Le grand voyage du pays des Hurons
Du pays des Hurons, & de leur villes,
villages & cabanes.
CHAPITRE VI.
AIS, pour parler en general
du pays des Hurons, de
sa situation, des moeurs de
ses habitans, & de leurs
principales ceremonies &
façons de faire. Disons premierement,
qu'il est situé sous la hauteur de quarante-quatre
degrez & demy de latitude, &
deux cens trente lieuës de longitude à l'Occident,
& dix de latitude, pays fort deserté;
beau & agreable, & traversé de ruisseaux
qui se desgorgent dedans le grand
lac. On n'y voit point une face si dense de
grands rochers & montagnes steriles,
comme on voit en beaucoup d'autres endroicts
és contrees Canadiennes & Algoumequines.
Le pays est plein de belles collines, campagnes, & de tres-belles & grandes prairies, qui portent quantité de bon foin, qui ne sert qu'à y mettre le feu par plaisir, quant il est sec: & en plusieurs endroits il y a quantité de froment sauvage, qui a l'espic comme seigle, & le grain comme de l'avoine: j'y fus trompé, pensant au commencement que j'en vis, que ce fussent champs qui eussent esté ensemencez de bon grain: je fus de mesme trompé aux pois sauvages, où il y en a en divers endroicts aussi espais, comme s'ils y avoient esté semez & cultivez: & pour monstrer la bonté de la terre, un Sauvage de Toenchen ayant planté un peu de pois qu'il avoit apportez de la traicte, rendirent leurs fruicts deux fois plus gros qu'à l'ordinaire, dequoy je m'estonnay, n'en ayant point veu de si gros, ny en France, ny en Canada.
Il y a de belles forests, peuplees de gros Chesnes, Fouteaux, Herables, Cedres, Sapins, Ifs & autres sortes de bois beaucoup plus beaux, sans comparaison, qu'aux autres Provinces de Canada que nous ayons veuës: aussi le pays est-il plus chaud & plus beau, & plus grasses & meilleures sont les terres, que plus on advance tirant au Su: car du costé du Nord les terres y sont plus pierreuses & sablonneuses, ainsi que je vis allant sur la mer douce, pour la pesche du grand poisson.
Il y a plusieurs contrees ou provinces au pays de nos Hurons qui portent divers noms, aussi bien que les diverses provinces de France: car celle où commandoit le grand Capitaine Attyonta, s'appelle Henayonon, celle d'Entauaque s'appelle Atigagnongueha, et la Nation des Ours, qui est celle où nous demeurions, sous le grand Capitaine Auoindaon, s'appelle Attingyahointan, & en ceste estendue de pays, il y a environ vingt-cinq tant villes que villages, dont une partie ne sont point clos ny fermez, & les autres sont fortifiez de fortes pallissades de bois à triples rangs entre-lassez les uns dans les autres, & redoublez par dedans de grandes & grosses escorces, à la hauteur de huict à neuf pieds, & par dessous il y a de grands arbres: puis au dessus de ces pallissades il y a des galleries ou guerittes, qu'il appellent Ondaqua, qu'ils garnissent de pierres en temps de guerre, pour ruer sur l'ennemy, & d'eau pour esteindre le feu qu'on pourroit appliquer contre leurs pallissades: nos Hurons y montent par une eschelle assez mal-façonnee & difficile, & deffendent leurs rempars avec beaucoup de courage & d'industrie.
Ces vingt-cinq villes & villages peuvent estre peuplez de deux ou trois mille hommes de guerre, au plus, sans y comprendre le commun, qui peut faire ne nombre environ trente ou quarante mille ames en tout. La principale ville avoit autre fois deux cens grandes Cabanes pleines chacune de quantité de mesnages; mais depuis peu, à raison que les bois leur manquoient, & que les terres commençoient à s'amaigrir, elle est diminuee de grandeur, separee en deux, & bastie en un autre lieu plus commode.
Leurs villes frontieres & plus proches des ennemis, sont tousjours les mieux fortifiées, tant en leurs enceintes & murailles, hautes de deux lances ou environ, & les portes & entrées qui ferment à barres, par lesquelles on est contrainct de passer de costé, & non de plein saut, qu'en l'assiette des lieux qu'ils sçavent assez bien choisir, & adviser que ce soit joignant quelque bon ruisseau, en lieu un peu eslevé, & environné d'un fossé naturel, s'il se peut, & que l'enceinte & les murailles soient basties en rond & la ville bien ramassée, laissans neantmoins une grande espace vuide entre les Cabanes & les murailles, pour pouvoir mieux combattre & se deffendre contre les ennemis qui les attaqueroient sans laisser de faire des sorties aux occasions.
Il y a de certaines contrees où ils changent leurs villes & villages, de dix, quinze ou trente ans, plus ou moins, & le font seulement lors qu'ils se trouvent trop esloignez des bois, qu'il faut qu'ils portent sur leur dos, attaché & lié avec un collier, qui prent & tient sur le front, mais en hyver ils ont accoustumé de faire de certaines traisnes, qu'ils appellent Arocha, faicte de longues planchette de bois de Cedre blanc, sur lesquelles ils mettent leur charge, & ayans des raquettes attachees sous leurs pieds, traisnent leur fardeau par-dessus les neiges, sans aucune difficulté. Ils changent leur ville ou village, lors que par succession de temps les terres sont tellement fatiguees, qu'elles ne peuvent plus porter leur bled avec la perfection ordinaire, faute de fumier, & pour ne sçavoir cultiver la terre, ny semer dans d'autres lieux, que dans les trous ordinaires.
Leurs Cabanes, qu'ils appellent Ganonchia, sont faicte, comme j'ay dict, en façon de tonnelles ou berceaux de jardins, couvertes d'escorces d'arbres, de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins (car elles ne sont pas toutes egales en longueur) et six de large, laissans par le milieu une allee de 10 à 12 pieds de large, qui va d'un bout à l'autre; aux deux costez il y a une maniere d'establie de la hauteur de quatre ou cinq pieds, qui prend d'un bout de la Cabane à l'autre, où ils couchent en esté, pour éviter l'importunité des puces, dont ils ont grande quantité, tant à cause de leurs chiens qui leur en fournissent à bon escient, que pour l'eau que les enfans y font, & en hyver ils couchent en bas sur des nattes proches du feu, pour estre plus chaudement & sont arrangez les uns proches des autres, les enfans au lieu plus chaud & eminent, pour l'ordinaire, & les pere & mere apres, & n'y a point d'entre-deux ou de separation, ny de pied, ny de chevet, non plus en haut qu'en bas, & ne font autre chose pour dormir, que de se coucher en la mesme place où ils sont assis, & s'affubler la teste avec leur robe, sans autre couverture ny lict.
Ils emplissent de bois sec, pour brusler en hyver, tout le dessous de ces establies, qu'ils appellent Gayihagneu &Eindichaguet: mais pour les gros troncs ou tisons appelles Aneintuny, qui servent à entretenir le feu, eslevez un peu en haut par un des bouts, ils en font des piles devant leurs cabanes, ou les serrent au dedans des porches, qu'ils appellent Aque. Toutes les femmes s'aydent à faire cette provision de bois, qui se faict dés le mois de Mars, & d'Avrie, & avec cet ordre en peu de jours chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire.
Ils ne se servent que de tres-bon bois, aymant mieux l'aller chercher bien loin, que d'en prendre de vert, ou qui fasse fumée; c'est pourquoy ils entretiennent tousjours un feu clair avec peu de bois que s'ils ne rencontrent point d'arbres bien secs, ils en abbattent de ceux qui ont des branches seiches, lesquelles ils mettent par esclats, & couppent d'une égale longueur, comme les corrays de Paris. Ils ne se servent point du fagotage, non plus que du tronc des plus gros arbres qu'ils abbattent; car ils les laissent là pourir sur la terre, pource qu'ils n'ont point de scie pour les scier, ny l'industrie de les mettre en pieces qu'ils ne soient secs & pourris. Pour nous qui n'y prenions pas garde de si pres, nous nous contentions de celuy qui estoit plus proche de nostre Cabane, pour n'employer tout nostre temps à cette occupation.
En une Cabane il y a plusieurs feux, & à chaque feu il y a deux mesnages, l'un d'un costé, l'autre de l'autre, & telle Cabane aura jusqu'à huict, dix ou douze feux, qui font 24 mesnages, & les autres moins selon qu'elles sont longues ou petites, & où il fume à bon escient, qui faict que plusieurs en reçoivent de tres-grandes incommoditez aux yeux, n'y ayant fenestre ny aucune ouverture, que celle qui est au dessus de leur Cabane, par où la fumee sort. Aux deux bouts il y a à chacun un porche, & ces porches leur servent principalement à mettre leurs grandes cuves ou tonnes d'escorces dans quoy ils serrent leur bled d'Inde, apres qu'il est bien sec & esgrené. Au milieu de leur logement il y a deux grosses perches suspendues, qu'ils appellent Oaayonta où ils pendent leur cramaliere, & mettent leurs habits, vivres & autres choses, de peur des souris, & pour tenir les choses seichement: Mais pour le poisson duquel ils font provision pour leur hyver, apres qu'il est boucané, ils le serrent en des tonneaux d'escorce, qu'ils appellent Acha, excepté Leinchataon, qui est un poisson qu'ils n'esventrent point, & lequel ils pendent au haut de leur Cabane, attaché avec des cordelettes, pour ce qu'enfermé en quelque tonneau il sentiroit trop mauvais, & se pourriroit incontinent.
Crainte du feu, auquel ils sont assez sujets, ils serrent souvent en des tonneaux ce qu'ils ont de plus precieux, & les enterrent en des fosses profondes qu'ils font dans leurs Cabanes, puis les couvrent de la mesme terre, & cela les conserve non seulement du feu, mais aussi de la main des larrons, pour n'avoir autre coffre ny armoire en tout leur mesnage, que ces petits tonneaux. Il set vray qu'ils se font peu souvent du tort les uns aux autres, mais encore s'y en trouve-t'il par-fois de meschans, qui leur font du desplaisir quand il ne pensent estre descouverts, & que ce soit principalement quelque chose à manger.
Exercice ordinaire des hommes &
des femmes.
CHAPITRE VII.
E bon legislateur des Atheniens,
Solon, fit une Loy,
dont Amasis, Roy d'Egypte,
avoit esté jadis Autheur: Que
chacun monstre tous les ans d'où il vit,
par devant le Magistrat, autrement à faute
de ce faire qu'il soit puny de mort. L'occupation
de nos Sauvages est la pesche, la
chasse, & la guerre; aller à la traicte, faire
des Cabanes & Canots, où les outils propres à
cela. Le reste du temps ils le passent
en oysiveté, à jouer, dormir, chanter, dancer,
petuner, ou aller en festins & ne veulent
s'entremettre d'aucun autre ouvrage
qui soit du devoir de la femme, sans grande
necessité.
L'exercice du jeu est tellement frequent & coustumier entr'eux, qu'ils y employent beaucoup de temps, & par-fois tant les hommes que les femmes, jouent tout ce qu'elles ont, & perdent aussi gayement & patiemment, quand la chanse ne leur en faict point, que s'ils n'avoient rien perdu, & en ay veus en retourner en leur village tous nuds, & chantans, apres avoir tout laissé au nostre, & est arrivé une fois entre les autres, qu'un Canadien perdit & sa femme & ses enfans au jeu contre un François, qui luy furent neantmoins rendus par apres volontairement.
Les hommes ne s'addonnent pas seulement au jeu de paille, nommé Aescaya, qui sont trois ou quatre cens de petits joncs blancs egalement couppez, de la grandeur d'un pied ou environ: mais aussi à plusieurs autres sortes de jeu; comme de prendre une grande escuelles de bois, & dans icelle avoir cinq ou six noyaux ou petites boulettes un peu plattes, de la grosseur du bout du petit doigt, & peintes de noir d'un costé, & blanche & jaune de l'autre: & estans tous assis à terre en rond, à leur accoustumée, prennent tour à tour, selon qu'il escher, cette escuelle, avec les deux mains, qu'ils eslevent un peu de terre, & à mesme temps l'y reposent, & frappent un peu rudement, de sorte que ces boulettes sont contraintes de se retourner & sauter, & voyent comme au jeu des dez, de quel costé elles se reposent, & si elles font pour eux, pendant que celui qui tient l'escuelle la frappe, & regarde à son jeu, il dit continuellement: & sans intermission, Tet, tet, tet, tet, pensant que cela excite & faict bon jeu pour luy. Mais le jeu des femmes & filles, auquel s'entretiennent aussi par-fois des hommes & garçons avec elles est particulierement avec cinq ou six noyaux, comme ceux de nos abricots, noirs d'un costé, lesquels elles prennent avec la main, comme on faict les dez, puis les jettent un peu en haut, & estans tombez sur un cuir, ou peau estendue contre terre exprez, elles voyent ce qui faict pour elles, & continuent à qui gaignera les coliers, oreillettes ou autres bagatelles qu'elles ont, & non jamais aucune monnoye; car ils n'en ont nulle cognoissance ny usage; ains mettent, donnent & eschangent une chose pour une autre, en tout le pays de nos Sauvages.
Je ne puis obmettre aussi qu'ils pratiquent en quelques-uns de leurs villages, ce que nous appellons en France porter les mommons: car ils deffient & invitent les autres villes & villages de les venir voir, jouer avec, & gaigner leurs ustencilles, s'il escher, & cependant les festins ne manquent point: car pour la moindre occasion la chaudiere est tousjours preste, & particulierement en hyver, qui est le temps auquel principalement ils se festinent les uns les autres. Ils ayment la peinture, & y reussissent assez industrieusement, pour des personnes qui n'y ont point d'art ny d'instrumens propres, & font neantmoins des representations d'hommes, d'animaux, d'oyseaux & autres grotesques; tant en relief de pierres, bois & autres semblables matieres, qu'en platte peinturé sur leurs corps, qu'ils font non pour idolatrer, mais pour se contenter la veuë, embellir leurs Calumets & Petunoirs, & pour orner le devant de leurs Cabanes.
Pendant l'hyver, du filet que les femmes & filles ont filé, ils font des rets & fillets à pescher & prendre le poisson en esté, & mesme en hyver sous la glace à la ligne, ou à la seine, par le moyen des trous qu'ils y font en plusieurs endroits. Ils font aussi des flesches avec le cousteau fort droicte & longues, & n'ayans point de cousteaux, ils se servent de pierres trenchantes, & les empennent de plumes de queuës & d'aisles d'Aigles, par ce qu'icelles sont fermes & se portent bien en l'air: La poincte avec une colle forte de poisson ils y accommodent une pierre aceree, ou un os, ou des fers, que les François leur traictent. Ils font aussi des masses de bois pour la guerre, & des pavois qui couvrent presque tout le corps, & avec des boyaux ils font des cordes d'arcs & des raquettes, pour aller sur la neige, au bois & à la chasse.
Ils font aussi des voyages par terre, aussi bien que par mer, & les rivieres, & entreprendront (chose incroyable) d'aller dix, vingt, trente & quarante lieuës par les bois, sans porter aucun vivres sinon du petun & un fuzil, avec l'arc au poing, & le carquois sur le dos. S'ils sont pressez de la soif, & qu'ils n'ayent point d'eau, ils ont l'industrie de succer les arbres, particulierement les Fouteaux, d'où distile une douce & fort agreable liqueur, comme nous faisions aussi, au temps que les arbres estoient en seve. Mais lors qu'ils entreprennent des voyages en pays lointain, ils ne les font point pour l'ordinaire inconsiderement, & sans en avoir eu la permission des Chefs, lesquels en un conseil particulier ont accoustumé d'ordonner tous les ans, la quantité des hommes qui doivent partir de chaque ville ou village, pour ne les laisser desgarnis de gens de guerre, & quiconque voudroit partir autrement, le pourroit faire à toute rigueur; mais il seroit blasmé, & estimé fol & imprudent.
J'ay veu plusieurs Sauvages des villages circonvoysins, venir à Quieunonascayan, demander congé à Onoyotandi, frere du grand Capitaine Auoindaon, pour avoir la permission d'aller au Saguenay: car il se disoit Maistre & Superieur des chemins & rivieres qui y conduisent, s'entend jusques hors le pays des Hurons. De mesme il falloit avoir la permission d'Auoindaon pour aller à Kebec, & comme chacun entend d'estre maistre en son pays, aussi ne laissent-ils passer aucun d'une autre Nation Sauvage par leur pays, pour aller à la traicte, sans estre recogneus & gratifiez de quelque present: ce qui se faict sans difficulté, autrement on leur pourroit donner de l'empeschement, & faire du desplaisir.
Sur l'hyver, lors que le poisson se retire sentant le froid, les Sauvages errans, comme sont les Canadiens, Algoumequins & autres, quittent les rives de la mer & des rivieres, & se cabanent dans les bois, là où ils sçavent qu'il y a de la proye. Pour nos Hurons, Honqueronons & peuples Sedentaires, ils ne quittent point leurs Cabanes, & ne transportent point leurs villes & villages, que (pour les raisons & causes que j'ay deduite ci-dessus au Chapitre sixiesme).
Lors qu'ils ont faim ils consultent l'Oracle, & apres ils s'en vont l'arc en main, & le carquois sur le dos, la part que leur Oki leur a indiqué, ou ailleurs où ils pensent ne point perdre leur temps. Ils ont des chiens qui les suyvent, & nonobstant qu'ils ne jappent point; toutesfois ils sçavent fort bien descouvrir le giste de la beste qu'ils cherchent, laquelle estant trouvee ils la poursuyvent courageusement, & ne l'abandonnent jamais qu'ils ne l'aye terrasse, & enfin l'ayant navree à mort ils la font tant harceler par leurs chiens, qu'il faut qu'elle tombe. Lors ils luy ouvrent le ventre, baillent la curee aux chiens, festinent, & emportent le reste. Que si la beste, pressee de trop prés, rencontre une riviere, la mer ou un lac, elle s'eslance librement dedans: mais nos Sauvages agiles & dispos sont aussi tost apres avec leurs Canots, s'il s'y en trouve, & puis luy donnent le coup de la mort.
Leurs Canots sont de 8 à 9 pas de long & environ un pas, ou pas & demy de largeur par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts, comme la navette d'un Tessier, & ceux-là sont des plus grands qu'ils fassent; car ils en ont encore d'autres plus petits, desquels ils se servent selon l'occasion & la difficulté des voyages qu'ils ont à faire. Ils sont fort sujets à tourner, si on ne les sçait bien gouverner, comme estans faits d'escorce de Bouleau, renforcés par le dedans de petits cercles de Cedre blanc, bien proprement arrangez, & sont si léger qu'un homme en porte aysement un sur sa teste, ou sur son espaule, chacun peut porter la pesanteur d'une pippe, & plus ou moins, selon qu'il est grand. On faict aussi d'ordinaire par chacun jour, quant l'on est pressé, 25 ou 30 lieuës dans lesdicts Canots, pourveu qu'il n'y ait point de saut à passer, & qu'on aille au gré du vent & de l'eau: car ils vont d'une vitesse & legereté si grande, que je m'en estonnois, & ne pense pas que la poste peust aller plus viste, quand ils sont conduits par de bons Nageurs.
De mesme que les hommes ont leur exercice particulier, & sçavent ce qui est du devoir de l'homme, les femmes & filles aussi se maintiennent dans leur condition & font paisiblement leurs petits ouvrages, & les oeuvres serviles: elles travaillent ordinairement plus que les hommes, encore qu'elles n' y soient point forcees ny contraintes. Elles ont le soin de la cuisine & du mesnage, de semer & cueillir les bleds, faire les farines, accommoder le chanvre & les escorces, & de faire la provision de bois necessaire. E pour ce qu'il leur reste encore beaucoup de temps à perdre, elles l'employent à jouer, aller aux dances, & festins, à deviser & passer le temps, & faire tout ainsi comme il leur plaist du temps qu'elles ont de bon, qui n'est pas petit, veu mesmes qu'elles ne sont admises en plusieurs de leurs festins, ny en aucun ce leurs conseils, ny à faire leurs Cabanes & Canots, entre nos Hurons.
Elles ont l'invention de filer le chanvre sur leur cuisse, n'ayans pas l'usage de la quenouille & du fuseau, & de ce filet les hommes en lassent leurs rets & filets, comme j'ay dit. Elles pilent aussi le bled pour la cuisine, & en font rostir dans les cendres chaudes, puis en tirent la farine pour leurs marys, qui vont l'esté trafiquer en d'autres Nations esloignées. Elles font de la poterie, particulierement des pots tous ronds, sans ances & sans pieds, dans quoy elles font cuire leurs viandes, chair ou poisson. Quand l'hyver vient, elles font des nattes de joncs, dont elles garnissent les portes de leurs Cabanes, & en font d'autres pour s'asseoir dessus, le tout fait proprement. Les femmes des Cheveux Relevez mesmes, baillent des couleurs aux joncs, & font des compartimens d'ouvrages avec telle mesure qu'il n'y a que redire. Elles couroyent & addoucissent les peaux de Castor & d'Eslan, & autres, aussi bien que nous sçaurions faire icy, dequoy elles font leurs manteaux ou couvertures, & y peignent des passements & bigarures, qui ont fort bonne grace.
Elles font semblablement des paniers de jonc, & d'autres avec des escorces de Bouleaux pour mettre des fezoles, du bled & des pois, qu'ils appellent Acointa, de la chair, du poisson, & autres petites provisions: elles font aussi comme une espece de gibesiere de cuir, ou sac à petun, sur lesquels elles font des ouvrages dignes d'admiration, avec du poil de porc-espic, coloré de rouge, noir, blanc & bleu, qui sont les couleurs qu'elles sont si vives, que les nostres ne semblent point en approcher. Elle s'exercent aussi à faire des escuelles d'escorces, pour boire & manger, & mettre leurs viandes & menestres. De plus, les escharpes, carquans, & brasselets qu'elles & leurs hommes portent, sont de leur ouvrages: & nonobstant qu'elles ayent beaucoup plus d'occupation que les hommes lesquels tranchent du Gentil-homme entr'eux, & ne pensent qu'à la chasse, à la pesche ou à la guerre, encore ayment-elles communément leurs marys plus que ne font pas celles de deça: & s'ils estoient Chrestiens ce seroient des familles avec lesquelles Dieu se plairoit & demeureroit.
Comme ils défrischent, sement & cultivent
leurs terres & apres comme
ils accomodent le bled & les farines,
& de la façon d'apprester leur manger.
CHAPITRE VIII
EUR coustume est, que chaque
mesnage vit de ce qu'il pesche,
chasse & seme, ayans autant
de terre comme il leur est necessaire: car
toutes les forests, prairies & terres non défrichées
sont en commun, & est permis
à un chacun d'en désfrischer & ensemencer
autant qu'il veut, qu'il peut, & qu'il luy
est necessaire; & cette terre ainsi défrichee
demeure à la personne autant d'annees
qu'il continue de la cultiver & s'en servir,
& estant entierement abandonnee du maistre,
s'en sert par apres qui veut, & non
autrement. Ils les défrichent avec grand
peine, pour n'avoir des instrument propres:
ils coupent les arbres à la hauteur de
deux ou trois pieds de terre, puis ils esmondent
toutes les branches, qu'ils font
brusler au pied d'iceux arbres pour les faire
mourir, & par succession de temps en
ostent les racines; puis les femmes nettoyent
bien la terre entre les arbres & beschent
de pas en pas une place ou fossé en
rond, où ils sement à chacune 9 ou 10
grains de Maiz, qu'ils ont premierement
choisi, trié & fait tremper quelques jours
en l'eau, & continuent ainsi, jusques à ce
qu'ils en ayent pour deux ou trois ans de
provisions: soit par la crainte qu'il ne leur
succede quelque mauvaise annee, ou bien
pour l'aller traicter en d'autres Nations
pour des pelleteries, ou autres choses qui
leur font besoin, & tous les ans sement
ainsi leur bled aux mesmes places & endroits,
qu'ils rafraischissent avec leur petite
pelle de bois, faicte en la forme d'une
oreille, qui a un manche au bout; le reste
de la terre n'est point labouré, ains seulement
nettoyé des meschantes herbes: de sorte
qu'il semble que ce soient tous chemins,
tant ils sont soigneux de tenir tout
net, ce qui estoit cause qu'allant par-fois
seul de village à autre, je m'esgarois ordinairement
dans ces champs de bled, plustost
que dans les prairies & forests.
Le bled estant donc ainsi semé, à la façon que nous faisons les febves, d'un grain sort seulement un tuyau ou canne, & la canne rapporte deux ou trois espics, & chaque espic rend cent, deux cents, quelques fois 400 grains & y en a tel qui en rend plus. La canne croist à la hauteur de l'homme, & plus, & est fort grosse (il ne vient pas si bien & si haut, ny l'espic si gros, & le grain si bon en Canada ny en France que là.) Le grain meurit en quatre mois, & en de certains lieux en trois: apres ils le cueillent, & le lient par les fueilles retroussées en haut, & l'accomodent par pacquets, qu'ils pendent tous arrangez le long des Cabanes, de haut-en-bas, en des perches qu'ils accommodent en forme de ratelier, descendant jusqu'au bord devant l'establie, & tout cela est si proprement ajancé, qu'il semble que ce soient tapisseries rendues le long des Cabanes, & le grain estant bien sec & bon à serrer, les femmes & filles l'estrenent nettoyent & mettent dans leurs grandes cuves ou tonnes à ce destinees, & posees en leur porche, ou en quelque coin de leurs Cabanes.
Pour le manger en pain, ils font premierement un peu bouillir le grain en l'eau, puis l'essuyent, & le font un peu seigner: en apres ils le broyent, le paistrissent avec de l'eau tiede, & le font cuire sous la cendre chaude, enveloppé de fueilles de bled, & à faute de fueilles le lavent apres qu'il est cuit: s'ils ont des Fezole ils en font cuire dans un petit pot, & en meslent parmy la paste sans les escacher, ou bien des fraizes, des bluës, framboises, meures champestres, & autres petits fruicts secs & verts, pour luy donner goust & le rendre meilleur, car il est fort fade de soy, si on n'y mesle de ces petits ragousts. Ce pain, & toute autre sorte de biscuit que nous usons, ils l'appellent Andatayoni, excepté le pain mis & accommodé comme deux balles jointes ensembles, enveloppé entre des fueilles de bled d'Inde, puis bouilly & cuit en l'eau, & non sous la cendre, lequel ils appellent d'un nom particulier Coinkia. Ils font encore du pain d'une autre sorte, c'est qu'ils cueillent une quantité d'espics de bled, avant qu'il soit du tout sec et meur, puis les femmes, filles & enfans avec les dents en destachent les grains, qu'il rejettent par apres avec la bouche dans de grandes escuelles qu'elles tiennent aupres d'elles & puis on l'acheve de piler dans le grand Mortier: & pour ce que cette paste est fort molasse, il faut necessairement l'envelopper dans des fueilles pour la faire cuire sous les cendres à l'acccoustumée; ce pain masché est le plus estimé entr'eux, mais pour moy je n'en mangeois que par necessité & à contre-coeur, à cause que le bled avoit esté ainsi à demy masché, pilé & pestry avec les dents des femmes, filles & petits enfans.
Le pain de Maiz, & la Sagamité qui en est faicte, est de fort bonne substance, & m'estonnois de ce qu'elle nourrid si bien qu'elle faict: car pour ne boire que de l'eau en ce pays-là, & ne manger que fort peu souvent de ce pain, & encore plus rarement de la viande, n'usans presque que des seuls Sagamités, avec un bien peu de poisson, on ne laisse pas de se bien porter, & estre en bon poinct, pourveu qu'on en ais suffisamment, comme n'en manque point dans le pays; mais seulement en de longs voyages, où l'on souffre souvent de grandes necessitez.
Ils diversifient & accomodent en plusieurs façons leur bled pour le manger; car comme nous sommes curieux de diverses saulces pour contenter nostre appetit, aussi sont-ils soigneux de faire leur Menestre de diverses manieres, pour la trouver meilleure, & celle qui me sembloit la plus agreable, estoit la Neintahouy; puis l'Eschionque. La Neintahouy se faict en cette façon. Les femmes font rostir quantité d'espics de bled, avant qu'il soit entierement meur, les tenans appuyez contre un baston couché sur deux pierres devant le feu, & les retournant de costé & d'autre, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment rostis, ou pour avoir plustost faict, elles mettent & retirent de dedans un monceau de sable, pemierement bien eschauffé d'un bon feu qui aura esté faict dessus, puis en destachent les grains, & les font encore seicher au Soleil, & espandus sur des escorces, apres qu'i est assez sec ils les serrent dans un tonneau, avec le tiers ou le quart de leur Fezole, appelée Ogaressa, qu'ils meslent parmy; & quand ils en veulent manger ils le font bouillir ainsi entier en leur pot ou chaudiere, qu'ils appellent Anoc, avec un peu de viande ou de poisson, fraiz ou sec, s'ils en ont.
Pour faire de l'Eschionque, ils font griller dans les cendres de leur foyer, meslees de sable, quantité de bled sec, comme si c'estoient pois, puis ils pilent ce Maiz fort menu, & apres avec un petit vent d'escorce ils en tirent la fine fleur, & cela est l'Eschionque: cette farine se mange aussi bien seiche que cuite ne un pot, ou bien destrempee en eau, tiede ou froide. Quand on la veut faire cuire on la met dans le bouillon, où l'on aura premierement fait cuire quelque viande ou poisson qui y sera demincé, avec quantité de citrouille, si on veut, sinon dans le bouillon tout clair, & en telle quantité que la Sagamité en soit suffisamment espaisse, laquelle on remue continuellement avec une Espatule, par eux appellee Estoqua, de peur qu'elle ne se tienne par morceaux; & incontinent apres qu'elle a un peu bouilly on la dresse dans les escuelles, avec un peu d'huile ou de graisse fondue par dessus, si l'on en a, & cette Sagamité est fort bonne, & rassasie grandement. Pour le gros de cette farine, qu'ils appellent Acointa, c'est à dire pois (car ils luy donnent le mesme nom qu'à nos pois) ils le font bouillir à part dans l'eau, avec du poisson, s'il y en a, puis le mangent. Ils font de mesme du bled qui, n'est point pilé; mais il est fort dur à cuire.
Pour la Sagamité ordinaire, qu'ils appellent Orrer, c'est du Maiz cru, mis en farine, sans en separer ny la leur ny le pois, qu'ils font bouillir assez clair, avec un peu de viande ou poisson, s'ils en ont, & y meslent aussi par-fois des citrouilles decouppees par morceaux, s'il en est la saison, & assez souvent rien du tout: de peur que la farine ne se tienne au fond du pot, ils la remuent souvent avec l'Estoqua puis le mangent; c'est le potage, la viande & le mets quotidien, & n'y a rien plus à attendre pour le repas; car lors mesme qu'ils ont quelque peu de viande ou poisson à départir entr'eux (ce qui arrive rarement excepté au temps de la chasse ou de la pesche) il est partagé, & mangé le premier auparavant le potage ou Sagamité.
Pour le Leindohy ou bled puant, ce sont grande quantité d'espys de bled, non encore tout sec & meur, pour estre plus susceptible à prendre odeur, que les femmes mettent en quelque mare ou eau puante, par l'espace de deux ou trois mois, au bout desquels elles les en retirent, & cela sert à faire des festins de grande importance, cuit comme la Neintahouy, & ainsi en mangent de grillé sous les cendres chaudes, lechans leurs doigts au maniement de ces espys puants, de mesme que si c'estoient canne de sucre, quoy que le goust & l'odeur en soit tres-puante, & infecte plus que ne sont les esgouts mesmes, & ce bled ainsi pourry n'estoit point ma viande, quelque estime qu'ils en fissent, ny ne maniois pas volontiers des doigts ny de la main, pour la mauvaise odeur qu'il y imprimoit & laissoit par plusieurs jours: aussi ne m'en presenterent ils plus, lors qu'ils eurent recogneu le dégoust que j'en avois. Ils font aussi pitance de glands, qu'ils font bouillir en plusieurs eauës pour en oster l'amertume, & les trouvois assez bons: ils mangent aussi d'aucunes fois d'une certaine escorce de bois crue, semblable au saulx, de laquelle j'ay mangé à l'imitation des Sauvages; mais pour des herbes ils n'en mangent point du tout, ny cuites ny crues, sinon de certaines racines qu'ils appellent sondhyararre, & autres semblables.
Auparavant l'arrivee des François au pays des Canadiens, & des autres peuples errans, tout leur meuble n'estoit que de bois, d'escorces ou de pierres, de ces pierres, ils en faisoient les haches & cousteaux, & du bois & l'escorce ils en fabriquoient toutes les autres ustenciles & pieces de mesnage, & mesme les chaudieres, bacs ou auges à faire cuire leur viande, laquelle ils faisoient cuire, ou plustost mortifier en cette maniere.
Ils faisoient chauffer & rougir quantité de graiz & cailloux dans un bon feu, puis les jettoient dans la chaudiere pleine d'eau, en laquelle estoit la viande ou le poisson à cuire, & à mesme temps les en retiroient, & en remettoient d'autres en leur place, & à succession de temps l'eau s'eschauffoit, & cuisoit ainsi aucunement la viande. Mais pour nos Hurons, & autres peuples & nations Sedentaires, ils avoient (comme ils ont encore) l'usage & l'industrie de faire des pots de terre, qu'ils cuisent en leur foyer, & sont fort bons, & ne se casse point au feu, encore qu'il n'y ait point d'eau dedans; mais ils ne peuvent aussi souffrir long-temps d'humidité & l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & cassent, ou moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent fort long temps. Les Sauvages les font, prenans de la terre propre, laquelle ils nettoyent & pétrissent tres-bien, y meslans parmy un peu de graiz, puis la masse estant reduite comme une boule, elles y font un trou avec le poing, qu'ils agrandissent toujours, en frappant par dedans avec une petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour les parfaire: ces pots sont faits sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boule, excepté la gueule qui sort un peu en dehors.
De leurs festins & convives.
CHAPITRE IX.
E grand Philosophe Platon
cogonoissant le dommage que le vin apporte à
l'homme, disoit qu'en partie
les dieux l'avoient envoyé
cà-bas pour faire punition des hommes,
& prendre vengeance de leurs offences,
les faisans (apres qu'ils sont yvres)
tuer & occire l'un l'autre.
Quand quelqu'un de nos Hurons veut faire festin à ses amys, il les envoye inviter de bonne heure, comme l'on faict icy; mais personne ne s'excuse entr'eux, & tel sort d'un festin, qui du mesme pas s'en va à un autre; car ils rendroient un affront d'estre esconduits, s'il n'y avoit excuse vrayement legitime. Le monde estant invité, on met la chaudiere sur le feu, grande oou petite, selon le nombre des personnes qu'on doit avoir: tout estant cuit & prest à dresser, on va diligemment advertir ses gens de venir, leur disans à leur mode, Saconcheta, Saconcheta, c'est à dire, venez au festin, venez au festin (qui est un mot qui ne derive point pourtant du mot de festin, car Agochin, entr'eux, veud dire festin) lesquels s'y en vont à mesme temps, & y portent gravement chacun devant soy en leurs deux mains, leur escuelles & la cueillier dedans: que si c'estoient Algoumequins qui fissent le festin, les Hurons y porteroient chacun un peu de farine dans leurs escuelles, à raison que ces Aquaniaqués en sont pauvres & disetteux. Entrans dans la Cabane, chacun s'assied sur les Nattes de costé & d'autres de la Cabane, les hommes au haut bout, & les femmes & enfans plus bas tout de suite. Estans entrez on dit les mots, apres lesquels il n'est loisible à personne d'y plus entrer; fust-il un des conviez ou non, ayans opinion que cela apportereoit mal-heur, ou empescheroit l'effect du festin, lequel est tousjours faict à quelque intention bonne ou mauvaise.
Les mots du festin sont, Nequarré la chaudiere est cuite (prononcez hautement & distinctement par le Maistre du festin, ou par un autre deputé par luy) tout le monde respond: Ho, & frappent du poing contreterre; Gaoninon Youry, il y a un chien de cuit: si c'est du cerf, ils disent Sconoton Youry, & ainsi des autres viandes, nommant l'espece ou les choses qui sont dans la chaudiere, les unes apres les autres, & tous respondent Ho à chaque chose, puis frappent & donnent du poing contre terre, comme demonstrans & approuvans la valeur d'un tel festin: cela estant dicte, ceux qui doivent servir, vont de rang en rang prendre les escuelles d'un chacun, & les emplissent de brouet avec leurs grandes cueilliers, & recommencent & continuent tousjours à remplir, tant que la chaudiere soit vuide, il faut aussi que chacun mange ce qu'on luy donne, & s'il ne le peut, pour estre trop soul, il faut qu'il se rachete de quelque petit present envers le Maistre du festin, & avec cela il faut qu'il fasse achever de vuider son escuelle par un autre; tellement qu'il s'y en trouve qui ont le ventre si plein, qu'il ne peuvent presque plus respirer.
Apres que tout est faict, chacun se retire sans boire; car on n'en presente jamais si on n'en demande particulierement, ce qui arrive fort rarement; aussi ne mangent-ils rien de trop salé ou espicé, qui les pust provoquer à boire de l'eau, qu'ils ont pour toute boisson, ce qui est un grand bien pour eviter les dissolutions noises & querelles que le vin, ou autre boisson yvrante leur pourroit causer, comme à beaucoup de nos buveurs & yvrongnes: car ils ont cela par-dessus eux, qu'ils sont plus retenus & graves, avec un peu de superbe pourtant, vont aux festins d'un pas modeste, & representans des Magistrats, s'y comportent avec la mesme modestie & silence, & s'en retournent en leurs maisons & cabanes avec la mesme sagesse: de maniere que vous diriez voir en ces Messieurs là, les vieillards de l'ancienne Lacedemone, allans à leur brouet.
Ils font quelquefois des festins où l'on ne prend rien que du petun, avec leur pippe ou calumet, qu'ils appellent Anondahoin: & en d'autres où l'on ne mange rien que du pain ou fouasse pour tout mets, & pour l'ordinaire ce sont festins de songerie, ou qui ont esté ordonnez par le Medecin; les songes, resveries & ordonnances duquel sont tellement bien observees, qu'ils n'en obmettroient pas un seul iota: qu'ils n'en fassent toutes les façons, pour l'opinion & croyance qu'ils y ont. Aucunes fois il faut que tous ceux qui sont au festin soient à plusieurs pas l'un de l'autre, sans s'entre-toucher. Autres fois quand les festinez sortent, l'adieu & remerciement qu'ils doivent faire, est une laide grimace au Maistre du festin, ou au malade, à l'intention duquel, le festin aura esté faict. A d'autres, il ne leur est permis de lascher du vent 24 heures, dans lequel temps s'ils faisoient au contraire, ils se persuaderoient qu'ils mourroient, tant ils sont ridicules & superstitieux à leurs songes; quoy qu'ils mangent de l'Andataroni, c'est à dire fouasse ou galette, qui sont choses fort venteuses. Quelquesfois il faut qu'apres qu'ils sont bien saoulx, & ont le ventre bien plein, qu'ils rende gorge, & revomissent aupres d'eux tout ce qu'ils ont mangé, ce qu'ils font facilement. Ils en font de tant d'autres sortes & de si impertinents, que cela seroit ennuyeux à lire, & trop-long à escrire; c'est pourquoy je m'en deporte, & me contente de ce que j'en ay escrit, pour contenter aucunement les plus curieux des ceremonies estrangeres.
De quelque animal que se fasse le festin, la teste entiere est tousjours donnee & presentee au principal Capitaine, ou à un autre des plus vaillans de la trouppe, à la volonté du Maistre de festin, pour tesmoigner que la vaillance & la vertu sont en estime; comme nous remarquons chez Homere aux festins des Heros, qu'on leur envoyoit quelque piece de boeuf pour honorer leur vertu, ce qui semble estre un tesmoignage tiré de la Nature, puisque ce que nous trouvons avoir esté pratiqué és festins solennels des Grecs, peuples polis, se rencontre en ces Sauvages, par l'inclination de la Nature, sans cette politesse.
Pour les autres conviez, qui sont de moindre consideration, si la beste est grosse, comme d'un Ours, d'un Eslan, d'un Esturgeon, ou bien de quelque homme de leurs ennemis, chacun a un morceau du corps, & le reste est demincé dans le brouet pour le rendre meilleur. C'est aussi la coustume que celuy qui faict le festin ne mange point pendant iceluy; ains petune, chante, ou entretient la compagnie de quelques discours: J'y en ay veu quelques-uns manger, contre leur coustume, mais pas souvent.
Et pour dresser la jeunesse à l'exercice des armes, & les rendre recommandables par le courage & la prouesse qu'ils estiment grandement, ils ont accoustumé de faire des festins de guerre, & de resjouyssance, ausquels les vieillards mesmes, & les jeunes hommes à leur exemple, les uns apres les autres, ayans une hache en main, ou quelqu'autre instrument de guerre, font des merveilles de s'escrimer & combattre d'un bout à l'autre de la place où se faict le festin, comme si en effect ils estoient aux prises avec l'ennemy: & pour s'exciter & esmouvoir encore d'avantage à cet exercice, fair voir que dans l'occasion ils ne manqueroient pas de courage; ils chantent d'un ton menaçant & furieux, des injures, imprecations & menaces contre leurs ennemis, & se promettent une entiere victoire sur eux. Si c'est un festin de victoire & de resjouyssance, ils chantent d'un ton plus doux & agreable, les louanges de leurs braves Capitaines qui ont bien tué de leurs ennemis, puis se rassoient, & un autre prend la place, jusqu'à la fin du festin.
Des dances, chansons & autres
ceremonies ridicules.
CHAPITRE X.
OS Sauvages, & generalement
tous les peuples des
Indes Occidentales, ont de
tout temps l'usage des dances;
mais ils l'ont à quatre
fins: ou pour agréer à leurs Demons,
qu'ils pensent leur faire du bien, ou pour
faire feste à quelqu'un, ou pour se resjouyr
de quelque signalee victoire, ou pour prevenir
& guerir les maladies & infirmitez
qui leur arrivent.
Lors qu'ils se doit faire quelques dances, nuds, ou couvert de leurs brayers, selon qu'aura songé le malade, ou ordonné le Medecin, ou les Capitaines du lieu; le cry se faict par toutes les rues de la ville ou du village, advertissant & invitant les jeunes gent de s'y porter au bout & heure ordonnez; le mieux marachié & paré qu'il leur sera possible, ou en la maniere qu'il aura esté ordonné, & qu'ils prennent courage, que c'est pour une telle intention, nommant le sujet de la dance: ceux des villages circonvoysins ont le mesme advertissement, et sont aussi priez de s'y trouver, comme ils font à la volonté d'un chacun: car l'on n'y contraint personne.
Cependant on dispose une des plus grandes Cabanes du lieu, & là estans tous arrivez, ceux qui ne sont là que pour estre spectateurs, comme les vieillards, les vieilles femmes & les enfans se tiennent assis sur les nattes contre les establies, & les autres au-dessus, du long de la Cabane, puis deux Capitaines estans debout, chacun une Tortue en la main (de celles qui servent à chanter & souffler les malades) chantent ainsi au milieu de la dance, une chanson, à laquelle ils accordent le son de leur Tortue; puis estant finie ils font tous une grande acclamation disans, Hé é é é, puis en recommencent une autre, ou repetent la mesme, jusques au nombre de reprises qui auront esté ordonnees, & n'y a que ces deux Capitaines qui chantent, tout le reste dit seulement, Het, het, het, comme quelqu'un qui aspire avec vehemence: & puis tousjours à la fin de chaque chanson une haute & longue acclamation, disans H é é é é.
Toutes ces dances se font en rond, du moins en ovalle, selon la longueur & largeur des Cabanes; mais les danseurs ne se tiennent point par la main comme par deçà, ains ils sont tous les poings fermez: les filles les tiennent l'un sur l'autre, esloignez de leur estomach, & les hommes les tiennent aussi fermez, eslevez en l'air, & de toute autre façon, en la maniere d'un homme qui menace, avec mouvement & du corps & des pieds, levans l'un & puis l'autre, desquels ils frappent contre terre à la cadence des chansons, & s'eslevans comme en demy-sauts, & les filles branslans tout le corps, & les pieds de mesmes, se retournent au de quatre ou cinq petit pas, vers celuy ou celle que les suit, pour luy faire la reverence d'un hochement de teste. Et ceux ou celles qui se démeinent le mieux, y font plus à propos toutes les petites chimagrees, sont estimez entr'eux les meilleurs danceurs, c'est pourquoy ils ne s'y espargnent pas.
Ces dances durent ordinairement une, deux, & trois apres-disnees, & pour n'y recevoir d'empeschement à y bien faire leur devoir, quoy que ce soit au plus fort de l'hyver, ils n'y portent jamais autres vestemens ou couvertures que leurs brayers, pour couvrir leur nudité, si ainsi il est permis, comme il l'est ordinairement, sinon que pour quelqu'autre sujet il soit ordonné de les mettre bas, n'oublians neantmoins jamais leurs colliers, oreillettes & brasselets, & de se peinturer parfois comme au cas pareil les homme se parent de colliers, plumes peintures & autres fatras, dont j'en ay veu estre accommodez en Mascarades ou Caresme-prenans, ayans une peau d'Ours qui leur couvroit tout le corps, les oreilles dressees au bout de la teste, & la face couverte, excepté les yeux, & ceux-cy ne servoient que de portiers ou bouffons, & ne se mesloient dans la dance que par intervalle, à cause qu'ils estoient destinez à autre chose. Je vis un jour un de ces boufons entrer processionnellement dans la Cabane où se devoit faire la dance, avec tous ceux qui estoient de la feste, lequel portant sur ses espaules un grand chien lié & garrotté par les pattes & le museau, le prit par les deux jambes de derriere au milieu de la Cabane; & le rua contre terre par plusieurs fois, jusqu'à que qu'estant mort il le fist prendre par un autre, qui l'alla apprester dans une autre Cabane pour le festin, à l'issue de la dance.
Si la dance est ordonnee pour un malade, à la troisiesme ou derniere apres-disnee, s'ils est trouvé expedient, ou ordonne par le Loki, elle y est portee, & en l'une des reprises du tour de chanson on la porte, on la seconde on la faict un peu marcher & dancer, la soustenant sous les bras: & à la troisiesme, si la force luy peut permettre, ils la font un peu dancer d'elle-mesme, sans ayde de personne, luy cirant cependant toujours a pleine teste, Etsagone outschonne, achieteq anatetsence; c'est à dire: prend courage femme, & tu seras demain guerie, & apres les dances finies ceux qui sont destinés pour le festin y vont, & les autres s'en retournent en leurs maisons.
Il se fit un jour une dance de tous les jeunes hommes, femmes & filles toutes nues en la presence d'une malade, à laquelle il fallut (traict que je ne sçay comment excuser, ou passer sous silence) qu'un de ces jeunes hommes luy pissait dans la bouche, & qu'elle avallaist & beust cette eau, ce qu'elle fit avec un grand courage, esperant en recevoir guerison: car elle mesme desira que le tout se fit de la sorte, pour accomplir & ne rien obmettre du songe qu'elle en avoit eu: que si pendant leur songe ou resverie il leur vient encore en la pensee qu'il faut qu'on leur fasse present D'un chien noir ou blanc, ou d'un grand poisson pour festiner, ou bien de quelque chose à autre usage, à mesme temps le cry en est faict par toute la ville, afin que si quelqu'un a une telle chose qu'on specifie, qu'il en fasse present à une telle malade, pour le recouvrement de sa santé: ils sont si secourables qu'ils ne manquent point de la trouver, bien que la chose soit de valeur ou d'importance entr'eux; aymans mieux souffrir & avoir disette des choses que de manquer au besoin à un malade; & pour exemple, le Pere Joseph avoit donné un chat à un grand Capitaine: comme un present tres-rare (car ils n'ont point de ces animaux). Il arriva qu'une malade songea que si on luy avoit donné ce chat qu'elle seroit bien-tost guerie. Ce Capitaine en fut adverty, qui aussi tost luy envoya son chat bien qu'il l'aymast grandement, & sa fille encore plus, laquelle se voyant privée de cet animal, qu'elle aymoit passionnément, en tombe malade, & meurt de regret, ne pouvant vaincre & surmonter son affection, bien qu'elle ne voulust manquer au secours & ayde de son prochain. Trouvons beaucoup de Chrestiens qui vueillent ainsi s'incommoder pour le service des autres, & nous en louerons Dieu.
Pour recouvrer nostre dé à coudre, qui nous avoit esté desrobé par un jeune garçon, qui depuis le donna à une fille, je fus au lieu où se passoient les dances, & ne manquay point de l'y remarquer, & le r'avoir de la fille qui l'avoit pendu à sa ceinture, avec ses autres matachias, & en attendant l'issue de la dance, je me fis repeter par un Sauvage une des chansons qui s'y disoient, dont en voicy une partie que j'ay icy escrite.
Ongyata euhaha ho ho ho ho ho,
Eguyotonuhaton on on on on on
Eyontata eientet onnet onnet onnet
Eyoniara eientet à à àonnet, onnet, onnet,
Ho ho!
Ayant descrit ce petit eschantillon d'une chanson Huronne, j'ay creu qu'il ne seroit pas mal à propos de descrire encore icy une partie de quelque chanson, qui se disoit un jour en la Cabane du grand Sagamo des Souriquois, à la louange du Diable, qui leur avoit indiqué de la chasse, ainsi que nous apprist un François qui s'en dist tesmoin auriculaire, & commence ainsi.
Jaloet ho ho jé hé ha ha haloet ho ho hé, ce qu'ils chante par plusieurs fois: le chant est sur ces notes:
Re fa sol sol re sol sol fa fa re re sol sol fa fa.
Une chanson finie, ils font tous une grande exclamation, disans hé. Puis recommencent une autre chanson, disans:
Egrigna han, egrigna hé hé hu hu ho ho ho, egrigna hau hau hau.
Le chant de celle-cy estoit: Fa fa fa; sol sol, fa fa, re re, sol sol, fa fa fa, re, fa fa, sol sol fa.
Ayans faict l'exclamation accoustumee, ils en commencerent une autre qui chantoit:
Tameia alleluia, tameia à dou-meni, hau hau, hé hé: Le chant en estoit: Sol sol sol; fafa, re re re, fa sol fa sol fa fa, rere.
Les Brasiliens en leurs Sabats, font aussi de bons accords, comme: Hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé, avec cette note, fa fa sol fa fa, sol sol sol sol sol. Et cela faict s'escrioyent d'une façon & hurlement espouventable l'espace d'un quart d'heure, & sautoient en l'air avec violence, jusqu'à en escumer par la bouche, puis recommencerent la musique disans: Heu heüraüye heura heüraüye heüra heüraoutek. La note est: Fa mi re sol sol sol fa mi re mi re mi ut re.
Dans le pays de nos Hurons, il se faict aussi des assemblees de toutes les filles d'un bourg aupres d'une malade, tant à sa priere, suyvant la resverie ou le songe qu'elle en aura euë, que par l'ordonnance de Loki, pour sa santé & guerison. Les filles ainsi assemblees, on leur demande à toutes, les unes apres les autres, celuy qu'elles veulent des jeunes hommes du bourg pour dormir avec elles la nuict prochaine: elles en nomment chacune un, qui sont aussi-tost advertis par les Maistres de la ceremonie, lesquels viennent tous au soir en la presence de la malade, dormir chacun avec celle qui l'a choysi, d'un bout à l'autre de la Cabane, & passent ainsi toute la nuict pendant que deux Capitaines aux deux bouts du logis chantent & sonnent de leur Tortue du soir au lendemain matin, que la ceremonie cesse. Dieu vueille abolir une si damnable & mal-heureuse ceremonie, avec toutes celles qui sont de mesme aloy, & que les François qui les fomentent par leurs mauvais exemples, ouvrent les yeux de leur esprit pour voir ce compte tres-estroict qu'ils en rendront un jour devant Dieu.
De leur mariage & concubinage.
CHAPITRE XI.
OUS lisons, que Cesar
louoit grandement les Allemans,
d'avoir eu en leur
ancienne vie sauvage telle
continence, qu'ils repetoient
chose tres vilaine à un jeune homme,
d'avoir la compagnie d'une femme
ou fille avant l'aage de vingt ans. Au contraire
des garçons & jeunes hommes de
Canada, & particulierement du pays de
nos Hurons, lesquels ont licence de s'adonner
au mal si tost qu'ils peuvent, & les
jeune filles de se prostituer si tost qu'elles
en sont capables, voire mesme les
peres & meres sont souvent maquereaux
de leur propres filles: bien que je
poisse dire avec verité, n'y avoir jamais
veu donner un seul baiser, ou faire aucun
geste ou regard impudique: & pour cette
raison j'ose affermer qu'ils sont moins
sujet à ce vice que par deçà, dont on
peut attribuer la cause, partie à leur nudité,
& principalement de la teste, partie au
defaut des espiceries, du vin, & partie à
l'usage ordinaire qu'ils ont du petun, la fumee
duquel estourdit les sens, & monte
au cerveau.
Plusieurs jeunes hommes au lieu de se marier, tiennent & ont souvent des filles à pot & à feu, qu'ils appellent non femmes Atinonina, parce que la ceremonie du mariage n'en à point esté faicte, ains Asqua, c'est à dire compagne, ou plustost concubine, & vivent ensemble pour autant longtemps qu'il leur plaist, sans que cela empesche le jeune homme, ou la fille, d'aller voir par-fois leurs autres amis ou amies librement et sans crainte de reproche ny blasme, telle estant la coustume du pays.
Mais leur premiere ceremonie du mariage est que quant un jeune homme veut avoir une fille en mariage, il faut qu'il la demande à ses pere & mere, sans le consentement desquels la fille n'est point à luy (bien que le plus souvent la fille ne prend point leur consentement & advis) sinon les plus sages & mieux advisees. Cet amoureux voulant faire l'amour à sa maitresse, & acquerir ses bonnes graces, se peinturera le visage, & s'accommodera des plus beaux Matachias, qu'il pourra avoir, pour sembler plus beau, puis presentera à la fille quelque colier, brasselet ou oreillette de Pourceleine: si la fille a ce serviteur agreable, elle reçoit ce present, cela faict, cet amoureux viendra coucher avec elle trois ou quatre nuicts & jusques la il n'y a encore point de mariage parfait; ny de promesse donnee, pource qu'apres ce dormir il arrive assez souvent que l'amitié ne continue point & que la fille, qui pour obeyr à son pere, a souffert ce passe droit, n'affectionne pas pour cela ce serviteur, & faut par apres qu'il se retire sans passer outre, comme il arriva de nostre temps à un Sauvage, envers la seconde fille du grand Capitaine de Quieunonascaran, comme le pere de la fille mesme s'en plaignoit à nous, voyant l'obstination de sa fille à ne vouloir passer outre à la derniere ceremonie du mariage, pour n'avoir ce serviteur agreable.
Les parties estans d'accord, & le consentement des pere & mere estant donné, on procede à la seconde ceremonie du mariage en cette maniere. On dresse un festin de chien, d'ours, d'eslan, de poisson ou d'autres viandes qui leur sont accommodees, auquels tous les parent & amis des accordez sont invitez. Tout le monde estant assemblé, & chacun en son rang assis sur son seant, tout à l'entour de la Cabane; Le pere de la fille, ou le maistre de la ceremonie, à ce deputé, dict & prononce hautement & intelligiblement devant toute l'assemblee, comme tels & tels se marient ensemble, & qu'à cette occasion a esté faicte cette assemblee & ce festin, d'ours, de chien, de poisson, &c. pour la resjouyssance d'un chacun, & la perfection d'un si digne ouvrage. Le tout estant approuve, & la chaudiere nette, chacun se retire, puis toutes les femmes & filles portent à la nouvelle mariee, chacune un fardeau de bois pour sa provision, si elle est en saison qu'elle ne le peult faire commodément elle-mesme.
Or il faut remarquer qu'ils gardent trois degrez de consanguinité, dans les quels ils n'ont point accoustumé de faire mariage: sçavoir est, du fils avec sa mere, du pere avec sa fille, du frere avec sa soeur, & du cousin avec sa cousine, comme je recogneus apperrement un jour, que je montray une fille à un Sauvage, & luy demanday si c'estoit là sa femme ou sa concubine, il me respondit que non, & qu'elle estoit sa cousine, & qu'ils n'avoient pas accoustumé de dormir avec leurs cousines; hors cela toutes choses sont permises. De douaire il ne s'en parle point, aussi quand il arrive quelque divorce, le mary n'est tenu de rien.
Pour la vertu & les richesses principales que les pere & mere desirent de celuy qui recherche leur fille en mariage, est, non seulement qu'il ait un bel entre gent, & soit bien matachié & enjolivé, mais il faut outre cela, qu'il se monstre vaillant à la chasse, à la guerre & à la pesche, & qu'il sçache faire quelque chose, comme l'exemple suyvant le monstre.
Un Sauvage faisoit l'amour à une fille, laquelle ne pouvant avoir du gré & consentement du pere, il la ravie, & la prit pour femme. Là dessus grande querelle, & enfin la fille luy est enlevee, & retourne avec son pere; & la raison pourquoy le pere ne vouloit que ce Sauvage eust sa fille, estoit, qu'il ne la vouloit point bailler à un homme qui n'eust quelque industrie pour la nourrir, & les enfans qui proviendroient de ce mariage. Que quant à luy il ne voyoit point qu'ils sceust rien faire, qu'il s'amusoit à la cuisine des François, & ne s'exerçoit à la cuisine des François, & ne s'exerçoit point à chasser: le garçon pour donner preuve de ce qu'il sçavoit par effect, ne pouvant autrement r'avoir la fille, va à la chasse (du poisson) & en prend quantité, & apres ceste vaillantise, la fille luy est rendue, & la reconduit en sa Cabane, & firent bon mesnage par ensemble, comme ils avoient faict par le passé.
Que si apres succession de temps, il leur prend envie de se separer pour quelque sujet que ce soit, ou qu'ils n'ayent point d'enfans, il se quittent librement, le mary se contentant de dire à ses parens & à elle qu'elle ne vaut rien, & qu'elle se pourvoye ailleurs, & dés lors elle vit en commun avec les autres, jusqu'à ce que quelqu'autre la recherche; & non seulement les hommes procurent ce divorce, quand les femmes leur en ont donné quelque sujet, mais aussi les femmes quittent facilement leurs marys, quant ils ne leur agreent point: d'où il arrive souvent que elle passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de douze ou quinze marys, tous lesquels ne sont pas neantmoins seuls en la jouyssance de la femme, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue les jeunes femmes & filles courent d'une Cabane à autre, comme font, en cas pareil, les jeunes hommes de leur costé qui en prennent par où bon leur semble, sans aucune violence toutesfois, remettant le cours à la volonté de la femme. Le mary fera le semblable à sa voysine, & la femme à son voysin, aucune jalousie ne se mesle entr'eux pour cela, & n'en reçoivent aucune honte, infamie ou des-honneur.
Mais lors qu'ils ont des enfans procreez de leur mariage, ils se separent & quittent rarement, & que ce ne soit pour un grand sujet, & lors que cela arrive, ils ne laissent pas de se remarier à d'autres, nonobstant leurs enfans, desquels ils font accord à qui les aura, & demeurent d'ordinaire au pere, comme j'ay veu à quelques uns, excepté à une jeune femme, à laquelle le mary laissa un petit fils au maillor, & ne sçay s'il ne l'eust point encore retiré à soy, apres estre sevré, si leur mariage ne se fut raccommodé, duquel nous fusmes les intercesseurs pour les remettre ensemble & à appaiser leur debat, & firent à la fin ce que leur conseillasmes, qui estoit de se pardonner l'un l'autre, & de continuer à faire bon mesnage à l'advenir, ce qu'ils firent.
Une des grandes & plus fascheuses importunitez qu'ils nous donnoient au commencement de nostre arrivee en leur pays, estoit leur continuelle poursuitte & prieres de nous marier, ou du moins de nous aller avec eux & ne pouvoient comprendre nostre maniere de vie Religieuse: à la fin ils trouverent nos raisons bonnes, & ne nous en importunerent plus, approuvans que ne fissions rien contre la volonté de nostre bon Pere JESUS; & en ces poursuittes les femmes & filles estoient sans comparaison, pires & plus importunes que les hommes mesmes, qui venoient nous prier pour elles.
De la naissance, nourriture & amour
que les Sauvages ont envers
leurs enfans.
CHAPITRE XII.
Onobstant que les femmes
se donnent carriere
avec d'autres qu'avec
leurs marys, & les
marys avec d'autres qu'avec
leurs femmes, si est-ce
qu'ils ayment tous grandement leurs
enfans, gardans cette Loy que la Nature
a entee és coeurs de tous les animaux, d'en
avoir le soin. Or ce qui faict qu'ils ayment
leurs enfans plus qu'on ne faict par deçà
(quoy que vicieux & sans respect) c'est
qu'ils sont le support des peres en leur
vieillesse; soit pour les ayder à vivre, ou
bien pour les deffendre de leurs ennemis,
& la Nature conserve en eux son droict
tout entier pour ce regard: à cause de
quoy ce qu'ils souhaittent le plus, c'est
d'avoir nombre d'enfans, pour estre tant
plus forts, & asseurez de support au temps
de la vieillesse, & neantmoins les femmes
n'y sont pas si fecondes que par deçà:
peut-estre tant à cause de leur lubricité,
que du choix de tant d'hommes.
La femme estant accouchee, suyvant la coustume du pays, elle perce les oreilles de son enfant avec une aleine, ou un os de poisson, puis y met un tuyau de plume, ou autre chose, pour entretenir le trou, & y prendre par apres les patinotres de Pourceleine, ou autres bagatelles, & pareillement à son col quelque peint qu'il soit. Il y en a aussi qui leur font encore avaler de la graisse ou de l'huile, si tost qu'ils sont sortis du ventre de leur mere: je ne sçay à quel dessein ny pourquoy, sinon que le Diable (singe des oeuvres de Dieu) leur ait voulu donner cette invention, pour contre-faire en quelque chose le sainct Baptesme, ou quelqu'autre Sacrement de l'Eglise.
Pour l'imposition des noms, ils les donnent par tradition, c'est à dire, qu'ils ont des noms en grande quantité, lesquels ils choisissent & imposent à leurs enfans: aucuns noms sont san significations, & les autres avec signification: comme Yacoissé, le vent, Ongyata, signifie la gorge, Tochingo, grue, Sondaqua, aigle, Scouta, la teste, Tattya, le ventre, Taïhy, un arbre, &c. J'en ay veu un qui s'appelloit Joseph, mais je n'ay pû sçavoir qui luy avoit imposé ce nom là, & peut-estre que parmy un si grand nombre de noms qu'ils ont, il s'y en peut trouver quelques-uns approchans des nostres.
Les anciennes femmes d'Allemaigne sont louees par Tacite, d'autant que chacune nourrissoit ses enfans de ses propres mamelles, & n'eussent voulu qu'une autre qu'elles les eust allaictez. Nos Sauvagesses, avec leurs propres mamelles, allaictent & nourrissent aussi les leurs, & n'ayans point l'usage ny la commodité de la bouillie, elles leur baillent encore des mesmes viandes desquelles elles usent, apres les avoir bien maschees, & ainsi peu à peu les eslevent. Que si la mere vient à mourir avant que l'enfant soit sevré, le pere prend de l'eau, dans laquelle aura tres-bien bouilly du bled d'Inde, & en emplit sa bouche, & joignant celle de l'enfant contre la sienne, lui faict recevoir & avaler cette eauë, & c'est pour suppleer au desfaut de la mammelle & de la bouillie, ainsi que j'ay veu pratiquer au mary de nostre Sauvagesse baptizee. De la mesme invention se servent aussi les Sauvagesses, pour nourir les petits chiens, que les chiennes leur donnent, ce que je trouvois fort maussade & vilain, de joindre ainsi à leur bouche le museau des petits chiens, qui ne sont pas souvent trop nets.
Durant le jour ils emmaillotent leurs enfans sur une petite planchette de bois, où il y a à quelques-unes un arrest ou petit aiz plié en demi-rond au dessous des pieds, & la dressent debout contre le plancher de la Cabane, s'ils ne les portent promener avec cette planchette derriere leur dos, attachée avec un collier qui leur prend sur le front, ou que hors du maillot ils ne les portent enfermez dans leur robe ceintes devant eux, ou derriere leur dos presque tous droits, la teste de l'enfant dehors, qui regarde d'un costé & d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte.
L'enfant estant emmaillotté sur cette planchette, ordinairement enjolivée de petits Matachias & Chappelets de Pourceleine, ils luy laissent une couverture devant la nature, par où il faict son eau, & si c'est une fille, ils y adjoustent une feuille de bled d'Inde renversee, qui sert à porter l'eau dehors, sans que l'enfant soit gasté de ses eauës, & au lieu de lange (car ils n'en ont point) ils mettent sous-eux du duvet fort doux de certain roseaux, sur lesquels ils sont couchez fort mollement, & les nettoyent du mesme duvet; & la nuict ils les couchent souvent tous nuds entre le pere & la mere, sans qu'il en arrive, que tres-rarement, d'accident. J'ay veu en d'autres Nations, que pour bercer & faire dormir l'enfant, ils le mettent toue emmaillotté dans une peau, qui est suspendue en l'air par les quatre coins, aux bois & perches de la Cabane, à la façon que sont les licts de reseau des Matelots sous le Tillac des navires, & voulans bercer l'enfant ils n'ont que fois à autres à donner un bransle à cette peau ainsi suspendue.
Les cimbres mettoient leurs enfans nouveaux naiz parmy les neiges, pour les endurcir au mal, nos Sauvages n'en font pas moins; car ils les laissent non seulement nuds parmy les Cabanes; mais mesmes grandelets ils se veautrent, courent & se jouent dans les neiges, & parmy les plus grandes ardeurs de l'esté sans en recevoir aucune incommodité, comme j'ay veu en plusieurs, admirant que ces petits corps tendrelest puissent supporter (sans en estre malades) tant de froid & tant de chaud, selon le temps & la saison. Et de là vient qu'ils s'endurcissent tellement au mal & à la peint, qu'estans devenus grands, vieils & chenus, ils restent tousjours forts & robustes, & ne ressentent presque aucune incommodité ny indisposition, & mesmes les femmes enceintes sont tellement fortes, qu'elles s'accouchent d'elles-mesmes, & n'en gardent point la chambre pour la pluspart. J'en ay veu arriver de la forest, chargees d'un gros faisseau de bois, qui accouchoient aussi-tost qu'elles estoient arrivées, puis au mesme instant sus pieds, à leur ordinaire exercice.
Et pource que les enfans d'un tel mariage ne se peuvent asseurer legitimes, ils ont cette coustume entr'eux, aussi bien qu'en plusieurs autres endroicts des Indes Occidentales, que les enfans ne succedent pas aux biens de leur pere; ains ils font successeur & heritiers les enfans de leurs propre soeur, & desquels ils sont asseurez estre de leur sang & parentage, & neantmoins encore les ayment-ils grandement, nonobstant le doute qu'ils soient à eux, & que ce soient de tres-mauvais enfants pour la pluspart, & qu'ils leur portent fort peu de respect, & gueres plus d'obeysance; car le mal-heur est en ces pays là, qu'il n'y a point de respect des jeunes aux vieils, ny d'obeyssance des enfans envers les peres & meres, aussi n'y a-il point de chastiment pour faute aucune; c'est pourquoy tout le monde y vit en liberté, & chacun faict comme il l'entend, & les peres & meres, faute de chastier leurs enfans, sont souvent contraincts souffrir d'estre injuriez d'eux, & par-fois battus & esventez au nez. Chose trop indigne, & qui ne sent rien moins que la beste brute; le mauvais exemple, & la mauvaise nourriture, sans chastiment & correction, est cause de tout ce desordre.
De l'exercice des jeunes garçons &
jeunes filles.
CHAPITRE XIII.
'Exercice ordinaire & journalier
des jeunes garçons, n'est autre
qu'è tirer de l'arc, à darder la flesche,
qu'ils font bondir & glisser droict
quelque peu par dessus le pavé; jouer avec
des bastons courbez, qu'ils font couler
par-dessus la neige, & crosser une bille
de bois leger, comme l'on faict en nos quartiers,
apprendre à jetter la fourchette avec
quoy ils herponnent le poisson, & s'adonnent
à autres petits jeux & exercices,
puis se trouver à la Cabane aux heures des
repas, ou bien quand ils ont faim. Que si
une mere prie son fils d'aller à l'eau, au
bois, ou de faire quelqu'autre semblable
service du mesnage, il luy respond que
c'est un ouvrage de fille, & n'en faict rien:
que si par-fois nous obtenons d'eux &
semblables services, c'estoit à condition
qu'ils auroient tousjours entree en nostre
Cabane, ou pour quelque espingle, plume,
ou autre petite chose à se parer, dequoy
ils estoient fort-contens, & nous
aussi, pour ces petits & menus services que
nous en recevions.
Il y en avoit pourtant de malicieux, qui se donnoient le plaisir de coupper la corde où suspendoit nostre porte en l'air, à la mode du pays, pour la faire tomber quand on l'ouvriroit, & puis apres le nioyent absolument, ou prenoient la fuite, aussi n'avouoient-ils jamais leurs fautes & malices (pour estre grands menteurs) qu'en lieu où ils n'en craignent aucun blasme ou reproche: car bien qu'ils soient Sauvages & incorrigibles, si sont-ils fort superbes & cupides d'honneur & ne veulent pas estre estimez malicieux ou meschans, quoy qu'ils le soient.
Nous avions commencé à leur apprendre & enseigner les lettres, mais comme ils sont libertins, & ne demandent qu'à jouer & se donner du bon temps, comme j'ay dict, ils oublioyent en trois jours, ce que nous leur avions appris en quatre, faute de continuer, & nous venir retrouver aux heures que nous leur avions ordonnées, & pour nous dire qu'ils avoient esté empeschez à jouer, ils en estoient quittes; aussi n'estoit-il pas encore à propos de les rudoyer ny reprendre autrement que doucement, & par une maniere affable les admonester de bien apprendre une science qui leur devoit tant profiter, & apporter du contentement le temps à venir.
De mesme que les petits garçons ont leur exercice particulier, & apprennent à tirer de l'arc les uns avec les autres, si tost qu'ils commencent à marcher, on met aussi un petit baston entre les mains des petites fillettes, en mesme temps qu'elles commencent de mettre un pied devant l'autre, pour les stiler, & apprendre de bonne heure à piler le bled, & estans grandelettes elles jouent aussi à divers petits jeux avec leurs compagnes, & parmy ces petits esbats, on les dresse encore doucement à de petits & menus services du mesnage, & aussi quelquesfois au mal qu'elles voyent devant leurs yeux, qui faict qu'estans grandes elles ne valent rien, pour la pluspart, & sont pires (peu exceptées) que les garçons mesmes, se vantans souvent du mal qui les devroit faire rougir; & c'est à qui fera plus d'amoureux, & si la mere n'en trouve pour soy, elle offre librement sa fille, & sa fille s'offre d'elle-mesme, & le mary offre aussi aucunes fois sa femme, si elle veut, pour quelque petit present & bagatelle, & y a des Maquereaux & meschans dans les bourgs & villages, qui ne s'adonnent à autre exercice qu'à presenter & conduire de ces bestes aux hommes qui en veulent. Je loue nostre Seigneur de ce qu'elles prenoient d'assez bonne part nos reprimandes, & qu'à la fin elle commençoient à avoir de la retenue, & quelque honte de leur dissolution, n'osans plus, que fort rarement, user de leurs impertinentes paroles en nostre presence; & admiroient, en approuvant l'honnesteté que leur disions estre aux filles de France, ce qui nous donnoit esperance d'un grand amendement, & changement de leur vie dans peu de temps: si les François qui estoient montez avec nous (pour la pluspart) ne leur eussent dit le contraire, pour pouvoir tousjours jouyr à coeur saoul, comme bestes brutes, de leurs charnelles voluptez, ausquelles ils se veautroient, jusques à avoir en plusieurs lieux des haras de garces, tellement que ceux qui nous devoient seconder à l'instruction & bon exemple de ce peuple, estoient ceux-là mesme qui alloient destruisans & empeschans le bien que nous establissions au salut de ces peuples, & à l'advancement de la gloire de Dieu. Je y en avait neantmoins quelques-uns de bons, honnestes & bien vivans, desquels nous estions fort contens & bien edifiez; comme au contraire nous estions scandalisez de ces autres brutaux, athees, & charnels, qui empeschoient la conversion & amendement de ce pauvre peuple.
L'un de nos François ayant esté à la traicte en une Nation du costé du Nord, tirant à la mine de Cuivre, environ cent lieuës de nous: il nous dit à son retour y avoir veu plusieurs filles, ausquelles on avoit couppé le bout du nés; selon la coustume de leur pays (bien opposite & contraire à celle de nos Hurons) pour avoir faict bresche à leur honneur, & nous asseura aussi qu'il avoit veu ces Sauvages faire quelque forme de priere avant que prendre leur repas: ce qui donna au Pere Nicolas & à moi, une grande envie d'y aller, si la necessité ne nous eust contraincts de retourner en la Province de Canada, & de là en France.
De la forme, couleur & stature des
Sauvages, & comme ils ne portent
point de barbe.
CHAPITRE XIV.
OUTES les Nations &
les peuples Americains
que nous avons veus en
nostre voyage, sont tous
de couleur bazanee (excepté
les dents qu'ils ont
merveilleusement blanches) non qu'ils
naissent tels, car ils sont de mesme nature
que nous: mais c'est à cause de la nudité,
de l'ardeur du soleil qui leur donne à nud
sur le dos, & qu'ils s'engraissent & oignent
assez souvent le corps d'huile ou graisse,
avec des peintures de diverses couleurs
qu'ils y appliquent & meslent, pour
sembler plus beaux.
Ils sont tous generalement bien formez & proportionnez de leurs corps, & sans difformité aucune, & peux dire avec verité, y avoir veu d'aussi beaux enfans qu'il y en sçavoit avoir en France. Il n'y a pas mesme de ces gros ventrus, pleins d'humeurs & de graisses, que nous avons par-deçà; car ils ne sont ny trop gras, ny trop maigres, & c'est ce qui les maintient en santé, & exempts de beaucoup de maladies ausquelles nous sommes sujets: car au dire d'Aristote, il n'y a rien qui conserve mieux la santé de l'homme que la sobrieté, & entre tant de Nations & de monde que j'y ay rencontré, je n'y ay jamais veu ny apperceu qu'un borgne, qui estoit des Honqueronons, & un bon vieillard Huron, qui pour estre tombé du haut d'une Cabane en bas, s'estoit faict boiteux.
Il ne s'y voit non plus aucun rousseau, ny blond de cheveux, mais les ont tous noirs (excepté quelques-uns qui les ont chastaignez) qu'ils nourrissent & souffrent seulement à la teste, & non en aucune autre partie du corps, & en ostent mesme tous la cause productive, ayans la barbe tellement en horreur, que pensans parfois nous faire injurier, nous appellent Sascoinronte, qui est à dire barbus, tu es un barbu: aussi croyent-ils qu'elle rend les personnes plus laides, & amoindrit leur esprit. Et à ce propos je diray, qu'un jour un Sauvage voyant un François avec sa barbe, se retournant vers ses compagnons leur dict, comme par admiration & estonnement: O que voyla un homme laid! Est-il possible qu'aucune femme voulust regarder de bon oeil un tel homme, & luy-mesme estoit un des plus laids Sauvages de son pays; c'est pourquoy il avait fort bonne grace de mespriser ce barbu.
Que si ces peuples ne portent point de Barbe, il n'y a dequoy s'emerveiller, puis que les anciens Romains mesmes, estimans que cela leur servoit d'empeschement, n'en ont point porté jusques à l'Empereur Adrien, qui premier a commencé à porter barbe. Ce qu'ils reputoient tellement à honneur, qu'un homme accusé de quelque crime, n'avoit point ce privilege de faire raser son poil comme se peut recueillir par le tesmoignage d'Aulus Gellius, parlant de Scipion fils de Paul, & par les anciennes Medailles des Romains & Gaulois, que nous voyons encore à present.
Nos François avoient donné à entendre aux Sauvagesses, que les femmes de France avoient de la barbe au menton, & leur avoient encore persuadé tout plein d'autres choses, que par honnesteté je n'escris point icy, de sorte qu'elles estoient fort desireuses d'en voir; mais nos Hurons ayant veu Mademoiselle Champlain en Canada, ils furent détrompez, & recogneurent qu'en effet on leur en avoit donné à garder. De ces particularitez on peut inferer que nos Sauvages ne sont point velus, comme quelques-uns pourroient penser. Cela appartient aux habitans des Isles Gorgades, d'où le Capitaine Hanno Carthaginois, rapporta deux peaux de femmes toutes velues, lesquelles il mit aux Temple de Juno par grande singularité, & me semble encor' avoir ouy dire à vue personne digne de foy, d'en avoir veu une à Paris toute semblable, qu'on y avoit apportée par grande rareté: & de là vient la croyance que plusieurs ont, que tous les Sauvages sont velus, bien qu'il ne soit pas ainsi, & que tres-rarement tn trouve-on qui le soient.
Il arriva au Truchement des Epicerinys, qu'apres avoir passé deux ans parmy eux, & que pensans le congratuler, ils luy dirent: Et bien, maintenant que tu commences à bien parler nostre langue, si tu n'avois point de barbe tu aurois desja presque autant d'esprit qu'une telle Nation, luy en nommant une qu'ils estimoient avoir beaucoup moins d'esprit qu'eux, & les François avoit encor' moins d'esprit que cette Nation là, tellement que ces bonnes gens là nous estiment de fort petit esprit, en comparaison d'eux: aussi à tout bout de champ, & pour la moindre chose ils nous disent, Téondion, ou Yescaondion, c'est à dire, tu n'as point d'esprit, Atache, mal-basty. A nous autres Religieux ils nous en disoient autant au commencement, mais à la fin ils nous eurent en meilleur estime, & nous disoient au contraire: Carbia urinidion, vous avez grandement d'esprit: Ei nilandase daussan téhonaion, ou Ahondinoy issa, vous estes gens qui cognoissez les choses d'en-haut & surnaturelles, & n'avoient cette opinion ny croyance des autres François, en comparaison des quels ils estimoient leurs enfans plus sages & de meilleur esprit ils ont bonne opinion d'eux-mesmes, & peu d'estime d'autruy.
Humeur des Sauvages, & comme ils
ont recours aux Devins, pour
recouvrer les choses
desrobees.
CHAPITRE XV.
NTRE toutes ces Nations il
n'y en a aucune qui ne differe
en quelque chose, soit
pour la façon de se gouverner
& entretenir, ou pour se
vestir & accommoder de leurs parures, chacune
Nation se croyant la plus sage &
mieux advisée de toutes (car la voye du
fol est tousjours droicte devant ses yeux)
dict le Sage. Et pour dire ce qu'il me semble
de quelques-uns; & lesquels sont les
plus heureux ou miserables, je tiens les
Hurons, & autres peuples Sedentaires,
comme la Noblesse: les nations Algoumequines
pour les Bourgeois, & les autres
Sauvage de deçà comme Montagnais
& Canadiens, les villageois & pauvres
du pays: & de faict, ils sont les plus
pauvres & necessiteux de tous car encore
que tous les Sauvages soient miserables
entant qu'ils sont privez de la cognoissance
de Dieu, si ne sont-ils pas tousjours
egallement miserables en la jouyssance
des biens de cette vie, & en l'entretien
& embellissement de ce corps miserable,
pour lequel seul ils travaillent & se peinent,
& nullement pour l'ame, ny pour le
salut.
Tous les Sauvages en general, ont l'esprit & l'entendement assez bon, & ne sont point si grossiers & si lourdeauts que nous nous imaginons en France. Ils sont d'une humeur assez joyeuse et contentée, toutesfois sont un peu saturniens, ils parlent fort posément, comme se voulans bien faire entendre, & s'arrestent aussi-tost en songeans une grande espace de temps, puis reprennent leur parole, & cette modestie est cause qu'ils appellent nos François femmes, lors que trop precipitez & bouillans en leurs actions, ils parlent tous à la fois, & s'interrompent l'un l'autre. Ils craignent le des-honneur & le reproche & sont excitez à bien faire par l'honneur; d'autant qu'entr'eux celuy est tousjours honore, & s'aquiert du renom, qui a faict quelque bel exploict.
Pour la liberalité, nos Sauvages sont louables en l'exercice de cette vertu, selon leur pauvreté: car quand ils se visitent les uns les autres, ils se font des presents mutuels: & pour monstrer leur galantise, ils ne marchandent point volontiers, & se contentent de ce qu'on leur baille honnestement & raisonnablement, mesprisans & blasmans les façons de faire de nos Marchands qui barguignent une heure pour marchander une peau de Castor: ils ont aussi la mansuetude & clemence en la victoire envers les femmes & petits enfans de leurs ennemis, ausquels ils sauvent la vie, bien qu'ils demeurent leurs prisonniers pour servir.
Ce n'est pas à dire pourtant qu'ils n'ayent de l'imperfection: car tout homme y est sujet, & à plus forte raison celuy qui est privé de la cognoissance d'un Dieu & de la lumiere de la foy, comme sont nos Sauvages: car si on vient à parler de l'honnesteté & de la civilité, il n'y a de quoy les louer, puis qu'ils n'en pratiquent aucun traict, que ce que la simple Nature leur dicte & enseigne. Ils n'usent d'aucun compliment parmy-eux, & sont fort-mal propres & mal nets en l'apprest de leurs viandes. S'ils ont les mains sales ils les essuyent à leurs cheveux, ou aux poils de leurs chiens, & ne les lavent jamais, si elles ne sont extremement sales: & ce qui est encore plus impertinent, ils ne font aucune difficulté de pousser dehors les mauvais vents de l'estomach parmy les repas, & en presence de tous. Ils sont aussi grandement addonnez à la vengeance & au mensonge, ils promettent aussi assez; mais ils tiennent peu, car pour avoir quelque chose de vous, ils sçavent buen flatter & promettre, & desrobent encore mieux, si ce sont Hurons, ou autres peuples Sedentaires, envers les estrangers, c'est pourquoy il s'en faut donner de garde, & ne s'y fier qu'à bonnes enseigne, si on n'y veut estre trompé.
Mais si un Huron a esté luy-mesme desrobé, & desire recouvrer ce qu'il a perdu, il a recours à Loki ou Magicien, pour par le moyen de son sort avoir cognoissance de la chose perdue. On le faict donc venir à la Cabane, là où apres avoir ordonné des festins, il faict & pratique ses magies, pour descouvrir & sçavoir qui a esté le voleur & larron, ce qu'il faict indubitablement, à ce qu'ils disent, si celuy qui a faict le larcin est alors present dans la mesme Cabane, & non s'il est absent. C'est pourquoy le François que avoit pris des Rassades au bourg de Toenchain, s'enfuit en haste en nostre Cabane, quand il vit arriver Loki dans son logis, pour le sujet de son larcin, sans que nous ayans sceu, que quelques jours apres, qu'il s'estoit ainsi venu refugier chez-nous pour un si mauvais acte que celuy-là.
Pour ce qui est des Canadiens, & Montagnets, ils ne sont point larrons (au moins ne l'avons-nous pas encore apperceu en nostre endroict) & les filles y sont pudiques & sages, tant en leurs paroles qu'en leurs actions, bien qu'il s'y en pourroit peut-estre trouver entr'elles qui le seroient moins. Mais les Sauvages les plus honnestes & mieux appris que j'aye recogneu en une si grande estendue de pays, sont, à mon advis, ceux de la Baye & contree de Miskou, parlant en general; car en toute Nation il y en a de particuliers qui surpassent en bonté & honnesteté, & les autres qui excedent en malice. J'y vis le Sauvage du bon Pere Sebastien Recollet, Aquitanois, qui mourut de faim, avec plusieurs Sauvages, vers sainct Jean, & la Baye de Miskou, pendant un hyver que nous demeurions aux Hurons, environ quatre cens lieuës esloignez de luy: mais il ne sentoit nullement son Sauvage en ses moeurs & façons de faire; ais son homme sage, grave, doux & bien appris, n'approuvant nullement la legereté & inconstance qu'il voyoit en plusieurs de nos hommes, lesquels il reprenoit doucement en son silence & en sa retenue, aussi estoit-il un des principaux Capitaines & chef du pays.
Des cheveux & ornemens du corps.
CHAPITRE XVI.
ES Canadiens & Montagnets,
tant hommes que
femmes, portent tous longue
chevelure, qui leur
tombe & bat sur les espaules,
& à costé de la face, sans estre nouez
ny attachez, & n'en couppent qu'un bien
peu de devant, à cause que cela leur empescheroit
de voir en courant. Les femmes
& filles Algoumequines my partissent
leur longue chevelure en trois: les
deux parts leur pendent de costé & d'autre
sur les oreilles & à costé des joues; &
l'autre partie est accommodée par derriere
en tresse, en la forme d'un marteau pendant,
couché sur le dos. Mais les Huronnes
& Petuneuses ne font qu'une tresse de
tous leurs cheveux, qui leur bat de mesme
sur le dos, liez & accommodez avec des
lanieres de peaux fort sales. Pour les
hommes, ils portent deux grandes moustaches
sur les oreilles, & quelques-uns
n'en portent qu'une, qu'ils tressent & cordelent
assez souvent avec des plumes &
autres bagatelles, le reste des cheveux est
couppé court, ou bien par compartiment,
couronnes, clericales, & en toute autre
maniere qu'il leur plaist: j'ay veu de certains
vieillards, qui avoient desja, par maniere
de dire, un pied dans la fosse, estre
autant ou plus curieux de ses petites parures,
& d'y accommoder du duvet de plumes
& autres ornemens, que les plus jeunes
d'entr'eux. Pour les Cheveux relevez,
ils portent & entretiennent leurs
cheveux sur le front, fort droicts & relevez,
plus que ne font ceux de nos Dames
de par deçà, couppez de mesure, allans
tousjours en diminuant de dessus le front
au derriere de la teste.
Generallement tous les Sauvages, & particulierement les femmes & filles sont grandement curieuses d'huiler leurs cheveux, & les hommes de peindre leur face & le reste du corps, lors qu'ils doivent assister à quelque festin, ou à des assemblees publiques, que s'ils ont des Matachias, & Pourceleines ils ne les oublient point non plus que les rasssades, Patinotres & autres bagatelles que les François leur traitent. Leurs Pourceleines sont diversement enfilees, les unes en coliers, large de trois ou quatre doigts, faicts comme une sangle de cheval qui en auroit les fisseles toutes couvertes & enfilees, & ces coliers ont environ trois pieds & demy de tour, ou plus, qu'elles mettent en quantité à leur col, selon leur moyen & richesse, puis d'autres enfilees comme nos Patinotres, attachees & pendues à leurs oreilles, & des chaisnes de grains gros comme noix, de la mesme Pourceleine qu'elles attachent sur les deux hanches & viennent par devant arrengees de haut en bas, par dessus les cuisses ou brayers qu'elles portent: & en ay veu d'autres qui en portoient encore des brasselets aux bras; & de grandes plaques par derriere, accommodez en rond & comme une carde à carder la laine, attachez à leurs tresses de cheveux: quelqu'unes d'entr'elles ont aussi des ceintures & autres parures, faictes de poil de porc-espic, teincts en rouge cramoisy, & sont proprement tissues, puis les plumes & les peintures ne manquent point, & sont à la devotion d'un chacun.
Pour les jeunes hommes, ils sont aussi curieux de s'accommoder & farder comme les filles: ils huilent leurs cheveux, & y appliquent des plumes, & d'autres se font des petites fraises de duvet de plumes à l'entour du col: quelques-uns ont des fronteaux de peaux de serpens qui leur pendent par derriere, & la longueur de deux aulnes de France. Ils se peindent le corps & la face de diverses couleurs, de noir, vert, rouge, violet, & en plusieurs autres façons: d'autres ont le corps & la face gravee en compartimens, avec des figures de serpens, lezards, escureux & autres animaux, & particulierement ceux de la Nation du Petun, qui ont tous, presque, les corps ainsi figurez, ce qui les rends effroyables & hydeux à ceux qui n'y sont pas accoustumés: cela est picqué & faict de mesme, que sont faictes & gravees dans la superficie de la chair, les Croix qu'ont aux bras ceux qui reviennent de Jerusalem, & c'est pour un jamais, mais on les accommode à diverses reprises, pour ce que ces piqueures leur causent de grandes douleurs, & en tombent souvent malades, jusques à en avoir la fievre, & perdre l'appetit, & pour tout cela ils ne desistent point, & font continuer jusqu'à ce que tout soit achevé, & comme ils le desirent, sans tesmoigner aucune impatience ou dépit, dans l'excez de la douleur: & ce qui m'a plus faict admirer en cela, a esté de voir quelques femmes, mais peu, accommodées de la mesme façon: J'ay aussi veu des Sauvages d'une autre Nation, qui avoient tous le milieu des narines percees, ausquelles pendoit une assez grosse Patinotre bleue, qui leur tomboit sur la levre d'en haut.
Nos Sauvages croyoient au commencement que nous portions nos Chappelets à la ceinture pour parade, comme ils font leurs Pourceleines, mais sans comparaison ils faisoient fort peu d'estat de nos Chappelets, disans qu'ils n'estoient que de bois, & que leur Pourceleine, qu'ils appellent Onocoitota estoit de plus grande valeur.
Ces Pourceleines sont des os de ces grandes coquilles de mer, qu'on appelle Vignols, semblables à des limaçons, lesquels ils découpent en mille pieces, puis les polissent sur un grais, les percent, & en font des coliers & brasselets, avec grand peine & travail, pour la dureté de ces os, qui sont toute autre chose que nostre yvoire, lequel ils n'estiment pas aussi à beaucoup pres de leur Pourceleine, qui est plus belle & blanche. Les Brasiliens & Floridiens en usent aussi & se parer & attiffer comme eux.
J'avois à mon Chappelet une petite teste de mort en buys, de la grosseur d'une noix, assez bien faicte, beaucoup d'entr'eux la croyoient avoir esté d'un enfant vivant, non que je leur persuadasse mais leur simplicité leur faisoit croire ainsi, comme aux femmes de me demander à emprunter mon capuce & manteau en temps de pluye, ou pour aller à quelque festin: mais elle me prioyent en vain, comme il est aysé à croire. Pour nos Socquets ou Sandales; les Sauvages & Sauvagesses les ont presque tous voulu esprouver & chausser, tant ils les admiroient & trouvoient commodes, me disans apres, Auiel, Sayacogna, Gabriel, fais-moy des souliers; mais il n'y avoit point d'apparence, & estoit hors de mon pouvoir de leur satisfaire en cela, n'ayant le temps, l'industrie, ny les outils propres: & de plus, si j'eusse une fois commencé de leur en faire, ils ne m'eussent donné aucun relasche, ny temps de prier Dieu, & de croire qu'ils se fussent donné la peine d'apprendre, ils sont trop faineants & paresseux: car ils ne font rien du tout, que par la force de la necessité, & voudroient qu'on leur donnast les choses toutes faictes, sans avoir la peine d'y aider seulement du bout du doigt, comme nos Canadiens, qui ayment mieux se laisser mourir de faim, que de se donner la peine de cultiver la terre, pour avoir du pain au temps de la necessité.
De leurs conseils & guerres.
CHAPITRE XVII.
LINE, en une Epistre qu'il
escrit à Fabare, dict que
Pyrrhe, Roy des Epirotes,
demanda à un Philosophe
qu'il menoit avec
luy, quelle estoit la meilleure
Cité du monde. Le Philosophe respondit,
la meilleure Cité du monde, c'est
Maserde, un lieu de deux cens feux en
Achaye, pour ce que tous les murs sont
de pierres noires, & tous ceux qui la gouvernent
ont les testes blanches. Ce Philosophe
n'a rien dit (en cela) de luy-mesme:
car tous les anciens, apres le Sage Salomon,
ont dit qu'aux vieillards se trouve
la sagesse: & en effect, on voit souvent
la jeunesse d'ans, estre accompagnee
de celle de l'esprit.
Les Capitaines entre nos Sauvages, sont ordinairement plustost vieux que jeunes & viennent par succession, ainsi que la royauté par deçà, ce qui s'entend, si le fils d'un Capitaine ensuit la vertu du pere, car autrement ils font comme aux vieux siecles, lors que premierement ces peuples esleurent des Roys, mais ce Capitaine n'a point entr'eux authorité absolue, bien qu'on luy ait quelque respect, & conduisent le peuple plustost par prieres, exhortations, & par exemple, que par commandement.
Le gouvernement qui est entr'eux est tel: que les anciens & principaux de la ville ou du bourg s'assemblent en un conseil avec le Capitaine, où ils decident & proposent tout ce qui est des affaires de leur Republique, non par un commandement absolu, comme j'ay dict, ais par supplications & remonstrances, & par la pluralité des voix qu'ils colligent, avec de petits fetus de joncs. Il y avoit à Quieunonascaran, le grand Capitaine & chef de la Province des Ours, qu'il appelloient Garyhoüa anaionxra, pour le distinguer des ordinaires de guerre, qu'ils appellent Garihoüa outaguéta. Iceluy grand Capitaine de Province avoit encore d'autres Capitaines sous luy, tant de guerre que de police, par tous les autres bourgs & villages de sa jurisdiction, lesquels en chose de consequence le mandoient & advertissoient pour le bien du public, ou de la Province: & en nostre bourg, qui estoit le lieu de sa residence ordinaire, il y avoit encore trois Capitaines, qui assistoient tousjours aux conseils avec les anciens du lieu, outre son Assesseur & Lieutenant qui en son absence, ou quand il n'y pouvoit vacquer, faisoit les cris & publications par la ville des choses necessaires & ordonnees. Et ce Garihoüa anaionxra n'avoit pas si petite estime de soy-mesme, qu'il ne se voulust dire frere & cousin du Roy, & de mesme egalité: comme les deux doigts demonstratifs des mains qu'il nous monstroit joints ensemble, en nous faisant cette ridicule & inepte comparaison.
Or quand ils veulent tenir conseil, c'est ordinairement dans la Cabane du Capitaine, chef & principal du lieu sinon que pour quelque raison particuliere il soit trouvé autrement expedient. Le cry & la publication du conseil ayant esté faicte, on dispose dans la Cabane ou au lieu ordonné, un grand feu, à l'entour duquel s'assizent sur les nattes tous les Conseillers, en suitte du grand Capitaine qui tient le premier rang, assis en tel endroict, que de sa place il peut voir tous ses Conseillers & assistans en face. Les femmes, filles & jeunes hommes n'y assistent point, si ce n'est en un conseil general; où les jeunes hommes de vingt-cinq à trente ans peuvent assister: ce qu'ils cognoissent par un cry particulier qui en est faict. Que si c'est un conseil secret, ou pour machiner quelque trahison ou surprise en guerre, ils le tiennent seulement la nuict entre les principaux Conseillers, & n'en descouvrent rien que la chose projettee ne soit mise en effect, s'ils peuvent.
Estans donc tous assemblez, & la Cabane fermee, ils font tous une longue pose avant que de parler, pour ne se precipiter point, tenans cependant tousjours leur Calumet en bouche; puis le Capitaine commence à haranguer en terme & parole haute & intelligible un assez longtemps, sur la matiere qu'ils ont à traiter en conseil: ayant finy son discours, ceux qui ont à dire quelque chose, les uns apres les autres sans s'interrompre & en peu de mots, opinent & disent leurs raisons & advis, qui sont par apres colligez avec des pailles ou petits joncs, & là dessus est conclud ce qui est jugé expedient.
Plus, ils font des assemblees generales, sçavoir des regions loingtaines, d'où il vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, ou lieu destiné pour l'assemblee, où il se faict de grands festins & dances, & des presens mutuels qu'ils se font les uns aux autres, & parmy toutes ces caresses, ces resjouyssances & ces accolades ils contractent amitié de nouveau, & advisent entr'eux du moyen de leur conservation, & par quelle maniere ils pourront perdre & ruyner tous leurs ennemis communs; tout estant faict, & les conclusions prises, ils prennent congé, & chacun se retire en son quartier avec tout son train & equipage, qui est à la Lacedemonienne, une à un, deux à deux, trois à trois, ou gueres d'avantage.
Quant aux guerres qu'ils entreprennent, ou pour aller dans le pays des ennemis, ce seront deux ou trois des anciens, ou vaillants Capitaines, qui entreprendront cette conduite pour cette fois, & vont de village en village faire entendre leur volonté, donnant des presens à ceux des dicts villages, pour les induire & tirer d'eux de l'ayde & du secours en leurs guerres, & par ainsi sont comme Generaux d'armées. Il en vint un en nostre bourg, qui estoit un grand vieillard, fort dispos, qui incitoit & encourageoit les jeunes hommes & les Capitaines de s'armer, & d'entreprendre la guerre contre la Nation des Arrinoiindarons; mais nous l'en blasmasmes fort, & dissuadasmes le peuple d'y entendre, pour le desastre & mal-heur inévitable que cette guerre eust pue apporter en nos quartiers, & à l'advancement de la gloire de Dieu.
Ces Capitaines ou Generaux d'armees ont le pouvoir, non seulement de designer les lieux, de donner quartier, & de ranger les bataillons; mais aussi de disposer des prisonniers en guerre, & de toute autre chose de plus grande consequence: il est vray qu'ils ne sont pas tousjours bien obeys de leurs soldats, entant qu'eux-mesmes manquent souvent dans la bonne conduite, & celuy qui conduit mal, est souvent mal suivy. Car la fidele obeyssance des sujects depend de la suffisance de bien commander, du bon Prince, disoit Theopompus Roy de Sparte.
Pendant que nous estions là, le temps d'aller en guerre arrivant, un jeune homme de nostre bourg, desireux d'honneur, voulut luy seul, faire le festin de guerre, & d'effrayer tous ses compagnons au jour de l'assemblee generale, ce qui luy fut de grand coust & despense, aussi en fut-il grandement loué & estimé: car le festin estoit de six grandes chaudieres, avec quantité de grands poissons boucanez, sans les farines & les huiles pour les gresser.
On les mit sur le feu avant jour, en l'une des plus grande Cabanes du lieu, puis le conseil estant achevé, & les resolutions de guerre prises, ils entrerent tous au festin, commencerent à festiner, & firent les mesmes exercices militaires, les uns apres les autres, comme ils ont accoustumé, pendant le festin, & apres avoir vuidé els chaudieres, & les complimens & remerciemens rendus, ils partirent, & s'en allerent au rendez-vous sur la frontiere, pour entrer és terres ennemies, sur lesquelles ils prindrent environ soixante de leurs ennemis, la pluspart desquels furent tuez sur les lieux, & les autres amenez en vie, & faits mourir aux Hurons, puis mangez en festin.
Leurs guerres ne sont proprement que des surprises & deceptions; car tous les ans au renouveau, & pendant tout l'esté, cinq ou six cens jeunes hommes Hurons, ou plus, s'en vont s'espandre dans une contree des Yroquois, se departent en cinq ou six en un endroict, cinq ou six en un autre & autant en un autre, & se couchent sur le ventre par les champs & forests, & à costé des grands chemins & sentiers, & la nuict venue ils rodent partout, & entrent jusques dans les bourgs & villages, pour tascher d'attraper quelqu'un, soit homme, femme ou enfant, & s'ils en prennent en vie, les emmenent en leur pays pour les faire mourir à petit feu, sinon apres leur avoir donné un coup de massue, ou tué à coup de flesches, ils en emportent la teste, que s'ils en estoient trop chargez, ils se contentent d'en emporter la peau avec sa chevelure, qu'ils appellent Onantsira, les passent & les serrent pour en faire des trophees, & mettre en temps de guerre sur les pallissades ou murailles de leur villes, attachees au bout d'une longue perche.
Quand ils vont ainsi en guerre & en pays ennemis, pour leur vivre ordinaire ils portent quant & eux, chacun derriere son dos, un sac plein de farine, de bled rosty & grillé dans les cendres, qu'ils mangent crue, & sans estre trempee, ou bien destrempee avec un peu d'eau chaude ou froide, & n'ont par ce moyen affaire de feu pour apprester leur manger, quoy qu'ils en fassent par-fois la nuict au fonds des bois pour n'estre apperceus, & font durer cette farine jusqu'à leur leur retour, qui est environ de six sepmaines ou deux mois de temps: car aptes ils viennent se rafraischir au pays, finissent la guerre pour ce cour, ou s'y en retournent encore avec d'autres provisions. Que si les Chrestiens usoient de telle sobrieté, ils pourroient entretenir de tres puissantes armees avec peu de fraiz, & faire la guerre aux ennemis de l'Eglise' & du nom Chrestien, sans la foule du peuple, ny la ruyne du pays, & Dieu n'y seroit point tant offencé, comme il est grandement, par la pluspart de nos soldats, qui semblent plustost (chez le bon homme) gens sans Dieu, que Chrestien naiz pour le Ciel. Ces pauvres Sauvages (à nostre confusion) se comportent ainsi modestement en guerre, sans incommoder personne, & s'entretiennent de leur propre & particulier moyen, sans autre gage ou esperance de recompense, que de l'honneur & louange qu'ils estiment plus que tout l'or du monde. Il seroit aussi bien à desirer que l'on semast de ce bled d'inde par toutes les Provinces de la France, pour l'entretien & nourriture des pauvres qui y sont en abondance: car avec un peu de ce bled ils se pourroient aussi facilement nourrir & entretenir que les Sauvages, qui sont de mesme nature que nous, & par ainsi ils ne souffriroient de disette, & ne seroient non plus contrains de courir mendians par les villes, bourgs & villages, comme ils font journellement pource qu'outre que ce bled nourrist & rassasie grandement, il porte presque toute sa sauce quant & soy, sans qu'il y soit besoin de viande, poisson, beurre, sel ou espice, si on ne veut.
Pour leurs armes, ils ont la Massue & l'Arc, avec la Flesche empannee de plumes d'aigles, comme les meilleures de toutes, & à faute d'icelles ils en prennent d'autres. Ils y appliquent aussi fort proprement des pierres trenchantes collees au bois, avec une colle de poisson tres forte, & de ces Flesches ils en emplissent leur Carquois, qui est faict d'une peau de chien passee, qu'ils portent en escharpe. Ils portent aussi de certaines armures & cuirasses, qu'ils appellent Aquientoy, sur leur dos, & contre les jambes, & autres parties du corps pour se pouvoir defendre des coups de Flesches: car elles sont faictes à l'espreuve de ces pierres aiguës, & non toutefois de nos fers de Kebec, quant la Flesche qui en est accommodée fort d'un bras roide & puissant, comme est celuy d'un Sauvage: ces cuirasses sont faictes avec des baquettes blanches, couppees de mesuree & serrees l'une contre l'autre, tissues & entrelassees de cordelettes: fort durement & proprement, puis la rondache ou pavois & l'enseigne ou drappeau, qui est (pour le moins ceux que j'ay veus) un morceau d'escorce rond, sur lequel les armoiries de leur ville ou province sont depeintes & atachees au bout d'une longue baguette, comme une Cornette de cavalerie. Nostre Chasuble à dire la saincte Messe, leur agreoit fort, & l'eusse bien desiré traiter de nous, pour la porter en guerre en guise d'enseigne, ou pour mettre au haut de leurs murailles, attachee à une longue perche, afin d'espouventer leurs ennemis disoient-ils.
Les Sauvages de l'Isle l'eussent encore bien voulu traiter au Cap de Massacre, ayans desja à cet effect, amassé sur le commun, environ quatre-vingt Castors: car ils le trouvoient non seulement tres beau, pour estre d'un excellent Damas incarnat, enrichy d'un passement d'or (digne present de la Royne) mais aussi pour la croyance qu'ils avoient qu'il leur causeroit du bon-heur & de la prosperité en toutes leurs entreprises & machines de guerre.
Comme l'on a de coustume sur mer, pour signe de guerre, ou de chastiment, mettre dehors en evidence le Pavillon rouge: Aussi nos Sauvages, non seulement és jours solennels, & de resjouyssance, pais principalement quand ils vont à la guerre, ils portent pour la plus-part à l'entour de la teste de certains pennaches en couronnes, & d'autres en moustaches, faicts de longs poils d'eslan, peints en rouge comme escarlatte, & collez, ou autrement attachez à une bande de cuir large de trois doigts. Depuis que nos François ont porté des lames d'espées en Canada, les Montagnets & Canadiens s'en servent, tant à la chasse de l'Eslan, qu'aux guerres contre leurs ennemis, qu'ils sçavent droictement & roidement darder, emmanchées en de longs bois, comme demyes-picques.
Quand la guerre est declarée en un pays on destruit tous les bourgs, hameaux, villes & villages frontieres, incapables d'arrester l'ennemy, si on ne les fortifie; & chacun se range dans les villes & lieux fortifiez de sa jurisdiction, où ils bastissent de nouvelles Cabanes pour leur demeure, à ce aydés par les habitants du lieu. Les Capitaines assistés de leurs Conseillers, travaillent continuellement à ce qui est de leur conservation, regardent s'il y a rien à adjouter à leurs fortifications pour s'y employer, font balayer & nettoyer les suyes & araignées de toutes les Cabanes, de peur du feu quel'ennemy y pourroit jette par certains artifices qu'ils ont appris de je ne sçay quelle autre Nation que l'on m'a autresfois nommée. Ils font porter sur les guerites des pierres & de l'eau pour s'en servir dans l'occasion. Plusieurs font des trous, dans lesquels ils enferment ce qu'ils ont de meilleur, & peur de surprise, les Capitaines envoyent des soldats pour descouvrir l'ennemy, pendant qu'ils encouragent les autres de faire des armes, de se tenir prets, & d'enfler leur courage, pour vaillamment & genéreusement combattre, resister & se deffendre, si l'ennemy vient à paroitre. Le mesme ordre s'observe en toutes les autres villes & bourgs, jusqu'à ce qu'ils voyent l'ennemy s'estre attaché à quelques uns, & alors la nuict à petit bruit une quantité de soldats de toutes les villes voysines, s'il n'y a necessité d'une plus grande armee, vont au secours, & s'enferment au dedans de celle qui est asiegee, la deffendent, font des sorties, dressent des embusches, s'atttachent aux escarmouches, & combattent de toute leur puissance, pour le salut de la patrie, surmonter l'ennemy, & le deffaire du tout s'ils peuvent.
Pendant que nous estions à Quieunonascaran, nous vismes faire toutes les diligences susdites, tant en la fortification des places, apprests des armes, assemblees des gens de guerre, provision de vivres, qu'en toute autre chose necessaire pour soustenir une grande guerre qui leur alloit tomber sur les bras de la part des Neutres, si le bon Dieu n'eust diverty cet orage, & empesché ce mal-heur qui alloit menaçant nostre bourg d'un premier choc, & pour n'y estre pas pris des premiers, toutes les nuicts nous barricadions nostre porte avec des grosses busches de bois de travers, arrestees les unes sur les autres, par le moyen de deux peaux fichez en terre.
Or pour ce qu'une telle guerre pouvoit grandement nuyre & empescher la conversion & le salut de ce pauvre peuple, & que les Neutres sont plus forts & en plus grand nombre que nos Hurons, qui ne peuvent faire qu'environ deux mille hommes de guerre, ou quelque peu d'avantage, & les autres cinq à six mille combattans, nous fismes nostre possible, & contribuasmes tout ce qui estoit de nostre pouvoir pour les mettre d'accord, & empescher que nos gens desja tous prests de se mettre en campagne, n'entreprissent (trop legerement) une guerre à l'encontre d'une Nation plus puissante que la leur. A la fin, assistés de la garde de nostre Seigneur, nous gaignasmes quelque chose sur leur esprit: car approuvans nos raisons, ils nous dirent qu'ils se tiendroient en paix, & que ce enquoy ils avoient auparavant fondé l'esperance de leur salue, estoit en nostre grand esprit, & au secours que quelques François (mal advisez) leur avoient promis: Outre une tres bonne invention qu'ils avoient conceue en leur esprit, par le moyen de laquelle ils esperoient tirer un grand secours de Nation du Feu, ennemis jurez des Neutres. L'invention estoit telle; qu'au plustost ils s'efforceroient de prendre quelqu'un de leurs ennemis, & que du sang de cet ennemy, ils en barbouilleroient la face & tout le corps de trois ou quatre d'entr'eux lesquels ainsi ensanglantez seroient par apres envoyez en Ambassade à cette Nation de Feu, pour obtenir d'eux quelque secours & assistance à l'encontre de si puissans ennemis, & que pour plus facilement les esmouvoir à leur donner ce secours, ils leur monstroient leur face & tout leur corps desja teinct & ensanglanté du sang propre de leurs ennemis communs.
Puis que nous avons parlé de la Nation Neutre, contre lesquels nos Hurons ont pensé entrer en guerre, je vous diray aussi un petit mot de leur pays. Il est à quatre ou cinq journees de nos Hurons tirant au Su, au delà de la Nation des Quieunontareronons. Cette Province contient prez de cent lieuës d'estendue, où il se fait grande quantité de tres-bon petun, qu'ils traittent à leurs voysins. Ils assistent les Cheveux Relevez contre la Nation de Feu, desquels ils sont ennemis mortels: mais entre les Yroquois & les nostres, avant cette esmeute, ils avoient paix & demeuroient neutres entre les deux, & chacune des deux Nations y estoit la bien venue, & n'osoient s'entre-dire ny faire aucun desplaisir, & mesmes y mangeoient souvent ensemble, comme s'ils eussent esté amis; mais hors du pays s'ils se rencontroient, il n'y avoit plus d'amitié, & s'entre-faisoient cruellement la guerre, & la continuent à toute outrance: l'on n'a sceu encor trouver moyen de les reconciller & remettre en paix, leur inimitié estant de trop longue main enracinee, & fomentee entre les jeunes hommes de l'une & l'autre Nation, qui ne demandent autre exercice, que celuy des armes & de la guerre.
Quand nos Hurons ont pris en guerre quelqu'un de leurs ennemis, ils luy font une harangue des cruautez que luy & les siens exercent à leur endroict, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en endurer autant, & luy commandent (s'il a du courage assez) de chanter tout le long du chemin, ce qu'il faict; mais souvent avec un chant fort triste & lugubre, & ainsi l'emmenent en leur pays pour le faire mourir, & en attendant l'heure de sa mort, ils luy font continuellement festin de ce qu'ils peuvent pour l'engraisser, & le rendre plus fort & robuste à supporter les plus griefs & longs tourmens, & non par charité & compassion, excepté aux femmes; filles & enfans, lesquels ils font rarement mourir; ains les conservent & retiennent pour eux, ou pour en faire des presens à d'autres qui en auroient auparavant perdu des leurs en guerre, & font estat de ces subrogez, autant que s'ils estoient de leurs propres enfans, lesquels estans parvenus en aage, vont aussi courageusement en guerre contre leurs propres parens, & ceux de leur Nation, que s'ils estoient naiz ennemis de leur propre patrie, ce qui tesmoigne le peu d'amour des enfans envers leurs parens, & qu'ils ne font estat que des bien faicts presens, & non des passez, qui est un signe de mauvais naturel: & de cecy j'en ay veu l'experience en plusieurs. Que s'ils ne peuvent emmener les femmes & enfans qu'ils prennent sur les ennemis, il les assomment, & font mourir sur les lieux mesmes, & emportent les reste ou la peau avec la chevelure, & encores s'est-il veu, (mais peu souvent) qu'ayans amené de ces femmes & filles dans leurs pays, ils en ont faict mourir quelques-unes par les tourmens, sans que les larmes de ce pauvre sexe, qu'i a pour toute deffence, les aye pû esmouvoir à compassion: car elles seules pleurent, & non les hommes, pour aucun tourment qu'on leur fasse endurer, de peur d'estre estimez effeminez, & de peu de courage, bien qu'ils soient souvent contraincts de jette de hauts cris, que la force des tourments arrache du profond de leur estomach.
Il est quelques-fois arrivé qu'aucuns de leurs ennemis estans poursuyvis de prés, se sont neantmoins eschappez: car pour amuser celuy qui les poursuit, & se donner du temps pour fuyr & les devancer, ils jettent leurs coliers de Pourceleines bien loin arriere d'eux, afin que si l'avarice commande à ses poursuyvans de les aller ramasser, ils peussent tousjours gaigner le devant, & se mettre en sauveté, ce qui a reussi à plusieurs: je me persuades & crois que c'est en partie pourquoy ils portent ordinairement tous leurs plus beaux coliers & matachias en guerre.
Lors qu'ils joignent un ennemy, & qu'ils n'ont qu'à mettre la main dessus, comme nous disons entre nous: Rends-toi, eux disent Sakien, c'est à dire, assied-toy, ce qu'il faict, s'il n'ayme mieux se faire assommer sur place, ou se deffendre jusqu'à la mort, ce qu'ils ne font pas souvent en ces extremitez, sous esperance de se sauver, & d'eschapper avec le temps par quelque ruze. Or comme il y a de l'ambition à qui aura des prisonniers, cette mesme ambition ou l'envie est aussi cause quelques-fois que ces prisonniers se mettent en liberté & se sauvent, comme l'exemple suyvant le monstre.
Deux ou trois Hurons se voulans chacun attribuer un prisonnier Yroquois, & ne se pouvans accorder, ils en firent juge leur propre prisonnier, lequel bien advisé se servit de l'occasion & dit. Un tel m'a pris, & suis son prisonnier, ce qu'il disoit contre la verité & exprez, pour donner un juste mescontentement à celuy de qui il estoit vray prisonnier: & de faict, indigné qu'un autre auroit injustement l'honneur qui luy estoit deu, parla en secret la nuict suyvante au prisonnier, & luy dit: Tu t'es donné & adjugé à un autre qu'à moy, qui t'avois pris, c'est pourquoy j'ayme mieux te donner liberté, qu'il aye l'honneur qui m'est deu, & ainsi le deslians le fit evader & fuyr secrettement.
Arrivez que sont les prisonniers en leur ville ou village, ils leur font endurer plusieurs & divers tourmens, aux uns plus, & aux autres moins, selon qu'il leur plaist: & tous ces genres de tourments & de morts sont si cruels, qu'il ne se trouve rien de plus inhumain: car premierement ils leur arrachent les ongles, & leur coupent les trois principaux doigts, qui servent à tirer de l'arc, & puis leur levent toute la peau de la teste avec la chevelure, & apres y mettent du feu & des cendres chaudes, ou y font degouter d'une certaine gomme fondue, ou bien se contentent de les faire marcher tous nuds de corps & des pieds, au travers d'un grand nombre de feux faicts exprez, d'un bout à l'autre d'une grande Cabane, où tout le monde qui est bordé des deux costez, tenans en main chacun un tison allumé, luy en donnent dessus le corps en passant, puis apres avec des fers-chauds, luy donnent encore des jartieres à l'entour des jambes, & avec des hoches rouges ils luy frottent les cuisses de haut-en-bas, & ainsi peu à peu bruslent ce pauvre miserable: & pour luy augmenter ses tres cuisantes douleurs, luy jettent par-fois de l'eau sur le dos, & luy mettent du feu sur les extremitez des doigts, & de sa partie naturelle, puis leurs percent les brans pres des poignets, & avec des bastons en tirent les nerfs, & les arrachent à force, & ne les pouvans avoir les couppent, ce qu'ils endurent avec une constance incroyable, chantans cependant avec un chant neantmoins fort triste & lugubre, comme j'ay dict: mille menaces contre ces Bourreaux & contre toute cette Nation, & estant prest de rendre l'ame, ils le menent hors de la Cabane finir sa vie, sur un eschauffaut dressé exprez, là où on lui couppe la teste, puis on luy ouvre le ventre, & là tous les enfans se trouvent pour avoir quelque petit bout de boyau qu'ils pendent au bout d'une baguette, & le portent ainsi en triomphe par toute la ville ou village en signe de victoire. Le corps ainsi esventré & accommodé, on le faict cuire dans une grande chaudiere, puis on le mange en festin, avec liesse & resjouyssance, comme j'ay dict cy-devant.
Quand les Yroquois, ou autres ennemis, peuvent attrapper de nos gens, ils leur en font de mesme, & c'est à qui fera du pis à son ennemy: & tel va pour prendre, que est souvent pris luy-mesme. Les Yroquois ne viennent pas pour l'ordinaire guerroyer nos Hurons, que fueilles ne couvrent les arbres, pour pouvoir plus facilement se cacher, & n'estre descouverts quand ils veulent prendre quelqu'un au despourveu: ce qu'ils font aysement, entant qu'il y a quantité de bois dans le pays, & proche la pluspart des villages: que s'ils nous eussent pris nous autres Religieux, les mesmes tourments nous eussent esté appliquez, sinon que de plus ils nous eussent arrache la barbe la premiere, comme ils firent à Bruslé, le Truchement qu'ils pensoient faire mourir, & lequel fut miraculeusement delivrés par la vertu de l'Agnus Dei, qu'il portoit pendu à son col: car comme ils luy pensoient arracher, le tonnerre commença à donner avec tant de furies, d'esclairs & de bruits, qu'ils en creurent estre à leur derniere journee, & tous espouventez le laisserent aller, craignans eux-mesmes de perir, pour avoir voulu faire mourir ce Chrestien & luy oster son Reliquaire.
Il arrive aussi que ces prisonnier s'eschappent aucune fois, specialement la nuict, ou temps qu'on les faict promener par-dessus les feux; car en courans sur ces cuisans & tres-rigoureux braisiers de leurs pieds ils escartent & jettent les tisons, cendres & charbons par la Cabane, qui rendent apres une telle obscurité de poudre et de fumee, qu'on ne s'entre-congnoist point: de sorte que tous sont contraincts de gaigner la porte, & de sortir dehors, & lui aussi parmy la foule, & de là prend l'essor, et s'en va: & s'il ne peut encores pour lors, il se cache en quelque coin à l'escart, attendant l'occasion & l'opportunité de s'enfuyr, & de gaigner pays. J'en ay veu plusieurs ainsi échappez des mains de leurs ennemis, qui pour preuve nous faisoient voir les trois doigts principaux de la main droicte couppez.
Il n'y a presque aucune Nation qui n'ait guerre & debat avec quelqu'autre, non en intention d'en posseder les terres & conquerir leur pays: ains seulement pour les exterminer s'ils pouvoient, & pour se vanger de quelque petit tort ou desplaisir, qui n'est pas souvent grand chose; mais leur mauvais ordre, & le peu de police qui souffre es mauvais Concitoyens impunis, est cause de tout ce mal: car si l'un d'entr'eux a offencé, tué ou blessé un autre de leur mesme Nation, il en est quitte pour un present, & n'y a point de chastiment corporel (pour ce qu'ils ne les ont pont en usage envers ceux de leur Nation) si les parens du blessé ou decedé n'en prennent eux-mesmes la vengeance, ce qui arrive peu souvent: car ils ne se font, que fort rarement, tore les uns aux autres. Mais si l'offensé est d'une autre Nation, alors il y a indubitablement guerre declaree entre les deux Nations, si celle de l'homme coulpable ne se rachete par de grands presens, qu'elle tire & exige du peuple pour la patrie offencée: & ainsi il arrive le plus souvent que la faute d'un seul, deux peuples entiers se font une tres cruelle guerre, & qu'ils sont tousjours dans une continuelle crainte d'estre surpris l'un de l'autre, particulierement sur les frontieres, où les femmes mesmes ne peuvent cultiver les terres & faire les bleds, qu'elles n'ayent tousjours avec elles un homme ayant les armes au poing, pour les conserver & deffendre de quelques mauvaise advenue.
A ce propos des offences & querelles, & avant finir ce discours, pour monstrer qu'ils sçavent assez bien proceder en conseil, & user de quelque maniere de satisfaction envers la partie plaignante & lesee, je diray ce qui nous arriva un jour sur ce sujet. Beaucoup de Sauvages nos estans venus voir en nostre Cabane (selon leur coustume journaliere) un d'entr'eux, sans aucun sujet, voulut donner d'un gros baston au Pere Joseph. Je fus m'en plaindre au grand Capitaine, & luy remonstray, afin que la chose n'allast plus avent, qu'il falloit necessairement assembler un conseil general, & remonstrer à ses gens, & particulierement à tous les jeunes hommes, que nous ne leur faisions aucun tort ny desplaisir, & qu'ils ne devoient pas aussi nous en faire, puis que nous estions dans leur pays que pour leur propre bien & salut, & non pour aucune envie de leurs Castors & Pelleteries, comme ils ne pouvoient ignorer. Il fit donc assembler un conseil general auquel tous assisterent, excepté celuy qui avoit voulu donner le coup: j'y fus aussi appellé, avec le Pere Nicolas, pendant que le Pere Joseph gardoit nostre Cabane.
Le grand Capitaine nous fit seoir aupres de luy, puis ayant imposé silence, il s'addressa à nous, & nous dit, en sorte que toute l'assemblee le pouvoit entendre. Mes Nepveux, à vostre priere & requeste j'ai faict assembler ce conseil general, afin de vous estre faict droict sur les plaintes que vous m'avez proposees; mais d'autant que ces gens-cy sont ignorans du fait, proposez vous mesme, & declarez hautement en leur presence ce qui est de vos griefs & en quoy & comment vous avez esté offencés, & sur ce je feray & bastiray ma harangue, & puis nous vous ferons justice. Nous ne fusmes pas peu estonnés des le commencement, de la prudence & sagesse de ce Capitaine, & comme il proceda en tout sagement, jusqu'à la fin de sa conclusion, qui fut fort à nostre contentement & edification.
Nous proposasmes donc nos plaintes, & comme nous avions quitté un tres-bon pays, & traversé tant de vers & de terres avec infinis dangers & mes-aises, pour les venir enseigner le chemin du Paradis, & retirer leurs ames de la domination de Sathan, qui les entraisnoit tous apres leur mort dans une abysme de feu sousterrain, puis pour les rendre amis & comme parens des François, & neantmoins qu'il y en avoit plusieurs d'entr'eux qui nous traictoient mal, & particulierement un tel (que je nommay) qui a voulu tuer nostre frere Joseph. Ayant finy, le Capitaine harangua un long temps sur ces plaintes, leurs remonstrant le tort qu'en auroit de nous offencer, puis que nous ne leur rendions aucun desplaisir, & qu'au contraire nous leur procurions & desirions du bien, non seulement pour cette vie; mais aussi pour l'advenir. Nous fusmes priez à la fin d'excuser la faute d'un particulier, lequel nous devions tenir seul avec eux, pour un chien, à la faute duquel les autres ne trempoient point, & nous dirent, pour exemple, que desja depuis peu, un des leurs avoit griefvement blessé un Algoumequin, en jouant avec luy, par le moyen de quelque present, & celui-là seul tenu pour chien & meschant qui avoit faict le mal, & non les autres, qui sont bien marris de cet inconvenient.
Ils nous firent aussi present de quelques sacs de bled, que nous acceptasme, & fusmes au reste festoyez de toute la compagnie, avec mille prieres d'oublier tout le passé, & demeurer bons amys comme auparavant, & nous convierent encore fort instamment d'assister tous les jours à leurs festins & banquets, ausquels ils nous feroient manger de bonnes Sagamités diversement preparees, & que par ce moyen nous nous entretiendrions mieux par ensemble dans une bonne intelligence de parens & bons amys, & que de verité ils nous trouvoient assez pauvrement accommodez, & nourris dans nostre Cabane, de laquelle ils eussent bien desiré nous retirer pour nous mettre mieux avec eux dans leur ville, où nous n'aurions autre soucy que de prier Dieu, les instruire & nous resjouys, honnestement par ensemble: & apres les avoir remerciés, chacun prit congé, & se retira.
De la croyance & foy des Sauvages, du
Createur, & comme ils avoient
recours à nos prieres en
leurs necessitez.
CHAPITRE XVIII.
ICERON a dict, parlant
de la nature des Dieux,
qu'il n'y a gent si sauvage,
si brutale ny si barbare, qui
ne soit imbue de quelque
opinion d'iceux. Or comme il y a diverses
Nations & Provinces barbares, aussi y
a-il diversité d'opinions & de croyance,
pour ce que chacune se forge un Dieu à sa
poste. Ceux qui habitent vers Miskou &
le port Royal, croyent en un certain
esprit, qu'ils appellent Cudoüagni, & disent
qu'il parle souvent à eux; & leur dict le
temps qu'il doit faire. Ils disent que quand
il se courrouce contr'eux, il leur jette de
la terre aux yeux. Ils croyent aussi quant
ils trespassent, qu'ils vont és Estoilles, puis
vont en de beaux champs verts, pleins
de beaux arbres, fleurs & fruicts tres somptueux.
Les Souriquois (à ce que j'ay appris) croyent veritablement qu'il y a un Dieu qui a tout creé, & disent qu'apres qu'il eut faict toutes choses, qu'il prit quantité de flesches, & les mit en terre d'où sortirent hommes & femmes, qui ont multiplié au monde jusqu'à present. En suitte de quoy, un François demanda à un Sagamo, s'il ne croyoit point qu'il y eust un autre qu'un seul Dieu: il respondit, que leur croyance estoit, qu'il y avoit un seul Dieu, un Fils une Mere, & le Soleil, qui estoient quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous: mais que le Fils estoit bon, & le Soleil, à cause du bien qu'ils en recevoient: mais la Mere ne valoit rien, & les mangeoit, & que le Pere n'estoit pas trop bon.
Puis dict: Anciennement, il y eut cinq hommes qui s'en allerent vers le Soleil couchant, lesquels rencontrent Dieu, qui leur demanda: Où allez-vous? Ils respondirent: Nous allons chercher nostre vie: Dieu leur dit, vous la trouverez icy. Ils passerent plus outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dit, lequel prit une pierre et en toucha deux, qui furent transformez en pierre. Et il demanda derechef aux trois autres: Où allez-vous? & ils respondirent comme à la premiere fois: & Dieu leur dit derechef: Ne passez plus outre vous la trouverez icy: & voyant qu'il ne leur venoit rien, ils passerent outre, & Dieu prit deux bastons, & il en toucha les deux premiers qui furent transmuez en bastons, & le cinquiesme s'arresta, ne voulant passer plus outre. Et Dieu luy demanda derechef: Où vas-tu? Je vay chercher ma vie, demeure, & tu la trouveras: Il s'arresta, sans passer plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea. Apres avoir faict bonne chere, il retourna avec les autres Sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.
Ce Sagamo dit & raconta encore à ce François cet autre plaisant discours. Qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de Tabac, & que Dieu dist à cet homme, & luy demanda où estoit son petunoir, l'homme le prit, & le donna à Dieu, qui petuna beaucoup, & apres avoit bien petuné, il rompit en plusieurs pieces: & l'homme luy demanda; pourquoy as-tu rompu mon petunoir, & tu vois bien que je n'en ay point d'autre. Et Dieu en prit un qu'il avoit & le luy donna, luy disant: En voilà un que je te conne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque, ny tous ses compagnons: cet homme prit le petunoir qu'il donna à son grand Sagamo & durant tout le temps qu'il l'eut, les Sauvages ne manquerent de rien du monde: mais que du depuis ledit Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques-fois parmy eux. Voyla pour quoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon, & ils ont raison, puis que ce Demon qui leur apparoist en guise d'un Dieu, est un esprit de malice, qui ne s'estudie qu'à leur ruyne & perdition.
La croyance en general, de nos Hurons (bien que tres-mal entendue par eux-mesmes, & en parlent fort diversement); C'est que le Createur qui a faict tout ce mon monde, s'appelle Yoscaha, & en Canadien Ataouacan, lequel a encore la Mere-grand, nommee Ataensiq: leur dire qu'il n'y a point d'apparence qu'un Dieu aye une Mere-grand, & que cela se contrarie, ils demeurent sans replique, comme à tout le reste. Ils disent qu'ils demeurent fort loin, n'en ayans neantmoins autre marque ou preuve, que le recit qu'ils alleguent leur en avoir esté fait par un Attinoindaron, qui leur a faict croire l'avoir veu, & la marque de ses pieds imprimee sur une roche au bord d'une riviere, & que sa maison ou cabane est faicte comme les leurs, y ayant abondance de bled, & de toute autre chose necessaire, à l'entretien de la vie humaine. Qu'il seme du bled, travaille, boit, mange & dort comme les autres. Que tous les animaux de la terre sont à luy & comme ses domestiques. Que de sa nature il est tres-bon, & donne accroissement à tout, & que tout ce qu'il faict est bien fait, & nous donne le beau temps, & toute autre chose bonne & prospere. Mais à l'opposite, que sa Mere-Grand est meschante, & qu'elle gaste souvent tout ce que son petit Fils a faict de bien. Que quand Yoscaha est vieil, qu'il rajeunit tout à un instant, & devient comme un jeune homme de vingt-cinq à trente ans, & par ainsi qu'il ne meurt jamais, & demeure immortel, bien qu'il soit un peu suject aux necessitez corporelles, comme nous autres.
Or il faut noter, que quand on vient à leur contredire ou contester là-dessus, les uns s'excusent d'ignorance, & les autres s'enfuyent de honte, & d'autres qui pensent tenir bon s'embrouillent incontinent, & n'y a aucun accord ny apparence à ce qu'ils disent, comme nous avons souvent veu & sceu par experience, qui faict cognoistre en effect qu'ils ne recognoissent & n'adorent vrayement aucune Divinité ny Dieu, duquel ils puissent rendre quelque raison, & que nous puissions sçavoir: car encore que plusieurs parlent en la louange de leur Yoscaha: nous en avons ouy d'autres en parler avec mespris & irreverence.
Ils ont bien quelque respect à ces esprits, qu'ils appellent Oki; mais ce mot Oki, signifie aussi bien un grand Diable, comme un grand Ange, un esprit furieux & demoniacle, comme un grand esprit, sage, sçavant ou inventif, qui faict ou sçait quelque chose par-dessus le commun; ainsi nous y appelloient-ils souvent, pour ce que nous sçavions & leur enseignions des choses qui surpassoient leurs esprit, à ce qu'ils disoient. Ils appellent aussi Oki leurs Medecins & Magiciens, voire mesmes leurs fols, furieux & endiablez. Nos Canadiens & Montagnets appellent aussi les leurs Pilotois & Manitou, qui signifie la mesme chose que Oki en Huron.
Ils croyent aussi qu'il y a de certains esprits que dominent en u lieu, & d'autres en un autre: les uns aux rivieres, les autres aux voyages, au traites, aux guerres, aux festins, & maladies, & en plusieurs autres choses, ausquelles ils offrent du petun, & font quelque sortes de prieres & ceremonies, pour obtenir d'eux ce qu'ils desirent. Ils m'ont aussi monstré plusieurs puissans rochers sur le chemin de Kebec, auquel ils croyoient resider & presider un esprit, & entre les autres ils m'en monstrerent un à quelque cent cinquante lieuës un à quelque cent cinquante lieuës de là, qui avoit comme une teste, & les deux bras eslevez en l'air, & au ventre ou milieu de ce puissant rocher, il y avoit une profonde caverne de tres-difficile accez. Ils me vouloient persuader & faire croire à toute force, avec eux, que ce rocher avoit esté un homme mortel comme nous, & qu'eslevant les & les mains en haut, il s'estoit metamorphosé en cette pierre, & devenu à succession de temps, un si puissant rocher, lequel ils ont en veneration, & lui offrent du petun en passant par devant avec leurs Canots, non toutes les fois, mais quand ils doutent que leur voyage doive reussir, & luy offrant ce petun, qu'ils jettent dans l'eau contre la roche mesme, ils luy disent: Tien, prend courage & fay que nous fassions bon voyage, avec quelqu'autre parole que je n'entends point: & le Truchement, duquel nous avons parlé au chapitre precedent, nous a asseuré d'avoir fait une fois une pareille offrande avec eux (dequoy nous le tançames fort) & que son voyage luy fut plus profitable qu'aucun autre qu'il ait jamais faict en ces pays-là. C'est ainsi que le Diable les amuse, les maintient & conserve dans ses filets, & en des suprestitions estranges, en leur prestans ayde & faveur, selon la croyance qu'ils luy ont en cecy, comme aux autres ceremonies & sorceleries que leur Oki observe, & leur faict observer, pour la guerison de leurs maladies, & autres necessitez, n'offrans neantmoins aucune priere ny offrande à leur Yoscaha, (au moins que nous ayons sceu) ains seulement à ces esprits particuliers, que je viens de dire, selon les occasions.
Ils croyent les ames immortelles: & partans de ce corps, qu'elles s'en vont aussi-tost dancer & se resjouyr en la presence d'Yoscaha, & de sa Mere-grand Ataensiq, tenans la route & le chemin des Estoilles, qu'ils appellent Atiskeia andahatey, le chemin des ames, que nous appellons la voye lactee, ou l'escharpe estoilee, & les simples gens le chemin de sainct Jacques. Ils disent que les ames des chiens y vont aussi, tenans la route de certaines estoilles, qui sont proches voysines du chemin des ames, qu'ils appellent Gagnenon andahatey, c'est à dire, le chemin des chiens, & nous disoient que ces ames, bien qu'immortelles, ont encore en l'autre vie, les mesmes necessitez du boire & du manger, de se vestir & labourer les terres, qu'elles avoient lors qu'elles estoient encore revestues de ce corps mortel. C'est pourquoy ils enterrent ou enferment avec les corps des deffuncts, de la galette, de l'huile, des peaux, haches, chaudieres & autres outils; pour à cette fin que les ames de leurs parens, à faute de tels instrumens, ne demeurent pauvres & necessiteuses en l'autre vie: car ils s'imaginent & croyent que les ames de ces chaudieres, haches, cousteaux, & tout ce qu'ils leur dedient, particulierement à la grande feste des Morts, s'en vont en l'autre vie servir les ames des deffuncts, bien que le corps de ces peaux, haches, chaudieres, & de toutes les autres choses dediees & offertes, demeurent & restent dans les fosses & les bieres, avec les os des trespassez, c'estoit leur ordinaire response, lors que nous leur disions que les souris mangeoient l'huile & la galette & la rouille & pourriture les peaux, haches & autres instrumens qu'ils ensevelissoient & mettoient avec les corps de leurs parens & amis dans le tombeau.
Entre les choses que nos Hurons ont le plus admiré, en les instruisant, estoit qu'il y eust un Paradis au dessus de nous, où fussent tous les bien-hereux avec Dieu, & un Enfer sousterrain, où estoient tourmentees avec les Diables en un abysme de feu, toutes les ames des meschants, & celles de leurs parens & amis deffuncts, ensemblement avec celles de leurs ennemis, pour n'avoir congneu ny adoré Dieu nostre Createur, & pour avoir meiné une vie si mauvaise, & vescu avec tant de dissolution & de vices. Ils admiroient aussi grandement l'Escriture, par laquelle, absent, on se faict entendre où l'on veut; & tenans volontiers nos livres, apres les avoir bien contemplez, & admiré les images & les lettres, ils s'amusoient à en compter les feuillets.
Ces pauvres gens ayans par plusieurs fois experimenté le secours & l'assistance que nous leur promettions de la part de Dieu, lors qu'ils vivroient en gens de bien, & dans les termes que leur prescrivions: Ils avoient souvent recours à nos prieres, soit, ou pour les malades, ou pour les injures du temps, & advouaient franchement qu'elles avoient plus d'efficace que leurs ceremonies, conjurations & tous les tintamarres de leurs Medecins, & se resjouysoient de nous ouir chanter des Hymnes & Pseaumes à leur intention, pendant lesquels (s'ils s'y trouvoient presens) ils gardoient estroictement le silence & se rendoient attentifs, pour le moins au son & à la voix, qui les contentoit fort. S'ils se presentoient à la porte de nostre Cabane, nos prieres commencees, ils avoient patience, où s'en retournoient en pais, sçachans desja que nous ne devions pas estre divertis d'une si bonne action, & qu d'entrer pas importunité estoit chose estimee incivile, mesme entr'eux; & un obstacle aux bons effects de la priere, tellement qu'ils nous donnoient du temps pour prier Dieu, & pour vacquer en paix à nos offices divins. Nous aydant en cela la coustume qu'ils ont de n'admettre aucun dans leurs Cabanes lors qu'ils chantent les malades, ou que les mots d'un festin ont esté prononcez.
Auoindaon, grand Capitaine de Quiennonascaran, avoit tant d'affection pour nous, qu'il servoit comme de Pere Syndiq dans le pays, & nous voyoit aussi souvent qu'il croyoit ne nous estre point importun, & nous trouvans parfois à genouils prians Dieu, sans dire mot, il s'agenouilloit aupres de nous, joignoit les mains, & ne pouvant d'avantage, il taschoit serieusement de contrefaire nos gestes & postures; remuant les levres, & eslevant les mains & les yeux au Ciel, & y perseveroit jusques à la fin de nos Offices, qui estoient assez longues, & luy aagé d'environ soixante & quinze ans. O mon Dieu, que cet exemple devroit confondre de Chrestiens! & que nous dira ce bon vieillard Sauvage, non encore baptisé, au jour du jugement, de nous voir plus negligens d'aymer & servir un Dieu, que nous cognoissons, & duquel nous recevons tant de graces tous les jours, que luy, qui n'avoit jamais esté instruit que dans l'escole de la Gentilité, & ne le cognoissoit encore qu'au travers les espaisses tenebres de son ignorance! Mon Dieu, resveillez nos tiedeurs, & nous eschauffez de vostre divin amour. Ce bon vieillard, plein d'amitié & de bonne volonté s'offrit encores de venir coucher avec moy dans nostre Cabane, lors qu'en l'absence de mes Confreres j'y restois seul la nuict. Je luy demandois la raison, & s'il croyoit m'obliger en cela, il me disoit qu'il apprehendoit quelque accident pour moy, particulierement en ce temps que les Yroquois estoient entrez dans leurs pays, & qu'ils me pourroient aysement prendre, ou me tuer dans nostre Cabane, sans pouvoir estre secondé de personne, & que de plus les esprits malins qui les inquietoient, me pourroient aussi donner de la frayeur, s'ils venoient à s'apparoistre à moy, ou à me faire entendre de leurs voix. Je le remerciois de sa bonne volonté, & l'asseurois que je n'avois aucune apprehension, ny des Yroquois, ni des esprits malins, & que je voulois demeurer seul la nuict dans nostre Cabane, en silence, prieres & oraisons. Il me repliquoit: Mon Nepveu, je ne parleray point, & prieray JESUS avec toy, laisse-moi seulement en ta compagnie pour cette nuict, car tu nous es cher, & crains qu'il ne t'arrive du mal, ou en effect, ou d'apprehension: Je le remerciois derechef, & le renvoyois au bourg, & moy je demeurois seul en paix & tranquillité.
Nous baptizasmes une femme malade en nostre bourg, qui ressentit & tesmoigna sensiblement de grands effects du sainct Baptesme: il y avoit plusieurs jours qu'elle n'avoit mangé, estant baptizee aussi-tost l'appetit luy revint, comme en pleine santé, par l'espace de plusieurs jours, apres lesquels elle rendit son ame à Dieu, comme pieusement nous pouvons croire; elle repetoit souvent à son mary, que lors qu'on la baptisoit, qu'elle ressentoit en son ame une si douce & suave consolation, qu'elle ne pouvoit s'empescher d'avoir continuellement les yeux eslevez au Ciel, & eust bien voulu qu'on eust peu luy reiterer encore une autre fois le sainct Baptesme, pour pouvoir ressentir derechef cette consolation interieure, & la grande grace & faveur que ce Sacrement luy avoit communiquée. Son mary, nommé Ongyata, tres-content & joyeux, nous en a tousjours esté de depuis fort affectionné, & desiroit encore estre faict Chrestien, avec beaucoup d'autres; mais il falloit encore un peu temporiser, & attendre qu'ils fussent mieux fondez en la cognoissance & croyante d'un Jesus-Christ crucifié pour nous, & à une vraye resignation, renonciation, abandonnement & mespris de toutes leurs folles ceremonies, & en la hayne de tous les vices & mauvaises habitudes: pour ce que ce n'est pas assez d'estre baptizé pour aller en Paradis; mais il de plus, vivre Chrestiennement, & dans les termes & les loix que Dieu & son Eglise nous ont prescrites: autrement il n'y a qu'un Enfer pour les mauvais, & non point un Paradis. Et puis je diray avec verité, que si on n'establit des Colonies de bons & vertueux Catholiques dans tous ces pays Sauvages, que jamais le Christianisme n'y sera bien affermy, encore que des Religieux s'y donnassent toutes les peines du mont: car autre chose est d'avoir affaire à des peuples policez, & autres chose est de traiter avec des peuples Sauvages, qui ont plus besoin d'exemple d'une bonne vie, pour s'y mirer, que de grand Theologie pour s'instruire, quoy que l'un & l'autre soit necessaire. Et par ainsi nos Peres ont faict beaucoup d'en avoir baptizé plusieurs & d'en avoir disposé un grand nombre à la foy & au Christianisme.
Et puis que nous sommes sur le sujet du sainct Baptesme, je ne passeray sous silence, qu'entre plusieurs Sauvages Canadiens, que nos Peres y ont baptizez, soit de ceux qu'ils ont faict conduire en France, ou d'autres qu'ils ont baptizez & retenus sur les lieux, les deux derniers meritent de vous en dire quelque chose. Le pere Joseph le Caron, Supérieur de nostre Couvent de sainct charles, nourrissoit & eslevoit pour Dieu, deux petits Sauvages Canadiens, l'un desquels, fis du Canadien que nous sur-nommons le Cadet, apres avoir est bien instruit en la foy & doctrine Chrestienne, se resolut de vivre à l'advenir, suyvant la loy que nos Peres luy avoient enseignee, & avec instance demanda le sainct Baptesme, mais à mesme temps qu'il eut consenty & resolu de se faire baptizer, le Diable commença de le tourmenter, & s'apparoistre à luy en diverses rencontres: de sorte qu'il le pensa une fois estouffer, si par prieres à Dieu, Reliquaires & par eau beniste on ne luy eust bridé son pouvoir: & comme on luy jettoit de cette eau, ce pauvre petit garçon voyoit ce malin esprit s'enfuyr d'un autre costé & monstroit à nos Peres l'endroict & le lieu où il estoit, & disoit asseurement que ce malin avoit bien peur de cette eau: tant y a, que depuis le jours de Pasques, que le Diable l'assaillit pour la premiere fois, jusques à la Pentecoste qu'il fut baptizé, ce pauvre petit Sauvage fut en continuelle peine & apprehension & avec larmes supplioit tousjours nos Peres de le vouloir baptizer, & le faire quitte de ce meschant ennemy, duquel il recevoit tant d'ennuys & d'effrois.
Le jour de son Baptesme, nos Religieux firent un festin à tous les parens du petit garçon de quantité de pois, de prunes, & de quelqu'autre menestre, bouillies & cuites ensemble dans une grande chaudiere. Et comme le Pere Joseph leur eut fait une harangue sur la ceremonie, vertu & necessité du sainct Baptesme, il arriva à quelques jours de là, qu'un d'eux venant à tomber malade, il eut si peur de mourir sans estre baptize, qu'il demanda maintes fois' avec tres grande instance: si que se voyant pressé du mal, il disoit que s'il n'estoit baptize, qu'il en imputeroit la faute à ceux qui luy refusoient, tellement qu'un de nos Religieux, nommé Frere Gervais, avec l'advis de tous les François qui se trouverent là presens, luy confera le sainct Baptesme, & le mit en repos. Il s'est monstré du depuis si fervent observateur de ce qui luy a esté enseigné, qu'il s'est librement faict quitte de toutes les bagatelles & superstitions dont le Diable les amuse, & mesme n'a permis qu'aucun de leurs Pilotois fist plus aucune diablerie autour de luy comme ils avoient accoustumé.
Environ les mois d'Avril & de May, les pluyes furent tres grandes, & presque continuelles (au contraire de la France qui fut fort seiche cette année là) de sorte que les Sauvages croyoient asseurement que tous leurs bleds deussent estre perdus & pourris, & dans cette affliction ne sçavoient plus à qui avoir recours, sinon à nous: car desja toutes leurs ceremonies & superstitions avoient esté faictes & observees sans aucun profit. Ils tindrent donc conseil entre tous les plus anciens, pour adviser à un dernier & salutaire remede, qui n'estoit pas vrayement sauvage, mais digne d'un tres-grand esprit, & esclairé d'une nouvelle lumiere du Ciel, qui estoit de faire apporter un tonneau d'escorce de mediocre grandeur, au milieu de la Cabane du grand Capitaine où se tenoit le conseil, & d'arrester entr'eux que tous ceux du bourg, qui avoient un champ de bled ensemencé, en apporteroient là une escuelle de leur Cabane, & ceux qui auroient deux champs, en apporteroient deux escueelles, & ainsi des autres, puis l'offriroient & dedieroient à l'un de nous trois, pour l'obliger avec les deux autres Confreres, de prier Dieu pour eux. Cela estant faict, ils me choisissent, & m'envoyent prier par un nommé Grenole, d'aller au conseil, pour me communiquer quelque affaire d'importance, & aussi pour recevoir un tonneau de bled qu'ils m'avoient dedié. Avec l'advis de mes confreres, je m'y en allay, & m'assis au conseil aupres du grand Capitaine, lequel me dit: Non Nepveu, nous t'avons envoyé querir, pour t'adviser que si les pluyes ne cessent bientost, nos bleds seront tous perdus, & toy & tes Confreres avec nous, mourrons tous de faim; mais comme vous estes gens de grand esprit, nous avons eu recours à vous & esperons que vous obtiendrez de vostre pere qui est au Ciel, quel que remede & assistance à la necessité qui nous menace. Vous nous avez tousjours annoncé qu'il estoit tres-bon, & qu'il estoit le Createur, & avoit tout pourvoir au Ciel & en la terre, si ainsi est qu'il soit tout-puissant & tres bon, & qu'il peut ce qu'il veut; Il peut donc nous retirer de nos miseres, & nous donner un temps propre & bon, prie-le donc, avec tes deux autres Confreres, de faire cesser les pluyes, & le mauvais temps, qui nous conduit infailliblement dans la famine, s'il continue encore quelque temps, & nous ne te serons pas ingrats: car voyla desja un tonneau de bled que nous t'avons dédié, en attendant mieux. Son discours finy, & les raisons deduites, je luy remonstray que tout ce que nous leur avions dit & enseigné estoit tres-veritable, mais qu'il à la liberté d'un pere d'exaucer ou rejetter les prieres de son enfant, & que pour chastier, ou faire grace & misericorde, il estoit toujours la mesme bonté, y ayant autant d'amour au refus qu'à l'octroy; Y luy dis pour exemple. Voyla deux de tes petits enfans, Andaracouy & Aroussen, quelques fois tu leur donnes ce qu'ils te demandent, & d'autres fois non; que si tu les refuses & les laisse contristez, ce n'est pas pour hayne que tu leur portes, ny pour mal que tu leur vueilles; ains pource que tu juges mieux qu'eux que cela ne leur est pas propre, ou que ce chastiment leurs est necessaire. Ainsi en use Dieu nostre Pere tres sage, envers nous ses petits-enfans & serviteurs. Ce Capitaine un peu grossier, en matiere spirituelle, me repliqua, & dist: Mon Nepveu, il n'y a point de comparaison de vous à ces petits enfans car n'ayans point d'esprit, ils font souvent de folles demandes, & moy qui suis pere sage, & de beaucoup d'esprit, je les exauce ou refuse avec raison. Mais pour vous, qui estes grandement sages, & ne demandez rien inconsiderement, qui ne soit tres-bon & equitable, vostre Pere qui est au Ciel, n'a garde de vous esconduire: que s'il ne vous exauce, & que nos bleds viennent à pourrir, nous croyrons que vous n'estes pas veritables, & que JESUS n'est point si bon ny si puissant que vous dites. Je luy repliquay tout ce qui estoit necessaire là dessus, & luy remis en memoire que desja en plusieurs occasion ils avoient experimenté le secours d'un Dieu & d'un Createur, si bon & pitoyable, & qu'il les assisteroit encore à cette presente & pressante necessité, & leur donneroit du bled plus que suffisamment, pourvu qu'ils nous voulussent croire, & quittassent leurs vices & que si Dieu les chastioit par-fois, c'estoit pource qu'ils estoient tousjours vicieux, & ne sortoient point de leurs mauvaises habitudes, & que s'ils se corrigeaient, ils luy seroient agreables, & les traiteroit apres comme ses enfans.
Ce bon homme prenant goust à tout ce que je luy disois, me dist: O mon Nepveu! je veux donc estre enfant de Dieu, comme toy; Je luy respondis, tu n'en es point encore capable. O mon Oncle! il faut encore un peu attendre que tu te sois corrigé: car Dieu ne veut point d'enfant s'il ne renonce aux superstition, & qu'il ne se contente de sa propre femme sans aller aux autres, & si tu le fais nous te baptizerons, & apres ta mort ton ame s'en ira bien-heureuse avec luy. Le conseil Achevé, le bled fut porté en nostre Cabane, & m'y en retournay, où j'advertis mes confreres de tout ce qui s'estoit passé, & qu'il falloit serieusement & instamment prier Dieu pour ce pauvre peuple, à ce qu'il daignast les regarder de son oeil de misericorde, & leur donnast un temps propre & necessaire à leurs bleds, pour de là les faire admirer ses merveilles. Mais à peine eusmes-nous commencé nos petites prieres, & esté processionnellement à l'entour de nostre petite Cabane, en disans les Litanies & autres prieres & devotions, que nostre Seigneur tres bon & misericordieux fist à mesme temps cesser les pluyes: tellement que le Ciel, qui auparavant estoit par tout couvert de nuees obscures, se fist serain, & toutes ces nuees se ramasserent comme en un globe au dessus de la ville, puis tout à coup cela se fondit derriere les bois, sans qu'on en apperceust jamais tomber une seule goutte d'eau; & ce beau temps dura environ trois sepmaines, au grand contentement, estonnement & admiration des Sauvages, qui satisfaicts d'une telle faveur celeste, nous en resterent fort affectionnez, avec deliberation de faire passer en conseil: que de là en avant ils nous appelleroient leurs Peres sirituels, qui estoit beaucoup gaigné sur eux, sujet à nous de rendre infinies graces à Dieu, qui daigne faire voir ses merveilles quand il ly plaist, & est expedient à sa gloire.
Du depuis les Sauvages nous eurent une telle croyance; & avoient tant d'opinions de nous que cela nous estoit à peine, pour ce qu'ils inferoient de là & s'imaginoient que Dieu ne nous esconduiroit jamais d'aucune chose que luy demandassions, & que nous pouvions tourner le Ciel & la terre à nostre volonté (par maniere de dire); c'est pourquoy qu'il leur en falloit faire rabattre de beaucoup, & les adviser que Dieu ne fait pas tousjours miracle, & que nous n'estions pas dignes d'estre tousjours exaucez.
Il m'arriva un jour qu'estant allé visiter un Sauvage de nos meilleurs amis, grandement bon homme, & d'un naturel qui sentoit plustost son bon Chrestien; que non pas son Sauvage: Comme je discourois avec luy, & pensois monstrer nostre cachet, pour luy en faire admirer l'image, qui estoit de ls saincte Vierge, une fille subtilement s'en saisit, & le jetta de costé dans les cendres, pensant par apres le ramasser pour elle. J'estois marry que ce cachet m'avoit esté ainsi pris & desrobé, & dis à cette fille que je soupçonnois, tu te ris & te mocques à present de mon cachet que tu as desrobé; mais sçache, que s'il ne m'est rendu, que tu pleureras demain, & mourrais bien-tost: car Dieu n'ayme point les larrons; & les chastie; ce que je disois simplement, & pour l'intimider & faire rendre son larrecin, comme elle fist à la fin, l'ayant moy-mesme ramassé du lieu où elle l'avoit jetté. Le lendemain à heure de diz heures, estant retourné voir mon Sauvage, je trouvay cette fille toute esploree & malade, avec de grands vomissemens, qui la tourmentoient: estonné & marry de la voir en cet estat, je m'informay de la cause de son mal, & de ses pleurs, l'homme dist que c'estoit sur le mal que je loy avoit predit, & qu'elle estoit sur le poinct de se faire reconduire à la Nation du Petun, d'où elle estoit, pour ne point mourir hors de son pays: je la consolay alors, & luy dis qu'elle n'eust plus de peur, & qu'elle ne mourroit point pour ce coup, ny n'en seroit d'avantage malade, puisque ce cachet avoit esté retrouvé, mais qu'elle advisast une autre fois de n'estre plus meschante, & de ne plus desrober, puis que cela desplaisoit au bon JESUS, & alors elle me demanda derechef si elle n'en mourroit point, & apres que je l'en eus asseuree, elle resta entierement guerie & consolee, & ne parla plus de s'en retourner en son pays, comme elle faisoit auparavant, & vescut plus sagement à l'advenir.
Comme ils estimoient que les plus grands Capitaines de France estoient douez d'un plus grand esprit, & qu'ayans un si grand esprit, eux seuls pouvoient faire les choses plus difficiles: comme haches, cousteaux, chaudieres, &c. Ils inferoient de là, que le Roy (comme le plus grand Capitaine & le chef de nous) faisoit les plus grandes chaudieres, & nous tenans en cette qualité de Capitaines, ils nous en presentoient quelque-fois à raccommoder, & nous supplioient aussi de faire faire pancher en bas les oreilles droictes de leurs chiens, & de les rendre comme celles de ceux de France qu'ils avoient veus à Kebec: mais ils se mesprenoient, & nous supplioient en vain, comme de nous estre importuns d'aller tuer le Tonnerre, qu'ils pensoient estre un oyseau, nous demandans si les François en mangeoient, & s'il avoit bien de la graisse, & pourquoy il faisoit tant de bruit: mais je leur donnay à entendre (selon ma petite capacité) comme & en quoy ils se trompoient, & qu'ils ne devoient penser si bassement des choses; dequoy ils resterent fort contents & advouerent avec un peu de honte leur trop grande simplicité & ignorance.
Les Sauvages, non plus que beaucoup de simples gens, en s'estoient jamais imaginé que la terre fust ronde & suspendue & que l'on voyageast à l'entour du monde, & qu'il y eust des Nations au dessous de nous, ny mesme que le soleil fist son cours à l'entour: mais pensoient que la terre fust percee, & que le Soleil entroit par ce trou quand il se couchoit, & y demeuroit caché jusqu'au lendemain matin qu'il sortoit par l'autre extremité, & neantmoins ils comprenoient bien qu'il estoit plustost nuict en quelques pays, & plustost jour en d'autres: car un Huron venant d'un long voyage, nous dist en nostre Cabane, qu'il estoit desja nuict en la contree d'où il venoit, & neantmoins il estoit plein Esté aux Hurons, & pour lors environ les quatre ou cinq heures apres midy seulement.