La vie de Rossini, tome I
CHAPITRE XIX
SUITE D'OTELLO
Le solo de clarinette, dans l'ouverture, inspire des idées touchantes, mais non pas touchantes par suite de malheurs vulgaires (effet ordinaire de nos romances qui ont de l'effet). Il y a une grâce noble.
Je trouve plus de grâce et de légèreté que de majesté et de grandiose dans le premier chœur:
Viva Otello, viva il prode!
ce chœur est écrit avec infiniment d'esprit.
Le récitatif d'Othello qui s'avance:
Vincemmo, o padri!
est entremêlé de teintes de tristesse dans l'accompagnement. Au moment où le chant d'Othello triomphe, l'accompagnement dit: Tu mourras.
Rossini s'étant une fois résigné à suivre les contre-sens du libretto, il a dû renoncer à peindre le bonheur d'Othello, et placer des teintes de mélancolie dès son premier air:
Ah! si per voi gia sento.
Nozzari, qui chanta le rôle d'Othello que Rossini avait écrit pour Garcia, exprimait avec un rare bonheur les nuances de tristesse placées sur ces paroles:
Deh! amor dirada il nembo
Cagion di tanti affanni!
Sa superbe figure, qui a quelque chose d'imposant et de mélancolique, l'aidait beaucoup à rendre sensibles au spectateur certains effets auxquels le faiseur du libretto n'avait probablement pas songé. Je me souviens que les Napolitains virent avec étonnement la beauté des gestes et la grâce toute nouvelle que Nozzari trouvait pour le rôle d'Othello; il n'était pas coutumier du fait. Peut-être tous les rôles qui présentent les extrêmes des passions sont-ils assez faciles à jouer. J'ai toujours vu essayer avec succès le rôle du père dans l'Agnese (opéra de M. Paër); nous avons à Paris sept ou huit bons acteurs, MM. Perlet, Lepeintre, Samson, Monrose, Bernard-Léon, etc., etc. Remarquez qu'ils brillent tous dans des rôles chargés, tandis que je ne vois pas au théâtre un seul amoureux passable. Peu de personnes ont vu les extrêmes des grandes passions ou des ridicules; nous rencontrons tous les jours des amoureux.
Il y a beaucoup de feu dans le duetto entre le sombre Jago et le jeune fat Roderigo:
No, non temer: serena il mesto ciglio,
Fidati all'amistà, scorda il periglio.
Je ne doute pas que l'un des grands secrets du maestro qui est destiné à faire oublier Rossini, ne soit de revenir entièrement, et de bonne foi, au genre simple. Si l'on met une si grande force et un tel tapage d'orchestre dans un simple duetto entre deux personnages secondaires, et qui de plus sont d'accord entre eux, que nous restera-t-il pour les fureurs d'Othello et pour ses duetti avec Jago?
La grande louange que mérite cette partition de Rossini, son chef-d'œuvre dans le style fort et allemand, c'est qu'elle est pleine de feu: c'est un volcan, disait-on à San-Carlo. Mais aussi cette force est toujours la même; il n'y a point de nuances; nous ne passons jamais du grave au doux, du plaisant au sévère; nous sommes sans cesse dans les trombones. Ce qui ajoute encore à cette monotonie de la force, qui est le sublime aux yeux des gens peu doués pour les arts, c'est l'absence des récitatifs ordinaires. Les récitatifs d'Otello sont toujours obligés comme ceux du grand opéra français. Il fallait réserver cette ressource pour le dernier acte. Vigano montra bien plus de génie dans son ballet d'Otello, qu'il eut la hardiesse de commencer par une fourlane[113].
Dans le second acte, Vigano eut encore le bon esprit de placer une grande scène dans le genre noble et doux: c'est une fête de nuit qu'Othello donne dans ses jardins; c'est au milieu de cette fête qu'il devient jaloux. Aussi, en arrivant au dernier acte du ballet de Vigano, nous n'éprouvions pas la satiété du terrible et du fort; et bientôt les larmes étaient dans tous les yeux. J'ai très rarement vu pleurer à l'Otello de Rossini.
Dans l'Otello tel qu'on l'a arrangé pour Paris, le superbe récitatif de madame Pasta
Mura infelici ogni di m'aggiro,
compense en partie les inepties du libretto et de la fausse route dans laquelle il a contribué à entraîner Rossini. Mais le mérite en est uniquement à madame Pasta; ce récitatif, dit par une grande cantatrice du Nord, par madame Mainvielle, par exemple, ne serait nullement remarqué, et ne donnerait plus cette belle teinte de douce mélancolie dont je sens si cruellement l'absence dans la partition de Rossini. Madame Pasta y place des agréments que l'on peut dire sublimes; aussi le public l'applaudit-il encore plus dans le récitatif que dans l'air
O quante lagrime
Finor versai,
qu'on a pris dans la Donna del Lago de Rossini, et qui fut écrit par ce grand maître pour la superbe voix de contre-alto de mademoiselle Pisaroni. Je ne puis trouver de louanges assez frappantes pour la manière dont madame Pasta dit ces mots:
Ogn'altro oggetto
È a me funesto,
Tutto è imperfetto,
Tutto detesto[114].
Heureuse et belle langue italienne, dans laquelle on peut écrire de telles choses sans paraître exagéré et sans encourir le ridicule! Et pourtant ces paroles peignent sans nulle exagération, et avec une naïveté parfaite, une manière de sentir, une époque de sentiment, si j'ose parler ainsi, qui se rencontre toujours dans l'amour-passion. Cet air est magnifique, mais je le trouve d'une tristesse trop profonde et surtout trop sérieuse. L'effet général de l'opéra aurait gagné à ce que le choix de madame Pasta tombât sur un air d'amour tendre, écrit dans un style doux et touchant. Mais peut-être a-t-on redouté le reproche d'uniformité, le caractère que je viens d'indiquer étant précisément celui que Rossini a donné à l'admirable duetto
Vorrei che il tuo pensiero,
qui commence avec tant de génie sans être précédé d'aucune ritournelle. Ce duetto, quand il a le rare bonheur d'être bien chanté, m'a toujours semblé le chef-d'œuvre de la pièce. Il rappelle la pureté et la simplicité de style de l'auteur de Tancrède, et il a plus de feu et de hardiesse dans la cantilène. Je n'ai jamais rencontré ce duetto au théâtre tel qu'il peut être dit. En revanche, il y a un salon à Paris où j'ai eu le bonheur de l'entendre chanter cet hiver d'une manière sublime, et par deux voix françaises: je trouvais la perfection de madame Barilli réunie à une chaleur de sentiment que cette grande cantatrice laissait quelquefois désirer.
Il y a encore de bien beaux souvenirs des idées fraîches et jeunes de Tancrède dans le chœur
Santo imen, te guidi amore!
C'est toute la suavité de la jeunesse du génie unie à une vigueur que le jeune maestro n'osait pas encore se permettre dans Tancrède et dans Demetrio e Polibio. Ce chœur, bien chanté, est l'un des plus beaux morceaux que l'on puisse placer dans un concert. C'est encore un exemple de la perfection de l'union de l'harmonie allemande avec la mélodie de la belle Parthénope[115].
Le finale qui suit,
Nel cuor d'un padre amante,
passe en général pour un des chefs-d'œuvre de Rossini. On peut dire avec vérité qu'aucun des rivaux de ce grand maître n'a pu s'élever à un morceau semblable. On ne l'a jamais entendu à Paris tel qu'il était à Naples. Nous avions à San-Carlo, Davide pour le rôle de Roderigo, et Benedetti, une excellente voix de basse, pour le rôle du père de Desdemona. Ce n'est pas qu'à Paris la voix de M. Levasseur ne soit magnifique, mais cet acteur est timide.
Davide était au-dessus de tout éloge dans
Confusa è l'alma mia,
et dans toute la suite du finale[116]. Quelle que soit la niaiserie des paroles, Davide était divin dans
Ti parli l'amore,
Non essermi infida.
Ce terzetto entre mademoiselle Colbrand, Davide et Benedetti, était ce que l'amateur le plus difficile peut désirer de plus parfait. Il se passe quelquefois des années, dans les théâtres les plus célèbres, sans que l'on rencontre un morceau chanté comme le fut celui-ci. A Paris, par exemple, où nous avons eu Galli et madame Pasta, ces grands artistes ne se sont fait entendre ensemble que dans la Camilla de M. Paër.
L'entrée d'Otello est superbe. Voici enfin une de ces situations que réclame la musique, et il faut convenir que Rossini l'a traitée avec tout le feu possible. C'est là que les richesses du style et de l'harmonie à la Mozart sont bien placées. Mais, suivant ma manière particulière de sentir, ici seulement elles devraient paraître pour la première fois. Garcia s'acquitte fort bien à Paris du rôle d'Othello; il le joue avec feu et fureur; c'est le véritable Maure.
La lutte des deux ténors Nozzari et Davide était au-dessus de toute louange dans ce dialogue:
Roderigo.—E qual diritto mai,
. . . . . . . . . .
Per renderlo infedel?
Otello.—Virtù, costanza, amore.
Dans la cantilène de ces trois mots, Rossini a été l'égal de Mozart, c'est-à-dire qu'il a su se placer au niveau de ce grand homme, dans le genre où Mozart a le plus approché de la perfection. Il est impossible de rien écrire de plus beau comme musique et en même temps de plus vrai, de plus fidèle au véritable accent de la passion, et de plus éminemment dramatique; mais il faut absolument Davide et Nozzari luttant ensemble de perfection, et animés par l'émulation la plus vive. Quant à la partie de Desdemona, madame Pasta la chante et surtout la joue vingt fois mieux que mademoiselle Colbrand. Elle dit d'une manière sublime
È ver: giurai.
Tout le monde connaît
Impia, ti maledico[117].
Voilà l'effet le plus fort que la musique puisse produire. Haydn n'a rien de mieux. Rossini vola ce passage dans l'Adelina de Generali.
Le chœur qui suit est superbe:
Ah! che giorno d'orror!
Si l'auteur du libretto n'était pas le dernier des hommes comme poëte, la musique de
Impia, ti maledico
aurait dû exprimer ces paroles d'Othello,
Va, je ne t'aime plus,
qu'Othello hors de lui aurait adressées à Desdemona en lui montrant le mouchoir fatal qu'elle vient de donner à son rival Roderigo.
Qu'avons-nous à faire, dans un tel sujet, du sénateur Elmiro, père de Desdemona, et de sa colère d'orgueil? Il s'agit d'un spectacle bien autrement touchant, bien autrement près de tous les cœurs, un amant passionné qui maudit la femme qu'il adore et qui va lui donner la mort.
Il n'est point d'amour véritable, quel que soit son bonheur actuel, qui ne puisse redouter cette catastrophe, l'apercevoir en quelque sorte dans le lointain; et toutes les grandes passions sont craintives et superstitieuses. Voilà l'aperçu sublime qu'on a sacrifié à la colère d'orgueil d'un vieux sénateur plus ou moins Cassandre, et qui ne veut pas de mésalliance dans sa famille. Mes regrets sont si profonds, que j'espère que quelque âme charitable refera des paroles qui aient le sens commun pour la musique de Rossini.
Incerta l'anima
exprime, avec un rare bonheur, le premier moment de repos par fatigue, par impossibilité de continuer à être ému à ce point, qui succède dans le cœur humain à une impression horrible. C'est ici que le feu du génie de Rossini le sert admirablement. Mozart est sujet à manquer un peu de vivacité et de rapidité dans des moments semblables.
Smanio, deliro e tremo,
de Desdemona, termine dignement ce magnifique finale. Je m'arrête et cesse de louer, de peur de paraître exagéré. Telle est la beauté de ce morceau, qu'on ne sait comment en faire l'éloge ou la description. Je rappelle seulement que, quel que soit le succès de ce finale à Louvois, nous n'en avons ici que la copie, et une copie décolorée. Il faut un Davide pour le rôle de Roderigo, et un père qui chante sa partie avec l'abandon que Galli portait dans le second acte de la Gazza ladra, lorsqu'il paraît devant le tribunal[118].
SECOND ACTE
Le manque d'un grand chanteur pour le rôle de Roderigo, fait que l'on passe, à Paris, l'air
Che ascolto! ohimè! che dici?
C'est une esquisse brillante de la situation que Corneille a rendue avec tant de force dans Polyeucte, la douleur d'un amant qui, au plus fort de sa passion, apprend que la femme qu'il aime est mariée à un autre. Ici Roderigo reçoit cette déclaration fatale de la bouche de Desdemona.
Dans le grand duetto entre Othello et Jago,
Non m'inganno, al mio rivale,
le cruel auteur du libretto a enfin consenti à nous laisser jouir d'une des situations de ce beau sujet. Voici enfin Jago entraînant dans le précipice le malheureux Othello. La musique est fort bien. Il y a une grande expression et beaucoup de vérité dramatique dans ce dialogue:
Jago. —Nel suo ciglio il cor li vedo.
Otello.—Ti son fida... Ahimè! che vedo?
Jago. —Quanta gioja io sento al cor.
A la représentation d'hier (26 juillet 1823), une des plus sublimes que madame Pasta ait jamais données, ce rôle de Jago a enfin été bien joué par un débutant digne des encouragements du public[119]; il a fort bien dit cette cantilène si vraie:
Già la fiera gelosia.
En revanche, où trouver des paroles pour exprimer l'accident fâcheux arrivé au terzetto
Ah vieni, nel tuo sangue,
si divinement chanté à Naples par Davide et Nozzari? Madame Pasta seule est au niveau de la musique dans la fin de ce beau terzetto
Tra tante smanie e tante.
La manière dont elle s'évanouit est sublime de simplicité et de naturel. Elle parvient à rendre intéressant un accident trivial à la scène, un accident qui peut-être est du nombre de ces effets de la nature qui, déshonorés par l'ironie moderne, ne sont touchants que dans la réalité, et doivent être abandonnés par l'imitation dramatique.
Il y a un fort beau passage d'orchestre, agitato, dans l'air de Desdemona au moment de l'arrivée de ses femmes:
Qual nuova a me recate?
On remarque dans cet air un moment de joie qui produit un bel effet, surtout à cause du contraste avec l'expression sombre et terrible de tout le second acte:
Salvo del suo periglio?
Altro non chiede il cor.
Rossini s'élève de nouveau à toute la hauteur de la situation, dans le passage si célèbre à Paris, grâce à madame Pasta,
Se il padre m'abbandona.
C'est un des moments où j'ai senti avec le plus d'évidence la supériorité de cette grande actrice sur mademoiselle Colbrand.
Si nous n'étions pas accoutumés à l'esprit de l'auteur du libretto, nous lui dirions encore ici: Qu'avons-nous à faire de la douleur d'un père? Apprenez que le cœur humain n'est susceptible que d'une grande passion à la fois, et que c'est à son amant, furieux de jalousie, et non à son père, que Desdemona, abandonnée par sa famille et perdue de réputation, doit dire:
Se Otello m'abbandona
Da chi sperar pietà?
Le troisième acte est beaucoup mieux en situation que les deux autres. L'enchaînement des douleurs de la pauvre Desdemona est ménagé avec assez d'art. Elle paraît dans sa chambre à une heure avancée de la nuit; elle avoue à son amie les sombres pensées où la plonge la nouvelle de l'exil d'Othello son époux, que le conseil des Dix vient de bannir des pays vénitiens: on entend un gondolier qui, en passant sur la lagune, chante ces beaux vers du Dante:
Nessun maggior dolore
Che ricordarsi del tempo felice
Nella miseria[120].
La pauvre Desdemona, hors d'elle-même, s'approche de la fenêtre en s'écriant: Qui es-tu, toi qui chantes ainsi? C'est alors que son amie lui fait cette réponse touchante:
È il gondoliere che cantando inganna
Il cammin sulla placida laguna
Pensando ai figli, mentre il ciel s'inbruna.
Il y a du bonheur dans la manière dont est écrit ce petit morceau de récitatif obligé. Le chant du gondolier rappelle à la jeune Vénitienne le sort de l'esclave fidèle qui, achetée en Afrique, éleva son enfance et mourut loin de sa patrie. Desdemona, en parcourant sa chambre à pas précipités, se trouve auprès de sa harpe, qui, dans les grands théâtres d'Italie, reste immobile au côté gauche de la scène. Le lit fatal est au milieu. Desdemona cède à la tentation de s'arrêter près de sa harpe; elle chante la romance de l'esclave africaine sa nourrice:
Assisa al piè d'un salice.
Il était difficile de mieux amener ce chant, il faut le dire à la gloire de l'auteur du libretto (M. le marquis Berio, aussi aimable comme homme de société qu'il était privé de talents comme poëte). Il y a peu à dire à la gloire de Rossini. Cette romance est bien écrite, elle est d'un style sage, et voilà tout. Elle doit son grand effet à la situation, et, à Paris, à la manière admirable dont madame Pasta la joue.
Au milieu de la romance, la pauvre Desdemona, égarée par sa douleur, oublie le chant de sa nourrice. A ce moment, un coup de vent violent vient briser un panneau de vitrage de la croisée gothique de sa chambre; ce simple accident paraît un présage du plus sinistre augure à la pauvre affligée[121]. Elle reprend un instant sa romance, mais les larmes l'empêchent de continuer. Elle se hâte de quitter la harpe et de congédier son amie. Il est impossible, dans une telle situation, de ne pas se rappeler Mozart, et ici un souvenir est un regret profond[122].
Desdemona, restée seule au milieu de cette nuit terrible, et pendant que les éclats du tonnerre continuent à faire trembler le palais qu'elle habite, adresse au ciel une courte prière, dont le chant n'est pas encore tout ce qu'il pourrait être, mais qui parut cependant bien supérieur à la romance.
Elle s'approche de son lit dont les rideaux qui tombent la dérobent aux spectateurs.
Ici s'exécute, dans les grands théâtres d'Italie, une ritournelle superbe, que la mesquinerie pitoyable de la décoration de Louvois a obligé de supprimer à Paris. Pendant cette ritournelle, on aperçoit à une grande distance, tout à fait au fond de la scène, Othello qui, une lampe à la main et son cangiar nu sous le bras, pénètre dans l'appartement de son amie en descendant l'escalier étroit d'une tourelle. Cet escalier, qui se déploie en tournant, fait que la figure frappante d'Othello, éclairée par sa lampe, au milieu de cette vaste obscurité, disparaît plusieurs fois pour reparaître ensuite, suivant les détours du petit escalier qu'il est obligé de suivre; la lame du cangiar nu, que l'on voit briller de temps à autre éclairée par la lampe, apprend tout au spectateur et le glace d'effroi. Othello arrive enfin sur le devant de la scène, il s'approche du lit, il écarte le rideau. Toute description est ici superflue. Il faut se rappeler la figure superbe et la profonde émotion de Nozzari. Othello pose sa lampe; un coup de vent l'éteint. Il entend Desdemona qui s'écrie dans son sommeil: Amato ben! Les éclairs se succèdent rapidement désormais, comme dans un orage des pays du Midi, et portent la lumière dans cette chambre funeste. Heureusement pour le spectateur qu'il n'entend pas la cruelle sottise de l'auteur du libretto, qui, dans un tel moment, songe encore à faire de l'esprit. Othello s'écrie:
Ah! che tra i lampi, il cielo
A me più chiaro il suo delitto addita[123]!
Desdemona se réveille: il y a un duetto assez peu digne de la situation. Othello saisit son cangiar, Desdemona se réfugie vers son lit; comme elle y arrive, elle reçoit le coup mortel. Les rideaux cachent l'affreux spectacle qui a lieu tout au fond de la scène. Au même moment on entend de grands coups à la porte, et le doge paraît... La suite est connue.
Ce fut à une représentation d'Otello, à Venise, dans une de ces soirées de tristesse, ou plutôt de pensive mélancolie, qui, dans les pays du Midi, se rencontrent au milieu de la vie la plus heureuse, qu'à propos des malheurs qui poursuivent les amants véritables, madame Gherardi, de Brescia, nous conta l'histoire d'Hortensia et de Stradella. Elle produisit sur nous un effet que peut-être elle ne fera pas sur le lecteur; cette histoire est d'ailleurs fort connue: malgré tant de désavantages, la voici. Rien n'est ajouté à la vérité; le trait est historique, et peint les mœurs et même le gouvernement de Venise.
Alessandro Stradella était en 1650 le chanteur le plus célèbre de Venise et de toute l'Italie. La composition de la musique était fort simple à cette époque; le maestro n'écrivait presque qu'un canavas; le chanteur était beaucoup plus créateur qu'il ne l'est aujourd'hui, et c'était son génie qui devait trouver presque tous les traits qu'il exécutait. C'est Rossini qui s'est avisé le premier d'écrire exactement tous les ornements, toutes les fioriture que le chanteur doit exécuter. On était bien éloigné de ce système en Italie, vers 1650. Il suivait de là que le charme de la musique était bien plus inhérent à la personne du chanteur, et l'on trouvait qu'aucun de ceux qui étaient alors à la mode n'approchait de Stradella: c'était un proverbe qu'il était le maître du cœur de ses auditeurs. Il vint jouir de sa gloire à Venise, alors la capitale la plus brillante de l'Italie et la ville la plus renommée pour les plaisirs dont on y jouissait et la galanterie de ses mœurs. Stradella fut reçu avec empressement dans les maisons les plus distinguées, et les dames de la première noblesse se disputèrent l'avantage de prendre de ses leçons. Il rencontra dans le monde Hortensia, dame romaine d'une haute naissance, alors veuve, et qui était publiquement courtisée par un noble vénitien d'une des familles les plus puissantes de la république. Il s'en fit aimer. Stradella, dont madame Gherardi nous fit voir le portrait dans le palais d'une de ses amies, le lendemain du jour où elle nous conta son histoire, portait sur une superbe figure une empreinte profonde de mélancolie, et de grands yeux noirs remplis de ce feu contenu qui fait tant d'impression. La perfection où l'école du Titien et du Giorgione avait porté à Venise l'art du portrait, permet encore aujourd'hui de juger parfaitement de la physionomie de Stradella. On n'a pas de peine à croire qu'un tel homme, distingué d'ailleurs par un grand talent, ait pu être aimé avec passion et l'emporter sur un grand seigneur, quoique lui-même sans fortune; il enleva Hortensia au noble vénitien. Les deux amants ne devaient plus songer qu'à sortir rapidement du territoire de la république. Ils se retirèrent à Rome, où ils se firent passer pour mariés. Mais, redoutant la vengeance du Vénitien, ils ne se rendirent point directement dans la patrie d'Hortensia; ils firent de grands détours, et, une fois arrivés, prirent un logement dans une partie de Rome fort déserte, et évitèrent de paraître dans les lieux fréquentés. Les assassins que le noble vénitien avait lancés à leur poursuite furent longtemps à les découvrir. Après les avoir inutilement cherchés dans les principales villes d'Italie, ils arrivèrent à Rome un soir qu'il y avait une grande funzione accompagnée de musique dans l'église de Saint-Jean-de-Latran; ils y entrèrent avec la foule, ils virent Stradella. Ravis d'avoir enfin trouvé leur victime au moment où ils désespéraient presque de la rencontrer, ils résolurent de ne pas perdre de temps et d'exécuter la commission pour laquelle ils étaient payés, au sortir même de Saint-Jean-de-Latran; ils se mirent à parcourir l'église dans tous les sens, pour voir si Hortensia ne serait pas parmi les spectateurs. Ils étaient tout occupés de leurs recherches, lorsque, après d'autres morceaux exécutés par des artistes vulgaires, Stradella commença enfin à chanter. Ils s'arrêtèrent, ils écoutèrent malgré eux cette voix sublime. Ces assassins l'avaient à peine entendue quelques instants, qu'ils se sentirent touchés: il n'y avait au monde qu'un seul artiste de cette perfection, et ils allaient éteindre pour jamais une voix si touchante! Ils eurent des remords, ils répandirent des larmes, et enfin le grand morceau de Stradella n'était pas fini qu'ils ne songeaient plus qu'à sauver les amants, dont, en recevant leur salaire, ils avaient juré la mort sur le livre des saints Évangiles. La cérémonie terminée, ils attendent longtemps Stradella en dehors de l'église; ils le voient enfin sortir par une petite porte dérobée, avec Hortensia. Ils s'approchent, le remercient du plaisir qu'il vient de leur donner, et lui avouent que c'est à l'impression que sa voix a faite sur eux et à l'attendrissement qu'elle leur a donné qu'il est redevable de la vie; ils lui expliquent l'affreux motif de leur voyage, et lui conseillent de quitter Rome sans délai, afin qu'ils puissent faire croire au Vénitien jaloux qu'ils sont arrivés trop tard.
Stradella et son amie comprennent toute l'importance du conseil qu'on leur donne, frètent un navire, s'embarquent le même soir sur le Tibre, vont par mer jusqu'à la Spezzia, et de là gagnent Turin par des chemins détournés. Le noble vénitien, de son côté, reçoit le rapport de ses buli, n'en devient que plus furieux, prend la résolution de se charger lui-même du soin de sa vengeance, et commence par se rendre à Rome auprès du père d'Hortensia. Il fait entendre à ce vieillard qu'il ne peut laver sa honte que dans le sang de sa fille et de son ravisseur. Les républiques du moyen âge avaient laissé dans les cœurs italiens cet esprit de vengeance si oublié aujourd'hui: c'était l'honneur de ces temps féroces, le seul supplément aux lois, la seule défense de la sûreté personelle[124], dans un pays où le duel eût semblé ridicule. Le noble vénitien et le vieillard firent exécuter des recherches dans toutes les villes d'Italie. Quand enfin on eut appris de Turin que Stradella s'y trouvait, le vieux Romain, père d'Hortensia, prit avec lui deux assassins connus pour leur adresse, se pourvut de lettres de recommandation pour M. le marquis de Villars, qui était alors ambassadeur de France à la cour de Turin, et partit pour le Piémont.
De son côté, Stradella averti par son aventure de Rome, avait fait des démarches à Turin pour se procurer des appuis. Son talent lui avait valu la protection de la duchesse de Savoie, alors régente de l'État. Cette princesse entreprit de soustraire les deux amants à la fureur de leur ennemi; elle fit entrer Hortensia dans un couvent, et donna à Stradella le titre de son premier chanteur ainsi qu'un logement dans son palais. Ces précautions parurent suffisantes, et les amants jouissaient depuis quelques mois d'une parfaite tranquillité; ils commençaient à croire qu'après l'aventure de Rome, le noble vénitien s'était lassé de les poursuivre, quand un soir Stradella, qui prenait l'air sur les remparts de Turin, fut assailli par trois hommes qui le laissèrent pour mort avec un coup de poignard dans la poitrine. C'était le vieux Romain, père d'Hortensia, et ses deux assassins, qui, aussitôt le crime commis, cherchèrent un asile dans le palais de l'ambassadeur de France. M. de Villars, ne voulant ni les protéger après un assassinat qui fit la nouvelle du jour à Turin, ni les livrer à la justice après que son palais leur avait servi d'asile, prit le parti de les faire évader[125].
Cependant, contre toute apparence, Stradella guérit de sa blessure, qui le mit hors d'état de chanter, et le Vénitien vit échouer ses projets pour la seconde fois, mais sans abandonner le soin de sa vengeance. Seulement, rendu prudent par le manque de succès, il prit un nom obscur, et vint s'établir à Turin, se contentant, pour le moment, de faire épier Hortensia et son amant.
On sera peut-être étonné de cet acharnement, mais tel était l'honneur de ces temps; si le noble vénitien eût abandonné sa vengeance, il eût été méprisé[126].
Un an se passa ainsi; la duchesse de Savoie, de plus en plus touchée du sort des deux amants, voulut rendre leur union légitime et la consacrer par le mariage. Après la cérémonie, Hortensia, ennuyée du séjour du couvent, eut envie de voir la rivière de Gênes; Stradella l'y conduisit, et le lendemain de leur arrivée à Gênes, ils furent trouvés poignardés dans leur lit.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
TABLE
DU PREMIER VOLUME
| Préface de l'editeur | i |
| Préface | 1 |
| INTRODUCTION. § I. Cimarosa | 5 |
| § II. Différence de la musique allemande et de la musique d'Italie | 8 |
| Anecdote sur Torquato Tasso, en 1816 | 13 |
| La mémoire paralyse l'imagination | 15 |
| Conditions physiques du plaisir musical; grandeur des salles; position commode du corps: air pur et souvent renouvelé | 20 |
| Le demi-jour nécessaire à l'effet de la musique | 21 |
| § III. Histoire de l'interrègne après Cimarosa et avant Rossini, de 1800 à 1812 | 23 |
| Coup d'œil sur les Œuvres et le talent de Mayer | 24 |
| Duetti d'Ariodant et de la Rosa Bianca, les chefs-d'œuvre de Mayer | 28 |
| M. Paër et ses principaux ouvrages | 34 |
| § IV. Mozart en Italie | 37 |
| Un prince fait un pari sur Mozart, et le fait connaître en Italie | 43 |
| Un mot sur le style de Mozart | 47 |
| Différence de styles de Mozart, Cimarosa et Rossini | 54 |
| CHAP. Ier. Ses premières années | 57 |
| La civilisation prend naissance sur les rives de la Méditerranée; encore aujourd'hui on y aime mieux aimer et jouir que combattre; de là les malheurs de l'Italie | 58 |
| La France et l'Angleterre par rapport aux Beaux-Arts | 61 |
| Les parents de Rossini sont musiciens | 62 |
| CHAP. II. Tancrède, premier opéra séria de Rossini | 71 |
| Le premier chœur de Tancrède plus pastoral que guerrier | 74 |
| La Malanote refuse un air que Rossini avait composé pour l'entrée de Tancrède; il trouve l'air di tanti palpiti | 77 |
| L'harmonie joue en musique le rôle de la description dans les romans de Walter Scott | 83 |
| Duetto guerrier: Ah! se de'mali miei | 88 |
| CHAP. III. L'Italiana in Algeri | 98 |
| Manière de se servir du libretto d'un opéra, à la première représentation | 103 |
| Caractères de la musique de l'Italiana | 110 |
| Singulière bonté du public de Louvois | 117 |
| CHAP. IV. La Pietra del Paragone | 121 |
| Air célèbre Ecco pietosa, supprimé à Paris par des gens qui espéraient dérober Rossini à la France | 127 |
| La Pietra del Paragone finit par un grand air comme l'Italiana in Algeri et la Cenerentola | 134 |
| CHAP. V. La conscription et les envieux | 136 |
| M. Berton et le Miroir | 138 |
| Rossini fait des fautes de syntaxe et manque de pureté dans le style; ce qui est inexcusable, dit M. Berton | 139 |
| CHAP. VI. L'imprésario et son théâtre | 148 |
| Réponse de Rossini au Monsignore pédant | 153 |
| Comédie de Sografi sur les prétentions des chanteurs | 157 |
| La prima sera (première représentation) | 158 |
| CHAP. VII. Guerre de l'harmonie contre la mélodie | 162 |
| Les aliments d'un goût piquant font oublier le parfum de la pêche | 164 |
| Epoques où ont brillé les principaux maîtres de l'école italienne | 168 |
| CHAP. VIII. Irruption des cœurs secs.--Idéologie de la musique | 174 |
| Négligences de Rossini marquées d'une + | 176 |
| En compliquant les accompagnements, on diminue la liberté du chant | 182 |
| Les accompagnements de Rossini pèchent plutôt par la quantité que par la qualité | 183 |
| L'orchestre de Louvois | 184 |
| Le piano est regardé comme un signe de faiblesse | 185 |
| CHAP. IX. L'Aureliano in Palmira | 186 |
| Duetto superbe, Se tu m'ami, o mia regina | 187 |
| Demetrio e Polibio, premier opéra composé par Rossini, au printemps de 1809 | 188 |
| Ouverture du théâtre de Como | 190 |
| CHAP. X. Il Turco in Italia | 198 |
| CHAP. XI. Rossini va à Naples | 209 |
| Scrittura contracté par Rossini avec M. Barbaja | 210 |
| Influence de la voix de la prima donna de Naples sur le talent de Rossini | 213 |
| CHAP. XII. L'Elisabetta | 216 |
| CHAP. XIII. Suite de l'Elisabetta | 224 |
| Ode italienne sur la mort de Napoléon, à comparer à l'ode anglaise de lord Byron, et à la méditation de M. de Lamartine sur le même sujet | 226 |
| Critique du style de Rossini par les vieux amateurs de Naples, contemporains de Cimarosa et de Paisiello | 232 |
| CHAP. XIV. Rossini compose dix opéras à Naples | 235 |
| CHAP. XV. Torvaldo e Dorliska | 241 |
| CHAP. XVI. Analyse musicale du Barbier de Séville | 244 |
| Cimarosa n'a pas fait usage de dissonances dans le Matrimonio segreto; il venait cependant de voir applaudir tous les chefs-d'œuvre de Mozart | 251 |
| Aventures de Rossini à Rome | 262 |
| CHAP. XVII. Du public relativement aux beaux-arts, solitude et chant à l'église, sources du goût pour l'opéra | 279 |
| De la province relativement aux Beaux-Arts | 287 |
| CHAP. XVIII. Analyse musicale d'Otello | 292 |
| Quelle est la jalousie qui peut être touchante au théâtre | 293 |
| Singulière observation de M. l'abbé Girard sur l'usage qui, en 1746, permet la galanterie aux femmes mariées et leur défend l'amour-passion | 298 |
| L'auteur du libretto d'Otello n'a pas donné les situations qui appartiennent a ce beau sujet | 299 |
| M. Kean, le premier acteur tragique de l'époque, n'a jamais été vanté à l'Europe par un écrivain à la mode comme madame de Staël | 304 |
| CHAP. XIX. Suite d'Otello | 305 |
| Quel est le plus beau morceau de cet opéra | 310 |
| La musique du vers Impia, ti maledico devait être sur ces paroles d'Otello: Va, je ne t'aime plus | 314 |
| Romance du saule | 321 |
| Pantomime de la mort de Desdemona dans les théâtres d'Italie | 323 |
| Histoire de la mort de Stradella | 324 |
FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME
ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 28 DÉCEMBRE 1928
SUR LES PRESSES
DE L'IMPRIMERIE ALENÇONNAISE
F. GRISARD, Administrateur
11, RUE DES MARCHERIES, 11
ALENÇON (ORNE)
NOTES:
[1] Paul Arbelet: Stendhal et le petit Ange. Les Amis d'Édouard, nº 99.
[2] Préface de l'éditeur aux Vies de Haydn, Mozart et Métastase. Le Divan, 1928.
[3] M. Henry Prunières a donné la traduction intégrale de ce libelle en appendice à son édition de la Vie de Rossini, chez Champion, en 1923.
[4] Henri Delacroix: La Psychologie de Stendhal, 1 vol. Alcan, 1918.
[5] Candidature au Stendhal Club: Stendhal inédit, p. 126 Edition du Divan.
[6] Cf. Vie de Henri Brulard, tome II, pp. 203-205, édition du Divan.
[7] C'est ainsi que sont nés ces chants sublimes, plaintifs pour la plupart, qui depuis plusieurs siècles se répètent dans le royaume de Naples. Je citerai pour exemple à ceux qui connaissent ce beau pays, le chant national nommé la Cavœjola, et le Pestagallo, particulier aux Abruzzes. Un habitant d'Aquila, qui me les chantait, me dit: La musica è il lamento dell'amore, o la preghiera a gli Dei. 12 mai 1819
[8] En 1795, un homme de beaucoup d'esprit, très-jeune alors, M. Toni, qui depuis est devenu un imprimeur célèbre, était employé du gouvernement vénitien à Vérone; il y vivait heureux et content d'un petit emploi de dix-huit cents fr., et faisait la cour à la princesse P****. Tout à coup il fut destitué, avec menace de prison. Il courut à Venise: après trois mois de finesses et de sollicitations, il put adresser un mot, entre deux portes, à un membre du conseil des Dix, qui lui dit: «Pourquoi diable aussi avez-vous fait faire un habit bleu? nous vous avons cru jacobin.» L'année 1822 a été témoin, à Milan, de traits de cette espèce. Aimer le Dante, qui écrivait en 1300, passe, en Lombardie, pour un trait de carbonarisme, et les amis libéraux d'un homme qui aime trop le Dante cessent peu à peu de le voir aussi fréquemment.
[9] Voir les injures atroces dont un nommé Philpott vient d'affubler le célèbre M. Jeffrey, le directeur du meilleur journal qui existe, la Revue d'Edimbourg.
[10] Voir dans la correspondance de Napoléon, année 1796 l'esprit public de Milan et de Brescia. Vingt-quatre coquins habillés de rouge, chargés de la police de la ville, formaient toute l'armée milanaise. Voir, dans les bulletins de l'armée d'Espagne, ce que Napoléon avait fait de ce peuple.
[11] Je n'ai pas besoin de rappeler que le docteur Burney a donné une excellente histoire de la musique. Je trouve que ce bel ouvrage est gâté par un peu d'obscurité. Peut-être que le voile désagréable qui s'interpose entre notre œil et les idées de l'auteur vient de ce qu'il ne nous a pas dit bien clairement quel était son credo en musique. Peut-être aurait-il dû donner des exemples de ce qu'il trouve beau, sublime, médiocre, etc.
[12] Historique, Bâle, 1823.
[13] Voir leur célèbre tragédie de l'Expiation, par Mülner. Je ne voudrais pas du héros Hugo, comte d'Eridur, pour en faire un caporal.
[14] Anfossi, Coccia, Farinelli, Federici, Fioravanti, Generali, les deux Guglielmo père et fils, Manfroce, Martini, Mosca, Nazolini, Nicolini, Orgitano, Orlandi, Pavesi, Portogallo, Salieri, Sarti, Tarchi, Trento, Weigl, Winter, Zingarelli, etc., etc.
[15] Mozart, né à Salzbourg en 1756, mort à Vienne en 1796{*}, avait quatorze ans lorsqu'il écrivit le Mitridate.
{*} Mozart mourut en 1791. N. D. L. E.
[16] Ce chant ignoble me semble moins plat, je l'avoue à ma honte, que les romances célèbres de M. R. et de tant d'autres. Il a au moins un rythme en rapport avec la vivacité du caractère national.
[17] Son père, Joseph Rossini, sa mère, Anna Guidarini l'une des plus jolies femmes de la Romagne.
[18] Potter, Histoire de l'Église, état de l'Eglise en 1781. Giannone, Histoire de Naples. Il faut excepter l'excellent gouvernement dont on jouit à Florence en 1823. Mais combien durera-t-il? D'ailleurs, il ne produira rien pour les beaux-arts; l'enthousiasme est mort en Toscane depuis bien des années.
[19] Cimarosa, adoré à Venise, et ami particulier de la plupart des amateurs de musique, y était mort peu d'années auparavant, en 1801.
[20] Voir les six tempéraments dans l'immortel ouvrage de Cabanis: Des Rapports du physique et du moral de l'homme.
[21] Il y a ici un point de contact frappant entre la sculpture et la musique. Voir, pour le développement de cette idée un peu difficile, l'Histoire de la Peinture en Italie, tome II, page 133.
[22] On appelle introduction tout ce qu'on chante depuis la fin de l'ouverture jusqu'au premier récitatif.
[23] Madame Pasta l'a placé dernièrement dans le premier acte de la Rosa bianca; les situations sont pareilles.
[24] M. Prunières fait remarquer que c'est en réalité la clarinette qui a dans ce récitatif le rôle important. N.D.L.E.
[25] On pourrait dire que la flûte a une certaine analogie avec les grandes draperies bleu d'outremer prodiguées par plusieurs peintres célèbres, et entre autres par Carlo Dolce, dans les sujets tendres et sérieux; mais une telle remarque qui passerait peut-être pour du génie à Bayreuth ou à Kœnigsberg, ne semblera pas chimérique à Paris. Heureux le pays où, dès qu'on est vague et obscur, l'on peut espérer de paraître sublime!
[26] Les accompagnements ne sortent jamais des bornes d'une conversation respectueuse à l'égard du chant, ils ont soin de se taire dès que le chant paraît avoir quelque chose à dire; dans la musique allemande, au contraire, les accompagnements sont insolents.
[27] Voir la Tactique de M. de Guibert. Bayard ne voulut jamais être général en chef.
[28] Paroles adressées par Virgile au Dante, en traversant l'enfer des tièdes: A quoi bon discourir de ces gens? donne leur un regard et passons.
[29] Le caractère vénitien est esquisse avec toute la grâce et l'effet possible dans un roman de Schiller, intitulé Mémoires du comte d'O. Voici un problème moral digne de toute l'attention des philosophes. Le pays le plus gai, le plus naturel, le plus heureux de l'Europe était celui qui avait les lois écrites les plus atroces. Voir les constitutions de l'inquisition d'État dans l'Histoire de Venise de M. Daru. Le pays le moins gai du monde, c'est assurément Boston, justement celui où le gouvernement est à peu près parfait. Le mot de l'énigme ne serait-il pas Religion?
[30] Voir l'effet analogue cherché par Métastase dans le drame sérieux. Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, p. 374.
[31] Telle que le retentissement du canon, ma tête fait bon... bon.
Taddeo.—Je suis comme une corneille qui, après avoir perdu ses plumes fait crà, crà.—Il faut juste autant d'esprit pour critiquer ces paroles que pour les faire.
[32] Pauvre Jacques, ne pense plus aux femmes, et étudie les
mathématiques.
(Confessions.)
[33] Songe à la patrie, sois intrépide, accomplis ton devoir; pense que l'Italie a vu plus d'une fois parmi ses enfants des exemples sublimes de valeur et de dévouement.
[34] La scrittura est une petite convention de deux pages, ordinairement imprimée, qui contient les obligations réciproques du maestro ou du chanteur, et celles de l'impresario qui les engage (scrittura). Il y a beaucoup d'intrigues pour les scritture des premiers talents, cela est amusant; je conseille au voyageur de voir de près cette diplomatie-là, il y a souvent plus d'esprit que dans l'autre. Là, comme pour la peinture, les coutumes du pays où l'art a pris naissance se confondent avec la théorie de cet art, et souvent expliquent plusieurs de ses procédés. Le génie de Rossini a presque toujours été influencé par la scrittura qu'il avait signée. Un prince qui lui eût fait une pension de trois mille francs l'aurait mis à même d'attendre le moment de l'inspiration pour écrire, et eût donné, par ce simple moyen, une physionomie nouvelle aux productions de son génie. Nos compositeurs français, MM. Auber, Boïeldieu, Berton, etc., écrivent un opéra tous les ans fort à leur aise; Rossini, rappelant les beaux temps de la peinture, a écrit, pendant toute sa jeunesse, comme le Guide peignait, quatre ou cinq opéras par an, pour payer son hôte et sa blanchisseuse. J'ai honte de descendre à des détails aussi vulgaires; j'en demande pardon au lecteur; mais enfin c'est une biographie que j'écris, et telle est la vérité. Le difficile dans tous les genres, c'est de lutter avec les malheurs qui ont quelque chose de bas et de commun, et qui repoussent ainsi le secours de l'imagination. C'est au milieu de telles circonstances que Rossini a conservé la fraîcheur de son génie; il est vrai que les mœurs de l'Italie actuelle n'étant qu'une suite et une conséquence des républiques du moyen âge, la pauvreté n'y est pas avilissante, et avilissante comme en France, pays monarchique, où avant tout il faut parestre, comme dit si bien le baron de Fœneste{*}.
Une chose qui passe pour miraculeuse en Italie, c'est un imprésario qui ne fait pas banqueroute, et qui paie régulièrement ses chanteurs et son maestro. Quand on voit de près quels pauvres diables sont ces impresari, on a réellement pitié du pauvre maestro qui, pour vivre, est obligé d'attendre l'argent que ces gens mal vêtus doivent lui payer. La première idée qui se présente en voyant un imprésario italien, c'est que, dès qu'il verra vingt sequins ensemble, il achètera un habit et prendra la fuite avec les sequins.
{*} Roman très-curieux d'Agrippa d'Aubigné, presque aussi intéressant que l'Histoire de sa vie écrite par lui-même. Cette histoire peint Henri IV presque aussi bien que Quentin Durward nous représente Louis XI. J'y vois sur Henri IV des anecdotes que je n'ose citer. Ce roi fut un grand homme sans doute, mais non pas un grand homme à l'eau rose. Il y a des traits de ressemblance frappants entre Henri IV et Napoléon, entre certains passages de la vie de d'Aubigné et les mémoires de Las Cases. Un seul mobile est différent: Henri IV aimait les femmes comme Napoléon les batailles.
[35] Je cite les seules véritables comédies de l'époque La comédie, au Théâtre-Français, n'est plus qu'une épître sérieuse coupée en dialogues et abondante en morale. Voir la Fille d'honneur, les Deux Cousines, les Comédiens, etc.
[36] MM. Jouy, de la Mennais, Etienne, le vicomte de Chateaubriand, Benjamin Constant, de Bonald, de Pradt, le comte de Marcellus, Mignet, Buchou Fiévée, etc., etc.
[37] Echo, nymphe aimable, comme moi malheureuse, tu es la seule qui daigne me consoler dans ma douleur.
[38] Je fais un journal parfait, qu'on recherche en tous lieux; vous voulez l'interrompre?—Ainsi du moins, pour quelques instants, le bon sens pourra respirer.
[39] Bulletins de l'armée d'Espagne, les généraux Bertholetti, Suchi, Schiassetti, etc.; le comte Prina, ministre; le peintre Appiani, le poëte Monti, etc., etc.
[40] Don Marforio.—Eh bien! laissez-moi faire, je vous arrangerai de la gloire dans mon journal.
Joconde.—Dieux Immortels! voilà une nouvelle raison pour t'expédier sans délai.
[41] J'ai des craintes sérieuses que quelques méchants ne mettent en doute mon respect profond pour tous les compositeurs français en général, tant anciens que modernes, et pour M. Berton en particulier. Je crois faire un acte de justice envers M. Berton et envers moi, en reproduisant ici les lettres curieuses auxquelles je fais allusion dans le texte. Ce que je crains avant tout, c'est de passer pour mauvais Français; on conviendra qu'il serait affreux pour moi qu'une simple brochure sur la musique me fît perdre à jamais ma réputation de patriotisme.
Lettre de M. Berton.
Abeille du 4 août 1821.
«M. Rossini a une imagination brillante, de la verve, de l'originalité, une grande fécondité; mais il sait qu'il n'est pas toujours pur et correct; et, quoi qu'en disent certaines personnes la pureté du style n'est pas à dédaigner, et les fautes de la syntaxe de la langue dans laquelle on écrit ne sont jamais excusables. M. Rossini sait tout cela, et c'est pourquoi je me permets de le dire ici. D'ailleurs, puisque les écrivains de nos journaux quotidiens se constituent juges en musique, ayant pris mes licences dans Montano, le Délire, Aline, etc., je crois avoir le droit de donner mon opinion ex professo. Je la donne avec franchise et la signe, ce que ne font pas toujours certaines personnes qui s'efforcent incognito de faire et défaire des réputations. Tout ceci n'a été suggéré que par l'amour de l'art, et dans l'intérêt même de M. Rossini. Ce compositeur est, sans contredit, le talent le plus brillant que l'Italie ait produit depuis Cimarosa; mais on peut mériter le titre de célèbre sans pourtant être à la hauteur de Mozart.»
Je me refuse le plaisir de transcrire de longs passages d'une brochure de M. Berton, intitulée: De la musique mécanique et de la musique philosophique, par M. Berton, membre de l'Institut royal de France, 1821, 24 pages. M. Rossini y est remis à sa place. Il paraît que cet Italien ne s'élève pas au-dessus de la musique mécanique. Dans une autre dissertation de sept pages, insérée dans l'Abeille (tome IV, page 267), M. Berton prouve que l'auteur d'Otello n'a fait que des arabesques en musique. En Italie, un M. Majer, de Venise, vient d'établir la même vérité.
Réponse du Miroir (11 août 1831).
Ce n'est plus au rédacteur novice d'une feuille obscure que j'ai affaire; ce n'est plus des traits d'un compositeur de salon que j'ai à me défendre, un athlète vigoureux et renommé par plus d'une victoire descend dans la lice, et m'y porte le défi le plus formel. L'auteur de Montano, d'Aline et du Délire provoque en moi l'admirateur d'Otello, de Tancrède et du Barbier. Les antirossinistes comptent enfin dans leurs rangs un homme dont ils peuvent se prévaloir. Les préjugés du professorat sont avoués par un des maîtres de la scène, et la contre-révolution musicale a pour champion un membre de l'Institut.
M. Berton prélude au combat par des paroles dont la hauteur inusitée dans la polémique littéraire trahit le sentiment intime et profond de son incontestable supériorité. J'en fais la remarque, mais je suis loin de lui en faire un reproche. J'aime, au contraire, cette expression franche et naïve d'une noble confiance: une attitude fière convient à un brave, et la forfanterie du langage n'est pas déplacée dans le duel. M. Berton ne se contente pas d'admirer les anciens, il s'efforce encore de les imiter; il sait que dans ces luttes héroïques, dont Homère et Virgile nous ont laissé de si brillantes descriptions, les combattants ne manquaient jamais, avant d'en venir aux mains, d'échanger une foule d'expressions de menace et de dédain. Il est vrai que le plus présomptueux n'était pas toujours le plus vaillant: témoin Pâris, qui provoquait tous les jours les plus illustres guerriers du camp des Grecs, et s'enfuyait, comme un cerf timide, au moment du combat; mais cela n'ôte rien à ce que l'usage dont je parle avait de respectable, et l'exemple n'en est pas moins bon à suivre pour un adorateur de la savante antiquité. Quant à moi, qui ne professe pas, comme M. Berton, pour les hommes et pour les choses d'autrefois un culte absolument exclusif, il est tout simple que je n'emprunte pas pour me défendre le ton sur lequel il a cru devoir m'attaquer. J'opposerai à sa jactance renouvelée des Grecs ma modestie et ma politesse toutes modernes. Il ne me sera pas difficile d'être moins impérieux et moins tranchant, soit que j'exprime mon sentiment sur la partition d'Otello, soit que je dise mon opinion sur Racine, que ce savant musicien place fort au-dessus de l'auteur de Brutus et de Mahomet.
M. Berton me reproche de ne pas signer mes articles: cet illustre professeur s'exagère beaucoup, à ce qu'il paraît, l'importance de notre débat; il se croit encore au temps des disputes sur les partitions de Gluck et de Piccini: une querelle musicale est presque à ses yeux une affaire d'honneur; il oublie d'ailleurs que je ne l'ai nommé dans aucun de mes articles, et que l'agression est toute de son côté. S'il était question de toute autre chose que d'un cartel littéraire, je me ferais connaître avec empressement; mais j'aurai grand soin de m'en abstenir tant que nous ne bataillerons que sur la prééminence de Racine ou de Voltaire, de Mozart ou de Rossini. Une signature aussi respectable que celle de M. Berton pourrait encore recommander un article qui n'aurait par lui-même aucune espèce de valeur: un nom aussi obscur que le mien ferait peut-être perdre à mes opinions le crédit qu'elles se sont acquis auprès du public. J'en conclus que mon honorable adversaire n'a pas tort quand il signe, et qu'à mon tour j'ai raison quand je ne signe pas.
C'est un épouvantable blasphème aux yeux de M. Berton que de trouver Rossini plus dramatique que Mozart: ce blasphème, si c'en est un, je l'ai réellement proféré. Le crime est donc clairement défini; reste à savoir si l'accusation est fondée, et si le public, seul jury que je reconnaisse, attache du blâme aux paroles pour lesquelles je suis dénoncé. Je pourrais à la rigueur, me dispenser de dire en quoi l'auteur d'Otello est plus dramatique, puisque M. Berton s'abstient de montrer en quoi il l'est moins; mais le savant académicien auquel je réponds m'a déclaré qu'ayant pris ses licences dans Montano, dans le Délire, et même dans les Rigueurs du cloître, il se croyait le droit d'être cru sur parole quand il assignait le rang d'un compositeur. Voltaire écrivant son commentaire sur Corneille, La Harpe et M. Lemercier analysant dans la chaire de l'Athénée les ouvrages de nos plus grands écrivains, avaient assez habituellement la complaisance de prouver ce qu'ils affirmaient. On peut dire cependant qu'ils avaient pris aussi leurs licences, le premier dans vingt chefs-d'œuvre, le second dans Warwick et Philoctête, le dernier dans Pinto, Plaute et Agamemnon. Mais il paraît que les professeurs du Conservatoire ont des licences qui leur sont particulières, et auxquelles les gens de lettres ne participent pas. J'avais cru jusqu'à ce jour qu'ils se bornaient à réclamer pour leurs doctes partitions l'important privilège de tout dire sans rien prouver.
Rossini ne se contente pas de dire, il prouve ce qu'il dit: son éloge est dans ce peu de mots. Voilà en quoi et pourquoi il est dramatique. Il dessine ses caractères, il conduit son action comme si le poëte n'était pas à ses côtés. La vivacité spirituelle de Figaro, la maligne défiance du tuteur de Rosine, ce mélange de fureur et de tendresse qui caractérise l'amour d'Othello, voilà des beautés vraiment dramatiques qui, en perdant l'appui des paroles, conserveraient encore la plus grande partie de leur charme ou de leur grandeur. Qu'il y ait ailleurs plus d'harmonie musicale, un style plus sévère et plus correct, une obéissance plus scrupuleuse aux règles de la composition, toutes ces qualités sont, pour l'effet dramatique, d'utiles auxiliaires, mais elles ne le constituent pas essentiellement. Soyez de bonne foi; oubliez vos préventions d'école, et faites taire le préjugé des noms; prêtez à Mozart l'attention de l'esprit autant que celle de l'oreille; et dites si le Figaro des Noces est aussi original, aussi piquant, aussi scénique que le Figaro de Rossini. Que m'importe à moi, spectateur d'une représentation théâtrale, que l'intendant du comte Almaviva chante des airs délicieux, qui n'ont avec son caractère ou sa situation que des rapports éloignés ou imparfaits? Quand je veux entendre des sons, je vais au concert; quand je vais au spectacle, j'y cherche le rire ou l'émotion. Que l'auteur du drame qu'on représente devant moi s'appelle poëte, chorégraphe ou compositeur; qu'il procède par des paroles, par des notes ou par des pas, peu importe; il a atteint le but de son art, il a rempli sa promesse et mon attente, quand, par une fidèle peinture des mœurs, par l'enchaînement des scènes, par la vérité des situations et des caractères, il est arrivé à ce degré d'imitation où j'oublie que le spectacle qui m'est offert n'est qu'une récréation ingénieuse et un mensonge convenu. C'est ce qu'a fait Rossini plus qu'aucun autre compositeur, et autant que le lui ont permis les étroites limites de l'art dans lequel il a obtenu des succès si nombreux et si brillants. Le poëme est pour Mozart une traduction indispensable; il n'est pour Rossini qu'un second accompagnement: le Figaro du Barbier est un personnage tout à fait comique, le Figaro de Mozart n'est qu'un excellent musicien.
Quoi qu'en ait dit mon illustre antagoniste, je ne crois pas que Rossini, qu'il appelle M. Rossini, répudie les éloges que j'ai donnés à ses admirables compositions. S'il en était ainsi, l'auteur d'Otello serait un homme tout à fait prodigieux. Il joindrait la palme du caractère à celle du talent. Ce double miracle est peu vraisemblable. Les musiciens modestes sont presque aussi rares que les musiciens dramatiques.
SECONDE RÉPONSE (nº 173) A L'OCCASION D'Otello.
Otello continue d'attirer la foule: le mérite de cet opéra n'est plus contesté aujourd'hui que par quelques professeurs de piano, musiciens anatomistes pour qui le mérite de l'originalité, de l'esprit et de la verve dramatique disparaît devant l'irrégularité d'un finale ou les imperfections d'un quintette. Le public, qui a trop de raison pour chercher au spectacle autre chose que du plaisir, se garde bien de chicaner un compositeur qui lui plaît, sur ses prétendues infractions aux axiomes du Conservatoire et aux théories du professorat. Il n'attend pas pour s'émouvoir qu'il y soit autorisé par les puristes de la rue Bergère, et ses bravos sont indépendants de la justesse du contre-point.
La querelle qui s'est élevée entre les appréciateurs du talent de Rossini et les partisans de l'ancien régime musical, vient peut-être uniquement de ce que de part et d'autre les mots ont été mal définis. On a dit que l'auteur d'Otello et du Barbier était plus essentiellement dramatique que la plupart de ses concurrents et de ses prédécesseurs. Cette assertion, mal comprise, a mis les professeurs sens dessus dessous. Le Dictionnaire de l'Académie suffisait pour nous mettre d'accord. On y aurait vu que le mérite dramatique est indépendant de la perfection du style et de l'obéissance servile aux règles de la composition. Non que sous ce double rapport même, Rossini soit, à beaucoup près, aussi défectueux que le prétendent ses détracteurs; mais, en accordant qu'il mérite à cet égard tous les reproches dont il est l'objet, il reste démontré, au moins par le fait, que les partitions de ce célèbre compositeur sont plus parlantes, plus expressives, plus populaires que celles des maîtres les plus renommés. Voilà ce que j'entends par le mot dramatique, et il est impossible de l'entendre autrement. La musique est un art dont les moyens sont étroits et limités. Otez-lui le secours des paroles qu'elle est chargée de traduire, et qui la traduisent à leur tour, et vous en ferez une sorte d'idiome hiéroglyphique intelligible pour quelques adeptes, indéchiffrable pour le vulgaire des auditeurs. Celui qui, par la combinaison des signes sonores dont se compose l'alphabet musical, produira l'expression la plus rapprochée du langage ordinaire, sera le plus dramatique et le plus vrai. C'est là précisément ce qu'a fait Rossini. Il est de tous les compositeurs celui qui peut le plus se passer de poëte: il a, autant que possible, affranchi son art d'une nécessité qui lui ôte la moitié de sa gloire. C'est un étranger plein de grâces, qui, à force d'esprit, parvient à se faire entendre sans interprète: c'est un auteur naturel et facile qui triomphe des obscurités de la langue dans laquelle il écrit, et qui, pour être compris des gens du monde, n'a pas toujours besoin des éclaircissements d'un commentateur.
Que Mozart soit plus riche et plus harmonieux, Pergolèse plus fini et plus correct, Sacchini plus suave et plus pur, tout cela peut être vrai sans que le public et moi nous ayons tort de trouver que Rossini se met mieux en rapport avec notre intelligence, et possède plus intimement le secret de nos goûts et de nos impressions. Il y a dans la musique de Rossini je ne sais quoi de vivant et d'actuel qui manque aux magnificences de Mozart; ses couleurs n'ont peut-être pas autant d'éclat, mais il saisit mieux la ressemblance, et c'est la ressemblance qu'au théâtre on cherche avant tout. Les musiciens dramatiques ne sont que des peintres de portraits.
Si ces réflexions paraissent justes, elles pourront servir de préface au traité de paix que je suis très disposé à conclure avec mes savants antagonistes. Mozart sera pour eux le premier des musiciens qui font de la musique. Rossini sera à nos yeux le premier des musiciens qui font des opéras. Au moyen de cette distinction, nous serons tous d'accord.
Il ne me restera plus qu'à faire entendre raison aux détracteurs de la musique italienne, autre espèce de maniaques et d'exclusifs qui mettent la nationalité au nombre des éléments qui constituent le mérite d'une romance ou d'un quatuor. Ces honnêtes gens ne veulent pas qu'on soit cosmopolite en fait de plaisir; ils oublient que la musique n'est ni française, ni ultramontaine, ni allemande, ni espagnole; elle est bonne ou mauvaise, et voilà tout. Son certificat d'origine n'ajoute rien à son mérite ou à ses défauts. Il n'y a, au fait, que deux espèces de musique: la musique qui plaît, et la musique qui ne plaît pas.
Les partitions de Rossini n'ont pas besoin, pour être rangées dans la première de ces catégories, des talents auxquels l'administration de la rue de Louvois a remis le soin de leur exécution; mais ces talents méritent aussi beaucoup d'éloges, et il est juste de dire que l'opéra italien n'a peut-être jamais été joué avec un ensemble aussi parfait. Madame Pasta, depuis ses débuts, a fait de véritables progrès. Garcia se montre dans Otello chanteur habile et grand tragédien; il saisit à merveille toutes les nuances dont se compose le caractère violent et passionné de l'amant de Desdemona.
Les gens qui aiment les bonnes raisons et les arguments forts en musique me sauront un gré infini d'avoir reproduit la lettre de M. Berton, de l'Institut, et surtout de leur avoir indiqué l'Abeille, journal où ce grand compositeur a déposé, à diverses reprises, ses jugements sur M. Rossini, et les avis qu'il veut bien donner à cet Italien.
Quoi qu'il en soit de la force de la dialectique de M. Berton, il vient de mettre en lumière une réponse plus accablante encore pour l'auteur d'Otello et du Barbier. C'est la partition de Virginie, grand opéra fort correct, et qui, dans ce moment (juillet 1823), a un succès fou à l'Académie royale de Musique, et va faire le tour de l'Europe. Mais où trouver en Italie un acteur pour chanter le rôle d'Appius comme M. Derivis? Voilà une difficulté.
[42] On entend par tenore la voix forte de poitrine dans les tons élevés. Davide brille dans la voix de tête, le falsetto. On écrit en général l'opéra buffa et l'opéra di mezzo carattere pour des ténors à vois ordinaires, et qui, d'après les opéras où ils chantent, sont appelés tenori di mezzo carattere, Les vrais ténors brillaient dans l'opéra séria.
[43] Tu regere imperio populos, Romane, memento. Virgile.
[44] Sonnet de... à Reggio. Vision de Prina, Milan 1816. Poëmes de Buratti, à Venise.
[45] Mes administrés pêchent des idées dans ce que vous dites. Ce reproche est historique, 1819.
[46] Toutes les premières représentations sont froides à Louvois.
[47] Auteur de cet air sublime et si célèbre dans les annales de la musique antique, le Misero pargoletto de Demophon.
[48] Voir l'Artaxerce de Métastase, le chef-d'œuvre de Vinci.
[49] Dans le genre pathétique, on n'a jamais surpassé l'air: Se cerca, se dice, de l'Olympiade. La Servante Maîtresse est un opéra buffa admirable; il ne faudrait qu'y mettre des accompagnements et en ôter les récitatifs, pour faire courir tout Paris. Voilà un grand avantage des nations étrangères, les chants de Pergolèse n'ont pas pour elles le ridicule d'être des choses passées de mode.
Les portraits de nos grands-pères, avec leurs habits brodés à la Louis XV, sont ridicules; les fraises et les armures de nos aïeux du temps de François Ier nous les rendent au contraire vénérables, dans ces grands portraits qui nous regardent d'un air sévère.
[50] En musique tout comme en littérature, un ouvrage peut avoir un fort bon style et des idées assez communes, et vice versa. Je préfère le style de Rossini, mais je trouve plus de génie à Cimarosa. Le premier final du Matrimonio segreto offre la perfection du style et des idées.
[51] Avoir du goût, même en littérature, veut toujours dire habiller ses idées à la dernière mode, à la dernière mode de la très-bonne compagnie. M. l'abbé Delille avait un goût parfait en 1786.
[52] Souvent les premiers opéras d'un maestro restent les meilleurs. Le génie musical se développe de fort bonne heure; mais il faut bien accorder quatre ou cinq ans à l'opinion publique pour qu'un compositeur fasse décidément négliger l'homme de talent qui l'a précédé. Je pense que c'est vers l'âge de vingt-cinq ans que les compositeurs célèbres dont je donne la liste, ont commencé à être fort à la mode.
[53] Voici les époques exactes de quelques grands maîtres: Alexandre Scarlatti, né à Messine en 1650, meurt en 1730. C'est le fondateur de l'art musical moderne.—Bach, 1685, 1750.—Porpora, né en 1685, mort en 1767.—Durante, 1663, 1755.—Léo, 1694, 1745.—Galuppi, 1703, 1785.—Pergolèse, 1704, 1737.—Handel, 1684, 1759.—Vinci, 1705, 1732.—Hasse, 1705, 1783.—Jomelli, 1714, 1774.—Benda, mort en 1714.—Guglielmi, 1727, 1804.—Piccini, 1728, 1800.—Sacchini, 1735, 1786.—Sarti, 1730, 1802—Paisiello, 1741, 1815.—Anfossi 1736, 1775.—Traetta, 1738, 1779.—Zingarelli, né en 1752.—Mayer, 1760.—Cimarosa, 1754, 1801.—Mozart, 1756, 1792.—Rossini, 1791.—Beethoven, 1772.—Paër, 1774.—Pavesi, 1785.—Mosca, 1778.—Generali, 1786.—Morlachi, né en 1788.—Pacini, né en 1800.—Caraffa, 1793.—Mercadante, 1800.—Kreutzer, de Vienne, né en 1800, l'espoir de l'école allemande.
[54] Je ne garde pas toutes les avenues contre la critique.
[55] Il faudrait, il est vrai, que le théâtre de l'Opéra-Buffa fût organisé d'une manière à peu près raisonnable. Il paraît qu'en 1828, le but secret est de le faire tomber. On veut nous lasser d'Otello, de Roméo et de Tancrède; il nous manque madame Fodor et un ténor.
[56] Voir l'Abeille de 1821, et la Pandore du 23 juillet et du 12 août 1823.
[57] Bacon dirait aussi de la musique: Humano ingenio non plumæ addendæ, sed potius plumbum et pondera.
[58] Voir les Raisonnements ascétiques de Socrate, p. 200 du Platon de M. Cousin, t. I.
[59] C'est l'histoire des jeunes Allemands. Leurs âmes candides s'enflamment de l'amour de la vertu; on profite de ce moment d'entraînement pour leur faire accepter une logique non prouvée, et partant ridicule.
[60] A la bonne heure, suivez la route la plus agréable, ayez des plaisirs; mais alors ne dogmatisez pas.
[61] The blunt minded.
[62] Dans vingt ans d'ici, le public de Paris ayant fait d'immenses progrès en musique et en non affectation, tout ce que je viens de dire paraîtra suranné, et l'on osera pénétrer bien plus avant. M. Massimino sera l'un des principaux auteurs de cette révolution. Sa manière d'enseigner est digne de toutes sortes d'éloges. Voir la brochure de M. Imbinbo.
[63] En parlant avec la généralité que l'on trouve dans ce chapitre, je sais bien que je prête le flanc à la critique de mauvaise foi. Pour lui ôter l'arme de la plaisanterie, et rendre ses attaques réellement difficiles, il aurait fallu augmenter de cinquante pages de phrases incidentes et explicatives, ce chapitre, déjà peut-être assez ennuyeux: c'est ce que je décline de faire; et, avec une vertu vraiment romaine, je m'immole pour le salut de mon lecteur.
[64] Différence des paysages suisses à ceux de la belle Ausonie. Voir la charmante description de Varèse dans le Journal des Débats du 29 juillet 1823.
[65] Les accompagnements de l'arrivée de Moïse, dans l'opéra de ce nom.
[66] Où trouver une bohémienne qui puisse m'éclairer sur mon sort? Avec le temps et la patience, parviendrai-je à guérir la folie de ma femme.
Mais, hélas! la bohémienne que je cherche est impossible à rencontrer.
[67] Stendhal imprime par erreur duetto. M. Prunières fait remarquer le lapsus. N. D. L. E.
[68] Vous êtes un Turc, je ne puis vous croire; vous avez cent femmes dans vos sérails, vous les achetez, vous les vendez quand elles cessent de vous plaire.
[69] Si tu m'impatientes encore, si tu ajoutes une seule syllabe, je fais de ce lieu-ci un cimetière.
[70] MM. Geoffroy, Hoffmann, les auteurs de la Pandore, etc., etc. M. Geoffroy, le plus spirituel de tous ces messieurs, appelait Mozart un faiseur de charivari souvent barbare. Ses successeurs sont bien plus sévères envers Mozart; ils l'expliquent et le louent. Voir l'Abeille, t. II, p. 267; la Renommée, le Miroir, etc.
[71] Un indiscret ennuyeux et louche, s'approche de M. de T***, dans une circonstance politique assez difficile: «Hé bien, Monseigneur, comment vont les affaires?—Comme vous voyez, assez mal.»
Faites chanter cette réponse, elle devient aussi amusante que le galimatias de la Pandore sur la musique.
[72] Stendhal a écrit Davide, lapsus corrigé par M. Prunières. N. D. L. E.
[73] Prenez pitié de mon accident, dit le pauvre mari, qui trouve que tous les dominos du bal masqué se ressemblent, je ne puis plus reconnaître ma femme.
[74] A ce coup imprévu, que le destin réservait à ces perfides, le frisson de la mort met la pâleur sur leurs fronts.
[75] Il celere obbedir.
M. Manzoni, dans son Ode sur la mort de Napoléon. Ce sont les seuls vers, à ma connaissance, dignes du sujet.
Ei fû; siccome immobile,
Dato il mortal sospiro,
Stette la spoglia immemore
Orba di un tanto spiro,
Cosi percossa e attonita
La Terra al nunzio sta.
Muta pensando all'ultima
Ora dell'uom fatale,
Ne sa quando una simile
Orma di piè mortale
La sua cruenta polvere
A calpestar verrà.
Dall'Alpi alle Piramidi,
Dal Manzanarrè al Reno,
Di quel securo in fulmine,
Tenea dietro al baleno,
Scoppiô da Scilla al Tanai,
Dall'uno all'altro mar.
Fù vera gloria? ai posteri
L'ardus sentenza; noi
Chiniam la fronte al Massimo
Fattor che volle in Lui
Del Creator suo spirito
Più vasta orma stampar.
....................
Ei sparve, e i di nell'ozio
Chiuse in si breve sponda,
Segno d'immensa invidia,
E di pietà profonda,
D'inestinguibil odio,
Et d'indomato amor.
......................
Oh! quante volte al tacito
Morir di un giorno inerte,
Chinati i rai fulminei,
Le braccia al sen conserte,
Stette, e dei di che furono
L'assalse li sovvenir!
Ei ripenso le mobili
Tende, i percossi valli,
E il lampo de i manipoli,
E l'onda de cavalli,
E il concitato imperio,
......................
......................
[76] Alfieri Vita, figure de Louis XV.
[77] Ames nobles et généreuses, approchez-vous de moi; vivez, soyez heureuses désormais; goûtez un bonheur dont je serai la source.
[78] Je demande pardon aux Allemands de parler de leur musique d'opéra avec peu de respect; je suis sincère. Du reste, l'on ne peut pas douter de mon estime pour le peuple qui a produit Luther. Les Allemands peuvent voir que je ne ménage pas la musique de mon propre pays, au risque de passer pour mauvais citoyen.
[79] La guerre du gendarme contre la pensée présente partout des circonstances burlesques. En 1823, l'on ne veut pas permettre à Talma la représentation de Tibère, tragédie de Chénier, qui est mort il y a dix ans, de peur des allusions. Allusions à qui? et de la part d'un poëte mort en 1812 en exécrant Napoléon.
A Vienne, l'on vient de suspendre les représentations d'Abufar, charmant opéra de M. Caraffa, comme pouvant porter les peuples à un amour illicite. D'abord, il n'y a pas amour criminel, puisque Farhan n'est pas frère de Salema; et plût à Dieu que les jolies Viennoises ne pussent être fourvoyées que par le sentiment! Ce n'est pas l'amour, quel qu'il soit, c'est le châle qui est funeste à la vertu.
[80] En réalité le 20 Février 1816. N. D. L. E.
[81] Comme à l'église de Gesù, à Rome, les 31 décembre et 1er janvier de chaque année.
[82] Mœurs et Coutumes des nations indiennes, ouvrage traduit de l'anglais de Jean Heckewelder, par M. du Ponceau. Paris, 1822.
[83] L'Allemand, qui met tout en doctrine, traite la musique savamment; l'Italien voluptueux y cherche des jouissances vives et passagères; le Français, plus vain que sensible, parvient à en parler avec esprit; l'Anglais la paie et ne s'en mêle pas. (Raison, Folie, tome I, page 230.)
[84] Première représentation du Matrimonio segreto en 1793 à Vienne. L'empereur Joseph s'en fait donner une seconde représentation dans la même soirée.
[85] Voir le croquis des amours de la Zitella Borghèse, dans les lettres du président de Brosses sur l'Italie, tome II, page 250
Et sequitur leviter
Filia matris iter.
[86] Edition de 1824: «Dans le bel à fresque»
N.D.L.E.
[87] Burckhardt, Mémoires de la cour du pape, dont il était majordome; de Potter, Histoire de l'Eglise; Gorani.
[88] Peut-être amour et bonne foi d'un côté; de l'autre, vanité et continuelle attention aux autres.
[89] La religion est la seule loi vivante dans les États du pape. Comparez Velletri ou Rimini au premier pays protestant que vous traverserez. Le génie froid du protestantisme tue les arts; voir Genève et la Suisse. Mais les arts ne sont que le luxe de la vie; l'honnêteté, la raison, la justice, en sont le nécessaire.
[90] Voir les Mémoires de Carlo Gozzi, et son éternelle querelle avec le signor Gratarol; rien de plus opposé à Giacopo Ortiz. Voir les Œuvres de madame Albrizzi.
[91] Voir une brochure fort plaisante d'un M. Majer, de Venise, qui nous apprend que M. Morlachi di Perugia est le grand maître de l'époque. Un homme d'esprit, de Paris, fort accrédité dans les journaux depuis que Rossini a refusé son poëme des Athéniennes, nous assure, de son côté, que le grand maître de l'époque, c'est M. Spontini. Que va dire M. Berton de l'Institut?
[92] Un homme, s'il n'est pas marié, dîne trois cents fois par an chez le restaurateur; en 1780, il n'y eût pas paru deux fois par mois. Un jeune homme se déconsidérait en allant au café. Le quart de la vie se passait à souper, et l'on ne soupe plus.
[93] Mémoires de Marmontel, de Morellet. Lettres de madame Du Deffant et de mademoiselle de Lespinasse.
[94] Nous l'appelons factice et faux en 1823, mais il était fort naturel et fort réel en 1780. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la quantité d'émotion possible dans chaque homme (ce qui fait le domaine des arts) était fort restreinte.
[95] Voir les Mémoires de Bezenval, bataille de Fillinghausen. Batailles des princes de Clermont et de Soubise. Mémoires de Lauzun, détails de son expédition en Amérique.
[96] Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. Mémoires de madame Campan, dans la partie supprimée par des éditeurs prudents.
[97] «Sylla, en prenant cette mesure, en connaissait bien le fort et le faible», dit Montesquieu, Grandeur des Romains. Jamais Marmontel n'aurait eu le courage d'écrire un tel mot; les littérateurs de la vieille école ne l'oseraient pas même aujourd'hui. Voyez les querelles que l'on a faites à M. Courier pour son admirable Hérodote. Les savants craignent pour Hérodote.
[98] Mémoires de madame d'Épinay: détail de la matinée de M. d'Épinay.
[99] Voir Racine et Shakspeare, 1823.
[100] Zurich. Solitude et chant à l'église, voilà les sources du goût pour l'opéra buffa.
[101] Tableau des États-Unis, par Volney, page 490.
[102] Qui s'en vengent bien. Voir les Annales littéraires, c'est le journal des bons hommes de lettres; ils traitent Rossini comme Voltaire. Les Français d'autrefois sentent extrêmement peu la musique; et comme d'ailleurs ils ne manquent pas de prétentions, il n'est sorte d'absurdités qu'on ne parvienne à leur débiter avec succès, pour peu qu'on y mette d'adresse. C'est ainsi que les Débats, un de leurs journaux les plus accrédites, en parlant de Monsigny, donnait à ce bonhomme le titre de premier musicien de l'Europe, et soutenait son dire par quatre colonnes de feuilleton. Il est fâcheux pour l'Europe qu'elle ne se soit jamais doutée du nom de son premier musicien. Je prie de croire que j'estime les journaux autant que je le dois, mais ils sont précieux comme thermomètre indiquant l'état actuel de l'opinion de Paris. Un public qui supporte patiemment, et l'on peut dire avec joie trois théâtres tels que les Variétés, le Vaudeville et le Gymnase, qui se soutiennent et font fortune en chantant faux quatre heures de suite chaque soir, ne peut pas, en conscience, prétendre à une grande délicatesse d'oreille. (Mais ce sont les hommes de cinquante ans, et non les jeunes femmes de la haute société qui font les succès du Vaudeville.)
La patrie de Voltaire et de Molière est, ce me semble, la première ville du monde pour l'esprit. On jetterait pêle-mêle dans un alambic l'Italie, l'Angleterre et l'Allemagne, que l'on ne parviendrait jamais à faire Candide, ou les chansons de Collé ou de Béranger. Ce dernier mot explique le peu de génie pour la musique. Le Français d'autrefois est attentif à la parole chantée, et jamais à la cantilène sur laquelle on la chante; pour lui, c'est la parole qui peint le sentiment, et non le chant.
[103] Si jamais on introduit un ballet entre les deux actes de l'opéra italien à Louvois, le mal à la tête, et l'état nerveux du second acte étant prévenus, Louvois amusera autant qu'il intéresse, et Feydeau est perdu. Quel dommage pour la gloire nationale!
[104] Le Spleen, conte de M. de Bezenval, mœurs de Besançon.
[105] J'apprends qu'un grand nombre de petite villes ont eu le malheur de prendre à la lettre les louanges ironiques données à la Caroléîde et à Ipsiboé.
[106] Sans les aristarques de profession, la révolution des arts se ferait mieux et plus vite; mais, puisque nous sommes condamnés à avoir une Académie française, estimons-la juste ce qu'elle vaut. Tâchons de ne pas nous laisser irriter par une contradiction doctorale et donnée de haut{*}; et si par hasard nos adversaires sont un peu pédants, tâchons de ne pas devenir exagérés.
{*} Paroles des Débats en racontant les injures élégants adressées au romantiques par le célèbre M. Villemain, à la clôture ou à l'ouverture de son cours, mars 1823.
[107] L'abbé Girard, observateur ingénieux, écrivait en 1746:
«L'usage, qui permet la galanterie aux femmes mariées leur défend la
passion; elle serait ridicule chez elles.»
(Synonymes, article
Amour.)
[108] Cento novelle di G. B. Giraldi Cinthio, partie 1, décade 3, nouvelle 7, pag. 313-321, édition de Venise, 1608.
[109] Pallida morte futurâ.
[110] Les tableaux de Paul Véronèse, Venise triomphante, par exemple, sont aussi des chef-d'œuvre dans le style magnifique; ce style est beaucoup plus généralement goûté que celui de Raphaël; mais enfin, pour la juste expression des passions, il faut en revenir aux chambres du Vatican.
[111] Cet air appartient à la Gabrielle de Vergy, l'un des chefs-d'œuvre de M. Caraffa. C'est le duetto,
Oh istante felice
[112] Voir la manière admirable dont M. Kean joue ce dernier acte, et l'enthousiasme de tendresse avec lequel, entendant la prière de Desdemona, il s'écrie: Amen! amen! With all my soul! Je ne trouve rien de comparable à l'Angleterre pour la déclamation et les jardins.
[113] Sorte de danse fort vive, nationale dans le Frioul; la seconde partie est toute mélancolique. Vigano est un homme de génie, connu seulement en Lombardie, où il est mort en 1821, après avoir donné les ballets d'Otello, de Myrrha, de la Vestale, de Prométhée, etc., etc.
[114] «Toute autre vue est funeste pour mol; tout m'importune, tout me semble odieux.»
Il y a un feu et une force contenue admirable dans la manière dont madame Pasta dit ce mot, detesto, tout à fait dans le bas de sa superbe voix. Ce son retentit dans tous les cœurs.
. . . . . . . Tenet nunc,
Partenope. (Virgile).
[116] Il ne faut qu'un petit accident dans la santé de cet aimable artiste pour rendre extrêmement déplacées toutes ces louanges. Je parle du Davide de 1816 et 1817. Je prie le lecteur de placer ce correctif à côté de tous les jugements que l'on porte des voix des chanteurs dans le courant de cette biographie.
[117] Va, malheureuse! je te maudis.
[118] Les savants disent que le trio du finale du premier acte d'Otello rappelle un trio de Don Juan; l'accompagnement de clarinette est le même. L'accompagnement de l'orchestre pendant qu'Othello lit le billet fatal que Jago lui a remis (duetto du second acte) est à ce qu'on assure, un fragment d'une symphonie de Haydn, en mi bémol.
[119] M. Giovanela de Lodi. Il m'a un peu rappelé l'inimitable Bocci, qui faisait Jago dans le ballet de Vigano.
[120] Il n'est pas de plus grande douleur que de se souvenir des temps heureux au sein de la misère.
[121] Il était d'un grand effet à Naples, où l'on croît à la jettatura.
[122] Chant de la statue dans Don Juan; désespoir de D. Anna quand elle aperçoit le cadavre de son père.
[123] Ah! le ciel par ses feux rend son crime plus clair à mes yeux! Cela veut dire que l'éclair lui fait voir que Desdemona est endormie, et que les mots caro ben (toi que j'aime) sont adressés en songe à l'homme qu'elle aime, et non pas à lui Othello, qui s'avance, et qu'elle ne peut pas voir s'approcher, puisqu'elle dort.
[124] Voir les Mémoires de Benvenuto, et l'excellente Histoire de Toscane de Pignotti, 1814. C'est un livre de bonne foi, et bien supérieur à celui de M. Sismondi, qui ne sait pas peindre les mœurs et la physionomie d'un siècle.
[125] Fait absolument semblable à Chambéry, juillet 1823.
[126] Anecdote de mon ami de Bergame, obligé, par la rumeur publique, d'assassiner d'un coup de fusil, dans la rue, un sbire qui l'avait regardé de travers (1782). Il en fut quitte pour un séjour de six semaines en Suisse.