La reine Victoria intime: Ouvrage illustré de 60 gravures d'après des photographies et des documents inédits
Le prince Albert préférait les dachshounds, le prince de Galles a des préférences pour les bassets.
A toutes les expositions de chiens du Royaume-Uni, la reine a l’habitude d’envoyer des pensionnaires de ses chenils et il est rare qu’elle n’y remporte pas quelque prix de beauté.
Partout à travers le domaine royal, on rencontre une tombe de chien: ici gît Dash, le fidèle épagneul qui aboya si joyeusement à la reine, à son retour de Westminster Abbey, le jour de son couronnement; là Eos, le superbe lévrier qui vint en Angleterre avec le prince Albert, ne l’ayant jamais quitté, et dont la mort, survenue en 1844, faisait écrire au prince s’adressant à sa mère: «Je suis sûr que vous partagerez mon chagrin; il était si intelligent et si dévoué. Combien il me rappelait de doux souvenirs!» Plus loin des plaques de bronze rappellent les mémoires de Quiz, le chien-lion de l’île de Malte, dernier de sa race, qui fut le plus grand favori de la duchesse de Kent, mère de la reine; de Dachel, chien allemand, unique pour la chasse; d’Islay, qui servit tant de fois de modèle à la royale élève de Landseer; Sharp, auquel la reine fait souvent allusion dans ses mémoires, comme à un modèle de fidélité et d’obéissance passive. Ce Sharp, dont l’éducation était l’œuvre de John Brown, avait été dressé à ne laisser toucher à rien dans la chambre de son maître. Un jour que la reine avait envoyé une dame d’honneur à son fidèle écossais, celle-ci ne trouvant dans la chambre que Sharp, voulut s’acquitter de sa commission par écrit. Elle prit donc un crayon sur la table et écrivit à Brown ce que la reine attendait de lui. Lorsqu’elle voulut sortir, Sharp se dressa entre elle et la porte; elle eut beau crier, appeler au secours, ameuter tout le château: Sharp ne lâcha sa prisonnière qu’en présence de John Brown, que l’on finit par découvrir après de longues heures. La statue de Sharp représente le chien couché, gardant un gant de la reine. Noble est un autre chien de même race, offert à la reine en 1872, par une dame de la Cour, à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance: il mourut subitement à Balmoral où il a son monument; sa statue est à Osborne. C’est à son sujet que la reine a écrit: «Tant qu’il y aura sur terre de ces têtes-là, on ne pourra douter de la fidélité».
Deux favoris ont encore leurs traits coulés dans le bronze: ce sont Boy et Boz.
A côté de ces favoris et seul de son espèce, il nous faut placer ici Lorie, un perroquet bavard, don du prince Albert, qui, par deux fois, a eu les honneurs du pinceau de Landseer. Toujours avec la reine, où qu’elle soit, excepté dans la chambre à coucher, il imite sa voix, à tel point qu’elle ne peut chanter sans qu’il cherche à convertir le solo royal en un désagréable duo. C’est lui que Mendelssohn dut un jour sortir lui-même du salon pour pouvoir entendre la reine chanter un de ses morceaux. Aujourd’hui Lorie vit à côté de sa royale maîtresse, qui a blanchi et s’est courbée vers la terre, sans paraître de son côté ressentir les atteintes de l’âge.
La visite des étables n’est pas moins intéressante. L’espèce bovine y est à peu près représentée dans toutes ses variétés. Les vaches de Jersey sont couchées à côté de celles du Zoulouland. La race espagnole avec ses longues cornes forme à elle seule une collection des plus complètes.
Les écuries royales évoquent de plus piquants souvenirs: voici Flora et Alma, les deux juments offertes à la reine par le roi Victor-Emmanuel: elles goûtent aujourd’hui les douceurs de la retraite. A côté est le fougueux chargeur alezan que l’empereur Frédéric d’Allemagne offrit à son beau-frère le prince Christian. Il fait écurie commune avec Ninette, l’ânesse blanche de la petite Victoria de Connaught. Il n’y a pas moyen de le tenir lorsqu’on lui enlève Ninette et il faut voir la joie qu’il manifeste à son retour. Jenny est une ânesse blanche de 25 ans d’âge, née à Windsor et élevée dans la dépendance du château, à Virginia Water. Tewfik est un âne égyptien acheté au Caire par lord Wolseley, le généralissime actuel de l’armée du Royaume-Uni, et offert à la reine sous ses harnais orientaux. On le laisse souvent à l’état libre dans le parc au milieu du nombreux bétail écossais. Voici la Skewbald, jolie petite jument shetlandaise, de la grosseur d’un petit poney, qui fait la joie des arrière-petits-enfants de la reine; le pauvre Sanger, qui fut offert un jour dans les highlands à la reine par Sanger, le vieux propriétaire d’un cirque jadis fameux. La reine raconte dans ses mémoires sa rencontre sur la route avec le cirque Sanger et comment elle l’invita, par commisération pour sa déchéance, à donner une représentation à Balmoral. Le vieux bonhomme faillit en devenir fou. Il avait depuis longtemps perdu sa position de premier cirque d’Angleterre et tout son matériel était démodé et défraîchi. N’importe, la représentation eut lieu et un petit âne blanc fut même fort admiré des enfants de la reine. Celle-ci voulut l’avoir. Sanger, dont il était la great attraction, promit d’en dresser un semblable pour la Cour. Il tint parole et envoya à Windsor celui qui, depuis, y rappelle son nom. Empereur, le fougueux Empereur sur lequel la reine passait à Aldershot la revue de ses troupes, n’est plus depuis longtemps; mais on voit encore Jessie, la jument favorite à la longue robe de velours tachetée, que conduisait John Brown à la main dans les jardins d’Osborne, quand sa royale maîtresse commença à vieillir. Enfin voici Jacquot, le favori du jour, celui qu’on attelle à la chaise royale partout et toujours, aussi bien sur le territoire du Royaume-Uni que sur le continent.
Les chevaux de Buckingham n’ont d’histoire que pour les valets d’écurie, à part le fameux team isabelle dont nous avons parlé. Au contraire, chacun des carrosses que l’on y voit dans les remises du palais, a eu sa part de succès dans les grandes journées historiques du règne de Victoria. C’est d’abord le carrosse d’apparat construit pour la cérémonie du couronnement de Georges III et qui coûta 200.000 francs. C’est une pure merveille de carrosserie, de sculpture et de peinture, qui peut soutenir la comparaison avec nos plus magnifiques voitures de Trianon. Il a servi au couronnement et au mariage de la reine et une dernière fois en 1861. C’est le brave Miller, cocher en premier de la reine, un vieillard, qui le présente avec une fierté jalouse. Vient ensuite la voiture de demi-gala construite en 1845 pour la reine et le prince consort. Le toit, surmonté d’une couronne massive, en est assez lourd et d’un goût allemand. Chacun des membres de la famille royale a sa voiture de gala avec des petites couronnes à chaque angle. Elles ne servent que pour les grandes cérémonies et lorsque les princes vont inaugurer quelque monument ou ouvrir un bazar au nom de la souveraine.
Les 60 ou 80 landaus que l’on voit encore à Buckingham n’ont pas d’autre intérêt. On y voit aussi le manège avec sa petite tribune, où la reine vint plus d’une fois assister aux premières leçons d’équitation de sa nombreuse progéniture.
C’est de Buckingham que sont expédiées les voitures de la Cour dans tous les lieux de villégiature de la reine. Elles l’y précèdent toujours et n’en reviennent qu’après elle. Les nombreux déplacements des membres de la grande famille royale donnent de tout temps lieu au va-et-vient dans les écuries de Londres; pendant la saison d’été, la London season, les écuries présentent la plus vive animation. Les jours de drawing-rooms, le personnel, pourtant nombreux, est sur les dents. Que serait-ce si Victoria tenait une Cour!
XV
La Reine Victoria propriétaire.
La plus riche propriétaire du Royaume-Uni.—Les dettes du duc de Kent.—Principales propriétés de Victoria.—Les bons conseils de lord Sydney et de lord Cross.—La reine et ses métayers.—Trop cher pour ses moyens.—Un autographe de la reine aux enchères.—Prodigue ou avare de son effigie, suivant les cas.—Les fermes et leurs produits.—Les legs de ses admirateurs.—Son portefeuille de mines d’or.—Fils prodigues.
Bien que montée sur le trône de ses ancêtres avec un passif de 50.000 livres sterling, ou de 1.250.000 francs, représentant le montant des dettes du duc de Kent son père, qu’elle s’était engagée vis-à-vis des créanciers à payer sur sa cassette, Victoria est aujourd’hui la plus riche propriétaire foncière du Royaume-Uni.
Outre ses châteaux d’Osborne, de Balmoral, d’Albergeldie, de Sundrigham, de Claremont, de Frogmore, de Farnborough qu’elle a mis à la disposition de l’impératrice Eugénie, elle possède un grand nombre de domaines de grande étendue qu’elle a administrés avec le concours du
comte de Sydney, puis, après la mort de ce dernier, avec le vicomte Cross. Du vivant du prince Albert, elle n’avait d’autre intendant pour ses biens particuliers que son époux, qui s’était constitué à la fois le gardien de sa bourse privée et son intendant. Toutefois, elle a toujours eu d’excellents conseillers, qui lui ont fait faire des placements avantageux et réaliser d’énormes bénéfices.
La reine connaît si bien ses affaires qu’il n’est pas un seul de ses métayers dont elle ne connaisse le nom, l’âge, le lieu de naissance, le nombre d’enfants, en un mot toute l’histoire. Comme pour les domestiques qui ont quitté son service, la reine exige que les lettres de ses gens lui soient toujours remises et il est répondu à chacune par les soins de son secrétaire particulier. Elle veut, et le recommande dans chacune de ses lettres, qu’on lui fasse part des grands événements heureux ou malheureux qui surviennent dans chaque famille et se montre humaine dans les mauvaises années.
Nul ne saurait dire, même approximativement, à quel chiffre est évaluée la fortune de Victoria, ni par quels moyens elle a prospéré. Ce sont là des secrets pour lesquels les Anglais professent la plus grande discrétion. Tout ce que l’on sait, et parce que la reine en a donné maints exemples au cours de sa très longue carrière, c’est qu’elle est plus que parcimonieuse; que, comme son oncle le duc de Sussex et son fils le duc d’Edimbourg, elle n’aime pas dépenser; qu’elle n’a jamais dépassé de ses deniers la partie de sa liste civile qui lui est allouée pour être dépensée en bonnes œuvres; qu’enfin elle économise sur sa liste civile elle-même et n’a jamais refusé aucun des legs que de loyaux sujets se sont plu à lui faire.
Dès son enfance, la duchesse de Kent, sa mère, qui a connu bien des fois la gêne du vivant de son mari, avait habitué sa fille à connaître la valeur de l’argent. On raconte que bien des fois la petite princesse Victoria entra dans des boutiques de bijoutiers dans l’intention d’acheter pour elle-même ou pour quelque amie un bijou de bas prix que l’état de sa bourse ne lui permettait pas de se payer et que, chaque fois, sa mère se refusa à ce que l’achat en fût fait à crédit. Victoria dut donc s’en passer et souvent elle en éprouva de gros crève-cœurs.
C’est sans doute en souvenir de ces leçons qu’elle jugeait profitables qu’un jour ayant reçu d’Eton une demande d’emprunt d’une livre sterling (25 francs) de son petit-fils le prince Albert-Victor, fils aîné du prince de Galles et alors héritier présomptif de la couronne, fait plus tard duc de Clarence et d’Avondale, pour payer un pari perdu par lui contre un de ses condisciples, se vit refuser cette modique somme. Le refus de la reine était accompagné d’une longue lettre dans laquelle la grand’mère faisait des remontrances à son petit-fils, lui faisant ressortir l’immoralité du pari, surtout lorsqu’on n’a pas la somme pour l’acquitter.
La leçon profita-t-elle? C’est ce qu’on ne saurait dire; toujours est-il que le jeune prince, en garçon pratique, vendit aux enchères la lettre autographe de sa grand’mère, qu’elle monta à trois livres, qu’il acquitta son pari, mit deux livres dans sa poche et fit savoir à la reine, par retour du courrier, le résultat de cette fructueuse opération. Depuis ce moment, la reine dut avoir une plus haute idée de l’intelligence de son petit-fils.
La reine entre d’ailleurs souvent elle-même dans cet ordre d’idées. Chaque fois qu’on sollicite d’elle un don, ou un cadeau pour une loterie ou un bazar de charité, elle préfère envoyer soit un dessin de sa main, ses photographies signées d’elle, un ouvrage de broderie, un exemplaire de ses mémoires avec dédicace, en un mot un objet de valeur relative, qu’un objet de réelle valeur intrinsèque ou qu’un don en espèces. Autant elle est prodigue de son effigie sur le papier, autant elle aime peu offrir cette même effigie sur une pièce de monnaie.
Les fermes de la reine sont toutes des fermes-modèles, fort bien entretenues, dont les produits sont vendus dans le commerce.
On dit, mais nous ne nous portons pas garants de ce bruit, qu’elle possède un grand nombre d’actions des mines d’or du Transvaal, ainsi que de la compagnie à charte qui gouverne la Rhodésie et dont le duc de Fife, son petit-fils par alliance, est un des principaux actionnaires. Il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’elle se fût laissé tenter, comme bien d’autres, par les rendements merveilleux de l’industrie aurifère du premier de ces pays, industrie unique auquel a donné naissance un gisement également unique au monde. Il n’y a pas incompatibilité entre la possession d’une couronne et le devoir qu’a tout bon propriétaire de faire fructifier ses capitaux; mais on aimerait mieux penser qu’en faisant la guerre au Transvaal, la reine d’Angleterre n’est pas directement intéressée à l’issue de la campagne.
En tout cas, les nombreux membres de la famille royale pourront bénir la mémoire de Victoria, lorsqu’elle ne sera plus, car elle aura rétabli la fortune de la famille et l’aura désormais assise sur des bases solides. C’est un éloge qu’on ne pourra sans doute pas faire du prince de Galles, son fils, après sa mort.
XVI
La Reine Victoria artiste et écrivain.
Croquis et aquarelles.—La peinture à la Cour.—La copie de la nature.—Tous modèles.—Victoria au piano.—Son chant.—Une lettre de Mendelssohn.—Victoria écrivain.—Protectrice des arts.
Dans aucun art, on ne saurait dire que Victoria ait excellé, encore qu’elle soit excellent juge des œuvres des autres. L’art qu’elle a le plus volontiers cultivé et vers lequel elle s’est toujours sentie attirée, est celui de la peinture. Dès ses plus jeunes années, elle a eu du goût pour le dessin, puis pour l’aquarelle et ce goût est allé se fortifiant d’année en année. Il y a à Osborne et à Balmoral des sketch-books remplis de ses croquis et des cartons pleins des aquarelles qu’elle a lavées. Dans ses mémoires ou son journal sur son séjour dans les highlands d’Écosse, il est question à chaque page d’un site qu’elle éprouve le besoin de fixer de son crayon ou de son pinceau. Elle aime copier la nature et s’en rapprocher le plus près possible. En cela, elle subit l’influence de Ruskin et de Hunt.
Dès les premières années, la duchesse de Kent et plus tard la duchesse de Northumberland ont pris soin de lui donner les meilleurs maîtres et ceux-ci ont toujours déploré que sa future destinée ne lui laissât pas le loisir de s’adonner entièrement à l’art de la peinture.
Une fois reine, elle tient à ce que tous les grands événements de son règne et de sa vie publique soient fixés sur la toile et elle étonne par la justesse de ses remarques les maîtres de l’école anglaise qui viennent au palais travailler sous ses yeux. Jusqu’en ces dernières années, elle a fait venir à Balmoral le fameux aquarelliste Green pour lui demander ses conseils et le secret de son genre merveilleux. Avant Green, elle avait travaillé sous la direction de Landseer, le grand peintre animalier.
Victoria dessine dans toutes les positions, même à cheval. Il n’était pas rare qu’en promenade dans le parc d’Osborne ou de Balmoral, elle donnât l’ordre à son fidèle John Brown de lui tenir sa vieille jument Jessie pendant qu’elle croquait au vol un coin de ciel, de mer, ou un aperçu sur un détour de la rivière Dee.
En visite chez ses lords, elle éprouve le besoin de se distraire de la société en allant faire une heure de paysage dans le jardin. Les dames qui ont été à la Cour et qui connaissent ses goûts, préparent toujours une table pour dessiner en plein air, lorsqu’elle les honore d’une visite à la campagne. La plupart même l’imitent; mais il est rare qu’elles arrivent à l’égaler. Peut-être y mettent-elles aussi quelque complaisance.
Il ne faudrait pas croire cependant que Victoria ait du génie; elle en manque au contraire totalement, comme d’imagination; mais elle a un goût réel pour la peinture et le dessin, et comme peindre et dessiner sont ses occupations favorites, elle est parvenue à une certaine habileté.
Dans les environs de ses châteaux, les paysans sont au courant de ce faible de la reine, pour avoir été priés par elle de poser avec ou sans leurs animaux.
Le prince Albert adorait la gravure en taille douce et il avait à manier le burin ou à se servir de l’eau-forte un certain talent. Il voulut initier la reine à cet art et celle-ci était déjà arrivée à un certain degré de talent à reproduire des dessins sur le cuivre.
En musique, c’est le contraire. Ses goûts ne l’y portent pas du tout et nous avons dit, en parlant de son éducation, quels efforts elle avait dû faire pour arriver à se rendre maîtresse des difficultés du piano. A force de persévérance, elle est parvenue, non pas à la virtuosité, mais à se rendre agréable, soit qu’elle chante, soit qu’elle exécute un morceau. Elle a de l’oreille, de la mesure; son rythme est impeccable et elle possède assez bien l’art des nuances. Son professeur de chant fut un Français nommé Lablache.
Nous extrayons d’une lettre de Lady Bloomfield, une des dames de la Cour, le compte rendu d’une soirée intime à la Cour, où il est question de la reine pianiste. Elle écrit de Windsor Castle, à la date du 12 décembre 1843:
«Nous nous sommes exercés hier après-midi pendant deux heures avec la reine et le prince Albert. Nous avons joué à six mains un morceau de Beethoven, charmant, mais extrêmement dur. La mesure était si difficile, qu’il fallait être excellent musicien pour l’observer.»
Presque un an plus tard, la même dame écrit à la date du 19 novembre:
«Hier soir, nous avons joué à première vue, la reine, Mathilde Pagès et moi, un septuor de Beethoven. Nous jouons généralement à première vue des ouvertures et des morceaux classiques. Mais celui-ci était si difficile que, lorsque nous frappâmes toutes ensemble la dernière mesure, la reine dit que nous pouvions nous féliciter de ne pas avoir fait de faute, car si l’une de nous avait manqué la mesure, il aurait été impossible de nous y retrouver. J’éprouve un grand plaisir à jouir de cette intimité de la reine et je voudrais que tous ceux qui la méconnaissent, pussent juger par eux-mêmes à quel point elle est agréable, lorsqu’elle est à son aise et qu’elle a dépouillé toute contrainte.»
Peu après son mariage et au lendemain de l’attentat d’Oxford, la reine donna un concert privé à Buckingham-Palace, dans lequel elle ne chanta pas moins de cinq fois en italien. Voici, extrait du programme, les numéros dans lesquels elle se fit entendre avec succès:
| 1º | Non funestar crudele (de Il Desertore) | Ricci. |
| Duo par Sa Majesté et le prince Albert. | ||
| 2º | Dunque il mio bene (Il flauto magico) | Mozart. |
| La flûte enchantée | ||
| Trio par Sa Majesté, MM. Rubini et Lablache. | ||
| 3º | Felice Eta, chœur pastoral | Costa. |
| Sa Majesté et les Dames de la Cour. | ||
| 4º | Tu di grazia | Haydn. |
| Quatuor avec chœur: Sa Majesté, le prince | ||
| Albert, MM. Rubini et Lablache. | ||
| 5º | Oh! come licto guinze | Mendelssohn. |
| Chœur. | ||
La reine avait une voix de soprano, et le prince Albert une voix de basse. La marquise de Donco qui l’entendit ce jour-là, écrit à Michael Costa, l’auteur d’un des morceaux: «La reine chante bien et très correctement.»
Mendelssohn étant de passage à Londres, où il était venu rendre visite à Denmark Hill à la famille de sa femme (c’est pendant cette visite qu’il composa sa Romance sans paroles), fut invité au palais de Buckingham par le prince Albert, qui le retint des heures dans sa salle de musique. De retour à Francfort, il écrit à sa mère le 19 juillet 1842 une longue lettre dans laquelle il lui conte les moindres incidents de son entrevue avec la reine. Nous laissons la plume au grand maître:
«Le prince Albert m’avait invité à venir essayer son orgue, samedi, à une heure et demie, avant mon départ de Londres. Je me rendis donc à Buckingham-Palace, où je le trouvai seul. Nous nous étions mis à causer tranquillement, quand la reine entra, également seule, dans une simple robe de matin. Elle annonça à son époux son intention de partir pour Claremont après lunch et allait se retirer, quand ses yeux tombèrent sur toutes les feuilles de musique que le vent venait de disperser par toute la chambre et jusque sur les pédales de l’orgue du prince, lequel, en passant, est un instrument merveilleux et le plus bel ornement de la pièce. «Quel désordre!» s’écria la reine et elle se mit aussitôt en devoir de ramasser notre musique et de la remettre en ordre. Elle était déjà à genoux, lorsque le prince et moi nous empressâmes à son aide. Le prince se mit alors à m’expliquer les registres et la reine me renvoya, alléguant qu’elle finirait bien le rangement seule. Je priai alors le prince de me jouer quelque chose, afin de pouvoir dire en Allemagne que je l’avais entendu. Il joua quelque morceau par cœur en s’aidant des pédales: son jeu est très correct et son style clair mérite qu’on le propose en exemple à plus d’un organiste professionnel. La reine, probablement charmée, s’assit à côté de nous, après avoir remis la musique en ordre et écouta son mari avec un plaisir qu’elle ne cherchait pas à dissimuler.
«Lorsque le morceau du prince fut terminé, ce fut à mon tour à jouer et je commençai les «Gracieux Messagers» de mon chœur de Saint-Paul. Je n’avais pas achevé la première partie que la reine et le prince m’accompagnaient de leur chant, le prince maniant en outre les registres à ma place et tout le temps très habilement, faisant entendre, fort à propos, le grand jeu, et observant scrupuleusement toutes les nuances. J’étais ravi!
«Le prince héritier de Saxe-Cobourg fit alors son entrée; on causa et, au cours de la conversation tout amicale, la reine me dit qu’elle adorait chanter ma musique et me demanda si je n’avais rien écrit de nouveau.
—Vous devriez bien nous chanter quelque chose, dit à Sa Majesté le prince Albert.
«La reine se fit d’abord un peu prier et dit ensuite qu’elle allait essayer le «Chant du Printemps» en si bémol, si toutefois l’on pouvait le trouver, car toute sa musique venait d’être emballée pour Claremont. Le prince alla lui-même la chercher, mais il revint en disant qu’elle était dans la malle.
—Oh! ne pourrait-on pas la déballer? demandai-je.
«La reine sonna et demanda Lady...; mais personne ne put rien trouver et la reine daigna se déranger elle-même. Elle revint sans avoir été plus heureuse que les autres.
—La reine va vous chanter quelque chose de Gluck, dit alors le prince Albert.
«La princesse de Saxe-Cobourg venait d’arriver. Nous nous rendîmes tous dans le sitting-room de la reine où la duchesse de Kent ne tarda pas à nous rejoindre. Mon premier livre de chant était précisément sur le piano. La reine l’ouvrit et choisit «Italy». J’écoutai la reine dans le ravissement. Elle s’en acquitta presque parfaitement; la seule faute que je relevai fut, à la fin, un ré naturel donné au lieu d’un ré dièze.
«J’avouai à la reine que ce morceau n’était pas de moi, mais de Fanny, ma sœur, et je la priai de chanter quelque chose de ma composition. Elle accepta volontiers et nous fit entendre le «Chant du Pèlerin» avec toutes les nuances et beaucoup d’expression. Comme je la félicitais sur la perfection de son chant:
—Oh! dit-elle avec beaucoup de simplicité, j’aurais fait beaucoup mieux, si je n’avais pas été si intimidée, car d’habitude j’ai beaucoup plus de souffle.
«Après quoi, le prince Albert voulut bien nous faire entendre «le Moissonneur et les fleurs», puis il me demanda d’improviser quelque chose pour finir. Étant très embarrassé, je priai le prince de me donner un thème. Il m’imposa la chorale qu’il avait jouée sur l’orgue et le morceau qu’il venait de chanter.
«Contrairement à mon habitude en pareille circonstance, je réussis admirablement et eus peut-être le défaut d’être long; mais je voulais prolonger mon plaisir. Naturellement j’ajoutai aux deux motifs imposés ceux chantés par Sa Majesté.
«Lorsque j’eus fini, la reine me dit: J’espère bien que vous reviendrez bientôt en Angleterre et que nous aurons alors le plaisir de votre visite.
«Je remerciai et, en saluant pour me retirer, je priai la reine de daigner accepter la dédicace de ma «Symphonie écossaise» en la mineur, qui avait été la cause de mon voyage, ce qu’elle accepta avec une parfaite bonne grâce.»
Cette simple lettre nous en dit plus long sur les talents de la reine que de gros volumes.
A Windsor, à Osborne, à Balmoral, dans ses soirées, la reine s’est souvent fait entendre. Depuis la mort du prince Albert, elle a surtout fait jouer ses dames d’honneur, mais s’est abstenue presque entièrement de jouer elle-même en public.
Quelques critiques, parlant des écrits de la reine, ont déclaré que ceux-ci n’enrichiraient pas beaucoup la littérature de son pays. La vérité est qu’il ne faut pas considérer les mémoires de la reine et le journal de sa vie dans les highlands d’Écosse comme une tentative d’écrivain. Victoria, en publiant ces simples notes, n’a voulu qu’offrir à son peuple le récit au jour le jour d’une vie qu’elle lui a vouée tout entière. Il est vrai que, même dans un écrit de ce genre, un écrivain aurait pu se révéler. La reine ne s’est pas révélée écrivain, c’est tout ce que l’on peut dire; elle n’y fait preuve ni d’imagination, ni même de cœur. C’est qu’à la vérité l’imagination lui fait complètement défaut et que les qualités du cœur sont chez elle étouffées le plus souvent par son défaut dominant qui est un égoïsme féroce.
Elle se contente de nous faire assister minute par minute à ses moindres actions, parce qu’elle s’occupe surtout d’elle-même et que, du moment que quelque chose la touche ou l’approche, cette chose fût-elle des plus futiles, prend une grande importance à ses yeux. Nous aimerions savoir par elle l’émotion ressentie à la vue d’une de ces scènes grandioses de la nature, inconnue d’elle jusqu’alors et au milieu de laquelle elle se trouve pour la première fois, et nous devons nous contenter d’une épithète généralement banale; mais aussi elle nous dit, par compensation, si elle était à voiture à deux ou quatre chevaux, quels étaient les chevaux, le nom du cocher, si Brown était sur le siège et si le prince avait revêtu son kilt et son plaid écossais.
A chaque ligne de ses mémoires, on éprouve la même déception. Elle apprend la mort de Wellington, dont l’Angleterre a fait un dieu de son vivant pour avoir eu le mérite ou la bonne fortune de s’être trouvé là en même temps que Blücher à Waterloo; que dit la reine: «Il est vrai que le duc avait quatre-vingt-trois ans!» On reste confondu devant tant d’inconscience et de naïveté. Quelques-uns ont été jusqu’à dire que les mémoires de Victoria ne seraient même pas corrects, si l’historien Sir Théodore Martin n’y avait fait de nombreuses retouches nécessaires. Nous leur laissons la responsabilité de ce jugement.
Si la reine n’a pas le tempérament d’un écrivain, elle aime du moins les bons écrivains et sait goûter les poètes. Dans les premières années de son mariage, elle aimait à se faire la lectrice de son époux et à lui faire saisir les beautés de la littérature anglaise.
On cite de la reine des lettres rendues publiques, notamment celle adressée au prince de Galles à l’occasion de sa majorité. Nous n’en parlerons pas, soupçonnant que dans tous les écrits publics, il ne faut attribuer à la souveraine ni l’initiative de la pensée, ni l’élévation de la forme. Il doit y avoir tant de talents qui ne demandent qu’à s’employer parmi les nombreux personnages d’élite qui ont le privilège d’exercer une sinécure à la Cour de Saint-James!
Quoi qu’on puisse penser des dons de Victoria aux points de vue des arts et de la littérature, on doit lui savoir gré d’une chose: c’est d’avoir cherché à encourager les arts, ou tout au moins d’avoir aidé son époux à les encourager. Cette noble tâche, le prince Albert l’assuma et la remplit de son mieux et c’est à lui, en grande partie, que l’Angleterre, qui n’a jamais pu avoir un musicien, doit d’avoir aujourd’hui une école de peinture qui, avec de très grands mérites, possède une réelle originalité.
XVII
Attentats contre la Reine Victoria.
Les sept attentats contre la reine.—Oxford, Francis, Bean, Hamilton, le capitaine Peter, Arthur O’Connor, Roderick Maclean.—Un accident de voiture dans les Highlands.—Mot de la reine.—Le naufrage de Misletoe.
En dehors des dangers qu’elle courut au cours de son existence, Victoria échappa sept fois aux coups de ses assassins. Quelques mois après son mariage, le 10 juin 1840, elle se promenait avec le prince Albert en landau découvert dans Hyde Park, avant l’heure du dîner, sans aucune escorte, comme elle aimait le faire lorsqu’elle n’accomplissait pas un acte officiel, quand un tout jeune homme de dix-sept ans, nommé Oxford, se précipita sur la portière droite de la voiture, du côté où se tenait la reine et déchargea un pistolet presque à bout portant. Dans sa précipitation, il n’eut heureusement pas le temps de viser, car la balle n’atteignit pas son but. Le cocher, au bruit de la détonation et se rendant compte de ce qui venait de se passer, avait arrêté ses chevaux. Le prince Albert lui donna l’ordre de continuer son chemin, tout heureux que sa femme eût échappé si miraculeusement à la mort. Il prit aussitôt les mains de la reine et lui demanda si la peur ne l’avait pas saisie; mais celle-ci, qui regardait d’un autre côté, ne s’était pas encore rendu compte de ce qui s’était passé, ni de la nature du bruit qu’elle avait entendu à son oreille. La voiture démarrait à peine que l’assassin s’écriait: «J’en ai encore un» et déchargeait un second pistolet. Cette fois le prince Albert avait eu le temps de le voir se préparer à tirer et avait fait baisser la tête à la reine, qui en était encore quitte pour la peur. Cependant la foule de promeneurs élégants qui encombre Hyde Park à cette heure de la journée avait reconnu le couple royal et s’était emparée de l’assassin. Pour la tranquilliser sur son sort, Victoria se leva dans sa voiture et la salua. Puis elle ordonna au cocher de la mener chez sa mère, afin que la duchesse de Kent n’apprît que par elle-même l’attentat dont elle avait failli être victime.
L’assassin Oxford était un garçon de cabaret. Il fut jugé et condamné à mort pour crime de haute trahison; mais la reine fit commuer sa peine en celle des travaux forcés à vie et lui accorda même la relégation en Australie.
Lorsque la reine revint de chez sa mère par Hyde Park, elle fut l’objet d’une ovation sympathique et rentra à Buckingham Palace escortée de cavaliers et d’amazones qui s’étaient improvisés en garde d’honneur. Le soir on chanta le God save the Queen dans tous les théâtres et, le dimanche suivant, des prières d’actions de grâces furent prescrites dans toutes les églises. Le Parlement lui adressa un message de félicitations. Enfin la reine fut elle-même l’objet d’une manifestation de loyalisme, quelques jours après, à l’Opéra.
Deux ans après, un dimanche, comme elle revenait de l’église en compagnie de son époux, ce dernier remarqua à un coin de rue désert un individu qui visait la reine avec un pistolet. Heureusement le coup ne partit pas. La reine, prévenue par le prince Albert une fois le danger passé, ne put rester sous la menace d’un nouveau danger et elle résolut de l’affronter dès le lendemain. Après avoir prévenu la police, elle se rendit donc en voiture découverte au même endroit que la veille, qui n’était d’ailleurs pas très éloigné du lieu de l’attentat d’Oxford et, en effet, comme elle passait, un individu petit, chétif, nommé Francis, tira un coup de pistolet dans sa direction. Le prince Albert n’eut pas de peine à reconnaître le même individu que la veille.
«Le soir, lorsque la reine rentra au Palais, écrit Miss Liddell, demoiselle d’honneur, la première personne qu’elle rencontra fut sir Robert Peel, alors premier ministre, qui se montra très affecté à la nouvelle de l’attentat et lui adressa ses félicitations. La reine m’aperçut alors et, se tournant vers moi: «Dites-moi, Georgette, vous vous êtes étonnée que je ne vous aie pas emmenée à la promenade avec moi cet après-midi; c’est qu’hier j’avais essuyé un coup de feu et que je voulais affronter de nouveau le danger aujourd’hui, pensant que l’assassin recommencerait sa tentative. Or je ne voulais exposer d’autre vie que la mienne.»
Francis essaya, dans son procès, de prendre l’attitude d’un héroïque républicain; mais lorsqu’il s’entendit condamner à mort pour crime de haute trahison, son courage l’abandonna et il s’évanouit. La reine ne voulut pas le laisser exécuter et sa peine fut également commuée en celle de la déportation perpétuelle.
Le jour même où la nouvelle de la grâce fut connue du public, la reine échappa une troisième fois. L’auteur du régicide était cette fois un petit bossu du nom de Bean. Bien inspirée, la reine demanda qu’on le jugeât en vulgaire assassin et non en régicide. Le crime de haute trahison attirant les esprits faibles ou dérangés avides de jouer quelque rôle important, pensait la reine, mieux valait donc ne pas leur laisser ce rôle et les juger pour une tentative de meurtre ordinaire. L’idée était bonne, car après le jugement de Bean, qui fut condamné à être fouetté et à sept ans de déportation, on n’entendit plus parler de nouvel attentat pendant sept années.
Le quatrième fut celui du maçon Hamilton, qui tira sur la reine avec un pistolet chargé de poudre seulement. Celle-ci garda, comme les fois précédentes, tout son sang-froid et se mit à parler très énergiquement à ceux de ses enfants qui étaient avec elle dans la voiture, afin de distraire leur attention. Hamilton se vit infliger la même condamnation que le bossu Bean.
L’attentat de 1850 fut plutôt un outrage. Son auteur n’en voulait pas à la vie de la souveraine. C’était en juin 1850. La reine venait de rendre visite à son oncle, le duc de Cambridge, qui était à toute extrémité. Au moment où sa voiture franchissait la grille de l’hôtel du duc, un gentleman, d’extérieur élégant, nommé Pates, qui avait été capitaine
de hussards, s’élança vers sa voiture, la canne levée, et lui cingla le visage. Quelque cuisante qu’elle fût, la blessure ne fut pas grave, puisqu’elle n’empêcha pas la royale blessée de paraître le lendemain de l’attentat, dans sa loge, à l’Opéra.
Jusqu’en 1872, Victoria ne fut plus l’objet des attentions des régicides. Au mois de février de cette année, cependant, un fou de nationalité irlandaise, nommé Arthur O’Connor, s’élança à la portière de la voiture de la reine, tenant d’une main un pistolet et de l’autre une supplique; mais il fut aussitôt saisi d’une main vigoureuse par le domestique écossais John Brown, qui ne lui laissa pas le temps de se reconnaître; un autre irlandais nommé Roderick Maclean tira en 1882 sur la reine, lorsque, descendant du train, elle se disposait à monter dans sa voiture à la station de Windsor. Ce furent deux jeunes gens, élèves du collège d’Eton, qui s’emparèrent de l’assassin. La reine tint à les remercier de vive voix et les fit venir à cet effet au château.
En aucune occasion Victoria ne perdit la tête et ne laissa même paraître la moindre émotion. Elle s’informa seulement dans ce dernier cas si personne n’avait été blessé pour elle.
Elle a toujours eu une horreur particulière pour les crimes de cette nature et n’a jamais été la dernière à faire parvenir ses félicitations, lorsque ces attentats n’ont pas été suivis d’effet ou ses condoléances dans les cas contraires. C’est ainsi que les veuves des présidents américains Lincoln et Garfield et de notre président Carnot reçurent d’elle des mots touchants. Après le crime de Caserio, le gouvernement anglais ayant voulu prendre des mesures pour la protéger plus efficacement, elle s’y opposa énergiquement, ne voulant pas que «ces mécréants pussent s’imaginer qu’ils avaient fait peur à une femme». Pourtant la mort tragique de l’impératrice Élisabeth d’Autriche fit une profonde impression sur son esprit.
Lorsqu’elle faillit être victime d’un accident en Écosse, sa voiture s’étant renversée dans un fossé sur une mauvaise route déserte, elle écrivit: «Ces occasions extraordinaires me trouvent toujours calme et en pleine possession de moi-même; cette fois-ci je n’ai pensé qu’à une chose: c’est que je n’avais pas encore fait tout ce que je me suis proposé d’accomplir avant de mourir».
Elle a toujours montré de la reconnaissance à ceux qui l’ont tirée de mauvais pas. Elle fit une pension à un soldat irlandais qui l’avait sauvée dans ses bras dans un grave accident de voiture. Elle donna un poste à la Cour à un brave matelot qui l’avait, au péril de sa vie, emportée au moment où un mât rompu par la tempête, allait s’abattre sur elle et elle s’occupa, après sa mort, de sa veuve et de ses orphelins.
Il lui est arrivé de causer, de son côté, des accidents.
Un jour, faisant la traversée du Solent, d’East Cowes à Gosport, le yacht royal Victoria and Albert vint en collision avec un yacht de plaisance, le Misletoe, qui croisait à cet endroit. Le petit navire fut aussitôt coulé. La reine, qui était sur le pont, fit tout ce qui dépendit d’elle pour sauver la vie du propriétaire du yacht, à sa belle-sœur et au vieillard qui étaient à bord et elle fut navrée d’avoir à s’éloigner, sur l’ordre du capitaine, sans qu’on eût réussi à les tirer de l’eau.
Elle se montre généralement pitoyable aux malheurs des autres. Dans une autre circonstance, à Balmoral, elle passa une grande après-midi et une partie de la soirée à chercher avec le ghillies des Highlands, le corps d’un petit garçon qui s’était jeté dans la Dee, à un endroit très dangereux, pour sauver la vie d’un de ses petits frères tombé à la rivière. Lorsqu’elle apprit qu’on avait enfin retrouvé le petit cadavre à une bonne distance du lieu de l’accident, elle fut la première à envoyer ses consolations aux parents désolés et voulut assister à son enterrement.
On citerait des milliers de traits analogues où se révèle la sensibilité d’âme de la reine Victoria. En somme, elle n’a pas d’ennemi à proprement parler et tous ceux qui ont porté atteinte à ses jours étaient des détraqués ou des maniaques avides d’une sinistre renommée.
XVIII
Les Voyages de la Reine.
Première visite de la reine au château d’Eu.—Les banquets champêtres dans la forêt.—On reparle du Camp du Drap d’or.—L’équipage se mutine.—Le mariage du duc de Montpensier.—Voyage en Belgique.—Visite au roi de Prusse.—Lavage des rues à l’eau de Cologne.—Le Rhin en feu.—Bonn.—Gotha.—Deuxième visite à Eu.—L’Opéra-Comique en plein vent.—Revue du camp de Boulogne.—Napoléon III et l’impératrice Eugénie à Windsor.—La reine à Paris, Saint-Cloud et Versailles.—Bal à l’Hôtel-de-Ville.—Bismarck est présenté à la reine.—La revue du Champ-de-Mars.—Devant le cercueil de Napoléon Ier.—Chasse en forêt de Saint-Germain.—Au revoir.—Visite à Cherbourg.—A bord de la Bretagne.—A la Grande-Chartreuse.—La reine ne veut plus venir en France.
On peut classer les voyages de la reine en deux catégories: ses voyages politiques et ses voyages d’agrément. Ses seuls voyages politiques ont été ceux faits en France.
Le 1er septembre 1843, le Victoria and Albert, nouveau yacht royal qui venait de sortir tout flambant neuf des chantiers de la Clyde, venait à Portsmouth embarquer la reine et son époux pour une destination inconnue. La reine avait tenu secrète son intention d’aller en France, à tel point que ses ministres l’ignorèrent jusqu’au dernier moment. La rencontre de Louis-Philippe et de Victoria avait été préparée de longue date par l’intermédiaire de la reine des Belges, fille du roi de France. Pourtant un certain nombre de personnages avaient été mis dans la confidence, à cause des objections que le duc de Wellington avait faites et de ses propositions de faire nommer une régence pour la durée de l’absence de la souveraine. Le vieux héros de Waterloo invoquait des précédents: chaque fois que Georges I, II et IV étaient allés à l’étranger, ils avaient nommé des conseils de régence. La reine faisait valoir que Henri VIII avait rencontré François Ier à Ardres; mais le duc lui répondait qu’à cette époque Calais étant à l’Angleterre, le roi d’Angleterre n’avait fait qu’à peine dépasser sa frontière. Bref, la reine consulta des légistes, qui furent d’avis qu’elle n’avait pas à nommer de conseil de régence pour une absence de quelques jours. Elle partit donc le 31 août. Elle louvoya autour de l’île de Wight et devant la côte de Devonshire pendant une journée et, le 1er septembre au soir, traversa le détroit. La traversée faillit ne pas aller tout droit; l’équipage donnait des signes de mutinerie. La reine avait en effet choisi une place à l’abri du vent et s’était par mégarde installée devant l’entrée de la buvette des matelots et ceux-ci se voyaient déjà privés de goutte pour toute la traversée. La reine s’aperçut de quelque chose. Elle interrogea lord Adolphus, capitaine du yacht, qui la pria de bien vouloir choisir un autre endroit. «Je le veux bien, dit-elle, mais c’est à la condition que j’aurai de la goutte, moi aussi.» On lui en donna un petit verre: «Elle n’a qu’un défaut, ajouta-t-elle, c’est d’être un peu faible». Cette parole lui reconquit tous les cœurs de ses matelots.
Le 2 septembre, au matin, le Victoria and Albert mouillait au Tréport et un canot, sur lequel était Louis-Philippe, allait assister au débarquement du couple royal. L’accueil fut tout joyeux de la part du roi-citoyen, qui prit paternellement la petite reine dans ses bras et l’enleva de terre, l’embrassa sur les joues, au grand ébahissement du prince Albert, qui n’avait encore vu personne en user si familièrement avec Sa gracieuse Majesté. Il convient de dire ici qu’étant duc d’Orléans, Louis-Philippe était un des meilleurs amis du duc de Kent et qu’il avait joué avec Victoria enfant. On monta dans une suite d’équipages splendides et l’on gagna le château d’Eu.
Il avait d’abord été question d’une visite à Paris dans la correspondance suivie qui s’était établie au sujet de cette rencontre; mais on ne sait pour quelle raison la reine s’est obstinément refusée à visiter la capitale.
A Eu, on mena joyeuse vie, tant en banquets, que bals et fêtes champêtres.
Les déjeuners sur l’herbe, qui étaient une nouveauté pour Victoria, eurent le don de lui plaire. On partait pour un coin de la forêt dans des grands chars à bancs et une multitude de valets à la livrée royale improvisaient en quelques minutes une salle de festin sous les arbres. La plus franche gaieté et le plus grand abandon régnait entre tous les invités du roi de France; ce dernier lui-même ne tarissait pas de verve. La reine d’Angleterre se laissait gagner par l’entrain général, ainsi que le prince Albert et
le comte d’Aberdeen; lord Cowley, ambassadeur d’Angleterre, qui devait être habitué au sans-gêne de la Cour, était le seul qui restât guindé en présence de sa souveraine.
Au champagne, Louis-Philippe fit remarquer, dans le premier toast à la reine, que leur entrevue était la première entre un souverain anglais et un souverain français depuis celle du Camp du Drap d’or. La reine garda le meilleur souvenir de ses fêtes «si jolies, si gaies, si pleines d’entrain, si rustiques». Le prince Albert écrivit au baron Stockmar sur son court séjour en France et compara la gaieté des fêtes françaises à celle des fêtes allemandes.
Le 7 septembre, le yacht royal était de retour sur les côtes d’Angleterre. Le comte d’Aberdeen avait eu le temps de s’entretenir avec M. Guizot de la question qui passionnait alors la diplomatie anglaise. Le ministre des Affaires étrangères français lui avait donné l’assurance que la France renonçait à une alliance matrimoniale avec l’Espagne; que le roi Louis-Philippe ne donnerait son plus jeune fils le duc de Montpensier à l’infante Marie-Louise, sœur de la reine d’Espagne, qu’après que celle-ci, étant mariée, aurait eu des enfants. De son côté, le comte d’Aberdeen avait donné sa parole à M. Guizot que l’Angleterre ne consentirait pas au mariage de la reine d’Espagne avec un prince de Saxe-Cobourg. L’Angleterre ne craignait rien tant qu’une union qui conférât à la couronne de France des droits éventuels à la succession d’Espagne. On sait que Louis-Philippe, s’il a réellement donné cette assurance par l’intermédiaire de M. Guizot, ne s’est nullement considéré comme engagé, ce que la reine d’Angleterre ne lui pardonna d’ailleurs jamais.
Ce voyage politique fut bientôt suivi d’un voyage d’agrément à travers les Flandres. Après avoir touché à Brighton, où le ménage royal passa quelques jours, au moment où la saison des bains de mer était à son déclin, le Victoria and Albert reprenait la mer le 12 septembre et le 13 était rendu dans le port d’Ostende. Le roi Léopold avait préparé à sa nièce un tour intéressant: la reine et le prince visitèrent successivement Bruges, Gand, Bruxelles et Anvers. Le 21, ils étaient de retour à Windsor Castle. A son retour, le prince écrivit au baron Stockmar à qui il ne cachait rien et dont il sollicitait les conseils en toute occasion: «Ce voyage en Belgique a fait une impression profonde sur Victoria, qui a gardé le meilleur souvenir des vieilles cités flamandes et surtout de l’accueil si flatteur qu’elle a reçu du peuple belge».
Deux ans plus tard, en août 1845, la reine fit enfin le voyage en Allemagne qu’elle projetait depuis plusieurs années de faire au bras de son époux. Ce fut avant tout un pieux pèlerinage qu’elle accomplit aux lieux qui avaient été témoins de l’enfance et de la jeunesse du prince Albert. Elle demanda à coucher à Rosenau dans le château même où naquit son époux et elle contempla avec ravissement «la jolie couchette où Albert et son frère Ernest avaient coutume de dormir ensemble étant enfants». A Aix-la-Chapelle, le roi de Prusse vint à sa rencontre et l’accompagna dans une visite à Cologne où, pour la recevoir, on répandit à flots, sur le pavé des rues, l’eau parfumée si renommée du pays. On lui donna le soir un spectacle inoubliable sur le Rhin qu’on embrasa et convertit en un long feu de joie. A Bonn, elle visita l’Université où le prince Albert avait terminé si brillamment ses études et elle reçut avec ravissement des détails sur tous les lieux qui avaient été témoins de son séjour. A Gotha, on lui donna, en plein air, une de ces représentations populaires dans lesquelles les rôles de princes sont tenus par de vrais princes et ceux de paysans par des paysans authentiques. Elle admira la tenue des enfants et les costumes des femmes du peuple, si simples et si pauvres, mais si propres et si seyants. Elle compara cette mise à celle des pauvres anglaises, si dégoûtantes sous leurs châles en loques et leurs chapeaux de soie fripés. «Si au moins, écrivit-elle, nos anglaises du peuple pouvaient se contenter de ces vêtements simples et laisser là leurs châles et leurs chapeaux de soie!»
Elle avait promis de revenir à Eu voir Louis-Philippe à son retour d’Allemagne. Elle tint parole et y arriva le 8 septembre. La chambre qu’elle habita avait été préparée avec des attentions toutes spéciales. Les portraits de la reine et du prince Albert par Winterhalter ornaient la cheminée de chaque côté et les autres peintures représentaient des épisodes de sa première visite à Eu et de la réception de Louis-Philippe à Windsor Castle. On comptait la retenir une semaine à la Cour; elle n’y resta que deux jours, juste le temps d’assister à une représentation donnée sur un théâtre improvisé en plein air par la troupe de l’Opéra-Comique de Paris. Cette fois Louis-Philippe donna lui-même l’assurance à la reine qu’il ne consentirait au mariage du duc de Montpensier avec l’infante que lorsque la question politique serait écartée.
Ce voyage calma pour une longue période son amour des voyages. D’ailleurs elle avait fait ample provision de souvenirs chers à son cœur et il se passa dix ans et bien des événements en Europe, avant qu’elle ne remit le pied sur le Continent.
Elle eut du reste assez à faire à visiter l’Irlande et l’Écosse où elle fut très occupée avec l’acquisition et la construction d’un nouveau home. Cependant le Continent était secoué terriblement et Louis-Philippe payait de son trône, par les intrigues de lord Palmerston, ses vues ambitieuses sur la succession d’Espagne.
En se séparant de lui, Victoria ne se doutait guère qu’elle ne le reverrait plus qu’en exil.
Depuis le dernier voyage de la reine au château d’Eu, l’Europe avait été en proie à la convulsion, et peu de trônes avaient été épargnés par la tourmente. Le trône d’Angleterre lui-même avait tremblé un instant sur sa base.
La prochaine visite de la reine d’Angleterre fut pour la Cour impériale de France, pour son nouvel allié Napoléon III, qui lui devait bien quelques égards pour l’empressement avec lequel elle avait reconnu le coup d’État; pour la facilité avec laquelle elle l’avait, la première de tous les monarques d’Europe, félicité de son avènement en l’appelant «mon frère»; pour s’être employée sincèrement à faire réussir des projets de mariage avec la princesse Caroline-Stéphanie de Vasa, petite-fille de la grande-duchesse de Bade et du dernier roi de Suède de la branche légitime, d’abord; puis avec la princesse Adélaïde de Hohenlohe, sa propre nièce. Car ce fut fatigué de voir son alliance rejetée de toutes parts, que Napoléon III arrêta ses vues sur Eugénie de Montijo, qui devait devenir une intime amie de Victoria.
Cependant, la question d’Orient était revenue sur le tapis. Les flottes anglaise et française étaient allées faire une démonstration dans les eaux du Bosphore en attendant de prêter main-forte aux Turcs contre la Russie.
Le 29 août 1855, Victoria écrit au roi des Belges, qui est resté son plus cher confident, qu’elle va avoir à souffrir d’une longue absence du prince Albert, lequel se propose de rendre prochainement visite à l’empereur des Français. Le 3 septembre, le prince quitte Osborne pour aller assister à une revue de 100.000 hommes au camp de Boulogne, situé entre Boulogne et Saint-Omer. Le prince rentre charmé des honneurs qui lui ont été rendus comme au représentant de la reine d’Angleterre.
Cette visite ne devait être que la préparation d’une autre plus longue et plus solennelle de la reine d’Angleterre à Paris. Le 16 avril de l’année suivante, Napoléon III prenait lui-même les devants et débarquait à Douvres avec l’impératrice à son bras, sur le quai de l’Amirauté, au bruit des salves d’artillerie qui fêtaient sa bienvenue. Il était reçu à Londres avec un enthousiasme populaire, que Victoria elle-même eut de la peine à croire. A Windsor, elle le recevait avec aménité, faisait fête à la «gentille et jolie impératrice toute nerveuse», leur réservait les mêmes appartements qu’à Louis-Philippe et à l’empereur Nicolas de Russie, devenu l’ennemi commun, donnait un bal en leur honneur dans la salle de Waterloo, conférait l’ordre de la Jarretière à Napoléon, lui passait le grand-cordon sur l’épaule, tandis que le prince Albert lui attachait la Jarretière au-dessus du mollet droit, et s’entendait dire par l’empereur, en quittant la salle à son bras: «Il me reste à faire mon serment de fidélité à Votre Majesté et à son pays», «paroles qui promettent, écrivait la reine, de la part d’un homme tel que lui, peu prodigue de paroles et ferme dans ses desseins».
L’heure des adieux venue, l’empereur dit à la reine: «J’attends donc votre visite à Paris cet été.—Oui, répond Victoria, si mes devoirs publics ne m’en empêchent, comptez sur moi.» On avait pris des résolutions pour obtenir des succès en Crimée et dans l’intervalle rendre la guerre populaire en France.
Le 18 août, un samedi, dès l’aurore, la reine, le prince Albert, la princesse royale, plus tard l’impératrice Frédéric III d’Allemagne, et le prince de Galles s’embarquaient à East Cowes pour Boulogne, où ils arrivaient le même jour, dans l’après-midi, escortés de l’escadre de la Manche. Les canons tonnaient des hauteurs qui dominent la ville. Lorsque le yacht royal aborda, Napoléon se précipita à bord et salua Sa Majesté, lui baisant la main d’abord, puis l’embrassant sur les deux joues. La reine et sa famille montaient à destination de la gare en voiture de gala, escortés par l’empereur et le maréchal Magnan à cheval, et une garde d’honneur. A Paris, où aucun souverain anglais n’avait paru depuis qu’Henri VI y était venu en roi pour se faire couronner à Saint-Denis, la réception fut enthousiaste. De la gare du Nord jusqu’au Palais de Saint-Cloud, les rues étaient enguirlandées et 200.000 hommes de la garde nationale faisaient la haie sur le parcours. Malheureusement, la nuit commençait à tomber et le coup
d’œil perdit de sa beauté. En arrivant à l’Arc de Triomphe, il fallut allumer des torches pour l’escorte royale et l’on ne vit plus Paris que sous le fard des illuminations. A Saint-Cloud, la réception fut «splendide et enthousiaste», écrivit le prince Albert. La reine écrivit de son côté dans son journal: «J’étais un peu ahurie, mais enchantée; tout était si beau!» Le tableau qui rappelait la visite de la reine a disparu dans l’incendie du château en 1871, après avoir été mutilé. Un officier prussien avait en effet découpé la tête de la princesse royale, devenue la femme du Crown Prince. La famille royale vécut là dans la plus stricte intimité. La reine trouva la table de l’empereur très simplement servie; mais «tout y était si exquis!»
Le lundi se passa en visite à l’Exposition des Beaux-Arts aux Champs-Elysées et à une représentation des demoiselles de Saint-Cyr aux Tuileries. Le mardi fut consacré à une visite à Versailles et aux Trianons et à une représentation de gala, le soir, à l’Opéra. Le mercredi 22, la reine visita l’Exposition industrielle et accepta une invitation de la Municipalité de Paris à un bal à l’Hôtel-de-Ville. Le jeudi fut laissé aux hôtes de l’empereur pour vivre incognito. Le soir, il y eut grand banquet de 80 couverts et la reine parla sérieusement à l’empereur d’une alliance anglo-française. L’empereur prétendit tenir de Drouyn de Lhuys que Louis-Philippe était devenu impopulaire à cause de son alliance avec l’Angleterre. La reine lui répondit que ce n’était pas à cause de son alliance, mais à cause de sa trahison à cette alliance.
Le jeudi, la famille royale visita le Louvre et, le soir, la reine assista au bal de l’Hôtel-de-Ville. Le quadrille royal fut dansé par la reine, l’empereur, le prince Albert, la princesse Mathilde, le prince Napoléon, lady Cowley, la femme de l’ambassadeur d’Angleterre, le prince Aldebert de Bavière et Mlle Haussmann, fille du préfet de la Seine. La reine parla de cette soirée comme d’un «songe des mille et une nuits».
Le 24, la reine visita pour la seconde fois l’Exposition de l’Industrie et l’École militaire, puis l’empereur passa la revue des troupes au Champ-de-Mars devant elle. Le prince Albert était à cheval, à gauche de l’empereur, au bas de la tribune impériale, dans laquelle la reine était assise au milieu, entre l’impératrice Eugénie et la princesse Mathilde. La reine regretta de n’avoir pas été à cheval, avec l’empereur. Elle fut émerveillée de la tenue de nos troupes et écrivit sur son journal: «Leurs jolis uniformes sont infiniment mieux faits et de meilleure coupe que ceux de nos soldats, ce qui me taquine beaucoup.»
Après la revue, la reine monta en voiture avec le prince et alla visiter l’Hôtel des Invalides. Elle descendit au tombeau de Napoléon Ier. L’énorme sarcophage de marbre était illuminé par des cierges. Le chapeau et l’épée du grand empereur avaient été placés sur un coussin de velours. Le spectacle était déjà imposant par lui-même; un violent orage qui éclata à ce moment et le bruit du tonnerre qui se répercuta sous la coupole ajoutèrent encore à sa grandeur. La reine resta émue et pensive. Le soir, elle écrivit ses impressions: «J’étais là, au bras de Napoléon III, son neveu, devant le cercueil du plus grand ennemi de l’Angleterre, moi, la petite-fille de ce roi qui le haïssait tant et qui lutta si vigoureusement contre lui. Aujourd’hui son neveu, qui porte son nom, est mon meilleur et mon plus cher allié, et l’orgue de la chapelle joue le God save the Queen.»
Le samedi, l’empereur donna une chasse en l’honneur de la reine dans la forêt de Saint-Germain. Le soir, il y eut grand bal au palais de Versailles.
L’empereur rencontra l’impératrice au haut du grand escalier et lui dit: «Comme tu es belle»; la reine, en rapportant ce compliment, ajoutait: «De fait, elle avait l’air d’une reine de conte de fée.» C’est à ce bal que le comte de Bismarck se fit présenter à Victoria.
La reine coucha au palais, ce soir-là, ainsi que la princesse royale dont le beau-père devait recevoir non loin de là, quelques années plus tard, la couronne d’empereur d’Allemagne, après que son mari aurait aidé à vaincre la France dans une guerre terrible.
Le lendemain, dimanche 26, était le jour anniversaire du prince. On le célébra dans l’intimité. La reine conseilla à l’empereur de ne pas persécuter la famille d’Orléans et lui expliqua très franchement la nature de ses relations avec la dynastie déchue.
Le lendemain, on reprit, accompagné par l’empereur, le chemin de Boulogne, au grand désespoir du petit prince de Galles, qui déclara adorer Paris,—l’amour de la capitale lui est venu, on le voit, de bonne heure. La reine visita les camps d’Hensault et d’Ambleteuse. Enfin elle s’embarqua et, comme le yacht royal commençait à se mouvoir, l’empereur lui cria du quai, en la saluant: «Adieu, madame, au revoir!» Elle répondit très gracieusement: «Je l’espère bien», et bientôt les deux souverains se perdirent de vue. La reine partit enthousiasmée de l’empereur qu’elle dit «doux, bon et simple». Elle avait en lui une «confiance sans réserve». Le prince Albert ne partagea pas l’enthousiasme de la reine: il considéra Napoléon III comme un politicien d’occasion, tremblant toujours devant quelque complot.
Quelques mois plus tard, Napoléon rendit visite à la reine à Osborne et demanda la révision du traité de 1815. Il avait rêvé de faire de la Méditerranée un lac européen. Ses ouvertures furent froidement accueillies. Il s’en retourna incompris et l’alliance anglaise entra dans une phase précaire. La mésintelligence au sujet des principautés danubiennes ne fit qu’augmenter le malentendu. Napoléon invita la reine à venir à Cherbourg et le gouvernement britannique voulut qu’elle acceptât. On espéra que son amitié parviendrait à détendre la situation. Le 4 août 1858, la reine arriva à sept heures du soir à Cherbourg, après une traversée assez agitée. L’empereur et l’impératrice vinrent la saluer sur le yacht royal, à huit heures, sans aucune suite.
Personne ne fut admis à assister à la conversation des deux souverains. L’empereur et l’impératrice rentrèrent à Cherbourg dans leur barque éclairée par un jet de lumière électrique. La reine coucha à bord de son yacht. Le lendemain, déjeuner à la préfecture et dîner à bord de la Bretagne. Le général Mac-Mahon était parmi les invités. L’empereur porta un toast à la reine et le prince Albert se leva pour y répondre: «J’étais si émue, écrivit la reine, que je ne pus boire mon café». Après quelque hésitation cependant, le prince Albert vint à bout de sa tâche. Un magnifique feu d’artifice termina la journée. Ce fut la dernière entrevue de Napoléon III et de la reine avant l’exil de Chislehurst.
Le 14 août, la reine se rendit en Prusse avec son époux accomplir une promesse de visite au prince et à la princesse Frédéric, visite de famille, qui s’acheva le 28 du même mois.
Ce furent ses deux derniers voyages avant qu’elle eût la douleur de perdre sa mère et son époux. Elle s’embarqua le 1er septembre 1862, à Woolwich, pour se rendre à Bruxelles et faire la connaissance de la princesse Alexandra et de ses parents et arranger le mariage du prince de Galles. De là, elle gagna l’Allemagne et séjourna au château de Reinhardsbrunn, qui est plutôt un rendez-vous de chasse qu’un château à proprement parler; mais ce voyage n’eut aucun caractère politique.
Au printemps de 1879,—la guerre et la chute de l’empire étaient depuis longtemps des faits accomplis—la reine alla se reposer des fatigues du mariage de son fils, le duc de Connaught, avec la princesse Louise-Marguerite de Prusse, dans le nord de l’Italie. Elle passa par Paris en vêtement de grand deuil et fit un court séjour à l’ambassade d’Angleterre. Elle y reçut le président Grévy, accompagné de M. Waddington. Le duc de Nemours lui rendit aussi visite. Le 28 mars, elle arriva à Modane et continua son voyage jusqu’à Turin et Baveno ou le lac Majeur, sous le pseudonyme de comtesse de Balmoral. Le prince Amédée vint la saluer au nom du roi et de la reine d’Italie. Elle habita à Baveno la villa Clara.
Le 18 avril, elle se rencontra dans une station de chemin de fer entre Rome et Monza avec le roi, la reine et la Cour, qui se rendaient en villégiature. La reine accepta de déjeuner à Monza, après quoi elle rentra à Baveno. A son retour, elle passa de nouveau par Paris où elle s’arrêta à l’ambassade, installée dans l’hôtel de l’ancienne princesse Pauline Bonaparte, sœur de Napoléon Ier, et regagna Windsor Castle.
Depuis cette époque, la reine fait un séjour d’un mois chaque année, au printemps, sur la côte méridionale de France ou dans quelque station italienne.
Après la mort du duc d’Albany,—car la reine perdit les siens coup sur coup—le mariage de sa petite-fille la princesse Victoria de Hesse avec le prince Louis de Battenberg l’attira à Darmstadt. Elle fut heureuse de vivre dans le château où vécut la pauvre princesse Alice, sa fille. Ce voyage dura d’ailleurs quelques jours seulement.
L’année suivante, elle passa quelques semaines à Aix-les-Bains et s’en retourna par Darmstadt; un an après elle se rendit directement par mer de Portsmouth à Cannes et de Cannes à Aix-les-Bains où elle habita la même suite d’appartements à la villa Mottet. Avec une permission spéciale du pape, elle visita la Grande-Chartreuse où aucune femme ne doit pénétrer; l’année d’après, elle choisit Biarritz et visita la reine régente et le petit roi d’Espagne à San Sébastien. Chaque année nous la ramène; elle vient redemander au climat du midi de la France ou au climat italien, les forces dont elle a besoin pour continuer d’accomplir sa tâche. Les catholiques d’Angleterre voient dans cette émigration, au printemps de chaque année, à l’époque de la semaine sainte, un retour des souverains du
Royaume-Uni à la religion catholique; la raison de ces déplacements est beaucoup plus profane: les médecins de la reine redoutent pour ses poumons devenus délicats l’humidité du climat britannique, à cette époque de l’année.
On a prétendu que, profondément froissée des caricatures qui ont paru d’elle dans les journaux humoristiques français, à propos de la guerre du Transvaal, elle éviterait de passer sur le territoire français et séjournerait en Italie. Elle pourrait peut-être se souvenir des raisons qu’elle donna à Cherbourg, à Napoléon III, lorsque celui-ci se plaignait d’être attaqué dans le Times: «Notre presse est libre, en Angleterre, dit-elle à l’empereur pour repousser toute responsabilité». La nôtre l’est devenue depuis la visite à Cherbourg, et il est enfantin de tenir rigueur à une nation libre de l’humour de ses caricaturistes. Cela n’empêche que le monde juge sévèrement l’attitude de la reine dans l’affaire du Transvaal. Chaque fois que Victoria l’a voulu, elle a su éviter la guerre, notamment avec la Russie et les États-Unis; cette fois, au contraire, elle n’a pas cherché à retenir ses ministres; elle a même encouragé les lâches agressions,—lâches parce qu’il croyait les diriger contre des faibles—de son ministre des colonies, Mr. J. Chamberlain, ce fléau de notre fin de siècle, dont l’ambition et la rapacité menacent de coûter si cher à son pays.
XIX
Jubilés d’or et de diamant.
Cinquante ans de règne.—L’Inde célèbre le jubilé de sa Kaiseri-hind.—Le plus ébloui n’est pas celui qu’on pense.—La province veut en être.—Du jubilé, on en a mis partout.—Onze heures sonnant.—Les princes indiens et leurs diamants.—Le cortège royal.—Le succès du futur empereur Frédéric.—Sur la chaise d’Édouard le Confesseur.—La musique de l’absent.—Les sanglots de la reine.—Garden-party et banquet.—L’Irlande s’insurge.—La pose de la première pierre de l’Imperial Institute.—Soixante ans de règne.—Le plus long règne de l’histoire du Royaume-Uni.
L’année 1887, cinquantième année du règne de Victoria, s’ouvre avec les fêtes. C’est l’Inde qui donne le signal de l’allégresse au grand empire britannique, en multipliant, dans toutes les principautés, les réjouissances en l’honneur de la vieille impératrice, la Kaiseri-hind, comme on l’appelle dans cette partie du monde. A cette occasion solennelle, on distribue des honneurs, on rend la liberté aux prisonniers, on remet les dettes. A Gwalior, tous ceux qui n’ont pas payé la taxe foncière en seront exemptés et cette acte de libéralité coûte vingt-cinq millions à la colonie.
En Angleterre, les députations commencent dès le mois de mars, par celle du clergé conduite par l’archevêque de Cantorbéry, primat d’Angleterre, qui est reçue solennellement à Windsor le 8 mars. Le 4 mai, à son retour de son séjour annuel sur le continent, Victoria reçoit les délégations de tous les gouvernements coloniaux, qui la félicitent d’avoir vu s’élever le nombre de ses sujets des colonies de deux à neuf millions et ceux de l’Inde de quatre-vingt-seize à deux cent cinquante-quatre millions. Le 9, elle tient une Cour à Buckingham Palace, au milieu d’un faste bien fait pour éblouir le Maharajah et la Maharanee de Kutch Behar, le Maharajah sir Pertab Sing, et plusieurs autres princes indiens, de l’éclat de sa puissance. Ceux-ci éblouiront de leur côté la nation anglaise.
Le grand jour approche. On est au commencement de juin. Londres est livré aux charpentiers et tapissiers décorateurs. La métropole se transforme à vue d’œil, surtout sur le passage traditionnel de Buckingham Palace à l’abbaye de Westminster. Enfin, le 20, on peut juger du coup d’œil général: la ville est tout enguirlandée; à chaque pas se dresse un arc de triomphe avec des inscriptions tirées de l’Ecriture Sainte ou des œuvres des poètes nationaux. Les hôtels regorgent de monde. Toute la province ne trouve pas à se loger et la plus grande partie de la foule que vomissent les gares des grandes lignes et des innombrables lignes de banlieue, à toute heure de la journée, doit passer la nuit à la belle étoile. Elle n’a d’ailleurs pas à le regretter, car Londres se prive de sommeil et ses boutiques restent éclairées jusqu’au lever du jour.
Enfin l’aube fait pâlir les derniers feux; les canons saluent l’aurore et la foule se rue, à ce signal, vers les lieux qui vont être témoins du grand événement historique. On trouve difficilement à prix d’or une place sur les gradins improvisés sur le passage de la procession; de toutes parts des camelots vendent des souvenirs du jubilé; tout est au jubilé: marques de commerce, menus des restaurants, modes; tout se vend et s’achète à des prix de jubilé. Il n’est pas jusqu’aux cabmen qui ne jubilent, en appliquant aux bons bourgeois et aux gentlemen farmers de la province des tarifs jubiléens.
Seul, le palais de Buckingham, gardé de tous côtés à grande distance pour empêcher que les bruits de la ville en liesse ne troublent le sommeil de la reine, paraît étranger à l’enthousiasme général.
L’Union Jack, qui flotte en haut de son paratonnerre central, indique seul que la souveraine y réside; mais le palais a son aspect sévère et froid des jours ordinaires, et, n’était la présence des gardes et de matelots de la flotte en grande tenue, nul ne se douterait, à le voir, qu’il recèle la plus grande activité.
Cependant l’horloge de Westminster tinte onze heures. Les trompettes et les tambours donnent le signal du départ, les portes du palais s’ouvrent et la procession se met en marche. Les horse-guards, sur leurs magnifiques chevaux noirs ouvrent la marche; ils sont suivis par les princes indiens, vêtus de richissimes costumes de drap d’or et coiffés de turbans étincelants de diamants et de pierreries, en voitures de gala; viennent ensuite la duchesse de Teck, les envoyés de Perse et de Siam, la reine d’Hawaï, les rois de Saxe, de Belgique et de Grèce, le prince héritier d’Autriche-Hongrie. Les gardes du corps séparent les souverains étrangers du cortège des princesses royales, qui se compose de onze voitures. Puis c’est le tour des princes tous à cheval, le prince Albert-Victor et le prince Guillaume de Prusse, devenu l’empereur Guillaume II, le prince héritier Frédéric, père du précédent, qui est l’objet d’une chaleureuse ovation et les princes Christian, le Grand-Duc de Hesse, le prince Henry de Battenberg. Le marquis de Lorne est absent: il a été jeté à bas de sa monture au départ du palais de Buckingham et gagne l’abbaye à pied. Après les gendres de la reine, défilent ses fils: les ducs de Connaught et d’Edimbourg et le prince de Galles, pour qui le peuple se montre moins enthousiaste que pour son beau-frère Frédéric de Prusse.
Enfin voici dans sa voiture, traînée par huit chevaux isabelle, la reine. Elle est vêtue de noir et coiffée de dentelles blanches espagnoles, enrichies de diamants. Elle porte le grand cordon de la Jarretière et celui de l’Étoile de l’Inde. En face d’elle sont assises sa fille aînée, la femme de Frédéric et sa bru la princesse de Galles.
Une cavalcade de soldats indiens clôt la procession.
Partout le passage de Victoria est le signal d’ovations délirantes. On lui jette des bouquets effeuillés et c’est sur un tapis de pétales de roses que roule le cortège qui l’accompagne à Westminster. Elle est radieuse et salue gracieusement ses sujets avec un bon sourire plein d’affection et de reconnaissance. A Londres, comme partout, les loustics prennent leur part et lancent des quolibets à la face des personnages du cortège. Le futur empereur Frédéric, qui est décidément plus populaire en Angleterre que le prince de Galles, est très remarqué sous son uniforme de cuirassier blanc; chacun s’extasie sur sa beauté.
L’intérieur de la vieille abbaye n’est pas composé comme au jour du couronnement. La noblesse en manteaux d’hermine a cédé la place aux députations de la nation tout entière. Toutes les villes du Royaume-Uni, toutes les colonies de l’empire Britannique, les Universités y sont représentées; les corps de l’État, le corps diplomatique, les ministres en costumes de Cour, les officiers de la maison royale, les attachés militaires des puissances étrangères emplissent les nefs.
La reine prend place sur la chaise d’Édouard le Confesseur où elle s’est assise, cinquante ans plus tôt, à pareille date, à la fleur de son âge.
Combien les émotions qui remplissaient alors son âme d’enfant étaient différentes de celles d’aujourd’hui! Il y a un demi-siècle, l’avenir s’ouvrait devant elle avec de riantes perspectives; mais que serait-il en réalité? Les hommages qui lui étaient rendus étaient ceux de sujets pleins d’espérances. Aujourd’hui, au contraire, après une si longue étape parcourue, après avoir présidé tant d’années aux destinées d’une grande nation, malgré les ronces du chemin et l’amertume d’éternels regrets, c’est tout ce long règne à son déclin qui se dresse devant ses yeux sous les voûtes de la vieille abbaye et, tout compte fait, ce sont des actions de grâces qu’elle apporte au pied des autels et qu’y apportent avec elle ses sujets reconnaissants de la façon dont elle a su s’acquitter de son rôle difficile.
Par une attention délicate pour la veuve inconsolée,
toute la musique jouée pendant le service est de la composition de son époux regretté. A la bénédiction, Victoria essaye de se mettre à genoux sur le prie-dieu qu’elle a devant elle; mais son émotion est à son comble et elle retombe en sanglotant sur son trône, la tête cachée dans les mains.
La fête religieuse a pris fin. Les princes, le prince de Galles en tête, viennent pour lui rendre hommage. Ils veulent lui baiser cérémonieusement la main; mais c’en est fait de l’étiquette. Après un si long et si glorieux règne, elle a bien le droit de se montrer mère et grand’mère, même sur le trône d’Édouard le Confesseur, et elle prend l’un après l’autre les membres de la famille royale et les embrasse affectueusement. Les voilà vivants, ses cinquante ans de royauté qu’elle célèbre, la plus grande partie de sa vie, avec ses joies et ses douleurs!
Lorsqu’elle a embrassé toute sa famille, la reine, se tournant vers ses hôtes étrangers, leur fait une profonde révérence et quitte l’abbaye aux harmonies de la Marche des Prêtres de l’Athalie de Lulli.
La procession royale, dans le même ordre, regagne Buckingham Palace, où la reine demande à luncher seule et à se reposer quelques heures des émotions de la matinée. L’après-midi, elle offre un garden-party dans les jardins du Palais. Près de la tente royale, se tiennent des joueurs de cornemuse écossais en costume national. Le soir, un grand banquet de quatre-vingts couverts réunit autour de Sa Majesté les princes anglais et étrangers, auxquels se sont joints le duc d’Aoste, représentant le roi et la reine d’Italie, l’infant Antonio et l’infante Eulalie d’Espagne, le prince héritier de Suède et le roi de Danemark.
Londres est de nouveau illuminé splendidement, de même que toutes les villes du Royaume-Uni. Seule, l’Irlande, la douloureuse Irlande, où le long règne de Victoria n’aura pas réussi à lasser de tenaces espérances, jette une note discordante dans ce concert de loyalisme; la police doit réprimer, à Dublin et à Cork, des démonstrations non équivoques d’hostilité. A l’étranger, partout où il existe une colonie d’Anglais, le Jubilé est célébré dans un banquet. Une fête enfantine, due à l’initiative de M. Lawson, directeur du Daily Telegraph, réunit 30,000 enfants de Londres à Hyde-Park.
A l’occasion de son jubilé d’or, la reine créa huit pairs d’Angleterre, treize baronnets et trente-trois chevaliers.
Le 24, il y eut grand bal à Buckingham Palace et le 4 juillet, pour clore la série des cérémonies inscrites au programme du jubilé, la reine scella la première pierre de l’Imperial Institute, élevé par souscription avec les deniers de la Nation, dans le but de servir uniquement au développement des questions coloniales. Cette cérémonie de fondation d’un monument colonial, clôturant les fêtes du jubilé, donne la véritable note de ce glorieux cinquantenaire.
De tout ce qui a passé devant les yeux du peuple ébloui, une image s’est surtout imprimée dans le souvenir du peuple: celle des princes indiens et des délégués des colonies; l’air qu’il a retenu, c’est le Rule, Britannia! Impose ta loi au monde, Grande-Bretagne! qu’attaqua l’orchestre à la sortie de la reine-impératrice de l’inauguration de l’Imperial-Institute et qu’inconsciemment il substitue souvent à l’hymne national God save the Queen. Cette image et ce refrain hypnotisent la nation anglaise depuis le jubilé de 1887, au point que tous les politiciens à pile ou face, sans conviction profonde, qui cherchent l’inspiration de leur politique dans la popularité, comme ce pantin au cœur léger de Chamberlain, ne voient plus d’avenir que dans la flatterie des sentiments impérialistes. On s’explique ainsi la révoltante impudeur de la diplomatie anglaise dans ses démêlés avec les républiques sœurs du sud de l’Afrique, qui aboutit à cette guerre, savamment ourdie par la rapacité anglaise, et d’où l’Angleterre ne peut sortir, même victorieuse, que très affaiblie et pour longtemps anémiée. L’Angleterre vaincue, car il n’est pas sûr qu’elle arrive à briser la résistance de ces superbes burghers qu’admire le monde entier, la guerre sud-africaine sera le commencement de la désagrégation de cet immense empire colonial sur lequel le soleil ne demandera alors qu’à se coucher. Ce serait là une triste conséquence d’une fausse interprétation donnée à cette fête de famille que devait rester le jubilé de 1889.
Avant Victoria, la nation anglaise avait par trois fois célébré le jubilé d’or de son souverain. L’histoire a gardé la mémoire des cinquantenaires d’Henri III, d’Édouard III et de Georges III, le nombre trois porte bonheur dans les dynasties anglaises. Cependant, aucun de ces trois règnes ne représenta pour la nation une ère de prospérité comparable à celle des cinquante premières années du règne de la reine actuelle.
Une seule fois avant Victoria, un souverain anglais célébra son jubilé de diamant: ce fut son grand-père, l’infortuné Georges III, dont la raison sombra sous le poids de chagrins domestiques au bout de soixante ans de règne et à qui la nation dut donner une régence. Le règne de Victoria est donc le plus long règne d’Angleterre et, dans neuf ans, si elle vit et est encore sur le trône, elle aura régné aussi longtemps que Louis XIV. En juin 1897, de splendides fêtes furent données à l’occasion de son jubilé de diamant, qui fut célébré dans un service d’actions de grâces, comme le jubilé d’or, dans l’abbaye de Westminster. Le cérémonial fut à peu près le même et le concours du peuple au moins aussi imposant. Quelques figures, et non des moins sympathiques du cortège, avaient disparu, notamment le beau Frédéric III, si admiré en 1887 et si près du trône et du tombeau. Naturellement, le jubilé de diamant, à l’occasion duquel le Gouvernement s’est ingénié à exhiber toute une mise en scène coloniale, n’a fait que développer les sentiments impérialistes de la nation. Il semble bien qu’on y ait encore plus chanté le Rule, Britannia et un peu moins le God save the Queen.
XX
Le Règne de Victoria.
Les grands événements et les grandes crises qui surviennent dans l’histoire des peuples ont cet immense avantage de les faire se recueillir et mesurer l’étape parcourue dans la voie du progrès. Des quatre monarques anglais, dont la nation a célébré le cinquantenaire, seule, Victoria résumait une époque vraiment glorieuse. Henri III n’avait en effet à son actif que la fondation du régime parlementaire; Édouard III, qui eut un règne brillant au début, avait connu les désastres à la fin; quant à Georges III, il avait perdu tout un continent, où la nation avait déversé le plus pur de son activité.
Au contraire, le règne de Victoria résumait, à l’époque du jubilé, toute une époque de gloire et de prospérité et c’est pourquoi l’âme de la nation, s’aimant et s’admirant dans la reine, qui représente par ses aïeux l’histoire de son passé, et incarne la notion de la solidarité britannique, vibra tout entière à la manifestation de cette gloire qui était la sienne, de cette puissance qui aiguisait en lui le sentiment de sa propre force.
Il n’y a rien que de louable dans l’ivresse d’un peuple qui s’offre ainsi la revue de sa récente histoire, à la condition qu’il ne laisse pas le calme sentiment de sa supériorité dégénérer en fierté chauvine et agressive. Ce danger, la nation anglaise ne sut pas l’éviter, car, moins de trois ans plus tard, nous pouvons, aux folies que lui fait faire sa furie impérialiste, constater les ravages qu’a exercés le jingoïsme dans l’âme nationale.
Ce long règne de Victoria, qui nous paraissait, il y a trois ans, devoir entrer dans le domaine de l’histoire dans tout l’éclat de la gloire, comme, à la fin d’un beau jour, on voit descendre le soleil radieux derrière l’horizon des mers, s’obscurcit d’un nuage épais, plein de menaces.
Ce règne pourtant a été grand. En 1837, à ses débuts, le régime parlementaire existait solide, inébranlable. De 1783 à 1830, il avait eu de bien beaux jours, ses plus beaux peut-être, avec les Pitt, les Fox, les Burke, les Sheridan, les Grey, les Canning, les Brougham. A la faveur des bienfaits de la Révolution française, les institutions libérales s’étaient développées pacifiquement, sans précipitation, mais aussi sans secousses. Il restait à ouvrir grandes les portes de la cité politique à la démocratie et à arracher certaines prérogatives à une aristocratie qui, sous le fallacieux prétexte d’être le boulevard de la Constitution, n’était réellement que la forteresse de ses propres intérêts. Les nobles possédaient en effet les deux tiers du sol et, avec les titres, avaient accaparé toutes les dignités de l’État. Pour enrayer l’avènement des autres classes, qui
eût été favorisé par le morcellement de la propriété foncière, ils avaient racheté les biens des petits propriétaires ruraux. Il fallait parer à l’orage démocratique qui ne pouvait manquer d’éclater. C’est ce que comprirent les ministres de Victoria.
En 1846, ils assurèrent le triomphe du Libre Echange, malgré la vigoureuse opposition de la Chambre des lords, qui trouvaient dans les tarifs des douanes la protection dont ils avaient besoin pour continuer à vendre à hauts prix les produits de leurs terres au risque d’affamer la population. Dès lors, l’émancipation économique de la nation, sa prospérité et celle de ses colonies étaient assurées. En 1867, la réforme électorale dans les bourgs préparait l’avènement de la démocratie et l’extension de cette réforme aux comtés, en 1884, lui mettait définitivement le pouvoir aux mains. L’évolution de la Constitution a été ainsi naturelle. Telle qu’elle est actuellement, cette Constitution est loin d’être parfaite: pour peu qu’on l’étudie, on la trouve entachée d’hypocrisie. En effet, la démocratie, qui est désormais inscrite dans les lois du pays, ne s’exerce pas de fait librement; pour arriver à représenter une circonscription électorale, il faut avoir des titres ou beaucoup d’argent; or ce n’est généralement pas dans les nobles et les capitalistes que le peuple trouve des défenseurs sincères de ses intérêts. La démocratie servie par une minorité de pseudo-démocrates entravés à chaque pas par une Chambre des lords obstinée dans ses préjugés, telle est la situation politique actuelle. Elle suffit à expliquer la société anglaise, faite de contrastes décevants, d’idées ultra-modernes et de préjugés démodés; de progrès matériels incomparables et de résistances acharnées. C’est ce qui fait qu’entre notre démocratie française et la démocratie anglaise il y a un monde, comme entre les deux sociétés, et que c’est encore la mer, qui, en dépit des apparences, nous divise le moins.
N’empêche que la Constitution, telle qu’elle est, a déjà rendu des services immenses à la cause nationale, que c’est à la faveur de ses lois que la population britannique a doublé et qu’elle a débordé sur toutes les colonies de l’Empire: l’Australie, le Canada, l’Inde, l’Afrique du Sud, qu’elle a fécondées de son initiative et de sa dévorante activité. Avant Victoria, le domaine impérial du Royaume-Uni était déjà énorme; l’Afrique à part, il était le même qu’aujourd’hui, mais il était peu connu, peu peuplé; son loyalisme était des plus douteux. Aucune colonie ne se suffisait à elle-même; on n’avait pas encore trouvé la formule idéale du self-government; les idées qui avaient cours étaient celles de la vieille école; penseurs, administrateurs, hommes d’État, politiciens, à quelque parti qu’ils appartinssent, Cornwall-Lewis, Cobden, sir Robert Peel, John Bright, etc., tous étaient persuadés que les colonies ne pouvaient avoir qu’un temps, que toutes étaient appelées à se séparer de la mère-patrie, comme les États-Unis d’Amérique, une fois suffisamment puissantes et prospères pour secouer le joug. L’idée de l’Empire uni et indivisible était mise au rang des utopies politiques, que toutes les conditions économiques seraient impuissantes à réaliser. Les idées ont bien changé au cours du règne de Victoria et la théorie du self-government, qui a commencé à être appliquée au Canada, semble devoir donner raison à la conception moderne de l’impérialisme. Par quelle erreur l’Irlande, la bonne Irlande, a-t-elle été rayée du programme des réformateurs? Comment se fait-il que le home-rule n’ait pu passer dans un pays si imbu des principes de l’autonomie? Comment n’a-t-on pas été frappé de ce fait que, sous le même règne qui a vu le Royaume-Uni et ses colonies se développer et prospérer, seule l’Irlande a eu sa population décimée par la famine et par l’expatriation? C’est l’erreur et ce sera la tache indélébile de ce long règne.
L’expansion territoriale sous Victoria a eu pour théâtre principal l’Afrique. Aujourd’hui l’Union Jack flotte du Cap au Zambèze et, à l’exception des territoires des républiques qui luttent actuellement pour leur indépendance, tout le sud de l’Afrique est soumis à la loi anglaise. De Zanzibar à l’Ouganda et aux sources du Nil s’étend l’Afrique orientale britannique. Enfin Victoria règne sur un vaste domaine dans le bassin du Niger et l’Afrique occidentale. On sait que le rêve d’un de ses sujets, Mr Cecil Rhodes, est de mettre en communication le Cap avec le Caire.
Mais ce n’est pas seulement en territoire qu’a grandi le domaine impérial du Royaume-Uni; c’est surtout par le développement de son commerce interne, par l’envoi des productions nouvelles de ses climats lointains, qui a fait du Royaume-Uni le grand entrepôt de l’univers.
Au grand entrepôt du monde entier, il a fallu peu à peu une marine marchande colossale, des chemins de fer, un marché, une poste rapide, une presse, le télégraphe, le téléphone, des câbles sous-marins, l’union des capitaux, les compagnies à responsabilité limitée, les banques. L’industrie nationale a été à la hauteur de sa tâche et a fait face à tout. Dans toutes les branches de l’activité humaine, on a réalisé des prodiges; l’agriculture seule a été abandonnée, livrée qu’elle était par le libre-échange à la concurrence effrénée des terres vierges du domaine impérial.
L’essor de l’industrie a entraîné l’élévation des salaires et le libre-échange, la diminution des objets de première nécessité: ce double bienfait devait avoir pour conséquence fatale l’ascension des classes laborieuses par le droit de suffrage. Le droit de suffrage a donné naissance au trade-unionisme, puis au néo-trade-unionisme qui devait englober l’armée des manouvriers, et, de l’entente des deux trade-unionismes, est sorti le socialisme, qui a envoyé des députés ouvriers à la Chambre des communes. Toutefois ce socialisme ne connaîtra pas les excès: l’anarchie ne fera pas d’adeptes en Angleterre. Les grands syndicats ouvriers poursuivront légalement la réalisation des réformes sociales et l’abrogation des lois oppressives.
Lorsqu’on s’est rendu compte que l’ère de prospérité qu’a été pour le Royaume-Uni le règne de Victoria, a dépendu entièrement du développement de son empire colonial, on comprend que, chez nos voisins, ce soit la politique coloniale qui inspire toute la politique étrangère.
Un dernier mot sur la question économique: dans l’espace de ces vingt dernières années, l’Angleterre a amorti cinq milliards de sa dette. Il est vrai qu’elle n’a entretenu d’armée que le strict nécessaire pour la garde de ses colonies. Le désarroi militaire dans lequel l’a surprise l’ultimatum des Boers a suffisamment démontré qu’elle ne saurait prétendre à garder plus longtemps de si vastes territoires sans une armée régulière puissante et bien entraînée. Il faut s’attendre à de profondes réformes de ce côté. Un des privilèges arrachés sous ce règne à la noblesse, a été l’abolition de l’achat des grades dans l’armée: c’était le commencement d’une réorganisation militaire qui s’est arrêtée en route. Bon gré, mal gré, la guerre du Transvaal la remet à l’ordre du jour.
Nous ne dirons qu’un mot de la marine anglaise qui, malgré les progrès de la vapeur et de la construction navale militaire, qui l’ont obligée à des sacrifices énormes, a gardé son avance sur toutes les marines du monde. Il semble toutefois que l’attitude cassante de l’Angleterre vis-à-vis de la France dans la petite affaire de Fachoda, aura eu pour effet de pousser les nations continentales à faire de grandes dépenses en défense navale et en construction de navires.
Le développement intellectuel aura été énorme au cours de ces soixante-trois ans et l’éducation physique et morale du peuple aura fait de très grands progrès. Par suite, les institutions de bienfaisance, tels que les hospices de vieillards, les maisons de retraite, les hôpitaux, les maisons hospitalières se sont multipliés.
En matière religieuse, l’ère de Victoria n’aura pas été indifférente, comme en témoignent les nombreuses sectes qui ont été successivement fondées. Toutefois, l’anglo-catholicisme, incarné dans Newman et suscité dans le mouvement d’Oxford, semble avoir eu une grande influence sur les croyances de la nation.
La littérature et les sciences ont aussi connu sous ce règne leur plus belle floraison: le roman a atteint l’apogée avec Dickens, Thackeray, Bulwer Lytton, George Elliot, Bronte, Mme Gaskell, George Meredith, Thomas Hardy; la poésie s’est élevée aux plus hautes régions de l’idéal avec Woodsworth, Southey, Browning, Tennyson, Mathew Arnold, Rosetti, William Morris et Swinburne, pour ne pas parler des poètes secondaires d’une réelle envolée. Macaulay, Grote, Freeman, Lecky, Gardiner, Theodore Martin forment une illustre pléiade d’historiens de talent; Stuart Mill, Baine et Spencer, un trio de philosophes d’envergure; Darwin, Faraday, Maxwell, Stewart, un quatuor de savants émérites; Ruskin, Hunt, Everett Millais, Rossetti, Watts, Landseer, Green et Scott, un groupe d’artistes, dont leur pays peut se montrer justement fier.
Le foyer n’est pas une pierre, dit un proverbe indien, mais une femme. On est tenté de l’appliquer à la vieille reine qui a, pendant plus de soixante ans, présidé au foyer britannique, d’où est plus d’une fois parti le progrès, pour rayonner sur le monde entier. Elle a été le centre, le cœur de la nation; vers elle ont convergé tous les efforts de son peuple, répandu sous toutes les latitudes, et c’est de ces efforts épars qu’est faite sa gloire universelle. Voilà pourquoi la reine est sacrée pour tous les Anglais; toucher à leur reine, c’est toucher à la gloire de leur nation; leur reine, c’est leur patrie et c’est pour leur patrie qu’ils prient, lorsqu’ils chantent le God save the Queen.
TABLE
| I Du berceau au trône. | |
|---|---|
| Jolie fleur de mai.—Sur les fonds d’or de la Tour de Londres.—Ni un nom ni l’autre, Victoria.—Claremont.—L’orpheline de Sydmouth.—La Cour de poupées de la princesse Drina.—Poupées vivantes.—150.000 francs à dépenser par an à six ans.—Rayons et ombres.—L’écolière.—Un instrument de torture sous clé.—Fini de rire.—Bal d’enfants à la Cour.—La Tour d’Angleterre.—Confirmation.—Petite marraine d’un grand port.—Majeure.—Le sommeil d’une reine appartient à l’État.—La reine et son premier ministre.—Premier conseil privé.—Dans la cour de Saint-James Palace.—Les ancêtres de la reine. | 1 |
| II Apprentissage de reine. | |
| Bon terrain de culture.—L’âme de la nation.—L’influence de Lord Melbourne.—Les 100.000 Irlandais de Daniel O’Connell.—Au tour d’un autre.—Constitution hypocrite.—De l’air.—L’affaire des Dames de la chambre à coucher.—Une reine à la tâche.—Ça ne vaut pas la mort d’un homme.—Gigot haricots.—Do... do... ré... si..... do ré...—Un drawing-room, baisera, baisera pas.—Mistress Langtry redresse ses plumes.—Tendons les reins.—Plus besoin de dollars.—Les singeries du Black Rod.—Retenez vos numéros.—L’or et les lords.—Reine ou femme? Femme.—Un monarque sans Cour est un meuble inutile. | 30 |
| III Sur la chaise d’Édouard le Confesseur. | |
| 70.000 livres sterling à dépenser.—Les pieds humides.—De Buckingham Palace à Westminster Abbey en passant par Whitehall.—Hipp! hipp! hourrah!—Le passé et l’avenir.—La chaise d’Édouard le Confesseur.—L’oreiller de Jacob.—Les diamants d’Esterhazy.—Soult et Wellington.—Le rite veut que le contenant soit plus petit que le contenu.—Tous coiffés.—Aux uns la joue, aux autres la main.—Médailles à la volée.—Dash aboie. | 54 |
| IV La Maison de la Reine. | |
| Ce que coûte à la nation la reine, la famille royale et le mari de la reine.—L’incohérence de la Tour de Babel.—L’aventure d’un ministre français très pressé.—Les emplois à la Cour et les sinécures.—Les écuries de Pimlico.—Gants à six boutons.—Victoria ne sait pas s’habiller.—C’est à qui ne veut pas de cadeaux.—Ce que coûtent à l’État les révérences du Black Rod et les dithyrambes du poète-lauréat.—L’ordre de préséance. | 64 |
| V La Cour de Saint-James. | |
| Le vieux Saint-James.—Les merry wives of Windsor.—L’assainissement.—Les Mémoires d’un vieil Anglais parisiennant.—Reine et Empereur.—Le thé sous la feuillée.—A la table royale.—Les Veomen de la Garde du corps.—La partie de whist.—Le coriza de la comtesse de Bunsen.—Les petits cheveux de la princesse de Galles.—Les divorcées.—L’oreiller de peau du vieux duc de Cambridge.—No smoking.—Le mot de Napoléon III.—La loi des contrastes. | 77 |
| VI A la conquête d’une autre couronne. | |
| Nemours, Cumberland ou Cambridge? Saxe-Cabourg-Gotha.—Premier voyage du prince Albert en Angleterre.—Le manuscrit de Voltaire et la rose des Alpes.—Deuxième voyage.—La reine arrête son choix.—Déclaration à l’Anglaise.—Le doigt du vieux Léopold et de son alter ego le baron de Stockmar.—La situation du prince Albert discutée à la Chambre des lords.—Un mari aux enchères.—Les délégués de la nation anglaise à Gotha.—Douloureuse séparation.—Mal de mer.—L’arrivée à Buckingham Palace.—Le serment luthérien.—La couronne de myrthes.—Noce et lune de miel. | 94 |
| VII Les palais de la reine. | |
| I.—BUCKINGHAM PALACE | |
| Histoire du palais.—La première tasse de thé bue en Angleterre.—Visite à travers les salons.—Souvenirs et curiosités.—Superbe collection artistique.—L’investiture de Napoléon III comme chevalier de l’Ordre de la Jarretière.—Les mémoires tristes du palais. | 108 |
| II.—WINDSOR CASTLE | |
| Guillaume le Conquérant veut un château.—Édouard III a trouvé un moyen de s’en construire un plus grand.—Le parc.—La terrasse.—La forêt.—Les appartements privés de la reine.—Les appartements d’apparat.—La salle de Waterloo.—Jean de France et Louis-Philippe.—Les étendards de Crécy et de Waterloo. | 109 |
| VIII Les Homes de la Reine. | |
| I.—OSBORNE HOUSE | |
| Le manoir d’Eustache Mann.—Les attentions de l’époux et du père la famille.—Le cottage suisse et ses neuf jardinets.—A la cuisine des princesses royales.—La chambre indienne.—Vertus domestiques. | 132 |
| II.—BALMORAL CASTLE | |
| Sur les bords de la Dee.—Magnifique panorama.—La vie dans les montagnes.—Idylles et jours tragiques.—La dépêche du Zululand.—Au milieu de ses souvenirs. | 133 |
| IX La Reine Victoria épouse. | |
| Épouse et camarade.—Attentions et prévenances.—En vedette.—Le titre de roi-consort.—Dans le lac.—Dorlottée.—Tout meurt avec lui.—Convois, statues, mémorials.—Dernier portrait. | 155 |
| X La Reine Victoria mère. | |
| Les neuf enfants de la reine.—Leurs aptitudes diverses.—Tête d’homme et cœur de femme.—Le sang anglais de Guillaume II.—Le charpentier et le ménétrier de la Cour.—La future belle-mère de Nicolas II de Russie.—Bois-sec.—L’élève de Mrs Thornicroft.—Le tambour orageux.—Le prince savant.—La petite vieille.—Principes d’éducation.—L’appréciation d’un attaché à Osborne.—Les sports.—Mère éclairée.—Le sacrifice de Benjamin. | 162 |
| XI La Reine Victoria et ses domestiques. | |
| L’attachement de la reine pour ses vieux serviteurs.—John Brown.—Sa brutale franchise.—Le caractère.—La reine à l’enterrement du père de Brown.—Brown la quitte.—La reine honore en lui le modèle des serviteurs. | 175 |
| XII La Reine Victoria chez ses sujets. | |
| Comment la reine s’invite chez les autres.—Partout maîtresse.—Coucher de bonne heure.—Croquis et souvenirs. | 188 |
| XIII Comment la Reine voyage. | |
| Le train royal.—Sa composition.—Le jour d’un départ.—En voiture, les voyageurs.—Voici la reine.—Partir.—La surveillance de la voie.—De Portsmouth à Cowes par mer.—Un voyage sur le Continent.—Jacquot à destination.—Coquetterie patriotique de la reine des Mers. | 192 |
| XIV La Reine Victoria et ses chiens. | |
| L’amour des bêtes.—La ménagerie royale.—La maternité à Hampton Court.—On ne vieillit pas sous les harnais royaux.—Le musée des chiens de Windsor Park.—La véranda de la reine.—Thermes de chiens.—La liste des grands favoris.—On ne passe pas, même au nom de la reine.—Schopenhauer a raison.—Le proscrit de Mendelssohn.—Amour platonique.—Le pauvre Sanger.—Empereur et Jacquot; grandeur et décadence. | 205 |
| XV La Reine Victoria propriétaire. | |
| La plus riche propriétaire du Royaume-Uni.—Les dettes du duc de Kent.—Principales propriétés de Victoria.—Les bons conseils de lord Sydney et de lord Cross.—La reine et ses métayers.—Trop cher pour ses moyens.—Un autographe de la reine aux enchères.—Prodigue ou avare de son effigie, suivant les cas.—Les fermes et leurs produits.—Les legs de ses admirateurs.—Son portefeuille de mines d’or.—Fils prodigues. | 216 |
| XVI La Reine Victoria artiste et écrivain. | |
| Croquis et aquarelles.—La peinture à la Cour.—La copie de la nature.—Tous modèles.—Victoria au piano.—Son chant.—Une lettre de Mendelssohn.—Victoria écrivain.—Protectrice des arts. | 223 |
| XVII Attentats contre la Reine Victoria. | |
| Les sept attentats contre la reine.—Oxford, Francis, Bean, Hamilton, le capitaine Peter, Arthur O’Connor, Roderick Maclean.—Un accident de voiture dans les Highlands.—Mot de la reine.—Le naufrage de Misletoe. | 237 |
| XVIII Les voyages de la Reine. | |
| Première visite de la reine au château d’Eu.—Les banquets champêtres dans la forêt.—On reparle du Camp du Drap d’or.—L’équipage se mutine.—Le mariage du duc de Montpensier.—Voyage en Belgique.—Visite au roi de Prusse.—Lavage des rues à l’eau de Cologne.—Le Rhin en feu.—Bonn.—Gotha.—Deuxième visite à Eu.—L’Opéra-Comique en plein vent.—Revue du camp de Boulogne.—Napoléon III et l’impératrice Eugénie à Windsor.—La reine à Paris, Saint-Cloud et Versailles.—Bal à l’Hôtel de Ville.—Bismark est présenté à la reine.—La revue du Champ-de-Mars.—Devant le cercueil de Napoléon Ier.—Chasse en forêt de Saint-Germain.—Au revoir.—Visite à Cherbourg.—A bord de la Bretagne.—A la Grande-Chartreuse.—La reine ne veut plus venir en France. | 246 |
| XIX Jubilés d’or et de diamant. | |
| Cinquante ans de règne.—L’Inde célèbre le jubile de sa Kaiseri-hind.—Le plus ébloui n’est pas celui qu’on pense.—La province veut en être.—Du jubilé, on en a mis partout.—Onze heures sonnant.—Les princes indiens et leurs diamants.—Le cortège royal.—Le succès du futur empereur Frédéric.—Sur la chaise d’Édouard le Confesseur.—La musique de l’absent.—Les sanglots de la reine.—Garden-party et banquet.—L’Irlande s’insurge.—La pose de la première pierre de l’Impérial Institute.—Soixante ans de règne.—Le plus long règne de l’histoire du Royaume-Uni. | 268 |
| XX | |
| Le Règne de Victoria. | 279 |
Paris.—Imp. PAUL DUPONT, 4, rue du Bouloi Cl. 197.3.1900.
NOTES:
[A] Sorte de petite pyramide élevée en souvenir d’une personne ou d’un événement de sa vie.
[B] Forêt de Saxe.