le titre et le rang d'Ancien Professeur.

Du samedi 3 août.

Conférence en laquelle M. Desportes, académicien, lit la Vie de François Desportes, son père.

M. Coypel répond à cette Vie par un discours qui y peut servir de supplément.

Nomination, par la voie du scrutin, des officiers qui, avec M. le directeur, les anciens recteurs, les recteurs actuels et les adjoints à recteurs, doivent former le comité, requis par la lettre de M. de Tournehem, du 6 mai dernier, pour examiner et juger les tableaux de la prochaine exposition.

M. Leclerc, ancien professeur.
M. Vanloo,   professeurs.
M. Boucher,
M. Natoire,
M. Vermont,
M. Oudry,
M. Bouchardon,
M. Pigalle,   adjoints à professeurs.
M. Nattier,
M. Slodtz,
M. Massé,   conseillers.
M. Chardin,

Arrête aussi que l'Académie s'assemblera le vendredi 22 du courant, pour voir le Tableau et les bas-reliefs faits par les élèves pour les Grands Prix, et qui sont destinés à être exposés, suivant l'usage, à la fête de saint Louis.

Du dimanche 18 août.

Le comité s'étant assemblé en la galerie d'Apollon, où tous les tableaux d'exposition avoient été apportés, M. Coypel fait l'ouverture de cette espèce de tribunal par un discours convenable au sujet, et à la fin duquel il propose de faire un nouveau règlement, pour mieux assurer le bon choix de ceux qui, à l'avenir, aspireront au rang d'Académiciens, et dont il communique même le projet.

Ce projet, goûté unanimement par le comité, est remis à la décision de l'assemblée du dernier samedi du mois.

Après quoi on procède à l'examen ordonné.

Du vendredi 23 août.

Assemblée extraordinaire pour voir les tableaux et les bas-reliefs faits par les élèves de l'Académie, admis à concourir pour les Grands Prix.

Résolu, après avoir vu lesdits ouvrages, qu'ils seront exposés, pour le public, le jour de la Saint-Louis et jugés par l'Académie en corps, le 31 du mois courant, et que les suffrages ne seront donnés que ledit jour, conformément aux délibérations du 20 août 1740 et 19 août 1741, ce qui sera porté sur les billets.

M. Vanloo (Louis-Michel), premier peintre de Sa Majesté Catholique, fait part à l'Académie, par une lettre écrite de Madrid, de l'honneur que lui a fait le Roi de lui envoyer le cordon de Saint-Michel.

M. Sue, adjoint à professeur pour l'anatomie, fait présent à l'Académie d'un traité qu'il a nouvellement mis au jour, ayant pour titre: Abrégé de l'anatomie du corps de l'homme.

La compagnie lui a témoigné sa reconnaissance de ce présent.

Du samedi 31 août.

Assemblée par convocation générale pour juger les Grands Prix.

Lettre de M. Coypel adressée à la compagnie, pour s'excuser envers elle de ce que, appelé à Versailles par un devoir indispensable, il ne peut se trouver à cette assemblée, et pour la prier de vouloir bien se faire lire le projet de règlement au sujet des aspirants qu'il joint à cette lettre.

Jugement pour les Grands Prix de 1748, par la voie ordinaire des boîtes.

Peinture.

Premier prix le sieur Mettay.
Second  — Doyen.

Sculpture.

Premier prix le sieur Caffieri.
Second  — Dumont.

Nouveau concours décidé ensuite, conformément à l'avis de M. Coypel.

Le règlement au sujet des aspirants ayant été ensuite mis en délibération, l'assemblée a adopté unanimement le projet présenté par M. le directeur sans y faire aucun changement.

M. Moyreau, graveur et académicien, présente deux épreuves d'une planche, par lui gravée d'après Wouwermans, ayant pour titre: la Grotte du maréchal, laquelle planche a été approuvée et mise sous le privilège de l'Académie.

Du samedi 7 septembre.

Conférence où M. le comte de Caylus lit une dissertation par lui composée, sous le titre de l'Amateur, à laquelle M. Coypel répond par un discours.

Choix de six, entre dix-sept élèves, pour le nouveau concours sur l'examen de leurs esquisses.

Les sieurs:

La Rue,   Peintres.
Hutin,
La Traverse,
Briard,
Pérasche,   Sculpteurs.
Pajou,

Jugement des petits prix du quartier expirant:

Premier  prix le sieur Drouais P.
Second    — Thomire S.
Troisième — Larcher P.

M. Duchange, graveur et conseiller, âgé de quatre-vingt-sept ans, présente deux épreuves d'une planche par lui gravée d'après M. Coypel (Charles-Antoine), dont le sujet est l'Enfant Jésus au berceau: laquelle planche est mise sous le privilège de l'Académie.

M. Hallé, adjoint à professeur, nommé pour suppléer M. Parrocel, le mois d'octobre prochain, dans le service de professeur, où ce dernier a remontré ne pouvoir vaquer, à cause des ouvrages qu'il a à faire pour le Roi.

Du samedi 5 octobre.

Conférence que le secrétaire ouvre par la lecture de deux lettres en forme de mémoires pour servir à composer la Vie de M. Robert le Lorrain, sculpteur, recteur de l'Académie; l'une de ces lettres, de M. l'abbé Le Lorrain, son fils, docteur de Sorbonne, accompagnée d'un État des ouvrages faits par feu M. Le Lorrain à Saverne et au palais épiscopal de Strasbourg, l'autre lettre, de M. Lemoine le fils, professeur, jadis élève du même maître.

M. le directeur a complimenté en particulier M. Lemoine, et a ajouté «qu'il seroit à souhaiter que son exemple fût imité de tous ceux qui sont en état de donner de pareilles anecdotes.

Du samedi 26 octobre.

M. Lépicié a occupé la séance par la lecture du commencement de son Catalogue raisonné des tableaux du Roi, qu'il entreprend par ordre de Sa Majesté.

La compagnie a été si contente de cet essai, qu'elle a fortement exhorté M. Lépicié de continuer cet ouvrage avec le même zèle et le même goût. Et de plus, dans la vue de donner à ce même ouvrage toute la perfection dont il est susceptible, elle est convenue que M. le directeur général sera prié de donner des ordres pour faire apporter à l'Académie ceux des tableaux du Roi qui seront jugés transportables, afin de la mettre en état de conférer dessus et former des avis certains et bien approfondis sur le talent et le goût spécifique de chacun des grands maîtres...

M. Pigalle, adjoint à professeur, nommé en son rang, pour suppléer, le mois prochain, le service de professeur pour M. Coustou, absent.

Convenu que, le premier samedi du mois prochain se rencontrant avec la fête des Trépassés, l'assemblée seroit remise à huitaine.

Du samedi 9 novembre.

Conférence ouverte par M. Leclerc, professeur pour la perspective, par la lecture d'une dissertation sur l'Utilité de la perspective dans la peinture, et même dans la sculpture et dans la gravure.

Convenu que la dernière assemblée de ce mois sera avancée d'un jour, parce que le dernier samedi se trouvera être un jour de fête (celle de saint André).

Du vendredi 29 novembre.

Examen des tableaux et bas-reliefs.

. . . . . L'Académie a jugé à propos, pour établir l'égalité et avoir du choix, de ne destiner qu'un prix à la sculpture et d'appliquer les trois autres à la peinture.

De plus, elle a réglé que pour encourager les concurrents qui auront le plus de suffrages après ceux qui auront remporté le prix, il leur sera accordé un accessit.

M. le comte de Caylus a ensuite lu la Vie d'Eustache Lesueur beaucoup plus intéressante et plus instructive que celles qui ont été données précédemment.

Et M. Coypel y a répondu par un petit discours.

Le service pour le repos des âmes de MM. les officiers et académiciens décédés dans l'année courante et les précédentes, indiqué pour le samedi 7 du mois de décembre prochain, pour être célébré en l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, et ordonné que tous les membres du corps académique y seront invités par billets.

Du samedi 7 décembre.

Le service célébré en conséquence ledit jour, à dix heures du matin.

Jugement pour les prix du second concours par la voie des boîtes, en la manière accoutumée.

Peinture.
Premier prix le sieur Hutin.
Second   — La Traverse.
Autre second prix La Rue.
Accessit Briard.
Sculpture.
Premier prix le sieur Pajou.
Accessit Perasche.

Comme le dernier samedi du mois se rencontre avec la fête des saints innocents, convenu que l'assemblée à la fin de l'année sera remise au mardi 31 courant.

Du mardi 31 décembre.

Jugement pour les petits prix du quartier expirant:

Premier  prix le sieur Jollain P.
Second    — Guibal P.
Troisième — Dupré S.

M. Jacques-Charles Oudry, peintre à talent, agréé le 24 février dernier, présente son tableau de réception représentant sur le devant une daine (sic) morte, groupée avec un panier de gibier et autres accessoires, et est reçu par le scrutin, et prête serment.

M. Coypel, après avoir exposé en peu de mots les avantages du Nouvel Établissement de l'École royale, fait la lecture du règlement arrêté par M. de Tournehem pour déterminer et diriger les exercices de cette école.

Notifié à l'assemblée, par le secrétaire, que M. de Tournehem a décidé que les sieurs Mettay et Caffieri iront incessamment à Rome, en qualité de pensionnaires du Roi, que le sieur Hutin s'y rendra de même au mois de septembre prochain, et qu'en attendant il entrera à l'École royale où seront reçus aussi les cinq autres élèves qui ont eu des prix dans les deux derniers concours, sçavoir: les sieurs Doyen, Dumont, Pajou, La Traverse et La Rue.

M. Nattier, adjoint à professeur, est nommé à son rang pour suppléer, le mois prochain, le service de professeur pour M. Bouchardon, qui a prié d'en être dispensé à cause de l'occupation que lui donne la figure équestre du Roi.

La députation qu'il est d'usage de faire au renouvellement de l'année vers M. le directeur général et vers M. de Vandières, son survivancier, réglée par l'assemblée, pour être composée de M. Coypel, directeur, et M. de Silvestre, ancien recteur, et de MM. les officiers en exercice.

Les visites des tableaux, figures et effet étant en l'Académie, établies par la délibération du 20 juillet 1747, ayant été faites par les officiers en exercice, ils déclarent avoir trouvé le tout en bonne conservation.

M. le marquis de Calvières, associé libre, ayant été promu au grade de lieutenant-général des armées du Roi, le secrétaire est chargé à ce sujet de lui écrire une lettre de félicitation au nom de la compagnie.

M. Moyreau, graveur et académicien, présente deux épreuves d'après une planche par lui gravée d'après Wouwermans, et qui a pour titre: les Marchands forains. Cette planche, approuvée et mise sous le privilège accordé à l'Académie par l'arrêt du conseil du 28 juin 1714.

Fin du journal des séances.

Vu:
Lépicié.

Alors s'ouvre une série de biographies particulières[63] des peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs, architectes du xviiie siècle, bien maigres biographies, hélas! formées en général d'un petit nombre de feuillets détachés d'un recueil, et de rares notices de quelques pages, que j'ai cherché à grossir ici, avec un morceau manuscrit émané d'un artiste, là avec un petit paquet de lettres, plus loin avec les notes d'un carnet de poche, plus loin encore avec une supplique racontant une vie: autographes qui, ainsi mêlés aux plaquettes imprimées, font un petit corps d'histoire artistique, où il se rencontre pas mal d'inédit.

J'ai dit biographies détachées de quelques recueils, et en effet, sans l'Ordre chronologique des deuils de cour, petit in-12, publié en 1766, et dont la suite a paru sous le titre du Nécrologe des hommes célèbres de la France, nous n'aurions pour ainsi dire pas de biographies d'Aubry, de Boucher, de Deshays, de Drouais, de Gravelot, de Leprince, de Carle Vanloo, etc.

Passons en revue, au nom de chaque artiste, quelque plaquette rare ou quelque bout de papier autographe.

Boucher de Villers. «Précis pour le sieur Boucher de Villers, peintre, dessinateur des médailles pour le cabinet du Roi, contre le sieur Costel, apothicaire.» Un procès imprimé, dans lequel la verve d'un Coqueley de Chaussepierre amusa un moment la galerie aux dépens d'un Purgon «possédant la plus jolie figure d'apothicaire sans comparaison qu'il y eut à Paris», mais qui toutefois se refusait à payer son portrait, sous prétexte qu'il n'était pas ressemblant.

Boissieu. «Hommage rendu à la mémoire de Jean-Jacques de Boissieu par le conseil du Conservatoire des Arts de Lyon, dans la séance du 9 mars 1810. De l'imprimerie de Cutty.»

Caffieri. Une lettre autographe signée de Jean-Jacques Caffieri à un confrère, nous permet d'ajouter au volumineux volume, publié par M. Guiffrey, un document inédit, dans lequel le sculpteur fixe le prix de ses statues et de ses bustes:

Paris, 6 décembre 1791.

Monsieur et cher confrère,

J'ai appris avec grand plaisir que l'Impératrice de Russie vous avoit nommé son premier peintre. Son choix justifie sa sagacité et j'aime la voir toujours rendre justice aux talents. Je vous fais mon sincère compliment de cet événement qui prouve que si le mérite est quelquefois opprimé, il est aussi récompensé. Je ne doute pas que dans la place que vous allés occuper, vous ne méritiez bientôt toute la confiance de la souveraine et si par hasard elle projetoit de faire ériger quelque statue, ou si vous trouviez l'occasion de l'engager à le faire, je vous prie de vous ressouvenir d'un ancien ami. Je désire depuis longtemps travailler pour cette grande princesse et ce seroit un bien honneur pour moi que mes talents puissent lui être agréables. Je remets mes intérêts entre vos mains, persuadé qu'ils ne peuvent être mieux placés, et que vous ferés quelque chose en faveur de l'ancienne amitié. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter, non des succès, ils sont assurés d'avance, mais une bonne santé et bien des agréments.

Je suis, avec la plus parfaite estime et sincère amitié, votre très humble et très obéissant serviteur.

Caffieri.

Vous trouverés cy-joint une liste des statues que j'ai faites et des bustes que je possède. Vous savés que le prix d'une statue de six pieds en fournissant le marbre est de vingt mille livres et les bustes de quatre mille livres.

Cochin. Un recueil de lettres de Charles-Nicolas Cochin que j'ai données en mon fascicule sur cet artiste dans «l'Art du xviiie siècle».

Coypel. Du peintre au fin coloris, à l'accentuation aiguë et spirituelle du dessin, de ce Charles Coypel si peu connu, le traité d'association pour la publication de ses dessins de Don Quichotte:

Aujourd'huy vingt-trois mars mil sept cent vingt et un, nous Charles Coypel, Claude Martinot et Philippe le Reboullet, sommes convenus de faire graver à frais communs la suite de l'histoire de Dom Guichot (sic) d'après les tableaux de mondit sieur Coypel, et pour y parvenir, de fournir chacun, la somme de cinquante livres par mois, qui sera insérée dans un registre, que mondit sieur Coypel veut bien tenir. Et sommes aussi convenus, que les planches gravées resteront entre les mains de mondit sieur Coypel, qui veut bien aussi se charger du soin de l'impression. Fait triple entre nous à Paris le jour et an cy-dessus.

Charles Coypel,
Le Reboullet,
C. Martinot.

Falconet. «Éloge de M. Falconet, sculpteur, par M. Robin peintre, extrait du Tribut de la société nationale des Neuf Sœurs, Paris 1791.»

Favanne. «Mémoire pour servir à la vie de M. de Favanne, peintre ordinaire du Roy et recteur de l'Académie royale de peinture et de sculpture. A Paris, chez la veuve Pierres, 1753.»

Fragonard. De l'aimable peintre-poète, aux autographes introuvables, un billet donnant un spécimen de son écriture:

Monsieur,

Fragonard (Jean-Honoré), artiste peintre d'histoire, cy-devant logé gallerie du Louvre et de présent 2e arrondissement, Palais-Royal, chez Véry, restaurateur.

Requiert comme rentier et peintre, un numéro pour échanger un billet de banque de France de 500 francs, no 508.

Je suis avec respect et reconnaissance.

Fragonard,

20 novembre[64].

A Monsieur,

Monsieur De Rouen,
Maire du 2e arrondissement.

François. De l'habile graveur en fac-similé de crayon, une lettre, datée de 1760, et adressée à Cochin, dans laquelle le graveur lorrain sollicite la gravure des dessins du Roy, disant qu'il a le plus grand besoin de l'obtention de cette grâce.

Fredou. Un mémoire de ce peintre nous renseigne sur les difficultés, qu'en ces temps, un artiste avait à toucher l'argent d'une commande:

Mémoire.

En 1763, Frédou, premier peintre de monseigneur le comte de Provence, a été chargé par le sieur Berthier de peindre les portraits qui lui seroient indiqués par lui et par le sieur L'Enfant (Lenfant) dans les tableaux de la salle d'audience de l'hôtel de la Guerre, le marché en ayant été fait et arrêté entre le sieur Berthier et Frédou, à soixante-douze livres pour chaque tête, en présence de Messieurs Lenfant et Causette (Cosette), peintres attachés à l'hôtel de la Guerre.

Le sieur Frédou, après avoir peint dix têtes des portraits énoncés et reçus par les sieurs Berthier et L'Enfant dans les tableaux énoncés ci-dessus, a discontinué cet ouvrage en 1764, à cause des changements que le sieur Berthier a jugé à propos de faire. La demande du payement en a été faite plusieurs fois au sieur Berthier, qui a toujours retardé, disant que cet ouvrage n'était pas fini. Le sieur Frédou, ne pouvant rien obtenir du sieur Berthier, a présenté un placet, en forme de mémoire, à monseigneur le duc de Choiseuil, le 14 juin 1765, qui a ordonné (de payer) le sieur Berthier le 14 août suivant. Le sieur Berthier a mandé à Frédou de venir toucher chez le suisse de l'hôtel de la Guerre, 300 livres, à compte sur celle de 720 convenues pour les dix têtes de portraits faits par Frédou, à raison de 72 livres par chaque tête.

Il restait donc 422 livres à payer, et Fredou adressait pour toucher son argent plusieurs mémoires, en 1771 et en 1772, qui restaient sans réponse. Enfin on lui opposait un reçu d'une somme de 840 francs, touchée des mains de la duchesse de Grammont, pour un portrait du Roi.

Mais (reprend le plaignant) cet article n'a aucun rapport à ce que le sieur Frédou demande pour les ouvrages qu'il a faits pour le Roy à l'hôtel de la Guerre. Les invectives ont suivi les mauvaises raisons du sieur Berthier, qui a aussi dit à monsieur Banière que s'il me payoit la somme que je demande de 420 livres, qui m'est si légitimement due, il seroit tourmenté par une infinité de personnes pour pareille demande, et qu'il en couteroit au Roy plus de quatre cent mille livres. Ensuite a dit au sieur Frédou qu'il le ferait arrêter par quatre invalides et le feroit conduire en prison. Le sieur Frédou l'a défié de faire une pareille sottise, en lui disant qu'il ne le craignoit pas, et qu'on ne fait arrêter que les malfaiteurs et les fripons. Monsieur Banière lui a imposé silence, en représentant de respecter le lieu où cette scène se passoit, et en assurant au sieur Frédou (qu'il rendroit) compte à Votre Grandeur de ce qui s'est passé dans son bureau entre le sieur Berthier et luy, en présence du sieur Prévost, peintre du cabinet du Roy......

Gaucher. Une brochurette de la plus grande rareté, intitulée «Voyage au havre de Grâce par C.-E. Gaucher, à Paris, an VI», contenant une petite notice sur le graveur.

—Une série de billets de Gaucher, adressés au citoyen Renouard en 1795, billets dans lesquels, le délicat et consciencieux graveur parle longuement du soin qu'il apporte au petit portrait de La Fontaine, se plaignant «de sa maudite goutte qui l'empêche de sortir», et proposant, pour une nouvelle édition de Télémaque, une étude sur Fénelon par son beau-frère Poulain de Flins.

Gravelot. Une série de lettres données sur cet artiste dans mon fascicule de «l'Art du xviiie siècle».

Greuze. «Greuze, ou l'Accordée de village, par Mme de Valori, 1813.» Pièce de théâtre qui contient, en tête, la notice la plus documentaire sur le peintre de la Cruche cassée.

Hall. «Hall, sa vie, ses œuvres, sa correspondance, par Frédéric Villot, Paris, 1867.» Curieuse étude, à laquelle manque cette lettre un peu lâche, adressée en 1790, à l'Orateur du peuple[65] qui accusait la jolie femme du miniaturiste d'avoir jeté, à l'Opéra, des pommes, de sa loge, aux patriotes munis de martinets, pour fouetter les femmes en cocardes blanches, applaudissant le chœur d'Iphigénie:

Plusieurs personnes, monsieur, ayant attribué à ma femme l'anecdote de l'Opéra, insérée dans l'Orateur du peuple, je dois à la vérité d'affirmer que ma femme a passé toute la soirée de ce jour chez M. Desmarets, marchand de tableaux à l'hôtel Bullion, rue Platrière, avec M. et Mme Grétry, M. et Mme Sauvage, peintre du Roi, plusieurs officiers du bataillon de Saint-Eustache, ainsi qu'avec M. Berthélemy, aussi peintre du Roi, et plusieurs autres personnes que M. Desmarets pourroit indiquer.

La conformité de nom avec un M. Hallé, aussi peintre, et qui a épousé une certaine baronne, pourroit avoir donné lieu à ce quiproquo pour moi extrêmement désagréable. La très petite différence du nom m'a été souvent préjudiciable. Veuillez, Monsieur, après vous être assuré du fait et de la vérité, insérer dans votre plus prochain numéro que Mme Hallé qui a causé la scène de l'Opéra n'est pas Mme Hall femme du peintre du Roi; j'attends de vous cet acte de justice et j'ai l'honneur d'être avec estime, etc.

Signé: Hall, peintre du Roi,
Rue Favart, 4.

Ce 22 décembre 1790.

Houdon. «Copie de la lettre de M. Houdon, sculpteur, à M. le Président de la Société des Amis de la Constitution.»—«Réflexions sur les concours en général et sur celui de la statue de J.-J. Rousseau en particulier, par Houdon, sculpteur du Roy et de l'Académie de peinture, sculpture et gravure.»

Hubert-Robert. (Extrait du Moniteur du 29 avril 1808.) Notice de quatre pages, consacrée à l'aimable et galant peintre des ruines.

Jeaurat. «Notice de la vie et des ouvrages de M. Étienne Jeaurat, Doyen de l'Académie royale de peinture, Recteur et ancien chancelier de ladite Académie, garde honoraire des tableaux du Roi. A Versailles.» Rarissime brochure in-4, à laquelle j'ai pu joindre cette lettre autographe:

A Paris, ce 27 juin 1754.

Monsieur,

Permettez-moy d'avoir l'honneur de vous représenter que je suis le plus ancien professeur de l'Académie roiale de peinture sans avoir de pension. Celle de M. Cazes est vacante actuellement par sa mort; je vous supplie, Monsieur, de vouloir bien me l'accorder. Je suis placé immédiatement après M. de Vermont qui jouit de cet honneur par vos judicieuses attentions. Je me flatte, Monsieur, que vous voudrez bien me les continuer, en ne préférant pas ceux qui ont rendu à l'Académie moins de services que moy: il y a dix-sept ans que je professe, et j'ose dire avec une assiduité irréprochable. Vous connoissez trop les arts, Monsieur, l'émulation des artistes, pour que je n'aie pas lieu d'espérer cette grâce dont vous êtes entièrement le maître. Dans cette confiance j'ay l'honneur d'être très respectueusement, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

Jeaurat[66].

Lagrenée. L'état des tableaux faits par Lagrenée l'aîné, le journal sur lequel il les notait, au fur et à mesure de leur composition, en y joignant les prix de vente et les noms des acquéreurs: journal que j'ai donné intégralement dans ma seconde édition des «Portraits intimes du xviiie siècle».

Mme Lebrun. «Précis historique de la vie de la citoyenne Lebrun, peintre, par le citoyen Lebrun. An deuxième de la République une et indivisible.» Rare brochure de la Révolution où le mari venge sa femme des calomnies courant le monde, et affirme que le portrait du ministre Calonne n'a été payé que 3,600 livres en billets de la Caisse d'escompte, renfermés dans une tabatière, qui valait au plus 1,200 livres.

Les Mémoires de Mme Vigée-Lebrun, publiés en 1835, ont eu un teinturier, mais ils ont été mis seulement en bon français, d'après des notes vraiment rédigées par l'artiste, et, à ce sujet, je suis heureux de donner une lettre inédite que je possède, et qui nous montre Mme Lebrun s'entretenant, en 1825, avec Aimé Martin, de la composition de ces mémoires:

Ce 23 novembre 1825.

Enfin, mon bien bon, j'ai commencé ce que vous m'aviez tant redemandé depuis plusieurs années. Vous savez combien j'ai d'aversion pour faire ce que vous appelez mes mémoires. Car il faut bien, malgré tous les événements dont j'ai été spectatrice, que je parle de moi. Ce moi est si ennuyeux pour les autres que, vrai sous ce rapport, j'y avais renoncé; mais M. de Gasperini, qui comme vous m'a pressé de les écrire, m'y a déterminé en me disant: «Eh bien, Madame, si vous ne les faites pas vous même, on les fera après vous, et Dieu sait comme on les écrira!» J'ai compris cette raison, ayant été souvent si méconnue, si calomniée, et je me suis décidée, depuis quelques mois, à noter ce dont je me rappelle dans tous les temps, dans tous les lieux. Vous n'y trouverez ni styl (sic)[67] ni phrases, ni périodes. Je trace seulement les faits avec simplicité et vérité, comme on écrit une lettre à son amie.

Vous avez déjà très bien exposé, dans votre notice, quelques principaux événements de ma vie. On a pu croire par le beau côté que j'ai été la femme la plus heureuse. Eh bien, mon ami, ces hommages, ces distinctions si honorables, si flatteuses, ont été traversés par des peines bien cruelles, causées par ce qui m'était le plus proche et le plus cher! Aussi c'est ce qui m'a souvent fait penser qu'il ne faut envier le sort de personne, même de ceux que l'on croit les plus heureux. Je ne mets pas au rang de ces peines de cœur, les traits envenimés de la calomnie qui m'a toujours poursuivie. Je les ai dédaignés parce qu'ils n'étaient dictés que par des gens qui ne m'avaient jamais connue. Malgré l'intérêt que je porterai sur les événements remarquables, que ma position dans le monde m'a mis à même de voir de près, ainsi que les personnages les plus distingués de l'Europe que j'ai bien connus, je crains que mes mémoires ne paraissent fades en comparaison de tous ceux que l'on fait aujourd'hui. Vous saurés que je loge à présent, rue Neuve-des-Capucines, no 9.

Donnez-moi de vos nouvelles et de celles de votre chère et aimable compagne.

Venez me voir en attendant que je plante la crémaière (sic) qui sera lorsque je serai tout à fait arranjée (sic).

Je suis toujours les samedis soirs, mais en très petit comité.»

Le Clerc. Un mémoire de ce peintre adressé à François de Neufchateau, le 21 fructidor an VI, et dans lequel il demande la place de professeur à la cinquième école centrale de la Seine, nous donne un petit morceau de la biographie de cet artiste qui n'en a pas:

... J'étais salarié par l'ancien gouvernement comme attaché par lui à la manufacture d'Aubusson; j'étois chargé de faire les tableaux formant une tenture, qu'elle en recevoit tous les deux ans.....

La Révolution ayant détruit cet ordre de choses, j'ai perdu mon emploi, et avec lui, le fruit de quinze ans de travaux dans différents genres de peintures propres à être exécutées dans cette fabrique, que j'avois fait pour parvenir à en obtenir l'agrément.

Comme peintre d'histoire, j'ai constamment exercé l'étude du dessein. Depuis vingt-cinq ans, plus de six cents feuilles de principes et d'études ont été gravées dans le goût du crayon, d'après mes ouvrages. Et le débit continuel qui s'en fait, tant en France que dans tous les États de l'Europe, où l'on cultive les beaux-arts, constate d'une manière certaine leur utilité publique: voilà les titres que je présentois à l'appui de ma demande, et auxquels je joignois les portes que la Révolution m'a fait éprouver, notamment celles que je fis sous le règne du vandalisme, lorsque mon atelier fut dévasté, et une quantité d'objets précieux et utiles à mon art furent détruits, sans que j'aie obtenu aucune part des secours distribués alors, en vertu d'un décret de la Convention, aux sçavants et aux artistes qui ont souffert de la Révolution.

Si le besoin pressant d'être employé m'a fait, il y a deux ans, vivement solliciter une place, ma détresse n'a pu qu'augmenter depuis ce laps de temps: j'ai une femme et deux enfants qui, ayant embrassé mon état, sont dans le cours de leurs études, et par conséquent à ma charge.

Le Clerc[68],
Peintre, rue des Noyers, no 30.

Lemoyne. «Vie ou éloge historique de Jean-Baptiste Lemoyne, ancien Directeur et Recteur de l'Académie royale de peinture et de sculpture par Dandré-Bardon, Paris, 1779»; rare brochure, ainsi que celles dont Dandré-Bardon est l'auteur.

Malbeste. Nous publions ici le traité passé par ce graveur avec le libraire Lamy pour la gravure de «la Revue de la maison du Roi, par Moreau», traité qui, avec le petit motif gravé en spécimen, avec les échelonnements des payements, avec la gratification en cas d'exactitude, avec le nombre d'épreuves d'eaux-fortes avant la lettre et d'épreuves ordinaires accordées à l'artiste, peut être considéré comme un type et comme un modèle des traités passés, en ce temps, entre un éditeur et un graveur.

Nous, Pierre-Michel Lamy, libraire demeurant à Paris, quai des Augustins, voulant faire graver sur cuivre, un dessein fait par Moreau le jeune, représentant «la Revue faite par le Roy des troupes de sa maison à la plaine des Sablons»; nous, Georges Malbeste, graveur, demeurant aussi à Paris, rue Saint-Martin, no 242, demandant cet ouvrage, et ayant fait un petit groupe[69] d'après ledit dessein, pour servir au sieur Lamy à juger de mon talent, dans cet état, nous dits Lamy et Malbeste soussignés, avons fait le traité et convention, cy après écrits.

1o Moi, dit Malbeste, promets audit sieur Lamy et m'oblige envers lui de graver exactement ledit dessein, de même format que la planche de la Revue du Roy, gravée par Lepaon, de commencer tout de suite les travaux de la dite gravure, et de ne pas entreprendre d'autres ouvrages de gravure pour y travailler avant que celle-cy ne soit finie, m'engageant encore à ne rien épargner pour la perfection de la dite gravure, afin qu'elle soit au moins aussi bien faite que le petit groupe, que j'ai fait d'après ledit dessein, reconnaissant avoir reçu de mondit sieur Lamy tant le susdit dessein que la planche de cuivre sur laquelle je dois faire la gravure.

2o Le prix des ouvrages ainsi que des retouches à faire, s'il y écheoit, pour la perfection de la gravure dudit dessein, a été fait et convenu entre nous à trois mille trois cents livres, payables par moi, dit Lamy, en neuf payemens, dont le premier de deux cent soixante-quinze livres a été fait à l'instant, moi, dit Malbeste, reconnaissant avoir reçu du mondit sieur Lamy, la dite somme de deux cent soixante-quinze livres dont je le tiens quitte, et à l'égard du second terme de payement de pareille somme de deux cent soixante-quinze livres, il sera fait, lorsque la première opération de gravure de la dite planche à l'eau-forte sera à moitié faite, ce que moi, Malbeste, promets avoir fait d'ici à la mi-mars prochain. Le troisième payement de cinq cent cinquante livres, aussitôt que la gravure de la dite planche à l'eau-forte sera finie, ce que moi, dit Malbeste, promets avoir fait dans le mois de juin prochain. Le quatrième payement de deux cent soixante-quinze livres sera exigible, lorsque les cieux de ladite planche seront à moitié faits, ce qui sera dans le mois de septembre prochain. Le cinquième payement, aussi de deux cent soixante quinze livres, échoira lorsque les cieux de ladite planche seront finis: ce qui sera dans le mois de décembre de l'année prochaine. Le sixième payement, encore de deux cent soixante-quinze livres, lorsque les figures de ladite planche seront faites à la moitié, ce qui sera à la moitié de février mil sept cent quatre-vingt-sept. Le septième payement, de même de deux cent soixante-quinze livres, sera fait lorsque la gravure des dites figures sera achevée, ce qui sera dans le mois de mars mil sept cent quatre-vingt-sept. Le huitième payement, pareillement de deux cent soixante-quinze livres, lorsque la planche sera aux premières épreuves, ce que moi Malbeste, promets pour la fin du mois d'avril mil sept cent quatre-vingt-sept. Le neuvième et dernier terme de payement de huit cent vingt-cinq livres sera fait lorsque tous les ouvrages à faire pour ladite gravure seront finis et que moi, Malbeste, rendrai ladite planche dûement gravée, ainsi que les susdits desseins, ce que je promets pour la fin de juin mil sept cent quatre-vingt-sept.

Déclarant réciproquement que, par l'indication des époques de payement ci-dessus, pour tout ce qui reste dû du prix de ladite gravure, nous n'entendons que déterminer la proportion convenue entre nous de la progression des payements à celle de l'avancement de l'ouvrage, de manière à n'exiger aucune autre avance, et conséquemment que sans attendre les époques cy-dessus énoncées, si moi, dit Malbeste, parviens à les anticiper en avançant les ouvrages, les divers payements du prix me seront faits aussitôt que je seray parvenu aux différents degrés cy-dessus; je serai tenu d'attendre, pour exiger le payement, jusqu'à ce que j'aie complété la partie de l'ouvrage correspondante, sans pouvoir l'exiger plus tôt, et, à cet effet, de donner connaissance de l'état des travaux à mondit sieur Lamy.

3o Indépendamment des termes de payement cy-dessus stipulés, auxquels moi, dit Lamy, promets de satisfaire à leur échéance, je m'engage en outre de payer par forme de gratification audit sieur Malbeste, s'il me rend ladite planche bien et dûement gravée, finie et prête à en tirer des épreuves, pour être mises en vente d'ici au dernier mai mil sept cent quatre-vingt-sept, une somme de trois cents livres, que je lui payerai en même temps que celle de huit cent vingt-cinq livres du dernier terme cy-dessus stipulé, laquelle promesse, qui est convenue conditionnelle, sera comme non avenue et de nulle valeur, si ladite planche n'était pas gravée, finie et rendue ledit jour dernier mai mil sept cent quatre-vingt-sept, et, au contraire, dans le cas, où moi, dit Malbeste, n'aurai pas fini et rendu ladite planche d'icy au dernier juin mil sept cent quatre-vingt-sept, je m'engage à souffrir par forme d'indemnité, une diminution de trois cent livres sur le montant du prix cy-dessus stipulé de trois mille trois cent livres, au moyen de quoi le dernier terme de payement ne sera plus dans ce cas, que de cinq cent vingt-cinq livres au lieu de huit cent vingt-cinq.

4o Il est réservé à moi, dit Malbeste, douze estampes à l'eau-forte, douze au fini avant la lettre et six idem avec la lettre, dont le papier sera fourni et les frais d'impression payés par moi, dit Lamy, promettant expressément moi, dit Malbeste, de ne faire tirer aucune épreuve de la dite planche par aucun autre imprimeur que M. Dubu, promettant aussi de n'en faire tirer que deux épreuves à chacun des différents degrés de perfection de la dite planche, et à mesure que la gravure avancera.

Tout ce qui est écrit cy-dessus a été convenu entre nous sous notre promesse réciproque de l'exécuter de bonne foy, à peine de tous dépens, dommages et intérêts. Fait double à Paris, le douze décembre mil sept cent quatre-vingt-cinq.

G. Malbeste.

Marillier. Du vignettiste à la mode, dont l'existence est tout à fait inconnue, voici une lettre qui nous le montre, à la fin de sa vie, retournant à son premier métier, à la gravure:

Beaulieu, le 13 germinal an XII (3 avril 1804).

Il est très vrai que l'eau-forte que j'ai faite pour vous m'avoit effrayé par la nouveauté de son objet, par la perfection du dessin et par mon inexpérience dans la partie d'architecture; mais mettant une sorte d'amour-propre à lutter contre les difficultés, j'ai employé pour les vaincre beaucoup de temps et de soins. Néanmoins je craignois de n'avoir pas réussi à votre gré, et je le craignois d'autant plus, que le vernis de la planche que M. Degenth m'avoit préparée étant venu à s'écalier (sic) pendant la morsure, je ne présumois pas que les épreuves pussent offrir un ton de couleur suffisant. Vous avez la bonté de me rassurer; cependant, tant que je n'auroi pas vu d'épreuves, je croiroi que la satisfaction que vous me témoignez est l'effet de votre indulgence. Si monsieur Degenth, qui a eu la complaisance de me les faire tirer, ne les a pas remises à mon frère, je vous prie de lui dire de les remettre à M. Ferousat, mon voisin, porteur de cette lettre, qui aura la bonté de me les apporter.

Vous pourrez aussi profiter de cette occasion pour me faire parvenir mes honoraires, que j'aurois désiré que vous fixassiez vous-même; mais puisque vous me forcez à m'expliquer sur cet objet, si vous trouvez que huit louis soient trop cher relativement aux spéculations commerciales, vous pouvez réduire cette somme au niveau des autres, attendu que ma première ambition est celle d'imiter votre honnêteté.

Je vous prie aussi de retenir, sur ce que vous remettrez à mon voisin, le prix du port de la planche et du tirage que M. Degenth a avancé pour moi, n'étant pas juste qu'en m'obligeant, il en soit pour ses frais.

Comme le nouvel exercice que je fais de la gravure, doit me rendre peu à peu la facilité et l'expérience que j'avois acquises en ce genre, je pense que, si vous me chargez de nouvelle besogne, vous en serez plus content; vous pouvez du moins être persuadé que j'y apporterois tous mes soins.

J'ai l'honneur d'être, avec un véritable attachement,

Votre serviteur,

Marillier.

La lettre est adressée au graveur Tilliard qui a écrit en marge: «Remis au sieur Feroussat pour M. Marillier la réponse à la présente. J'ai joint un billet de cent quatre-vingt-dix livres, payable au 20 messidor prochain, et 40 francs que j'ai remboursés au sieur Degent, font les 8 louis portés en la présente.»

Marin. Du continuateur et de l'émule de Clodion, un petit recueil de mémoires et de lettres nous permet de donner quelques détails inédits sur sa vie. C'est d'abord un mémoire daté du 19e vendémiaire, an IV de la République, où il se plaint d'avoir eu brisé, au Salon, un modèle en terre représentant la Maternité, exécuté pour le citoyen Pillot, et brisé de manière à ne pouvoir être réparé, les têtes ayant été emportées, sans doute, dit-il, «afin d'en copier les expressions et les intentions». Il estime sa perte à la somme de 5,000 livres et sollicite une indemnité de la commission d'Instruction.

Dans un autre mémoire, il réclame pour une statue en plâtre, mesurant 2m80, et représentant une Paix offrant l'olivier, exécutée pour la fête du 18 brumaire an X, et pour en avoir fait faire le moule à creux perdu, remonté et réparé le plâtre, présidé au transport et à la mise en place dans le Temple: le tout avec célérité, tant de jour que de nuit, et l'emploi dispendieux d'hommes nécessaires, il réclame 3,000 livres, prix convenu.

Puis, dans une lettre, datée de février 1814, et adressée à M. Vern, le sculpteur annonce son installation définitive à Lyon:

Le lendemain du jour (écrit-il) où je suis arrivé, je me suis présenté à mes collègues et au directeur de cet établissement, M. Artaux. Ils ont pensé que, vu la circonstance, je devais loger au Palais des Arts, ci-devant palais de Notre-Dame de Saint-Pierre; vous pensés bien, mon ami, combien j'ai été sensible à ces douces paroles, et que de suite, sans délibérer un instant, j'ai été chercher mon petit bagage à l'hôtel du Parc, où j'avais passé la nuit avec grande inquiétude... Me voilà donc, depuis trois semaines, occupé par ce nouvel emploi, donnant des leçons de sculpture, et dans les intervalles, occupé à faire quelques petites choses pour moi, en attendant les beaux jours pour exécuter quelque chose pour le Salon, si le temps le permet.

Je me suis mis en pension chez une bonne dame veuve, fort âgée et très dévote, dont la cuisine est douce et bonne... Je n'éprouve pas cet ennui mortel que fait éprouver un déplacement, je m'occupe beaucoup; sans cela, je tomberais dans des réflexions accablantes, au lieu que par le travail je m'oublie, et crois souvent être à Paris, et voir toutes mes affections. Une chose à laquelle j'ai peine à m'habituer, c'est ce tambour presque perpétuel...

Dans une autre lettre datée du 4 juillet, Marin dit:

Ma place est assez douce, mais les appointements ne sont pas payés en totalité; depuis un an, l'on ne touche que les deux tiers de ce qui est accordé: cela se rétablira peut-être un jour.....

Mais, en dépit de cette perspective, Marin s'ennuie à Lyon; il se rappelle au souvenir du maréchal Gouvion Saint-Cyr, et dit à son correspondant, qui s'est mis à sa disposition, que la seule chose à faire pour lui, est de travailler à le rapprocher de Paris et de ses amis, et que le jour où il lui en écrira la certitude, ce sera mon bon réveil du matin.

Une dernière lettre du 10 août 1815, toujours datée de Lyon, est une longue lamentation:

Combien le séjour de Lyon me devient insupportable et je cherchais journellement à invoquer la raison pour me donner la force de supporter une privation aussi grande que celle de ne pas être auprès de mes amis... Quel pays pour un sculpteur que la ville de Lyon! quel pays où l'on ne peut pas compter un ami, et dans les instants où l'on en pourroit avoir plus de besoin! Quelle consolation n'éprouve-t-on pas après avoir causé avec un ami! Combien vous m'avez fait éprouver de fois ce bon temps! Ces instants se retracent sans cesse à ma mémoire... que de tableaux doux et aimables!... Avec quelle complaisance la mémoire les retrace au cœur! Aimables rêveries et tendres ressouvenirs, quand pourrai-je en retrouver les souvenirs enchanteurs... J'ai péniblement travaillé de mon art sans travaux commandés. Rien ne fatigue le génie comme de se voir dans un pays... où les habitants ne daignent pas regarder: c'est l'argent seul, c'est ce qui en rapporte qui a prise dans cette ville. Oui certes, il y a de grandes fortunes... mais ce n'est pas le pays des arts, ni des artistes, grand Dieu! Quel maudit espoir m'a porté à si bon marché dans cette ville... J'éprouve encore, mon ami, une contrariété qui n'est pas petite, c'est de ne pas être payé de la totalité de mes appointements, au lieu de cent louis par an, je ne touche que 1400 francs.....

Masquelier. «Notice nécrologique sur N.-F. Masquelier, dit le Jeune, graveur lillois. Lue à la Société d'Amateurs des sciences et arts de Lille, dans sa séance du 11 août 1809, par Bottin, membre résident.»

Moreau. Notice sur M. Moreau (extrait du Moniteur, no 355, an 1814). Notice qui, jointe aux notes biographiques par Lemonnier, écrites à la sollicitation de la Société philotechnique, dont Moreau faisait partie, et à la nécrologie, perdue dans le volume de Ponce sur les Beaux-arts, résume ce que les contemporains ont imprimé sur le merveilleux dessinateur.

Mique. «Dénonciation de Richard Mique, architecte de la Reine, ses cruautés, ses barbaries envers son frère qu'il a renié et fait mourir à Bicêtre, et présentée à l'Assemblée nationale par Catherine Mique, fille de l'infortuné Mique.»

Catherine Mique dénonce son oncle, comme ayant accusé son père de désertion, de supposition de personne, de bigamie, de profanation des sacrements. Cette dénonciation devait, à quelques années de là, faire périr l'architecte de la Reine, dans la fournée des 58 personnes du 19 messidor an II.

Natoire. «Mémoire pour le sieur Natoire, peintre du Roi, chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, Directeur de l'Académie royale de France à Rome, défendeur, contre le sieur Adrien Mouton, ci-devant l'un des élèves de ladite académie. C'est le mémoire à propos du billet de confession de Mouton qui fit tant de bruit.»

Nini. «Jean-Baptiste Nini, ses terres cuites par A. Villers, Blois 1862.» Petite brochure devenue rare, contenant un essai de catalogue des médaillons de l'original ciseleur en terre.

Paris. «Notice sur M. Paris (Pierre-Adrien), architecte du Roi et dessinateur de son cabinet (sans lieu ni date).

Portail. «Notice sur le peintre Pierre Portail par Dugast-Matifeux» (sans lieu ni date).

Quenedey. De l'inventeur du physionotrace, une lettre autographe, adressée au maire du IIe arrondissement, le 1er février 1816:

Edme Quenedey, né dans la paroisse de Riceys-le-Haut (Aube) le 17 décembre 1756; un peu moins d'un an de l'âge requis pour l'exemption naturelle; mais ayant des douleurs rhumatismales alternativement qui souvent me privent de l'usage du bras gauche, et ayant tous les hivers un rhume cathareux qui me fait cracher le sang. En voilà beaucoup plus, monsieur, pour me faire préférer de coucher en prison, pourvu qu'elle soit à l'abri des injures du temps, à faire faction, au milieu de la rue, de nuit, soit en hiver, soit en été...

Rosalba. «Diario degli anni MDCCXX et MDCCXXI, scritto di propria mano in Parigi da Rosalba Carriera, dipintrice famosa, publicato D. Giovanni Vianelli. Venezia, nella Stamperia Coletti, 1793.» C'est le journal du séjour en France de la Pintresse au pastel, et qu'a traduit M. Sensier.

Saint-Aubin. Une série de placets et lettres d'Augustin de Saint-Aubin, dont j'ai donné la plus grande partie en le fascicule des Saint-Aubin, dans «l'Art du xviiie siècle».

Saint-Non. «Notice de Jean-Claude Richard de Saint-Non, abbé commendataire de l'abbaye de Poultières, diocèse de Langres, amateur honoraire de l'Académie de peinture par Gabriel Brizard. De l'imprimerie de Clousier, 1792.» Notice rare de l'abbé aquafortiste.

Sauvage. D'une correspondance de ce peintre, imitateur en grisaille de la sculpture, avec M. de Fontanel, garde des dessins de l'Académie de Montpellier, j'extrais une lettre:

Monsieur et ami,

Si je n'ai pas répondu tout de suite à celle que vous m'avez adressée, c'est que je suis presque toujours absent de chez moi, aiant une besogne considérable à Saint-Cloud où je fais le plafond de la chapelle de la Reine. Je suis là pour tout l'hiver: quant à ce que vous me demandéz, j'ai fait toutes les informations possibles sans savoir. Messieurs les entrepreneurs de papier ont bien soin de cacher leurs peintres: ce n'est pas la première fois que je fais ces recherches. L'été dernier, pour obliger une dame de la campagne, j'ai fait différents dessins, comptant sur ces mêmes peintres pour les faire exécuter en papier: je n'ai jamais pu les trouver. Je donnois mes dessins à Robert, marchand de papier sur le boulevard Montmartre, qui me les fit faire et en même tems les fit doubles pour lui. Je suis fâché de n'être pas plus heureux dans mes recherches. Je compte toujours emploier le premier moment que j'aurai pour vous remercier de l'excellent vin de Frontignan, que vous avez eu la bonté d'envoier à madame Sauvage. J'espère que vous trouverez ce genre de boëte assez drôle; l'on m'en demande beaucoup, mais je n'en fais guère, je suis cette année dans le plafond. Je suis à finir celui du cabinet de M. le duc de Praslin; toutes ces grandes choses m'empêchent de m'appliquer au petit, et je n'en suis pas fâché. Je m'en trouve bien de toute façon... Je ne sais si M. de Joubert reviendra bientôt, je n'ai plus de ses nouvelles, et, à son dernier voyage à Paris, je n'ai pas été chez lui. Je ne le vois plus qu'aux assemblées de l'Académie, sans cependant être brouillé, mais je n'ai pas à me louer de son fils, quoiqu'il ait fait tout au monde, pendant le dernier Salon, pour me dissuader de ce que l'on m'avoit dit. Il m'avoit accusé d'avoir engagé son père à se présenter à l'Académie comme amateur, pour le mieux engager à acheter des tableaux. Comme je ne me suis jamais mêlé à faire acheter des tableaux à M. de Joubert qu'il ne m'est arrivé qu'une fois de lui conseiller d'en faire faire un, par Taunay, étant à Rome, ce qu'il a fait. Le tableau a été payé 600 livres, prix que j'ai fait moi-même; j'ai dit après ce propos tenu que je reprendrai le tableau pour 40 louis, car il les vaut. Mais tout cela vient d'un nommé Gaudefrois, raccommodeur de tableaux qui les a empaumés, et cet homme n'aime pas les artistes dans les maisons où il va. Voilà le mot. Je vous dis tout cela entre nous; je vous prie que cela ne passe pas. M. de Joubert m'a toujours comblé d'amitiés, je lui ai dit tout bonnement pourquoi je n'allais plus chez lui; apparemment qu'il en a parlé à son fils, qui m'a accosté et à qui j'ai dit vertement ce que je pensois. Voilà les hommes, Monsieur: il faut les prendre comme ils sont.

Je suis bien mortifié de ne pas faire votre affaire; si je puis découvrir quelque chose à cet égard, vous le saurez tout de suite. Pour vos papiers ordinaires, et même du joli, il y a une manufacture nouvelle, rue de Seine, à côté du Jardin du Roi. C'est un Hollandais de ma connaissance, et ami de M. Spandonck, nommé Wemex, si vous vouliez en essayer, vous me le manderez, pour la promptitude je l'ai toujours fait employer avec plaisir.

Je suis pour la vie, Monsieur, votre ami

Sauvage.

Surtout motus sur les messieurs Joubert.

Paris, ce 13 décembre 1787.

Surugue. Une lettre du graveur Louis Surugue, datée du 30 octobre et adressée à M. Lemoine, receveur général des salines du Roi, à Moyenvic en Lorraine, nous donne de son vivant le prix de ses gravures. Le portrait de la Sylvia coûte 2 livres, celui de la Desmares 2 livres 2 sols, le portrait de la marquise *** (Mme de Mouchy) en habit de bal, 2 livres. La Camargo et la Sallé, grandes estampes dans des paysages, sont au prix de 3 livres, chacune.

Swebach. De ce peintre, devenu directeur de la manufacture impériale de Russie, une volumineuse correspondance pendant les années 1819-1820, adressée à Louis Larcher de Saint-Vincent, nous le montre pendant ces années, brocantant là-bas, selon son expression, «comme un diable».

Saint-Pétersbourg, le 13 mars 1809.

Mon cher Louis,


Pour les terres et la maison de Château-Thierry[70], fais pour le mieux et comme pour toy, voulant me débarrasser de ces deux drogues, et ayant l'intention de réunir le plus possible en argent comptant, en ce moment ayant en plus de ce que tu as en main, une trentaine de mille francs, dont partie est déjà à Paris, et espérant encore, d'ici à mon départ, augmenter mon lopin, quitte à voir ce que j'en ferai quand je serai à Paris.

Tu seras vraiment étonné quant tu reverras Édouard, qui est devenu un grand et beau garçon, ayant très bonne tournure et un talent auquel tu ne t'attends pas. Je te promets que le premier tableau qu'il fera à Paris, sera pour toy.

Quant à mes espérances ici, elles sont bien faibles. On promet ici beaucoup et on ne tient rien. J'ai affaire aux plus vilaines gens qu'on puisse connaître. Les Russes ne sont pas beaux à voir chez eux, et, je le répète, il faut mériter d'être pendu chez nous pour venir ici.

Le climat et tout ce que l'on m'a fait souffrir ici, ont détruit ma santé, et de plus je désespère d'être récompensé, et ce n'est qu'à force de privations que j'ai amassé quelque chose, pour qu'il ne soit pas dit, que j'avais fait huit cents lieues, en pure perte.


Écris-moi quand tu pourras, je n'ai plus que toi, les autres m'abandonnent. Ma sœur ne me donne plus de nouvelles, parce que j'ai refusé de lui prêter 45,000 francs; Maillard parce que je ne veux pas qu'il vende mes tableaux et en employe l'argent, enfin qu'en bon ami, je ne veux pas faire bourse commune.


J'espère après le jour heureux, où je pourrai vous embrasser tous, et boire, à votre bonheur, ce bon vin de France, dont je ne bois pas tout mon saoul dans ce maudit pays.

J'espère à mon retour vivre tranquille au milieu de mes enfants et du peu d'amis que j'ai. Je serai peu riche, mais je suis sans ambition, je travaillerai jusqu'à la fin de mes jours, mais pour m'amuser, et je n'espère qu'après le repos. Ma tâche en ce monde approche de sa fin.......

Swebach.

Saint-Pétersbourg, ce 26 juillet 1819.

Mon cher Louis,

Je viens d'expédier pour France deux caisses que je t'adresse.

Je prépare tout pour mon retour, malgré que je ne puisse pas encore indiquer l'époque juste, n'étant pas dans un pays où l'on puisse faire toujours ce que l'on veut, et dont il me tarde fort de sortir.


Je m'ennuie beaucoup, mais je me porte un peu mieux et je crois que je pourrai reconduire ma pauvre carcasse en France, et que nous pourrons rire encore quelquefois aux dépens des ultra des deux côtés, étant tout naturel qu'à mon âge on soit tout ventre. En rentrant, je pourrai dire avoir vu de près toute espèce de forme de gouvernement, et pourrai t'en donner des nouvelles.


Chose assez drôle, c'est que dans ce pays, dans le moment, nous sommes entourés de trois forêts qui brûlent, dont la plus éloignée est à deux heures. Ces forêts se sont enflammées par la force et continuité de la chaleur excessive, que nous avons éprouvée ici, depuis plus de six semaines. Elle a été de 35° à l'ombre. Voilà un avantage de ce pays. Les hivers sont longs à la vérité, mais ordinairement secs et vraiment superbes, et l'été court, mais aussi beau qu'en Italie. Ce qui rend le climat pernicieux est la transition subite de la chaleur au froid, ce que j'ai vu arriver quelquefois plusieurs fois dans un jour. La végétation est superbe et d'une rapidité étonnante, et c'est dans ce pays qu'existent les plus beaux jardins à l'anglaise du monde, les nôtres ne sont que des miniatures à côté, en raison de la cherté du terrain, qui ici ne coûte rien.....

Saint-Pétersbourg, 20 janvier 1820.

Mon cher Louis,

Du reste, mes affaires vont assez bien. Outre les 1,200 fr. de rente que tu as entre les mains, il y en a encore 1,400 entre celles de M. Baguenault, banquier, plus 11,008 francs en caisse chez lui, et 12 à 15 à recevoir ici. Mon engagement est fini, on m'a fait des propositions extravagantes pour me retenir, que j'ai refusées. On s'est rebattu sur mon fils; j'ai refusé de même, Édouard ayant besoin de Paris pour son talent. Je suis en attendant les papiers qui me sont nécessaires, pour partir à Moscou. J'ai vendu tous mes effets, voitures, chevaux et autres, et je bous d'impatience, attendu qu'il m'est promis par le ministre l'ordre de Sainte-Anne pour récompense de mes services, et que de jour en jour je l'attends.....

Ce 2 mars 1820, Moscou.

Mon cher Louis,

J'ai fait de bonnes affaires ici. Je rapporte une énorme quantité de curiosités, telles que pierres gravées et bijoux. J'ai reçu beaucoup de cadeaux. Enfin je suis fêté d'une manière extraordinaire, et s'il ne m'arrive pas d'être malade en route, tu me verras à Paris fort content. En cas de malheur, tu sauras qu'il me reste encore 16 à 17,000 francs sur M. Baguenault, banquier. J'en rapporte encore 10,000 et un peu plus de 25,000 livres de boîtes dorées, de bagues en brillants et autres pièces précieuses, turquoises superbes, talismans turcs et arabes, antiques, pierres gravées de toute espèce. Tu vois que mon voyage a mieux fini qu'il n'avait commencé. Mes tableaux ici font fureur. J'ai constamment cinq à six seigneurs qui se les disputent, à mesure que je les fais, et j'en profite pour leur vendre plus cher...

Moscou, ce 15 mars 1820.

Mon cher Louis,

Je me porte bien et j'ai vendu ici pour près de 8,000 fr. de tableaux, et comme il m'en restait encore pour près de 30,000 francs, et que je n'ai pas le temps de les vendre comme je le désirerais, j'ai pris le parti de les troquer contre de belles pierres gravées et beaux camées antiques et autres bijoux et curiosités de facile transport, ayant l'intention, à mon passage en Allemagne, de tâcher de m'en défaire avec avantage. Nous sommes ici continuellement en bombance, les seigneurs nous envoient leurs voitures, et nous allons de fêtes en fêtes..... Voilà enfin notre voyage qui tire à sa fin, assez heureusement; nous passons par Vienne et Munich après avoir traversé la Pologne et la Russie dans sa plus grande longueur, et le résultat sûr dudit voyage est 60,000 fr., 25,000 à 30,000 fr. d'objets précieux, et la croix de Sainte-Anne: toutes ces choses ne sont pas trop bêtes, et il me semble que cela valait la peine de les venir chercher. J'ai bien souffert à la vérité, mais je crois cependant que je rapporterai mes os dans ma patrie.


Si tu vois Maillard, préviens-le de mon arrivée; je rapporte en France du lapis, du superbe outremer venant des Indes et de la Chine par les Boukares, de plus la collection complète des jades, agates, marbres, porphyres de Sibérie et d'Asie, en outre plus de cinquante bagues antiques, camées, pierres gravées et autres; en plus, j'ai reçu des cadeaux de plusieurs seigneurs et j'en ai d'un prince Baratinski et de Yousof et d'un comte Golowine[71]. J'ai aussi une collection de belles améthystes, topazes, aigues-marines, rubis, émeraudes, opales et cornalines... J'ai brocanté dans cette ville comme un diable. L'outremer se vend ici à la livre. Je n'exporte pas de fourrures, elles sont ici plus chères qu'à Paris...

Vanloo. «Vie de Jean-Baptiste Vanloo, professeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture, par M. Dandré-Bardon, recteur. Paris, Louis Cellot, 1779.»

Vanloo. «Description d'un tableau représentant le sacrifice d'Iphigénie par Carle Vanloo (par Caylus). Paris, Duchesne, 1757.»

Wailly. «Notice historique sur Charles de Wailly, architecte... Lue à la séance publique de la Société philotechnique, le 20 brumaire an VII, par Joseph Lavallée. De l'imprimerie de la Société des amis des arts, an VII.»

Wille fils. Une supplique à la duchesse d'Angoulême, en date du 9 janvier 1825, du malheureux peintre, âgé de 73 ans, ayant perdu, aux mauvais jours de la Révolution, la fortune amassée par son père, et incapable de payer la pension à Charenton de sa femme, devenue folle.

Nous terminerons cette étude des livres d'art, par une énumération des livres concernant la curiosité et une revue des catalogues de vente du xviiie siècle.

Et d'abord un petit livre rarissime, qui mérite d'ouvrir le chapitre de la curiosité: Relation en forme de lettre, sur les dépenses suggérées par un goût outré pour des curiosités passagères, ou par une passion désordonnée pour différents genres de compilations. Terminée par un expédient de bienfaisance[72]. C'est une facétie passant en revue les goûts et les manies du temps. On y rencontre le collectionneur de médailles, le collectionneur de coquilles dont les cabinets étaient si nombreux à cette époque; le collectionneur d'estampes «qui a enfoui 40,000 écus dans l'obscurité de 60 portefeuilles»; le collectionneur de partitions de musique, qui possède tous les divertissements, cantates, cantatilles, recueils de chansons, sonates, concertos, duos, solos, enfin tout ce qui a été imprimé ou gravé en fait de musique, depuis quarante ans; le collectionneur de biscuits et de terres cuites représentant tous les amours et les savoyards, les nymphes et les vielleuses, et qui échangerait l'Andromède du Puget, pour les statuettes de Manelli, de la Tonnelli, ou de quelque virtuose du boulevard; le collectionneur d'argenterie et de boîtes baroques, demandant, tous les jours, un renouvellement de la forme, et dont l'opulence inquiète ne veut pas se contenter de l'orfèvrerie de Balin et du vieux Germain, de la bijouterie de Georges; le collectionneur de tentures de la Chine, qui se défait de ses tapisseries de Flandres, de Beauvais, des Gobelins, pour se procurer «les extravagantes beautés des peintres chinois». Mais de tous ces amateurs le type le plus passionné est une collectionneuse de porcelaines, qui, après avoir donné dans la Chine et le Japon, dégoûtée par l'avilissement apporté à ces porcelaines par les envois de la Compagnie des Indes, s'est jetée dans le Saxe, et après avoir dit que l'argenterie n'est bonne que pour des commis, des vieux militaires, s'écrie: «J'avoue que le Saxe coûte un peu cher... Mais aussi j'ai huit services de tables complets, indépendamment de ce que j'ai déboursé pour faire remonter en Saxe mes glaces, mes lustres, mes pendules, ma toilette et ma garde-robe. En vérité, j'ai une passion pour le Saxe qui va jusqu'à l'adoration. Enfin je suis Saxe des pieds jusqu'à la tête..... Il n'y a pas jusqu'à mon almanach et mes livres de piété qui ne soient reliés en Saxe.»

A cette brochure il faut joindre: «Réflexions sur la peinture et la gravure, accompagnées d'une courte dissertation sur le commerce de la curiosité et les ventes en général, par Joullain fils aîné, 1786»; «le Répertoire des tableaux, dessins et estampes, ouvrage utile aux amateurs, 1788»; et parmi les livres modernes, le Livre-Journal de Lazare Duvaux, marchand bijoutier ordinaire du Roi, qui contient, de 1748 à 1758, les achats des jolités et bibelots de tous les curieux et les curieuses du temps: livres parmi lesquels doit prendre sa place: «la Confession publique du brocanteur, Amsterdam, 1776», brochurette où le sieur Ferre-la-Mule, au moment de mourir dans une tempête, confesse tous les trucs des marchands de tableaux du temps, trucs bien innocents, quand on les compare à ceux des marchands de tableaux contemporains.

Maintenant, faisons le dénombrement des catalogues originaux.

Sur deux planches, rangés par ordre de dates, se succèdent tous ces petits et gros catalogues de vente, montrant, en une sorte d'obituaire des amateurs et des artistes du xviiie siècle, le passage aux enchères, depuis le règne de Louis XV jusqu'à la Révolution, de tout le joli et exquis mobilier d'art du temps: pauvres petites brochurettes autrefois si méprisées, et dont, en face l'Institut, j'ai vu remplie toute une boîte de bouquiniste à 20 centimes, et dans laquelle j'ai acheté le catalogue de Boucher, et dans laquelle se trouvait, au même prix, celui du peintre de Troy, ce catalogue qui vient de se vendre 1,000 francs à la vente de M. Reiset.

Le catalogue sommaire des dessins de grands maîtres d'Italie, des Pays-Bas, de France... du cabinet de feu M. Crozat (1741), la plus extraordinaire collection de dessins qui fut jamais, et composée des dessins de Jabach qui n'avaient pas été cédés au Roi, des dessins de M. de la Noue, l'un des plus grands curieux de France, des dessins que mademoiselle Stella avait trouvés dans la succession de son oncle, des dessins provenant des débris de la collection Vasari, des dessins des Carrache achetés aux héritiers de Pierre Mignard, d'une partie considérable de dessins de Raphaël, découverts par le collectionneur à Urbin, des dessins de Rubens sortant du cabinet d'Antoine Triest, évêque de Gand, des dessins provenant des ventes de milord Sommers à Londres et de Van der Schilling à Amsterdam.

Le catalogue raisonné de diverses curiosités du cabinet de feu M. Quentin de Lorangère (1744); le catalogue de l'énorme collection de tableaux, dessins, estampes, dans lequel est insérée l'intéressante notice de Gersaint sur Watteau.

Le catalogue raisonné d'une collection considérable de diverses curiosités, en tous genres, contenues dans les cabinets de feu M. Bonnier de la Mosson, Bailly et Capitaine des chasses de la Varenne des Thuileries (1744). Et c'étaient chez Bonnier de la Mosson: 1o un cabinet d'anatomie, 2o un cabinet de chimie, 3o un cabinet de pharmacie, 4o un cabinet de drogues, 5o un cabinet du tour, 6o un premier cabinet d'histoire naturelle, contenant les animaux en fiole, 7o un second cabinet d'histoire naturelle contenant les animaux desséchés, 8o un cabinet de physique, 9o un troisième cabinet d'histoire naturelle contenant l'herbier, les coquilles parmi lesquelles se trouvait la fameuse coquille nommée la Scalata, la seule existante à Paris, et que M. Bonnier avait achetée 1,500 livres en Hollande: ces neuf cabinets ornés «de tout ce que l'art a pu imaginer de mieux et de plus agréable» comme sculpture recherchée et délicate, glaces, dessus de portes, etc.

Le catalogue.... de feu M. le chevalier de la Roque (1745). M. de la Roque était l'ancien gendarme de la garde du Roi, à la jambe emportée par la canonnade de Malplaquet, le privilégié du Mercure, l'ami de Watteau, dont il passait à sa vente les deux tableaux des «Fatigues» et des «Délassements de la guerre.»

Le catalogue des tableaux du cabinet de M. Crozat, baron de Thiers (1745), l'inestimable collection passée en Russie.

Le catalogue raisonné des bijoux, porcelaines, bronzes, laques, lustres de cristal de roche, pendules de goût.... provenant de la succession de M. Angran, vicomte de Fonspertuis (1747). C'est la collection des plus rares porcelaines de la Chine et du Japon, le cabinet où les amateurs allaient apprendre à connaître le vrai et le beau, et qui renfermait les plus parfaits morceaux d'ancien bleu, avant la substitution de l'émail à l'azur naturel, et les morceaux les plus gras et les plus crémeux d'ancien blanc.

Le catalogue de tableaux et des objets d'ébénisterie... du sieur Cressent, ébéniste du palais et de feu S. A. I. Monseigneur le duc d'Orléans (1747), dont les travaux rivalisaient avec ceux de Boule, et dont l'expert vante le contour simple et noble de ses commodes, et l'incrustation épaisse et pleine de ses boîtes à pendules.

Et des catalogues, j'en passe, comme j'en ai déjà beaucoup passé, et comme j'en passerai encore plus, faisant une course à vol d'oiseau, à travers cet immense inventaire de la curiosité.

Le catalogue d'une collection de tableaux, dessins estampes... de M. Le Lorrain (1758), lorsqu'il avait l'honneur d'être choisi par l'Impératrice de Russie pour être son peintre.

Le catalogue des tableaux... du comte de Vence (1760), vente où s'adjugeaient pour 550 livres «l'Écureuse» et le «Garçon cabaretier» de Chardin, ces deux merveilles de la peinture laiteuse, dont nous avons vu revendre l'un 23,200 fr., à la vente de Camille Marcille.

Le catalogue de tableaux... de feu messire Germain-Louis Chauvelin, ministre d'État (1762) parmi lesquels figuraient les tableaux de Watteau, connus sous les titres de la «Lorgneuse» et de «l'Accord parfait».

Le catalogue de tableaux, dessins, estampes... de feu J.-B. de Troy, directeur de l'Académie de Rome (1764), où se trouvait une collection d'esquisses de choix de l'école française.

Le catalogue de tableaux, dessins, estampes... de Deshays, peintre du Roy (1765), vente dans laquelle étaient livrés aux enchères une grande quantité d'études et de dessins du gendre de Boucher.

Le catalogue de tableaux, sculptures, dessins, estampes, porcelaines, bijoux, meubles précieux... du duc de Tallard (1766). Un cabinet en général formé de tableaux de l'école italienne, et où le duc n'avait consenti à admettre des maîtres de l'école flamande «qu'autant qu'ils avaient travaillé dans le genre noble et sublime». Dans les sculptures, bronzes, meubles précieux, était vendue une série de magnifiques lustres en bronze, à propos desquels l'expert déclarait que, «quoique les lustres de cristal aient absolument prévalu pour la décoration des appartements, un lustre de bronze doré a plus de noblesse et convient bien mieux pour un cabinet de peinture, où un lustre de cristal devient trop brillant et rompt le bel accord, que tout amateur de peinture doit rechercher dans l'assemblage des chefs-d'œuvre de l'art».

Le catalogue... du peintre Aved (1766), auquel il faut joindre le catalogue de sa seconde vente faite en 1770. Ce peintre, qui passait pour un des plus parfaits connaisseurs d'Europe, et qui avait mis dans sa collection tout son patrimoine et le bien de sa femme, avait réuni un choix de tableaux et de dessins de ses contemporains, et toute une suite de natures mortes de son ami, et collaborateur dans la peinture de portraits, Chardin.

Le catalogue des effets curieux... du cabinet de feu M. de Selle, trésorier de la Marine (1766), qui contenait, parmi des tableaux et des porcelaines, une suite de marbres, de bronzes, de terres cuites de François Girardon, Auguier, le Lorrain, Gaspard de Marsy, Antoine Coysevoix.

Le catalogue de tableaux originaux de différents maîtres, miniatures, dessins, estampes sous verre, de feu Mme la marquise de Pompadour (1766); petite plaquette de 32 pages, ne contenant que 99 numéros, et où n'apparaît rien de son somptueux mobilier, que nous retrouverons plus tard à la vente de son frère, le marquis de Ménars. Cette vente ne renferme de remarquable et de digne de la favorite, que les deux grandes compositions de Boucher «le Lever et le Coucher du soleil», qui font aujourd'hui partie de la collection de M. Richard Wallace.

Le catalogue des statues en pierre, en plâtre, en terre et bronzes, modèles et ustensiles d'atelier qui seront vendus chez le sieur Aycard, sculpteur, à la Petite Pologne, près la barrière du faubourg Saint-Honoré.

Le catalogue raisonné des tableaux, dessins, estampes et autres effets curieux, après le décès de M. de Julienne (1767), l'amateur par excellence du siècle, et dont la vente des tableaux de toutes les écoles, des laques les plus recherchés, des meubles de l'ébéniste Boule, était annoncée dans une vignette, par une Renommée apprenant à l'Europe que le cabinet de M. de Julienne était à vendre.

Le catalogue de tableaux, groupes, figures de bronze, porcelaines rares... de feu M. Gaignat, ancien secrétaire du cabinet du Roy (1768); une des collections, dit l'expert Remy, les plus recommandables entre toutes par l'excellence des choix. Les porcelaines de la Chine et du Japon sortaient des cabinets de S. A. R. Madame la duchesse d'Orléans, de la comtesse de Verrue, du prince de Carignan, du comte de Fontenai, le plus grand connaisseur en porcelaines.

Le catalogue du sieur Amand, peintre du Roy en son Académie royale de peinture, devant avoir lieu le 30 juin 1769 et jours suivants, rue du Cul-de-sac de la Bouteille, et consistant en tableaux, dessins, estampes et autres ustensiles à l'usage de la peinture. Ce catalogue, avec sa courte notice biographique, qui est, ainsi que pour un certain nombre de petits peintres obscurs du xviiie siècle, tout ce qu'on possède à peu près de documents sur leur vie ignorée, nous montre la misère d'une vente d'artiste de ce temps, d'un artiste qui n'est pas à la mode. On y voit son grand tableau de «Mercure et Argus» se vendre 49 livres, son autre tableau de «Psyché abandonnée par l'Amour» 52 livres, enfin son tableau de «Soliman II devant lequel on déshabille des femmes esclaves», ne pas dépasser 80 livres.

Le catalogue... de feu M. Cayeux, sculpteur (1769); une importante réunion de dessins, parmi lesquels il y en avait de Bouchardon, de Boucher, de Vanloo, de Pierre, de Natoire, de Jeaurat, de Cochin fils, de Greuze.

Le catalogue des tableaux, figures, bustes de marbre, bas-reliefs de terre cuite, morceaux d'ivoire... de M. Lalive de Jully (1769); collection contenant les plus beaux échantillons de l'art français depuis Simon Vouet jusqu'à Vien, et où se trouvait «le Père de famille lisant la Bible» de Greuze, et le curieux portrait de Watteau par la Rosalba.

Le catalogue de tableaux, groupes de bronze, porcelaines... de M. Beringhen, premier écuyer du Roi (1770), qui avait toute une collection d'animaux, de vaches, de singes, en bleu céleste et violet.

Le catalogue raisonné des tableaux, estampes, bronzes, terres cuites, laques, porcelaines de différentes sortes... de feu M. Boucher, premier peintre du Roi (1771). A propos de ce catalogue, répétons que les catalogues qui n'avaient pas été employés avant nous, dans la biographie des gens, sont les naturels et les seuls introducteurs, en ce temps, dans les milieux de leur vie, et que pour l'explication du talent des artistes, ces inventaires dédaignés apportent de curieux renseignements. C'est ainsi que nous avons pu donner de la pastorale enrubannée du Maître, et la charrue et la herse et le petit bateau de pêcheur: des modèles-joujoux; c'est ainsi que nous avons pu montrer le coloriste vermillonné des dernières années, peignant dans un tendre embrasement de tons de coquillages et d'éclairs de matières précieuses.

Le catalogue de tableaux à l'huile, à gouache et au pastel, peintures de la Chine, enluminures, dessins précieux, estampes... de feu Huquier, graveur (1771). Une nombreuse réunion de dessins et d'estampes renfermant un grand nombre d'académies, de tous les maîtres. On y remarquait une suite de recueils de dessins reliés en volumes, parmi lesquels il y avait 45 dessins de monuments de Rome par Poussin, les 150 dessins originaux à la sanguine de Gillot pour les fables de Lamotte, 39 dessins faits d'après les plombs de Meissonnier, une suite de 150 charges à la plume et au bistre pour l'illustration des Songes pantagruéliques de Pantagruel, par Huquier. Les dessins et les estampes laissés par Huquier étaient en si grande quantité, qu'une seconde vente avait lieu la même année.

Le catalogue ou plutôt les deux catalogues de Mlle Clairon (1773), dont la vente se faisait rue du Bacq, près le Pont-Royal. La collection préférée de la tragédienne était une collection d'histoire naturelle avec les divisions en minéraux, cristallisations, stalactites, pierres calcaires, agates, cailloux, jaspes, pétrifications, pierres fines, coraux, madrépores-antroites, méandrites, tubipores, fougipores, millepores, rétépores, lithophites, éponges, alcyons, vermiculaires, lépas, oreilles de mer, nautiles, limaires nérites, buccins, tonnes, casques, rochers, pourpres, volutes, olives, porcelaines, huîtres, peignes, cœurs, tellines, moules, oursins, opercules, coquilles terrestres, fluviatiles, étoiles de mer. La seconde vente qui avait lieu un mois après, montrait aux regards des curieux, au milieu d'habillements de sauvages, de costumes turcs, de choses exotiques et d'estampes, les objets de ville usuels et familiers de la grande actrice: une navette de laque rouge à cartouche de laque noir et or, doublée de nacre et garnie en or; une écritoire de trois pièces, en cristal de roche, garnie en or, sur un plateau en éventail de laque fond noir avec arbres et fabriques en or et bordure aventurinée; un souvenir d'or de couleur avec des cartouches à portraits et cure-oreille d'or d'Allemagne; une montre ovale, à huit pans, dans une boîte de cristal de roche d'un travail ancien et délicat; un porte-crayon et un dé d'or; un étui à aiguilles d'or; un berloquier d'acier garni de cinq flacons, d'une paire de ciseaux damasquinés d'or, d'une lorgnette à deux verres, d'un tire-bouchon d'argent en olive à secret, d'un couteau de nacre de perle, garni de deux lames dont une d'or.

Le catalogue de dessins... de M. Lempereur (1773) où se trouvait une suite de plus de quarante dessins de Bouchardon.

Le catalogue de tableaux... de feu M. Jacqmin, joaillier du Roi et de la Couronne (1773), à la vente duquel la «Naissance de Vénus» de Boucher, gravée par Levasseur, se vendait 480 livres, et bon nombre de boîtes en émail de Mailly et de Rouquet.

Le catalogue de tableaux originaux... de M. le C. de D. (1774). C'est la vente de Du Barry le Roué, après sa fuite de France, à la mort de Louis XV. Cette vente contenait des Watteau, des Boucher, des Greuze.

Le catalogue raisonné des différents objets de curiosités dans les sciences et dans les arts qui composaient le cabinet de feu M. Mariette, rédigé par Basan (1775); précieuse collection presque uniquement composée de dessins et d'estampes, et qui montait à 288,500 livres.

Le catalogue des tableaux, figures, bustes... du duc de Saint-Aignan (1776) qui possédait les deux jolis tableaux de Subleyras, connus sous les titres du «Faucon» et des «Oyes du frère Philippe».

Le catalogue de dessins... de M. Neyman, orné d'un frontispice de Choffart (1776), et contenant 1,266 numéros de dessins de maîtres.

Le catalogue de tableaux précieux, miniatures, gouaches... de M. Blondel de Gagny (1776), vente où repassaient le Murillo, le Rembrandt, le Teniers, le Wouwermans de la comtesse de Verrue.

Le catalogue de tableaux, dessins précieux, vases de marbre et de bronze, porcelaines de premier choix, ouvrages du célèbre Boule... qui composent le cabinet de M. Randon de Boisset (1777). C'est le catalogue d'un financier de goût, aux achats conseillés par Boucher, Greuze, Hubert-Robert, et où les plus beaux tableaux flamands et français voisinaient avec des marbres les plus rares de l'Italie, et où posaient, sur les plus parfaits meubles de Boule, des porcelaines de la première qualité coloriée, comme les collectionneurs n'en avaient pas vu passer en vente depuis trente-cinq ans.

Le catalogue de tableaux italiens, français, hollandais... dont la vente se fera le lundi 17 février 1777 et jours suivants, à trois heures de relevée, rue Saint-Honoré, hôtel d'Aligre. Cette vente anonyme est la vente faite par Mme Du Barry, dans les premiers embarras d'argent de sa disgrâce, et dont nous avons raconté les détails dans son histoire[73]. Parmi les tableaux importants livrés aux enchères, signalons un tout petit tableau (H. 6 p., L. 10 p.) de Gabriel de Saint-Aubin, représentant un peintre dessinant un modèle de femme nue, couchée sur un canapé, sujet que le petit maître a gravé lui-même à l'eau-forte de sa pointe la plus spirituelle. Il serait intéressant de retrouver ce tableautin, qui fixerait sur le faire à l'huile de ce gribouilleur de génie à l'aquarelle, et dont on ne possède pas une peinture de genre authentique.

Le catalogue de tableaux, dessins, terres cuites... de monseigneur le prince de Conti (1777), immense et splendide collection dont les tableaux montaient à 897,985;—les peintures à gouache et miniatures, à 14,446;—les dessins à 39,472;—les terres cuites et vases de bronze, à 29,509;—les pierres fines et bagues, à 39,365;—les médailles antiques, à 6,681;—les bijoux, a 26,466: total, 1,053,944.

Le catalogue de tableaux et dessins originaux... de feu M. Natoire (1778) qui consistait en quelques spirituelles peintures de Watteau, Boucher, Subleyras, Fragonard, Hubert-Robert, et une suite de compositions et d'études de l'ancien directeur de l'Académie de Rome.

Le catalogue de tableaux originaux... de Mme *** (Mme de Cossé), 1778, vente où passait le petit modèle des chevaux Pégases des Tuileries.

Le catalogue de tableaux, sculptures en marbre, bronze, plomb doré... provenant de la succession de feu M. l'abbé Terray, ministre d'État (1778), dont la préface dit: «L'amateur qui avoit formé ce cabinet, vouloit encourager les artistes ses contemporains, et, sans refuser son admiration aux ouvrages des anciens, contribuer, autant qu'il le pouvoit, à la splendeur des arts en France.»

Le catalogue d'une collection de dessins choisis de maîtres célèbres des écoles italienne, flamande et française... de feu M. d'Argenville (1779), collection de dessins qui passait pour la plus capitale après celle de M. Mariette.

Le catalogue d'une belle collection de tableaux originaux... composant le cabinet de M. *** (M. Trouart), contrôleur des bâtiments du Roi (1779), où se trouvait cataloguée l'esquisse terminée du sacrifice de «Callirhoë» de Fragonard et des terres cuites de Clodion, la Rue, Houdon.

Le catalogue de quelques tableaux et dessins et d'une nombreuse collection d'estampes... du sieur Joullain (1779), un des marchands et experts célèbres du temps.

Le catalogue raisonné de tableaux... de M. Poullain, receveur général des domaines du Roi (1780), nombreuse collection formée de tableaux provenant des cabinets Montmartel, prince de Conti, Randon de Boisset, Blondel de Gagny.

Le catalogue des tableaux et dessins précieux qui composent le cabinet de M. de Sireul (1781), cabinet presque exclusivement composé de dessins de Boucher, et qui valait à cette collection le nom de Portefeuille de M. Boucher.

Le catalogue des différents objets de curiosité dans les sciences et arts qui composaient le cabinet de feu M. le marquis de Menars (1781). Cette vente du frère et de l'héritier de Mme de Pompadour est la vraie vente de la favorite, et où passe, mêlé à quelques beaux tableaux acquis par son frère, tout le mobilier d'art de la virtuose et de la curieuse[74].

Le catalogue de tableaux... après le décès de Mme Lancret (1781), rare petit catalogue qui contenait 21 numéros de tableaux du Maître, et dont le plus cher, «la Réception d'un cordon bleu», auquel on joignait encore un «Louis XV tenant un lit de justice», se vendait 299 livres. Avec ces tableaux s'adjugeait un millier de dessins, par lots de 40, de 60, qui allaient de 3 à 6 livres.

Le catalogue de vases, colonnes, tables de marbres rares, figures de bronze, meubles précieux... du duc d'Aumont, catalogue orné de trente planches (1782). Là est décrit le mobilier du xviiie siècle, où peut-être s'unit le plus fastueusement à la richesse et à la rareté des matières le précieux du travail, où le bronze doré s'associe aux plus beaux marbres tirés des anciens monuments de Rome, un mobilier, qui n'a de rival dans le passé que celui de la duchesse de Mazarin, et qui contient à la fois d'incomparables tables de marbre et de porphyre, un choix de porcelaines d'ancien bleu et blanc de la Chine provenant du cabinet de Mgr le Dauphin, fils de Louis XIV, une réunion unique de lustres, de lanternes, de bras ciselés par le célèbre Gouthière.

Le catalogue d'une belle collection de tableaux de M. *** (Nogaret), 1782, contenant «Jupiter et Antiope» et «l'Amour se dérobant à la correction de Vénus» de Watteau, «le Bal» de Pater, «le Moulin de Charenton» de Lancret.

Ces catalogues, ils se trouvent en général dans leur brochure de papier peigne, avec le nom du destinataire écrit sur la couverture. Mais quelquefois, par hasard, on a la bonne fortune de les rencontrer reliés en maroquin, plus souvent en veau, d'un joli veau clair semblable à une planchette de citronnier, décorée de filets sur les plats, d'un dos orné, d'une tranche ornée, et tels que j'ai rencontré le Quentin de Lorangère, le Blondel de Gagny, le Randon de Boisset. Ces catalogues sont en général des exemplaires de l'expert qui a dirigé la vente, et ils contiennent les prix et les noms des adjudicataires. Quelquefois même ils sont plus précieux et peuvent passer pour de vrais documents d'art. C'est ainsi que j'ai acquis, à la vente de M. Duchesne du cabinet des Estampes, le catalogue de tableaux, sculptures de dessins... du graveur Le Bas (1783) ayant en double les eaux-fortes du portrait et du fleuron, et contenant, à la fin, un historique manuscrit de la vente de 56 pages, et où j'ai trouvé sur Chardin et Moreau des anecdotes qui ne se trouvent que là.

Le catalogue des tableaux, dessins, marbres, bronzes, terres cuites,... du cabinet de M. *** (Blondel d'Azincourt), 1783, cabinet où se trouvaient réunis «l'Enfant prodigue» de Teniers, «le Marché aux Herbes» de Gabriel Metzu, «le Charlatan» de Karel Dujardin, «les Champs-Elysées» de Watteau, une suite de dessins du meilleur temps de François Boucher, un amour en marbre, grandeur naturelle, de Saly.

Le catalogue d'une collection précieuse de marbres d'Alsace tels que porphyre, granit, serpentin, composée de vases de différentes formes comme coupes, cuvettes et fûts de colonnes... montés en bronze doré d'or mat, exécutés sur de beaux profils et modèles de M. Feuillet (1784), collection d'échantillons de morceaux taillés de porphyre, dont la taille était alors toute nouvelle en France, et qu'on offrait aux curieux jaloux de comparer la matière antique avec la matière moderne.

Le catalogue de tableaux... du comte de Merle (1784), parmi lesquels figurait le tableau de Berghem, connu par l'estampe d'Alliamet sous le titre de l'Ancien Port de Gênes.

Le catalogue raisonné d'une très belle collection de tableaux des écoles d'Italie, de Flandres et de Hollande qui composaient le cabinet du comte de Vaudreuil, grand fauconnier de France (1784), catalogue dans lequel on annonçait la vente de huit tableaux de Vernet, propres à la décoration d'une galerie ou à l'embellissement de deux salons: 1o un clair de lune; 2o un site montagneux; 3o une tempête; 4o un soleil couchant; 5o une vue de mer par un temps de brouillard; 6o un coup de vent; 7o un second soleil couchant; 8o un feu d'artifice.

Le catalogue de tableaux, dessins, estampes, terres cuites, marbres, bronzes antiques et modernes... de M. le bailli de Breteuil (1785), catalogue dont la pièce capitale était un surtout de table composé de petites architectures représentant le temple de Flore pris sur celui de la Sibylle Tiburtine, le temple de Minerve, le temple de Mercure, un cirque, deux arcs de triomphe, des obélisques, des trophées, des colonnes triomphales, des sceaux à rafraîchir, des figures d'Isis: le tout exécuté en lapis, en prime d'émeraude, en jaspe verdâtre, en rouge antique, et monté en bronze doré; un surtout, dont faisaient partie 75 couteaux aux manches composés des matières les plus précieuses, aux lames d'or. Dans ce catalogue du bailli de Breteuil, est encartée, dans mon exemplaire, une feuille des vins à vendre, et parmi lesquels figurent les vins à la mode du temps, «les vins de Vosne, de Beaune, de Châteauneuf du Pape, de Champagne rouge, de Carcassonne, d'Ay de plusieurs âges, d'Ay œil de perdrix, de Sautterne, de M. le maréchal de Biron, de Tokaï de plusieurs âges, du Cap blanc et rouge, de Madère doux et sec, de Malvoisie, de Madère, de Pontac, de Piccolets de Venise, de Pietro de Ximenès, de Malaga rouge, de Septuval doux et sec, de Ranciaux, de Procopia, de Mantillia, de Peralte.»

Le catalogue des tableaux... de M. le marquis De Veri (1788), catalogue qui renferme la plus nombreuse collection de tableaux de Greuze, livrée aux enchères, et parmi lesquels se trouvaient «la Malédiction paternelle, la Mort du père de famille, l'Hermite visitée par une troupe de jeunes filles, l'Ivrogne, la Cruche cassée, la Fille au chien, le Tendre Désir, le Petit Bonnet rond».

Le catalogue d'une belle collection de tableaux, esquisses à l'huile... de M. Nourri, conseiller au grand conseil (1785), où l'on vendait 36 livres 2 sols, le portrait de Molière par Antoine Coypel.

Le catalogue des dessins, estampes, ustensiles de peintre... de Lepaon, le peintre de batailles de S. A. R. Monseigneur le prince de Condé (1786), pauvre et rare petit catalogue de huit pages.

Le catalogue des tableaux, gouaches, miniatures... de M. Bergeret (1786). C'est le Bergeret qui emmena Fragonard et sa femme en Italie, et voulut se payer de ses frais en s'appropriant les dessins du peintre faits pendant le voyage. Dans la vente du Turcaret passent des tableaux, et le mobilier de marbre et de bronze doré des financiers du temps. Parmi les sculptures, figure toute une suite de figures et de bas-reliefs de Clodion, où au milieu des Bacchanales, des Lupercales, des sacrifices au dieu Pan, la sentimentalité de l'époque avait introduit un petit monument en terre cuite, dédié aux mânes d'un serin.

Le catalogue des tableaux... du cabinet de M. Watelet (1786), contenant une collection de tableaux choisis de l'école française, où l'on admirait des Tremolière, des Vanloo, des Chardin, des Boucher, des Doyen, des Greuze, des Vernet, des Hubert-Robert, et le fameux portrait du cardinal Richelieu peint en émail par Petitot.

La notice des objets curieux dépendants de la succession de M. le duc de Choiseul (1786), renfermant les deux figures, grandeur nature, de «l'Automne» et de «l'Hiver» peintes par Watteau pour la salle à manger de Crozat.

Le catalogue de tableaux... de M. de Boullongne, conseiller d'État (1789), où se vendait la «Toilette de Vénus», de Boucher.

Le catalogue de tableaux, de dessins précieux... formant le cabinet de M. Collet, secrétaire du cabinet de Madame Sophie de France (1787); jolie collection d'aimables choses, d'où viennent «le Mercure de France» et «le Concert agréable», les deux gouaches de Lawreince, qui font partie de ma collection de dessins.

Le catalogue de tableaux, portraits peints depuis le xive siècle jusqu'à nos jours, miniatures... de feu M. le duc de Richelieu, pair et premier maréchal de France, chevalier des ordres du Roi, connétable, premier gentilhomme de la chambre de Sa Majesté, lieutenant général de haute et basse Guyenne, noble Génois, l'un des quarante de l'Académie française (1788). Une immense collection que cette collection du duc de Richelieu, avec ses subdivisions en tableaux, miniatures, estampes encadrées, livres d'estampes, figures et bustes de marbre blanc, figures et bustes de bronze, vases de marbre, porcelaines truité fin, porcelaines d'ancien Japon, porcelaines bleu céleste, porcelaines céladon, porcelaines de la Chine coloriées, porcelaines d'ancien blanc, porcelaines bleu et blanc, pagodes et terres des Indes, vases de terre d'Angleterre, anciens laques, porcelaines de Saxe montées et de service, porcelaines de Sèvres et autres manufactures, porcelaines de Chantilly, pendules de bon genre, lustres et lanternes, feux, bras et flambeaux, tables de marbre, meubles de différents genres, boîtes précieuses en cailloux montées en or, et bijoux médailles.

Le catalogue des bustes et vases de marbre... du maréchal duc de Duras (1789), vente dont les objets les plus précieux étaient une commode, un secrétaire, des encoignures, un bureau bibliopographique, en laque du Japon et du Coromandel, d'une qualité tout exceptionnelle.

Nous analyserons encore rapidement quelques catalogues de ventes faites pendant la Révolution.

Le catalogue d'objets rares et curieux du plus beau choix... provenant du cabinet de M. Le Brun (1791). C'est l'énorme liquidation du fameux marchand de tableaux, où l'on voit repasser et se vendre, à des prix inférieurs, toutes les acquisitions, que, depuis une trentaine d'années, il avait faites dans les ventes célèbres, et dont il n'avait pu encore se défaire.

Le catalogue de tableaux, gouaches, estampes... de De Launay, graveur du Roi (1792), chez lequel, selon l'habitude qu'avaient les graveurs du temps, d'acheter les tableaux et les dessins qu'ils burinaient, se trouvaient les tableaux de Fragonard qu'il avait gravés, sous les titres du «Petit Prédicateur» et de «L'éducation fait tout,» et les deux gouaches de Lawreince qu'il avait également gravés, sous les titres de «Qu'en dit l'abbé» et «l'Heureux Moment».

Le catalogue des objets précieux... trouvés après le décès du citoyen Donjeux (1793), une autre vente d'un «négociant de tableaux et de curiosités», dont on trouve le nom parmi les adjudicataires de toutes les grandes ventes de la fin du siècle.

Le catalogue des tableaux précieux, figures, bustes en marbre, groupes et figures de bronze... de feu M. Choiseul-Praslin (1793), une collection commencée par le père du duc, dès 1750, et où se trouvaient réunis: «le Fauconnier» de Rubens, «l'Embarquement de vivres» de Berghem, «la Petite Sainte-Famille» de Rembrandt, «la Boutique d'épicerie» de Gérard Dow, «le Colombier» de Wouwermans, «la Prairie» de Potter, un superbe Claude Lorrain.

Le catalogue de tableaux, dessins, estampes... du citoyen Buldet, ancien marchand d'estampes (an V de la République), où est catalogué «Notre-Seigneur guérissant les malades», la pièce de Rembrandt, dite aux cent florins.

Le catalogue de dessins et d'estampes... de Basan, le fameux marchand d'estampes, contenant la gouache de Baudouin, gravée par Simonet, sous le titre: «Rose et Colas.»

Le catalogue de tableaux, pastels, gouaches, dessins, figures et bustes de marbre... de feu Grimod de la Reynière (1797), une collection de montres anciennes, et une réunion de tabatières précieuses, telle qu'il n'en avait jamais été offerte en vente.

Poursuivons cette étude dans le xixe siècle, où nous rencontrons de précieux objets d'art du temps sur des catalogues, après décès, de vieux survivants du siècle ou de leurs héritiers.

Le catalogue du cabinet de feu M. Augustin de Saint-Aubin (1808), catalogue où se rencontrent des dessins des deux frères, et où treize peintures de Gabriel Saint-Aubin (sujets de scènes familières, pauvres tableautins qui n'ont pas même de cadres), se vendaient 15 francs 60 centimes.

La notice succincte de tableaux, dessins et estampes, après le décès du graveur Choffard (1809), dont un seul numéro contient 440 dessins de Baudouin, Boucher, Cochin, Fragonard, Moreau.

Le catalogue raisonné d'objets d'art... de feu M. Sylvestre (1810), ancien maître à dessiner des Enfants de France, collection renfermant un choix de dessins excellents, et d'où sont sortis, au prix de 22 francs, les deux portraits au pastel de Chardin et de sa femme, qu'on voit aujourd'hui dans le salon des pastels du Louvre.

La collection de dessins et d'estampes... de M. Paignon-Dijonval (1810), la plus innombrable collection de dessins et d'estampes qui ait été jamais réunie par un particulier.

Le catalogue raisonné de gouaches et dessins du cabinet de M. Brunn Neergard (1814), une réunion de dessins du xviiie siècle, au milieu desquels les dessins de Prud'hon font, pour la première fois, leur entrée dans les ventes.

Le catalogue d'une collection nombreuse de tableaux, pastels, émaux, miniatures... de feu M. Richard de Ledan (1816); catalogue dans lequel l'expert annonce huit mille portraits du xvie, xviie, xviiie siècle, peints à l'huile au pastel, en émail, et dont huit cent quarante-cinq garnissent des tabatières.

Le catalogue de tableaux, gouaches, miniatures, tabatières précieuses... de feu M. Quentin Craufurd (1820), catalogue dans lequel cet Anglais, amoureux de la France et de son histoire, avait réuni une immense et curieuse collection de portraits des personnages illustres du temps de Louis XIV.

Les trois catalogues de tableaux, d'estampes, de curiosités, du baron Denon (1828), ce choix d'art de tous les temps et de tous les pays.

Le catalogue de tableaux... d'Hippolyte Lemoyne, le fils de Lemoyne le sculpteur (1828). A cette vente passait le tableau de Boucher, représentant un peintre à son chevalet, qui est Boucher, ayant près de lui sa femme et son élève Deshays, qui deviendra son gendre. Et passait encore un tableau de Pierre, daté de 1748, représentant un sculpteur dans son atelier, qui est Lemoyne, aux côtés duquel se tient son élève Pajou.

Et de ventes d'héritiers de peintres et de sculpteurs, contenant quelques glorieux morceaux de l'artiste qui leur a donné son nom, nous allons comme cela jusqu'à la vente de Caroline Greuze, la fille du peintre, faite par Thoré en 1843.

C'est le tour des arts industriels, des arts gymnastiques, des arts mécaniques.

L'art de la céramique est représenté par un certain nombre de documents, parmi lesquels je ne veux citer qu'un document manuscrit inédit, donnant la composition d'un service de porcelaine de Sèvres et les prix des différentes pièces:

ÉTAT DU PRÉSENT FAIT PAR LE ROY A SA MAJESTÉ LE ROY DE DANEMARCK ET AUX SEIGNEURS DE SA SUITE, LIVRÉ PAR LA MANUFACTURE ROYALE DE PORCELAINES, LE 9 NOVEMBRE 1768.

1 tableau. Sujet de soldats 960 fr.
1 d'après M. Pierre 840  
1 d'après M. Vanloo 720  
1 vase fond vert avec le portrait du Roy 600  
2 vases peints à bas-reliefs, 480  960  
2 432  864  
1 buste du Roy en sculpture 144  
Service en bleu caillouté d'or.
48 assiettes à 36fr. 1728fr.
8 compotiers 48  384 
4 51  204 
2 sucriers 132  264 
2 plateaux à deux pots à confitures 120  240 
2 soucoupes à pied 51  102 
14 tasses à glaces 24  336 
2 seaux à glaces 252  504 
2 à 1/2 bouteilles 156  312 
2 à topettes 120  240 
2 ovales 156  312 
2 crénelés 204  408 
2 gobelets et soucoupes bleu et or 30  60 
14 48  672 
6 gobelets et soucoupes bleu céleste 54  324 
1 pot à sucre    48 
1    54 
2 théières 60  120 
2 pots à lait 60  120 
1 jatte à rincer 54 
Sculpture.
1 groupe de la Fée Urgèle 144 fr.
2 du Sabot cassé 60fr. 120 
2 groupes de la Loterie à 96  192 
2 des Gourmands 42  84 
16 enfants de Falconet, 1re 30  480 
1 groupe de l'Amitié 300 
1 des Grâces 240 
1 Amour de Pigale 48 
1 de Falconet 96 
12 enfants dudit, 2me 21  252 
12 de Boucher 36  432 
4 Flore et Hébé 36  144 
4 piédestaux 15  60

A ce service était annexé un supplément presque aussi considérable que le service, un supplément montant à 14,534 dans lequel nous trouvons des beurriers à 120 livres, des salières doubles à 33 livres, des moutardiers à 78 livres, des saladiers à 144 livres, des saucières à 78 livres, des plateaux Bouret à 45 livres, des pots à oyles et terrines à 600 livres, une jatte à punch et mortier au même prix, et dans la sculpture, les groupes de Pygmalion et de l'Amour, coûtant 480 livres, et celui de la Fête du château, 144 livres.

Les seigneurs de la suite du roi de Danemarck recevaient également des cadeaux de porcelaines: M. de Bulo était gratifié d'un grand déjeuner Dauphin, du prix de 600 livres; M. le comte de Holk, d'un déjeuner losangé à jour, de 384 livres, et d'une tabagie accompagnée de son plateau, de 168 livres; M. le baron Deschunerman, d'un déjeuner Courteille, de 408 livres; M. Schumaker, d'un déjeuner Tiroir, de 240 livres; M. de During, d'un déjeuner Hébert à anses, de 192 livres.

L'art de la tapisserie compte très peu de livres et de brochures. Pour les tapisseries des manufactures de l'État, je ne connais guère que la Notice sur la manufacture nationale des Gobelins, par Guillaumot, an VIII, qui est comme l'embryon des travaux publiés depuis par M. Lacordaire. Sur la broderie, la broderie occupant les loisirs des femmes, il est une brochure intéressante: le «Traité des différentes espèces de tapisseries, et principalement de la tapisserie au petit point et au point long. Yverdon, 1776.» L'auteur qui dédie son livre à la présidente Chambrier, une artiste en laine, après nous avoir appris que la broderie est, en ce temps, le grand amusement de la campagne, et que tout château a un métier dans son salon de compagnie, à l'usage des amies faisant séjour, passe en revue le petit point, le point long abandonné, mais de mode aux siècles passés, et où les brodeuses introduisaient des perles, des grenats, et même des cheveux naturels sur la tête des personnages, puis la chenille, les ouvrages sur paille, et conseille les laines d'Angleterre pour le point long, les laines de France pour le petit point.

De l'art de la fabrication des étoffes et des tissus, le livre le mieux et le plus pittoresquement fait, est un volume dont je possède un exemplaire en maroquin rouge: c'est «le Dessinateur pour les fabriques d'étoffes, d'or, d'argent et de soie, par Joubert de Hiberderie, 1765». Le livre, outre sa partie technique, a cela d'amusant qu'il parle un peu de tout, et qu'il fait faire à son dessinateur un voyage des plus instructifs dans Paris, ne l'arrêtant pas seulement aux magasins d'étoffes de soie de MM. Barbier, Bourjol, Laurozat, Nau, Despeignes, de Courcy, David le Roux, Doré, Mercier, Buffault, Martin, Doucet, le Boucher, Grégelu, Le Sourd, mais le menant au Louvre, au Luxembourg, au Palais-Royal, dans les collections particulières, au cabinet des estampes, dans les manufactures royales, et lui faisant voir les boutiques des brodeurs et faiseuses d'agréments, des éventaillistes, des peintres d'équipages. A propos des étoffes de coton, citons une petite brochure qui s'élève contre la prohibition de l'impression et la gravure des moules propres à l'impression des toiles de coton en France: ce sont les «Réflexions sur différents objets de commerce, et en particulier sur la libre fabrication des toiles peintes en France. Genève, 1749.»

Sur l'art du tapissier, un homme du métier a publié, en 1774, un petit volume technique du plus haut intérêt, devenu aujourd'hui très rare. Ce sont les «Principes de l'art du tapissier, ouvrage utile aux gens de la profession, par M. Bimont, maître et marchand tapissier». Bimont nous donne la nomenclature exacte du mobilier du temps; son livre renferme l'énumération des lits à la duchesse, à la romaine, appelés baldaquins, à la turque, à la polonaise, des lits à tombeau, à double tombeau, des lits à colonne, du lit à pavillon en serge, puis des sophas, des ottomanes, des duchesses, des fauteuils à poches, à cartouches, des fauteuils en cabriolet, des fauteuils de canne, des grandes bergères de paille, des chaises à la reine, des paravents, des écrans, etc. Il indique le prix des étoffes, depuis le damas de Gênes, de Lyon, de Tours, jusqu'à la siamoise de Rouen et de la barrière du Temple, et la façon de chaque meuble est évaluée par article détaillé, en sorte que nous apprenons que la garniture d'un lit de trois pieds et demi à la duchesse, en damas, coûtait à Paris, en 1774, la somme de 857 livres 15 sols.

Dans l'art de la joaillerie, à noter un beau livre: le «Traité des pierres précieuses et de la manière de les employer en parures, par Pouget fils, à Paris, chez l'auteur marchand joaillier, quay des Orfèvres, au Bouquet de diamants; Paris, 1762», in-quarto. Il est orné d'un frontispice et de 79 planches gravées par Mlle Rambeau, représentant une très intéressante suite de montures du temps. On y voit des bouquets exécutés chez Lempereur, des aigrettes, pompons, papillons à mettre dans les cheveux, des boucles à fleurs, des bracelets ou boîtes à portraits, des agrafes de corps, des colliers d'applique, des nœuds de col, des bagues de fantaisie, des becs de tabatière, des nœuds d'épaule, des ganses de chapeaux, des navettes, des bâtons d'éventail, des queues de cachet, des chaînes de montre, dont l'une représente les attributs de l'Amour, symbolisant «la Jeunesse et la Beauté par un panier de fleurs, les Sens par un trophée de musique, deux flambeaux et quelques fruits, la Discrétion par deux trompettes enchaînées, la Jouissance par deux tourterelles bec à bec, couronnées de fleurs[75]».

L'art de la danse, le premier des arts gymnastiques, a sa petite bibliothèque. Elle débute par: «le Maitre a danser, par Rameau, maître à danser des pages de Sa Majesté Catholique, la reine d'Espagne», un volume où d'épouvantables tailles-douces vous démontrent, sur des personnages en bois, les grâces du menuet, vous donnent les deux attitudes pour ôter son chapeau, et toute l'interminable série des révérences en avant, de côté, en arrière. A propos de la courante, l'auteur nous apprend que «Louis XIV, d'heureuse mémoire, la dansait mieux que personne de sa cour». Un autre volume de Rameau intitulé: Abrégé de la nouvelle méthode dans l'art d'écrire toutes sortes de danses de ville, et dédié à son Altesse Sérénissime Mlle de Beaujolais, est suivi «des douze plus belles danses de Pécour, compositeur de l'Académie royale de musique», parmi lesquelles nous relevons la Bourrée d'Achille, la Mariée de Roland, le Menuet d'Alcide, la Royale. Un autre recueil publié précédemment par «M. Feuillet, maître et compositeur de danse», sous le titre: Recueil de contredanses mises en chorégraphie, contenait le Carillon d'Oxford, le Tourbillon d'amour, le Menuet de la Reine, l'Épiphanie. Le Répertoire des bals, ou théorie pratique des contre-danses, par le Sr de la Cuisse, maître de danse, quatre volumes portant la date de 1762, et contenant les plans des figures des contre-danses, renferme quelques titres singuliers comme l'Hôtel de l'Ortie, la Fleury ou les Amusements de Nancy, les Fontaines du Loiret, les Jolis Garçons, l'Épicurienne, la Strasbourgeoise, la Clairon, les Échos de Passy, la Ruggieri, la Fée Urgèle. Cet ouvrage est illustré dans son premier volume de deux planches, l'une pour la Bionni, l'autre pour la Griel, du nom du portier du parc de Saint-Cloud, deux planches chargées d'une multitude de danseuses et de danseurs microscopiques, gravés à l'eau-forte, répétant dans de petits carrés les figures, et que j'ai reconnus pour des Gabriel de Saint-Aubin. Ces deux eaux-fortes jusqu'ici inconnues, et dont la Griel est signée g d s, manquent au catalogue du petit maître rédigé par M. de Baudicour. Vient, après le Répertoire des bals, la Lettre sur la danse et les ballets, par M. Noverre, pensionnaire du roi et maître des ballets de l'Empereur, Londres et Paris 1783, un exemplaire d'envoi avec l'ex dono autoris, et relié en maroquin rouge, et précédé d'un magnifique portrait gravé en Angleterre, où le professeur de danse porte en sautoir sur la poitrine un ordre étranger.

Parmi les danses à la mode en France, au xviiie siècle, il en est une qui fit fureur: la danse qui eut l'honneur d'être représentée par A. de Saint-Aubin, dans son Bal paré, l'Allemande. Je possède sur cette danse deux rares petites plaquettes. L'une porte pour titre: «Almanach dansant ou positions et attitudes de l'Allemande, dédié au beau sexe par Guillaume, maître de danse pour l'année 1770.» Elle est ornée d'un charmant frontispice dessiné par Bertault, et de douze jolies figures, donnant les passes de cette danse, figures qui ont une certaine parenté avec le dessin d'Augustin de Saint-Aubin. Un autre petit volume avec des figures gravées par Mme Annereau, mais très inférieures, s'intitule: «Principes d'Allemandes, par M. Dubois, de l'Opéra. A Paris, chez l'auteur.»

Dans l'art de l'équitation, nous citerons l'École de cavalerie de la Guérinière, les deux volumes publiés en 1769 et illustrés des spirituelles et pittoresques eaux-fortes de Charles Parrocel, montrant la Pésade, la Courbette, la Ballottade, la Croupade, la Capriole, le Piaffer dans les piliers, la Course de bague. Nous citerons encore la Pratique d'équitation par M. Dupaty de Clam, 1769, petit livre qui a pour frontispice la rare gravure de Moreau jeune, représentant: «Posture à cheval dessinée d'après nature, où le cavalier est vu aux trois quarts et à quatre pieds au-dessous de la ligne horizontale.» Il y a à joindre à ces deux ouvrages la brochure intitulée: Mémoire inutile sur un sujet important, 1788, qui est, en ce temps de fureur des courses, une défense du cheval anglais, contre Linguet qui s'était indigné de la curiosité de Paris «pour ces squelettes de chevaux montés par des singes anglais».

L'art de l'escrime compte quelques volumes. Le plus ancien en date est: «le Maistre d'armes, ou l'abrégé de l'exercice de l'épée, démontré par le sieur Martin, maistre en fait d'armes de l'Académie de Strasbourg, 1737.» Ce livre, publié à Strasbourg avec des imageries provinciales, en est encore à la flanconade. Le véritable traité en faveur, au xviiie siècle, s'appelle «l'Art des armes par M. Danet, Syndic-Garde des ordres de la compagnie des Maistres en fait d'Armes des Académies du Roi en la ville et faubourg de Paris, aujourd'hui Directeur de l'École royale d'Armes». C'est l'école de l'escrime moderne avec un chapitre rétrospectif curieux sur les voltes, pirouettes, estocades des anciens, et les deux volumes sont remplis de figures gravées par Taraval. Il y a encore le «Nouveau Traité de l'Art des armes par M. Nicolas Demeuse, garde du corps de S. A. le prince évêque de Liège», un volume orné de figures, publié à Liège en 1786.

Les arts, concourant à la toilette de l'homme et de la femme, abondent en brochurettes et petits livres curieux.

Commençons par la toilette de l'homme[76].

«Oraison funèbre de très habile, très élégant, très merveilleux Christophe Scheling, maître tailleur de Paris, prononcée, le 18 février 1761, dans la salle du célèbre Alexandre, limonadier au Boulevart. A Paris, 1761.»—Un petit pamphlet, une charmante ironie, pleurant le tailleur qui, le premier, mit au jour la nuance mordorée, qui eut le génie d'ambrer les habits, qui fut l'inventeur de ces charmants déshabillés, appelés par le peuple chenilles[77]; l'artiste dont la vogue fut un moment telle, que son hôtel était assiégé comme un ministère, et que tout Français bien né «se croyait dans la nudité la plus affreuse, quand il n'était pas habillé par le divin Scheling». Scheling, l'homme unique pour les habits de velours moiré, cannelé, ciselé, de velours plein, de velours à bordure, de velours à queue de paon, et encore pour les habits de taffetas ondoyant, de taffetas pommelé, de lustrine mouchetée, de lustrine serpentée avec dorures à glacis, dorures à flocons, galons à tresse, galons à clinquant, galons sur rubans, broderie relevée, broderie renversée, demi-Versailles, demi-Fontainebleau; le tailleur, enfin, qui habillait Berlin, en dépit de la guerre entre la France et la Prusse, et qui convertit la Pologne à nos modes, le jour où ses habits furent introduits à Varsovie.

«Éloge funèbre et historique de très court, très épais et tout adroit citadin, monsieur maître Nicodème-Pantaléon Tire-Point, bourgeois de Paris, maître et marchand tailleur d'habits, ancien juré de sa communauté, ancien marguillier de sa paroisse... 1776.»—Satire dont la forme est volée au précédent, et qui mentionne la polonaise à brandebourgs, et parle de basques d'habit d'une broderie si délicate, qu'ils ne pouvaient «être aperçus que par des yeux de taupe»[78].

«L'Almanach svelte, pour l'année 1779. A Ratapolis et se trouve à Meaux.»—Un petit almanach gros comme rien, et parfaitement inconnu, contenant des digressions sur les chaussures, sur les chemises, sur les vestes, sur les culottes, et nous donnant dans un récit plein de grâce, l'origine de la vogue de la couleur puce, inspirée, par la vue d'un tout chaud cadavre de puce sur une ongle rose de femme, et qui fit dire au cercle qui l'entourait: «C'est un noir qui n'est pas noir, c'est un brun trop brun... voilà une couleur délicieuse[79]

Les culottes, à bien des années de là, amenaient la publication des «Recherches et considérations médicales sur les vêtements des hommes et particulièrement sur les culottes par L.-J. Clairian, médecin (an XI)», une dissertation savante avec figures, prenant à partie les culottes incroyablement étroites. Pour la coiffure des hommes, il existe «l'Encyclopédie perruquière, ouvrage curieux par Beaumont, coiffeur dans les Quinze-Vingts... 1757.»—Le texte est une plaisanterie de l'avocat Marchand, mais on y trouve 45 figures représentant les accommodements à la mode du temps, et parmi lesquelles je relève les coiffures à la Port-Mahon, à la Rhinocéros, à l'Oiseau royal, à l'Aile de Pigeon, à l'Aventure, à la Dragonnade, à la Comète, à la Gendarme, à la Gentilly, à la Parisienne, au Petit-Maître, à la Tronchin, à la Conquérant, à la Plus tôt fait, à Ravir. Et le livre avait un tel succès, qu'il reparaissait en 1762, avec une copie en réduction des figures de la première édition. A propos de la coiffure des hommes, il paraissait, en 1778, une espèce d'élucubration fantasque intitulée: «l'Ami de l'humanité, conseils d'un bon citoyen à sa nation, suivis du Chapeau»,—brochure qui recommande aux Français de porter leurs chapeaux sur leurs têtes dans la rue. Et quelques années après que le bonnet rouge eut remplacé sur les têtes françaises le chapeau, c'est un dialogue satirique qui a pour titre: le Bonnet rouge détrôné par le Bonnet vert.

Passons à la toilette de la femme.

«Satire sur les cerceaux, paniers, criardes[80] et manteaux volans des femmes, et sur leurs autres ajustements. A Paris, chez Thiboust, 1727.»—De méchants vers ridiculisant les troussures équivoques et ces cercles montés en gradins, qui faisaient, des cotillons, des ruches à miel, se plaignant, au nom des galants, de l'incivile disposition du traquenard, le premier cerceau d'en haut, et donnant à voir la femme du temps avec de tous côtés «un arpent de derrière».

«La petite Bibliothèque amusante; London, Printed for Crowder 1781», contient, à la page 123 de la seconde partie, un chapitre renseignant sur les paniers et qu'on ne trouve que là. Il y est question des paniers à gondoles, qui faisaient ressembler la femme à une porteuse d'eau, des paniers nommés cadets qui ne descendaient que de deux doigts au-dessous du genou, des paniers à bourrelets munis d'un gros bourrelet qui faisait évaser la jupe, des paniers fourrés, dont les hanches étaient garnies, des paniers à guéridon, et des paniers à coudes préférés aux paniers à guéridon, et ainsi appelés, parce qu'ils étaient plus larges en haut qu'en bas et que les coudes reposaient dessus. Un moment, on vit des paniers qui avaient trois aunes de tour. Les paniers étaient ordinairement cerclés de cinq cercles, ceux à l'anglaise en comptaient huit. En dernier lieu, la cage à volaille était remplacée par une jupe de forte toile, sur laquelle étaient cousus des cercles de baleine. Et avec les paniers les corps baleinés. Ces corps baleinés amenaient, en 1770, la publication de «l'Avis important au sexe ou Essai sur les corps baleinés, pour former et conserver la taille aux jeunes personnes, par M. Reisser l'aîné, Allemand, tailleur pour femme à Lyon. Lyon, Béguillat, libraire,» avis dans lequel l'Allemand Reisser s'élevait à la fois contre les corps à la grecque qui n'habillaient point les flancs, creusaient au défaut de la gorge, arrondissaient le dos, et contre les corsets à plastron adoptés par les femmes à embonpoint et qui leur donnaient l'apparence d'une grossesse.

Le danger autrement sérieux des corps baleinés faisait paraître la même année: «Dégradation de l'espèce humaine par l'usage des corps à baleine, ouvrage dans lequel on démontre que c'est aller contre les lois de la nature, augmenter la dépopulation, et abâtardir, pour ainsi dire, l'homme, que de le mettre à la torture dès les premiers moments de son existence, sous prétexte de le former[81], par M. Bonnaud. A Paris, chez Hérissant.»

Maintenant, ce sont des brochures et des feuilles volantes, concernant les choses les plus diverses de la toilette des femmes.

«Les Étrennes fourrées, dédiées aux jeunes frileuses, ou pelisses sympathiques; Genève, 1770,» nous indiquent les fourrures portées par les femmes à l'Opéra, et les manchons de tourterelles remplacés par les manchons de plumes de coq, dans lesquels seuls, à l'heure présente, les femmes voulaient mettre les mains. Des Déclarations du Roi, du commencement du siècle, défendent aux femmes et aux filles, non mariées, de commissaires, marchands, procureurs, notaires, huissiers et artisans, de porter aucune pierrerie de quelque nature que ce puisse être, à la réserve de quelques bagues; déclarations auxquelles il est dérogé par de nouveaux arrêtés qui permettent, à certaines de ces femmes, de porter des boucles d'oreille et pendeloques, une croix, un coulant et une boucle de ceinture de diamants ou d'autres pierreries, pourvu que le tout n'excède pas deux mille livres. Une Ordonnance de police de 1782 défend la fabrication ou vente et usage de rubans, chapeaux, éventails, gazes et étoffes et autres objets de parure brillantés avec du verre, se basant sur les accidents qui sont survenus par suite de l'emploi du verre blanc pilé, introduit dans ces objets. Enfin une brochure rarissime: «la Véritable Ressource qu'on peut tirer du rouge, en faveur des pauvres femmes et veuves d'officiers», par le chevalier d'Elbée, nous renseigne sur l'énorme emploi du fard, nous donne ce détail curieux que Montelat, marchand de rouge, rue Saint-Honoré, en vendait six douzaines de pots par an à Mmes Dugazon et Billioni, et qu'à la Roquette, chez la faïencière Petit, il se fabriquait, chaque jour, trois mille de ces pots. Le chevalier d'Elbée estime enfin qu'il se consomme deux millions de pots de rouge, à six francs dans le royaume.

Mais il s'agit à présent de la coiffure, et voici toute l'armée des écrivains capillaires: coiffeurs ou hommes de lettres.

«Livre d'estampes de l'art de la coiffure des dames françaises, gravé sur les dessins originaux d'après mes accommodages avec le traité en abrégé d'entretenir et conserver les cheveux naturels, par le sieur Legros, coiffeur de femmes. A Paris, aux Quinze-Vingts, 1765.» Petit in-4o qui a deux suppléments de bizarres figures, rehaussées d'aquarelle. Ce Legros est un ancien cuisinier, dont le succès dans son nouvel art fut fort traversé, et qui périt écrasé sur la place Louis XV, lors des fêtes du mariage de Marie-Antoinette;—Traité de la nature des cheveux de l'art de coiffer, par Tissot, coiffeur. Paris, 1776;—Traité des principes de l'art de la coiffure des femmes, par M. Lefèvre, maître coiffeur. Paris, 1778;—«Éloge de la coiffure à la Titus, pour les dames, contenant quelques observations sur les coiffures modernes dites à la grecque, romaine, par J.-N. Palette, coiffeur. Paris, chez Palette, 1810.»

Puis les badinages de lettres et les recherches agréables sur la matière: «l'Encyclopédie carcassière, ou tableaux des coiffures à la mode, gravés sur les dessins des petites-maîtresses de Paris. Hochereau, 1763,»—livre fait pour les coiffures de femmes, à l'imitation de l'Encyclopédie perruquière, contenant 44 figures, et où l'introduction à la connaissance intime des allonges, pompons, papillotes blondes, marlis, est suivie de: la Fille dégoûtée;—«l'Art des coiffeurs de dames, contre le mécanisme des perruquiers, poëme. A la toilette de Cythère, 1769,»—méchants vers égratignant les coiffeuses qu'ils peignent comme des entremetteuses[82]; LES Modes (sans nom d'auteur ni d'imprimeur), court poème, émaillé de notes instructives sur les fanfioles de la toilette, et dédié à Beaulard, le créateur des jolis bonnets de 100 à 1,000 francs et l'inventeur des bouquets de côté;—«le Parfait Ouvrage, ou Essai sur la coiffure, traduit du persan par le sieur L'Allemand, coiffeur, neveu du sieur André, perruquier... A Césarée, 1776»; plate brochure ornée d'un joli frontispice;—«les Panaches, ou les Coiffures à la mode, comédie en un acte, représentée sur le théâtre du grand monde et surtout à Paris. Paris, 1778,»—pièce facétieuse dont le héros est M. Duppefort, coiffeur;—Éloge des coiffures, adressé aux dames par un chevalier de l'ordre de saint Michel, brochure dont l'auteur, d'après les calculs qu'il fait des cahiers de coiffures publiés par Rapilly et les autres, évalue, depuis quelques années, les modes de la tête à 3,744;—Éloge des perruques..., par le docteur Akerlio, un pot pourri sur les perruques anciennes et modernes, les perruques d'hommes et de femmes;—«les Têtes tondues, sifflées, critiquées et traitées comme elles le méritent»,—pamphlet du Directoire contre les cheveux courts, légués par les temps révolutionnaires;—«Observations politiques, morales et surtout financières, sur l'origine de la perruque des dames de Paris (par Feydel). Paris, an VII,»—brochure qui n'a de curieux que son titre;—«Anti-Titus, ou Remarques critiques sur la coiffure des femmes au dix-huitième siècle. Paris, 1813»,—petit volume comparant les têtes coiffées de cheveux d'un pouce de hauteur «à l'image d'un porc-épic».—Et mentionnons, pour compléter cette série, le petit recueil de 48 coiffures, qui va depuis la coiffure en cheveux frisés du règne de Henri IV jusqu'au chapeau tigré de la fin du xviiie siècle, et encore le Manuel des toilettes, qui, en regard d'un texte explicatif, déroule ses galants accommodages de têtes à la Mappemonde, à la Hérisson, à la Zodiacale, à l'Aigrette-Parasol, à la Parnassienne, à la Persane, à la Guirlande, à la Dauphine, à la Calypso, à la Dorlote, à la Triomphale.

Terminons cette longue nomenclature de la mode par quelques ouvrages généraux: l'Aperçu sur les modes françaises, par le citoyen Ponce, un pauvre aperçu; les «Essais historiques, sur les modes et la toilette française, par le chevalier de... Paris, 1824,» deux minces volumes où sont éparpillés çà et là quelques renseignements; le Manuel des élégants et des élégantes, par Joachim du Bel-Air, au xixe siècle,—un tableau de la mode et des fournisseurs de la mode au sortir de la Révolution. Quant aux journaux de modes, hélas! ceux du temps de Louis XVI me font défaut, et je n'ai que deux journaux du Directoire; «le Messager des dames ou le Portefeuille des amours»; et le «Tableau général du goût des modes et costumes de Paris, an V». Un journal, qui contient une série de costumes gravés au bistre, de ces ébouriffants costumes de femmes à la Carle Vernet, mais sans l'exagération de la caricature, et dont quelques-uns, le dirai-je, ont une grâce allongée, toute charmante.

Rattachons aux arts de la toilette l'art de la parfumerie, et citons la «Toilette de Flore», suivie du «Laboratoire de Flore, essai contenant les différentes manières de préparer les Essences, Pommades, Rouges, Fards et Eau de senteur. Ouvrage utile aux Parfumeurs, Baigneurs et aux personnes chargées de la direction des toilettes de Paris, 1773».—Les deux volumes sont un recueil de recettes pour l'Eau céleste, la véritable Eau de la Reine de Hongrie, l'Eau de Mélisse magistrale, l'Eau Impériale qui détruit les rides, l'Eau très utile après la petite vérole, l'Eau de Charme pour conserver le teint, l'Eau de Venise pour blanchir les visages basanés, l'Eau pour se préserver du hâle, l'Eau pour faire disparaître les lentilles et les tannes, l'Eau d'Adonis, l'Eau de Mme la Vrillière, la femme du ministre, pour les dents, la pommade de fleurs de lavande pour les cheveux, etc., et le moyen pour parfumer au jasmin les gants blancs, à la manière de Rome. On y trouve encore la recette du Parfum pour le plaisir et la recette du Bain de beauté que voici: «Prenez deux livres d'orge mondé, une livre de riz, trois livres de lupin pulvérisé, huit livres de son, dix poignées de bourrache et de violier; faites bouillir le tout dans une suffisante quantité d'eau de fontaine. Il n'y a rien qui nettoie et adoucit la peau comme ce bain.»

Nous sommes arrivés à l'art de la cuisine, à cet art placé tout en bas des arts mécaniques, à cet art si exclusivement français, et qui, pendant plus de cent ans, a fourni aux estomacs, délicatement voluptueux, des plats d'une chimie sublimée, où, selon l'expression d'un spirituel pamphlet du temps, «il n'entrait plus que des quintessences raisonnées, dégagées de toute terrestréité».

Nous ne sommes plus au temps de Louis XIV, où des viandes choisies, quelques ragoûts simples, des vins excellents, faisaient tout le mérite d'un souper. Aujourd'hui, dit la Lettre du patissier anglois, les choses sont sur un autre pied. On n'oserait plus prier des gens de bonne compagnie, si l'on ne débutait par deux services de hors-d'œuvre alambiqués, relevés de six entrées quintessenciées, suivies du rôti et de deux services d'entremets, le tout terminé par un fruit monté et historié.

Et le traité complet des potages, des hors-d'œuvre, des entrées, des rôts, des entremets nous est donné dans le «Dictionnaire portatif de cuisine, d'office et de distillation publié en 1772, chez Lottin le jeune», et dont j'ai sous la main un exemplaire en maroquin rouge, aux armes d'un homme d'église, qui porte dans son manteau ducal une croix d'archevêque.

Un autre livre de la composition du sieur Gilliers, chef d'office et distillateur du roi Stanislas[83], publié en ce pays lorrain, la patrie de la fine et exquise gourmandise, complète le Dictionnaire portatif de cuisine. C'est un gros volume, qui traite de l'art de confire les fruits secs et liquides et de faire tous les ouvrages de sucre, pastillages, neiges, mousses et liqueurs rafraîchissantes; un volume où, au milieu de planches représentant des desserts, comme brodés en chenille, et peuplés de petits chinois, modelés en sucre, on rencontre des recettes de compotes de grenades, de sirops de jasmin, de «candy» de violettes, de roses, de jonquilles: des entremets d'odeur et de parfum qui semblent les sucreries d'une fin de repas des Mille et une Nuits.

Parmi ces manuels du manger délicat, il ne faut pas oublier un petit livre paru en 1778, l'Almanach du Comestible, volume difficile à rencontrer avec sa jolie vignette à la Eisen, groupant une galante et aimable réunion de convives autour d'une table servie.

Mais, entre tous ces livres imprimés, il est un curieux manuscrit, qui porte en tête: Voyages du Roy au Chateau de Choisy avec les logements de la Cour, et les menus de la table de Sa Majesté MDCCLVII[84].

Ce titre se détache d'un fond frotté de sanguine, entourant un médaillon, au bas duquel on lit: Brain de Ste-Marie delin. et scrips.

Ce sont les 194e, 195e, 196e, 197e, 198e, 199e, 200e, 201e, 202e voyages au château de Choisy de Louis XV en compagnie de Mme de Pompadour, du 1er mars au 15 décembre 1757. Les dîners et les soupers se composent en général de 2 oilles, 2 potages, 8 hors d'œuvre, 4 grandes entrées, 4 moyennes, 8 plats de rôts, 4 salades, 8 entremets chauds et 4 froids. De temps en temps, on rencontre des désignations de provenances comme rosbif de mouton de la ménagerie de Choisy, faisandeaux et perdreaux rouges du Roy, lapereaux de M. de Croismard, cailles de M. de la Vallière, ortolans du rôtisseur, et grives et bartavelles de Mme la Marquise.

Pour la composition d'un repas maigre avec ses trente-quatre plats d'habitude, il y a, de la part du cuisinier, des efforts et des trouvailles d'imagination inimaginables. Qu'on en juge par ce dîner du mardi 22 mars 1757:

2 OILLES.
Une au ris aux écrevisses. Une de santé.
2 POTAGES.


2 FLANS.
Une hure de Saumon. De Perches au Watrefiche.
8 HORS-D'ŒUVRE.
Une Omelette aux croûtons. D'Œufs au beurre noir.
De Moulles en matelotte. D'Harengs de Boulogne.
D'Œufs à l'oseille. De petits Pâtés.
De Merluche à la Provençale. De Saumon fumé.
8 ENTRÉES.
De Raye au persil. Une Blanquette de Thon.
De Filets de carrelets à l'italienne. Un Pain de Saumon.
De Filets de merlans en hâtereaux. D'Anguille grillée à cru.
De Morue à la crème. Un Hachis.
2 GRANDS ENTREMETS FROIDS.
D'Écrevisses. De petits Gâteaux au fromage.
6 GRANDS PLATS DE RÔTI.
Un Turbot. De Carrelets au blanc.
De Truites. De Merlans.
De Lottes. De Soles.
8 PETITS ENTREMETS CHAUDS.
Une Bouillie. D'Asperges au beurre de Vanvre.
Un Pain aux champignons. De Fondues.
D'Épinards à la crème. De Chiroux frits.
De Salsifix au beurre. De petits Gâteaux à la Reine.

A ce dîner maigre opposons un souper gras, le souper du lundi 5 septembre 1757:

2 OILLES.
Une aux oignons d'Espagne. Une à la Crécy.
2 POTAGES.
Un aux laitues. Une Julienne.
16 ENTRÉES.
Une marmelade de Perdreaux. De Tendons de veau à la Sainte-Menehould à l'aspic.
De petits Pâtés de filets de Lapereaux. De Filets de mouton glacés aux abricots.
De Filets de Faisans sautés aux Truffes. De Membres de Faisandeau à la d'Uzelles.
Un émincé de Poularde aux Concombres. De Cannetons de Rouen au consommé.
De Cailles en compote. De Poulets à la Reine aux Pavis.
Un Dindon dépecé au Singara. De Cervelles de veau en matelotte.
D'aislerons de Poulardes à la Villeroy. De Tourtereaux sautés.
De Filets d'aloyau dans leur jus. De filets de Levraux glacés à l'oignon cru.
2 RELEVÉS.
De Cabillot à la bonne eau. Une Carpe au bleu.
4 RELEVÉS.
De Chapons de Bruges. Un Aloyau.
Un Jambon. Un quartier de Veau.
4 GRANDS ENTREMETS.
Un Pâté. De Langues à l'Écarlatte.
De Galantines. Une Croquante.
ROTS.
De Perdreaux rouges   du Roy De Rouges-gorges de M. de la Vallière.
De Faisandeaux De Dindons.
De Cailleteaux De pigeons de volière.
De Campines De Guignards[85].
De Rales De Petits Poulets.
16 PETITS ENTREMETS.
Une Crème à la Genest. D'Haricots verts.
Des Pattes de dindon à l'Espagnole. De Crêtes.
Des Truffes au beurre. De Pains à la Duchesse.
D'Épinards. D'Animelles.
D'Œufs au jus. D'Écrevisses à la Sainte-Menehould.
De Singara. Un Ragout meslé.
D'Artichauts à l'Italienne. De Tartelettes à la Religieuse.
De Choux-fleurs. De Blanc manger en Pots[86].

Revenons à la cuisine des particuliers. Le dictionnaire portatif de cuisine est l'école de toute la société qui mange bien, mais pour les gourmets, pour les fines gueules du temps, il existe un traité de l'accommodement des victuailles plus recherché, plus raffiné, moins bourgeois. C'est le Cuisinier gascon[87] dont la préface, un peu ironique, est une sorte de dédicace au prince de Dombes, ce grand seigneur cuisinier, que nous avons montré dans la «Duchesse de Châteauroux» retournant avec Louis XV des ragoûts dans des casseroles d'argent.

Dans ce livre on parle de sauce au singe vert, de sauce à l'allure nouvelle, de sauce bachique, de sauce au bleu céleste, de truite à la houssarde, de côtes de bœuf à la Monville, de gigot de mouton à la de Nesle, de gigot de mouton à la galérienne, de veau en crotte d'âne roulé à la Neuteau, de poulets à la Pardaillan, de poulets en chauves-souris, de poulets à la caracatacat, de pigeons à Périgord, de caisses de canards en crépines, de perdreaux à l'eau-de-vie, de bécassines à la grecque, de beignets de nèfles, de tourtes de muscat, etc. Et toutes ces choses au baptême si affriandeur, les gosiers du temps les arrosent avec du Bourgogne préconisé par le médecin Fagon, avec du Champagne qu'on ne veut plus mousseux depuis le commencement du siècle, avec les vins d'Espagne qui ont fait abandonner les vins d'Italie, depuis que la mode a déserté les vins doux pour les vins secs, avec du vin de Setuval, un vignoble de Portugal très en faveur pendant ces années, avec du malvoisie de Madère, avec les vins blancs et rouges du Cap, provenant des plants de Bourgogne et de Champagne transplantés en Afrique par les Hollandais[88].

Cela dure, cette délicate bombance, tout le siècle et même pendant les premières années de la Révolution, où les chefs des grandes maisons ruinées, les Méot, les Robert, les Roze, les Very, les Leda, les Brigault, les Legacque, les Beauvilliers, les Naudet, les Edon, deviennent des restaurateurs, des marchands de bonne chère pour tout le monde,—cela dure jusqu'en l'an III, année qui voit paraître ce sinistre petit volume:

Chargement de la publicité...