Le français tel que le parlent nos tirailleurs sénégalais
COMMENT SE CONSTITUER UN VOCABULAIRE
Ce modeste travail n'a pas la prétention d'être un manuel complet qu'il suffirait de posséder pour se faire immédiatement comprendre de nos soldats noirs.
Il tend uniquement à donner quelques directives pour la formation de la phrase dans le langage de nos tirailleurs, et à montrer que l'on peut avec un nombre de mots assez restreint, arriver à rendre des passages de nos règlements qui paraîtraient de prime abord comporter pour leur enseignement l'emploi d'un vocabulaire assez varié.
Ce qui a été fait pour le tirailleur au combat, ou l'instruction de la sentinelle, peut être fait beaucoup plus aisément pour toute l'Ecole du soldat où chaque mot, chaque phrase s'accompagne de l'exécution d'un mouvement qui lui donne toute sa vie et double la mémoire auditive de la mémoire visuelle.
Pour arriver à se constituer un vocabulaire, il faut:
1o Prendre tous les noms d'objets d'un usage courant dans l'armée (habillement, campement, outils, literie, armement, vivres, etc.).
Apprendre ces mots aux tirailleurs.
On montrera les objets aux hommes; on en dira le nom distinctement et l'on fera répéter par chaque tirailleur en exigeant toute la correction possible dans la prononciation.
On évitera de faire faire ces théories de français par des gradés indigènes, car ces derniers en apprenant les mots leur ont déjà fait subir une déformation qu'il serait déplorable de laisser s'accentuer par une succession de transmissions défectueuses.
De déformation en déformation, on arrive rapidement à des termes absolument incompréhensibles.
2o Quand le tirailleur connaît le nom des principaux objets dont il a l'habitude de se servir ou qu'il voit toujours autour de lui, faire de petites phrases qui ne comprendront au début que trois mots:
sujet, verbe, complément.
De cette façon, on enflera petit à petit le vocabulaire déjà ébauché et on l'enrichira des verbes les plus usuels:
| Exemple: | Moi manger riz. |
| Toi prendre fusil. | |
| Bédary jeter caillou. | |
| Demba boire café. | |
| Samba porter barda. |
Faire toujours l'acte que l'on indique; user d'une mimique aussi expressive que possible; le geste doit toujours accompagner la parole.
3o Pendant l'instruction de l'Ecole du soldat, dire sous une forme simple tout ce que l'on fait et exiger que l'homme le répète.
Cette méthode a l'avantage de tenir l'esprit de l'homme en éveil; d'attirer son attention sur certains détails du mécanisme des mouvements qui lui échapperaient peut-être autrement; de créer entre l'instructeur et ses élèves une langue commune dont chaque terme définit un mouvement très précis, maintes et maintes fois répété dans le courant de la semaine; de permettre aux sujets bien doués et susceptibles de faire rapidement des gradés capables d'arriver en peu de temps à savoir leur règlement de manœuvre.
Prenons, par exemple, le mouvement de «Présentez arme!»
Lever fusil debout (debout = verticalement. Couché = horizontalement). Avec main droite; |
En même temps que l'on parle, élever l'arme verticalement avec la main droite; de la main gauche montrer successivement le fusil et la main droite, quand on prononce ces mots. En disant fusil debout, placer l'arme bien verticale en disant: «Ça y a debout!» Incliner ensuite l'arme en disant: «Ça y a pas debout; ça y a pas bon». |
Prendre fusil avec main gauche moitié boîte culasse: la hausse. |
Commencer par bien montrer la main gauche en disant: «Ça main gauche», puis montrer la hausse: «Ça la hausse», puis montrer la boîte de culasse: «Ça boîte culasse», puis répéter toute la phrase en exécutant le mouvement. |
Pouce allongé, évidement gauche du fût. |
Montrer le pouce: «Ça pouce». Montrer de même l'évidement de gauche du fût et répéter ensuite toute la phrase en exécutant le mouvement. |
Têtes autres doigts, quatre placés évidement droit du fût; |
Procéder comme plus haut. |
Lever encore fusil avec main gauche; |
do |
Arrêter main gauche quand lui y a arrivé haut même chose l'épaule. |
Se toucher l'épaule en disant: «Quand main gauche y a arrivé là, y a arrêter» puis répéter la phrase ci-contre en exécutant le mouvement. |
Quand y a faire ça placer main droite sur plat de la crosse. |
Frapper de la main droite ouverte le plat de la crosse. |
Le bec milieu deux premiers doigts; les autres doigts deux placés en bas la crosse. |
Refermer les doigts lentement en parlant et faire bien constater par l'homme l'exécution de ce que l'on dit. |
4o Ecouter parler les anciens tirailleurs et noter soigneusement les expressions qu'ils emploient le plus volontiers.
(On trouvera une partie de ces expressions dans les théories de la deuxième partie de ce travail: la troisième colonne de chaque page en contient l'explication).
5o Pendant les marches, les pauses, les divers exercices, s'adresser toujours aux tirailleurs en français en prenant bien soin de se conformer pour le choix des mots et la construction des phrases aux principes posés au début de la deuxième partie de ce travail.
Si le gradé européen veut bien s'imposer cette discipline au début de l'instruction, il en sera récompensé par les résultats obtenus en peu de temps et la possibilité de n'avoir recours que rarement à l'intermédiaire d'un interprète pour parler à ses hommes.
Imp.-Lib. Militaire Universelle L. Fournier, 264, Boul. St-Germain, Paris
Note du transcripteur
Dans la table en trois colonnes, on a scindé le passage entre «Quand il est arrêté» et «Exécution du feu» en trois parties, pour faciliter l'affichage par certaines liseuses tronquant les cellules de tableau plus hautes qu'une page. Si le texte demeure tronqué, il est conseillé de visualiser la table avec une taille de caractères plus petite.