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Le Bondou: étude de géographie et d'histoire soudaniennes

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The Project Gutenberg eBook of Le Bondou: étude de géographie et d'histoire soudaniennes

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Title: Le Bondou: étude de géographie et d'histoire soudaniennes

Author: A. Rançon

Release date: September 26, 2024 [eBook #74481]

Language: French

Original publication: Bordeaux: G. Gounouilhou, 1894

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by the Bayerische Staatsbibliothek)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BONDOU: ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE SOUDANIENNES ***

Cette monographie a été extraite et préparée à partir de sa version publiée dans le Bulletin de la Société de géographie commerciale de Bordeaux, no 17, 1894.

CARTE DU BONDOU D’APRÈS LES TRAVAUX du Capitaine ROUX de l’Infanterie de Marine et du Docteur RANÇON Médecin de Première Classe des Colonies

Supplément au BULLETIN de SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE COMMERCIALE DE BORDEAUX du 6 Août 1894

(Agrandissement)

LE BONDOU
Étude de géographie et d’histoire soudaniennes.


Il y a quelques années, un superbe noir, à la figure intelligente et fine, excita à un haut degré la curiosité de la capitale. Sa haute taille, le burnous dont il se drapait fièrement, le petit bonnet de cotonnade dont il était coiffé éveillaient dans l’esprit des passants une admiration sympathique. Ce qui cependant étonnait le plus, c’était de voir briller sur sa poitrine la croix de chevalier de la Légion d’honneur dont le rouge ruban de soie moirée tranchait d’une façon éclatante sur la blancheur immaculée de son manteau. Une suite nombreuse de noirs africains l’accompagnait dans ses promenades et ses visites, et un officier, au teint bruni par le soleil des tropiques, lui servait de cicerone. Les revues illustrées lui consacrèrent plusieurs de leurs dessins les mieux réussis, et nos plus grands journaux publièrent sa biographie et contèrent ses hauts faits.

Mais, en France, tout s’use rapidement, et les hommes les plus illustres n’y acquièrent guère que la célébrité d’un jour. Un simple fait divers, une première à sensation, un procès scandaleux suffisent pour passionner l’opinion publique et lui faire oublier son idole de la veille. Aussi notre personnage fut-il rapidement délaissé, et, aujourd’hui, son souvenir s’est complètement effacé de la mémoire de ceux qui lui firent jadis une si brillante réclame.

C’était pourtant une curieuse figure et un étrange caractère que le prince Sissibé, Ousman Gassy, almamy du Bondou.

Quelques rares officiers que leur service ou les devoirs de leurs fonctions appellent dans les régions qu’il commanda, se souviennent encore des services qu’il a rendus à la France en Afrique et savent qu’il a succombé, dans toute la force de l’âge, victime de ce terrible climat du Soudan, au cours de la glorieuse campagne que dirigea contre le sombre Ahmadou, sultan de Ségou, le colonel Archinard.

Il en est bien moins encore qui connaissent l’empire sur lequel il régna. Jusqu’à ce jour, on n’a pu recueillir sur sa géographie et son histoire que des données absolument incomplètes et le nom de Bondou sous lequel on le désigne n’éveille guère dans l’esprit de la grande majorité du public qu’une image bien vague et bien incertaine de paysages tropicaux, de brillants horizons et de sombres villages brûlés par un soleil ardent, au milieu desquels errent de leur pas mélancolique et grave de noirs adeptes de la religion du prophète.

Nous ne connaissons que deux auteurs qui se soient occupés de cet intéressant pays, et encore les mémoires qu’ils lui ont consacrés, tout captivants qu’ils soient, sont-ils fort incomplets. En 1884, M. J.-J. Lamartiny, négociant au Sénégal, conseiller général, qu’une mort prématurée a trop tôt enlevé, il y a quelques années, à l’estime de ses concitoyens, publia, sous les auspices de la Société de géographie commerciale de Paris, une monographie qui, à l’époque où elle parut, a pu être considérée à juste titre comme une véritable nouveauté géographique et historique. Neuf ans plus tard, en 1893, notre excellent ami, le capitaine Roux, de l’infanterie de marine, alors commandant du cercle de Bakel, dans une brochure éditée à Saint-Louis du Sénégal, reprit cette étude au point de vue purement historique et les documents nouveaux qu’il y fit connaître jetèrent un jour tout particulier sur le passé de ce petit empire africain.

Mais ces deux importantes relations, dont les récits de notre ami, le prince Sissibé, Abdoul-Séga, chef de Koussan-Almamy, l’un des plus anciens et des principaux villages du Bondou, forment, pour ainsi dire, toute la substance, ne sont que des essais de grande valeur que nous avons pu, au cours de nos voyages au Soudan, compléter d’une façon méthodique aux différents points de vue de la géographie, de l’histoire, de l’ethnographie et de la sociologie.

C’est ce nouveau travail que nous avons l’honneur de présenter à ceux qu’intéressent les questions coloniales, en les priant de vouloir bien lui accorder toute la sympathie et toute l’indulgence avec lesquelles ils ont accueilli nos précédentes études.

Limites, frontières. — En y comprenant le Tiali, le Nieri, le Diaka et le Ferlo, ses provinces tributaires, le Bondou est à peu près situé entre les 14° 20′ et 15° 50′ de longitude à l’ouest du méridien de Paris et les 13° 12′ et 14° 45′ de latitude nord. Dans ses plus grandes dimensions, il mesure environ de l’est à l’ouest 190 kilomètres et du nord au sud 170 kilomètres. Sa superficie dépasse 33,000 kilomètres carrés. Ces chiffres ne sont, bien entendu, qu’absolument approximatifs, car, dans l’état actuel des choses, il n’est guère possible de donner de ce pays des mensurations rigoureusement exactes.

Il n’a pas, pour ainsi dire, de frontières naturelles. Elles ne sont formées presque partout que par une ligne fictive déterminée par les travaux des différentes missions qui se sont succédé dans ces régions. Elle passe au nord à environ 3 kilomètres au sud du village d’Allahina. De là elle se dirige vers le sud-sud-est jusqu’au marigot de Samba-Kouta qu’elle coupe pour s’orienter vers l’est jusqu’à la rivière Falémé. Ce cours d’eau sert de frontière au Bondou jusqu’au petit village de Guita situé sur sa rive droite à environ 7 kilomètres au nord-nord-est de Sénoudébou. De Guita, la ligne de démarcation suit une direction générale sud, coupe de nouveau la Falémé à 10 kilomètres au sud-sud-est du village de Bountou. Là, elle oblique vers le sud-ouest et est ainsi orientée jusqu’au confluent du Fala-Koulou et du marigot de Boumba. Puis, elle remonte vers le nord-ouest jusqu’au Mahel-Sanou qui sert de limite au Bondou dans ces régions jusqu’à son confluent avec le Niéri-Kô. De ce point, la ligne de démarcation se dirige directement au nord-ouest, suit pendant quelques kilomètres le petit marigot de Koromadji jusqu’au point où il se jette dans le Sandougou ou Badiara. Brusquement, elle oblique alors vers le nord, suit cette orientation jusqu’à ce qu’elle rencontre le marigot de Tiangol-Ouoloff. A partir de là, elle se dirige d’une façon générale vers le nord-nord-est jusqu’en un point situé à huit kilomètres environ du petit village de Allah-Lewi, d’où elle rejoint le point initial en formant un coude dont la convexité est dirigée vers le sud. Cette ligne frontière n’a pas moins de 625 kilomètres de développement.

Le Bondou confine au nord au Guoy, au nord-est au Kamera, à l’est au Gadiaga, au pays de Farabana et au Niagala ; au sud-est au Bélédougou et au désert de Tandaba qui le sépare du Badon, au sud au pays de Gamon, au Tenda-Touré et au Ouli ; au sud-ouest au Ouli, à l’ouest au Kalonkadougou dont le sépare une vaste étendue de steppes absolument stériles et inhabitées, et enfin au nord-ouest au désert du Ferlo et au Damga.

Aspect général. — L’aspect général du Bondou est plutôt celui d’un pays de plaine que celui d’une région montagneuse. Les reliefs du sol y sont, en effet, peu nombreux et de peu d’importance. On peut à ce point de vue le diviser en cinq régions bien distinctes. La région nord est de beaucoup la plus accidentée. Elle est sillonnée de nombreuses collines peu élevées qui enserrent des vallées d’une étonnante fertilité, mais où ne peuvent guère être cultivées que des espèces indigènes.

La région est comprend toute la partie de la vallée de la Falémé qui s’étend à peu près depuis le village de Bountou au sud au village de Balou au nord. Elle est bien arrosée par de nombreux marigots. Le sol y est fertile et couvert surtout sur les rives de la rivière et celles des marigots d’une riche végétation.

La région sud qui est formée par le Tiali, le Diaka, le Nieri et une partie du Ferlo-Maodo est couverte de belles forêts qui alternent avec des plateaux absolument dénudés et stériles. Dans les parties relativement fertiles de cette région, la flore diffère sensiblement de celle des provinces plus septentrionales. Là, on commence à rencontrer les belles essences qui caractérisent la végétation des Rivières du sud. Le sol y est, dans les vallées des marigots, éminemment fertile et le Tiali et le Nieri notamment ont toujours été regardés par les almamys du Bondou comme leur véritable grenier d’abondance.

A l’ouest, nous retrouvons les plaines nues et arides qui sont particulières au Sénégal et au Soudan. C’est la steppe monotone et triste dans toute l’acception du mot, avec son sol argileux où croissent de maigres végétaux rabougris et rachitiques et une brousse épaisse dont les cypéracées et les graminées inférieures forment les principaux éléments.

Enfin, la région centrale tient à la fois de celles qui l’environnent ; à côté de vallées relativement riches, on trouve des plaines absolument stériles. Elle est faiblement arrosée. Pendant la saison sèche, ses marigots sont absolument taris, et pendant l’hivernage, ils sont transformés en véritables marécages absolument impropres à la culture. Le sol y est à peine vallonné et ses productions sont à peine suffisantes pour nourrir les populations qui l’habitent.

Hydrologie[1]. — Sous ce rapport le Bondou appartient à la fois au bassin de la Falémé et à celui de la Gambie. Une chaîne de collines peu élevées et dirigées du nord au sud depuis le village de Bordé jusqu’aux environs de Kippi dans le Tiali séparent les régions Bondounkées qu’arrosent les marigots tributaires de ces deux grands cours d’eau.

La Falémé coule dans le Bondou pendant environ 150 kilomètres. Pendant l’hivernage, elle y est navigable pour des vapeurs calant 1m 50 à 2 mètres. Mais, pendant la saison sèche, elle n’est praticable que pour des chalands à fond plat et des pirogues indigènes.

Cette rivière, dont certains explorateurs ont cru devoir faire des descriptions si séduisantes, ne mérite que médiocrement la réputation qu’on lui a faite. Elle suit le régime de tous les grands cours d’eau de l’Afrique occidentale. Pendant la saison des pluies, c’est une belle rivière dont la largeur atteint en maints endroits 200 et 300 mètres. Son courant est alors rapide et a une force qui parfois dépasse quatre nœuds. Sa navigation présente alors de sérieux dangers, car son lit est parsemé de bancs de sable et de rochers qui forment autant d’écueils difficiles à éviter pour ceux qui ne connaissent qu’imparfaitement son chenal.

Elle présente, au cours de la même année, des différences de niveau considérables. Là où, à l’époque de la crue, on trouvait des fonds de 8 à 10 mètres, on ne rencontre plus, à peine quelques semaines plus tard, qu’un mince filet d’eau.

Ses rives sont couvertes d’une riche végétation, mais elle s’étend à peine à 700 ou 800 mètres à l’intérieur des terres. Toutefois la rive occidentale nous a paru plus boisée que la rive opposée. Enfin, pendant la saison sèche, ses bords sont absolument à pic et cela s’explique aisément si l’on songe que son courant est pendant l’hivernage absolument torrentueux en certains endroits.

Si maintenant nous descendons le cours de la Falémé depuis le point où elle entre dans le Bondou jusqu’au moment où elle en sort, nous verrons que dans ce trajet, elle suit une direction générale sud-sud-est nord-nord-ouest.

Née des montagnes du Fouta-Djallon, sur le versant opposé à celui où le Sénégal prend sa source, elle arrose avant de pénétrer dans le Bondou le Sangala, le Gounianta, le Dentilia, le Sirimana et le désert de Tandaba sur sa rive gauche, le Fantofa, le Dialloungala, le Konkodougou-Sintedougou, le Diébédougou, le Kamanah, le Kilé, et le pays de Makhana, sur sa rive droite.

En face du village de Makhana sur la rive droite de la Falémé et à l’ouest se trouve le petit village de Bountou, le premier qui appartienne au Bondou dans cette région. Ce fut à Bountou qu’en 1859 M. Baur, ingénieur des mines, se livra à des essais de lavage des sables aurifères de la rivière.

Un peu au nord de Bountou, se trouve le petit village de Farabanna qui fut visité en septembre 1859 par l’aviso le Griffon. Là, la rivière se partage en un grand nombre de canaux au milieu desquels se trouvent de petits îlots. Ces canaux sont de plus coupés par des bancs de rochers qui laissent entre eux d’étroits passages.

Les ruines du petit village de Fatendi sont situées sur la rive gauche un peu au nord de Farabanna. Presque en face se trouve le petit village de Touteko. A 15 kilomètres de Fatendi se trouve Sansandig sur la rive gauche. Sur la rive droite se trouvait jadis un second village qui portait le même nom.

Tomboura que l’on trouve ensuite à 5 kilomètres de Sansandig est le village le plus considérable de cette région. En face sur la rive droite existe un petit village qui porte le même nom et qui est habité par des Peulhs du Fouta-Djallon.

Médina est maintenant en ruines et la plupart de ses habitants ont formé le petit village de Malionaki situé à 4 kilomètres environ en aval.

N’Dagan qui est distant de ce dernier de 8 kilomètres est situé sur la rive droite de la rivière. Il fut brûlé en 1857 par Brossard de Corbigny, commandant l’aviso le Grand-Bassam. Pendant l’occupation de Kéniéba il servit de magasin de dépôt et on y avait élevé un petit blockhaus. De N’Dagan partait une route de vingt mètres de large allant à Kéniéba. On n’en trouve plus traces aujourd’hui.

Jusqu’à Débou, nous ne trouvons plus que des ruines et des villages de culture de peu d’importance. C’est dans cette région que se trouvait autrefois le village de Kakoulou, capitale de l’ancien état malinké de Countou. Il fut détruit par Maka-Djiba, l’un des premiers almamys du Bondou. A Kakoulou, la Falémé est obstruée par un banc de roches qui la transforme en un véritable rapide. Pendant la saison sèche, on n’y trouve pas plus de un à deux pieds d’eau.

Non loin de là se trouvait Amdallaye, qui fut construit par l’almamy Boubakar-Saada qui en fit sa résidence pendant l’occupation française.

Débou n’est plus qu’un petit village de culture d’environ 150 habitants. Il dépend de Sénoudébou et n’est plus, pour ainsi dire, peuplé que par les captifs des princes Sissibés qui résident dans ce dernier village.

Devant Débou, la Falémé a une largeur de 180 à 200 mètres. Elle y atteint jusqu’à 5 ou 6 mètres de profondeur.

Un peu en aval de Débou se trouve le rapide de Guétié. Il divise le fleuve en petits canaux. Aux basses eaux, on n’y trouve pas plus de un pied et demi à deux pieds d’eau. Le passage de Guétié est difficile à pratiquer. Les courants qui y atteignent une force de 5 ou 6 nœuds pendant les hautes eaux permettent fort difficilement d’y naviguer. Ces rapides n’ont pas moins de 500 mètres de longueur.

Quinze cents mètres plus loin se trouve le gros village de Sénoudébou qui fut longtemps la capitale du Bondou et résidence de l’almamy Boubakar-Saada. Ce village, d’origine peu ancienne, doit son importance au fort français qui y fut construit en 1845. Ce fort fut détruit pendant la guerre contre Mahmadou-Lamine par les bandes de ce faux prophète. Il n’en reste plus maintenant que l’enceinte dans laquelle sont construites les cases de plusieurs princes Sissibés et de leurs femmes. Nous en reparlerons plus longuement dans le cours de ce travail. Sénoudébou, depuis qu’il a été abandonné par l’almamy, n’est plus qu’un village de second ordre.

A l’époque des basses eaux, la Falémé peut être traversée à gué devant Sénoudébou, quelques centaines de mètres en aval du fort.

Entre Sénoudébou et Guita se trouvait autrefois le village de Kaynoura, près duquel devait se trouver le fort Saint-Pierre-de-Kaynoura construit en 1715 par ordre d’André Bruë, directeur de la compagnie de Galam.

Guita, situé à environ 5 kilomètres en aval de Sénoudébou sur la rive gauche, n’a plus que 60 habitants. On y voit les ruines d’un vaste tata, où résidait en 1843 le roi du Khasso Sambala et qui fut construit par l’almamy du Bondou pour son royal hôte.

A quelques kilomètres de Guita se trouvent les ruines de Naïé, dont le gué du même nom est fameux dans les fastes du Bondou.

Un peu en aval de Naïé se trouvent les ruines de Kidira-tata, puis celles de Kidira-Tioubalo (Kidira des pêcheurs). Ce fut à Kidira-tata que Raffenel trouva lors de son passage la princesse Sadioba, fille du roi de Médine et veuve de Duranthon, voyageur français qui mourut dans ce dernier village. On y voit encore son tombeau.

Le petit village de Selen ou Seleng se trouve à environ 5 kilomètres de Kidira-Tioubalo. Il n’a pas plus d’une centaine d’habitants et est dépourvu de tata. Il est formé de deux villages construits à environ 500 mètres l’un de l’autre.

Entre Selen et Dialiguel on ne trouve que des ruines fort rapprochées les unes des autres. Ce sont celles de Ouro-Amady, de Beligaoudou et de Belioude.

Dialiguel n’a plus aujourd’hui qu’une centaine d’habitants. Les Peulhs y sont en majorité et il est complètement construit en paille.

Un peu en aval de Dialiguel se trouvent les roches de Djurkel. Ce sont d’énormes blocs de quartz qui s’élèvent au milieu du fleuve et autour desquelles le courant est assez violent.

Dialiguel est le dernier village du Bondou que l’on rencontre en descendant la Falémé. A douze kilomètres de là, la rivière coule alors entre le Guoy et le Kamera pendant dix kilomètres et se jette dans le Sénégal entre Aroundou et Goutioubé, en face du gros village de Dioukountourou qui se trouve dans le Guidimakha.

A peu de distance de la frontière se trouve le petit village de Balou dont la population formée de Sarracolés est d’environ 350 habitants. Au pied de ce village s’étend un grand banc de roches qui barre une partie de la rivière sur la rive gauche, tandis que sur la droite s’avance un banc de sable, ne laissant entre eux qu’un passage de 3 mètres de large. Pendant les hautes eaux, tous ces bancs et rochers sont submergés et forment des écueils dangereux pour la navigation.

Ces rochers sont l’objet d’une légende fort connue dans tout le Guoy, le Kaméra et le Bondou. On les désigne sous le nom de Penda-Balou, du nom de l’héroïne dont nous allons conter ici les aventures ; car, suivant les récits des griots, elles se passèrent à l’époque où Balou appartenait aux almamys du Bondou. Comme Lamartiny, nous empruntons cette relation à Raffenel ; elle nous a été, du reste, contée dans tous ses détails par les griots de Sénoudébou.

Penda-Balou était autrefois une princesse d’une rare beauté qui suivait la loi du prophète avec une irréprochable fidélité. Elle était bonne, généreuse et sensible.

D’une modestie rare, elle choisissait, pour faire le bien et aller consoler les malheureux, le moment où le tam-tam et la flûte appelaient les jeunes filles à la danse sous le grand tamarinier du village. Elle se montrait rarement dans les réunions dont elle était la reine et par sa beauté et par ses vertus.

Souvent elle allait s’asseoir sur une pointe de ces noirs rochers et aimait à s’y laisser rêver au doux souffle de la brise.

Refusant toutes les demandes en mariage qu’elle et sa mère recevaient tous les jours, malgré les avantages qu’elles pouvaient offrir : ses nombreux prétendants disaient que Penda-Balou était fiancée à quelque génie malfaisant.

Hélas ! c’était vrai : la pauvre Penda était devenue amoureuse d’un génie qu’elle voyait seule, et qui, sous la forme d’un beau jeune homme, lui avait raconté les choses les plus séduisantes et les plus propres à inspirer l’amour.

Ses visites se renouvelaient souvent au rocher ; mais son amant devenant plus pressant et plus passionné, elle se décida à en parler à sa mère pour lui demander de la laisser épouser celui qu’elle aimait. Mais sa mère, s’attachant à elle, jura qu’elle ne consentirait jamais à une union qui devait la séparer éternellement de sa fille (car telle était la condition du génie).

La malheureuse Penda se laissa entraîner par le charme et la beauté de son amant, et abandonna celle qui lui avait donné le jour.

Dès que sa proie fut enfin en son pouvoir, le génie, dépouillant ses formes séduisantes, reprit sa nature primitive, celle d’un gros caïman au ventre vert. Aux palais enchantés qu’avait rêvés la douce Penda, succédèrent des cavernes noires et fétides, et à la douce voix de ses compagnes et de ses captives succéda le croassement des hideux habitants des ondes profondes.

En vain la pauvre Africaine demande pardon et appelle sa mère, tout reste sourd à ses prières.

Une oreille compatissante entendit cependant ses gémissements et lui dit d’une voix mystérieuse : « La puissance de ton époux n’est point aussi absolue que tu le crois ; elle échoue devant la fermeté et l’énergie de celles qui tombent victimes de ses pièges. Mais, hélas ! infortunée, le secret que je t’apprends là ne te sauvera qu’à demi, car je ne puis rien contre les vengeances de Golaksala (c’était le nom du génie) et elles sont terribles. En lui résistant, tu parviendras bien à te soustraire à ses odieuses assiduités, mais tu perdras ta forme gracieuse et tu seras changée en rocher. Telle est la volonté du destin. Choisis et hâte-toi. »

La jeune fille accueillit avec empressement le changement, qui devait apporter un remède à ses malheurs, et, malgré les prières et les supplications de son époux, elle resta ferme dans sa volonté.

Dès lors s’accomplit sa malheureuse destinée. Le lendemain, les habitants de Balou apercevaient un énorme bloc de quartz qui domine le groupe de rochers noirs qui baigne ses pieds dans la rivière.

Mais restée visible pour son époux, celui-ci éprouva toujours pour elle un violent amour. Elle se débat, elle repousse le monstre. Pendant ce temps une tempête éclate, le ciel est gris, le vent souffle avec furie, et le tonnerre gronde. Les flots, soulevés avec force, vont se briser en écumant sur les pieds du rocher. Les habitants consternés prient et attendent avec anxiété la fin de cette tourmente.

Lors de la visite de Golaksala à Penda-Balou, il était toujours arrivé, racontent les anciens du village, qu’une jeune fille et un jeune homme disparaissaient du village. C’est là une tradition qui s’est longtemps transmise de père en fils.

Balou semblait voué à tout jamais à ce triste sort par la cruauté du génie Golaksala, lorsqu’un jeune pèlerin, venant de faire ses dévotions à La Mecque, passa dans le village, et touché des malheurs qui affligeaient ses habitants, recommanda le jeûne et la prière, écrivit des amulettes et ordonna de faire des offrandes. Les prescriptions de ce saint marabout furent religieusement observées, et depuis lors cessèrent les mystérieuses disparitions des jeunes gens, sauf dans quelques rares exceptions où la population avait commis quelque écart de conduite, et perdu par là la protection qu’elle avait obtenue, sur les prières du pieux pèlerin.

Dans le Bondou, la Falémé reçoit sur sa rive droite de nombreux marigots, en général de peu d’importance. Mais, avant d’en donner l’énumération, disons en quelques mots ce que l’on entend par cette expression de marigot. On désigne ainsi la plus grande partie des affluents des grands fleuves de la côte occidentale d’Afrique. Ce ne sont pas, en réalité, des affluents véritables ; et ils diffèrent profondément des rivières et ruisseaux. Le régime de leurs eaux est, en effet, tout différent. Ils n’ont pas, en général, de sources qui leur soient propres. Ce sont plutôt des déversoirs du fleuve ou rivière dont ils sont tributaires. Au début de la saison des pluies, ils amènent les eaux de l’intérieur dans le cours d’eau principal. Pendant les hautes eaux, ils en reçoivent le trop-plein. Leur courant est alors dirigé du fleuve ou de la rivière vers l’intérieur des terres. Pendant la saison sèche, au contraire, ils se déversent dans le cours d’eau au bassin duquel ils appartiennent. Leur courant est alors dirigé en sens inverse que précédemment. Certains conservent dans les parties basses de leur lit de fortes quantités d’eau et forment ainsi de vastes réservoirs qui sont autant de foyers d’infection palustre. Sur la rive droite de la Falémé, il en est quelques-uns qui proviennent de sources trop faibles pour alimenter leur cours et forment aussi de vastes réservoirs qui ne tarissent jamais sur une longueur de 2 à 3 kilomètres. Ceux-ci proviennent surtout des montagnes. Mais d’une façon générale, on peut dire que les marigots sont absolument taris dans la plus grande partie de leur cours, pendant la saison sèche. Comme le disent fort exactement les indigènes, en cette dernière saison ils sont « vides », tandis que, pendant l’hivernage, ils sont « pleins ».

Si donc nous procédons du sud au nord, c’est-à-dire d’amont en aval, nous trouvons sur la rive droite de la Falémé les marigots suivants :

Le Makhana-kô qui passe à Makhana et se jette dans la Falémé non loin de Bountou ;

Le Koba-kô qui reçoit le Sirokoto, le Samoro et le Diara et passe à Koba, petit village situé à 5 kilomètres environ de son embouchure ;

Le Louda-kô qui se jette non loin de l’ancien village de Sambayaya ;

Le marigot de Boloni qui reçoit celui de Dara ;

Le Diemoma-kô qui passe à Kéniéba ;

Enfin un grand nombre d’autres marigots de peu d’importance qui n’ont pas reçu de noms particuliers et qui prennent, en général, celui du village principal près duquel ils coulent.

Les affluents de la rive gauche sont plus nombreux et plus importants. Leur cours est généralement peu développé, car la ligne qui sépare le bassin de la Gambie de celui de la Falémé est très rapprochée relativement de cette dernière. Ce sont, en procédant d’amont en aval :

Le Gandoma-kô qui reçoit le Saboué-kô, le Mourounou-kô, le Dagué-kô et le Codiari-kô dans le désert de Tandaba et se jette dans la Falémé à 15 kilomètres environ au nord de Bountou, après avoir reçu dans la dernière partie de son cours de nombreux petits marigots qui passent non loin des ruines de Safico, de Segala et de Moricou.

Le Goulongo-kô qui passe à Goulongo dans le Tiali et dont l’embouchure se trouve à quelques kilomètres au sud de celle du marigot de Koba.

Le marigot de Fatendi de peu d’importance et qui passe non loin des ruines de ce village.

Le marigot de Toumboura de peu d’importance ;

Le Deuguillé-kô dont une des branches passe à Diddé dans le Tiali et qui se jette non loin du village de Malouiaki à quelques kilomètres au sud de N’Dagan ;

Le Séno-Séléiabé-kô qui passe dans les environs des ruines du village du même nom et qui, après avoir reçu le Séno-Bané, le Sabou Allah qui passe au sud de Koussan-Almamy, le Ourodoliré qui passe au pied même de ce village, le Tiangot-Maïssa qui passe à Sambacolo et au confluent duquel se trouve Goundiourou et le Tiangot-Ourobaldi, débouche dans la Falémé non loin du petit village de Débou ;

Le Tunka-Souté qui se jette non loin de Sénoudébou ;

Le Dialla-kô qui débouche dans la Falémé dans les environs de Guita après avoir reçu le Tioban-kô, le Dassé-kô sur les bords duquel s’élève le village de Diamwély, et le Dogui-kô qui coule non loin de Boulébané. Le marigot de Dialla passe à peu de distance du village de Fyssa-Daro dont il sera souvent question dans la suite de ce récit ;

Le Boumba-kô qui passe à Dimbé se jette non loin de ce dernier ;

Le Senoudiagué-kô peu important arrose le village de ce nom et son embouchure est peu éloignée de Kidira-Tata.

Le marigot de Mamandas et celui de Selen sont peu importants.

Enfin le Bakili dont la branche nord passe non loin des ruines d’Amady et la branche sud près de celles de Guedié se jette à peu de distance du village de Dialiguel.

Il serait fastidieux de faire ici une énumération complète des autres marigots, tributaires de la Falémé dans cette partie de son cours. Ils sont, du reste, de peu d’importance.

Les marigots dépendant du bassin de la Gambie et qui arrosent le Bondou ou ses provinces tributaires, se jettent dans cinq cours d’eau que ce fleuve reçoit sur sa rive droite. Ces cinq cours d’eau sont : le Niocolo-koba, le Niéri-kô, le Bira-kô, le Niaoulé et le Sandougou.

Au bassin du Niocolo-koba appartiennent les marigots suivants : le Fala-Koulou, le marigot de Maramasita, le Neréba et le Bantignol qui passe à Codioloï. Tous ces cours d’eau se jettent dans le Boumba-kô qui passe à Kippi et à Coufadou et qui est tributaire du Niocolo-koba. Ils coulent tous dans le Tiali.

Le Niéri-kô reçoit tous les marigots qui arrosent le Diaka, le Niéri et le Ferlo-Balignama. C’est le cours d’eau le plus important du Bondou. Beaucoup de géographes ont cru, au commencement du siècle, qu’il faisait communiquer le Sénégal avec la Gambie. Il est aujourd’hui absolument démontré qu’il en est autrement. Toujours est-il que son origine est proche du premier de ces deux grands fleuves, mais leurs eaux ne se mélangent nulle part. Il naît dans la partie la plus septentrionale du Ferlo-Balignama sur la frontière du Lèze-Bondou. La direction générale de son cours est nord-nord-est sud-sud-ouest. Il n’est navigable que dans sa partie ultime et encore pour des pirogues indigènes seulement. Il traverse le Ferlo-Balignama et le Niéri du nord au sud et passe par les villages suivants : N’Dia, Saho, Guina-Sebé, Guina-Tarobé, Ouro-Kaba, Feto-Paté dans le Ferlo-Balignama ; Kouddi, Bodé, Talimangot, Goubaïel, les ruines de Bougoulou et celles de Bagadadié dans le Niéri.

Dans la première moitié de son cours, il est complètement à sec pendant la saison sèche. Dans la seconde moitié, c’est, au contraire, une jolie rivière dont les eaux coulent en toutes saisons, très poissonneuse et dont les bords sont couverts d’une riche végétation.

Sur sa rive droite, il ne reçoit qu’un seul affluent l’Ilam-Ciré qui passe à 1 kilomètre du village de Boulel.

Sur sa rive gauche on trouve, en procédant d’amont en aval :

Le Diaré-kô qui passe à Diaré, Sovekoum et Garalla.

Le Lengué-Doud qui passe à Lewa.

Le marigot de Goundor qui passe à Kaparta et dont une des branches passe à Dendoudi.

L’Anguidiouol-kô dont l’origine est auprès des ruines de Belekindé. Il passe non loin de Soutouta et de Goundiourou, et à Médina-Diaka et se jette dans le Niéri-kô à Talimangot et reçoit un marigot important qui passe à Dalafine, Niossonko et Diankémaka dans le Tiali, et un petit cours d’eau relativement profond qui coule à quelques kilomètres à l’ouest de Bani-Israïla.

Le marigot de Bentenani qui sert de déversoir à la grande mare que l’on trouve au sud de ce village.

Le Balaouol-kô qui passe à Bala et à Goudé-Seïni et reçoit le marigot de Comoti et le Balamat-kô.

Enfin le Mahel-Sanou, le plus important de tous, dont l’origine est près des ruines de Makadinga et qui passe à Sarougni. Le Mahel-Sanou sert dans cette région de frontière au Bondou et le sépare du Tenda. Il reçoit dans le Bondou un grand nombre de petits marigots dont les plus importants passent à Samé, Diannah et à Sarougni.

Le Bira-kô est peu important. Non loin de son origine il passe à Simbanou.

Le Niaoulé qui arrose le Ferlo-Maodo passe à Soumouïel et reçoit le Godjieil-kô qui coule non loin des ruines du village du même nom.

Le Sandougou prend dans la première partie de son cours le nom de Badiara-kô.

C’est un cours d’eau aussi considérable que le Niéri-kô, et il a un développement de près de 300 kilomètres. Il suit le même régime que les autres marigots de cette région et passe à Boldi-Kadjolé, Boké-Guilé, Dendoudi, Maïel, Biramdigué et Badiara dans le Ferlo-M’Bal.

Sur sa rive droite, il reçoit le marigot de Boggal qui passe à Magulé, Boggal et Ouindou-Aly.

Sur sa rive gauche, il reçoit les marigots de Naoudé qui passe à Naoudé, de Kokiara sur la rive droite duquel se trouvent les ruines du village du même nom, celui d’Idakoto et enfin celui de Koromadji qui forme la frontière du Bondou et du Ouli.

Nous citerons en terminant le Tiangol-Ouolof qui dans une partie de son cours sépare le Bondou du désert du Ferlo et qui naît de la grande mare de Djoulambo.

La partie la plus septentrionale du Bondou dépend du bassin du Sénégal et est arrosée par plusieurs petits marigots tributaires de ce fleuve. Ce sont : le Baloukholé qui passe à Kaguel et à Somsom-Tata ; le Samba-Kouté qui passe à Gabou résidence actuelle de l’almamy régnant, et enfin un dernier marigot important qui passe à Bordé, Bordé-Diowara, Diabal et Céra.

Outre les cours d’eau dont nous venons de parler, on trouve encore dans le Bondou bon nombre de mares, dont quelques-unes ne tarissent jamais. Nous citerons particulièrement celles de : Pounegui dans le Nagué-Horé Bondou, de Windou-Balky et de Batga dans le Ferlo-Balignama, de Bentenani dans le Niéri, et de Kessegui dans le Ferlo-Maodo.

Dans les villages, on se sert pour les usages domestiques, et quand on le peut, des eaux des marigots. Dans le cas contraire, on est obligé de recourir à celles des puits. Leur profondeur varie suivant les régions, depuis 1m 50 jusqu’à 18 et 20 mètres. L’eau qu’ils donnent est généralement de bonne qualité, car elle a filtré à travers des couches épaisses de terrain qui ne contiennent aucun principe nuisible. Elle est, par exemple, presque toujours chargée de matières terreuses, surtout pendant l’hivernage. Aussi faut-il, avant de la boire, avoir soin de la laisser reposer et de décanter ensuite. Ces puits sont particulièrement creusés par les Ouolofs, qui sont aussi chargés de leur entretien. Ils ne sont nullement maçonnés. Aussi se produit-il parfois des éboulements qui les comblent en partie. Pour y puiser on se sert d’une calebasse attachée à l’extrémité d’une corde faite avec des fibres de baobab ou de bambous. Leur ouverture est recouverte de pièces de bois jointives qui reposent sur le sol et qui forment une sorte de plancher au milieu duquel est ménagé un espace libre, assez grand pour donner passage aux calebasses qui servent de seaux, mais pas assez ouvert pour qu’un homme y puisse tomber.

Orographie. — Le système orographique du Bondou est des plus simples. On n’y trouve guère à signaler comme relief important du sol que la chaîne de collines qui forme la ligne de partage des eaux des bassins de la Falémé et de la Gambie. Cette chaîne part de Bakel et vient se terminer dans le désert de Tandaba. Sa hauteur varie de 25 à 100 mètres suivant les régions, et elle est à peu près orientée nord-sud. A droite et à gauche elle émet de petits contreforts qui laissent entre eux de petites vallées au fond desquelles coulent les marigots. Une autre chaîne, moins importante, se détache de celle-ci dans le Ferlo-M’Bal, et se rapprochant de la Falémé vient se terminer dans le Nagué-Horé-Bondou. Elle passe non loin de Sénoudébou, à 2 kilomètres environ à l’ouest de cet important village.

Le Tiali présente également des reliefs assez importants. Ils sont généralement orientés est-ouest et suivent le cours des marigots. Il en est de même dans le Diaka et le Niéri. Quant au Ferlo, c’est un pays absolument plat dont le sol est à peine vallonné. Aussi, à l’époque des hautes eaux, les marigots y débordent-ils aisément et y couvrent de vastes étendues de terrain.

Dans le Bondou, comme dans les autres parties du Soudan, on rencontre par-ci par-là de ces collines isolées qui ne font partie d’aucun système orographique défini et qui de loin ressemblent à s’y méprendre à de véritables buttes de tir. Leur hauteur varie depuis 10 à 15 mètres jusqu’à 60 et 80 et ont la forme d’une pyramide quadrangulaire tronquée.

Constitution géologique du sol. — Le Bondou, à ce point de vue, appartient tout entier à la période secondaire. On n’y trouve, en effet, que les terrains qui caractérisent cet âge géologique. Sans doute, on peut y signaler des alluvions anciennes et récentes, mais l’ossature, le squelette entier du pays, si je puis parler ainsi, ne saurait être rattaché à aucune autre époque. Nul doute qu’il n’ait été longtemps enseveli sous les eaux et qu’il n’ait été une des dernières régions soudaniennes qui aient émergé. L’aspect déchiqueté des roches que l’on y rencontre ne peut laisser aucun doute à ce sujet. La ligne de partage des eaux s’est certainement montrée la première et l’on voit encore maintes régions qui sont complètement recouvertes par les eaux et qui présentent les caractères de véritables marais ou de terrains en formation.

Le sous-sol est formé de deux terrains, le terrain ardoisier et un terrain de formation secondaire auquel on est convenu de donner le nom de terrain ferrugineux. Le terrain ardoisier se trouve dans les plaines particulièrement et y est caractérisé par ses roches essentielles, schistes micacés, ardoisiers et lamelleux. Le terrain ferrugineux est propre surtout aux collines et aux plateaux élevés. Les roches que l’on y rencontre ne sont pas moins concluantes. Ce ne sont, en effet, et à l’exclusion de toutes autres, que des grès, des quartz et des conglomérats. Les grès et les quartz sont simples ou fortement colorés en rouge par des oxydes de fer. Quant aux conglomérats, ils sont formés de grès et de quartz agglutinés dans une gangue silico-argileuse.

On a pu remarquer en certains endroits du Bondou de beaux blocs de granit gris. Ce qui a fait dire à certains voyageurs qu’il y avait là un terrain primitif. C’est là une profonde erreur contre laquelle nous ne saurions trop nous élever. En effet, le granit que l’on peut rencontrer au Soudan, et particulièrement dans le Bondou, n’y existe jamais à l’état de bancs, à l’état de systèmes. Ce ne sont jamais que des blocs isolés, épars dans le terrain de formation secondaire. En un mot, ce sont uniquement des roches erratiques qui ont été entraînées là et déposées par les eaux.

La croûte terrestre diffère également suivant les régions. Au sous-sol ardoisier correspondent les argiles compactes dues à la désagrégation des roches qui composent ce terrain. Ces argiles couvrent les 4/5 de la superficie totale du pays. Elles sont stériles et généralement peu cultivées. C’est le terrain de tout le Ferlo. La latérite recouvre le sous-sol ferrugineux. Elle est produite par l’effritement des roches qui le composent.

On la trouve surtout dans le Tiali, le Niéri, le Diaka et le Bondou proprement dit. Elle constitue un terrain d’une remarquable fertilité et c’est là que les indigènes font leurs plus beaux lougans.

Les bords de la Falémé sont presque partout formés d’argiles et absolument taillés à pic, à cause de la rapidité du courant. Il en est de même de ceux des marigots qui en sont tributaires. Au contraire, les rives des marigots qui dépendent du bassin de la Gambie sont couvertes de dépôts argileux glissants qui en rendent le passage très difficile surtout pour les animaux. Le fond en est presque partout vaseux.

La couche d’humus est dans tout le Bondou peu épaisse. On n’en trouve guère que dans le fond des vallées, dans les forêts et sur les bords des grands marigots.

La nappe d’eau souterraine se trouve à des profondeurs variables suivant les régions. Très peu profonde dans le Ferlo, elle est, au contraire, à un niveau fort éloigné de la croûte terrestre dans le Diaka et le Niéri. Elle repose, suivant les terrains, sur des argiles compactes ou bien sur des sables ou un lit de quartz et de grès ferrugineux.

Dans le terrain ardoisier, on traverse avant d’y arriver les couches suivantes : 1o argiles compactes ; 2o sables siliceux ; 3o grès et quartz ferrugineux ; 4o terrain ardoisier ; 5o nappe d’eau souterraine reposant sur une couche d’argiles.

Dans le terrain ferrugineux, au contraire, on rencontre : 1o la latérite ; 2o grès et quartz ; 3o sables siliceux ; 4o nappe d’eau reposant sur un lit de sable ou de cailloux ferrugineux résultant de la désagrégation des conglomérats. Il est facile de voir d’après ce qui précède que les eaux des puits, quel que soit le terrain où ils sont creusés, doivent être propres à tous les usages domestiques. Elles ne peuvent contenir, en effet, que fort peu de principes nuisibles.

Les sables sont assez communs dans tout le Bondou. On les trouve surtout dans les terrains à latérite, et ils couvrent les lits de la plupart des marigots tributaires de la Falémé et le fond de la plus grande partie de cette rivière.

Produits minéraux. — Le fer se trouve partout, soit à l’état natif, soit à l’état d’oxydes. Il est presque toujours uni soit aux grès, soit aux quartz. Quoiqu’on le trouve en notable quantité, son exploitation ne sera jamais rémunératrice. Cela tient surtout à ce que les gisements sont fort éloignés les uns des autres et que le rendement est relativement peu considérable.

Le métal qui donne un produit plus certain, sans cependant être rémunérateur, est assurément l’or. Il ne faut pas toutefois s’en faire une idée trop enthousiaste, car les gisements sont loin d’être aussi riches qu’on a bien voulu le dire. Pour se faire une idée exacte de ce que valent les fameuses mines d’or du Bondou, il n’y a qu’à se reporter à ce qu’a écrit à ce sujet M. Lamartiny, qui a pu étudier sur place cette importante question.

Les sables aurifères de la Falémé proviennent des montagnes du Fouta-Djallon et du Bambouck, d’où ils sont détachés par les pluies. Ils sont alors roulés et entraînés par la rivière, les paillettes les plus lourdes se déposant les premières et les plus légères étant portées beaucoup plus loin.

Les bancs de roches, les îlots qui barrent le fleuve, sont autant d’obstacles qui donnent lieu à des dépôts d’alluvions et en même temps aurifères. Tels sont les bancs que l’on voit à Farabanna, à Sansankoto et tout le long de la rivière. La tète du banc est généralement plus riche que la partie arrière.

La richesse d’un banc et surtout la grosseur des paillettes qu’il renferme se mesurent à la grosseur des galets qui y sont déposés. Et ceci est naturel : le caillou roulé subit les mêmes lois de la pesanteur que la paillette aurifère.

Plus on remonte la Falémé et plus ces dépôts sont riches.

Outre les dépôts actuels de la Falémé, il existe encore dans la plus grande partie du bassin de cette rivière un vaste dépôt aurifère dont on doit la découverte à M. Roux de Béthune, ingénieur des mines, qui étudia cette question dans tous ses détails. Ce dépôt, divisé en nombreux lambeaux d’une superficie assez vaste, se trouve à une profondeur moyenne de 5 à 6 mètres.

Lamartiny a reconnu ce gisement depuis Farabanna jusqu’aux environs de Séleng ou Sélen, sur une largeur de 5 à 6 kilomètres.

On le voit bien tranché sur les rives de la Falémé, où l’on peut suivre ses contours sinueux. Il a dû être formé par un cataclysme qui a entraîné et arraché du flanc des montagnes les quartz qui l’accompagnent. Il repose sur un amas de grès schisteux, et a comme toit une épaisse couche d’argiles de 5 à 6 mètres.

Malgré les études et les missions faites sur ces points, soit par des ingénieurs, soit par des officiers du génie ou autres, aucun rapport n’avait encore fait mention de ce riche dépôt appelé à tripler la valeur des sables aurifères de la Falémé.

Raffenel, dans son voyage, nous parle bien des sables aurifères déposés le long des rives, mais il n’a pas remarqué ceux qui y forment un dépôt déjà ancien.

Ces richesses ne sont pas inconnues des populations indigènes du bord de la rivière et surtout des femmes Malinkées qui ont là-dessus une expérience pratique acquise depuis longtemps. Comme Lamartiny, nous avons remarqué à Tomboura, Sansandig, à Fatendi, le soin avec lequel elles grattent la partie inférieure de la couche reposant directement sur les grès du mur. Cette partie est en effet d’une richesse extraordinaire : les cailloux de la partie supérieure, ayant fait filtre, ont laissé déposer les parties lourdes et argileuses. Ayant un dépôt fixe, dont nous pouvons déterminer l’étendue, la superficie et la capacité en mètres cubes, nous avons des données certaines sur lesquelles peut se baser une exploitation, connaissant la teneur moyenne de ce dépôt. Les alluvions de la Falémé ne nous présentent plus cette même certitude, et là encore on est obligé de marcher au hasard.

Outre les alluvions de la Falémé, le Bondou possède encore d’autres mines, particulièrement celles de Kéniéba que le gouvernement français a essayé d’exploiter en 1859 et 1860. Nous empruntons à Lamartiny l’étude qu’il en a faite d’après le rapport de M. Maritz, capitaine du génie, directeur de l’exploitation.

Le village de Kéniéba est situé à 25 kilomètres de la Falémé, à l’est du village de N’Dagan. Il fut saccagé en 1840 par l’almamy du Bondou qui voulut tirer vengeance de pillages exercés par les Malinkés sur les cultivateurs des bords de la rivière. Depuis cette époque, il fait partie du Bondou et fut repeuplé en partie par des Peulhs émigrés du Fouta-Djallon.

En 1856, Boubakar-Saada, aidé de Bougoul, chef de Farabanna, alla attaquer Kéniéba qui était au pouvoir des partisans d’El-Hadj-Oumar. Ils prirent le village, qu’ils mirent à notre disposition pour l’exploitation de ses mines. Le 28 juillet 1858, une colonne française, sous le commandement du gouverneur Faidherbe, s’y installa sans coup férir. Un poste et des magasins y furent de suite construits et l’exploitation des mines entreprise sous la direction de M. Maritz. Le pays jouit alors d’une tranquillité et d’un bien-être jusqu’alors inconnus. Mais l’ardeur du climat qui décimait nos malheureux soldats et les moyens imparfaits avec lesquels se faisait l’exploitation ne donnèrent point les résultats attendus, et l’abandon en fut décidé deux ans après. C’est à 4 kilomètres au nord-est de Kéniéba que sont situées les alluvions aurifères, au pied d’une montagne de forme conique d’une hauteur de 80 mètres environ. C’est le mont Pellel.

Les abords des mines sont couverts de quartz blanc légèrement veiné de rouge, extrait des puits pendant l’exploitation. Ces quartz renferment de l’or natif, et, souvent, en les cassant, on en voit d’assez beaux morceaux visibles à l’œil nu. Le terrain des mines se compose :

1o D’une couche d’argile rouge avec débris de quartz d’une épaisseur variable. Cette couche renferme des paillettes d’or ;

2o D’une couche d’argiles schisteuses rouges renfermant des paillettes d’or ;

3o Une couche d’argile blanche, semblable à de la chaux hydraulique. Cette couche ne contient pas d’or. Elle happe à la langue. Attaquable par les acides, son résidu est insoluble dans l’acide sulfurique ;

4o Une couche de schiste micacé, noirâtre, sous laquelle est un sable primitif noirâtre, renfermant des paillettes d’or en abondance. C’est la principale couche aurifère. Elle est à une profondeur de 12 à 18 mètres.

Au-dessous de cette couche se trouve une couche de schiste ardoisier d’une dureté excessive, et qu’on ne peut enlever qu’à la mine.

Le mont Pellel, sur lequel se voient encore deux puits creusés dans la roche, est un immense conglomérat ferrugineux, ainsi que toutes les montagnes environnantes.

L’exploitation de ces mines par les indigènes n’a lieu actuellement que pendant l’hivernage. Elle ne se fait plus par puits. Ils se contentent de prendre les terres de la surface, sur les bords des ravins et des marigots, et en retirent de magnifiques résultats, relativement, bien entendu, à ceux que l’on obtient en lavant les sables de la Falémé.

Les orpailleuses opèrent à l’aide de calebasses, absolument de la même manière que les orpailleurs de la Californie et de l’Australie avec des sébilles. Pour cela, après avoir recueilli les terres dans leurs calebasses, elles les portent sur les bords du marigot, les débourbent avec les mains et, par une suite d’oscillations et de mouvements, font venir les parties les plus légères à la surface. Ces parties sont rejetées au fur et à mesure, et bientôt il ne reste au fond de la calebasse qu’un sable noir, assez fin, composé de fer oxydulé et d’émeri, au milieu duquel on distingue facilement les paillettes d’or.

Les essais faits par M. Maritz sur les terres de Kéniéba ont donné les résultats suivants :

« Cent kilogrammes de terre provenant de l’une de nos galeries, traitée comme il vient d’être dit, produisirent 0g177. On prit le résidu, c’est-à-dire les terres rejetées des calebasses par les orpailleuses ; ces terres furent pilées dans un mortier en bois avec un pilon en bois, c’est-à-dire bien imparfaitement, puis lavées, puis repilées et relavées, en tout quatre fois. Après chaque opération, on trouva plus d’or qu’à la première, et après les quartz on obtint 1g300 à ajouter à 0g177.

» Les 100 kilogrammes de minerai, au lieu de 0g177, produisirent donc 1g477.

» Les derniers résidus auraient encore pu être pilés et lavés, et auraient sans doute produit un peu d’or.

» Les sables de la surface du sol, traités de la même manière, ont donné 0g00091 par 100 kilog.

» Traités par des procédés plus complets, il est certain que leur rendement serait considérablement augmenté. »

En 1843, M. Huart Bessignères, chargé par le gouvernement d’explorer ces mines, disait que les indigènes ne retiraient pas le centième du précieux métal qu’elles contenaient.

En 1853, M. Rey annonçait que les terres de Kéniéba rendraient 1 kilog. d’or pour 5,000 kilog. de terre.

Tout cela avait engagé le gouvernement français à entreprendre l’exploitation de ces terres, réputées si riches ; malheureusement, les appréciations de ces voyageurs se trouvèrent erronées, et l’exploitation fut si peu avantageuse qu’elle fut abandonnée en 1860.

Ces essais n’ont été exécutés que sur des terres privées des débris de quartz, qui, eux aussi, contiennent de l’or.

Du poste que nous avions construit, il reste à peine quelques vestiges de murailles pour en indiquer l’emplacement. Boubakar-Saada, craignant que les Malinkés ne parvinssent à s’en emparer et à s’y retrancher, en ordonna la destruction.

Le Père Labat, dans son récit du voyage de Compagnon, cite encore bien des mines d’or, dont on n’a pu jusqu’ici retrouver la trace, ni même le souvenir. D’après lui, il y en aurait deux à Naié. Aujourd’hui, les habitants ne se souviennent nullement en avoir jamais entendu parler. Il en est de même pour celle de Fourquarane, où, d’après le même auteur, il y aurait aussi une mine d’argent dont on n’a jamais pu, malgré les plus actives recherches, retrouver l’emplacement.

Outre les mines d’or, le Bondou posséderait encore, d’après certains auteurs, des gisements de mercure natif, ou du moins des indices que jusqu’ici l’on n’a pas pu bien définir. Je me hâte de dire que, malgré mes recherches, je n’ai pu m’en assurer par moi-même. Je ne fais donc que rapporter ici l’opinion de voyageurs plus heureux que moi, en leur en laissant toute la responsabilité.

Le mercure apparaît à l’état de petits globules très purs dans les argiles des couches supérieures, dans le village même de Sénoudébou.

On en a trouvé aussi à Farabanna, sur la rive droite de la rivière, et le long de cette rive sur environ cinquante mètres. Rien jusqu’ici n’est venu indiquer sa provenance ; mais, malgré les histoires plus ou moins fantaisistes que l’on a racontées à ce sujet, il n’est pas probable que des mains humaines se soient plu à verser là une quantité de mercure aussi considérable que celle qu’on a retirée jusqu’à ce jour.

A Farabanna, M. Baur, ingénieur civil des mines, eut connaissance de cette apparition du mercure, et en fit recueillir plusieurs bouteilles.

A l’époque des pluies, on voit le mercure apparaître dans les couches supérieures en très grande abondance. Il est facile alors, en soumettant ces terres à un lavage à la calebasse, d’en obtenir en peu d’instants une assez grande quantité. Des enfants mêmes s’amusent à le recueillir. En 1873, dès sa première apparition, les habitants, prenant cela pour de l’argent, s’empressèrent d’en remplir des bouteilles qu’ils ont conservées assez longtemps.

Le calcaire fait absolument défaut dans le Bondou. Cela n’a rien d’étonnant, étant donné l’âge géologique auquel il appartient. On trouve bien en maints endroits, notamment dans le Tiali et le Niéri, des roches d’un aspect blanc grisâtre que l’on a pris pour du calcaire véritable. Il n’en est rien. Ces roches ne sont, en effet, que des conglomérats formés de coralliens, et qui ont été déposées par les eaux en se retirant. On ne les trouve qu’à la surface du sol, où elles sont éparses, ou à une faible profondeur. Elles donnent à la cuisson non pas de la chaux, mais un ciment de mauvaise qualité.

Le charbon y est de même parfaitement inconnu. Quelle que soit la profondeur à laquelle on soit descendu jusqu’à ce jour, on n’en a jamais trouvé trace.

Flore, productions du sol, cultures. — La végétation est relativement pauvre dans le Bondou, du moins dans sa partie septentrionale. Dans les régions méridionales, sans être cependant remarquable, elle est plus riche. Le Ferlo et le Bondou proprement dits appartiennent tout entiers à la région des steppes soudaniennes. La flore est là d’une pauvreté remarquable. On y rencontre de vastes étendues couvertes d’acacias et de baobabs. C’est la patrie des mimosées et des graminées inférieures. Il y existe en assez grande abondance une certaine variété de gommier dont le produit ne jouit dans le commerce que d’une valeur absolument relative. C’est là encore que l’on trouve ces végétaux peu connus qui donnent la gomme de kellé, que les indigènes regardent comme un véritable porte-bonheur, et le hammout, cette résine qui présente les caractères de l’encens et qui est regardée dans tout le Soudan occidental comme une panacée universelle. Le gonakié (Acacia Adansonii) est surtout commun sur les bords de la Falémé. Si nous ajoutons à cela quelques rares ficus et quelques échantillons peu nombreux de benténier (Eriodendron anfractuosum), nous aurons cité les principales essences qui composent la flore de cette région du Bondou. Elle est bien plus riche au fur et à mesure que l’on s’avance vers le sud et dans le Tiali, le Diaka, la partie la plus extrême du Niéri et du Ferlo-Maodo, nous voyons apparaître les grandes essences qui caractérisent les pays tropicaux. Les grandes légumineuses commencent à y prendre de respectables dimensions. Les nétés (Parkia biglobosa) y sont particulièrement communs. Le vène (Pterocarpus erinaceus), le caïlcédrat (Kaya Senegalensis), le tamarinier (Tamarindus Indica), le bambou (Bambusa arundinacea), le fromager (Bombax Ceiba), le n’taba (Sterculia cordifolia), le palmier rônier (Borassus flabelliformis), les ficus de toutes variétés, etc., etc., y sont assez communs. Mais ils n’y forment nulle part des forêts assez importantes pour donner lieu à une exploitation rémunératrice. Les papayers et les dattiers croissent en abondance dans les villages du Diaka et du Niéri et donnent des fruits savoureux. Dans les forêts existent de nombreux échantillons des différentes variétés de cette fameuse vigne du Soudan, à laquelle certains auteurs ont cru devoir donner une importance qu’elle est loin d’avoir. Le karité (Bassia Parkii) n’existe que dans le Tiali, et encore en très petite quantité. Enfin, dans le Niéri, le Ferlo-Maodo, le Diaka et le Tiali lui-même, commencent à apparaître les lianes à caoutchouc et à gutta-percha : fafetone, laré ou saba, delbi et bonghi. Les plantes médicinales y sont communes, et la pharmacopée indigène trouve aisément à s’y alimenter selon les besoins. Citons au hasard : les sénés, le kinkélibah, le ricin, la casse, le bakis, etc., etc. Le Tiali et le Niéri jouissent sous ce rapport d’une réputation bien méritée. Enfin, les plaines et les plateaux sont couverts d’une brousse épaisse dont les graminées forment les éléments principaux, et qui constituent pour les bestiaux un excellent fourrage.

Le Bondou a été jusqu’au milieu du XIXe siècle un des pays les plus riches sous le rapport de la production. Grâce à la nombreuse population qu’il renfermait alors, il possédait de vastes plaines, entièrement cultivées et situées près des villages qui s’échelonnaient sur les rives de la Falémé et dans l’intérieur des terres. Depuis le passage d’El-Hadj-Oumar, ce nouvel Attila qui a porté la dévastation dans ce beau pays, emmenant à sa suite des villages entiers, trompés par de vaines promesses, il est tombé dans un profond état d’abandon et de pauvreté.

Les terrains argileux sont propices à la culture du mil (Sorghum vulgare). On y trouve, suivant les régions, toutes les variétés de sorgho cultivables au Soudan. Dans les terrains dont la latérite forme la base, le maïs, les arachides, les haricots, que l’on y appelle « niébés », croissent à merveille et donnent un rendement considérable. Il serait bien plus grand encore si les habitants amélioraient leurs procédés de culture. Ils se contentent, en effet, de gratter légèrement la terre après l’avoir débroussaillée, et d’y enfouir peu profondément les graines. Les fumures et les irrigations leur sont absolument inconnues. Sur les bords des marigots et dans les marais, surtout dans le sud, le riz prospère d’une façon remarquable et y est d’une excellente qualité. Autour des villages se trouvent de beaux lougans (champs cultivés) de coton et d’indigo. Enfin, dans les cours mêmes des habitations, les femmes et les enfants cultivent avec succès : courges, calebasses, oseille, oignons et ce tabac vulgaire (Nicotiana rustica) dont les indigènes sont si friands. Le manioc, la patate douce et le diabéré, cette sorte d’aroïdée qui donne des turions qui rappellent le chou caraïbe, prospèrent surtout dans les régions les plus méridionales.

Quant aux cultures européennes, il n’y faut pas songer, à mon avis. La nature du sol et surtout le climat ne leur permettront jamais d’y prospérer et d’y produire. On ne peut guère songer qu’à y cultiver, et encore avec de grands soins et une vigilance de tous les instants, les quelques légumes nécessaires à notre alimentation.

Faune, animaux domestiques. — On trouve dans le Bondou presque tous les animaux de l’Afrique occidentale. Le lion y devient assez rare. La panthère, le chat-tigre, le lynx y sont plus communs. La girafe se rencontre encore assez fréquemment dans les régions qui avoisinent le désert du Ferlo. Les antilopes y sont moins communes que dans certaines autres régions. Toutes les variétés connues y sont cependant représentées, et parmi elles nous citerons particulièrement les kobas, dumsas et diguidiankas. Par contre, les biches, gazelles et sangliers y foisonnent littéralement. Il n’est guère possible d’y chevaucher sans en faire fuir devant soi un grand nombre. Ce dernier animal s’y multiplie surtout beaucoup, car la population étant presque complètement musulmane, n’en mange pas la chair et, par conséquent, ne le chasse pas. Le bœuf sauvage, que l’on désigne sous le nom de lour, ou de vache brune, tend chaque jour à y disparaître. On n’en trouve plus que quelques rares individus. Sa chair est littéralement succulente.

L’hippopotame y habite principalement les grands bassins de la Falémé et les grands marigots, le Niéri-kô et le Sandougou. Le caïman y atteint des proportions extraordinaires, et pendant la saison sèche on peut faire dans la rivière et les grands marigots des pêches absolument merveilleuses. Le poisson y est très abondant, et il en existe une espèce, que l’on désigne sous le nom de capitaine, qui est supérieure à nos meilleures carpes.

L’éléphant se trouve surtout dans l’ouest et dans le sud. Il y devient de plus en plus rare.

Le gibier à plume y est très commun. La pintade se voit par vols nombreux. La perdrix, la tourterelle, l’outarde, la poule de rochers, la caille de Barbarie y sont en très grand nombre.

On trouve dans les bois de beaux oiseaux de parure ; le merle métallique, le colibri, le guépier, le geai bleu, le martin-pêcheur y ont un plumage aux couleurs les plus vives et les plus variées. Les échassiers vivent sur les bords de la Falémé par nombreuses bandes. L’oiseau-trompette, dont la peau est très estimée ; le marabout, qui fournit une très belle fourrure ; l’ibis, l’aigrette blanche, etc., fréquentent les îlots de la rivière et les bancs de sable quand elle est à sec. La sarcelle et le gros canard sauvage l’habitent aussi. Par contre, les oiseaux de proie y sont aussi relativement nombreux, et autour des villages on voit rôder en grand nombre des milans et des aiglons qui viennent jusque dans les cours enlever les jeunes poulets.

Les serpents y sont assez rares. Nous citerons particulièrement : le boa, le python, les couleuvres, le serpent-corail, le serpent-bananier et une variété de reptile venimeux, que l’on désigne à tort sous le nom de trigonocéphale.

Les insectes pullulent littéralement partout. Nous citerons plus particulièrement les moustiques et les maringouins, cette plaie des pays chauds, destinée sans doute à éprouver la patience des voyageurs. Les abeilles sont surtout communes dans le Tiali, le Diaka et le Niéri. Elles donnent un miel savoureux et abondant. Les indigènes de ces deux provinces sont des apiculteurs consommés, et tout autour des villages les arbres sont couverts de ruches. Les fourmis sont très nombreuses et il en existe un grand nombre d’espèces, parmi lesquelles nous citerons surtout la fourmi-rouge, la fourmi-cadavre, dont une seule suffit pour empester une case, et la fourmi-manian, dont la piqûre est horriblement douleureuse et suffit pour paralyser pendant quelques heures le membre qu’elle a blessé. Enfin, les termites se rencontrent partout et construisent en grand nombre leurs édifices aux formes aussi bizarres que variées.

Les animaux domestiques sont relativement nombreux, et ils le seraient bien plus encore si les indigènes veillaient avec plus de soin à la reproduction et à l’élevage.

Le cheval y est petit, mais très vigoureux. La race maure, qui vit et se développe bien dans le nord, périclite dans le sud. Là, c’est le cheval du Ouli et du Cayor qui offre le plus de résistance.

Les bœufs y sont élevés en quantité notable, surtout par les Peulhs et les Diakankés. Ils donnent une viande de boucherie un peu dure et peu abondante, mais le lait des vaches est parfait et très riche en matières grasses. Elles n’en donnent malheureusement que fort peu.

Les chèvres et les moutons sont également assez communs, mais leur chair est généralement peu savoureuse. Il en est de même de celle des poulets, qui est absolument coriace. Ces derniers sont très nombreux dans tous les villages.

Nous citerons enfin en terminant l’âne, qui y est petit, mais élégant de formes et très vigoureux. C’est, dans toute cette région, la bête de somme par excellence. Malheureusement, les indigènes ne se préoccupent pas assez de le multiplier. Il rend de grands services aux caravanes et pourrait faire l’objet d’un commerce important.

Climatologie. — Le climat du Bondou appartient à la classe des climats chauds par excellence. Comme dans toute cette partie de l’Afrique occidentale, il y existe deux saisons bien tranchées : la saison sèche et la saison des pluies ou hivernage.

La saison sèche commence, en général, vers la fin d’octobre ou au commencement de novembre. Elle dure jusqu’à la fin de juin. Mais cela n’est vrai que pour la partie nord du pays. Dans les régions méridionales, elle est beaucoup plus courte. Elle est caractérisée par une élévation considérable de la température, et il n’est pas rare de voir le thermomètre, pendant les mois d’avril et de mai surtout, marquer jusqu’à 46 et 47 degrés centigrades à l’ombre et jusque dans l’intérieur des cases. Le baromètre est toujours très haut et ne varie pas plus de un millimètre à un millimètre et demi. Les vents régnants sont alors ceux d’est-nord-est, qui arrivent surchauffés par les sables brûlants du Sahara, sur lesquels ils passent. L’atmosphère est alors absolument dépourvue d’humidité. En quelques jours, tout se dessèche rapidement, et la campagne prend ce caractère de solitude et d’aridité saharienne qui frappe et attriste quand, pour la première fois, on met le pied sur ce sol ingrat et désolé.

Pendant sept mois de l’année, il ne tombe pas une goutte d’eau, sauf toutefois dans les premiers jours de février, durant cette courte période que l’on est convenu de désigner sous le nom de petit hivernage. Les vents passent alors au sud et au sud-ouest, le ciel se couvre, le baromètre baisse, et généralement le matin, pendant six à sept jours au plus, tombe une pluie fine que la terre desséchée a bien vile absorbée. Mais le soleil ne tarde pas à se montrer à nouveau, et alors, jusqu’au mois de juin, rien ne vient plus altérer la sérénité de l’atmosphère. — Ces chaleurs torrides, mais sèches, sont relativement bien supportées par l’Européen et sa santé ne s’altère pas trop. Il subit bien quand même l’influence du climat, se débilite, s’anémie ; mais il est, à cette époque de l’année, bien moins exposé à ces terribles maladies qui sont l’apanage de ce pays meurtrier. Il n’a guère alors à craindre que les dysenteries, très fréquentes dans les mois de novembre, décembre et janvier, où le rayonnement nocturne est si prononcé et si rapide qu’en moins de deux heures la température s’abaisse parfois jusqu’à 8 degrés centigrades au-dessus de zéro. Il convient alors de ne pas coucher dehors et de se bien couvrir le ventre soit avec une couverture de laine, soit avec la classique ceinture rouge en flanelle.

Dans la partie nord, les premières pluies commencent à tomber vers la fin de juin. Dans les régions méridionales, l’hivernage est beaucoup plus précoce et dure aussi plus longtemps. Dans le Diaka et la partie sud du Niéri, par exemple, il pleut depuis la fin de mai jusqu’à la fin de novembre. Les premiers orages sont généralement courts, et il ne tombe alors qu’une petite quantité d’eau qui occasionne une légère crue passagère des rivières et des marigots. Un mois après, la saison pluvieuse est définitivement établie. Chaque jour, ce sont des orages épouvantables, des tornades terribles, pendant lesquels le vent souffle en fureur, et qui se terminent par des pluies diluviennes. Il faut lire dans le Roman d’un Spahi, de Pierre Loti, la description de cet étrange météore que l’on désigne sous le nom de tornade. Nul mieux que lui n’en a parlé. Qu’on me permette de rapporter ici les quelques lignes qu’il lui a consacrées : « Cependant, il faut avoir habité le pays de la soif pour comprendre les délices de cette première pluie, le bonheur qu’on éprouve à se faire mouiller par les larges gouttes de cette première ondée d’orage.

» Oh ! la première tornade !... Dans un ciel immobile, plombé, une sorte de dôme sombre, un étrange signe du ciel monte de l’horizon. Cela monte, monte toujours, affectant des formes inusitées, effrayantes. On dirait d’abord l’éruption d’un volcan gigantesque, l’explosion de tout un monde. De grands arcs se dessinent dans le ciel, montent toujours, se superposent avec des contours nets, des masses opaques et lourdes ; on dirait des voûtes de pierre près de s’effondrer sur le monde, et tout cela s’éclaire de lueurs métalliques, bleues, verdâtres ou cuivrées, et monte toujours.

» Les artistes qui ont peint le déluge, les cataclysmes du monde primitif, n’ont pas imaginé d’aspects aussi fantastiques, de ciels aussi terrifiants. Et toujours, pas un souffle dans l’air, pas un frémissement dans la nature accablée.

» Puis, tout à coup, une grande rafale terrible, un coup de fouet formidable couche les arbres, les herbes, les oiseaux, fait tourbillonner les vautours affolés, renverse tout sur son passage. C’est la tornade qui se déchaîne, tout tremble et s’ébranle ; la nature se tord sous la puissance effroyable du météore qui passe.

» Pendant vingt minutes environ, toutes les cataractes du ciel sont ouvertes sur la terre ; une pluie diluvienne rafraîchit le sol altéré d’Afrique, et le vent souffle avec furie, jonchant la terre de feuilles, de branches et de débris.

» Et puis, brusquement, tout s’apaise. C’est fini. Les dernières rafales chassent les derniers nuages aux teintes de cuivre, balayent les derniers lambeaux déchiquetés du cataclysme, le météore est passé, et le ciel redevient pur, immobile et bleu. »

A cette époque de l’année, la température n’est pas relativement très élevée. Elle ne dépasse guère 34 degrés ; mais c’est à peine si, pendant la nuit, il se produit une rémission d’un ou deux degrés. L’atmosphère est lourde, surchargée d’humidité et d’électricité. C’est la saison excellemment pernicieuse à l’Européen. Sa santé s’altère rapidement, il s’étiole, et, plus qu’en tout autre moment, il est sujet à ces mortelles endémies qui pardonnent si rarement. Le paludisme est alors au paroxysme et la fièvre, cette terrible fièvre aux symptômes si multiples et si différents les uns des autres, ne tarde pas à paralyser et à anéantir le courage le mieux trempé et l’organisme le plus énergique.

Les animaux eux-mêmes n’échappent pas à l’influence de ce climat, et chiens, mulets et chevaux, importés d’Europe, lui paient, comme l’homme, un effrayant tribut de mortalité.

Et pourtant, antithèse terrible, la nature prend alors son aspect le plus riant et le plus enchanteur. Le sol se couvre de verdure et les arbres revêtent leur plus beau manteau de feuilles. C’est l’époque où le baobab lui-même, ce squelette géant des forêts africaines, sent couler dans ses vastes flancs une sève plus généreuse : en quelques jours, son tendre feuillage se développe et ses fleurs gigantesques s’épanouissent. Mais il ne faut pas se le dissimuler, quand on le voit ainsi rajeunir, c’est l’annonce de cette triste et funeste saison. Les indigènes ont, du reste, pour caractériser ces deux époques de l’année si différentes l’une de l’autre, un proverbe que je tiens à relater ici : « Quand le baobab, disent-ils, se couvre de feuilles, c’est le signal de la mort des Blancs ; mais quand il les perd, c’est l’annonce de celle du Noir. »

Pendant toute la durée de l’hivernage, le baromètre subit des variations brusques et d’énormes écarts. J’ai pu remarquer qu’en général, les tornades s’annonçaient presque toujours par une forte dépression qui atteignait son maximum six heures environ avant l’apparition de la tourmente.

Ethnographie. — Le Bondou, si l’on en croit la tradition que se sont transmise les griots et les marabouts, était, avant l’arrivée dans le pays du marabout toucouleur Malick-Sy, qui marquera pour nous la fin de la période légendaire, une agglomération de petits états indépendants les uns des autres, commandés par de véritables roitelets absolus dans leurs minuscules royaumes. — La population de certains de ces états était nomade, celle des autres sédentaire. Ces premiers habitants du Bondou ne se ressemblaient guère : ils n’avaient ni les mêmes mœurs, ni les mêmes usages, ni les mêmes instincts ; ils ne parlaient pas non plus la même langue.

La partie qui forme aujourd’hui le Nagué-Horé-Bondou n’était habitée que par un petit nombre d’individus. Les uns habitaient dans des huttes en paille et d’autres se logeaient dans le creux des rochers, où ils se creusaient encore de véritables cavernes.

On comprendra facilement que des peuplades qui différaient autant à tous les points de vue, n’aient pas vécu en bonne intelligence et en paix. La légende nous apprend, en effet, que tour à tour elles avaient eu le pouvoir. Chaque race avait, à tour de rôle, commandé aux autres. Tout cela dépendait du sort des armes. Le plus fort, le vainqueur, était le maître. Véritable dictateur, il imposait ses volontés aux vaincus, jusqu’à ce qu’une révolution vînt lui enlever le pouvoir. C’était, en un mot, l’anarchie la plus complète.

Parmi ces peuplades, les unes étaient musulmanes et les autres fétichistes. En voici l’énumération, telle que nous l’a transmise la légende. C’étaient : les Tambadounabés, les Guirobés, les Fadoubés, les Badiars, les Oualiabés et les Bakiris. A ces différents éléments vinrent s’ajouter, vers la fin du XVIIe siècle, les Sissibés, Toucouleurs du Fouta-Toro, venus avec le marabout Malick-Sy. C’est là, d’ailleurs, la version donnée par le tamsir Bodéoul, le marabout favori de Boubakar-Saada. En raison des populations si diverses qui avaient autrefois peuplé le Bondou, ce savant homme ne l’appelait jamais que le Tamguifabaouabasy, nom formé de la première syllabe des noms de ces différents peuples.

Quoi qu’il en soit, on ne commence guère à voir clair dans l’histoire du Bondou qu’à l’époque où le marabout Malick-Sy vint s’y établir avec sa famille.

Voici quel était l’état du Bondou à l’époque où nous voyons entrer en scène le marabout toucouleur.

Les Guirobés étaient des Toucouleurs-Torodos venus du Fouta. Ils appartenaient à la famille des Guénars et s’étaient établis dans le village de Guirobé, à huit kilomètres environ au nord de Sénoudébou. On ne les désigne que sous le nom de Guirobés, du nom même de leur village. Il existe encore dans le Bondou quelques descendants de cette famille qui ont conservé leur nom primitif. Ils étaient musulmans.

Les Fadoubés, fétichistes, habitaient surtout le village de Boubaïa ou Boubania. Ils paraissent avoir été les plus anciens habitants du Bondou. Ce qui est certain, c’est que Malick-Sy, quand il prit possession du pays, les y trouva. Il signa avec eux un traité d’alliance sous un tamarinier, dont on montre encore l’emplacement. Tous les griots et les marabouts s’accordent pour dire qu’ils venaient de Kolkol, village du Djolof, situé sur la route du Fouta-Toro. Opprimés par la lourde domination du bourba (roi) du Djolof, les Fadoubés, gens paisibles, cultivateurs et chasseurs, avaient émigré et étaient venus demander asile au roi des Bakiris (le tunka de Tuabo, tel était son titre), qui leur donna le pays où Malick-Sy les a trouvés. Les Fadoubés s’y établirent donc et entretinrent des relations très intimes avec les Guirobés ; mais ils en restèrent toujours séparés par leurs goûts, leurs mœurs et leur religion. Ils étaient fétichistes et superstitieux et avaient des usages et des coutumes bizarres. Les forêts les plus sombres leur servaient de retraites. Ils immolaient souvent des victimes au pied des vieux arbres, en teignaient le tronc avec le sang et mangeaient la chair des animaux morts de maladie, sans les avoir saignés, et celle du sanglier. Ils logeaient dans le creux des arbres ou dans de misérables huttes en paille. Par leurs mœurs, ils se rapprochaient beaucoup des Badiars, des Coniaguiés et des Bassarés, que l’on trouve encore dans la partie nord-ouest du Fouta-Djallon, au sud de Damantan. Tout porte à croire que cette étrange peuplade n’est, comme les précédentes, qu’un rameau à l’état primitif de la race mandingue. Aujourd’hui, les Fadoubés qui existent encore dans le Bondou se sont soumis à la coutume commune et construisent des cases ; mais ils ont gardé de leur passé barbare l’habitude de manger la chair du sanglier, malgré l’interdiction formelle du Coran. Ils ont toujours été l’objet du plus profond mépris et ont été traqués comme de véritables bêtes malfaisantes par les conquérants toucouleurs. Il y a quelques années, ainsi, se trouvait près de Tambacounda, dans le Ouli, un petit village de Fadoubés qui se nommait Kottiar. Il fut détruit par Ousman-Gassy, qui leur reprochait d’attirer des malheurs sur le pays. Les Malinkés prétendent qu’ils devinent la pensée.

Les Tambadounabés étaient également des Torodos venus du Fouta. Ils avaient leur chef-lieu à Ouro-Daouda, au nord-ouest de Sénoudébou, derrière la ligne de hauteurs qui sépare le bassin de la Falémé de celui du Sénégal. Ils furent toujours des alliés fidèles pour Malick-Sy.

L’origine des Torodos, d’après mon ami le capitaine Roux, un des ethnographes soudaniens les plus autorisés, n’est autre que le résultat de l’application d’une prescription du Coran, qui dit que « quiconque donne la liberté à un esclave croyant sera récompensé ». Les Torodos sont donc, en général, des captifs qui, ayant fait preuve d’intelligence, ont été instruits dans la religion et libérés. Leurs descendants sont également Torodos et forment une sorte de caste qui, chez les Toucouleurs, conserve néanmoins la tare de son origine. Les Torodos peuvent appartenir à toutes les races ; mais c’est principalement dans le Fouta-Toro que la coutume de libérer les captifs qui se sont signalés par leurs aptitudes à l’école musulmane a pris de l’extension. D’où vient le nom de Torodos qu’on leur a donné.

Les Badiars avaient leur dernier village à Demba-Coly, sur une des branches du Niéri-kô, non loin de Farigué-Toumbala, habité alors par les gens du Tenda. D’origine mandingue, ils ont complètement disparu du Bondou.

Les Oualiabés étaient des Malinkés originaires du Bambouck. Ils avaient quelques villages à l’ouest de la Falémé ; les principaux étaient Goundiourou, près de Sambacolo, et Miromguikou, près de Koussan-Almamy. Leur village principal était Goubaïel, sur le Niéri-kô. Les almamys leur firent une guerre acharnée et les chassèrent du pays. Ils se sont réfugiés à l’ouest du Niéri-kô et sur les bords de la Gambie et y ont fondé l’état de Ouli. Kakoulou, sur la Falémé, était encore un village de Malinkés. Il était habité par les familles des Contoukobés. Chassés par les Sissibés, ils sont allés fonder le gros village de Tambacounda (Ouli), où leurs descendants habitent encore.

Les Bakiris, dont le chef portait le titre de Tunka et résidait à Tuabo, sur le Sénégal, dans le Guoy, étaient avant l’arrivée de Malick-Sy les maîtres du pays. Le royaume du Tunka s’étendait depuis le Sénégal jusqu’au marigot de Tunka-Souté (île du Tunka), entre Sénoudébou et Débou. Le Kaméra actuel lui était soumis. Les Bakiris peuvent être considérés comme un rameau de la race mandingue voisin des Sarracolés. Ils parlent, du reste, la même langue.

Le reste du Bondou, et particulièrement la rive gauche de la Falémé, depuis Sénoudébou environ, était habité par des Malinkés du Bambouck.

Telle était la situation du Bondou au moment où y arriva le marabout toucouleur-torodo Malick-Sy. C’est de lui que date la véritable histoire de ce pays, histoire dont bien des côtés touchent à la légende et au merveilleux, mais qui n’en est pas moins fort intéressante.

Histoire du Bondou.

D’après les renseignements que nous avons pu nous procurer, ce serait vers 1681 que Malick-Sy vint définitivement s’établir dans le Bondou. Il est le fondateur incontesté de ce royaume.

Malick-Sy, torodo-toucouleur, naquit, on ne sait trop en quelle année, à Souïma, village du Fouta-Toro qui se trouve à quelques kilomètres de Podor. Son père était un des grands marabouts du pays et son grand-père avait été chef d’une tribu toucouleure du Toro.

Si l’on en croit certains griots et certains marabouts très versés dans l’histoire des peuplades du Soudan, la famille de Malick-Sy serait très ancienne. Elle descendrait d’un chérif ou d’un marabout nommé Ibnou-Morvan, qui serait venu dans le Toro on ne sait trop à quelle époque. Les griots et les marabouts ne possédant pas de documents écrits, il est fort difficile de préciser les dates. Quoi qu’il en soit, ils s’accordent tous pour dire qu’Ibnou-Morvan aurait eu des démêlés, on ne sait trop pourquoi, avec quatre chefs de tribus voisines. Il en serait résulté une guerre longue et acharnée, qui aurait obligé Ibnou-Morvan à quitter le Sahel pour venir s’établir à Souïma. Y séjourna-t-il quelque temps seulement, ou bien s’y fixa-t-il définitivement, on n’en sait trop rien. Toujours est-il qu’il s’y maria avec une femme du Toro. On sait que les chérifs, quand ils sont en voyage, ont l’habitude de se marier dans les villages où ils désirent séjourner quelque temps. De ce mariage, il eut un fils auquel il donna le nom de Hamet. Dès lors, on perd absolument les traces d’Ibnou-Morvan. Hamet donna le jour à deux fils : N’Diob-Hamet et Daouda-Hamet, et à deux filles : Maty-Hamet et Tiéougué-Hamet.

L’aîné, N’Diob-Hamet, donna le jour à une nombreuse famille qui devait, dans la suite, prêter un grand secours aux descendants de Malick-Sy, comme nous le verrons plus loin.

Maty-Hamet fut mariée à un grand marabout qui émigra vers le Fouta-Djallon et dont le fils devait régner plus tard sur ce pays sous le nom d’Almamy-Boubakar. Ses fils devaient eux aussi, plus tard, prêter main-forte à Malick-Sy lui-même.

Daouda-Hamet, de son côté, donna le jour à un garçon qu’il nomma Malick-Sy.

Malick-Sy fit ses premières études de marabout dans la maison paternelle. A l’âge de quinze ans, il se rendit à Pyroum-N’Davy ou simplement Pyr, dans le Saniakhor, canton du Cayor, situé sur la route de Keur-Mandoumbé-Kary à Thiès, pour y suivre les leçons d’un marabout très instruit et très renommé qui s’y trouvait alors. Il y resta cinq ans et revint ensuite dans la maison paternelle. Trois ans après, son père étant venu à mourir, il se chargea de toute sa famille. A l’âge de vingt-sept ans, il se maria. Trois ans après, sa femme accoucha d’un garçon qu’il nomma Boubou-Malick. D’une autre femme qu’il avait épousée peu après la première, il eut deux fils : Toumané-Malick et Mody-Malick.

En revenant de Pyr, il fit à Temeye, village du Oualo, près de Mérinaghem, la connaissance d’un pauvre griot, à peu près aussi âgé que lui, et qui se nommait Layal. Ce griot, s’étant pris d’amitié pour Malick-Sy, s’attacha à sa fortune et, ayant obtenu de ses parents l’autorisation d’accompagner le marabout, il revint avec lui à Souïma. Ce fut son premier compagnon.

Malick-Sy avait pris dans ses voyages le goût des aventures. Aussi ne put-il pas rester longtemps à Souïma. Il voulait connaître un peu le monde et faire fortune. Laissant donc à Souïma toute sa famille, il se mit en route avec le griot Layal, son fidèle compagnon. Il visita ainsi le Fouta-Toro, écrivant et distribuant des gris-gris aux guerriers partout sur son passage, et arriva chez le tunka de Tuabo, qui le retint pendant près de trois ans dans sa capitale et lui fit faire des amulettes pour lui et les hommes de sa suite.

Pendant les trois années qu’il resta dans le Guoy, Malick-Sy était allé souvent rendre visite aux Torodos-Guirobés et Tambadounabés dans leur canton. Ils l’avaient toujours bien accueilli. Il s’était familiarisé avec eux et s’était ainsi attiré leur amitié et leurs sympathies. Ce fut sans doute alors qu’il remarqua la fertilité du sol et qu’il conçut le projet de venir se fixer dans cette région avec toute sa famille.

Le tunka le congédia enfin, après lui avoir fait de beaux et riches cadeaux qui consistaient en bœufs, or et captifs.

Malick-Sy retourna alors à Souïma ; mais il n’y put rester plus de deux ans. Repris par ses goûts aventureux, il se remit en route. Ce voyage devait être très long. Il traversa, en effet, le Fouta, le Guoy, le Kaméra, le Khasso et passa le Sénégal dans le Logo. Son but était d’aller à Diara, capitale des Sarracolés-Diawaras, dans le Touroungoumé, pays situé à l’est de Nioro.

Ce voyage se fit sans incidents, et Malick-Sy arriva sans encombres à Diara, dont le roi, nommé Farègne, le reçut très bien, et d’autant mieux qu’il attendait de lui un grand service.

Ce roi avait plusieurs femmes, mais celle qu’il préférait était restée stérile depuis son mariage. Il demanda donc au marabout toucouleur de prier Dieu afin que sa femme favorite devint enceinte. Il lui promit que si jamais elle lui donnait un enfant, il lui ferait cadeau de quinze captifs ou leur valeur en bœufs et en or à son choix.

Le marabout lui fit des gris-gris ainsi qu’à sa femme, et quatre mois après elle devint enceinte. Le roi fut au comble de la joie, et la considération que Malick-Sy retira de cet heureux événement ne fit qu’augmenter non seulement à la cour du roi, mais encore dans tout le royaume. Il fut comblé de cadeaux par Farègne qui le retint pendant quatre ans à Diara, durant lesquels Malick-Sy sut gagner les cœurs de tous les notables et ramassa une grande fortune.

Mais une autre idée le retenait encore à la cour du roi Diawara, et c’était elle qui était la cause principale et le seul but de son voyage.

Un jour, on ne sait comment ni par qui, Malick-Sy avait appris qu’un grand chef des pays du nord-est et du Fouta-Toro possédait un sabre merveilleux doué de ce privilège étrange : « Que quiconque verrait sa lame et l’aurait longuement contemplée était sûr de monter tôt ou tard sur le trône, quand même serait-il le dernier des hommes, de n’importe quel pays et de n’importe quelle condition que ce soit. » Malick avait appris dans ses voyages que ce chef n’était autre que Farègne, roi des Diawaras, dont la résidence était Diara, capitale du Touroungoumé. Ce fut alors qu’il entreprit ce long voyage. Il n’avait que deux compagnons, le griot Layal et un forgeron de ses amis, nommé Tamba-Kanté, qui portait sur la tête sa peau de bouc remplie de livres saints et de gris-gris.

En arrivant près de Diara, ils avaient rencontré un chasseur qui revenait de la chasse. Celui-ci leur souhaita le bonjour et leur demanda où ils allaient. Malick-Sy lui ayant répondu poliment à toutes ses questions, le chasseur lui dit : « Marabout, qui que tu sois, je veux être de ta compagnie. Je marcherai avec toi partout où tu iras ; je ferai tout ce que je pourrai pour t’être utile. » Ce fut ainsi qu’il recruta un troisième compagnon auquel il donna le nom de Terry-Kafo, dont les descendants devaient, dans la suite, rendre de grands services aux petits-fils de Malick-Sy. Terry-Kafo signifie mot à mot : un compagnon de plus.

Ce sont ces trois hommes qui ont été les premiers compagnons de Malick-Sy. Ce sont eux qui ont partagé toutes ses fatigues, ses veilles, ses infortunes et ses travaux. Ce sont eux aussi qui ont été les plus récompensés, et, de nos jours encore, leurs descendants sont toujours, de préférence à tout autre, l’objet des faveurs des almamys.

Mais revenons au sabre miraculeux, à la recherche duquel Malick-Sy était allé jusqu’à Diara, uniquement dans le but de le contempler, afin que la prédiction se réalisât au profit de son ambition.

Partout, on désignait cette arme merveilleuse sous le nom de oualé. Le grand service que Malick-Sy venait de rendre au roi lui donnait, on le comprend, les plus grandes facilités pour mettre son projet à exécution.

Il profita de la grande joie qui régnait à la cour du roi Farègne et dans le cœur de sa femme, jusque-là stérile et qui se voyait enceinte, pour pénétrer chez elle et lui demander un service. Il lui promit que, si elle le lui rendait, il lui donnerait un gris-gris qui aurait pour vertu de lui permettre de devenir mère de sept garçons et d’autant de filles.

La reine lui demanda alors ce dont il s’agissait, en lui promettant de faire tout ce qu’elle pourrait pour lui être utile.

« Voici ce que je désirerais, lui dit alors Malick-Sy. J’ai appris que le Oualé était ici, chez toi, dans ta case. Eh bien ! j’ai oublié quelques paroles d’un verset du Coran qui me serait de grande utilité pour mes gris-gris. Je te prierais donc de me faire voir ce sabre où sont inscrits tous ces versets dont j’ai besoin. Ceux mêmes qui s’appliquent à ton cas y sont inscrits. »

La reine, qui était très naïve et qui estimait beaucoup Malick-Sy, à qui elle devait une grande reconnaissance, pénétra aussitôt dans sa seconde chambre, ouvrit un coffre et sortit le sabre qu’elle apporta à Malick-Sy. Celui-ci le retira de son fourreau et le contempla longtemps en le tournant et le retournant. Il le remit enfin à la reine et prit congé d’elle après l’avoir remerciée. Mais un des captifs du roi l’avait vu au moment où il le donnait à la reine. Il alla aussitôt prévenir Farègne qui, abandonnant l’assemblée des notables qu’il présidait alors, se dirigea en toute hâte vers la case de sa favorite. Il rencontra Malick-Sy au moment où il en sortait, et lui dit vivement : « Marabout, d’où viens-tu et qu’est-ce que tu es allé faire dans la case de ma femme ? » Ce à quoi le rusé Toucouleur lui répondit tranquillement : « Je suis allé voir la reine et savoir si elle n’est pas malade, car, avec le petit qu’elle a dans le ventre, il faut se méfier des sorciers. C’est pour cela que j’y vais de temps en temps pour que mes travaux ne soient pas vains. — Marabout, lui répondit Farègne, je crois bien que tu me trompes ; mais enfin il est trop tard, ce qui est fait est fait. »

Malick-Sy, ayant atteint le but qu’il se proposait, n’avait plus rien à faire à Diara, d’autant plus que Farègne, craignant que la prophétie ne se réalisât à ses dépens, l’engageait vivement à s’éloigner. Malgré cela, le marabout y resta encore quatre années, afin d’amasser la fortune qui lui était nécessaire pour pouvoir acheter les armes et les chevaux indispensables à ses futurs guerriers.

Il se remit alors en route pour Souïma en suivant l’itinéraire suivant : il passa vis-à-vis du Natiaga, traversa ce pays et remonta par Kourba dans le Tambaoura, où il resta six mois à faire une étude approfondie du pays. Mais n’ayant pas été satisfait sans doute de ce qu’il avait trouvé, le septième mois, il se remit en marche, descendit la chaîne du Tambaoura, passa par San-Faradala et arriva dans le Kamana qu’il traversa, visita ensuite le Niagala et passa la Falémé à l’emplacement actuel de Sénoudébou. Il vint alors à Guirobé. Après un repos de quelques jours, dont il avait bien besoin après un aussi long voyage, Malick-Sy quitta Guirobé et alla rendre visite à son ami le tunka de Tuabo, qu’il avait quitté quelques années auparavant.

A Tuabo, il fit part au tunka du désir qu’il avait de quitter le Toro avec sa famille pour venir s’établir auprès de lui. Il lui fit comprendre combien cela serait avantageux pour lui. Enfin, il fit si bien que celui-ci lui promit que, si lui et les siens venaient s’établir dans son royaume, il leur accorderait tous les terrains dont ils pourraient avoir besoin.

Tout allait donc à merveille pour le marabout toucouleur. Il partit immédiatement de Tuabo, promettant au tunka d’être bientôt revenu avec les siens. Il n’eut pas, en effet, beaucoup de peine à faire émigrer sa famille et vint s’établir à Guirobé. Lorsqu’il l’eut installée, il vint à Tuabo pour annoncer au tunka son arrivée et pour lui rappeler la promesse qu’il lui avait faite. Le Tunka lui répondit alors : « Rentre dans ton camp à Guirobé. Repars en demain dès le point du jour. De même je partirai de mon côté de Tuabo, et l’endroit où nous nous rencontrerons sera la limite entre mes états et les terrains que je te donnerai. »

Le marabout toucouleur, moins honnête que le tunka, partit de chez lui dès la nuit tombante. Le tunka, observant strictement la parole donnée, ne partit qu’au lever du jour de Tuabo, de sorte que, dans la matinée, ils se rencontrèrent dans la plaine même de Boula, près de Bakel, sur les bords du marigot de Fouraouol.

Surpris, le tunka apostropha vivement le marabout torodo. « Quoi ! lui dit-il, j’avais confiance en toi, tu m’as trompé et me voilà frustré ! Mais un roi n’a que sa parole. Aussi je tiendrai fidèlement la promesse que je t’ai faite. »

Le marigot de Fouraouol fut donc fixé comme la limite entre le Guoy et la concession faite à Malick-Sy. Au sud, cette concession s’arrêtait non loin de Sénoudébou, au marigot de Tunka Souté. Le reste du pays était alors en partie désert et en partie habité par les Malinkés du Bambouck, les Oualiabés, les Contoukobés et les Badiars.

Malick-Sy rentra alors à Guirobé et construisit dans les environs le village de Ouro-Alpha, qui fut le premier village fondé par lui. Malick-Sy, à peine en possession de son petit territoire, se mit en mesure de s’assurer des alliés. Il conclut avec les chefs guirobés un traité dans lequel il fut convenu que les notables seraient nommés à l’élection, et que le doyen des deux tribus deviendrait le chef du pays. Il se fit reconnaître par les Fadoubés comme leur chef et marabout à la condition qu’ils se construiraient des cases. En revanche, il leur accordait de continuer à manger la chair du sanglier. Peu après Malick-Sy fut élu chef des trois tribus sous le titre d’Elimane (chef de religion). La dîme aumônière et la dîme des récoltes lui furent accordées.

Mais dès l’année suivante, Malick-Sy ne tarda pas à avoir des démêlés avec le tunka du Tuabo, qui venait de s’apercevoir, mais trop tard, que le marabout torodo était un profond ambitieux et qu’il avait des projets qu’il ne pouvait pas lui laisser mettre à exécution sans grand dommage pour son royaume et son autorité.

La délimitation des frontières des deux états fut la cause première de leur querelle. Malick, qui depuis longtemps rêvait de commander aux pays qui se trouvent sur les deux rives de la Falémé, avait fait percevoir par ses agents les dîmes des récoltes faites dans les deux régions. Mais le tunka de Tuabo s’y opposa vivement. De plus, Malick-Sy prétendait que les possessions du tunka sur les bords du Sénégal, au delà du marigot de Foura-Ouol, devaient s’arrêter du côté du sud aux terrains qui seraient seulement inondés pendant l’hivernage. Le tunka s’y refusa net. De là une guerre acharnée.

Malick-Sy leva une armée composée de Torodos et de Malinkés et des autres peuplades qui habitaient les cantons limitrophes du sien. Il traversa la Falémé à Sénoudébou et marcha immédiatement sur Goutioubé, village situé sur le Sénégal à 1 kil. 500 environ à l’est de l’embouchure de la Falémé, en face d’Arondou. Il prétendait avoir beaucoup à s’en plaindre. — Le tunka, ayant eu vent des projets du marabout torodo, leva aussitôt une armée et marcha en grande diligence pour aller délivrer les siens. Ce fut le commencement des hostilités.

Les deux adversaires se rencontrèrent dans la plaine de Goutioubé et l’action s’engagea aussitôt. Malgré des prodiges de valeur, et après deux heures de combat acharné, Malick-Sy, vaincu, fut forcé de se retirer en laissant sur le champ de bataille bon nombre des siens.

Le tunka le poursuivit jusqu’au gué de Bodogal, près de Dialiguel, sur la Falémé. Il lui barra la route avec une partie de ses hommes, tandis que l’autre partie cherchait à le tourner. Malick-Sy se vit perdu et à la merci de son ennemi. Voyant le gué au pouvoir des Sarracolés, il s’avança en désespéré à la tête de ses guerriers, sur les hommes qui le gardaient. Par cette attaque imprévue, il rompit les rangs ennemis et put franchir la rivière. Mais, dans ce dernier combat, il fut mortellement atteint. Toujours poursuivi et ne pouvant plus se tenir à cheval, il se fit transporter en civière. Il ne devait pas revoir son village et expira à Goumba-Koka, près de Sélen, sur la Falémé, en regrettant de ne pouvoir transmettre ses dernières volontés à son fils Boubou-Malick-Sy qu’il avait envoyé quelques mois auparavant dans le Fouta-Djallon, auprès de ses cousins les fils de Maty-Hamet, sœur de son père, afin d’y recruter des guerriers. Malick-Sy mourut en 1699. Il avait commencé à fonder le royaume de Bondou et à asseoir l’autorité de sa race. Il revenait au fils de continuer l’œuvre commencée par le père.

Boubou-Malick-Sy (1699-1718).

Malick-Sy laissa trois fils, Boubou-Malick-Sy, Mody-Malick et Toumané-Malick. Ce fut l’aîné, Boubou-Malick-Sy qui lui succéda et hérita du titre d’élimane qui avait été donné à son père. Il avait réussi dans la mission qui lui avait été confiée, et revenait du Fouta-Djallon avec une nombreuse armée, lorsqu’à Miranguikou, le manque d’eau l’obligea à faire un grand détour. Ce retard fut un malheur pour Malick-Sy qui succombait à Goumba-Koka au moment où l’armée que lui amenait son fils arrivait à Diamwély, non loin de Boulébané.

En prenant le pouvoir, il ne rêva qu’une chose, ce fut de venger son père. Après lui avoir rendu, à Ouro-Alpha, les derniers honneurs, il entra immédiatement en campagne.

Pendant que le tunka fêtait sa victoire à Tuabo, Boubou-Malick envahit le Guoy et le Kaméra, s’empara de Kounguel, Goulmy et Arondou, traversa la Falémé à son confluent avec le Sénégal, s’empara de vive force de Goutioubé, et son armée victorieuse parcourut les états du tunka jusqu’au petit village de Kéniou en pillant et brûlant tout sur son passage. Plus de trente kovas (c’est le nom que l’on donnait alors aux chefs de villages du Guoy et du Kaméra) tombèrent sous ses coups.

Après cette belle et rapide campagne, Boubou-Malick était rentré à Ouro-Alpha avec un riche butin. Son père était vengé. Il congédia alors ses alliés du Fouta-Djallon. Quelques-uns se fixèrent auprès de lui et les autres regagnèrent leur pays, enrichis des dépouilles du Guoy et du Kaméra.

Tranquille maintenant du côté des Bakiris et certain que les prétentions de son père seraient respectées par le tunka, Boubou-Malick songea dès lors à élargir son royaume du côté du sud. Le plus petit prétexte (et les noirs en savent toujours trouver) lui servit pour entrer en campagne contre les Malinkés et les Badiars. Afin de les surveiller et de les empêcher de venir piller sur son territoire, il vint s’établir à Boubou-Ya, au nord-ouest de Sénoudébou (Boubou-Ya en langue malinké signifie : « la maison de Boubou »). De Boubou-Ya, on ne tarda pas à faire Boubaïa.

C’est vers cette époque que le Bondou prit son nom d’un puits qui avait été creusé à l’endroit où se trouve actuellement Boubaïa. Deux versions sont données sur l’origine du nom de Bondou. Suivant la première, lorsque Malick-Sy suivi de ses élèves arriva en cet endroit, il existait un puits qui appartenait à une femme nommée « Coumba ». Ce puits s’effondrant chaque jour, les élèves durent le réparer et il fut désigné sous le nom de « Bondou-Coumba » (puits de Coumba). Réparé ensuite par Boubou-Malick, on donna à l’endroit où ce puits avait été creusé le nom de « Bondou-Bonadou-Malick-Sy » (puits réparé par Boubou-Malick-Sy). De là serait venu, par extension, le nom de Bondou donné au pays soumis à l’autorité des descendants de Malick-Sy. La deuxième version laisserait encore croire que Malick-Sy aurait creusé un puits en avant de Ouro-Daouda, puits auquel on aurait donné le nom de Bondou-Bâ (puits du pré ou grand puits), d’où par élision on aurait fait Bondou.

Pendant qu’il s’installait à Boubaïa près de Bondou-Coumba, Boubou faisait en même temps construire à Féna, à un kilomètre environ du village actuel de Koussan-Almamy, un solide tata (forteresse) dans lequel il installait, sous les ordres de son fils Maka-Guiba ou Maka-Djiba, un grand nombre de captifs appelés à défendre les alentours contre les attaques des Malinkés.

Il ne tarda pas à se mettre en campagne et s’empara de plusieurs villages malinkés riverains de la Falémé et situés dans la partie sud de Sénoudébou.

Réussissant partout, Boubou-Malick-Sy ne savait se contenir, et après avoir reçu des tributs considérables des Malinkés, il marcha quand même de nouveau contre eux et entraîna ses guerriers contre le village de Samba N’gala, dont on voit encore les ruines entre Goundiourou et Diddé, à l’est de Koussan-Almamy. Ce village fut pris d’assaut et les habitants furent tous massacrés ou emmenés en captivité. Mais le succès coûta cher à Boubou-Malick-Sy : il fut mortellement blessé à la poitrine. Ses hommes le portèrent sur la tête pour le ramener à Ouro-Alpha. Il mourut en route à Ouassa, entre Sambacolo et Soumourdaka.

Interrègne (1718-1728).

Boubou-Malick-Sy laissa quatre enfants : Toumané-Boubou-Malick-Sy, qui mourut peu après son père ; Mody-Boubou-Malick-Sy, qui donna naissance aux Sissibés de N’Dagor et d’Amaguié ; Maka-Boubou-Malick-Sy, plus connu sous le nom de Maka-Guiba ou Maka-Djiba, et enfin Alioum-Boubou-Malick.

Boubou-Malick-Sy mort, ses enfants se trouvèrent sans défense. Leurs oncles Mody-Malick et Toumané-Malick, à cette nouvelle, s’étaient enfuis dans le Fouta-Toro, d’où ils n’osèrent jamais revenir.

Les Malinkés, sentant bien combien était en ce moment précaire la puissance des Sissibés, envahirent le Bondou. A leur approche tous les membres de la famille de Malick-Sy s’enfuirent dans le Toro, à l’exception toutefois de Maka-Guiba. De plus, les Guirobés, forts du droit que leur donnait le traité conclu avec Malick-Sy, revendiquèrent le pouvoir suprême. Les Torodos-Tambadounabés, de leur côté, faisaient valoir des droits égaux. En un mot l’anarchie la plus complète régnait dans le Bondou.

Craignant pour ses jours, Maka-Guiba alla se cacher chez les Tiambés ou Torodos de Fissa-Tiambé. Pendant dix ans, il resta sous la tutelle d’un chef des Guénars. Les Guirobés, qui appréhendaient sa majorité, le firent rechercher. Ils firent demander au chef des guerriers, chez lequel le jeune prince était caché, s’il existait encore quelque part un rejeton de la famille des Sissibés. Celui-ci, sentant que les Guirobés, qui abhorraient cette famille, n’auraient pas manqué de le faire disparaître, répondit négativement.

Ayant atteint l’âge de trente deux ans, Maka-Guiba résolut de réclamer ses droits au commandement. Le Bondou était alors gouverné par les Guirobés, qui, n’ayant aucune autorité, en étaient arrivés à laisser à chaque village son indépendance. Maka-Guiba se rendit alors dans le Toro rejoindre ses frères, ses oncles et ses cousins, les descendants de N’Diob-Hamet, oncle de son aïeul Malick-Sy, et qui n’avaient jamais quitté Souïma. Il leur exposa le projet qu’il avait formé de reconquérir le Bondou, et leur demanda de se joindre à lui pour continuer l’œuvre de Malick-Sy, leur ancêtre. Ses oncles et ses frères n’osèrent pas se hasarder dans une entreprise aussi périlleuse et qui avait déjà fait tant de victimes dans leur famille. Mais les fils de N’Diob-Hamet lui promirent le concours le plus absolu.

Maka-Guiba ne se rebuta pas et, à la tête des quelques guerriers que lui avaient procurés ses cousins, il pénétra dans le Bondou. Il se rendit directement à Boubaïa, fit réunir les notables guirobés et guénars, et leur fit connaître ses prétentions. Les Guénars firent une vive opposition ; et après une guerre civile de courte durée, et dont il sortit vainqueur, son autorité fut reconnue, et il fut proclamé élimane, au détriment des ayants droit, qui avaient fuit et déserté la cause de Malick-Sy.

Maka-Guiba (1728-1764).

Pendant les trente-six années que dura son règne, le Bondou acquit une grande prospérité. Maka-Guiba dicta ses conditions aux peuples voisins. Son premier souci, après avoir assis son autorité, fut de marcher contre les Malinkés, meurtriers de son père. Le village de Miranguikou, sur la route de Koussan-Almamy à Diddé, tomba sous ses coups. Le chef, Sambou-Ahmady-Toumané, s’enfuit devant le vainqueur et se réfugia sur la rive droite de la Falémé, dans le Niagala, où il fonda le village de Farabanna.

Poursuivant ses succès, Maka-Guiba fit élever à Dara et à Diomfou des tatas qui devaient tenir incessamment Sambou en éveil et lui disputer le pays. Lui-même s’établit à Dara, après avoir confié la garde de Féna à son plus jeune fils, Paté-Gaye, déjà renommé par sa bravoure et son intrépidité. Il songea alors aux Contoukobés, et leur fit des propositions de paix. A cet effet, il envoya auprès de leur chef Niamé une députation chargée de lui demander l’aide de ses esclaves pour faire la récolte d’arachides. Niamé, plein de confiance, rassembla immédiatement tous ses hommes et les mit à la disposition de l’élimane du Bondou. En même temps, Paté-Gaye, suivant les instructions de son père, se dirigeait avec 10,000 hommes sur Kakoulou, résidence du chef des Contoukobés. Il trouva cette ville privée de ses défenseurs, la prit d’assaut et la détruisit de fond en comble. Niamé fut tué et beaucoup de ses sujets furent faits prisonniers. Ceux qui échappèrent allèrent dans le Ouli habiter le village de Tamba-Counda, où l’on trouve encore leurs descendants. Dans cette affaire, Maka-Guiba ramassa un immense butin, qu’il employa à acheter des chevaux et des munitions de guerre.

Quelque temps après, son fils Abdoul-Moussou fut tué à l’assaut de Sambanoura, sur la Falémé, village qui était habité par des Malinkés de la famille des Gassamas, dont on rencontre encore quelques descendants dans le Kantora.

De toutes les guerres que Maka-Guiba eut à soutenir, la plus sérieuse fut celle qu’il eut à faire au roi des Déniankés, Sattigui. Les Déniankés sont des métis Peulhs et Toucouleurs qui habitent sur les bords du Sénégal, entre le Guoy et le Fouta. Venus des environs de Bangassi dans le Fouladougou oriental, ils avaient d’abord émigré dans le Bondou et de là dans le Fouta-Sénégalais. Ce monarque orgueilleux, qui s’intitulait « roi du Fouta », jaloux des victoires des Sissibés et de leur prestige, résolut de leur imposer un tribut. Il écrivit alors à Maka-Guiba une lettre dont voici à peu près le sens, sinon le texte rigoureux :

« De la part du glorieux, du puissant et du redoutable Sattigui, roi du Fouta entier, lui qui a été créé pour être heureux ici-bas et pour être destiné au séjour éternel dans l’autre monde ; la preuve c’est qu’il boit à coupe pleine les douceurs de la vie ; lui qui est si aimable et si charitable pour ses amis, aussi bien qu’il est terrible, redoutable et implacable pour ses ennemis, à son humble et fidèle serviteur Maka-Guiba, qui a la hardiesse de se dire almamy et qui signe comme tel, dont la famille est issue des Torodos, qui n’ont été créés que pour être toujours misérables et pour demander la charité aux autres. Salut !

» Maka-Guiba, j’ai besoin de faire faire par les forgerons des ornements en or pour mes femmes et mes enfants. Il me faut de l’or, et en bonne quantité même ; tu auras donc à m’en envoyer cinq mesures pleines dans le plus bref délai.

» J’ai appris que tu as un cheval arabe tout blanc qui danse beaucoup ; tu auras à me l’envoyer par la même occasion pour un de mes hommes qui n’en a pas.

» J’ai appris que, parmi tes femmes, tu en as une qui sait bien faire le couscous ; il faudra me l’envoyer aussi pour me faire la cuisine, et tout cela de suite, autrement tu me forcerais à venir dans le Bondou.

» Je pense que tu voudras éviter mon arrivée, car si je vais dans le Bondou, ce ne sera que meurtres et ruines, et je jure de casser sur ta tête cette seule calebasse que tes parents t’ont laissée pour tout héritage, et dont tu te sers pour recevoir la charité des mains des autres, comme ils la recevaient eux-mêmes de leur vivant.

» Tu n’es que Torodo ; tu n’as été créé que pour la misère et la servitude.

» Salut !

» Sattigui, Soulé N’Diaye. »

Au reçu de cette lettre, Maka-Guiba convoqua ses notables, et après une longue délibération, il fut décidé qu’on donnerait satisfaction au roi du Fouta. Paté-Gaye, absent au moment du palabre, revint à Dara, et en apprenant ce qui s’était passé, demanda la réunion immédiate des personnes qui avaient pris cette décision. Il se fit alors lire la lettre de Sattigui, et après l’avoir fait copier, l’arracha vivement des mains du marabout, la déchira et en fit avaler les morceaux au courrier qui l’avait apportée ; après quoi, il le fit accompagner par deux cavaliers, pour l’empêcher de prendre aucun repos dans tout le Bondou. C’était la guerre inévitable.

Le chef du Fouta, dès qu’il connut ces détails, devint furieux, et n’eut pas beaucoup de peine à décider ses guerriers à venger l’offense qui venait de lui être faite. Certain d’avoir facilement raison de ce petit royaume du Bondou, il se mit à la tête de ses troupes et, après avoir traversé la Falémé à Arondou, vint camper devant Tafacirga, tandis qu’un autre corps d’armée, commandé par son fils Guiladio, se dirigeait sur Féna, semant la ruine et le pillage sur son passage.

De son côté, Ahmady-Gaye, l’aîné des fils de Maka-Guiba, partit à la tête des guerriers du Bondou, de Dara à l’ouest de Gatiari, sur la rive droite de la Falémé, et se dirigea contre Sattigui lui-même. Arrivé à la hauteur du gué de Naïé, il partagea ses guerriers en deux troupes et confia le commandement de la seconde à son frère Paté-Gaye, auquel il ordonna de franchir la Falémé et de marcher contre l’ennemi par la rive gauche pour lui donner une fausse alerte. Mais lorsque Paté-Gaye arriva à Naïé, et après avoir passé le gué, il rencontra, entre le village et la rivière, le corps d’armée de Guiladio. Celui-ci avait appris la marche d’Ahmady-Gaye contre son père, et il s’était porté en toute hâte sur le gué, afin de franchir la Falémé et aller barrer le passage au prince Sissibé. Mais il comptait sans la colonne de Paté-Gaye. L’action s’engagea aussitôt. Guiladio, à un moment donné, se trouva à environ cinquante mètres de Paté-Gaye, qui le reconnut aussitôt, et qu’il reconnut également. Ils échangèrent à cette distance des coups de feu, mais sans se toucher. Ils se ruèrent alors l’un sur l’autre dans un furieux corps-à-corps. La victoire demeurait indécise, et tous les deux étaient blessés, lorsque Paté-Gaye, prenant son second pistolet, qu’il n’avait pas déchargé, le dirigea sur la poitrine de Guiladio et l’abattit sur le coup. En voyant tomber leur chef, les Foutankés (hommes du Fouta) se débandèrent et s’enfuirent de tous côtés.

Ahmady-Gaye, de son côté, avait continué sa route par la rive droite de la Falémé, et était tombé sur la colonne de Sattigui. Les Foutankés se défendirent vaillamment ; mais rien ne put arrêter l’élan des Bondounkés (hommes du Bondou), enhardis par le succès obtenu par Paté-Gaye et par la mort de Guiladio. Sattigui, battu, s’enfuit et rentra dans le Fouta avec les débris de son armée, dont un grand nombre de guerriers étaient restés sur le champ de bataille. Il fit alors amende honorable, et la paix fut signée.

Délivré de Sattigui, Maka-Guiba songea alors à conquérir le Bambouck. Il leva de nouveau une nombreuse armée, et marcha contre son vieil adversaire Malinké Sambou-Ahmady-Toumané, chef de Farabanna. Il vint mettre le siège devant ce gros village. Mais devant sa résistance, et après avoir passé un long temps devant ses tatas infranchissables, l’armée du Bondou dut battre en retraite. Poursuivie par Sambou, elle fut mise en déroute, et ce fut dans un de ces engagements que fut tué Maka-Guiba.

C’est de Maka-Guiba que datent les deux branches régnantes des Sissibés. De sa première femme, Diélia-Gaye, il eut quatre fils : Ahmady-Gaye, Moussa-Gaye, Séga-Gaye, Paté-Gaye. Les trois premiers montèrent sur le trône, et le dernier mourut encore jeune. Ce sont leurs descendants qui formèrent la souche royale de Koussan-Almamy.

Avec sa seconde femme, Aïssata-Béla, il eut trois fils : Ahmady-Aïssata, Malick-Aïssata et Ousman-Tounkara. Le premier régna longtemps et les deux autres périrent au désastre de Dara-Lamine, victimes de la vengeance de Paté-Gaye. Leurs descendants formèrent la branche de Boulébané.

Il existe encore deux autres familles de Sissibés, mais tellement secondaires, qu’elles ne peuvent aspirer au trône.

Samba-Toumané (1764).

Le frère aîné de Maka-Guiba, Toumané-Boubou-Malick-Sy, avait, en mourant, laissé un fils, nommé Samba-Toumané. Il fit valoir ses droits à la couronne et fut élu par les notables Guirobés et Guénars comme étant le doyen d’âge, et cela, selon les lois d’hérédité en vigueur. Son règne fut de courte durée. Une intrigue se forma contre lui, et, sous prétexte que son père n’avait pas osé s’unir avec Maka-Guiba pour reconquérir le Bondou, il fut banni du pouvoir par les Sissibés, qui se trouvaient alors dans le Bondou. Expulsé par Ahmady-Gaye, le fils aîné de Maka-Guiba, il se réfugia dans le Fouta-Toro après deux mois de règne seulement.

Les Sissibés du Bondou, héritiers de Maka-Guiba et continuateurs de la politique de Malick-Sy, décidèrent, en même temps, que tous les princes qui ne s’étaient pas ralliés à la cause de leur ancêtre seraient par ce fait exclus à tout jamais, eux et leurs descendants, du trône du Bondou. Ainsi se trouvèrent bannis du pouvoir les familles de :

1o Samba-Toumané-Malick, fils de Toumané-Boubou-Malick ;

2o Mody-Boubou-Malick ;

3o Alioun-Boubou-Malick.

Il ne restait donc plus que la génération de Maka-Guiba qui serait appelée à régner, et cela en récompense de ce que leur père avait reconstitué le royaume du Bondou.

Ahmady-Gaye (1764-1785).

En montant sur le trône, après la mort de son père, Ahmady-Gaye prit le premier le titre d’Almamy (le puissant). Ses prédécesseurs, comme nous l’avons dit, n’étaient que des Elimanes (chefs de religion). Il avait hérité de grandes richesses, et ses sujets purent jouir d’une vie paisible et se livrer à l’agriculture et à l’élevage des troupeaux.

Ahmady-Gaye avait pris le royaume craint et respecté des voisins ; et, pour asseoir davantage sa prépondérance, il obligea le Ouli à signer avec lui un traité d’alliance, et fit avec les Bakiris plusieurs arrangements heureux.

Mais le Bambouck et le Tenda, se sentant menacés, lui déclarèrent la guerre, et l’amenèrent à marcher sur Farabanna, dont il dut abandonner le siège après avoir vainement tenté l’assaut. Il fut plus heureux dans le Tenda. En peu de jours, il s’y empara de plusieurs villages et soumit complètement le pays.

Ce fut à son retour de sa campagne dans le Tenda qu’Ahmady-Gaye fit construire à Koussan-Almamy, à 7 ou 8 kilomètres de Miranguikou, place forte des Malinkés, un tata formidable pour se défendre des pillards et des ennemis de sa famille, qui, excités par des marabouts, tentaient de fomenter des révoltes. Pour les réprimer, il envoya de suite son frère Paté-Gaye, qui, arrivé devant un village du Ferlo, dont les portes étaient fermées, les fit enfoncer, et ayant mandé le chef, le fit mettre à mort. Chaque village eut à payer un impôt de quatre vaches toutes les fois qu’un Sissibé y recevrait l’hospitalité. Malgré leur soumission, il maintint cette amende à tous les villages du Ferlo, et parvint ainsi à apaiser les troubles que des ambitieux avaient voulu faire naître.

Plus tard, il se présenta deux fois, avec une forte armée, devant Farabanna, et mourut sans avoir pu se rendre maître de cette forteresse, mais après avoir eu la satisfaction de voir les murs de Koussan-Almamy complètement terminés. Ce fut à Dara, prés de Gatiari, qu’il s’éteignit, en laissant dans tout le Bondou un souvenir fort respecté.

Ahmady-Gaye est le premier des souverains du Bondou qui ait fait quelque chose, au point de vue de l’administration du pays. Il édicta des lois sur la perception des impôts et réglementa les droits de douane. Il organisa une sorte de police et établit un code de justice conforme au Coran, dans lequel étaient stipulées les peines à infliger à ceux qui enfreindraient la sainte loi ou qui se rendraient coupables envers la société. En d’autres termes, il essaya d’appliquer le Coran dans toutes les circonstances où cela était possible.

Ahmady-Gaye laissa sept enfants mâles : Ahmady-Makomba, qui fut tué à Dellafra (Tenda) ; Toumané-Mody, Malick-Coumba, Ahmadou-Sy, qui régnèrent ; Abderrahaman-Ahmady-Gaye, Séga-Ahmady-Gaye, qui périrent à Dara-Lamine, et Salif-Ahmady-Gaye, qui mourut à Boulébané.

L’aîné, Ahmady-Makomba, était seul fils d’une femme libre ; les autres avaient pour mère une captive. Aussi Ahmady-Makomba refusa-t-il de partager ses biens avec ses frères et fut-il reconnu comme chef de la famille.

Moussa-Gaye (1785-1790).

Moussa-Gaye, frère d’Ahmady-Gaye, le plus âgé de la famille royale, succéda à son frère, en vertu des lois de succession. Son règne fut surtout marqué par la guerre qu’il fit au Guoy. Ce fut vers cette époque que le chef des Diaybès, N’Diaye-Gauki, vint s’établir à Bakel, sous la protection de l’almamy du Bondou. Ahmady-Gaye continua à couvrir de son autorité son successeur, Silman-Moladiou. C’était vers l’époque de la première occupation de ce poste par les Anglais. Le tunka de Tuabo revendiqua comme lui appartenant les terrains de Bakel et voulut percevoir les droits que les Anglais s’étaient engagés à payer comme location au chef de ce village. De son côté, Silman-Moladiou prétendait que, ces terrains ayant appartenu à ses ancêtres, c’était lui qui devait percevoir l’impôt. Mais, se sentant trop faible pour pouvoir soutenir la lutte contre le tunka, il vint demander l’assistance de l’almamy du Bondou. Sur ces entrefaites, une épidémie s’étant déclarée parmi les hommes qui composaient la garnison du poste, et presque tous les soldats étant morts, le commandant dut abandonner Bakel et regagner la côte avec six ou sept hommes seulement. La cause de discorde disparut donc. Quelque temps après, un gérant de la Compagnie du Sénégal revint occuper Bakel.

A cette époque, le point où se faisait le principal commerce de la région était le village de Kounguel. Il y avait alors là une escale de grande importance, où se trouvaient de nombreux chalands et même quelques bricks de commerce. Silman-Moladiou, pensant être secouru par les traitants de Kounguel, refusa un beau jour de payer à l’almamy du Bondou l’impôt qu’il lui devait verser en échange de la protection dont celui-ci le couvrait. Moussa-Gaye se vit donc forcé de prendre les armes contre son ancien allié et marcha contre Bakel. Silman-Moladiou s’enfuit au premier choc. La légende rapporte que la grosse pierre que l’on voit encore suspendue au rocher qui se trouve au bas de la tour de la Montagne-aux-Singes, à Bakel, a été déplacée par les secousses que lui ont imprimées les pieds des chevaux de l’almamy Moussa, lors de l’attaque de Bakel. Son neveu, nommé Sambouddou-Malick, fils de son frère Malick-Aïssata, fut mortellement atteint dans le milieu même du village, entre la position actuelle du poste et l’endroit nommé « L’Hôpital ». Il mourut dans cette même journée.

Moussa-Gaye, maître de la situation, imposa un impôt aux commerçants qui viendraient trafiquer à Bakel et à Kounguel. Avant son avènement au trône, il était, du reste, allé à Saint-Louis et avait pu, au préalable, traiter cette question avec les administrateurs des compagnies qui avaient alors la direction du pays.

Dans la dernière année de son règne, il marcha encore contre les Bakiris, mais fut repoussé à l’attaque qu’il dirigea contre Goulmy. Il rentra alors à Dara, où il mourut peu après. Il laissait deux fils : Oumar-Moussa, qui donna naissance aux Sissibés de Belpounégui, près Sénoudébou, et Malick-Moussa, qui mourut tout enfant.

Séga-Gaye (1790-1794).

Séga-Gaye, frère de Moussa-Gaye et héritier direct, selon les lois en vigueur, succéda à l’almamy défunt. A peine fut-il installé sur le trône du Bondou, qu’il eut à réprimer les désordres soulevés par les mécontents, qui avaient fait cause commune avec ses ennemis. Il continua contre les Bakiris la guerre commencée par son frère, et le village de Sangalou ayant méconnu son autorité, il s’en empara, après un brillant assaut, mit à mort un grand nombre de guerriers et emmena en captivité les femmes et les enfants.

Le tunka de Tuabo ne se sentant plus assez fort pour lutter contre l’almamy du Bondou, alla solliciter l’appui de celui du Fouta, Abdoul-Kader. Celui-ci venait d’être élu almamy par les notables Foutankès. Originaire du Bondou, il était né à Diamwély, près de Boulébané, et avait été chassé du Bondou par l’almamy Moussa à la suite des craintes qu’inspirait son fanatisme religieux. Son autorité reconnue de Dembakané à Dagana, il résolut de venger l’injure dont il avait été victime de la part des Sissibés. L’occasion se présentait belle. Il ne la laissa pas échapper. Sur ces entrefaites, les Bambaras du Ségou envahissaient le Kaarta, et ses habitants, obligés de chercher un asile dans le haut Galam, faisaient prévenir de leur arrivée le roi du Fouta. Abdoul-Kader refusa de les recevoir, et leva une armée pour les chasser, lorsque ceux-ci, informés de ses mauvaises dispositions, rebroussèrent chemin et rentrèrent chez eux en brûlant plusieurs villages pour se venger du refus de protection de l’almamy du Fouta.

Iman, chef d’un des villages incendiés, marabout estimé, vint se plaindre à Abdoul-Kader que Séga-Gaye avait enlevé sa femme et sa fille pour en faire ses concubines et lui avait brûlé tous ses livres sacrés, si nombreux, disait-il, qu’il y en aurait eu la charge d’un âne. Au nom de Dieu et du prophète, il adjurait Abdoul-Kader de lui faire rendre justice.

Celui-ci se rendit alors à Marsa, à l’est de Gabou, avec une armée de 20,000 hommes. Grand-prêtre de la religion de Mahomet, et tenant à montrer le respect qu’il avait pour le culte, il somma Séga-Gaye de venir lui rendre compte de sa conduite. Soit par crainte, soit par confiance, l’almamy du Bondou répondit à l’appel d’Abdoul et le rejoignit à Marsa. Dès son arrivée, le roi du Fouta fit saisir son ennemi sans vouloir l’entendre et le condamna à l’exil dans le Toro. Séga-Gaye sortit ; mais à peine avait-il fait cent pas hors du camp qu’il était assassiné par les hommes d’Abdoul et son corps jeté dans un marais, en présence des guerriers du Bondou, qui, en nombre insuffisant, ne purent protéger leur chef.

A l’annonce de sa mort, les Bondounkès se trouvèrent embarrassés pour lui désigner un successeur, et, subissant l’influence d’Abdoul-Kader, nommèrent roi le fils de Paté-Gaye, Ahmady-Gaye, homme absolument nul.

En même temps, un parti considérable proclamait Ahmady-Aïssata, frère de Séga-Gaye, et héritier légitime du trône.

Séga-Gaye laissa un fils, Boubakar-Séga, qui mourut sans s’être jamais fait remarquer en rien.

Ces événements allaient encore plonger le Bondou dans une guerre terrible et il allait avoir à lutter contre un ennemi acharné et maître d’une armée redoutable. C’était à la fois une guerre extérieure et une guerre civile.

Ahmady-Aïssata (1794-1819).

Avec Ahmady-Aïssata, la branche des Sissibés de Boulébané monte sur le trône du Bondou. Son premier soin, en prenant le pouvoir, fut de ramener à lui les mécontents qui avaient soutenu Ahmady-Paté et de diminuer ainsi la force de ce dernier.

Il manda près de lui Toumané-Mody et lui fit part de ses projets à l’égard d’Ahmady-Paté. Toumané l’engagea à ne rien entreprendre sans avoir essayé une réconciliation et se chargea de voir Ahmady-Paté, qui ne voulut rien écouter.

Devant cet échec, Ahmady-Aïssata leva une armée, qu’il mit sous les ordres de Toumané, et l’envoya à Féna, résidence de son adversaire. Quelques jours après, il rejoignait la troupe et prenait la ville d’assaut. Ahmady-Paté prit la fuite, et se retira d’abord à Débou, où il fut inquiété et obligé de demander asile à Abdoul-Kader, qui le reçut en grande pompe et le présenta à tous les grands du Fouta. L’année suivante, il accompagna Abdoul-Kader, qui venait de recruter une armée considérable, et alla avec lui attaquer le Bondou. Ils investirent peu de jours après la ville de Dara-Lamine et en tirent le siège. Après quatre ou cinq jours d’un combat meurtrier, où le Bondou perdit sept Sissibés, dont deux de la branche régnante, Dara fut pris et incendié. Malick-Aïssata, frère de l’almamy, y fut tué.

L’étoile d’Ahmady-Paté semblait pâlir. Mais Abdoul-Kader ne s’exagéra pas les avantages de sa victoire, sachant qu’avec des hommes comme les Sissibés tout était à craindre.

En effet, Ahmady-Aïssata ne s’était pas laissé abattre par la défaite. Il se mit en campagne sans perdre un jour, et en peu de temps il eut recruté une nombreuse armée dans le Konkodougou, le Diébédougou, le Bélédougou, le Niambia. Mais le plus fort contingent de guerriers lui fut amené par son allié le roi bambara du Kaarta, Moussou-Koura-bô, qu’accompagnait son fils Moriba.

Aussitôt après avoir réorganisé ainsi son armée, Ahmady-Aïssata se mit à la poursuite de ses ennemis. Sur ces entrefaites, Abdoul-Kader, à la suite d’une de ces révolutions comme il y en a tant dans les royaumes du Soudan, fut détrôné et obligé de s’enfuir avec quelques serviteurs fidèles seulement. Il se retira à Moudiéri, sur le Sénégal. Le chef de ce village, effrayé, et craignant pour sa propre tête, l’engagea à passer sur la rive maure, où les armées coalisées ne pourraient le rejoindre. Mais celui-ci, n’écoutant pas ces conseils, se rendit à Goorick (Toro), attendant tranquillement et décidé à vendre chèrement sa vie. L’armée ennemie l’eut vite rattrapé. Quand il vit tous ses hommes tués sous ses yeux et qu’il n’eut plus d’espoir, il descendit de cheval et fit son salam au pied d’un arbre.

C’est dans cette position qu’Ahmady-Aïssata le trouva. Il s’approcha du vaincu, fit les trois saluts d’usage, et lui demanda compte de l’assassinat commis sur son frère Séga-Gaye. N’obtenant point de réponse, il tira son pistolet et l’étendit raide mort à ses pieds, en lui disant : « Allez ! je vous envoie vers mon frère Séga ! »

La mort d’Abdoul-Kader, survenue sans qu’Ahmady eût pris conseil de son allié Moussou-Koura-Bô, le roi du Kaarta, mécontenta vivement ce dernier, qui, comme doyen d’âge, se considérait comme le commandant en chef de l’armée coalisée. Il reprocha à l’almamy du Bondou de lui avoir tué son marabout favori, et il demanda pour payer cette tache royale que le Bondou lui payât autant d’or qu’en contiendrait le crâne d’Abdoul-Kader. Devant cette injonction, les chefs du Bondou se réunirent, et, considérant désormais l’appui du roi bambara comme inutile, l’engagèrent à rentrer dans ses états. Moussou-Koura-Bô s’éloigna en promettant à Ahmady-Aïssata de venir bientôt avec une nombreuse armée châtier son insolence et sa vanité. Mais il mourut peu après son retour dans le Kaarta sans avoir pu assouvir sa vengeance. Son fils Moriba lui succéda et hérita de sa haine pour les Sissibés. Aussi, vers 1815, il écrivit à Ahmady-Aïssata une lettre conçue dans des termes aussi insolents que ceux de celle que Sattigui avait écrite à Maka-Guiba et dans laquelle il réclamait au Bondou l’impôt qu’il disait lui être dû. Ahmady n’hésita pas. Il fit saisir les envoyés du Kaarta, et, séance tenante, leur fit couper le cou, n’en épargnant qu’un seul, qu’il chargea d’aller dire à son maître qu’en fait de tribut et d’impôt, il lui enverrait les balles de ses fusils. En même temps, il leva son armée et se mit en marche sur le Kaarta. Mais Moriba, prévenu de ses desseins et après avoir traversé le Sénégal à Dramané et la Falémé au gué de Béréba, venait mettre le siège devant Boulébané, après avoir ravagé une grande partie du Ferlo.

Plusieurs fois, le roi bambara tenta vainement l’assaut de ce fort village qui était héroïquement défendu par un petit nombre de jeunes gens renfermés dans le palais de l’almamy. Il résolut alors de le prendre par la famine, et, voyant qu’il lui faudrait plusieurs mois pour en venir à bout, il se fit construire, pour lui et sa suite, en face de l’ennemi, un tata véritable dont on voit encore les ruines.

De leur côté, les Sissibés ne restaient pas inactifs et faisaient tous leurs efforts pour délivrer leur capitale. Salif-Ahmady-Gaye, neveu d’Ahmady-Aïssata, parti avec une forte troupe de Koussan-Almamy, parvint à pénétrer dans Boulébané et à ravitailler ses défenseurs, mais il fut tué quelques jours après dans une sortie contre les Bambaras. Maka-Diara, chef de Sambacolo, attaqua également le camp de Moriba, sans cependant pouvoir l’entamer ; il fut forcé de se retirer.

Le siège traînait depuis longtemps en longueur. Il n’y avait plus, pour ainsi dire, de vivres dans la place, et Boulébané, affamé, allait être forcé de se rendre. La fortune semblait se tourner du côté des Bambaras. Moriba, se croyant hors d’atteinte et sûr de vaincre, laissa ses hommes se répandre dans les environs pour y piller et faire des captifs. Aussi fut-il littéralement surpris lorsque Ahmady-Aïssata, ayant renforcé son armée par des contingents recrutés dans le Bambouck, se rua sur les Bambaras.

L’armée du Kaarta fut mise en déroute, abandonnant tout le butin et les nombreux captifs qu’elle avait faits depuis son entrée dans le Bondou. Les guerriers se dispersèrent par toute la campagne, de telle sorte que, durant plusieurs semaines, on en rencontra qui erraient affamés dans la brousse. On raconte même qu’il y en eut beaucoup qui furent faits prisonniers par des femmes mêmes du Bondou. Moriba essaya bien de rallier les fuyards, mais il fut encore poursuivi par les Bondounkés qui tuèrent sans pitié tous les soldats ennemis tombés entre leurs mains. Il eut beaucoup de peine à rentrer dans son royaume avec quelques hommes seulement qui lui restèrent fidèles.

Ce combat eut lieu en mai 1817. Un an plus tard, Ahmady-Aïssata alla mettre le siège devant Tambo-N’Kané. Le blocus était déjà avancé et on avait dû creuser des puits de 40 pieds de profondeur pour avoir de l’eau, lorsque apparut, sur la rive opposée, une troupe d’environ 400 cavaliers. A cette vue, Ahmady croit avoir affaire à une armée considérable et lève le siège pour se retirer à Lanel qui lui avait ouvert ses portes. C’étaient des Kaartans qui venaient encore l’attaquer. Ils traversèrent le fleuve et se mirent à la poursuite de l’almamy du Bondou. En arrivant devant Lanel, ils trouvèrent la ville fermée et une forte armée dans ses murs pour protéger l’almamy. Ils retournèrent alors à Tambo-N’Kané attendre un renfort de troupes.

De son côté, Ahmady avait demandé du secours à Ava-Demba, chef du Fouta-Toro ; mais aucun des deux camps n’eut avant un mois les hommes sur lesquels il comptait.

Quand l’armée coalisée fut au complet, elle fut commandée par le chef du Guidimakha, doyen d’âge, et qui avait fourni le plus fort contingent. Ce chef se nommait Samba-Gangioli. Elle se composait des guerriers de ce pays, de ceux du Kaarta et d’un détachement du Khasso, commandé par le prince Saféry, soit environ 2,500 hommes.

Les forces d’Ahmady comprenaient le Bondou et une bonne partie du Fouta-Toro et du Gadiaga, sous les ordres d’un neveu de Saféry.

En août 1818, les deux armées se trouvèrent en présence et se livrèrent des combats terribles ; après une lutte acharnée, l’almamy, vaincu, dut s’enfuir dans le Toro, laissant les cavaliers du Kaarta rentrer dans le Bondou qu’ils ravagèrent de toutes façons.

Ahmady essaya bien de persuader à tous les chefs de se liguer de nouveau pour forcer Samba-Gangioli à s’éloigner du Bondou, mais ceux-ci refusèrent de le seconder dans une entreprise qui leur paraissait douteuse, et insistèrent, au contraire, pour faire la paix. Dans ce but, une grande assemblée se réunit à Marsa et envoya des négociateurs auprès de Samba-Gangioli, qui, vers 1818, consentit à signer le traité qu’on lui proposait.

Après ces faits marquants, Ahmady-Aïssata fit avec succès la guerre aux Bakiris. Il se mit de nouveau en campagne contre les Malinkés qui, pendant le siège de Boulébané, s’étaient permis de venir piller et rançonner plusieurs villages du Bondou. Lally et Sourraly, sur la rive gauche de la Falémé, furent emportés d’assaut. L’almamy marcha ensuite jusque sur Gamon, dont il prit la moitié, mais fut forcé de se retirer devant l’attitude des défenseurs. L’année suivante, il attaqua le Kantora et, après plusieurs batailles peu importantes et sans aucun résultat, il revint dans le Bondou.

Vers cette époque, le major Grey traversait le Bondou à la tête d’une expédition anglaise. Retenu depuis quelque temps à Samba-Cantaye, où il campait, il se disposait à aller rendre visite aux bâtiments français venus pour construire un poste à Bakel, en compagnie de l’almamy qui avait manifesté le désir de saluer nos officiers, lorsque celui-ci tomba malade à Kéniou, à 4 kilomètres de Kounguel.

Le major Grey poursuivit seul sa route, et quand il revint, plus tard, au camp d’Ahmady, il le trouva alité et miné par une maladie dont il ne devait pas se relever. Approchant ses lèvres de l’oreille du major, il lui dit d’une voix affaiblie : « Que les hommes sont fripons ; au moment de mourir, je comprends combien ceux qui me craignaient auront de regrets et apprécieront trop tard ma valeur. »

Dès ce moment, Ahmady ne fit que décliner, et il mourut à Boulébané le 8 janvier 1819. Il laissait trois fils : Saada Ahmady-Aïssata et Oumar-Sané, qui régnèrent, et Bokkar-Sané, qui mourut dans la plus profonde obscurité.

Moussa-Yéro-Malick-Aïssata (1819-1827).

A la mort d’Ahmady, trois prétendants se présentaient pour recueillir sa succession : Toumané-Mady, Moussa-Yéro-Malick-Aïssata et Malick-Samba-Toumané, son cousin et héritier le plus direct. Les Sissibés portèrent leur choix sur Moussa-Yéro-Malick-Aïssata, qui fut élu almamy le 20 janvier 1819. Ahmady-Kama, descendant de Toumané-Boubou-Malick, avait bien essayé aussi d’élever des prétentions au trône du Bondou, malgré l’exclusion qui avait été prononcée contre sa famille par les héritiers politiques de Maka-Guiba, mais il fut écarté et sa candidature ne fut même pas discutée.

Moussa-Yéro-Malick était un homme relativement paisible, aussi son règne ne fut-il marqué que par des expéditions de peu d’importance. Il envoya ses colonnes contre Farabanna, dans le Niagala, et contre Goulmy, Kotéra et Moussala, dans le Kaméra. Les N’Diaybès, de Bakel, eurent également à essuyer ses feux ; mais en dernier lieu, protégés par les canons du fort que nous venions d’y construire, il furent laissés en repos par Moussa qui incendia leurs récoltes et parvint ainsi à les empêcher d’inquiéter le Bas-Bondou. Il établit des impôts sur les gens du Bambouck, du Ouli et du Tenda, et réussit à garantir ses frontières du brigandage des peuplades voisines. Mais il se comporta mal avec l’expédition du major Grey, qu’il retint longtemps, espérant toujours en obtenir de nouveaux cadeaux. En janvier 1819, le major put enfin partir, après avoir failli être plusieurs fois victime des indigènes.

Moussa mourut en 1827. Il avait régné huit ans.

Il laissa trois enfants, dont aucun ne devait monter sur le trône, et qui, tous, moururent à la suite d’El-Hadj-Oumar. Ce furent : Demba-Moussa, Saada-Doudé et Bala-Setté.

Toumané-Mody (1827-1835).

A la mort de Moussa-Yéro-Malick-Aïssata, Ahmady-Saada, fils d’Ahmady-Aïssata, voulut se faire couronner. Il avait des droits légitimes, mais son avarice le fit échouer. Ahmady-Kama, de son côté, chercha encore à monter sur le trône du Bondou ; mais il trouva contre lui Toumané-Mody, le fils aîné d’Ahmady-Gaye, qui, cette fois, pour couper court à toutes réclamations de ce prince, se fit couronner almamy à Koussan.

Ahmady-Kama essaya de contrecarrer l’autorité de Toumané-Mody. Celui-ci, pour en finir, expédia contre lui son frère Malick-Coumba qui, à la tête de quelques guerriers, le força à se réfugier dans le Toro.

Toumané-Mody eut à lutter contre les Malinkés du Bambouck et contre le Tenda. La dernière année de son règne, il traversa la Gambie et marcha contre Coppar, dans le Ghabou. Il s’empara de ce village, mais au moment de rentrer dans le Bondou, tous les habitants du Ghabou se levèrent en masse et lui barrèrent le passage dans un étroit sentier bordé de bambous très épais. L’armée du Bondou fut dispersée et l’almamy lui-même fut blessé au cou. Il rentra en grand désordre à Boulébané et ne guérit jamais de sa blessure. Il en mourut dans ce village un an après.

Toumané-Mody laissa douze enfants, dont voici les noms : Samba-Toumané, mort dans la journée de Fissa-Daro, pendant les guerres civiles ; Alkossoun, assassiné à Somsom-Tata ; Abbas et Ibrahim-Ténendia, morts sans régner ; Oumar-Bily-Carry, Abdoul-Saloum, Ely-Guitta, Hamet, morts chez El-Hadj-Oumar sans postérité, ainsi que Boubakar-Sidik ; Séga-Toumané, mort chez El-Hadj, en laissant un fils à Nioro et l’autre à Koussan-Almamy ; Sourakoto, mort chez El-Hadj, et dont le fils vit dans le Bondou, et enfin Salif, qui vit encore à Koussan-Almamy.

Malick-Coumba (1835-1839).

Malick-Coumba, frère de Toumané-Mody et son héritier direct, lui succéda. Ahmady-Kama essaya encore une fois de s’asseoir sur le trône du Bondou. Mais Malick-Coumba, pour le mettre à la raison, lui envoya encore quelques troupes qui l’enfermèrent dans le village de Dialiguel, sur la rive droite de la Falémé, et le forcèrent ainsi à se tenir en repos. Il renonça, dès lors, à faire valoir des prétentions que rien ne justifiait, et l’on n’entendit plus parler de lui.

Malick continua l’œuvre de paix commencée par Toumané et, par son intégrité, se concilia facilement tous les esprits. Il eut néanmoins à réprimer quelques abus des Sissibés, qui cherchaient à soulever le peuple contre lui, et, en plusieurs circonstances, il dut envoyer des troupes contre les Maures qui passaient le Sénégal et venaient piller jusque dans le Bondou. Il continua mollement les guerres entreprises par ses prédécesseurs contre le Bambouck et le Tenda. Son règne, en résumé, fut assez calme et il mourut à Koussan-Almamy sans jamais avoir rien fait d’extraordinaire. Après quatre ans de règne, il s’éteignit en 1839 en laissant cinq enfants qui suivirent tous la fortune d’El-Hadj-Oumar et moururent à ses côtés. Ce furent : Samba-Gaissiry, Moussa-Yéro-Malick, Boubakar-Malick, Boïla-Malick et enfin Alioun-Malick.

Saada-Ahmady-Aïssata (1839-1851).

Après la mort de Malick, tous les Sissibés influents se mirent en avant pour lui succéder. Ahmadou-Sy son frère, héritier direct, avait peu de partisans. En présence de compétitions aussi nombreuses, les courtisans et les captifs de la couronne se réunirent et nommèrent Saada-Ahmady-Aïssata, fils d’Ahmady-Aïssata. Le sort favorisait encore la branche de Boulébané. Les Sissibés de Koussan-Almamy durent baisser la tête, non sans exprimer leur mécontentement.

A peine fut-il monté sur le trône qu’il eut à soutenir contre le Guoy et le Kaméra une guerre qui se termina promptement sans grandes pertes des deux côtés. Peu après il eut à lutter contre les Maures qui, sans aucun motif, avaient, sous la conduite de leur chef Déya, envahi une partie des états de l’almamy. Celui-ci se porta à leur rencontre et les attaqua au gué de Béréba, près de N’Dangan, sur la Falémé. Les Maures furent complètement défaits, et depuis cette époque ils ne se sont plus hasardés à traverser la Falémé pour envahir le Tiali.

Mais toutes ces expéditions étaient peu fructueuses, et le butin qu’elles rapportaient était bien insuffisant pour satisfaire l’avidité de la horde affamée des princes sissibés. Aussi, afin de se faire bien venir d’eux, Saada leva-t-il une nombreuse armée dont il prit le commandement et alla-t-il attaquer le Saloum, dont les habitants pillaient toutes les caravanes qui revenaient du Bondou après y avoir fait le commerce des chevaux et des captifs. Il traversa le Ouli et le Niani en quelques jours, et s’empara de plusieurs villages du Djoloff.

Le roi du Saloum, Bala-Dougou, dut faire sa soumission et demander la paix, que Saada lui accorda, moyennant une forte somme d’argent et plusieurs centaines de pièces de guinée. Il lui fit promettre, en outre, de ne jamais plus inquiéter les caravanes du Bondou et de les laisser commercer librement sur tout son territoire. Il rentra chez lui, ramenant un immense butin et une partie de la population des pays soumis.

Durant cette campagne, il causa une telle frayeur et une telle admiration aussi aux tiédos (soldats) du bour (roi) du Saloum que ceux qui eurent, cette année-là, des enfants mâles dans le pays, les surnommèrent Saada.

L’expédition du Saloum eut un grand retentissement. Tous les souverains voisins s’empressèrent d’envoyer vers l’almamy des députations chargées de lui faire part de leur sincère désir de vivre en paix avec le Bondou, et, pour donner plus de poids à leurs protestations respectueuses, lui firent offrir des présents assez importants. Le Tenda seul refusa de lui témoigner ses déférences. Aussi Saada résolut-il de se venger et leva une armée qui vint s’installer sous les murs de Diamjoïko, capitale du Tenda. Après une énergique résistance des assiégés, les Bondounkés s’emparèrent de cette ville et firent main basse sur toutes les richesses qu’elle renfermait. Après un repos de quelques jours, l’armée de Saada reprit le chemin du Bondou, en infligeant de dures leçons à tous les villages du Tenda qui, trop faibles pour l’attaquer, arrivaient à l’inquiéter et à retarder sa marche.

Saada avait une cavalerie absolument dépourvue de montures, et pour remplir ce vide il ne trouva rien de mieux que de tomber sur le Ouli pour y ramasser un butin en vue de subvenir aux achats de chevaux. Comme il arrivait à Naoudé (village de la frontière sud du Bondou), il se trouva insulté par Lalli-Penda, chef de Gouniam, près de Bakel, qui l’accompagnait et avait répondu par un refus formel à une demande de l’almamy.

Invité de suite à quitter le camp, Lalli-Penda rentra chez lui et apprenant peu de jours après que Saada voulait l’attaquer, il lui fit des propositions de paix. Sur le point de les accueillir favorablement, car il lui semblait peu politique d’entrer en lutte avec les Bakiris, ennemis acharnés de Mayacine, de Makhana, qui était en guerre continuelle avec le Bondou, Saada préféra à la politique l’honneur de son pays et refusa toute réconciliation. De ce moment il ordonna à tous ses soldats de tout ravager et de tout brûler sur leur passage et, après des fatigues inouïes, arriva devant Gouniam, qu’il attaqua le lendemain. Malgré tous ses efforts, l’armée du Bondou dut battre en retraite après avoir perdu beaucoup de monde.

Deux mois après, Lalli-Penda, comprenant que son succès amènerait infailliblement une revanche, dont il prévoyait les suites terribles, fit de nouvelles propositions de paix à Saada qui, cette fois, les accueillit favorablement.

L’année suivante, Saada se dirigeait vers le Bambouck, mais les Sissibés mécontents de lui, ne voulurent pas le seconder. Il dut se contenter de parcourir le pays en prélevant des impôts et pénétra même jusque dans le Tambaoura, dont il rapporta de riches butins.

C’est sous son règne que fut envoyée vers l’almamy du Bondou une mission française chargée de traiter avec lui de l’établissement d’un comptoir à Sénoudébou. Ce comptoir devait être en même temps un poste frontière.

Cette mission était composée de MM. Parent, officier du génie, chef ; Menu-Dessables, Paul Holle, commandant du fort de Bakel, et Potin-Patterson, agent de la Compagnie.

Saada convoqua à Sénoudébou tous les Sissibés de Boulébané et de Koussan-Almamy pour leur transmettre la proposition du gouvernement français. Elle fut combattue par ces derniers : « Si vous laissez les blancs, disaient-ils à l’almamy, s’installer chez nous, nous ne serons bientôt plus maîtres de nos femmes et de nos captifs ; nous voulons commercer avec eux, mais nous n’entendons pas qu’ils soient nos maîtres. Du reste, vous êtes souverain, décidez et nous nous inclinerons. »

L’almamy répondit à ces observations : « Le Bondou m’appartient, à moi donc de décider. Je veux que les blancs s’établissent dans notre pays. »

Le fort fut vite construit, et à peine les bastions furent-ils élevés que chacun se trouva garni d’une pièce de canon. A cette vue Saada devint furieux : « J’avais permis, disait-il, l’établissement d’un comptoir et non d’un fort armé. »

Ce fut seulement au mois d’août 1847 que M. de Grammont, gouverneur du Sénégal, vint à Sénoudébou et eut une entrevue avec Saada, qui persistait toujours pour l’enlèvement des canons.

Paul Holle, qui accompagnait le gouverneur, très lié avec le roi du Bondou qui avait grande confiance en lui, crut devoir essayer de son influence et lui dit : « Almamy Saada, vous avez à Boulébané deux canons que vous a donnés Duranthon et ils vous servent à protéger vos biens de tout pillage. Pourquoi ne voulez-vous pas que nous protégions par les mêmes moyens les grandes valeurs que nous allons déposer dans notre comptoir ? Si nous n’avions rien pour intimider les voleurs, ils viendraient prendre nos marchandises et feraient ainsi une mauvaise réputation à votre pays. »

Ces paroles et un cadeau persuadèrent Saada, et les canons restèrent.

Les richesses du Bondou et les produits qu’on en tirait avaient captivé la Compagnie de Galam, qui espérait qu’à proximité des mines de Kéniéba, les seules connues, on pourrait tenter la création d’ateliers de lavage des terres aurifères ; mais les difficultés que l’on rencontra firent abandonner ce projet, dont les résultats étaient fort douteux. Déjà, en 1843, une mission avait été envoyée pour faire l’hydrographie de la Falémé et visiter les mines d’or de Kéniéba. M. Raffenel, officier du commissariat de la marine, en faisait partie et eut à rédiger le journal de route. La mission rendit visite à l’almamy Saada à Boulébané. L’accueil qu’elle en reçut fut cordial. Elle eut surtout à se louer de son fils Boubakar, qui lui offrit l’hospitalité à Sénoudébou.

L’almamy Saada mourut dans les derniers jours de l’année 1851. Cette année-là les sauterelles avaient envahi le Bondou et y avaient fait de grands ravages. Il laissa six enfants : Ahmady-Saada, mort à Gabou sans avoir régné ; Boubakar-Saada, qui régna ; Ciré-Soma, mort sans régner et dont le fils vit encore à Sénoudébou ; Koli-Mody, mort tout récemment dans le Macina ; Ousman-Saada, mort sans avoir régné, et enfin Oumar-Penda, qui régna et fut tué par le marabout Mahmadou-Lamine.

Ahmadou-Sy (1852-1853).

Ahmadou-Sy, fils d’Ahmady-Gaye et frère de Toumané-Mody, monta régulièrement sur le trône du Bondou à la mort de l’almamy Saada. C’était le plus âgé des Sissibés. La branche de Boulébané, s’appuyant sur son grand âge qui le rendait incapable de bien gouverner, ne voulait pas de lui, mais les Sissibés de Koussan réussirent à le faire nommer almamy. Profitant de sa faiblesse, ses ennemis pillèrent et confisquèrent les biens de quelques malheureux, cherchant aussi à les soulever contre lui. Leurs plans furent déjoués, car après un an de règne, Ahmadou-Sy mourait, âgé de quatre-vingt-dix ans.

Il avait continué la guerre contre les Sarracolés et les Malinkés. Il poussa même une pointe jusqu’au cœur du Kaméra. Le chef du village de Makhana, sur le Sénégal, avait depuis longtemps des démêlés avec son collègue de Magal-Lagaré. Se sentant trop faible pour lutter contre lui, il implora l’appui de l’almamy du Bondou et vint à Koussan se mettre sous la protection d’Ahmadou-Sy. Celui-ci donna quelques troupes à son neveu Séga-Toumané, fils de Toumané-Mody, qui marcha immédiatement contre Magal-Lagaré et s’en empara sans coup férir. Le village fut mis au pillage et Séga rentra à Koussan sans être inquiété.

L’almamy Ahmadou-Sy laissa en mourant quatre fils, dont un seul vit encore à Sénoudébou, Séga-Ahmadou. Les trois autres, Ahmady-Ahmadou, Toumané-Ahmadou et Moussa-Yéro, suivirent El-Hadj-Oumar et moururent dans le Ségou.

Oumar-Sané et Ahmady-Gaye (guerre civile).
El-Hadj-Oumar dans le Bundou (1853-1857).

A la mort d’Ahmadou-Sy, le trône du Bondou donna lieu à d’ardentes compétitions et à des dissensions si profondes entre les deux branches royales de Boulébané et de Koussan-Almamy, qu’elles dégénérèrent en une guerre civile longue et acharnée qui mit le Bondou à deux doigts de sa perte et fut une des causes les plus importantes du démembrement et de la dépopulation de ce grand pays.

L’héritier légitime du trône était Oumar-Sané, fils d’Ahmady-Aïssata et frère de l’almamy Saada. Il ne fut pas reconnu par les Sissibés de Boulébané. Escorté par les fils de l’almamy Saada, ses propres neveux, il alla se mettre sous la protection des Sissibés de Koussan-Almamy, qui le proclamèrent et le firent rentrer à Boulébané.

Le fils aîné de l’almamy Saada, Ahmady-Saada, se retira alors à Gabou, à 25 kilomètres environ de Bakel. Boubakar-Saada et ses autres frères restèrent à Sénoudébou. Tout en contestant à leur oncle ses droits au pouvoir, ils protégeaient un prince nommé Ahmady-Gaye, fils d’Ousman-Coumba-Tounkara, un des sept princes sissibés qui, à la mémorable défense de Dara-Lamine, avaient préféré la mort à la captivité. Séga-Toumané, fils aîné de l’almamy Toumané-Mody et chef de la branche de Koussan, fit tous ses efforts pour faire comprendre à Ahmady-Saada que la loi du pays s’opposait formellement à ce qu’un autre qu’Oumar-Sané fût proclamé almamy. Ce fut en vain ; Ahmady-Saada s’y refusa net et persista dans la première résolution qu’il avait prise de proclamer Ahmady-Gaye, sous prétexte que l’almamy Saada, son père, l’avait, en mourant, désigné comme son successeur. Il le fit reconnaître par son parti et vint s’établir avec lui et ses partisans dans le Lèze-Bondou, à Gabou.

La guerre ne tarda pas à éclater entre les deux partis. Les Sissibés de Koussan levèrent une armée qui, sous la conduite de Toumané-Samba, vint attaquer à Fissa-Daro Ahmady-Saada qui s’y était enfermé avec de nombreux guerriers, grossis d’un contingent de Bambaras du Kaarta. L’armée de Koussan tenta l’assaut de Fissa-Daro, mais fut repoussée à plusieurs reprises. Toumané-Samba fut mortellement atteint. Ses hommes, terrifiés, battirent en retraite, l’abandonnant sur le champ de bataille. Ses meilleurs guerriers perdirent la vie dans cette affaire. Un autre Sissibé de Koussan, nommé Baïla-Malick, fils de Malick-Coumba et cousin de Samba-Toumané, fut compté au nombre des morts.

Cependant, à force d’insistances et de pourparlers, les notables du Bondou parvinrent à opérer un rapprochement entre les Sissibés. La ruine et la désolation s’étaient abattues sur le pays, et tout le peuple se croyait forcé de le quitter, si une solution ramenant la paix n’intervenait pas rapidement. Des démarches furent alors tentées ; les deux partis décidèrent qu’un grand palabre aurait lieu à Diamwély, au centre du Bondou, dans lequel on choisirait un seul des deux almamys pour le pouvoir. Il aurait comme successeur immédiat son compétiteur présent. L’accord était presque sur le point de se conclure, lorsque apparut dans le Bondou le prophète El-Hadj-Oumar.

Ce marabout fameux, cet homme qui, hier encore obscur et inconnu, réussit à fanatiser la plus grande partie du Soudan occidental et à créer de toutes pièces le plus grand empire noir qui ait jamais existé en Afrique, naquit vers la fin du XVIIIe siècle à Aloar, près Podor, d’une famille de Toucouleurs Séléiobés. Dès son jeune âge, il se distingua par une grande réputation de sainteté et attira ainsi autour de lui bon nombre de disciples. Pour se rendre encore plus célèbre, il songea à aller se purifier à la Mecque ; mais il était sans ressources et dut solliciter des marabouts de Saint-Louis les moyens d’accomplir son voyage ; en 1825, il vint au chef-lieu de notre colonie, où les musulmans lui firent un chaleureux accueil et le comblèrent de présents. L’année suivante, il se mettait en route à travers l’Afrique pour se rendre à la ville sainte. Pendant toute la durée de ce long et pénible voyage et jusqu’en 1842 on n’entendit plus parler de lui. A cette époque, il revint dans le Ségou, prêchant, prophétisant et vendant très bien ses gris-gris réputés miraculeux.

On pensait qu’il allait venir briguer la dignité d’almamy du Fouta-Toro, mais il se dirigea vers le Fouta-Djallon et se construisit à Dinguiray un tata pour y enfermer ses richesses. De tous côtés affluèrent des cadeaux qui étaient immédiatement convertis en armes et munitions.

En 1847, il visita son pays natal et poussa jusqu’à l’escale du Coq, où les traitants de Saint-Louis lui firent un accueil enthousiaste et obtinrent même un bateau à vapeur pour le ramener chez lui.

El-Hadj reprochait souvent leur apathie aux gens du Fouta et irritait en même temps les princes, qui tentèrent de le faire assassiner.

Au mois d’août 1847, il se rencontrait à Bakel avec MM. de Grammont, gouverneur du Sénégal, et Caille, directeur des affaires politiques, et, en présence de Paul Holle, il leur tint ce langage : « Je suis l’ami des blancs, je veux la paix, je déteste l’injure. Quand un chrétien a payé la coutume, il doit pouvoir commercer librement. Le jour où je serai almamy du Fouta, construisez-moi un fort. Je disciplinerai le pays et nous aurons des relations amicales. »

De retour dans le Fouta-Djallon, la tête remplie de projets, il redoubla d’activité pour attirer à lui le plus possible de partisans. Quand il crut le moment venu, il envoya une députation au chef de Tamba, village situé sur les frontières du Bondou, du Bambouck et du Fouta-Djallon, pour obliger les habitants à embrasser la religion du prophète. Ses messagers furent éconduits. El-Hadj, furieux, résolut de s’emparer de force de ce point stratégique, et au mois d’août 1852 il se rendit maître de Tamba, dont il massacra presque tous les habitants.

Pour donner un prétexte à ses entreprises ambitieuses, il disait bien haut que la gloire de Dieu et la conversion des infidèles étaient les seuls motifs qui le poussaient à faire la guerre.

En 1853, il pénétra dans le Bambouck, qu’il suivit de village en village, appelant et prêchant les habitants, pendant que ses émissaires parcouraient le Khasso, le Bondou et le Guidimakha.

En 1854, il était devant Farabanna ; il appela les chefs et les retint sous une cause quelconque pour faire gouverner la ville par un de ses marabouts, avec ordre de détruire les tatas devant lesquels étaient venues s’échouer les forces du Bondou, du Bambouck et du Khasso.

Désormais libre de ses mouvements, il fit de Farabanna le centre de ses opérations, et, se posant en arbitre souverain, il convoqua dans sa nouvelle capitale tous les chefs des pays environnants. Ceux du Guoy, du Khasso, du Guidimakha, du Fouta, les Sissibés de Boulébané et de Koussan répondirent à son appel. Ces derniers soumirent à son arbitrage le différend qui les séparait et les avait armés les uns contre les autres. El-Hadj, pour la forme, proclama almamy Oumar-Sané, et trouva le moyen de faire cesser les luttes intestines qui désolaient le Bondou, en le supprimant pour ainsi dire et en emmenant ses princes et leurs sujets à sa suite. « Laissez-là, leur dit-il, vos querelles, que je réglerai à mon retour. Pour le moment, vous devez me suivre à la conquête des pays infidèles. » Les Bondounkés sont comme les autres peuples de race noire et musulmans, ils s’acclimatent vite avec le fanatisme, et ils n’attendaient qu’une occasion favorable pour se ranger sous la bannière du faux prophète. Le plus grand nombre des Sissibés se réunit donc aux contingents d’El-Hadj-Oumar, qui leur déclara qu’il ne restait plus aucun pouvoir que celui de Dieu, qu’il représentait. Les habitants, fatigués d’être sous les ordres de chefs qui leur imposaient de lourdes charges, suivirent le grand marabout dans le Nioro, abandonnant ainsi leur pays, qui devint la proie de ses talibés (disciples).

Ahmady-Saada, désespéré, rentra malade à Gabou et y mourut peu après. Quant aux deux almamys, ils suivirent El-Hadj et moururent à ses côtés. Oumar-Sané fut tué au siège de Médine en laissant un fils, Abbas-Oumar, qui mourut à Nioro. Ahmady-Gaye succomba à Yellimané. Il laissa deux fils : Oumar-Ahmady-Gaye, qui mourut sans régner, et Abdoul-Ahmady-Gaye, qui vit encore à Diamwély, près de Boulébané.

Les princes sissibés qui avaient suivi El-Hadj combattirent à ses côtés pendant toutes ses campagnes. Nous ne rééditerons point ici tout ce qui a été dit au sujet du grand marabout. Sa vie et ses hauts faits sont aujourd’hui trop connus. Nous prierons seulement le lecteur que cela pourrait intéresser de vouloir bien se reporter au récit qu’en a fait, dans la relation de son Voyage au pays de Ségou, le grand explorateur, M. le lieutenant de vaisseau Mage. Jusqu’à ce jour, il n’a rien été fait de plus complet sur cette partie de l’histoire du Soudan, et nous nous contenterons simplement de rapporter ce qui touche de près au royaume du Bondou. On n’ignore pas qu’après la prise de Yellimané, la capitale des Massassis-Coulibalys, rois du Kaarta, El-Hadj fit exécuter 200 des plus nobles Bambaras qu’il avait faits prisonniers. Boubakar-Saada, l’un des fils de l’almamy Saada, qui, comme ses parents, avait suivi le faux prophète, ne put faire autrement qu’intercéder pour ses oncles. Il était, en effet, fils d’une princesse Massassi que son père avait épousée comme gage d’alliance avec les Bambaras du Kaarta. Cette démarche le rendit suspect aux yeux d’El-Hadj. De plus, les talibés le dénoncèrent comme partisan des infidèles. Il fut alors pris et gardé à vue par les gens du marabout. Sur le point d’être mis à mort, il réussit à s’échapper et vint à Médine, où il rencontra le lieutenant-colonel du génie Faidherbe, qui le prit sous sa protection et qui, voyant le Bondou sans chef et dans l’anarchie la plus complète, le nomma almamy, le 5 octobre 1855.

Au commencement de mars 1856, une bande de Toucouleurs de l’armée d’El-Hadj revenant du Kaarta et commandée par deux grands marabouts du Fouta nommés Belli et Tierno-Allioun, forçait le Bondou à se soulever de nouveau contre nous et contre son almamy. Ils s’emparèrent de Bordé, village situé près de Bakel et qui avait hésité à prendre parti pour eux. Enhardis par ce succès, ils vinrent enlever le troupeau du poste. On courut après eux et on leur tua 50 hommes. On leur prit 400 captifs qu’ils ramenaient de leur guerre sainte, 14 chevaux, des bœufs, des ânes et du butin qu’on mit 4 jours à transporter à Bakel. Les deux chefs toucouleurs restèrent sur le champ de bataille.

A la suite de ces événements, Boubakar reprit la campagne avec 3 ou 400 partisans, et M. Girardot, commandant de Sénoudébou, se réunit à lui. Ils détruisirent le village de Débou qui s’était révolté et y firent plus de 400 prisonniers. Peu de jours après, le commandant de Sénoudébou brûlait le village Touldéouoro, aidé par Boubakar-Saada. Ils ne perdirent que 2 hommes et en tuèrent 30 à l’ennemi, entre autres un prince sissibé nommé Boubakar-Malick.

Le 5 avril 1856, 500 Bondounkés cherchèrent à enlever le troupeau de Sénoudébou ; 50 hommes du poste, 80 du village et 100 Malinkés les repoussèrent vigoureusement. Par suite de cette agression, on alla quelques jours après brûler Naïé, où plus de 200 prisonniers périrent dans les flammes. On fit aussi quelques prisonniers, entre autres un grand marabout d’El-Hadj, chef de la bande qui avait attaqué le troupeau du poste et qui fut fusillé sur-le-champ.

Le 7 avril, le village sous le poste est attaqué de nouveau et l’ennemi repoussé.

Le 7 mai, à sept heures du matin, le fort et le village de Sénoudébou furent encore assaillis par plus de 2,000 hommes. Le combat se prolongea jusqu’à six heures du soir. L’ennemi fut de nouveau repoussé.

Le 21 du même mois, un marabout du Fouta-Djallon, avec une armée de 4,000 hommes du Bondou, du Kaméra, du Fouta, tenta une nouvelle attaque ; après une fusillade de cinq heures, il se retira à 3 kilomètres, laissant trois morts.

Dans la nuit du 23, il fit une nouvelle attaque sans résultat. Enfin, le 24 à onze heures, divisé en trois corps, l’ennemi vint tenter un nouvel assaut. Trois fois repoussé, il abandonna le champ de bataille à deux heures de l’après-midi, laissant 35 morts et emmenant beaucoup de blessés. 200 hommes du poste et du village le poursuivirent et ramenèrent une dizaine de prisonniers.

Juin 1856. Boubakar-Saada est envoyé par le commandant de Bakel pour brûler le village d’Alana, entre le Guoy et le Fouta, qui avait tué un de nos courriers.

Août 1856. Tout le Bondou se soumet à Boubakar-Saada et lui donne des otages.

Septembre 1856. Profitant d’un voyage de M. Flize, officier d’infanterie de marine, dans le Bambouck, Boubakar, aidé de Bougoul, chef de Farabanna, attaqua Kéniéba qui était au pouvoir de nos ennemis. Ils prirent le village et le mirent à notre disposition pour l’exploitation des mines d’or.

Janvier 1857. Boubakar fait une grande razzia sur son cousin Ousman qui le trahissait et qui lui fit sa soumission à la suite de cette sévère leçon.

Février 1857. Boubakar se rend dans le Ferlo soumettre les villages révoltés, dont une partie passa à l’ennemi en traversant le fleuve, se rendant dans le Guidimakha.

Mars. Croyant les circonstances favorables, un compétiteur s’éleva contre lui dans le Bondou. C’était un Sissibé de la branche d’Amaguié, qui se nommait Ely-Ahmady-Kaba, et qui était partisan d’El-Hadj. Il avait réussi à grouper autour de lui les villages de Ouro-Ahmadou, Bélidioudé, Séling, Kipinguel, c’est-à-dire environ 6,000 hommes avec lesquels il s’enferma dans le village fortifié d’Amaguié ou Amadhié. Boubakar, lui ayant fait demander le tribut dû à l’almamy, celui-ci répondit par un refus formel, menaçant de mettre à mort celui qui viendrait lui renouveler cette demande.

Les hostilités commencèrent aussitôt. Boubakar marcha contre le rebelle. Son armée renforcée par les troupes du poste de Sénoudébou, que commandait le piqueur du génie Girardot, vint mettre le siège devant Amaguié. Le village ne put être enlevé de vive force. La résistance des habitants fut opiniâtre, et, l’affût de la pièce du poste s’étant brisé, on fut obligé de demander du renfort à Bakel et la colonne, en attendant vint camper sous les murs de Séling ou Sélen sur la Falémé. A l’attaque d’Amaguié, les Maures Douaïch qui s’étaient joints à Boubakar se contentèrent de faire caracoler leurs chevaux dans la plaine sans s’approcher des tatas.

Le commandant de Bakel, le capitaine Cornu, se vit obligé de marcher avec ses hommes au secours de Boubakar-Saada et du commandant de Sénoudébou. Il les rejoignit quelques jours après à Séling et marcha avec eux contre Amaguié. Mais il eut beaucoup de peine à décider les Maures à marcher avec eux à l’ennemi.

Lorsqu’il arriva devant Amaguié, il fit demander le chef. Celui-ci lui envoya aussitôt son fils. Il le chargea d’aller dire à son père de venir faire sa soumission immédiatement. Vers le soir, Ely-Ahmady-Kaba arriva avec tous ses notables. Il fit sa soumission à Boubakar-Saada en lui demandant de ne pas abuser de la protection de la France pour commettre des injustices et se livrer à des représailles contre ses ennemis. On désarma tous les habitants du village. On prit tous les chevaux, les bœufs et les captifs. Les hommes libres furent laissés en liberté. L’autorité de Boubakar-Saada fut donc affirmée pour quelque temps dans le Lèze-Maïo. Le tata d’Amaguié avait 500 mètres de développement, 3 mètres de haut et 1 mètre d’épaisseur à la base.

Juillet 1857. Après avoir chassé El-Hadj des environs de Médine, le gouverneur Faidherbe se décida à s’emparer de Somsom-Tata, la ville la plus forte du Haut-Bondou et celle qui avait, de tout temps, fait le plus d’opposition à Boubakar-Saada. Celui-ci, de son côté s’était assuré de l’alliance du chef des Maures Douaïch, du roi du Khasso, Sambala, et de Bougoul, chef de Farabanna. Ainsi secondé et fort de l’appui de la France, il marcha sur Somsom-Tata. Le chef de ce village, Malick-Samba, prince sissibé, retenait alors prisonnier dans son tata Alkossoum, Sissibé de la branche de Koussan-Almamy, fils de l’almamy Toumané, et, par conséquent, oncle du chef du village auquel il avait été confié. On l’accusait de s’entendre avec Boubakar-Saada dont il défendait vivement le parti. Aussi avait-il été arrêté par ordre d’El-Hadj-Oumar et interné à Somsom-Tata, qui passait alors, dans tout le pays, pour une forteresse absolument imprenable. Elle avait été construite quarante ans auparavant par l’almamy Toumané et était dirigée contre les Bambaras, qui venaient à chaque instant faire des razzias dans le Bondou. L’almamy Toumané y avait installé une forte garnison en même temps pour surveiller le Bas-Bondou et pour pouvoir protéger le Lèze-Maïo, afin de donner le temps aux troupes du Koussan et de Boulébané de se rassembler. Cette garnison se composait presque uniquement de captifs de l’almamy et d’hommes libres de sa suite, et lorsque Malick-Samba en fut nommé le chef, c’étaient les descendants de ceux-ci qui défendaient la forteresse.

Boubakar-Saada, résolu à en finir avec eux, avait fait écrire à Malick pour le sommer d’avoir à rendre la liberté à Alkossoum. Malick refusa net, et Boubakar marcha contre Somsom-Tata. Il fut soutenu, dans cette circonstance, par le capitaine Cornu, commandant de Bakel, qui lui prêta son concours. Arrivés devant la place, ils livrèrent un assaut terrible ; mais ils furent repoussés. Ils résolurent alors de faire brèche. Le capitaine Cornu fit mettre en batterie les quatre pièces de montagne dont il disposait. Mais ce fut inutile, les boulets n’entamèrent même pas la muraille. Le siège fut alors organisé en règle et on résolut de prendre le village par la famine. Ce fut alors que le gouverneur Faidherbe, prévenu par le capitaine Cornu, se mit en marche contre Somsom-Tata, dont la longue résistance pouvait avoir, dans le pays, un déplorable effet, surtout à cette époque où El-Hadj se trouvait au plus haut degré de sa puissance. Il fit débarquer ses troupes à Yaféré, sur le Sénégal, et marcha contre le village rebelle, devant lequel il arriva le lendemain.

Il fit alors venir le chef et lui intima l’ordre de délivrer le prisonnier. Malick-Samba promit de faire sur-le-champ ce qu’il désirait. Mais à peine entré dans le village, il en fit fermer les portes et, non seulement refusa de tenir sa parole, mais encore fit immédiatement assassiner le prince Alkossoum. Faidherbe recommanda alors au commandant de Sénoudébou et à Boubakar de bien surveiller les portes ; car, le lendemain, on devait mitrailler le village, et le surlendemain en faire l’assaut.

Mais Malick, effrayé et ne doutant pas qu’il serait vaincu, prit la fuite pendant la nuit. Les gardes des portes le poursuivirent, tuèrent une vingtaine de ses guerriers et firent 400 prisonniers. Le lendemain on entra dans le village, qui fut pillé et brûlé.

Le 28 août 1857, M. le lieutenant de vaisseau Brossard de Corbigny, de concert avec les troupes du Bondou et celles de Bougoul, chef de Farabanna, remonte la Falémé sur le Grand-Bassam, capitaine Marteville, et vient châtier le village de N’Dangan qui avait laissé passer les gens du Fouta allant au secours des assiégeants de Médine.

Le village de N’Dangan fut pillé et brûlé. On y fit 25 prisonniers. Le reste de la population s’enfuit à Djenné.

Deux heures après, le Grand-Bassam parut devant Sansandig en même temps que nos alliés. Des obus mirent le feu au village, et les défenseurs, découragés, prirent la fuite. On fit 64 prisonniers, on s’empara de 250 bœufs, et de beaucoup de chèvres. Le chef de Samba-Yaya, quatre fils du chef de Sansandig et le fils du chef de Djenné y furent tués.

Novembre 1857. Le Bondou tout entier se soumet à Boubakar-Saada, et il est proclamé almamy par tous les Sissibés qui y résidaient alors.

Boubakar-Saada (1857-1885).

Pendant ce temps El-Hadj, établi à Koundian, dont il venait de faire construire le fort tata, ravageait Konkodougou et les provinces voisines. Il soumit le Diébédougou et vint à Sékokoto (Bambouck), puis à Kakadian, sur les bords de la Falémé. De là il se rendit à Tomboura (Bondou).

En même temps, un de ses lieutenants, Mahmadou-Dialo, se présentait dans le Haut-Bondou et prêchait partout la guerre sainte, excitant le peuple à la révolte et annonçant que le règne des Sissibés était fini, qu’ils étaient aujourd’hui des infidèles. Il réussit ainsi à rallier autour de lui plus 10,000 fanatiques et s’empara de N’Dioum (Ferlo), qui le reçut dans ses murs.

Boubakar leva une armée de 2,000 hommes et vint assiéger cette ville. Il eut à traverser pendant 50 lieues un pays parsemé d’ennemis ; mais il comprit que reculer serait une trop grande faute, il se mit donc en marche. Mahmadou-Dialo, en apprenant la marche des Bondounkés, ne parut nullement s’en inquiéter ; il comptait beaucoup sur leurs ennemis pour tourner la fortune en sa faveur et il ne douta pas un seul instant de l’extermination des Sissibés.

Boubakar trouva l’ennemi campé au milieu des bois, tout autour de la ville. Les Bondounkés avaient à opérer sur un terrain accidenté, plein de monticules, derrière lesquels l’ennemi se retranchait. Il donna l’ordre de tourner la position. En un instant l’armée ennemie est entourée de cavaliers, battue et dispersée. Boubakar, enhardi par ce succès, résolut alors de donner l’assaut à la ville. Les Bondounkés s’élancèrent pleins de courage, mais devant une résistance désespérée, ils durent se replier et se contenter de faire le siège en règle.

Le capitaine Cornu, commandant du poste de Bakel, vint à son aide avec deux obusiers et 20 hommes de troupe. L’assaut recommença. Déjà une partie de la ville est tombée en leur pouvoir, et incendiée ; mais, cette fois encore, ils sont obligés de battre en retraite dans le plus grand désordre. Le capitaine Cornu, abandonné avec ses quelques hommes, dut prendre la fuite abandonnant ses deux canons sur le champ de bataille.

Boubakar, averti après cette défaite qu’El-Hadj était campé à Tomboura et se disposait à traverser le Bondou, se dirigea en toute hâte vers Sénoudébou.

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