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Le Bondou: étude de géographie et d'histoire soudaniennes

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En cas de guerre, l’almamy informait les chefs de provinces d’avoir à rassembler leurs guerriers. Ceux-ci agissaient de même à l’égard des chefs de cantons et de villages placés sous leurs ordres. Quand la concentration des contingents de chaque province était faite, les chefs se mettaient à la tête de leurs hommes et se rendaient au lieu fixé par l’almamy, qui prenait alors le commandement en chef ou bien le déléguait à un de ses lieutenants.

Enfin, outre l’impôt qui était dû à l’almamy, les chefs de provinces, de cantons et de villages en percevaient encore pour leur propre compte sur les habitants soumis à leur juridiction. Aussi se commettait-il partout de tels abus de pouvoir, que, si l’almamy n’avait pas assez d’autorité pour y mettre ordre, des villages entiers émigraient pour se soustraire à des exactions intolérables et qui les ruinaient complètement.

Dans le Bondou, la justice est rendue en premier ressort par les marabouts et en dernier par l’almamy, dont le jugement était autrefois souverain. Actuellement, on en réfère également au représentant de l’autorité française et, en dernier lieu, au gouverneur du Sénégal, depuis que le pays a été placé sous sa juridiction.

Les marabouts se divisent en quatre classes : talibés, cadis, tamsirs et imans. Les talibés ne possèdent aucune autorité en matière de justice. Ce sont plutôt des élèves marabouts que des marabouts proprement dits, enseignant et récitant les prières. Ils tiennent des écoles où ils enseignent aux enfants la langue arabe et les versets du Coran.

Les classes ont lieu le matin de quatre à six heures et le soir de deux heures à sept heures. Les jeunes élèves, assis autour du marabout professeur, épellent et récitent les versets écrits sur une petite planchette à cet usage.

Après la classe, les jeunes talibés se dispersent dans le village où ils vont implorer la charité des habitants. Le produit des aumônes recueillies sert à leur nourriture et à celle de leur maître d’école.

Les talibés qui ont une connaissance assez approfondie du livre saint peuvent être quelquefois consultés, mais leurs jugements ne portent jamais que sur des procès de peu d’importance. Ce sont, pour ainsi dire, des juges de paix.

Les cadis forment le tribunal de première instance et les tamsirs les tribunaux d’appel. Ils sont aussi chargés de présider la prière. Les imans président au partage des successions, même de celles des almamys. Le code suivi au Bondou est le Coran approprié aux mœurs et à l’esprit des habitants.

La justice ne se fait généralement sentir que dans les cas de vols ou d’actes contraires aux lois de la pudeur. Tout voleur est sévèrement puni, suivant la gravité de sa faute, soit de plusieurs coups de corde, soit de la perte de la main gauche, soit de la perte totale de ses biens s’il est riche.

Le viol sur une jeune fille vierge est puni de la privation totale des biens du coupable, si celui-ci est un homme libre. Si, au contraire, il est captif, c’est la peine de mort. Si la jeune fille a été consentante, elle entraîne pour cela pour ses père et mère la perte totale de leurs biens.

L’adultère est puni de mort ou de la perte des biens.

Ces lois sont très rigoureusement exercées et fournissent ainsi une partie des revenus de l’almamy, à qui reviennent de droit toutes les amendes.

Les enfants nés d’unions illégitimes sont traités en véritables parias, et le plus souvent bannis du village et du pays quand ils sont en âge de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. Les mères coupables peuvent dans la suite contracter union, mais elles ne sont pas en droit d’exiger de dot.

Les ordres de l’almamy sont strictement exécutés, sous peine d’une forte amende. Dans le cas où un village contreviendrait à ses instructions, il serait imposé d’une forte contribution dont le chef est responsable de sa personne et de ses biens.

Un captif pris en fuite appartient à l’almamy, auquel le propriétaire est tenu de payer une pièce de guinée pour rentrer en son bien.

Tout étranger mettant le pied sur le sol du Bondou doit se conformer aux lois et coutumes de ce pays, dont il serait passible dans le cas contraire. Ceci n’est plus applicable maintenant aux Européens, qui ne relèvent absolument que de la justice française.

Il serait trop long de faire ici une étude complète de la religion, des mœurs et des coutumes du Bondou. Cela nous conduirait, vu la diversité des peuplades qui l’habitent, à faire un traité complet d’ethnologie et de sociologie soudaniennes. Nous nous contenterons de dire que la religion qui y est pratiquée est l’islamisme mitigé de superstitions grossières. Les mœurs et les coutumes y sont celles des peuples musulmans de la côte occidentale d’Afrique ; enfin la famille et la société y sont constituées d’après les préceptes du Coran appliqués au génie particulier de chaque race. Dans un ouvrage prochain nous reviendrons plus longuement sur ces intéressantes questions.

Populations actuelles du Bondou. — Le Bondou est, relativement à son étendue, très peu peuplé. Il nous est absolument impossible de donner un chiffre quelconque, même approximatif, de ses habitants.

Cette dépopulation est due à deux causes principales : 1o les guerres perpétuelles auxquelles, depuis El Hadj-Oumar, il a été en proie ; 2o les exactions des Sissibés. Hâtons-nous, toutefois, de dire que depuis que nous avons pris en main la gestion des affaires bondoukées, il commence sensiblement à se repeupler. La chute de l’empire toucouleur d’Ahmadou y a puissamment contribué ; car beaucoup de familles qu’El Hadj-Oumar avait entraînées à sa suite à Nioro et à Ségou sont revenues dans leur mère-patrie. Enfin les habitants qui s’étaient réfugiés dans le Niani et le Niocolo pour échapper à la rapacité des almamys commencent à reconstruire leurs anciens villages, certains que, sous l’administration française, leurs biens seront respectés par leurs chefs naturels.

D’une façon générale, on peut dire qu’on trouve dans le Bondou des représentants de toutes les races du Soudan français. Toutefois, la race peulhe et les rameaux qui en dérivent y sont de beaucoup en majorité. Nous ne nous occupons, bien entendu, ici que des peuplades sédentaires, laissant de côté la population flottante. Sous cette réserve, on rencontre dans le Bondou des Fadoubés, des Malinkés, des Bambaras, des Ouolofs, des Sarracolés, des Diakankés, des Peulhs et des Toucouleurs.

1o Fadoubés. — Nous avons parlé plus haut de cette peuplade à demi sauvage, lorsque nous avons traité de l’ethnographie des habitants primitifs du Bondou. Nous ne les citons que pour mémoire, car ils tendent chaque jour davantage à disparaître et se fondent avec les peuplades environnantes.

2o Malinkés. — Ils ont été en partie chassés du Bondou par la guerre impitoyable que leur ont faite les almamys. Refoulés vers l’est et vers l’ouest, ils n’y sont plus représentés que par un petit nombre d’individus disséminés dans quelques rares villages des bords de la Falémé et du Do-Maïo.

3o Bambaras. — Après la destruction du royaume bambara du Kaarta, quelques Massassis, qui avaient échappé au massacre ordonné par El Hadj-Oumar, vinrent avec leurs familles et leurs captifs chercher asile dans le Bondou. Ils y construisirent les deux villages d’Allahina et de Kidira. Mais, depuis la prise de Nioro par M. le colonel Archinard et la dislocation de l’empire toucouleur du sultan Ahmadou, la plupart d’entre eux sont retournés dans leur mère-patrie, et le jour est proche où il ne restera plus dans le Bondou qu’un petit nombre de représentants de cet important rameau de la race mandingue.

4o Ouolofs. — Les Ouolofs étaient autrefois assez nombreux dans le Bondou. Ils formaient de beaux et riches villages. Originaires du Oualo, du Djoloff, du Cayor et du Saloum, ils y avaient été attirés par la fertilité du sol et par la protection que leur promettaient les almamys. Mais leurs beaux lougans, leurs riches greniers et leurs nombreux troupeaux ne devaient pas manquer d’exciter la cupidité des Sissibés. Aussi furent-ils toujours pressurés à outrance. Les exactions dont ils ont toujours été victimes de la part des chefs du pays les ont poussés à émigrer vers le Ouli, le Niani et le Sandougou. Les guerres de Boubakar-Saada et celles de Mahmadou-Lamine ont achevé de les chasser du Bondou. Aussi y sont-ils actuellement peu nombreux. Ils commencent cependant à revenir un peu, surtout depuis l’avènement de Malick-Touré et depuis que nous dirigeons les affaires du pays. On ne saurait trop faire pour les y attirer de nouveau. Le Ouolof est, en effet, une race intelligente et surtout la plus laborieuse de toutes celles qui habitent nos possessions de la Sénégambie et du Soudan. Ce sont, de plus, d’excellents éleveurs et des agriculteurs consommés.

5o Sarracolés. — Les Sarracolés du Bondou sont originaires du Guoy, du Kaméra, du Guidimakha et du Kaarta. Ils habitent particulièrement le Ferlo, c’est-à-dire le pays compris entre Safalou et Kerkité.

Le Sarracolé, comme son nom l’indique d’ailleurs (Sarracolé veut dire homme blanc), est une des races d’origine blanche qui habitent l’Afrique occidentale. Du reste, le type sarracolé pur ne peut laisser aucun doute sur son origine sémitique. Le visage est, en effet, ovale, les yeux grands, le nez droit et souvent même aquilin, les lèvres généralement minces ou peu lippues, le teint moins noir que chez les peuples de race mandingue, les membres supérieurs n’ont pas enfin cette longueur démesurée qui est la caractéristique du nègre proprement dit. La femme offre encore plus prononcés les caractères de la race blanche que l’homme. Le visage est régulier, le prognathisme insignifiant, le nez petit, nullement épaté, les cils et les sourcils abondants et bien dessinés. Les jambes ne présentent pas ce caractère masculin que l’on trouve si prononcé chez la femme malinkée et la femme bambara. Les cuisses sont bien faites et les bras bien modelés. Enfin les extrémités sont d’une finesse remarquable et les attaches élégantes. Le teint est plutôt fortement bronzé que noir.

Cependant on comprend que, vivant au milieu de populations noires, le Sarracolé, par suite de croisements multiples, ait dégénéré et qu’il ait fini par prendre à ses voisins quelques-uns de leurs caractères anthropologiques. Néanmoins, avec un peu d’habitude, il est facile de ne pas se méprendre et de distinguer rapidement un Sarracolé d’un Toucouleur, d’un Ouolof ou d’un Malinké.

Ce qui surtout nous permet de le considérer comme bien supérieur aux autres races africaines, à part la race peulhe, bien entendu, c’est son intelligence éveillée, son aptitude toute particulière pour le commerce et son âpreté au gain. Je ne sais qui a dit que le Sarracolé était le juif du Soudan. Jamais comparaison ne fut plus exacte. Ce sont, en effet, les Sarracolés qui sont les colporteurs de l’Afrique occidentale. Chaque année, après l’hivernage, dès que la saison des pluies est terminée et que les sentiers sont devenus praticables, ils quittent leurs villages et de cultivateurs deviennent dioulas (marchands ambulants). Ils vont à domicile porter aux populations sédentaires tout ce dont elles peuvent avoir besoin.

Au début de ses opérations, la pacotille du dioula est des plus modestes : quelques pièces de guinée, du sel, de la poudre, des pierres à fusil, des fusils de traite, des kolas, de la verroterie, et voilà tout. Toutes ces marchandises sont soigneusement emballées et portées par un de ces vaillants petits ânes qui sont le plus précieux auxiliaire, le compagnon de fortune du dioula. Mais peu à peu, grâce à son instinct du lucre et à une sévère économie, sa petite fortune ne tarde pas à augmenter. Avec les bénéfices qu’il a réalisés, il achète un, deux, puis plusieurs captifs, et il ne cesse son métier de dioula que lorsqu’il a pu en acquérir un assez grand nombre pour faire cultiver ses lougans. Il reste alors dans son village et devient un notable plus ou moins influent. Il a réalisé son rêve : il est maintenant propriétaire et chef de case.

D’autres Sarracolés, qui n’ont pas un goût aussi vif pour les pérégrinations ou qui ne possèdent pas les ressources nécessaires pour la première mise d’une pacotille de dioula, emploient d’autres moyens pour arriver à cette situation tant désirée de chef de case.

Dès l’âge de quinze ans ils se rendent à Saint-Louis, dans nos postes, à nos escales. Là ils accaparent les emplois indigènes les plus lucratifs, les places les mieux rétribuées, et aussi, autant que possible, celles qui exigent le travail le moins pénible. La presque totalité des matelots indigènes, des laptots, qui composent au Sénégal les équipages de nos avisos et l’armement des chalands des négociants sont Sarracolés. Les meilleures places de domestiques, de maîtres d’hôtel, d’employés indigènes de commerce à Saint-Louis sont occupées par des Sarracolés. En revanche, on n’en trouve pas un seul parmi les spahis et à plus forte raison parmi les tirailleurs sénégalais. Le service y est trop pénible et la solde trop faible.

Dès que, dans ces diverses situations, il a acquis une certaine aisance, il rentre dans son pays et devient à son tour propriétaire et chef de case.

Chez lui, le Sarracolé est bon agriculteur. Maître impitoyable, il exige un travail considérable de ses captifs et sait en tirer tout le rendement dont ils sont capables. Comme le Peulh, il possède toujours de grands troupeaux et est un éleveur de première force.

Le peuple sarracolé a eu son heure de puissance et de gloire ; il formait, paraît-il, il y a quelques siècles, un vaste empire au cœur du Soudan occidental. Les débris de cet empire sont aujourd’hui épars sur le continent africain sous les noms de Soninkés, Markankés, Sarracolés, à l’état tantôt de familles, tantôt de confédérations plus ou moins importantes. Musulman convaincu, il est, par suite de sa vie nomade, un des plus fervents propagateurs de l’islamisme en Sénégambie. Aussi embrassa-t-il avec enthousiasme la cause de son compatriote Mahmadou-Lamine. Les plus fidèles talibés de ce faux prophète étaient Sarracolés.

Ceux du Bondou furent des premiers à aller se ranger sous sa bannière. Le pays qu’ils habitaient est aujourd’hui presque complètement désert. Mais on peut être certain que quelques années de paix seulement suffiront pour les y ramener.

6o Diakankés. — Les Diakankés, si l’on en croit la légende, peuvent être considérés comme une des races les plus anciennes du Soudan. On fait remonter leur origine aux temps les plus reculés. Il nous a paru curieux de recueillir quelques-unes des opinions qui ont cours à leur sujet dans le Bondou. On pourra voir, en lisant les quelques lignes qui suivent, que l’imagination est loin de faire défaut aux griots et aux marabouts.

Donc, d’après certains griots et marabouts, leur origine remonterait jusqu’au temps des patriarches. Le tamsir Bodéoul disait même qu’ils avaient été des captifs d’Abraham, qui leur aurait donné la liberté peu avant sa mort, et qu’ils auraient embrassé l’islamisme dès la fondation de cette religion par Mahomet. D’autres soutiennent qu’ils descendent de captifs de Moïse ou de Salomon. D’autres enfin prétendent, et ceci serait plus vraisemblable, que leurs ancêtres auraient été simplement des captifs de Mahomet ou des califes qui lui ont succédé.

Quoi qu’il en soit, les Diakankés, comme les Sarracolés avec lesquels il convient de ne pas les confondre, présentent d’une façon absolument certaine des caractères indiscutables d’une race sémitique quelconque. Ainsi ils ne sont pas aussi noirs que les indigènes de race mandingue ou ouolove. De même leurs caractères anthropologiques se rapprochent sensiblement de ceux de la race blanche. Nous serions, pour nous, assez tentés de les considérer comme une race de mélange, analogue à la race toucouleure, mais chez laquelle l’élément peulh dominerait davantage.

Quant à leur pays d’origine, il est généralement admis qu’ils sont venus de l’est ; mais d’où ? c’est là le problème qu’il serait intéressant d’élucider. Tout ce que l’on sait, c’est qu’avant leur arrivée dans le Mandé ou Manding ils habitaient, dans le Macina, un village nommé Diaka, d’où leur est venu le nom de Diakankés (hommes de Diaka) sous lequel les désignaient les peuplades de races mandingues. Ils émigrèrent de ce village, on ne sait trop à quelle époque, et vinrent s’établir dans le Mandé en un endroit qui fut désigné sous le nom de Diakaba. C’est de ce village que sont sorties les principales familles diakankées qui habitent le Bondou, le Dentilia et le Niocolo. Elles ont formé dans le Bondou une petite agglomération de villages auxquels on donne le nom de Diaka.

Le Diaka est le canton le plus méridional du Bondou. Il confine à l’est au Tiali, au sud au pays de Gamon et au Tenda, à l’ouest au Ouli et au Ferlo-Maodo, et au nord au Niéri et au Ferlo-Balignama.

Pendant leur séjour dans le Manding, ils réussirent à convertir à l’islamisme bon nombre de familles malinkées qui veulent aujourd’hui se faire passer pour diakankées. Mais on ne saurait les confondre avec les représentants purs de cette race dont elles n’ont aucun des caractères anthropologiques, car les croisements entre ces deux unités ethniques ont toujours été excessivement rares.

Les principales familles diakankées du Bondou se sont, pour ainsi dire, conservées absolument pures de tout mélange. En voici les noms et ce que nous avons pu démêler à leur sujet de plus vraisemblable au milieu de fables et de légendes plus extraordinaires les unes que les autres.

1o Les Diaby-Gassama sont les descendants de Mody-Fatouma, qui fut père de Fodé-Diakoï-Saloum dont les fils habitent Diddé et ses environs, Bokko, près de Safalou, Diddé-Coutta, près de Bentenani, et Touba-N’ding, près de Dianna. Mody-Fatouma eut encore deux fils : Diako-Laye, qui fonda le village de Touba du Fouta-Djallon, et Fodé-Boulaye, qui fut le fondateur de Dianna dont un des arrière-petits-fils, Fodé-Ismaïlia, est aujourd’hui le chef.

Durant leur séjour à Diakaba, les Gassama adoptèrent pour ainsi dire une nombreuse famille malinkée qui prit le nom de Sambou-Gassama, de celui de son chef Sambou.

Celui-ci avait émigré du Mandé dans le Ouli à la suite du chef Koly-Tengrela, et était venu s’établir au village de Soutouko, non loin de Sini. Peu après son installation, arriva à Soutouko un marabout diakanké, qui se nommait El-Hadj-Fodé-Souaré, qui convertit sans peine Sambou à l’islamisme. Il lui persuada de quitter le Ouli, et l’entraîna dans le Diaka, où il fonda le petit village de Médina-Diaka dont les habitants ne doivent pas, par conséquent, être considérés comme de purs Diakankés.

La famille des Gassama a dans tout le Bondou une grande réputation de ferveur religieuse. Elle a donné un grand marabout, Fodé-Diakoï-Saloum, qui fit trois fois le pèlerinage de La Mecque et construisit les mosquées de Diddé et de Koussan-Almamy, qui furent détruites par les bandes d’El-Hadj-Oumar.

2o Les Dibassy-Fadiga sont, après les Gassama, la famille la plus importante du Diaka. Ils descendent d’un nommé Toullé-Fadiga, qui vécut dans les temps les plus reculés de la légende. Certains marabouts prétendent qu’il existait au temps du roi Salomon, dont il aurait été captif, et que ce dernier l’aurait libéré après lui avoir fait apprendre l’hébreu.

3o La famille des Diakités n’a peut-être pas une origine aussi ancienne que les deux précédentes, mais elle jouit chez les Diakankés d’une grande autorité religieuse et politique, bien que cependant elle ne soit pas de race absolument pure et qu’elle soit fortement mâtinée de mandingue. On les désigne encore sous le nom de Kabalankés, du nom de leur ancêtre Kaba-Mody-Satan, qui lui-même, dit la légende, descendait d’un nommé Hamdiatou ou Hamza, oncle de Mahomet. Cet Hamdiatou, nous apprend-on, serait parti de Médine, près de La Mecque, pour visiter les contrées du sud et du sud-ouest et les convertir au culte du Coran. Ce fut ainsi que, de pays en pays, il arriva dans le Mandé, à la cour du grand roi mandingue Soun-Djatta, qui le reçut fort bien ; et chaque fois que le marabout pèlerin venait prêcher dans la cour royale, Soun-Djatta lui faisait remettre en cadeau une petite baguette d’or. Chaque fois aussi, en retour de ses libéralités, le marabout faisait toujours des vœux et récitait des prières pour le bonheur et la prospérité du roi mandingue. Il ne put cependant pas, malgré tout ce qu’il fit, le convertir à l’islamisme.

A cette époque se trouvait à la cour de Soun-Djatta, parmi les hommes de sa suite, un courtisan qui ne pouvait pas souffrir le marabout et qui l’accusait de tromper le souverain. Il ne pouvait lui pardonner que Soun-Djatta le comblât de cadeaux, et allait répétant partout que ses prières n’avaient absolument aucune vertu. Aussi se tenait-il toujours à l’écart, au pied d’un arbre qui était mort depuis longtemps, et ne répondait-il jamais aux oraisons du pèlerin.

Un jour le roi, avant de partir pour une dangereuse expédition, demanda à Hamdiatou de faire une prière solennelle pour la réussite de son entreprise. Celui-ci adressa alors à Dieu une invocation telle, disait-il, que Soun-Djatta reviendrait sûrement vainqueur dans sa capitale et avec un riche butin. Le courtisan ne put s’empêcher de prendre à partie le marabout à ce sujet en présence de toute la cour. Il l’invectiva violemment et lui dit, en terminant : « Marabout, je ne le regarderai jamais que comme un vil imposteur tant que, par tes prières ou par tout autre moyen, tu n’auras pas fait pousser des feuilles à cet arbre qui est mort depuis des années. » Et, ce disant, il frappa vivement et à plusieurs reprises sur les racines qui lui servaient de siège. Hamdiatou adressa alors à Dieu une fervente prière, lui demandant de faire ce miracle pour convaincre l’infidèle. En peu de jours il fut exaucé, et l’arbre se couvrit d’un vert feuillage qui devait persister toute l’année, une nouvelle feuille devant remplacer immédiatement celle qui venait de mourir.

Cet arbre fut dès lors appelé Doua-Luigo, ou « arbre de prière » en langue mandingue, d’où l’on a fait Doubaléhi et Doubalel. C’est ainsi que ce beau végétal est connu aujourd’hui des Européens au Soudan.

Le courtisan, convaincu de la puissance du marabout, ne tarda pas à se convertir à l’islamisme. Il devint le meilleur ami d’Hamdiatou, et dans la suite lui donna sa propre fille en mariage. C’est de cette union que naquirent les Diakités. Ils ne sont donc pas des Diakankés purs, mais plutôt des métis de Diakankés et de Mandingues.

Les Diakités jouissent chez tous les peuples du Soudan, et particulièrement chez les Diakankés, d’une grande influence, tant au point de vue politique qu’au point de vue religieux. Ils sont considérés comme des descendants de Mahomet, et comme tels chargés, partout où ils se trouvent, de dire les prières. Ils jouissent, à ce point de vue, des mêmes faveurs que les chérifs maures et, comme eux, reçoivent de nombreux cadeaux des fidèles au nom du prophète de l’Islam.

Les Diakités, ou Kabalankés, ont donné dans le Bondou plusieurs personnages fameux par leur sainteté et leur profonde connaissance du Coran. C’est d’abord Fodé-Amar-Kaba, marabout renommé qui vivait du temps de l’almamy Saada. Il habitait le village de N’Dioum-Alfakha, dans le Ferlo-Maodo. Il émigra en 1857, à la suite d’El-Hadj-Oumar, et s’établit à Mongua, dans le Guidioumé, où il mourut en laissant un fils nommé Demba-Kaba. Celui-ci était chef du village fondé par son père lorsque éclata la guerre entre Moriba-Saffré, chef de Paraoual, et les fils d’El-Hadj-Oumar : Bassirou, de Koniakary, et Mountaga, de Nioro.

Ne se voyant plus en sûreté dans Mongua, Demba-Kaba alla se réfugier dans le Nioro, où il s’établit avec toute sa famille et ses captifs à Kamandapé, où il mourut. Ses descendants habitent encore ce village.

Signalons également le marabout Fodé-Mahmadou-Iéïlani, qui habitait le village de Iéïlani, à quelques kilomètres au sud-ouest de Sanoundi, dans le Diaka. Il quitta ce village vers 1882 et vint s’établir à Kaparta. C’est de là qu’il émigra en 1886, durant la guerre contre Mahmadou-Lamine, pour se réfugier dans le Niani, où il habite encore avec sa famille le village de Kouonko.

4o La famille des Souaré est de date plus récente. Elle reconnaît comme premier ancêtre un marabout qui avait fait le pèlerinage de La Mecque et qui, à son retour, fut appelé par ses compatriotes Fodé-El-Hadj-Sy-Ouaré, d’où on a fait Souaré.

Voici quelle est l’origine de ce diamou (nom de famille) :

En revenant de son pèlerinage de La Mecque, le marabout Fodé était accompagné de quelques talibés qui avaient fait le voyage avec lui. Bien entendu, tous ne marchaient pas aussi rapidement, et il y avait toujours quelques retardataires. Chaque fois que ceux-ci arrivaient après leur chef dans un village, ils avaient l’habitude de demander aux habitants si Fodé-El-Hadj n’était pas passé chez eux ; à quoi ceux-ci répondaient toujours qu’il y avait plusieurs pèlerins de ce nom qui traversaient tous les jours leur village, et qu’ils ne savaient pas, par conséquent, lequel les talibés demandaient. Précisant alors, ils répondaient : « Celui que nous demandons, c’est Fodé-El-Hadj-Sy-Ouaré, c’est-à-dire Fodé, le pèlerin qui a un cheval tacheté de blanc. » De là l’origine du nom de Souaré. Ces Diakankés sont encore des marabouts. Ils habitent particulièrement le village de Bokolako.

5o La famille des Sylla est également une famille de marabouts. Ils se sont croisés avec des Sarracolés du Diafounou. Ils ont donné quelques lettrés fameux dans le Bondou, et, entre autres, le nommé Fodé-Maram-Birahim, qui vivait à Bani-Israïlia vers 1856 et qui mourut à la suite d’El-Hadj-Oumar dans le Nioro. Son fils, Fodé-Sékou, était également un profond marabout. Il quitta Bani en 1886 et émigra dans le Niani pour fuir la colonne française qui venait de s’emparer de Dianna, et contre laquelle il avait combattu.

Les Diakankés-Sylla habitaient, sur les bords du Niéri-Kô, les villages de Bani-Israïlia et de Médina-Diaka. Quelques représentants de cette famille habitent encore Bani, dont ils sont chefs. Les autres sont dispersés dans le Damentan, le Sandougou, le Niani, le Fouladougou et le Combo.

Comme son père, Fodé-Sékou enseignait à Bani. Son école était des plus fréquentées, et il n’avait jamais moins de deux cents élèves qui lui venaient des pays riverains de la Gambie pour apprendre l’arabe et étudier le Coran.

6o Les Saouanés ont des liens de parentés avec les Sissibés. En effet, une cousine de Malick-Sy, nommée Fatouma-Sy, fut mariée à un de leurs ancêtres. Les enfants qui naquirent de cette union portèrent le titre de Saouanés tout court, par corruption de celui de Sy-Saouané, qui ne doit être attribué qu’aux seuls descendants directs de Malick-Sy. Dans le Bondou, les almamys autorisent, en effet, parfois des familles peulhs, torodos ou diakankés à prendre le qualificatif de Sy ou de Saouané. Mais celui de Sy-Saouané ne peut être porté que par les membres de la famille royale. Quiconque enfreint cette loi est puni par l’almamy d’une forte amende.

Les descendants de Fatouma-Sy eurent une belle postérité et se sont considérablement multipliés. Ils forment actuellement deux branches, celle des Dia-Counda et celle des Saouanés proprement dits. Les Dia-Counda habitent les villages de Maka-Dégué, près de Goutta, et de Sarroudji, près de Bokko.

Le nommé Fodé-Mady-Dia, qui était chef de Moka-Dégué et un de leurs marabouts les plus savants, mourut en 1870, à l’âge de cent vingt ans.

Les Saouanés proprement dits habitent encore le village de Bokolako.

7o Les Ly se sont croisés avec les Torodos de Goundiourou et habitent les villages de Médina-Codioly et de Sanoundi.

8o Les Tounkaras, qui sont tous marabouts, habitent Bokolako. On rencontre encore quelques représentants de cette famille à Médina-Codioly.

9o Les Dramés sont des métis de Sarracolés et de Diakankés. Ces Sarracolés, originaires, pour la plupart, du Diafounou, ont peu de sang diakanké, et usurpent ainsi une nationalité qui n’est pas la leur.

Les Dramés habitaient autrefois les villages de Safalou, Bagadadié et Comondougou, près de Safalou. Après la prise de Dianna, en 1886, ils se sont dispersés, craignant que le colonel Gallieni ne les châtiât pour s’être ralliés à la cause de Mahmadou-Lamine. Ils se sont réfugiés dans le Niani, le Fouladougou, le Kantora, le Sandougou et le Damentan, où ils sont encore.

10o Les Doumbouïa habitaient le village de Goubaïel, sur les bords du Niéri-Kô. Ils l’ont abandonné pendant la guerre du marabout Mahmadou-Lamine, et se sont réfugiés dans le Niani, le Sandougou et le Damentan.

En 1891, quelques-uns d’entre eux sont venus réoccuper Goubaïel, et j’ai appris que tous les avaient rejoints peu après.

Un des membres de cette famille, le nommé Fodé-Kaba-Doumbouïa, natif de Goubaïel, devint, vers 1857, chef d’une partie du N’Ghabou. Ses descendants sont définitivement restés dans ce pays.

Il existe encore dans le Bondou bien d’autres familles de Diakankés, mais elles sont peu importantes. Citons au hasard : les Bakaiokos, les Kamaras, les Diaounés, les Haïdia, etc., etc. Toutes sont plus ou moins mâtinées de sang mandingue ou sarracolé. Celle des Haïdia se prétend issue d’un chérif maure qui se serait uni à Diakaba avec une Diakanké. Mais cela n’est nullement prouvé.

Les Diakankés avaient toujours été, jusqu’à l’arrivée de Mahmadou-Lamine, dévoués, dociles et soumis aux almamys du Bondou. Aussi avaient-ils moins de charges à supporter que les autres peuples. Ils payaient bien la dîme des récoltes, comme les autres, mais ils étaient exemptés du service de la guerre. Ils étaient chargés de construire les tatas des Sissibés et de les entretenir.

Musulmans fanatiques, ils consacrent à l’étude de l’arabe et du Coran tout le temps que les travaux des champs leur laissent libre.

Comme ils ont partout dans le pays une grande réputation de ferveur et de sainteté, ils sont craints et vénérés à la fois par leurs voisins.

Avant d’entreprendre une expédition, les almamys du Bondou faisaient appeler les plus renommés d’entre eux pour adresser au ciel des prières afin que la victoire leur fût favorable.

Les Diakankés sont des cultivateurs et des éleveurs de premier ordre. Leurs lougans sont toujours très bien entretenus et leurs villages plus propres et mieux construits que ceux de leurs voisins. Jamais la famine ne vient les visiter, car ils ont toujours la prévoyance d’avoir d’abondantes réserves de mil, riz, maïs, arachides, fonio, etc., etc.

D’après ce que nous venons de dire de leur fanatisme religieux, on comprendra aisément qu’ils n’aient pas hésité à aller se ranger sous la bannière du marabout. Mais il faut dire aussi qu’ils furent des premiers à l’abandonner quand ils eurent acquis la certitude que ses promesses n’étaient que mensonges et qu’il ne rêvait que la satisfaction de sa propre ambition.

7o Peulhs. — La race peulhe est une race d’origine sémitique. Ses représentants n’ont rien de commun avec les noirs. Les caractères anthropologiques se rapprochent tellement de ceux de la race blanche la plus parfaite que nous n’hésitons pas à la considérer comme l’échelon intermédiaire le plus parfait et le plus élevé entre le blanc pur et le noir.

Nous n’avons pas ici à traiter cette importante question. Il faudrait un volume tout entier pour résumer seulement ce que l’on sait aujourd’hui du Peulh. Nous ne nous occuperons que des Peulhs du Bondou. Il y sont relativement peu nombreux et habitent particulièrement le Tiali et le Do-Maïo. Leurs griots font remonter leur origine bien avant Mahomet. Ils seraient, d’après eux, issus d’un descendant de Cham qu’ils nomment Ilo-Falagui.

Les familles des Camanadjios, des Sandaradjios et des Fouladjios auraient, d’après eux, pour ancêtre Nemrod-Boun-Canana (Nemrod, fils de Chanaan).

Ces trois familles jouissent dans le Bondou d’une assez mauvaise réputation. Le tamsir Bodéoul se plaisait souvent à dire qu’il ne pourrait jamais sortir des Djios des musulmans bien fervents.

Bien que la race peulhe ne soit pas aussi fanatique que la race toucouleure et particulièrement que les Torodos, elle a cependant donné des hommes illustres dans l’histoire politique et religieuse du Soudan. Nous citerons particulièrement Cheickou-Ahmadou-Tidjiania, le fondateur du royaume du Macina, dont les descendants régnèrent sur ce pays jusqu’en 1861, époque à laquelle il fut conquis par El-Hadj-Oumar, qui fit mettre à mort son dernier roi, Ahmadou-Mahmadou ; Boubakar, le conquérant du Fouta-Djallon, dont les fils sont encore almamys de ce pays ; Suleyman-M’Bal, qui fit une guerre acharnée aux Déniankés des bords du Sénégal, et enfin Abdoul-Kader, qui, de simple marabout, parvint à se faire élire almamy du Fouta sénégalais et eut avec les souverains du Bondou des démêlés que nous avons racontés plus haut.

Les principales familles peulhes qui habitent le Bondou sont : les Irlabés, les Kolébés, les Hamanabés ou Camanadjios, les Foulabés ou Fouladjios, les Sandarabés ou Sandaradjios, les Ouolarbés, les Séléyabés, les Yalalbés, les Ourourbés, les Halaïbés, etc., etc.

Les Hamanabés, les Foulabés et les Sandarabés sont venus du Fouta sénégalais et s’étaient établis dans le Dô-Maïo (Haut-Bondou) depuis Tomboura jusqu’à Baledji. Ils conservèrent leurs habitudes et leurs mœurs, et restèrent complètement étrangers aux mœurs des Sissibés, sous la domination desquels ils étaient.

Bien avant les guerres intérieures du Bondou, ils avaient formé de grands villages et avaient réuni des troupeaux considérables. Ils avaient même parmi eux des hommes influents, qui furent condamnés à mort de crainte qu’ils ne fissent soulever leurs compatriotes. La ville de Torogua fut pillée et incendiée par les ordres de l’almamy Toumané-Mody, ses habitants se croyant assez forts pour fomenter une émeute contre les Sissibés. Ils sont toujours restés dans l’obéissance depuis cette époque.

Les Peulhs émigrés du Fouta-Djallon habitent le Tiali, au sud du Bondou, et une partie du Niéri. Ils ne se sont jamais mélangés avec les Peulhs du Fouta sénégalais, qu’ils ont toujours méprisés et regardés comme des hommes sans foi ni loi. De plus, le Peulh du Fouta-Djallon est de race absolument pure, et il est fier de son origine, tandis que les autres sont plus ou moins mitigés, et bien qu’ils se disent Foulbés comme ceux-ci, doivent être plutôt considérés comme des Toucouleurs.

Les premiers Peulhs du Fouta-Djallon qui émigrèrent dans le Bondou y vinrent à la suite de Boubou-Malick-Sy, lorsque celui-ci alla y chercher des troupes pour venir en aide à son père alors en guerre contre le tunka de Tuabo. Dans la suite, d’autres familles vinrent se joindre à ce premier noyau, et quand ils furent relativement nombreux, ils se dispersèrent ; une partie vint habiter le pays compris entre Sénoudébou et N’Dangan, c’est-à-dire les villages de Lally, Sittabenta, Bayéga, etc., etc., et l’autre partie se fixa dans le Tiali et le Niéri.

Les Peulhs du Fouta-Djallon font peu de cas de la guerre. Ils s’occupent beaucoup plus de la lecture du Coran, de l’agriculture, du commerce des kolas et de l’élevage des bœufs.

Les Peulhs du Bondou ont toujours été les plus riches du pays. Aussi les almamys les ont-ils regardés de tout temps comme leurs pourvoyeurs de mil, riz, maïs et bestiaux. Ils ont été, comme leurs voisins les Diakankés, plus souvent en butte aux exactions des Sissibés que les autres peuplades. Malgré cela, ils sont restés fidèles à leurs maîtres, et le mouvement d’émigration a été chez eux plus faible que chez les autres.

8o Toucouleurs. — La race toucouleure est dérivée de la race peulhe. C’est peut-être son rameau le plus important. On peut dire que, chez le Toucouleur, c’est l’élément peulh qui domine ; mais les croisements y sont si multiples qu’il est bien difficile d’en faire une histoire anthropologique absolument méthodique. Dans le Bondou, elle est représentée par les Torodos, c’est-à-dire par des Toucouleurs originaires du Fouta-Toro.

Nous avons vu plus haut quelle était l’opinion la plus généralement admise au sujet des origines de ce groupe ethnique, que caractérise surtout un fanatisme musulman farouche et démesuré. Mais la légende à leur sujet ne saurait perdre ses droits dans un pays où elle règne en maîtresse. Voici celle que racontent volontiers les griots. On verra que, d’après eux, les Torodos ont des origines absolument sacrées pour les musulmans, et c’est peut-être beaucoup à cela qu’ils doivent l’autorité qu’ils ont acquise sur presque tous les peuples du Soudan qui pratiquent la religion du prophète de l’Islam.

Donc, d’après la tradition, les premiers Torodos seraient les produits de croisements d’Arabes, de Berbères et de Maures avec les femmes peulhes et ouoloves qui habitaient jadis le Fouta-Toro, auxquels seraient venus s’unir dans la suite des familles entières de Ouolofs, de Peulhs, de Sarracolés et même de Malinkés, qui, convertis à l’islamisme, se firent également appeler Torodos.

Si l’on en croit les traditions, les Torodos seraient postérieurs à Mahomet. Mais ce prophète aurait, peu avant sa mort, prédit que, quelques années après lui, surgirait une race qui parlerait une langue tout autre que l’arabe et différente de toutes celles connues jusqu’à ce jour, et que cette race se nommerait Hal-Poular, mot à mot « parleur de poular ». Cette race, ajoutait-il, devait naître d’un de ses califes et devait être un des plus fermes soutiens de l’islamisme. Elle donnerait de grands marabouts et des rois puissants qui combattraient dans le sentier de Dieu pour faire disparaître l’injustice de la terre.

Ceci fut même écrit par un calife qui se nommait Ousman-Boun-Affan. Malheureusement, le travail de ce savant homme sur les origines des Torodos n’est pas arrivé jusqu’à nous. Tout ce que savent les marabouts les plus érudits du Soudan occidental, ou plutôt ce qu’ils prétendent, c’est qu’à l’époque où la propagande musulmane était la plus active, les armées du prophète étaient venues jusque dans le Toro, qui était alors habité par des idolâtres.

Il arriva donc qu’un jour le village de Guédé, qui était alors la capitale du Toro, fut attaqué par les disciples du prophète ; mais, malgré tous ses efforts, l’armée musulmane ne put pas s’en emparer. Elle fut même battue et obligée de battre en retraite en grand désordre, après avoir laissé beaucoup de cadavres sur le champ de bataille. Les habitants de Guédé se mirent alors à leur poursuite. Les fuyards se dispersèrent en emportant leurs blessés, et l’on dit même qu’un de leurs plus grands marabouts, Abdoul-El-Dardaye, trop faible pour pouvoir les suivre, fut porté en civière par ses hommes jusqu’à Boumba, capitale du Lao, où il mourut et où il fut enseveli en un endroit que l’on montre encore à l’est du village actuel.

Cependant, dans leur précipitation, les musulmans avaient laissé au pied des remparts de Guédé un de leurs chefs nommé Oumar et qui était cousin d’Oumar-Boun-Kadaby, un des lieutenants de Mahomet. Oumar avait été blessé durant l’assaut, et les siens, croyant qu’il était mort, l’avaient abandonné ; mais il n’était qu’évanoui. Il revint à la vie au moment où les assiégés allaient l’enterrer. Il fut fait prisonnier, porté dans la ville où on le soigna jusqu’à parfaite guérison. Laissé en liberté à condition qu’il ne quittât pas Guédé, il s’y maria avec la fille d’un notable dont il eut trois enfants mâles qui furent les ancêtres des Torodos. Il nomma le premier Ly, le second Tal et le troisième N’Dougo. Aujourd’hui ces noms constituent pour ainsi dire chez les Torodos des titres de noblesse. El Hadj-Oumar était un Tal. Les descendants d’Ibnou-Morvan, que nous appelons Sissibés, sont des Sy, et leur noblesse est plus récente que celle des familles qui portent les qualificatifs précédents, bien qu’ils soient sur le trône du Bondou. Telle est l’origine que la légende attribue aux Torodos.

Il existe dans le Bondou un grand nombre de familles torodos. Elles habitent particulièrement le Nagué-Horé-Bondou, le Lèze-Bondou, le Lèze-Maïo, le Ferlo-M’Bal, le Ferlo-Balignama, le Ferlo-Niéri et le Ferlo-Maodo. On peut les diviser en deux groupes, les Torodos-N’Guénars et les Torodos proprement dits. Les Sissibés sont de véritables Torodos. Les Torodos-N’Guénars, dont l’origine est proche de la leur, se mirent d’accord avec eux, comme nous l’avons vu, et marchèrent avec bonheur à la conquête des pays voisins.

Malick-Sy, en s’établissant dans le pays, leur avait accordé certains privilèges qu’ils ont conservés jusqu’à nos jours.

Le Torodo est généralement musulman fanatique. Sa dévotion, ses connaissances plus ou moins approfondies de l’arabe et du Coran suffisent pour lui permettre d’aspirer aux plus hautes dignités dans son pays. Ainsi les Torodos-N’Guénars, qui constituent une famille dont la science et la religion sont partout respectées, peuvent contracter mariage avec les filles des familles royales, et de même un prince du sang peut, sans déroger, s’allier avec une famille de Torodos-N’Guénars.

Ce sont les Torodos qui, dans les guerres de religion, ont toujours montré le plus d’enthousiasme et fait preuve du fanatisme le plus farouche et le plus cruel. Ce sont eux qui ont fourni à El Hadj-Oumar ses meilleurs soldats, ses talibés les plus fidèles et ses lieutenants les plus dévoués.

Industrie, Commerce. — Dans le Bondou l’industrie n’existe qu’à l’état absolument rudimentaire. La plus sérieuse est celle des tisserands qui y fabriquent les petites bandes d’étoffes de coton qui, dans le sud, servent de monnaie courante. La production en est faible, parce que la matière première est peu abondante et fait souvent défaut. Malgré cela, elle est relativement rémunératrice, et un bon tisserand travaillant dix ou douze heures peut aisément gagner environ 2 francs ou 2 fr. 50 par jour. L’unité de monnaie dans le Diaka, le Tiali et le sud du Niéri est le pagne qui se compose de deux coudées au carré de ces petites bandes réunies entre elles. La valeur du pagne est d’environ deux mètres. Elle varie du reste dans chaque pays et souvent de village à village.

Les charpentiers indigènes se divisent en deux classes : les laobés, qui fabriquent les mortiers et les pilons à couscouss ainsi que les calebasses en bois dont se servent les ménagères et les manches de pioches et de haches des cultivateurs, et les laobés-lana, qui confectionnent les pirogues.

Les cordonniers forment également deux classes : les alaoubés ou galâbos, qui sont plutôt des tanneurs, et les garankés, qui confectionnent les sandales, les selles et les gris-gris.

Les forgerons travaillent le fer et l’or particulièrement. Ils fabriquent les pioches, les haches et les bijoux dont les élégantes Toucouleures sont si friandes. Ces bijoux sont loin d’être aussi primitifs qu’on pourrait le croire, et nous en avons vu qui ne seraient déplacés dans les vitrines d’aucun de nos joailliers français.

Mais, quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire qu’il existe dans le Bondou une industrie quelconque qui mérite absolument ce nom. La production est des plus primitives et limitée aux besoins de la population qui est loin d’être assez dense pour permettre un écoulement rémunérateur.

Quant au commerce, il n’y est absolument qu’à l’état embryonnaire. Quelques rares dioulas (marchands ambulants) visitent de temps en temps les villages avec une mince pacotille qu’ils échangent généralement contre de l’or ou contre l’argent monnayé que nous répandons dans le pays. On comprend aisément que l’état de guerres perpétuelles, dans lequel a vécu le Bondou depuis des siècles, n’a pas permis aux transactions commerciales de s’y développer. S’il a pu inscrire dans son histoire de belles pages militaires, il est resté absolument retardataire au point de vue commercial. Sous ce rapport, il est peut-être le pays le plus déshérité du Soudan.

Conclusions. — Nous venons de voir ce qu’a été et ce qu’est encore le Bondou. Que pourra-t-il être dans l’avenir, et quels avantages pourrons-nous en tirer ? Un pays ne vaut, à notre avis, que par ses richesses minières et agricoles et qu’autant qu’il possède une population relativement dense. Dans l’état actuel des choses, on ne peut songer à exploiter le fer et l’or dans le Bondou. Nous avons suffisamment démontré dans le cours de ce travail que ces deux industries ne pourront pas de longtemps y donner des résultats satisfaisants et rémunérateurs. Quant à la production agricole, il en est tout autrement. Il existe dans tout le pays de vastes étendues de terrains qui pourraient être utilement mises en valeur. Le mil, le maïs, l’arachide, l’indigo et le tabac y prospèrent à merveille et y donnent un rendement considérable. Mais il faut des bras pour cultiver et le Bondou est absolument dépeuplé aujourd’hui. Il convient donc d’assurer son repeuplement rapide, et pour cela le moyen le plus efficace est de mettre un terme à ces guerres néfastes dont les résultats jusqu’à ce jour n’ont été que d’entraver le développement de la fortune publique. Une bonne administration y est indispensable, et il convient de veiller à ce que les populations ne soient plus pressurées par les chefs de différents degrés qui les commandent. Si, enfin, on peut arriver à lui ouvrir des débouchés soit sur le Sénégal, soit sur la partie navigable du cours de la Falémé, on pourra espérer que le commerce s’y développera dans une certaine mesure. Ce commerce ne sera jamais qu’un commerce d’échange. L’Européen pourra s’y livrer, mais il lui sera toujours interdit, sous ce climat meurtrier, de s’adonner à une exploitation agricole quelconque autrement que pour la diriger.

Dr Rançon,
Médecin de 1re classe des Colonies.

NOTES :

[1]L’expression que, dans le cours de cette description, on trouvera ajoutée au nom des marigots signifie en langue mandingue : marigot. On ne l’ajoute pas aux noms des fleuves et des rivières.

Note du transcripteur :

  • Page 437, " les régions Boudounkées " a été remplacé par " Bondounkées "
  • Page 438, " ellle arrose avant " a été remplacé par " elle "
  • Page 447, " passe à Deudoudi " a été remplacé par " Dendoudi "
  • Page 456, " Kéniéba on donné " a été remplacé par " ont "
  • Page 462, " une varité de reptile " a été remplacé par " variété "
  • Page 466, " l’on désigne sour le nom " a été remplacé par " sous "
  • Page 484, " village de Mixanguikou " a été remplacé par " Miranguikou "
  • Page 484, " Il songa alors " a été remplacé par " songea "
  • Page 500, " Samba-Toumané (1784) " a été remplacé par " 1764 "
  • Page 503, " Silman-Moladion s’enfuit " a été remplacé par " Silman-Moladiou "
  • Page 508, " par les Boudounkés " a été remplacé par " Bondounkés "
  • Page 515, " compoir à Sénoudébou " a été remplacé par " comptoir "
  • Page 543, " au moins de mars " a été remplacé par " mois "
  • Page 548, " bien s’en em-emparer " a été remplacé par " emparer "
  • Page 578, " Boulébané qni commandait " a été remplacé par " qui "
  • Page 591, " Le vilage fut " a été remplacé par " village "
  • Page 598, " des cavaliers boudounkés " a été remplacé par " bondounkés "
  • Page 603, " Il n’osa j’amais " a été remplacé par " jamais "
  • Page 617, " qui rêva un moment fortune " a été remplacé par " qui rêva un moment la fortune "
  • Page 637, " si Fadé-El-Hadj n’était " a été remplacé par " Fodé-El-Hadj "
  • De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et d’orthographe ont été apportés.
  • La page de couverture, créée expressément pour cette version électronique, a été placée dans le domaine public.
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