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La vie littéraire. Deuxième série

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M. GASTON PÂRIS

ET LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE[25]

[Note 25: La Littérature française au moyen âge, XIe et XIVe siècles.—Manuel d'ancien français, par Gaston Pâris. 1 vol. in-18.]

J'ai reçu ici, dans les vignes, un livre qui a été pour moi comme, la visite d'un savant ami. C'est le Manuel de littérature française au moyen âge que M. Gaston Pâris rédigea d'abord pour ses élèves de l'École des hautes études et fit ensuite imprimer à l'usage des esprits, assez rares, qu'anime une curiosité méthodique. Comme la matinée était chaude et tranquille j'ai emporté le livre bienvenu dans un petit bois de chênes, et je l'ai lu sous un arbre, au chant des oiseaux. Une lecture ainsi faite est une lecture heureuse. Sur l'herbe, on ne songe pas à prendre des notes. On lit par plaisir, par amusement et avec candeur. On est très désintéressé, car il, n'est tel que l'air animé des bois pour nous rendre indifférents à nous-mêmes et pour dissoudre nos âmes dans les choses. Enfin, l'ombre mouvante qui tremble sur le feuillet du livre et le bourdonnement de l'insecte qui passe entre l'oeil et la page mêlent à la pensée de l'auteur une impression délicieuse de nature et de vie.

Avec quelle docilité j'ai suivi, dans mon bois, l'enseignement de M. Gaston Pâris! Comme j'entrais volontiers avec lui dans l'âme de nos aïeux, dans leur foi robuste et simple, dans leur art tantôt grossier, tantôt subtil, presque toujours symétrique et régulier comme les jardins sans arbres des vieilles miniatures! Le malheur est que je dévorai en quelques heures un livre fait au contraire pour être longuement étudié, et dans lequel les notions sont puissamment condensées. C'est pourquoi je ressens une sorte de trouble et comme une hallucination. Il me semble que cette vieille France que je viens de traverser si vite, cette terre bien-aimée, avec ses forêts, ses champs, ses blanches églises, ses châteaux et ses villes, était petite comme le pré que je découvre là-bas entre les branches; il me semble que ces siècles de grands coups d'épée, de prières et de longues chansons s'écoulèrent en quelques heures. Chevaliers, bourgeois, manants, clercs, trouvères, jongleurs, m'apparaissent comme ces insectes qui peuplent l'herbe à nos pieds. C'est une miniature dont mes yeux ont gardé l'impression, une miniature si fine qu'on pourrait découvrir les plus menus détails en regardant à la loupe. Les contes des fées parlent d'une toile d'un tel artifice qu'elle tenait tout entière dans une coquille de noisette, et sur cette toile tous les royaumes de la terre étaient représentés avec leurs rois, leur chevalerie, leurs villes et leurs campagnes. C'était l'ouvrage d'une fée. Tel que je me le représente sous mon chêne, le livre de M. Gaston Pâris ressemble beaucoup à cette toile merveilleuse. Mes mains en sentent à peine le poids et j'y vois les figures de tous ceux qui, dans la douce France, aux âges de chevalerie et de clergie, parlèrent de combats, d'amour et de sagesse. Ce que j'admire, c'est la netteté du tableau. Je vois distinctement la terre, revêtue, comme dit le chroniqueur Raoul Glaber, de la robe blanche des églises. Là s'agitent des hommes simples qui croient en Dieu et s'assurent en l'intercession de Notre-Dame. Les uns sont des clercs et leur vie, réglée comme la page d'un antiphonaire, s'exhale avec l'harmonieuse monotonie du plainchant. Quand ils tombent dans le péché, ce qui est l'effet de la malédiction d'Adam, ils restent pourtant fidèles à Dieu et ne désespèrent pas. Ils n'ont point de famille, ils écrivent en latin et disputent subtilement. Ce sont les pasteurs du troupeau des âmes. Les autres s'en vont en guerre; il leur arrive parfois de piller des couvents et de mettre à mal les nonnes, qui sont les fiancées de Jésus-Christ. Mais ils seront sauvés par la vertu du sang divin qui coula sur la croix. Ils ont occis force Sarrasins et fait maigre exactement le vendredi, et ces bonnes oeuvres leur seront comptées. Les vilains, qui labourent pour eux, sont des hommes puisqu'ils ont été baptisés. Ils peuvent endurer de grands maux sur cette terre, car ils auront part à la félicité éternelle. Le curé qui chaque dimanche, leur promet le paradis est, dans sa naïveté, un merveilleux économiste. À ceux qui n'ont pas de terre ici-bas, il montre les terres fleuries du ciel. Le ciel, où Dieu le père siège en habit d'empereur, est tout proche: on y monterait avec une échelle, pour peu que saint Pierre le voulût bien, et saint Pierre est un bon homme; pauvre et de petite naissance, il a de l'amitié pour les vilains et, peut-être, quelques égards pour les nobles. D'ailleurs, la sainte Vierge, les anges, les saints et les saintes descendent à tous moments sur la terre. Les bienheureux et les bienheureuses n'ont rien d'étrange, ce sont des prud'hommes et des dames qui favorisent, à la manière des petits génies et des fées, les personnes qui leur sont dévotes. Les passages sont perpétuels de l'église triomphante à l'église militante; la flèche des cathédrales marque la limite indécise entre le ciel, et la terre. Quant à l'enfer, il est dans la terre même, et des bergers, parfois, en voient, au fond des cavernes, les bouches empestées. L'enfer fait peur, comme dit François Villon. Mais de quelque façon qu'on vive, on compte bien l'éviter; on peut, on doit espérer: l'espérance est une vertu. Parlerai-je du purgatoire? Il n'est presque point distinct de cette terre où les âmes en peine reviennent chaque nuit demander des prières. Voilà le monde du moyen âge; il pourrait être représenté, à la rigueur, par une vieille horloge un peu compliquée, comme celle de Strasbourg. Il suffirait de trois étages de marionnettes, que des rouages feraient mouvoir. En parlant ainsi, je sais bien que je poursuis mon rêve. Car, enfin, les hommes qui vivaient entre le XIe siècle et le XVe étaient soumis comme nous aux lois infiniment complexes de la vie; l'immense nature qui nous enveloppe les baignait comme nous dans l'océan des illusions; ils étaient des hommes. Mais ils n'avaient ni nos craintes ni nos espérances, et leur monde, par rapport au nôtre, était tout petit. Si on le compare à l'univers de Galilée, de Laplace et du père Secchi, ce n'était véritablement qu'un ingénieux tableau à horloge. Il faut goûter la naïveté de leur imagination. Elle se peint en traits aimables dans les Miracles de la Vierge et dans les Vies des Saints. La critique savante de M. Gaston Pâris en est tout attendrie. N'est-ce-pas, en effet, une gracieuse histoire que celle de la nonne qui, par faiblesse de coeur, quitta son monastère pour se livrer au péché? Elle y revint après de longues années, ayant perdu l'innocence, mais non pas la foi, car dans, le temps de ses erreurs, elle n'avait cessé d'adresser chaque jour une oraison à Notre Dame. Rentrée dans le monastère, elle entendit ses soeurs lui parler comme si elle ne les avait jamais quittées. La sainte Vierge, ayant pris le visage et le costume de celle qui l'aimait jusque dans le péché, avait fait pour elle l'office de sacristine, de sorte que personne ne s'était aperçu de l'absence de la religieuse infidèle. Mais M. Gaston Pâris sait un autre miracle plus touchant.

Il y avait une fois un moine d'une extrême simplicité d'esprit et si ignorant qu'il ne savait réciter autre chose qu'Ave Maria. Il était en mépris aux autres moines, mais étant mort, cinq roses sortirent de sa bouche en l'honneur des cinq lettres du nom de Marie. Et ceux qui l'avaient raillé de son ignorance honorèrent sa mémoire comme celle d'un saint. Enfin voici un miracle encore plus ingénu, celui du Tombeor Nostre-Dame. C'était un pauvre jongleur qui, après avoir fait des tours de force sur les places publiques pour gagner sa vie, songea à l'éternité et se fit recevoir dans un couvent. Là, il voyait les moines honorer la Vierge, en bons clercs qu'ils étaient, par de savantes oraisons. Mais il n'était pas clerc et ne savait comment les imiter. Enfin, il imagina de s'enfermer dans la chapelle et de faire, seul, en secret, devant la sainte Vierge, les culbutes qui lui avaient valu le plus d'applaudissements du temps qu'il était jongleur. Des moines, inquiets de ses longues retraites, se mirent à l'épier et le surprirent dans ses pieux exercices. Ils virent la mère de Dieu venir elle-même, après chaque culbute, éponger le front de son tombeor.

C'est dans ces imaginations populaires, c'est dans les légendes venues d'Orient, dans les histoires de sainte Catherine et de sainte Marguerite qu'il faut rechercher, ce semble, les sentiments obscurs, qui, trois ou quatre fois séculaires, aboutirent à la vocation de Jeanne d'Arc et rendirent possible, à l'heure du danger, la plus charmante des merveilles, la délivrance de tout un peuple par une bergère. Je m'explique mal sur ce point et je ne pourrais le mieux faire qu'en sortant tout à fait de mon sujet. Je m'en garderai bien. On peut rêver sous un arbre; encore faut-il quelque suite, même dans un rêve. Cette figure de la France féodale, que nous venons de dessiner d'un trait grêle et d'une couleur trop vive à l'exemple des enlumineurs des XIVe et XVe siècles, c'est l'art, c'est la littérature épique, lyrique et sacrée de ces temps, telle que nous la présente M. Gaston Pâris, qui nous en a suggéré l'idée.

M. Pâris n'est pas seulement un savant. Il unit au goût littéraire le sens philosophique, et son Manuel de vieux français, dont je vous parle ici, n'a tant d'intérêt que parce qu'on y voit constamment les idées générales sortir de l'ensemble des faits. L'auteur nous montre d'abord la fatalité qui ne cessera de peser sur toute la littérature du moyen âge et qui déterminera finalement son caractère. Les clercs, qui presque seuls lisaient et écrivaient, gardèrent l'usage du latin. Ils considéraient cette langue comme le seul instrument digne d'exprimer une pensée sérieuse. «C'est là, dit M. Pâris, un événement d'une grande importance, un fait capital, qui détruisit toute harmonie dans la production littéraire de cette époque: il sépara la nation en deux et fut doublement funeste, en soustrayant à la culture de la littérature nationale les esprits les plus distingués et les plus instruits, en les emprisonnant dans une langue morte, étrangère au génie moderne, où une littérature immense et consacrée leur imposait ses idées et ses formes, et où il leur était à peu près impossible de développer quelque originalité.»

Dédaignés des gens instruits, les écrits en langue vulgaire ne s'adressaient guère qu'aux ignorants. Ce ne pouvait donc être d'abord que des contes et des chansons. Et puisque ces chansons étaient faites pour le plaisir des nobles et des bourgeois qui ne lisaient point, il fallait les leur lire ou mieux les leur chanter. Aussi la Chanson de Roland, et généralement tous les vieux gestes étaient-ils chantés par des jongleurs. De là le caractère essentiellement populaire de la littérature française au moyen âge.

Cette littérature abondante et naïve, brutale et pourtant ingénieuse comme le peuple dont elle était l'idéal, fut surtout modelée par les mains les plus habiles à sculpter les âmes, les mains de l'Église. L'Église la tailla comme une image. Elle lui donna ses principaux caractères: une foi naïve, un air d'enfant tendre et cruel, un goût du merveilleux familier et rustique, une peur disgracieuse de la beauté, de la chair (ce qui ne l'empêchait pas d'être obscène quand il lui en prenait fantaisie), une quiétude parfaite, la certitude absolue de posséder l'immuable vérité. Ce dernier trait, le trait essentiel, a été admirablement marqué par M. Gaston Pâris.

«Le nom, dit ce savant, que nous avons donné au moyen âge, indique combien il fut réellement transitoire, et cependant ce qui le caractérise le plus profondément, c'est son idée de l'immutabilité des choses. L'antiquité, surtout dans les derniers siècles, est dominée par la croyance à une décadence continue; les temps modernes, dès leur aurore, sont animés par la foi en un progrès indéfini. Le moyen âge n'a connu ni ce découragement ni cette espérance. Pour les hommes de ce temps, le monde avait toujours été tel qu'ils le voyaient (c'est pour cela que leurs peintures de l'antiquité nous paraissent grotesques), et le jugement dernier le trouverait tel encore… Le monde matériel apparaît à l'imagination comme aussi stable que limité, avec la voûte tournante et constellée de son ciel, sa terre immobile et son enfer; il en est de même du monde moral: les rapports des hommes entre eux sont réglés par des prescriptions fixes sur la légitimité desquelles on n'a aucun doute, quitte à les observer plus ou moins exactement. Personne ne songe à protester contre la société où il est, ou n'en rêve une mieux construite; mais tous voudraient qu'elle fût plus complètement ce qu'elle doit être. Ces conditions enlèvent à la poésie du moyen âge beaucoup de ce qui fait le charme et la profondeur de celle d'autres époques: l'inquiétude de l'homme sur sa destinée, le sondement douloureux des grands problèmes moraux, le doute sur les bases mêmes du bonheur et de la vertu, les conflits tragiques entre l'aspiration individuelle et la règle sociale.» (Page 34.)

Quel est donc l'intérêt, quels sont donc les mérites de cette littérature condamnée dès sa naissance à une irrémédiable humilité, ignorant la beauté des formes, la volupté des choses, la Vénus universelle, et plus étrangère encore à ces nobles curiosités, à cette inquiétude de la pensée, à ce mal sublime, ce monstre divin que nous caressons, tandis qu'il nous dévore? Par quels charmes l'immense bibliothèque du moyen âge, longtemps oubliée sous la poussière et découverte d'hier seulement peut-elle nous attirer et nous plaire encore?

Le savant que nous consultons va nous répondre. Cette littérature oubliée, nous dira-t-il, demeure intéressante parce qu'elle est «l'expression naïve et surtout puissante des passions ardentes de la société féodale». Elle nous intéressera encore par la peinture «des relations nouvelles des deux sexes, telles qu'elles se formèrent sous l'influence du christianisme», et elle nous plaira par l'accent, inouï jusque-là, de la courtoisie. Enfin, nous goûterons, dans les oeuvres bourgeoises du XIIe siècle, «le bon sens, l'esprit, la malice, la bonhomie fine, la grâce légère», qui sont les qualités de la race, les dons que les fées de nos bois et de nos fontaines accordèrent à Jacques Bonhomme pour le consoler de tous ses maux.

Et M. Gaston Pâris conclut par ces belles paroles:

«En somme, le grand intérêt de cette littérature, ce qui en rend surtout l'étude attrayante et fructueuse, c'est qu'elle nous révèle mieux que tous les documents historiques l'état des moeurs, des idées, des sentiments de nos aïeux pendant une période qui ne fut ni sans éclat ni sans profit pour notre pays, et dans laquelle, pour la première fois et non pour la dernière, la France eut à l'égard des nations avoisinantes un rôle partout accepté d'initiation et de direction intellectuelle, littéraire et sociale.» (Page 32.)

Et le vieux chêne sous lequel je suis assis parle à son tour, et me dit:

—Lis, lis à mon ombre les chansons gothiques dont j'entendis jadis les refrains se mêler au bruissement de mon feuillage. L'âme de tes aïeux est dans ces chansons plus vieilles que moi-même. Connais ces aïeux obscurs, partage leurs joies et leurs douleurs passées. C'est ainsi, créature éphémère, que tu vivras de longs siècles en peu d'années. Sois pieux, vénère la terre de la patrie. N'en prends jamais une poignée dans ta main sans penser qu'elle est sacrée. Aime tous ces vieux parents dont la poussière mêlée à cette terre m'a nourri depuis des siècles, et dont l'esprit est passé en toi, leur Benjamin, l'enfant des meilleurs jours. Ne reproche aux ancêtres ni leur ignorance, ni la débilité de leur pensée, ni même les illusions de la peur qui les rendaient parfois cruels. Autant vaudrait te reprocher à toi-même d'avoir été un enfant. Sache qu'ils ont travaillé, souffert, espéré pour toi et que tu leur dois tout!

LEXIQUE[26]

[Note 26: Dictionnaire classique de M. Gazier.]

La pluie froide et tranquille, qui tombe lentement du ciel gris, frappe mes vitres à petits coups comme pour m'appeler; elle ne fait qu'un bruit léger et pourtant la chute de chaque goutte retentit tristement dans mon coeur. Tandis qu'assis au foyer, les pieds sur les chenets, je sèche à un feu de sarments la boue salubre du chemin et du sillon, la pluie monotone retient ma pensée dans une rêverie mélancolique, et je songe. Il faut partir. L'automne secoue sur les bois ses voiles humides. Cette nuit, les arbres sonores frémissaient aux premiers battements de ses ailes dans le ciel agité, et voici qu'une tristesse paisible est venue de l'occident avec la pluie et la brume. Tout est muet. Les feuilles jaunies tombent sans chanter dans les allées; les bêtes résignées se taisent; on n'entend que la pluie; et ce grand silence pèse sur mes lèvres et sur ma pensée. Je voudrais ne rien dire. Je n'ai qu'une idée, c'est qu'il faut partir. Oh! ce n'est pas l'ombre, la pluie et le froid qui me chassent. La campagne me plaît encore quand elle n'a plus de sourires. Je ne l'aime pas pour sa joie seulement. Je l'aime parce que je l'aime. Ceux que nous aimons nous sont-ils moins chers dans leur tristesse? Non, je quitte avec peine ces bois et ces vignes. J'ai beau me dire que je retrouverai à Paris la douce chaleur des foyers amis, les paroles élégantes des maîtres et toutes les images des arts dont s'orne la vie, je regrette la charmille où je me promenais en lisant des vers, le petit bois qui chantait au moindre vent, le grand chêne dans le pré où paissaient les vaches, les saules creux au bord d'un ruisseau, le chemin dans les vignes au bout duquel se levait la lune; je regrette ce maternel manteau de feuillage et de ciel dans lequel on endort si bien tous les maux.

D'ailleurs, j'ai toujours éprouvé à l'excès l'amertume des départs. Je sens trop bien que partir c'est mourir à quelque chose. Et qu'est-ce que la vie, sinon une suite de morts partielles? Il faut tout perdre, non point en une fois, mais à toute heure; il faut tout laisser en chemin. À chaque pas nous brisons un des liens invisibles qui nous attachent aux êtres et aux choses. N'est-ce pas là mourir incessamment? Hélas! cette condition est dure; mais c'est la condition humaine. Vais-je m'en affliger? Vais-je donner le spectacle de mes vaines tristesses? Resterai-je là, devant la cheminée, écoutant tomber la pluie, regardant les langues rapides du feu lécher les sarments et me désolant sans raison? Non pas! Je secouerai les vapeurs de l'automne. Je ferai avec application ma tâche du jour. Je vous parlerai de quelque livre; je vous entretiendrai de ces bonnes lettres qui sont la douceur et la noblesse de la vie. Les écoliers sont rentrés depuis une semaine déjà. Ils font des thèmes, des versions, des dissertations. Vieil écolier, je ferai comme eux ma page d'écriture. Et je n'entendrai plus la pluie me conseiller la paresse et le sommeil. Je trouve justement, abandonné sur la table, un petit livre dont l'aspect honnête et modeste inspire des idées de travail et de devoir. Sévèrement vêtu de percale noire et de papier chamois, il porte la livrée traditionnelle des livres classiques. C'est un livre de classe, en effet, un dictionnaire, le Nouveau Dictionnaire classique illustré de M. A. Gazier, maître de conférences à la faculté des lettres de Paris. Oublié là depuis huit jours par quelque écolier, il m'est plusieurs fois tombé sous la main et je l'ai feuilleté avec beaucoup d'intérêt.

C'est un livre nouveau, âgé de six mois à peine. La première édition porte la date de 1888. Mais je ne m'autorise pas, pour vous en parler, de cette nouveauté vaine et transitoire qu'accompagne souvent une irrémédiable caducité. Tant d'ouvrages naissent vieux! Il y a beaucoup de compilateurs dans l'Université comme ailleurs, beaucoup de petits Trublets qui se copient les uns les autres. L'originalité est peut-être plus rare et plus difficile en matière d'enseignement qu'en toute autre matière. L'ouvrage de M. Gazier est nouveau par le plan, par la structure, par l'esprit. Il est conçu et exécuté d'une façons originale. Il vaut donc bien qu'on en dise un mot. D'ailleurs, c'est un dictionnaire, et j'ai la folie de ces livres-là.

Baudelaire raconte qu'ayant, jeune et inconnu, demandé audience à
Théophile Gautier, le maître, en l'accueillant, lui fit cette question:

—Lisez-vous des dictionnaires?

Baudelaire répondit qu'il en lisait volontiers. Bien lui en prit, car Gautier qui avait dévoré les vocabulaires sans nombre des arts et des métiers, estimait indigne de vivre tout poète ou prosateur qui ne prend pas plaisir à lire les lexiques et les glossaires. Il aimait les mots et il en savait beaucoup. S'il fit compliment à Baudelaire, quelles louanges n'aurait-il pas décernées à notre ami M. José-Maria de Hérédia, l'excellent poète, qui déclare hautement qu'à son sens la lecture du dictionnaire de Jean Nicot procure plus d'agrément, de plaisir et d'émotion que celle de Trois mousquetaires! Voilà ce que c'est qu'une imagination d'artiste! Selon le coeur de M. José-Maria de Hérédia, la table alphabétique des pierres précieuses ou le catalogue du musée d'artillerie est le plus émouvant des romans d'aventures. Pour moi, qui y mets moins de finesse et qui ne trouve point d'ordinaire aux mots plus de sens que l'usage ne leur en donne, je me suis bien souvent surpris à faire l'école buissonnière dans quelque grand dictionnaire touffu comme une forêt, Furetière par exemple, ou le Trévoux ou bien encore notre bon Littré, si confus, mais si riche en exemples. Ah! c'est que les mots sont des images, c'est qu'un dictionnaire c'est l'univers par ordre alphabétique. À bien prendre les choses, le dictionnaire est le livre par excellence. Tous les autres livres sont dedans: il ne s'agit plus que de les en tirer. Aussi quelle fut la première occupation d'Adam quand il sortit des mains de Dieu? La Genèse nous dit qu'il nomma d'abord les animaux par leur nom. Avant tout, il fit un dictionnaire d'histoire naturelle. Il ne l'écrivit point parce qu'alors les arts n'étaient pas nés. Ils ne naquirent qu'avec le péché. Adam n'en est pas moins le père de la lexicographie comme de l'humanité. Il est étrange que l'antiquité et le moyen âge aient fait si peu de dictionnaires. La lexicographie, dans le sens rigoureux du mot, ne date guère que du XVIIe siècle. Mais depuis lors, que de progrès elle a faits et que de services elle a rendus! Toutes les langues mortes ou vivantes, toutes les sciences constituées, tous les arts ont maintenant leur vocabulaire. Ce sont là de magnifiques inventaires qui font honneur aux temps modernes. Je vous ai dit que j'aimais les dictionnaires. Je les aime non seulement pour leur grande utilité, mais aussi pour ce qu'ils ont en eux-mêmes de beau et de magnifique. Oui, de beau! oui, de magnifique! Voilà un dictionnaire français, celui de M. Gazier ou tout autre, songez que l'âme de notre patrie est dedans tout entière. Songez que, dans ces mille ou douze cents pages de petits signes, il y a le génie et la nature de la France, les idées, les joies, les travaux et les douleurs de nos aïeux et les nôtres, les monuments de la vie publique et de la vie domestique de tous ceux qui ont respiré l'air sacré, l'air si doux que nous respirons à notre tour; songez qu'à chaque mot du dictionnaire correspond une idée ou un sentiment qui, fut l'idée, le sentiment d'une innombrable multitude d'êtres; songez que tous ces mots réunis c'est l'oeuvre de chair, de sang et d'âme de la patrie et de l'humanité.

Une vieille chanson de geste raconte que la comtesse de Roussillon, fille du roi de France, vit du haut de sa tour une grande bataille que se livraient, pour sa dot, son père et son mari. La bataille fut sanglante et dura tout le jour. Quand tomba la nuit, la comtesse descendit seule de sa tour et s'en alla contempler les morts, «ses beaux chers morts couchés dans l'herbe et la rosée». Et la chanson de geste ajoute: «Elle voulait les baiser tous.» Eh bien, je sens aussi une tendresse profonde me monter au coeur devant tous ces mots de la langue française, devant cette armée de termes humbles ou superbes. Je les aime tous, ou du moins tous m'intéressent et je presse d'une main chaude et émue le petit livre qui les contient tous. Voilà pourquoi j'aime surtout les dictionnaires français.

Je vous disais que celui de M. Gazier est nouveau par le plan et par l'exécution. Il mêle au vocabulaire français des éléments d'encyclopédie générale. Il admet la terminologie scientifique, qui s'est considérablement étendue en peu d'années. Enfin, et c'est sa plus grande originalité, il contient des cartes et des figures. Je vois avec plaisir que l'Université commence à admettre l'enseignement par les estampes. De mon temps, je veux dire du temps où j'étais au collège, et ce n'est pas un temps bien ancien, les professeurs considéraient toutes les gravures indifféremment comme des objets de dissipation. Mon professeur de quatrième, entre autres, tenait pour une frivolité indigne d'un jeune humaniste le plus rapide regard jeté sur un portrait ou une estampe. Je me rappelle, non sans quelque rancune, qu'ayant surpris dans mes mains une vieille édition du Jardin des racines grecques, dont l'exemplaire relié en veau granit et à demi usé par quelque élève de M. Lancelot, de M. Lemaître ou de M. Hamon devait être sacré pour tout le monde, le cuistre le saisit, l'ouvrit rudement, puis déchira le frontispice qui représentait un enfant vêtu à l'antique ouvrant une grille seigneuriale de style Louis XIV et pénétrant dans un potager dessiné dans le goût de Le Nôtre, le jardin

    De ces racines nourrissantes
    Qui rendent les âmes savantes.

C'était là pourtant une innocente image, une naïve allégorie. Le dessin en était d'un bon style et la gravure assez ferme. Les solitaires de Port-Royal n'avaient pas craint d'en égayer un livre destiné aux élèves des Petites-Écoles. Un peu d'art n'alarmait pas leur austérité. Mais cet ornement profane, qu'avaient souffert les saints de la nouvelle Thébaïde, offensa mon barbacole ignare. Je le vois encore lacérant la jolie estampe de ses doigts lourds et crasseux, et c'est avec une sorte de joie vengeresse qu'après vingt-cinq ans je livre son stupide attentat à l'indignation des gens de goût.

La proscription des images était surtout fâcheuse dans les classes d'histoire. On ne se fait une idée un peu nette d'un peuple que par la vue des monuments qu'il a laissés. L'histoire figurée exerce sur l'imagination un charme puissant. Mais on nous enseignait la vie des peuples comme on l'enseignerait à des taupes. Les livres de M. Victor Duruy parurent vers ce temps. On y trouvait çà et là des costumes et des édifices. Ils firent révolution. Je vois avec plaisir qu'on a accompli de grands progrès dans ce sens. J'ai feuilleté l'an dernier une histoire grecque dont l'illustration m'a paru aussi riche que le permettaient le prix modique et le petit format du livre. Le texte de cette histoire est de M. Louis Ménard.

Appliquer l'illustration à la lexicographie est une idée très heureuse dont il faut féliciter M. A. Gazier. Il a mis dans son dictionnaire un millier de petites gravures qui complètent, au besoin, les définitions forcément trop sommaires et trop vagues. Ces petites gravures m'amusent et m'instruisent. Je crois qu'elles amuseront et instruiront les enfants, si toutefois ils ne sont ni plus sérieux ni plus savants que moi. Mais ce qui me paraît tout à fait ingénieux dans cette illustration, ce sont les figures d'ensemble. On trouve aux mots Navire, Église, Armure, Château, Squelette, Digestif (appareil), Locomotive, Chemin de fer, etc., etc., des représentations de ces divers ensembles avec le nom des parties qui les composent. Ainsi nous voyons au mot Église les positions respectives de la nef, du transept, du sanctuaire, des contreforts, des arcs-boutants, des pignons, du clocher avec ses clochetons et ses abat-son, etc. Les écoliers d'aujourd'hui sont heureux d'avoir des livres si commodes et si aimables.

LA PURETÉ DE M. ZOLA[27]

[Note 27: Le Rêve. Charpentier, édit. 1 vol. in-18]

Nous avons été avertis tout d'abord par une petite note officieuse, insérée dans plusieurs journaux, que le nouveau roman de M. Émile Zola était chaste et fait exprès pour «être mis entre les mains de toutes les femmes et même des jeunes filles». On en vantait la pudeur exceptionnelle et distinctive. Cette fois, disait la note, cette fois «le romancier a voulu une envolée en plein idéal, un coup d'aile dans ce que la poésie a de plus gracieux et de plus touchant». Et la note ne nous trompait pas. M. Zola a voulu l'envolée et le coup d'aile, et la poésie et la grâce touchante, et si, pour être poétique, gracieux et touchant, il suffisait de le vouloir, M. Zola serait certainement, à l'heure qu'il est, le plus touchant, le plus gracieux, le plus poétique, le plus ailé et le plus envolé des romanciers.

Certes, nous ne saurions que le louer de sa nouvelle profession. Il épouse la chasteté et nous donne ainsi le plus édifiant exemple. On peut seulement regretter qu'il célèbre avec trop de bruit et d'éclat cette mystique alliance.

Ne saurait-il donc être pudique sans le publier dans les journaux? Faut-il que le lis de saint Joseph devienne dans ses mains un instrument de réclame? Mais sans doute il voulait se cacher, et il n'a pas pu.

En vérité, la renommée est parfois importune. Il en est de M. Émile Zola comme de ce mari de la fable qui confessa un matin avoir pondu un oeuf et qui, le soir, en avait pondu cent, au dire des commères. L'auteur du Rêve confia un jour à son ombre son désir de quitter nos fanges et de voler en plein ciel, et le lendemain tous les Parisiens surent qu'il lui avait poussé des ailes. On les décrivait, on les mesurait; elles étaient blanches et semblables aux ailes des colombes. On criait au miracle. Des journalistes, peu tendres d'ordinaire, se sont émus de cette touchante merveille. «Voyez, disaient-ils, comme cette âme longtemps vautrée dans le fumier plane aisément dans l'azur. Désormais l'auteur du Rêve passe en pureté sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse et saint Louis de Gonzague. Il faut lui ouvrir à deux battants les salons littéraires et l'Académie française. Car Dieu l'a érigé en exemple aux gens du monde.»

Je préférerais pour mon goût une chasteté moins tapageuse. Au reste, j'avoue que la pureté de M. Zola me semble fort méritoire. Elle lui coûte cher: il l'a payée de tout son talent. On n'en trouve plus trace dans les trois cents pages du Rêve. Devant l'impalpable héroïne de ce récit nébuleux, je suis forcé de convenir que la Mouquette avait du bon. Et, s'il fallait absolument choisir, à M. Zola ailé je préférerais encore M. Zola à quatre pattes. Le naturel, voyez-vous, a un charme inimitable, et l'on ne saurait plaire si l'on n'est plus soi-même. Quand il ne force pas son talent, M. Zola est excellent. Il est sans rival pour peindre les blanchisseuses et les zingueurs. Je vous le dis tout bas: l'Assommoir a fait mes délices. J'ai lu dix fois avec une joie sans mélange les noces de Coupeau, le repas de l'oie et la première communion de Nana. Ce sont là des tableaux admirables, pleins de couleur, de mouvement et de vie. Mais un seul homme n'est pas apte à tout peindre. Le plus habile artiste ne peut comprendre, saisir, exprimer que ce qu'il a en commun avec ses modèles; ou pour mieux dire il ne peint jamais que lui-même. Certains, à vrai dire, tels que Shakespeare, ont représenté l'univers. C'est donc qu'ils avaient l'âme universelle. Sans offenser M. Zola, telle n'est point son âme. Pour vaste qu'elle est, les comptoirs de zinc et les fers à repasser y tiennent trop de place. C'est un bon peintre quand il copie ce qu'il voit. Son tort est de vouloir tout peindre. Il se fatigue et s'épuise dans une entreprise démesurée. On l'avait déjà averti qu'il tombait dans le chimérique et dans le faux. Peine perdue! Il se croit infaillible. Il a cessé depuis longtemps d'étudier le modèle. Il compose ses tableaux d'imagination sur quelques notes mal prises. Son ignorance du monde est prodigieuse, et comme il n'a pas de philosophie, il tombe à chaque instant dans l'absurde et dans le monstrueux. Ce chef de l'école naturaliste offense à tout moment la nature.

Cette fois-ci l'erreur est complète et on ne saurait imaginer un roman plus déraisonnable que le Rêve. C'est l'histoire d'une enfant trouvée, élevée à l'ombre d'une cathédrale par des chasubliers qui vivent avec une pieuse modestie dans une vieille maison héréditaire adossée à l'église. L'enfant se nomme Angélique et a été recueillie, un matin de neige, par les bons chasubliers, sous le porche de Saint-Agnès.

Elle devient une brodeuse mystique et retrouve les secrets des vieux maîtres brodeurs. Un jeune ouvrier verrier lui apparaît une fois, beau comme un saint Georges de vitrail. Elle reconnaît aussitôt celui qu'elle attendait, son rêve. Elle l'aime, elle est aimée de lui. Elle sait par avance qu'il est un prince. Son rêve ne l'avait point trompée: en effet, cet ouvrier verrier est Félicien VII de Hautecoeur, le fils de l'archevêque. Angélique et Félicien se fiancent l'un à l'autre. Mais monseigneur refuse son consentement. Les bons chasubliers, pour rompre un amour qui les effraye, disent à Félicien qu'Angélique ne l'aime plus et à Angélique que Félicien épouse une noble demoiselle. Angélique en meurt. Monseigneur vient lui-même lui donner l'extrême-onction. Puis, il la baise sur la bouche et prononce ces paroles qui sont la devise de sa famille: «Si Dieu veut, je veux.» Alors, Angélique se soulève sur son lit et reçoit Félicien dans ses bras. Elle renaît, elle épouse, dans la cathédrale, le jeune héritier des antiques Hautecoeur. Après la cérémonie, ayant mis sa bouche sur la bouche de Félicien, elle meurt dans ce baiser, et monseigneur, qui avait officié, retourne, dit l'auteur, «au néant divin».

M. Zola termine cette petite fable par une pensée profonde: «Tout n'est que rêve», dit-il. Et c'est, je crois, la seule réflexion philosophique qu'il ait jamais faite. Je n'y veux pas contredire. Je crois en effet que l'éternelle illusion nous berce et nous enveloppe et que la vie n'est qu'un songe. Mais j'ai peine à me figurer l'auteur de Pot-Bouille interrogeant avec anxiété le sourire de Maïa et jetant la sonde dans l'océan des apparences. Je ne me le représente pas célébrant, comme Porphyre, les silencieuses orgies de la métaphysique. Quand il dit que tout n'est que rêve, je crains qu'il ne pense qu'à son livre, lequel est en effet une grande rêverie.

On y parle beaucoup de sainte Agnès et de la légende dorée. C'est sous le portail de Sainte-Agnès qu'Angélique a été trouvée et c'est l'image de sainte Agnès, vêtue de la robe d'or de ses cheveux, qu'Angélique brode avant de mourir sur la mitre de monseigneur. J'ai quelque dévotion à sainte Agnès et je goûte si bien la légende de cette vierge que je vous la réciterai, si vous voulez, de mémoire, telle qu'elle a été écrite par Voragine:

«Agnès, vierge de grande sagesse, souffrit la mort dans sa treizième année, et elle trouva ainsi la vie. Si l'on ne comptait que ses années, elle était encore une enfant; mais elle avait la maturité de l'âge pour la prudence et le jugement. Belle de visage, plus belle de foi, comme elle revenait de l'école, le fils du proconsul l'aima et lui promit des pierres précieuses et des richesses sans nombre si elle consentait à devenir sa femme. Agnès lui répondit: «Éloigne-toi de moi, pasteur de mort, amorce de péché et aliment de félonie. Car il en est un autre que j'aime.» Et alors elle commença à louer son amant et divin époux…» Je vous conterais tout le reste, pour peu que vous m'en priiez, et surtout comment le gouverneur l'ayant fait mettre nue, ses cheveux s'allongèrent miraculeusement et lui firent une robe d'or. C'est là un conte charmant, et les légendes des vierges martyres, telles qu'elles fleurirent au XIIIe siècle, sont autant de joyaux dont il faut goûter à la fois la richesse éblouissante et la naïveté barbare. Ce sont les chefs-d'oeuvre d'une orfèvrerie enfantine et merveilleuse. Le bon peuple en resta longtemps ébloui et ce fut jusqu'au XVIe siècle la poésie des pauvres. Mais M. Zola se trompe fort s'il croit que la religion d'aujourd'hui en a gardé le moindre souvenir. Ces légendes gothiques, devenues suspectes aux théologiens, ne sont maintenant connues que des archéologues. En faisant vivre son Angélique dans ce petit monde poétique qui emplissait de joie et de fantaisie les têtes des paysannes au temps de Jeanne d'Arc, il a fait un étrange anachronisme. Il est vrai qu'il suppose que son héroïne a découvert elle-même toute cette féerie chrétienne dans un vieux livre du XVIe siècle. Mais cela même est bien invraisemblable.

En réalité, ce qu'apprend une petite fille élevée, comme Angélique, dans la piété, à l'odeur de l'encens, ce n'est point la légende dorée, ce sont les prières, l'ordinaire de la messe, le catéchisme; elle se confesse, elle communie. Cela est toute sa vie. Il est inconcevable que M. Zola ait oublié toutes ces pratiques. Pas une seule prière du matin ou du soir, pas une confession, pas une communion, pas une messe basse dans ce récit d'une enfance pieuse et d'une jeunesse mystique.

Aussi son livre n'est-il qu'un conte bleu sur lequel il n'est ni permis de réfléchir, ni possible de raisonner. Et ce conte bleu est bien longuement, bien lourdement écrit. J'en sais un autre que je préfère et que je vais vous dire. C'est le même, après tout, et il s'appelle aussi un Rêve. Il est d'un poète très ingénu et du plus aimable naturel, M. Gabriel Vicaire. Oui, le même conte, avec cette différence que c'est un jeune garçon et non une jeune fille qui fait le rêve, et que l'apparition, c'est non plus un fils d'évêque en saint Georges, mais une fille de roi avec sa quenouille:

    Vous me demandez qui je vois en rêve?
    Et gai, c'est vraiment la fille du roi;
    Elle ne veut pas d'autre ami que moi.
    Partons, joli coeur, la lune se lève.

    Sa robe, qui traîne, est en satin blanc,
    Son peigne est d'argent et de pierreries;
    La lune se lève au ras des prairies.
    Partons, joli coeur, je suis ton galant.

    Un grand manteau d'or couvre ses épaules,
    Et moi dont la veste est de vieux coutil!
    Partons, joli coeur, pour le Bois-Gentil.
    La lune se lève au-dessus des saules.

    Comme un enfant joue avec un oiseau,
    Elle tient ma vie entre ses mains blanches.
    La lune se lève au milieu des branches,
    Partons, joli coeur, et prends ton fuseau.

    Dieu merci, la chose est assez prouvée:
    Rien ne vaut l'amour pour être content.
    Ma mie est si belle, et je l'aime tant!
    Partons, joli coeur, la lune est levée.

Voilà le coup d'aile, voilà l'envolée, voilà la poésie, voilà le vrai rêve! Quant à celui de M. Zola, il est fort extravagant et fort plat en même temps. J'admire même qu'il soit si lourd en étant si plat.

LA TEMPÊTE

Les marionnettes de M. Henri Signoret viennent de nous donner la Tempête de Shakespeare. Il y a une heure à peine que la toile du petit théâtre est tombée sur le groupe harmonieux de Ferdinand et de Miranda. Je suis sous le charme et, comme dit Prospero, «je me ressens encore des illusions de cette île». L'aimable spectacle! Et qu'il est vrai que les choses exquises, quand elles sont naïves, sont deux fois exquises. M. Signoret se propose de faire jouer par ses petits acteurs les chefs-d'oeuvre, je dirai les saintes oeuvres de tous les théâtres. Hier, Aristophane; aujourd'hui, Shakespeare: demain, Kalidasa. Ses petits acteurs sont de bois comme les dieux que détestait Polyeucte. Mais Polyeucte était un fanatique; il n'entendait rien aux arts et il ignorait tout ce qu'un dieu de bois peut contenir de divin et d'adorable.

Pour moi, je me sens une sorte de piété mêlée à une espèce de tendresse pour les petits êtres, de bois et de carton, vêtus de laine ou de satin, qui viennent de passer sous mes yeux en faisant des gestes réglés par les Muses. Mon amitié pour les marionnettes est une vieille amitié. Je l'ai déjà exprimée ici l'an passé. J'ai dit que les acteurs de bois avaient, selon moi, beaucoup d'avantages sur les autres. Et je suis très flatté de voir que M. Paul Margueritte, qui a le goût fin, l'amour du rare, le sens du précieux, est aussi fort partisan des acteurs artificiels et minuscules. Il a fait, à propos du Petit-Théâtre, un éloge ingénieux des marionnettes.

«Elles sont, a-t-il dit, infatigables, toujours prêtes. Et tandis que le nom et le visage trop connus d'un comédien de chair et d'os imposent au public une obsession qui rend impossible ou très difficile l'illusion, les fantoches impersonnels, êtres de bois et de carton, possèdent une vie falote et mystérieuse. Leur allure de vérité surprend, inquiète. Dans leurs gestes essentiels tient l'expression complète des sentiments humains. On en eut la preuve aux représentations d'Aristophane. De vrais acteurs n'eussent point produit cet effet. Là le raccourci ajoutait à l'illusion. Ces masques de comédie antique, ces mouvements simples et rares, ces poses de statue donnaient au spectacle une grâce singulière.» Je n'aurais point si bien dit, mais j'ai senti de même. J'ajoute qu'il est très difficile aux actrices et surtout aux acteurs vivants de se rendre poétiques. Les marionnettes le sont naturellement: elles ont à la fois du style et de l'ingénuité. Ne sont-elles pas les soeurs des poupées et des statues? Voyez les marionnettes de la Tempête. La main qui les tailla leur imprima les caractères de l'idéal ou tragique ou comique.

M. Belloc, élève de Mercié, a modelé pour le Petit-Théâtre des têtes d'un grotesque puissant ou d'une pureté charmante. Sa Miranda a la grâce fine d'une figure de la première Renaissance italienne et le parfum des vierges de ce bienheureux XVe siècle qui fit refleurir pour la seconde fois la beauté dans le monde. Son Ariel rappelle, dans sa tunique de gaze lamée d'argent, les figurines de Tanagra, parce que sans doute l'élégance aérienne des formes appartient en propre au déclin de l'art hellénique.

Ces deux jolis fantoches parlaient par les voix pures de mesdemoiselles Paule Verne et Cécile Dorelle. Quant aux plus mâles acteurs du drame, Prospère, Galiban, Stephano, c'étaient des poètes tels que MM. Maurice Bouchor, Raoul Ponchon, Amédée Pigeon, Félix Rabbe, qui les faisaient parler. Sans compter Coquelin cadet, qui n'a point dédaigné de dire le prologue, ainsi que le gai rôle du bouffon Trinculo.

Les décors, certes, avaient aussi leur poésie. M. Lucien Doucet a représenté la grotte de Prospero avec cette grâce savante qui est un des caractères de son talent. Le bleu qui chantait dans ce tableau délicieux ajoutait une harmonie à la poésie de Shakespeare.

La traduction de la Tempête, que nous venons d'entendre, est de M. Maurice Bouchor. Elle m'a beaucoup plu et j'ai grande envie de la lire à loisir. Elle est en prose, mais d'une prose rythmée et imagée. Je ne puis que donner ce soir l'impression d'un moment. Au reste il y a quelque raison pour que cette version soit bonne. M. Bouchor est un poète, c'est un poète qui aime la poésie, disposition plus rare qu'on ne croit chez les poètes. C'est, de plus, un demi-Anglais, tout plein de Shakespeare. Il est, comme Shakespeare, fort insoucieux de la gloire et très sensible, dit-on, comme Shakespeare encore, aux honnêtes plaisirs de la table. Il fallait M. Bouchor pour nous donner quelque idée de ce style shakespearien que Carlyle a si bien nommé un style de fête.

On s'accorde à croire que la Tempête est la dernière en date des oeuvres de ce grand Will et celle qu'il donna pour ses adieux au théâtre avant de se retirer dans sa ville natale de Strafford-sur-Avon. Il approchait de ses cinquante ans, pensait avoir assez fait pour le public et désirait fort mener la vie de gentleman farmer. Il n'avait pas d'ambitions littéraires. On a cru voir dans la scène où Prospero congédie le subtil Ariel le symbole de Shakespeare renonçant aux prestiges de son art et de son génie.

Je ne sais. Mais il me semble que Shakespeare se souciait fort peu de son génie et ne songeait qu'à planter un mûrier dans son jardin. D'ailleurs on a tout vu, tout trouvé dans la Tempête, et on a eu raison. Il y a de tout dans cette oeuvre prodigieuse. C'est, si l'on veut, une pièce géographique du genre du Crocodile de M. Victorien Sardou, un Robinson mis sur la scène avant Robinson, pour un public curieux de voyages et navigation. Et, de fait, la Tempête traite des moeurs des sauvages telles qu'on les connaissait au temps d'Elisabeth.

C'est aussi une féerie, et la plus belle des féeries; c'est encore un traité de magie ou un symbole moral. C'est enfin une pièce politique, une étude sociale qui laisse bien loin, pour la justesse, l'étendue et la profondeur des vues, ces tragédies d'État dont on faisait grand cas dans notre XVIIe siècle français.

J'avoue qu'à cet égard le personnage de Caliban m'intéresse et m'inquiète beaucoup. M. Ernest Renan a bien compris que l'avenir est à Caliban. Ariel, entre nous, est fini; il n'aspire plus qu'au repos et à la liberté. Dieu me garde de médire d'un esprit si charmant. C'est un ministre accompli. Il exécute très habilement les ordres du souverain. Il opère les arrestations avec dextérité. Il s'empare des gens sans les molester. Il divise, il endort les ennemis de la constitution. Tous les ministres n'en sauraient faire autant. Il est très autoritaire avec des façons gracieuses. Ses dehors sont séduisants et il sait, quand il lui plaît, se changer en nymphe oréade. Ajoutez à cela qu'il se plonge dans les entrailles de la terre, même lorsqu'elle est durcie par la gelée. À ce trait on reconnaît un ingénieur des mines prompt à descendre dans les bennes et jaloux de payer de sa personne. Il a été ministre des travaux publics avant d'être ministre de l'intérieur, et il a su remplir parfaitement les fonctions les plus diverses. Il a l'esprit souple, rapide, agile et coulant; il se transforme sans cesse comme les nuages; c'est un vrai génie de l'air.

Mais finalement on ne sait s'il dirige ou s'il est dirigé. Il échappe sans cesse à Prospero, qui le trouve exquis, et qui pourtant finit par lui rendre sa liberté et l'éloigner définitivement des affaires. Enfin, Ariel appartient depuis trop longtemps à ce que nous appelons les classes dirigeantes.

Quant à Caliban, c'est une brute, et sa stupidité fait sa force. Ce «veau de lune», comme l'appelle Stefano, est le peuple et le peuple tout entier. Dans l'opposition, il est sans prix. Il a pour détruire d'étonnantes aptitudes. Il ne comprend rien; mais il sent, car il souffre. Il ne sait où il va; cependant, sa marche est lente et sûre; en rampant il s'élève insensiblement. Ce qui le rend redoutable, c'est qu'il a des instincts et peu d'intelligence. L'intelligence est sujette à l'erreur; l'instinct ne trompe jamais. Il a de grands besoins, tandis que l'exquis Ariel n'en a plus. C'est un animal, il est hideux, mais il est robuste. Il a voulu épouser la fille de son prince, la belle Miranda; il s'y est pris un peu trop vite et on ne la lui a pas donnée. Mais il est patient, il est entêté: un jour, il obtiendra une autre Miranda et il aura des enfants moins laids que lui. Il crée beaucoup de difficultés aux gouvernants. Il gémit, il menace, il murmure sans cesse. Il aime à changer de maître, mais il sert toujours. Prospero lui-même en convient. «Tel qu'il est, dit le duc, nous ne pouvons pas nous passer de lui. Il fait notre feu, il apporte notre bois et nous rend bien des services.» C'est là un aveu qu'il faut retenir et quand ensuite le prince donnera à Caliban les noms d'esclave abhorré, d'être capable de tout mal, d'ordure infecte, de vile essence, de graine de sorcière, on reconnaîtra que ce n'est point là le langage de la justice. Si, dans le conflit sans cesse ouvert entre le maître et l'esclave, le noble duc de Milan perd ainsi le sang-froid, exigera-t-on de la pauvre brute une modération parfaite et le sens de la mesure? Il faut pourtant rendre cette justice à Prospero qu'il s'est efforcé d'éclairer l'intelligence du malheureux Caliban. Il n'a rien épargné pour faire de la brute un homme et même un lettré. Peut-être n'a-t-il accompli cette tâche qu'avec trop de zèle et d'empressement. Prospero est lui-même un savant. C'est aussi un idéologue. À Milan, tandis qu'il étudie dans des bouquins l'art de gouverner, des conspirateurs lui enlèvent son duché et le relèguent dans une île déserte où il recommence ses expériences. Il vit dans les livres et proclame hautement que tel volume de sa bibliothèque est plus précieux qu'un duché. Il est aussi persuadé qu'aucun de nos hommes d'État républicains des avantages de l'instruction, en quoi il se prépare la déception que ceux-ci commencent à éprouver. Il envoie Caliban à l'école. Mais Caliban, qui n'est point fait pour goûter les joies pures de l'intelligence, veut être riche dès qu'il sait lire. À Prospero, qui lui vante les bienfaits de l'instruction, il répond tout net:

«Vous m'avez appris à parler, et le profit que j'en retire est de savoir comment maudire. La peste rouge vous tue pour m'avoir enseigné votre langage!»

À l'origine, les rapports entre Prospero, le gouvernant, et Caliban, le gouverné, n'étaient pas si tendus. Il y eut même une période de bonne entente et de sympathie. Caliban n'en a pas perdu la mémoire:

—«Cette île est à moi, dit-il au duc de Milan; elle est a moi de par Sycorax, ma mère. Dans les premiers temps de ton arrivée, tu me faisais bon accueil, tu me donnais des petites tapes d'amitié, tu me faisais boire de l'eau avec du jus de baie, tu m'apprenais comment il faut nommer la grosse lumière qui brûle pendant le jour et aussi la petite lumière qui brûle pendant la nuit; et alors, moi, je t'aimais et je te montrais toutes les ressources de l'île, les ruisseaux d'eau fraîche, les creux d'eau salée, les places stériles et les places fertiles. Que je sois maudit pour l'avoir fait! Que tous les charmes de ma mère, chauves-souris, escarbots et crapauds s'abattent sur vous! Car je compose à moi seul tous vos sujets, moi qui étais d'abord mon propre roi, et vous me donnez pour chenil un creux de ce dur rocher, pendant que vous me retenez le reste de l'île.»

On voit que le gouvernement de cette île est entré dans l'ère des difficultés et que la crise sociale y est fort aiguë. Caliban demande à Prospero tous les biens de ce monde, et Prospero, qui les lui a peut-être promis, est bien embarrassé de les lui donner. D'ailleurs, le fils de Sycorax est difficile à satisfaire; il veut tout et ne sait ce qu'il veut, et, quand on lui donne la chose qu'il a demandée, il ne la reconnaît pas.

Encore Prospero et Caliban arriveraient-ils parfois à s'entendre sans la question religieuse qui les divise constamment. Ils n'ont pas les mêmes dieux, et c'est là un grand sujet de discorde. Prospero, qui est un savant et un philosophe, se fait de l'univers une représentation purement rationnelle. Il n'interprète pas les phénomènes cosmiques à l'aide de la fantaisie et du sentiment. L'observation, l'expérience et la déduction sont ses seuls guides. Il ne croît qu'à la science, Caliban a une tout autre foi. Sa mère, Sycorax, était sorcière. Et c'est ce dont Ariel et Prospero ne veulent pas tenir compte. Elle adorait le dieu Sétébos, qui avait le corps peint de diverses couleurs, à ce que rapporte Eden dans son Histoire des voyages. Avec l'aide de ce dieu, Sycorax était puissante. Elle commandait à la lune; elle faisait à volonté le flux et le reflux des mers; elle composait des charmes efficaces avec des crapauds, des escarbots et des chauves-souris. Il est bien naturel que Caliban adore Sétébos. C'est un dieu taillé à coups de hache qui parle aux sens grossiers et à l'imagination simple du troglodyte. Puis, je ne crains point de le dire, il y a dans l'âme obscure de Caliban un secret besoin de poésie et d'idéal que Sétébos satisfait avec abondance. Songez que Sétébos est pittoresque et frappe le regard, planté comme un pieu et tout barbouillé de vermillon et d'azur.

Enfin, Prospero est-il absolument sûr que Sétébos ne soit pas le vrai dieu?

LA TRESSE BLONDE[28]

[Note 28: Par Gilbert-Augustin Thierry. Quantin, éditeur, in-18.]

J'ai un ami qui vit dans la solitude, sous les pommiers du Perche. C'est Florentin Loriot qu'il se nomme. Il a l'âme exquise et sauvage. Il lit peu et médite beaucoup, et toutes les idées qui entrent dans sa tête prennent un sens mystique. Peintre et poète, il découvre des symboles sous toutes les images de la nature. Il est à la fois le plus naïf et le plus ingénieux des hommes. Il croit tout ce qu'il veut et ne croit jamais rien de ce qu'il entend. Innocent, candide, prodigieusement entêté, il se ferait hacher pour une idée, et, s'il n'est pas martyr à cette heure, la faute en est uniquement à la douceur des moeurs contemporaines.

Quand il vient à Paris, où il ne fait que des séjours trop rares et trop courts, il apporte à ses amis, avec son sourire, des trésors de rêve et de pensée. Il arrive toujours au moment où on l'attend le moins et il est toujours le bienvenu. C'est une joie que de le voir entrer, son carton d'aquarelles sous le bras, ses poches bourrées de bouquins en lambeaux et de manuscrits illisibles, bienveillant, absent de tout, radieux, le regard perdu dans le vide.

—Asseyez-vous, Florentin Loriot, et donnez-nous de fraîches nouvelles de la Providence. Comment va l'Absolu, comment se porte l'Infini?

Et le voilà déroulant sa métaphysique. Oh! sa métaphysique, c'est un cahier d'images avec des légendes en vers. Mais Florentin Loriot est subtil et dispute habilement.

La dernière fois que j'eus le plaisir de le voir, il m'exposa ses théories sur le roman.

—Mon ami, me dit-il, faites du roman d'aventures; rien n'est beau que cela.

Il venait de découvrir les Mousquetaires, et cette découverte avait été suivie pour lui de quelques autres plus merveilleuses. Il m'en fit part avec une grâce dont je ne saurais pas même vous montrer l'ombre. Mais ce qu'il disait revenait en somme à ceci.

Le vieux Dumas faisait des contes, et il avait raison. Pour plaire et pour instruire, il n'est tel que les contes. Homère en faisait aussi. Nous avons changé cela et c'est notre tort. Les romanciers d'aujourd'hui se contentent d'observer des attitudes ou d'analyser des caractères. Mais les attitudes n'ont par elles-mêmes aucune signification et partant nul intérêt. Quant aux caractères, ils demeurent obscurs pour ceux qui s'obstinent à les étudier par le dedans. L'action seule les révèle. L'action, c'est tout l'homme. «Je vis, donc je dois agir,» s'écrie Homonculus dès qu'il sort de la cornue dans laquelle Wagner l'a fabriqué. Il n'y a point d'intérêt réel, il n'y a point même de vérité véritable à me montrer l'homme intérieur qui est incompréhensible. Replacez-le dans le monde, au sein de l'univers matériel et spirituel. Montrez-le aux prises avec sa destinée; montrez-nous Dieu partout (mon ami Florentin Loriot est spiritualiste et chrétien), agissez, agissez, agissez, jetez-nous dans de grandes affaires, non plus avec le matérialisme un peu enfantin du bon Dumas, mais selon les vues transcendantes du philosophe et du moraliste, et alors vous aurez créé le vrai, le grand roman d'aventures.

Voilà ce que mon ami Florentin Loriot a trouvé sous ses pommiers. Il veut des Mousquetaires, mais des Mousquetaires mystiques. Il aime les aventures, mais les aventures spirituelles.

Encore resterait-il à savoir si la plus grande des aventures humaines n'est pas la pensée. M. Stéphane Mallarmé a pris, dit-on, pour héros d'un drame de cape et d'épée un fakir qui n'a pas fait un seul mouvement depuis cinquante ans, mais dont le cerveau est le théâtre de vicissitudes incessantes. Je ne répondrais pas que, s'il lui fallait absolument choisir un héros, mon ami Florentin Loriot ne préférât au Porthos d'Alexandre Dumas père le fakir de M. Stéphane Mallarmé. En somme, et sans chicaner davantage, ce que veut Florentin Loriot, c'est que le roman cesse d'être naturaliste parce qu'être naturaliste c'est n'être rien. Ce qu'il demande c'est que le roman soit moral, qu'il procède d'une conception systématique du monde et soit l'expression concrète d'une philosophie.

C'est pourquoi je me propose de lui envoyer le nouveau roman de M. Gilbert-Augustin Thierry, la Tresse blonde. En effet, ce livre, conçu fortement et noblement écrit, fut inspiré, si j'en crois la préface, par un idéal qui n'est pas sans analogie avec l'idéal de mon ami, le philosophe du Perche.

«Désormais, dit M. Gilbert-Augustin Thierry, l'étude de l'homme (par le roman) doit poursuivre sa recherche beaucoup plus haut que l'homme, vers ces régions de l'infini dont nous sommes des atomes passionnels, mais atomes à l'agitation impuissante. Se haussant vers l'occulte, s'élevant jusqu'au grand inconnu, hardiment, le roman nouveau devra s'efforcer d'abord à pénétrer les abîmes réputés impénétrables, à percer les ténèbres dont l'absolu enveloppe son être: sa logique continue, sa justice immanente, sa morale implacable—les lois mêmes de son éternité. Vers le dieu inconnu!… poursuite malaisée, mais exploration nécessaire, puisque la déité cherchée, un Tout vivant et personnel, nous enveloppe et nous enlace—nous qui vivons en lui, nous qui ne sommes que par lui.»

Si ces choses sont obscures, en soi, et naturellement, l'idée de M. Thierry ne s'en dégage pas moins avec une suffisante clarté. Selon l'auteur de la Tresse blonde, l'action romanesque doit avoir pour ressort la fatalité. C'est peu que d'y montrer des hommes: les hommes ne sont rien; il faut y faire sentir les puissances inconnues qui forgent et martèlent nos destinées. Il faut créer, non seulement des êtres, mais encore des sorts. C'est le roman moral, c'est le roman philosophique, c'est le roman enfin comme l'entendait mon ami du pays des pommiers, avec cette différence que celui-ci pensait en chrétien et que M. Thierry incline vers une sorte de déterminisme mystique. Je signale ces théories parce qu'elles sont de nature à soulever une discussion intéressante au moment où l'on reconnaît généralement l'inanité du naturalisme qui n'est, en somme, que la négation de l'intelligence, de la raison et du sentiment.

Le naturalisme interdit à l'écrivain tout acte, intellectuel, toute manifestation morale; il mène droit à l'imbécillité flamboyante. C'est ainsi qu'il a produit la littérature dite décadente et symbolique. Son crime impardonnable est de tuer la pensée. Il est tombé, de non-sens en non-sens, jusqu'aux plus lamentables absurdités. Ses prétentions étaient de relever de la science et de procéder d'après la méthode expérimentale. Mais qui ne voit que la méthode expérimentale est absolument inapplicable à la littérature? Elle consiste à provoquer à volonté un phénomène dans des conditions déterminées. Or, il est clair qu'une telle méthode est hors de nos moyens.

Mais prenons, si vous voulez, le mot d'expérience dans un sens métaphorique, et admettons qu'il y ait, en art, une sorte de méthode idéalement expérimentale. Toute expérience suppose une hypothèse préalable que cette expérience a pour but de vérifier. Or le naturalisme, s'interdisant toute hypothèse, n'a aucune expérience à faire. Le chef de cette école littéraire, qui parle tant d'expériences, rappelle à cet égard un physiologiste for connu dans l'histoire des sciences; le bonhomme Magendie, qui expérimenta beaucoup sans aucun profit. Il redoutait les hypothèses comme des causes d'erreur. Bichat avait du génie, disait-il, et il s'est trompé. Magendie ne voulait pas avoir de génie, de peur de se tromper aussi. Or, il n'eut point de génie et ne se trompa jamais. Il ouvrait tous les jours des chiens et des lapins, mais sans aucune idée préconçue, et il n'y trouvait rien, pour la raison qu'il n'y cherchait rien. Cela, c'est le naturalisme dans l'ordre scientifique. Claude Bernard, qui succéda à Magendie, rendit ses droits à l'hypothèse. Il avait l'imagination grande et l'esprit juste. Il supposait les choses et les vérifiait ensuite, et il fit de vastes découvertes. Si l'hypothèse est nécessaire dans l'ordre scientifique, on ne croira pas qu'elle soit funeste dans l'ordre littéraire, et l'on permettra à M. Gilbert-Augustin Thierry de considérer, avec des idées préconçues, les fatalités de l'atavisme, la lutte pour la proie et même le conflit de la suggestion et de la responsabilité.

BRAVE FILLE[29]

[Note 29: Par M. Fernand Calmettes, Société d'éducation de la jeunesse, 1 vol. in-8°, figures.]

Il y a eu deux ans au mois d'août dernier, je traversais avec trois ou quatre amis, pieds nus, la baie de Somme à marée basse. Nous nous éloignions de ces hauts remparts de Saint-Valéry dont l'embrun a couvert les vieux grès d'une rouille dorée. Mais ce n'avait pas été sans nous retourner plusieurs fois pour voir l'église merveilleuse qui dresse sur ces remparts ses cinq pignons aigus percés, au XVe siècle, de grandes baies à ogives, son toit d'ardoises en forme de carène renversée et le coq de son clocher. Devant nous le sable blond de la baie s'étendait jusqu'à la pointe bleuâtre du Hourdel, où finit la terre, et jusqu'aux lignes basses de ce Crotoy, qui reçut Jeanne d'Arc prisonnière des Anglais. Au large, d'où soufflait le vent du nord, on apercevait une goélette norvégienne chargée sans doute de planches de sapin et de fer brut. Le soleil enflammait le bord des grands nuages sombres. L'infini rude et délicieux nous enveloppait et nous songions à des choses très simples. Puis, suivant la pente naturelle de mon esprit, j'en vins à ne plus penser à rien. Nous avancions lentement, traversant à gué les petits ruisseaux peuplés de crabes et de crevettes et sentant parfois sous nos pieds, dans le sable, le tranchant des coquillages brisés. Autour de nous, l'eau n'avait point de sourires et le vent n'avait point de caresses; mais des souffles salubres nous versaient dans la poitrine une joie paisible et l'oubli de la vie. Tout à coup, j'entendis mon nom jeté dans le vent comme un appel affectueux. J'en fus tout étonné. Il me paraissait inconcevable que quelqu'un se rappelât encore mon nom, alors que je l'avais moi-même oublié. Je ne me sentais plus distinct de la nature et ce simple appel me fit tressaillir. Il faut vous dire que je n'ai jamais été bien sûr d'exister; si, à certaines heures, j'incline à croire que je suis, j'en éprouve une sorte de stupeur et je me demande comment cela se fait.

Or, à ce moment-là réellement je n'étais pas, puisque je ne pensais pas. Je n'avais au plus qu'une existence virtuelle. La voix qui m'appelait se rapprocha et, m'étant tourné du côté d'où venait le son, je vis une espèce de marin coiffé d'un béret bleu, serré dans un tricot de laine, qui s'élançait vers moi à grandes enjambées, les pantalons relevés au-dessus du genou, et faisant danser sur son dos une paire de souliers ferrés qu'il portait en sautoir. Son visage était bronzé comme celui d'un vieux pilote. Il me tendit une main large, mais trop douce pour avoir beaucoup pris de ris et longtemps tiré sur le cordage.

—Tu ne me reconnais pas? me dit-il.

Si, je le reconnaissais, mon excellent ami Fernand Calmettes, le témoin de ces années de jeunesse dont le goût fut tant de fois amer et dont le parfum reste si doux dans le souvenir! Heureux que nous étions alors! Nous n'avions rien et nous attendions tout. Si, je le reconnaissais, mon vieux compagnon d'armes! Oui, compagnon d'armes, car, en 1870, nous avons fait la guerre ensemble, Fernand Calmettes et moi, comme simples soldats, dans un régiment de la garde nationale mobilisée, sous les ordres du brave capitaine Chalamel. Portant côte à côte le képi à passepoil rouge et la vareuse à boutons de cuivre, nous défendions Paris de notre mieux, mais je dois convenir que nous étions des soldats d'une espèce particulière. Il me souvient que, pendant la bataille du 2 décembre, placés en réserve sous le fort de la Faisanderie, nous lisions le Silène de Virgile, au bruit des obus qui tombaient devant nous dans la Marne. Tandis qu'à l'horizon de la campagne grise et nue les batteries prussiennes faisaient traîner des flocons blancs au-dessus des collines, tous deux, assis sur la berge, près des fusils en faisceaux, nos fronts penchés sur un petit Virgile de Bliss, que j'ai encore et qui m'est cher, nous commentions cette genèse que le poète, par un délicieux caprice, enchâssa dans une idylle. «Il chante comment dans le vide immense furent condensées les germes de la terre, de l'air, des mers et aussi du feu subtil; comme de ces principes sortirent toutes choses et se consolida le tendre globe du monde, etc., etc.» Fernand Calmettes sortait alors de l'École des chartes, où il avait soutenu une thèse sur les manuscrits de Tacite.

La soutenance de cette thèse avait été signalée par une altercation assez vive entre M. Quicherat, qui présidait la séance, et l'archiviste candidat, au sujet de la transcription des noms propres latins en français. L'élève tenait pour une méthode fixe; il voulait, comme M. Leconte de Lisle, que tous les noms fussent transcrits lettre pour lettre, en respectant la désinence étrangère, Roma, Tacitus, Tiberis.

Le maître défendait la transmission orale, fondée sur les lois de l'accentuation. Rome, Tacite, Tibre. L'élève demanda alors à M. Quicherat si, pour observer ces mêmes lois, il dirait Quinte Fabre Favre au lieu de Quintus Fabius Faber. M. Quicherat allégua l'usage et se fâcha tout rouge. Fernand Calmettes éprouva ce jour-là qu'il est parfois dangereux d'avoir raison. Mais il ne profita pas de la leçon; c'est un esprit logique, qui ne connaîtra jamais l'art charmant d'avoir tort à point et quand il faut. C'est pourtant là une grâce irrésistible, Le monde ne donne raison qu'à ceux qui ont quelquefois tort. Quand je le connus, en 1868, Fernand Calmettes, s'occupait d'épigraphie et de numismatique, et copiait des chartes par les belles nuits d'été. C'était un grand archéologue de vingt ans; mais un archéologue tout à fait singulier, car il avait des idées générales et une merveilleuse abondance de méthodes philosophiques. Il m'en a même donné deux ou trois qui m'ont été fort utiles.

Je n'ai jamais connu un constructeur qui fît tant d'échafaudages. Ce n'est pas tout. Cet archéologue n'aimait pas l'archéologie, et il ne tarda pas à la prendre en horreur. Il y excellait pourtant, et si les travaux épigraphiques qu'il a écrits étaient signés de son nom, il serait aujourd'hui de l'Institut. C'est une question de savoir s'il s'y plairait, car il aime terriblement le grand air. Il a l'âme rustique. En 1870, pendant nos longues factions sous les armes, il se prit de goût pour la peinture et il se mit à dessiner avec cette ardeur patiente et cette imagination méthodique qui sont le fond de sa nature. Depuis lors, il est devenu le peintre qu'on sait et dont on estime le talent énergique, sincère et pensif.

Quand il me serra la main dans cette belle baie de Somme, si je le reconnaissais sous le hâle et l'embrun, mon vieil ami Fernand Calmettes! J'appris de lui qu'il était installé tout proche dans un de ces villages de la côte où le vent chasse tant de sable qu'on enfonce dans les rues jusqu'aux genoux. Il venait là passer chaque année quatre ou cinq mois et, par un instinct d'harmonie, il s'était fait semblable aux marins parmi lesquels il vivait et dont il aimait la simplicité grave et la grandeur naïve. Il ressentait une sympathie de peintre et de poète pour ces simples qui n'ont, dans le combat de la vie, d'autres armes que leur filet, ces grands enfants qui connaissent les ruses des poissons et ne connaissent point celles des hommes. Il se sentait bien auprès de ces braves gens que la vie use comme le temps use les pierres, sans toucher au coeur, et que la vieillesse même ne rend point avares.

M. Fernand Calmettes rapporta de la baie de Somme et des plages grises du Vimeu des études, des notes, des souvenirs dont il a tiré depuis quelques beaux tableaux et un livre, un roman que j'ai reçu hier et qui m'a fait songer à tout ce que je viens de vous dire, un roman sur les pêcheurs, un récit tracé pour les jeunes filles avec une innocente ardeur. Ce livre est illustré: je n'ai pas besoin de dire que les dessins sont de M. Calmettes lui-même. Ils plaisent par un style simple et grand. Le texte aussi a de la grandeur vraie et de la belle simplicité.

On trouve parmi les débris attribués à la poétesse Sappho une épigramme funéraire dans le goût des plus anciens poèmes de ce genre que nous ait conservé l'Anthologie. C'est, en deux vers, une mâle élégie dont voici le sens, rendu aussi exactement que possible:

«Ici est le tombeau du pêcheur Pélagôn. On y a gravé une nasse et un filet, monuments d'une dure vie.»

Il faudrait tracer ces deux vers sur le frontispice du livre de M. Fernand Calmettes. Ce livre, intitulé Brave Fille, est l'histoire d'une jeune orpheline, Élise, en qui revivent les vertus héréditaires des pauvres pêcheurs qui gagnent leur vie au péril de la mer. Elle a le coeur robuste et pieux. Elle est née avec l'amour de ce terrible Océan qui lui a pris son père. Comme le vieux pilote que M. Jean Richepin fait si bien parler dans le Flibustier, elle méprise la terre et les terriens et pense que les rivières, ce n'est que de l'eau pâle, ingrate et fade, cette eau qui passe et ne revient pas. Voyez-la, la brave fille, sur la route de Saint-Valéry, qui se déroule toute poudreuse entre deux rangées d'arbres tordus par le souffle de l'ouest…

Cinq lieues sur cette route morne. Élise en avait le coeur plus malade que les jambes. Elle ne s'intéressait guère à la campagne. Tout s'y rapetisse et s'y rétrécit. On n'y peut entrevoir que des coins de ciel, on n'y respire qu'une brise concentrée. Des horizons qu'on toucherait de la main; une terre si dure à manier, si avare, que, pour lui arracher ses richesses, on est réduit à se la partager par petits carrés, et l'on y épuise sa vie à tracer des sillons longs d'une encâblure à peine. Qu'est-ce auprès de la mer, la grande mer? Elle vous ouvre les poumons, celle-là, avec son souffle que rien n'arrête, et l'on met, à la sillager de nord en sud, moins de temps qu'il n'en faudrait pour labourer un champ pas plus vaste qu'un port.

C'est la vie large et généreuse qui vous ranime tous les sens à la fois et vous nourrit des forces vierges de la nature. Élise avait hâte de la revoir, cette mer, aussi belle dans ses colères que dans ses caresses, cette mer qui l'avait faite courageuse et forte.

Élise a une tâche, qu'elle saura accomplir. Avant de céder à l'amour permis, elle devra tirer du fond de la mer le corps de son père et l'ensevelir. C'est son père lui-même qui lui apparaît pour lui donner cet ordre. Vous êtes libre d'ailleurs de croire que le fantôme du pauvre pêcheur n'a pas plus de réalité objective que le spectre de Banquo, et qu'il est le produit d'une hallucination généreuse. Quand elle vit son père revenu du fond de la mer où il était couché depuis plusieurs mois, Élise ne dormait pas.

Non, elle ne dormait pas. À la lueur douce de la lune, elle reconnut distinctement, l'un après l'autre, les objets familiers, tels qu'elle les avait retrouvés tout à l'heure à son retour; le petit lit en armoire, sous l'escalier du grenier; le grand buffet où scintille sous un globe le bouquet de mariage de la mère, une rose énorme feuilletée d'or; puis, de chaque côté, les deux flambeaux d'étain, puis les filets, les engins de pêche, suspendus partout, aux murs, aux poutres du plafond. Tous ces vieux compagnons de sa vie d'autrefois, elle les tenait là sous les yeux, dans leur forme précise, matérielle, avec leurs contours et leurs couleurs.

Elle ne dormait pas et cependant elle ne pouvait se tourner vers la porte sans retrouver en face d'elle un visage triste et doux, à l'oeil clair, aux rides bonnes.

—Père, que me voulez-vous?

Pour la première fois, depuis qu'elle l'avait perdu, Élise revoyait vraiment son père, tel qu'il était en son vivant, avec le gros bonnet de loutre, le foulard rouge et le maillot brun. Il la grondait doucement de l'abandonner, lui, le père, au fond des sables, de n'avoir pas tenté l'impossible auprès des autorités maritimes, pour demander, comme cela s'obtient parfois, qu'on draguât la place, qu'on arrachât à l'abîme des fonds les corps, qui ne peuvent connaître le repos en dehors de la terre aimée….

—Père, je vous le jure, je ne prendrai de repos que je ne vous aie enterré aux côtés de la mère.

Elle réussit à l'enterrer aux côtés de la mère. C'était presque impossible. Mais que ne peuvent le courage, et l'amour? J'ai cité deux passages de ce livre pour me dispenser de vanter un vieil ami. On jugera que ces citations portent leurs louanges en elles-mêmes.

M. Fernand Calmettes a, pour nous représenter ces pêcheurs, l'oeil d'un peintre et l'âme d'un poète, aussi a-t-il exprimé les formes et les âmes. Une seule faculté des marins n'est pas exactement rendue dans son livre, la faculté religieuse. On, n'y rencontre le culte catholique sous aucune forme précise et, chose étrange, le nom de Dieu n'y est même pas prononcé.

J'ai demandé les raisons de cette singularité et je les ai apprises; elles sont trop intéressantes pour que je ne les révèle pas ici. C'est l'éditeur du livre, c'est le libraire qui n'a point souffert que le nom de Dieu figurât une seule fois dans le texte, donnant pour motif qu'il publiait des livres destinés à être donnés en prix dans les écoles.

Les idées philosophiques et religieuses de cette maison de librairie, fort honorable d'ailleurs, importeraient peu, mais elle est patronnée par certains hommes politiques qui répudieraient ses livres s'il y était fait allusion à un culte, à un idéal religieux quelconque. Voilà où nous en sommes! Voilà la largeur d'idées, l'ouverture d'esprit de nos radicaux. Voilà comment ils entendent la tolérance, la liberté intellectuelle, le respect des consciences. Voilà les inspirations libérales de l'Hôtel de Ville! Je ne suis pas suspect de trop de foi, et ceux qui me font l'honneur de me lire savent que je ne défends ici que la liberté des âmes et la paix des coeurs. Mais, en vérité, cette proscription de l'idéal de tant de personnes respectables, cette guerre au dieu des femmes et des enfants, au dieu consolateur des affligés, est quelque chose de bien méchant et de bien maladroit. Je regrette vivement que le livre de M. Fernand Calmettes ait subi l'affront d'une si stupide censure. Je le regretterais plus encore si l'auteur n'avait compensé, en quelque sorte, par son idéalisme supérieur les mutilations dont il eut à souffrir de la part des sectaires. Une sorte de mysticisme naturaliste règne dans son oeuvre et se substitue ingénieusement au culte plus traditionnel que professent en réalité les pêcheurs de nos côtes.

M. Fernand Calmettes élève à la hauteur d'une religion les sentiments de famille, la piété de coeur. Dans son livre, le ciel est toujours visible; il inspire tous les êtres, les illumine de sa clarté radieuse ou les enveloppe de sa mélancolie sereine. Cela est excellent, mais ce n'est pas ainsi que les pêcheurs de Saint-Valéry conçoivent l'idéal divin[30].

[Note 30: J'apprends avec plaisir que, dans une nouvelle édition, M.
Fernand Calmettes rétablit intégralement le texte de son manuscrit.]

HISTOIRE DU PEUPLE D'ISRAËL[31]

[Note 31: Par M. Ernest Renan, in-8°, Calmann Lévy, édit., t. II.]

Faut-il essayer de vous rendre l'impression que j'ai éprouvée en lisant ce deuxième volume de l'Histoire d'Israël? Faut-il vous montrer l'état de mon âme quand je songeais entre les pages? C'est un genre de critique pour lequel, vous le savez, je n'ai que trop de penchant. Presque toujours, quand j'ai dit ce que j'ai senti, je ne sais plus que dire et tout mon art est de griffonner sur les marges des livres. Un feuillet que je tourne est comme un flambeau qu'on m'apporte et autour duquel aussitôt vingt papillons sortis de ma tête se mettent à danser. Ces papillons sont des indiscrets, mais qu'y faire? Quand je les chasse, il en revient d'autres. Et c'est tout un choeur de petits êtres ailés qui, dorés et blonds comme le jour, ou bleus et sombres comme la nuit, tous frêles, tous légers, mais infatigables, voltigent à l'envi et semblent murmurer du battement de leurs ailes: «Nous sommes de petites Psychés; ami, ne nous chasse pas d'un geste trop brusque. Un esprit immortel anime nos formes éphémères. Vois: nous cherchons Éros, Éros qu'on ne trouve jamais, Éros, le grand secret de la vie et de la mort.» Et, en définitive, c'est toujours quelqu'une de ces petites Psychés-là qui me fait mon article. Elle s'y prend, Dieu sait comment! Mais, sans elle, je ferais pis encore.

En ce moment, alors que je lis, dans le beau livre de M. Renan, les règnes de David et de Salomon, le schisme des tribus, la victoire des prophètes, l'agonie et la mort du royaume d'Israël, alors qu'avec sa science de linguiste et d'archéologue, les souvenirs de ses voyages et surtout un sens divinateur des choses très anciennes, l'historien retrouve et me montre le pasteur nomade qui voit partout des Elohim dans les mirages du désert et quelquefois lutte toute une nuit avec l'un de ces êtres mystérieux; restitue le Temple de Salomon, son pylône de style égyptien, ses deux colonnes d'airain à chapiteaux de gerbes de lotus, ses cheroubim d'or monstrueux comme les sphinx de Memphis et comme les taureaux à face humaine de Khorsabad et tout à l'entour, dressé sur les collines ou caché sous les bocages, l'impur hiérodule des temples phéniciens; suit enfin à travers les siècles l'évolution du sentiment religieux chez ce peuple singulier qui passa de l'adoration d'un dieu jaloux et féroce au culte de cette providence divine dont il a finalement imposé l'idéal au monde,—pendant toute cette lecture attachante et forte qui m'intéresse, parce qu'elle est savante et qui m'enchante pour ce qu'elle contient d'art exquis, savez-vous ce que font mes bestioles aux ailes toujours agitées, mes petites Psychés anxieuses? Elles me montrent ma vieille Bible en estampes, la bible que ma mère m'avait donnée et qu'enfant je dévorais des yeux avant même de savoir lire.

C'était une bonne vieille Bible. Elle datait du commencement du XVIIe siècle; les dessins étaient d'un artiste hollandais qui avait représenté le paradis terrestre sous l'aspect d'un paysage des environs d'Amsterdam. Les animaux qu'on y voyait, tous domestiques, donnaient l'idée d'une ferme et d'une basse-cour très bien tenues. C'étaient des boeufs, des moutons, des lapins et un beau cheval brabançon, bien tondu, bien pansé, tout prêt à être attelé au carrosse d'un bourgmestre. Je ne parle pas d'Eve, en qui éclatait la beauté flamande; c'étaient là des trésors perdus. L'arche de Noé m'intéressait davantage. J'en vois encore la coque ample et ronde, surmontée d'une cabane en planches. O merveille de la tradition! j'avais parmi mes joujoux une arche de Noé exactement semblable, peinte en rouge, avec tous les animaux par couple et Noé et ses enfants faits au tour. Ce m'était une grande preuve de la vérité des Écritures. Teste David cum Sibylla. À dater de la tour de Babel, les personnages de ma Bible étaient richement habillés, selon leur condition, les guerriers à l'exemple des Romains de la colonne Trajane, les princes avec des turbans, les femmes comme les femmes de Rubens, les bergers en façon de brigands et les anges à la mode de ceux des jésuites. Les tentes des soldats ressemblaient aux riches pavillons qu'on voit dans les tapisseries; les palais étaient imités de ceux de la Renaissance, l'artiste n'ayant pas imaginé qu'on pût rien représenter de plus vieux en ce genre. Il y avait des nymphes de Jean Goujon dans la fontaine où se baignait Bethsabé. C'est pourquoi ces images me donnaient l'idée d'une antiquité profonde. Je doutais que mon grand-père lui-même, bien qu'il eût été blessé à Waterloo, en souvenir de quoi il portait toujours un bouquet de violettes à sa boutonnière, eût pu connaître la tour de Babel et les bains de Bethsabé. Oh! ma vieille Bible en figures, quelles délices j'éprouvais à la feuilleter le soir quand mes prunelles nageaient à demi déjà dans les ondes ravissantes du sommeil enfantin! Comme j'y voyais Dieu en barbe blanche! Ce qui est peut-être après tout la seule façon de le voir réellement. Comme je croyais en lui!

Je le trouvais, entre nous, un peu bizarre, violent et colère; mais je ne lui demandais pas compte de ses actions: j'étais habitué à voir les grandes personnes agir d'une façon incompréhensible. Et puis j'avais alors une philosophie: je croyais à l'infaillibilité universelle des hommes et des choses. J'étais persuadé que tout était raisonnable dans le monde et qu'une aussi vaste chose était conduite sérieusement. C'est une sagesse que j'ai laissée avec ma vieille Bible. Quels regrets n'en ai-je pas! Songez donc! Être soi-même tout petit et pouvoir atteindre le bout du monde après une bonne promenade! Croire qu'on a le secret de l'univers dans un vieux livre, sous la lampe, le soir, quand la chambre est chaude. N'être troublé par rien et pourtant rêver! car je rêvais alors et tous les personnages de ma vieille bible venaient, dès que j'étais couché, défiler devant mon petit lit à galerie. Oui, les rois portant le sceptre et la couronne, les prophètes à longues barbes, drapés sous un éternel coup de vent, passaient dans mon sommeil avec une majesté mêlée de bonhomie. Après le défilé, ils s'allaient ranger d'eux-mêmes dans une boîte de joujoux de Nuremberg. C'est la première idée que je me suis faite de David et d'Isaïe.

Tous nous l'avons eue plus ou moins; tous nous avons feuilleté, autrefois, une vieille Bible en estampes. Tous nous nous sommes fait de l'origine du monde et des choses une idée simple, enfantine et naïve. Il y a quelque chose d'émouvant, ce me semble, à rapprocher cette idée puérile de la réalité telle que la science nous la fait toucher. À mesure que notre intelligence prend possession d'elle-même et de l'univers, le passé recule indéfiniment et nous reconnaissons qu'il nous est interdit d'atteindre aux commencements de l'homme et de la vie. Si avant que nous remontons les temps, des perspectives nouvelles, des profondeurs inattendues s'ouvrent sans cesse devant nous; nous sentons qu'un abîme est au delà. Nous voyons le trou noir et l'effroi gagne les plus hardis. Ce berger nomade qu'on nous montre entouré, dans la nuit du désert, des ombres des Elohim, il était le fils d'une humanité déjà vieille et, pour ainsi dire, aussi éloignée que la nôtre du commun berceau. C'en est fait. L'homme moderne, lui aussi, a déchiré sa vieille Bible en estampes. Lui aussi, il a laissé au fond d'une boîte de Nuremberg les dix ou douze patriarches qui, en se donnant la main, formaient une chaîne qui allait jusqu'à la création. Ce n'est pas d'aujourd'hui, on le sait, que l'exégèse a trouvé le sens véritable de la Bible hébraïque. Les vieux textes sur lesquels reposait une croyance tant de fois séculaire subissent depuis cent ans, deux cents ans même le libre examen de la science. Je suis incapable d'indiquer précisément la part qui revient à M. Renan dans la critique biblique. Mais ce qui lui appartient, j'en suis sûr, c'est l'art avec lequel il anime le passé lointain, c'est l'intelligence qu'il nous donne de l'antique Orient dont il connaît si bien le sol et les races, c'est son talent de peindre les paysages et les figures, c'est sa finesse à discerner, à défaut de certitudes, le probable et le possible, c'est enfin son don particulier de plaire, de charmer, de séduire. Dans son nouvel ouvrage, si le style n'a pas la suavité abondante qui font des Origines du Christianisme une lecture délicieuse, on y trouve, par contre, une bonhomie, un naturel et comme un air parlé dont ce grand écrivain n'avait pas encore donné d'exemple aussi sensible. Ceux qui ont le bonheur de l'avoir entendu lui-même croient, en le lisant cette fois, l'entendre encore. C'est lui, son accent, son geste. En fermant le livre, je suis tenté de dire, comme les pèlerins d'Emmaüs: «Nous venons de le voir. Il était à cette table.» Dans ce livre, une chose, entre autres, lui est tout à fait particulière et rappelle ses conversations, c'est le goût qu'il montre pour les rapprochements historiques. À tel endroit, pour mieux faire comprendre l'esprit du vieux chef nomade, il parlera d'Abd-el-Kader; à tel autre, il comparera David au négus d'Abyssinie. Parfois, les rencontres sont plus inattendues; il nous dit, par exemple, que Notre-Dame-de-Lorette peut nous donner une idée assez approchante du temple de Salomon.

Il a des familiarités charmantes, comme quand, parlant d'Iahvé, du terrible Iahvé, il l'appella «une créature de l'esprit le plus borné». Voici d'ailleurs tout le passage:

«Nul sentiment moral chez Iahvé, tel que David le connaît et l'adore. Ce dieu capricieux est le favoritisme même; sa fidélité est toute matérielle; il est à cheval sur son droit jusqu'à l'absurde. Il se monte contre les gens, sans qu'on sache pourquoi. Alors on lui fait humer la fumée d'un sacrifice et sa colère s'apaise. Quand on a juré par lui des choses abominables, il tient à ce qu'on exécute le hérem. C'est une créature de l'esprit le plus borné; il se plaît aux supplices immérités. Quoique le rite des sacrifices humains fût antipathique à Israël, Iahvé se plaisait quelquefois à ces spectacles. Le supplice des Saülides, à Gibéa, est un vrai sacrifice humain de sept personnes, accompli devant Iahvé, pour l'apaiser. Les «guerres de Iahvé» finissent toutes par d'affreux massacres en l'honneur de ce dieu cruel.»

Où donc est mon vieux recueil d'images saintes, dans lesquelles ce même
Iahvé se promenait avec tant de majesté à travers une prairie de
Hollande, au milieu de moutons blancs, de petits cochons d'Inde et de
chevaux du Brabant?

L'ÉLOQUENCE DE LA TRIBUNE[32].

LE SÉNAT

[Note 32: Ceci a été écrit à propos du discours prononcé par M.
Challemel-Lacour au Sénat, dans la séance du 10 décembre 1888.]

M. Challemel-Lacour a prononcé mardi un discours qui retentit encore dans toutes les âmes sensibles à l'éloquence. Il y a beaucoup de ces âmes-là en France; nous aimerons toujours les mortels heureux dont les lèvres tendent jusqu'à nos oreilles ces chaînes d'or dont parlent les légendes gauloises; nous nous laisserons toujours conduire par l'éloquence. Ne serait-il pas à propos de considérer, au point de vue de l'art, de l'art seul, trois ou quatre de nos orateurs politiques, en les prenant dans le Sénat, si vous voulez bien, et en commençant par M. Challemel-Lacour lui-même? À l'exemple du vieux Cormenin, nous pourrions essayer d'esquisser un portrait. Le peintre aurait, pour racheter sa faiblesse, l'avantage d'avoir étudié son modèle.

L'attitude est d'une raideur majestueuse. Le geste sobre; la voix grave, sonore dans son médiocre volume. L'haleine, un peu courte, est si bien ménagée qu'elle suffit aux plus longues périodes. Quant à la phrase, elle est ample et se déroule avec une sévère magnificence. Par le calme de la tenue, par l'art de la diction, par le goût pur de la forme, cet orateur rappelle tout ce que nous imaginons de l'éloquence antique. Il parle, et l'on croit voir les abeilles de l'Hymette voltiger autour de sa barbe d'argent.

Il a l'esprit méditatif, et tout ce qu'il dit est empreint d'un caractère de sagesse. Je n'ai pas besoin de dire que j'entends ici par sagesse la disposition d'un esprit enclin à rechercher les causes et à suivre à travers les faits l'enchaînement des idées. M. Challemel-Lacour est philosophe. De là, une sorte de tristesse grave répandue sur toutes ses paroles. Il n'y a pas de philosophie gaie, et la sienne est particulièrement triste. Ce sage est frappé de l'écoulement universel des choses et de l'instabilité qui est la condition nécessaire de la vie. L'idée du mal universel ne le quitte jamais, et il porte une sorte de pessimisme stoïque jusque dans les débats parlementaires. On le sentait bien mercredi quand il prononçait ce discours, d'un art achevé. On le sentait mieux encore quand, en 1883, il prenait la parole à la même tribune comme ministre des affaires étrangères. Sa philosophie dominait sa politique; il semblait plus persuadé de la malignité des hommes et des choses que du succès de ses propres négociations. Il est de ceux qui ont laissé l'espérance, et sa parole en garde un goût amer. Son éloquence est terriblement sincère. Elle trahit un orgueil stoïque qu'on croyait mort avec l'antique Brutus. M. Challemel-Lacour nous montre sans cesse sa raison debout sur les ruines du monde et semble dire: «Qu'importe que l'univers s'abîme, si moi je demeure ferme dans ma sagesse!» Non! La philosophie n'est jamais gaie. Et il faut dire aussi: La foi n'est jamais triste.

Voyez M. Chesnelong qui siège au Sénat sur les bancs de l'extrême droite. Ce n'est pas un philosophe. Au contraire, c'est un croyant. Tout respire en lui la foi la plus ardente. Son éloquence a les transports de l'éloquence sacrée. Elle garde même, dans les questions financières, le zèle pieux de l'apostolat. M. Chesnelong n'a guère pris la parole au Sénat que pour faire entendre des plaintes et des gémissements. Mais il y a de l'allégresse dans ses plaintes, une joie sereine se mêle à ses gémissements. Écoutez-le: il pleure. Mais l'hosannah éclate malgré lui dans son âme. Il est joyeux parce qu'il a la foi. Son large visage s'éclaire, à la tribune, d'un sourire paisible. M. Challemel-Lacour ne sourit jamais.

Et quelle vision pourrait donc l'égayer un moment? Il est à jamais seul en face de sa haute raison dans le néant universel. Le Sénat applaudissait cette semaine le dernier des stoïciens.

Je ne sais si M. Buffet parlera cette année dans la discussion du budget. M. Buffet est un orateur excellent et qu'il faut nommer à côte des meilleurs. Il siège à droite, on le sait, et se montre constamment soucieux des intérêts des catholiques. Mais, quelle que soit la force de ses opinions religieuses, sa parole n'en reçoit pas la plus légère empreinte de mysticisme. C'est un orateur d'affaires. Sa probe éloquence ne veut pas d'autre parure que l'exactitude et la force; elle brille dans une robuste nudité. M. Buffet ne naquit pas pour sacrifier aux grâces légères. Il semble taillé dans le coeur noueux d'un chêne. Sa personne anguleuse et voûtée exprime la dignité propre à un vieux parlementaire blanchi dans les débats publics. Il a, au plus haut degré, ce qu'on appelle l'autorité. On l'écoute avant même qu'il ait parlé. Son visage est sévère, presque chagrin, avec une expression de parfaite simplicité. La tête, très forte, portée en avant, le visage osseux, tout en angles, les prunelles perçantes dans un oeil couvert, le nez recourbé, la bouche creuse, le menton saillant, il parle d'une voix comme pesante et mâchée par une bouche de fer. Son geste est celui du bûcheron qui abat les arbres. M. Buffet, lui aussi, peut être surnommé la hache de ses adversaires. Il frappe à coups égaux et sûrs. Ses défauts mêmes, une articulation lourde, un entêtement méticuleux ajoutent à la puissance de son talent. Il a la logique pressante et serrée, qui est le muscle du discours. Il a le style simple et fort, l'accent sincère, l'honnête obstination. C'est lui mieux qu'aucun autre qui doit être proposé comme modèle aux apprentis orateurs.

Je dis M. Buffet et non pas M. Jules Simon, parce que celui-là est inimitable. C'est l'art parfait. Lorsque les Gracques parlaient au peuple, ils se faisaient accompagner, dit-on, par un joueur de flûte. Quand M. Jules Simon parle, une flûte délicieuse l'accompagne; mais elle est invisible et chante sur ses lèvres. M. Jules Simon est philosophe autant et plus que M. Challemel-Lacour. Il sait l'oublier à propos. Il sait tout. Tour à tour insinuant, ironique, tendre, véhément, il a toutes les parties de l'orateur. Quand il monte à la tribune, il semble accablé. Appuyé des deux mains à la tablette d'acajou, il promène sur l'assemblée des yeux mourants qui tout à l'heure se chargeront d'éclairs; il traîne les sons d'une voix éteinte qui peu à peu se ranime, s'enfle, puis se mouille de larmes ou gronde ainsi qu'un tonnerre mélodieux. Il est maître de lui comme de l'auditoire. Ému, mais vigilant, il saisit les interruptions et les emporte dans le mouvement harmonieux de sa pensée, comme un fleuve entraîne les rameaux qu'on lui jette. Tout lui sert; il est le grand artiste dont le génie plastique transforme aisément toutes les matières que rencontre sa main, et il n'a à redouter que sa perfection même.

Quelle belle galerie on ferait avec les portraits des principaux orateurs de la Chambre haute! Quelle diversité dans les physionomies, que de contrastes heureux et comme les figures se feraient valoir les unes les autres!

Ici, ce serait M. le duc d'Audiffret-Pasquier se rejetant, en arrière de la tribune, contre le bureau du président, assemblé, ramassé dans sa force et dans son énergie, âpre, sauvage, fier, montrant les dents et multipliant les ardentes morsures de son éloquence irritée. Sa voix, ses yeux crachent le feu et il garde jusque dans sa colère une expression de noblesse et de bonté.

Là M. le duc de Broglie (car il serait permis de placer dans cette galerie les illustres proscrits du suffrage populaire, ceux-là dont l'absence est éclatante: Præfulgebant eo quod non visebantur) déroulerait d'une voix débile ces harangues d'une ordonnance magnifique, d'un style riche et souple, d'une trame absolument pure, dont le souvenir est resté présent dans la mémoire de tous les connaisseurs.

Là, M. Léon Say, causeur facile et charmant, abondant et précis, donnant la vie aux chiffres, exposant avec lucidité les questions les plus ardues, contant des historiettes à ravir, conduisant ses discours comme de longues promenades à travers la campagne et relevant sa bonhomie familière par le mordant de sa voix et la finesse de son ironie.

Là, M. Bocher, dans sa pure et noble élégance, passant son petit mouchoir sur ses lèvres, et, la mémoire fraîche, la voix jeune, le geste souple, répandant la grâce avec la clarté sur les questions de finances, et montrant dans la discussion une brièveté impérieuse; une politesse froide, une courtoisie hautaine.

Là encore, M. de Freycinet, si mince, si fin, si pâle, portant la clarté jusqu'à la splendeur, abondant et tranquille, faisant couler à petits flots chantants et caressants sa phrase incolore et lucide, et construisant, devant l'auditeur émerveillé, des discours qui ressemblent, dans leur frêle élégance et dans leur grâce un peu sèche, à de merveilleux ponts suspendus.

J'en devrais nommer bien d'autres encore, tous différents, et qui intéressent par leur diversité même. L'éloquence n'est au fond que l'expression puissante et soudaine d'un tempérament original. C'est pourquoi les défauts y concourent autant que les qualités. Parler, c'est se donner; bien parler, c'est se donner généreusement et tout entier.

ROMAN ET MAGIE[33]

[Note 33: Apulée romancier et magicien, par M. Paul Monceaux, Quantin, éditeur, 1 vol. in-8°.]

Avouons-le: nous avons tous au fond du coeur le goût du merveilleux. Les plus réfléchis d'entre nous l'aiment sans y croire, et ne l'en aiment pas moins. Oui, nous les sages, nous aimons le merveilleux d'un amour désespéré. Nous savons qu'il n'existe pas. Nous en sommes sûrs et c'est même la seule chose dont nous soyons sûrs, car s'il existait il ne serait plus le merveilleux, et il n'est tel qu'à la condition de n'être pas. Si les morts revenaient, il serait naturel et non pas merveilleux qu'ils revinssent. Si les hommes pouvaient se changer en bêtes, comme l'antique Lucius du conte, ce serait là une métamorphose naturelle et nous n'en serions pas plus étonnés que des métamorphoses des insectes. Il n'y a pas d'issue pour sortir de la nature. Et cette idée est en elle-même absolument désespérante. Le possible ne nous suffit pas et nous voulons l'impossible, qui n'est l'impossible qu'à la condition de ne jamais se réaliser. Mérimée a conté l'aventure de don Juan, qui, se promenant au bord du Tage en roulant une cigarette, demanda du feu à un passant occupé, sur l'autre rive, à fumer son cigare. «Volontiers,» dit celui-ci, et, d'un bras qui s'allongea jusqu'à traverser le fleuve, il tendit à don Juan son cigare allumé. Don Juan ne s'étonna pas, faisant profession de ne s'étonner de rien. S'il avait été philosophe, il ne se serait pas étonné davantage. Quand, à Paris, nous entendons la voix d'un ami qui, de Marseille, nous fait ses adieux par le téléphone avant de s'embarquer, nous ne pensons pas que cela soit merveilleux, et en effet cela n'était merveilleux que quand cela n'était pas. De deux choses l'une: ou l'aventure de don Juan n'est pas vraie, ce qui est assez probable, ou elle est vraie, et dans ce cas elle est aussi naturelle que nos communications par le téléphone, bien qu'un peu plus rare, j'en conviens. Mérimée nous laisse entendre que ce fumeur était le diable en personne. Je le veux bien. Vous voyez que j'accorde beaucoup. Mais si le diable existe, il est dans la nature comme vous et moi, car elle contient tout, et il est naturel qu'il allonge le bras par-dessus les fleuves. Si nos manuels de physiologie ne le disent pas, c'est qu'ils sont incomplets. Il est certain que tous les phénomènes ne sont pas décrits dans les livres. Je me promène quelquefois, par les belles nuits d'été, sur les quais de Paris, à l'ombre des colossales dentelles noires de Notre-Dame, au bord de ces eaux sombres où tremblent des milliers de reflets étincelants. La lune court dans les nuées; on entend gémir sous les arches le flot éblouissant et lugubre, et l'on songe à la fois à toutes les horreurs de la vie et à toutes les magies de la mort. Si le diable n'a pas seulement de feu pour les grands contempteurs de Dieu et de la vertu des femmes, s'il daigne vouloir séduire aussi un doux philosophe, il aura peut-être la politesse, quelque soir, de me tendre son cigare d'un quai de la Seine à l'autre. Alors, fidèle à mes principes, je tiendrai le fait pour naturel et j'en ferai une communication à l'Académie des sciences.

Voilà une résolution qui témoigne, je pense, d'une assez ferme intelligence et d'une raison qui ne veut point être étonnée. Pourtant il y a des moments, je le sais, où la froideur de la raison nous glace. Il y a des heures où l'on ne veut point être raisonnable, et j'avoue que ces heures-là ne sont pas les plus mauvaises. L'absurde est une des joies de la vie; aussi voyez que, de tous les livres humains, ceux dont la fortune est la plus constante et la plus durable sont des contes, et des contes tout à fait déraisonnables. Peau d'Ane, le Chat botté, les Mille et une Nuits, et, pourquoi ne pas le dire?… l'Odyssée, qui est aussi un conte d'enfant. Les voyages d'Ulysse sont remplis d'absurdités charmantes qu'on retrouve dans les Voyages de Sindbad le Marin.

Le merveilleux est un mensonge. Nous le savons et nous voulons qu'on nous mente. Cela devient de plus en plus difficile. Le bon Homère et les conteurs arabes ne nous trompent plus. Il faut aujourd'hui, pour nous séduire, des imaginations fertiles en ruses, des esprits très savants, très ingénieux; Edgard Poë, par exemple, et ses Histoires extraordinaires, ou Gilbert-Augustin Thierry avec Larmor, Marfa et cette Tresse blonde dont nous parlions tantôt.

Le vieil Apulée n'est pas non plus un imposteur médiocre, et celui-là aussi m'a donné, je l'avoue, l'illusion délicieuse du merveilleux. Je vais tout vous dire: Apulée, c'est mon péché. Je l'aime sans l'estimer, et je l'aime beaucoup. Il ment si bien! il vous met si bien la nature à l'envers, spectacle qui nous remplit de joie à nos heures de perversité. Il partage si pleinement, pour le satisfaire, ce goût dépravé de l'absurde, ce désir du déraisonnable que chacun de nous porte caché dans un repli de son coeur! Quand l'harmonie du monde vous a lassés par son inexorable fixité, quand vous trouvez la vie monotone et la nature ennuyeuse, ouvrez l'Ane d'or et suivez Apulée, je veux, dire Lucius, à travers ses voyages extraordinaires. Dès le départ, une atmosphère de démence vous empoisonne et vous fait délirer. Vous partagez la folie de cet étrange voyageur:

Me voilà donc au milieu de cette Thessalie, terre classique des enchantements, célèbre à ce titre dans le monde entier… Je ne savais où diriger mes voeux et ma curiosité; je considérais chaque chose avec une sorte d'inquiétude. De tout ce que j'apercevais dans la ville, rien ne me paraissait être tel que mes yeux me le montraient. Il me semblait que, par la puissance infernale de certaines incantations, tout devait avoir été métamorphosé. Si je rencontrais une pierre, mon imagination y reconnaissait un homme pétrifié; si j'entendais des oiseaux, c'étaient des hommes couverts de plumes; des arbres du boulevard, c'étaient des hommes chargés de feuilles; les fontaines, en coulant, s'échappaient de quelque corps humain. Je croyais que les portraits et les statues allaient marcher, les murailles parler, les boeufs annoncer l'avenir.

Après cela, étonnez-vous qu'il soit changé en âne? Saint Augustin y croyait plus qu'à demi.

«Nous aussi, dit-il, dans la Cité de Dieu, nous aussi, quand nous étions en Italie, nous entendions des récits de ce genre sur certain endroit de la contrée. On racontait que des cabaretières expertes en ces maléfices servaient parfois aux voyageurs, dans le fromage, des ingrédients qui les changeaient aussitôt en bêtes de somme. On faisait porter des fardeaux à ces malheureux, et, après un pénible service, ils reprenaient leur forme. Dans l'intervalle, leur âme n'était pas devenue celle d'une bête, ils avaient conservé la raison de l'homme. Apulée, dans l'ouvrage qu'il a intitulé l'Âne d'or, rapporte que cette aventure lui est arrivée; par la vertu de certaine drogue, il fut changé en âne, tout en gardant son esprit d'homme. On ne sait si l'auteur consigne là un fait réel ou un conte de sa façon.»

Certes, Apulée fait un conte, un conte imité du grec et ce n'est pas même lui qui a inventé ce Lucius et sa métamorphose, mais il y a mis le grain d'ellébore.

C'est un homme intéressant que cet Apulée, tel que nous le décrit M. Paul Monceaux dans une étude très complète et, ce me semble, très judicieuse; assurément fort agréable.

Cet Africain, contemporain des Antonins, esprit léger, facile, rapide, brillant, n'était pas au fond très original: il improvisait et compilait. S'il était fou, il faut convenir que tout le monde était un peu fou dans ce temps-là. Une curiosité maladive travaillait toutes les imaginations. Les prodiges d'Apollonius de Tyane avaient fait passer un frisson par le monde. Une foi anxieuse aux enchantements troublait les meilleurs esprits. Plutarque fait glisser des ombres dans les champs de l'histoire; l'âme ferme de Tacite est facilement ébranlée par des prodiges; le naturaliste Pline se montre aussi crédule que curieux. Phlégon de Tralles écrit pour un César astrologue un livre de Faits merveilleux et conte minutieusement l'aventure d'une morte qui déserte sa chambre funéraire pour le lit d'un jeune étranger. Or ce Trallien était estimé comme annaliste et comme géographe.

Le bonheur d'Apulée fut de naître, dans ce milieu troublé, avec une étonnante capacité à concevoir l'absurde et l'impossible. Il étudia toutes les science et n'en tira que des superstitions puériles. Physique, médecine, astronomie, histoire naturelle, tout chez lui se tournait en magie. Et comme il avait l'imagination vive et le style prestigieux, il lui fut donné d'écrire le chef-d'oeuvre des romans fantastiques.

Cet homme habile, frivole et vain, laissa la mémoire d'un magicien et d'un thaumaturge. À l'époque des grandes disputes religieuses, alors que chrétiens et païens opposaient les miracles aux miracles, les pères de l'Église ne nomment l'auteur de la Métamorphose qu'avec une haine mêlée d'effroi. Déjà Lactance, au milieu du IIIe siècle, s'écrie que les miracles d'Apulée se dressent en foule. Saint Jérôme place ce magicien auprès d'Apollonius de Tyane. Saint Augustin, qui le confond, peu s'en faut, nous l'avons vu, avec le héros du conte, déplore qu'un tel homme soit parfois opposé et même préféré au Christ. Pendant ce temps les adorateurs des dieux qui s'en allaient vénéraient le rhéteur de Madaura comme un de leurs derniers sages. Il était naturel qu'ils s'attachassent au philosophe qui s'était épris de tous les symboles et avait été admis à toutes les initiations. La statue d'Apulée s'élevait à Constantinople, dans le Zeuxippe, et l'Anthologie désigne en ces termes celui dont elle garde l'image: «Apulée, au regard méditatif, célèbre les silencieuses orgies de la Muse latine, lui que la Sirène ausonienne a rempli, comme son initié, d'une ineffable sagesse.» Nous avons peine à reconnaître dans ce distique l'auteur de ce petit roman magique et fort libre que je m'accuse de goûter en mes jours de déraison. Et M. Paul Monceaux nous contente mieux, quand, prenant la louange sur un ton moins haut, il nous montre cet extraordinaire Apulée sous les traits d'un habile rhéteur, beau «d'une insolente beauté méridionale», et même un peu commun, glorieux, éloquent, habile à saisir son public, trompeur se trompant soi-même par une suprême habileté, faisant tout croire et croyant tout.

Pourtant, il y a çà et là, ce me semble, dans les ouvrages qui nous restent de lui, quelques pages empreintes d'une gravité vraiment philosophique et où l'on croit entendre comme un dernier écho de cette sagesse grecque, que rien au monde n'a surpassé. Il y a bien longtemps que je n'ai relu le petit traité du Démon de Socrate. J'en ai conservé un souvenir agréable. Vous savez qu'Apulée croyait aux démons. Les démons, disait-il, habite des régions aériennes jusqu'au premier cercle de la Lune, où commence l'éther.

Ce sont là des rêveries permises. Les hommes seraient bien malheureux si on les empêchait de rêver à l'inconnaissable. Mais ce qui m'a le plus touché jadis, en lisant ce traité du Démon de Socrate, c'est une définition de l'homme qui s'y rencontre et que j'ai copiée. Je la trouve à point dans mes vieux papiers, ce qui est une espèce de miracle, car je n'ai point de dossiers et n'en aurai de ma vie, tant le papier barbouillé m'inspire d'horreur et d'ennui. Voici comment Apulée définit la condition des hommes:

«Les hommes, agissant par la raison, puissants par la parole, ont une âme immortelle, des organes périssables, un esprit léger et inquiet, un corps brut et infirme, des moeurs dissemblables, des erreurs communes, une audace opiniâtre, une espérance obstinée, de vains labeurs, une fortune inconstante; mortels à les prendre isolément, immortels par la reproduction de la race, emportés tour à tour par la suite des générations, leur temps est rapide, leur sagesse tardive, leur mort prompte. Dans leur vie gémissante ils habitent la terre.»

Ne sent-on pas là une mâle tristesse qui rappelle le premier aphorisme d'Hippocrate?

Et puis ce petit roman même, dont je n'admirais tout à l'heure que l'absurdité pittoresque et le merveilleux expressif, n'est-il pas philosophique à sa façon et jusque dans ses licences? Apulée ne serait-il pas, dans sa Métamorphose, l'ingénieux interprète dès dogmes palingénésiques; n'exposerait-il pas, sous une forme légère, la doctrine des épreuves et des expiations à travers des existences successives et même la transformation de Lucius ne serait-elle pas l'expression sensible des travaux de la vie humaine, des changements qui sans cesse modifient les éléments complexes de ce moi qui tend sans cesse à se connaître plutôt qu'il ne se connaît? Y aurait-il une sagesse cachée dans ce livre qui étale une folie si divertissante? Que sais-je?

M. OCTAVE FEUILLET

LE DIVORCE DE JULIETTE[34]

[Note 34: Le Divorce de Juliette,—Charybde et Scylla,—le Curé de
Bouron
. Calmann Lévy, éditeur. 1 vol. in-18.]

C'est là un petit volume que M. Octave Feuillet, plongé dans un deuil encore récent et qu'il ne quittera jamais, s'est laissé arracher par son éditeur.

Le Divorce de Juliette, comédie en trois actes et quatre tableaux, a beaucoup plu quand la Revue des Deux Mondes la donna. Réussirait-elle aussi bien sur la scène? D'excellents juges ont décidé qu'oui. Ils savent ces choses-là infiniment mieux que moi. Je ne suis pas pour les contredire. Mais, ayant un goût particulier pour le spectacle dans un fauteuil, je me tiens satisfait de la représentation à laquelle j'ai assisté les pieds au feu. Je me flatte d'avoir vu une Juliette assez jolie, bien qu'un peu maigre, comme il convient à sa jeunesse: elle n'a que vingt-deux ans. Juliette veut divorcer, et ce n'est pas sans raison. Si M. d'Épinoy l'a épousée, ç'a été, non pas parce qu'elle est charmante, mais uniquement pour aimer avec plus de sécurité la belle princesse de Chagres. Le prince avait des soupçons et il était homme à tuer M. d'Épinoy comme il avait précédemment tué, à Florence, ce pauvre diable de Borgo-Forte. M. d'Épinoy se maria pour détourner les soupçons du prince.

C'est la princesse qui avait eu cette excellente idée. M. d'Épinoy, une fois marié, le prince n'eut plus de soupçons et la princesse put aimer M. d'Épinoy avec une parfaite tranquillité. Mais on ne s'avise pas de tout. La princesse n'avait pas prévu que M. d'Épinoy pouvait aimer sa femme; c'est pourtant ce qui arrive, ou peu s'en faut, quand tout à coup Juliette découvre la liaison de son mari avec madame de Chagres et apprend qu'elle n'a été épousée elle-même que pour distraire l'attention du terrible prince qui, sans cette diversion, eût immanquablement tué M. d'Épinoy comme un autre Borgo-Forte, ce qui lui eût été sensible, car sa mort eût compromis la princesse. Le coup est rude, la pauvre petite femme aime son mari de tout son coeur. Mais elle est courageuse: elle a pris son parti. Elle divorcera. Elle y est bien résolue… Ah! c'est là que M. Octave Feuillet vous attend. Non, elle ne divorcera pas. Et tout s'arrangera. Elle aime: elle pardonne. L'amour a des trésors infinis de clémence. Et puis Roger, au fond, n'est pas aussi noir qu'il en avait l'air. Il est plus faible que méchant. Il était entre deux femmes, et c'est une situation dont il est difficile de se tirer avantageusement. Voyez tous les amoureux de Racine, Pyrrhus, Bajazet, Hippolyte, également pris entre deux amours qu'ils ont inspirés: leur position est très délicate, parfois même un peu ridicule, et ils passent de durs moments. M. d'Épinoy est moins innocent qu'Hippolyte et moins excusable que Pyrrhus, mais enfin il n'aime plus la princesse de Chagres et il aime Juliette, qui pardonne. Ce n'est pas là une conversion, car, comme me le confiait l'autre jour un très aimable vieillard, ce sont toujours les mêmes qui sont amoureux. Mais, quand ce serait une conversion, je ne la reprocherais pas à M. Octave Feuillet. L'auteur de M. de Camors aime à couronner par l'expiation ou le repentir ces fautes du coeur qu'il excelle à décrire. Quand bien même on sentirait là un peu trop l'artifice poétique et l'arrangement moral, je ne m'en plaindrais pas. Il m'est fort agréable, au contraire, que ces aventures profanes finissent, comme les récits des pieux légendaires, par le triomphe définitif du bien.

Ce n'est pas une idée médiocrement philosophique, certes, que celle de la rédemption finale des créatures. Et les dénouements heureux, les conclusions morales de M. Octave Feuillet sont irréprochables au point de vue symbolique. Le Divorce de Juliette n'est qu'une élégante esquisse, mais on y retrouve la main du maître. Je ne parle pas aujourd'hui de Charybde et Scylla, qui est imprimé à la suite: ce proverbe renferme en quatre scènes une spirituelle satire de nos lycées de filles et de l'enseignement supérieur qu'on y donne aux petites demoiselles. La question est intéressante; nous y viendrons quelque jour.

Ce que j'avais à coeur de dire dès à présent, ce que je veux dire bien haut, c'est mon admiration pour l'art achevé avec lequel M. Octave Feuillet compose ses romans. Ils ont la forme parfaite: ce sont des statues de Praxitèle. L'idée s'y répand comme la vie dans un corps harmonieux. Ils ont la proportion, ils ont la mesure, et cela est digne de tous les éloges.

On a voulu faire mieux depuis et l'on a fait des monstres. On est tombé dans la barbarie. On a dit: «Il faut être humain.» Mais qu'y a-t-il de plus humain, je vous prie, que la mesure et l'harmonie? Être vraiment humain, c'est composer; lier, déduire les idées; c'est avoir l'esprit de suite. Être vraiment, humain, c'est dégager les pensées sous les formes, qui n'en sont que les symboles; c'est pénétrer dans les âmes et saisir l'esprit des choses.

C'est pourquoi M. Octave Feuillet est plus humain dans son élégante symétrie et dans son idéalisme passionnel, que tous les naturalistes qui étalent indéfiniment devant nous les travaux de la vie organique sans en concevoir la signification. L'idéal c'est tout l'homme. Le Divorce de Juliette m'a fourni une occasion de rendre hommage au talent accompli de M. Octave Feuillet.

Ce qui me charme profondément dans l'oeuvre du maître, c'est ce bel équilibre, ce plan sage, cette heureuse ordonnance où je retrouve le génie français contre lequel on commet de toutes parts tant et de si monstrueux attentats.

J'éprouve comme une piété reconnaissante pour les talents ordonnés et lumineux, dont les oeuvres portent en elles cette vertu suprême: la mesure.

Ce matin, comme je me trouvais sur la montagne Sainte-Geneviève, au centre du vieux pays des études, j'entrai dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, poussé par l'envie de voir d'élégantes sculptures et des vitraux charmants, entraîné par ce penchant irrésistible qui ramène sans cesse les esprits méditatifs aux choses qui leur parlent du passé, et, s'il faut donner une raison plus intelligible, conduit par le désir de relire l'épitaphe de Jean Racine dont j'ai l'honneur d'écrire en ce moment la vie. Cette épitaphe, composée en latin par Boileau, fut renversée avec l'église de Port-Royal-des-Champs où elle était posée: Elle porte encore la trace des violences qu'elle a subies; la pierre est brisée en vingt morceaux et le nom du poète profondément martelé. Violence qui nous semble aujourd'hui stupide! Sachons bien que nos violences, si nous avons le malheur d'en commettre, feront également pitié dans deux siècles. Cette épitaphe est admirable de simplicité, et l'on n'en peut lire sans émotion la dernière phrase. Boileau, après avoir consigné tous les titres de son ami à l'estime et à l'admiration des hommes, conclut, avec une philosophie chrétienne, par ces paroles touchantes: «Ô toi, qui que tu sois que la piété amène dans cette sainte maison, reconnais à ce que tu vois le peu qu'est la vie et donne à la mémoire d'un si grand homme moins des louanges que des prières. Tanti viri memoriam precibus potius quam elogiis prosequere.» Au sortir de cette vieille maison de pierre où les noms de Pascal et de Racine sont inscrits sous les ailes des jolis anges de Jean Goujon, en rentrant dans le monde des vivants, sous la pluie et la tempête, je me remis à songer aux choses de ce temps-ci, aux idées du jour, aux livres nouveaux, au Divorce de Juliette, dont l'éditeur venait de m'envoyer un exemplaire. Et ma pensée, allant du livre à l'auteur, je me représentai cette vie exemplaire si bien cachée, si bien défendue; que trahirent seuls les livres exquis qui en étaient les fruits. Je me figurais M. Octave Feuillet paisible, heureux sur son petit rocher de Saint-Lô, à l'ombre de sa vieille église aux dentelles de pierres noires, dans ces rues montueuses où l'on entend les foudriers cercler les fûts dans lesquels se fera le cidre des récoltes prochaines et où volent au soleil de lourdes abeilles qui laissent derrière elles l'odeur du sarrasin. Je le vois encore descendant le chemin poudreux qui mène à la rivière où se baignent les saules, et là rêvant de quelques-unes de ces figures audacieuses, perverses, charmantes et sitôt brisées, qui sont les préférées de son imagination.

Il vit là, caché fidèlement, auteur obscur de livres célèbres. Il fait de sa vie de famille une oeuvre consciencieuse et fine comme ses romans. Il ne voudrait jamais quitter les bords de la Vire, où chantait aux jours de deuil ce bon Basselin que les Anglais mirent à mort parce que ses chansons faisaient aimer la France. Il ne voudrait jamais quitter les deux flèches de Sainte-Croix, ni sa petite ville noire, boiteuse, bossue, bâtie de travers, mais entourée d'herbe tendre et d'eau pure, baignée d'un ciel doux et qui, comme toutes les villes normandes, est une jolie laide. Il ne vient à Paris qu'à grand regret et pour l'éducation de ses enfants. Mais dans le nouveau logis, une main délicate et fidèle a pieusement transporté tous les souvenirs de famille et de jeunesse; pas un lien n'est rompu, pas un fil brisé: le passé chéri est encore là tout entier. Suivrai-je le romancier poète dans sa retraite de Versailles, où il se reposait par le travail des travaux de la vie? C'est là qu'il a été atteint, il y a moins d'un an, par un deuil cruel, que deux existences porteront toujours. Le jour où M. Octave Feuillet a perdu un fils, il a pu savoir combien il était universellement aimé: les témoignages de sympathie et de respect affluaient de toutes parts dans sa maison. J'espère qu'il ne lira pas ce que j'écris ici dans la sincérité de mon coeur. On ne doit rouvrir les plaies que pour les panser, et mes paroles émues n'ont point, hélas! la vertu d'un baume ou d'un électuaire.

C'étaient là les pensées qu'au sortir de Saint-Étienne-du-Mont, sur la place du Panthéon, battue du vent et de la pluie, je roulais dans ma tête, et, me rappelant la belle inscription latine que je venais de lire, j'appliquais à l'auteur de Julia de Trécoeur ce que Boileau disait de la mémoire de son illustre ami. Si digne d'éloges, si heureuse, si fructueuse que soit une vie humaine, elle est soumise à de telles épreuves et frappée de coups si cruels qu'il faut plaindre ce qu'on a le plus envie d'admirer: Memoriam precibus potius quam elogis prosequere.

JEANNE D'ARC ET LA POÉSIE

VALERAND DE LA VARANNE M. ERNEST PRAROND [35]

[Note 35: Ernest Prarond, la Voie Sacrée, 1 vol. in-18.—Valerandi Varanii: De gestis Joannæ virginis Francæ egregiæ bellatricis, poème de 1516, remis en lumière, analysé et annoté par E. Prarond, 1 vol. in-18.]

On peut dire de M. Ernest Prarond, poète et savant abbevillois, qu'il aime de tout son coeur sa ville et les lettres. Il a consacré de longues années à peindre et à conter, son Abbeville et toutes les antiquités du Ponthieu. C'est une puissante douceur que de sentir revivre en soi les vieux âges. Je suis sûr que M. Ernest Prarond l'a éprouvée pleinement. Il possède cette ardente patience, cette curiosité toujours vive, cet amour ingénieux du passé, qui sont récompensés par des visions admirables. Il y a deux ans, en traversant Abbeville, je songeais sous les voûtes ruinées de l'élégante et frêle collégiale et à l'ombre du noir donjon carré de la maison de ville. Ces murs, me disais-je, vieux témoins des combats et des désirs des hommes, ces pierres parlantes dont, passant distrait, je devine à peine le sens vulgaire, que de secrets touchants n'ont-elles pas confié à l'historien poète des cinq villes et des trois cents villages du Ponthieu! Heureux ceux pour qui les pierres tombales n'ont que des paroles de vie et qui, sous la mousse qui recouvre des images à demi brisées, retrouvent des symboles éternels! Heureux les rares archéologues en qui la lettre n'a pas tué l'esprit!

C'est hier, il me semble, que j'ai vu M. Ernest Prarond pour la première fois; hier, vraiment, en 1871, au lendemain de la guerre et de la Commune, dans ce petit logis de la rue du Four-Saint-Germain où Charles Asselineau finissait de vivre avec la politesse d'un bourgeois de Paris et la grâce d'un lettré. Depuis, la vie ne m'a pas ménagé beaucoup de rencontres avec le poète abbevillois. Pourtant, la physionomie de M. Prarond est restée dans ma mémoire et j'aime à me la rappeler. C'est celle d'un homme robuste, très simple et très fin et de grand ton: un large visage ouvert où brille un oeil fâché. Cet oeil-là, je le retrouve dans les vers généreux du poète, vers parfois irrités. M. Prarond eut à ses débuts, aux environs de 1848, une manière gaie, un peu narquoise; ce que M. Philippe de Chennevières appelle «la leste bonhomie des vieux conteurs du nord de la France». Il s'est fait depuis un nouveau style, savant, compliqué, tourmenté, et certes original. Le bon public ne saurait se frotter, à ces doctes buissons sans s'y piquer un peu; mais les connaisseurs y goûtent, sous des écorces de formes bizarres, plus d'un fruit savoureux.

C'est hier, disions-nous, que j'ai rencontré M. Ernest Prarond dans le petit cabinet de travail où le bon Asselineau, entouré de dessins de Nanteuil, feuilletait les éditions romantiques qui lui rappelaient sa jeunesse. Pendant la Commune, il avait fait son service à la bibliothèque Mazarine avec une exactitude héroïque. Quand les fédérés roulaient dans la galerie, pleine de trésors littéraires, des tonneaux de pétrole, ils trouvaient devant eux un vieux monsieur très poli et très entêté qui les déterminait par la force du raisonnement à remporter leurs engins incendiaires. La bibliothèque fut sauvée, mais Asselineau mourut l'année suivante de douleur et de stupeur. Je me rappelle encore ce galant homme frappé mortellement dans son patriotisme et dans ses habitudes; mais poli, mais souriant, faisant en sage les honneurs de sa table modeste et songeant, j'imagine, à reprendre pour lui l'épitaphe que Boufflers fit mettre sur sa tombe: «Mes amis, croyez que je dors.»

Ce jour-là, je goûtai non sans infiniment de plaisir le tour imprévu de l'esprit de M. Ernest Prarond. Avec quelle subtilité son intelligence pénétrait les choses, et comme il savait rendre original même le patriotisme! Sa conversation avait l'éclat brisé de l'éclair. Depuis—car il y a de cela dix-huit ans qui se sont écoulés comme un jour—M. Prarond, retiré sous quelque vieux toit d'Abbeville, a poursuivi paisiblement ses sorcelleries de poète érudit et fait paraître d'innombrables ombres dans son miroir magique. Il est de la race de Faust et veut voir Hélène. Mais le diable n'a pas de pouvoir sur lui.

En fils pieux d'Abbeville, il s'est voué, dans ces dernières années, à l'illustration d'un vieux poème latin que publia en 1516, un autre fils d'Abbeville, Valerand de la Varanne, docteur en théologie de la Faculté de Paris, De gestis Joannæ virginis, francæ egregiæ bellatricis. Ce poème, composé sur les gestes de Jeanne d'Arc, par un clerc qui avait pu voir dans sa jeunesse des vieillards contemporains de la Pucelle, méritait d'être tiré de l'oubli et l'oeuvre est angélique que de nous en donner une édition lisible, correcte, surtout aimable. C'est ce qu'a fait, en Abbeville, M. Prarond, scoliaste d'une espèce singulière. Les gloses, sous sa plume, se tournaient en vers et c'est en sonnets et en odes qu'il illustrait son auteur. Il y prit garde à temps, et, détachant ces enluminures des marges, du vieux texte, il en fit un petit recueil à part, qu'il appela la Voie Sacrée, ne voulant pas, par un pieux scrupule, mettre le nom de l'héroïne sur les poésies qu'elle avait inspirées. Ce respect, joint à l'assiduité du culte, a été récompensé.

La Voie Sacrée est peut être ce que Jeanne d'Arc a dicté de plus vrai à un poète. L'inspiration de M. Ernest Prarond y garde, sans doute, ce je ne sais quoi de détourné, de sinueux, de fuyant qui destine toutes ses oeuvres à l'ombre douce des productions ésotériques: rien là qui puisse devenir populaire. Mais, pour les initiés, quel charme d'y découvrir çà et là des sens profonds et des vérités rares! Quand on a vécu comme j'ai fait plusieurs années avec la Pucelle et ses compagnons, on ne peut lire les quatorze poèmes de la Voie Sacrée, sans dire à l'auteur: «Eh! quoi, mon frère, vous avez donc vu aussi cet arbre des fées où Jeanne allait avec les filles du pays, le dimanche des Fontaines, alors qu'il était beau comme un lis, au dire des laboureurs. Vous étiez donc à Poitiers, quand Jeanne y parut dans sa victorieuse innocence; dans Orléans délivré, à la joie de Patay, à Reims, à Compiègne. Hélas! vous avez donc entendu la mer battre le pied de cette tour du Crotoy où Jeanne était prisonnière des Anglais?

»Oui, vous l'avez vue aux jours exécrables, cette baie de Somme si grise et si douce, étincelante d'oiseaux, où l'écume de la mer brodait une frange au royaume des lis, et vous avez entendu la voix de la sainte se mêler à la voix de l'Océan. Oui, vous avez vu la bannière de Jeanne d'Arc et vous l'avez décrite avec la simplicité d'un témoin véridique. Je l'ai vue comme vous, que n'ai-je su le dire? Au moins je veux répéter vos paroles tout empreintes de l'esprit des vieux âges:

LA BANNIÈRE

Tours—Orléans

    Jeanne, en avril, commande au peintre sa bannière:
    Je veux un tissu blanc, peint de telle manière
    Que dans un champ de lys Messire notre Dieu,
    Sur le trône du monde, y paraisse au milieu
    D'anges agenouillés. Je veux qu'on puisse lire
    Sur les côtés: Jésus, Marie. Il faut élire
    Une étoffe légère et qui, se déployant,
    Déroule bien ces noms, les fleurs, Dieu tout-voyant,
    Et les anges. Frangez l'orle avec de la soie,
    Afin de faire honneur à l'ordre qui m'envoie,
    Et vous-même ainsi, peintre, ouvrez aux bons combats.

    Mai fleurit. La Bastille est formidable. Au bas
    Un gentilhomme dit, sous l'assiégé qui raille:
    «Jeanne, votre étendard a touché la muraille.»
    Jeanne s'écrie alors: «Tout est vôtre: y entrez!»
    Et le flot des Français passe aux murs éventrés.

Voilà de quelle étrange et gracieuse façon M. Ernest Prarond commentait le vieux poème de Valerand de la Varanne. Mais, comme je l'ai dit, il publia à part sa glose poétique. Le texte latin, accompagné de notes et suivi d'une analyse, s'imprimait cependant, et le voici publié aujourd'hui. Remercions-en M. Prarond. Ce docteur en théologie de la Faculté de Paris, qui célébra en trois mille hexamètres celle qu'il nomme Darcia progenies et barricea dux était grand latiniste, mais il était bon Français.

Il célébra par des poèmes la victoire de Fornoue et la prise de Gênes. C'est en lisant le procès de Jeanne d'Arc, que l'idée lui vint de composer une épopée des gestes de la Pucelle. Il dit dans une des épîtres dédicatoires qui accompagnent son poème: «S'il plaît à quelqu'un de connaître plus à fond cette histoire, qu'il demande à l'abbaye de Saint-Victor le livre qui m'a été prêté pendant quelques jours.» Et l'on sait que ce livre était une copie des deux procès. C'est là la source véritable de cette merveilleuse histoire. Aussi le bon Valerand se fait-il généralement une idée assez juste de son héroïne. Il n'est pas trop extravagant et, à cela près qu'il veut toujours étaler sa science et son génie, c'est un fort honnête homme. Il faut lui pardonner son invocation à Apollon, aux Muses et à Pan, et souffrir qu'il mette les noms de Phébus et de Nérée dans la bouche des anges du paradis. Il faut surtout ne point s'étonner s'il compare sans cesse Jeanne à Camille et à Penthésilée. Christine de Pisan et Gerson l'avaient fait avant lui. Les beaux esprits du XVe siècle étaient beaucoup plus entêtés de la Grèce et de Rome qu'on ne s'imagine. N'avez-vous pas vu à Pierrefonds la cheminée des neuf preuses que Viollet-le-Duc a restituée d'après des monuments de l'époque? Penthésilée, la main sur son écu, y figure avec une héroïque élégance. En 1429, un clerc français habitait Rome et y rédigeait une chronique. À la nouvelle de la délivrance d'Orléans, il mit par écrit les exploits de la Pucelle et conclut que les hauts faits de la jeune fille paraîtraient d'autant plus admirables qu'on les mettrait en comparaison avec ceux des héroïnes sacrées ou profanes: Déborah, Judith, Esther, Penthésilée. «Notre Pucelle, dit-il, les surpasse toutes.» Il n'en est pas moins vrai que Valerand manque de naïveté, qu'il imite beaucoup trop Ovide et Stace, et qu'enfin il est parfaitement ridicule quand il fait dire à Jeanne d'Arc qu'elle n'est pas venue des rochers scytiques, qu'elle n'a habité ni Ortygie, ni les champs du Phase.

Scythicis non eruta veni Rupibus…………………………….. … Nec Ortygiam colui, nec Phasidis agros.

Par contre, il rend compte de l'enquête de Poitiers, qui malheureusement ne nous a pas été conservée et on peut supposer que ce qu'il en rapporte n'est pas entièrement imaginaire. Il paraphrase une lettre que Charles VII aurait écrite au pape Calixte III, pour obtenir le rescrit qui servit de base au procès de réhabilitation et il est vraisemblable qu'il n'a pas inventé cette lettre dont toute trace est perdue. Enfin Valerand peut être considéré comme un historien: il apporte des incertitudes nouvelles.

C'est un esprit modéré. À en juger par les préceptes qu'il suppose dictés à Charles VII par l'ombre de Charlemagne, il est partisan de la monarchie tempérée, j'allais dire constitutionnelle. Voulez-vous un résumé de ces préceptes?

«Sois pieux, honore la justice. Assure la liberté des juges; choisis-les incorruptibles; constitue des corps législatifs. Frappe les méchants, car l'indulgence encourage le crime. Châtie les orgueilleux. N'écoute point les délations et crains la flatterie. Sache triompher de ta colère et dis-toi: J'ai vaincu, dès que tu as pu vaincre. Sois chaste, contente-toi de la reine! Aie pitié des pauvres. Demande tout aux seules lois. Aime la paix et ne fais que des guerres justes. Protège le peuple contre les violents. Fixe d'équitables lois et sois le premier à les observer. Restreins le luxe: ce n'est pas la pourpre qui fortifie un royaume. Si la guerre t'oblige à lever de nouveaux impôts, épargne soigneusement par ailleurs. Le pouvoir royal a des bornes fixes. Fais taire les inimitiés qui enfantent les divisions dans le royaume. Sois clément aux vaincus; souvent la légèreté et la dureté du soldat français ont excité les haines de l'étranger. Ne désire pas trop qu'on te craigne; César et Néron furent redoutés: ils périrent. Ne te fie pas à la jeunesse, crois aux vieillards. Ainsi tu égaleras les aïeux et mériteras le ciel.»

Il n'est pas douteux que Valerand ne prête ses propres sentiments politiques à l'empereur Charlemagne. Et il faut reconnaître que notre docteur en théologie se fait une belle idée du souverain. Louis XI, assurément, en fournit plus d'un trait. Il fut un roi selon le coeur de Valerand, et par son amour pour les petits, et aussi, ce qui importe moins, par la pureté de ses moeurs privées; car, conformément au précepte de chasteté, assez déplacé dans la bouche de Charlemagne, le roi Louis le Onzième se contenta de la reine sa femme, «encore qu'elle ne fût pas telle, dit Comynes, qu'il ne pût y prendre un grand plaisir».

M. Prarond, dans son commentaire, compare le Mystère du siège d'Orléans, au De gestis Joannæ virginis et oppose très ingénieusement «aux hexamètres du légionnaire trop armé les courtes lignes à rime simplette de l'archer bourgeois». Et comme il préfère l'archer! Comme on sent qu'il donnerait tout Varanius pour ces huit petits vers seulement:

LE ROI

    Or ça, Jehanne, ma doulce fille,
    Vollez vous doncques estre armée?
    Vous sentez vous assez agille
    Que vous n'en soyez pas grevée?
    Porter harnoiz sur vostre doux (dos),
    Vous en serez bien toust lassée.
    Belle fille, qu'en dictes vous?

LA PUCELLE.

Au nom Dieu, le porteroy bien.

Et cela, en effet, est bien sonnant. S'il est des poésies relatives à la Pucelle qui nous intéressent et nous touchent, ce sont celles du XVe siècle, parce que ce sont des témoignages et qu'on y entend un accent inimitable. Je citerai, en première ligne, les vers de Christine de Pisan. Ce sont les seuls qui aient été faits du vivant de l'héroïne. Ils furent achevés le 31 juillet 1429, au moment où Charles VII, maître de Château-Thierry, pouvait, en trois jours de marche, conduire son armée devant Paris. Christine était vieille alors; elle vivait, depuis onze ans, cloîtrée dans une abbaye de l'Ile-de-France. Cette dame avait la tête pleine des doctes subtilités qui formaient toute la science de son temps; elle était un peu pédante, mais bonne, sérieuse et pleine de coeur. Les misères de la France la désolaient. Quand elle apprit là délivrance d'Orléans et la mission de la Pucelle, elle éprouva, pour la première fois depuis onze ans, un mouvement de joie:

Or, à prime me prens à rire.

C'est alors que du fond de sa retraite l'excellente femme écrivit des vers qu'on croit être les derniers qui soient sortis de sa main. Ils se ressentent de la vieillesse de l'auteur et des misères du temps. Ils sont pesants et maladroits. Mais-on y devine une joie grave, une pieuse allégresse; un profond sentiment du bien public, qui nous les rendent, respectables et chers.

Chose est bien digne de mémoire,

dit la poétesse recluse,

    Que Dieu par une vierge tendre
    Ait adès voulu—chose est voire (vraie),
    Sur France si grant grace estendre.
    Tu Jehanne de bonne heure née
    (Toi Jeanne, née en une bonne heure),
    Benoist (béni) soit cil (celui) qui te créa.
    Pucelle de Dieu ordonnée (envoyée)
    En qui le Saint-Esprit réa (fit rayonner)
    Sa grande grace; et qui ot et a (et qui eus et as)
    Toute largesse de hault don.
    M'onc requeste ne te véa (refusa)
    Que te rendra assez guardon.
    (Et il te donnera assez grande récompense.)

Ce qui réjouit par-dessus tout la bonne Christine, c'est que le salut vienne d'une femme. Elle en est tout heureuse, sans en être le moins du monde surprise, car elle avait toujours mis très haut l'honneur de son sexe et s'était montrée toute sa vie fort entêtée des privilèges que l'esprit chevaleresque accordait aux dames. Pour elle, comme pour beaucoup d'âmes de son temps, une dame honnête, une jeune fille pure peut devenir, par la volonté de Dieu, supérieure au mal, plus forte que les archers et les murailles des villes. Les exemples d'une telle vocation ne lui manquent pas. Nourrie dans les lettres sacrées et dans les lettres profanes, elle connaît les femmes fortes de la Bible, les sibylles de Rome et de Cumes, les amazones et les preuses. Elle met Jeanne la bergère au-dessus de toutes ces héroïnes qui l'annoncent et la préparent. Elle attend d'elle la délivrance du royaume, la résurrection de ce grand peuple plus malheureux qu'un chien. (Tout ce grand peuple chenin par femme est sours.) Mais, chrétienne en même temps que Française, elle ne borne pas à la défaite des Anglais la mission de Jeanne. Elle annonce que la Pucelle victorieuse conduira le roi de France à la conquête du tombeau de Jésus-Christ et ne mourra que sur la terre sanctifiée par la mort d'un Dieu.

    Des Sarrazins fera essart
    En conquérant la sainte terre;
    Le mènra Charles, que Dieu gard',
    Ains qu'il muire fera tel erre.
    Cils et cil qui la doit conquerre:
    Là doit elle finer sa vie
    Et l'un et l'autre gloire acquerre,
    Là sera la chose assovye.

C'était trop désirer; c'était trop attendre de la pauvre et sainte fille. On peut pressentir dès lors, en cette belle heure de gloire et d'espérance, les jours prochains d'amertume et de déception. Jeanne était condamnée à vaincre toujours. Pour elle la moindre défaite était une irréparable déchéance. Vaincue, elle ne pouvait trouver de refuge que dans le martyre.

Le peuple de France, il est consolant de le dire, n'oublia pas sa sainte après la passion qu'elle souffrit à Rouen, sous le régent d'Angleterre. Ce sont encore les vieux poètes du XVe siècle qui nous fournissent ce précieux témoignage de la piété des Français pour la mémoire de leur amie.

Le Mystère du siège d'Orléans, dont nous parlions tout à l'heure, fut représenté dans cette ville dès l'année 1435, le jour anniversaire de la délivrance de la cité. Ce mystère, où Dieu le père, la Vierge et les saints, se mêlent aux gens d'armes, est composé de vingt mille cinq cent vingt-neuf vers, dit M. Marius Sépot, que je veux croire sur parole. Ces vers sont le fait de plusieurs bonnes gens qui les fabriquèrent de leur mieux, avec beaucoup de naïveté. La pièce se termine au retour de Jeanne à Orléans, après la bataille de Patay, la plus rapide, la plus joyeuse, la plus allègre de nos victoires.

On me dit que l'habile directeur de l'Odéon, M. Porel, demande aux poètes une Jeanne d'Arc nouvelle. Je n'ai de conseil à donner ni aux poètes ni à M. Porel. Mais il me semble que la meilleure manière de mettre sur la scène cette admirable Jeanne, ce serait de faire, non un drame ou une tragédie, mais un simple mystère, composé de scènes détachées, qu'on prendrait dans les chroniques et qu'on traduirait en un langage tout à fait populaire, en vers très naïfs, s'il était possible. Il faudrait ne recourir à aucun artifice dramatique et faire succéder les tableaux sans les lier les uns aux autres, à peu près comme fait Shakespeare dans ses Histoires. On devrait, dans ce travail à la fois simple et minutieux, craindre surtout l'éloquence des mots, qui nuirait à celle des choses. Pour le ton général on s'inspirerait de la vieille et vénérable pièce dont je viens de parler. Le vers était volontiers prosaïque au XVe siècle. Il ne saurait l'être aujourd'hui. Peut-être conviendrait-il de le remplacer par de la prose chaque fois que parleraient des personnages humains. Seuls saint Michel, sainte Catherine sainte Marguerite, tous les saints, tous les anges, parleraient en vers et chanteraient des choeurs. Ils seraient visibles et présents, et révéleraient le sens mystique de l'action. Les choeurs des anges qui chantaient la musique de M. Gounod, autour du bûcher de Jeanne d'Arc, dans la pièce de M. Jules Barbier, ont fait un très bel effet à la Gaîté en 1873. Je voudrais que, cette fois, Michel, Catherine et Marguerite fussent tout à fait dans le goût du XVe siècle, que les deux saintes fussent des dames et représentassent l'âme de la vieille France. Il faudrait que toute la fleur de la poésie chrétienne sortît de leurs bouches et que leurs chants, d'un caractère religieux, fussent accompagnés par l'orgue. Quant à faire parler Jeanne d'Arc elle-même selon les lois d'une versification qui date de Ronsard, c'est ce qui choquera tous ceux qui aiment l'histoire avec délicatesse. Beaucoup de paroles de cette admirable fille nous ont été heureusement conservées. On ne peut les mettre en vers sans les défigurer, et ce serait grand dommage, car ce sont des perles et des joyaux de la plus pure langue française. Il faudrait seulement les rajeunir: le théâtre ne souffre pas les archaïsmes du discours. On est choqué d'entendre des vieux mots sur de jeunes lèvres. Pour qu'une telle oeuvre fût menée à bien, la collaboration d'un poète et d'un savant ne serait point inutile. Enfin, la pièce que je rêve est une chronique dialoguée et accompagnée de musique; car il faut joindre l'idéal au réel. C'est une oeuvre vraiment populaire et nationale. Je ne veux point qu'elle soit, à proprement dire, une oeuvre d'art. Je veux beaucoup plus et beaucoup mieux. Je veux qu'elle soit une oeuvre de foi et qu'elle parle aux âmes. Je demande que, pour bien faire, les auteurs se fassent momentanément des hommes du XVe siècle et que, selon l'expression du Chatterton d'Alfred de Vigny, ils consentent à «raccourcir leur vue».

Mais nous parlions des vieux poètes. Neuf ans après la mort de Jeanne, le prévôt de la cathédrale de Lausanne, nommé Martin le Franc, consacra à la glorification de l'héroïne un épisode de son poème le Champion des dames. Il est à noter que Martin le Franc était attaché au duc de Bourgogne, auquel il dédia son livre. Dans cet épisode, Jeanne est attaquée par un personnage dont le nom indique le caractère: il s'appelle Court-entendement. Elle est victorieusement défendue par Franc-vouloir. Ce fut elle, dit celui-ci,

    Ce fut elle qui recouvra
    L'honneur des Français tellement
    Que par raison elle en aura
    Renom perpétuellement.

Tous ces vers ressemblent à des châtaignes: ils on de la saveur, mais l'écorce en est épaisse et hérissée. En voici de plus faciles: Ils sont tirés des Vigiles du roi Charles VII, terminés par Martial d'Auvergne en 1484:

    En ceste saison de douleur
    Vint au roy une bergerelle
    Du villasge de Vaucouller
    Qu'on nommait Jehanne la Pucelle.
    C'estoit une povre bergière,
    Qui gardoit les brebis es champs,
    D'une douce et humble manière,
    En l'aage de dix-huit ans.
    Devant le roy on la mena,
    Ung ou deux de sa cognoissance,
    Et alors elle s'enclina
    En luy faisant la révérence.
    Le roy par jeu si alla dire:
    «Ha! ma mye, ce ne sui-je pas.»
    À quoi elle respondit: «Sire,
    C'estes vous, ne je ne faulx pas.
    Au nom de Dieu, si disoit-elle,
    Gentil roy, je vous meneray
    Couronner à Rains, qui que veille.
    Et siège d'Orleans leveray.»

Maintenant, il ne nous reste plus qu'à rappeler la ballade de Villon, pour compléter notre anthologie des vieux chantres de la bonne Jeanne, parmi lesquels on regrette de ne pas trouver ce duc d'Orléans qu'elle aima tant et à qui elle fit tant de bien sans l'avoir jamais connu. Comment, puisqu'il faisait des ballades, n'en fit-il point pour Jeanne?

À compter du XVIe siècle, la langue et les sentiments sont changés. Aucun poète ne trouve le ton juste pour chanter la Pucelle. Je citerai, par exemple, une épigramme de Malherbe:

    L'ennemy, tous droits violant,
    Belle amazone en vous bruslant
    Témoigna son âme perfide;
    Mais le destin n'eut point de tort:
    Celle qui vivoit comme Alcide,
    Devoit mourir comme il est mort.

Voilà, certes, un compliment ridicule. J'oubliais quatre vers attribués à mademoiselle de Gournay, la fille adoptive de Montaigne. Quicherat les admirait. M. le duc de Broglie ne croit pas «que le souvenir de la vierge d'Orléans en ait inspiré de plus touchants». Je suis très éloigné de partager cet avis. Pour qu'on en juge, je les citerai, bien qu'ils soient assez connus:

    —Peux-tu bien accorder, vierge du ciel chérie,
    La douceur de tes yeux et ce glaive irrité?
    —La douceur de mes yeux caresse ma patrie
    Et ce glaive en fureur lui rend sa liberté!

Le quatrain est bien tourné: c'est tout ce que j'en puis dire. Rien dans cette louche antithèse ne me rappelle la belle illuminée des champs, comme dit admirablement Louis Veuillot, cette fleur de lis si svelte, si robuste, si franche et si fraîche et d'un si grand parfum. Il est douteux d'ailleurs que l'épigramme, sous cette forme, soit de mademoiselle de Gournay. Une autre version, qui appartient assurément à cette dame, est détestable:

    —Pourquoy portes-tu, je te prie,
    L'oeil doux et le bras foudroyant?
    —Cet oeil mignarde ma patrie,
    Ce bras chasse l'Anglois fuyant.

Non! ce n'est pas là de la poésie. Et comment poétiserait-on cette divine Jeanne, déjà par elle-même tout empreinte et trempée de poésie?

Jeanne n'est faite que de poésie. Elle est sortie de la poésie populaire et chrétienne, des litanies de la Vierge et de la légende dorée, des merveilleuses histoires de ces épouses de Jésus-Christ qui mirent sur la robe blanche de la virginité la robe rouge du martyre. Elle est sortie des sermons fleuris dans lesquels les fils de saint François exaltaient la pauvreté, la candeur et l'innocence; elle est sortie de la féerie éternelle des bois et des fontaines, de ces contes naïfs des aïeules, de ces récits obscurs et frais comme la nature qui les inspire, où les filles des champs reçoivent des dons surnaturels; elle est sortie des chansons de la terre des chênes, où vivaient d'une vie mystérieuse Viviane et Merlin, Arthur et ses chevaliers; elle est sortie de la grande pensée qui fit épanouir la rose de feu au-dessus des portails des églises; elle est sortie des prophéties par lesquelles les pauvres gens du royaume de France pressentaient un avenir meilleur; elle est sortie de l'extase et des larmes de tout un peuple qui, dans les jours de misère, vit, comme Marie d'Avignon, des armes dans le ciel et n'espéra plus qu'en sa faiblesse.

Elle est pétrie de poésie, comme le lis de rosée; elle est la poésie vivante de cette douce France qu'elle aima d'un miraculeux amour.

TABLE ALPHABÉTIQUE

DES NOMS DES AUTEURS CITÉS OU MENTIONNÉS DANS CE VOLUME

A

ANAXAGORE.
ANAXARQUE.
APULÉE.
ARISTOPHANE.
ASSELINEAU (Charles).
ATHANASE (saint).
AUDIFFRET-PASQUIER (duc d').
AUGUSTIN (saint).

B

BABOU (Hippolyte).
BANVILLE (Théodore de).
BARBIER (Auguste).
BARBIER (Jules).
BARDOUX (A.).
BARTHÉLÉMY (l'abbé).
BASSELIN (Olivier).
BAUDELAIRE (Ch.).
BAYLE (P.).
BEAUMONT (Pauline de).
BECQ DE FOUQUIÈRES.
BELLOC.
BERNARD (Claude).
BERTHELOT.
BERTIN (Antoine).
BERTRAND (Aloïsius).
BICHAT.
BISMARCK (comte de).
BOCHER (E.).
BOILEAU (Nicolas).
BOREL (Petrus).
BOSSUET.
BOUCHOR (Maurice).
BOUFFLERS (le chevalier de).
BOUGAINVILLE (L.-A.-D.).
BOURDEAU (Louis).
BOURGET (Paul).
BROCHARD (Victor).
BROGLIE (duc DE).
BUFFET (L.).
BUFFON.
BYRON (lord).

C

CALDERON.
CALMETTES (Fernand).
CARAN D'ACHE.
CARLYLE.
CAYLUS (comte DE).
CERVANTES.
CHALLEMBE-LACOUR.
CHATEAUBRIAND.
CHÊNEDOLLÉ (C.-L. DE).
CHENEVIÈRES (Philippe DE).
CHÉNIER (André).
CHESNELONG.
CHOISEUL-GOUFFIER.
CHRISTINE DE PISAN.
CLAUDIEN.
COLLET (Mme Louise).
COMTE (Auguste).
COMYNES (Ph. DE).
CONSTANT (Benjamin).
COOK (le capitaine).
COPPÉE (François).
COQUELIN CADET.
CORMENIN.
CREUTZER.
CUSTINE (Mme DE).

D

DAGUESSEAU.
DALEMBERT.
DANTE.
DARLU.
DARTOIS.
DELILLE (l'abbé).
DÉMOCRITE.
DEREMBOURG (Hartwig).
DESCARTES.
DIDEROT.
DOSTOÏEVSKY.
DOUBLE (baron).
DOUCET (Camille).
DOUCET (Lucien).
DREYFUS (Camille).
DUCIS.
DUGAS-MONTBEL.
DUMAS PÈRE (Alexandre).
DUMAS FILS (Alexandre).
DU PARQUET (Mme).
DURUY (Victor).

E

EDEN.
ELLIOT (Mistress Grace).
EPICTÈTE.
ESCHYLE.
EURIPIDE.

F

FABRE (Joseph).
FAGON (G.-C.).
FAIN (baron).
FAUGERON.
FÉNELON.
FEUILLET (Octave).
FLANDRIN (H.).
FLAUBERT (Gustave).
FONTANES.
FRANÇOIS D'ASSISE (saint).
FREYCINET (S. de).

G

GALILÉE.
GASSENDI.
GAUCHER (Maxime).
GAUTIER. (Théophile).
GAZIER (A.).
GERSON (Jean).
GHIL (René).
GIRY.
GLABER (Raoul).
GLASSON.
GLADSTONE.
GLUCK.
GOETHE (W. von).
GOUNOD.
GOURNAY (Mlle de).
GRÉARD..
GROSLIER.
GUIGNAUT.
GYP.

H

HAHN.
HAUSSONVILLE (comte d').
HÉGEL.
HEREDIA (José-Maria de).
HÉRODOTE.
HEUZEY.
HIPPOCRATE.
HOLBACH (baron d').
HOMÈRE.
HOUSSAYE (Henry).
HOVELACQUE.
HROSWITA.
HUGO. (Victor).

I
INGRES.
J

JANMOT.
JARRY.
JEAN (le diacre).
JOHNSON.

K

KOCK (le commandant).

L

LACORDAIRE.
LACTANCE.
LAFITTE (Pierre).
LAFONTAINE (J. de).
LAISANT.
LAMARTINE (Alph. de).
LAMIRAULT.
LAMETTRIE (J.-O. de).
LANCELOT (Claude).
LAPLACE (P.-S. marquis de).
LAPRADE (V. de).
LAROUSSE (P.).
LATOUCHE.
LAURENT (H.).
LECONTE DE LISLE.
LE FRANC (Martin).
LEMAÎTRE (Jules).
LEMIERRE (A.-M.).
LEMONNIER (Camille).
LEMOYNE (André).
LE PETIT (Jules).
L'ESTOILE (Pierre de).
LETOURNEUR.
LEVASSEUR.
LIGNE (le prince de).
LITTRÉ (E.).
LOCKE.
LOMBROSO (Cesare).
LORIOT (Florentin).
LOUIS XVIII.
LUCE (Siméon).
LUCIEN DE SAMOSATE.
LYCOPHRON.

M

MAGENDIE.
MAGNIN.
MAGNUS (Hugo).
MAISTRE (Joseph de).
MALEBRANCHE.
MALHERBE.
MALLARMÉ (Stéphane).
MALOT (Hector).
MARGUERITE DE NAVARRE, duchesse d'Angoulême.
MARGUERITTE (Paul).
MARION (H.).
MARTEL (comtesse de).
MARTIAL D'AUVERGNE.
MASPERO (G.).
MAURIN (colonel).
MAUDSLEY.
MAUPASSANT (Guy de).
MEILHAC (H.).
MÉNARD (Louis).
MENDÈS (Catulle).
MÉRIMÉE (Prosper).
MICHEL-ANGE.
MICHELET.
MILLEVOYE (C.-H.).
MIRABEAU (comte de).
MIRRI, scribe égyptien.
MOLIÈRE.
MONCEAUX (Paul).
MORÉAS (Jean).
MORELLET (l'abbé).
MORICE (Charles).
MÜNTZ.
MUSSET (Alfred de).

N

NAPOL LE PYRÉNÉEN.
NAPOLÉON.
NICOT (Jean).

O

OHNET (Georges).
ORLÉANS (Charles d').
OSSIAN.

P

PARÎS (Gaston).
PARNY.
PASCAL.
PEYRAT (Napoléon). Voir Napol le Pyrénéen.
PHLÉGON DE TRALLES.
PIGEON (Amédée).
PLATON.
PLAUTE.
PLINE L'ANCIEN.
PLUTARQUE.
POË (Edgar).
PONCHON (Raoul).
PORPHYRE.
POTTIER (Edmond).
PRAROND (Ernest).
PREVOST-PARADOL.
PRODICOS.
PYRRHON.

Q
QUICHERAT (J.).
R

RABBE (Félix).
RACINE (Jean).
RALEIGH (Walter).
RAVAISSON.
RAYNAL (l'abbé).
REINACH (Salomon).
RENAN. (Ernest).
RENARD (Georges).
RESTIF DE. LA BRETONNE.
RICHEPIN (Jean).
RIVIÈRE (Henri).
ROUSSEAU (Jean-Jacques).

S

SABRAN (Mlle de).
SAINT-CYR DE RAISSAC.
SAINT-MARC-GIRARDIN.
SAINTE-BEUVE.
SAPPHO.
SARCEY (Francisque).
SARDOU (Victorien).
SAY (Léon).
SECCHI (le père).
SENIOR (Mistress).
SEPET (Marius).
SHAKESPEARE.
SIGNORET (Henri).
SILVESTRE (Armand).
SIMON (Jules).
SOCRATE.
SOLDI (Emile).
SOPHOCLE.
SOURY (Jules).
STAËL (Mme de).
STENDHAL.
SUARD (J.-B.-A.).
SULLY-PRUDHOMME.
SWEDENBORG.

T

TACITE.
TAINE (H.).
TÉRENCE.
THIERRY (Aug.).
THIERRY (Gilbert-Augustin).
THIERS (Ad.).
THUCYDIDE.

V

VALERAND DE LA VARANNE.
VANNIER (Léon).
VARNHAGEN (Rahel de).
VERNE (Mlle Paule).
VEUILLOT (Louis).
VEYRIES (Alphonse).
VICAIRE (Gabriel).
VIGÉE-LEBRUN (Mme).
VIGNY (Alf. de).
VILLON (François).
VIRGILE.
VOGÜÉ (vicomte Eugène-Melchior de).
VOLTAIRE.
VORAGINE (Jacques de).

W

WALTZ.
WEIL (Henri).
WILLETTE.

Z

ZOLA (Émile).

FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE.
M. ALEXANDRE DUMAS FILS.
«LES JOUETS D'ENFANTS», PAR M. CAMILLE LEMONNIER.
GUSTAVE FLAUBERT.
M. GUY DE MAUPASSANT.
«LE BONHEUR», PAR SULLY-PRUDHOMME.
MÉRIMÉE.
HORS DE LA LITTÉRATURE.
BIBLIOPHILIE.
LES CRIMINELS.
LA MORT ET LES PETITS DIEUX.
LA GRANDE ENCYCLOPÉDIE.
UN POÈTE OUBLIÉ: SAINT-CYR DE RAISSAC.
LES TORTS DE L'HISTOIRE.
SUR LE SCEPTICISME.
EURIPIDE.
LES MARIONNETTES DE M. SIGNORET.
LA MÈRE ET LA FILLE: «MADAME DE SABRAN ET MADAME DE CUSTINE». PAR M. A.
BARDOUX.
M. JULES LEMAÎTRE.
1814.
DEMAIN.
M. CHARLES MORICE.
LE GRAND SAINT ANTOINE.
ANTHOLOGIE.
LA SAGESSE DE GYP: «LES SÉDUCTEURS», «MADEMOISELLE LOULOU».
ANTHOLOGIE.
M. GASTON PARIS ET LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN-AGE.
LEXIQUE.
LA PURETÉ DE M. ZOLA.
«LA TEMPÊTE».
«LA TRESSE BLONDE», PAR GILBERT-AUGUSTIN THIERRY.
«BRAVE FILLE», PAR FERNAND CALMETTES.
«HISTOIRE DU PEUPLE D'ISRAËL», TOME II, PAR ERNEST RENAN.
L'ÉLOQUENCE DE LA TRIBUNE:—LE SÉNAT.
ROMAN ET MAGIE.
M. OCTAVE FEUILLET: «LE DIVORCE DE JULIETTE».
JEANNE D'ARC ET LA POÉSIE.—VALERAND DE LA VARANNE.—M. ERNEST PRAROND.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS DES AUTEURS CITÉS.

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES

619-17.—Coulommiers. Imp. Paul BRODARD.—1-18. 7042-8-17.

DU MÊME AUTEUR

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LES DIEUX ONT SOIF. 1 vol.
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