La "National Gallery"
The Project Gutenberg eBook of La "National Gallery"
Title: La "National Gallery"
Author: Armand Dayot
Release date: March 27, 2018 [eBook #56859]
Language: French
Credits: Produced by Claudine Corbasson, Hans Pieterse and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
![]()
NATIONAL
GALLERY![]()
LES GRANDS MUSÉES DU
MONDE ILLUSTRÉS EN COULEURSLA “NATIONAL
GALLERY”Publié sous la direction de M. ARMAND DAYOT, Inspecteur général des Beaux-Arts
OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 90 PLANCHES HORS TEXTE EN COULEURS
PIERRE LAFITTE & Cie
ÉDITEURS :: 90, CHAMPS-ÉLYSÉES :: PARIS
1912TOME PREMIER
COPYRIGHT 1912
BY PIERRE LAFITTE & CieAVERTISSEMENT
LA “NATIONAL GALLERY” n’est peut-être pas l’un des plus importants musées d’Europe, mais elle est à coup sûr l’un des plus intéressants. D’autres sont plus riches en tableaux mondialement célèbres: Amsterdam s’enorgueillit de ses Rembrandt, le Prado de ses Velazquez, l’Académie de Venise de ses Titien; aucun, le Louvre excepté, ne présente une telle variété, une telle harmonieuse répartition dans les œuvres de toutes les époques et de toutes les écoles. Si leur nombre n’est pas considérable, la sélection apparaît irréprochable et chaque maître y est représenté par des toiles de première valeur. L’Angleterre, comme la France, doit ces trésors au goût artistique de ses rois qui mettaient leur gloire à enrichir leurs palais de belles peintures. Louis XIV et Charles Ier furent d’incomparables amateurs d’art, et si la “National Gallery” possède aujourd’hui cette merveilleuse collection de chefs-d’œuvre, c’est en partie à ce magnifique et malheureux Stuart qu’elle le doit.
Cette richesse de la “National Gallery” s’est encore accrue par des dons particuliers très importants, et aujourd’hui c’est véritablement l’histoire de l’art tout entière, complète et admirablement classée que le visiteur retrouve en parcourant les vingt-cinq salles de ce magnifique musée.
JEAN VAN EYCK
ARNOLFINI ET SA FEMMESALLE IV.—PRIMITIFS FLAMANDS
Arnolfini et sa femme
LE tableau représente le couple d’Arnolfini et de sa femme dans leur chambre nuptiale. Tout y est net, propre, rangé, comme il sied à un intérieur de la Flandre méticuleuse. Le jeune ménage a des habitudes d’ordre: sous les courtines à plis droits, le lit étale sa courtepointe bien tirée. Au plafond est accroché un lustre dont les cuivres étincelants trahissent les soins d’une diligente ménagère. Au fond, contre le mur, s’aperçoit un miroir cylindrique de cuivre où se reflètent la pièce et les personnages. Ceux-ci ne sont pas moins soignés: ils sont vêtus de bonnes et solides étoffes qui dénotent l’aisance. Les costumes, à vrai dire, sont ridicules, celui de l’homme surtout: ils sont de cette époque dont Viollet-le-Duc disait «qu’ils semblent issus de l’étude du laid et du difforme». Engoncée dans son vaste chapeau, la maigre silhouette d’Arnolfini nous apparaît plus falote encore sous l’ampleur inusitée de son manteau. La femme n’est pas plus séduisante avec son vêtement étriqué par le haut et démesurément large à partir de la ceinture. Sa coiffure ne l’avantage pas non plus: cette sorte de coiffe aplatie sur le front et dissimulant les cheveux enlève toute grâce au visage. Mais quelle expression dans l’attitude et quelle vérité dans les physionomies! La jeune femme pose affectueusement sa main dans celle de son époux. La douceur des regards dit bien le sentiment mutuel qui anime ces deux êtres: tendresse sérieuse et protectrice chez l’homme, affection reconnaissante chez la femme à qui sont promises les joies prochaines de la maternité. A leurs pieds se tient un caniche, symbolisant la fidélité conjugale.
Arnolfini, comme son nom l’indique, était Italien. Envoyé à Bruges comme représentant d’une grande maison de commerce de Florence, il occupait dans la ville flamande une situation considérable, assez analogue à celle de nos consuls modernes. En sa qualité de Florentin, il aimait les arts et, sans que la preuve irréfutable en soit faite, on a tout lieu de croire qu’il commanda pour son pays différents tableaux à Jean Van Eyck. Durant son séjour en Flandre, il épousa Jeanne de Chenany, jeune fille d’excellente famille et fort bien dotée, celle-là même que représente le tableau.
Pendant assez longtemps, on a cru reconnaître dans ce couple, le portrait de Jean Van Eyck et de sa femme, et l’on s’est basé, pour défendre cette opinion, sur l’inscription que porte la peinture: Johannes de Eyck fuit hic, et que l’on traduit ainsi: «Jean de Eyck fut celui-ci.» A cela, d’autres critiques répondent avec non moins de raison que la phrase latine signifie également «Jean de Eyck fut ici», ce qui ne prouve pas qu’il était le personnage du tableau, mais plus vraisemblablement son auteur.
En outre, si nous ne possédons aucun moyen d’identifier les traits du peintre, il nous est par contre très facile de nous convaincre par comparaison que la jeune femme représentée ici ne peut être celle de Jean Van Eyck. Celui-ci a laissé de sa femme un magistral portrait, actuellement au musée de Bruges, et on n’y constate aucun point de ressemblance avec celle-ci. Il semble donc acquis qu’il s’agit bien d’Arnolfini et de sa femme et non pas du célèbre auteur de l’Adoration mystique de l’Agneau.
Nous avons pensé que nul peintre n’était mieux indiqué que Jean Van Eyck pour figurer en tête de la série des chefs-d’œuvre de la “National Gallery”. Tout le marque pour cette place de choix: son merveilleux talent et surtout l’influence prépondérante qu’il exerça non seulement sur la peinture flamande, mais encore sur la peinture universelle. N’oublions pas qu’on lui doit, sinon l’invention, du moins l’utilisation de l’huile mélangée à la peinture. Avant lui, on ne peignait qu’à la détrempe, procédé qui exigeait une très grande rapidité d’exécution et dont le moindre défaut était de sécher très lentement.
La “National Gallery” est particulièrement riche en œuvres de Jean Van Eyck, d’œuvres authentiques s’entend, car les tableaux attribués à cet artiste abondent dans les musées d’Europe. Les quelques portraits qu’elle possède sont admirables, mais le plus populaire, le plus parfait aussi, est celui d’Arnolfini et de sa femme.
Ce tableau éprouva des vicissitudes diverses au cours des siècles. On ne sait comment il sortit des mains de son premier propriétaire. Sans doute, il passa dans celles du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, protecteur et ami de Van Eyck: en tout cas nous le trouvons, au XVIe siècle, dans la galerie de Marguerite d’Autriche, suzeraine des Flandres, qui raffolait de peinture. Par quelle étrange suite d’aventures échoua-t-il dans la boutique d’un barbier de Bruges, c’est ce qu’on ne saurait dire. Plus tard, le tableau prit la route d’Espagne dans les coffres de Marie de Hongrie; puis, sans aucune raison connue, il retourne en Belgique, dans une maison particulière où il orne la chambre d’un officier anglais, blessé à Waterloo, qui l’achète, l’emporte en Angleterre et, à sa mort, en fait don à la “National Gallery”.
Ce tableau, peint sur bois, figure aujourd’hui dans le grand musée anglais, à la salle des Primitifs flamands.
Hauteur: 0.84.—Largeur: 0.62.—Figures 0.67.BOTTICELLI
PORTRAIT DE JEUNE HOMMESALLE III.—ÉCOLE TOSCANE
Portrait de jeune homme
PARLER de Botticelli, c’est évoquer une des plus glorieuses périodes de l’Histoire de l’art que le monde ait jamais connues, c’est faire revivre toute une œuvre de fraîcheur, de joliesse, de mysticité chrétienne et de charme païen, c’est rappeler cette prodigieuse floraison spontanée dont Laurent de Médicis favorisa l’épanouissement et qui porta ces rameaux illustres qui s’appellent Léonard de Vinci, Michel-Ange, Ghirlandajo et Botticelli.
Dans cette brillante cohorte florentine, honneur de la peinture universelle, Sandro Botticelli n’occupe pas la place la moins honorable. S’il ne produit pas l’étrange fascination que provoque Léonard de Vinci, ni la titanique puissance de Michel-Ange, il a plus de fermeté que Ghirlandajo, avec moins de sécheresse dans la ligne et plus d’onctueux dans la couleur. Dessinateur de premier ordre, il conserve quelque chose de la suavité de son maître, Filippo Lippi, le doux peintre des Madones et des Adorations. Son pinceau cherche toujours sur la palette, les couleurs délicates, de même que son crayon s’attarde plus volontiers aux créations gracieuses et tendres. Toute sa vie, il est resté le peintre du Printemps; toutes ses œuvres ont cette jeunesse, cette grâce adorable de nymphes blondes s’ébattant dans les fleurs. Sa perfection et sa pureté sont devenues classiques; son génie subtil, sa nature de mysticisme élégant, son réalisme nuancé d’antique constituent une personnalité à part, séduisante à étudier dans ses moindres détails.
D’un génie très souple et très divers, Botticelli appliqua ses éminentes qualités de dessinateur et de coloriste aux sujets les plus différents; il peignit avec la même supériorité les scènes religieuses et les tableaux mythologiques. Un air de famille se reconnaît en toutes ses œuvres; ses déesses portent sur le front un cachet mystique qui les fait ressembler à des Vierges surprises de se trouver en quelque Olympe et ses Madones les plus idéales ont un je ne sais quoi de particulier sur le visage, une joliesse sous la couronne blonde des cheveux, qui dégage un subtil et délicat parfum de paganisme.
Botticelli fut essentiellement un Florentin, comme Dante lui-même, et c’est à Florence, dans sa ville natale, qu’on peut l’apprécier complètement. A part un bref séjour à Rome, où il peignit des fresques pour la Sixtine, il ne quitta guère sa patrie qu’il aimait et où l’attachaient ses relations artistiques et son dévouement aux Médicis.
Laurent le Magnifique, prince froid et dur comme tous ceux de son époque, possédait cependant une âme ouverte aux beautés de la poésie et des arts; son palais était l’asile d’un groupe brillant où voisinaient, avec les artistes, les philosophes et les savants.
Taine, dans son Voyage en Italie, en parle ainsi: «Laurent de Médicis accueille les savants, les aide de sa bourse, les fait entrer dans son amitié, correspond avec eux, fournit aux frais des éditions, patronne les jeunes artistes qui donnent des espérances, leur ouvre ses jardins, ses collections, sa maison, sa table, avec cette familiarité affectueuse et cette ouverture de cœur sincère et simple, qui mettent le protégé debout à côté du protecteur.»
Sous l’influence de ce puissant et bienveillant patronage, Sandro Botticelli s’épanouit magnifiquement. Aimé pour son caractère facile et tendre, il ne trouva dans ses rivaux de gloire, que des amis. La vie lui fut douce et il connut tout jeune les joies de la célébrité. Florence l’admirait et tout ce que la ville possédait de distingué se disputait la faveur de poser devant lui. Et c’est alors que se révèle son merveilleux talent de portraitiste. N’eût-il pratiqué que ce genre, son nom serait resté gravé en traits immortels sur le livre d’or de la peinture et la Naissance de Vénus et le Printemps ne sauraient faire aucun tort à ces admirables portraits, si purs de dessin, si précieux de couleur, si vivants d’expression.
Il peignit la famille de ses protecteurs, les Médicis. On ne saurait rien voir de plus parfait que les portraits de Julien de Médicis et de sa chère Simonetta, dont la physionomie charmante lui servit plusieurs fois de modèle dans ses tableaux. Botticelli excellait surtout dans les portraits de femmes; il en traduisait, avec un art supérieur, le charme délicat et il y ajoutait cette gracilité qui le distingue. S’il aimait moins peindre les hommes, il ne déployait pas moins de virtuosité à exprimer le caractère de son modèle.
Est-il rien de plus vivant, de plus sincère, de plus brillant que ce Portrait de jeune homme que nous donnons ici? Où trouver un dessin plus ferme, un modelé plus savant, des chairs plus réalistes? Et cependant, sur cette effigie d’adolescent aux traits accusés, presque durs, on aperçoit cette chose indéfinissable, faite de douceur et de grâce qui nous rend le modèle sympathique et qui nous fait reconnaître au premier coup d’œil le tour prestigieux de Botticelli.
La “National Gallery” possède cinq œuvres authentiques de Botticelli; celle-ci est parmi les plus belles. Elle fut acquise par les Stuarts et elle figure aujourd’hui dans la salle III réservée à l’école toscane.
Hauteur: 0.37.—Largeur: 0.28.—Figure grandeur nature.P. DE HOOCH
INTÉRIEUR HOLLANDAISSALLE XII.—COLLECTION PEEL
Intérieur Hollandais
PETER DE HOOCH est le plus charmant de ces artistes hollandais qu’on a pris l’habitude de désigner sous le nom de «petits maîtres.» Petits maîtres par l’insignifiance et quelquefois la vulgarité des sujets, par l’absence de toute pensée philosophique, de toute émotion, mais artistes supérieurs pour la perfection de la technique, pour l’habileté de l’exécution, pour la vérité de l’observation, pour l’admirable rendu du détail. Parmi ces «petits maîtres» délicieux, Peter de Hooch peut passer pour un «grand maître». Il possède les qualités énoncées plus haut et qui sont l’apanage de tous, mais il y ajoute ce que les autres ne possédèrent pas, le sentiment de l’élégance et un certain laisser-aller de bonne compagnie, grâce auquel ses personnages ne ressemblent pas tous à des portefaix du port d’Amsterdam. Il n’a pas non plus son pareil pour jouer avec la lumière, dont il s’est fait, en quelque sorte, le prestidigitateur, la distribuant ou la mesurant avec un art extraordinaire.
N’est-ce pas la lumière, en effet, qui joue le principal rôle dans cet Intérieur hollandais que nous reproduisons ici? Par les larges fenêtres aux vitres cernées de plomb, elle entre à flots dans la pièce, éclairant à la fois les poutrelles du plafond et les dalles du pavé, ne laissant aucun espace obscur. On conçoit la difficulté, dans de pareilles conditions, de peindre un tableau quelconque, sans le secours des ombres et des oppositions, et c’est parce qu’il se plaisait à accumuler et à vaincre les difficultés de ce genre que Peter de Hooch nous apparaît comme un extraordinaire virtuose.
Est-il possible, avec aussi peu de moyens, de donner plus de vie et d’intensité joyeuse à la scène intime qui se passe autour de la table, près de la fenêtre? Ce que font les personnages, il est assez malaisé de le dire. Nous voyons une jeune femme élevant un verre comme si elle allait boire: bien qu’on ne l’aperçoive que de dos, elle paraît chanter une chanson à en juger par l’attitude des deux hommes assis, dont l’un fait le geste de jouer du violon sur sa pipe tandis que l’autre a l’air de battre la mesure avec sa main.
L’inclination de Peter de Hooch pour l’élégance se traduit par l’introduction dans chacune de ses toiles, d’un personnage tenant du militaire et du galantin, et qui affecte les allures d’un gentilhomme. Mais on devine que l’artiste n’a pas choisi ses modèles à la cour de Versailles; il s’est assurément contenté de quelque fils de marchand jouant à l’homme de qualité, car il n’est pas possible de montrer moins de grâce sous des habits plus mal ajustés. Ce qui fait l’incomparable valeur des tableaux de Peter de Hooch, c’est l’admirable compréhension de la lumière que possédait ce peintre. A ce titre il l’emporte de beaucoup sur les peintres hollandais et flamands de son époque.
Gérard Dow n’avait pas ce maniement facile et brillant des rayons qui fait de Peter de Hooch un véritable prestidigitateur. Le seul qui pourrait lui être comparé sans trop de désavantage est Van der Meer de Delft qui semble avoir surpris lui aussi une part de ce secret.
Peter de Hooch l’emporte encore par une traduction beaucoup plus libre et beaucoup plus large de la vie hollandaise. Aussi précis que Gérard Dow et Metsu, il évite de tomber comme eux dans la minutie exagérée du détail. Il y a plus d’ampleur dans sa peinture, plus d’élévation dans son style.
Mais le point par où il se rattache très étroitement à la grande famille hollandaise est dans le choix même des sujets, pris exclusivement dans le terre-à-terre de la vie quotidienne.
Il ne cherche pas en dehors de lui ni au-dessus de lui matière à tableau. Cette matière il la prend où il la trouve, à portée de sa main, et il la traite comme tous les Hollandais et Flamands d’avant et d’après lui, avec un sens du réalisme et un besoin de précision qui sont le plus grand des charmes de cette peinture minutieuse.
Il serait superflu d’y chercher une pointe quelconque d’idéalisme ou simplement une pensée de morale. Telle n’a jamais été la préoccupation de Peter de Hooch. Dans ses intérieurs, dans ses scènes d’auberge, dans tous les tableaux en un mot où il a peint la vie hollandaise, il n’a cherché ni à instruire, ni à faire penser, encore moins à moraliser.
Avant le XVIIe siècle, les Hollandais et Flamands abordaient encore fréquemment la peinture religieuse et, bien qu’ils n’y fussent pas d’une très grande inspiration, du moins y manifestaient-ils l’effort d’une pensée pieuse. Mais l’époque des dons de tableaux aux églises étant passée, les peintres de ces pays se confinèrent dans cette peinture de chevalet qui nous a valu de si nombreux chefs-d’œuvre.
L’Intérieur hollandais fut acquis assez récemment par la “National Gallery”. C’est un bijou de première valeur, qui figure dans la salle consacrée aux œuvres de la collection Peel.
Hauteur: 0.74.—Largeur: 0.64.—Figures: 0.40.VELAZQUEZ
VÉNUS ET CUPIDONSALLE XIV.—ÉCOLE ESPAGNOLE
Vénus et Cupidon
SUR un lit de repos, Vénus la blonde déesse est étendue. Elle est vue de dos, dans une pose abandonnée qui détend tous les muscles de son corps admirable. Son bras droit appuyé sur l’oreiller soutient la nuque aux reflets d’or; la jambe gauche est allongée tandis que de la jambe droite repliée, on n’aperçoit que le pied. Sur le fond de draperie rouge qui ferme le lit, se détache la gracieuse silhouette de Cupidon; une écharpe de soie bleue traverse en baudrier sa poitrine et porte le carquois chargé de flèches: ses ailes blanches s’agitent joyeusement pendant qu’il présente à Vénus, d’un air mutin, un miroir où se reflète l’image de la déesse des amours.
Cette page magistrale est un rare chef-d’œuvre, d’autant plus précieux que Velazquez eut rarement le loisir de traiter des sujets mythologiques et surtout de les exprimer sous cette forme, avec cet emploi du nu qui fait penser aux Vénitiens de la grande époque. S’évader des scènes religieuses était déjà une nouveauté, presque une impiété, à une époque et dans un pays où le peintre ne devait être que le glorificateur de la Foi et le fidèle serviteur de l’Église; mais oser montrer une nudité et prêter tant de charmes lascifs à une divinité païenne devait forcément choquer l’Espagne de Philippe IV, régentée par l’Inquisition. Il fallut beaucoup de courage à Velazquez pour risquer cette audace et sans doute se fia-t-il à l’amitié dont l’honorait son mélancolique souverain. Il est bon de dire aussi que l’artiste ajoutait à son talent de peintre le mérite d’une naissance distinguée et l’éclat de fonctions administratives à la cour qui lui permettaient certaines privautés. On ne l’inquiéta donc pas, mais le parti religieux, tout-puissant à Madrid, tenait Velazquez en suspicion et ne se privait pas d’intriguer contre lui. Sans que nul document le démontre, on peut être assuré que le superbe tableau de Vénus et Cupidon recueillit fort peu de suffrages et qu’il dut être considéré comme la manifestation d’une âme corrompue.
Aujourd’hui, où de telles disputes sont impossibles, nous voyons cette œuvre sous son vrai jour, avec sa vraie signification et nous admirons sans réserve cette géniale fantaisie du peintre officiel de la cour d’Espagne. Quelle admirable créature, en effet, que cette femme dans la splendeur vigoureuse de sa jeunesse et de sa beauté! Quel galbe dans ce dos et quelle finesse nerveuse et élégante dans le modelé de la jambe! Et surtout quelle vie ardente sous cet épiderme aux tons de velours où il semble que l’on voit courir le sang et palpiter les artères! Tout est charme et grâce dans ce beau corps; il faudrait du parti pris pour y apercevoir de la lasciveté; c’est uniquement le poème de la jeunesse triomphante.
Et quel art dans la composition! Comme tout est harmonieusement combiné pour donner tout son éclat à cette chair vibrante et souple! Le corps repose sur une large courtepointe de couleur grise qui fait valoir admirablement sa blancheur nacrée, de même que la charmante silhouette de Cupidon, rosée et blonde, se dore de la pourpre qui lui sert d’écran.
Comme Velazquez est Espagnol, il a choisi en Espagne le modèle de la splendide Vénus couchée. Elle a toute la souplesse des Castillanes à la taille mince et l’opulence des formes qui sont l’apanage des femmes sur l’autre versant des Pyrénées. C’est bien également un authentique visage d’Espagnole que reflète le miroir; visage aux joues pleines, où l’harmonie des lignes et la régularité des traits se marient à une énergie dans l’expression qui est la caractéristique de la beauté castillane.
Ce tableau est particulièrement remarquable en ce qu’il nous montre Velazquez sous un aspect nouveau. On a l’habitude de le considérer uniquement comme un portraitiste et bien des gens se l’imaginent seulement occupé à peindre un roi morose et laid ou de petites infantes roses et frêles, embarrassées dans de rigides costumes d’apparat. Aucun génie, peut-être, ne fut aussi souple que celui de Velazquez; il aborda tous les genres avec la même maîtrise; et le même peintre qui fit les admirables portraits que l’on sait, a signé la prodigieuse toile de la Reddition de Bréda; et avec la même souplesse, il peignit des nains, des bouffons, des mendiants qui sont aussi artistiquement beaux que les plus chamarrés des gens de cour. Aussi, Velazquez restera-t-il comme l’un des plus étonnants artistes dont fasse mention l’histoire de la peinture.
Vénus et Cupidon occupe à la “National Gallery” la salle XIV réservée à l’école espagnole.
Hauteur: 1.23—Largeur: 1.75.—Figures grandeur nature.LE TINTORET
SAINT GEORGES
TERRASSANT LE DRAGONSALLE VII.—ÉCOLES DE VENISE ET DE BRESCIA
Saint Georges terrassant le dragon
LA scène représente un rivage découpé pittoresquement par la mer bleue et fermé dans le fond par une haute muraille crénelée. De grandes masses de verdure donnent au paysage un aspect romantique auquel ajoute un ciel tumultueux, coupé de lueurs et de ténèbres, où roulent de lourdes nuées chargées d’orage. Le cadre est admirablement approprié au drame qui se joue dans ce décor. Un monstre horrible, vomi par le flot, s’est abattu sur le rivage où se promène une princesse, venue probablement de la ville dont on aperçoit les tours. Déjà, sa présence s’est cruellement manifestée: une victime, étendue sur le sol, témoigne de la férocité du monstre. Affolée, la princesse fait des efforts désespérés pour fuir; elle s’embarrasse dans les plis de son vêtement et sans doute deviendrait-elle à son tour la proie de la bête, si un secours providentiel n’arrivait à point pour la sauver. Monté sur un cheval fougueux, le bienheureux saint Georges fonce droit sur le monstre et de sa longue lance il le transperce et le rejette à la mer.
Dans ce tableau célèbre, Tintoret a concrétisé, pour ainsi dire, la belle légende chrétienne du Ciel protégeant la Foi contre les attaques du Démon. La Foi se trouve représentée sous les traits de cette princesse blonde, belle, parée de vêtements somptueux qui symbolisent l’éclat de la vertu. Quant au Démon, l’artiste nous le montre sous la forme la plus hideuse et la plus terrifiante, sous un aspect capable d’inspirer à tout jamais l’horreur du péché.
L’allégorie n’est pas seulement ingénieuse, Tintoret l’a traitée avec une vigueur et une habileté qui tiennent du prodige. Le grand Vénitien, qui se plaisait à loger dans une même toile des centaines de personnages, est parvenu à donner, dans ce tableau de dimensions restreintes, l’impression d’un drame complet réduit à trois protagonistes. Quel art dans la composition, où tout est mouvement, où tout s’accorde à augmenter l’intensité de la scène, la princesse qui s’enfuit, le cavalier qui fonce, le monstre qui se tord sous le fer meurtrier et le ciel même, où il semble que l’on voit rouler la masse épaisse des nuages.
Tintoret avait déjà traité le même sujet avec une variante. Dans le Saint Georges et la Princesse, qui se trouve au Palais ducal à Venise, la Foi, représentée par la princesse, est victorieuse du Dragon sur le cou duquel elle est assise à califourchon et qu’elle maîtrise à l’aide d’un ruban qui lui sert de bride. Derrière elle, saint Georges étend les mains comme pour bénir, tandis qu’un moine, placé à droite du tableau, contemple gravement cette scène.
Quelque remarquable que soit cette deuxième interprétation, elle est inférieure à celle que nous donnons ici, véritable chef-d’œuvre dont s’enorgueillit le grand musée anglais.
Il convient de signaler aussi le merveilleux coloris de cette toile, si harmonieux dans son éclat. Par malheur, l’action des siècles en a terni le brillant en quelques parties, mais ce qui en reste suffirait, à défaut d’autres œuvres, pour classer Tintoret parmi les plus grands coloristes du monde.
C’est une gloire peu commune que d’avoir acquis ce titre, pour un artiste qui vient à la même époque et dans la même ville que Titien et Véronèse. Élève du premier, il montra de telles qualités qu’il éveilla la jalousie du maître et dut quitter son atelier. Cela n’empêcha pas Tintoret de devenir un peintre de premier ordre et de supporter sans désavantage la redoutable comparaison avec Titien. Sur les murs de son atelier, il avait écrit: «La forme de Michel-Ange, la couleur du Titien.» Tintoret réunit également ces deux qualités: il démontra victorieusement que, malgré le brio de la couleur, on pouvait être un dessinateur impeccable; et certes, il est, de tous les Vénitiens, le peintre le plus correct, le plus probe, le plus parfait.
A ces qualités fondamentales, il ajoutait une facilité d’exécution qui tenait du prodige. Cette extraordinaire facilité lui permit de peindre pour des prix très modiques un nombre considérable de tableaux, destinés aux confréries et aux églises de Venise. Tout d’abord, on ne prit pas au sérieux cet homme qui travaillait si vite et pour n’importe quel prix, si minime fût-il; ses contemporains jugeaient que le travail est la vie de l’artiste et que le gain n’est qu’une question secondaire qu’il envisagera plus tard, à l’heure du succès.
Le succès vint, et il fut glorieux. Venise ne tarda pas à l’honorer à l’égal du Titien et de Véronèse; il fut le peintre officiel des doges et des patriciens et on lui confia la décoration du Palais Ducal, sur les murs duquel il peignit sa prodigieuse fresque du Paradis.
Saint Georges terrassant le Dragon fit partie de la collection de Charles Ier d’Angleterre. Il figure aujourd’hui à la «National Gallery» dans la salle VII, réservée aux écoles de Venise et de Brescia.
Hauteur: 1.57.—Largeur: 1 m.—Figures: 0.60.SIR JOSHUA REYNOLDS
LES GRACES COURONNANT L’HYMENSALLE XVIII.—VIEILLE ÉCOLE ANGLAISE
Les Grâces couronnant la statue de l’Hymen
ON ne peut pas dire de Reynolds qu’il fut le plus grand peintre anglais de son temps, mais il compte parmi les plus brillants et les plus parfaits. Gainsborough eut des qualités supérieures aux siennes, Romney aussi nous charme par plus de grâce aisée; mais Reynolds, né sous une heureuse étoile, reçut de la nature des dons précieux qui, sans aller jusqu’au génie, lui permirent cependant de produire des chefs-d’œuvre. Sa carrière d’artiste est avant tout un miracle de la volonté. Sans avoir de dispositions exceptionnelles pour la peinture, il devint un grand peintre à force de persévérance et d’énergie, de même qu’il fût devenu un grand ingénieur, un savant, ou un écrivain si les circonstances l’avaient incliné vers l’une ou l’autre de ces professions. Reynolds fut avant tout un opiniâtre. Encore enfant, il disait: «Je serai peintre si vous me fournissez le moyen d’être un bon peintre.» On lui mit en main des pinceaux et son labeur acharné, sa conscience, son étude approfondie des maîtres firent le reste. Dès ses débuts, il détermina la voie qu’il voulait suivre; il se résolut à être portraitiste. Et cette décision une fois prise, rien ne put le détourner de son objet: «Mon but unique dans la vie est de peindre des portraits et de les peindre le mieux possible.» Heureux les hommes à qui les fées, dans leur berceau, ont déposé comme présent cette énergie tenace que ne rebute aucun obstacle! L’avenir leur appartient et, avec la fortune, souvent la gloire leur est promise.
L’une et l’autre échurent à Reynolds, il réalisa complètement son rêve. Il fut le portraitiste le plus vanté de son époque et ne rechercha pas d’autres lauriers. Même dans les tableaux où il aborda l’allégorie, les personnages qu’il met en scène sont des portraits et le décor dont il les agrémente n’y joue qu’un rôle secondaire et décoratif, uniquement destiné à faire mieux valoir les avantages de ses modèles.
Tel est le cas pour le tableau reproduit ici. Ces trois Grâces vêtues à la dernière mode londonienne du XVIIIe siècle n’ont rien de l’esthétique usitée dans ce genre de sujets; ce sont de véritables Anglaises que nul trait n’apparente aux classiques beautés que peintres et sculpteurs ont l’habitude de nous montrer. Blondes comme il sied à des filles du Nord, élancées, fines, elles ont cette fraîcheur délicate et cette grâce aristocratique dont l’Angleterre possède de si nombreux et si charmants modèles. Ces trois Grâces sont trois sœurs, filles de Sir W. Montgomery: celle de gauche, qui est agenouillée et tend des fleurs à ses compagnes, est Mrs. Beresford; celle du milieu, dont le genou ployé s’appuie sur le soubassement de la stèle, est Mrs. Gardiner, mère de Lord Blessington; enfin, nous reconnaissons la marquise Townsend dans la superbe jeune femme qui, dans ses mains levées, déploie la guirlande odorante et fleurie destinée à l’Hymen.
L’allégorie n’est donc qu’un prétexte et l’on s’en aperçoit bien. Reynolds l’a traitée à la mode du temps, conformément aux canons intronisés par la peinture française et surtout par Boucher. Le paysage est un joli décor de feuillages dorés par l’automne et l’on y voit, derrière la divinité armée de son flambeau, un magnifique rideau de pourpre tendu entre deux arbres, que l’on devine posé là comme un écran pour rehausser l’éclat de ces beautés blondes. Toutes les concessions ont été faites au goût de l’époque; Reynolds n’a pas même oublié l’aiguière ciselée que l’on aperçoit invariablement, on ne sait trop pourquoi, dans toutes les compositions allégoriques de ce temps.
Tel qu’il est, invraisemblable et apprêté, ce tableau n’en a pas moins un charme captivant. Ce qui attire surtout—et c’est bien là ce qu’a voulu Reynolds—c’est la physionomie des personnages, de ces trois sœurs qui sont le sujet véritable et important de la composition.
Très habile metteur en scène, l’artiste a disposé ses modèles en des attitudes variées qui donnent à son œuvre une impression de mouvement grâce auquel il a esquivé la symétrie fâcheuse de trois portraits côte à côte.
Il convient d’admirer aussi l’heureuse distribution des couleurs, réparties en teintes douces et discrètes, d’une suprême distinction. Le coloris fut d’ailleurs la constante préoccupation de Reynolds. Dès sa jeunesse, il s’était livré à de laborieuses études des maîtres, et surtout des Vénitiens, ces maîtres entre les maîtres pour la splendeur de la palette. Il s’était évertué à surprendre leur technique, à s’assimiler leurs procédés. Il convient d’avouer cependant que, s’il les imita, ce ne fut que de façon très imparfaite; on ne pénètre pas aussi aisément dans le secret des dieux. Trop souvent ses recherches du secret des Vénitiens se firent aux dépens de ses clients dont les portraits, merveilleux à leur apparition, vieillirent plus vite que les modèles eux-mêmes; les fonds se décomposèrent et le coloris superficiel devint fantomatique. Fort heureusement, bon nombre de ses toiles ont échappé à cette disgrâce et conservent encore aujourd’hui l’éclat suprême des premiers jours. Mais, même dans les plus maltraitées par le temps, l’harmonie de la ligne demeure et classe Sir Joshua Reynolds dans la lignée des grands peintres anglais.
Les Grâces couronnant l’Hymen fut exposé à la Royal Academy en 1774. Ce tableau fut donné par le comte de Blessington à la «National Gallery», où il figure aujourd’hui dans la salle réservée à la vieille école anglaise.
Hauteur: 2.33—Largeur: 2.89.—Figures en buste grandeur naturelle.HOLBEIN
CHRISTINE DE MILANSALLE XV.—ÉCOLE ALLEMANDE
Christine de Milan
L’ORIGINE de ce magnifique portrait est curieuse et l’histoire en est célèbre.
Holbein était venu d’Angleterre à Milan, sur les ordres de Henri VIII, pour peindre la jeune Christine de Danemark, à peine âgée de seize ans et déjà veuve, dont le Barbe-Bleue couronné prétendait faire sa femme. Ambassadeur en même temps que peintre, Holbein s’acquitta de sa mission auprès de la princesse. Mais trop certaine du sort qui l’attendait en Angleterre, celle-ci refusa net la couronne qu’on lui offrait:
—Je n’ai qu’une tête, répondit-elle au peintre, et je tiens à la conserver sur mes épaules.
Malgré son jeune âge, cette princesse ne manquait ni d’à-propos ni de bon sens. Mais si elle éconduisit Holbein, messager matrimonial, elle consentit volontiers à poser devant un peintre dont la célébrité était universelle. Holbein se mit à l’œuvre et exécuta l’admirable portrait que nous reproduisons.
La jeune femme est debout, revêtue d’un costume sombre noué à la ceinture par un ruban. Sur ce vêtement elle porte un manteau de velours noir doublé de fourrures. Aucun ornement ne corrige la sévérité de la tenue: la duchesse porte encore le deuil de son époux, le duc de Milan, récemment décédé. Seules, la fine collerette et les poignets en dentelle éclairent le tableau. Sur la tête est posée une sorte de capuce noire qui l’enveloppe entièrement et emprisonne les cheveux et les oreilles, suivant la disgracieuse mode de cette époque.
Fidèle à un procédé qui lui était habituel et que risquent seuls les grands artistes, Holbein a placé son personnage sur un fond presque aussi sombre que le sujet lui-même. Ce procédé a l’avantage de donner toute l’importance aux deux points essentiels du portrait: le visage et les mains qui, de cette manière, se détachent en vigueur. Dans ce portrait, où tout est admirable, ce visage et ces mains sont deux pures merveilles.
Sans être belle ni même régulière, la figure de la duchesse possède un charme réel qui permet de comprendre la convoitise d’Henri VIII. Il y a de l’intelligence dans les yeux, de la douceur et de la bonté dans la légère moue des lèvres. Mais ce qui se trouve exprimé avec un art incomparable, c’est la vie intérieure du modèle traduite en quelques traits légers, au moyen de frottis à peine perceptibles qui disent tout, le front plein de pensées, l’attention sérieuse et jusqu’aux sentiments de l’âme. Quant aux mains à demi fermées sur les gants, elles sont d’un galbe sans égal et on ne peut leur comparer que les mains d’Antoine Arnauld, par Philippe de Champaigne, au musée du Louvre. Fines, allongées, elles trahissent l’aristocratique naissance de la jeune femme. Elle est noble d’ailleurs dans toute sa personne. Malgré l’ampleur de son manteau, on devine une taille bien prise et des formes parfaites. Et nous pouvons certifier que telle fut Christine de Milan: car Holbein n’avait pas pour habitude de flatter ses modèles. Inexorable transcripteur de la nature, il peignait son personnage comme il le voyait, sans jamais dissimuler aucune de ses imperfections ou de ses tares. Aussi ses portraits, en dehors même de leur valeur artistique, acquièrent une importance documentaire de premier ordre.
Tel est l’attrait de cette Christine de Milan que l’œil s’obstine sur le visage et sur les mains et qu’il oublie de fouiller dans la pénombre où se dissimulent les vêtements. Et cependant l’art précis du peintre s’est exercé avec une maîtrise supérieure dans ces parties volontairement obscures qu’il semble avoir voulu cacher. Quelle science et quelle perfection dans la disposition du manteau, quelle souplesse dans l’agencement des plis! Tout est beau dans cette page magistrale et l’on ne s’étonne plus qu’elle ait été disputée à coups de millions.
Holbein, dont les tableaux atteignent aujourd’hui des prix fabuleux, eut des débuts très difficiles. Il connut la gloire de son vivant, mais elle ne vint pas tout de suite. Longtemps il promena sa précaire existence dans les villes de Suisse, à Bâle, à Lucerne, peignant des portraits à vil prix pour payer sa nourriture ou solder des amendes encourues à la suite de quelque rixe dans les cabarets. Il composait des vitraux, décorait des maisons, acceptait toutes les besognes. «Tous les étrangers, dit un voyageur, s’arrêtent avec plaisir au coin d’une petite rue de Bâle, où il y a une maison, peinte au dehors, depuis le bas jusqu’en haut, de la main d’Holbein; de grands princes se pourraient faire honneur de ce travail; ce n’était néanmoins que le payement que faisait ce pauvre peintre de quelques repas qu’il y avait pris; car c’était un cabaret dont la situation aussi bien que la médiocrité marquaient assez qu’il n’était pas des plus célèbres.»
Bientôt, cependant, il se lia avec les humanistes et les réformateurs très nombreux à Bâle. Il gagna l’amitié d’Erasme et ce fut celui-ci, très influent en Angleterre, qui l’appela à la cour d’Henri VIII et contribua à sa fortune.
Le beau portrait de Christine de Milan, fut acheté par la “National Gallery” 1.800.000 francs et figure dans la salle XV, réservée à l’école allemande.
Hauteur: 1.77.—Largeur: 0.81.—Figure grandeur nature.LÉONARD DE VINCI
LA VIERGE AUX ROCHERSSALLE IX.—ÉCOLE LOMBARDE
La Vierge aux rochers
LA scène se développe dans une caverne bizarrement découpée, en décor romantique, et formée de roches et de feuillages. Par les ouvertures de la caverne s’aperçoivent les eaux d’un lac bordées de rochers escarpés, et qui reflètent l’azur d’un ciel très pur. Lumière éclatante au dehors, ombre et fraîcheur au dedans. C’est dans cette ombre propice que le grand Léonard a placé le groupe divin.
La Vierge, moitié assise, moitié agenouillée, présente le petit Saint Jean à l’Enfant Jésus qui le bénit de son doigt levé. Un ange à mine charmante et fine, hermaphrodite céleste tenant de la jeune fille et du jeune homme, mais supérieur à tous deux par son idéale beauté, accompagne et soutient le petit Jésus comme un page de grande maison qui veille sur un enfant de roi, avec un mélange de respect et de protection. Une chevelure aux mille boucles, annelée et crêpelée, encadre son fin visage d’une aristocratique distinction. Cet ange, à coup sûr, occupe un haut grade dans la hiérarchie du ciel; ce doit être un trône, une domination, une principauté tout au moins. L’Enfant Jésus, ramassé sur lui-même, dans une pose pleine de savants raccourcis, est une merveille de rondeur et de modelé. La Vierge a ce charmant type lombard où, sous la candeur pudique, perce cet enjouement malicieux que le Vinci excelle à rendre. Cette magistrale peinture a noirci, surtout dans les ombres, mais n’a rien perdu de son harmonie, et peut-être même serait-elle moins poétique si elle avait gardé sa fraîcheur primitive et les tons naturels de la vie.
Ce tableau, qui paraît dater de 1495, aurait été peint à Milan, par Ambrogio da Predis, sous la surveillance de Léonard lui-même et serait simplement la copie d’une autre toile semblable peinte pour la chapelle de la Conception, à l’église des Franciscains de Milan. Cette toile est celle que l’on peut admirer au Louvre, dans la Grande Galerie, sous ce même titre: La Vierge aux rochers. L’authenticité et la priorité de la Vierge du Louvre est en dehors de toute discussion: en sa présence on est, à n’en pas douter, en face de l’œuvre originale. Mais celle de la “National Gallery” dont ce musée s’enorgueillit si justement, serait-elle donc véritablement l’œuvre d’un copiste ou d’un élève? Il est impossible de le croire, lorsqu’on la contemple attentivement. Qu’Ambrogio da Predis ait collaboré à l’établissement de cette réplique, on peut l’admettre; il avait du talent et Vinci l’estimait. Mais nul autre que le Vinci n’a pu dessiner ces contours si fermes et si purs, conduire ce modelé aux dégradations savantes qui donne aux corps la rondeur de la sculpture avec tout le moelleux de l’épiderme, et rendre ses types favoris d’une façon si fière et si délicate.
Donc, si la Vierge aux rochers de la “National Gallery” n’est pas la Vierge primitive, elle n’en est pas moins une œuvre originale, merveilleuse et bien digne de porter la signature de Vinci. Tout y proclame le maître, nulle part on n’y trouve l’hésitation par où se trahirait la contribution du copiste. D’ailleurs, elle fut décrite en 1584 par Lomazzo, comme se trouvant dans la chapelle de la Conception, à l’église San Francisco de Milan, pour laquelle l’une et l’autre avaient été peintes.
Celle du Louvre, qui date de 1482, allait être livrée et mise en la place qu’elle devait occuper dans l’église, lorsqu’un différend s’éleva entre l’artiste et la Confrérie de la Conception, au sujet du paiement de la toile. Celle-ci prétendait rabattre une somme assez importante sur le prix convenu. Le conflit devint à ce point aigu, que Léonard de Vinci dut faire appel à l’intervention du duc de Milan, dans une lettre récemment découverte dans les archives de cette ville. La discussion se prolongea plusieurs années, si bien que Vinci, de guerre lasse, vendit son tableau, et lorsque, enfin, les deux parties tombèrent d’accord, Léonard consentit à recommencer la toile, en collaboration avec Giovanni Ambrogio da Predis.
Quelques différences sont à noter dans cette œuvre, comparée à celle du Louvre. L’ange y est posé dans une attitude légèrement modifiée; en outre, les trois principaux personnages y sont pourvus d’une auréole d’or qui ne se trouve pas sur la peinture originale et qui semble d’ailleurs avoir été ajoutée après coup.
La Vierge aux rochers existe donc à deux exemplaires également remarquables comme exécution. Et si le Louvre possède sans conteste l’original, la “National Gallery” peut être fière de cette réplique admirable, où se manifeste la prodigieuse virtuosité du plus grand peintre de tous les temps.
La Vierge aux rochers fut apportée en Angleterre en 1777 par Gavin Hamilton; elle figure aujourd’hui à la “National Gallery”, dans la salle IX, réservée à l’école lombarde.
Hauteur: 1.84.—Largeur: 1.13.—Figure grandeur nature.GAINSBOROUGH
Mrs. SIDDONSSALLE XVIII—VIEILLE ÉCOLE ANGLAISE
Mrs. Siddons
LE modèle de cette toile légendaire était une actrice réputée en Angleterre, vers la fin du XVIIIe siècle, pour son talent et sa grande beauté. Elle est représentée assise de trois quarts devant un fond de draperie rouge. Elle porte une élégante robe rayée de bleu, garnie aux épaules et à la ceinture d’une sorte d’écharpe de même couleur. Un grand manteau jaune bordé de fourrure drape ce corps charmant, se pose négligemment sur les genoux et vient s’enrouler autour du bras gauche. Avec l’une de ses mains elle maintient un manchon de fourrures. Un large chapeau à plumes noires encadre le délicieux visage de Mrs. Siddons, visage d’une admirable pureté de lignes et d’une idéale délicatesse de traits, encore embelli par l’abondante parure des cheveux poudrés qui retombent en boucles soyeuses sur les épaules.
Dans ce magistral portrait se trouvent en quelque sorte réunies les éminentes qualités de l’art de Gainsborough. Non pas toutes cependant, car il y aurait injustice à oublier que le grand portraitiste fut en même temps un remarquable peintre de paysages.
Gainsborough était encore enfant lorsque s’éveilla en lui l’amour de la peinture. Avant d’avoir reçu la moindre éducation artistique, il possédait déjà cette extraordinaire facilité, cette sûreté de crayon que l’on admirera plus tard dans son œuvre.
On raconte à ce sujet une anecdote qui se place à l’époque où Gainsborough avait douze ans: l’enfant était assis dans le jardin paternel à l’abri de buissons qui le dissimulaient, et copiait un vieux poirier. Tout à coup, au-dessus du mur de clôture, émergea la tête d’un paysan qui, d’un œil de convoitise, examina les fruits et, se croyant seul, en cueillit un, le plus beau. L’ardente expression du visage de l’homme frappa tellement Gainsborough qu’il la reproduisit séance tenante sur son dessin. Et si fidèle fut la traduction que le père reconnut aussitôt l’auteur du larcin et le lui reprocha.
Après un court passage dans l’atelier d’Hayman, Gainsborough se maria et quitta Sudbury, où il était né, pour se fixer à Ipswich, capitale du comté de Suffolk. Il eut la chance de s’y lier avec Philippe Thicknesse, personnage important de la province, qui le recommanda chaudement et lui procura de nombreuses commandes. Mais une querelle, d’ordre tout à fait étranger à la peinture, mit fin à leurs relations et Gainsborough abandonna Ipswich et s’installa à Bath en 1758. Il y séjourna 16 ans. Bath était alors une station à la mode, quelque chose dans le genre de notre Riviera actuelle; toute la société de Londres s’y donnait rendez-vous pendant la belle saison. Gainsborough vit les commandes affluer: bientôt les portraits en buste, qu’il tarifait au début cinq guinées, se payèrent huit, puis quatorze guinées; quant aux portraits en pied, ils ne montaient pas à moins de cent guinées.
C’est vers cette époque que Gainsborough fut saisi d’une passion subite et extraordinaire pour la musique, passion qui le posséda au point de lui faire négliger la peinture et ses intérêts. Néanmoins, son séjour à Bath marque un changement considérable et un progrès réel dans sa technique, sans doute parce qu’il put voir et étudier, dans les riches demeures des environs, les œuvres des grands maîtres du passé qu’il ne connaissait encore que très imparfaitement.
Aussi dès son arrivée à Londres, en 1774, il est en pleine possession de son talent. La notoriété l’y a déjà précédé et son atelier est assailli par tout ce que la capitale compte de distingué. Les portraits succèdent aux portraits et la plupart sont des chefs-d’œuvre. Il fait déjà partie, depuis la fondation, de l’Académie instituée par Reynolds et ses envois annuels y font l’admiration des amateurs. Il cesse d’y exposer pendant quelque temps à la suite d’une brouille avec Reynolds. Les deux grands peintres se connaissent et professent l’un pour l’autre une estime réciproque, mais leurs caractères très différents s’accordent mal et ils vivent complètement éloignés l’un de l’autre. Gainsborough, qui semble avoir eu les premiers torts, a l’âme impétueuse mais bonne; et quand il sent venir sa mort, il écrit une lettre touchante à son illustre rival et lui demande de conduire ses obsèques. Il mourut le 2 août 1788, à l’âge de soixante et un ans.
Gainsborough, par l’originalité de son talent, l’élégance de sa manière, la qualité de sa couleur, demeurera comme l’une des plus hautes personnifications de l’art anglais.
Écoutons John Ruskin: «La puissance de coloris de Gainsborough a ce qu’il faut pour prendre rang à côté de celle de Rubens; c’est le plus pur coloriste, sans en excepter Reynolds lui-même, de toute l’école anglaise. On verra assez de preuves de l’admiration que j’ai vouée à Turner, mais je n’hésite pas à dire que, dans l’art purement technique de la peinture, Turner est un enfant auprès de Gainsborough. La main de Gainsborough est aussi légère que le vol d’un nuage, aussi rapide que l’éclair d’un rai de soleil. Ses formes sont grandes, simples, idéales. En un mot, c’est un peintre immortel.»
Mrs. Siddons appartint longtemps à la collection du Major Mair, qui avait épousé la petite-fille de la célèbre actrice; il figure aujourd’hui à la “National Gallery” dans la salle XVIII, consacrée à la vieille école anglaise.
Hauteur: 1.25.—Largeur: 0.99.—Figure grandeur nature.A. VAN DYCK
LES ENFANTS DE CHARLES IerGALERIE NATIONALE DES PORTRAITS
Les Enfants de Charles Ier
ANTONIO VAN DYCK—Sir Anthony Van Dyck, comme l’appellent les Anglais—fut attiré en Angleterre par le roi Charles Ier. Beau cavalier, causeur spirituel, esprit subtil, il eut vite fait la conquête de la cour et de la ville. Le monarque l’honora d’une faveur toute particulière, le nomma principal peintre ordinaire, le créa chevalier et lui donna un logement dans le palais royal de Blackfriars. Van Dyck ne se montra pas ingrat; il voua à son généreux protecteur un dévouement qui ressemblait à un culte. Malgré l’abondance de sa production, son pinceau fut surtout consacré au roi et à sa famille. Nombreux sont les portraits de Charles Ier, on n’en compte pas moins de trente-huit; le Louvre en possède un magnifique exemplaire, d’une célébrité mondiale; la “National Gallery” s’enorgueillit du portrait équestre du roi, qui ne lui est guère inférieur. Non moins abondantes sont les effigies des divers enfants du souverain; on en trouve à Windsor et dans les Musées du Louvre, de Dresde, de Saint-Pétersbourg, de Turin, de Berlin. Celui que nous donnons ici est un des plus beaux et en même temps des plus intéressants, en ce qu’il représente toute la descendance directe du malheureux Stuart.
L’artiste a placé ses jeunes et charmants modèles sur une même ligne, devant un fond de draperie relevée qui laisse apercevoir les ombrages d’un parc. Au centre du tableau se tient le prince de Galles, qui devint plus tard Charles II d’Angleterre; vêtu d’un riche costume pourpre avec collerette de dentelle et manches à crevés, il appuie sa jolie main d’enfant sur la tête d’un énorme et paisible molosse. Tout près de lui, à gauche du tableau, est figuré son jeune frère, âgé de quatre ans, encore en costume de fillette, qui deviendra roi à son tour sous le nom de Jacques II; la charmante fillette de six ans qu’on aperçoit à gauche, si mignonne sous sa parure de cheveux blonds et qui prend déjà des airs de reine, est la princesse Marie qui sera plus tard la mère de Guillaume III. A droite, l’enfant qui s’empresse auprès du bébé, n’a guère plus de deux ans; c’est la princesse Élisabeth. Quant au rose et potelé baby qui se débat dans ses langes pour atteindre la tête du chien, c’est la princesse Anne, la dernière fille de Charles Ier, qui mourut en bas âge.
Van Dyck, uniquement préoccupé de la ressemblance de ses modèles, s’inquiétait assez peu des artifices de composition employés par certains artistes pour mettre en valeur les personnages. Il avait trop de génie pour recourir à l’habileté. Il lui importe peu de risquer la monotonie en disposant les enfants royaux sur une même ligne; ce qui compte pour lui—pour nous aussi—c’est d’exprimer exactement la physionomie de chacun d’eux. Il est à peine utile de montrer avec quel bonheur il y a réussi, avec quelle intensité il a su peindre la vie sur ces jeunes visages insouciants, aux yeux limpides, que le malheur n’a pas encore effleurés et devant qui ne se dresse pas l’effroyable avenir qui les attend. Il y a déjà, dans ces petits corps à peine formés, cette naturelle aisance, ce suprême parfum d’aristocratie qui distingua toujours la noble race des Stuarts.
Van Dyck peut être considéré comme le roi des portraitistes. D’autres, comme Rembrandt, ont marqué leurs modèles de traits plus vigoureux et plus profonds; aucun peut-être n’a possédé au même degré cette netteté de lignes, cette certitude tranquille qui ne connaît pas la défaillance. Un portrait de Van Dyck peut être comparé à tous les autres de sa main, ils sont tous également supérieurs. Absorbé et souvent distrait par la luxueuse existence qu’il menait à Londres, il lui fut impossible d’exécuter lui-même toutes les commandes dont on l’assaillait. Imitant l’exemple de son maître Rubens, il s’était entouré d’une pléiade d’élèves habiles, formés par lui, qu’il chargeait d’établir la plupart de ses portraits. Mais lorsque le portrait était campé, dégrossi, il le prenait dans ses mains puissantes et, en quelques touches rapides de son pinceau prestigieux, il lui donnait sa forme définitive, il le marquait de sa griffe géniale. Le portrait devenait un authentique Van Dyck.
Il n’en usait pas avec cette liberté quand il peignait le roi Charles, la reine Henriette ou les enfants royaux. Dans ces portraits, tout est bien de sa main; elle se révèle manifestement dans la précise clarté des paysages, dans la lumineuse profondeur des ombres, dans la distinction discrète d’un coloris toujours parfait.
«Le grand Flamand», comme on appelle généralement Van Dyck, a connu cette gloire de n’avoir eu aucun détracteur au cours des siècles. Il y a unanimité d’admiration autour de son œuvre. Reynolds, peintre de portraits lui aussi, le proclamait le plus grand portraitiste qui ait jamais existé et Gainsborough mourant se réjouissait dans l’espoir de retrouver Van Dyck au ciel.
Bien qu’il ait abordé avec une maîtrise égale les sujets mythologiques et religieux, Van Dyck demeure le roi incontesté du portrait et son œuvre lui a acquis une gloire immortelle et une place de premier plan à côté des plus grands noms de la peinture.
Les Enfants de Charles Ier figurent dans la partie de la “National Gallery” consacrée spécialement aux portraits.
Hauteur: 0.58.—Largeur: 0.99.—Figures grandeur demi-nature.LOUIS DAVID
ÉLISA BONAPARTESALLE XVII.—ÉCOLE FRANÇAISE
Élisa Bonaparte
DES trois sœurs de Napoléon, Élisa, l’aînée, fut la plus maltraitée du destin. Moins belle que Pauline et que Caroline, elle eut encore la disgrâce de se voir déchirer par ses ennemis, qui étaient nombreux: ils la disaient laide et de physionomie revêche. Ses amis ne vantent point les charmes de son visage, mais exaltent son esprit, son intelligence, sa perspicacité politique, sa ferme volonté. Les uns et les autres s’accordent à constater sa très grande ressemblance avec son frère Napoléon.
Examinons le portrait de David: tous les traits de l’illustre capitaine s’y retrouvent. C’est le même menton volontaire et hardi, le même regard froid, la même chevelure du «Corse aux cheveux plats». Nous savons qu’Élisa n’était pas belle et nous pouvons croire que David a fait effort pour adoucir la froideur du visage, mais en dépit de tout, transparaissent la dureté des yeux et la hauteur un peu insolente de l’attitude. Taillée en force, la tête posée sur un cou robuste attaché lui-même à de solides épaules, elle apparaît ce qu’elle sera toute sa vie: une femme opiniâtre, emportée dans ses exigences comme dans ses passions. Le frais costume de jeune fille qu’elle porte ne parvient pas à dissimuler cette rudesse native qui la rapprochait du caractère de Napoléon. Celui-ci disait à Sainte-Hélène: «Dès son enfance, Élisa fut fière, indépendante. Elle tenait tête à chacun de nous. Elle avait de l’esprit, une activité prodigieuse.»
Mariée à une époque où l’étoile de son frère commençait à peine de briller, Élisa dut se contenter d’un obscur capitaine, Félix Bacciocchi, un Corse qui habitait Marseille, dans la même maison que la famille Bonaparte. Le ménage débuta dans l’indigence et il fallut que le jeune général de l’armée d’Italie envoyât trente mille francs pour mettre un peu d’aisance dans la vie des deux époux. Bien qu’il n’eût pas approuvé ce mariage, Napoléon, qui fut le meilleur des frères, servit de son mieux Bacciocchi, lui donna de l’avancement, des fonctions, et plus tard une couronne princière. Il fit plus encore pour sa sœur, il la débarrassa de son médiocre mari, dont elle rougissait, en l’envoyant occuper des emplois dans de lointaines ambassades.
Libre de tout lien gênant, Élisa élut domicile chez Lucien, qu’elle aimait plus que ses autres frères et qui venait de perdre sa femme. Elle y joua le rôle de maîtresse de maison et quand les brillantes fêtes que donnait Lucien reprirent leur cours, ce fut elle qui présida aux apprêts de ces nouvelles réceptions mondaines. Dans la société de ce frère préféré, où brillaient quelques hommes remarquables du monde des lettres et des arts, elle trouvait un charme qui lui semblait très doux. Son éducation à Saint-Cyr, avant la Révolution, les conversations de Lucien, ses propres lectures, tout ce passé la disposait aux jouissances intellectuelles bien plus qu’aux futilités dont se contentent les femmes. Elle se donna tout entière à ces plaisirs relevés et nobles avec la violence de sa nature. Dans ses salons se rencontraient tous les beaux esprits du temps: La Harpe, Boufflers, Esménard, Arnault, Andrieux, Joubert, Delille, Chateaubriand qui la proclamait «l’adorable protectrice des lettres et des arts», et surtout Fontanes, qui devint un peu plus que l’ami d’Élisa.
L’ambition politique ne lui vint que plus tard, lorsque Napoléon fut tout-puissant, mais elle s’empara d’elle tout entière. Elle cessa de jouer les pièces de Corneille dans le salon de Lucien et rêva de tenir des rôles plus conformes à son besoin de dominer. Les flatteries de son entourage avaient perverti son esprit et lui avaient inculqué une présomptueuse assurance qui faussait son ancienne bienveillance, et les soirées de Neuilly n’avaient plus aucun attrait pour elle.
C’est avec ces sentiments absolus et ce caractère altier que, devenue princesse, elle gouverna la Toscane, dont Napoléon l’avait faite grande-duchesse. Elle essaya de se rendre populaire, mais sans y parvenir. Ses excentricités, le désordre de sa conduite privée, le faste insolent de sa cour, la dissolution dont elle était environnée, l’impiété qu’elle affichait, tout se réunissait pour éloigner d’elle le cœur de ses sujets. Quant au pauvre Bacciocchi, il traînait à la cour de sa femme une existence effacée et résignée, trop heureux lorsque de nouveaux scandales n’ajoutaient pas au ridicule de sa situation.
Telle est la femme dont David nous a laissé un si vigoureux et si éloquent portrait, demeuré à l’état d’ébauche on ne sait pour quelle raison. Tout le caractère de cette fantasque princesse y est déjà marqué en termes précis, avec une facture impressionnante et un art supérieur. Le coloris de ce tableau est un peu froid, comme l’était toujours le coloris du peintre, mais la tête est bien vivante et justifie la réputation, désormais consacrée, de David portraitiste.
Élisa Bonaparte figure dans la salle XVII consacrée à la peinture française.
Hauteur: 0.91.—Largeur: 0.73.—Figure grandeur nature.J. CONSTABLE
FLATFORD MILLSALLE XX.—ÉCOLE ANGLAISE
Flatford Mill on the river Stour
LE paysage représente un beau site de campagne, sur les bords de la Stour, dans le riche comté de Suffolk. A droite, se développent de vertes prairies éclairées par le soleil et bordées par des rangées d’arbres. Le long de la rivière court le sentier qui conduit au moulin de Flatford dont on aperçoit, dans le fond, les bâtiments et les toitures rouges. Sur le cours d’eau se meuvent des chalands qui viennent sans doute pour apporter le blé à moudre ou remporter la farine. De minuscules personnages s’occupent à la manœuvre ou vaquent à leurs occupations domestiques, tandis que, sur le bord, un homme fixe une corde aux traits d’un fort cheval chargé d’amener le chaland à la rive. A califourchon sur le cheval et à demi retourné en arrière, un enfant suit d’un œil intéressé les phases de l’opération. Tous ces personnages ne jouent dans le tableau qu’un rôle épisodique, ils n’y tiennent pas plus de place que dans les paysages de Claude Lorrain, mais ils l’animent et l’égaient. Dans le ciel, de lourds nuages sont accumulés, mais il reste encore assez de lumière pour éclairer la scène d’une belle lueur, chaude et brillante.
Ce beau paysage compte parmi les meilleurs de Constable, le plus grand paysagiste de l’Angleterre. La technique en est vigoureuse, le dessin solide, la pâte nourrie, la couleur exacte et sobre. Les plans successifs y sont supérieurement déterminés pour l’obtention d’une irréprochable perspective et la lumière, ce protagoniste essentiel mais difficilement saisissable de tout paysage, y joue son rôle primordial: elle est partout dans ce tableau, largement épandue sur la prairie ou discrètement insinuée dans les ombres des haies qu’elle éclaire et réchauffe; elle s’accroche au faîte des branches, à la cime des toits, à la tige des fleurs champêtres et colore de gaîté l’atmosphère subtile qui court dans cette toile.
La réputation de Constable comme paysagiste dépassa les frontières de son pays et sans doute aurons-nous l’occasion de signaler, dans de futures notices, l’influence considérable qu’il exerça sur notre école de 1830. Mais, en 1776, à l’époque où il vint au monde, les esprits et les âmes étaient, en Angleterre comme ailleurs, complètement fermés aux beautés de la nature. On ne la comprenait pas, on ne la supportait que comme accessoire dans un tableau, encore la fallait-il peignée, lustrée, élégante, pour servir de cadre à quelque bergerie ou d’écran à quelque personnage en habit d’apparat.
Né sur les bords de la Stour, Constable passa toute sa jeunesse en pleine campagne, à courir dans les champs, aux abords des moulins qui peuplaient la vallée. Comme il le dit plus tard lui-même: «Ce furent les scènes de mon enfance qui firent de moi un peintre.»
Dès son jeune âge, il sentit profondément la nature et désira la peindre. Il y fut encouragé par un ami qu’il s’était fait, un plombier-vitrier intelligent qui employait ses loisirs à brosser des paysages. Les parents du jeune homme songeaient à lui faire embrasser l’état ecclésiastique, mais ne se sentant aucun goût pour entrer dans les ordres, il préféra devenir apprenti meunier dans un de ces moulins qu’il aimait tant. Il n’y resta qu’un an, mais cette année passée en présence de la nature fit plus pour son talent que n’auraient pu lui apprendre tous les enseignements de l’Académie. Aux heures de loisir, il maniait le crayon et le pinceau avec une ardeur de néophyte. Sa famille ne voyait pas sans appréhensions le jeune Constable s’engager dans cette voie: «Mon fils, écrivait le père, se destine à une bien misérable profession.» Lui-même eut des heures de doute. Quand il vint à Londres pour s’assurer «s’il avait des chances de réussir dans la peinture», il ne reçut aucun encouragement aux différentes portes où il frappa. Il était résigné déjà à abandonner son rêve quand il eut le bonheur, en 1799, d’être admis comme élève à l’Académie royale de peinture. A partir de ce jour, sa carrière est décidée, carrière toute de labeur et d’énergie, mais carrière presque obscure, que ne marque aucune distinction particulière. Paysagiste d’instinct, il se soumet volontairement à l’espèce de discrédit qui s’attache à son art. En 1802, il expose à l’Académie royale son premier tableau, sous le titre modeste: Paysage; il passe inaperçu. Il a alors 26 ans. A 43 ans, en 1819, il est élu membre adhérent de l’Académie royale et ne sera titularisé que dix ans plus tard. Son succès réel commence véritablement en 1824, avec son tableau célèbre: Hay Wain (La charrette de foin). Encore n’est-ce pas à Londres, mais à Paris que s’affirme sa réputation. Constable n’en est pas moins heureux d’hériter d’une petite fortune, car sa peinture ne suffit pas à le nourrir. Jusqu’à l’âge de 40 ans, il n’a pas réussi à vendre un seul de ses tableaux en dehors du cercle de ses amis. Et le phénomène tant de fois constaté se produit: ces paysages dont personne ne voulait à cette époque, on se les dispute aujourd’hui dans des enchères fabuleuses.
Le Flatford Mill (Moulin de Flatford) fut peint en 1817. Constable avait alors 41 ans. Dans cette admirable peinture se résument toutes les qualités de l’illustre paysagiste anglais, que Goncourt appelait le grand, le grandissime maître. Elle figure dans la salle XX, réservée à la peinture anglaise.
Hauteur: 1 m.—Largeur: 1.27.—Figures: 0.30.GIOVANNI BELLINI
LE DOGE LORÉDANSALLE VII.—ÉCOLE DE VENISE ET DE BRESCIA
Le Doge Lorédan
GIOVANNI BELLINI et son frère Gentile Bellini avaient appris la peinture dans l’atelier de leur père, Jacopo Bellini, artiste vénitien de grand talent. Celui-ci, loin de jalouser ses fils, se montra tout heureux quand il vit leur mérite éclipser le sien propre. Il les encourageait avec tendresse, car, disait-il, «il faut que Gentile dépasse Jacopo et que Giovanni l’emporte encore sur Gentile.»
L’avenir justifia la prédiction du père. Des trois Bellini, Giovanni fut le plus grand et le plus habile en son art. A une époque où son pays regorgeait d’artistes de talent, il eut la gloire, partagée avec Mantegna, de présider en quelque sorte à la première renaissance de la peinture en Italie; il fut le plus délicat et le plus distingué des maîtres. Venu au monde en un temps où s’élaborait en Europe un mouvement général d’affranchissement intellectuel et moral, il forma la transition entre la froide tradition des maîtres ascétiques et le glorieux épanouissement des Véronèse et des Titien; il fut le maillon qui souda l’un à l’autre les deux tronçons de cette chaîne. Il conserva quelque chose de la naïve conception et de l’hiératisme de ses aînés, mais sa souplesse, sa largeur de dessin, sa vigueur de coloris annoncent déjà une ère nouvelle, où ses élèves entreront d’un pas victorieux.
Mais si, par sa technique, Bellini prépare la voie aux grands Vénitiens de la Renaissance, il reste fidèle, dans le choix des sujets, à la tradition qui lui fut transmise par les siècles. Il est le dernier peintre véritablement religieux de l’école vénitienne. Plus tard il traitera, pour le compte du Conseil des Dix, des sujets relatifs à la vie nationale; mais s’il consent à abandonner ses Vierges et ses Maternités pour célébrer les fastes de la cité, il se refusera toujours à verser, comme Mantegna, dans le paganisme envahissant. Il verra ses jeunes émules ou ses élèves, comme Giorgione et Titien, peindre des églogues court vêtues ou glorifier les dieux et déesses de l’Olympe, sans que lui vienne la pensée de se mettre au goût du jour. Sur le déclin de sa longue vie, il accepte, après bien des atermoiements, une commande d’Isabelle d’Este pour un sujet profane et accepte même un acompte de 25 ducats sur la somme de cent ducats convenue pour le travail. Mais, quand il s’agit de s’exécuter, le vieux peintre temporise, cherche des prétextes, tantôt feignant la maladie, tantôt objectant ses travaux au Palais Ducal, tantôt se confinant à la campagne. Vianello, le représentant d’Isabelle à Venise, se désole, la duchesse se fâche et déclare «ne pouvoir supporter plus longtemps les étranges procédés de Bellini». Elle charge son agent de déposer une plainte contre le peintre entre les mains du doge Lorédan. Celui-ci aime Bellini, peintre officiel de Venise; il intervient officieusement et Bellini, de guerre lasse, répond: «J’ai là une Nativité presque terminée; si la duchesse veut bien l’accepter, j’en serai très heureux.» Et il la lui expédie avec une lettre d’excuses. Ce n’était pas tout à fait ce qu’avait désiré Isabelle d’Este, mais devant la beauté du tableau, tout son ressentiment s’évanouit et elle écrivit au peintre: «Votre Nativité m’est aussi précieuse qu’aucune autre de mes peintures.»
La renommée de Bellini s’était étendue bien au delà des frontières de l’Italie. Albert Dürer, quand il vint à Venise, se plut à le fréquenter et nous trouvons, dans les écrits du grand maître allemand, le témoignage d’une estime qu’il ne prodiguait pas, surtout aux peintres de la péninsule. «Tout le monde me dit, écrit-il, combien il est honnête et j’ai tout de suite été porté vers lui. Il est très vieux (Bellini avait alors quatre-vingts ans), mais il est encore le meilleur pour la peinture.» Il serait difficile pour un peintre de souhaiter une plus glorieuse consécration.
Telle était sa réputation que le sultan Mahomet II, le vainqueur de Constantinople, désira se faire peindre par lui et le demanda à la République de Venise. On ne sait pour quelle raison, son frère Gentile fut envoyé en Orient à sa place. Sans doute, la Seigneurie tenait à conserver près d’elle un artiste qui était le premier de son époque et, de plus, son peintre officiel. Cette qualité comportait, avec une très belle rétribution, d’importantes prérogatives, entre autres celle d’exécuter ou de diriger toutes les peintures dans les palais de la cité, et celle de peindre les Doges au pouvoir. C’est donc à titre de peintre officiel qu’il peignit le portrait du doge Lorédan, que nous donnons ici.
Le premier magistrat de Venise est représenté dans le bizarre et somptueux costume de sa fonction. Sur sa tête est posé un bonnet étroitement serré, qui cache les cheveux et les oreilles et se relève en pointe par derrière. Il est vêtu d’une magnifique robe en soie brochée où se révèle le goût des Vénitiens du XVe siècle pour les belles étoffes. Mais la merveille, dans ce tableau, c’est la tête énergique et sévère du doge; l’œil dur, les lèvres minces et les traits accusés disent assez le caractère ombrageux et cruel qui poussa Lorédan à instituer l’Inquisition d’État et le Conseil des Dix, dont la terrible tyrannie fit trembler Venise pendant deux siècles.
Dans ce portrait, le dessin, le coloris et l’expression du caractère sont également admirables.
Le Doge Lorédan est posé sur un chevalet dans la salle VII, réservée aux écoles de Venise et de Brescia.
Hauteur: 0.61.—Largeur: 0.44.—Figure grandeur nature.RUBENS
LE JUGEMENT DE PARISSALLE X.—ÉCOLE FLAMANDE
Le Jugement de Pâris
RUBENS a situé le célèbre épisode mythologique dans un magnifique paysage agreste où les teintes dorées de l’automne se marient à la rouge splendeur d’un ciel couchant. On serait presque tenté d’oublier les acteurs principaux du drame devant la prodigieuse habileté du peintre qui, en touches d’une vigueur incomparable, recule sa perspective jusqu’aux plus lointaines profondeurs de l’horizon. Quand Rubens s’avise d’aborder un genre, quel qu’il soit, son œuvre se trouve immédiatement marquée de sa griffe géniale; il se pousse du premier coup jusqu’aux plus hautes cimes, il proclame en traits de feu son inégalable supériorité.
C’est dans ce prestigieux décor de nature que se déroulent les phases de cette dispute célèbre dont les effets mirent le feu au monde antique. On connaît la légende: Junon, Minerve et Vénus, toutes les trois puissantes déesses de l’Olympe, prétendaient également au sceptre de la beauté et cette éternelle rivalité, troublait le séjour des dieux et divisait les immortels. Pour vider une querelle que leurs pairs n’osaient pas juger, les trois déesses résolurent d’un commun accord de s’en remettre au jugement d’un habitant de la terre. L’arbitre choisi fut le jeune Pâris, second fils de Priam et d’Hécube, le même qui, plus tard, ravit Hélène, femme de Ménélas. C’est à cette scène du jugement que nous fait assister Rubens dans son magnifique tableau.
Assis sur une roche, au pied d’un arbre, Pâris tient à la main la pomme qu’il décernera à la plus belle; il est lui-même bien digne de porter une telle sentence, car il possède la noblesse et la beauté d’un jeune dieu. Tout près de lui, debout, appuyé contre ce même arbre, Mercure, reconnaissable à son caducée, assiste à tous les détails de cette scène. Il paraît d’ailleurs plus amusé qu’anxieux. Par contre, aux pieds de Pâris, un énorme molosse est endormi, la tête allongée sur ses pattes, absolument indifférent à ce qui se passe autour de lui.
Et, devant leur juge, les trois déesses ont comparu, leur nudité splendide à peine voilée par les manteaux que soutiennent leurs mains. Voici Junon, reine des dieux, vue de dos, le bras droit replié soutenant un manteau de pourpre et tournant sa tête altière vers Pâris, en ayant l’air de revendiquer comme un droit de son rang le prix de la beauté. Sur ses pieds, le paon, son emblématique oiseau, étale sa large queue diaprée et soyeuse. Plus loin, Minerve, les bras relevés autour de sa tête brune, semble vouloir mettre en valeur tous ses avantages. A un arbre, derrière elle, sont accrochés ses attributs guerriers, le bouclier où figure une tête de Gorgone; le casque est posé à terre. Entre Minerve et Junon, se tient Vénus, fille de l’onde, en une pose pleine de modestie, les deux bras croisés sur la poitrine et regardant Pâris qui lui présente la pomme, signe de son triomphe. Tandis que l’attitude de Junon trahit la colère, et celle de Minerve le dépit, on lit sur le visage de la blonde déesse la surprise agréable de sa victoire sur ses deux rivales.
Ce jugement proclame Vénus déesse de la beauté, mais il ne termine pas le différend, il ne fait que l’envenimer. Sans s’en douter, Pâris amasse contre lui et sa race la rancune de deux puissantes divinités et son verdict coûtera à la famille de Priam la perte de Troie. Dès maintenant, nous avons comme un présage de tous les maux qui se préparent: dans le ciel apparaît une sorte de furie échevelée brandissant la torche de l’implacable discorde.
Tout est admirable dans ce tableau. Nous avons dit la beauté du paysage, il nous reste à signaler l’harmonieux équilibre de la composition où tout est disposé supérieurement pour répartir l’intérêt. Rubens s’est joué comme à l’habitude de la difficulté; il y a déployé une merveilleuse fécondité d’invention et l’ensemble de l’œuvre est éclatant, superbe, fastueux.
Ce qu’il convient de noter, c’est la conception toute particulière qu’a Rubens de la beauté féminine. Regardez les trois déesses: le peintre a traduit à la flamande la beauté grecque des Olympiens. Ces nobles formes étaient trop pures et trop tranquilles pour son pinceau turbulent; il les a mouvementées, arrondies, soufflées, bossuées de muscles, mais par la couleur il leur a conservé la divinité. C’est bien la chair des dieux, pétrie d’ambroisie et de nectar; rose comme la pourpre royale, blanche comme la neige de l’Olympe. Le torse de la Vénus semble fait avec des micas de Paros et des étincelles d’écume. Jamais la peinture n’a été plus loin pour le rendu de la chair, le grain de l’épiderme et le frisson mouillé de la lumière.
Le Jugement de Pâris figure dans la salle X, consacrée à la peinture flamande et hollandaise.
Hauteur: 1.44.—Largeur: 1.90.—Figures: 0.65.ROMNEY
UNE DAME ET SON ENFANTSALLE XIX.—VIEILLE ÉCOLE ANGLAISE
Une dame et son enfant
ON pourrait appeler Romney le Nattier de la peinture anglaise. Comme le maître français, il fut le portraitiste préféré des femmes, parce que, comme lui, il sut les parer de tous les charmes, même quand la nature s’était montrée le moins indulgente pour elles. Nul pinceau ne fut plus conciliant, plus flatteur, plus habile, car il joignait à son art d’embellir celui, plus difficilement réalisable, de faire ressemblant. Sous des apparences manifestement avantagées, ses modèles les plus disgraciés se reconnaissaient et, qui plus est, on les reconnaissait.
Aussi, la vogue dont jouissait Romney à Londres s’égalait à celle de Reynolds et de Gainsborough. Toute la «gentry» anglaise se pressait à son atelier de Cavendish Square. Il était parvenu presque sans effort, par un heureux concours de circonstances, à ce degré de réputation. Sa bonne étoile avait guidé sur la voie glorieuse l’apprenti menuisier de Beckside. Lorsqu’il parut à Londres, venant de sa province, il n’avait que le goût du dessin, avec peu de science. Son maître, un certain Steele, n’avait qu’une valeur médiocre et le jeune artiste en tira tout ce qu’il put, c’est-à-dire bien peu de chose. Mais il comprit combien il serait hasardeux de tenter la fortune avec un aussi mince bagage technique, et sa résolution fut vite prise: il alla apprendre son métier en Italie, au contact des maîtres. Rien ne le retint en Angleterre, pas même sa famille. Avec une belle désinvolture, qui fait plus honneur à son esprit de décision qu’à ses qualités de cœur, il abandonna sa femme et ses enfants. Il ne revint pas auprès d’eux à son premier retour d’Italie, mais il continua à mener une existence vagabonde et décousue, courant de ville en ville, et vivant de portraits qu’il exécutait au rabais et que son énorme facilité lui permettait de brosser en quelques heures. Son voyage en Italie l’avait enthousiasmé; il y revint et, cette fois, il semble qu’il en ait retiré plus de fruits. Il s’adonna surtout à l’étude de Raphaël et du Corrège, ses idoles, et lorsqu’il revint, il se trouva complètement armé pour lutter avec ses grands rivaux.
Dans l’incertitude des premières années, Romney semble indécis sur la voie qu’il suivra. Quelques succès dans le genre historique tendent à l’incliner vers la grande peinture, mais au fond, c’est le portrait qui le sollicite, c’est à la gloire de Reynolds et de Gainsborough qu’il rêve de participer. La première œuvre qui fixa sur lui l’attention du public fut le superbe portrait de Mrs. Yates, en muse tragique; il amena le déclenchement subit du succès. Mais il eut surtout le bonheur de rencontrer sur sa route un de ces rares modèles comme en rêvent tous les peintres: Emma Lyons. D’origine plus que modeste, successivement servante d’auberge et figurante dans les petits théâtres londoniens, Emma Lyons possédait une éblouissante beauté blonde qui fut bientôt célèbre en Angleterre. Cette beauté et l’absolue perfection de son corps la firent choisir par le docteur Graham pour personnifier l’image de la santé, dans une de ses séances publiques. C’est à l’une de ces séances que Sir William Hamilton, ambassadeur d’Angleterre à Naples la vit et s’en éprit. Il l’épousa, l’emmena avec lui en Italie où elle devint l’amie de la reine Caroline et où s’ébaucha le célèbre roman d’amour avec Nelson. «Les traits de la belle Emma, écrit le poète Hayley, exprimaient, comme le style de Shakespeare, tous les sentiments de la nature et toutes les gradations de chaque passion, avec la vérité la plus fascinatrice. Elle exerçait par sa physionomie éloquente un empire prodigieux, que Romney avait du bonheur à observer, et au travers des vicissitudes étonnantes de sa destinée, elle fut toujours fière de lui servir de modèle.» D’autres aussi firent son portrait: Hoppner, Lawrence, Gainsborough, Reynolds, mais Romney interpréta sous des formes multiples sa triomphante beauté. Il fut d’ailleurs toujours le peintre des femmes.
Quelle est cette jeune mère que nous reproduisons ici, serrant amoureusement son enfant dans ses bras? Il nous est impossible de le dire: c’est évidemment une de ces nombreuses dames de la société qui tenaient à être peintes par le portraitiste à la mode. Elle est d’ailleurs charmante, cette jeune femme, dans son attitude de repos et plus charmante encore, la mignonne fillette pelotonnée sur le sein maternel. Il y a de la tendresse, de la pensée, de la vie, dans cette précieuse toile; il y a aussi et surtout cette supérieure entente du coloris qui fait de Romney l’un des meilleurs portraitistes anglais, après Reynolds et Gainsborough.
Une dame et son enfant fut légué à la “National Gallery”, en 1898, par le général J. Julius Johnstone; il figure aujourd’hui dans la salle XIX, réservée à la vieille peinture anglaise.
Hauteur: 0.89.—Largeur: 0.69.—Figure grandeur nature.NICOLAS POUSSIN
BACCHANALESALLE XVI—ÉCOLE FRANÇAISE
Bacchanale
LA scène se déroule dans un de ces décors antiques dont Poussin trouvait les modèles dans la campagne romaine. On est tellement accoutumé à admirer la belle ordonnance des groupes du grand peintre français, la pureté classique de ses personnages que trop souvent on oublie à quelle hauteur il a porté l’art du paysage. Il est vrai que bon nombre de ses tableaux ont souffert de l’action des siècles; du fond de ses toiles le bitume est fâcheusement remonté et noie son décor et parfois même son sujet dans une sorte de pénombre livide. Mais dans celles qui ont eu le bonheur de rester intactes, le paysage apparaît, plein de fraîcheur et de clarté, baigné d’une atmosphère diaphane. Voyez le paysage de la Bacchanale: il n’est, certes, qu’une partie bien secondaire du tableau, mais avec son habituelle conscience, Poussin l’a soigné autant que le tableau lui-même. La perspective s’enfuit, par gradations savantes, jusqu’aux extrêmes confins de l’horizon, où ondulent les collines bleues. Poussin, scrupuleux ouvrier du pinceau, n’admettait pas le laisser-aller trop commun parmi les artistes de son temps. Honnête homme dans la plus noble acception du terme, il a horreur de ces fa-presto sans conscience et il les accable d’injures, les appelant des bœufs, des bêtes, des boucs, et il s’indigne des prix qu’ils réclament pour leurs «barbouilleries» et de leur voir, avec si peu d’assiduité au travail «des mains de harpies». Ce n’est pas ainsi que travaille le grand artiste. Enfermé dans son atelier, il s’abîme dans son œuvre, cherchant toujours le mieux, craignant sans cesse de n’avoir pas assez poussé sa toile. Il passe parfois cinq jours à finir une main; certaines figures lui demandent huit jours d’efforts. Et telle est la supériorité de son art, que tout ce pénible travail ne s’aperçoit pas et que ses tableaux les plus laborieusement exécutés paraissent le fruit dune inspiration soudaine, jaillie spontanément.
Est-il rien qui paraisse plus naturel, plus franc, plus primesautier que cette Bacchanale? Ces groupes animés dans l’action de la ronde ont-ils l’air d’avoir été cherchés, étudiés, réglés minutieusement dans leurs moindres attitudes? Non, certes. Tout cela est d’une verve, d’un mouvement qui surprend chez l’austère Poussin.
Au pied d’un arbre aux branches ombreuses, une compagnie de Faunes prend ses ébats avec les Nymphes de la forêt voisine. Couronnés de feuillage et sans doute excités par la boisson, ils entraînent dans la danse deux jeunes femmes qui semblent occupées de tout autre chose que de la ronde. L’une d’elles, vêtue de bleu, se détourne à moitié et, de sa main demeurée libre, exprime le jus d’une grappe dans une écuelle que lui tend un petit Amour. L’autre s’intéresse à la querelle qui vient de s’élever à côté d’elle. A la droite du tableau, un Faune entreprenant a renversé sur l’herbe une superbe Nymphe qui se défend, moitié rieuse, moitié fâchée, contre ses audacieuses caresses. Et sans doute succomberait-elle, si l’une de ses compagnes n’accourait à son secours, en saisissant le Faune par les cheveux et en brandissant une amphore au-dessus de sa tête. Sur une stèle, le vieux Silène assiste à cette scène en ricanant.
Dans ce magnifique tableau, on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, de la beauté de la composition ou du charme du détail. L’intérêt s’y trouve harmonieusement réparti; tout y est mouvement, mais un mouvement eurythmique qui n’enlève rien à la pureté des formes ou au naturel des attitudes... Dans les corps de Poussin, tout est anatomiquement vrai et magnifiquement beau: l’art ancien n’a rien produit de plus parfait que les torses des Faunes danseurs et les femmes, sans rien perdre de leur naturel, étalent des formes sculpturales. La Nymphe étendue à terre, notamment, est d’une pureté de lignes digne de la statuaire grecque.
Et quelle fantaisie charmante dans le petit groupe des Amours! Quelle vérité dans l’effort de celui qui tend son bras pour recueillir le vin dans son écuelle et avec quel mouvement naturel il se défend contre son camarade! Quel geste aussi, charmant et si exactement étudié, de celui qui tente de l’écarter en lui passant un croc-en-jambe! C’est également une trouvaille heureuse que cet Amour, étendu à terre, qui dort la tête enfouie dans ses menottes.
D’autres ont eu des dons plus brillants que Poussin, une palette plus chatoyante, aucun peut-être n’est arrivé à produire des œuvres aussi parfaitement conçues et exécutées: il a victorieusement démontré que l’étude et la probité, joints à la recherche constante du vrai, peuvent parfois suppléer au génie.
La Bacchanale se trouve dans la salle XVI, consacrée à l’école française. Elle est passée à la “National Gallery” en 1824, avec la collection Angerstein.
Hauteur: 0.99.—Largeur: 1.42.—Figures petite nature.PINTURICCHIO
LE RETOUR D’ULYSSESALLE VI.—ÉCOLE OMBRIENNE
Le Retour d’Ulysse
APRÈS vingt années de fidèle attente, Pénélope voit grandir à l’horizon, puis entrer dans le port d’Ithaque, la galère d’Ulysse, son royal époux. La légende est connue: Homère l’a immortalisée. Ulysse, parti au siège de Troie avec l’armée des Grecs pour y venger l’injure faite à Ménélas, s’y distingua par sa sagesse dans les conseils, par sa bravoure dans les combats. C’est à lui que revient l’honneur du fameux stratagème qui fit tomber Ilion aux mains des alliés, après neuf ans d’inutiles efforts. La ville prise, les Grecs mirent à la voile pour le retour; mais Ulysse, séparé du reste de la flotte par la tempête, erra avec les siens sur toutes les mers pendant onze ans encore, poursuivi par des divinités hostiles et commença cette extraordinaire série d’aventures dont Homère nous a laissé le prodigieux récit.
Pendant ce temps, Pénélope, la fidèle épouse, se consumait au foyer, tourmentée par sa douleur, harcelée par les intrigants qui rêvaient de régner sur Ithaque en obtenant sa main. Désireuse de conserver la couronne à son fils Télémaque, Pénélope usait de subterfuges pour écarter les soupirants sans les pousser à la révolte. D’ailleurs, avertie par les secrètes lumières de son cœur qu’Ulysse reviendrait un jour, elle imagina, non moins habile que son époux, un artifice qui devait lui donner le repos. Convoquant devant elle ses soupirants, elle leur signifia qu’elle accepterait un autre époux le jour où elle aurait terminé une tapisserie destinée à servir de suaire au vieux roi Laerte, son beau-père. Et, de ce jour, elle s’installa devant son métier, tendant les fils, activant la navette et paraissant hâter l’ouvrage quand les ambitieux prétendants la venaient visiter. Mais, la nuit, elle défaisait le travail de la journée et les années passèrent sans que fût achevée la tapisserie, jusqu’au jour où Ulysse, revenu, lui ramena la tranquillité avec le bonheur.
C’est le moment où le roi d’Ithaque, débarqué de sa galère, pénètre dans l’appartement de sa femme, toujours assise devant son métier, que le peintre a choisi. Avec quelle grâce et quelle charmante naïveté il a interprété cette rencontre émouvante, avec quel admirable mépris de la vraisemblance il a situé son sujet et disposé ses personnages! Le roi d’Ithaque, vêtu dans le goût du plus pur XVe siècle, coiffé d’un petit toquet rouge d’où s’échappent de magnifiques cheveux blonds, n’a pas l’air d’un homme qui vient de courir les plus grands dangers et de vivre les plus dramatiques aventures. Loin d’être un vaillant guerrier vieilli par vingt années d’absence, il apparaît frais, coquet, avec tous les dehors de la jeunesse, comme s’il avait quitté d’hier la douce et fidèle Pénélope. Celle-ci n’est pas moins agréable à regarder; c’est une jeune et superbe femme blonde sur qui les longues angoisses éprouvées ne semblent pas avoir laissé de traces. Elle est encore assise à son métier pendant qu’Ulysse, plein de joie, accourt vers elle. Assise sur le dallage polychrome de la chambre, une servante arrange des fils dans une boîte tandis qu’un chat joue avec une pelote tombée par mégarde. Au-dessus de la tête de Pénélope sont accrochés le carquois et l’arc d’Ulysse, cet arc que nul homme dans le royaume n’était capable de bander. Par la fenêtre grande ouverte s’aperçoivent les maisons d’Ithaque, la mer bleue et la haute galère qui vient de ramener l’époux.
Il n’y a pas que de la naïveté dans ce tableau du Pinturicchio; des qualités de premier ordre s’y affirment. Ce qui distingua le peintre d’Alexandre VI, c’est le mouvement dont il animait ses toiles, la fraîcheur et la distinction des coloris, la fermeté d’un dessin qui laisse déjà pressentir Raphaël. Il ne faut pas juger de tels peintres par comparaison, mais se reporter à l’époque où ils vécurent, examiner les moyens dont ils disposèrent; et alors on reste confondu de la variété, de l’imagination et de la science relative dont ils firent preuve.
Benardino Betto, dit le Pinturicchio, était né à Pérouse, en 1454; il fut l’élève de Pérugin qui, ayant démêlé ses grandes dispositions pour la peinture, l’employa, avec Ghirlandajo, Botticelli et Cosimo Roselli, à la décoration de la chapelle de Sixte IV, au Vatican. De la Sixtine, le doux et élégant Ombrien met, par intervalles inégaux, son art charmant au service des cardinaux de la Rovère et Cebo, dont il décore les palais. Innocent VIII l’emploie aussi, mais sa plus grande part de gloire et son œuvre la plus importante, il les doit au pape Borgia, ce pontife décrié mais artiste, capitaine espagnol parvenu, par la plus invraisemblable fortune, jusqu’à la chaire de Pierre. On raconte que Pinturicchio, qui fréquentait l’Albergo dell’ Orso, y rencontra César Borgia, le fils du pape, qui devint par la suite aussi célèbre que son père. Une amitié solide lia les deux jeunes gens, et César amena son compagnon de plaisirs au redoutable pontife, qui lui confia la décoration de l’appartement des Borgia, au château Saint-Ange. C’est l’œuvre capitale de Pinturicchio; il y a déployé toutes les ressources de sa brillante imagination, de son étourdissante fantaisie, de sa profonde science du coloris. Raphaël, qui s’y connaissait, s’émerveillait toujours devant cette œuvre grandiose et charmante.
Le Retour d’Ulysse est une fresque transportée sur toile. Elle fait partie de l’ancienne collection de la “National Gallery” où elle figure dans la salle VI, réservée à l’école ombrienne.
Hauteur: 1.24.—Largeur: 1.46.—Figures: 1.05.REMBRANDT
PORTRAIT DE DAME AGÉESALLE X.—ÉCOLE HOLLANDAISE
Portrait de Dame âgée
LA “National Gallery” possède vingt-deux toiles de Rembrandt, elles sont toutes de premier ordre. Qu’il s’agisse de scènes religieuses, de sujets mythologiques ou de portraits, la manière fougueuse et puissante de l’illustre maître s’y manifeste avec une égale supériorité. Tel est le génie de ce géant de la peinture qu’il traite avec la même sublimité d’exécution l’Adoration des Mages, la Femme adultère et l’idyllique groupe de ses Femmes au bain. Quant à ses portraits, ils demeurent, avec ceux du Titien, peut-être même avant eux, comme la suprême expression de l’art de peindre.
Quel magnifique chef-d’œuvre que ce portrait de Dame âgée! Et quelle intensité de vie dans ces traits ravinés par le temps et sillonnés de rides! Quelle pensée dans ces yeux éclairés d’intelligence et de bonté! Ce visage a le relief de la sculpture, il semble qu’on a véritablement devant soi une personne en chair et en os, dont les lèvres vont s’ouvrir pour parler.
Il est superflu, quand on parle de Rembrandt, de s’attarder aux éloges. Les siècles, dans leur unanime admiration, ont épuisé le vocabulaire des dithyrambes et, devant de pareilles œuvres, on n’a d’autre ressource que d’admirer en silence. Tout a été dit—et combien éloquemment—par d’éminents critiques, sur Rembrandt dessinateur et coloriste; on a célébré sur tous les tons le magistral emploi qu’il fit du clair-obscur, formule d’art qu’il n’a pas inventée mais qu’il porta à une hauteur jamais atteinte après lui. Il fut, sans contredit, le plus merveilleux manieur de lumière qu’ait connu le monde; à son gré il en joue, la faisant tour à tour briller en notes éclatantes ou l’épandant parmi les ombres les plus opaques pour les animer et les faire vibrer.
Cet art incomparable, nous le retrouvons dans ce portrait de vieille dame où, en quelques touches vigoureuses et heurtées, Rembrandt exprime avec un rare bonheur les rides profondes et les méplats séniles. Quelques traits de pinceau, et le visage s’illumine de clartés, les ombres se dessinent fortement et la lumière qui se joue sur le front et le nez accuse énergiquement le caractère du modèle.
Dans la série des coloristes, le peintre de la Ronde de Nuit a trouvé une gamme nouvelle. Il semble qu’un vernis d’or, pareil à ces tons fauves de harengs saurs qui font l’effet d’être glacés de bitume sur du paillon, ait légèrement enfumé ses toiles. Dans ses plus grandes vigueurs, Rembrandt n’est jamais noir. Une chaleur rousse circule sous ses obscurités et les rend transparentes. Le peintre le plus sombre est celui qui a le plus de lumière. Amsterdam, grâce à Rembrandt, peut lutter avec Venise, et les deux villes dont les pieds baignent dans les canaux sont les reines de la couleur.
Cette peinture qualifiée de «surhumaine» par Raphaël Mengs, hachée d’éclairs et de ténèbres, fait invinciblement penser à la vie même de Rembrandt qui fut le plus glorieux et le plus infortuné des hommes. Son existence nous offre l’émouvant et terrible spectacle d’un génie s’écroulant, du faîte de la richesse, dans la plus noire misère. Sans doute il fut le premier artisan de son infortune. Prodigue et fastueux, il dépensait sans compter des sommes considérables; son atelier regorgeait de meubles précieux, de tapisseries rares; il achetait à sa femme Saskia un collier de perles qui valait une fortune; il payait au poids de l’or des tableaux de Rubens et un album de dessins de Lucas de Leyde. La formation de sa collection, sa vie large et imprévoyante, entretenue par les marchands, commencèrent le désastre, malgré qu’il eût plus de commandes qu’il n’en pouvait exécuter. La mort de sa femme, qu’il adorait, émoussa sa force de résistance et bientôt il lui fut impossible de lutter contre le flot montant de ses dettes. Dans le même temps, son indépendance d’esprit et la façon dont il menait son existence indisposèrent contre lui les rigides bourgeois d’Amsterdam et les commandes de portraits s’espacèrent. Sa fidèle servante, devenue sa femme, essaya héroïquement de faire face à la ruine menaçante; elle mourut à la peine, laissant une douleur de plus dans le cœur du pauvre artiste. Malgré cette suite d’infortunes, Rembrandt s’acharne à son labeur, accumulant chefs-d’œuvre sur chefs-d’œuvre pour apaiser la meute hurlante des créanciers. Mais, à son tour, il doit plier sous les coups du destin; sa maison est vendue aux enchères et il meurt dans le dénûment le plus complet. On dépensa treize florins pour les obsèques de ce génie qui a laissé au monde six cents toiles immortelles.
L’injustice du sort s’acharna sur Rembrandt, même après sa mort. Pendant longtemps ses œuvres furent méconnues, pis même, oubliées; le silence se fit sur son nom. Mais la revanche a été éclatante: Rembrandt est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands génies que le monde ait connus.
Le portrait de Dame âgée fut acquis en 1899, à la vente de la collection Saumarez, pour 187.125 francs; il figure aujourd’hui à la “National Gallery”, dans la salle X, réservée à la peinture hollandaise.
Hauteur: 0.68.—Largeur: 0.53.—Figure grandeur nature.LE CORRÈGE
MERCURE INSTRUISANT CUPIDONSALLE IX.—ÉCOLE LOMBARDE
Mercure instruisant Cupidon
MERCURE, fils de Jupiter, est assis sur un tertre de gazon; tout son costume se borne à son casque, à ses sandales et à un pan de manteau bleu qui ne cache rien de sa parfaite anatomie. Son corps est une merveille de force élégante, comme il convient à un dieu qui a pour mission de porter aux confins de la terre les ordres du maître de l’Olympe. Mais ce robuste messager est en même temps le dieu de l’éloquence: Corrège a tenu à le bien indiquer en lui prêtant une physionomie ouverte et intelligente; il nous le montre dans son rôle d’Olympien cultivé: dans sa main gauche il tient un papier sur lequel Cupidon, très attentif, s’efforce d’épeler les mots en suivant les lignes avec son doigt. Tout le corps du jeune dieu de l’amour trahit l’effort: sa blonde tête ébouriffée est appliquée vers le papier, les jambes et les ailes se contractent dans un mouvement très naturel de tension.
Debout à côté du maître et de l’élève, Vénus, déesse de la beauté, assiste à cette scène charmante. S’y intéresse-t-elle vraiment? On ne saurait le dire, car le sourire de ses yeux et de ses lèvres semble porter plus loin que le groupe de Mercure et de son fils. Quoi qu’il en soit, jamais Corrège n’a peint un plus magnifique corps de femme. Dans cet incomparable chef-d’œuvre, Vénus est elle-même un chef-d’œuvre surprenant et réalise la perfection de la beauté féminine. Les plus grands artistes n’ont rien produit qui égale cet inoubliable morceau de peinture. Dans la tête auréolée de cheveux blonds bouclés et retombants, il y a de la grâce, de la finesse, de la noblesse et de la naïveté. De même que Léonard excellait à donner à ses figures de femmes un caractère énigmatique, Corrège excellait à imprimer aux siennes un je ne sais quoi de chaste et de puéril qui nous les fait aimer dès le premier regard. Quant aux lignes du corps de la Vénus, elles sont d’une perfection «à dissuader de jamais toucher un pinceau», suivant le mot d’Annibal Carrache.
Le coloris est celui du Corrège, c’est-à-dire du plus étonnant magicien dans l’art de poser et de distribuer les couleurs. Les chairs sont palpitantes de vie, ambrées, dorées; et cela, avec une simplicité de moyens, une sobriété de touche qui n’ont jamais été égalées. Des frottis légers, à peine perceptibles, et voilà des ombres lumineuses qui s’indiquent, des raccourcis prodigieux qui se dessinent. Aucune habileté douteuse, aucune ficelle de métier ne diminue cet art loyal où tout est net, précis et noble. Raphaël Mengs proclamait que Corrège avait rendu, mieux qu’aucun autre maître, l’illusion des corps; et cette observation est parfaitement vraie. Il suffit de voir le tableau que nous donnons ici, l’Antiope du Louvre et la petite Madeleine du musée de Dresde, pour reconnaître qu’aucun peintre n’a modelé les formes avec autant de vérité.
Ce qui ajoute, s’il est possible, à la gloire du Corrège, c’est que ce génie s’est épanoui spontanément, s’est développé tout seul, à Correggio, dans une bourgade obscure du duché de Modène. On ne lui connaît pas de maître ou, s’il en eut, il ne tarda pas à les surpasser. Jamais il n’alla à Rome, bien qu’on l’ait prétendu. «S’il était allé à Rome, affirme Vasari, il est aisé de voir qu’il y eût fait des merveilles et causé bien des soucis à ceux qui y brillaient dans son temps.» Ceux-là s’appelaient Raphaël, Michel-Ange, Jules Romain. Tandis que Raphaël, entouré de ses disciples, étale aux yeux des Romains le luxe d’un prince suivi de sa cour, tandis que la République de Venise, François Ier, Léon X et Charles-Quint se disputent le Titien, Corrège, son émule, vit et meurt sans gloire, n’ayant d’autres Mécènes qu’un petit prince lombard et quelques moines ignorants. Timide et mélancolique, homme de sentiment, amant désintéressé de l’art, génie créateur au suprême degré, il ne demandait rien à ses contemporains que des toiles pour y faire naître ses madones, ses saints, ses martyrs, ses gracieux enfants, ses Vénus et ses Lédas; des murs pour les couvrir de fresques aux feuillages semés de fruits, de fleurs, d’oiseaux éclatants; des coupoles de cathédrales où son génie pût évoquer toute la milice chrétienne, les docteurs, les vierges, les armées de chérubins qui peuplent le ciel. Car ce génie a été le plus souple, le plus varié, le plus universel dont l’histoire fasse mention.
Si les contemporains ne rendirent point à Corrège toute la justice due à son génie, la postérité n’a pas tardé à le placer à la tête des maîtres qui ont reculé les bornes de l’art. Nul peintre n’a suscité des enthousiasmes plus sincères, des admirations plus passionnées. «O maître, c’est toi seul que j’aime!» s’écriait Annibal Carrache, devant son Saint Jérôme. Tous les siècles ont eu pour Corrège les yeux de Carrache; il plane aujourd’hui à l’empyrée de l’art.
Mercure instruisant Cupidon a malheureusement subi de maladroites restaurations. Acquis par Charles Ier avec la collection du duc de Mantoue (1630), il appartint ensuite au duc d’Albe. En 1801, il est entre les mains de Godoï, le prince de la Paix, puis passe dans celles du roi Murat. Cette peinture appartenait au marquis de Londonderry quand elle fut achetée, en 1834, par le gouvernement anglais. Elle figure aujourd’hui à la “National Gallery”, dans la salle IX, réservée à l’école lombarde.
Hauteur: 1.54.—Largeur: 0.91.—Figures grandeur dem.-nature.TURNER
ULYSSE S’ÉLOIGNANT DE POLYPHÈMESALLE TURNER.—ÉCOLE ANGLAISE
Ulysse s’éloignant de Polyphème
TURNER! écrit M. Armand Dayot, nom magique qui, comme ceux de Rembrandt, du Lorrain, évoque tout un monde de lumineuse féerie et d’Arcadies éblouissantes! Œuvre de lumière et de rêve due au pinceau du plus inspiré des visionnaires! Œuvre sacrée aussi dans son apaisante ou tumultueuse beauté! Car telle est la douce et caressante magie du paysage de Turner, qu’on le contemple avec une mélancolie nostalgique comme un paradis perdu; et on se surprend à remercier avec émotion le puissant artiste qui a su nous arrêter au milieu des durs chemins de la vie, pour nous faire un moment retourner la tête vers les pays bienheureux où nous avons tant rêvé de vivre que nous croyons parfois y avoir vécu.»
C’est bien vers des régions chimériques et prodigieuses que nous conduit Turner, sur la galère dorée du roi d’Ithaque. L’immortel poème d’Homère s’évoque tout entier devant nos yeux ravis et ces terres fabuleuses nous apparaissent encore plus étonnantes dans l’éblouissante parure dont le peintre les a revêtues. Et nous éprouvons une jouissance profonde à contempler ces ciels d’une irréelle splendeur, et ces flots d’un azur comme aucun œil humain n’en a jamais vu.
La scène représentée ici nous transporte dans le légendaire royaume des Cyclopes. Dans la demi-lumière d’une nuit combattue par l’aube naissante s’aperçoit, à gauche, la masse abrupte d’un rivage tourmenté et hérissé de rocs. Par places s’enlèvent sur la mer d’étranges rochers qu’une formidable convulsion volcanique semble avoir vomis des entrailles du gouffre. Au bas de la falaise flamboie dans une grotte le feu qui servit à rougir l’épieu avec lequel Ulysse vient de crever l’œil de Polyphème, vengeant ainsi ses compagnons dévorés par le Cyclope. Au haut de la montagne, le géant aveuglé tord ses membres énormes sous l’action de la douleur et de la rage impuissante; on aperçoit dans la poussière brillante du matin son corps étendu et sa tête appuyée sur la main gauche. Au premier plan, la galère royale se balance mollement sur l’onde calme et s’apprête à quitter l’inhospitalière et tragique contrée. La manœuvre s’active; les rames se soulèvent, les marins grimpent au haut des mâts pour déployer les voiles. L’une d’elles flotte déjà dans la brise matinale avec une bannière où s’inscrit le nom d’Ulysse, en lettres grecques. Sur l’autre voile est représentée la guerre de Troie et le cheval fameux. A droite du tableau, le reste de la flotte tourne également ses proues vers la haute mer. L’armée du roi d’Ithaque va partir vers de nouvelles aventures. Et dans le fond, l’astre du jour, sortant du flot, chasse les dernières ombres de la nuit et illumine l’horizon de ses feux pourpre et or.
Nous avons assez longuement décrit le sujet de ce tableau pour en faciliter la compréhension, bien que, dans les œuvres de Turner, le sujet lui-même importe peu. Ce qui compte vraiment, c’est la prodigieuse manière dont le peintre joue avec la lumière, c’est la fantasmagorique splendeur de ces tons vibrants, éclatants, chargés de soleil et de couleurs insoupçonnées avant lui. Celui-là fut véritablement un magicien, mieux que cela, un créateur, car il a doté la peinture d’une forme d’art toute nouvelle, absolument à lui, tellement à lui que tous ceux qui essayèrent de l’imiter tombèrent aussitôt dans l’incohérence et l’anarchie des tons. Turner restera dans l’histoire de l’art comme le plus génial des coloristes. Avant lui, Claude Lorrain s’était fait le traducteur des aurores brillantes, avec un goût peut-être plus certain, mais avec moins de virtuosité et de richesse. Turner, il faut le dire, n’est pas toujours également inspiré et trop souvent sa profusion de lumière tourne au vertige, ressemble presque à de la folie. Mais jusque dans ses toiles les plus extravagantes, il est des détails par où s’impose malgré tout l’admiration.
«Ce peintre de génie, cet incomparable poète du ciel et des eaux, ce puissant évocateur de la beauté antique dans les plus merveilleux décors de rêve, était grossier de manières, commun de visage, taciturne et presque toujours sordidement vêtu. Son avarice était proverbiale et les histoires qu’on raconte de son âpreté au gain sont nombreuses. Ce qui ne l’empêcha pas de léguer par testament à son pays natal toute sa fortune et tous ses tableaux: don plus que royal. Ce testament spécifiait que l’État pourvoirait à l’aménagement convenable des tableaux et que la plus grande partie de l’argent serait destinée à la fondation d’une institution de bienfaisance pour les artistes pauvres.»
«La fortune de Turner était estimée à 3.500.000 francs. Après de longues discussions entre l’État et la famille de l’artiste qui attaqua le testament, il fut décidé en fin de compte que toutes les œuvres terminées ou non, peintures, dessins, esquisses, appartiendraient à l’État, et que son parent le plus proche hériterait de sa collection d’œuvres gravées et autres propriétés.» (Armand Dayot).
Se conformant au vœu de l’artiste, l’État a aménagé dans la “National Gallery”, une salle spéciale, appelée salle Turner, dans laquelle figure aujourd’hui le magnifique tableau d’Ulysse s’éloignant de Polyphème.
Hauteur: 1.29.—Largeur: 2 m.—Figures: 0.05.A. VAN DYCK
CORNÉLIUS VAN DER GEESTSALLE X.—ÉCOLE FLAMANDE
Cornélius Van der Geest
NOUS avons peu de renseignements sur ce Van der Geest dont Van Dyck nous a laissé un si magnifique portrait. Tout ce que nous en savons, c’est qu’il fut l’ami de Rubens. Il devait être par conséquent un personnage d’importance et de culture soignée. N’était pas qui voulait, en effet, l’ami de l’illustre peintre anversois, diplomate à ses heures et grand seigneur en tout temps. Un homme sans valeur ou sans crédit n’aurait pas davantage tenté l’aristocratique pinceau de Van Dyck, peintre officiel des Stuarts.
Tenons donc Van der Geest pour un notable bourgeois d’Anvers. D’ailleurs, son portrait plaide suffisamment en sa faveur. Il y a de l’intelligence dans son haut et large front, de la pénétration dans le regard, de la finesse dans la bouche, et de la race dans l’ovale allongé du visage. Des cheveux gris soyeux encadrent le front et une courte barbe en pointe affine encore cette sérieuse et sympathique physionomie. La large fraise qui enserre le cou met en valeur les moindres détails d’une figure brossée avec une étonnante légèreté de touche. Quant au vêtement, noir sur le fond sombre du tableau, il a volontairement été traité dans la note obscure, suivant la technique de Rembrandt, afin de laisser toute son importance au visage du modèle.
La “National Gallery” est assez riche en tableaux de Van Dyck, cet artiste ayant passé en Angleterre une grande partie de son existence. Ils sont tous supérieurs, mais je ne crois pas qu’aucun d’eux surpasse celui-ci pour la perfection du rendu et le fini de l’exécution.
Van Dyck avait été l’élève de Rubens; il ne pouvait trouver un maître plus habile. Mais s’il profita des leçons de l’illustre auteur de la Descente de Croix, il trouva dans sa propre personnalité suffisamment de moyens pour ne pas subir son empreinte; il sut garder intact son génie.
Rien ne ressemble moins, en effet, à la manière de Rubens que la manière de Van Dyck. Le premier est fougueux, impétueux, débordant de fantaisie et d’imagination, affectionnant les truculences de la chair et les truculences de la couleur. Rubens étonne, éblouit, emporte dans le mouvement formidable de ses compositions; sa palette est chargée de couleurs éclatantes qu’il répand à profusion sur les draperies, sur les ciels, sur les épidermes des femmes.
Tout autre est Van Dyck: de tempérament plus flegmatique, il est égal, ordonné, on pourrait presque dire mathématique. Son pinceau ne s’aventure pas aux scènes tumultueuses; son génie est fait de sagesse, d’équilibre, du juste sentiment de l’harmonie des choses. Adorateur passionné, comme son maître, de la nature, il ne l’habille pas de parures voyantes, mais il la serre de près, il la scrute, minutieusement, patiemment, pour en saisir les plus fugitives manifestations. Sa couleur est comme son dessin, précise, calme, mais nette, sans apprêts, sans empâtements, sans violences. Quand il s’asseoit devant son chevalet, il ne regarde pas sa toile avec un verre grossissant mais avec ses yeux, des yeux qui savent voir et observer.
Avec un génie moins complet que celui de Rubens, il a su, par son extraordinaire capacité observatrice, s’élever jusqu’aux côtés du maître et ne pas lui être inférieur.
On comprend qu’avec des qualités de cet ordre, Van Dyck se soit plus volontiers adonné à l’art du portrait. Ce n’est pas qu’il n’ait abordé d’autres genres, et avec succès. La “National Gallery”, notamment, possède de lui des tableaux comme le Miracle des Poissons, Saint Ambroise interdisant à l’empereur Théodose l’entrée du temple, Renaud et Armide, etc., qui démontrent que nulle forme de peinture ne lui était étrangère, mais c’est surtout dans le portrait qu’il a acquis sa plus durable gloire. Là, il est en possession de tous ses moyens, qui sont merveilleux. Personne, comme lui, n’a su capter le caractère d’un modèle, ni fixer la vie sur ses traits. Les êtres, hommes ou femmes, dont il nous a légué les effigies, arrêtent sur nous leurs regards profonds, nous subissons la hantise de leur physionomie et nous ne pouvons plus les oublier.
Chez Van Dyck, l’exécution est poussée aux plus extrêmes limites de la perfection. Par la connaissance profonde de la technique, il l’emporterait même sur Rubens, si nous oublions un instant la somptueuse prodigalité de celui-ci, sa fougue étonnante, son extraordinaire fécondité. S’il a moins d’éclat et d’énergie, en revanche il a plus d’élégance, de tendresse et de goût. Il a su garder à côté du maître une indéniable originalité et se placer, en compagnie de Titien, de Velazquez et de Rembrandt, au premier rang des portraitistes de tous les temps.
Cornélius Van der Geest est peint sur bois. Il faisait partie de la collection Angerstein et entra avec elle à la “National Gallery”, où il figure dans la salle X, réservée à l’école flamande.