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La terre et la lune: forme extérieure et structure interne

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Arguments de fait en faveur de l'existence d'une écorce mince.--Une première présomption, à l'appui de la mobilité interne du Globe terrestre, résulte des petites variations constatées dans les latitudes géographiques. L'axe principal d'inertie, qui coïncide à peu près avec l'axe de rotation, n'est pas fixe à la surface du Globe, comme il devrait l'être si celui-ci était solide. D'après les travaux du Service international (Bull. Astr., t. XVIII, p. 280), l'amplitude de l'oscillation du pôle a atteint 0",20 de 1895 à 1897, elle est retombée à 0",13 en 1899, à 0",08 en 1900. Ces résultats sont fournis par l'ensemble des six stations distribuées sur le parallèle de 39°. Il y a une période annuelle, compliquée d'une période de 430 jours. Cette dernière a été découverte expérimentalement par M. Chandler, qui lui attribuait à l'origine une amplitude de 0",13. On a tenté sans succès d'expliquer ces déplacements par des transports de matériaux à la surface du Globe (érosion et charriage par les fleuves, dérive des glaces polaires, desséchements de mers intérieures). On pourrait plutôt en rendre compte par une variation de l'influence magnétique du Soleil, comme l'a proposé le Dr Halm, ou comme contre-coup d'une action météorologique. Ainsi un changement de pression représenté par 0m,008 de mercure correspondrait à une variation de 0m,10 du niveau de l'Océan. Si ce changement se produisait à la fois sur la dixième partie de la surface de la Terre, il pourrait en résulter un déplacement de 0",16 dans la direction d'un axe principal d'inertie du Globe. Mais ni le baromètre, ni l'aiguille aimantée, ni l'activité solaire ne montrent la même périodicité que les latitudes.

Au contraire, la fluctuation des latitudes peut très bien être regardée comme une conséquence de la circulation du fluide interne, sans marées visibles. M. Volterra a démontré (Acta Matematica, 1899) que toute anomalie présentée par la rotation libre d'un corps peut être expliquée par des mouvements internes qui ne changent ni la forme, ni l'intensité de l'attraction à l'extérieur. La variation des latitudes est donc en faveur d'un état fluide ou tout au moins visqueux de l'intérieur du Globe, état compatible avec une circulation régulière. Il est beaucoup plus difficile d'en rendre compte si toute la masse du Globe est solide.

La distribution des volcans sur tout le contour de l'Océan Pacifique, sur l'axe de l'Atlantique, sur la ligne des fosses méditerranéennes, l'ampleur et la généralité des éruptions, l'activité indéfinie de certains orifices, le retour simultané de l'effervescence, souvent constaté dans tous les volcans d'une même région, montrent que l'ensemble des volcans doit s'alimenter à un réservoir commun. Il est inadmissible d'installer, comme ont voulu le faire certains géologues, une poche de lave distincte sous chaque montagne éruptive.

D'après cela, l'on doit conclure qu'à une distance relativement faible de la surface, les matières se présentent à l'état fluide, ou repassent facilement à l'état fluide dès qu'une communication est établie avec le dehors, de manière à permettre un abaissement de pression. Les infiltrations de la mer ou des eaux douces ne sont nullement nécessaires pour provoquer des éruptions. Celles-ci apparaissent sur toutes les grandes cassures de l'écorce terrestre, même au centre de l'Asie.

L'ordre et la distribution des matériaux dans l'écorce terrestre font voir aussi qu'il existe, à une profondeur relativement faible, un réservoir commun où tous les éléments chimiques se rencontrent. Ils ont pu ainsi être accidentellement mélangés et amenés jusque près de la surface où cependant les éléments légers dominent toujours si l'on considère de grandes étendues.

M. de Launay a montré (Comptes rendus, t. CXXXVIII, 14 mars 1904) que l'on peut assigner par des considérations géologiques l'ordre de superposition des éléments chimiques les plus répandus dans la Terre, à l'époque où elle a cessé d'être entièrement fluide. On est amené ainsi à diviser les corps simples en sept groupes, dont le premier est formé par l'hydrogène, le dernier par les métaux précieux et denses. Il se trouve que ces sept groupes se partagent aussi très nettement par la considération des poids atomiques qui vont en croissant avec la profondeur.

La conclusion de M. de Launay est celle-ci: «Dans la fluidité première de notre planète, les éléments chimiques déjà constitués se sont placés à des distances du centre d'autant plus grandes que leur poids atomique était plus faible, comme si les atomes, absolument libres de toute affinité chimique à ces hautes températures, avaient uniquement et individuellement obéi, dans une sphère fluide en rotation, à l'attraction centrale combinée avec la force centrifuge.»

Cette circonstance témoigne, non seulement de la fluidité primitive, mais d'une fluidité relativement récente. Il a fallu, en effet, que le mélange au moins accidentel de tous les éléments soit demeuré possible jusque près de la surface. Autrement les métaux denses, accumulés près du centre, auraient été séparés de nous par des cloisons solides et nous seraient demeurés à jamais inconnus.

Nous verrons par la suite que l'étude de la surface de la Lune apporte aussi des arguments d'une grande valeur à l'appui de la doctrine de la fluidité interne.




SECONDE PARTIE.

LA LUNE.




CHAPITRE VIII.

LA CONFIGURATION DE LA LUNE ÉTUDIÉE PAR LES MÉTHODES
GRAPHIQUES ET MICROMÉTRIQUES.
LES CARTES LUNAIRES.


La Lune est, sans comparaison, de tous les corps célestes, celui qui s'approche le plus de la Terre. Sa surface nous apparaît avec une netteté et une permanence absolue, sans interposition d'enveloppes vaporeuses. La perception des détails n'y est limitée que par l'insuffisance de nos moyens optiques et par l'agitation de l'atmosphère terrestre. Notre satellite est donc l'intermédiaire indiqué pour passer de l'étude de la Terre à celle des autres planètes.

Quand on regarde la Lune par une nuit claire, son éclat est trop vif pour un oeil accoutumé à l'obscurité. Les différences de teinte s'apprécient mal; on pourrait croire que l'astre est lumineux par lui-même. Il n'en est rien cependant, comme le montrent le phénomène des phases et celui de la lumière cendrée. La Lune n'est visible que par la lumière solaire qu'elle nous renvoie, et qui reste encore très sensible, après s'être diffusée une fois sur la Terre, une fois sur la Lune, et avoir traversé trois fois toute notre atmosphère.

Les taches se voient mieux dans le jour, surtout un peu avant le lever ou un peu après le coucher du Soleil. Quand la Lune est près de l'horizon, son éclat ne diffère pas beaucoup de celui d'une montagne rocailleuse éloignée. C'est probablement une remarque de ce genre qui a conduit Thalès (cité par Théodoret) à penser que la Lune était formée de la même substance que la Terre. Démocrite ajoute que les taches doivent résulter de la présence de montagnes et de vallées. On peut, en effet, si l'on est doué d'une bonne vue, constater sans instruments des irrégularités sur la ligne de séparation de l'ombre et de la lumière, ligne pour laquelle nous adopterons désormais l'appellation abrégée de terminateur.

Xénophane (cité par Cicéron, Questions académiques, Livre IV) va plus loin. Son opinion est que la Lune est habitée, qu'il s'y trouve en grand nombre des montagnes et des villes. Une croyance anciennement répandue, rapportée par Plutarque et Achille Tatius, veut qu'il existe à l'intérieur de la Lune de vastes cavernes, avec une région peuplée. D'autres voient dans ce disque brillant un miroir qui nous réfléchit l'image de la Terre.

Aristote attache peu d'importance à ces imaginations, que l'on a vu cependant reparaître jusque chez nos contemporains. Il conclut fort bien de la succession des phases que la Lune est une sphère exclusivement éclairée par le Soleil, de la persistance des taches que cette sphère nous présente toujours la même face. Il cite une occultation de Mars comme une preuve que cette planète est plus éloignée de nous que la Lune.

On doit à Aristarque, qui vécut à Samos de 320 à 250 avant notre ère, une méthode correcte en théorie, bien que peu pratique, pour évaluer le rapport des distances de la Lune et du Soleil. Il note qu'au moment de la quadrature, la Lune doit former le sommet de l'angle droit dans un triangle rectangle dont les deux autres sommets sont occupés par le Soleil et la Terre. On peut mesurer l'angle dont la Terre est le sommet, et par suite construire un triangle semblable.

Il faut ensuite, pour enregistrer un progrès notable, descendre jusqu'à l'époque moderne. Galilée paraît avoir eu le premier l'occasion d'examiner la Lune avec une lunette astronomique, construite de ses mains. Il acquit aussitôt la conviction de la nature montagneuse du sol. Ayant remarqué qu'au moment de la quadrature les sommets des montagnes peuvent rester éclairés jusqu'à une distance du terminateur estimée au vingtième du rayon, il aperçut dans cette circonstance un moyen de calculer la hauteur des montagnes lunaires. Les altitudes trouvées par lui (8km à 9km) sont notablement exagérées. De telles différences de niveau ne se rencontrent entre points voisins que près du pôle Sud, où la méthode de Galilée n'est pas applicable.

Agrandissement

Par des observations suivies, accompagnées de dessins, Galilée s'assura que la Lune ne tourne pas vers nous toujours exactement la même face. Des fuseaux se découvrent et se cachent alternativement sur les bords: leur largeur totale peut s'élever à 15° au maximum. Il y a une libration en longitude qui dépend surtout de la position dans l'orbite, une libration en latitude subordonnée principalement à la latitude de la Lune et une libration diurne, variant avec la distance au méridien. Galilée n'a reconnu que les deux dernières. Il a construit une Carte d'ensemble assez sommaire, où les positions des principaux objets sont fixées par simple estime.

Vers la même époque, le P. Scheiner, professeur à Ingoldstadt et connu surtout par ses observations de taches solaires, exécuta de nombreux dessins de la Lune.

Une Carte demeurée fort rare, mais d'une exécution tout à fait remarquable pour l'époque (1645), est celle de Langrenus, cosmographe du roi d'Espagne Philippe IV. Il distingue sur notre satellite trois sortes d'objets: les taches sombres, visibles à l'oeil nu, qu'il appelle des mers: nous y trouvons une Mer autrichienne, un Détroit catholique, etc. Les espaces brillants qui les séparent sont des terres, décorées de noms allégoriques: Terres de la Paix, de la Vertu, de la Justice. Nous y rencontrons enfin une multitude de bassins parfaitement circulaires, où des ombres se forment dès que le Soleil s'incline un peu sur l'horizon, ce qui indique une grande profondeur. Langrenus les place sous le patronage de diverses personnes, soit des savants illustres, soit des souverains. Mais ici la politique intervient trop visiblement, et c'est à elle qu'il faut s'en prendre si la nomenclature de Langrenus n'a pas été conservée. Son Philippe IV est devenu Copernic. Louis XIV, encore bien jeune, s'est vu remplacé par Alphonse, roi de Castille; Mazarin, qui figure comme satellite à côté d'Anne d'Autriche, a disparu des Cartes de la Lune, et le pape Innocent X a cédé la place à Ptolémée. Le mode de dessin des cirques indique qu'ils ont été vus, en général, éclairés par l'Ouest. Les positions et les grandeurs relatives sont à peu près aussi exactes qu'on peut l'attendre d'observations faites par simple estime, sans micromètre (fig. 22).

Dans la légende placée en marge de sa Carte, Langrenus annonce qu'il tient en réserve une foule d'observations importantes et qu'il se propose de faire paraître un Atlas représentant 30 phases différentes. Il ne semble pas que ce projet ait été réalisé.

Agrandissement

La même année un capucin autrichien, le P. de Rheita, publia un ouvrage mystique intitulé Oculus Enoch et Eliæ, où il réfute diverses opinions qui avaient cours à cette époque au sujet de la Lune. La carte jointe à ce livre ne marque pas un progrès en ce qui concerne le détail des cirques, mais s'attache à la ressemblance générale et à la gradation des teintes. Rheita porte son attention sur les bandes brillantes qui divergent de certains points du disque et en donne une explication optique, d'ailleurs des plus hasardées.

Deux ans plus tard (1647) paraissait la Sélénographie d'Hévélius, le célèbre astronome de Dantzick, appelé plus tard en France par Louis XIV. Sa Carte, qui attribue des noms à 250 objets environ, est plus complète que celle de Langrenus, mais certainement moins claire et moins expressive (fig. 23). Des dessins spéciaux sont consacrés aux formations les plus intéressantes. Les hauteurs sont calculées par le procédé de Galilée, mais avec plus de discernement et de précision. Hévélius constate l'existence de la libration en longitude et l'attribue à tort à ce que la Lune serait assujettie à présenter toujours la même face au centre de l'orbite, alors que la Terre en occupe non le centre, mais le foyer. Il tente de déterminer l'axe de rotation de la Lune, et trouve, par une approximation assez grossière, qu'il est perpendiculaire sur l'écliptique.

Le P. Riccioli, que nous avons eu à citer à propos des mesures d'arc de méridien, a eu la bonne fortune de faire adopter une nomenclature entièrement nouvelle. Les noms des mers sont suggérés par l'influence présumée de la Lune sur la pluie, la température ou même l'hygiène publique. Nous voyons apparaître une mer de la Sérénité et un océan des Tempêtes, une mer des Crises et une mer des Vapeurs, une mer des Humeurs et un golfe de la Rosée. Les massifs saillants qui bordent les mers reçoivent les noms de montagnes terrestres: les Apennins, les Alpes, le Caucase, les Pyrénées. Pour les cirques, Riccioli donne avec raison aux astronomes éminents la préférence sur les hommes politiques que Langrenus avait fait figurer en première ligne. Il attribue les objets les plus marquants et les mieux isolés aux philosophes anciens, Platon, Aristote, Archimède, Ératosthène, Hipparque, Ptolémée. Parmi les modernes, Copernic, Tycho Brahé, Kepler, Gassendi sont les mieux partagés. Les amis ou les confrères de Riccioli n'ont pas davantage lieu de se plaindre. Restent les astronomes qui n'étaient pas dans les bonnes grâces de l'auteur ou qui avaient le malheur de n'être pas nés à cette époque. Ils trouveront les meilleures places prises, et devront se contenter de formations secondaires ou difficiles à identifier. Mais ce manque de justice distributive était à peu près inévitable. On ne pourrait plus guère apporter un changement radical à la nomenclature de Riccioli, quelque peu complétée par la suite, sans risquer de produire une grande confusion. En ce qui concerne le calcul des positions et des hauteurs, et généralement la topographie, la Carte de Riccioli, exécutée en collaboration avec Grimaldi, marque peu de progrès sur celles de Langrenus et d'Hévélius.

Il en est autrement des recherches de Newton, qui ouvrent dans plusieurs directions des voies essentiellement nouvelles. Dès 1676, dans une lettre à Mercator, il donne la vraie cause de la libration en longitude, résultant de l'excentricité de l'orbite lunaire, combinée avec l'uniformité du mouvement de rotation. Le livre des Principes, publié en 1687, emprunte au mouvement de la Lune les exemples les plus décisifs en faveur de la loi de la gravitation universelle. Newton y explique géométriquement la révolution des noeds de l'orbite en 18 ans 2/3 et la rattache à l'action perturbatrice du Soleil. Il rend compte aussi des principales inégalités en longitude, mais, comme Hévélius, croit que l'axe de rotation de la Lune est perpendiculaire à l'écliptique. Le fait que la Lune nous présente toujours la même face est pour lui un indice que le globe lunaire doit être allongé dans la direction de la Terre. Mais il n'y a aucune probabilité, en dehors de conditions initiales très particulières, pour que cet état de choses ait toujours été réalisé. On doit s'attendre à ce que notre satellite exécute des oscillations autour de cette position d'équilibre relatif. Sa vitesse de rotation n'est donc pas exactement uniforme, et la libration optique ou apparente, en longitude, doit être compliquée d'une libration réelle. L'importance de cette libration n'est pas indiquée par la théorie de Newton. Jusqu'à présent, il n'a pas été possible de la mettre en évidence par l'observation, non plus que l'allongement du globe lunaire vers la Terre. On n'a d'ailleurs pas constaté davantage un aplatissement suivant la ligne des pôles. Le méridien ne présente, par rapport à la forme circulaire, que des inégalités purement accidentelles. Cette circonstance était à prévoir d'après la théorie de Clairaut. Les limites φ/2 et 5φ/4 sont ici 600 fois plus petites environ que pour la Terre. Même dans l'hypothèse de l'homogénéité, qui serait la plus favorable, on n'entrevoit aucune chance de constater l'aplatissement.

Peu d'années après la publication du livre des Principes, les lois exactes de la libration de la Lune étaient découvertes par Dominique Cassini (1693). Ces lois sont les suivantes:

1° La Lune tourne autour d'un axe dont les pôles sont fixes à sa surface. Ce mouvement est uniforme; sa période est égale à une révolution sidérale de la Lune.

2° L'axe de rotation est incliné d'un angle constant et différent de 90° sur l'écliptique.

3° L'axe de l'écliptique, l'axe de rotation et l'axe de l'orbite sont constamment parallèles à un même plan.

On notera que, si la première loi n'était pas rigoureuse, toutes les parties de la surface de la Lune deviendraient visibles à la longue. Ces règles étant admises, on peut prédire l'aspect du disque pour une époque quelconque et ramener toutes les configurations observées à un état de libration moyenne. On prend pour origine des latitudes l'équateur, pour origine des longitudes le méridien, fixe sur la surface de la Lune, qui jouit de la propriété de s'écarter de quantités égales de part et d'autre du centre apparent.

Cassini avait publié antérieurement (1680) une Carte de la Lune plus complète que celle d'Hévélius. Il aurait pu, par l'application des lois qu'il avait posées, donner à cette Carte une base mathématique. Ce travail ne fut accompli que beaucoup plus tard par Tobie Mayer, astronome de Goettingue (1748). A la valeur 2° 30' donnée par Cassini pour l'inclinaison de l'équateur sur l'écliptique, il substitua la valeur beaucoup plus exacte 1° 29'. Le chiffre adopté aujourd'hui est 1° 31'. La Carte de Tobie Mayer est la première où l'on se soit conformé à l'orientation apparente dans les lunettes.

William Herschel porta son attention de 1777 à 1779 sur la topographie de la Lune. On lui doit une série de mesures de la hauteur des montagnes. Ses résultats sont bien plus faibles que ceux des observateurs qui l'ont précédé ou suivi. Selon lui, la hauteur des montagnes excéderait rarement 1000m. Il est probable que Herschel considérait comme la surface véritable de la Lune celle des plateaux qui séparent les cirques et qu'il évaluait la différence d'altitude entre le bourrelet des cirques et le plateau extérieur. On trouve des chiffres beaucoup plus forts quand on compare le rebord d'un cirque à la plaine intérieure, ou le fond d'une mer aux montagnes qui en forment la limite.

Herschel a cru, à diverses reprises, apercevoir des volcans en activité dans la partie obscure de la Lune. Ailleurs, il considère comme très probable, sinon certain, que la Lune est habitée. Ni dans un cas ni dans l'autre, ses observations ou ses raisonnements ne sont présentés sous une forme qui entraîne la conviction.

Le premier essai de topographie vraiment détaillée est dû à Schröter. Ses observations, commencées à Lilienthal en 1784, ont abouti à la publication de deux volumes de Selenotopographische Fragmente, parus en 1791 et 1802. Jamais avant lui on n'avait appliqué à ce genre de recherches des instruments aussi puissants. L'un de ses télescopes avait 19 pouces d'ouverture. Schröter n'a point donné de Carte d'ensemble, mais une multitude de dessins partiels relatifs à des phases diverses. Dans ce travail, accompli avec beaucoup de persévérance, il eut l'occasion d'enrichir la nomenclature et de signaler de nombreux détails restés inaperçus avant lui. Son titre le mieux caractérisé est d'avoir inauguré une méthode nouvelle pour l'évaluation des hauteurs des montagnes. Elle repose sur la mesure micrométrique de l'ombre projetée, combinée avec le calcul de la hauteur du Soleil pour le point qui est l'origine de l'ombre. Ce procédé, plus précis que la mesure de la distance au terminateur, est applicable dans des cas moins limités. Toutefois il est encore fréquent qu'il tombe en défaut, et il ne fournit jamais que des différences entre le sommet d'une montagne et une plaine voisine.

Schröter observa, non sans surprise, des divergences manifestes entre ses dessins d'une même région, effectués à des époques différentes. Dans un grand nombre de cas, il fut amené à conclure que des changements réels s'étaient accomplis sur notre satellite. Mais ces conclusions n'ont pas été acceptées par la généralité des astronomes. Ils estiment ou bien que Schröter n'a pas suffisamment tenu compte des apparences occasionnées par le changement des positions relatives de la Terre, du Soleil et de la Lune, ou bien, dans les cas de divergence certaine, que l'état ancien n'était pas établi par un ensemble suffisant de témoignages.

Pour affirmer qu'il y a eu modification physique, il serait évidemment désirable d'avoir des Cartes lunaires établies par une méthode vraiment rigoureuse, c'est-à-dire reposant sur la triangulation d'un certain nombre de signaux bien choisis. Par des contrôles répétés, on peut assigner une limite supérieure à l'erreur possible d'un réseau géodésique; et, si l'un des sommets vient à se déplacer d'une quantité supérieure à cette limite, la Carte est un témoin irrécusable qui peut attester la réalité du déplacement. Quand le réseau est suffisamment serré, les déplacements du même ordre qui se produisent dans l'intérieur des mailles peuvent être établis avec une certitude équivalente. Les points du premier ordre de la Carte de France, par exemple, ne comportent que quelques décimètres d'erreur.

Nous n'en sommes pas là pour la Lune: les positions sélénographiques y sont facilement en erreur de 30' près des bords, de 5' à 10' dans la partie centrale. Cela tient à deux causes: 1° l'incertitude des éléments de la libration, qui affecte le passage de la configuration apparente à la configuration moyenne; 2° l'absence d'objets géométriquement définis, analogues aux signaux artificiels des géodésiens. Nulle part nous n'observons de points lumineux invariablement liés à la surface; pas davantage d'arêtes vives, dont l'intersection soit définie indépendamment de l'éclairement solaire.

Pour combler la première lacune, il suffit à la rigueur d'avoir un seul signal bien défini, et d'observer avec la persévérance nécessaire sa situation par rapport au centre apparent du disque. Arago, Bouvard et Nicollet ont fait dans ce but, de 1806 à 1818, d'importantes séries de mesures micrométriques. L'objet choisi était le pic central du cirque Manilius. Ce choix n'était pas le plus heureux qu'on pût faire. Le sommet de ce pic est arrondi, peut-être multiple, et il est probable que ce n'est pas toujours le même point que l'on adopte pour sommet quand l'éclairement change. Depuis, Schlüter, Wichmann, M. Franz ont exécuté avec l'héliomètre des séries analogues en prenant pour point fondamental le centre du petit cratère Moesting A, bien circulaire et très net. On ne doit pas se flatter cependant que l'appréciation du centre soit tout à fait indépendante de la phase, et l'on peut regretter aussi qu'aucune de ces séries de mesures n'embrasse un intervalle équivalent à la moitié de la révolution des noeuds de la Lune. Jusqu'ici, ces opérations confirment l'exactitude des lois de Cassini et n'indiquent aucune libration réelle venant s'ajouter à la libration optique. Elles permettent de regarder l'origine des coordonnées lunaires comme fixée à la surface du globe avec une approximation de quelques secondes d'arc. (On se rappellera que l'arc de 1" équivaut à peu près à 2km.) Il est probable que cette incertitude sera bientôt restreinte, dans une proportion notable, par l'emploi des documents photographiques. MM. Franz, Hayn, Saunder ont entrepris dans ce but des travaux qui ne sont pas encore complètement publiés. Quant à présent, la base de la Sélénographie mathématique est encore la triangulation exécutée en 1824 par Lohrmann, complétée de 1830 à 1837 par Beer et Mädler. Ces deux derniers auteurs ont donné une Carte complète à l'échelle de 1m environ pour le diamètre de la Lune, avec une description topographique très soignée. Chaque fois qu'ils se sont trouvés en désaccord avec leurs prédécesseurs, ils ont examiné les origines du conflit, et toujours ils sont arrivés à la conclusion que les anciens documents devaient être tenus pour suspects et que la réalité du changement présumé était fort douteuse.

La seule opération graphique, étendue à l'ensemble de la Lune, qui ait marqué un progrès sur l'ouvrage de Beer et Mädler, est la Carte de J. Schmidt, directeur de l'Observatoire d'Athènes. Cette Carte, reposant sur des observations faites de 1848 à 1874 et dressée à l'échelle de 1m,80 pour le diamètre lunaire, est sans rivale pour la clarté du dessin et l'abondance des détails. On doit reconnaître toutefois qu'elle a souvent le caractère d'une interprétation discutable et ne peut prétendre à la ressemblance, puisqu'elle ne se rapporte à aucun éclairement déterminé. Les inclinaisons du sol, les teintes des objets, leur importance relative seront très souvent mal appréciées à l'inspection de la Carte seule (fig. 24).

En l'absence d'ombres, de cotes ou de lignes de niveau, on ne peut évidemment espérer donner une idée correcte du relief. De même que Mädler, Schmidt s'est servi de hachures, mais sans pouvoir les établir dans une relation déterminée avec la pente. On a tenté de sortir de cette difficulté par une autre voie. Il est possible de construire par tâtonnements un modèle en plâtre qui, sous diverses incidences de lumière, donne la même série d'apparences qu'un paysage lunaire dans les phases successives. Cette méthode laborieuse a été appliquée par Nasmyth et Carpenter. Elle donne des images très nettes, très expressives, mais qui ne portent pas leur contrôle avec elles et qui, par suite, ne doivent être consultées qu'avec une certaine défiance. Elles ne sauraient remplacer l'ensemble des dessins qui ont servi à les construire, car elles font intervenir certaines propriétés physiques de la substance employée, et, dans une plus large mesure, la personnalité de l'opérateur. On peut encore espérer qu'un dessinateur consciencieux ne figurera rien dont il ne soit sûr. Le mouleur le plus habile introduira fatalement des détails qui n'existent pas.

En dehors de ces travaux d'ensemble, de nombreux observateurs se sont livrés à des études topographiques de détail. Mais on doit avouer que presque toujours leurs dessins supportent, moins bien que la Carte de Schmidt, la comparaison avec les photographies modernes. Il semble qu'à la longue le désir de montrer tout ce qui peut se voir l'emporte toujours sur le scrupule de ne figurer que ce que l'on a vu avec certitude. Malgré tout le labeur et l'habileté dépensés dans cette direction, il est ordinairement impossible de réconcilier ensemble les dessins de source différente et l'on arrive à la conviction que des changements apparents considérables peuvent se manifester sans qu'il y ait lieu de conclure à des variations réelles. De plus, la représentation graphique d'un site un peu complexe ne se rapporte jamais à une phase bien définie, car le temps nécessaire à l'exécution suffit pour faire varier la place et l'étendue des ombres.

Déjà Riccioli avait été amené à penser qu'aucune altération permanente ne se produit plus à la surface de la Lune, que celle-ci est totalement aride et inhabitable.

Hévélius et Herschel inclinent à l'opinion contraire. Cassini cite des exemples de nuages et de points lumineux temporaires.

Schröter et Gruithuisen, astronome de Münich, relèvent nombre d'objets facilement visibles, omis sur les Cartes anciennes. Ils croient pouvoir en inférer que ces objets sont des formations modernes.

Beer et Mädler repoussent cette conclusion. L'enquête à laquelle ils se sont livrés, dans presque tous les cas signalés, leur a montré que les sélénographes du XVIIe siècle n'ont poussé assez loin ni l'exactitude générale, ni le souci du détail. Deux documents de cette époque ne s'accordent pas mieux entre eux qu'avec les documents modernes. En somme, la permanence est plus probable, sauf deux ou trois points où le doute reste permis. Mais Beer et Mädler, par le caractère uniforme et compréhensif de leur travail, donnent une base plus solide aux discussions futures. Aucun objet net et étendu n'a pu leur échapper, pas plus qu'aux photographies modernes.

Parmi les points signalés par Schröter, comme offrant une apparence fugitive et changeante, se trouvent deux petits cirques voisins, perceptibles sans difficulté dans les petits instruments. Ces deux orifices, connus aujourd'hui sous les noms de Messier et Messier A, se trouvent dans la mer de la Fécondité. Du côté de l'Est s'en échappe une double traînée lumineuse, rectiligne, qui simule fort bien une queue de comète (fig. 28 et 29).

Beer et Mädler, désireux de contrôler l'observation de Schröter, reviennent sur Messier chaque fois qu'ils en rencontrent l'occasion. Ce qui les frappe surtout, c'est la ressemblance absolue, on pourrait dire l'identité d'aspect des deux cirques. Voici, sur ce sujet, leurs propres paroles: «Près de ce cirque d'éclat 7°, de 16km de diamètre, se trouve à l'Est un cirque entièrement semblable sous tous les rapports. Diamètre, forme, hauteur et profondeur, teinte de l'intérieur, même la position de quelques sommets sur le rempart, tout s'accorde de telle façon qu'il doit y avoir là un jeu bien singulier du hasard ou l'intervention de quelque loi encore inconnue de la nature.... Messier est probablement cet objet que Schröter (Part. II, § 688) incline à considérer comme une apparition lumineuse accidentelle. Nous pouvons assurer que, depuis 1829, dans plus de trois cents occasions, aussi souvent que cette région était bien visible, nous l'avons toujours vue telle que nous l'avons décrite, alors qu'avec une apparence aussi précise, même le plus léger changement de grandeur de forme ou de teinte aurait dû se faire remarquer, et que l'observation de Schröter nous engageait à étudier attentivement cette localité.»

Bientôt après, en 1842, Gruithuisen nota que les deux cirques ne paraissaient plus égaux. Webb répéta l'observation en 1855 et en fit ressortir toute l'importance. Cette inégalité, qui avait pu échapper si longtemps à l'attention d'observateurs habiles et persévérants, était devenue très apparente dans une médiocre lunette. Il est aujourd'hui facile de l'enregistrer par la Photographie. Sous un éclairement oblique, Messier se montre toujours plus petit et moins net que Messier A, le premier étant aplati dans le sens du méridien, le second plus développé en latitude. C'est seulement pendant quelques jours chaque mois que les deux cirques, sous un éclairement presque normal, apparaissent comme deux taches lumineuses égales. Il est contraire à toute vraisemblance que Beer et Mädler aient limité leur examen à cette courte période notoirement défavorable pour l'appréciation des formes. Il y a donc lieu de conclure qu'il s'est produit un changement intrinsèque et définitif, mais nous ne voyons pas de raison suffisante pour admettre, avec M. W.-H. Pickering, qu'il y a variation périodique. Ces deux cirques sont, comme beaucoup d'autres, enveloppés chacun d'une auréole claire, à peu près circulaire. Ces auréoles échappent souvent à la vue, soit parce qu'elles ne forment pas un contraste suffisant avec un fond déjà très lumineux, soit parce que leur teinte propre ne se développe pas dans un éclairement déjà très oblique. Près du lever ou du coucher du Soleil, c'est le relief du bourrelet qui détermine l'étendue apparente du cirque. Quand le Soleil approche du méridien, on ne voit plus que l'auréole, et c'est par elle que l'on apprécie l'importance de la formation. Les deux orifices de Messier sont inégaux, les deux auréoles sont égales: de là la diversité des jugements.

Nous renverrons aux Ouvrages spéciaux pour la discussion des cas analogues. Celui que nous avons choisi comme exemple est le plus frappant, parce que, dans aucun autre, la différence entre l'état initial et l'état actuel n'est attestée par autant de témoignages concordants. Si réellement des changements de cet ordre se produisent encore, ils ne peuvent manquer d'être mis en lumière un jour ou l'autre par la comparaison des documents photographiques. Désormais, c'est à cette nouvelle source d'informations que nous aurons recours; mais, pour l'interpréter plus sûrement, il sera utile que nous empruntions à la Mécanique céleste et à la Physique quelques données sur les derniers états que notre satellite a traversés avant de parvenir à sa configuration actuelle et sur les forces qui peuvent régner à sa surface.




CHAPITRE IX.

LA GENÈSE DU GLOBE LUNAIRE ET LES CONDITIONS PHYSIQUES
A SA SURFACE.


On connaît la conception séduisante par laquelle Laplace a tenté de résumer dans ses grandes lignes la formation du système solaire. Présentée par l'illustre auteur, «avec la défiance que doit inspirer tout ce qui n'est pas un résultat de l'observation ou du calcul», l'hypothèse nébulaire prend plus de précision et de consistance à mesure que l'on considère des époques plus rapprochées de la nôtre, des états plus voisins de l'état actuel. Elle est capable, en particulier, de fournir des indications précieuses si on l'applique au système restreint formé par la Terre et la Lune, et dans lequel le Soleil intervient comme agent de perturbation.

L'état primitif nous est absolument inconnu et celui dont Laplace est parti ne représente pas même ici une approximation vraisemblable. La marche rationnelle serait donc la suivante: partir de l'état actuel, introduire comme fonctions du temps les principaux éléments du système, volumes, densités, durées de rotation et de révolution; former les équations différentielles dont ces fonctions dépendent; les intégrer au moins approximativement; dans les intégrales, donner au temps des valeurs positives ou négatives, suivant que l'on veut prévoir l'avenir ou reconstituer le passé.

Ce programme, pris à la lettre, dépasse encore les ressources de l'Analyse. Il faut le modifier en partant d'un état fictif, aussi voisin que possible de l'état actuel, mais choisi de manière à faciliter le calcul. On peut espérer obtenir ainsi au moins un aperçu de la manière dont les choses se sont passées. La tentative la plus heureuse qui ait été faite dans ce sens est celle de M. G.-H. Darwin, dont les Mémoires ont paru dans les Philosophical Transactions. Nous allons essayer de résumer ici les conclusions du plus important 10.

Note 10: (retour) G.-H. Darwin, On the precession of a viscous spheroïd and on the remote history of the Earth (Phil. Trans., vol. CLXX, 1879).

M. Darwin suppose la Terre et la Lune encore fluides et homogènes, la viscosité constante, le plan de l'orbite lunaire en coïncidence avec le plan de l'écliptique. Les autres éléments, partant de leurs valeurs actuelles, vont varier, et la principale cause de cette variation sera le frottement des marées.

On comprend sans peine l'origine de ce frottement (fig. 25). Si une planète P tourne dans le sens direct, en présence d'un autre corps C, l'attraction de ce corps va provoquer la formation d'un bourrelet saillant b, situé du côté de C. Le mouvement diurne, supposé plus rapide que le mouvement de révolution, emporte ce bourrelet vers l'Est, mais l'attraction du corps C tend à le ramener sur la ligne PC. Le bourrelet liquide est donc constamment traîné sur la planète et agit comme un frein pour éteindre la vitesse de rotation. L'action continue dans le même sens tant que la durée de la révolution sidérale (que l'on peut appeler mois) surpasse celle de la rotation diurne (que l'on peut appeler jour). L'action s'arrête, en même temps que les marées, quand le mois est devenu égal au jour, et la planète P prend, d'une façon permanente, une forme allongée dans la direction PC.

Ainsi l'action de la Terre a réalisé pour la Lune cette égalité, enfermée dans la première loi de Cassini. On peut se demander pourquoi l'effet correspondant ne s'est pas produit pour la Terre, et pourquoi notre jour sidéral n'est pas devenu égal à la révolution sidérale de la Lune. Mais il est facile de voir qu'entre notre globe et son satellite la partie était loin d'être égale. La Terre, plus volumineuse, provoque sur la Lune des marées bien plus fortes. Le frein mis en jeu, agissant sur une masse moindre, est plus efficace. La Terre agit 12000 fois plus vite pour ralentir la rotation de la Lune que la Lune pour ralentir la rotation de la Terre.

Ce phénomène a des répercussions qui n'apparaissent pas à première vue, mais dont le calcul démontre la nécessité. L'énergie cinétique disparue dans le ralentissement de la rotation de la planète P doit inévitablement se retrouver quelque part. Il y a, en effet, échauffement de la planète P, ou atténuation du refroidissement si celle-ci rayonne vers l'espace. Mais ce n'est pas tout: le bourrelet b attirant la planète C du côté où déjà elle tend à se mouvoir, augmente sa vitesse linéaire et la fait sortir de son orbite relative. A cette augmentation de distance correspond un ralentissement dans le mouvement angulaire. En somme, si nous considérons l'effet des marées terrestres, il y a transport d'énergie cinétique du mouvement diurne de la Terre au mouvement orbital de la Lune.

A côté de cette répercussion réelle, il peut s'en produire une autre qui n'est qu'apparente. Nos procédés de mesure du temps sont fondés sur la constance présumée du jour sidéral. Si la rotation de la Terre se ralentit, le jour sidéral s'allonge. Les phénomènes mesurés avec cette unité deviennent en apparence plus rapides. C'est le cas pour le mouvement angulaire de la Lune qui subirait une accélération apparente supérieure, comme M. Darwin le démontre, à son ralentissement réel.

Ces résultats subsistent pour toutes les hypothèses vraisemblables sur la viscosité. Si l'on supposait, au contraire, la masse de la Terre solide et parfaitement élastique, on trouverait pour le moyen mouvement de la Lune une accélération réelle de 3",5 et pour le jour sidéral une durée presque invariable.

Les conclusions de M. Darwin sont résumées dans le Tableau suivant, qui nous retrace à grands traits, pour une période de 56 millions d'années en remontant dans le passé, l'histoire de la Terre et de son satellite:

Colonnes:
A: Temps (--t) en années.
B: Jour sidéral en heures de temps moyen.
C: Révolution sidérale en jours moyens.
D: Obliquité de l'écliptique.
E: Inverse de l'ellipticité.
F: Distance de la Terre à la Lune en rayons terrestres.
G: Chaleur engendrés en degrés Farenheit.

 États             A         B      C      D     E    F     G
                           h  m     j     °  '               °
État initial       0       23.56  27.32  23.28  232  60,4     0
I              46 300 000  15.30  18.62  20.40   96  46,8   225
II             56 600 000   9.55   8.17  17.20   40  27,0   760
III            56 800 000   7.50   3.59  15.30   25  15,6  1300
IV             56 810 000   6.45   1.58  14.25   18   9,0  1760

On voit qu'une transformation très profonde s'accomplit dans un temps relativement court à partir de l'époque t = -56 600 000. En remontant vers cette époque, on assiste à une diminution de plus en plus rapide du jour, du mois et de l'obliquité. Cela tient à ce que, la Lune se rapprochant de la Terre, la force retardatrice des marées augmente énormément. Il est vrai qu'avec une rotation plus rapide la production des marées serait plus fortement entravée par le frottement intérieur, ce qui fait, jusqu'à un certain point, compensation.

En prolongeant ce Tableau, on arriverait à l'époque où la Terre et la Lune étaient confondues ensemble. La méthode de calcul de M. Darwin ne peut plus servir de guide dans le détail, lorsqu'on approche de cette limite. Toutefois le principe de la conservation des aires montre que, au moment où la Lune s'est séparée de la Terre, le mois et le jour avaient pour valeur commune 5h 36m. La séparation a pu être provoquée par l'action des marées solaires combinées avec la force centrifuge. On peut imaginer des circonstances où ces marées auraient acquis une très grande intensité, par exemple si la marée solaire semi-diurne avait à peu près même période que l'oscillation libre du sphéroïde. Ce ne serait pas alors un anneau qui se détacherait, mais une excroissance. Sa séparation serait accompagnée d'une rupture d'équilibre et de fluctuations violentes. La mise en liberté d'un anneau complet serait plus conforme à l'esprit général de l'hypothèse de Laplace, mais le passage de cet anneau à un satellite unique soulève, de l'aveu de tous les géomètres qui se sont occupés de la question, de très grandes difficultés mécaniques.

Si l'on considère la Lune comme rassemblée en un globe unique aussitôt après sa séparation (c'est l'hypothèse que préfère M. Darwin), le mois augmente dès le début un peu plus vite que le jour, et l'influence réciproque des marées intervient pour allonger l'un et l'autre, tout en éloignant la Lune de la Terre. La chaleur développée par le passage de la Terre de la durée de rotation primitive (5h 36m) à la durée de rotation actuelle (23h 56m) suffirait, si elle était appliquée d'un seul coup, pour élever la température de la Terre de 3000° Farenheit. Mais il va de soi que la plus grande partie de cette chaleur a dû se dissiper dans l'espace.

Peut-on supposer qu'une partie de l'évolution qui vient d'être décrite rentre dans les temps géologiques? Cela est possible si l'on admet avec M. Darwin qu'un globe visqueux, même recouvert d'une croûte mince, est susceptible d'éprouver des marées à courte période comme si la fluidité était parfaite. L'alternance plus rapide des jours et des nuits devait donner plus d'énergie aux vents, aux courants marins, aux cyclones, accélérer le travail des eaux à la surface. Cela est conforme à ce que nous savons des transformations de l'époque quaternaire, où les cours d'eau, plus volumineux qu'aujourd'hui, travaillaient plus efficacement au creusement de leurs vallées.

Le frottement des marées a cessé de se produire pour la Lune par suite de l'égalité établie entre la durée de rotation et la durée de révolution. Mais il doit être encore sensible pour la Terre. Cette action retardatrice peut rendre compte, pour une part, de l'accélération séculaire apparente du mouvement de la Lune en longitude. Comme elle agit surtout sur l'équateur terrestre, elle tend à produire sur notre globe une sorte de torsion, avec plissement superficiel. M. Darwin a cherché à prévoir dans un second Mémoire (Phil. Trans., Vol. CLXX, 1879) la forme théorique de ces plis. Le dessin donné n'a pas une relation bien apparente avec la figure des continents ni avec le tracé des chaînes de montagnes.


De la forme de la Lune.--La rotation de la Lune sur elle-même est lente; la force centrifuge à l'équateur n'est qu'une fraction insignifiante de la pesanteur. Si donc la Lune n'était pas en présence de la Terre, elle pourrait, étant considérée comme une masse fluide et homogène, être en équilibre sous la forme d'un ellipsoïde de révolution très peu aplati.

Mais l'attraction de la Terre à la surface de la Lune n'est pas insensible par rapport à celle de la Lune elle-même; d'où l'impossibilité que le globe lunaire soit de révolution. Quand les durées de rotation et de révolution sont devenues égales, le bourrelet des marées prend sur la Lune une position fixe; il est constamment orienté vers la Terre, avec une oscillation limitée correspondant à la libration en longitude. Du jour où la solidification complète intervient, nous devons avoir une figure ovoïde, l'allongement le plus prononcé ayant lieu dans la direction de notre globe.

Le problème, considéré dans toute sa généralité, est d'un traitement mathématique trop pénible. On le réduit, pour la facilité du calcul, aux termes suivants (Tisserand, Mécanique céleste, t. II, p. 110):

Trouver la figure d'équilibre d'une masse fluide, homogène, animée d'un mouvement de rotation uniforme autour d'un axe fixe Ox passant par son centre de gravité O. Toutes les molécules de la masse fluide s'attirent mutuellement suivant la loi de Newton et sont soumises en outre à l'attraction d'un centre éloigné C situé dans le plan de l'équateur. On suppose qu'en vertu de celle dernière force le point O décrit un cercle ayant son centre en C et que la durée de la révolution est égale à celle de la rotation de la masse fluide autour de Ox.


La question étant ainsi précisée, on trouve comme figure d'équilibre un ellipsoïde à trois axes inégaux. L'axe de rotation est le plus petit; l'axe dirigé vers la Terre est le plus grand. L'aplatissement de la section orientée vers la Terre est quatre fois plus grand que celui de la section perpendiculaire. Ces aplatissements sont d'ailleurs faibles, respectivement égaux à 375/(107) et 94/(107). La différence des rayons extrêmes pourrait aller à 60m. C'est dire qu'il y a peu d'espoir de la mettre en évidence par des mesures micrométriques.

Il est probable que ces résultats seraient peu modifiés si l'on supposait la Lune hétérogène, avec densité croissante de la surface au centre. La densité moyenne de la Lune surpasse à peine 3, et il est à croire, par suite, qu'elle est plus homogène que la Terre: ses matériaux ont dû être empruntés aux couches superficielles et peu denses de notre globe.


Indications fournies par la théorie de la libration.--On peut former les équations du mouvement de la Lune autour de son centre de gravité en ayant égard à l'attraction mutuelle de ses diverses parties et à l'attraction de la Terre. L'action perturbatrice du Soleil a peu d'importance.

De ce que les pôles se déplacent peu à la surface, il résulte que l'axe de rotation reste voisin de l'un des axes principaux d'inertie. Par suite un autre axe principal d'inertie fait constamment un axe très petit avec le rayon vecteur mené du centre de la Lune à la position moyenne de la Terre.

Le calcul montre que les deux principales lois de Cassini (constance de l'inclinaison de l'axe de rotation sur l'écliptique, coïncidence des noeuds de l'équateur et de l'orbite sur l'écliptique) sont liées ensemble. Chacune peut être regardée comme la conséquence de l'autre.

La fixité de l'axe de rotation dans l'intérieur de la Lune n'a pas un caractère nécessaire. Elle dépend des conditions initiales. D'après Poisson, l'axe de rotation décrit à l'intérieur de la Lune un cône de révolution. D'après un calcul plus exact, dû à Charles Simon, l'axe de rotation oscille dans un plan principal. En pratique, la distinction n'a pas beaucoup d'importance. Les excursions de l'axe de rotation sont certainement périodiques et toujours petites. Jusqu'à présent l'observation ne les a pas mises en évidence.


Désaccord entre la théorie de l'équilibre d'une masse fluide homogène et la théorie de la libration.--La première théorie donne, comme nous l'avons vu, pour l'aplatissement de la section principale la plus déformée 375 x (107). La théorie de la libration donne pour l'aplatissement de cette même section (toujours dans l'hypothèse de l'homogénéité) 614 x (10-6), valeur seize fois plus forte.

On ne doit pas se flatter de rétablir l'accord en tenant compte de ce que la Lune n'est pas homogène. La discordance devient encore plus grande si l'on suppose, comme il est naturel, que la densité croisse de la surface au centre.

On doit en conclure que la figure actuelle de la Lune ne répond pas aux conditions d'équilibre d'une masse fluide. Notre satellite a dû se déformer d'une manière sensible depuis que sa surface s'est solidifiée, et cette déformation s'est répercutée sur les constantes de la libration.


De l'allongement actuel de la Lune vers la Terre.--Hansen et J. Herschel ont admis que la Lune, en raison de sa constitution hétérogène, pouvait présenter un allongement vers la Terre, supérieur même à celui qu'indique la théorie de la libration, et qui comporte une différence de 1km entre les rayons extrêmes.

Ils ont aussi considéré comme possible une dissymétrie extérieure entre les deux hémisphères, dissymétrie compensée par la distribution des masses intérieures de manière à respecter l'isostase. Si l'hémisphère qui nous fait face est beaucoup plus renflé que l'autre, il forme une vaste excroissance montagneuse privée d'air et d'eau. L'atmosphère et les mers seraient reléguées sur l'hémisphère invisible. Cette dissymétrie contribuerait évidemment à maintenir le grand axe de la Lune dirigé vers la Terre.

Porté à un certain degré, le renflement pourrait être mis en évidence par l'étude de la libration. En effet, pour un même déplacement angulaire autour d'un axe perpendiculaire à la ligne de visée, les points du centre du disque éprouveraient un déplacement apparent plus grand que les points voisins des bords, même si l'on suppose la Lune sphérique. Et, si on la suppose allongée vers la Terre, le déplacement relatif des points voisins du centre se trouve encore augmenté.

Sur le conseil de Hansen, Gussew a entrepris d'étudier à ce point de vue deux photographies de Warren de la Rue. Son travail (Bulletin de l'Académie de Saint-Pétersbourg, 14 octobre 1859) conclut à un allongement énorme 0,055. Ce résultat, bien qu'ayant obtenu l'assentiment de Hansen, n'a pas été admis en général par les astronomes.

Récemment M. Franz (Observations de Königsberg, Vol. XXXVIII) a repris la discussion des mesures de Gussew, et montré qu'elles ne justifient pas ses conclusions. M. Franz a mesuré micrométriquement, dans le même but, cinq clichés de l'Observatoire Lick, et il a trouvé que l'allongement vers la Terre est insensible.


De l'atmosphère de la Lune.--Au moment de la séparation de la Terre et de la Lune l'attraction prépondérante du globe le plus gros a dû ne laisser au plus petit qu'une faible fraction de l'atmosphère totale. Il est vrai que cette atmosphère pouvait être alors beaucoup plus importante qu'aujourd'hui.

En fait l'atmosphère de la Lune a maintenant une densité extrêmement faible. Le bord du Soleil n'éprouve ni affaiblissement ni déformation au voisinage du bord de la Lune dans les éclipses. Le spectre visible de la Lune est le même que celui de la lumière solaire reçue directement, et les raies d'origine atmosphérique ne s'y montrent pas plus intenses.

Le critérium qui semble devoir offrir la sensibilité la plus grande est fourni par les occultations d'étoiles. A l'entrée et à la sortie, dans une occultation centrale, l'étoile doit paraître déviée, en des sens contraires, d'un arc égal au double de la réfraction horizontale à la surface de la Lune. Or la réfraction horizontale atteint sur la Terre 30' à 35'.

D'autre part, la présence d'une atmosphère augmente le rayon apparent de l'astre dans une mesure qui dépend à la fois de la densité de l'atmosphère et de sa hauteur, mais qui, certainement, est bien moindre que le double de la réfraction horizontale. On doit donc, en partant du diamètre apparent mesuré directement, trouver pour les occultations une durée trop longue. Inversement le diamètre calculé d'après la durée des occultations sera plus petit que le diamètre mesuré directement.

Bessel a considéré comme établi par l'expérience que la différence ne s'élevait pas à 1". Il en a conclu que l'atmosphère devait être au moins 900 fois plus rare à la surface de la Lune qu'à la surface de la Terre.

Cette conclusion paraît excessive. On possède aujourd'hui des occultations observées plus exactement et en nombre beaucoup plus grand qu'au temps de Bessel. Leur discussion montre que la différence des diamètres déterminés par les deux méthodes est bien réelle. On peut l'estimer à 1" ou même 2" et son signe est bien celui que fait prévoir la théorie, s'il existe une atmosphère réfringente. Il y a donc lieu de considérer la limite 1/900 posée par Bessel comme une valeur vraisemblable de la densité de l'atmosphère lunaire à la surface. A cause de la moindre pesanteur sur la Lune, l'atmosphère s'y répartirait sur une hauteur bien plus grande et, à 150km d'altitude, les deux atmosphères pourraient avoir des densités comparables. Or, à 150km de hauteur, l'atmosphère terrestre est encore capable de produire des effets sensibles, de porter les étoiles filantes à l'incandescence, de diffuser les rayons solaires, de tenir de fines poussières en suspension.


Disparition de l'atmosphère lunaire.--L'examen de la surface de notre satellite donne lieu de penser qu'il a possédé autrefois une atmosphère plus importante, et que, par la suite, cette enveloppe fluide s'est résorbée ou dissipée.

La première explication est suggérée par divers phénomènes chimiques. Une élévation de température de quelques centaines de degrés à la surface de la Terre ferait rentrer dans l'atmosphère la totalité de l'eau des mers et une grande partie de l'acide carbonique contenu dans l'écorce. D'où augmentation très forte dans la hauteur et la pression de l'atmosphère. Inversement le refroidissement plus rapide du sol lunaire, joint à sa nature absorbante, a pu fixer dans des combinaisons solides et soustraire à la circulation la totalité des éléments liquides ou gazeux.

Mais il se peut aussi que les gaz aient disparu par émission directe dans l'espace. Les gaz très raréfiés ne suivent plus les lois ordinaires des mélanges. La hauteur limite de l'atmosphère est variable d'un gaz à l'autre, et ceux dont le poids atomique est moindre s'élèvent plus haut que les autres. Or la Lune laisse échapper toute molécule lancée suivant la verticale ascendante avec une vitesse supérieure à 2km,38 par seconde. Il est probable que cette vitesse est fréquemment atteinte pour tous les gaz et que, par suite, la Lune est incapable d'en retenir aucun.

M. G.-J. Stoney (Transactions of the R. Dublin Society, Vol. VI, série 2) admet que la température à la limite de l'atmosphère terrestre est -66° C. A cette température les molécules d'hydrogène et d'hélium, de poids atomique 1 et 2, ont respectivement pour vitesse moyenne 1603m et 1133m par seconde. Sur la Terre, où une vitesse de 10km à 12km par seconde suffit pour assurer l'évasion, l'hydrogène et l'hélium s'échappent, la vapeur d'eau ne s'échappe pas. Il semble donc qu'une vitesse égale à 9 ou 10 fois la vitesse moyenne est encore assez fréquemment réalisée pour qu'une déperdition assez rapide en résulte.

Sur la Lune tous les gaz connus, sans exception, s'échappent à la longue plus facilement que l'hélium sur la Terre. Il n'y a donc pas à s'étonner que la Lune n'ait plus d'atmosphère. Mais rien ne dit qu'elle n'en ait pas eu une assez importante dans le passé.

Que sont devenues ces molécules égarées? Celles dont la vitesse était à peu près perpendiculaire au mouvement relatif de la Lune ont dû être reprises par la Terre, surtout lorsque les deux planètes étaient assez voisines l'une de l'autre. Le plus grand nombre a dû former un anneau de particules très disséminées, circulant indépendamment les unes des autres autour du Soleil, et dont l'orbite de la Terre constituait la ligne centrale. Il y aurait là une explication possible de la lumière zodiacale.


De la température de la Lune.--Il n'est pas douteux que la Lune ne se soit refroidie plus vite que la Terre, par cela seul qu'elle est plus petite. La Lune est arrivée la première à posséder une croûte assez épaisse, où la chaleur interne ne contribue plus que dans une mesure insignifiante à entretenir la température de la surface. Celle-ci oscille sous l'influence alternative du rayonnement solaire et du refroidissement nocturne, limité par la présence de l'atmosphère.

On ne peut douter que cette influence de l'atmosphère ne soit considérable. Dans la zone torride les sommets des très hautes montagnes sont chargés de neiges perpétuelles, et le refroidissement nocturne y est bien plus intense que pour les plaines situées à leur base. On ne voit, pour expliquer cette différence, d'autre motif que la rareté de l'air et de la vapeur d'eau. Or les sommets des plus hautes montagnes terrestres sont encore loin d'atteindre la limite supérieure de l'atmosphère. L'élimination totale de celle-ci serait accompagnée d'un refroidissement encore plus grand.

Nous devons donc nous attendre à ce que la Lune soit à une basse température et il est certain, en effet, que la chaleur qu'elle nous envoie n'est pas sensible pour nos organes, ni même, dans les conditions ordinaires d'expérience, pour un thermomètre.

Si le refroidissement nocturne est intense sur notre satellite, l'échauffement dans le jour semble devoir y être important. En effet, les jours de la Lune valent 14 des nôtres et, dans cet intervalle, tous les points de la zone équatoriale voient le Soleil passer près de leur zénith. Quelle que soit la nature de la surface, une certaine fraction des rayons solaires doit s'y absorber et relever la température. Nous pouvons d'ailleurs constater à première vue qu'il ne s'accomplit pas de réflexion spéculaire. Aussi J. Herschel pensait que le point d'ébullition de l'eau devait être dépassé quotidiennement. D'autres astronomes ont pensé que le sol lunaire devait approcher de la température du fer rouge.

En 1846 Melloni, opérant sur le Vésuve à l'aide d'un thermopile et du galvanomètre récemment inventé, réussit pour la première fois à mettre en évidence une manifestation sensible de la chaleur renvoyée par la Lune.

Lord Rosse et le Dr Boeddiker ont obtenu des résultats encore plus nets. Ils évaluent à 500° C. l'abaissement de température qui se produit sur la Lune dans le cours d'une éclipse totale. Le refroidissement consécutif à la disparition du Soleil est donc beaucoup plus rapide que sur la Terre, ce qui met bien en évidence le rôle protecteur de l'atmosphère. Les radiations solaires, pénétrant dans le sol terrestre, s'y transforment en radiations obscures; il paraît probable que l'atmosphère les retient au passage et que ce défaut de transparence ou cette faculté de capture résident surtout dans la vapeur d'eau et l'acide carbonique.

Depuis Langley a réalisé une combinaison beaucoup plus sensible du thermopile et du galvanomètre. Avec cet appareil, qu'il a nommé bolomètre, il a pu explorer le spectre solaire, du côté de l'infrarouge, bien au delà des limites antérieurement admises, et il a reconnu que la majeure partie de l'énergie calorifique du Soleil, les trois quarts peut-être, réside en dehors du spectre visible. Mais un autre résultat inattendu des expériences de Langley est que ces rayons obscurs traversent une atmosphère pure et sèche plus facilement que ne le fait la chaleur lumineuse.

Dans un travail exécuté avec M. Very et publié en 1889 11 Langley arrive aux conclusions suivantes:

La partie du disque lunaire qui n'est pas actuellement éclairée du Soleil ne nous envoie pas plus de chaleur que le fond du ciel.

Note 11: (retour) Langley et Very, The temperature of the Moon. American Journal of Science, vol. XXXVIII, 3e série.

La partie du disque lunaire qui voit le Soleil est, sans exception, plus chaude que le fond du ciel. L'appareil est assez sensible pour manifester la 1500e partie de la radiation totale de la Lune. La chute de température qui se produit sur la Lune pendant la durée d'une éclipse totale n'est pas aussi forte que lord Rosse l'avait pensé. Elle est cependant supérieure à celle qui se produit dans l'épaisseur de l'atmosphère terrestre sous une latitude quelconque.

Il y a dans le spectre lunaire deux maxima distincts observables, l'un correspondant à la radiation réfléchie, l'autre à la radiation propre du sol.

La position du second maximum, représentant la chaleur rayonnante invisible, permet une évaluation de la température du sol. Cette évaluation est fort incertaine. On peut admettre cependant que la température de la Lune ne s'élève pas au-dessus de 0° centigrade. Il n'y aurait donc pas, en dehors de l'examen détaillé du sol, de raison suffisante pour exclure l'idée que la Lune soit, en tout ou en partie, couverte de glace. Faute d'une température assez élevée cette glace n'aurait jamais occasion de fondre ou d'émettre des vapeurs sensibles.

Cette conclusion a soulevé des objections nombreuses. On s'explique mal, en l'absence de tout écran protecteur, ce qui frapperait ainsi les rayons solaires d'impuissance. M. Very, collaborateur de Langley, a repris les mesures avec des appareils plus perfectionnés 12. La transmission par le verre lui a permis de distinguer, dans la radiation de la Lune, la radiation solaire réfléchie de celle qui émane réellement du sol lunaire échauffé. En effet, une lame de verre qui laisse passer 0,77 de la radiation solaire transmet seulement 0,02 de la radiation d'une source à basse température, telle qu'un cube noirci rempli d'eau bouillante. Finalement M. Very a trouvé, comme il fallait s'y attendre, que la surface solide de la Lune, moins réfléchissante que les nuages de l'atmosphère terrestre, doit mieux profiter de la chaleur incidente. La température moyenne de l'hémisphère éclairé doit être voisine de +97° C. Le point qui voit le Soleil au zénith doit s'échauffer jusqu'à +184°, c'est-à-dire plus que les déserts les plus brûlants de la Terre. Dans ces conditions, l'existence souterraine est la seule à laquelle pourraient s'adapter les formes vivantes terrestres.

Note 12: (retour) F.-W. Very, The probable range of the temperature of the Moon. Astrophysical Journal, vol. VIII, nov. et déc. 1898.



CHAPITRE X.

LA FIGURE DE LA LUNE ÉTUDIÉE PAR LES DOCUMENTS
PHOTOGRAPHIQUES.
LES TRAITS GÉNÉRAUX DU RELIEF.


A quelque opinion que l'on se range, concernant la température actuelle de la Lune, il est certain qu'elle s'est refroidie plus vite et desséchée plus complètement que la Terre. On doit donc s'attendre à ce que la contraction par refroidissement soit pour notre satellite un facteur important du relief, le travail des eaux y étant relativement peu considérable. Cette prévision est confirmée par l'inspection de la surface dans les lunettes puissantes, inspection qui peut se faire aujourd'hui bien plus à loisir et d'une manière presque aussi complète sur les photographies.

Nous y reconnaîtrons d'abord, à première vue, des différences de niveau considérables. Prenons, par exemple, l'image de Théophile, l'un des cirques les plus profonds de la Lune. La mesure des ombres y donne 5500m pour l'écart d'altitude entre le bord et la plaine intérieure, 1500m pour la hauteur du groupe central de montagnes. La pente intérieure est raide, inclinée de 30° en moyenne. D'autres cirques présentent des inclinaisons encore plus fortes, 40° ou 50°, ce qui montre qu'ils ne peuvent être formés que de matériaux résistants. Il serait difficile, sur la Terre, de trouver une telle différence de niveau répartie sur une largeur aussi faible. La pente extérieure est au contraire modérée. Il est malaisé d'y assigner la limite de l'ombre, et par suite d'en évaluer la hauteur (fig. 31).

Sur ce revers externe, nous voyons de nombreux sillons, un peu divergents, tracés suivant la ligne de plus grande pente. Ils peuvent, à première vue, s'interpréter comme des vallons creusés par les eaux. Mais le fait qu'on les observe exclusivement sur le versant extérieur de quelques grands cirques conduit à les regarder plutôt comme des traces d'épanchements volcaniques. On ne trouve point, en effet, d'indice de ravinement sur la pente intérieure des cirques, pas davantage sur les pentes qui limitent les grands massifs montagneux et qui sembleraient devoir offrir un champ si favorable à l'érosion. Les parties saillantes n'y sont nulle part réduites à l'état de crêtes linéaires et ramifiées. Partout des bassins sans écoulement, des plateaux à pentes indécises. Point de fossés continus et progressivement élargis, comme les cluses et combes du Jura, point de deltas au débouché des sillons dans la plaine.

D'où cette conclusion importante: non seulement la Lune n'est pas aujourd'hui arrosée par des précipitations copieuses (ce que montrait déjà l'absence de tout effet de réfraction imputable à l'air ou à la vapeur d'eau), mais il en a toujours été ainsi depuis que le relief de notre satellite s'est constitué. Jamais les eaux n'ont eu à se frayer à la surface des voies d'écoulement.

Cela veut-il dire qu'il n'y ait jamais eu d'humidité sur la Lune? Cette conséquence serait peu admissible du moment que, avec Laplace et ses successeurs, nous faisons de la Lune un fragment détaché de la Terre. Elle le sera moins encore quand nous aurons relevé sur la Lune des traces manifestes d'éruptions volcaniques. Disons seulement que les précipitations y ont été faibles comparées à ce qu'elles sont dans les régions bien arrosées de la Terre. Elles ont rencontré un sol poreux et absorbant qui ne leur a pas permis d'agir par ruissellement. Le refroidissement ayant marché plus vite sur un globe moins gros, une couche plus épaisse s'est trouvée capable d'absorber l'eau, que la chaleur interne ne refoulait plus à la surface.

Pourquoi parlons-nous de sol poreux et absorbant? L'hypothèse de Laplace nous y invite encore. Car la Lune, empruntée aux couches superficielles de la Terre, doit être composée surtout des matériaux légers de l'écorce. Cette manière de voir est confirmée par la faible valeur de la densité moyenne, qui ne s'élève qu'à 3,4 pendant qu'elle dépasse 5,5 pour notre globe. Il est d'ailleurs extrêmement probable que la densité superficielle est plus faible, de même que sur la Terre, et n'excède pas 2, densité des calcaires les plus fissurés et les plus légers. Enfin l'éclat de la lumière réfléchie par la Lune permet d'assimiler sa surface au marbre ou à la craie. Les roches granitiques, schisteuses, basaltiques, et en général celles qui forment les terrains imperméables, ont des teintes plus sombres.


La répartition des mers.--Un des traits les plus généraux et les plus visibles de notre satellite est constitué par de vastes taches de couleur sombre, formant des compartiments déprimés. Nous leur garderons, pour nous conformer à l'usage, le nom de mers qui leur a été donné par les anciens sélénographes; mais il est certain que leur surface est rugueuse et que la lumière s'y diffuse sans jamais s'y réfléchir comme elle le ferait sur un liquide. Il est naturel de les rapprocher des compartiments affaissés de la surface terrestre. Nous pouvons espérer d'y trouver matière à des comparaisons utiles; car, si les mers lunaires n'ont subi ni sédiments ni érosions, les fosses océaniques terrestres en ont été préservées par l'épaisseur du manteau liquide qui les recouvre.

Un premier rapprochement doit être fait en ce qui concerne la distribution générale des aires déprimées. On sait que, sur la Terre, ces aires se partagent en deux séries. Les unes, appelées fosses méditerranéennes, s'enchaînent, sans se confondre, à peu près suivant un grand cercle de la sphère. Deux autres groupes moins distincts, constituant par leur agrégation l'un l'océan Pacifique, l'autre l'océan Atlantique, s'étendent surtout dans le sens du méridien, à angle droit avec l'alignement des fosses méditerranéennes. Cette disposition paraît avoir persisté, dans ses traits essentiels, à travers les temps géologiques.

Prenons maintenant une épreuve photographique de la Lune au voisinage de l'opposition et nous reconnaîtrons que ce résumé est applicable à notre satellite de point en point, sans qu'il y ait autre chose que les noms à changer. Les mers des Pluies, de la Sérénité, de la Tranquillité, de la Fécondité, la mer Australe forment une série alignée suivant un grand cercle. Mais, au lieu de se fermer comme les suivantes, la mer des Pluies s'ouvre à l'Est dans un système de bassins qui s'étend perpendiculairement au premier, comprenant au Nord le Golfe de la Rosée, au Sud l'océan des Tempêtes et la mer des Nuages (fig. 30).

Convient-il d'assimiler ce second système au Pacifique ou à l'Atlantique? La seconde manière de voir semble mieux fondée. Ces dépressions n'embrassent pas, toutes ensemble, le cinquième de la circonférence du globe en longitude. Nous n'avons point ici de chaînes côtières comme celles qui font à l'océan Pacifique une ceinture presque continue. Au contraire, nous voyons dans le sens de la longueur une ride médiane jalonnée par toute une série de grands foyers éruptifs, Bouillaud, Euclide, Kepler, Aristarque. On sait que l'océan Atlantique est aussi divisé suivant un méridien par une ride saillante d'où émergent de distance en distance les sommités volcaniques de l'Islande, des Açores, de l'Ascension, de Tristan da Cunha. Nous ne pouvons, malheureusement, achever le tour de la planète pour voir si la série des fosses méditerranéennes se prolonge de l'autre côté, s'il s'y rencontre un digne pendant à l'océan Pacifique, si les dépressions s'y placent de préférence aux antipodes des saillies comme le veut la symétrie tétraédrique qui semble prévaloir sur la Terre.


La structure des mers.--La conformité qui se manifeste sur les deux planètes dans la répartition générale des régions déprimées a pour pendant une analogie non moins remarquable dans leur structure.

Les grands abîmes marins où la sonde descend à plus de 8km de profondeur ne se groupent pas, comme on l'a cru longtemps, dans les parties centrales des océans, loin de toute terre émergée. Ils ont plutôt la forme de vallées allongées parallèlement aux rivages, à des distances relativement faibles de ceux-ci. C'est ce qui a lieu dans l'océan Atlantique pour les fosses des Antilles et des Bermudes, dans le Pacifique pour les fosses des Kouriles, des îles Tonga, au large des côtes chiliennes et péruviennes (Pl. I).

Cette loi n'a été mise en évidence que par des travaux récents, à la suite de sondages multipliés, de longues et coûteuses expéditions maritimes. Sur la Lune, nous pouvons la vérifier à beaucoup moins de frais. Une bonne lunette et un peu de patience y suffisent.

Il nous sera d'abord très aisé de reconnaître que, sur le fond des mers, le relief a une allure générale plus douce que dans les parties saillantes. Les crêtes à versants concaves y sont rares; à part quelques blocs isolés qui forment de véritables îles, les ondulations du sol ne projettent d'ombre qu'au lever ou au coucher du Soleil. Les pentes sont modérées et se prolongent dans le même sens sur de vastes étendues. En thèse générale, cela est vrai de la Terre comme de son satellite.

Il s'en faut de beaucoup, cependant, que les mers lunaires soient planes ou exactement modelées sur la sphéricité du globe. Ce ne sont point des surfaces géométriques. Essayons donc d'aller plus loin et de reconnaître où se trouvent les points les plus creux. Si nous examinons sous un éclairement favorable la mer de la Sérénité, par exemple, nous serons frappés de ce fait qu'elle possède, au pied de son enceinte montagneuse, toute une bordure de taches sombres. Pour qui est familier avec l'étude de la surface de la Lune, il est dès lors probable que ces taches correspondent aux parties les plus creuses. Il y a, en effet, sur notre satellite, corrélation habituelle entre la teinte et l'altitude, en ce sens que les plaines basses y sont presque toujours plus sombres que les points saillants. Comme la règle n'est pas sans exception, une vérification pourra sembler désirable. Il suffira, pour la faire, de noter la position des taches sombres et d'attendre que le Soleil se couche pour elles. On les voit alors envahies par l'ombre avant les taches claires qui les avoisinent, d'où il résulte que les premières sont effectivement déprimées.

La même expérience, répétée sur d'autres mers, fortifie cette conclusion, qui est à peu près générale; le fond des mers lunaires est convexe, dans son ensemble, au delà de ce qu'exige la courbure moyenne du globe, et les fosses océaniques y sont, comme sur la Terre, rejetées près des rivages.


La formation des mers.--Un troisième point de ressemblance est à signaler entre les mers terrestres et celles de notre satellite. C'est dans la série équatoriale, dans celle qui répond aux fosses méditerranéennes, que se rencontrent les bassins les mieux délimités par des bourrelets montagneux, ceux dont le bon état de conservation accuse une jeunesse relative. Sur la Lune leur forme circulaire ressort souvent avec une admirable clarté. Les cassures qui les bordent se montrent à nu, parfois sur plusieurs milliers de mètres de hauteur. Il est évident que chacune de ces dénivellations de l'écorce, par cela même qu'elle affecte un dessin géométrique, a dû s'effectuer dans un temps assez court et se rattache à une époque géologique déterminée. Si le phénomène est plus net sur la Lune, cela tient à ce que nous pouvons en observer l'effet intégral et non modifié. Nous retrouverions des formes analogues sur la Terre, s'il nous était possible de débarrasser les fosses sous-marines de leur bordure de sédiments et de restituer aux bourrelets montagneux tout ce que l'érosion leur a enlevé.

Voulons-nous prendre en quelque sorte sur le fait le mécanisme de la formation d'une mer? Il faudra nous adresser de préférence à celles qui ont gardé l'intégrité de leur contour circulaire. Il y en a trois, les mers des Crises, du Nectar, des Humeurs, qui possèdent ce caractère à un haut degré, et ce sont justement celles qui mettent en défaut la règle signalée tout à l'heure. Une bande marginale n'y a pas suivi l'affaissement du centre, mais est restée adhérente à la bordure montagneuse. Les rides de celle-ci n'accusent point de préférence pour l'alignement parallèle au rivage, par conséquent point de structure plissée. La partie centrale ou aplanie de la mer offre une série de veines ou de bourrelets saillants. La région extérieure ou montagneuse est coupée de crevasses ouvertes, larges de 2km à 3km, se prolongeant sur une énorme longueur à travers les obstacles les plus variés (fig. 32, 33, 34).

Les veines comme les crevasses suivent trop évidemment un tracé concentrique au rivage de la mer pour ne pas être rattachées au mouvement du sol qui a déterminé l'effondrement du centre. Mais nous ne trouvons pas ici, comme sur le contour des affaissements terrestres, des plis refoulés, accumulés contre des massifs résistants. Bien loin de là, l'écorce lunaire s'est déchirée en larges crevasses qui demeurent encore béantes à l'heure actuelle. Sa tendance, lors des derniers mouvements dont nous pouvons constater les traces, n'était donc pas de se plisser comme un vêtement trop large, mais au contraire de s'étirer, de se disjoindre comme une enveloppe trop étroite.

Pourquoi maintenant des crevasses ouvertes à l'extérieur de la mer, des veines saillantes à l'intérieur? Ces deux aspects inverses ne sont pas contradictoires. Ils représentent seulement deux étapes différentes dans la marche d'un même phénomène. Les veines, comme les crevasses, marquent des ruptures successives dues à l'effondrement du centre de la mer. Les cassures les plus rapprochées du centre ont servi au dégorgement des laves, qui se sont ensuite épanchées sur la plaine. Quand cet épanchement a pris fin, les laves, arrivant à la surface déjà refroidies, se sont solidifiées sur place. Non contentes d'obstruer la fissure, elles l'ont transformée par leurs apports successifs en un bourrelet saillant, à pentes doucement inclinées.

Les fissures de la bande extérieure, situées à un niveau plus élevé, n'ont point servi à l'épanchement des laves, qui trouvaient dans les étages inférieurs une issue suffisante. Elles sont, par suite, demeurées ouvertes; elles ont même dû aller en s'élargissant toujours, à la manière des crevasses des glaciers, tant que la période d'affaissement de leur lèvre inférieure s'est prolongée.

Bien entendu, les parties aplanies de la surface sont également sujettes à se fissurer. Mais, tant que l'écorce n'y a pas acquis une grande épaisseur, les crevasses ne peuvent s'y ouvrir largement sans donner issue aux épanchements volcaniques. Dès lors elles s'obstruent, s'effacent et se transforment en bourrelets. Nous voyons fréquemment ces deux sortes d'accidents juxtaposés à petite distance; parfois même une crevasse ouverte se prolonge par une veine saillante.

On comprend donc que les fissures de plaine soient, en général, plus étroites que celles des régions de montagne, par suite moins faciles à observer. Mais leur position, leur tracé sont également significatifs au sujet de leur origine. Ainsi dans la partie est de la mer de la Tranquillité (fig. 35) nous remarquons, à côté de veines remarquablement longues et ramifiées, les crevasses typiques de Sosigène, de Denys, de Sabine, toutes tracées parallèlement au rivage. Dans le cas de Sabine, la crevasse est double, ce qui montre que la tendance a persisté après avoir obtenu une première, mais insuffisante satisfaction. Cette formation de crevasses successives et parallèles s'observe, pour ainsi dire, à chaque pas sur les glaciers alpins. De même ici nous voyons la mer exercer sur la terre ferme une sorte d'attraction assez puissante pour disjoindre celle-ci et en détacher des bandes marginales.


Des massifs montagneux de la Lune.--Ces notions acquises sur les mers nous rendront plus explicables les blocs saillants qui les encadrent. Leurs caractères sont surtout négatifs. Ils manquent d'individualité propre. Ce ne sont guère que des portions de plateau laissées en relief par l'affaissement des régions voisines. D'habitude les aires d'effondrement sont circulaires; aussi la forme générale du groupe montagneux sera, plus ou moins, celle d'un triangle à côtés concaves, de la portion de plan comprise entre trois cercles qui se coupent.

Cet énoncé s'applique bien aux monts Taurus, limitrophes de la mer de la Sérénité. Nous n'y voyons ni lignes de partage, ni vallées d'écoulement. La fine crevasse qui se fraye un chemin à travers le centre du massif et se prolonge sur la plaine témoigne par sa seule présence que le modelé du relief par les eaux a été nul ou insignifiant. Les plus fortes élévations du sol ne sont point rassemblées au centre, mais rejetées près de la limite ouest.

Cette particularité n'est pas moins visible sur le groupe des Apennins. Le côté nord, incliné vers la mer de la Sérénité, est beaucoup plus étroit, beaucoup plus rapide que la pente inclinée au Sud vers la mer des Vapeurs. Nous reconnaissons ici la loi de dissymétrie des versants, bien connue de tous ceux qui ont étudié les montagnes terrestres. Il semble que toute cette portion de l'écorce ait éprouvé un mouvement de bascule exposant au dehors d'un côté une cassure abrupte, de l'autre une face dorsale d'inclinaison modérée. Mais toujours point de plis refoulés contre les parties saillantes. Nous voyons, au contraire, la croûte lunaire manifester en toute occasion sa tendance à s'étirer et à se disjoindre (fig. 36).

On la retrouve encore, bien éloquemment attestée, dans la grande vallée rectiligne que l'épée surhumaine de quelque paladin semble avoir entaillée d'un seul coup à travers le massif des Alpes. Bien entendu, cette explication ne saurait suffire, car il s'agit ici d'une cassure de 70km de long sur 10km à 12km de large. Pour expliquer comment les deux parties en contact ont pu se disjoindre à ce point, la théorie de la contraction par refroidissement n'est pas suffisante. Il faut admettre que l'un au moins des deux fragments a pu flotter à la dérive sur le liquide qui le portait. Pour les Alpes comme pour les Apennins, les plus hauts sommets sont en bordure, et leurs ombres s'allongent sans obstacle sur la plaine qui s'étend à leurs pieds (fig. 37).

Le massif voisin du Caucase forme barrière entre les mers des Pluies et de la Sérénité. Ces deux bassins se rapprochent au point de donner à la masse interposée l'aspect d'une chaîne de montagnes terrestre. A y regarder de près, il n'y a point division dans la longueur par une ligne de faîte, mais, au contraire, division transversale en plusieurs blocs rectangulaires. Les cases de ce damier gigantesque ne sont plus en correspondance exacte. Elles ont joué les unes par rapport aux autres, et subi dans le sens tangentiel des mouvements de transport ou de charriage qui peuvent atteindre 30km d'amplitude.


Relations entre l'histoire de la Lune et celle de la Terre.--On remarquera que l'étude du relief lunaire apporte, dans trois au moins des grandes questions qui divisent les géographes et les géologues, un témoignage précis, qui n'est peut-être pas sans réplique, mais que l'on n'a pas le droit d'ignorer ou de négliger.

En premier lieu, la Terre a-t-elle une écorce solide, une lithosphère? Nous avons vu que des théoriciens d'une grande autorité se prononcent pour la négative. Ils ne veulent pas admettre qu'une croûte relativement mince, enveloppant un noyau liquide, résiste aux marées qu'elle aurait à subir, au poids des montagnes dont sa surface est hérissée. Pour Lord Kelvin, pour M. Darwin, la solidification d'une planète doit commencer par le centre, progresser vers la surface, et ne porter en dernier lieu que sur une couche mince.

Les géologues se montrent, en général, peu disposés à marcher dans cette voie; il nous semble que leur répugnance pourrait être fondée avec plus de force encore sur l'examen de la surface de la Lune. Non seulement, en effet, les épanchements venus de l'intérieur y ont nivelé le fond des mers et des cirques, mais, ce qui est plus significatif encore, des fragments solidifiés, épais de plusieurs milliers de mètres, ont pu y flotter à la dérive.

On continuera donc, malgré les beaux travaux mathématiques auxquels nous avons fait allusion, à parler de l'écorce solide des planètes. On le peut en conscience, parce que, pour simplifier le problème et le rendre accessible au calcul, on est obligé d'introduire dès le début des hypothèses hasardeuses, notamment celle d'une certaine homogénéité. Devant cette nécessité, les faits d'observation gardent une valeur prépondérante. Que l'on prenne garde, en contestant à l'intérieur des planètes le droit d'être fluide, à leur croûte celui de se supporter elle-même, de ressembler aux médecins du XVIIe siècle, qui refusaient au sang la faculté de circuler dans les artères.

Un second litige, dans lequel les astronomes auraient leur mot à dire, a pour sujet la formation des montagnes. Ainsi que nous l'avons vu au Chapitre V, la théorie de la contraction par refroidissement, après avoir traversé une période de brillante faveur, se heurte à des objections. On trouve le refroidissement séculaire trop lent, trop peu sensible pour donner lieu à des déformations aussi grandes. Il faut admettre, dit-on, que le poids des sédiments déposés sur les rivages les contraint à s'affaisser, relève par un mouvement de bascule une bande de terrain parallèle, et tend ainsi à exagérer les différences de niveau primitives.

L'examen de la Lune doit nous faire envisager ce complément d'explication avec beaucoup de défiance. Sur notre satellite les érosions, les sédiments, ne se révèlent que par des traces insignifiantes et douteuses. Et cependant les différences de niveau y sont énormes et brusques. Nous y voyons, aussi clairement que sur la Terre, les sommets les plus élevés accumulés au bord des massifs, les fosses océaniques rejetées près des côtes. Si donc la théorie de la contraction était jugée insuffisante pour rendre compte de l'apparition des montagnes, ce n'est pas au poids des sédiments qu'il faudrait faire appel pour y suppléer. L'expédient, fût-il jugé efficace pour la Terre, ne le serait pas pour la Lune. La réaction du fluide intérieur, comprimé par les affaissements, semble, au contraire, fournir les éléments d'une explication admissible dans tous les cas.

Enfin, les caractères si nets par lesquels les montagnes lunaires se différencient des montagnes terrestres doivent nous suggérer une dernière réflexion.

Pour les naturalistes du commencement du XIXe siècle, les chaînes montagneuses avaient comme origine des compartiments soulevés. Pour leurs successeurs immédiats, ce sont des massifs demeurés en retard sur l'affaissement des régions voisines. Pour nos contemporains, ce sont uniquement des fragments plissés par compression latérale.

Ce dernier point de vue pourrait bien être trop exclusif. La tendance au plissement, si générale qu'elle soit sur la Terre, ne se manifeste assurément pas sur la Lune. Elle n'est donc pas une condition nécessaire pour la genèse des montagnes. Ne serait-elle pas particulière à certaines périodes de l'histoire géologique?

Nous sommes conduits à le penser par un travail souvent cité de M. Davison 13. En étudiant de plus près la loi formulée par Élie de Beaumont, il a été amené à faire la remarque suivante: l'émission de la chaleur dans l'espace ne se fait plus aux dépens de la surface, dont le refroidissement est achevé. Mais elle ne se fait pas davantage aux dépens des couches très profondes, dont la température demeure sensiblement invariable. Le taux extrême du refroidissement est atteint à une profondeur que l'on peut estimer, pour la Terre, à 100km. Il en résulte que les plissements n'ont aucune raison de se produire au delà de 8km de profondeur. Plus bas, les couches, se contractant plus que celles qui les supportent, se trouvent étirées.

Note 13: (retour) C. Davison, On the distribution of strain in the Earth's crust (Philosophical Transactions, 1887).

Ce chiffre de 8km est relatif aux conditions que la Terre traverse aujourd'hui. Il tend à augmenter si le refroidissement poursuit sa marche régulière. Mais qu'une cause réfrigérante extérieure vienne à se faire sentir, ce sera la couche superficielle qui supportera la déperdition la plus grande. Les plissements seront supprimés, et la tendance à l'étirement deviendra générale.

C'est précisément ce qui semble s'être produit pour la Lune. On ne peut guère douter qu'elle n'ait possédé une atmosphère d'une densité notable. A une époque peut-être récente cette atmosphère s'est évanouie, dispersée dans l'espace ou absorbée par des combinaisons solides. Privée de son manteau protecteur, la surface a subi un refroidissement intense, et la possibilité même des plissements a disparu jusqu'à ce qu'un nouvel état d'équilibre fût atteint.

La Terre a très bien pu traverser une période analogue: non pas qu'elle ait jamais été dénuée d'atmosphère, mais il est cependant avéré que les climats ont subi à sa surface des variations importantes, peut-être en concordance avec l'activité propre du Soleil.

Pour nos latitudes, il y a eu refroidissement entre la période houillère et la période glaciaire, réchauffement à la suite de la dernière période glaciaire. A chacune de ces variations de température répondaient, dans la croûte superficielle, des efforts de sens contraire, capables avec le temps de faire surgir des chaînes de montagnes.




CHAPITRE XI.

LES CIRQUES LUNAIRES ET LES PRINCIPALES THÉORIES
SÉLÉNOLOGIQUES.


Cirques lunaires et volcans terrestres.--Les traits principaux du relief de la Lune, bassins déprimés et massifs saillants, nous sont apparus comme l'oeuvre de forces qui ont été actives sur la Terre et qui ont produit autour de nous des effets sinon semblables, au moins du même ordre.

D'autre part, les mers, comme les plateaux, sont semées d'accidents caractéristiques, à tel point que nous sommes embarrassés pour leur trouver des analogues dans nos expériences terrestres. Ils reproduisent d'abord, en l'exagérant, un caractère que plusieurs mers lunaires nous avaient présenté déjà, c'est-à-dire un périmètre circulaire régulier. Ils offrent de plus une profondeur, une régularité, une homogénéité de structure extrêmement frappante. Sans que l'on puisse dire qu'ils constituent un élément invariable et primordial de l'écorce lunaire, ils sont extrêmement répandus et, jusqu'à ces derniers temps, ils ont accaparé d'une façon presque exclusive l'attention des observateurs. Beaucoup les ont désignés sous le nom de cratères ou de volcans. Nous emploierons de préférence l'appellation de cirque, moins sujette à évoquer des analogies trompeuses et, par suite, à induire en erreur.

Il s'en faut en effet que, entre cirques lunaires et volcans terrestres, la ressemblance soit telle que nous soyons en droit de conclure, sans autre examen, à l'identité des causes. Les différences sont profondes et méritent une grande attention.

Si nous prenons, par exemple, un cirque lunaire de premier rang et bien conservé, tel que Langrenus, Copernic ou Arzachel (fig. 38,)il est certain que la régularité du bourrelet, sa hauteur uniforme suggèrent des comparaisons avec les cratères de volcans. Mais la ressemblance n'existe qu'en plan. Le cirque lunaire est bien plus grand que le cratère terrestre. Il y a, dans les exemples que nous avons cités, 80km ou plus d'un bord à l'autre. Aucun cratère terrestre en activité ne mesure 2km de large, et, si l'on rencontre des bassins volcaniques plus vastes (la Caldiera de Palma, les cirques de la Réunion, le Kilauea des îles Sandwich), ce sont des emplacements de croûtes effondrées, et non des orifices de cheminées.

Le cirque lunaire est également beaucoup plus profond (de 3000m à 6000m). Le volume de la cavité est fort supérieur à celui du bourrelet entier, au lieu que le cratère terrestre n'entame qu'une faible portion de la montagne qui le porte. Le fond du cirque est ordinairement plat et s'abaisse bien au-dessous du plateau environnant. Il n'est pas rare de voir s'élever au centre une montagne ou un groupe de montagnes absolument isolés. Quelquefois il n'y a pas de bourrelet du tout, ou du moins pas de pente extérieure, comme dans Ptolémée. Le rebord, coupé de vallées nombreuses, n'a aucun caractère d'unité. D'une façon générale, le volcan terrestre est en relief, le cirque lunaire est en creux (fig. 43).

A cette différence radicale dans l'aspect externe se joignent, pour nous conseiller la réserve, la très grande difficulté de distinguer entre les matériaux superposés, l'impossibilité de prélever des échantillons et de pratiquer des coupes. Mieux vaut donc oublier momentanément ce que nous pouvons savoir des volcans, demander à l'observation directe ou photographique de la Lune, sans idée préconçue, tout ce qu'elle peut donner. Nous comparerons les cirques entre eux, en nous attachant de préférence aux plus grands et aux mieux visibles; nous tâcherons de nous insinuer dans leur intimité. Sur un nombre aussi grand d'individus (les Cartes en ont enregistré 30000 et elles ne sont pas complètes), des familles naturelles finiront bien par se dessiner. Nous devrons rechercher les relations de ces divers groupes, établir leur ordre de succession. L'application des lois élémentaires que nous ne pouvons supposer en défaut éliminera plusieurs des hypothèses qui auraient pu être imaginées tout d'abord. Si, après ce passage au crible, l'analogie avec les volcans terrestres demeure indiquée ou seulement possible, nous y aurons recours, sans vouloir pousser nos déductions trop loin, car les géologues eux-mêmes ne sont pas tous d'accord sur l'origine de ces manifestations redoutables.

Pour exécuter ce programme à la lettre, nous aurions d'abord à exécuter une reconnaissance générale de toute la surface visible de la Lune, en nous attachant à la statistique et à la description des cirques. Mais cette analyse nous conduirait à excéder de beaucoup les bornes imposées à ce petit Livre. Nous allons essayer d'en condenser les résultats, renvoyant pour le détail aux Mémoires qui accompagnent les différents fascicules de l'Atlas publié par l'Observatoire de Paris.


Distribution des cirques.--Aucune aire un peu étendue, sur la Lune, n'est tout à fait exempte de cirques. Ils sont en général plus nombreux, cela est évident à première vue, sur les continents que sur les mers. La région la plus pauvre comprend les massifs montagneux des Alpes, du Caucase, des Apennins et quelques golfes très unis qui agrandissent le périmètre des mers. La région la plus riche est la calotte australe, où il y a superposition, mais non enchevêtrement d'enceintes successives apparues sur le même emplacement. Quand un cirque est incomplet, ce n'est point par avortement, mais par destruction totale de la partie manquante. Chaque conflit de deux formations permet donc d'assigner entre elles un ordre chronologique, et l'on constate que les cirques les derniers venus sont presque sans exception les plus petits et les plus profonds. On est donc doublement fondé à les considérer comme formés aux dépens d'une croûte progressivement épaissie (fig. 47).

Sur une Carte d'ensemble, nous pouvons voir que les cirques tombent moins souvent dans le périmètre des mers et plus souvent sur leur limite que ne le comporterait une distribution fortuite. Ils affectionnent les grandes cassures qui servent de limites aux fosses méditerranéennes. En pareil cas, leur centre ne se place pas exactement sur la ligne de rupture, mais un peu à l'intérieur du côté concave, et la même loi régit les petits cirques parasites placés sur le rebord des grands. Dans les régions des hauts plateaux, où l'écorce est parcourue par des sillons rectilignes, ces sillons commandent souvent l'alignement des cirques en limitant l'expansion de tous ceux qu'ils rencontrent, et dessinent des tangentes communes, soit intérieures, soit extérieures, au contour de plusieurs cirques (fig. 45). Il n'est pas rare non plus de voir des grands cirques former des chaînes alignées sur le méridien. Il suffira de citer les associations Langrenus, Vendelinus, Petavius; Théophile, Cyrille, Catherine; Ptolémée, Alphonse, Arzachel; Thebit, Purbach, Regiomontanus, Walter. Même en l'absence de sillons rectilignes, on voit des séries de petits orifices soit sur les hauts plateaux, soit sur le fond des mers, former des chapelets, des alignements serrés et manifestes.


Caractères distinctifs des cirques.--Un certain nombre se classent à part par un relief vigoureux, des arêtes vives, un air général de jeunesse et d'intégrité. Ces caractères sont surtout communs chez les petits individus, mais il y en a aussi de fort grands dans le même cas. Tel est par exemple Théophile, le bassin le plus profond de la partie centrale de la Lune. Le bourrelet, d'une régularité surprenante, semble construit au tour. D'un bord à l'autre, on mesure exactement 100km. La pente est douce vers le dehors et la dénivellation totale ne s'évalue pas facilement; mais à l'intérieur on peut mesurer la largeur de l'ombre, et l'on s'assure qu'il y a 5500m de différence d'altitude entre le rempart et la plaine. Aucune montagne terrestre ne s'abaisse de si haut dans le même espace, et l'on peut présumer qu'un spectateur placé sur le massif central aurait sous les yeux un tableau des plus imposants. Ce massif est considérable, dominé par plusieurs pics. Ici encore, l'ombre se prête à la mesure et accuse une altitude de 2000m. Il s'en faut bien, par conséquent, que le massif central atteigne au niveau du rempart (fig. 31).

Aristarque, Eudoxe, Aristote, Langrenus, Tycho sont d'autres représentants du type saillant et vigoureux. Tous possèdent des montagnes centrales à plusieurs sommets distincts. Le rempart présente quelques points anguleux et s'abaisse par gradins vers l'intérieur. Il semble souvent que l'on ait essayé de plusieurs ébauches polygonales avant de s'arrêter à une forme circulaire qui se superpose aux premières sans les effacer en totalité. Un autre trait digne d'être retenu est la présence de digues rectilignes qui limitent en divers sens l'expansion du cirque et l'encadrent dans un hexagone ou dans un quadrilatère (fig. 47, 48).

D'autres grandes enceintes présentent, avec une dépression plus faible, un intérieur encore plus uni. Tel est Platon, où il faut une lunette puissante et beaucoup d'attention pour apercevoir quelques accidents. Il est le Lac noir des premiers sélénographes, et, en effet, il offre cette particularité de trancher par sa teinte sombre sur les plaines voisines, et cela d'autant plus que le Soleil y approche plus du méridien. Un observateur placé au milieu de Platon pourrait s'y croire perdu dans une plaine illimitée. C'est tout au plus, en effet, si la courbure du globe lunaire lui laisserait apercevoir les points les plus élevés de l'enceinte (fig. 40).

Au type de Platon se rattachent Archimède, Posidonius, Taruntius, Guttemberg, Pitatus, Gassendi, tous situés dans le voisinage immédiat de mers, dont les séparent seulement des digues minces ou dégradées (fig. 50, 51).

Les spécimens que nous venons d'énumérer sont des formations de grande étendue, mesurant 50km à 150km de large. Il y en a beaucoup de moindres, jusqu'aux plus petits diamètres perceptibles, mais il y en a aussi de plus grands. D'habitude on ne leur donne pas la qualification de cirques; on leur réserve le nom de mers ou de golfes. Au fond, cette démarcation n'a pas une grande importance, et son caractère est plutôt conventionnel. Ainsi la mer des Crises, encadrée comme Ptolémée dans un hexagone, est aussi bien délimitée et n'est pas plus exactement aplanie que lui. Elle s'étend à 2000m ou 3000m en contre-bas des montagnes qui l'entourent (fig. 32).

La mer du Nectar, bien circulaire encore avec ses 200km de rayon, est loin d'être aussi profondément encaissée que Théophile, qui se rencontre tout auprès. Mais portons notre attention sur la région environnante, et nous verrons que la mer du Nectar est seulement la partie centrale d'un affaissement bien plus étendu, qui s'est propagé par zones concentriques, et dont la cassure des monts Altaï dessine la limite. Ainsi la tendance de notre satellite à détacher par des crevasses circulaires des fragments de son écorce, qui descendent ensuite au-dessous du niveau environnant, peut s'exercer sur de très grandes étendues à la fois, et toute explication mécanique des cirques doit être tenue pour insuffisante et suspecte, si elle n'est pas capable de s'adapter à ces cas extrêmes (fig. 33).

Ce qui donne aux cirques leur individualité, leur physionomie propre, ce n'est pas l'espace plus ou moins grand qu'ils occupent, c'est avant tout le caractère saillant du rempart, son dessin circulaire ou polygonal, la profondeur du bassin, la présence d'une montagne centrale. Peut-on à ces caractères faire correspondre un ordre de succession ou une localisation déterminée? Le problème est compliqué, mais point insoluble. Ainsi, dans certaines régions, l'aspect vigoureux et net est de règle; ailleurs, ce sont le délabrement et la vétusté qui dominent. Au voisinage du pôle Sud, nous ne voyons guère que des trous profonds et réguliers, découpés dans un plateau d'altitude uniforme. Il se rencontre ici des altitudes de 6000m et 7000m, dépassant même celle de Théophile. Dans la région arctique, au contraire, ces formes vigoureuses sont exceptionnelles. Ce sont les fonds des cirques qui paraissent constituer la partie moyenne de la planète. Au lieu de plateaux interposés, nous n'avons plus que de minces digues de séparation, plutôt rectilignes que circulaires, et dans un mauvais état de conservation (fig. 46).

Après ces généralités, il convient de signaler quelques formes que l'on a plus rarement occasion d'observer, mais que l'on relèverait sans doute en plus grand nombre si l'on avait la faculté d'y regarder de plus près. Ainsi quelques enceintes se montrent partagées en deux moitiés par un sillon rectiligne, soit en relief, soit en creux. Le premier cas est réalisé par Alphonse (fig. 43), le second par Petavius. On y soupçonne une deuxième fissure, dirigée en apparence suivant le diamètre conjugué de l'ellipse, en réalité orientée perpendiculairement à la première. Petavius est encore digne de remarque par l'importance du massif central, la structure du rempart en étages et son inscription dans un quadrilatère (fig. 41). Ces encadrements rectilignes, dont on relève avec un peu d'attention beaucoup d'exemples, sont le plus souvent tangents aux limites des cirques. Mais quelquefois aussi ils se tiennent à distance. Tycho, par exemple, occupe le milieu d'un parallélogramme dont tout l'intérieur a subi un affaissement visible; mais le cirque, d'aspect vigoureux et moderne comme Théophile, est resté confiné dans la partie centrale, et maintenu entre deux digues parallèles et plus rapprochées. L'écorce lunaire a possédé, au moins dans certaines parties, une sorte de charpente osseuse comparable à la carcasse métallique d'une serre. Les cases de ce damier gigantesque ont joué les unes par rapport aux autres, avec une tendance générale à l'affaissement. Le milieu de chaque case a présenté des conditions particulièrement favorables pour la formation d'un cirque, et les crêtes de séparation ont souvent arrêté l'expansion du bassin. On s'explique par là le grand nombre des sillons tracés suivant des tangentes communes à des enceintes voisines (fig. 47).

Ainsi ce ne sont pas des causes extérieures et accidentelles, ce sont les inégalités de résistance de l'écorce qui ont déterminé à l'avance les emplacements des grands cirques.


Auréoles et traînées.--Un autre phénomène bien remarquable, mais limité à un nombre relativement petit de cirques lunaires, est celui des auréoles blanches. Elles apparaissent mieux lorsque le Soleil, un peu élevé, a dissipé les ombres et rendu possible une juste appréciation des teintes. Continue dans le voisinage du cirque, l'auréole ne tarde pas à se diviser en traînées qui s'étendent à plusieurs centaines de kilomètres dans toutes les directions, avec quelques lacunes ou irrégularités.

Les traînées sont un accident superficiel. Elles n'altèrent pas le relief des régions qu'elles traversent; elles franchissent, sans être le moins du monde déviées, les montagnes placées sur leur trajet, et ne manifestent aucune tendance à s'écouler par les vallées qu'elles croisent. Quand elles s'arrêtent ou s'interrompent, c'est le plus souvent à la rencontre de bassins déprimés, dont la teinte sombre a résisté avec succès à l'extension des auréoles.

Certains foyers ne rayonnent pas dans toutes les directions: ainsi Proclus laisse ouvert entre deux traînées voisines un secteur sombre de 120° (fig. 32). D'autres n'émettent qu'un petit nombre de traînées isolées: tel Messier, qui envoie vers l'Est un double panache, tellement semblable à une queue de comète qu'un astronome du dernier siècle voulait absolument y voir une représentation intentionnelle offerte à notre curiosité par d'ingénieux habitants de la Lune (fig. 28, 29).

Un de ces systèmes de traînées mérite une attention particulière. C'est Tycho, déjà signalé tout à l'heure, qui en est le centre. Son rayonnement embrasse bien une moitié de la partie visible de la Lune. Il est si étendu qu'aucune photographie ne peut bien en montrer tout l'ensemble. Mais les images partielles mettent en évidence une particularité remarquable: l'auréole ne s'étend pas aux pentes extérieures du cirque. Elle y est remplacée par une couronne sombre. Ce cas n'est pas isolé; il y en a d'autres exemples, mais celui de Tycho est le plus apparent (fig. 42).

Il est inadmissible que la cause qui produit les traînées, quelle qu'elle soit, n'entre pas en jeu au voisinage immédiat du centre d'action. Si donc l'auréole ne commence pas au bord même de l'orifice, ce n'est pas que la matière constitutive des traînées blanches y ait manqué, c'est qu'elle a été recouverte par un dépôt plus récent, de couleur sombre, mais moins susceptible de s'étendre à de grandes distances.


Aperçu des principales théories sélénologiques.--Les dissemblances très accentuées qui existent entre les cratères des volcans terrestres et les cirques lunaires ont provoqué des tentatives intéressantes, mais à notre avis infructueuses, pour expliquer l'origine des cirques sans faire appel aux phénomènes volcaniques.


Théorie des tourbillons.--Ainsi, dans une Communication présentée à l'Académie des Sciences en 1846, un officier français, le capitaine Rozet, signale d'autres exemples de forme circulaire présentés par la nature. Ce sont les tourbillons fluviaux et marins, les cyclones atmosphériques. Dans ce dernier cas aucune limite de grandeur n'est plus imposée. De plus, les tourbillons peuvent naître partout où se trouvent en présence des courants de vitesse différente. Ils ont la propriété de rejeter à leur circonférence les matériaux qu'ils transportent. Voici donc trouvés les artisans des mers et des grandes enceintes. Chacune d'elles marque l'emplacement d'un tourbillon provoqué par les marées et les variations de température sur la Lune encore liquide. A mesure que la solidification progressait, les tourbillons accumulaient sur leurs bords les scories dont ils étaient chargés. Ainsi se sont, avec le temps, édifiés les remparts.


Théorie des marées.--Faye est pour le volcanisme un adversaire non moins déterminé et redoutable. Point de volcans, nous dit-il, sans d'abondantes émissions de vapeur d'eau et de gaz; or la Lune n'a ni eau ni gaz, donc les cirques lunaires ne sont point des volcans. A leur place Faye met en jeu la force des marées provoquées par l'attraction de la Terre sur le noyau encore fluide de la Lune. Ce flot périodique a dépensé aujourd'hui toute son énergie à établir l'égalité entre les durées de rotation et de révolution de notre satellite, mais auparavant il a pu se montrer capable d'actions mécaniques importantes. Le fluide intérieur, réduit à se faire jour par d'étroits orifices, les a lentement usés et arrondis, de manière à donner à chacun d'eux les dimensions actuelles des cirques. Ce même fluide a exhaussé les bords de l'entonnoir en venant périodiquement s'y figer. Un retrait général a précédé la solidification. Du fond plat ainsi constitué, une dernière éruption a fait jaillir la montagne centrale. On peut citer comme confirmant en partie les idées de Faye les expériences plus récentes de MM. H. Ebert et W.-H. Pickering. L'un et l'autre sont arrivés à produire artificiellement des enceintes circulaires à bourrelet saillant par des alternatives d'aspiration et de refoulement sur une masse fluide encroûtée.


Théorie de l'ébullition.--D'autres expérimentateurs, notamment M. Stanislas Meunier, se sont livrés, dans un but scientifique, à l'opération culinaire connue sous le nom de friture. On prend une matière pâteuse, plâtre, mortier ou ciment; on y incorpore de l'eau, un peu de matière grasse ou de glu pour faciliter la prise, et l'on chauffe le mélange. Un moment vient où des bulles volumineuses crèvent à la surface. Si les proportions ont été bien choisies un certain nombre de bulles laissent leur empreinte dans la croûte figée, et ces empreintes sont des images passablement fidèles des cirques lunaires. Ou ces expériences sont sans application à notre sujet, ou leurs auteurs nous demandent d'admettre qu'un grand cirque peut ainsi se former d'un seul coup, c'est-à-dire qu'une bulle dégagée dans une masse pâteuse peut mesurer aussi bien 100km que 1cm. La transition est encore plus malaisée, on en conviendra, que des cratères terrestres aux cirques lunaires.


Théorie glaciaire.--S'il faut renoncer à faire creuser les cirques par les forces intérieures, on invoquera dans le même but les agents externes, par exemple la différence de température entre le globe lunaire et l'espace céleste. C'est ainsi que, pour M. Ericsson (Nature, vol. XXXIV, année 1886, p. 248), la Lune est dans son ensemble couverte de glace; mais, sur certains points privilégiés, la chaleur du sol fond cette glace et vaporise l'eau de fusion. Une partie retombe en neige sur les bords de l'entonnoir, où elle se condense et s'accumule. La partie qui retombe à l'intérieur y est liquéfiée et vaporisée de nouveau, et le cycle se continue jusqu'à la congélation finale de l'ensemble.


Théorie météorique.--On sent bien la difficulté d'expliquer ainsi la montagne centrale, l'altitude irrégulière du bourrelet, la dépression du fond du cirque par rapport aux plateaux voisins. Aussi s'est-on demandé si les orifices innombrables dont la surface lunaire est semée ne seraient pas des empreintes de projectiles venus des profondeurs de l'espace. Il semble que cette idée ait été émise pour la première fois par Gruithuisen en 1846. Il est évident qu'elle ne s'appuie à aucun degré sur les faits d'observation concernant les bolides et les étoiles filantes. Les projectiles qui nous arrivent des profondeurs de l'espace sont insignifiants par rapport au volume de la Terre et ne contribuent dans aucune mesure appréciable au modelé de sa surface. Il n'est pas moins hasardeux de faire bombarder la Lune par des projectiles venus de la Terre, car les plus violentes explosions volcaniques sont bien loin de communiquer aux matériaux émis la vitesse nécessaire, et rien ne donne lieu de penser qu'elles aient eu plus d'énergie dans le passé. Il semble même certain que les éruptions sont d'autant plus calmes que l'on se rapproche davantage d'un état général de fluidité.

Ce qui rend séduisante l'hypothèse météorique (ou balistique), c'est la possibilité de rattacher à une origine analogue les accidents de toute dimension, cratères, cirques et mers, que relient ensemble une certaine ressemblance et une apparente continuité. C'est aussi la faculté que l'on a d'obtenir des formes analogues par des essais de laboratoire et la tendance bien naturelle des expérimentateurs à considérer ces analogies comme décisives, malgré l'énorme différence des échelles. Le difficile, évidemment, n'est pas d'obtenir un trou, c'est de faire naître un relief saillant de quelque importance si la surface choquée est résistante, de quelque durée si on la prend fluide ou semi-fluide. Il ne peut être question non plus d'imprimer aux projectiles des vitesses comparables à celles des corps célestes. Les expériences les plus variées et les plus heureuses dans cette direction sont dues à la persévérance de M. Alsdorf. Elles ont été publiées en 1898 14. M. Alsdorf renonce à l'emploi des substances pâteuses essayées par ses prédécesseurs. Ces substances ne donnent jamais qu'un type de bourrelet et de montagne centrale, et ne s'adaptent pas à la variété des accidents lunaires. Il est préférable d'étendre sur une planche une couche de poudre homogène: c'est le lycopode qui réussit le mieux. On y projette sous divers angles des balles élastiques de caoutchouc ou de laine. En se relevant, le projectile exerce sur la poudre une sorte d'aspiration. Un bourrelet se forme dans la période de compression, une éminence centrale dans la période de dilatation. Que l'on emploie un projectile de forme irrégulière, et l'enceinte va devenir anguleuse. Que l'on superpose deux couches de teinte différente, et les particules ramenées à la surface ou projetées au dehors imiteront les traînées divergentes. On dispose pour varier les effets de trois éléments principaux, vitesse du projectile, angle d'incidence, rapport de l'épaisseur de la couche poudreuse au diamètre de la balle.

Note 14: (retour) H. Alsdorf, Experimentelle Darstellungen von Gebilden der Mondoberfläche, mit besonderer Berücksichtigung des Details. Gaea, 1898, Erstes Heft, s. 35.

Les photographies données par M. Alsdorf ne feront pas illusion à un observateur familier avec les cirques lunaires, mais il n'est pas contestable, cependant, que la ressemblance ne soit réelle. Avant de conclure de cette ressemblance à l'identité des causes, il est clair que plusieurs questions préalables sont à résoudre. La probabilité a priori pour que le mécanisme invoqué ait agi est un élément indispensable de décision. Un projectile vigoureusement lancé peut communiquer autour de lui un ébranlement plus ou moins étendu, mais, s'il laisse une empreinte durable et nettement terminée, cette empreinte excédera peu les dimensions du projectile. Faut-il admettre que la Lune ait reçu, dans toutes ses parties, une averse de bolides de 100km de diamètre, bombardement que l'on n'a jamais constaté et dont les observations géologiques n'indiquent aucune trace? M. Alsdorf ne recule pas devant cette conséquence. Faudra-t-il croire aussi que, deux corps célestes venant à se rencontrer, le plus petit rebondira comme une balle élastique, sans qu'il y ait écrasement ou pénétration? Ici l'invraisemblance est trop forte. Aussi M. Alsdorf renonce finalement à interpréter son expérience au profit de la formation des montagnes centrales. Il admet que la pénétration du projectile est suivie d'un violent dégagement de chaleur, sous l'influence duquel le massif intérieur surgit au fond de l'empreinte.




CHAPITRE XII.

L'INTERVENTION DU VOLCANISME DANS LA FORMATION
DE L'ÉCORCE LUNAIRE.


Impossibilité d'exclure complètement les forces internes.--Les tentatives d'explication du relief lunaire dont nous avons indiqué le principe émettent toutes, au début, la prétention d'exclure les phénomènes éruptifs. Mais, dès qu'on leur demande de développer leurs conséquences ou de rendre compte de certains traits spéciaux, on s'aperçoit bientôt que le volcanisme y est moins maltraité qu'il n'en a l'air. On le proscrit au début, mais en définitive on revient à lui. Qu'est-ce, en effet, qu'une éruption, sinon la création d'un relief sous l'influence d'un excès de pression interne? Or c'est bien à des actions de ce genre que M. Stanislas Meunier demande l'érection instantanée d'un cirque lunaire. Ce sont elles que Faye et M. Alsdorf chargent de construire d'un seul coup les montagnes centrales, c'est-à-dire des massifs de 1500m à 2000m de haut. C'est exiger des forces éruptives plus qu'elles ne sont capables de donner d'après notre expérience terrestre, car les grands édifices volcaniques sont tous le résultat d'accumulations séculaires. Pas une seule expérience terrestre ne nous amène à considérer comme possible l'apparition d'une véritable montagne comme contre-coup d'un choc ou d'une explosion.

La théorie des tourbillons et la théorie glaciaire sont en réalité les seules à ne rien emprunter aux volcans. Mais toutes deux présentent des lacunes capitales en ce qui concerne les montagnes centrales, les traînées divergentes et les grandes fissures. Et même si l'on s'attache aux cirques, que l'on se propose plus spécialement d'expliquer, une analyse plus complète montrera que l'intervention des tourbillons ou des concrétions de glace est, en définitive, inopérante. Attribuer aux cyclones les dimensions des mers lunaires, c'est vouloir qu'ils évoluent au sein d'un fluide presque parfait et dénué de résistance. Dès lors il devient impossible d'admettre que tous ou même la majorité d'entre eux aient occupé des emplacements stables. On ne peut plus leur demander d'édifier des remparts de cirques, de faire surgir en dépit de la pesanteur des constructions régulières et permanentes de plusieurs milliers de mètres de hauteur. Cette persistance dans l'action ne cadre pas avec un tempérament voyageur. Autant que nous pouvons le savoir, les cyclones détruisent et ne bâtissent pas.

Le concours de longues périodes de temps n'est pas moins nécessaire si l'on veut faire constituer de hautes montagnes par des condensations neigeuses successives. Dès lors la répartition de ces dépôts n'aurait pu se faire d'une manière aussi irrégulière en dépouillant certains emplacements, toujours les mêmes, au profit d'une bande étroite qui les entoure. Les chutes de neige atténuent toujours le relief existant, par cette simple raison que la neige obéit à l'action de la pesanteur plus aisément que tout autre élément solide de l'écorce. Les remparts des cirques, s'ils avaient été formés par cette voie, se maintiendraient à des altitudes très uniformes, au lieu d'être, comme il arrive souvent, coupés de vallées et de brèches profondes. L'influence de la latitude aurait dû se faire sentir dans la distribution des neiges, et des calottes plus épaisses se seraient formées sur les pôles, où le relief est, au contraire, très accidenté. Enfin l'existence présente d'une aussi grande quantité de glace sur la Lune supposerait, dans le passé, une période où d'abondantes condensations liquides se seraient produites. Elles auraient entraîné comme conséquences fatales des phénomènes d'érosion et de sédiment dont les traces seraient demeurées visibles et, en tout cas, l'obstruction des fissures.

La structure du rempart des cirques donne un démenti également net à la théorie des marées. La fusion des bords d'un orifice, l'épanchement d'un liquide au dehors, sa solidification par nappes nécessairement très minces, ne peuvent donner lieu qu'à un relief extrêmement doux, à peine appréciable. L'effort d'un liquide comprimé peut provoquer la rupture ou la déchirure de la paroi qui l'enferme, nullement la formation d'orifices espacés et réguliers, moins encore celle d'un pic de grande altitude. Si MM. Ebert et Pickering ont réussi à produire ainsi des bourrelets saillants, il est hors de doute que leur succès est lié à la petite échelle des expériences. Un liquide sortant en grandes masses ne peut que s'épancher en larges nappes et non s'accumuler sur certains points privilégiés. Les marées peuvent avoir leur rôle dans la distribution générale des mers et des cirques, mais des forces plus énergiques et plus localisées s'accusent, dans chaque formation particulière, comme prépondérantes.

C'est encore à la dimension très réduite des objets qu'est lié le succès partiel de la théorie de l'ébullition. Dans une masse fluide, les gaz qui viennent se dégager à la surface ne laissent pas d'empreinte. Des vestiges pourront subsister si la matière est pâteuse et choisie de telle façon que le point d'ébullition et le point de solidification soient presque confondus. Mais aucun choix de substances, aucune application calculée de la chaleur ne peut amener la formation de bulles dépassant quelques centimètres. Veut-on que les gaz s'échappent d'une manière intermittente et en masses plus grandes, il faut laisser se former une croûte solide. Celle-ci cédera sous une pression suffisamment forte, par fissurement ou explosion, mais les ouvertures formées ne présenteront plus de ressemblance, même éloignée, avec les cirques lunaires.

L'explication météorique ou balistique se défend mieux. Elle peut en effet invoquer à la fois des faits d'observation et des expériences. La Terre recueille sur son passage des corps nombreux, aérolithes ou bolides; il est très probable que la Lune en reçoit aussi; il est possible qu'elle en ait reçu dans le passé beaucoup plus. D'autre part, les essais de M. Alsdorf montrent qu'avec un choix judicieux et intentionnel de matières meubles et de projectiles élastiques, la plupart des accidents lunaires peuvent être imités.

Il semble, d'abord, qu'il y ait disproportion inadmissible entre l'effet constaté et la cause présumée. Les bolides tombés sur la Terre n'approchent point de la dimension des cirques. Ils atteignent la surface avec de très grandes vitesses relatives et sous tous les angles, au lieu que les orifices réguliers de la Lune ne peuvent être imputés qu'à des chutes normales. On ne voit pas enfin pourquoi la Lune aurait eu le monopole de ces énormes empreintes, à l'exclusion de notre globe.

On peut atténuer beaucoup la force apparente de ces objections, ainsi que l'a montré M. Gilbert dans une intéressante étude 15. Les projectiles dont la Lune garde la trace ne seraient point de la même origine que les aérolithes; ils n'auraient pas davantage été lancés par la Terre encore incandescente. Ce seraient des satellites de la Terre au même titre que la Lune, circulant avec elle dans une même orbite et que l'attraction prépondérante de l'un d'eux aurait, dans le cours des âges, agglomérés en un seul corps. Dès lors, ils peuvent s'être rejoints avec de médiocres vitesses relatives, et pour les dernières chutes, les seules dont nous observions les traces, l'attraction centrale devait avoir pour conséquence une incidence à peu près normale.

Note 15: (retour) The Moon's Face, a story of the origin of its features, by C.-K. Gilbert (Bull. phil. Soc. of Washington, vol. XII, p. 241).

Cette transformation progressive d'un anneau équatorial en un satellite unique est expressément proposée par Laplace, à titre d'hypothèse, à la fin de sa Mécanique céleste. Depuis, l'expérience célèbre de Plateau a montré le passage d'un anneau continu à un certain nombre de satellites globulaires, jamais, croyons-nous, la réunion de tous ces globules en un corps unique. Il est remarquable que tous les efforts des géomètres pour analyser les divers degrés de cette métamorphose ont échoué, et que divers théoriciens, notamment MM. Kirkwood et Stockwell, ont été amenés à la considérer comme très invraisemblable. Il n'a pas été prouvé, cependant, qu'elle fût impossible et le fait que, pour une distance moyenne donnée du centre attractif, il n'existe en général qu'un seul satellite ou qu'une seule planète, constitue en faveur de l'hypothèse de Laplace une présomption favorable dont l'explication météorique doit bénéficier.

Mais la difficulté la plus grave est ailleurs. On est obligé pour le succès des expériences de se placer dans des conditions physiques qui ne peuvent pas être réalisées, même approximativement, sur la Lune.

Ainsi, que la surface choquée soit liquide ou instantanément liquéfiée par le choc ou simplement pâteuse, on n'obtiendra comme résultat final qu'un relief nul ou insignifiant. Si le projectile pénètre dans une croûte résistante, on obtient un trou, mais pas de bourrelet saillant, point de fond plat ni de montagne centrale. Pour allier ces deux derniers caractères, il faut recourir à l'artifice de M. Alsdorf, c'est-à-dire étendre une couche de poudre sur une planche à la fois élastique et résistante. En supposant, contre toute vraisemblance, que la nature réalise cette combinaison, on verra sans peine que le succès n'est possible qu'à petite échelle. Si l'on attribue au projectile les dimensions des cirques lunaires et la vitesse due à la seule attraction de la Lune, il ne peut plus être question pour lui de rebondissement; il y aura fatalement écrasement ou pénétration. Il ne reste pour ériger le bourrelet et la montagne centrale que le rejaillissement de gaz consécutif au choc. Mais cette cause, essentiellement superficielle et de très courte durée, est incapable du travail qu'on lui demande. Le gaz dispose pour s'échapper du très large orifice créé par le projectile. Sa détente est instantanée et il ne peut entraîner de grandes masses solides comme s'il était comprimé par un orifice étroit.

Mais, du moment que l'on est obligé de revenir aux forces intérieures pour expliquer la structure des cirques, on se demande quel avantage on trouve à faire exciter ces forces par un agent extérieur. A s'en tenir aux leçons que la Terre nous donne, il est indéniable que l'énergie expansive de l'intérieur du globe est la seule force qui réussisse à combattre efficacement le poids de l'écorce et à créer des reliefs durables. Avant de recourir à des influences problématiques, à des catastrophes inouïes, n'est-il pas sage de se demander si cette cause, d'une réalité et d'une puissance incontestables, n'a pas été à même de produire sur notre satellite d'autres effets encore?

D'après cela, des géologues comme Poulett Scrope, des astronomes à la suite de Nasmyth et Carpenter, ont admis que chaque cirque pouvait être un cratère de volcan formé par explosion. L'origine de ces explosions, se produisant à la fois sur plusieurs milliers de kilomètres carrés, ne serait pas l'accumulation souterraine des gaz et des vapeurs, puisque la Lune est privée d'atmosphère. Ce serait l'expansion subite que la lave, de même que l'eau, éprouve en se solidifiant. Dans ce système chaque cirque devient un cratère de volcan, le rempart est formé par l'accumulation des scories et des cendres retombées en pluie, l'auréole est un ensemble de fissures qui rayonnent du centre ébranlé, la montagne centrale est un cône secondaire, surgi lors d'un réveil tardif de l'énergie éruptive.

Sous cette forme, la théorie volcanique n'a plus aujourd'hui de partisans. Il est douteux que les laves se dilatent en se solidifiant; aucun effet mécanique réellement observé ne se rattache à cette expansion. Tout au plus pourrait-elle fissurer l'écorce, mais non en faire sauter une portion étendue, épaisse de plusieurs milliers de mètres. Ce n'est pas seulement un déplacement qu'il s'agit de produire, mais une destruction, car le bourrelet est loin, en général, de représenter le volume de la cavité, et cette disproportion est d'autant plus forte que l'on considère des cirques plus grands. La structure du rempart n'accuse point, quand elle est visible, un refoulement à l'extérieur, mais au contraire un affaissement progressif vers le centre. Les petits orifices, dont les détails échappent, sont les seuls pour lesquels l'origine explosive semble pouvoir être admise.

On s'est flatté de trouver un meilleur point de comparaison en s'adressant à une classe particulière de volcans. Ce sont les bassins effondrés, qui n'ont jamais servi, dans leur ensemble, de bouches d'éruption, mais dont le fond est parfois rempli de lave et se hérisse de petits volcans secondaires. Ainsi, l'île de la Réunion présente dans sa partie supérieure trois bassins contigus résultant, d'après M. Vélain, de l'affaissement d'une même voûte. Le piton Bory, également situé dans l'île de la Réunion, n'est pas non plus sans ressemblance avec quelques enceintes lunaires. Il est à noter, toutefois, que le cône central dépasse les bords de la cassure, ce qui n'arrive point sur la Lune.

Il existe enfin, dans les îles Sandwich, sur le flanc d'un énorme volcan, un bassin d'effondrement, le Kilauea, long de 5km et qui, à certaines époques, se remplit de lave incandescente. Cette lave y séjourne parfois assez longtemps pour se solidifier en partie et laisse ensuite, en se retirant, des gradins adhérents aux parois. D'après le géologue Dana, qui en a fait une étude approfondie, c'est ce type de volcan terrestre qui seul doit être rapproché des cirques.

Cette concession n'a pas désarmé les adversaires du volcanisme. Les bassins effondrés sont, à leur gré, encore trop petits; ils sont, d'ailleurs, irréguliers dans leurs contours, ils manquent de remparts saillants et, sauf l'exception peut-être unique du piton Bory, de montagnes centrales. Enfin rien, dans leurs abords, ne ressemble au phénomène des traînées divergentes.

Plus récemment, le professeur Suess est venu apporter aux idées de Dana le complément d'observations faites sur les creusets des métallurgistes. Chaque cirque est pour lui un emplacement ramené à l'état liquide par un flux de chaleur interne. Les montagnes situées en bordure sont des scories charriées par les courants et accumulées sur le rivage. Les variations de niveau se sont accomplies moins sous l'influence des marées que par le dégagement des gaz dissous et emprisonnés. Les petits orifices formés en dernier lieu sont des bouches d'explosion, et l'on ne voit pas quel agent, autre que la vapeur d'eau, a pu les produire. Comme dans la théorie de Nasmyth, les auréoles sont des fissures rayonnantes, et le changement de couleur du sol sur leur trajet est la conséquence d'émanations locales, semblables aux fumerolles des volcans italiens.

A notre avis, le système du professeur Suess restitue une place légitime, mais encore insuffisante, à l'expansion des vapeurs et des gaz comprimés. Qu'elle soit intervenue sous une forme ou sous une autre, il n'y a pas de motif raisonnable d'en douter. L'absence actuelle d'atmosphère peut être le résultat d'une évolution récente, ainsi que nous l'avons vu au Chapitre IX. La Lune, moitié moins dense que la Terre, est formée de matériaux légers. Les gaz et les vapeurs ont dû s'y trouver en grande proportion. Ils ont été, plus aisément que sur la Terre, enfermés dans l'écorce par cette simple raison qu'un globe plus petit subit un refroidissement plus rapide.

Voici donc cette force, qui tend à soulever les couches superficielles, en conflit avec la pesanteur qui travaille à les maintenir. Des deux adversaires en présence, lequel va l'emporter? Sur la Terre, l'issue du combat n'est pas douteuse. Les matières éruptives, impuissantes à soulever les couches solides, s'insinuent péniblement dans les fissures. Ce n'est guère qu'au moment d'arriver au jour qu'elles font sauter, qu'elles pulvérisent parfois le dernier obstacle opposé. Sur notre satellite, les conditions de la lutte sont bien différentes. La force expansive des vapeurs reste tout entière, il est même probable qu'elle est augmentée. La pesanteur, au contraire, est réduite à la sixième partie de sa valeur. Il y a donc des chances sérieuses pour que, pendant une certaine période au moins, la force éruptive l'emporte, et pour que l'écorce lunaire se soulève par intumescences.

Quelles formes prendront ces ampoules? Ce seront des portions de sphère, par la raison bien simple que la sphère est, entre toutes les figures, celle qui comprend sous une surface donnée la plus grande capacité. Ainsi, en demeurant sphérique, la croûte réalise, au prix de la moindre extension possible, l'augmentation de volume qui lui est demandée. Ces calottes sphériques, de plus petit rayon que la surface lunaire, la couperont suivant des cercles, et nous obtenons ainsi une raison plausible de la régularité du contour des cirques.

Quelle étendue chacune de ces intumescences va-t-elle recouvrir? Celle où se manifeste à la fois un fort accroissement de pression interne. Nous avons, à cet égard, une indication utile dans l'allure habituelle des volcans terrestres. Il est commun, en effet, de voir entrer simultanément en éruption les divers cratères d'une même région, à des distances de 200km, 300km, 500km et davantage. Récemment encore, la catastrophe de la Martinique était le signal d'un réveil d'activité sur les rivages de la mer des Antilles, dans l'Amérique centrale et jusque dans la République de l'Équateur. Ce sont là des périmètres où les cirques lunaires peuvent tenir à l'aise.

Mais l'édifice ainsi construit n'est pas stable. Un jour ou l'autre des fissures s'y dessinent. Des cônes volcaniques s'élèvent au point le plus faible, c'est-à-dire vers le sommet de l'intumescence. Le moment vient où la pression intérieure diminue, et la pesanteur, qui ne perd jamais ses droits, abaisse le centre du dôme. Cet affaissement, propagé par zones concentriques, finit par ne laisser debout que l'assise inférieure de la voûte, celle qui forme aujourd'hui le rempart. Les gradins intérieurs représentent les bordures affaissées en dernier lieu, et que leur situation en porte-à-faux vouait à la destruction. L'examen de ces terrasses montre leurs éboulements successifs vers le centre, jamais les refoulements centrifuges qu'auraient opérés des projectiles ou les concrétions qui seraient l'oevre des marées.

Le mouvement de descente du centre sera le plus souvent assez lent pour respecter le relief antérieur et pour laisser au massif volcanique une certaine prééminence sur ce qui l'entoure. Qu'un épanchement se produise et les cônes d'éruption en émergeront comme des îles, sans relation visible avec le rempart.

L'énergie intérieure est sujette à récidive. Elle pourra se manifester encore par la formation de nouveaux cirques sur l'emplacement consolidé du premier, plus tard par des explosions semblables à celles des volcans terrestres. Ces explosions auront pour siège soit la montagne centrale, soit des orifices semés sur les crevasses de rupture, et bien souvent trop petits pour être observés.

Les auréoles et les traînées divergentes sont des cendres émises par ces cataclysmes et disséminées par des courants atmosphériques variables. Ce ne sont point des crevasses ni des éclaboussures, dont la propagation ne saurait être aussi rectiligne ni aussi indépendante du relief. L'étendue qu'embrasse un même étoilement n'est pas telle qu'on ne puisse en retrouver des exemples dans l'histoire des volcans terrestres. Ainsi, il est avéré que l'éruption du Timboro en 1815, celle du Coseguina en 1835 ont couvert de débris des espaces plus vastes que la France ou l'Allemagne. Des éruptions islandaises ont été suivies de pluies de cendres jusqu'à Stockholm, à 1700km de distance. Ces dépôts ont seulement trouvé sur la Lune des conditions plus favorables à leur conservation.

Voici, à ce sujet, un rapprochement qui ne doit pas être passé sous silence. Nous avons vu que certains systèmes de traînées, par exemple celui de Tycho, ne montrent pas leur teinte blanche caractéristique dans le voisinage immédiat du cirque central. Ils y sont remplacés par une couronne sombre. Or la même circonstance se présente pour le manteau de cendres déposé autour de certains cratères terrestres. Ce manteau disparaît dans le voisinage immédiat du volcan sous une couche plus sombre de matériaux moins divisés, pierre ponce ou blocs de lave. Le fait se vérifie par exemple sur les volcans du Guatemala, dont une Carte est donnée dans le bel Ouvrage du professeur Suess: La face de la Terre.

En résumé, les cirques ne sont pas pour nous des cratères de volcans, mais des régions volcaniques soulevées, puis affaissées. Si l'on se place à ce point de vue, on sera dispensé, pour expliquer les formations lunaires, d'imaginer des bolides gigantesques, de faire construire des montagnes par des bulles de gaz, des cyclones et des marées. Il suffira d'admettre que, dans l'inévitable conflit entre la pesanteur, d'une part, et l'expansion des vapeurs, de l'autre, la seconde force a pris momentanément le dessus. Et cette hypothèse n'est pas inventée pour le besoin de la cause, elle est suggérée par les données les plus certaines de la Mécanique céleste et de la Physique.

Mais, dira-t-on, ces intumescences, données comme le chapitre préliminaire de la formation d'un cirque, pourquoi ne nous les montre-t-on pas? Sans doute parce que les dômes ainsi créés manquaient de stabilité; parce que les conditions qui leur ont permis de se former ne se rencontrent plus. La croûte épaissie, le dégagement des gaz plus avancé, ne laissent plus les soulèvements se produire, pas plus dans le monde lunaire que dans le nôtre.

Il serait inexact, cependant, de dire que l'on n'aperçoit sur notre satellite aucune forme convexe régulière. Il y en a deux, entre autres, dans le voisinage d'Arago, qui sont d'une observation facile (fig. 35). Ces deux ampoules mesurent à peu près 40km de largeur. Que leur centre vienne à s'effondrer, et deux nouveaux cirques, de dimension moyenne, se seront formés sous nos yeux. En attendant, il semble que l'on doive regarder ces rares témoins d'un âge disparu avec un peu de cette vénération que les archéologues ressentent en face des médailles antiques.


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