Le Docteur Pascal
Mais Ramond lui avait saisi les deux mains, dans un élan de tendresse et d'admiration.
—Maître, maître! c'est avec de la passion, de la folie comme la vôtre qu'on fait du génie!… Soyez sans crainte, je vous ai écouté, je tâcherai d'être digne de votre héritage; et, je le crois comme vous, peut-être le grand demain est-il là tout entier.
Dans la chambre attendrie et calme, Pascal se remit à parler, avec la tranquillité brave d'un philosophe mourant qui donne sa dernière leçon. Maintenant, il revenait sur ses observations personnelles, il expliquait qu'il s'était souvent guéri lui-même par le travail, un travail réglé et méthodique, sans surmenage. Onze heures sonnèrent, il voulut que Ramond déjeunât, et il continua la conversation, très loin, très haut, pendant que Martine servait. Le soleil avait fini par percer les nuées grises de la matinée, un soleil à demi voilé encore et très doux, dont la nappe dorée tiédissait la vaste pièce. Puis, comme il achevait de boire quelques gorgées de lait, il se tut.
A ce moment, le jeune médecin mangeait une poire.
—Est-ce que vous souffrez davantage?
—Non, non, finissez.
Mais il ne put mentir. C'était une crise, et terrible. La suffocation vint en coup de foudre, le renversa sur l'oreiller, le visage déjà bleu. Des deux mains, il avait saisi le drap à poignée, il s'y cramponnait, comme pour y trouver un point d'appui et soulever l'effroyable masse qui lui écrasait la poitrine. Atterré, livide, il tenait ses yeux grands ouverts, fixés sur la pendule, avec une effrayante expression de désespoir et de douleur. Et, pendant dix longues minutes, il faillit expirer.
Tout de suite, Ramond l'avait piqué. Le soulagement fut lent à se produire, l'efficacité était moindre.
De grosses larmes parurent dans les yeux de Pascal, dès que la vie lui revint. Il ne parlait pas encore, il pleurait. Puis, regardant toujours la pendule, de ses regards obscurcis:
—Mon ami, je mourrai à quatre heures, je ne la verrai pas.
Et, comme Ramond, pour distraire sa pensée, affirmait contre l'évidence que la terminaison n'était pas si prochaine, lui fut repris de sa passion de savant, voulut donner à son jeune confrère une dernière leçon, basée sur l'observation directe. Il avait soigné plusieurs cas pareils au sien, il se souvenait surtout d'avoir disséqué, à l'hôpital, le coeur d'un vieux pauvre atteint de sclérose.
—Je le vois, mon coeur…. Il est couleur de feuille morte, les fibres en sont cassantes, on le dirait amaigri, bien qu'il ait augmenté un peu de volume. Le travail inflammatoire a dû le durcir, on le couperait difficilement….
Il continua à voix plus basse. Tout à l'heure, il avait bien senti son coeur qui mollissait, dont les contractions devenaient molles et lentes. Au lieu du jet de sang normal, il ne sortait plus par l'aorte qu'une bave rouge. Derrière, les veines étaient gorgées de sang noir, l'étouffement augmentait, à mesure que se ralentissait la pompe aspirante et foulante, régulatrice de toute la machine. Et, après la piqûre, il avait suivi, malgré sa souffrance, le réveil progressif de l'organe, le coup de fouet qui l'avait remis en marche, déblayant le sang noir des veines, soufflant de nouveau la force avec le sang rouge des artères. Mais la crise allait revenir, dès que l'effet mécanique de la piqûre aurait cessé. Il pouvait la prédire à quelques minutes près. Grâce aux injections, il y aurait encore trois crises. La troisième l'emporterait, il mourrait à quatre heures.
Puis, d'une voix de plus en plus faible, il eut un dernier enthousiasme, sur la vaillance du coeur, de cet ouvrier obstiné de la vie, sans cesse au travail, à toutes les secondes de l'existence, même pendant le sommeil, lorsque les autres organes, paresseux, se reposaient.
—Ah! brave coeur! comme tu luttes héroïquement!… Quelle foi, quelle générosité de muscle jamais las!… Tu as trop aimé, tu as trop battu, et c'est pourquoi tu te brises, brave coeur qui ne veux pas mourir et qui te soulèves pour battre encore!
Mais la première crise annoncée se produisit. Pascal n'en sortit, cette fois, que pour rester haletant, hagard, la parole sifflante et pénible. De sourdes plaintes lui échappaient, malgré son courage: mon Dieu! cette torture ne finirait donc pas? Et, pourtant, il n'avait plus qu'un ardent désir, prolonger son agonie, vivre assez pour embrasser une dernière fois Clotilde. S'il se trompait, comme Ramond s'obstinait à le répéter! s'il pouvait vivre jusqu'à cinq heures! Ses yeux étaient retournés à la pendule, il ne quittait plus les aiguilles, donnant aux minutes une importance d'éternité. Autrefois, ils avaient plaisanté souvent sur cette pendule empire, une borne de bronze doré, contre laquelle l'Amour souriant contemplait le Temps endormi. Elle marquait trois heures. Puis, elle marqua trois heures et demie. Deux heures de vie seulement, encore deux heures de vie, mon Dieu! Le soleil s'abaissait à l'horizon, un grand calme tombait du pâle ciel d'hiver; et il écoutait, par moments, les lointaines locomotives qui sifflaient, à travers la plaine rase. Ce train-là était celui qui passait aux Tulettes. L'autre, celui qui venait de Marseille, n'arriverait donc jamais!
A quatre heures moins vingt, Pascal fit signe à Ramond de s'approcher. Il ne parlait plus assez fort, il ne pouvait se faire entendre.
—Il faudrait, pour que je vécusse jusqu'à six heures, que le pouls fût moins bas. J'espérais encore, mais c'est fini….
Et, dans un murmure, il nomma Clotilde. C'était un adieu bégayé et déchirant, l'affreux chagrin qu'il éprouvait à ne pas la revoir.
Ensuite, le souci de ses manuscrits reparut.
—Ne me quittez pas…. La clef est sous mon oreiller. Vous direz à
Clotilde de la prendre, elle a des ordres.
A quatre heures moins dix, une nouvelle piqûre resta sans effet. Et quatre heures allaient sonner, lorsque la deuxième crise se déclara. Brusquement, après avoir étouffé, il se jeta hors de son lit, il voulut se lever, marcher, dans un réveil de ses forces. Un besoin d'espace, de clarté, de grand air, le poussait en avant, là-bas. Puis, c'était un appel irrésistible de la vie, de toute sa vie, qu'il entendait venir à lui, du fond de la salle voisine. Et il y courait, chancelant, suffoquant, courbé à gauche, se rattrapant aux meubles.
Vivement, le docteur Ramond s'était précipité pour le retenir.
—Maître, maître! recouchez-vous, je vous en supplie!
Mais Pascal, sourdement, s'entêtait à finir debout. La passion d'être encore, l'idée héroïque du travail, persistaient en lui, l'emportaient comme une masse. Il râlait, il balbutiait.
—Non, non … là-bas, là-bas….
Il fallut que son ami le soutint, et il s'en alla ainsi, trébuchant et hagard, jusqu'au fond de la salle, et il se laissa tomber sur sa chaise, devant sa table, où une page commencée traînait, parmi le désordre des papiers et des livres.
Là, un moment, il souffla, ses paupières se fermèrent. Bientôt, il les rouvrit, tandis que ses mains tâtonnantes cherchaient le travail. Elles rencontrèrent l'Arbre généalogique, au milieu d'autres notes éparses. L'avant-veille encore, il y avait rectifié des dates. Et il le reconnut, l'attira, l'étala.
—Maître, maître! vous vous tuez! répétait Ramond frémissant, bouleversé de pitié et d'admiration.
Pascal n'écoutait pas, n'entendait pas. Il avait senti un crayon rouler sous ses doigts. Il le tenait, il se penchait sur l'Arbre, comme si ses yeux à demi éteints ne voyaient plus. Et, une dernière fois, il passait en revue les membres de la famille. Le nom de Maxime l'arrêta, il écrivit: «Meurt ataxique, en 1873,» dans la certitude que son neveu ne passerait pas l'année. Ensuite, à côté, le nom de Clotilde le frappa, et il compléta aussi la note, il mit: «A, en 1874, de son oncle Pascal, un fils.» Mais il se cherchait, s'épuisant, s'égarant. Enfin, quand il se fut trouvé, sa main se raffermit, il s'acheva, d'une écriture haute et brave: «Meurt, d'une maladie de coeur, le 7 novembre 1873.» C'était l'effort suprême, son râle augmentait, il étouffait, lorsqu'il aperçut, au-dessus de Clotilde, la feuille blanche. Ses doigts ne pouvaient plus tenir le crayon. Pourtant, en lettres défaillantes, où passait la tendresse torturée, le désordre éperdu de son pauvre coeur, il ajouta encore: «L'enfant inconnu, à naître en 1874. Quel sera-t-il?» Et il eut une faiblesse, Martine et Ramond purent à grand'peine le reporter sur le lit.
La troisième crise eut lieu à quatre heures un quart. Dans cet accès final de suffocation, le visage de Pascal exprima une effroyable souffrance. Jusqu'au bout, il devait endurer son martyre d'homme et de savant. Ses yeux troubles semblèrent chercher encore la pendule, pour constater l'heure. Et Ramond, le voyant remuer les lèvres, se pencha, colla son oreille. En effet, il murmurait des paroles, si légères, qu'elles étaient un souffle.
—Quatre heures…. Le coeur s'endort, plus de sang rouge dans l'aorte….
La valvule mollit et s'arrête….
Un râle affreux le secoua, le petit souffle devenait très lointain.
—Ça marche trop vite…. Ne me quittez pas, la clef est sous l'oreiller…. Clotilde, Clotilde….
Au pied du lit, Martine était tombée à genoux, étranglée de sanglots. Elle voyait bien que monsieur se mourait. Elle n'avait point osé courir chercher un prêtre, malgré sa grande envie; et elle récitait elle-même les prières des agonisants, elle priait ardemment le bon Dieu, pour qu'il pardonnât à monsieur et que monsieur allât droit en paradis.
Pascal mourut. Sa face était toute bleue. Après quelques secondes d'une immobilité complète, il voulut respirer, il avança les lèvres, ouvrit sa pauvre bouche, un bec de petit oiseau qui cherche à prendre une dernière gorgée d'air. Et ce fut la mort, très simple.
XIII
Ce fut seulement après le déjeuner, vers une heure, que Clotilde reçut la dépêche de Pascal. Elle était justement, ce jour-là, boudée par son frère Maxime, qui lui faisait sentir, avec une dureté croissante, ses caprices et ses colères de malade. En somme, elle avait peu réussi auprès de lui; il la trouvait trop simple, trop grave, pour l'égayer; et, maintenant, il s'enfermait avec la jeune Rose, cette petite blonde à l'air candide, qui l'amusait. Depuis que la maladie le tenait immobile et affaibli, il perdait de sa prudence égoïste de jouisseur, de sa longue méfiance contre la femme mangeuse d'hommes. Aussi, lorsque sa soeur voulut lui dire que leur oncle la rappelait, et qu'elle partait, eut-elle quelque peine à se faire ouvrir, car Rose était en train de le frictionner. Tout de suite, il l'approuva, et, s'il la pria de revenir le plus tôt possible, dès qu'elle aurait terminé là-bas ses affaires, il n'insista pas, uniquement désireux de se montrer aimable.
Clotilde passa l'après-midi à faire ses malles. Dans sa fièvre, dans l'étourdissement d'une décision si brusque, elle ne réfléchissait pas, elle était toute à la grande joie du retour. Mais, après la bousculade du dîner, après les adieux à son frère et l'interminable course en fiacre, de l'avenue du Bois-de-Boulogne à la gare de Lyon, lorsqu'elle se trouva dans un compartiment de dames seules, partie à huit heures, en pleine nuit pluvieuse et glacée de novembre, roulant déjà hors de Paris, elle se calma, fut peu à peu envahie de réflexions, finit par se sentir troublée de sourdes inquiétudes. Pourquoi donc cette dépêche, immédiate et si brève: «Je t'attends, pars ce soir»? Sans doute, c'était la réponse à la lettre où elle lui annonçait sa grossesse. Seulement, elle savait combien il désirait qu'elle restât à Paris, où il la rêvait heureuse, et elle s'étonnait maintenant de sa hâte à la rappeler. Elle n'attendait pas une dépêche, mais une lettre, puis des arrangements pris, le retour à quelques semaines de là. Était-ce donc qu'il y avait autre chose, une indisposition peut-être, un désir, un besoin de la revoir sur l'heure? Et, dès lors, cette crainte s'enfonça en elle avec la force d'un pressentiment, grandit, la posséda bientôt tout entière.
Toute la nuit, une pluie diluvienne avait fouetté les vitres du train, par les plaines de la Bourgogne. Ce déluge ne cessa qu'à Mâcon. Après Lyon, le jour parut. Clotilde avait sur elle les lettres de Pascal; et elle attendait l'aube avec impatience, pour revoir et étudier ces lettres, dont l'écriture lui avait paru changée. En effet, elle eut un petit froid au coeur, en constatant l'hésitation, les sortes de lézardes qui s'étaient produites dans les mots. Il était malade, très malade: cela, maintenant, tournait à la certitude, s'imposait à elle par une véritable divination, où il entrait moins de raisonnement que de subtile prescience. Et le reste du voyage fut horriblement long, car elle sentait croître son angoisse à mesure qu'elle approchait. Le pis était que, débarquant à Marseille dès midi et demi, elle ne pouvait prendre un train pour Plassans qu'à trois heures vingt. Trois grandes heures d'attente. Elle déjeuna au buffet de la gare, mangea fiévreusement, comme si elle avait eu peur de manquer ce train; puis, elle se traîna dans le jardin poussiéreux, alla d'un banc à un autre, sous le soleil pâle, tiède encore, au milieu de l'encombrement des omnibus et des fiacres. Enfin, elle roula de nouveau, arrêtée tous les quarts d'heure aux petites stations. Elle allongeait la tête à la portière, il lui semblait qu'elle était partie depuis plus de vingt ans et que les lieux devaient être changés. Le train quittait Sainte-Marthe, lorsqu'elle eut la forte émotion, en allongeant le cou, d'apercevoir, à l'horizon, très loin, la Souleiade, avec les deux cyprès centenaires de la terrasse, qu'on reconnaissait de trois lieues.
Il était cinq heures, le crépuscule tombait déjà. Les plaques tournantes retentirent, et Clotilde descendit. Mais elle avait eu un élancement, une douleur vive, en voyant que Pascal n'était pas sur le quai, à l'attendre. Elle se répétait depuis Lyon: «Si je ne le vois pas tout de suite, à l'arrivée, c'est qu'il est malade.» Peut-être, cependant, était-il resté dans la salle, ou s'occupait-il d'une voiture, dehors. Elle se précipita, et elle ne trouva que le père Durieu, le voiturier que le docteur employait d'habitude. Vivement, elle le questionna. Le vieil homme, un Provençal taciturne, ne se hâtait pas de répondre. Il avait là sa charrette, il demandait le bulletin de bagages, voulait d'abord s'occuper des malles. D'une voix tremblante, elle répéta sa question:
—Tout le monde va bien, père Durieu?
—Mais oui, mademoiselle.
Et elle dut insister, avant de savoir que c'était Martine, la veille, vers six heures, qui lui avait commandé de se trouver à la gare, avec sa voiture, pour l'arrivée du train. Il n'avait pas vu, personne n'avait vu le docteur, depuis deux mois. Peut-être bien, puisqu'il n'était pas là, qu'il avait dû prendre le lit, car le bruit courait en ville qu'il n'était guère solide.
—Attendez que j'aie les bagages, mademoiselle. Il y a une place pour vous sur la banquette.
—Non, père Durieu, ce serait trop long. Je vais à pied.
A grands pas, elle monta la rampe. Son coeur se serrait tellement, qu'elle étouffait. Le soleil avait disparu derrière les coteaux de Sainte-Marthe, une cendre fine tombait du ciel gris, avec le premier frisson de novembre; et, comme elle prenait le chemin des Fenouillères, elle eut une nouvelle apparition de la Souleiade qui la glaça, la façade morne sous le crépuscule, tous les volets fermés, dans une tristesse d'abandon et de deuil.
Mais le coup terrible que reçut Clotilde, ce fut lorsqu'elle reconnut Ramond, debout au seuil du vestibule, et qui semblait l'attendre. Il l'avait guettée en effet, il était descendu, voulant amortir en elle l'affreuse catastrophe. Elle arrivait essoufflée, elle avait passé par le quinconce des platanes, près de la source, pour couper au plus court; et, de voir le jeune homme là, au lieu de Pascal qu'elle espérait encore y trouver, elle eut une sensation d'écroulement, d'irréparable malheur. Ramond était très pâle, bouleversé, malgré son effort de courage. Il ne prononça pas un mot, attendant d'être questionné. Elle-même suffoquait, ne disait rien. Et ils entrèrent ainsi, il la mena jusqu'à la salle à manger, où ils restèrent de nouveau quelques secondes en face l'un de l'autre, muets, dans cette angoisse.
—Il est malade, n'est-ce pas? balbutia-t-elle enfin.
Il répéta simplement:
—Oui, malade.
—J'ai bien compris en vous voyant, reprit-elle. Pour qu'il ne soit pas là, il faut qu'il soit malade.
Alors, elle insista.
—Il est malade, très malade, n'est-ce pas?
Il ne répondait plus, il pâlissait davantage, et elle le regarda. A ce moment, elle vit la mort sur lui, sur ses mains frémissantes encore, qui avaient soigné le mourant, sur sa face désespérée, dans ses yeux troubles, qui gardaient le reflet de l'agonie, dans tout son désordre de médecin qui était là depuis douze heures, à lutter, impuissant.
Elle eut un grand cri.
—Mais il est mort!
Et elle chancela, foudroyée, elle s'abattit entre les bras de Ramond, qui l'étreignit fraternellement, dans un sanglot. Tous les deux, au cou l'un de l'autre, pleurèrent.
Puis, lorsqu'il l'eut assise sur une chaise et qu'il put parler:
—C'est moi, hier, vers dix heures et demie, qui ai mis au télégraphe la dépêche que vous avez reçue. Il était si heureux, si plein d'espoir! Il faisait des rêves d'avenir, un an, deux ans de vie…. Et c'est ce matin, à quatre heures, qu'il a été pris de la première crise et qu'il m'a envoyé chercher. Tout de suite, il s'était vu perdu. Mais il espérait durer jusqu'à six heures, vivre assez pour vous revoir…. Le mal a marché trop vite. Il m'en a dit les progrès jusqu'au dernier souffle, minute par minute, comme un professeur qui dissèque à l'amphithéâtre. Il est mort avec votre nom aux lèvres, calme et désespéré, en héros.
Clotilde aurait voulu courir, monter d'un bond dans la chambre, et elle restait clouée, sans force pour quitter la chaise. Elle avait écouté, les yeux noyés de grosses larmes qui coulaient sans fin. Chacune des phrases, le récit de cette mort stoïque retentissait dans son coeur, s'y gravait profondément. Elle reconstituait l'abominable journée. A jamais elle devait la revivre.
Mais, surtout, son désespoir déborda, lorsque Martine, entrée depuis un instant, dit d'une voix dure:
—Ah! mademoiselle a bien raison de pleurer, car si monsieur est mort, c'est bien à cause de mademoiselle.
La vieille servante se tenait là debout, à l'écart, près de la porte de sa cuisine, souffrante, exaspérée qu'on lui eût pris et tué son maître; et elle ne cherchait même pas une parole de bienvenue et de soulagement, pour cette enfant qu'elle avait élevée. Sans calculer la portée de son indiscrétion, la peine ou la joie qu'elle pouvait faire, elle se soulageait, elle disait tout ce qu'elle savait.
—Oui, si monsieur est mort, c'est bien parce que mademoiselle est partie.
Du fond de son anéantissement, Clotilde protesta.
—Mais c'est lui qui s'est fâché, qui m'a forcée à partir!
—Ah bien! il a fallu que mademoiselle y mit de la complaisance, pour ne pas voir clair…. La nuit d'avant le départ, j'ai trouvé monsieur à moitié étouffé, tant il avait du chagrin; et, quand j'ai voulu prévenir mademoiselle, c'est lui qui m'en a empêchée…. Puis, je l'ai bien vu, moi, depuis que mademoiselle n'est plus là. Toutes les nuits, ça recommençait, il se tenait à quatre pour ne pas écrire et la rappeler…. Enfin, il en est mort, c'est la vérité pure.
Une grande clarté se faisait dans l'esprit de Clotilde, à la fois bien heureuse et torturée. Mon Dieu! c'était donc vrai, ce qu'elle avait soupçonné un instant? Ensuite, elle avait pu finir par croire, devant l'obstination violente de Pascal, qu'il ne mentait pas, qu'entre elle et le travail il choisissait sincèrement le travail, en homme de science chez qui l'amour de l'oeuvre l'emporte sur l'amour de la femme. Et il mentait pourtant, il avait poussé le dévouement, l'oubli de lui-même, jusqu'à s'immoler, pour ce qu'il pensait être son bonheur, à elle. Et la tristesse des choses voulait qu'il se fût trompé, qu'il eût consommé ainsi leur malheur à tous.
De nouveau, Clotilde protestait, se désespérait.
—Mais comment aurais-je pu savoir?… J'ai obéi, j'ai mis toute ma tendresse dans mon obéissance.
—Ah! cria encore Martine, il me semble que j'aurais deviné, moi!
Ramond intervint, parla doucement. Il avait repris les mains de son amie, il lui expliqua que le chagrin avait pu hâter l'issue fatale, mais que le maître était malheureusement condamné depuis quelque temps. La maladie de coeur dont il souffrait devait dater d'assez loin déjà: beaucoup de surmenage, une part certaine d'hérédité, enfin toute sa passion dernière; et le pauvre coeur s'était brisé.
—Montons, dit Clotilde. Je veux le voir.
En haut, dans la chambre, on avait fermé les volets, le crépuscule mélancolique n'était même pas entré. Deux cierges brûlaient sur une petite table, dans des flambeaux, au pied du lit. Et ils éclairaient d'une pâle lueur jaune Pascal étendu, les jambes serrées, les mains ramenées et à demi jointes, sur la poitrine. Pieusement, on avait clos les paupières. Le visage semblait dormir, bleuâtre encore, pourtant apaisé déjà, dans le flot épandu de la chevelure blanche et de la barbe blanche. Il était mort depuis une heure et demie à peine. L'infinie sérénité commençait, l'éternel repos.
A le revoir ainsi, à se dire qu'il ne l'entendait plus, qu'il ne la voyait plus, qu'elle était seule désormais, qu'elle le baiserait une dernière fois, puis qu'elle le perdrait pour toujours, Clotilde avait eu un grand élan de douleur, s'était jetée sur le lit, en ne pouvant balbutier que cet appel de tendresse:
—Oh! maître, maître, maître….
Ses lèvres s'étaient posées sur le front du mort; et, comme elle le trouvait refroidi à peine, encore tiède de vie, elle put avoir un instant d'illusion, croire qu'il restait sensible à cette caresse dernière, si longtemps attendue. N'avait-il pas souri dans son immobilité, heureux enfin et pouvant achever de mourir, à présent qu'il les sentait là tous deux, elle et l'enfant qu'elle portait? Puis, défaillante devant la terrible réalité, elle sanglota de nouveau, éperdument.
Martine entrait, avec une lampe, qu'elle posa à l'écart, sur un coin de la cheminée. Et elle entendit Ramond, qui surveillait Clotilde, inquiet de la voir bouleversée, à ce point, dans sa situation.
—Je vais vous emmener, si vous manquez de courage. Songez que vous n'êtes pas seule, qu'il y a le cher petit être, dont il me parlait déjà avec tant de joie et de tendresse.
Dans la journée, la servante s'était étonnée de certaines phrases, surprises par hasard. Brusquement, elle comprit; et, comme elle était sur le point de quitter la chambre, elle s'arrêta, elle écouta encore.
Ramond avait baissé la voix.
—La clef de l'armoire est sous l'oreiller, il m'a répété plusieurs fois de vous en avertir…. Vous savez ce que vous avez à faire?
Clotilde tâcha de se rappeler et de répondre.
—Ce que j'ai à faire? pour les papiers, n'est-ce pas?… Oui, oui! je me souviens, je dois garder les dossiers et vous donner les autres manuscrits…. N'ayez pas peur, j'ai toute ma tête, je serai très raisonnable. Mais je ne veux pas le quitter, je vais passer la nuit là, bien tranquille, je vous le promets.
Elle était si douloureuse, l'air si résolu à le veiller, à rester avec lui tant qu'on ne l'emporterait pas, que le médecin la laissa faire.
—Eh bien! je vous quitte, on doit m'attendre chez moi. Puis, il y a toutes sortes de formalités, la déclaration, le convoi, dont je veux vous éviter le souci. Ne vous occupez de rien. Demain matin, tout sera réglé, quand je reviendrai.
Il l'embrassa encore, il s'en alla. Et ce fut alors seulement que Martine disparut à son tour, derrière lui, fermant à clef la porte, en bas, courant par la nuit devenue noire.
Maintenant, dans la chambre, Clotilde était seule; et, autour d'elle, sous elle, au milieu du grand silence, elle sentait la maison vide. Clotilde était seule, avec Pascal mort. Elle avait approché une chaise, contre le lit, au chevet, elle s'était assise, immobile, seule. En arrivant, elle avait simplement retiré son chapeau; puis, s'étant aperçue qu'elle avait gardé ses gants, elle venait aussi de les ôter. Mais elle demeurait là, en robe de voyage, poussiéreuse, fripée, par les vingt heures de chemin de fer. Sans doute, le père Durieu avait, depuis longtemps, déposé les malles, en bas. Et elle n'avait ni l'idée ni la force de se débarbouiller, de se changer, anéantie à présent sur cette chaise où elle était tombée. Un regret unique, un remords immense, l'emplissaient. Pourquoi avait-elle obéi? pourquoi s'était-elle résignée à partir? Si elle était restée, elle avait la conviction, ardente qu'il ne serait pas mort. Elle l'aurait tant aimé, tant caressé, qu'elle l'aurait guéri. Chaque soir, elle l'aurait pris entre ses bras pour l'endormir, elle l'aurait réchauffé de toute sa jeunesse, elle lui aurait soufflé de sa vie dans ses baisers. Quand on ne voulait pas que la mort vous prît un être cher, on restait pour donner de son sang, on la mettait en fuite. C'était sa faute, si elle l'avait perdu, si elle ne pouvait plus, d'une étreinte, l'éveiller de l'éternel sommeil. Et elle se trouvait imbécile de n'avoir pas compris, lâche de ne s'être pas dévouée, coupable et punie à jamais de s'en être allée, quand le simple bon sens, à défaut du coeur, devait la clouer là, dans sa tache de sujette soumise et tendre, veillant sur son roi.
Le silence devenait tel, si absolu, si large, que Clotilde détacha un instant les yeux du visage de Pascal, pour regarder dans la chambre. Elle n'y vit que des ombres vagues: la lampe éclairait de biais la glace de la grande psyché, pareille à une plaque d'argent mat; et les deux cierges mettaient seulement, sous le haut plafond, deux taches fauves. A ce moment, la pensée lui revint des lettres qu'il lui écrivait, si courtes, si froides; et elle comprenait sa torture à étouffer son amour. Quelle force il lui avait fallu, dans l'accomplissement du projet de bonheur, sublime et désastreux, qu'il faisait pour elle! Il s'entêtait à disparaître, à la sauver de sa vieillesse et de sa pauvreté; il la rêvait riche, libre de jouir de ses vingt-six ans, loin de lui: c'était l'oubli total de soi, l'anéantissement dans l'amour d'une autre. Et elle en éprouvait une gratitude, une douceur profondes, mêlées à une sorte d'amertume irritée contre le destin mauvais. Puis, tout d'un coup, les années heureuses s'évoquèrent, sa jeunesse, son adolescence près de lui, si bon, si gai. Comme il l'avait conquise d'une lente passion, comme elle s'était sentie sienne, après les révoltes qui les avaient un instant séparés, et dans quel emportement de joie elle s'était donnée à lui, pour être davantage et toute à lui, puisqu'il la désirait! Cette chambre où il se refroidissait à cette heure, elle la retrouvait tiède encore et frissonnante de leurs nuits de tendresse.
Sept heures sonnèrent à la pendule, et Clotilde tressaillit à ce tintement léger, dans le grand silence. Qui donc avait parlé? Elle se rappela, elle regarda la pendule, dont le timbre avait sonné tant d'heures de joie. Cette pendule antique avait une voix chevrotante d'amie très vieille, qui les amusait, dans l'obscurité, quand ils veillaient, aux bras l'un de l'autre. Et, de tous les meubles, à présent, lui venaient des souvenirs. Leurs deux images lui semblèrent renaître, du fond argenté et pâle de la grande psyché: elles s'avançaient, indécises, presque confondues, avec un flottant sourire, comme aux jours ravis, où il l'amenait là, pour la parer de quelque bijou, un cadeau qu'il cachait depuis le matin, dans sa folie du don. C'était aussi la table où brûlaient les deux cierges, la petite table sur laquelle ils avaient fait leur dîner de misère, le soir qu'ils manquaient de pain et qu'elle lui avait servi un festin royal. Que de miettes de leur amour elle retrouverait dans la commode à marbre blanc, cerclé d'une galerie! Quels bons rires ils avaient eus, sur la chaise longue, aux pieds raidis, quand elle y mettait ses bas et qu'il la taquinait! Même de la tenture, de l'ancienne indienne rouge décolorée, devenue couleur d'aurore, un chuchotement lui arrivait, tout ce qu'ils s'étaient dit de frais et de tendre, les enfantillages infinis de leur passion, et jusqu'à l'odeur de sa chevelure, à elle, une odeur de violette, qu'il adorait. Alors, comme la vibration des sept coups de la pendule avait cessé, si longue en son coeur, elle ramena les yeux sur le visage immobile de Pascal, et de nouveau elle s'anéantit.
Ce fut dans cette prostration croissante que Clotilde, quelques minutes plus tard, entendit un bruit soudain de sanglots. On était entré en coup de vent, elle reconnut sa grand'mère Félicité. Mais elle ne bougea pas, elle ne parla pas, tellement elle était déjà engourdie de douleur. Martine, devançant l'ordre qu'on lui aurait sûrement donné, venait de courir chez la vieille madame Rougon, pour lui apprendre l'affreuse nouvelle; et celle-ci, stupéfaite d'abord d'une catastrophe si prompte, bouleversée ensuite, accourait, débordante d'un chagrin bruyant. Elle sanglota devant son fils, elle embrassa Clotilde, qui lui rendit son baiser, comme dans un rêve. Puis, à partir de cet instant, celle-ci, sans sortir de l'accablement où elle s'isolait, sentit bien qu'elle n'était plus seule, au continuel remue-ménage étouffé dont les petits bruits traversaient la chambre. C'était Félicité qui pleurait, qui entrait, qui sortait sur la pointe des pieds, qui mettait de l'ordre, furetait, chuchotait, tombait sur une chaise pour se relever aussitôt. Et, vers neuf heures, elle voulut absolument décider sa petite-fille à manger quelque chose. Deux fois déjà, elle l'avait sermonnée, tout bas. Elle revint lui dire à l'oreille:
—Clotilde, ma chérie, je t'assure que tu as tort…. Il faut prendre des forces, jamais tu n'iras jusqu'au bout.
Mais, d'un signe de tête, la jeune femme s'obstinait à refuser.
—Voyons, tu as dû déjeuner à Marseille, au buffet, n'est-ce pas? et tu n'as rien pris depuis ce moment…. Est-ce raisonnable? Je n'entends pas que tu tombes malade, toi aussi…. Martine a du bouillon. Je lui ai dit de faire un potage léger et d'ajouter un poulet…. Descends manger un morceau, rien qu'un morceau, pendant que je vais rester là.
Du même signe souffrant, Clotilde refusait toujours. Elle finit par bégayer:
—Laisse-moi, grand'mère, je t'en supplie…. Je ne pourrais pas, ça m'étoufferait.
Et elle ne parla plus. Pourtant, elle ne dormait pas, elle avait les yeux grands ouverts, obstinément fixés sur le visage de Pascal. Durant des heures, elle ne fit plus un mouvement, droite, rigide, comme absente, là-bas, très loin, avec le mort. A dix heures, elle entendit un bruit: c'était Martine qui remontait la lampe. Vers onze heures, Félicité, qui veillait dans un fauteuil, parut inquiète, sortit de la chambre, puis y rentra. Dès lors, il y eut des allées et venues, des impatiences rôdant autour de la jeune femme, toujours éveillée, avec ses grands yeux fixes. Minuit sonna, une idée têtue demeurait seule dans son crâne vide, comme un clou qui l'empêchait de s'endormir: pourquoi avait-elle obéi? Si elle était restée, elle l'aurait réchauffé de toute sa jeunesse, il ne serait pas mort! Et ce fut seulement un peu avant une heure, qu'elle sentit cette idée elle-même se brouiller et se perdre en un cauchemar. Elle tomba à un lourd sommeil, épuisée de douleur et de fatigue.
Quand Martine était allée annoncer à la vieille madame Rougon la mort inattendue de son fils, celle-ci, dans son saisissement, avait eu un premier cri de colère, mêlé à son chagrin. Eh quoi! Pascal mourant n'avait pas voulu la voir, avait fait jurer à cette servante de ne pas la prévenir! Cela la fouettait au sang, comme si la lutte qui avait duré toute l'existence, entre elle et lui, devait continuer par delà le tombeau. Puis, après s'être habillée à la hâte lorsqu'elle était accourue à la Souleiade, la pensée des terribles dossiers, de tous les manuscrits qui emplissaient l'armoire, l'avait envahie d'une passion frémissante. Maintenant que l'oncle Macquart et Tante Dide étaient morts, elle ne redoutait plus ce qu'elle nommait l'abomination des Tulettes; et le pauvre petit Charles lui-même, en disparaissant, avait emporté une des tares les plus humiliantes pour la famille. Il ne restait que les dossiers, les abominables dossiers, menaçant cette légende triomphale des Rougon qu'elle avait mis sa vie entière à créer, qui était l'unique préoccupation de sa vieillesse, l'oeuvre au triomphe de laquelle, obstinément, elle avait voué les derniers efforts de son esprit d'activité et de ruse. Depuis de longues années, elle les guettait, jamais lasse, recommençant la lutte quand on la croyait battue, toujours embusquée et tenace. Ah! si elle pouvait s'en emparer enfin, les détruire! Ce serait l'exécrable passé anéanti, ce serait la gloire des siens, si durement conquise, délivrée de toute menace, s'épanouissant enfin librement, imposant son mensonge à l'histoire. Et elle se voyait traversant les trois quartiers de Plassans, saluée par tous, dans son attitude de reine, portant noblement le deuil du régime déchu. Aussi, comme Martine lui avait appris que Clotilde était là, hâtait-elle sa marche, en approchant de la Souleiade, talonnée par la crainte d'arriver trop tard.
D'ailleurs, dès qu'elle se fut installée dans la maison, Félicité se remit tout de suite. Rien ne pressait, on avait la nuit devant soi. Pourtant, elle voulut, sans tarder, avoir Martine avec elle; et elle savait bien ce qui agirait sur cette créature simple, enfoncée dans les croyances d'une religion étroite. Son premier soin fut donc, en bas, au milieu du désordre de la cuisine, où elle était descendue voir rôtir le poulet, d'affecter une grande désolation, à la pensée que son fils était mort, avant d'avoir fait sa paix avec l'Église. Elle questionnait la servante, exigeait des détails. Mais celle-ci hochait la tête, désespérément: non! aucun prêtre n'était venu, monsieur n'avait pas même fait un signe de croix. Elle seule s'était agenouillée, pour réciter les prières des agonisants, ce qui, bien sûr, ne devait pas suffire au salut d'une âme. Avec quelle ferveur, cependant, elle avait prié le bon Dieu, afin que monsieur allât droit au paradis!
Les yeux sur le poulet qui tournait, devant un grand feu clair, Félicité reprit à voix plus basse, d'un air absorbé:
—Ah! ma pauvre fille, ce qui l'empêche surtout d'y aller, en paradis, ce sont les abominables papiers que le malheureux laisse là-haut, dans l'armoire. Je ne puis comprendre comment la foudre du ciel n'est pas encore tombée sur ces papiers, pour les mettre on cendres. Si on les laisse sortir d'ici, c'est la peste, le déshonneur, et c'est l'enfer à jamais!
Toute pâle, Martine l'écoutait.
—Alors, madame croit que ce serait une bonne oeuvre de les détruire, une oeuvre qui assurerait le repos de l'âme de monsieur?
—Grand Dieu! si je le crois!… Mais, si nous les avions, ces affreuses paperasses, tenez! c'est dans ce feu que je les jetterais. Ah! vous n'auriez pas besoin d'ajouter d'autres sarments, rien qu'avec les manuscrits de là-haut, il y a de quoi faire rôtir trois poulets comme celui-ci.
La servante avait pris une longue cuiller pour arroser la bête. Elle aussi, maintenant, semblait réfléchir.
—Seulement, nous ne les avons pas…. J'ai même, à ce propos, entendu une conversation que je puis bien répéter à madame…. C'est quand mademoiselle Clotilde est montée dans la chambre. Le docteur Ramond lui a demandé si elle se souvenait des ordres qu'elle avait reçus, avant son départ sans doute; et elle a dit qu'elle se souvenait, qu'elle devait garder les dossiers et lui donner tous les autres manuscrits.
Félicité, frémissante, ne put retenir un geste d'inquiétude. Déjà, elle voyait les papiers lui échapper; et ce n'étaient pas les dossiers seulement qu'elle voulait, mais toutes les pages écrites, toute cette oeuvre inconnue, louche et ténébreuse, dont il ne pouvait sortir que du scandale, d'après son cerveau obtus et passionné de vieille bourgeoise orgueilleuse.
—Il faut agir! cria-t-elle, agir cette nuit même! Demain peut-être serait-il trop tard.
—Je sais bien où est la clef de l'armoire, reprit Martine à demi-voix. Le médecin l'a dit à mademoiselle.
Tout de suite, Félicité avait dressé l'oreille.
—La clef, où donc est-elle?
—Sous l'oreiller, sous la tête de monsieur.
Malgré la flambée vive du feu de sarments, un petit souffle glacé passa; et les deux vieilles femmes se turent. Il n'y eut plus que le grésillement du jus qui tombait du rôti dans la lèchefrite.
Mais, après que madame Rougon eut dîné seule, et promptement, elle remonta avec Martine. Dès lors, sans qu'elles eussent causé davantage, l'entente se trouva faite, il était décidé qu'elles s'empareraient des papiers avant le jour, par tous les moyens possibles. Le plus simple consistait encore à prendre la clef sous l'oreiller. Certainement, Clotilde finirait par s'endormir: elle paraissait trop épuisée, elle succomberait à la fatigue. Et il ne s'agissait que d'attendre. Elles se mirent donc à épier, à rôder de la salle de travail à la chambre, aux aguets pour savoir si les grands yeux élargis et fixes de la jeune femme ne se fermaient pas enfin. Toujours, il y en avait une qui allait voir, tandis que l'autre s'impatientait dans la salle, où charbonnait une lampe. Cela dura jusqu'à près de minuit, de quart d'heure en quart d'heure. Les yeux, sans fond, pleins d'ombre et d'un immense désespoir, restaient grands ouverts. Un peu avant minuit, Félicité se réinstalla dans un fauteuil, au pied du lit, résolue à ne pas quitter la place, tant que sa petite-fille ne dormirait pas. Elle ne la quittait plus du regard, s'irritant à remarquer qu'elle battait à peine des paupières, dans cette fixité inconsolable qui défiait le sommeil. Puis, ce fut elle, à ce jeu, qui se sentit envahie d'une somnolence. Exaspérée, elle ne put rester là davantage. Et elle alla trouver de nouveau Martine.
—C'est inutile, elle ne s'endormira pas! dit-elle, la voix étouffée et tremblante. Il faut imaginer autre chose.
L'idée lui était bien venue déjà de forcer l'armoire. Mais les vieux bâtis de chêne semblaient inébranlables, les vieilles ferrures tenaient solidement. Avec quoi briser la serrure? sans compter qu'on ferait un bruit terrible et que ce bruit s'entendrait certainement de la chambre voisine.
Elle s'était cependant plantée devant les portes épaisses, les tâtait des doigts, cherchait les places faibles.
—Si j'avais un outil….
Martine, moins passionnée, l'interrompit en se récriant.
—Oh! non, non, madame! on nous surprendrait!… Attendez, peut-être que mademoiselle dort.
Elle retourna dans la chambre, sur la pointe des pieds, et revint tout de suite.
—Mais oui, elle dort!… Ses yeux sont fermés, elle ne bouge plus.
Alors, toutes deux allèrent la voir, retenant leur souffle, évitant le moindre craquement du parquet, avec des soins infinis. Clotilde, en effet, venait de s'endormir, et son anéantissement paraissait tel, que les deux vieilles femmes s'enhardissaient. Mais elles craignaient pourtant de l'éveiller, si elles la frôlaient, car elle avait sa chaise placée contre le lit même. Et c'était aussi un acte sacrilège et terrible, dont l'épouvante les prenait, que de glisser la main sous l'oreiller du mort et de le voler. N'allait-il pas falloir le déranger dans son repos? ne remuerait-il pas, sous la secousse? Cela les faisait pâlir.
Félicité, déjà, s'était avancée, le bras tendu. Mais elle recula.
—Je suis trop petite, bégaya-t-elle. Essayez donc, vous, Martine.
La servante, à son tour, s'approcha du lit. Elle fut prise d'un tel tremblement, qu'elle dut, elle aussi, revenir en arrière, pour ne pas tomber.
—Non, non, je ne puis pas! Il me semble que monsieur va ouvrir les yeux.
Et, frissonnantes, éperdues, elles restèrent encore un instant dans la chambre, pleine du grand silence et de la majesté de la mort, en face de Pascal immobile à jamais et de Clotilde anéantie, sous l'écrasement de son veuvage. La noblesse d'une haute vie de travail leur apparut peut-être sur cette tête muette, qui, de tout son poids, gardait son oeuvre. La flamme des cierges brûlait très pâle. Une terreur sacrée passait, qui les chassa.
Félicité, si brave, qui n'avait, autrefois, reculé devant rien, pas même devant le sang, s'enfuyait comme poursuivie.
—Venez, venez, Martine. Nous trouverons autre chose, nous allons chercher un outil.
Dans la salle, elles respirèrent. La servante se souvint alors que la clef du secrétaire devait être sur la table de nuit de monsieur, où elle l'avait aperçue la veille, au moment de la crise. Elles y allèrent voir. La mère n'eut aucun scrupule, ouvrit le meuble. Mais elle n'y trouva que les cinq mille francs, qu'elle laissa au fond du tiroir, car l'argent ne la préoccupait guère. Vainement, elle chercha l'Arbre généalogique, qu'elle savait là d'habitude. Elle aurait si volontiers commencé par lui son oeuvre de destruction! Il était resté sur le bureau du docteur, dans la salle, et elle ne devait pas même l'y découvrir, au milieu de la fièvre de passion qui lui faisait fouiller les meubles fermés, sans lui laisser le calme lucide de procéder méthodiquement, autour d'elle.
Son désir la ramena, elle revint se planter devant l'armoire, la mesurant, l'enveloppant d'un regard ardent de conquête. Malgré sa petite taille, malgré ses quatre-vingts ans passés, elle se dressait, dans une activité, une dépense de force extraordinaire.
—Ah! répéta-t-elle, si j'avais un outil!
Et elle cherchait de nouveau la lézarde du colosse, la fente où elle allait introduire les doigts, pour le faire éclater. Elle imaginait des plans d'assaut, elle rêvait des violences, puis elle retombait à la ruse, à quelque traîtrise qui lui ouvrirait les battants, rien qu'en soufflant dessus.
Brusquement, son regard brilla, elle avait trouvé.
—Dites donc, Martine, il y a un crochet qui retient le premier battant?
—Oui, madame, il s'accroche dans un piton, en dessus de la planche du milieu…. Tenez! il se trouve à la hauteur de cette moulure, à peu près.
Félicité eut un geste de victoire certaine.
—Vous avez bien une vrille, une grosse vrille?… Donnez-moi une vrille!
Vivement, Martine descendit à sa cuisine et rapporta l'outil demandé.
—Comme ça, voyez-vous, nous ne ferons pas de bruit, reprit la vieille dame en se mettant à la besogne.
Avec une singulière énergie, qu'on n'aurait pas soupçonnée à ses petites mains desséchées par l'âge, elle planta la vrille, elle fit un premier trou, à la hauteur désignée par la servante. Mais elle était trop bas, elle sentit que la pointe s'enfonçait ensuite dans la planche. Une seconde percée l'amena droit sur le fer du crochet. Cette fois, c'était trop direct. Et elle multiplia les trous, à droite et à gauche, jusqu'à ce que, se servant de la vrille elle-même, elle put enfin pousser le crochet, le chasser du piton. Le pêne de la serrure glissa, les deux battants s'ouvrirent.
—Enfin! cria Félicité, hors d'elle.
Puis, inquiète, elle resta immobile, l'oreille tendue vers la chambre, craignant d'avoir réveillé Clotilde. Mais toute la maison dormait, dans le grand silence noir. Il ne venait toujours de la chambre qu'une paix auguste de mort, elle n'entendit que le clair tintement de la pendule sonnant un seul coup, une heure du matin. Et l'armoire était grande ouverte, béante, montrant, sur ses trois planches, l'entassement de papiers dont elle débordait. Alors, elle se rua, l'oeuvre de destruction commença, au milieu de l'ombre sacrée, de l'infini repos de cette veillée funèbre.
—Enfin! répéta-t-elle tout bas, depuis trente ans que je veux et que j'attends!… Dépêchons, dépêchons, Martine! aidez-moi!
Déjà, elle avait apporté la haute chaise du pupitre, elle y était montée d'un bond, pour prendre d'abord les papiers de la planche supérieure, car elle se souvenait que les dossiers se trouvaient là. Mais elle fut surprise de ne pas reconnaître les chemises de fort papier bleu, il n'y avait plus là que d'épais manuscrits, les oeuvres terminées et non publiées encore du docteur, des travaux inestimables, toutes ses recherches, toutes ses découvertes, le monument de sa gloire future, qu'il avait légué à Ramond; pour que celui-ci en prit le soin. Sans doute, quelques jours avant sa mort, pensant que les dossiers seuls étaient menacés, et que personne au monde n'oserait détruire ses autres ouvrages, avait-il procédé à un déménagement, à un classement nouveau, pour soustraire ceux-là aux recherches premières.
—Ah! tant pis! murmura Félicité, il y en a tellement, commençons par n'importe quel bout, si nous voulons arriver…. Pendant que je suis en l'air, nettoyons toujours ça…. Tenez, réchappez, Martine!
Et elle vida la planche, elle jeta, un à un, les manuscrits entre les bras de la servante, qui les posait sur la table, en faisant le moins de bruit possible. Bientôt, tout le tas y fut, elle sauta de la chaise.
—Au feu! au feu!… Nous finirons bien par mettre la main sur les autres, sur ceux que je cherche…. Au feu! au feu! ceux-ci d'abord! Jusqu'aux bouts de papier grands comme l'ongle, jusqu'aux notes illisibles, au feu! au feu! si nous voulons être sûres de tuer la contagion du mal!
Elle-même, fanatique, farouche dans sa haine de la vérité, dans sa passion d'anéantir le témoignage de la science, déchira la première page d'un manuscrit, l'alluma à la lampe, alla jeter ce brandon flambant dans la grande cheminée, où il n'y avait pas eu de feu depuis vingt ans peut-être; et elle alimenta la flamme, en continuant à jeter, par morceaux, le reste du manuscrit. La servante, résolue comme elle, était venue l'aider, avait pris un autre gros cahier, qu'elle effeuillait. Dès lors, le feu ne cessa plus, la haute cheminée s'emplit d'un flamboiement, d'une gerbe claire d'incendie, qui, par instants, ne se ralentissait que pour s'élever avec une intensité accrue, quand des aliments nouveaux la rallumaient. Un brasier s'élargissait peu à peu, un tas de cendre fine montait, une couche épaissie de feuilles noires où couraient des millions d'étincelles. Mais c'était une besogne longue, sans fin; car, lorsqu'on jetait trop de pages à la fois, elles ne brûlaient pas, il fallait les secouer, les retourner avec les pincettes; et le mieux était de les froisser, d'attendre qu'elles fussent bien enflammées, avant d'en ajouter d'autres. L'habileté leur venait, la besogne marchait grand train.
Dans sa hâte à aller reprendre une nouvelle brassée de papiers, Félicité se heurta contre un fauteuil.
—Oh! madame, prenez garde, dit Martine. Si l'on venait!
—Venir, qui donc? Clotilde? elle dort trop bien, la pauvre fille!… Et puis, si elle vient quand ce sera fini, je m'en moque! Allez, je ne me cacherai pas, je laisserai l'armoire vide et toute grande ouverte, je dirai bien haut que c'est moi qui ai purifié la maison…. Quand il n'y aura plus une seule ligne d'écriture, ah! mon Dieu! je me moque du reste!
Pendant près de deux heures, la cheminée flamba. Elles étaient retournées à l'armoire, elles avaient vidé les deux autres planches, il ne restait que le bas, le fond, qui semblait bourré d'un pêle-mêle de notes. Grisées par la chaleur de ce feu de joie, essoufflées, en sueur, elles cédaient à une fièvre sauvage de destruction. Elles s'accroupissaient, se noircissaient les mains à repousser les débris mal consumés, si violentes dans leurs gestes, que des mèches de leurs cheveux gris pendaient sur leurs vêtements en désordre. C'était un galop de sorcières, activant un bûcher diabolique, pour quelque abomination, le martyre d'un saint, la pensée écrite brûlée en place publique, tout un monde de vérité et d'espérance détruit. Et la grande clarté, qui, par instants, pâlissait la lampe, embrasait la vaste pièce, faisait danser au plafond leurs ombres démesurées.
Mais, comme elle voulait vider le bas de l'armoire, ayant déjà brûlé, à poignées, le pêle-mêle de notes qui s'entassait là, Félicité eut un cri étranglé de triomphe.
—Ah! les voici!… Au feu! au feu!
Elle venait enfin de tomber sur les dossiers. Tout au fond, derrière le rempart des notes, le docteur avait dissimulé les chemises de papier bleu. Et ce fut alors la folie de la dévastation, une rage qui l'emporta, les dossiers ramassés à pleines mains, lancés dans les flammes, emplissant la cheminée d'un ronflement d'incendie.
—Ils brûlent, ils brûlent!… Enfin, ils brûlent donc!… Martine, encore celui-ci, encore celui-ci…. Ah! quel feu, quel grand feu!
Mais la servante s'inquiétait.
—Madame, prenez garde, vous allez allumer la maison…. Vous n'entendez pas ce grondement?
—Ah! qu'est-ce que ça fait? tout peut bien brûler!… Ils brûlent, ils brûlent, c'est si beau!… Encore trois, encore deux, et le dernier qui brûle!
Elle riait d'aise, hors d'elle, effrayante, lorsque des morceaux de suie enflammée tombèrent. Le ronflement devenait terrible, le feu était dans la cheminée, qu'on ne ramonait jamais. Cela parut encore l'exciter, tandis que la servante, perdant la tête, se mit à crier et à courir autour de la pièce.
Clotilde dormait à côté de Pascal mort, dans le calme souverain de la chambre. Il n'y avait pas eu d'autre bruit que la vibration légère du timbre de la pendule sonnant trois heures. Les cierges brûlaient d'une longue flamme immobile, pas un frisson ne remuait l'air. Et, du fond de son lourd sommeil sans rêve, elle entendit pourtant comme un tumulte, un galop grandissant de cauchemar. Puis, quand elle eut rouvert les yeux, elle ne comprit pas d'abord. Où était-elle? pourquoi ce poids énorme qui écrasait son coeur? La réalité lui revint dans une épouvante: elle revit Pascal, elle entendit les cris de Martine, à côté; et elle se précipita, angoissée, pour savoir.
Mais, dès le seuil, Clotilde saisit toute la scène, d'une netteté sauvage: l'armoire grande ouverte et complètement vide, Martine affolée par la peur du feu, sa grand'mère Félicité radieuse, poussant du pied dans les flammes les derniers fragments des dossiers. Une fumée, une suie volante emplissait la salle, où le grondement de l'incendie mettait comme un râle de meurtre, ce galop dévastateur qu'elle venait d'entendre du fond de son sommeil.
Et le cri qui lui jaillit des lèvres, fut celui que Pascal avait poussé lui-même, la nuit d'orage, lorsqu'il l'avait surprise en train de voler les papiers.
—Voleuses! assassines!
Tout de suite, elle s'était précipitée vers la cheminée; et, malgré le ronflement terrible, malgré les morceaux de suie rouge qui tombaient, au risque de s'incendier les cheveux et de se brûler les mains, elle saisit à poignée les feuilles non consumées encore, elle les éteignit vaillamment, en les serrant contre elle. Mais c'était bien peu de chose, à peine des débris, pas une page complète, pas même des miettes du travail colossal, de l'oeuvre patiente et énorme de toute une vie, que le feu venait de détruire là en deux heures. Et sa colère grandissait, un élan de furieuse indignation.
—Vous êtes des voleuses, des assassines!… C'est un meurtre abominable que vous venez de commettre! Vous avez profané la mort, vous avez tué la pensée, tué le génie!
La vieille madame Rougon ne reculait pas. Elle s'était avancée au contraire, sans remords, la tête haute, défendant l'arrêt de destruction rendu par elle et exécuté.
—C'est à moi que tu parles, à ta grand'mère?… J'ai fait ce que j'ai dû faire, ce que tu voulais faire avec nous autrefois.
—Autrefois, vous m'aviez rendue folle. Mais j'ai vécu, j'ai aimé, j'ai compris…. Puis, c'était un héritage sacré, légué à mon courage, la dernière pensée d'un mort, ce qui restait d'un grand cerveau et que je devais imposer à tous…. Oui, tu es ma grand'mère! et c'est comme si tu venais de brûler ton fils!
—Brûler Pascal, parce que j'ai brûlé ses papiers! cria Félicité. Eh! j'aurais brûlé la ville, pour sauver la gloire de notre famille!
Elle s'avançait toujours, combattante, victorieuse; et Clotilde qui avait posé sur la table les fragments noircis, sauvés par elle, les défendait de son corps, dans la crainte qu'elle ne les rejetât aux flammes. Elle les dédaignait, elle ne s'inquiétait seulement pas du feu de cheminée, qui heureusement s'épuisait de lui-même; pendant que Martine, avec la pelle, étouffait la suie et les dernières flambées des cendres brûlantes.
—Tu sais bien pourtant, continua la vieille femme dont la petite taille semblait grandir, que je n'ai eu qu'une ambition, qu'une passion, la fortune et la royauté des nôtres. J'ai combattu, j'ai veillé toute ma vie, je n'ai vécu si longtemps que pour écarter les vilaines histoires et laisser de nous une légende glorieuse…. Oui, jamais je n'ai désespéré, jamais je n'ai désarmé, prête à profiter des moindres circonstances…. Et tout ce que j'ai voulu, je l'ai fait, parce que j'ai su attendre.
D'un geste large, elle montra l'armoire vide, la cheminée où se mouraient des étincelles.
—Maintenant, c'est fini, notre gloire est sauve, ces abominables papiers ne nous accuseront plus, et je ne laisserai derrière moi aucune menace…. Les Rougon triomphent.
Éperdue, Clotilde levait le bras, comme pour la chasser. Mais elle sortit d'elle-même, elle descendit à la cuisine laver ses mains noires et rattacher ses cheveux. La servante allait la suivre, lorsque, en se retournant, elle vit le geste de sa jeune maîtresse. Elle revint.
—Oh! moi! mademoiselle, je partirai après-demain, lorsque monsieur sera au cimetière.
Il y eut un silence.
—Mais je ne vous renvoie pas, Martine, je sais bien que vous n'êtes pas la plus coupable…. Voici trente ans que vous vivez dans cette maison. Restez, restez avec moi.
La vieille fille hocha sa tête grise, toute pâle et comme usée.
—Non, j'ai servi monsieur, je ne servirai personne après monsieur.
—Mais moi!
Elle leva les yeux, regarda la jeune femme en face, cette fillette aimée qu'elle avait vue grandir.
—Vous, non!
Alors, Clotilde eut un embarras, voulut lui parler de l'enfant qu'elle portait, de cet enfant de son maître, qu'elle consentirait à servir peut-être. Et elle fut devinée, Martine se rappela la conversation qu'elle avait surprise, regarda ce ventre de femme féconde, où la grossesse ne s'indiquait pas encore. Un instant, elle parut réfléchir. Puis, nettement:
—L'enfant, n'est-ce pas?… Non!
Et elle acheva de donner son compte, réglant l'affaire en fille pratique, qui savait le prix de l'argent.
—Puisque j'ai de quoi, je vais aller manger tranquillement mes rentes quelque part…. Vous, mademoiselle, je puis vous quitter, car vous n'êtes pas pauvre. Monsieur Ramond vous expliquera demain comment on a sauvé quatre mille francs de rente, chez le notaire. Voici, en attendant, la clef du secrétaire, où vous retrouverez les cinq mille francs que monsieur y a laissés…. Oh! je sais bien que nous n'aurons pas de difficultés ensemble. Monsieur ne me payait plus depuis trois mois, j'ai des papiers de lui qui en témoignent. En outre, dans ces temps derniers, j'ai avancé à peu près deux cents francs de ma poche, sans qu'il sût d'où l'argent venait. Tout cela est écrit, je suis tranquille, mademoiselle ne me fera pas tort d'un centime…. Après-demain, quand monsieur ne sera plus là, je partirai.
A son tour, elle descendit à la cuisine, et Clotilde, malgré la dévotion aveugle de cette fille qui lui avait fait prêter les mains à un crime, se sentit affreusement triste de cet abandon. Pourtant, comme elle ramassait les débris des dossiers, avant de retourner dans la chambre, elle eut une joie, celle de reconnaître tout d'un coup, sur la table, l'Arbre généalogique, étalé tranquillement et que les deux femmes n'y avaient pas aperçu. C'était la seule épave entière, une relique sainte. Elle le prit, alla l'enfermer dans la commode de la chambre, avec les fragments à demi consumés.
Mais, quand elle se retrouva dans cette chambre auguste, une grande émotion l'envahit. Quel calme souverain, quelle paix immortelle, à côté de la sauvagerie destructive qui avait empli la salle voisine de fumée et de cendre! Une sérénité sacrée tombait de l'ombre, les deux cierges brûlaient, d'une pure flamme immobile, sans un frisson. Et elle vit alors que la face de Pascal était devenue très blanche, dans le flot épandu de la barbe blanche et des cheveux blancs. Il dormait dans de la lumière, auréolé, souverainement beau. Elle se pencha, le baisa encore, sentit à ses lèvres le froid de ce visage de marbre, aux paupières closes, rêvant son rêve d'éternité. Sa douleur fut si grande de n'avoir pu sauver l'oeuvre dont il lui avait laissé la garde, qu'elle tomba à deux genoux, en sanglotant. Le génie venait d'être violé, il lui semblait que le monde allait être détruit, dans cet anéantissement farouche de toute une vie de travail.
XIV
Dans la salle de travail, Clotilde reboutonna son corsage, tenant encore, sur les genoux, son enfant, à qui elle venait de donner le sein. C'était après le déjeuner, vers trois heures, par une éclatante journée de la fin du mois d'août, au ciel de braise; et les volets, soigneusement clos, ne laissaient pénétrer, à travers les fentes, que de minces flèches de soleil, dans l'ombre assoupie et tiède de la vaste pièce. La grande paix oisive du dimanche semblait s'épandre du dehors, avec un vol lointain de cloches, sonnant le dernier coup des vêpres. Pas un bruit ne montait de la maison vide, où la mère et le petit devaient rester seuls jusqu'au dîner, la servante ayant demandé la permission d'aller voir une cousine, dans le faubourg.
Un instant, Clotilde regarda son enfant, un gros garçon de trois mois déjà. Elle était accouchée vers les derniers jours de mai. Depuis dix mois bientôt, elle portait le deuil de Pascal, une simple et longue robe noire, dans laquelle elle était divinement belle, si fine, si élancée, avec son visage d'une jeunesse si triste, nimbé de ses admirables cheveux blonds. Et elle ne pouvait sourire, mais elle éprouvait une douceur à voir le bel enfant, gras et rose, avec sa bouche encore mouillée de lait, et dont le regard avait rencontré une des barres de soleil, où dansaient des poussières. Il semblait très surpris, il ne quittait pas des yeux cet éclat d'or, ce miracle éblouissant de clarté. Puis, le sommeil vint, il laissa retomber, sur le bras de sa mère, sa petite tête ronde et nue, déjà semée de rares cheveux pâles.
Alors, doucement, Clotilde se leva, le posa au fond du berceau, qui se trouvait près de la table. Elle demeura penchée un instant, pour être bien sûre qu'il dormait; et elle rabattit le rideau de mousseline, dans l'ombre crépusculaire. Sans bruit, avec des gestes souples, marchant d'un pas si léger, qu'il effleurait à peine le parquet, elle s'occupa ensuite, rangea du linge qui était sur la table, traversa deux fois la pièce, à la recherche d'un petit chausson égaré. Elle était très silencieuse, très douce et très active. Et, ce jour-là, dans la solitude de la maison, elle songeait, l'année vécue se déroulait.
D'abord, après l'affreuse secousse du convoi, c'était le départ immédiat de Martine, qui s'était obstinée, ne voulant pas même faire ses huit jours, amenant, pour la remplacer, la jeune cousine d'une boulangère du voisinage, une grosse fille brune qui s'était trouvée heureusement assez propre et dévouée. Martine, elle, vivait à Sainte-Marthe, dans un trou perdu, si chichement, qu'elle devait encore faire des économies, sur les rentes de son petit trésor. On ne lui connaissait point d'héritier, à qui profiterait donc cette fureur d'avarice? En dix mois, elle n'avait, pas une seule fois, remis les pieds à la Souleiade: monsieur n'était plus là, elle ne cédait même pas au désir de voir le fils de monsieur.
Puis, dans la songerie de Clotilde, la figure de sa grand'mère Félicité s'évoquait. Celle-ci venait la visiter de temps à autre, avec une condescendance de parente puissante, qui est d'esprit assez large pour pardonner toutes les fautes, quand elles sont cruellement expiées. Elle arrivait à l'improviste, embrassait l'enfant, faisait de la morale, donnait des conseils; et la jeune mère avait pris, vis-à-vis d'elle, l'attitude simplement déférente que Pascal avait gardée toujours. D'ailleurs, Félicité était toute à son triomphe. Elle allait réaliser enfin une idée longtemps caressée, mûrement réfléchie, qui devait consacrer par un monument impérissable la pure gloire de la famille. Cette idée était d'employer sa fortune, devenue considérable, à la construction et à la dotation d'un Asile pour les vieillards, qui s'appellerait l'Asile Rougon. Déjà, elle avait acheté le terrain, une partie de l'ancien Jeu de Mail, en dehors de la ville, près de la gare; et précisément, ce dimanche-là, vers cinq heures, quand la chaleur tomberait un peu, on devait poser la première pierre, une solennité véritable, honorée par la présence des autorités, et dont elle serait la reine applaudie, au milieu d'un concours énorme de population.
Clotilde éprouvait, en outre, quelque reconnaissance pour sa grand'mère, qui venait de montrer un désintéressement parfait, lors de l'ouverture du testament de Pascal. Celui-ci avait institué la jeune femme sa légataire universelle; et la mère, qui gardait son droit à la réserve d'un quart, après s'être déclarée respectueuse des volontés dernières de son fils, avait simplement renoncé à la succession. Elle voulait bien déshériter tous les siens, ne leur léguer que de la gloire, en employant sa grosse fortune à l'érection de cet Asile qui porterait le nom respecté et béni des Rougon aux âges futurs; mais, après avoir été, pendant un demi-siècle, si âpre à la conquête de l'argent, elle le dédaignait à cette heure, épurée dans une ambition plus haute. Et Clotilde, grâce à cette libéralité, n'avait plus d'inquiétude pour l'avenir: les quatre mille francs de rente leur suffiraient, à elle et à son enfant. Elle l'élèverait, elle en ferait un homme. Même elle avait placé, sur la tête du petit, à fonds perdus, les cinq mille francs du secrétaire; et elle possédait encore la Souleiade, que tout le monde lui conseillait de vendre. Sans doute, l'entretien n'en était pas coûteux, mais quelle vie de solitude et de tristesse, dans cette grande maison déserte, beaucoup trop vaste, où elle était comme perdue! Jusque-là, pourtant, elle n'avait pu se décider à la quitter. Peut-être ne s'y déciderait-elle jamais.
Ah! cette Souleiade, tout son amour y était, toute sa vie, tous ses souvenirs! Il lui semblait, par moments, que Pascal y vivait encore, car elle n'y avait rien dérangé de leur existence de jadis. Les meubles étaient aux mêmes places, les heures y sonnaient les mêmes habitudes. Elle n'y avait fermé que sa chambre, à lui, où elle seule entrait, ainsi que dans un sanctuaire, pour pleurer, lorsqu'elle sentait son coeur trop lourd. Dans la chambre où tous deux s'étaient aimés, dans le lit où il était mort, elle se couchait chaque nuit, comme autrefois, lorsqu'elle était jeune fille; et il n'y avait de plus, là, contre ce lit, que le berceau, qu'elle y apportait le soir. C'était toujours la même chambre douce, aux antiques meubles familiers, aux tentures attendries par l'âge, couleur d'aurore, la très vieille chambre que l'enfant rajeunissait de nouveau. Puis, en bas, si elle se trouvait bien seule, bien perdue, à chaque repas, dans la salle à manger claire, elle y entendait les échos des rires, des vigoureux appétits de sa jeunesse, lorsque tous les deux mangeaient et buvaient si gaiement, à la santé de l'existence. Et le jardin aussi, toute la propriété tenait à son être, par les fibres les plus intimes, car elle ne pouvait y faire un pas, sans y évoquer leurs deux images unies l'une à l'autre: sur la terrasse, à l'ombre mince des grands cyprès séculaires, ils avaient si souvent contemplé la vallée de la Viorne, que bornaient les barres rocheuses de la Seille et les coteaux brûlés de Sainte-Marthe! par les gradins de pierres sèches, au travers des oliviers et des amandiers maigres, ils s'étaient tant de fois défiés à grimper lestement, comme des gamins en fuite de l'école! et il y avait encore la pinède, l'ombre chaude et embaumée, où les aiguilles craquaient sous les pas, l'air immense, tapissée d'une herbe moelleuse aux épaules, d'où l'on découvrait le ciel entier, le soir, quand se levaient les étoiles! et il y avait surtout les platanes géants, la paix délicieuse, qu'ils étaient venus goûter là, chaque jour d'été, en écoutant la chanson rafraîchissante de la source, la pure note de cristal qu'elle filait depuis des siècles! Jusqu'aux vieilles pierres de la maison, jusqu'à la terre du sol, il n'était pas un atome, à la Souleiade, où elle ne sentit le battement tiède d'un peu de leur sang, d'un peu de leur vie répandue et mêlée.
Mais elle préférait passer ses journées dans la salle de travail, et c'était là qu'elle revivait ses meilleurs souvenirs. Il ne s'y trouvait aussi qu'un meuble de plus, le berceau. La table du docteur était à sa place, devant la fenêtre de gauche: il aurait pu entrer et s'asseoir, car la chaise n'avait pas même été bougée. Sur la longue table du milieu, parmi l'ancien entassement des livres et des brochures, il n'y avait de nouveau que la note claire des petits linges d'enfant, qu'elle était en train de visiter. Les corps de bibliothèque montraient les mêmes rangées de volumes, la grande armoire de chêne semblait garder dans ses flancs le même trésor, solidement close. Sous le plafond enfumé, la bonne odeur de travail flottait toujours, parmi la débandade des sièges, le désordre amical de cet atelier en commun, où ils avaient si longtemps mis les caprices de la jeune fille et les recherches du savant. Et, surtout, ce qui la touchait aujourd'hui, c'était de revoir ses anciens pastels, cloués aux murs, les copies qu'elle avait faites de fleurs vivantes, minutieusement copiées, puis les imaginations envolées en plein pays chimérique, les fleurs de rêve dont la fantaisie folle l'emportait parfois.
Clotilde achevait de ranger les petits linges sur la table, lorsque, précisément, son regard, en se levant, rencontra devant elle le pastel du vieux roi David, la main posée sur l'épaule nue d'Abisaïg, la jeune Sunamite. Et elle qui ne riait plus, sentit une joie lui monter à la face, dans l'heureux attendrissement qu'elle éprouvait. Comme ils s'aimaient, comme ils rêvaient d'éternité, le jour où elle s'était amusée à ce symbole, orgueilleux et tendre! Le vieux roi, vêtu somptueusement d'une robe toute droite, lourde de pierreries, portait le bandeau royal sur ses cheveux de neige; et elle était plus somptueuse encore, rien qu'avec la soie liliale de sa peau, sa taille mince et allongée, sa gorge ronde et menue, ses bras souples, d'une grâce divine. Maintenant, il s'en était allé, il dormait sous la terre, tandis qu'elle, habillée de noir, toute noire, ne montrant rien de sa nudité triomphante, n'avait plus que l'enfant pour exprimer le don tranquille, absolu qu'elle avait fait de sa personne, devant le peuple assemblé, à la pleine lumière du jour.
Doucement, Clotilde finit par s'asseoir près du berceau. Les flèches de soleil s'allongeaient d'un bout de la pièce à l'autre, la chaleur de l'ardente journée s'alourdissait, parmi l'ombre assoupie des volets clos; et le silence de la maison semblait s'être élargi encore. Elle avait mis à part des petites brassières, elle recousait des cordons, d'une aiguille lente, peu à peu prise d'une songerie, au milieu de cette grande paix chaude qui l'enveloppait, dans l'incendie du dehors. Sa pensée, d'abord, retourna à ses pastels, les exacts et les chimériques, et elle se disait maintenant que toute sa dualité se trouvait dans cette passion de vérité qui la tenait parfois des heures entières devant une fleur, pour la copier avec précision, puis dans son besoin d'au delà qui, d'autres fois, la jetait hors du réel, l'emportait en rêves fous, au paradis des fleurs incréées. Elle avait toujours été ainsi, elle sentait qu'au fond elle restait aujourd'hui ce qu'elle était la veille, sous le flot de vie nouveau qui la transformait sans cesse. Et sa pensée, alors, sauta à la gratitude profonde qu'elle gardait à Pascal de l'avoir faite ce qu'elle était. Jadis, lorsque, toute petite, l'enlevant à un milieu exécrable, il l'avait prise avec lui, il avait sûrement cédé à son bon coeur, mais sans doute aussi était-il désireux de tenter sur elle l'expérience de savoir comment elle pousserait dans un milieu autre, tout de vérité et de tendresse. C'était, chez lui, une préoccupation constante, une théorie ancienne, qu'il aurait voulu expérimenter en grand: la culture par le milieu, la guérison même, l'être amélioré et sauvé, au physique et au moral. Elle lui devait certainement le meilleur de son être, elle devinait la fantasque et la violente qu'elle aurait pu devenir, tandis qu'il ne lui avait donné que de la passion et du courage. Dans cette floraison, au libre soleil, la vie avait même fini par les jeter aux bras l'un de l'autre, et n'était-ce pas comme l'effort dernier de la bonté et de la joie, l'enfant qui était venu et qui les aurait réjouis ensemble, si la mort ne les avait point séparés?
Dans ce retour en arrière, elle eut la sensation nette du long travail qui s'était opéré en elle. Pascal corrigeait son hérédité, et elle revivait la lente évolution, la lutte entre la réelle et la chimérique. Cela partait de ses colères, d'enfant, d'un ferment de révolte, d'un déséquilibre qui la jetait aux pires rêveries. Puis venaient ses grands accès de dévotion, son besoin d'illusion et de mensonge, de bonheur immédiat, à la pensée que les inégalités et les injustices de cette terre mauvaise devaient être compensées par les éternelles joies d'un paradis futur. C'était l'époque de ses combats avec Pascal, des tourments dont elle l'avait torturé, en rêvant d'assassiner son génie. Et elle tournait, à ce coude de la route, elle le retrouvait son maître, la conquérant par la terrible leçon de vie qu'il lui avait donnée, pendant la nuit d'orage. Depuis, le milieu avait agi, l'évolution s'était précipitée: elle finissait par être la pondérée, la raisonnable, acceptant de vivre l'existence comme il fallait la vivre, avec l'espoir que la somme du travail humain libérerait un jour le monde du mal et de la douleur. Elle avait aimé, elle était mère, et elle comprenait.
Brusquement, elle se rappela l'autre nuit, celle qu'ils avaient passée sur l'aire. Elle entendait encore sa lamentation sous les étoiles: la nature atroce, l'humanité abominable, et la faillite de la science, et la nécessité de se perdre en Dieu, dans le mystère. En dehors de l'anéantissement, il n'y avait pas de bonheur durable. Puis, elle l'entendait, lui, reprendre son credo, le progrès de la raison par la science, l'unique bienfait possible des vérités lentement acquises, à jamais, la croyance que la somme de ces vérités, augmentées toujours, doit finir par donner à l'homme un pouvoir incalculable, et la sérénité, sinon le bonheur. Tout se résumait dans la foi ardente en la vie. Comme il le disait, il fallait marcher avec la vie qui marchait toujours. Aucune halte n'était à espérer, aucune paix dans l'immobilité de l'ignorance, aucun soulagement dans les retours en arrière. Il fallait avoir l'esprit ferme, la modestie de se dire que la seule récompense de la vie est de l'avoir vécue bravement, en accomplissant la tâche qu'elle impose. Alors, le mal n'était plus qu'un accident encore inexpliqué, l'humanité apparaissait, de très haut, comme un immense mécanisme en fonction, travaillant au perpétuel devenir. Pourquoi l'ouvrier qui disparaissait, ayant terminé sa journée, aurait-il maudit l'oeuvre, parce qu'il ne pouvait en voir ni en juger la fin? Même, s'il ne devait pas y avoir de fin, pourquoi ne pas goûter la joie de l'action, l'air vif de la marche, la douceur du sommeil après une longue fatigue? Les enfants continueront la besogne des pères, ils ne naissent et on ne les aime que pour cela, pour cette tâche de la vie qu'on leur transmet, qu'ils transmettront à leur tour. Et il n'y avait plus, dès ce moment, que la résignation vaillante au grand labeur commun, sans la révolte du moi qui exige un bonheur à lui, absolu.
Elle s'interrogea, elle n'éprouva pas la détresse qui l'angoissait, jadis, lorsqu'elle songeait au lendemain de la mort. Cette préoccupation de l'au delà ne la hantait plus jusqu'à la torture. Autrefois, elle aurait voulu arracher violemment du ciel le secret de la destinée. C'était, en elle, une infinie tristesse d'être, sans savoir pourquoi elle était. Que venait-on faire sur la terre? quel était le sens de cette existence exécrable, sans égalité, sans justice, qui lui apparaissait comme le cauchemar d'une nuit de délire? Et son frisson s'était calmé, elle pouvait songer à ces choses, courageusement. Peut-être était-ce l'enfant, cette continuation d'elle-même, qui lui cachait désormais l'horreur de sa fin. Mais il y avait aussi là beaucoup de l'équilibre où elle vivait, cette pensée qu'il fallait vivre pour l'effort de vivre, et que la seule paix possible, en ce monde, était dans la joie de cet effort accompli. Elle se répétait une parole du docteur qui disait souvent, lorsqu'il voyait un paysan rentrer, l'air paisible, après sa journée faite: «En voilà un que la querelle de l'au delà n'empêchera pas de dormir.» Il voulait dire que cette querelle ne s'égare et ne se pervertit que dans le cerveau enfiévré des oisifs. Si tous faisaient leur tâche, tous dormiraient tranquillement. Elle-même avait senti cette toute-puissance bienfaitrice du travail, au milieu de ses souffrances et de ses deuils. Depuis qu'il lui avait appris l'emploi de chacune de ses heures, depuis surtout qu'elle était mère, sans cesse occupée de son enfant, elle ne sentait plus le frisson de l'inconnu lui passer sur la nuque, en un petit souffle glacé. Elle écartait sans lutte les rêveries inquiétantes; et, si une crainte la troublait encore, si une des amertumes quotidiennes lui noyait le coeur de nausées, elle trouvait un réconfort, une force de résistance invincible, dans cette pensée que son enfant avait un jour de plus, ce jour-là, qu'il en aurait un autre de plus, le lendemain, que jour à jour, page à page, son oeuvre vivante s'achevait. Cela la reposait délicieusement de toutes les misères. Elle avait une fonction, un but, et elle le sentait bien à sa sérénité heureuse, elle faisait sûrement ce qu'elle était venue faire.
Cependant, à cette minute même, elle comprit que la chimérique n'était pas morte tout entière en elle. Un léger bruit venait de voler dans le profond silence, et elle avait levé la tête; quel était le médiateur divin qui passait? peut-être le cher mort qu'elle pleurait et qu'elle croyait deviner à son entour. Toujours, elle devait rester un peu l'enfant croyante d'autrefois, curieuse du mystère, ayant le besoin instinctif de l'inconnu. Elle avait fait la part de ce besoin, elle l'expliquait même scientifiquement. Si loin que la science recule les bornes des connaissances humaines, il est un point sans doute qu'elle ne franchira pas; et c'était là, précisément, que Pascal plaçait l'unique intérêt à vivre, dans le désir qu'on avait de savoir sans cesse davantage. Elle, dès lors, admettait les forces ignorées où le monde baigne, un immense domaine obscur, dix fois plus large que le domaine conquis déjà, un infini inexploré à travers lequel l'humanité future monterait sans fin. Certes, c'était là un champ assez vaste, pour que l'imagination pût s'y perdre. Aux heures de songerie, elle y contentait la soif impérieuse que l'être semble avoir de l'au delà, une nécessité d'échapper au monde visible, de contenter l'illusion de l'absolue justice et du bonheur à venir. Ce qui lui restait de son tourment de jadis, ses envolées dernières s'y apaisaient, puisque l'humanité souffrante ne peut vivre sans la consolation du mensonge. Mais tout se fondait heureusement en elle. A ce tournant d'une époque surmenée de science, inquiète des ruines qu'elle avait faites, prise d'effroi devant le siècle nouveau, avec l'envie affolée de ne pas aller plus loin et de se rejeter en arrière, elle filait l'heureux équilibre, la passion du vrai élargie par le souci de l'inconnu. Si les savants sectaires fermaient l'horizon pour s'en tenir strictement aux phénomènes, il lui était permis, à elle, bonne créature simple, de faire la part de ce qu'elle ne savait pas, de ce qu'elle ne saurait jamais. Et, si le credo de Pascal était la conclusion logique de toute l'oeuvre, l'éternelle question de l'au delà qu'elle continuait quand même à poser au ciel, rouvrait la porte de l'infini, devant l'humanité en marche. Puisque toujours il faudra apprendre, en se résignant à ne jamais tout connaître, n'était-ce pas vouloir le mouvement, la vie elle-même, que de réserver le mystère, un éternel doute et un éternel espoir?
Un nouveau bruit, une aile qui passa, l'effleurement d'un baiser sur ses cheveux, la fit sourire cette fois. Il était sûrement là. Et tout en elle aboutissait à une tendresse immense, venue de partout, noyant son être. Comme il était bon et gai, et quel amour des autres lui donnait sa passion de la vie! Lui-même peut-être n'était qu'un rêveur, car il avait fait le plus beau des rêves, cette croyance finale à un monde supérieur, quand la science aurait investi l'homme d'un pouvoir incalculable: tout accepter, tout employer au bonheur, tout savoir et tout prévoir, réduire la nature à n'être qu'une servante, vivre dans la tranquillité de l'intelligence satisfaite! En attendant, le travail voulu et réglé suffisait à la bonne santé de tous. Peut-être la souffrance serait-elle utilisée un jour. Et, en face du labeur énorme, devant cette somme des vivants, des méchants et des bons, admirables quand même de courage et de besogne, elle ne voyait plus qu'une humanité fraternelle, elle n'avait plus qu'une indulgence sans bornes, une infinie pitié et une charité ardente. L'amour, comme le soleil, baigne la terre, et la bonté est le grand fleuve où boivent tous les coeurs.
Clotilde, depuis deux heures bientôt, tirait son aiguille, du même mouvement régulier, pendant que sa rêverie s'égarait. Mais les cordons des petites brassières étaient recousus, elle avait aussi marqué des couches neuves, achetées la veille. Et elle se leva, ayant fini sa couture, voulant ranger ce linge. Au dehors, le soleil baissait, les flèches d'or n'entraient plus que très minces et obliques, par les fentes. Elle voyait à peine clair, elle dut aller ouvrir un volet; puis, elle s'oublia un instant, devant le vaste horizon, brusquement déroulé. La grosse chaleur tombait, un vent léger soufflait dans l'admirable ciel, d'un bleu sans tache. A gauche, on distinguait jusqu'aux moindres touffes de pins, parmi les écroulements sanglants des rochers de la Seille; tandis que, vers la droite, après les coteaux de Sainte-Marthe, la vallée de la Viorne s'étalait à l'infini, dans le poudroiement d'or du couchant. Elle regarda un instant la lourde Saint-Saturnin, toute en or elle aussi, dominant la ville rose; et elle se retirait, lorsqu'un spectacle la ramena, la retint, accoudée, longtemps encore.
C'était, au delà de la ligne du chemin de fer, un grouillement de foule, qui se pressait dans l'ancien Jeu de Mail. Clotilde se rappela aussitôt la cérémonie, et elle comprit que sa grand'mère Félicité allait poser la première pierre de l'Asile Rougon, le monument victorieux, destiné à porter la gloire de la famille aux âges futurs. Des préparatifs énormes étaient faits depuis huit jours, on parlait d'une auge et d'une truelle en argent, dont la vieille dame devait se servir en personne, ayant tenu à figurer, à triompher, avec ses quatre-vingt-deux ans. Ce qui la gonflait d'un orgueil royal, c'était qu'elle achevait la conquête de Plassans pour la troisième fois, en cette circonstance; car elle forçait la ville entière, les trois quartiers à se ranger autour d'elle, à lui faire escorte et à l'acclamer, comme une bienfaitrice. Il devait y avoir, en effet, des dames patronnesses, choisies parmi les plus nobles du quartier Saint-Marc, une délégation des sociétés ouvrières du vieux quartier, enfin les habitants les mieux connus de la ville neuve, des avocats, des notaires, des médecins, sans compter le petit peuple, un flot de gens endimanchés, se ruant là, ainsi qu'à une fête. Et, au milieu de ce triomphe suprême, elle était peut-être plus orgueilleuse encore, elle, une des reines du second empire, la veuve qui portait si dignement le deuil du régime déchu, d'avoir vaincu la jeune république, en l'obligeant, dans la personne du sous-préfet, à la venir saluer et remercier. Il n'avait d'abord été question que d'un discours du maire; mais il était certain, depuis la veille, que le sous-préfet, lui aussi, parlerait. De si loin, Clotilde ne distinguait qu'un tumulte de redingotes noires et de toilettes claires, sous l'éclatant soleil. Puis, il y eut un bruit perdu de musique, la musique des amateurs de la ville, dont le vent, par instants, lui apportait les sonorités de cuivre.
Elle quitta la fenêtre, elle vint ouvrir la grande armoire de chêne, pour y serrer son travail, resté sur la table. C'était dans cette armoire, si pleine autrefois des manuscrits du docteur, et vide aujourd'hui, qu'elle avait rangé la layette de l'enfant. Elle semblait sans fond, immense, béante; et, sur les planches nues et vastes, il n'y avait plus que les langes délicats, les petites brassières, les petits bonnets, les petits chaussons, les tas de couches, toute cette lingerie fine, cette plume légère d'oiseau encore au nid. Où tant d'idées avaient dormi en tas, où s'était accumulé pendant trente années l'obstiné labeur d'un homme, dans un débordement de paperasses, il ne restait que le lin d'un petit être, à peine des vêtements, les premiers linges qui le protégeaient pour une heure, et dont il ne pourrait bientôt plus se servir. L'immensité de l'antique armoire en paraissait égayée et toute rafraîchie.
Lorsque Clotilde eut rangé sur une planche les couches et les brassières, elle aperçut, dans une grande enveloppe, les débris des dossiers qu'elle avait remis là, après les avoir sauvés du feu. Et elle se souvint d'une prière que le docteur Ramond était venu lui adresser la veille encore: celle de regarder si, parmi ces débris, il ne restait aucun fragment de quelque importance, ayant un intérêt scientifique. Il était désespéré de la perte des manuscrits inestimables que lui avait légués le maître. Tout de suite après la mort, il s'était bien efforcé de rédiger l'entretien suprême qu'il avait eu, cet ensemble de vastes théories exposées par le moribond avec une sérénité si héroïque; mais il ne retrouvait que des résumés sommaires, il lui aurait fallu les études complètes, les observations faites au jour le jour, les résultats acquis et les lois formulées. La perte demeurait irréparable, c'était une besogne à recommencer, et il se lamentait de n'avoir que des indications, il disait qu'il y aurait là, pour la science, un retard de vingt ans au moins, avant qu'on reprît et qu'on utilisât les idées du pionnier solitaire, dont une catastrophe sauvage et imbécile avait détruit les travaux.
L'Arbre généalogique, le seul document intact, était joint à l'enveloppe, et Clotilde apporta le tout sur la table, près du berceau. Quand elle eut sorti les débris un à un, elle constata, ce dont elle était déjà à peu près certaine, que pas une page entière de manuscrit ne restait, pas une note complète ayant un sens. Il n'existait que des fragments, des bouts de papier à demi brûlés et noircis, sans lien, sans suite. Mais, pour elle, à mesure qu'elle les examinait, un intérêt se levait de ces phrases incomplètes, de ces mots à moitié mangés par le feu, où tout autre n'aurait rien compris. Elle se souvenait de la nuit d'orage, les phrases se complétaient, un commencement de mot évoquait les personnages, les histoires. Ce fut ainsi que le nom de Maxime tomba sous ses yeux; et elle revit l'existence de ce frère qui lui était resté étranger, dont la mort, deux mois plus tôt, l'avait laissée presque indifférente. Ensuite, une ligne tronquée contenant le nom de son père, lui causa un malaise; car elle croyait savoir que celui-ci avait mis dans sa poche la fortune et l'hôtel de son fils, grâce à la nièce de son coiffeur, cette Rose si candide, payée d'un tant pour cent généreux. Puis, elle rencontra encore d'autres noms, celui de son oncle Eugène, l'ancien vice-empereur, ensommeillé à cette heure, celui de son cousin Serge, le curé de Saint-Eutrope, qu'on lui avait dit phtisique et mourant, la veille. Et chaque débris s'animait, la famille exécrable et fraternelle renaissait de ces miettes, de ces cendres noires où ne couraient plus que des syllabes incohérentes.
Alors, Clotilde eut la curiosité de déplier et d'étaler sur la table l'Arbre généalogique. Une émotion l'avait gagnée, elle était tout attendrie par ces reliques; et, lorsqu'elle relut les notes ajoutées au crayon par Pascal, quelques minutes avant d'expirer, des larmes lui vinrent aux yeux. Avec quelle bravoure il avait inscrit la date de sa mort! et comme on sentait son regret désespéré de la vie, dans les mots tremblés annonçant la naissance de l'enfant! L'Arbre montait, ramifiait ses branches, épanouissait ses feuilles, et elle s'oubliait longuement à le contempler, à se dire que toute l'oeuvre du maître était là, toute cette végétation classée et documentée de leur famille. Elle entendait les paroles dont il commentait chaque cas héréditaire, elle se rappelait ses leçons. Mais les enfants surtout l'intéressaient. Le confrère auquel le docteur avait écrit à Nouméa, pour obtenir des renseignements sur l'enfant né d'un mariage d'Étienne, au bagne, s'était décidé à répondre; seulement, il ne disait que le sexe, une fille, et qui paraissait bien portante. Octave Mouret avait failli perdre la sienne, très frêle, tandis que son petit garçon continuait à être superbe. D'ailleurs, le coin de belle santé vigoureuse, de fécondité extraordinaire, était toujours à Valqueyras, dans la maison de Jean, dont la femme, en trois années, avait eu deux enfants, et était grosse d'un troisième. La nichée poussait gaillardement au grand soleil, en pleine terre grasse, pendant que le père labourait, et que la mère, au logis, faisait bravement la soupe et torchait les mioches. Il y avait là assez de sève nouvelle et de travail, pour refaire un monde. Clotilde, à ce moment, crut entendre le cri de Pascal: «Ah! notre famille, que va-t-elle devenir, à quel être aboutira-t-elle enfin?» Et elle-même retombait à une rêverie, devant l'Arbre prolongeant dans l'avenir ses derniers rameaux. Qui savait d'où naîtrait la branche saine? Peut-être le sage, le puissant attendu germerait-il là.
Un léger cri tira Clotilde de ses réflexions. La mousseline du berceau semblait s'animer d'un souffle, c'était l'enfant qui, réveillé, appelait et s'agitait. Tout de suite, elle le reprit, l'éleva gaiement en l'air, pour qu'il baignât dans la lumière dorée du couchant. Mais il n'était point sensible à cette fin d'un beau jour; ses petits yeux vagues se détournaient du vaste ciel, pendant qu'il ouvrait tout grand son bec rose d'oiseau sans cesse affamé. Et il pleurait si fort, il avait un réveil si goulu, qu'elle se décida à lui redonner le sein. Du reste, c'était son heure, il y avait trois heures qu'il n'avait tété.
Clotilde revint s'asseoir, près de la table. Elle l'avait posé sur ses genoux, où il n'était guère sage, criant plus fort, s'impatientant; et elle le regardait avec un sourire, tandis qu'elle dégrafait sa robe. La gorge apparut, la gorge menue et ronde, que le lait avait gonflée à peine. Une légère auréole de bistre avait seulement fleuri le bout du sein, dans la blancheur délicate de cette nudité de femme, divinement élancée et jeune. Déjà, l'enfant sentait, se soulevait, tâtonnait des lèvres. Quand elle lui eut posé la bouche, il eut un petit grondement de satisfaction, il se rua tout en elle, avec le bel appétit vorace d'un monsieur qui voulait vivre. Il tétait à pleine gencives, avidement. D'abord, de sa petite main libre, il avait saisi le sein à poignée, comme pour le marquer de sa possession, le défendre et le garder. Puis, dans la joie du ruissellement tiède dont il avait plein la gorge, il s'était mis à lever son petit bras en l'air, tout droit, ainsi qu'un drapeau. Et Clotilde gardait son inconscient sourire, à le voir, si vigoureux, se nourrir d'elle. Les premières semaines, elle avait beaucoup souffert d'une crevasse; maintenant encore, le sein restait sensible; mais elle souriait quand même, de cet air paisible des mères heureuses de donner leur lait, comme elles donneraient leur sang.
Quand elle avait dégrafé son corsage, et que sa gorge, sa nudité de mère s'était montrée, un autre mystère d'elle, un de ses secrets les plus cachés et les plus délicieux, était apparu: le fin collier aux sept perles, les les étoiles laiteuses que le maître avait mises à son cou, un jour de misère, dans sa folie passionnée du don. Depuis qu'il était là, personne ne l'avait plus revu. Il faisait comme partie de sa pudeur, il était de sa chair, si simple, si enfantin. Et, tout le temps que l'enfant tétait, elle seule le revoyait, attendrie, revivant le souvenir des baisers dont il semblait avoir gardé l'odeur tiède.
Une bouffée de musique, au loin, étonna Clotilde. Elle tourna la tête, regarda vers la campagne, toute blonde et dorée par le soleil oblique. Ah! oui, cette cérémonie, cette pierre que l'on posait, là-bas! Et elle ramena les yeux sur l'enfant, elle s'absorba de nouveau dans le plaisir de lui voir un si bel appétit. Elle avait attiré un petit banc pour relever l'un de ses genoux, elle s'était appuyée d'une épaule contre la table, à côté de l'Arbre et des fragments noircis des dossiers. Sa pensée flottait, allait à une douceur divine, tandis qu'elle sentait le meilleur d'elle-même, ce lait pur, couler à petit bruit, faire de plus en plus sien le cher être sorti de son flanc. L'enfant était venu, le rédempteur peut-être. Les cloches avaient sonné, les rois mages s'étaient mis en route, suivis des populations, de toute la nature en fête, souriant au petit dans ses langes. Elle, la mère, pendant qu'il buvait sa vie, rêvait déjà d'avenir. Que serait-il, quand elle l'aurait fait grand et fort, en se donnant toute? Un savant qui enseignerait au monde un peu de la vérité éternelle, un capitaine qui apporterait de la gloire à son pays, ou mieux encore un de ces pasteurs de peuple qui apaisent les passions et font régner la justice? Elle le voyait très beau, très bon, très puissant. Et c'était le rêve de toutes les mères, la certitude d'être accouchée du messie attendu; et il y avait là, dans cet espoir, dans cette croyance obstinée de chaque mère au triomphe certain de son enfant, l'espoir même qui fait la vie, la croyance qui donne à l'humanité la force sans cesse renaissante de vivre encore.
Quel serait-il, l'enfant? Elle le regardait, elle tâchait de lui trouver des ressemblances. De son père, certes, il avait le front et les yeux, quelque chose de haut et de solide dans la carrure de la tête. Elle-même se reconnaissait en lui, avec sa bouche fine et son menton délicat. Puis, sourdement inquiète, c'étaient les autres qu'elle cherchait, les terribles ascendants, tous ceux qui étaient là, inscrits sur l'Arbre, déroulant la poussée des feuilles héréditaires. Était-ce donc à celui-ci, à celui-là, ou à cet autre encore, qu'il ressemblerait? Et elle se calmait pourtant, elle ne pouvait pas ne pas espérer, tellement son coeur était gonflé de l'éternelle espérance. La foi en la vie que le maître avait enracinée en elle, la tenait brave, debout, inébranlable. Qu'importaient les misères, les souffrances, les abominations! la santé était dans l'universel travail, dans la puissance qui féconde et qui enfante. L'oeuvre était bonne, quand il y avait l'enfant, au bout de l'amour. Dès lors, l'espoir se rouvrait, malgré les plaies étalées, le noir tableau des hontes humaines. C'était la vie perpétuée, tentée encore, la vie qu'on ne se lasse pas de croire bonne, puisqu'on la vit avec tant d'acharnement, au milieu de l'injustice et de la douleur.
Clotilde avait eu un regard involontaire sur l'Arbre des ancêtres, déployé près d'elle. Oui! la menace était là, tant de crimes, tant de boue, parmi tant de larmes et tant de bonté souffrante! Un si extraordinaire mélange de l'excellent et du pire, une humanité en raccourci, avec toutes ses tares et toutes ses luttes! C'était à se demander si, d'un coup de foudre, il n'aurait pas mieux valu balayer, cette fourmilière gâtée et misérable. Et, après tant de Rougon terribles, après tant de Macquart abominables, il en naissait encore un, la vie ne craignait pas d'en créer un de plus, dans le défi brave de son éternité. Elle poursuivait son oeuvre, se propageait selon ses lois, indifférente aux hypothèses, en marche pour son labeur infini. Au risque de faire des monstres, il fallait bien qu'elle créât, puisque, malgré les malades et les fous qu'elle crée, elle ne se lasse pas de créer, avec l'espoir sans doute que les bien portants et les anges viendront un jour. La vie, la vie qui coule en torrent, qui continue et recommence, vers l'achèvement ignoré! la vie où nous baignons, la vie aux courants infinis et contraires, toujours mouvante et immense, comme une mer sans bornes!
Un élan de ferveur maternelle monta du coeur de Clotilde, heureuse de sentir la petite bouche vorace la boire sans fin. C'était une prière, une invocation. A l'enfant inconnu, comme au dieu inconnu! A l'enfant qui allait être demain, au génie qui naissait peut-être, au messie que le prochain siècle attendait, qui tirerait les peuples de leur doute et de leur souffrance! Puisque la nation était à refaire, celui-ci ne venait-il pas pour cette besogne? Il reprendrait l'expérience, relèverait les murs, rendrait une certitude aux hommes tâtonnants, bâtirait la cité de justice, où l'unique loi du travail assurerait le bonheur. Dans les temps troublés, on doit attendre les prophètes. A moins qu'il ne fût l'Antéchrist, le démon dévastateur, la bête annoncée qui purgerait la terre de l'impureté devenue trop vaste. Et la vie continuerait malgré tout, il faudrait seulement patienter des milliers d'années encore, avant que paraisse l'autre enfant inconnu, le bienfaiteur.
Mais l'enfant avait épuisé le sein droit; et, comme il se fâchait, Clotilde le retourna, lui donna le sein gauche. Puis, elle se remit à sourire, sous la caresse des petites gencives gloutonnes. Quand même, elle était l'espérance. Une mère qui allaite, n'est-ce pas l'image du monde continué et sauvé? Elle s'était penchée, elle avait rencontré ses yeux limpides, qui s'ouvraient ravis, désireux de la lumière. Que disait-il, le petit être, pour qu'elle sentît battre son coeur, sous le sein qu'il épuisait? Quelle bonne parole annonçait-il, avec la légère succion de sa bouche? A quelle cause donnerait-il son sang, lorsqu'il serait un homme, fort de tout ce lait qu'il aurait bu? Peut-être ne disait-il rien, peut-être mentait-il déjà, et elle était si heureuse pourtant, si pleine d'une absolue confiance en lui!
De nouveau, les cuivres lointains éclatèrent en fanfares. Ce devait être l'apothéose, la minute où la grand'mère Félicité, avec sa truelle d'argent, posait la première pierre du monument élevé à la gloire des Rougon. Le grand ciel bleu, que réjouissaient les gaietés du dimanche, était en fête. Et, dans le tiède silence, dans la paix solitaire de la salle de travail, Clotilde souriait à l'enfant, qui tétait toujours, son petit bras en l'air, tout droit, dressé comme un drapeau d'appel à la vie.
FIN
ARBRE GÉNÉALOGIQUE DES ROUGON-MACQUART
+—————————————-+ | Charles Rougon, dit | | Saccard: | | | | né en 1857; meurt d'une | |hémorragie nasale, en 1873 | |[Hérédité en retour sautant| | trois générations. | +—————————————-+ | Ressemblance morale et | | L'Enfant inconnu: | |physique d'Adélaïde Fouque.| | | | Dernière expression de | | à naître en 1874. | | l'épuisement d'une race]. | | Quel sera-t-il? | +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ ##### #### |Louis Coupeau, dit Louiset:| +—————————————-+ #### | | |Maxime Rougon, dit Saccard:| #### +—————————————-+ |né en 1867; meurt en 1870, | | | #### | Jacques-Louis Lantier: | | de la petite vérole | | né en 1840; a un fils, en | +—————————————-+ | né en 1860, hydrocéphale, | | [Election de la mère, | | 1857, d'une servante, | | Clotilde Rougon, dite | | meurt en 1869 [Election | |ressemblance physique de la| |Justine Mégot, chlorotique,| | Saccard: | | du père. Ressemblance | | mère]. | |fille d'alcoolique; épouse,| | | | physique du père]. | +—————————————-+ |en 1863, Louise de Mareuil,| |née en 1847; a, en 1874, de| +—————————————-+ #### |qu'il perd la même année et| | son oncle Pascal, un fils | ### #### |dont il n'a pas d'enfants' | | [Election de la mère. | ### +—————————————-+ | meurt ataxique, en 1873. | | Hérédité en retour avec | +—————————————-+ | Anna Coupeau, dite Nana: | | [Mélange dissémination. | | prédominance morale et | +—————————————-+ | Claude Lantier: | | | |Prédominance morale du père| |physique de son grand-père | |Victor Rougon, dit Saccard:| | | | née en 1852, a, d'un | |et ressemblance physique de| | maternel, le commandant | | né en 1853. [Mélange | +—————————————-+ |né en 1842; épouse,en 1865,| | cousin, un enfant, Louis, | |la mère]. Oisif, mangeur de| | Sicardot]. Vit encore, à | | soudure. Ressemblance | | Octave Mouret: | |Christine Hallegrain, dont | | en 1867, et le perd en | | fortunes faites. | | Plassans. | |physique du père]. Disparu.| | | |le père était paraplégique,| |1870; meurt elle-même de la| +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ | né en 1840; épouse, en | |maîtresse avec laquelle il | +—————————————-+ | petite vérole, quelques | ##### #### ##### |1865, Madame Hédouin, qu'il| +—————————————-+ |vit depuis six ans et dont | +—————————————-+ | Étienne Lantier: | | jours plus tard. [Mélange | ##### #### ##### | perd la même année; se | | Jeanne Grandjean: | |il a un fils Jacques, âgé | | Jacques Lantier: | | | | soudure. Prédominance | ##### #### ##### | remarie en 1869, avec | | | |de cinq ans; perd ce fils, | | | | né en 1846. [Mélange | | morale du père. | ##### #### ##### | Denise Baudu, saine et | +—————————————-+ |née en 1842; meurt en 1855,| |en 1869, et lui-même se | |né en 1844, meurt en 1870, | |dissémination. Ressemblance| |Ressemblance physique, par | ##### #### ##### +—————————————-+ |équilibrée, dont il a deux | | Serge Mouret: | | à la suite d'accidents | |pend, en 1870 [Mélange | |d'accident. [Election de la| | physique de la mère, puis | |influence, avec le premier | ####### #### ##### | Angélique Rougon: | | enfants, une fille et un | | | | nerveux. [Hérédité en | |fusion. Prédominance morale| |mère. Ressemblance physique| | du père]. Mineur. Vit | |amant de sa mère, Lantier. | # +—————————————-+ | | |garçon, trop jeunes encore | | né en 1841 [Mélange | +—————————————-+ | retour, sautant deux | |et ressemblance p hysique | | du père. Hérédité de | |encore, à Nouméa, déporté. | |Hérédité de l'alcoolisme se| | Aristide Rougon, dit | | née en 1851; épouse, en | | pour être classés. | |dissémination. Ressemblance| | Désirée Mouret: | | générations. Ressemblance | +—————————————-+ |de la mère. Hérédité d'une | |l'alcoolisme se tournant en| |Marié là-bas, dit-on, et a | | tournant en perversion | | Saccard: | | 1869, Félicien de | | [Election du père. | | morale et physique de la | | | | physique et morale | | Pauline Quenu: | |névrose se tournant en | | folie homicide. Etat de | | des enfants, peu-être, | |morale et physique. Etat de| | | | Hautecoeur, et meurt le | | Ressemblance physique de | | mère. Cerveau du père | |née en 1844 [Election de la| | d'Adélaïde Fouque]. | | | |génie]. Peintre. | | crime]. Mécanicien. | | qu'on ne peut classer. | | vice]. | | né en 1815; épouse, en | |même jour, d'un mal qui n'a| | son oncle Eugène Rougon; | | troublé par l'influence | |mère. Ressemblance physique| +—————————————-+ | née en 1852; ne s'est pas | +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ | 1836, Angèle Sicardot, | |pu être constaté. [Innéité.| | hérédité indirecte]. | | morbide de la mère. | |de la mère. Hérédité d'une | #### |mariée. [Mélange équilibre.| ###### ###### ###### ####### | calme et rêveuse, fille | |Aucune ressemblance avec la| |Fondateur et directeur des | | Hérédité d'une névrose se | | névrose se tournant en | #### | Ressemblance physique et | ###### ##### ##### ###### | d'un Commandant; en a un | |mère et son ascendance. Du | |grands magasins Au Bonheur | | tournant en mysticisme]. | |imbécillité]. Vit encore à | #### | morale du père et de la | ###### ##### ##### ###### |fils en 1840, et une fille | |côté du père, les documents| | des Dames. Vit encore à | |Prêtre. Vit encore, curé de| | St.-Eutrope, avec son | +—————————————-+ | mère. Etat d'honnêteté]. | ###### ##### ##### ###### | en 1847, et perd sa femme | | font défaut]. | | Paris. | | St.-Eutrope. | | frère. | | Hélène Mouret: | | Vit encore, à Bonneville. | ###### #### ##### ###### | en 1854; a eu en 1853 un | +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ | | +—————————————-+ ##### #### ##### ###### | fils adultérin d'une | ###### ##### ###### ##### | née en 1824; épouse, en | ###### ##### #### #### ##### | ouvrière, Rosalie | +—————————————-+ #### #### #### |1841, Grandjean, chétif et | ###### ##### #### #### ##### |Chavaille, qui comptait des| | Sidonie Rougon: | #### #### #### | prédisposé à la phthisie; | ###### +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ | phthisiques et des | | | +—————————————-+ #### +—————————————-+ | en a une fille en 1843; | ###### | Gervaise Macquart: | | Jean Macquart: | | Pascal Rougon: | | épileptiques dans son | | née en 1818; épouse, en | | Marthe Rougon: |## #### ##| François Mouret: | | perd so mari d'une | ###### | | | | +—————————————-+ | | |ascendance; se remarie, en | | 1838, un clerc d'avoué de | | |#### #### ####| | | bronchite, en 1853, se | +—————————————-+ | née en 1828; a trois | |né en 1831; épouse, en | | Eugène Rougon: | |né en 1813; célibataire; a | |1855, avec Renée Béraud Du | | Plassans qu'elle perd à | | née en 1820; épouse, en | ##### ###### ##### | né en 1817; épouse, en | | remarie, en 1857, avec M. | | Lisa Macquart: | | garçons d'un amant, | |1867, Françoise Mouche, | | | | un enfant posthume de sa | | Châtel, qui meurt sans | | Paris, en 1850; a d'un | | 1840, son cousin François | ######################### | 1840, sa cousine Marthe | |Rambaud, dont elle n'a pas | | | |Lantier, dont l'ascendance | |qu'il perd en 1870, sans | | né en 1811; épouse, en | | nièce Clotilde Rougon, en | |enfants, en 1864. [Mélange | | inconnu, en 1851, une | | Mouret, dont elle a trois | ####################### | Rougon, dont il a trois | | d'enfants [Innéité. | | née en 1827; épouse, en | | compte des paralytiques, | |en avoir eu d'enfants; se | | 1857, Véronique Beulin | | 1874; meurt d'une maladie | | soudure. Prédominance | | fille, qu'elle met aux | | enfants; meurt en 1864, | ######################### | enfants; meurt fou, en | | Combinaison où se | +—————————————-+ | 1852, Quenu, sain et | |qui l'emmène à Paris et l'y| |remarie, en 1871, avec | | d'Orchères, dont il n'a | | de coeur, le 7 novembre | | morale du père et | |Enfants Assistés. [Election| | dans une crise nerveuse |###### ######| 1864, dans un incendie | | confondent les caractères | | Silvère Mouret: | | pondéré, dont elle a une | |abandonne; épouse, en 1852,| |Mélanie Vial, paysanne | | pas d'enfants [Mélange | |1873 [Innéité. Combinaison | |ressemblance physique de la| | du père. Ressemblance | |[Hérédité en retour sautant|#### ####| allumé par lui. [Election | | physiques et moraux des | | | | fille dans l'année; meurt | | un ouvrier, Coupeau, de | |forte et saine, dont il a | | fusion. Prédominance | | où se confondent les | |mère. Ambition de la mère, | | physique de la mère]. | |une génération. Hystérique.|## ##| du père. Ressemblance | | parents, sans que rien | |né en 1834; meurt, en 1851,| |six mois avant son mari, en| | famille alcoolique, dont | |un garçon, et qui est | | morale, ambition de la | | caractères physiques et | | gâtée par les appétits du | | Courtière entremetteuse, | | Ressemblance morale et |# #| physique de la mère. | | d'eux semble se retrouver | |la tête cassée d'un coup de| | 1863, d'une décomposition | |elle a une fille; meurt de | |grosse de nouveau. | | mère, ressemblance | | moraux des parents, sans | | père]. Employé puis grand | |tous les métiers, puis très| |physique d'Adélaïde Fouque.| | François et Marthe, les | | dans le nouvel être]. Vit | | pistolet, par un gendarme | | du sang [Election de la | |misère et d'ivrognerie, en | |[Innéité. Combinaison où se| | physiqu du père]. Homme | | que rien d'eux semble se | | brasseur d'affaires. Vit | | austère. Vit encore à | | Marthe et François, les | | deux époux, se | | encore, à Marseille, | | [Election de la mère. | |mère. Ressemblance physique| | 1869 [Election du père. | |confondent les caractères | | politique, ministre. Vit | | retrouver dans le nouvel | | encore à Paris, directeur | | Paris, trésorière de | | deux époux, se | | ressemblent]. Marchand de | | retirée avec son second | |Innéité de la ressemblance | | de la mère]. Charcutière, | | Conçue dans l'ivresse. | |physiques et moraux des | | encore à Paris, député. | | être]. Médecin. | | d'un journal. | | l'Oeuvre du Sacrement. | | ressemblent]. | |vin en gros; puis rentier. | | mari. | | physique]. | |grand boutique aux Halles. | | Boiteuse]. Blanchisseuse. | |parents, sans que rien | +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ +—————————————-+ |d'eux semble se retrouver | ####### ###### ###### ###### ########## ###### ###### ###### ###### ###### |dans le nouvel être]. | ######## ###### ###### ###### ######### ###### ###### ###### ###### ###### |Paysan, soldat, puis | ######## ######## ###### ###### ######## ###### ###### ###### ###### ###### |paysan. Vit encore, à | ####### ####+—————————————-+# ####### ###### ###### ###### ###### +—————————————-+ |Valqueyras. | ####### | Pierre Rougon: | ###### ###### ###### ###### ###### | Antoine Macquart: | #+—————————————-+ ####### | | ###### ###### ###### ###### #######| | ######## ######## | né en 1787; se marie, en | ####### ###### ###### ###### ###| né en 1789; soldait en | ####### ######## | 1810, à Félicité Puech, | ###### +—————————————-+ #| 1809; se marie, en 1829, | ###### ######### |intelligente, active, bien |###### | Ursule Macquart: | | avec Joséphine Gavaudan, | ###### ######### | portante; en a cinq | | | | marchande à la Halle, |##### ########|enfants; meurt en 1870, au | | née en 1791; épouse, en | | vigoureuse, travailleuse, |## #####| lendemain de Sedan, d'une | |1810, un ouvrier chapelier,| | mais intempérante; en a |# ##| congestion cérébrale, | | Mouret, bien portant et | | trois enfants; la perd en | | déterminée par une | | pondéré; en a trois | | 1851; meurt en 1873, | | indigestion [Mélange | | enfants; meurt phthisique | | alcoolique, de combustion | | équilibré. Moyenne morale | | en 1840 [Mélange soudure. | |spontanée [Mélange fusion. | |et ressemblance physique du| | Prédominance morale et | | Prédominance morale et | | père et de la mère]. | |ressemblance physique de la| | ressemblance physique du | | Marchand d'huile puis | | mère]. | | père]. Soldat, puis | | receveur particulier. | +—————————————-+ | vannier, puis rentier et | +—————————————-+ ############# | fainéant. | ######### ############# ##### ############## ############# ###### ############## ############# ###### ################### +—————————————-+ ####### ######################## | Adelaïde Fouque, dite | ######## #################### | "Tante Dide": | ############# ######################### | | ################### ############################ | Née en 1768; mariée, en | ########################## ############################ | 1786, à Rougon, lourd et | ######################## ############################### |placide, jardinier; en a un| ######################## ####################### |fils en 1787; perd son mari| ###################### ####################|en 1788, prend, en 1789, un|################### ###########| amant, Macquart, |########### ######| déséquilibré et ivrogne, |###### ##|contrebandier; en a un fils|## | en 1789, et une fille en | | 1791; devient folle et | | entre à l'Asile d'aliénés | | des Tulettes, en 1831; y | | meurt d'une congestion | |cérébrale en 1873, à l'âge | | de 105 ans [Névrose | | originelle]. | +—————————————-+ ####################### ######################### ########################### #############################