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Le calendrier de Vénus

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LE SOTTISIER D'AMOUR

ÉPIGRAMMES TIRÉES DU CARQUOIS DE CUPIDON

J'ai remarqué que ce sont les plus

tendres et ceux qui avaient le plus

le sentiment de la femme, qui les

traitaient plus mal que tous les autres.

THÉOPHILE GAUTIER.

En amour, tout est vrai, tout est

faux, et c'est la seule chose sur laquelle

on ne puisse dire une absurdité.

CHAMFORT.

'amour est utile à la vie, comme la rosée est indispensable à la terre, mais l'orage du soir provient trop souvent de la rosée du matin. Il faut profiter des premiers rayons solaires du bonheur, se hâter de boire au plaisir et quitter la partie avant les ardeurs de midi.—Les plus belles aurores produisent parfois de sanglants crépuscules.

A Paris on dit: une femme honnête; Vienne, pour exprimer la même opinion, on dit: une femme pratique.—Comme l'adjectif viennois est plus profond et plus correct que le dénominatif parisien!

La langueur est à la nonchalance ce que la mélancolie est à la tristesse.—La langueur est une jaunisse de l'âme dont l'amour même a raison.—La nonchalance est une apathie corporelle qui donne tous les torts à la volupté qu'elle fait naître.

Les chevaliers anciens arboraient galamment cette noble devise française: Les servir toutes, n'en aimer qu'une.—Les philosophes cavaliers modernes, moins puritains et moins braves surtout au tournois d'amour, proclament cet axiome: Les aimer toutes, n'en servir qu'une.—Ceci, pour être moins élevé, est peut-être tout aussi logique.

La femme souffre toujours pour deux, dit Balzac.—C'est fort bien pensé, mais le mari, doit-on ajouter, pâtit souvent pour trois.

Il est infiniment moins aisé de satisfaire une femme que d'en contenter plusieurs. (Les hommes mariés seront de cet avis). Pour une femme, par opposition, il est certes plus facile et plus agréable, de satisfaire plusieurs amants que d'en contenter un seul.—La résultante nous conduit à ce mot charmant de Montaigne: la femme est l'ennemie naturelle de l'homme.

C'est lorsqu'une femme mendie franchement et sans paraphrases l'amour d'un homme, qu'elle démontre sa passion; car alors elle lui sacrifie à la fois son orgueil, sa coquetterie, son amour-propre et la pudeur de ses préjugés; c'est-à-dire plus qu'elle-même mais, aussi, beaucoup moins que ses sens.

La sentimentalité: un oeuf à la coque à... pain mollet; le libertinage: une omelette aux fines herbes.

Certaines femmes naissent belles; d'autres deviennent jolies; on a tout à gagner à s'accointer avec celles-ci plus douces et plus charitables que les premières, la façon des Gagne-Petit qui se vengent des abstinences de leur jeunesse par les libéralités de leur âge mur.

Les véritables coquettes se gardent bien de prendre un amant dans la crainte de perdre un seul de leurs galants.—Une coquette tire vanité du nombre de ses amoureux, comme un aventurier qui s'enorgueillit de la variété de fausses décorations par lui arborées en brochette devant la sottise humaine.

Les dévotes ou les vieilles filles de haute vertu permettent à leur esprit toutes les jouissances qu'elles refusent à leur chair. Elles déjeunent le matin avec appétit du scandale de la veille, dînent des calomnies ramassées dans le jour, et couchent chaque nuit, par la pensée, avec tous les amants qu'elles ont prêtés si gratuitement aux autres femmes.

Que d'infortunés nouveaux mariés ont appris, le soir, à leur dépens, que le flambeau de l'hymen est un cierge de cire... qui n'est pas toujours vierge et sur lequel d'infâmes sacristains ont déjà posé l'éteignoir de l'hypocrisie et du vice!

Il y a la même différence entre une femme constante et une femme fidèle, qu'entre un homme têtu et un homme volontaire.

Si je portais deux pucelles en sautoir, disait Esope, je ne répondrais pas de celle qui serait derrière.—Quel esprit de bossu! Quelle bosse d'esprit! Quelle sagesse de fabuliste!!

Ce qu'une femme pardonne le moins aisément à un homme qu'elle aime ou qu'elle a aimé, c'est de n'avoir rien à lui pardonner.

La continence congestionne; le plaisir grise; la jouissance saoule; la passion tue:—Grisez-vous quelquefois, ne vous saoulez jamais, gardez-vous de vous suicider. A l'auberge de l'amour, le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Le caprice passionné vit aux antipodes de l'estime et de la sympathie morale: les femmes qui nous ressemblent le plus sont celles que nous aimons le moins.

La princesse B*** s'écriait l'autre jour, avec ennui et par mégarde: «Je voudrais pouvoir embrasser à la fois, mon mari, mon amant et mon chien;»—Comme c'est bien femme en tous points, par l'expression et la pensée.

Pour une femme mariée, la beauté de son amant est en proportion de la laideur de son mari.

Une maîtresse qui s'ennuie est déjà infidèle.

Tuer l'amour à son apogée, au risque de se briser l'âme, c'est un acte de haute philosophie, de virilité volontaire chez un homme. Lorsque le bonheur est constaté, on ne doit point s'y endormir, la troupe légère et funèbre des désillusions guette la porte de l'amoureux; il vaut toujours mieux déloger que de s'arc-bouter contre l'envie, le soupçon et l'inconstance réunis pour forcer l'huis de l'amant fortuné. Les femmes ne comprennent jamais ce génial égoïsme du penseur qui brusque toujours les dénouements d'amour, et cependant elles poursuivent le fugitif, car les curieuses veulent toujours demeurer les dernières au spectacle ou quitter la scène d'elles-mêmes les premières. Si une maîtresse nous donne le fil de son âme, il faut en profiter, pour en sortir, avant que le fil ne soit coupé par les mains de l'infidèle, et imiter Thésée en abandonnant la belle Ariane dans l'Ile de Naxos. Les horizons de Cythère sont, hélas! très bornés, et, quand on arrive aux confins de la félicité parfaite, il n'y a plus qu'un précipice descendre ou un calvaire à gravir douloureusement.

Les plus grandes passions satisfaites finissent sottement, elles s'atténuent dans l'estime ou bien s'éteignent dans l'indifférence. Si elles se transforment en haine, la logique des sentiments est sauvée et l'amour-propre sauvegardé.

Les délicats ne vident jamais que les deux-tiers des flacons de vins exquis dont ils s'enivrent. Ils n'attendent jamais, pour en changer, que leurs gants se salissent, que leurs habits se déforment ou que leurs bonnes fortunes montrent la corde; aussi l'amour ne devrait-il être le plaisir que des âmes délicates: «Quand je vois des hommes grossiers se mêler d'amour, s'écrie Chamfort, je suis tenté de dire: «De quoi vous mêlez-vous? du jeu, de la table, de l'ambition à cette canaille!»

Je me suis souvent demandé pourquoi certaines femmes recherchent si avidement la société des hommes d'esprit qu'elles comprennent peu ou prou, lorsqu'elles sont si idéalement heureuses avec des imbéciles?

A un époux qui déplorait devant lui ses infortunes conjugales, Santeuil, le latiniste et spirituel poète, répondait ainsi: «Vous êtes cocu... n'est-ce que cela? Ah! mon ami, ne prenez peine, le cocuage, croyez-moi, n'est qu'un mal d'imagination: peu de maris en meurent, mais il y en a tant qui en vivent!»

Dans une réconciliation d'amoureux, il est peu de femmes qui n'aient pas la sottise de prendre les marques de virilité de leur amant pour des preuves de fidélité.

Passé quarante ans, la plupart des hommes mettent tout en oeuvre pour surexciter leurs sens, sans même concevoir le désir de les satisfaire.

Les grands vicieux sont timides et craintifs, au premier abord, avec une femme qu'ils convoitent; les écoliers au contraire sont hardis et inconséquents; l'audace de ceux-ci s'évanouit avec le premier désir, la timidité de ceux-là, au contraire, prend une hautaine revanche au lendemain de la victoire.

Un mari qui invoque ses droits, est bien près de les perdre.

Une fille qui aime redevient enfant, espiègle et gamine; une veuve, dans le même cas, retourne aux pudeurs et aux timidités de la jeune fille.—L'enfant est préférable. Une veuve ne cherche à faire oublier qu'un seul homme, qui fut son mari,—la courtisane amoureuse, pour se reconquérir elle-même et apaiser les jalousies rétrospectives de son amant, voudrait biffer de son passé une portion de l'humanité qui l'outrage par le souvenir même de sa possession.

L'inconstance des femelles est si active, si tourmentée, si inassouvie, que je me suis quelquefois demandé si Protée eut pu trouver une femme fidèle.

Tout est amour-propre chez la femme, même l'amour qui ne l'est pas; plus on y songe, plus on étudie la théorie, plus on observe la pratique de l'amour, plus on se confirme davantage que, somme toute, c'est par l'amour-propre que commencent et finissent les plus majestueuses passions aussi bien que les plus légers caprices.

Que d'hommes n'ont-ils pas perdu, par trop de discrétion délicate, des caresses intimes et variées, que des goujats grossiers ont su récolter cyniquement aussitôt après leur départ.—Les femmes ont l'imagination si libertine et nourrie de tant de monstruosités voluptueuses et antiphysiques, qu'on est tout étonné, après l'impertinence des demandes audacieuses, de trouver des complaisances et des facilités de moeurs qui émerveillent la dépravation de l'amoureux. Platon disait que les femmes avaient été des garçons débauchés autrefois.—Au lendemain de sa virginité perdue, si ce n'est peut-être la veille, une initiée aux plaisirs de Vénus a d'ore et déjà conçu dans sa tête un tableau de luxure comparée qui ferait pâlir toutes les peintures tracées par Arétin.

L'imagination des femmes conçoit, c'est l'audace et aussi au tempérament des hommes vigoureux d'exécuter les devis. Ils n'iront jamais trop loin.

Lord Byron disait: «Une maîtresse est aussi embarrassante qu'une femme... quand on n'en a qu'une.»—L'embarras cesse par la multiplication qui cause les divisions, lesquelles conduisent aux soustractions; après quoi on se complaît à aligner des additions don-Juanesques d'une légèreté totale exquise. C'est la vanité alors qui règne en maîtresse heureuse.

Les femmes n'aiment que ce qu'on ne leur donne pas.

Les jeunes filles mordent aux fruits verts; les vieilles filles ébrèchent leurs dernières dents sur des fruits secs: Les quatre mendiants de l'amour.

Aimer sa maîtresse, c'est encore s'aimer soi-même; aimer son épouse, c'est abdiquer son individualité au mécanisme banal de la société et dédoubler son effigie.—Un célibataire, qui était un tout, devient en se mariant, une moitié influencée par une autre moitié.

«Il faut vous distraire, disait-on à un veuf attristé; vous êtes jeune, redevenez joyeux et bon vivant; tenez, soupons ce soir en partie fine?»

«Eh! mon cher, vous avez raison, j'accepte, répond notre inconsolé; d'autant plus que... croyez-moi si bon vous semble, j'ai renoncé à toutes mes maîtresses depuis la mort de ma pauvre femme.»

Un homme trompé ne doit pas se résigner, encore moins se désespérer. Il y a un milieu plus digne. C'est à sa grandeur d'âme à le découvrir.

On possède les femmes par leurs défauts rarement par leurs qualités.

Une chambrière, qui avait beaucoup vu, s'écria devant moi, un jour, avec un geste superbe de grande comédienne:

«La vertu, puis-je y croire, dans l'exercice de ma profession?—La vertu! Mais, Monsieur, les lits parlent contre

Quelle réponse sublime, dans le réalisme de sa forme, et quel argument!—Les lits parlent.

Il n'y a rien de plus compliqué, de plus trompeur, de plus artificieux que la naïveté. Telle demoiselle candide et pudique, qui, par ses dehors, ne reflète qu'une innocence réelle, sera, dans un imbroglio d'amour, plus fine et plus rouée que des vétérantes de la galanterie. C'est que la femme est née pour l'astuce et que chez elle la naïveté n'est que le masque ou le pléonasme de la ruse. Cette vérité est tout entière dans ce mot de Salomon: «Les femmes font apostasier les anges.»

La propreté des femmes,—c'est si sale, disait une dévote, en se signant.

Un poète inconnu du XVIIe siècle, le sieur J. Magnon, nous a laissé dans un poème ce vers étonnant:

La corne la plus noble incommode le front.

Noble ou non, je crois bien.

Une femme tient tout de l'opinion; Le qu'en dira-t-on la retient plus sur le moment de faillir que le qu'en penserai-je.—Qui peut sauver une femme de la honte? a-t-on dit, et l'écho a répondu: La honte.

N'est-ce pas Chamfort ou un de ses disciples qui a proféré cette exclamation: «Que de filles aujourd'hui cessent d'être pucelles avant d'être vierges!»—Que de femmes aussi dirons-nous bien au contraire, demeurent pucelles en cessant d'être vierges!

Pour régner sur un peuple, il faut le plus souvent passer sur des ruines. Pour étendre son empire sur les femmes, on doit marcher sans commisération sur bien des coeurs.—Les conquérants doivent fermer une oreille à la pitié et ouvrir l'autre à l'ambition, et les talons rouges ne se colorent que dans le sang qui jaillit des coeurs savamment piétinés.

Les délicats n'apprécient que les friandes en amour;—les gourmandes composent le lot des grossiers ou des porte-faix.

Après la possession d'une coquette qui nous a fait languir, c'est avec un raffinement de vengeance qu'on lui plonge dédaigneusement des Tu dans l'oreille.—Le tutoiement après la victoire, devient au gré du vainqueur, ou une apothéose de sensualité heureuse ou une flétrissure brutale et cruelle.

Selon Casanova, l'amour n'est qu'une curiosité plus ou moins vive, jointe au penchant que la nature a mis en nous de veiller à la conservation de l'espèce.—Cette définition, par ce païen charmant, est assez ingénieuse; mais voici celle plus complète qu'il donne du plaisir:

«Le plaisir est la jouissance actuelle des sens; c'est une satisfaction entière qu'on leur accorde dans tout ce qu'ils appètent, et, lorsque les sens épuisés veulent du repos, ou pour reprendre haleine, ou pour se refaire, le plaisir devient de l'imagination, elle se plaît à réfléchir au plaisir que sa tranquillité lui procure.—Or, le philosophe est celui qui ne se refuse aucun plaisir qui ne produit pas de peines plus grandes et qui sait s'en créer.»

Ceci est moins net et plus quintessencié, mais bien réel, lorsqu'on s'y retrouve.

Les hommes fermes, volontaires, opiniâtres, inflexibles sont principalement aimés des femmes, qui dans leur faiblesse admirent la force:—Peut-être aussi n'est-ce que le mâle que la femme recherche chez l'homme. Elle le rencontre si rarement dans son intégrité!

Que de revolvers se transforment en simples pistolets dans les liaisons qui durent trop!

Un sportman distingué professait cette opinion, à savoir qu'un gentleman de bon ton doit toujours entretenir plusieurs amours au ratelier de son coeur, de même qu'il nourrit plusieurs chevaux dans ses écuries.—C'est Rivarol palfrenier! c'est aussi la morale traînée dans le crottin.

C'est alors qu'on croit dénouer la ceinture d'une femme vertueuse, qu'on ne dégrafe souvent qu'un pauvre ceinturon de Messaline impudique.

Un homme d'étude, sans être un fat, aura toujours, à un trop haut degré le culte de lui-même, pour comprendre la servilité nécessaire, selon la société, aux convenances féminines.

Un homme de lettres, qui croit aux lettres, et qui éprouve l'enthousiasme de sa profession, est quelque peu un Narcisse au moral; il se mire dans toutes les sources de ses pensées, et, si une femme veut être de moitié dans cette extase égoïste, elle trouble la limpidité du miroir. Il faut donc au penseur de belles bêtes, qui se croient telles, de bonnes créatures impassibles et peu bavardes, qui font le gros dos sur les divans comme les chats, qui attendent les caresses ou qui les provoquent doucement, et non pas des bas-bleus babillards ou des précieuses minaudières qui mettent tout à sac dans une cervelle d'artiste, semblables à des guenons quittant leur perchoir pour bouleverser des paperasses, ouvrir des livres et renverser des écritoires.

Un travailleur a besoin d'une créature faite d'amour, toujours prête à le délasser par l'amour, à laquelle il donne juste le temps de ses entr'actes laborieux: un être qui l'aime comme un chien, avec une admiration muette et recueillie, qui se couche à ses pieds, s'éloigne et se retire sur un geste du maître, assez sage pour trouver tout son bonheur dans l'esclavage, et assez bornée pour ne pas concevoir d'autre horizon.—Les sots diront en riant que c'est impossible en ce XIXe siècle, mais les sots qui sont les laquais des femmes, ne peuvent savoir que celles-ci se dressent à l'exemple des pies et des pierrots qu'on met en cage d'abord fermée, puis en cage à porte assez largement entr'ouverte, sans aucunement s'inquiéter s'ils s'envolent ou s'ils restent.

Si l'on parvenait à détruire la pudeur et à satisfaire plus effrontément ses désirs, la société serait, à mon avis, moins folle et plus reposée sur la logique.—«Il s'est trouvé nation, écrit Montaigne, où, pour endormir la concupiscence de ceux qui venaient à la dévotion, on tenait aux temples des garses à jouÿr, et était un acte de cérémonie de s'en servir avant de venir à l'office.»—Nimirum propter continentiam, incontinentia, necesseria est. Incendium ignibus extinguitur.

Il est des ours mal léchés qui allèchent la concupiscence des femmes. Cette sauvagerie de caractère hérissé sent le mâle; pour elles, la toison des fauves et des boucs est un plus grand aphrodisiaque que l'odeur affadie du musc ou de la verveine, dont se servent les débiles petits maîtres.

L'idéal n'est peut-être que la beauté du vrai!

Beaucoup d'Anglaises lisent la Bible, bien peu la vivent.

Une femme à tempérament ne se donne pas le temps d'être coquette. Aussi bien, un affamé ne songe-t-il pas à faire des grâces sentimentales à table—comme l'estomac les sens ont leur fringale.

Le caprice chuchotte; la passion parle.

Une revue mondaine a fait paraître dernièrement sous ce titre: Comment ces dames mangent les asperges, une curieuse étude qui devait avoir pour pendant un second article: Comment ces messieurs mangent les moules.—La censure, en interdisant ces dissertations métaphoriques, a mis à nu la dépravation publique. Si les femmes honnêtes n'avaient pas dû comprendre les sous-entendus, en quoi la morale eût-elle été froissée? Le salon de Mme de Rambouillet eut écouté sérieusement, sans y concevoir de malice, ces petites oeuvres littéraires. Les pointes d'asperges sont-elles donc des pointes d'esprit bien grivoises? Il faut croire que les nidoreuses manifestations du naturalisme nous ont rendus bien pudibonds en matière de préciosité raffinée.

Allez donc parler d'amour à un médecin, il vous dira: «Bah! mais ce n'est que l'attraction de deux muqueuses.»

La vertu ne résisterait jamais aux circonstances, si les hommes savaient les deviner.—Une femme est seule, sur sa chaise longue, toute frémissante encore de la lecture d'un roman d'amour, vous vous présentez, selon les règles du monde, et par une conversation correcte et banale, vous ramenez cette pauvre âme émue aux réalités de la vie.

Oh! si vous aviez pu surprendre son rêve, vous identifier avec le héros de ses songes, et peu à peu, avec une nuance très fine de brutalité, donner un corps à ses fantaisies d'imagination, vous n'eussiez trouvé que docilité et abandon, là où vous n'avez su permettre que la rigidité des convenances.

Il faut si peu de chose pour être aimé d'une femme langoureuse qui laisse une libre carrière aux arabesques de ses rêveries.—Un sylphe ne rencontrerait pas de cruelles, le genre féminin serait sa chose, car par ses caresses, ses attouchements invisibles, par ses paroles douces comme le zéphir, par le mystère même qui l'envelopperait, il posséderait grandes et petites faveurs dans les couvents, dans les salons, dans les chaumières, entre mari et femme, amant et maîtresse, aussi bien que dans la solitude, la clarté ou l'obscurité. L'adultère, d'après Napoléon, n'est qu'une question de canapé.—L'amour, mieux encore, n'est qu'une question de discrétion et de délicatesse mystérieuse: arrachez les trompettes à la Renommée, soyez muet, feignez de devenir aveugle; fermez le verrou: les femmes vertueuses se donneront toutes à vous, comme au Dieu du silence et des plaisirs discrets.

On a dit: «Bien des femmes en peine de se purger n'ont qu'à dire une sottise: elles se portent bien.» On n'a pas vu de cures complètes cependant.

L'aujourd'hui est si beau quand on s'aime, que la sagesse condamne absolument le lendemain. Avec des maîtresses nouvelles, c'est toujours aujourd'hui. Avec une femme légitime, ce n'est qu'un long lendemain, qui fait regretter la veille, sans qu'on y puisse revenir.

Il est difficile de trouver une phrase plus concluante pour le divorce que celle de Chamfort: «Le divorce est si naturel, que dans beaucoup de maisons il couche toutes les nuits entre les deux époux.»—Le divorce est l'unique juge de paix de Cythère; il dénoue ceux que la sottise et l'ambition ont unis sans amour.

J'ai connu des hommes mariés doux, charmants, pleins de cordialité, d'esprit et de talents, entièrement soumis à d'affreuses petites femmes laides, ignorantes, bêtes et prétentieuses, lesquelles tranchaient sur toutes les questions d'art sans que l'infortuné mari osât prendre la parole et porter son jugement. De telles femmes se mettent à califourchon comme de vilains lorgnons de verre fumé, sur le nez de leurs époux qui verraient si bien et si loin sans cet obstacle qui les domine, mais qu'ils finissent par accepter avec une béatitude d'idiot. La bonté rend souvent imbécile en dehors de l'esprit.

Se laisser faire un petit doigt de cour: cette locution laisse rêveuse bien des jeunes filles au couvent. C'est le Digitus infamis de l'imagination.

Il n'y a que les amours cachées qui soient réelles! Les passions qui s'affichent ne sont que des vanités qui paradent. Un amoureux à tempérament entier dérobera sa maîtresse aux yeux de tout l'univers et la vue de son plus intime ami.—Le regard d'autrui souille le bonheur, et l'homme délicat confine ses amours à huis-clos, sans jamais promener son concubinage au dehors. La femme qui aime ne sent pas son internement, c'est au plaisir d'embellir la prison; la volupté a des horizons infinis à côté des sensations qu'elle procure aux heureux. Il n'y a que les petits cerveaux qui recherchent la compagnie; les tourterelles vivent isolées; les dindons ou les pintades meurent loin des basses-cours nombreuses, quand ils ne peuvent, par leurs ébats, provoquer l'attention des poules indolentes ou des coqs superbes.

Que de dindons dans le monde! que de pintades se montrent glorieusement accouplés dans l'orgie enrubannée des dimanches ou la houle des promenades élégantes!—pauvres bêtes!—pauvres gens!

Un anonyme du dernier siècle nous a légué ce trait charmant: «une prude a tant d'honneur qu'elle le laisse partout.» Est-ce assez spirituellement juste et merveilleusement trouvé!

Un célibataire qui se marie par ambition de fortune raisonne à contre sens. Un économiste a fait ce curieux calcul que dans le célibat les petits besoins augmentent et que les grands besoins diminuent; que dans le mariage, au contraire, les petits diminuent et les grands augmentent.

Donnerais-je des chiffres... cela ne convaincrait personne, sauf les convaincus.

La franchise et la vérité loyalement affichées étonnent les femmes qui ne comprennent rien à la droiture de conscience et lui préfèrent la rouerie d'une diplomatie méticuleuse. Un homme sincère et véridique est le plus grand des fourbes à leurs yeux. La vérité qui jaillit soudainement les éblouit et les écrase dans la mesquinerie de leurs petites trames mensongères. Qu'un amant, sur l'interrogation de sa maîtresse, réponde mâlement à celle-ci qu'il l'a trompée, il la verra tressaillir plutôt par la grande simplicité de la réponse que par la nature même de l'acte commis.—Le chacal qui ruse et qui biaise, ne conçoit pas le lion qui poitrine au danger.

De même que la crainte de rougir fait rougir les faibles; la préoccupation de témoigner sa virilité fait échouer un amant dans le plaisir des sens. C'est qu'en amour il faut plutôt oser que vouloir: la volonté use et concentre l'électricité cérébrale, l'audace fait jouer les fils conducteurs et regaillardit la verve corporelle. Un libertin ne s'expose que rarement à de cruels pas de clercs en pareille occurrence, il connaît l'art de lutiner une femme avec tant d'astuce qu'il se taquine lui-même par l'imaginative, en donnant à sa partenaire l'occasion de se débattre.—Dans le jeu de Vénus, on doit amuser l'ennemi et laisser le temps aux forces de réserves d'arriver toutes fraîches pour emporter la victoire, sans coup-férir. La tactique ne manque jamais aux vrais conquérants.

Un amour sérieux ne peut se transformer qu'en haine.—La haine a plus d'un travestissement; elle met des loups de velours, mais l'ardeur des yeux brille au travers.

Un homme parle.—Les mâles causent et s'écoutent.

Il y a des yeux de femme qui signent des promesses à courte échéance: les uns disent: pour ce soir, d'autres, pour demain; la plupart diraient bien: tout de suite, mais il faut du temps à l'amour pour digérer ses espérances.

Ce qui cause le bonheur d'un amant, quelquefois fait le désespoir d'un mari.

J'ai trouvé, par hasard, cette observation sur une feuille volante, détachée sans doute du carnet d'un philologue: «C'est bizarre les mots! ainsi en Irlande, le mot Mac est un signe de noblesse, et à Paris....»

Pascal a bien raison, vanté en deçà des Alpes, erreur au delà.

En voyant deux amoureux serrés étroitement, passer dans un éclair de bonheur, Madame Z, qui était à mon bras, a diagnostiqué en soupirant: «Deux jeunes mariés, ou bien deux anciens amants.»

Joli distique du XVIe siècle:

Bien on a peint Vénus et ses amours, tout nuds,

Car ceux qui s'y sont plûs, tels en sont revenus.

Sénac de Meilhan a écrit: les grandes passions sont aussi rares que les grands hommes. Est-ce bien sûr? Cette petite pensée est sujette à grande controverse.

Il est des femmes laides et bégueules qui prennent un soin ridicule pour afficher leur vertu et annoncer au monde qu'elles sont inaccessibles à la galanterie.—Pareille vanité grotesque me rappelle les portes de prison sur lesquelles on a peint en grosses lettres: le public n'entre pas ici.—«Plus souvent,» s'écrie Gavroche dans un argot qui dit tout.

On ne pratique réellement l'amour qu'en France, et à Paris surtout; j'entends l'amour avec toutes ses mignardises, toutes ses délicatesses, toutes ses ruses polissonnes et tout le luxe intime des femmes. Une parisienne semble plutôt créée pour l'amour que pour la maternité; de toutes les femmes du globe, elle seule sait être gracieuse, se lever, s'habiller, marcher, se baisser, se relever et surtout se coucher, avec des poses d'un art exquis, des lenteurs savantes, des enjouements qui ravissent et des calineries spéciales dans le moindre geste. S'il est des hommes qui ont pu regretter au loin les charmes de la parisienne habillée, il n'est pas un raffiné qui n'ait conservé le plus adorable et le plus frais souvenir d'une parisienne qui va se mettre au lit. Cette manière à la fois chaste et impudique de se défaire des derniers voiles comme d'un fardeau importun, cette grâce dans la draperie harmonieuse des toiles fines et blanches, cette mutinerie dans la dentelle, ces parfums pénétrants qui se dégagent d'elle sont bien faits pour marquer une empreinte ineffaçable dans la mémoire de ceux qui s'intéressent à la femme par l'enveloppe et les détails.—Ailleurs qu'en France peut-on se disposer à l'amour avec un attirail de préparatifs aussi ravissant? Une anglaise en robe de chambre est vêtue en dessous—et par pudeur, d'une riding dress. L'une d'elles disait un jour avec ennui: «L'amour... il faut bien le faire, les hommes y tiennent.»—Une française n'eut jamais dit cette phrase typique.

Ah! si le cerveau des parisiennes n'était pas une éponge à préjugés, si ces roses poupées avaient plus de sang et moins de son dans les entrailles, si leur coeur, moins chiffonné par le caprice, était plus sensible aux intimités d'amour, elles deviendraient les créatures les plus propres à satisfaire la passion des artistes et des voluptueux. Mais faut-il tant demander aux filles de Satan?—C'est le jouir et non le posséder qui rend heureux, disait Montaigne: Dès que les femmes sont à nous, nous ne sommes déjà plus à elles.—Quelle immense compensation pour ceux qui analysent et qui pensent sur les sentiments respectifs des sexes.

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