La terre et la lune: forme extérieure et structure interne
CHAPITRE XIII.
LES FORMES POLYGONALES SUR LA LUNE.
L'astronome auquel des instruments puissants permettent de détailler quelque peu l'aspect de notre satellite est d'abord frappé du caractère étrange de ces paysages, très différents de la presque totalité des sites terrestres. Revenant à quelques jours d'intervalle sur les mêmes régions, il constate qu'elles changent profondément d'aspect suivant que les rayons solaires les frappent sous tel ou tel angle. S'il prolonge l'expérience pendant plusieurs mois, il se convaincra que ces changements ne sont qu'apparents et d'un caractère périodique. La surface de la Lune est solide et stable; elle présente un degré de fixité au moins égal à celui des régions les plus désertes et les plus arides de notre globe.
Cette circonstance favorise évidemment l'élaboration des Cartes; toutefois l'exactitude de celles-ci est limitée par deux obstacles qui n'ont pu être, jusqu'à ce jour, que très imparfaitement surmontés.
Le premier, déjà sensible pour l'astronome qui cherche à embrasser l'hémisphère visible dans un réseau géodésique, est la rareté des points de repère géométriquement définis. Ce sera en effet une heureuse exception si l'on trouve des sommets de triangles définis par une intersection de lignes. Presque toujours il faudra prendre comme points d'appui du réseau soit des centres de taches d'aspect et de limites variables, soit des points culminants accusés comme tels par le jeu des ombres. On se doute aisément que ces objets, vus à une énorme distance, comportent un degré de définition bien inférieur à celui des accidents naturels du sol terrestre, accidents dont les géodésiens ne se contentent plus, et auxquels la pratique moderne substitue d'une manière invariable des pyramides ou des cylindres artificiels. Les sommets en forme de vague ou de pyramides, constituées par la jonction d'arêtes tranchantes, sont encore relativement fréquents dans les montagnes terrestres complètement façonnées par l'érosion. Ils manquent tout à fait sur la Lune, où l'on n'observe que des masses arrondies et bosselées. Les lignes d'ombre et de contour apparent ne cessent de s'y déplacer. Aussi le désaccord des positions micrométriques d'un sommet surpasse-t-il de beaucoup celui que l'on aurait à redouter, avec la même lunette, sur des positions d'étoiles.
Une autre difficulté, qui vient aggraver la précédente, tient à ce que la Lune nous présente toujours la même face. La libration permet au regard d'atteindre, à la rigueur, les 5/8 de la surface, mais en réalité toute la zone voisine du bord n'est jamais vue que sous un angle fuyant et défavorable. L'éclairement et la perspective y varient trop peu pour que l'on puisse rectifier les apparences et arriver à une notion correcte des formes. C'est là surtout que feront défaut les points susceptibles d'être sûrement identifiés d'une image à l'autre.
C'est donc aux parties centrales du disque qu'il conviendra de s'attacher pour trouver des objets bien caractérisés, susceptibles d'être groupés en familles naturelles, pour démêler dans la profusion des détails les faits proprement scientifiques, ceux qui permettent de coordonner et de prévoir. La méthode à suivre, dans ce choix, est la même qui a valu à la Géologie, à la Géographie physique, leurs plus solides acquisitions. Et ce travail est, dans un certain sens, plus facile pour la Lune que pour la Terre. En effet, la grande distance de notre satellite nous débarrasse d'une foule de traits insignifiants et secondaires où notre attention n'aurait pu que s'égarer. Mais elle laisse d'autant mieux en évidence un certain nombre d'objets marquants, d'individualités frappantes qui se reconnaissent sans peine sous des éclairements variés et que l'on retrouve, à peine modifiés, à un grand nombre d'exemplaires. Ces objets ne sont pas simplement juxtaposés: ils entrent en lutte, ils empiètent les uns sur les autres, et beaucoup n'ont subsisté qu'à l'état de ruines. On entrevoit donc la possibilité de les faire entrer dans un classement chronologique, de dire quels caractères actuels sont associés à une antiquité plus grande, d'assigner dans la formation des individus la part des diverses influences physiques ou cosmiques, de trouver la raison de leurs différences.
Un premier essai de cette méthode a conduit les sélénographes à distinguer deux grandes classes d'objets lunaires, très inégales par le nombre, à peu près équivalentes par l'étendue totale occupée. Ce sont les mers, caractérisées par une surface unie et sombre, et les cratères, dont le trait commun est une bordure circulaire. Les cratères, infiniment plus nombreux, ont été divisés eux-mêmes en sous-groupes, entre lesquels on n'a jamais pu tracer de frontières bien nettes. Plus tard, au contraire, on s'est avisé que la première distinction était factice, que les grands cirques pouvaient aussi bien être considérés comme de petites mers, les petites mers comme de très grands cirques, et que, si plusieurs mers semblent aujourd'hui dénuées de limites précises, leur état actuel résulte, selon toute apparence, de la jonction de bassins contigus et de l'effacement des cloisons interposées.
La sélénographie a paru ainsi se condenser dans cette formule simple: tout ce qui, sur la Lune, possède une figure bien arrêtée, est circulaire. Il ne s'y trouve, en dehors des mers et des cratères réunis, si l'on veut, sous le nom de cirques, que des perversions ou dérivations de cette forme.
Un tel énoncé ne peut manquer, par sa netteté même, d'être suspect aux géographes, habitués à rencontrer sur le globe terrestre des formes variées, irrégulières, rebelles dans l'immense majorité des cas à toute définition géométrique. On ne voit pas pourquoi l'unité de force et de figure aurait régné sur une planète, la diversité sur l'autre. Et pourtant ce résumé, on doit le reconnaître, est justifié par la presque totalité des dessins dont notre satellite a fourni le sujet. A peu près sans exception, les auteurs ont borné leur ambition à figurer un ou plusieurs cirques et ont traité d'une façon très sommaire tout ce qui ne s'y rattachait pas directement.
La question s'est posée sous une autre forme pour les auteurs de Cartes d'ensemble, Lohrmann, Mädler et Schmidt. Il a bien fallu ici envisager le problème sous un aspect plus large. Il existe en effet, sur la Lune, des régions très montagneuses, assez étendues, où il est impossible de considérer les cirques comme l'élément constitutif du sol. Ils n'y sont représentés que par de petits exemplaires clairsemés. Ces régions (par exemple les Alpes, le Caucase, les Apennins) sont d'ordinaire soigneusement évitées par les dessinateurs libres de choisir leur cadre, et considérées comme imposant une tâche particulièrement ingrate et difficile. Beer et Mädler estiment qu'il faudrait mettre à profit toutes les occasions favorables pendant trois années pour venir à bout du seul massif des Apennins. Tous se sont résignés, en fin de compte, à une figuration sommaire, purement conventionnelle, et qui ne jette aucune lumière sur l'objet qu'elle représente. C'est que, en effet, sur ces plateaux aux bords déchiquetés, où d'innombrables excroissances se disputent l'espace, les notions habituelles sont déroutées, et tout fil conducteur fait défaut. Le procédé familier aux artistes, et qui consiste à encadrer l'objet dans des lignes volontairement simplifiées, semble ici une infidélité dangereuse et une source d'erreurs systématiques.
Nulle part l'utilité des photographies n'apparaît plus manifeste. Là où le dessinateur se perdait dans le détail, elles restituent des ensembles. Elles font rentrer un peu d'ordre dans ce chaos apparent et y introduisent des divisions naturelles. La comparaison fréquente d'épreuves relatives à des phases différentes, contrôlée de temps à autre par l'observation visuelle, fait acquérir à l'égard du sol lunaire une familiarité à laquelle les anciens observateurs, malgré tout leur zèle, ne pouvaient atteindre. On est frappé alors de l'importance prise par certains traits que les cartographes ont entièrement négligés, faute d'en saisir les véritables relations. On voit les faits antérieurs et, jusqu'à un certain point, étrangers à l'histoire des cirques, se multiplier, s'éclaircir et s'enchaîner.
De ces traits anciens, les premiers en date ont toutes les chances d'être les moins apparents: d'abord parce qu'ils ont subi à un plus haut degré l'action des causes destructrices; ensuite parce que l'écorce, encore faible et malléable, n'a pu s'écarter beaucoup d'une figure d'équilibre et constituer des différences de niveau importantes. Si donc nous tentons d'énumérer les mieux reconnaissables de ces objets, dans l'ordre où ils se présentent à la vue, on devra plutôt renverser cet ordre pour se rapprocher de la succession historique. Comme confirmation, l'on devra saisir toutes les occasions de décider, entre deux objets en conflit, lequel a usurpé la place de l'autre.
Les caractères qui président au groupement et qui étaient pour les cirques le diamètre, la profondeur et l'intégrité, seront, dans le cas d'objets rectilignes, la longueur, la largeur et l'orientation. Cette dernière particularité est la plus importante, car on ne tardera pas à reconnaître que les traits d'une même région obéissent à une loi commune et s'alignent sur un très petit nombre de directions.
Dans l'énumération qui va suivre, les numéros de renvoi, en chiffres romains, se rapportent aux feuilles de l'Atlas photographique publié par l'Observatoire de Paris, et de préférence aux quarante premières, pour lesquelles a paru une édition réduite, plus aisée à feuilleter, due aux soins de la Société belge d'Astronomie. Les angles de position sont, suivant l'usage, comptés en degrés et du Nord vers l'Est.
A. Grandes cassures.--1. Vallée à l'ouest d'Herschel (III, IX, XXVI, XXXIII). Large, profonde, très bien conservée et probablement récente, elle dessine une tangente commune à deux cirques, dont le plus méridional (Herschel h) a été nettement sectionné. Prolongée du même côté, cette vallée formerait la limite ouest de Ptolémée (fig. 43).
2. Sillon limitant Albategnius à l'Ouest, Halley à l'Est et dessinant, par suite, une tangente commune intérieure aux deux contours. Cette vallée parallèle à la précédente, plus longue mais moins creuse, a été refoulée et interrompue par le développement de Halley (III).
3. Deux entailles parallèles, éloignées d'une trentaine de kilomètres, franchissant la bordure d'Hipparque à l'Ouest et s'effaçant dans la plaine intérieure (IV, XXVI).
4. Vallée traversant de part en part un massif montagneux, entre Pallas et Ukert (X, XXXIII).
5. Vallée tangente à Godin au Sud-Est (XXII, XXVI).
6. Vallée tangente à Jules César au Nord-Ouest (XXII, XXXII).
Tous ces objets ont à fort peu près l'angle de position 40°, qui est aussi celui des parties orientales dans les fissures coudées d'Ariadæus et d'Hyginus. Tous ressemblent à la vallée d'Herschel (nº 1), sans toutefois la dépasser en profondeur et en netteté. Ils côtoient chacun un ou plusieurs cirques, sans les entamer et sans être refoulés par eux.
En nous éloignant un peu du centre de la Lune, nous trouverons d'autres cassures se rattachant à la même catégorie:
7. Mur Droit, entre Thebit et Birt. Cassure extrêmement nette, probablement moderne, divisant en deux parties égales une grande arène submergée. Angle de position 20° (XIV) (fig. 44).
8. Rainure parallèle au Mur Droit, tangente aux bords ouest de Pitatus et de Gauricus. Elle est discontinue et obstruée par plusieurs éruptions subséquentes. La même orientation se retrouve dans de nombreux traits de la même région, rejetés, à cause de leur caractère moins apparent, dans la classe suivante (XIV).
9. Longue cassure dirigée de Fabricius vers le Nord (XXIV, XXXI).
10. Rainure discontinue sur la ligne Janssen A-Piccolomini (XXIV).
11. Sillon courant vers le Sud à partir de Fermat (XXV, XXXI).
Ces trois derniers traits, peu cohérents et médiocrement conservés, s'accusent surtout par des différences de niveau. Leur angle de position est voisin de 20°, plutôt au-dessous.
12. Monts Altaï: cette grande dénivellation, remarquable par sa longueur et sa continuité, fait partie de l'encadrement de la mer du Nectar. Elle présente deux fronts rectilignes très étendus, soudés aux environs de Fermat, avec des angles de position de 20° et de 45° (XXV, XXXI).
13. Sillon traversant de part en part le bourrelet de Capella, avec un angle de position de 45°. Il appartient, comme les monts Altaï, à l'encadrement de la mer du Nectar (XXXI) (fig. 33).
14. Vallée de Rheita, la plus colossale que l'on puisse apercevoir sur la Lune. Elle est dans un mauvais état de conservation, refoulée et obstruée par le développement ultérieur de plusieurs cirques. Le parallélisme des bords, l'existence de digues transversales obliques, accusent une formation par arrachement, avec élargissement progressif. Angle de position 45° (XII, XXIV, XXXI).
15. Vallée des Alpes, exemple éclatant et bien connu de la disjonction d'un plateau montagneux sur une épaisseur de 3000m environ avec conservation du niveau et du parallélisme des bords. Bien qu'elle n'entame aucun cirque, son intégrité doit la faire considérer comme moderne. Son angle de position (130°) est, comme celui de la vallée de Rheita, répété à bien des reprises dans la région (fig. 37).
B. Digues, crevasses, sillons rectilignes.--Les objets de cette seconde liste, moins visibles que ceux de la précédente, rentrent comme eux dans un petit nombre d'orientations distinctes. Refoulés ou obstrués à peu d'exceptions près, par les cirques qu'ils rencontrent, ils se rattachent d'une façon plus évidente à un état de choses disparu. Leur nombre est considérable. Nous signalerons seulement ceux qui se distinguent par la longueur et le caractère strictement rectiligne de leur trajet.
1. Sillons orientés respectivement sur les centres de Ptolémée et de Albategnius A, et s'étendant à l'extérieur vers le Sud. (III) (fig. 43).
2. Nombreuses stries du plateau situé entre Herschel, Davy et Moesting. Plusieurs entament d'une façon très visible les remparts d'Alphonse et de Ptolémée (III, IX, XXXIII).
3. Crête des monts Hæmus, entre Taquet et Sulpicius Gallus (XXXII).
4. Sillon parallèle aux monts Altaï, traversant la plaine à égale distance des monts Altaï et de Polybe (XXV).
Tous ces traits (nos 1 à 4) sont parallèles à la vallée d'Herschel et, par suite, aux premiers objets de la liste précédente.
5. Parties centrales des fissures d'Ariadæus et d'Hyginus: angle de position 75° (IV, X, XXII). Ce sont deux exemples remarquables d'indépendance totale entre le tracé d'une fissure et le relief actuel du sol.
6. Crevasses situées entre Archimède et Conon, perpendiculaires à la direction générale des Apennins et coudées suivant les mêmes orientations que la fissure d'Hyginus (X).
7. Double fissure près de Sabine, côtoyant la base du rempart montagneux. Elle est très nette et paraît due à la reviviscence tardive d'une ancienne tendance à l'arrachement. Angle de position 80° (XXII).
8. Double fissure encadrant Hésiode et formée comme la précédente de deux traits parallèles. L'un de ces traits se prolonge à une grande distance vers l'Est à travers des massifs montagneux, sans cesser d'être visible à la traversée des plaines. Angle de position 120° (XIV, XIX).
9. Vallée située en plaine entre Kies et Kies d. Faiblement déprimée, elle est parallèle à la fissure d'Hésiode, à de nombreuses digues de la région de Tycho, aux portions nord-est des remparts de Ptolémée, d'Alphonse, d'Albategnius (XIV).
10. Digues rectilignes s'appuyant sur la partie est du rempart de Capuanus et constituant les restes d'un massif plus ancien que le cirque. Angle de position 40° (VIII).
11. Stries nombreuses sur le plateau entre Vitello et Hainzel. Angle de position 30° (VIII).
12. Quatre sillons parallèles à la vallée de Rheita, deux au Nord et deux au Sud, très étendus aussi, mais beaucoup moins bien conservés. Angle de position 45° (XII).
13. Grande vallée irrégulière, parallèle aussi à celle de Rheita, presque aussi large, mais fortement dégradée et discontinue. Elle est visible de part et d'autre de Snellius et s'interrompt sur l'emplacement de ce cirque (XII).
14. Région striée ou cannelée, entre Pons, Zagut, Gemma Frisius et Pontanus. Deux systèmes bien reconnaissables, formant un angle de 70°, y sont associés (XX).
15. Ride saillante réunissant Santbech et Colombo (XXXVIII).
16. Très longue digue en relief de part et d'autre de Borda; elle forme, avec le trait précédent, avec la crevasse médiane de Petavius, avec la chaîne de cirques Rheita e, un système conjugué de la vallée de Rheita. Angle de position 130° (XII).
17. Sillon visible sur le méridien de Descartes, du côté sud, et signalé surtout par des places blanchies (XXVI).
18. Terrasses de Lemonnier et de Pline, sous-tendant des arcs dans le périmètre de la mer de la Sérénité. Elles paraissent être les restes d'une enceinte polygonale dont la mer aura, dans son mouvement d'expansion, franchi les limites (XXVII).
19. Terrasse allant de Théophile à Beaumont, détachant un segment en forme d'arc dans la mer du Nectar et de tout point analogue aux précédentes (XXVII, XXXII).
20. Straight Range.--Digue isolée, perpendiculaire au méridien, reste d'une ancienne frontière de la mer des Pluies (XI, LIII).
21. Sillons nombreux sur le plateau qui s'étend entre Bianchini et La Condamine. Angle de position 160°. L'accroissement de l'angle de position est sensible quand on se déplace de l'Ouest à l'Est dans la bordure de la mer des Pluies (XI).
22. Double série d'arêtes rectilignes formant l'ossature de l'écorce dans le voisinage du pôle Nord. Le plus apparent des deux systèmes est peu incliné sur le méridien (XXXVII, LII, LIII).
C. Alignements d'orifices.--Il est connu depuis longtemps que la distribution des grandes enceintes à la surface de la Lune n'est pas arbitraire, qu'elle ne manifeste pas de condensation vers un plan comme la Voie lactée, ni d'accumulation autour de quelques centres, comme l'ensemble des nébuleuses. La disposition des grands cirques, toutes les fois qu'elle affecte une apparence systématique, est linéaire. Beaucoup d'entre eux se disposent en séries à peu près continues et dont l'unité d'origine est aussi certaine que celles des grandes arêtes du relief terrestre. Les individus d'un même groupe accusent une analogie de dimensions et de structure poussée parfois à un tel degré que de simples associations par paires ne semblent pas pouvoir être fortuites, d'autant moins que l'orientation de la ligne des centres se retrouve presque toujours dans des sillons rectilignes de la même région.
La liaison est moins aisée à mettre en évidence pour les petits orifices, en raison même de leur grand nombre. Dans les parages où ils fourmillent, on peut les associer en chaînes de diverses manières, dont aucune ne s'impose à l'exclusion des autres. Mais certaines mers où les orifices n'apparaissent qu'en petit nombre présentent des alignements d'une extrême netteté et qui doivent, à ce titre, fixer l'attention.
Il suffira, entre beaucoup d'exemples, de citer les suivants:
1. Walter, Regiomontanus, Purbach (I).--Série de grands cirques contigus, polygonaux, dégradés, offrant chacun de fortes différences de niveau. L'angle de position de la ligne des centres est 35°, ce qui rattache ce groupe à la vallée d'Herschel et, plus généralement, aux objets désignés en premier lieu dans les deux listes précédentes.
2. Aliacensis, Werner, Blanchinus, Lacaille.--Série parallèle et juxtaposée à la précédente, montrant dans ses deux derniers termes des formes plus régulièrement circulaires et mieux conservées (II).
3. Blancanus, Scheiner, Röst, Schiller.--L'angle de position de cette chaîne est 50°. Des digues latérales ont entravé le développement normal de tous ces cirques, surtout du dernier dont l'allongement est exceptionnel (XVIII).
4. Wilson, Kircher, Bettinus, Zuchius (XXX).--Également encaissés entre deux digues parallèles. Angle de position 45°.
5. Manifestations éruptives variées sur une tangente commune intérieure aux contours d'Almanon el d'Albufeda. Angle de position 50° (XX, XXV, XXVI) (fig. 45).
6. Arzachel, Alphonse, Ptolémée, Herschel.--Ligne des centres sensiblement parallèle au méridien. Comme il arrive dans la plupart des séries de l'hémisphère Sud, le cirque le plus austral est en même temps le plus régulier et le plus profond (III, IX) (fig. 43).
7. Theon junior, Theon senior, de Morgan, Cayley, Jules César (XXII).--Série suivant le méridien, discontinue, mais complétée par plusieurs orifices anonymes. Elle embrasse un espace plus grand que les précédentes, avec la même progression.
8. Furnerius, Petavius, Vendelinus, Langrenus.--Ensemble de cirques énormes et de puissant relief, sur un même méridien (XXI).
9. Cinq petits orifices disposés sur un méridien, dans la partie nord-est de la mer de la Sérénité (V, XXIII).
10. Ligne blanchie, discontinue, allant de Licetus à Aliacensis, en contournant Stöfler à l'Est (XXXVII).
11. Autre ligne blanchie, discontinue, allant de Bacon à Pons, en contournant Büsching à l'Ouest. Cette ligne, comme les cinq précédentes, s'écarte peu d'un méridien. Elle est remarquable par son extraordinaire longueur. Il semble que la formation du cirque Büsching a refoulé quelque peu l'alignement éruptif sans lui faire perdre son caractère (XXXVII).
12. Nombreux orifices le long d'une tangente commune aux bords orientaux de Lexell et de Regiomontanus (XIV).
13. Alignement sur une tangente commune aux limites orientales de Hell et de Pitatus. Ce trait et le précédent sont voisins et parallèles. Angle de position 140° (XIV).
14. Rheita e.--Fosse allongée formée par jonction d'orifices (XXXI). L'angle de position (150°) s'est déjà rencontré souvent dans les cassures de la même région. Il y est aussi représenté par plusieurs couples de grands cirques voisins et semblables, comme Snellius et Stevinus, Metius et Fabricius.
D. Enceintes quadrangulaires sans rupture, à rebord saillant.--Une collection d'objets particulièrement intéressants au point de vue qui nous occupe se rencontre dans le voisinage du pôle Nord. Les cirques y sont assez rares et sont remplacés par des plaines que divisent et encadrent de minces cordons saillants. Toutes ces plaines paraissent être au même niveau et constituer la surface moyenne de la planète. Ce sont les cordons qui semblent surajoutés, de manière à diviser, suivant un plan géométrique, cette étendue uniforme. Cette structure est aujourd'hui limitée à la région arctique. On trouve cependant, sur la rive sud de la mer du Froid ou dans le quadrant sud-ouest quelques objets qui semblent, comme Egede (V), des survivants ou des précurseurs du même type.
Les murs de séparation sont assez endommagés, souvent doubles et coupés de brèches. Mais deux directions y dominent toujours, en sorte que les plaines encadrées se rapprochent plus du losange que du cercle. Les déformations considérables amenées dans cette région par la perspective font qu'il est malaisé de préciser les déviations par rapport au losange ou d'évaluer les angles de position. Nous citerons comme particulièrement bien dessinés les objets suivants:
1. J. Herschel (XI, LIII).--2. Goldschmidt (XXIII).--3. Gärtner (XXVIII, XXXV).--4. Kane (XXXV).--5. Arnold (XXXV).--6. Peters (XXXV).--7. Méton (XXXV, LII).--8. Euctemon (XXXV).--9. W.-C. Bond (XIII, XXIII).
Le dernier exemple est instructif en ce qu'il nous conduit à envisager les enceintes quadrangulaires comme des formes préliminaires de cirques, frappées d'arrêt dans leur développement. Les orientations de W.-C. Bond concordent avec celles d'Egede, avec les directions qui dominent dans les Alpes, y compris la grande vallée, avec les sillons qui constituent des cadres autour d'Eudoxe et de Platon. En comparant W.-C. Bond et Eudoxe (V, XIII, XXV), on se convaincra bientôt que l'enceinte quadrangulaire qui constitue le premier est l'analogue du cadre d'Eudoxe et non du cirque lui-même, en sorte que nous avons dans la région arctique de nombreux emplacements préparés pour des cirques futurs, mais pour la plupart demeurés vides. Là où le cirque s'est développé, il est quelquefois demeuré en deçà des limites qui lui étaient tracées. Mais, le plus souvent, il les a remplies et dépassées, au point d'effacer et de rendre méconnaissable le losange primitif.
A notre avis, l'absence de liaison apparente entre les cordons saillants et les plaines qu'ils entourent n'autorise pas à regarder les cordons comme étant d'importation étrangère. Il est beaucoup plus probable que chacun d'eux est le produit du sol qui le porte et qu'il s'est trouvé mis en relief par suite de l'affaissement du centre de la case. C'est à la submersion des parties centrales affaissées qu'est dû l'isolement des cordons par rapport aux plaines adjacentes, de même que celui des montagnes intérieures par rapport aux bourrelets des cirques.
E. Tangentes aux remparts.--Nous avons groupé ici quelques objets qui auraient pu figurer dans nos trois premières listes à cause de la situation spéciale qu'ils occupent par rapport aux cirques. Des traits rectilignes tangents aux remparts actuels s'accusent soit comme arêtes en relief, soit comme rainures, soit comme traînées blanches avec des recrudescences locales. Ces mêmes traits se distribuent, dans chaque région, entre des orientations peu nombreuses, et cette condition, incompatible en apparence avec la situation de tangente commune à plusieurs enceintes, lui est au contraire souvent associée. Il est commun de voir le contact s'effectuer non par un seul point, mais sur une étendue plus ou moins grande. En pareil cas, c'est le cercle qui est déformé et non le trait rectiligne. La déformation est soustractive, c'est-à-dire que le contour circulaire, sans montrer de tendance à rejoindre les traits dont il s'approche, est entamé par ceux qu'il rencontre et entravé dans son développement normal. Les cirques alignés admettent volontiers des tangentes communes orientées comme la ligne qui joint leurs centres.
On pourra se reporter, pour avoir la confirmation de ces remarques, aux objets suivants énumérés à peu près dans l'ordre où croissent leurs angles de position:
1. Sillon touchant les bords occidentaux de Purbach, Regiomontanus, Walter (I).
2. Traits limitant Alphonse respectivement à l'Est et à l'Ouest. Ces deux traits sont parallèles au précédent et à la veine médiane du cirque (III, XXIII) (fig. 43).
3. Digue saillante formant tangente commune intérieure à Heinsius et à Wurzelbauer (XIV, XIX).
4. Sillon formant tangente commune intérieure à Clavius et à Maginus (XVII). Ce trait s'écarte peu, comme les trois précédents, de l'angle de position 35°.
5. Tangente commune aux remparts est de Maginus, Street et Tycho (VII) (fig. 47).
6. Sillon profond sur le trajet d'une tangente commune intérieure aux remparts d'Albategnius et de Halley (III, XXVI).
7. Longue coupure isolant le rempart d'Archimède du massif montagneux situé plus au Sud (XXXIV).
8. Sillon dessinant une tangente commune intérieure à Aristillus et Autolycus (V, X, XXXIV).
9. Vague saillante, à crête blanchie, suivant une tangente commune intérieure à Kane et à Démocrite et se prolongeant au delà de celui-ci (XXVIII).
Pour les objets énumérés de 5 à 9, l'angle de position se tient aux environs de 40°.
10. Sillon limitant à la fois les remparts ouest de Clavius et de Longomontanus (VII) (fig. 47).
11. Digue tangente au rempart est de Capuanus (VIII).
12. Bord de plateau tangent au rempart ouest de Campanus (VIII).
13. Digue touchant les bords méridionaux de Tycho et de Heinsius. Elle se prolonge au delà de Heinsius, dont elle a entravé l'expansion normale (XVIII).
14. Ligne tangente à Albategnius et à Ptolémée, du côté nord, et à Herschel du côté sud (III, XXVI). Elle est signalée par un chapelet d'orifices. L'angle de position, qui se tenait, pour les quatre objets précédents, entre 45° et 50°, passe ici à 70° (fig. 43).
15. Grande cassure limitant Delambre au Nord-Ouest (XXII).
16. Sillon formant tangente commune au Nord aux remparts de Delambre et d'Hypatie.
Ces deux derniers traits, voisins de la fissure déjà citée de Sabine, ont comme elle pour angle de position 70°.
17. Arête blanchie formant tangente commune aux côtés nord de Démocrite, Thalès, Strabon. Cette arête a contrarié le développement normal de Démocrite. Angle de position 90°.
18. Digues encadrant, au Nord et au Sud, le bourrelet de Tycho. Angle de position 130° (VII).
19. Crête formant tangente commune à Hipparque, Albategnius, Ptolémée. Angle de position 130° (IV, XXIII) (fig. 43).
20. Sillon tangent au bord ouest de Barocius et entamant Clairaut. Angle de position 140° (XVII).
21. Sillon tangent au bord ouest de Maurolycus et entamant Barocius. Angle de position 140° (XVII).
22. Chaîne formant tangente commune intérieure à Borda et à Cook (XXI).
23. Chaîne dessinant une tangente commune intérieure à Santbech et à Colombo (XXI, XXVII).
24. Prolongement du bord oriental de Stevinus (XII). L'angle de position de ce trait, comme des deux précédents, est de 160°.
25. Digue touchant les limites ouest de Vendelinus C et de Langrenus et dépassant, au Nord comme au Sud, les limites indiquées (XXI, XXXVIII).
26. Deux digues parallèles encadrant Messala et se prolongeant au Nord (XXIX).
27. Chaîne tangente au bord ouest de Gassendi (XXX) (fig. 50).
28. Tangente commune aux remparts ouest d'Arzachel et d'Alphonse (III, IX). Ce trait, comme les trois précédents, suit le méridien (fig. 43).
29. Chaîne prolongeant le bord oriental de Furnerius (XII). Angle de position 10°.
30. Chaîne prolongeant le bord oriental de Véga (XII). Angle de position 10°.
Un catalogue plus complet ferait ressortir, dans la série des angles de position, des lacunes bien marquées, dont la plus étendue paraît tomber entre 90° et 130°.
F. Cirques anguleux.--La présence de digues ou de sillons tangents aux remparts des cirques amène dans le contour de ceux-ci des déformations systématiques, visibles surtout au voisinage du terminateur. Ces déformations affectent peu les cirques petits et modernes, beaucoup plus les enceintes vastes, hétérogènes et jouant un rôle passif en cas de conflit.
Dans une région où un seul système de traits parallèles prédomine nettement, les bourrelets circulaires sont simplement tronqués par suppression d'un segment et s'arrêtent à la rencontre des traits, presque toujours constitués par des digues saillantes. Nous mentionnerons, comme exemples de cette structure, Heinsius (VII), Lacaille et Faye (XX), la plupart des cirques de l'entourage de Tycho (XVIII) (fig. 47), de nombreux orifices entre Licetus et Maginus (XVII). Les digues limites, dans ce dernier cas, sont parallèles à la ligne des centres de Licetus et de Clavius.
Lorsque deux systèmes associés prennent une importance à peu près égale, on observe des formes de passage du cercle au parallélogramme et, parmi les parallélogrammes, le losange domine, comme si les bandes intéressées par une intumescence devaient offrir, dans les deux systèmes, des largeurs égales.
Quand deux cirques voisins sont limités à un même trait, il y a souvent égalité approximative dans les dimensions, dans les distances des centres à la limite commune, et par suite aussi, dans les angles. Mais il n'est pas rare que la similitude soit réalisée avec des dimensions très différentes.
On pourra noter, comme losanges bien formés, Egede (V), Gruemberger (XVIII); comme distinctement quadrangulaires: la grande enceinte comprenant Hell et Lexell (I), Pontanus (II, XXV), Cléomède (XXIX); comme pentagonale, l'enceinte située à l'est de Burg et formant la partie la plus déprimée du lac de la Mort (XXVIII); comme hexagonaux: Ptolémée, Alphonse (III, XXIII), Albategnius (III, IV, XXIII), Rhætius (IV), Janssen (XXIV) (fig. 39), la mer des Crises (XXI, XXVII, XLI) (fig. 32); comme exemples de similitude: Aristote, Egede (V, XIII), Cyrille, Tacite (XXV, XXXI), Ptolémée, Réaumur, Alphonse (XXXIII), Eudoxe, Theætetus (XIII), le groupe Walter, Aliacensis, Regiomontanus, Purbach, Nonius, Blanchinus (I, II, XXV). Il y a, dans ces six derniers cirques, accord général pour l'orientation des côtés rectilignes.
On trouve enfin des cirques irrégulièrement anguleux, où se reconnaît la réalisation successive de deux plans différents. La nouvelle enceinte, orientée autrement que l'ancienne, s'est à peu près superposée à celle-ci, dont une partie notable a été respectée. De ce nombre sont Gauricus, Tycho, Maginus (VII), Clavius (VII, XVIII) (fig. 47), Campanus (VIII), Calippus (XIII), plusieurs formations anonymes entre Godin et Hind (IV), des bourrelets de faible relief englobés dans Atlas, Hercule, Endymion, Posidonius, Aristote, Eudoxe (XXXV), Gassendi (XL) (fig. 50, 51).
G. Cirques encadrés.--Les digues et sillons rectilignes d'une même région peuvent être associés de diverses manières pour former des polygones convexes. Certaines de ces associations semblent particulièrement voulues et soulignées par la nature. Ce cas se présente quand le polygone circonscrit à peu de distance un effondrement nettement limité. L'excavation s'étend par une série de ruptures dont les gradins intérieurs des cirques sont les témoins.
Quand les sillons qui entourent un cirque se rattachent à deux systèmes équidistants et forment par suite des losanges, le contour du cirque arrive à toucher en même temps les quatre côtés du losange. Mais, quand l'équidistance n'a plus lieu, l'inscription d'un cercle dans le quadrilatère cesse d'être possible. La cassure s'arrête aux premiers côtés qu'elle rencontre, tend à se développer vers les autres, et la régularité du contour est altérée.
Enfin la rencontre du dernier côté n'impose pas nécessairement un arrêt au développement du cirque. Celui-ci peut s'étendre encore et excéder son cadre. Il est instructif de remarquer, en pareil cas, que le sillon dépassé peut demeurer visible à l'intérieur du cirque aussi bien qu'au dehors, au delà des intersections avec les sillons conjugués. Cette circonstance montre que l'expansion du cirque s'est accomplie avec une certaine lenteur, sans entraîner la destruction complète du relief préexistant. Il n'est donc pas admissible que l'excavation, dans ses limites actuelles, corresponde à une empreinte de projectile ou à une portion d'écorce ramenée à l'état de fusion.
Il arrive assez souvent que, dans son état d'extension actuelle, le cirque n'atteint aucune des limites du cadre, mais la relation des deux formes est manifestée par la coïncidence approchée de leurs centres. Le périmètre du cirque est toujours défini par l'affaissement de l'intérieur, celui du cadre l'est le plus souvent par un léger excès d'altitude relativement aux plateaux voisins. Presque toujours le cirque a des limites mieux arrêtées que le socle qui le porte, et celui-ci a plus ou moins perdu sa forme quadrangulaire par suite de l'usure et de la démolition des angles. Cet état de ruine peut aller jusqu'à ne laisser en relief que le bourrelet circulaire. Mais, chaque fois que les frontières du socle sont restées visibles, elles coïncident en direction avec des parties rectilignes du contour des mers ou des cirques voisins. Le socle apparaît ainsi comme le précurseur du cirque et comme subordonné plus étroitement que lui à la structure générale de la région.
On peut prendre comme exemples de bassins ayant respecté leurs cadres les objets suivants:
Aliacensis, Werner (II), W.-C. Bond (XXIII), Riccius (XXV), Eudoxe (V, XIII, XXXV), Petavius (XII, XXI, XXXVIII) (fig. 41).
D'autres appellent des remarques particulières. Ainsi, pour Albategnius (III, IV) et Arzachel (III), les côtés des cadres sont parallèles. Sacro Bosco, Pons et Fermat (XXV) sont englobés dans une même enceinte quadrangulaire dont un côté forme la ligne de faîte des monts Altaï. Pour Tycho (VII), le cadre embrasse un espace beaucoup plus étendu que le bourrelet et limité par des digues saillantes. Tout l'espace intermédiaire a éprouvé un affaissement relatif. Maginus (XVII) est confiné dans un angle du cadre, dont les côtés les plus apparents sont parallèles à la ligne Licetus-Clavius. Il le remplit au Sud et à l'Est, mais laisse un espace libre au Nord et à l'Ouest. Les mers du Nectar (XXVII) (fig. 33) et de la Fécondité (XXXVIII) sont comprises dans de vastes losanges. La bordure montagneuse de la mer des Crises (XXI, XXVIII, XXIX) (fig. 32) est sectionnée par des sillons rectilignes, parallèles aux limites de la plaine. Aristarque (fig. 48) s'appuie à l'Est sur un grand parallélogramme, distingué de la mer par une teinte plus sombre.
Voici maintenant quelques exemples de cirques qui ont dépassé un ou plusieurs côtés de leurs cadres primitifs sans les faire entièrement disparaître:
1. Clavius (VII). On distingue très bien des digues parallèles, mais discordantes, qui ont successivement servi de limites (fig. 47).
2. Pitatus et Wurzelbauer (XIV, XIX).
3. Scheiner (XVIII). Le cirque est inscrit dans un losange qu'il ne remplit pas du côté de l'Est. Il est, au contraire, traversé, dans sa partie ouest, par un sillon qui complète l'encadrement.
4. Delaunay (XX) est compris dans un losange qui a fortement entravé son développement régulier, tout en déformant aussi les enceintes voisines de Lacaille et de Faye.
5. Platon (XXXIV). Le cirque s'est développé avec une régularité parfaite, tout en excédant son cadre au Nord et à l'Ouest (fig. 40).
Enfin, la survivance d'un socle quadrangulaire légèrement saillant se vérifie autour de Copernic (IX) (fig. 38), Taruntius (XXI), Apianus (XXV), Delambre (XXVI, XXXII), Alfraganus (XXVI), Théophile (XXVII) (fig. 31), Pline (XXXII).
H. Massifs partagés en cases.--Une portion d'écorce lunaire, distinguée de la région environnante par une altitude un peu supérieure et limitée par des lignes de relief parallèles, n'est pas toujours le lieu d'élection d'un cirque développé autour du même centre. Il peut se faire que la case ainsi définie renferme deux ou plusieurs cirques d'importance à peu près égale ou qu'il ne s'y montre aucun cirque réellement notable. Les massifs montagneux les mieux dessinés de la Lune, qui sont des régions pauvres en cirques, sont ainsi divisés en compartiments et, pour chacun de ces compartiments, le centre présente, relativement aux bords, une dépression faible, sans limites précises.
Nous citerons comme témoins de cette structure, presque toujours mal conservée et remontant, par suite, à une période ancienne, les objets suivants:
1. Bloc formant à Théophile et à Cyrille un socle quadrangulaire commun (XXXII).
2. Massif quadrangulaire comprenant Alfraganus et Taylor (XXXII).
3. Plateau renfermant Agrippa, Godin, Rhæticus (IV).
4. Groupe terminal des Apennins vers le Nord (V, X, XXII) (fig. 36).
5. Massif étendu terminant les Apennins vers le Sud (XXXIV).
6. Bloc central des Apennins, à peu près rectangulaire, montrant bien la supériorité d'altitude des bords par rapport au centre (XXIII, XXXIV) (fig. 36).
7. Massif principal des Alpes, entre Cassini et la grande vallée (V, XIII, XXIII) (fig. 37).
8. Bloc situé entre Ramsden et Hippalus (VIII) (fig. 49).
9. Plateau rectangulaire situé entre Jules César et Ménélas (XXII).
10. Plateau de Censorinus, entre les mers de la Tranquillité et de la Fécondité (XXVII, XXXII).
11. Massif de Vitruve, possédant un périmètre quadrangulaire ébréché au Sud (XXVII).
12. Pâté montagneux en losange, entre Campanus et Vitello (XL).
13. Grand plateau en losange, englobant Eudoxe et son socle (XXXV).
Les objets que nous venons d'énumérer sont tous assez éloignés des bords du disque. En effet, les limites des compartiments sont, en raison de leur faible relief et de leur état de dégradation, difficiles à reconnaître sous une incidence rasante. Néanmoins, une fois l'attention attirée sur ce point, on se convaincra bientôt que le centre du disque n'est nullement privilégié sous ce rapport.
CHAPITRE XIV.
TÉMOIGNAGE APPORTÉ PAR LA LUNE DANS LE PROBLÈME
DE L'ÉVOLUTION DES PLANÈTES.
Les lois du réseau rectiligne.--L'inspection qui vient d'être faite confirme une règle, a priori vraisemblable, et à laquelle conduit aussi tout essai de classification des cirques: la physionomie des orifices lunaires est subordonnée à la constitution de l'écorce aux dépens de laquelle ils ont été formés, et celle-ci s'est modifiée avec le temps dans le sens d'un accroissement progressif d'épaisseur et de résistance.
Les orifices régulièrement circulaires, aux flancs raides, très creux en proportion de leur diamètre, sont formés aux dépens d'une croûte épaisse. Ils sont modernes et en général bien conservés.
Les bassins polygonaux, comportant des inclinaisons plus douces, accusent des différences de niveau plus faibles, en rapport avec la moindre épaisseur des fragments solides mis en jeu. Ils sont anciens, attaqués par diverses causes de ruine, et notamment par la superfétation de cirques plus récents.
L'examen des sillons et des blocs montagneux nous met en présence d'une période plus reculée encore, celle où les mouvements du sol lunaire, dans le sens vertical, portaient à la fois sur des compartiments bien plus étendus que les cirques et même que les mers actuelles. Les limites de ces fragments avaient des courbures comparables à celles du globe lunaire lui-même, et nous pouvons, au point de vue de leur influence sur les formations ultérieures, considérer ces limites comme rectilignes. C'est ainsi, pour prendre un exemple familier aux géographes, que les Cartes des courants généraux de l'atmosphère et de l'Océan présentent un dessin bien plus ample, bien plus largement tracé que le relief des continents.
Les faits rassemblés dans le Chapitre précédent nous semblent assez nombreux, assez concordants pour autoriser les conclusions suivantes:
La croûte solide de la Lune, à l'époque la plus ancienne où nous puissions remonter, a été constituée, dans toutes ses parties, par un assemblage de cases polygonales juxtaposées et imparfaitement soudées.
Ces cases ont pour forme élémentaire le losange. Leur constitution tient à l'existence simultanée, dans une même région de la Lune, de deux systèmes principaux de sillons ou de rides. Les sillons d'un même système sont à peu près parallèles et équidistants.
La troncature des angles aigus des losanges fait apparaître assez souvent des hexagones, plus rarement des pentagones. Ce phénomène révèle la superposition, aux deux systèmes principaux de sillons parallèles, d'un troisième système sensiblement incliné sur les deux premiers.
Dans les deux systèmes principaux d'une même région, l'équidistance des rides est à peu près la même, en sorte que le rapport des dimensions linéaires d'une même case tombe généralement aux environs des nombres 1, 2 ou 1/2.
L'angle aigu des deux systèmes principaux d'une même région surpasse presque toujours 60°, si l'on tient compte de la déformation par la perspective, et peut approcher de 90°.
L'orientation des deux systèmes principaux, par rapport au méridien, varie lentement avec la longitude. Dans la partie centrale du disque, les deux systèmes sont notablement inclinés sur le méridien. Près des bords, l'un des deux systèmes tend à devenir parallèle au méridien.
La frontière commune de deux cases adjacentes constitue, dans la majorité des cas, une digue en relief. Il arrive aussi, moins fréquemment, que cette frontière est formée par une rainure discontinue; elle peut enfin être simplement une ligne faible de l'écorce, sur laquelle la présence de traînées blanches et de petits orifices réguliers trahit des manifestations éruptives.
Deux cases adjacentes ont pu éprouver, l'une par rapport à l'autre, un certain jeu horizontal, amenant une discordance entre les diverses parties d'un même sillon. Ce jeu s'effectue par arrachement plutôt que par plissement, par traction plutôt que par poussée. Il est rare qu'une différence de niveau notable se soit établie entre une case et l'ensemble de ses voisines.
La formation du réseau, dans son ensemble, remonte à une époque où la Lune n'avait qu'une mince écorce solide, en sorte qu'il ne pouvait s'y créer de différences d'altitude importantes.
Le réseau rectiligne ne subsiste nulle part dans son état initial; les principales circonstances qui ont amené sa disparition ou son effacement partiel dans la croûte épaissie paraissent être:
1° Des mouvements tangentiels importants, affectant à la fois un grand nombre de compartiments soudés et déterminant des ruptures suivant des lignes irrégulières, en discordance avec celles du réseau primitif;
2° Une période volcanique très longue et très générale, amenant des alternatives d'intumescence et d'affaissement dans l'étendue d'une même case ou de plusieurs cases adjacentes, et aboutissant au sectionnement de l'écorce suivant des cercles de faible rayon;
3° L'envahissement par des nappes liquides de vastes régions affaissées.
Influence du réseau rectiligne sur les formations plus récentes.--Tout en succombant dans cette lutte, bien des fois séculaire, le réseau rectiligne a laissé des vestiges si nombreux et si clairement coordonnés, que nous sommes autorisés à conclure à son universalité dans un passé lointain. Il a exercé une influence passive, mais encore reconnaissable sur la structure et la délimitation des masses montagneuses, sur l'alignement, la distribution et le contour des cirques, sur la forme même des mers. Il s'en est produit des rééditions affaiblies sur divers points où l'épanchement de grandes masses liquides avait reconstitué momentanément, sur une échelle moindre, des conditions analogues à celles de la planète fluide.
Dans les régions où la multiplication excessive des orifices modernes a fait disparaître les sillons primitifs, ceux-ci manifestent leur existence ancienne par des chaînes de cirques orientées suivant certaines directions préférées. On conçoit, en effet, que le sectionnement préalable de l'écorce en bandes offrira, sur certaines lignes, une issue plus facile aux forces intérieures. Il en résultera que des bassins à peu près contemporains et de même dimension se présenteront par séries. Veut-on, au contraire, faire déterminer l'emplacement des cirques par des chocs d'origine externe, une telle distribution apparaît comme dénuée de toute probabilité.
Les cases contiguës sont séparées, soit par des sillons en creux, soit par des digues en relief. Le premier mode de division domine dans les massifs montagneux de la région équatoriale, le second dans la région arctique. L'un et l'autre apparaissent comme passifs vis-à-vis des mers ou des cirques, mais c'est la forme saillante qui a opposé l'obstacle le plus efficace à l'expansion des bassins circulaires. Quand cette expansion l'emporte, la partie englobée du sillon rectiligne n'est pas fatalement condamnée à disparaître. Elle s'affaisse plus ou moins à l'intérieur du cirque et forme palier intermédiaire entre la plaine intérieure et le plateau. Les mêmes orientations, en très petit nombre, se retrouvent dans le contour polygonal du cirque, dans ses terrasses intérieures, dans les sillons qui l'encadrent à distance. Ce ne serait pas le cas si, comme l'a pensé le professeur Suess, le cirque entier représentait une portion de croûte ramenée à l'état liquide par un flux de chaleur interne.
L'indépendance de la plupart des sillons par rapport au relief des régions traversées, le plan large et régulier qui préside à leurs directions, montrent qu'ils sont le produit de causes anciennes et profondes. Il en est de même des grandes fissures tracées en plaine, comme celles d'Ariadæus, d'Hyginus, de Triesnecker. Elles présentent des portions rectilignes et parallèles, séparées par des coudes très nets. Leur orientation, en concordance avec la structure générale de la région, se retrouve à peu de distance dans les contours polygonaux d'Agrippa, de Godin, de Rhæticus, de la mer des Vapeurs. Donc ces fissures, bien que tracées à travers la surface unie d'une nappe solidifiée, ne sont point le résultat de l'action de la pesanteur sur cette nappe. Leur présence révèle le jeu invisible des compartiments submergés. Elle décèle des efforts de traction, exercés au cours même de la période volcanique sur des fragments étendus de l'écorce sous-jacente. La même remarque s'applique au Mur Droit, rattaché par sa direction au même groupe que la veine médiane d'Alphonse, aux veines de la mer du Froid, parallèles aux limites du massif des Alpes, à la crevasse médiane de Petavius, parallèle à deux côtés du cadre extérieur (fig. 41).
Par contre, on est fondé à parler d'un sectionnement rectiligne à la fois récent et superficiel, à propos des enceintes secondaires qui se sont formées à l'intérieur de Gassendi, d'Atlas, de Posidonius, d'Hercule. Leur dessin anguleux est une réédition locale et affaiblie d'un état de choses autrefois général (fig. 50, 51).
De l'origine du réseau rectiligne.--D'après l'ensemble des faits astronomiques et géologiques, la Terre a traversé trois grandes phases nettement différentes: une période de fluidité totale, une période de solidification superficielle, une période aqueuse. Dans cette dernière phase, la constitution et l'aspect du sol sont principalement déterminés par l'eau qui le recouvre ou s'y précipite. Presque toutes les causes que nous voyons à l'oeuvre aujourd'hui en dérivent et tendent à effacer le relief.
Sur la Lune l'eau fait défaut actuellement et elle n'a pas laissé de traces d'une intervention active dans le passé. La nappe océanique et la couverture sédimentaire sont absentes. Il suit de là que la Lune est particulièrement propre à nous apprendre comment la solidification s'est accomplie et comment s'est effectué le passage de la première période à la seconde.
Plus petit, notre satellite a évolué plus vite: mais depuis longtemps déjà la permanence y règne à un tel degré que les traits les mieux visibles de la surface lunaire peuvent être comparables, par leur âge, aux plus anciens accidents du sol terrestre. La dernière période de destruction traversée a été celle de la formation des cirques. Ses ravages n'ont pas été tels que l'état immédiatement antérieur ne puisse être reconstitué avec une probabilité très élevée.
Il y a eu, dans notre opinion, une époque où tous les accidents de la surface de la Lune se partageaient entre deux types: le type arctique, plaines quadrangulaires encadrées de cordons saillants (fig. 46), le type équatorial formé de losanges assemblés, sans dépression notable du centre des cases. Il est facile d'imaginer la transition de l'un à l'autre, en supposant que les cordons perdent graduellement leur relief et se transforment en sillons irréguliers. Le problème consiste maintenant à expliquer comment l'une ou l'autre de ces formes a pu dériver de l'état initial le plus vraisemblable, par le jeu régulier des lois physiques.
Les planètes et leurs satellites ont commencé par être fluides dans toute leur masse. Leur forme sphérique le démontre et jamais, croyons-nous, une contestation sérieuse ne s'est élevée sur ce point. Tant que cet état persiste, la surface de la planète, constamment renouvelée, dissipe dans l'espace une quantité de chaleur bien supérieure à celle qui est reçue du Soleil. C'est à la surface que se produit le refroidissement le plus actif et que les scories doivent se former tout d'abord.
Que deviennent les îlots ainsi constitués? Ici, la divergence des théories se manifeste. Les uns (Lord Kelvin, MM. King et Barus, etc.) veulent que les particules solidifiées plongent à l'intérieur, où elles reprennent bientôt l'état liquide sous l'influence d'une température plus haute. Ainsi s'effectue un brassage prolongé qui tend à établir dans toute la masse une température à peu près uniforme à un moment donné, mais décroissante avec le temps. Pour nombre de substances, la compression favorise le passage à l'état solide. C'est donc au centre, où les pressions sont plus fortes, que la solidification commence, pour se propager ensuite vers la surface. Dans ce système, la Lune est totalement solidifiée; la Terre l'est aussi, sauf des poches de lave relativement insignifiantes, qui donnent lieu aux éruptions volcaniques.
La thèse opposée, plus en faveur près des géologues (Suess, de Lapparent, Sacco, etc.), admet que, dans l'état de fluidité, les matériaux se sont disposés par ordre de densité croissante, en allant de la surface au centre. Les substances peu denses sont ainsi les plus exposées au refroidissement. Plusieurs d'entre elles, à l'exemple de l'eau, se dilatent par la solidification. Elles vont donc former une croûte solide graduellement épaissie. Le retour à l'état liquide sera pour elles une rare exception, bien que la partie fluide doive prédominer longtemps encore par sa masse. La conductibilité des roches pour la chaleur est, en effet, si faible que la solidification totale d'une planète, par l'extérieur, semble devoir réclamer autant ou plus de temps que l'extinction du Soleil.
Nous avons indiqué, au Chapitre VII de ce Livre, diverses raisons qui tendent à faire limiter à un petit nombre de myriamètres l'épaisseur de la croûte terrestre, c'est-à-dire de la couche où la rigidité des matériaux s'oppose aux courants de convection. La Lune fournit à l'appui de la même thèse des arguments d'un autre ordre, mais qui sont bien loin d'être négligeables.
Les traits anciens du relief lunaire rentrent dans un plan mieux défini et plus régulier que celui des chaînes de montagnes terrestres. Nous y trouvons comme élément essentiel des fractures disposées en séries parallèles, avec de faibles dénivellations. L'intervalle de deux fractures consécutives n'est jamais qu'une petite fraction du rayon lunaire. Là où cette structure s'efface, on voit sans peine que sa disparition est due à des éruptions volcaniques ou à d'abondants épanchements liquides qui ont nivelé la surface.
Cette figure est précisément celle que nous devons nous attendre à rencontrer dans l'hypothèse d'une écorce mince et non malléable. Quand la variation des forces extérieures tend à imposer à la masse fluide une nouvelle figure d'équilibre, satisfaction est donnée à cette tendance par la formation de crevasses successives rendant possible la flexion de l'écorce, ainsi qu'on peut l'observer sur les glaciers. Si la flexion ainsi réalisée n'est pas suffisante, le liquide intérieur comprimé déborde par les crevasses et les oblitère. L'intervalle d'une fissure à l'autre sera du même ordre que l'épaisseur de la croûte et variera dans le même sens. Entre les deux lèvres d'une même fissure, la différence de niveau sera toujours moindre que l'épaisseur de la croûte, car elle ne saurait lui devenir égale sans que le fragment inférieur ne soit inondé. Ce n'est plus alors un sillon que l'on observe, mais une terrasse, comme celles dont le Mur Droit nous offre l'exemple le plus net.
Avec le temps, les nappes épanchées se figent, l'épaisseur de la croûte augmente, les ruptures deviennent plus rares et plus espacées, mais aussi peuvent donner lieu à des inégalités plus fortes. Enfin, l'écorce devient tellement résistante qu'elle ne cède plus qu'accidentellement sur des points faibles, où se forment des cheminées volcaniques. Il semble aujourd'hui que l'ère des conflits soit close. Nous ne voyons plus sur la Lune aucune nappe liquide qui trahisse un épanchement récent, ni même aucun espace un peu notable qui n'ait reçu et gardé des dépôts éruptifs.
Les choses se passeront tout autrement dans la théorie de Lord Kelvin, qui fait croître le noyau solide à partir du centre. Cet accroissement s'effectue grain par grain, avec lenteur et régularité, comme celui dont les couches stratifiées de l'écorce terrestre sont le résultat. Toute la masse acquiert une température presque uniforme, voisine du point de solidification. Tant que la nappe liquide est assez abondante pour couvrir toute la surface, elle se dispose à chaque instant suivant les exigences de l'isostase. On n'aperçoit aucun motif pour que la figure du noyau s'écarte d'une surface de niveau répondant à la valeur moyenne de la pesanteur, c'est-à-dire d'un sphéroïde très uni.
A la vérité, la nappe liquide, diminuant toujours, laissera émerger des portions d'abord très petites, puis de plus en plus grandes de ce noyau solide. Mais quelle cause invoquera-t-on pour faire naître, soit sur les îlots, soit sur les continents, un relief brusque et accidenté? Ce ne sera point la réaction du liquide intérieur, que la théorie a justement pour objet de supprimer. Ce ne sera pas davantage l'érosion, puisque les bassins lunaires n'ont nulle part le caractère de vallées ouvertes. La contraction par refroidissement, déjà trouvée à peine suffisante dans la première théorie pour expliquer le relief terrestre, nous échappe ici, puisque la période antérieure a eu pour effet nécessaire d'amener le globe entier à une température uniforme et médiocrement élevée, celle de la solidification des minéraux.
Reste, pour expliquer le relief lunaire, l'action des forces extérieures émanant du Soleil ou de la Terre. Il est clair que ces forces, agissant sur toutes les particules du globe solide, varient d'une manière lente et continue. Si la limite de résistance est dépassée, la déformation s'accomplira par voie de fissures et de glissements intéressant toute la masse du globe et non pas seulement des écailles superficielles. Nous n'avons aucune chance de voir apparaître une agglomération dense de montagnes abruptes et de vallées profondes.
Enfin, si l'on admet que la solidification porte en dernier lieu sur une mince couche superficielle, on ne voit pas à quel réservoir s'alimenteront les nombreuses et abondantes éruptions volcaniques dont la Lune a été le théâtre. On ne s'explique pas la présence de ces nappes unies qui couvrent le fond des mers et des cirques et qui attestent des solidifications lentement opérées, à des niveaux qui diffèrent de plusieurs milliers de mètres.
Que l'on envisage, au contraire, la réaction d'une grande masse fluide sur une écorce relativement mince et hétérogène, la température peut monter vers le centre à des chiffres très élevés, la contraction par refroidissement reprend le rôle principal dans l'établissement du relief, les inégalités locales de la croûte n'ont plus d'autre limite que son épaisseur, l'alimentation ultérieure des volcans est largement assurée; l'élément périodique que les marées introduisent dans la déformation fait apparaître comme probable la prédominance de deux directions principales dans l'alignement des cassures.
Divergence dans les modes d'évolution respectifs de la Terre et de la Lune. Conclusion.--Tout ce qui précède nous conduit à regarder la surface solide comme formée au début par la jonction de bancs assez minces de scories flottantes. On ne voit pas qu'une différence notable doive être établie à cet égard entre les deux planètes.
Cette croûte mince, fragile, peu cohérente, subira des vicissitudes plus fortes sur la Lune, en raison de l'ampleur des marées que l'attraction de la Terre y provoque. Le fluide interne, encore peu comprimé et presque toujours libre de ses mouvements, s'enflera périodiquement. Deux séries de cassures apparaîtront, les unes parallèles au front de l'onde de marée, les autres suivant la direction des courants principaux que ces marées déterminent.
Sous cette double sollicitation, l'écorce se partage en cases quadrangulaires, dont les frontières forment des cicatrices alternativement ouvertes et refermées. Le tracé de ces frontières est ample, voisin d'un grand cercle, comme celui des ondes de marée quand elles trouvent peu de résistance. La croûte solide gagne en épaisseur par l'action du refroidissement et surtout par la solidification des nappes épanchées. Elle exerce une pression croissante sur le fluide intérieur, l'amène à l'état visqueux et rend ses déplacements plus difficiles. En même temps les marées tendent à s'éteindre, à mesure que l'égalité s'établit entre les durées de rotation et de révolution de la Lune. La période de formation des crevasses apparaît donc comme limitée. Il semble, en fait, qu'elle était déjà sur son déclin quand la période volcanique s'est ouverte. Très peu de cirques se montrent partagés en deux par une fissure. Très peu de sillons anciens, dépendant d'un système rhombique, ont échappé à une destruction partielle par les dépôts éruptifs. Les seules crevasses restées nettes et fraîches sont celles qui sont tracées en plaine à travers des épanchements récents. Elles semblent toutefois révéler les mouvements tardifs des compartiments submergés, dont elles reproduisent les orientations.
La Terre a traversé, cela n'est guère douteux, une transformation analogue, moins active en raison de l'ampleur moindre des marées, plus prolongée en raison de la marche lente du refroidissement. Le sectionnement de l'écorce a dû suivre, quelque temps au moins, la même marche, mais les cases primitives ont été plus effacées sur la Terre, à la suite de la formation des nappes océaniques et sédimentaires, qu'elles ne l'ont été sur la Lune par les éruptions volcaniques. La prédominance de deux directions principales a cependant laissé sur notre globe des traces nombreuses, par exemple le contour anguleux des plateaux archéens, la terminaison des continents en pointe vers le Sud, le parallélisme des rivages de l'Atlantique, la similitude de l'Amérique du Sud et de l'Afrique, les coudes brusques des grandes vallées et des lignes de faîte en pays de montagnes, la succession des failles en séries parallèles. Il y a là des indices concordants d'une structure indépendante des dépôts stratifiés, antérieure à leur formation, établie sur un plan plus géométrique et plus large.
Le sectionnement de l'écorce en cases n'a été que le point de départ d'une nouvelle série de déformations. La première écorce cohérente correspond à une figure d'équilibre relatif actuelle. Cette figure se modifie, avec le temps, sous l'influence de causes diverses: changement dans la position des pôles, variation de la vitesse angulaire et, par suite, du régime des marées, contraction du globe entier par refroidissement.
Si nous savions quelle a été la série des positions occupées par les pôles de la Lune, par quelles valeurs a passé la vitesse angulaire, nous serions à même d'évaluer, d'une manière approximative, l'effet des deux premières causes. Mais toutes les hypothèses que l'on peut faire à ce sujet sont très hasardées. Il y a seulement lieu de penser, d'après l'abondance plus grande des nappes épanchées dans la région équatoriale, qu'il y a eu, avant la dessiccation définitive, augmentation de la vitesse angulaire et allongement du demi-axe tourné vers la Terre. Ces deux effets sont d'ailleurs indiqués comme probables par la théorie; mais, d'après la sphéricité actuelle de la Lune, ils ne semblent pas avoir été très intenses.
Au contraire, en ce qui concerne la contraction par refroidissement, nous ne pouvons douter qu'elle n'ait agi. Plus sûrement encore que pour la Terre, elle a été le facteur principal de déformation, car l'hétérogénéité de la croûte, le poids des sédiments, invoqués comme causes additionnelles pour suppléer à l'insuffisance présumée de la contraction, n'interviennent ici que dans une mesure très réduite. Mais la contraction entraînera, dans les deux cas, des conséquences fort différentes.
L'écorce terrestre, obligée par son poids de demeurer appliquée sur un noyau qui s'amoindrit, forme des séries de plis parallèles, reconnaissables dans le relief extérieur de plusieurs contrées, très apparents dans la disposition onduleuse des couches stratifiées et intéressant même les roches primitives. Ainsi, quand deux fragments contigus de l'écorce sont pressés l'un contre l'autre, chacun d'eux arrive à se plisser, en quelque sorte sur place, jusqu'à une profondeur considérable. A la surface ces plis ne peuvent acquérir un bien grand relief sans se coucher ou se renverser, parce que la pesanteur a vite raison de la ténacité de la croûte. Il n'y a pas toutefois disproportion excessive entre les deux forces et des écarts assez grands, par rapport aux surfaces de niveau, pourront être réalisés.
Supposons maintenant la pesanteur réduite à la sixième partie de sa valeur, ainsi qu'il arrive sur la Lune, et nous devons nous attendre à observer un tout autre mode de déformation.
Deux masses flottantes, épaisses de 3000m à 6000m et fortement pressées l'une contre l'autre n'arriveront plus à se plisser. L'espace manquant peut être regagné au prix d'un moindre travail et la pesanteur se trouve vaincue avant la résistance moléculaire.
Il y aura d'abord effacement du sillon intermédiaire, qui pourra être remplacé par une ligne saillante à la suite de l'écrasement des bords venus en contact plus intime. On voit ainsi naître le type arctique, observable au voisinage du pôle Nord de la Lune et réalisé aussi par voie artificielle dans les expériences de M. Hirtz 16.
La poussée latérale continuant à s'exercer dans le même sens, l'un des fragments en conflit, pouvant embrasser une série de cases adjacentes, se dénivelle, s'incline et surmonte l'obstacle. Nous obtenons ainsi une large bande en saillie, doucement inclinée du côté d'où la pression est venue, terminée par une pente rapide du côté où la pression se dirige. Cette structure monoclinale et dissymétrique est, comme il est facile de s'en convaincre, celle de la plupart des massifs montagneux de la Lune, mis en évidence par de fortes différences de niveau.
La frange débordante, soumise à de violents efforts et placée en porte-à-faux, ne subsistera souvent qu'à l'état de blocs disjoints comme ceux des Alpes et du Caucase. La partie recouverte, fortement surchargée, s'enfonce dans le liquide où elle flottait, d'une quantité égale ou supérieure à sa propre épaisseur. Elle offre donc un domaine tout préparé pour l'invasion des épanchements internes, et toutes les chances seront pour qu'elle se transforme en mer. C'est au pied même de la bordure montagneuse que la dépression sera la plus forte, comme l'indiquent, de nos jours encore, la présence de taches obscures ou d'ombres locales.
Fig. 27 17.
Au point où nous sommes parvenus, le relief lunaire peut être considéré comme constitué dans ses grands traits, déjà fort différents de ceux que la Terre pouvait offrir dans la période correspondante. L'atténuation de la pesanteur, principalement responsable du contraste, intervient aussi pour donner un tout autre caractère à la période volcanique qui va suivre. C'est elle encore qui, en laissant s'échapper de la Lune l'eau et l'atmosphère, y a clos par avance, en quelque sorte, ces mémorables chapitres d'histoire dont la Géologie fait son objet principal et que notre satellite semble destiné à ne jamais connaître.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES.
PREMIÈRE PARTIE.
LA TERRE.
Chapitre I.--La notion de la figure de la Terre, de Thalès à Newton.
Chapitre II.--L'aplatissement du globe. Essais de théorie mathématique de la figure de la Terre.
Chapitre III.--Résultats généraux des mesures géodésiques. Variations observées de la pesanteur à la surface.
Chapitre IV.--Les grands traits du relief terrestre et le dessin géographique.
Chapitre V.--L'histoire du relief terrestre; les principales théories orogéniques.
Chapitre VI.--La structure interne d'après les données de la Mécanique céleste et de la Physique.
Chapitre VII.--La structure interne d'après les données de l'Astronomie et de la Géologie.
SECONDE PARTIE.
LA LUNE.
Chapitre VIII.--La configuration de la Lune étudiée par les méthodes graphiques et micrométriques. Les Cartes lunaires.
Chapitre IX.--La genèse du globe lunaire et les conditions physiques à sa surface.
Chapitre X.--La figure de la Lune étudiée sur les documents photographiques. Les traits généraux du relief.
Chapitre XI.--Les cirques lunaires et les principales théories sélénologiques.
Chapitre XII.--L'intervention du volcanisme dans la formation de l'écorce lunaire.
Chapitre XIII.--Les formes polygonales sur la Lune.
Chapitre XIV.--Témoignage apporté par la Lune dans le problème de l'évolution des planètes.
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
Paris.--Imprimerie GAUTHIER-VILLARS, quai des Grands-Augustins, 55.
FIG. 28.--Les cirques Messier et Messier A. (Soleil levant.)
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 19 mars 1907.]
FIG. 29.--Messier et Messier A. (Soleil couchant.)
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 26 octobre 1904.
FIG. 30.--Répartition des mers sur la Lune.
Réduction d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 30 septembre 1901.
FIG. 31.--Un cirque lunaire. (Théophile.)
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 16 février 1899.
FIG. 32.--La Mer des Crises.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 10 septembre 1900.
FIG. 33.--La Mer du Nectar.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 16 février 1899.
FIG. 34.--La Mer des Humeurs.
Agrandissement d'un cliché obtenu a l'Observatoire de Paris, le 14 novembre 1899.
FIG. 35.--La Mer de la Tranquillité.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 16 février 1899.
On remarquera sur cette épreuve: au-dessus du centre la double fissure de Sabine, suivant le contour de la mer; à droite du centre, le cirque Arago, accompagné de deux intumescences.
FIG. 36.--Les Apennins lunaires.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 5 avril 1903.
FIG. 37.--Le Caucase et les Alpes lunaires.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 5 avril 1903.
FIG. 38.--Copernic.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 2 février 1896.
FIG. 39.--Janssen.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 16 février 1899.
FIG. 40.--Platon.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 25 octobre 1899.
FIG. 41.--Petavius.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 10 septembre 1900.
On remarquera la fissure médiane, la double enceinte et, à la partie supérieure de l'épreuve,
un plateau saillant en forme de losange.
FIG. 42.--Auréole sombre de Tycho.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 10 septembre 1900.
Comparer avec la figure 33, où la même auréole est visible en même temps que l'ensemble
des traînées brillantes.
FIG. 43.--Sillons et encadrements rectilignes autour de Herschel, Albategnius, Arzachel.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 5 avril 1903.
FIG. 44.--Le Mur Droit et la région environnante.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 8 février 1900.
FIG. 45.--Sillon formant tangente commune intérieure aux contours d'Almanon et d'Albufeda.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire du Paris, le 17 février 1899.
FIG. 46.--Plaines encadrées de cordons saillants (type arctique). Région de Méton, Euctemon.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 26 mars 1901.
FIG. 47.--Clavius, Heinsius, les digues de Tycho.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 23 février 1896.
FIG. 48.--Aristarque.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 4 septembre 1904.
La région attenante, limitée par un parallélogramme, se distingue de la mer par une teinte plus sombre.
FIG. 49.--Bloc montagneux entre Hippalus et Ramsden.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 3 septembre 1904.
Ce bloc, visible à la partie supérieure de l'épreuve, a gardé à peu près intacte son enceinte en losange.
FIG. 50.--Gassendi et la Mer des Humeurs.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 23 juillet 1897.
FIG. 51.--Posidonius.
Agrandissement d'un cliché obtenu à l'Observatoire de Paris, le 26 avril 1898.
Position des arêtes du tétraèdre terrestre d'après MM. Lowthian Green et de Lapparent. AD, BE, CF sont les positions que l'on est conduit à donner aux arêtes méridiennes, quand on veut se conformer à la symétrie polaire. A'D', B'E', C'F' sont les positions de ces arêtes après torsion et rupture; ce tracé répond mieux au relief actuel. Dans l'un et l'autre cas les arêtes, en apparence parallèles, convergent dans le voisinage du pôle Sud. On a figuré, avec les simplifications exigées par l'échelle de la Carte, la ligne des rivages après un abaissement fictif de 2000m dans le niveau des mers. Cette ligne ne peut être tracée, faute de renseignements suffisants, au nord de l'Amérique et de l'Asie.