La San-Felice, Tome 02
XXXII
UN TABLEAU DE LÉOPOLD ROBERT
Nous laisserons Hector Caraffa suivre les sentiers des montagnes; et, dans l'espérance d'arriver avant lui, nous prendrons, avec la permission de nos lecteurs, la grande route de Naples à Rome, celle-là même qu'a prise notre ambassadeur, Dominique-Joseph Garat; et, sans nous arrêter au camp de Sessa, où manoeuvrent les troupes du roi Ferdinand; sans nous arrêter à la tour de Castellone de Gaete, faussement appelée le tombeau de Cicéron; sans nous arrêter même à la voiture de notre ambassadeur, qui, au galop de ses quatre chevaux, descend rapidement la pente de Castellone, nous la précéderons à Itri, où Horace, dans son voyage à Brindes, a soupé de la cuisine de Capiton et couché chez Murena.
Murena præbente domum, Capitone culinam.
Aujourd'hui, c'est-à-dire à l'époque où nous y conduisons nos lecteurs, la petite ville d'Itri n'est plus l'urbs Mamurrarum; elle ne compte plus au nombre de ses quatre mille cinq cents habitants des hommes qui aient atteint la célébrité du fameux jurisconsulte romain ou du beau-frère de Mécène.
D'ailleurs, nous n'avons pas de cuisine à y faire, pas d'hospitalité à y demander; il s'agit tout simplement d'une halte de quelques heures chez le maître charron de la localité, où notre ambassadeur, grâce au mauvais chemin dans lequel il est engagé, ne tardera point à nous rejoindre.
La maison de don Antonio della Rota—ainsi nommé, à la fois à cause de la noblesse de son origine, qu'il prétend remonter aux Espagnols, et de la grâce avec laquelle il fait prendre au frêne et à l'orme le plus rebelle la forme d'une roue,—est située, dans une prévoyance qui fait honneur à l'intelligence de son propriétaire, à deux pas de la maison de poste et en face de l'hôtel del Riposo d'Orazio, enseigne qui indique la prétention—nous parlons pour l'hôtel—d'être situé sur l'emplacement même de la maison de Murena. Don Antonio della Rota avait pensé, avec beaucoup de sagacité, qu'en se logeant près de la poste, où étaient forcés de relayer les voyageurs, et en face de l'hôtel où, attirés par leurs souvenirs classiques, ils prenaient leurs rafraîchissements, aucune des voitures disloquées par ces fameux chemins où Ferdinand lui-même se rappelait avoir versé deux fois, ne pouvait échapper à sa juridiction.
Et, en effet, don Antonio, grâce à l'incurie des inspecteurs des grandes routes de Sa Majesté Ferdinand, faisait d'excellentes affaires; nos lecteurs ne s'étonneront donc point d'entendre, en entrant chez lui, en signe de joyeuse humeur, les sons du tambourin national, mêlés à ceux de la guitare espagnole.
Au reste, outre la disposition habituelle à la gaieté que donne à tout industriel la prospérité croissante de sa maison, don Antonio avait, ce jour-là, un motif particulier d'allégresse: il mariait sa fille Francesca à son premier ouvrier Peppino, auquel, en se retirant des affaires, il comptait laisser son établissement; aussi, traversons l'allée sombre qui perce la maison d'une façade à l'autre, et jetons un coup d'oeil sur la cour et sur le jardin, et nous verrons qu'autant la façade officielle, c'est-à-dire celle de la rue, est grave, déserte et silencieuse, autant la façade opposée est joyeuse, brillante et peuplée.
Cette partie de la propriété de don Antonio dans laquelle nous pénétrons, se compose d'une terrasse avec balustrade, descendant par un escalier de six marches dans une cour dont le sol est formé d'une espèce de terre glaise, servant, à l'époque de la moisson, d'aire à battre le blé; cette cour et cette terrasse ne font qu'une immense tonnelle, couvertes qu'elles sont par des rameaux de vigne partant des arbres voisins et venant se rattacher à la maison, contre laquelle ils continuent de grimper en tapissant sa façade blanchie à la chaux, façade dont leurs verts festons, ainsi que l'ombre qu'ils projettent, adoucissent par des demi-teintes, mouvantes à chaque souffle du vent, la teinte trop crue de la muraille, laquelle, grâce à cette collaboration de la nature, s'harmonise admirablement avec les tuiles rouges du toit, qui se découpent en vives arêtes sur l'azur foncé du ciel; le soleil jette sur tout cela les chaudes teintes d'une des premières matinées d'automne, et, pénétrant à travers les interstices du feuillage si serré qu'il soit, marbre de plaques dorées les dalles de la terrasse et le sol battu de la cour.
Au delà s'étend le jardin, c'est-à-dire une plantation de peupliers irrégulièrement semés et se rattachant les uns aux autres par de longs cordages de vigne auxquels se balancent des grappes de raisin à faire honneur à la terre promise; ces grappes, d'un pourpre foncé, sont si nombreuses, que chaque passant se croit le droit d'en détacher du cep ce qu'il lui faut pour satisfaire sa gourmandise ou étancher sa soif, tandis que les grives, les merles et les moineaux francs détachent de leur côté les grains des grappes comme les passants les grappes de l'arbre; quelques poules qui courent çà et là dans la plantation sous l'oeil dominateur d'un coq grave et presque immobile, prennent leur part de la curée, soit en ramassant les graines qui tombent, soit en sautant jusqu'aux grappes inférieures, auxquelles elles restent parfois pendues par le bec, tant elles les attaquent avec voracité. Mais qu'importe ce monde de larrons, de maraudeurs et de parasites à cette luxuriante nature! il en restera toujours assez pour faire une vendange suffisant aux besoins de l'année suivante; la Providence a été tout particulièrement inventée pour les âmes inactives et les esprits insoucieux.
Au delà du jardin sont les premières rampes de ces montagnes apennines, lesquelles, dans l'antiquité, abritaient ces rudes pasteurs samnites qui firent passer les légions de Posthumus sous le joug, et ces Marses invincibles que les Romains hésitaient à combattre et recherchaient pour alliés depuis deux mille ans; c'est là que se réfugie et se maintient, à chaque commotion politique qui secoue la plaine ou les vallées, la sauvage et hostile indépendance des brigands.
Et maintenant que nous avons levé la toile sur le théâtre, mettons en scène les acteurs.
Ils se divisent en trois groupes.
Les hommes qui s'intitulent raisonnables, non point parce que la raison leur est venue, mais parce que la jeunesse les a quittés, assis sur la terrasse, autour d'une table couverte de bouteilles au long cou et au ventre garni de paille, forment le premier groupe, présidé par maître Antonio della Rota.
Les jeunes gens et les jeunes filles, dansant la tarentelle ou plutôt des tarentelles présidées par Peppino et Francesca, c'est-à-dire par les deux fiancés qui vont devenir époux, forment le second groupe.
Le troisième enfin se compose des trois musiciens de l'orchestre; un de ces musiciens racle une guitare, les deux autres battent du tambour de basque; le racleur de guitare est assis sur la dernière marche de l'escalier qui relie la terrasse à la cour; les deux autres sont restés debout à ses côtés pour conserver la liberté de leurs mouvements et pouvoir, à certains moments, frapper, en manière de points d'orgue, leurs tambourins, du coude, de la tête et du genou.
Ces trois groupes ont pour unique spectateur un jeune homme de vingt à vingt-deux ans, assis, ou plutôt accoudé, sur un mur à demi écroulé appartenant en mitoyenneté à la maison de don Antonio et à la maison du bourrelier Giansimone, son compère et son voisin, de sorte que l'on ne saurait dire si ce jeune homme est chez le bourrelier ou chez le charron.
Ce spectateur, tout immobile qu'il demeure, et tout indifférent qu'il semble, est sans doute un sujet d'inquiétude pour don Antonio, pour Francesca et pour Peppino; car, de temps en temps, leurs regards se portent sur lui avec une expression qui signifie qu'ils aimeraient autant cet incommode voisin loin que près, absent que présent.
Comme les autres personnages que nous venons de faire passer sous les yeux de nos lecteurs ne sont que des comparses, ou à peu près, dans notre drame, et que ce jeune homme seul y doit jouer un rôle d'une certaine importance, c'est de lui particulièrement que nous allons nous occuper.
Ainsi que nous l'avons dit, c'est un garçon de vingt à vingt-deux ans, bien découplé; il a les cheveux blonds, presque roux, de grands yeux bleu-faïence d'une intelligence remarquable, et, dans certains moments, d'une férocité inouïe; son teint, qui dans sa jeunesse n'a point été exposé aux intempéries de l'air, laisse transparaître quelques taches de rousseur; son nez est droit; ses lèvres minces, en se relevant aux deux coins, découvrent deux rangées de dents petites, blanches et aiguës comme celles d'un chacal; ses moustaches et sa barbe naissantes sont de couleur fauve; enfin, pour achever le portrait de cet étrange jeune homme, moitié paysan, moitié citadin, il y a, dans son allure, dans ses vêtements et jusque dans le chapeau à larges bords placé près de lui, quelque chose qui dénonce l'ex-séminariste.
C'est le cadet de trois frères du nom de Pezza; plus faible que ses deux aînés, qui sont valets de charrue, ses parents, en effet, l'ont d'abord destiné à l'Église: la grande ambition d'un paysan de la Terre de Labour, des Abruzzes, de la Basilicate ou des Calabres est d'avoir un enfant dans les ordres. En conséquence, son père l'a mis à l'école à Itri, et, quand il a su lire et écrire, a obtenu pour lui du curé de l'église Saint-Sauveur la place de sacristain.
Tout a bien été pour lui jusqu'à l'âge de quinze ans, et l'onction avec laquelle l'enfant servait la messe, l'air béat dont il balançait l'encensoir aux processions, l'humilité avec laquelle il secouait la sonnette en accompagnant le viatique, lui avaient attiré toutes les sympathies des âmes dévotes, qui, anticipant sur l'avenir, lui avaient d'avance donné le titre de fra Michele, auquel il s'était, de son côté, habitué à répondre; mais le passage de l'adolescence à la virilité produisait probablement sur le jeune chierico7 un changement physique qui ne tarda point à réagir sur le moral; on le vit se rapprocher des plaisirs dont il s'était tenu éloigné jusque-là; sans qu'il se mêlât aux danseurs, on le vit regarder d'un oeil d'envie ceux qui avaient une belle danseuse; on le rencontra un soir sous les peupliers, un fusil à la main, poursuivant les grives et les merles; une nuit, on entendit les sons d'une guitare inexpérimentée sortir de sa chambre; s'appuyant de l'exemple du roi David, qui avait dansé devant l'arche, il fit, un dimanche, sans trop de gaucherie, son début dans la tarentelle, flotta encore un an entre le désir pieux de ses parents et sa vocation mondaine; enfin, à l'heure même où il atteignait sa dix-huitième année, il annonça qu'après avoir consciencieusement consulté ses goûts et ses penchants, il renonçait décidément à l'Église et réclamait sa place dans la société et sa part des pompes et des oeuvres de Satan. C'était juste le contraire de ce que font les néophytes qui abjurent le monde et renoncent à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres.
En conséquence de ces idées, fra Michele demanda à entrer chez maître Giansimone comme garçon bourrelier, prétendant que sa véritable vocation, vocation de laquelle il avait dévié en passant par l'Église, l'entraînait irrésistiblement vers la confection des bâts de mulet et des colliers de cheval.
Ce fut un grand chagrin pour la famille Pezza, qui perdait sa plus chère espérance, celle d'avoir un de ses membres curé, ou tout au moins capucin ou carme; mais fra Michele manifesta son désir avec tant de netteté, qu'il fallut consentir à tout ce qu'il voulait.
Quant à Giansimone, chez lequel le sacristain désirait transporter son domicile, il n'y avait, dans ce désir, rien que de flatteur pour son amour-propre. Fra Michele n'était point précisément le pieux aspirant au ciel que son nom indiquait; mais ce n'était pas non plus un mauvais garçon. Dans deux ou trois circonstances seulement, où les torts n'étaient point de son côté, il avait montré les dents et fermé carrément les poings; en outre, un jour où son adversaire avait tiré un couteau de sa ceinture, fra Michele, qu'il avait probablement cru prendre sans vert, en avait tiré un de sa poche et s'en était escrimé de telle façon, que personne ne lui avait plus proposé le même jeu; en outre, peu après, sournoisement, comme il faisait tout,—ce qui était peut-être une suite de son éducation cléricale,—il s'était formé tout seul à la danse, était devenu, à ce que l'on assurait, sans que personne pût cependant en donner la preuve, un des meilleurs tireurs de la ville, et grattait enfin si doucement et si harmonieusement sa guitare, quoiqu'on ne lui connût pas de maître, que, lorsqu'il se livrait à cet exercice, la fenêtre ouverte, les jeunes filles, pour peu qu'elles eussent l'oreille musicale, s'arrêtaient avec plaisir sous sa fenêtre.
Mais, parmi les jeunes filles d'Itri, une seule avait le privilége d'arrêter les regards du jeune chierico, et c'était justement celle-là qui seule, parmi toutes ses compagnes, paraissait insensible à la guitare de fra Michele.
Cette insensible était Francesca, la fille de don Antonio.
Aussi, nous qui, en notre qualité d'historien et de romancier, savons sur Michele Pezza, bien des choses que ses concitoyens eux-mêmes ignorent encore, n'hésiterons-nous point à dire que ce qui avait principalement déterminé notre héros dans le choix de l'état de bourrelier, et surtout dans le choix de Giansimone pour son maître, c'était le voisinage de sa maison avec celle de don Antonio, et surtout la mitoyenneté de ce mur à moitié ruiné qui, à peu de chose près, et surtout pour un gaillard aussi agile que l'était fra Michele, faisait des deux jardins un seul enclos, et nous avancerons avec la même certitude que, si, au lieu d'être bourrelier, maître Giansimone eût été tailleur ou serrurier, pourvu qu'il eût exercé un état dans la même localité, fra Michele se serait senti, pour la taille des habits ou le maniement de la lime, une vocation égale à celle qu'il s'était sentie pour rembourrer des bâts et piquer des colliers.
Le premier à qui le secret que nous venons de divulguer apparut clairement fut don Antonio: la ténacité avec laquelle le jeune bourrelier, son ouvrage fini, se tenait à la fenêtre donnant sur la terrasse, la cour et le jardin du charron, parut à celui-ci un fait qui méritait toute son attention; il examina la direction des regards de son voisin; ces regards, vagues et sans expression en l'absence de Francesca, devenaient, du moment que celle-ci entrait en scène, d'une fixité et d'une éloquence qui, depuis longtemps, n'avaient plus laissé de doutes à Francesca, sur le sentiment qu'elle avait inspiré, et qui bientôt n'en laissèrent plus à son père.
Il y avait à peu près six mois que fra Michele était entré en apprentissage chez Giansimone, lorsque don Antonio fit cette découverte; la chose ne l'inquiétait pas beaucoup à l'endroit de sa fille, qu'il avait consultée et qui lui avait avoué qu'elle n'avait rien contre Pezza, mais qu'elle aimait Peppino.
Comme cet amour entrait dans les vues de don Antonio, il y applaudit de tout son coeur; mais, jugeant néanmoins que l'indifférence de Francesca n'était point une assez sûre défense contre les entreprises du jeune chierico, il résolut d'y ajouter son éloignement; la chose lui paraissait la plus facile du monde: de charron à bourrelier, il n'y a que la main; d'ailleurs, don Antonio et Giansimone étaient non-seulement voisins, mais compères, ce qui, dans l'Italie méridionale surtout, est un grand lien; il alla donc trouver Giansimone, lui exposa la situation et lui demanda, comme une preuve d'amitié qu'il ne pouvait lui refuser, de mettre fra Michele à la porte; Giansimone trouva la demande du père de sa filleule parfaitement juste et lui promit de la satisfaire à la première occasion de mécontentement que lui donnerait son apprenti.
Mais ce fut comme un fait exprès; on eût dit que fra Michele, comme Socrate, avait un génie familier qui le conseillait. A partir de ce moment, le jeune homme, qui n'était qu'un bon apprenti, devint un apprenti excellent; Giansimone cherchait vainement un reproche à lui faire, il n'y avait point à le reprendre sur son assiduité: il devait à son patron huit heures de travail par jour, et il lui en donnait souvent huit et demie, neuf quelquefois. Il n'y avait point à le reprendre sur les défectuosités de son ouvrage: il faisait chaque jour de tels progrès dans son état, que la seule observation que Giansimone eût pu lui faire, c'est que les pratiques commençaient à préférer les pièces confectionnées par l'ouvrier à celles qui l'étaient par le maître. Il n'y avait point à le reprendre sur sa conduite: aussitôt sa tâche terminée, fra Michele montait à sa chambre, n'en descendait plus que pour souper, et, le souper fini, il y remontait jusqu'au lendemain matin. Giansimone pensa bien à l'entreprendre sur son goût pour la guitare et à lui déclarer que les vibrations de cet instrument lui agaçaient horriblement les nerfs; mais, de lui-même, le jeune homme cessa d'en jouer dès qu'il s'aperçut que celle-là seule pour laquelle il en jouait ne l'écoutait pas.
Tous les huit jours, don Antonio se plaignait à son compère de ce qu'il n'avait pas encore mis son apprenti à la porte, et, à chaque plainte de son compère, Giansimone répondait que ce serait pour la semaine suivante; mais la semaine suivante s'écoulait, et le dimanche retrouvait fra Michele à sa fenêtre, plus assidu à chaque dimanche nouveau qu'il ne l'avait été le dimanche précédent.
Enfin, poussé à bout par don Antonio, Giansimone se détermina à signifier un beau matin à son apprenti qu'ils devaient se séparer, et cela le plus tôt possible.
Fra Michele se fit répéter deux fois cette signification de congé; puis, fixant son oeil clair et résolu sur l'oeil trouble et vague de son patron:
—Et pourquoi devons-nous nous séparer? lui demanda-t-il.
—Bon! répliqua le bourrelier en essayant de faire de la dignité, voilà que tu m'interroges? L'apprenti interroge le maître!
—C'est mon droit, répondit tranquillement fra Michele.
—Ton droit, ton droit!... répéta le bourrelier étonné.
—Sans doute; quand nous avons fait un contrat ensemble...
—Nous n'avons pas fait de contrat, interrompit Giansimone, je n'ai rien signé.
—Nous n'en avons pas moins fait un contrat ensemble: pour faire un contrat, il n'est pas besoin de papier, de plume et d'encre; entre honnêtes gens, la parole suffit.
—Entre honnêtes gens, entre honnêtes gens!... murmura le bourrelier.
—N'êtes-vous pas un honnête homme? demanda froidement fra Michele.
—Si fait, pardieu! répondit Giansimone.
—Eh bien, alors, si nous sommes d'honnêtes gens, je le répète, il y a contrat entre nous, un contrat qui dit que je dois vous servir comme apprenti; que vous, de votre côté, vous devez m'apprendre votre état, et qu'à moins que je ne vous donne des sujets de mécontentement, vous n'avez pas le droit de me renvoyer de chez vous.
—Oui; mais, si tu me donnes des sujets de mécontentement? Ah!...
—Vous en ai-je donné?
—Tu m'en donnes à chaque instant.
—Lesquels?
—Lesquels, lesquels!...
—Je vais vous aider à les trouver, s'il y en a. Suis-je un paresseux?
—Je ne puis pas dire cela.
—Suis-je un tapageur?
—Non.
—Suis-je un ivrogne?
—Ah! pour cela, tu ne bois que de l'eau.
—Suis-je un débauché?
—Il ne te manquerait plus que cela, malheureux!
—Eh bien, n'étant ni un débauché, ni un ivrogne, ni un tapageur, ni un paresseux, quels sujets de mécontentement puis-je donc vous donner?
—Il y a incompatibilité d'humeur entre nous.
—Incompatibilité d'humeur entre nous? dit-il. Voilà la première fois que nous ne sommes pas du même avis; d'ailleurs, dites-moi mes défauts de caractère, je les corrigerai.
—Ah! tu ne diras point que tu n'es pas entêté, j'espère?
—Parce que je ne veux pas m'en aller de chez vous!
—Tu avoues donc que tu ne veux pas t'en aller de chez moi?
—Certainement que je ne veux pas.
—Et si je te chasse?
—Si vous me chassez, c'est autre chose.
—Tu t'en iras, alors?
—Oui; mais, comme vous aurez commis envers moi une injustice que je n'aurai pas méritée, vous m'aurez fait une insulte que je ne vous pardonnerai pas...
—Eh bien? demande Giansimone.
—Eh bien, dit le jeune homme sans hausser la voix d'une note, mais en regardant plus fermement et plus fixement que jamais Giansimone, aussi vrai que je m'appelle Michele Pezza, je vous tuerai.
—Il le ferait comme il le dit, s'écria le bourrelier en faisant un bond en arrière.
—Vous en êtes bien convaincu, n'est-ce pas? répondit fra Michele.
—Ma foi, oui.
—Il vaut donc mieux, mon cher patron, puisque vous avez eu la chance de trouver un apprenti qui n'est point débauché, qui n'est point ivrogne, qui n'est point paresseux, qui vous respecte de toute son âme et de tout son coeur; il vaut donc mieux que vous alliez de vous-même dire à don Antonio que vous êtes trop honnête homme pour chasser de chez vous un pauvre garçon dont vous n'avez qu'à vous louer. Est-ce convenu ainsi?
—Ma foi, oui, dit Giansimone, c'est ce qui me paraît, en effet, le plus juste.
—Et le plus prudent, ajouta le jeune homme avec une légère teinte d'ironie. Ainsi donc, c'est convenu, n'est-ce pas?
—Quand on te dit que oui.
—Votre main?
—La voilà.
Fra Michele serra cordialement la main de son patron et se remit à l'ouvrage, aussi calme que si rien ne se fût passé.
XXXIII
FRA MICHELE
Le lendemain, qui était un dimanche, Michele Pezza s'habilla, selon son habitude, pour aller entendre la messe, devoir auquel il n'avait pas manqué une seule fois depuis qu'il s'était refait laïque. A l'église, il rencontra son père et sa mère, les salua pieusement, les reconduisit chez eux la messe dite, leur demanda leur agrément, qu'il obtint, pour épouser la fille de don Antonio, si par hasard celui-ci la lui accordait; puis, afin de n'avoir rien à se reprocher, il se présenta chez don Antonio dans l'intention de demander Francesca en mariage.
Don Antonio était avec sa fille et son futur gendre, et, à l'entrée de Michele Pezza, son étonnement fut grand. Le compère Giansimone n'avait point osé lui raconter ce qui s'était passé entre lui et son apprenti; il lui avait, comme toujours, dit de prendre patience et qu'il verrait à le satisfaire dans le courant de la semaine suivante.
A la vue de fra Michele, la conversation s'interrompit si brusquement, qu'il fut facile au nouvel arrivant de deviner qu'il était question d'affaires de famille dont on ne comptait aucunement lui faire part.
Pezza salua avec beaucoup de politesse les trois personnes qu'il trouvait réunies, et demanda à don Antonio la faveur de lui adresser quelques paroles en particulier.
Cette faveur lui fut accordée en rechignant; le descendant des conquérants espagnols se demandait s'il ne courait point quelque danger à demeurer en tête-à-tête avec son jeune voisin, dont il était loin cependant de soupçonner le caractère résolu.
Il fit signe à Francesca et à Peppino de se retirer.
Peppino offrit son bras à Francesca et sortit avec elle en riant au nez de fra Michele.
Pezza ne souffla point le mot, ne fit pas un signe de mécontentement, pas un geste de menace, quoiqu'il lui semblât être mordu par plus de vipères que don Rodrigue dans son tonneau.
—Monsieur, dit-il à don Antonio, aussitôt que la porte se fut refermée sur le couple heureux qui probablement à cette heure raillait impitoyablement le pauvre amoureux, inutile de vous dire, n'est-ce pas, que j'aime votre fille Francesca?
—Si c'est inutile, répliqua en goguenardant don Antonio, alors, pourquoi le dis-tu?
—Inutile pour vous, monsieur, mais non pour moi qui viens vous la demander en mariage.
Don Antonio éclata de rire.
—Je ne vois rien à rire là dedans, monsieur, dit Michele Pezza sans s'emporter le moins du monde; et, vous parlant sérieusement, j'ai le droit d'être écouté sérieusement.
—En effet, quoi de plus sérieux? dit le charron en continuant de railler. M. Michele Pezza fait à don Antonio l'honneur de lui demander sa fille en mariage!
—Je ne crois pas, monsieur, vous faire particulièrement honneur, à vous, répliqua Pezza conservant le même sang-froid; je crois l'honneur réciproque, et vous allez me refuser ma demande, je le sais bien.
—Pourquoi t'exposes-tu à un refus, alors?
—Pour mettre ma conscience en repos.
—La conscience de Michele Pezza! fit don Antonio en éclatant de rire.
—Et pourquoi, répliqua le jeune homme avec le même sang-froid, pourquoi Michele Pezza n'aurait-il pas une conscience comme don Antonio? Comme don Antonio, il a deux bras pour travailler, deux jambes pour marcher, deux yeux pour voir, une langue pour parler, un coeur pour aimer et haïr. Pourquoi n'aurait-il pas, comme don Antonio, une conscience pour lui dire: «Ceci est bien, ceci est mal?»
Ce sang-froid auquel il ne s'attendait point de la part d'un si jeune homme dérouta entièrement le charron; cependant, s'attachant au vrai sens des paroles de Michele Pezza:
—Mettre ta conscience en repos, ajouta-t-il; ce qui veut dire que, si je te refuse ma fille, il arrivera quelque malheur.
—Probablement, répondit Michele Pezza avec le laconisme d'un Spartiate.
—Et quel malheur arrivera-t-il? demanda le charron.
—Dieu seul et la sorcière Nanno le savent! dit Pezza; mais il arrivera un malheur, attendu que, moi vivant, Francesca ne sera jamais la femme d'un autre.
—Tiens, va-t'en! tu es fou.
—Je ne suis pas fou, mais je m'en vais.
—C'est bien heureux! murmura don Antonio.
Michele Pezza fit quelques pas vers la porte; mais, à mi-chemin, il s'arrêta.
—Vous me voyez partir si tranquillement, dit-il, parce que vous comptez qu'un jour ou l'autre, sur votre demande, votre compère Giansimone me mettra à la porte de chez lui, comme vous venez de me mettre à la porte de chez vous.
—Hein? fit don Antonio étonné.
—Détrompez-vous! nous nous sommes expliqués et je resterai chez lui tant qu'il me fera plaisir d'y rester.
—Ah! le malheureux! s'écria don Antonio, il m'avait cependant promis...
—Ce qu'il ne pouvait pas tenir... Vous avez le droit de me mettre à la porte de chez vous, et je ne vous en veux pas de m'y mettre, parce que je suis un étranger; mais il n'en avait pas le droit, lui, parce que je suis son apprenti.
—Eh bien, après? dit don Antonio se redressant. Que tu restes ou ne restes pas chez le compère, peu importe! nous sommes chacun chez nous; seulement, je te préviens, à mon tour, après les menaces que tu viens de me faire, que, si désormais je te trouve chez moi, ou te vois, de jour ou de nuit, rôder dans mon bien, comme je connais par toi-même tes mauvaises intentions, je te tue comme une bête enragée.
—C'est votre droit, mais je ne m'y exposerai pas; maintenant, réfléchissez.
—Oh! c'est tout réfléchi.
—Vous me refusez la main de Francesca?
—Plutôt deux fois qu'une.
—Même dans le cas où Peppino y renoncerait?
—Même dans le cas où Peppino y renoncerait.
—Même dans le cas où Francesca consentirait à me prendre pour mari?
—Même dans le cas où Francesca consentirait à te prendre pour mari.
—Et vous me renvoyez sans avoir la charité de me laisser le moindre espoir?
—Je te renvoie en te disant: Non, non, non.
—Songez, don Antonio, que Dieu punit, non pas les désespérés, mais ceux qui les ont poussés au désespoir.
—Ce sont les gens d'Église qui prétendent cela.
—Ce sont les gens d'honneur qui l'affirment. Adieu, don Antonio; que Dieu vous fasse paix!
Et Michele Pezza sortit.
A la porte du charron, il rencontra deux ou trois jeunes gens d'Itri auxquels il sourit comme d'habitude.
Puis il rentra chez Giansimone.
Il était impossible, en voyant son visage si calme, de penser, de soupçonner même qu'il fût un de ces désespérés dont il parlait un instant auparavant.
Il monta à sa chambre et s'y enferma; seulement, cette fois, il ne s'approcha point de la fenêtre; il s'assit sur son lit, appuya ses deux mains sur ses genoux, laissa tomber sa tête sur sa poitrine, et de grosses larmes silencieuses coulèrent de ses yeux le long de ses joues.
Il était depuis deux heures dans cette immobilité, muet et pleurant, lorsqu'on frappa à sa porte.
Il releva la tête, s'essuya vivement les yeux et écouta.
On frappa une seconde fois.
—Qui frappe? demanda-t-il.
—Moi, Gaetano.
C'était la voix et le nom d'un de ses camarades; Pezza n'avait point d'amis.
Il s'essuya les yeux une seconde fois et alla ouvrir la porte.
—Que me veux-tu, Gaetano? demanda-t-il.
—Je voulais te demander si tu ne serais pas disposé à faire, sur la promenade de la ville, une partie de boules avec les amis? Je sais bien que ce n'est pas ton habitude; mais j'ai pensé qu'aujourd'hui...
—Et pourquoi jouerais-je plutôt aujourd'hui aux boules que les autres jours?
—Parce que, aujourd'hui, ayant du chagrin, tu as plus besoin de distraction que les autres jours.
—J'ai du chagrin aujourd'hui, moi?
—Je le présume; on a toujours du chagrin quand on est véritablement amoureux et qu'on vous refuse la femme que l'on aime.
—Tu sais donc que je suis amoureux?
—Oh! quant à cela, toute la ville le sait.
—Et tu sais que l'on m'a refusé celle que j'aimais?
—Certainement, et de bonne source, c'est Peppino qui nous l'a dit.
—Et comment vous a-t-il dit cela?
—Il a dit: «Fra Michele est venu demander Francesca en mariage à don Antonio, et il a emporté une veste.»
—Il n'a rien ajouté?
—Si fait; il a ajouté que, si la veste ne te suffisait pas, il se chargerait de te donner la culotte, ce qui te ferait le vêtement complet.
—Ce sont ses paroles?
—Je n'y change pas une syllabe.
—Tu as raison, dit Michele Pezza après un moment de silence, pendant lequel il s'était assuré que son couteau était bien dans sa poche, j'ai besoin de distraction; allons jouer aux boules.
Et il sortit avec Gaetano.
Les deux compagnons descendirent d'un pas rapide mais calme, qui au reste était plutôt réglé par Gaetano que par Michele, la grande rue conduisant à Fondi; puis ils appuyèrent à gauche, c'est-à-dire du côté de la mer, vers une double allée de platanes qui servait de promenade aux gens raisonnables d'Itri, et de gymnase aux enfants et aux jeunes gens. Là, vingt groupes divers jouaient à vingt jeux différents, mais particulièrement à ce jeu qui consiste à se rapprocher le plus possible d'une petite boule avec de grosses boules.
Michele et Gaetano tournèrent autour de cinq ou six de ces groupes avant de reconnaître celui où Peppino faisait sa partie; enfin ils aperçurent l'ouvrier charron au milieu du groupe le plus éloigné de la promenade; Michele marcha directement à lui.
Peppino, qui, courbé vers la terre, discutait sur un coup, en se redressant, aperçut Pezza.
—Tiens, dit-il en tressaillant malgré lui sous la gerbe d'éclairs que lançaient les yeux de son rival, c'est toi, Michele!
—Comme tu vois, Peppino; cela t'étonne?
—Je croyais que tu ne jouais jamais aux boules.
—C'est vrai, je n'y joue pas.
—Que viens-tu faire ici, alors?
—Je viens chercher la culotte que tu m'as promise.
Peppino tenait dans sa main droite la petite boule qui sert de but aux joueurs et qui était de la grosseur d'un boulet de quatre; devinant dans quelle intention hostile Michele venait à lui, il prit son élan et, de toute la vigueur de son bras, lui lança le projectile.
Michele, qui n'avait pas perdu de vue un des mouvements de Peppino, et qui, à l'altération de sa physionomie, avait deviné son intention, se contenta d'incliner la tête. Le boulet de bois, lancé avec la force d'une catapulte, passa en sifflant à deux doigts de sa tempe, et alla se fendre en dix éclats contre la muraille.
Pezza ramassa un caillou.
—Je pourrais, comme le jeune David, dit-il, te briser la tête avec un caillou, et je ne ferais que te rendre ce que tu as voulu me faire; mais, au lieu de te le mettre au milieu du front, comme fit David au Philistin Goliath, je me contenterai de te le mettre au milieu de ton chapeau.
Le caillou partit en sifflant et enleva le chapeau de la tête de Peppino en le traversant de part en part comme eût fait une balle de fusil.
—Et, maintenant, continua Pezza fronçant les sourcils et serrant les dents, les braves ne se battent pas de loin avec du bois et des pierres.
Il tira son couteau de sa poche.
—Ils se battent de près et le fer à la main.
Puis, s'adressant aux jeunes gens qui regardaient cette scène si intéressante pour eux, parce qu'elle était dans les moeurs du pays, et se présentait rarement avec de tels symptômes d'hostilité:
—Regardez, vous autres, dit-il, et, témoins que Peppino a été l'agresseur, soyez en même temps juges de ce qui va se passer.
Et il s'avança sur Peppino, dont il était séparé par une vingtaine de pas et qui l'attendait le fer à la main.
—A combien de pouces de fer nous battons-nous? demanda Peppino8.
—A toute la lame, répondit Pezza. De cette façon, il n'y aura pas moyen de tricher.
—Au premier ou au second sang? demanda Peppino.
—A mort! répondit Pezza.
Ces mots, comme des éclairs sinistres, s'étaient croisés au milieu d'un silence sépulcral.
Chaque combattant dépouilla sa veste et la roula autour du bras gauche, pour s'en faire un bouclier; puis Peppino et Michele marchèrent l'un contre l'autre.
Les spectateurs formaient un cercle au milieu duquel se trouvèrent isolés les deux adversaires; le même silence continua, car on comprit qu'il allait se passer quelque chose de terrible.
Si jamais deux natures furent opposées, c'étaient celles de ces deux rivaux: l'une était toute musculaire, l'autre était toute nerveuse; l'un devait combattre à la manière du taureau, l'autre, à la manière du serpent.
Peppino attendit Michele, replié sur lui-même, la tête dans les épaules, les deux bras en avant, le sang au visage et en injuriant son adversaire.
Michele s'avança lentement, silencieusement, pâle jusqu'à la lividité; ses yeux, bleu verdâtre, semblaient avoir la fascination de ceux du boa.
On sentait dans le premier le courage brutal uni à la force musculaire; on devinait dans le second une puissance de volonté invincible et suprême.
Michele était visiblement le plus faible et probablement le moins adroit; mais, chose étrange, si les paris eussent été dans les moeurs des spectateurs, les trois quarts eussent parié pour lui.
Les premiers coups se perdirent, soit dans l'air, soit dans les plis des vestes; les deux lames se croisaient comme des dards de vipères qui jouent.
Tout à coup, la main droite de Peppino se couvrit de sang: du tranchant de son couteau, Michele lui avait ouvert les quatre doigts.
Ce dernier fit un bond en arrière pour donner le temps à son adversaire de changer son couteau de main, s'il ne pouvait plus se servir de sa main droite.
En refusant toute grâce pour lui, Michele avait interdit à son adversaire d'en demander aucune.
Peppino prit son couteau entre ses dents, banda avec son mouchoir sa main droite blessée, changea sa veste de bras et reprit son couteau de la main gauche.
Pezza, sans doute, ne voulut pas conserver sur son adversaire un avantage que celui-ci avait perdu, il changea donc son couteau de main comme lui.
Au bout d'une demi-minute, Peppino avait reçu une seconde blessure au bras gauche.
Il poussa un rugissement, non de douleur, mais de rage; il commençait à entrevoir le dessein de son ennemi: Pezza voulait le désarmer, non le tuer.
En effet, de sa main droite devenue libre et qui n'avait rien perdu de sa force, Pezza saisit le poignet gauche de Peppino et l'enveloppa de ses doigts longs, minces et nerveux, comme d'une tenaille à plusieurs branches.
Peppino essaya de dégager son poignet de l'étreinte qui paralysait son arme dans sa main et laissait à son ennemi toute liberté de lui plonger dix fois, s'il l'eût voulu, son couteau dans la poitrine; tout fut inutile, la liane triomphait du chêne.
Le bras de Peppino s'engourdissait, le couteau de son adversaire avait ouvert une veine, et, par cette ouverture, le blessé perdait à la fois sa force et son sang; au bout de quelques secondes, ses doigts, énervés par la pression, se détendirent et laissèrent tomber le couteau.
—Ah! fit Pezza indiquant par cette joyeuse exclamation qu'il était enfin arrivé au résultat qu'il poursuivait.
Et il mit le pied sur le couteau.
Peppino, désarmé, comprit qu'il n'avait plus qu'une ressource: il s'élança sur son adversaire et l'enveloppa de ses bras nerveux, mais blessés et sanglants.
Loin de refuser ce nouveau genre de combat, dans lequel on eût pu croire qu'il allait être étouffé comme Antée, Pezza, pour indiquer que son intention n'était pas de profiter de la situation, mit son couteau entre ses dents et saisit à son tour son adversaire à bras-le-corps.
Alors, tout ce que la force peut multiplier d'efforts, tout ce que l'adresse peut suggérer de ruses fut employé par les deux lutteurs; seulement, au grand étonnement des spectateurs, Peppino, qui, dans ce genre d'exercice, avait vaincu tous ses jeunes compagnons, excepté Pezza avec lequel il n'avait jamais lutté, Peppino paraissait être destiné, comme dans le combat précédent, à avoir le dessous.
Tout à coup, les deux lutteurs, comme deux chênes frappés de la foudre, perdirent pied et roulèrent sur le sol. Pezza avait réuni toutes ses forces, que rien n'avait diminuées, et, d'une secousse terrible à laquelle Peppino était loin de s'attendre de la part d'un si chétif ennemi, il avait déraciné son adversaire et était tombé sur lui.
Avant que les spectateurs fussent revenus de leur étonnement, Peppino était couché sur le dos, et Pezza lui tenait le couteau sur la gorge et le genou sur la poitrine.
Les dents de Pezza grincèrent de joie.
—Messieurs, dit-il, tout s'est-il passé loyalement et de franc jeu?
—Loyalement et de franc jeu, dirent les spectateurs à l'unanimité.
—La vie de Peppino est-elle bien à moi?
—Elle est à toi.
—Est-ce ton avis, Peppino? demanda Pezza en faisant sentir au vaincu la pointe de son couteau.
—Tue-moi! tu en as le droit, murmura ou plutôt râla Peppino d'une voix étranglée.
—M'aurais-tu tué, si tu m'eusses tenu comme je te tiens?
—Oui; mais je ne t'aurais pas fait languir.
—Donc, tu conviens que ta vie est à moi?
—J'en conviens.
—Bien à moi?
—Oui.
Pezza se pencha à son oreille, et, à voix basse:
—Eh bien, lui dit-il, je te la rends, ou plutôt je te la prête; seulement, le jour où tu épouseras Francesca, je te la reprendrai, tu entends?
—Ah! misérable! s'écria Peppino, tu es le démon en personne! et ce n'est pas fra Michele qu'il faut t'appeler, c'est fra Diavolo!
—Appelle-moi comme tu voudras, dit Pezza; mais souviens-toi que ta vie m'appartient et que, le cas que tu sais échéant, je ne te demanderai pas la permission de te la reprendre.
Et il se releva, essuya le sang de son couteau à la manche de sa chemise, et, le remettant tranquillement dans sa poche:
—Maintenant, continua-t-il, tu es libre, Peppino, et personne ne t'empêche plus de reprendre ta partie de boules.
Et il s'éloigna lentement, saluant de la tête et de la main ses jeunes compagnons, qu'il laissait abasourdis et se demandant ce qu'il avait pu dire à Peppino qui maintint celui-ci immobile et à demi soulevé de terre, dans l'attitude du gladiateur blessé.
XXXIV
LOQUE ET CHIFFE
On comprend que, malgré la menace de Pezza, Peppino n'en persista pas moins dans ses projets de mariage avec Francesca; personne n'avait entendu ce que Michele lui avait dit tout bas; mais, en le voyant renoncer à la main de Francesca, dont on savait Michele Pezza amoureux, tout le monde l'eût deviné.
La noce devait avoir lieu entre la moisson et les vendanges, et l'événement que nous venons de raconter s'était passé vers la fin du mois de mai.
Juin, juillet et août s'écoulèrent sans que rien révélât les intentions tragiques annoncées par Pezza à son rival.
Le 7 septembre, qui était un dimanche, le curé annonça au prône, pour le 23 septembre, le mariage de Francesca et de Peppino.
Les deux fiancés étaient à la messe, et Pezza à quelques pas d'eux. Peppino regarda Pezza au moment où le prêtre fit cette annonce, à laquelle Pezza ne parut pas faire plus d'attention que s'il ne l'eût point entendue; seulement, au sortir de l'église, Pezza s'approcha de Peppino, et, assez bas pour qu'elles parvinssent à celui-là seul auquel elles étaient adressées, il lui dit ces paroles:
—C'est bien! tu as encore dix-huit jours à vivre.
Peppino tressaillit de telle façon, que Francesca, qui était à son bras, se retourna avec inquiétude: elle vit Michele Pezza, qui la salua en s'éloignant.
Depuis que Pezza, dans son duel avec Peppino, avait donné à celui-ci deux coups de couteau, Pezza continuait de saluer Francesca, mais Francesca ne le saluait plus.
Le dimanche suivant, la publication des bancs qui, comme on sait, se renouvelle trois fois, fut répétée par le prêtre. Au même endroit que le dimanche précédent, Michele Pezza s'approcha de Peppino, et, de la même voix menaçante et calme tout ensemble, il lui dit:
—Tu as encore dix jours à vivre.
Le dimanche suivant, même publication, même menace; seulement, comme huit jours s'étaient écoulés, ce n'étaient plus que deux jours d'existence qui étaient accordés par Pezza à Peppino.
Ce 23 septembre tant craint et tant désiré tout à la fois arriva: c'était un mercredi. Après une nuit d'orage, le jour, comme nous l'avons dit dans un de nos précédents chapitres, s'était levé magnifique, et, le mariage devant avoir lieu à onze heures du matin, les conviés, amis de don Antonio, amis et amies de Peppino et de Francesca, s'étaient réunis à la maison de la fiancée, où la noce devait se faire et dont l'hôte principal avait clos sa boutique pour transporter le repas sur la terrasse et la fête dans la cour et le jardin.
Cette terrasse, cette cour et ce jardin, ruisselants de soleil, teintés d'ombre, retentissaient de cris joyeux. Nous avons essayé de les peindre en montrant les vieillards buvant sur la terrasse, les jeunes gens dansant au son des tambours et de la guitare, les musiciens groupés, l'un assis, les autres debout sur les marches de la terrasse, le tout dominé par ce spectateur immobile et sombre accoudé sur le mur mitoyen, tandis que le paysan, couché sur sa charrette chargée de paille, prolonge dans des improvisations sans fin, ce chant lent et criard, particulier aux contadini des provinces napolitaines, et que poules, grives, merles et moineaux francs pillent gaiement les treilles courant de peuplier en peuplier, dans l'enclos qui, sous le nom de jardin, s'étend de la cour au pied de la montagne.
Et, maintenant que nous avons levé le rideau sur le passé, nos lecteurs comprennent pourquoi don Antonio, Francesca et surtout Peppino regardent de temps en temps avec inquiétude ce jeune homme qu'ils n'ont point le droit de chasser du mur mitoyen sur lequel il est accoudé, et de la douceur du tempérament duquel leur répond, sans pouvoir les rassurer tout à fait, le compère Giansimone, qui, depuis le jour mémorable où il a eu maille à partir avec lui, ne lui ayant jamais reparlé de quitter la maison, n'a jamais eu qu'à se louer de son caractère.
Onze heures et demie sonnèrent, juste au moment où l'une des tarentelles les plus animées venait de finir.
Le dernier vagissement du timbre était à peine éteint, qu'un bruit bien connu de don Antonio lui succéda: c'était celui des grelots des chevaux de poste, du roulement sourd et pesant d'une voiture et les cris de deux postillons appelant don Antonio d'une voix de basse qui eût fait honneur à un gran'cartello du théâtre Saint-Charles.
A ce triple bruit, le digne charron et toute l'honorable société comprirent que, selon son habitude, le chemin de Castellone à Itri avait fait des siennes et qu'il lui arrivait de la besogne qu'il partageait parfois avec le chirurgien de l'endroit, les voitures et les voyageurs rompant, la plupart du temps, les voitures leurs roues ou leurs essieux, et les voyageurs leurs bras ou leurs jambes du même coup.
Mais celui qui venait et pour lequel on réclamait les bons soins de don Antonio, par bonheur ne s'était rien rompu, et il réclamait le charron pour sa voiture sans avoir besoin de chirurgien pour lui.
Ce fut, au reste, une certitude que l'on acquit quand, à ces mots d'un des postillons: «Venez vite, don Antonio, c'est pour un voyageur très-pressé,» Antonio ayant répondu: «Tant pis pour lui s'il est pressé, on ne travaille pas aujourd'hui,» on vit, à l'extrémité de l'allée donnant sur la cour, apparaître ce voyageur en personne, qui demanda:
—Et pourquoi, s'il vous plaît, citoyen Antonio, ne travaille-t-on pas aujourd'hui?
Le digne charron, mal disposé à cause du moment où on le demandait, plus mal disposé encore par ce titre de citoyen, dont la substitution à son titre de noblesse lui paraissait blessante, allait répondre par quelque brutalité, comme c'était sa noble habitude, lorsqu'en jetant les yeux sur le voyageur, il reconnut que c'était un trop grand personnage pour le traiter avec son sans façon ordinaire.
Et, en effet, le voyageur qui surprenait don Antonio au milieu de sa fête de famille n'était autre que notre ambassadeur, parti de Naples, vers le milieu de la nuit, et qui, n'ayant pas voulu permettre aux postillons, tant il était pressé de sortir du royaume des Deux-Siciles, de ralentir leur course à la descente de Castellone, avait brisé une des roues de derrière de sa voiture, en traversant un des nombreux ruisseaux qui coupent la grande route et vont se jeter dans le petit fleuve sans nom qui la côtoie.
Il résultait de cet accident qu'il avait été forcé, si pressé qu'il fût d'arriver à la frontière romaine, de faire la dernière demi-lieue à pied; ce qui donnait un nouveau mérite au calme avec lequel il avait demandé: «Et pourquoi, s'il vous plaît, citoyen, Antonio, ne travaille-t-on pas aujourd'hui?»
—Excusez-moi, mon général, répondit, en faisant un pas vers le voyageur, don Antonio, qui, à son costume guerrier, prenait le citoyen Garat pour un militaire, et qui pensait que, pour courir la poste à quatre chevaux, il fallait au moins qu'un militaire fût général, je ne savais pas avoir l'honneur de parler à un haut personnage comme paraît être Votre Excellence; car alors j'eusse répondu, non pas: «On ne travaille point aujourd'hui,» mais: «On ne travaille que dans une heure.»
—Et pourquoi ne peut-on travailler tout de suite? demanda le voyageur de son ton le plus conciliant et qui annonçait que, s'il ne s'agissait que d'un sacrifice d'argent, il était prêt à le faire.
—Parce que voilà la cloche qui sonne, Votre Excellence, et que, fût-ce pour raccommoder la voiture de Sa Majesté le roi Ferdinand, que Dieu garde, je ne ferai pas attendre M. le curé.
—En effet, dit le voyageur en regardant autour de lui, je crois que je suis tombé dans une noce.
—Justement, Votre Excellence.
—Et, demanda le voyageur sur le ton d'une bienveillante interrogation, cette belle fille qui se marie?
—C'est ma fille.
—Je vous en fais mon compliment. Pour l'amour de ses beaux yeux, j'attendrai.
—Si Votre Excellence veut nous faire l'honneur de venir à l'église avec nous, peut-être cela lui fera-t-il paraître le temps moins long; M. le curé débitera un très-beau sermon.
—Merci, mon ami, j'aime mieux rester ici.
—Eh bien, restez; et, à notre retour, vous boirez un verre de vin de ces vignes-là à la santé de la mariée; cela lui portera bonheur, et nous n'en travaillerons que mieux après.
—C'est convenu, mon brave. Et combien cela va-t-il durer, votre cérémonie?
—Ah! trois quarts d'heure, une heure tout au plus. Allons, les enfants, à l'église!
Chacun s'empressa d'exécuter l'ordre donné par don Antonio, qui s'était constitué pour toute la journée maître des cérémonies, excepté Peppino, qui resta en arrière et qui bientôt se trouva seul avec Michele Pezza.
—Voyons, Pezza, lui dit-il en s'avançant vers lui la main ouverte et le sourire sur les lèvres, bien que ce sourire fût peut-être un peu forcé, il s'agit aujourd'hui d'oublier nos vieilles rancunes et de faire une paix sincère.
—Tu te trompes, Peppino, reprit Pezza: il s'agit de te préparer à paraître devant Dieu, voilà tout.
Puis, se dressant debout sur le mur:
—Fiancé de Francesca, lui dit-il solennellement, tu as encore une heure à vivre!
Et, s'élançant dans le jardin de Giansimone, il disparut derrière le mur.
Peppino regarda autour de lui, et, voyant qu'il était seul, il fit le signe de la croix, en disant:
—Seigneur! Seigneur! je remets mon âme entre vos mains.
Puis il alla rejoindre sa fiancée et son beau-père, qui étaient déjà sur le chemin de l'église.
—Comme tu es pâle! lui dit Francesca.
—Puisses-tu, dans une heure, lui répondit-il, ne pas être plus pâle encore que je ne le suis maintenant!
L'ambassadeur, auquel il restait pour toute distraction pendant son heure d'attente, le plaisir de regarder passer les habitants d'Itri allant à leurs plaisirs ou à leurs affaires, suivit des yeux le cortége jusqu'à ce qu'il l'eût vu disparaître à l'angle de la rue qui conduisait à l'église.
En reportant son regard du côté opposé avec ce vague de l'homme qui attend et qui s'ennuie d'attendre, il crut, à son grand étonnement, apercevoir des uniformes français à l'extrémité de la rue de Fondi, c'est-à-dire faisant route opposée à celle qu'il venait de faire, et allant, par conséquent, de Rome à Naples.
Ces uniformes étaient portés par un brigadier et quatre dragons qui escortaient une voiture de voyage dont la marche, quoique en poste, était réglée, non pas sur celle des chevaux qui la traînaient, mais sur celle des chevaux qui l'escortaient.
Au reste, la curiosité du citoyen Garat allait être promptement satisfaite: la voiture et son escorte venaient à lui et ne pouvaient échapper à son investigation, soit que la voiture se contentât de changer de chevaux à la poste, soit que les voyageurs qu'elle renfermait fissent une halte à l'hôtel, puisque la poste était la première maison à sa droite, et l'hôtel la maison en face de lui.
Mais il n'eut pas même besoin d'attendre cette halte; en l'apercevant, en reconnaissant l'uniforme d'un haut fonctionnaire de la République, le brigadier mit son cheval au galop, précéda la voiture de cent ou cent cinquante pas, et s'arrêta devant l'ambassadeur en portant la main à son casque et en attendant d'être interrogé.
—Mon ami, lui dit l'ambassadeur avec son affabilité ordinaire, je suis le citoyen Garat, ambassadeur de la République à Naples, ce qui me donne le droit de vous demander quelles sont les personnes renfermées dans cette voiture de voyage que vous escortez.
—Deux vieilles ci-devant en assez mauvais état, mon ambassadeur, répondit le brigadier, et un ci-devant qui, lorsqu'il leur parle, les appelle princesses.
—Les connaissez-vous par leurs noms?
—L'une s'appelle madame Victoire et l'autre madame Adélaïde.
—Ah! ah! fit l'ambassadeur.
—Oui, continua le brigadier, il paraît qu'elles étaient tantes du feu tyran que l'on a guillotiné; au moment de la Révolution, elles se sont sauvées en Autriche; puis, de Vienne, elles sont venues à Rome; à Rome, elles ont eu peur quand la République est venue, comme si la République faisait la guerre à ces vieux bonnets de nuit-là! De Rome, elles eussent bien voulu se sauver comme elles s'étaient sauvées de Paris et de Vienne; mais il paraît qu'il y avait une troisième soeur, la plus vieille, une décrépite que l'on appelait madame Sophie: elle est tombée malade, les autres n'ont pas voulu la quitter, ce qui était bien de leur part. Au bout du compte, elles ont donc demandé un permis de séjour au général Berthier... Mais je vous embête avec tout mon bavardage, n'est-ce pas?
—Non, mon brave, au contraire, et ce que tu me racontes m'intéresse beaucoup.
—Soit! Alors, vous n'êtes pas difficile à intéresser, mon ambassadeur. Je disais donc qu'une semaine après l'arrivée du général Championnet, qui m'envoyait tous les deux jours prendre des nouvelles de la malade, la malade étant morte et enterrée, les deux autres soeurs ont demandé à quitter Rome et à se rendre à Naples, où elles ont des parents dans une bonne position, à ce qu'il paraît; mais elles avaient peur d'être arrêtées comme suspectes le long de la route; alors, le général Championnet m'a dit: «Brigadier Martin, tu es un homme d'éducation, tu sais parler aux femmes; tu vas prendre quatre hommes et tu vas accompagner jusqu'au delà des frontières ces deux vieilles créatures, qui sont des filles de France, après tout. Ainsi, brigadier Martin, toute sorte d'égards, tu entends; ne leur parle qu'à la troisième personne et la main au casque, comme à des supérieurs.—Mais, citoyen général, lui ai-je répondu, si elles ne sont que deux, comment pourrai-je parler à la troisième personne?» Le général s'est mis à rire de la bêtise qu'il venait de dire, et il m'a répondu: «Brigadier Martin, tu es encore plus fort que je ne croyais; elles sont trois, mon ami; seulement, la troisième est un homme, c'est leur chevalier d'honneur; on l'appelle le comte de Châtillon.—Citoyen général, lui ai-je répondu, je croyais qu'il n'y avait plus de comtes?—Il n'y eu a plus en France, c'est vrai, a-t-il répliqué à son tour; mais, à l'étranger et en Italie, il y en a encore quelques-uns par-ci par-là.—Et moi, général, dois-je l'appeler comte ou citoyen, le Châtillon?—Appelle-le comme tu voudras; mais je crois que tu lui feras plus de plaisir, ainsi qu'aux personnes qu'il accompagne, si tu l'appelles monsieur le comte que si tu l'appelles citoyen; et, comme cela ne tire pas à conséquence et ne fait de tort à personne, tu peux lui dire monsieur le comte gros comme le bras.» Ainsi ai-je agi tout le long du chemin; et, en effet, cela a paru faire plaisir aux pauvres vieilles dames qui ont dit: «Voilà un garçon bien élevé, mon cher comte. Comment t'appelles-tu, mon ami?» J'avais envie de leur répondre qu'en tout cas j'étais mieux élevé qu'elles, puisque, moi, je ne tutoyais pas leur comte et qu'elles me tutoyaient; mais je me suis contenté de leur répondre: «C'est bon, c'est bon, je m'appelle Martin.» De sorte que, tout le long de la route, quand elles ont eu quelque chose à demander, c'est à moi qu'elles se sont adressées: «Martin par-ci, Martin par-là;» mais vous comprenez bien, citoyen ambassadeur, que cela ne tire point à conséquence, puisque la plus jeune des deux a soixante-neuf ans.
—Et jusqu'où Championnet vous a-t-il ordonné de les conduire?
—Jusqu'au delà de la frontière, et même plus loin si elles le désiraient.
—C'est bien, citoyen brigadier, tu as rempli tes instructions, puisque tu as franchi la frontière et que tu es même venu deux postes au delà; d'ailleurs, il y aurait danger à aller plus loin.
—Pour moi ou pour elles?
—Pour toi.
—Oh! si ce n'est que cela, citoyen ambassadeur, vous savez, ça ne fait rien. Le brigadier Martin connaît le danger, il a été plus d'une fois son camarade de lit.
—Mais ici le danger est inutile et pourrait avoir de graves résultats; tu vas donc signifier à tes deux princesses que ton service près d'elles est fini.
—Elles vont jeter les hauts cris, je vous en préviens, citoyen ambassadeur. Mon Dieu! les pauvres filles, que vont-elles devenir sans leur Martin? Vous voyez, elles se sont aperçues que je n'étais plus auprès d'elles, et les voilà qui me cherchent avec des yeux tout effarés.
En effet, pendant cette conversation ou pendant ce récit,—car le peu de paroles qu'avait prononcées le citoyen Garat n'avaient été placées dans le discours du brigadier Martin que comme des points d'interrogation,—la voiture des vieilles princesses s'était arrêtée devant l'hôtel del Riposo d'Orazio, et, les pauvres filles voyant leur protecteur engagé dans une conversation des plus animées avec un personnage revêtu du costume des hauts fonctionnaires républicains, elles avaient eu peur que quelque complot ne se tramât à l'endroit de leur sûreté ou que contre-ordre ne fût donné à leur voyage; voilà pourquoi, avec un air d'anxiété qui flattait infiniment l'amour-propre du brigadier, elles appelaient de leur voix la plus tendre leur chef d'escorte Martin.
Martin, sur un signe du citoyen Garat, et tandis que celui-ci, pour s'épargner un colloque embarrassant, rentrait dans l'allée du charron et allait s'asseoir sur la terrasse déserte, Martin se rendait à la portière du carrosse, et, la main au casque, comme l'y avait invité Championnet, transmettait aux royales voyageuses l'invitation, qu'il venait de recevoir d'un supérieur, de retourner à Rome.
Comme l'avait fort judicieusement pensé le brigadier Martin, cette notification jeta un grand trouble dans l'esprit des vieilles filles; elles se consultèrent, elles consultèrent leur chevalier d'honneur, et le résultat de cette double consultation fut que celui-ci irait s'informer, près de l'inconnu à l'habit bleu et au panache tricolore, des motifs qui pouvaient empêcher le brigadier Martin et ses quatre hommes d'aller plus loin.
Le comte de Châtillon descendit de voiture, suivit le chemin qu'il avait vu prendre au fonctionnaire républicain, et, en arrivant à l'autre bout de l'allée, le trouva assis sur la terrasse de don Antonio et suivant des yeux machinalement, et sans le voir peut-être, un jeune homme qui, au moment où il était entré, sautait du mur mitoyen dans le jardin du charron et traversait ce jardin dans toute sa longueur, un fusil sur l'épaule.
C'était chose si simple dans ce pays d'indépendance, où tout homme marche armé et où les clôtures ne semblent être faites que pour exercer l'agilité des passants, que l'ambassadeur ne parut prêter qu'une médiocre attention à ce fait, attention d'ailleurs dont il fut aussitôt distrait par l'apparition du comte de Châtillon.
Le comte s'avança vers lui; le citoyen Garat se leva.
Garat, fils d'un médecin d'Ustaritz, avait reçu une éducation distinguée, était lettré, ayant vécu dans l'intimité des philosophes et des encyclopédistes, et ayant, par ses différents éloges de Suger, de M. de Montausier et de Fontenelle, obtenu des prix académiques.
C'était un homme du monde, avant tout élégant parleur et ne se servant du vocabulaire jacobin que dans les occasions d'apparat et lorsqu'il ne pouvait faire autrement.
En voyant le comte de Châtillon venir à lui, il se leva et fit la moitié du chemin.
Les deux hommes se saluèrent avec une courtoisie qui sentait bien plus son Louis XV que son Directoire.
—Dois-je dire monsieur ou citoyen? demanda le comte de Châtillon en souriant.
—Dites comme vous voudrez, monsieur le comte; cela me sera toujours un honneur de répondre aux questions que vous venez probablement me faire de la part de Leurs Altesses royales.
—A la bonne heure! dit le comte; au milieu de ces pays sauvages, je suis heureux de rencontrer un homme civilisé. Je venais donc, au nom de Leurs Altesses royales, puisque vous me permettez de conserver ce titre aux filles du roi Louis XV, vous demander, non point à titre de reproche, mais comme renseignement essentiel à leur tranquillité, quelle est la volonté ou l'obstacle qui s'oppose à ce qu'elles conservent jusqu'à Naples l'escorte que le général Championnet a eu l'obligeance de leur donner.
Garat sourit.
—Je comprends très-bien la différence qu'il y a entre le mot obstacle et le mot volonté, monsieur le comte, et je vais vous répondre de manière à vous prouver que l'obstacle existe, et que, s'il y a volonté en même temps, cette volonté est plutôt bienveillante que mauvaise.
—Commençons par l'obstacle alors, fit en s'inclinant le comte.
—L'obstacle, le voici, monsieur: depuis hier minuit, il y a déclaration de guerre entre le royaume des Deux-Siciles et la république française; il en résulte qu'une escorte composée de cinq ennemis serait plutôt, vous devez le comprendre, pour Leurs Altesses royales un danger qu'une protection. Quant à la volonté, qui est la mienne, et que vous voyez maintenant ressortir naturellement de l'obstacle, elle est de ne point exposer les illustres voyageuses à subir des insultes et leur escorte à être assassinée. A demande catégorique, ai-je répondu catégoriquement, monsieur le comte?
—Si catégoriquement, monsieur, que je serais heureux que vous consentissiez à répéter à Leurs Altesses royales, ce que vous venez de me faire l'honneur de me dire.
—Ce serait avec grand plaisir, monsieur le comte, mais un sentiment de délicatesse que vous apprécieriez, j'en suis sûr, s'il vous était connu, me prive, à mon grand regret, de l'honneur de leur présenter mes hommages.
—Avez-vous quelque motif de tenir ce sentiment secret?
—Aucun, monsieur; je crains seulement que ma présence ne leur soit désagréable.
—Impossible.
—Je sais à qui j'ai l'honneur de parler, monsieur; vous êtes le comte de Châtillon, chevalier d'honneur de Leurs Altesses royales, et c'est un avantage que j'ai sur vous, car vous ne savez pas qui je suis.
—Vous êtes, je puis le certifier, monsieur, un homme du monde et de parfaite courtoisie.
—Et c'est pour cela, monsieur, que j'ai été choisi par la Convention pour avoir le fatal honneur de lire au roi Louis XVI sa sentence de mort.
Le comte de Châtillon fit un bond en arrière, comme s'il se fût trouvé tout à coup en face d'un serpent.
—Mais, alors, vous êtes le conventionnel Garat? s'écria-t-il.
—Lui-même, monsieur le comte; vous voyez, si mon nom fait cet effet sur vous qui n'étiez point parent, que je sache, du roi Louis XVI, quel effet il produirait sur ces pauvres princesses, qui étaient ses tantes. Il est vrai, ajouta l'ambassadeur avec son fin sourire, qu'elles n'aimaient guère leur neveu de son vivant; mais, aujourd'hui, je sais qu'elles l'adorent; la mort est comme la nuit: elle porte conseil.
M. le comte de Châtillon salua et alla reporter le résultat de la conversation qu'il venait d'avoir à mesdames Victoire et Adélaïde.
XXXV
FRA DIAVOLO
Les deux vieilles princesses qu'avait été chargé de protéger le brigadier Martin, et près desquelles retournait le comte de Châtillon, tout effaré d'avoir vu en face, non-seulement un régicide, mais encore celui-là même qui avait lu à Louis XVI son arrêt de mort, les deux vieilles princesses, disons-nous, ne sont pas tout à fait de nouvelles connaissances pour ceux de nos lecteurs qui sont quelque peu familiarisés avec nos oeuvres; ils les ont vues apparaître, plus jeunes de trente ans, dans notre livre de Joseph Balsamo, non-seulement sous les noms par lesquels nous venons de les désigner, mais encore sous le sobriquet moins poétique de Loque et de Chiffe, que dans sa familiarité paternelle, leur donnait le roi Louis XV.
Nous avons vu que la troisième, la princesse Sophie, que son royal géniteur, pour ne point dépareiller la trilogie de ses filles, avait baptisée du nom harmonieux de Graille, était morte à Rome, et, par sa maladie, avait retardé le départ de ses deux soeurs, et que, de cette façon, le hasard avait fait que leur passage à Itry avait coïncidé avec celui de l'ambassadeur français dans la même ville.
La chronique scandaleuse de la cour avait toujours respecté madame Victoire, que l'on assurait avoir, toute sa vie, été de moeurs irréprochables; mais, comme il leur faut toujours une victime expiatoire, les mauvaises langues s'étaient rabattues sur madame Adélaïde; celle-ci, en effet, passait pour avoir été l'héroïne d'une aventure passablement scandaleuse, dans laquelle le héros était son propre père. Quoique Louis XV ne fût point un patriarche et que je doute, si Dieu eût brûlé la moderne Sodome, qu'il l'eût fait prévenir comme Loth par un de ses anges d'abandonner à temps la ville maudite, cette aventure, non point dans ses détails, mais dans le fond, passait pour avoir eu son antécédent dans la famille du Chananéen Loth, qui, on s'en souvient, devint, par un oubli déplorable des liens de famille, le père de Moab et d'Ammon; l'oubli du roi Louis XV et de sa fille madame Adélaïde avait été de moitié moins fécond, et il en était résulté seulement un enfant du sexe masculin, né à Colorno, dans le grand-duché de Parme, et devenu, sous le nom de comte Louis de Narbonne, un des cavaliers les plus élégants, mais en même temps un des cerveaux les plus vides de la cour du roi Louis XVI; madame de Staël, qui, à la retraite de son père, M. de Necker, avait perdu la présidence du conseil, mais qui avait gardé une certaine influence, l'avait fait nommer, en 1791, ministre de la guerre, et, se trompant, sinon à la valeur morale et intellectuelle de ce beau cavalier, avait tenté de lui introduire un peu de son génie dans la tête et un peu de son coeur dans la poitrine; elle échoua; il eût fallu un géant pour dominer la situation, et M. de Narbonne était un nain, ou, si vous voulez, un homme ordinaire: la situation l'écrasa.
Décrété d'accusation le 10 août, il passa le détroit et alla rejoindre à Londres les princes émigrés, mais sans jamais tirer l'épée contre la France. Fils impuissant à la sauver, il eut le mérite du moins de ne point chercher à la perdre.
Lorsque les trois vieilles princesses décidèrent de quitter Versailles, ce fut M. de Narbonne qui fut chargé de tous les préparatifs de leur fuite; elle eut lieu le 21 janvier 1791, et l'un des derniers discours de Mirabeau, un des plus beaux, fut prononcé à ce sujet et eut pour texte: De la liberté d'émigration.
Nous avons vu, dans le récit du brigadier Martin, comment Leurs Altesses avaient successivement habité Vienne et Rome, et comment, reculant devant la République, qui, après avoir envahi le nord, envahissait le midi de l'Italie, elles avaient décidé d'aller trouver les parents en bonne position qu'elles avaient dans le royaume de Naples.
Ces parents en bonne position, mais qui ne devaient point tarder à se trouver en mauvaise position, étaient le roi Ferdinand et la reine Caroline.
Comme l'avait présumé le brigadier Martin, la nouvelle que le comte de Châtillon reportait aux deux princesses les troubla fort; l'idée de continuer leur route sans autre escorte que celle de leur chevalier d'honneur, qui cependant, pour ménager les nerfs des deux pauvres filles, leur avait caché le voisinage du terrible conventionnel, n'avait, en effet, rien de bien rassurant. Elles étaient au plus violent de leur désespoir, lorsqu'un domestique de l'hôtel frappa respectueusement à la porte et avertit M. le comte de Châtillon qu'un jeune homme, arrivé depuis la veille, demandait la faveur de lui dire quelques mots.
Le comte de Châtillon sortit et rentra presque aussitôt, annonçant à Mesdames que le jeune homme en question était un soldat de l'armée de Condé, porteur d'une lettre de M. le comte Louis de Narbonne, adressée à Leurs Altesses royales, mais plus particulièrement à madame Adélaïde.
Les deux choses sonnaient bien aux oreilles des deux princesses: d'abord le titre de soldat de l'armée de Condé, ensuite la recommandation de M. le comte de Narbonne.
On fit entrer le porteur de la lettre.
C'était un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, blond de barbe et de cheveux, agréable de visage, frais et rose comme une femme; il était proprement vêtu sans être vêtu élégamment; sa manière de se présenter, quoique n'étant pas exempte d'une certaine roideur contractée sous l'uniforme, annonçait une bonne naissance et une certaine habitude du monde.
Il salua respectueusement de la porte les deux princesses. M. de Châtillon lui désigna de la main madame Adélaïde; il fit trois pas dans la chambre, mit un genou en terre et tendit la lettre à la vieille princesse.
—Lisez, Châtillon, lisez, dit madame Adélaïde; je ne sais pas ce que j'ai fait de mes lunettes.
Et elle fit, avec un gracieux sourire, signe au jeune homme de se relever.
M. de Châtillon lut la lettre, et, se retournant vers les princesses:
—Mesdames, leur dit-il, cette lettre est, en effet, de M. le comte Louis de Narbonne, qui recommande dignement à Vos Altesses M. Giovan-Battista de Cesare, Corse de nation, qui a servi avec ses compagnons dans l'armée de Condé, et qui lui est recommandé à lui-même par M. le chevalier de Vernègues; il ajoute, en mettant ses fidèles hommages aux pieds de Vos Altesses royales, qu'elles n'auront jamais à se repentir de ce qu'elles feront pour ce digne jeune homme.
Madame Victoire laissa la parole à sa soeur et se contenta d'approuver de la tête.
—Ainsi, monsieur, dit madame Adélaïde, vous êtes noble?
—Madame, répondit le jeune homme, nous autres Corses, nous avons tous la prétention d'être nobles; mais, comme je veux commencer à me faire connaître à Votre Altesse royale par ma sincérité, je lui répondrai que je suis tout simplement d'une ancienne famille de caporali; un de nos ancêtres a, sous ce titre de caporale, commandé un district de la Corse pendant une de ces longues guerres que nous avons soutenues contre les Génois; un seul de mes compagnons, M. de Bocchechiampe, est de noblesse, dans le sens où l'entend Votre Altesse royale; les cinq autres, comme moi, quoique l'un deux porte l'illustre nom de Colonna, n'ont aucun droit au livre d'or.
—Mais savez-vous, monsieur de Châtillon, dit madame Victoire, que ce jeune homme s'exprime fort bien?
—Cela ne m'étonne point, dit madame Adélaïde; vous devez bien comprendre, ma chère, que M. de Narbonne ne nous eût point recommandé des espèces.
Puis, se tournant vers de Cesare:
—Continuez, jeune homme. Vous dites donc que vous avez servi dans les armées de M. le prince de Condé?
—Moi et trois de mes compagnons, madame, M. de Bocchechiampe, M. Colonna et M. Guidone, nous étions avec Son Altesse royale à Weissembourg, à Haguenau, à Bentheim, où M. de Bocchechiampe et moi fûmes blessés. Par malheur, intervint la paix de Campo-Formio: le prince fut forcé de licencier son armée, et nous nous trouvâmes en Angleterre, sans fortune et sans position; ce fut là que M. le chevalier de Vernègues voulut bien se rappeler nous avoir vus au feu et affirma à M. le chevalier de Narbonne que nous ne faisions pas déshonneur à la cause que nous avions embrassée. Ne sachant que devenir, nous demandâmes à M. le comte son avis; il nous conseilla de gagner Naples, où, nous dit-il, le roi se préparait à la guerre, et où, grâce à nos états de services, nous ne pouvions pas manquer d'être employés. Nous ne connaissions, par malheur, personne à Naples; mais M. le comte Louis leva cette difficulté en nous disant que, sinon à Naples, du moins à Rome, nous rencontrerions Vos Altesses royales; ce fut alors qu'il me fit l'honneur de me donner la lettre que je viens de remettre à M. le comte de Châtillon.
—Mais comment, monsieur, demanda la vieille princesse, se fait-il que nous vous rencontrions juste ici et que vous ne nous ayez pas remis cette lettre plus tôt?
—Nous eussions pu, en effet, madame, avoir l'honneur de la remettre à Vos Altesses royales à Rome; mais, d'abord, vous étiez au lit de mort de madame la princesse Sophie, et, tout à votre douleur, vous n'eussiez pas eu le loisir de vous occuper de nous; puis nous n'étions pas sans être observés par la police républicaine; nous avons craint de compromettre Vos Altesses royales. Nous avions quelques ressources; nous les avons ménagées et nous avons vécu dessus en attendant un moment plus favorable de vous demander votre protection. Il y a huit jours que vous avez eu la douleur de perdre Son Altesse royale la princesse Sophie et que vous vous êtes décidées à partir pour Naples; nous nous sommes tenus au courant des intentions de Vos Altesses royales, et, la veille de votre départ, nous sommes venus vous attendre ici, où nous sommes arrivés hier dans la nuit. Un instant, en voyant l'escorte qui accompagnait le carrosse de Vos Altesses, nous avons cru tout perdu pour nous; mais, au contraire, la Providence a voulu qu'ici justement l'ordre fût donné à votre escorte de retourner à Rome. Nous venons offrir à Vos Altessses royales de la remplacer; s'il ne s'agit que de se faire tuer pour leur service, nous en valons d'autres, et nous vous demandons la préférence.
Le jeune homme prononça ces dernières paroles avec beaucoup de dignité, et le salut dont il les accompagna était si plein de courtoisie, que la vieille princesse, se retournant vers M. de Châtillon, lui dit:
—Avouez, Châtillon, que vous avez vu peu de gentilshommes s'exprimer avec plus de noblesse que ce jeune Corse, qui n'était cependant que caporal.
—Pardon, Votre Altesse, répliqua de Cesare en souriant de la méprise, c'est un de mes ancêtres, madame, qui était caporale, c'est-à-dire commandant d'une province; j'avais, moi, l'honneur d'être, ainsi que M. de Bocchechiampe, lieutenant d'artillerie dans l'armée de monseigneur le prince de Condé.
—Espérons que vous n'y ferez pas le chemin que le petit Buonaparte, votre compatriote, y a fait dans l'artillerie, ou que ce sera du moins dans une voie opposée.
Puis, se retournant vers le comte:
—Eh bien, Châtillon, lui dit-elle, vous voyez que cela s'arrange à merveille; au moment où notre escorte nous manque, la Providence, comme l'a très-bien dit M. de... M. de... Comment m'avez-vous dit déjà que vous vous appeliez, mon bon ami?
—De Cesare, Votre Altesse.
—La Providence, comme l'a très-bien dit M. de Cesare, nous en envoie une autre; mon avis, à moi, est de l'accepter. Qu'en dites-vous, ma soeur?
—Ce que je dis? Je dis que je remercie Dieu de nous avoir délivrées de ces jacobins de Français, dont les plumets tricolores me donnaient des attaques de nerfs.
—Et moi de leur chef, le citoyen brigadier Martin, qui avait la rage de s'adresser toujours à moi pour demander les ordres de Mon Altesse royale; et dire que j'étais obligée de lui faire les blanches dents et de lui sourire, quand j'aurais voulu lui tordre le cou.
Puis, se retournant vers Cesare:
—Monsieur, dit-elle, vous pouvez me présenter vos compagnons; j'ai hâte, en vérité, de faire leur connaissance.
—Peut-être vaudrait-il mieux que Leurs Altesses royales attendissent le départ du brigadier Martin et de ses soldats, fit observer M. de Châtillon.
—Et pourquoi cela, comte?
—Mais pour qu'il ne rencontre pas ces messieurs chez Leurs Altesses royales en venant prendre congé d'elles.
—En venant prendre congé de nous?... Pour mon compte, j'espère bien que le drôle n'aura pas l'impudence de se représenter devant moi. Prenez dix louis, Châtillon, et donnez-les au brigadier Martin pour lui et ses hommes. Je ne veux pas qu'il soit dit que ces odieux jacobins nous aient rendu un service sans en être payés.
—Je ferai ce qu'ordonne Votre Altesse royale; mais je doute que le brigadier accepte.
—Qu'il accepte quoi?
—Les dix louis que Votre Altesse royale lui offre.
—Il aimerait mieux les prendre, n'est-ce pas? Cette fois, il faudra bien qu'il se contente de les recevoir; mais qu'est-ce que c'est donc que cette musique? Est-ce que nous serions reconnues et que l'on nous donnerait une sérénade?
—Ce serait le devoir de la population, madame, répondit en souriant le jeune Corse, si elle savait qui elle a l'honneur de posséder dans ses murs; mais elle l'ignore, à ce que je suppose du moins, et cette musique est tout simplement celle d'une noce qui revient de l'église; la fille du charron qui demeure en face de cet hôtel se marie, et, comme il y a un rival, on présume que la journée ne se passera point sans tragédie; nous qui sommes ici depuis hier au soir, nous avons eu le temps de nous mettre au courant des nouvelles de la localité.
—Bien, bien, dit madame Adélaïde, nous n'avons rien à faire avec ces gens-là. Présentez-nous vos compagnons, monsieur de Cesare, présentez-nous-les. S'ils vous ressemblent, notre bienveillance leur est acquise. Et vous, Châtillon, portez ces dix louis au citoyen brigadier Martin, et, s'il demande à nous remercier, dites-lui que ma soeur et moi sommes indisposées.
Le comte de Châtillon et le lieutenant de Cesare sortirent pour exécuter les ordres qu'ils venaient de recevoir.
De Cesare rentra le premier avec ses compagnons, et c'était tout simple: les jeunes gens, dans leur empressement à savoir ce que décideraient Leurs Altesses royales, attendaient dans l'antichambre.
Ils n'eurent donc qu'à passer par la porte que venait de leur ouvrir leur introducteur. Madame Victoire, qui avait toujours eu un penchant à la dévotion, avait pris son livre d'heures et lisait sa messe, qu'elle n'avait pu entendre: elle se contenta de jeter un coup d'oeil rapide sur les jeunes gens et de faire un signe approbatif; mais il n'en fut point de même de madame Adélaïde: elle passa une véritable revue.
De Cesare lui présenta ses compagnons: tous étaient Corses; nous savons déjà le nom de leur introducteur et de trois d'entre eux: Francesco Bocchechiampe, Ugo Colonna et Antonio Guidone; les trois autres se nommaient Raimondo Cordara, Lorenzo Durazzo et Stefano Pittaluga.
Nous demandons pardon à nos lecteurs de tous ces détails; mais, l'inexorable histoire nous forçant d'introduire un grand nombre de personnages de toutes nations et de tous rangs dans notre récit, nous appuyons un peu plus longuement sur ceux qui doivent y acquérir une certaine importance.
Nous le répétons, c'est une immense épopée que celle que nous écrivons, et, à l'exemple d'Homère, le roi des poëtes épiques, nous sommes forcé de faire le dénombrement de nos soldats.
Comme nous, de Cesare suivit en petit l'exemple de l'auteur de l'Iliade, il nomma les uns après les autres ses six compagnons à madame Adélaïde; mais ce que lui avait dit le jeune Corse de la noblesse de Bocchechiampe l'avait frappée, et ce fut particulièrement à lui qu'elle s'adressa.
—M. de Cesare m'a annoncé que vous étiez gentilhomme, lui dit-elle.
—Il m'a fait trop d'honneur, Votre Altesse royale: je suis noble tout au plus.
—Ah! vous faites une distinction entre noble et gentilhomme, monsieur?
—Sans doute, madame, et j'ai l'honneur d'appartenir à une caste trop jalouse de ses droits, justement par cela même qu'ils sont méconnus aujourd'hui, pour que j'empiète sur ceux qui ne m'appartiennent pas. Je pourrais faire mes preuves de deux cents ans et être chevalier de Malte, s'il y avait encore un ordre de Malte; mais je serais très-embarrassé de faire mes preuves de 1399, pour monter dans les carrosses du roi.
—Vous monterez cependant dans le nôtre, monsieur, dit la vieille princesse en se redressant.
—C'est seulement lorsque j'en serai descendu, madame, dit le jeune homme en s'inclinant, que je me vanterai d'être gentilhomme.
—Tu entends, ma soeur, tu entends, s'écria madame Adélaïde; mais c'est fort joli, ce qu'il dit là. Enfin, nous voilà donc avec des gens de notre bord!
Et la vieille princesse respira plus librement.
En ce moment, M. de Châtillon rentra.
—Eh bien, Châtillon, qu'a dit le brigadier Martin? demanda madame Adélaïde.
—Il a dit tout simplement que, si Votre Altesse royale lui avait fait faire cette offre par un autre que moi, il aurait coupé les oreilles à cet autre.
—Et à vous?
—A moi, il a bien voulu me faire grâce; il a même accepté ce que je lui ai offert.
—Et que lui avez-vous offert?
—Une poignée de main.
—Une poignée de main, Châtillon! vous avez offert une poignée de main à un jacobin! Pourquoi n'êtes-vous pas rentré avec un bonnet rouge, pendant que vous y étiez? C'est incroyable, un brigadier qui refuse dix louis, un comte de Châtillon qui donne une poignée de main à un jacobin! En vérité, je ne comprends plus rien à la société telle qu'ils l'ont faite.
—Ou plutôt telle qu'ils l'ont défaite, dit madame Victoire en lisant ses heures.
—Défaite, vous avez bien raison, ma soeur, défaite, c'est le mot; seulement, vivrons-nous assez pour la voir refaire, c'est ce dont je doute. En attendant, Châtillon, donnez vos ordres; nous partons à quatre heures; avec une escorte comme celle de ces messieurs, nous pouvons nous hasarder à voyager de nuit. Monsieur de Bocchechiampe, vous dînerez avec nous.
Et, avec un geste qui avait conservé plus de commandement que de dignité, la vieille princesse congédia ses sept défenseurs sans avoir le moins du monde remarqué ce qu'il y avait de blessant dans le choix qu'elle avait fait du plus noble d'entre eux, à l'exclusion des autres, pour dîner à sa table et à celle de sa soeur.
Bocchechiampe demanda pardon par un signe à ses compagnons de la faveur qui lui était faite; ils lui répondirent par une poignée de main.
Comme l'avait dit de Cesare, cette musique que l'on avait entendue était celle qui précédait le cortége nuptial de Francesca et de Peppino; le cortége était nombreux; car, ainsi que l'avait dit encore de Cesare, on s'attendait généralement à quelque catastrophe suscitée par Michele Pezza; aussi, à leur entrée sur la terrasse, les regards des deux époux se portèrent-ils tout d'abord sur le mur à demi écroulé où, depuis le matin, s'était tenu celui qui causait leur inquiétude.
Le mur était solitaire.
Au reste, aucun objet ne revêtait cette teinte sombre qui, aux yeux du prétendu roi de la création, semble toujours devoir annoncer sa disparition de ce monde. Il était midi; le soleil dans toute sa splendeur, tamisait ses rayons à travers la treille qui formait un dais de verdure au-dessus de la tête des convives; les merles sifflaient, les grives chantaient, les moineaux francs pépiaient, et les carafes, pleines de vin, reflétaient, au milieu de leurs rubis liquides, une paillette d'or.
Peppino respira; il ne voyait la mort nulle part mais, au contraire, il voyait la vie partout.
Il est si bon de vivre quand on vient d'épouser la femme que l'on aime, et que l'on est enfin arrivé au jour attendu depuis deux ans!
Un instant il oublia Michele Pezza et sa dernière menace, dont il était pâle encore.
Quant à don Antonio, moins préoccupé que Peppino, il avait retrouvé, à la porte, la voiture brisée, et, sur la terrasse, le propriétaire de la voiture.
Il alla à lui en se grattant l'oreille.
Le travail faisait tache dans un pareil jour.
—Ainsi, demanda-t-il à l'ambassadeur, qu'il continuait de prendre purement et simplement pour un voyageur de distinction, Votre Excellence tient absolument à continuer sa route aujourd'hui?
—Absolument, répondit le citoyen Garat. Je suis attendu à Rome pour affaire de la plus haute importance, et j'ai déjà perdu, à l'accident qui m'est arrivé aujourd'hui, quelque chose comme trois ou quatre heures.
—Allons, allons, un honnête homme n'a que sa parole; j'ai dit que, quand vous nous auriez fait l'honneur de boire avec nous un verre de vin à l'heureuse union de ces enfants, on travaillerait; buvons et travaillons.
On remplit tout ce qu'il y avait de verres sur la table, on donna à l'étranger le verre d'honneur, orné d'un filet d'or. L'ambassadeur, pour tenir sa parole, but à l'heureuse union de Francesca et de Peppino; les jeunes filles crièrent: «Vive Peppino!» les jeunes garçons: «Vive Francesca!» et tambours et guitares firent éclater leur tarentelle la plus joyeuse.
—Allons, allons, dit maître della Rota à Peppino, il ne s'agit point ici de faire les yeux doux à notre amoureuse, mais de se mettre à la besogne; il y a temps pour tout. Embrasse ta femme, garçon, et à l'ouvrage!
Peppino ne se fit point répéter deux fois la première partie de l'invitation: il prit sa femme entre ses bras, et, avec un regard de reconnaissance au ciel, il l'appuya contre son coeur.
Mais, au moment où, abaissant les yeux vers elle avec cette indéfinissable expression de l'amour qui a longtemps attendu et qui va enfin être satisfait, il approchait ses lèvres de celles de Francesca, la détonation d'une arme à feu retentit, et le sifflement d'une balle se fit entendre, suivi d'un bruit mat.
—Oh! oh! dit l'ambassadeur, voilà une balle qui m'a bien l'air d'être à mon adresse.
—Vous vous trompez, balbutia Peppino en s'affaissant aux pieds de Francesca, elle est à la mienne.
Et il rendit par la bouche une gorgée de sang.
Francesca jeta un cri et tomba à genoux devant le corps de son mari.
Tous les yeux se tournèrent vers le point d'où le coup était parti: une légère fumée blanchâtre montait, à cent pas peut-être, à travers les peupliers.
On vit alors parmi les arbres un jeune homme qui, par des élans rapides, gravissait la montagne un fusil à la main.
—Fra Michele! s'écrièrent les assistants, fra Michele!
Le fugitif s'arrêta sur une espèce de plate-forme, et, avec un geste de menace:
—Je ne m'appelle plus fra Michele, dit-il; à partir de ce moment, je m'appelle fra Diavolo.
C'est, en effet, le nom sous lequel il fut connu plus tard; le baptême du meurtre l'emporta sur celui de la rédemption.
Pendant ce temps, le blessé avait rendu le dernier soupir.
XXXVI
LE PALAIS CORSINI A ROME
Pendant que nous sommes sur la route de Rome, précédons notre ambassadeur chez Championnet, comme nous l'avons précédé chez le charron don Antonio.
Dans une des plus grandes salles de l'immense palais Corsini, qui vient d'être successivement occupé par Joseph Bonaparte, ambassadeur de la République, et par Berthier, qui est venu y venger le double assassinat de Basseville et de Duphot, deux hommes se promenaient, le jeudi 24 septembre, entre onze heures et midi, s'arrêtant de temps en temps près de grandes tables sur lesquelles étaient étendus un plan de Rome à la fois antique et moderne, un plan des États romains réduits par le traité de Tolentino, et toute une collection des gravures de Piranèse; d'autres tables plus petites supportaient des livres d'histoire ancienne et moderne, parmi lesquels on distinguait pêle-mêle, un Tite-Live, un Polybe, un Montecuculli, les Commentaires de César, un Tacite, un Virgile, un Horace, un Juvénal, un Machiavel, une collection presque complète enfin de livres classiques se rapportant à l'histoire de Rome ou aux guerres des Romains; chacune de ces tables portait, en outre, de l'encre, des plumes, des feuilles de papier couvertes de notes, à côté de feuilles blanches attendant leur tour d'être noircies et qui indiquaient que l'hôte passager de ce palais se reposait des fatigues de la guerre, sinon par les études du savant, du moins par les loisirs de l'érudit.
Ces deux hommes, à trois ans près, étaient du même âge, c'est-à-dire que l'un avait trente-six ans et l'autre trente-trois.
Le plus âgé des deux était en même temps le plus petit; il portait encore la poudre de 89, avait conservé la queue et brillait par un certain air d'aristocratie qu'il devait sans doute à l'extrême propreté de ses vêtements, à la finesse et à la blancheur de son linge; son oeil noir était vif, déterminé, plein de résolution et d'audace; sa barbe était faite avec le plus grand soin; il ne portait ni moustaches ni favoris; son costume était celui des généraux républicains du Directoire; son chapeau, son sabre et ses pistolets étaient déposés sur une table assez voisine de la chaise sur laquelle il avait l'habitude d'écrire, pour qu'en allongeant la main il pût les atteindre.
Celui-là, c'était l'homme dont nous avons déjà entretenu longuement nos lecteurs: Jean-Étienne Championnet, commandant en chef l'armée de Rome.
L'autre, plus grand de taille, comme nous l'avons dit, blond de cheveux, accusait, par la fraîcheur de son teint, une origine septentrionale; il avait l'oeil bleu, limpide, plein de lumière; le nez moyen, les lèvres minces et ce menton fortement accentué qui est le signe dominant des races fauves, c'est-à-dire des races conquérantes; un grand sentiment de calme et de placidité était répandu sur toute sa personne et devait en faire au feu non-seulement un soldat intrépide, mais encore un général plein de toutes les ressources que donne un véritable sang-froid. Il était de famille irlandaise, mais né en France; il avait servi d'abord dans le corps irlandais de Dillon, s'était distingué à Jemmapes, avait été nommé colonel après la bataille, avait battu le duc d'York dans différentes rencontres, traversé en 1795 le Wahal sur la glace, s'était emparé de la flotte hollandaise à la tête de son infanterie, avait été nommé général de division, et enfin venait d'être envoyé à Rome, où il commandait une division sous Championnet.
Celui-là, c'était Joseph-Alexandre Macdonald, qui fut depuis maréchal de France et qui mourut duc de Tarente.
Ces deux hommes, pour ceux qui les eussent regardés causant, étaient deux soldats; mais, pour ceux qui les auraient entendus causer, ils eussent été deux philosophes, deux archéologues, deux historiens.
Ce fut le propre de la révolution française—et cela se comprend, puisque toutes les classes de la société concoururent à former l'armée,—d'introduire, près des Cartaux, des Rossignol et des Luckner, les Miollis, les Championnet, les Ségur, c'est-à-dire, près de l'élément matériel et brutal, l'élément immatériel et lettré.
—Tenez, mon cher Macdonald, disait Championnet à son lieutenant, plus j'étudie cette histoire romaine au milieu de Rome, et particulièrement celle de ce grand homme de guerre, de ce grand orateur, de ce grand législateur, de ce grand poëte, de ce grand philosophe, de ce grand politique qu'on appelle César, et dont les Commentaires doivent être le catéchisme de tout homme qui aspire à commander une armée, plus je suis convaincu que nos professeurs d'histoire se trompent complétement à l'endroit de l'élément que représentait César à Rome. Lucain a eu beau faire, en faveur de Caton, un des plus beaux vers latins qui aient été faits, César, mon ami, c'était l'humanité; Caton n'était que le droit.
—Et Brutus et Cassius, qu'étaient-ils? demanda Macdonald avec le sourire de l'homme mal convaincu.
—Brutus et Cassius,—je vais vous faire sauter au plafond, car je vais toucher, je le sais, à l'objet de votre culte,—Brutus et Cassius étaient deux républicains de collége, l'un de bonne, l'autre de mauvaise foi; des espèces de lauréats de l'école d'Athènes, des plagiaires d'Harmodius et d'Aristogiton, des myopes qui n'ont pas vu plus loin que leur stylet, des cerveaux étroits qui n'ont pas su comprendre l'assimilation du monde que rêvait César; et j'ajouterai, que, nous autres républicains intelligents, c'est César que nous devons glorifier et ses meurtriers que nous devons maudire.
—C'est un paradoxe qui peut être soutenu, mon cher général; mais, pour le faire adopter comme une vérité, il ne faudrait pas moins que votre esprit et votre éloquence.
—Eh! mon cher Joseph, rappelez-vous notre promenade d'hier au musée du Capitole; ce n'était pas sans raison que je vous disais: «Macdonald, regardez ce buste de Brutus; Macdonald, regardez cette tête de César.» Vous les rappelez-vous?
—Certainement.
—Eh bien, comparez ce front puissant, mais comprimé avec ces cheveux qui viennent jusqu'aux sourcils, caractère du vrai type romain, au reste; comparez ces sourcils, épais et contractés écrasant un oeil sombre, avec le front large et ouvert de César, avec ses yeux d'aigle.
—Ou de faucon, occhi griffagni, a dit Dante.
—Nigris et vegetis oculis, a dit Suétone, et, si vous voulez bien, je m'en rapporterai à Suétone, ses yeux noirs et pleins de vie; contentons-nous donc de cela, et vous verrez de quel côté était l'intelligence. On reprochait à César d'avoir ouvert le Sénat à des sénateurs qui n'en savaient pas même le chemin: c'était là son génie et en même temps le génie de Rome. Athènes, et par Athènes j'entends la Grèce, Athènes n'est que la colonie, elle essaime et se rejette au dehors; Rome, c'est l'adoption, elle aspire l'univers et se l'assimile: la civilisation orientale, l'Égypte, la Syrie, la Grèce, tout y a passé; la barbarie occidentale, l'Ibérie, la Gaule, l'Armorique même, tout y passera. Le monde sémitique, représenté par Carthage, et la Judée résistent à Rome: Carthage est anéantie, les Juifs sont dispersés. Le monde entier régnera sur Rome, parce que le monde entier est dans Rome; après les Auguste, les Tibère, les Caligula, les Claude, les Néron, c'est-à-dire après les Césars romains viennent les Flaviens, qui ne sont déjà qu'Italiens; puis les Antonins, qui sont Espagnols et Gaulois; puis Septime, Caracalla, Héliogabale, Alexandre Sévère, qui sont Africains et Syriens; il n'y a pas jusqu'à l'Arabe Philippe et jusqu'au Goth Maximin qui ne viennent, après les Aurélien et les Probus, ces durs paysans de l'Illyrie, s'asseoir sur le trône qui s'écroulera sous le Hun Augustule, lequel mourra en Campanie avec une rente de six mille livres d'or que lui fera Odoacre, roi des Hérules. Tout s'est écroulé autour de Rome, Rome seule est encore debout. Capitoli immobile saxum.
—Ne croyez-vous pas que ce soit à ce mélange de races que les Italiens doivent l'affaiblissement de leur courage et la mollesse de leur caractère? demanda Macdonald.
—Ah! vous voilà comme les autres, mon cher Macdonald, jugeant le fond par la surface. Parce que les lazzaroni sont lâches et paresseux,—et peut-être encore reviendrons-nous un jour sur cette opinion,—faut-il en augurer que tous les Napolitains sont lâches et paresseux? Voyez ces deux spécimens que Naples nous a envoyés, Salvato Palmieri et Ettore Caraffa: connaissez-vous, dans toutes nos légions, deux plus puissantes personnalités? La différence qui existe entre les Italiens et nous, mon cher Joseph, et j'ai bien peur que cette différence ne soit à notre désavantage, c'est que, fidèles à nos habitudes d'hommes liges, nous mourons pour un homme, et qu'en Italie on ne meurt, en général, que pour les idées. Les Italiens, c'est vrai, n'ont pas, comme nous, la recherche aventureuse des dangers inutiles, mais ceci est un héritage de nos pères les vieux Gaulois; ils n'ont pas, comme nous, la déification chevaleresque de la femme, parce qu'ils n'ont dans toute leur histoire ni une Jeanne d'Arc ni une Agnès Sorel; ils n'ont pas, comme nous, la rêverie enthousiaste du monde féodal, parce qu'ils n'ont ni un Charlemagne ni un saint Louis; mais ils ont autre chose, ils ont un génie sévère, étranger aux vagues sympathies. Chez eux, la guerre est devenue une science; les condottieri italiens sont nos maîtres en fait de stratégie. Qu'étaient nos capitaines du moyen âge, nos chevaliers de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt, près des Sforza, des Malatesta, des Braccio, des Gangrande, des Farnese, des Carmagnola, des Baglioni, des Ezzelino? Le premier capitaine de l'antiquité, César, est un Italien, et ce Bonaparte, qui nous mangera tous, les uns après les autres, comme César Borgia voulait manger l'Italie feuille à feuille, ce petit Bonaparte, que l'on croit enfermé en Égypte, mais qui en sortira d'une façon ou de l'autre, dût-il emprunter les ailes de Dédale ou l'hippogriphe d'Astolphe, c'est encore un homme de race italienne. Il n'y a qu'à voir son maigre et sec profil pour cela: il a tout à la fois du César, du Dante et du Machiavel.
—Vous avouerez au moins, mon cher général, si enthousiaste que vous soyez d'eux, qu'il y a une grande différence entre les Romains des Gracques ou même ceux de Colas de Rienzi et ceux d'aujourd'hui.
—Mais pas tant que vous croyez, Macdonald. La vocation du Romain antique, c'était l'action militaire ou politique: conquérir le monde d'abord et le gouverner ensuite. Conquis et gouverné à son tour, ne pouvant plus agir, il rêve. Tenez, depuis trois semaines que je suis ici, je ne fais pas autre chose que de contempler, dans ses rues et dans ses places publiques, cette race monumentale; eh bien, mon cher, ces hommes sont pour moi des bas-reliefs de la colonne Trajane descendus de leur colonne de bronze, pas autre chose, mais qui vivent et qui marchent; chacun d'eux est le cives romanus, trop grand seigneur, trop maître du monde pour travailler. Leurs moissonneurs, ils les font venir des Abruzzes; leurs portefaix, ils vont les chercher à Bergame; ils ont des trous à leur manteau, ils les feront raccommoder par un juif, non par leur femme: n'est-elle pas la matrone romaine? non plus celle du temps de Lucrèce, qui file la laine et garde la maison; non, mais celle du temps de Catilina et de Néron, qui serait déshonorée de tenir une aiguille si ce n'est pour percer la langue de Cicéron ou crever les yeux d'Octavie. Comment voulez-vous que la descendance de ceux qui allaient recueillant la sportule de porte en porte, de ceux qui vivaient six mois de la vente de leurs votes au champ de Mars, à qui Caton, César, Auguste faisaient distribuer le blé à boisseaux, pour qui Pompée bâtissait des forums et des bains, qui avaient un préfet de l'annone chargé de les nourrir, et qui en ont encore un aujourd'hui, mais qui ne les nourrit plus, se mettent à faire oeuvre servile de leurs nobles doigts? Non, vous ne pouvez pas exiger que ces hommes-là travaillent. Le peuple roi n'était-il pas un peuple de mendiants? Tout ce que vous pouvez exiger de ce même peuple, lorsqu'il a perdu sa couronne, c'est qu'il mendie noblement, et c'est ce qu'il fait. Accusez-le de férocité, si vous voulez, mais non de faiblesse, car son couteau répondrait pour lui. Son couteau ne le quitte pas plus que l'épée ne quittait le légionnaire; c'est son glaive à lui. Le couteau est le glaive de l'esclave.
—Nous en savons quelque chose. De cette fenêtre qui donne sur le jardin, nous pouvons reconnaître la place où ils ont assassiné Duphot, et, de celle-ci, qui donne sur la rue, celle où ils ont assassiné Basseville... Eh! mais que vois-je donc là-bas? fit Macdonald en s'interrompant avec une exclamation de surprise. Une voiture de poste qui nous arrive. Dieu me pardonne! mais c'est le citoyen Garat.
—Quel Garat?
—L'ambassadeur de la République à Naples.
—Impossible!
—Lui-même, général.
Championnet jeta un coup d'oeil sur la rue, reconnut Garat à son tour, et, jugeant aussitôt l'importance de l'événement, courut à la porte du salon, transformé par lui en bibliothèque et en cabinet de travail.
Au moment où il ouvrait cette porte, l'ambassadeur montait la dernière marche de l'escalier et apparaissait sur le palier.
Macdonald voulut se retirer, mais Championnet le retint.
—Vous êtes mon bras gauche, lui dit-il, et quelquefois mon bras droit; restez, mon cher général.
Tous deux attendaient avec impatience les nouvelles que Garat apportait de Naples.
Les compliments furent courts: Championnet et Garat échangèrent une poignée de main; Macdonald fut présenté, et Garat commença son récit.
Ce récit se composait des choses que nous avons vues s'accomplir sous nos yeux: de l'arrivée de Nelson, des fêtes qui lui avaient été données et de la déclaration que l'ambassadeur s'était cru obligé de faire pour sauvegarder la dignité de la République.
Plus, subsidiairement, l'ambassadeur raconta l'accident arrivé à sa voiture entre Castellone et Itri, comment cet accident l'avait forcé de s'arrêter chez le charron don Antonio; comment il avait rencontré les vieilles princesses avec leur escorte, qu'il avait empêchée d'aller plus loin; comment il avait assisté au meurtre du gendre de don Antonio par un jeune homme appelé fra Diavolo, qui, selon l'habitude, avait été chercher dans la montagne, en se faisant bandit, l'impunité de son crime, et comment enfin il avait démonté le brigadier Martin, qu'il avait laissé à Itri pour lui ramener sa voiture, tandis qu'il en louait une autre à Fondi, avec laquelle il venait d'arriver à Rome, sans autre accident qu'un retard de six heures.
Le brigadier Martin et les quatre hommes d'escorte arriveraient, selon toute probabilité, dans la journée du lendemain.
Championnet avait laissé l'ambassadeur aller jusqu'au bout sans l'interrompre, espérant toujours entendre un mot sur son envoyé; mais, le citoyen Garat ayant terminé son récit sans prononcer le nom de Salvato Palmieri, Championnet commença à craindre que l'ambassadeur ne fût déjà parti de Naples quand son aide de camp y était arrivé, et qu'ils ne se fussent, par conséquent, croisés en route.
Le général en chef, fort inquiet et ne sachant pas ce qui avait pu arriver à Salvato après le départ de l'ambassadeur, allait lui adresser une série de questions sur ce point, quand un bruit qui se faisait dans l'antichambre attira son attention; au même instant, la porte s'ouvrit et le soldat de planton annonça qu'un homme vêtu en paysan voulait absolument parler au général.
Mais, dominant la voix du planton, une autre voix vigoureusement accentuée s'écria:
—C'est moi, mon général, moi, Ettore Caraffa. Je vous apporte des nouvelles de Salvato.
—Laissez entrer, morbleu! laissez entrer, cria à son tour Championnet. J'allais justement en demander au citoyen Garat. Venez, Hector, venez! vous êtes deux fois le bienvenu.
Le comte de Ruvo se précipita dans la salle et sauta au cou du général.
—Ah! mon général, mon cher général! s'écria-t-il, que je suis content de vous revoir!
—Vous parliez de Salvato, Hector? Quelles nouvelles nous apportez-vous de lui?
—Bonnes et mauvaises tout ensemble: bonnes puisqu'il devrait être mort et qu'il ne l'est pas; mauvaises en ce que, pendant son évanouissement, ils lui ont volé la lettre que vous lui aviez donnée pour le citoyen Garat.
—Vous lui aviez donné une lettre pour moi? demanda Garat.
Hector se retourna.
—Ah! c'est vous, monsieur, qui êtes l'ambassadeur de la République? demanda-t-il à Garat.
Garat s'inclina.
—Mauvaises nouvelles! mauvaises nouvelles! murmura Championnet.
—Et pourquoi? comment? Expliquez-moi cela, fit l'ambassadeur.
—Eh! mon Dieu, voici: nous ne sommes point en mesure de nous battre, je vous l'écrivais; je vous disais dans ma lettre que nous manquions de tout, d'hommes, d'argent, de pain, de vêtements, de munitions. Je vous priais de faire tout ce que vous pourriez pour maintenir quelque temps encore la paix entre le royaume des Deux-Siciles et la République; il paraît que mon messager est arrivé trop tard, que vous étiez déjà parti, qu'il a été blessé, que sais-je, moi? Racontez-nous tout cela, Hector. Si ma lettre est tombée entre leurs mains, c'est en vérité un grand malheur; mais un malheur plus grand encore, ce serait que mon cher Salvato mourût de ses blessures; car vous m'avez dit qu'il était blessé, n'est-ce pas, qu'ils avaient voulu l'assassiner, quelque chose comme cela enfin?
—Et ils y ont réussi aux trois quarts! Il avait été épié, suivi; on l'attendait au sortir du palais de la reine Jeanne, à Mergellina, six hommes! Vous comprenez bien, vous qui connaissez Salvato, qu'il ne s'est pas laissé égorger comme un poulet: il en a tué deux et blessé deux autres; mais enfin un des sbires, leur chef, je crois, Pasquale de Simone, le tueur de la reine, lui a lancé son couteau, le couteau lui est entré jusqu'au manche dans la poitrine.
—Et où, comment est-il tombé?
—Oh! tranquillisez-vous, mon général, il y a des gaillards qui ont de la chance, il est tombé dans les bras de la plus jolie femme de Naples, qui l'a caché à tous les yeux, à commencer par ceux de son mari.
—Et la blessure? la blessure? s'écria le général. Vous savez, Hector, que j'aime Salvato comme mon fils.
—La blessure est grave, très-grave, mais n'est pas mortelle; d'ailleurs, c'est le premier médecin de Naples, un des nôtres, qui le soigne et qui en répond. Oh! il a été magnifique, notre Salvato; il ne vous a jamais raconté son histoire, un roman et un roman terrible, mon cher général; comme le Macduff de Shakspeare, il a été tiré vivant des flancs d'une morte. Il vous contera tout cela un jour ou plutôt un soir au bivac, pour vous faire passer le temps; mais il s'agit d'autre chose maintenant: les égorgements contre les nôtres ont commencé à Naples; Cirillo a été retardé de deux heures sur le quai en venant m'annoncer la nouvelle que je vous apporte, et par quoi? par un bûcher qui obstruait le passage et où les lazzaroni brûlaient vivants les deux frères della Torre.
—Quels misérables! s'écria Championnet.
—Imaginez-vous, mon général, un poëte et un bibliomane, je vous demande un peu ce que ces gens-là pouvaient leur avoir fait! On parle, en outre, d'un grand conseil qui aurait été tenu au palais: je sais cela par Nicolino Caracciolo, qui est l'amant de la San-Clemente, une des dames d'honneur de la reine; la guerre contre la République y a été décidée, l'Autriche fournit le général.
—Le connaissez-vous?
—C'est le baron Charles Mack.
—Ce n'est pas une réputation bien effrayante.
—Non; mais ce qui est plus effrayant, c'est que l'Angleterre s'en mêle et fournit l'argent; ils ont 60,000 hommes prêts à marcher sur Rome dans huit jours, s'il le faut, et puis... Ma foi, je crois que voilà tout.
—La peste! c'est bien assez, ce me semble, répondit Championnet.
Puis, se tournant vers l'ambassadeur:
—Vous le voyez, mon cher Garat, il n'y a pas un instant à perdre; par bonheur, j'ai reçu hier deux millions de cartouches; nous n'avons pas de canons, mais, avec deux millions de cartouches et dix ou douze mille baïonnettes au bout, nous prendrons les canons des Napolitains.
—Je croyais que Salvato nous avait dit que vous n'aviez que neuf mille hommes.
—Oui, mais je compte sur trois mille hommes de renfort. Êtes-vous fatigué, Hector?
—Jamais, mon général.
—Alors, vous êtes prêt à partir pour Milan?
—Quand j'aurai déjeuné et changé d'habits, car je meurs de faim, et, vous le voyez, je suis couvert de boue; je suis venu par Isoletta, Agnani, Frosinone, des chemins épouvantables, tout détrempés par l'orage. Je comprends que vos plantons ne voulussent pas me laisser entrer dans l'état où je suis.
Championnet tira une sonnette particulière; son valet de chambre entra.
—Un déjeuner, un bain et des habits pour le citoyen Hector Caraffa; que tout cela soit prêt, le bain dans dix minutes, les habits dans vingt, le déjeuner dans une demi-heure.
—Mon général, dit le valet de chambre, aucun de vos habits n'ira au citoyen Caraffa, il a la tête de plus que vous.
—Tenez, dit Garat, voici la clef de ma malle; ouvrez-la et prenez-y du linge et des habits pour le comte de Ruvo; il est à peu près de ma taille, et puis, c'est ici le cas de le dire, à la guerre comme à la guerre!
—A Milan, vous trouverez Joubert; c'est à vous que je parle, Hector, écoutez-moi, reprit Championnet.
—Je ne perds pas un mot, mon général.
—A Milan, vous trouverez Joubert; vous lui direz qu'il s'arrange comme il voudra, mais qu'il me faut trois mille hommes, ou que Rome est perdue; qu'il les donne à Kellermann, s'il peut; c'est un excellent général de cavalerie, et c'est la cavalerie qui nous manque surtout; vous les ramènerez, Hector, et vous les dirigerez sur Civita-Castellana; c'est là probablement que nous nous retrouverons. Je n'ai pas besoin de vous recommander la diligence.
—Mon général, ce n'est point à un homme qui vient de faire soixante et dix lieues de montagnes en quarante-huit heures qu'il faut recommander cela.
—Vous avez raison.
—D'ailleurs, dit Garat, je me charge du citoyen Caraffa jusqu'à Milan; ma chaise de poste ne peut manquer d'arriver demain.
—Vous n'attendrez pas votre chaise de poste, mon cher ambassadeur; vous prendrez la mienne, dit Championnet. Dans les circonstances où nous sommes, il n'y a pas une minute à perdre. Macdonald, écrivez, je vous prie, en mon nom, à tous les chefs de corps qui tiennent Terracine, Piperno, Prossedi, Frosinone, Veroli, Tivoli, Ascoli, Fermo et Macerata, de ne faire aucune résistance, et, aussitôt qu'ils sauront que l'ennemi a passé la frontière, de se replier, en évitant tout engagement, sur Civita-Castellana.
—Comment! s'écria Garat, vous abandonnerez Rome aux Napolitains sans essayer de la défendre?
—Je l'abandonnerai, si je puis, sans tirer un coup de fusil; mais, soyez tranquille, ce ne sera point pour longtemps.
—Mon cher général, vous en savez plus que moi sur ce point.
—Moi? Je ne sais absolument de la guerre que ce qu'en dit Machiavel.
—Et qu'en dit Machiavel?
—Il faut que je vous apprenne cela, à vous, un diplomate qui devrait savoir par coeur Machiavel? Eh bien, il dit... Écoutez, Hector; écoutez cela, Macdonald... Il dit: «Tout le secret de la guerre consiste en deux choses: à faire tout ce que l'ennemi ne peut soupçonner, et à lui laisser faire tout ce qu'on avait prévu qu'il ferait; en suivant le premier de ces préceptes, vous rendrez inutiles ses plans de défense; en observant le second, vous déjouerez ses plans d'attaque.» Lisez Machiavel, c'est un grand homme, mon cher Garat, et, quand vous l'aurez lu...
—Eh bien, quand je l'aurai lu?
—Relisez-le.
La porte s'ouvrit et le valet de chambre reparut.
—Tenez, mon cher Hector, voilà Scipion qui vient vous dire que votre bain est prêt. Pendant que Macdonald écrira ses lettres, je dirai à Garat tout ce qu'il doit raconter au Directoire des pilleries que ses agents font ici; après quoi, nous nous mettrons à table, et nous boirons du vin de la cave de Sa Sainteté à notre prochaine et heureuse entrée à Naples.
FIN DU TOME DEUXIÈME
TABLE
XIX.—La chambre éclairée.
XX.—La chambre obscure.
XXI.—Le médecin et le prêtre.
XXII.—Le conseil d'État.
XXIII.—Le général baron Charles Mack.
XXIV.—L'île de Malte.
XXV.—L'intérieur d'un savant.
XXVI.—Les deux blessés.
XXVII.—Fra Pacifico.
XXVIII.—La quête.
XXIX.—Assunta.
XXX.—Les deux frères.
XXXI.—Où Gaetano Mammone entre en scène.
XXXII.—Un tableau de Léopold Robert.
XXXIII.—Fra Michele.
XXXIV.—Loque et chiffe.
XXXV.—Fra Diavolo.
XXXVI.—Le palais Corsini à Rome.
FIN DE LA TABLE DU TOME DEUXIÈME
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POISSY.—TYP. ET STÉR. DE A. BOURET.