Le grand voyage du pays des Hurons
Des ceremonies qu'ils observent à
la pesche.
CHAPITRE XIX.
ESIREUX de voir les ceremonies
& façons ridicules qu'ils
observent à la pesche du grand
poisson, qu'ils appellent Astihendo,
qui est un poisson gros comme les
plus grandes molues, mais beaucoup
meilleur, je partis de Quieunonascaron, avec
le Capitaine Auoindaon, au mois d'Octobre,
& nous embarquasmes sur la mer
douce dans un petit Canot, moy cinquiesme,
& prismes la route du costé du
Nord, où apres avoir long temps navigé
& advancé dans la mer, nous nous arrestasmes
& prismes terre dans une Isle
commode pour la pesche, & y cabanasmes
proche de plusieurs mesnages qui s'y
estoient desja accommodez pour le mesme
sujet de la pesche. Dés le soir de nostre
arrivee, on fist un festin de deux grands poissons,
qui nous avoient esté donnez par un
des amis de nostre Sauvage, en passant
devant l'Isle où il peschoit: car la coustume
est entr'eux, que les amis se visitans les
uns les autres au temps de la pesche, de se
faire des presens mutuels de quelques
poissons. Nostre Cabane estant dressee à
l'Algoumequine, chacun y choisit sa place,
aux quatre coins estoient les quatre
principaux, & les autres en suitte, arrangez,
les uns joignans les autres, assez pressez.
On m'avoit donné un coin dés le commencement;
mais au mois Novembre,
qu'il commence à faire un peu de froid, je
me mis plus au milieu, pour pouvoir participer
è la chaleur des deux feux que
nous avions, & ceday mon coin à un autre.
Tous les soirs on portoit les rets environ
demye-lieuë, ou une lieuë avant dans
le Lac, & le matin à la poincte du jour
on les alloit lever, & rapportoit-on
tousjours quantité de bons gros poissons;
comme Assihendos, Truites, Esturgeons,
& autres qu'ils esventroient, & leur ouvroient
le ventre comme l'on faict aux
Molues, puis les estendoient sur des rateliers
de perches dressez exprez pour les
faire seicher au Soleil: que si le temps incommode,
& les pluyes empeschent & nuysent à
la seicheresse de la viande ou du poisson,
on les faict boucaner à la fumee sur des
clayes ou sur des perches, puis on serre le
tout dans des tonneaux, de peur des
chiens & des souris, & cela leur sert pour
festiner, & pour donner goust à leur potage,
principalement en temps d'hyver.
Quelques fois on reservoit des plus gros & gras Assihendos, qu'ils faisoient fort bouillir & consommer en de grande chaudieres pour en tirer l'huile, qu'ils amassoient avec une cuiller par-dessus le bouillon, & la serroient en des bouteilles qui ressembloient à nos calbasses: cet huile est aussi douce & agreable que beurre fraiz, aussi est-elle tiree d'autres bon poisson, qui est incogneu aux Canadiens, & encore plus icy. Quand la pesche est bonne, & qu'il y a nombre de Cabanes, on ne voit que festins & banquets mutuels & reciproques, qu'ils se font les uns aux autres, & se resjouissent de fort bonne grace ar ensemble, sans dissolution. Les festins qui se font dans les villages & les bourgs sont par-fois bons: mais ceux qui se font à la pesche & à la chasse sont les meilleurs de tous.
Ils prennent surtout garde de ne jetter aucune arreste de poisson dans le feu, & y en ayant jetté ils m'en tancerent fort, & les en retirerent promptement, disans que je ne faisois pas bien & que je serois cause qu'ils ne prendroient plus rien: pour ce qu'il y avoit de certains esprits, ou les esprits des poissons mesmes, desquels on brusloit les os, qui advertiroient les autres poissons de ne se pas laisser prendre, puis qu'on brusloit leurs os. Ils ont la mesme superstition à la chasse du Cerf, de l'Eslan, & des autres animaux, croyans que s'il en tomboit de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent jettez, qu'ils n'en pourroient plus prendre. Les Canadiens ont aussi cette coustume de tuer tous les Eslans qu'ils peuvent attraper à la chasse, craignans qu'en en espargnant ou en laissant aller quelqu'un, il n'allast advertir les autres de fuyr & se cacher au loin, & ainsi en laissent par fois pourrir & gaster sur la terre, quand ils en ont desja assez pour leur provision, qui leur feroit bon besoin en autre temps, pour les grandes disette qu'ils souffrent souvent, particulierement quand les neiges sont basses auquel temps ils ne peuvent, que tres difficilemens, attraper la beste, & encore en danger d'en estre offencé.
Un jour, comme je pensois brusler au feu le poil d'un escureux, qu'un Sauvage m'avoit donné, ils ne le voulurent point souffrir, & me l'envoyerent brusler dehors, à cause des rets qui estoient pour lors dans la Cabane: disans qu'autrement elles le diroient aux poissons. Je leur dis que les ne voyoient goute; ils me respondirent que si, & mesme qu'elles entendoient & mangeoient. Donne-leur donc de ta Sagamité, leur dis-je, un autre replique; ce sont les poissons qui leur donnent à manger, & non point nous. Je tançay une fois les enfans de la Cabane, pour quelques vilains & impertinens discours qu'ils tenoient; il arriva que le lendemain matin ils prindrent fort peu de poisson, ils l'attribuerent à cette reprimande qui avoit esté rapportee par les rets aux poissons.
Un soir, que nous discourions des animaux du pays, voulant leur faire entendre que nous avions en France des lapins & levreaux, qu'ils appellent Quieutonmalisia, je leur en fis voir la figure par le moyen de mes doigts, en la clairté du feu qui en faisoit donner l'ombrage contre la Cabane; d'aventure & par hazard on prit le lendemain matin, du poisson beaucoup plus qu'à l'ordinaire, ils creurent que ces figures en avoient est la cause, tant ils sont simples, me priant au reste de prendre courage, & d'en faire tous les soirs de mesmes, & de leur apprendre, ce qui je ne voulois point faire, pour n'estre cause de cette superstition, & pour n'adherer à leur folie.
En chacune des Cabanes de la pesche, il y a ordinairement un Predicateur de poisson, qui a accoustumé de faire un sermon aux poissons, s'ils sont habiles gens ils sont fort recherchez, pour ce qu'ils croyent les exhortations d'un habile homme ont un grand pouvoir d'attirer les poissons dans leurs rets. Celuy que nous avions s'estimoit un des premiers, aussi le faisoit-il beau voir se demener, & de la langue & des mains quant il preschoit, comme il faisoit tous les jours apres soupper, apres avoir imposé silence, & faict ranger un chacun en sa place, couché de leur long sur le dos, & le ventre en haut comme luy. Son Theme estoit: Que les Hurons ne bruslent point les os des poissons, puis il poursuyvoit en suitte avec des affections nompareilles, exhortoit les poisson, les convioit, les invitoit & les supplioit de venir, de se laisser prendre, & d'avoir bon courage, & de ne rien craindre, puis que d'estoit pour servir à de leurs amis, qui les honorent, & ne bruslent point leurs os. Il en fit aussi un particulier à mon intention; par le commandement du Capitaine, lequel me disoit apres. Hé! bien mon Nepveu, voyla-il pas qui est bien? Ouy, mon Oncle, à ce que tu dis luy respondis-je; mais toy, & tous vous autres Hurons, avez bien peu de jugement, de prenser que les poissons entendent & ont l'intelligence de vos sermons & de vos discours. Pour avoir bonne pesche ils bruslent aussi par fois du petun, en prononçans de certains mots que je n'entends pas. Ils en jettent aussi à mesme intention dans l'eau à de certains esprits qu'ils croyent y presider, ou plustost à l'ame de l'eau (car ils croyent que toute chose materielle & insensible a une ame qui entend) & la prient à leur maniere accoustumee, d'avoir bon courage, & faire en sorte qu'ils prennent bien du poisson.
Nous trouvasmes dans le ventre de plusieurs poissons, des ains faits d'un morceau de bois, accommodez avec un os qui servoit de crochet, lié fort proprement avec de leur chanvre; mais la corde trop foible pour tirer à bord de si gros poissons, avoit faict perdre & la peine & les ains de ceux qui les avoient jettez en mer, car veritablement il y a dans cette mer douce, des Esturgeons, Assihendos, Truites & Brochets si monstrueusement grands, qu'il ne s'en voit point ailleurs de plus gros, non plus que de plusieurs autres especes de poissons qui nous sont icy incogneus. Et cele ne nous doit estre tiré en doute, puis que ce grand Lac, ou mer douce des Hurons, est estimé avoir trois ou quatre cens lieuës de longueur, de l'Orient à l'Occident, & environ cinquante de large, contenant une infinité d'Isles, ausquelles les Sauvages cabottent quand ils vont à la pesche, ou en voyage aux autres Nations qui bordent cette mer douce. Nous jettasmes la sonde vers nostre bourg, assez proche de terre en un cul-de-sac, & trouvasmes quarante-huict brasses d'eau; mais il n'est pas d'une egale profondeur partout: car il l'est plus en quelque lieu, & moins de beaucoup en d'autre.
Lors qu'il faisoit grand vent, nos sauvages ne portoient point leurs rets en l'eau, par ce qu'elle s'eslevoit & s'enfloit alors trop puissamment, & en temps d'un vent mediocre, ils estoient encore tellement agitez, que c'estoit assez pour me faire admirer & grandement louer Dieu que ces pauvres gens ne perissoient point, & sortoient avec de si petits Canots du milieu de tant d'ondes & de vagues furieuses, que je contemplois à dessein du haut d'un rocher, où je me retirois seul tous les jours, ou dans l'espaisseur de la forest pour dire mon Office, & faire mes prieres en paix. Cette Isle estoit assez abondante en gibier, Outardes, Canards, & autres oyseaux de riviere: pour des Escureux il y en avoit telle quantité de Suisses, & autres communs, qu'ils endommageoient grandement la seicherie du poisson, bien qu'on taschast de les en chasser par la voix, le bruit des mains, & à cop de flesches, & estans saouls ils ne faisoient que jouer & courir les uns apres les autres soir & matin. Il y avoit aussi des Perdrix, une desquelles s'en vint un jour tout contre moy en un coin où je disois mon Office, & m'ayant regardé en face s'en retourna à petit pas comme elle estoit venue, faisant la roue comme un petit coc d'Inde, & tournant continuellement la teste en arriere, me regardoit & contemploit doucement sans crainte, aussi ne voulus-je point l'espouventer ny mettre la main dessus, comme je pouvois faire, & la laissay aller.
Un mois, & plus, s'estant escoulé, & le grand poisson changeant de contree, il fut question de trousser bagage, & retourner chacun en son village: un matin que l'on pensoit partir, la mer se trouva fort haute, & les Sauvages timides n'osans se hazarder dessus, me vindrent trouver, & me supplierent de sortir de la Cabane pour voir la mer, & leur dire ce qu'il m'en sembloit, & ce qu'il estoit question de faire: pour ce que tous les Sauvages ensemble s'estoient resolus de faire en cela tout ce que je leur dirois & conseillerois. J'avois desja veu la mer; mais pour les contenter il me fallut derechef sortir dehors, pour considerer s'il y avoit peril de s'embarquer ou non. O bonté infinie de nostre Seigneur, il me semble que j'avois la foy au double que je n'en ay pas icy! je leur dis: Il est vray qu'il y a à present grand danger sur mer; mais que personne pourtant se laisse de fretter les Canots & s'embarquer: car en peu de temps les vents cesseront, & la mer calmera: aussi-tost dit, aussi-tost faict, ma voix se porte par toutes les Cabanes de l'Isle, qu'il falloit s'embarquer, & que je les avois asseurez de la bonace prochaine. Ce qui les fist tellement diligenter, qu'ils nous devancerent tous & fusmes les derniers à desmarrer. A peine les Canots furent-ils en mer, que les vents cesserent, & la mer calma comme un plancher, jusques à nostre desembarquement & arrivee à nostre ville de Quieunonascaran.
Le soir que nous arrivasmes au port de cette ville, il estoit pres de trois quarts d'heures de nuict, & faisoit fort obscur, c'est pourquoy mes Sauvages y cabannerent: mais pour moy j'aimay mieux m'en aller seul au travers des champs & des bois en nostre Cabane, qu en estoit à demye lieuë loin, pour y voir promptement mes Confreres, de la santé desquels les Sauvages m'avoient faict fort douter: mais je les trouvay en tres-bonne disposition, Dieu mercy, de quoy je fus fort consolé, & eux au reciproque furent fort ayses de mon retour & de ma santé, & me firent festin de trois petites Citrouilles cuites sous la cendre chaude, & d'une bonne Sagamité, que je mangeay d'un grand appetit, pour n'avoir pris de toute la journee qu'un peu de bouillon fort clair, le matin avant de partir.
De la santé & maladie des Sauvages,
& de leurs Medecins.
CHAPITRE XX.
ES anciens Egyptiens avoient
accoustumé d'user
de vomitifs pour guerir les
maladies du corps, & de
sobrieté pour se conserver
en santé; car ils tenoient pour maxime
indubitable, que les maladies corporelles
ne procedoient que d'une trop grande abondance
& superfluité d'humeurs, &
par consequent qu'il n'y auroit aucun remede
meilleur que le vomissement & la
sobrieté.
Nos Sauvages ont bien la dance & la sobrieté, avec les vomitifs, qui leur sont utiles à la conservation de la santé, mais ils ont encore d'autres preservatifs desquels ils usent souvent: c'est à sçavoir, les estuves & sueries, par lesquelles ils s'allègent, & previennent les maladies: mais ce qui ayde encore grandement à leur santé, est la concorde qu'ils ont entr'eux, qu'ils n'ont point de procez, & le peu de soin qu'ils prennent pour acquerir les commoditez de cette vie, pour lesquelles nous nous tourmentons tant nous autres Chrestiens, qui sommes justement & à bon droicts repris de nostre trop grande cupidité & insatiabilité d'en avoir, par leur vie douce, & tranquilité de leur esprit.
Il n'y a neantmoins corps si bien composé, ny naturel si bien originé, qu'il ne vienne à la fin à se debiliter ou succomber par des divers accidens ausquels l'homme est sujet. C'est pourquoy nous pauvres Sauvages, pour remedier aux maladies ou blesseures qui leur peuvent arriver, ont des Medecins & maistres de ceremonies, qu'ils appellent Oki, ausquels ils croyent fort, pour autant qu'ils sont grands Magiciens, grands Devins & Invocateurs de Diables: Ils leur servent de Medecins & Chirurgiens, & portent tousjours avec eux un plein sac d'herbes & de drogues pour medeciner les malades: ils ont aussi un Apoticaire à la douzaine, qui les suit en queue avec ses drogues, & la Tortue qui sert à la chanterie, & ne sont point si simples qu'ils n'en sçachent bien faire accroire au menu peuple par leurs impostures, pour se mettre en credit, & avoir meilleure part aux festins & aux presents.
S'il y a quelque malade dans un village, on l'envoye aussi tost querir. Il faict des invocations à son Demon, il souffle la partie dolente, il y faict des incisions, en succe le mauvais sang, & faict tout le reste de ses inventions, n'oubliant jamais, s'il le peut honnestement, d'ordonner tousjours, des festins & recreations pour premier appareil, afin de participer luy-mesme à la feste, puis s'en retourne avec ses presens S'il est question d'avoir nouvelle des choses absentes, apres avoir interrogé son Demon, il rend des oracles, mais ordinairement douteux, & bien souvent faux, mais aussi quelques fois veritables: car le Diable parmy ses mensonges, leur dict quelque verité.
Un honneste Gentil-homme de nos amis, nommé le sieur du Verner, qui a demeuré avec nous au pays des Hurons, nous dist un jour, que comme il estoit dans la Cabane d'une Sauvagesse vers le Bresil, qu'un Demon vint frapper trois grands coups sur la couverture de la Cabane, & que la Sauvagesse qui congnut que c'estoit son Demon, entra aussi-tost dans sa petite tour d'escorce, où elle avoit accoustumé de recevoir ses oracle, & entendre lea discours de ce malin esprit. Ce bon Gentil-homme preste l'oreille, & escoute le Colchique, & entendit le Diable qui se plaignoit grandement à elle, qu'il estoit fort las & fatigué, & qu'il venoit de fort loin guerir des malades, & que d'amitié particuliere qu'il avoit pour elle, l'avoir obligé de la venir voir ainsi lassé, puis pour l'advertir qu'il y avoit trois Navires François en mer qui arriveroient bien-tost, ce qui fut trouvé veritable: car à trois ou quatre jours de là, les Navires arriverent, & apres que la Sauvagesse l'eut remercié, & faict ses demandes, le Demon s'en retourna.
Un de nos François estant tombé malade en la Nation du Petun, ses compagnons qui s'en alloient à la Nation Neutre, le laisserent là, en la garde d'un Sauvage, auquel ils dirent: Se cestuy nostre compagnon meurt, tu n'as qu'à le despouiller de sa robbe, faire une fosse, & l'enterre dedans. Ce bon sauvage demeura tellement scandalisé du peu d'estat que ces François faisoient de leur compatriote, qu'il s'en plaignit par tout, disant qu'ils estoient des chiens, de laisser & abandonner ainsi leur compagnon malade, & de conseiller encore qu'on l'enterrast nud, s'il venoit à mourir. Je ne feray jamais cette injure à un corps-mort, bien qu'estranger, disoit-il, & me despouillerois plustost de ma robbe pour le couvrir, que de luy oster la sienne.
L'hoste de ce pauvre garçon sçachant sa maladie, part aussitost de Queuindohian, d'où il estoit, pour l'aller querir, assisté de ce Sauvage qui l'avoit en garde, l'apporterent sur leur dos jusques dans sa Cabane, où enfin il mourut, apres avoir esté confessé par le Pere Joseph, & fut enterré en un lieu particulier le plus honorablement; & avec le plus de ceremonies Ecclesiastiques qu'il nous fut possible, dequoy les Sauvages resterent fort edifiez, & assisterent eux mesmes au convoy avec nos François, qui s'y estoient trouvez avec leurs armes. Les femmes & filles ne manquerent pas non plus en leurs pleurs accoustumez, suyvant l'ordonnance du Capitaine, & du Medecin ou Magicien des malades, lequel neantmoins on ne souffrit point approcher de ce pauvre garçon pour faire ses inventions & follies ordinaires: bien n'eust-on pas refusé quelque bon remede naturel, s'il en eust eu de propre à la maladie.
Je me suis informé d'eux, des principales plantes & racines desquelles ils se servent pour guerir leurs maladies, mais entre toutes les autres ils font estat de celle appellee Oscar, qui faict merveille contre toutes sortes de playes ulceres, & autres incommoditez. Ils en ont aussi d'autres tres-venimeuses, qu'ils appellent Ondachieya, c'est pourquoy qu'ils s'en faut donner garde, & ne se point hazarder d'y manger d'aucune sorte de racine, que l'on ne les cognoisse, & qu'on ne sçache leurs effects & leurs vertus, de peur des accidens inopinez.
Nous eusmes un jour une grande apprehension d'un François, que pour en avoir mangé d'une, devint tout en un instant grandement malade, & pasle comme la mort, il fut neantmoins guery par des vomitifs, que les Sauvages luy firent avaller. Il nous arriva encore une autre seconde apprehension, qui se tourna par apres en risee: ce fut que certains petits Sauvages ayans des racines nommees Ooxyat qui ressemble à un petit naveau, ou à une chastaigne pellee, qu'ils venoient d'arracher pour porter en leurs Cabanes; un jeune garçon François qui demeuroit avec nous, leur ayant demandé, & mangé une ou deux, & trouvé au commencement d'un goust assez agreable, il sentit peu apres tant de douleur dans la bouche, comme d'un feu tres-cuisant & picquant, avec grande quantité d'humeurs & de flegme qui luy distilloient continuellement de la bouche qu'il en pensoit estre à mourir: en en effect, nous n'en sçavions que penser, ignorans la cause de cet accident, & craignions qu'il eust mangé de quelque racine venimeuses: mais en ayant communiqué & demandé l'advis des Sauvages, ils se firent apporter le reste des racines pour voir que c'estoit, & les ayans veues & recogneues, ils se prirent à rire, disans qu'il n'y avoit aucun danger ny crainte de mal; mais plustost du bien, n'estoient ces poignantes & part trop cuisantes douleurs de la bouche. Ils se servent de ces racines pour purger les phlegmes & humiditez du cerveau des vieilles gens, & pour esclaircir la face: mais pour éviter ce cuisant mal, ils les font premierement cuire sous les cendres chaudes, puis les mangent, sans en ressentir apres aucune douleur, & cela leur faict tous les biens du monde, & suis marry de n'en avoir apporté par-deçà, pour l'estat que je croy qu'on en eust faict. On dict aussi que nos Montagnets & Canadien ont un arbre appellé Annedda; d'une admirable vertu; ils pillent l'escorce & les feuilles de cet arbre, puis font bouillir le tout en eaue, & la boivent de deux jours l'un, & mettent le marc sur les jambes enflees & malades, & s'en trouvent bien tost gueris, comme de toutes sortes de maladies interieures & exterieures, & pour purger les mauvaises humeurs des parties enflees, nos Hurons s'incisent & decouppent le gras des jambes, avec de petites pierres trenchantes, desquelles ils tirent encore du sang de leurs bras, pour rejoindre coler leurs pippes ou petunoirs de terre rompus, qui est une tres-bonne invention, & un secret d'autant plus admirable, que les pieces recolees de ce sang, sont apres plus fortes qu'elle n'estoient auparavant. J'admirois aussi de les voir eux-mesmes brusler par plaisir de la moëlle de sureau sur leurs bras nuds & l'y laissoient consommer & esteindre de sorte que les playes, marques & cicatrices y demeuroient imprimees pour tousjours.
Quand quelqu'un veut faire suerie, qui est le remede le plus propre & le plus commun qu'ils ayent, pour se conserver en santé, prevenir les maladies & leur couper chemin. Il appelle plusieurs de ses amis pour suer avec luy: car luy seul ne le pourroit pas aysement faire. Il font donc rougir quantité de cailloux dans un grand feu, puis les en retirent & mettent en un monceau au milieu de la Cabane, ou la part qu'ils desirent dresser leur suerie, (car estans par les champs en voyage, ils en usent quelques-fois) puis dressent tout à l'entour des bastons fichez en terre, à la hauteur de la ceinture, & plus, repliez, par dessus, en façon d'une table ronde, laissans entre les pierres & les bastons un espace suffisant pour contenir les hommes nuds qui doivent suer, les uns joignans les autres, bien serrez & pressez tout à l'entour du monceau de pierres assis contre terre & les genouils eslevez au devant de leur estomach: y estans on couvre toute la suerie par dessus & à l'entour, avec de leurs grandes escorces, & des peaux en quantite: de sorte qu'il ne peut sortir aucune chaleur ny air de l'estuve, & pour s'eschauffer encore d'avantage, & s'exciter à suer, l'un des deux chante, & les autres disent & repetent continuellement avec force & vehemence (comme en leurs dances), Het, het, het, & n'en pouvans plus de chaleur, ils se font donner un peu d'air, en ostant quelques peau de dessus; & par-fois ils boivent encore de grandes potees d'eau froide, & puis se font recouvrir, ayans sué suffisamment, ils sortent, & se vont jetter en l'eau, s'ils sont proche de quelque riviere; sinon ils se lavent d'eau froide, & puis festinent: car pendant qu'ils suent, la chaudiere est sur le feu, & pour avoir bonne suerie; ils y bruslent par-fois du petun: comme en sacrifice & offrande; j'ay veu quelques-uns de nos François en de ces sueries avec les Sauvages, & m'estonnois comme ils la vouloient & pouvoient supporter, & que l'honnesteté ne gaignoit sur eux de s'en abstenir.
Il arrive aucunes-fois que le Medecin ordonne à quelqu'un de leurs malades de sortir du bourg, & de s'aller cabaner dans les bois, ou en quelqu'autre lieu escarté, pour luy observer là, pendant la nuict, ses diaboliques inventions, & ne sçay pour quel autre sujet il le feroit, puis que pour l'ordinaire cela ne se practique point que pour ceux qui sont entachez de maladie sale ou dangereuse, lesquels on contrainct seuls, & non les autres, de se separer du comme jusques à entiere guerison; qui est une coustume & ordonnance louable & tres-bonne, & qui mesme devroit estre observee en tout pays.
A ce propos & pour confirmation, je diray, que comme je me promenois un jour seul, dans les bois de la petite Nation des Quieunontateronons, j'apperceu un peu de fumee, & desireux de voir que c'estoit, j'advançay, tiray cette part, où je trouvay une Cabane ronde, faicte en façon d'une Tourelle ou Pyramide haute eslevee, ayant au faite un trou ou souspiral par où sortoit la fumee: non content j'ouvris doucement la petite porte de la Cabane pour sçavoir ce qui estoit dedans & trouvay un homme seul estendu de son long aupres d'un petit feu: je m'informay de luy pourquoy il estoit ainsi sequestré du village, & de la cause qu'ils se deuilloit; il me respondit, moitié en Huron, & moitié en Algoumequin, que c'estoit pour un mal qu'il avoit aux parties naturelles, qui le tourmentoit fort, & duquel il n'esperoit que la mort, & que pour de semblables maladies ils avoient accoustumé entr'eux, de separer & esloigner du commun, ceux qui en estoient attaincts, de peur de gaster les autres par la frequentation; & neantmoins qu'on luy apportoit ses petites necessitez & partie de ce qui luy faisoit besoin, ses parens & amis ne pouvans pas d'avantage pour lors, à cause de leur pauvreté. J'avois beaucoup de compassion pour luy: mais cela ne luy servoit que d'un peu de divertissement & de consolation en ce petit espace de temps que je fus aupres de luy: car de luy donner quelque nourriture ou rafraischissement, il estoit hors de mon pouvoir, puis que j'estois moy-mesme dans une grande necessité.
Le Truchement des Honqueronons me dist un jour, que comme ils furent un longtemps pendant l'hyver, sans avoir dequoy manger autre chose que du petun, & quelque escorce d'arbre, qu'il en devint tellement foible & debile, qu'il en pensa estre au mourir, & que les Sauvages le voyant en cet estat, touchez & esmeus de compassion, luy demanderent s'il vouloit qu'on l'achevast, pour le delivrer des peines & langueurs qu'il souffroit, puis qu'aussi bien faudroit-il qu'il mourust miserablement par les champs, ne pouvant plus suyvre les trouppes, mais il fut d'advis qu'il valoit mieux languir & esperer en nostre Seigneur, que se precipiter à la mort, aussi avoit-il raison: car à quelques jours de là Dieu permist qu'ils prindrent trois Ours qui les remirent tous sus-pieds, & en leurs premieres forces, apres avoir est quatorze ou quinze jours en jeusnes continuels.
Il ne faut pas s'estonner ou trouver estrange qu'ils ayent (touchez & esmus de compassion) presenté & offert de si bonne grace; la mort à ce Truchement, puisqu'ils ont cette coustume entr'eux (j'entends les Nations errantes, & non Sedentaires) de tuer & faire mourir leurs peres & meres, & plus proches parens desja trop vieux, & qui ne peuvent plus suyvre les autres, pensans en cela leur rendre de bons services.
J'ay quelques fois esté curieux d'entres au lieu où l'on chantoit & souffloit les malades, pour en voir toutes les ceremonies, mais les Sauvages n'en estoient pas contens, & m'y souffroient avec peine, pour ce qu'ils ne veulent point estre veus en semblables actions: & peur cet effect, à mon advis, ou pour autre sujet à moy incogneu, ils rendent aussi le lieu où cela se faict, le plus obscur & tenebreux qu'ils peuvent, & bouchent toutes les ouvertures qui peuvent donner quelque lumiere D'en haut, & ne laissent entrer là dedans que ceux qui y sont necessaires & appellez. Pendant qu'on chante il y a des pierres qui rougissent au feu, lesquelles le Medecin empoigne & manie avec ses mains, puis maches des charbons ardens, faict du Diable deschaisné, & de ses mains ainsi eschaufées, frotte, & souffles les parties malades du patient, on crache sur le mal de son charbon masché.
Ils ont aussi entr'eux des obsedez ou malades de maladies de furies, ausquels il prendra bien envie de faire dancer les femmes & filles toutes ensemble, avec l'ordonnance du Loki, mais ce n'est pas tout, car luy & le Medecin, accompagnez de quelqu'autre, feront des singeries & des conjurations, & se tourneront tant qu'ils demeureront le plus souvent hors d'eux-mesmes: puis il paroist tout furieux, les yeux estincelans, & effroyables, quelques-fois debout, & quelques-fois assis, ainsi que la fantasie luy en prend: aussi-tost une quinte luy reprendra, & fera tout du pis Qu'il pourra, puis il se couche, où il s'endors quelque espace de temps, & se resveillant en sur-sautant r'entre dans ses premieres furies, renverse, & brise & jette tout ce qu'il rencontre en son chemin, avec du bruit, du dommage, & des insolences nompareilles: cette furie se passe par le sommeil qui luy reprend. Apres il faict suerie avec quelqu'un de ses amis qu'il appelle, d'où il arrive que quelques-uns de ces malades se trouvent gueris, & c'est ce qui les entretient dans l'estime de ces diaboliques ceremonies. Car il est bien croyable que ces malades ne sont pas tellement endiablez qu'ils ne voyent bien le mal qu'ils font; mais c'est une opinion qu'ils ont, qu'il faut faire du demoniacle pour guerir les fantaisies ou troubles de l'esprit, & par une juste permission divine, il arrive le plus souvent qu'au lieu de guerir, ils tombent de fievre en chaud mal, comme on dict, & que ce qui n'estoit auparavant qu'une fantasie d'esprit, causee d'une humeur hipocondre, ou d'une operation de l'esprit malin, se convertit en une maladie corporelle avec celle de l'esprit, & c'est ce qui estoit en partie cause que nous estions souvent suppliez de la part des Maistres de la ceremonie, & de Messieurs du Canseil, de prier Dieu pour eux, & de leur enseigner quelque bon remede pour ses maladies, confessant ingenuement que toutes leurs ceremonies, dances, chansons, festins & autres singeries, n'y servoient du tout rien.
Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, mais elles ne sont si insolentes que les hommes, qui sont d'ordinaire plus tempestatifs: elles marchent à quatre pieds comme bestes, & font mille grimasses & gestes de personnes insensees: ce que voyant le Magicien, il commence à chanter; puis avec quelque mime la soufflera, luy ordonnant de certaines eaues à boire, & qu'aussi tost elle fasse un festin, soit de chair ou de poisson qu'il faut trouver, encore qu'il soit rare pour lors, neantmoins il est aussi-tost faict.
Le cry faict, & le banquet finy, chacun s'en retourne en sa maison, jusques à une autre-fois qu'il la reviendra voir, la soufflera, & chantera derechef, avec plusieurs autres à ce appellez & luy ordonnera encore de plus trois ou quatre festins tout de suite; & s'il luy vient en fantasie commandera des Mascarades, qu'ainsi accommodez ils aillent chanter pres du lict de la malade, puis aillent courir par toute la ville pendant que le festin se prepare, & apres leurs courses ils reviennent pour le festin; mais souvent bien las & affamez.
Lors que tous les remedes & inventions ordinaires n'ont de rien servy, & qu'il y a quantité de malades en un bourg ou village, ou du moins que quelqu'un des principaux d'entr'eux est detenu d'une griefve maladie, ils tiennent conseil, & ordonnent Lonouoyroya, qui est l'invention principale, & le moyen plus propre (à ce qu'ils disent) pour chasser les Diables & malins esprits de leur ville ou village, qui leur causent, procurent & apportent toutes les maladies & infirmitez qu'ilz endurent & souffrent au corps & en l'esprit. Le soir donc, les hommes commencent à casser, renverser, & boulverser tout ce qu'ils rencontrent par les Cabanes, comme gens forcenez, jettent le feu & les tisons allumez par les rues: crient, hurlent, chantent & courent toute la nuict par les rues, & à l'entour des murailles ou pallissades du bourg, sans se donner aucune relasche; apres ils songent en leur esprit quelque chose qui leur vient premier en la fantasie (j'entends tous ceux & celles qui veulent estre de la feste) puis le matin venu ils vont de Cabane en Cabane, de feu en feu, & s'arrestant à chacun un petit espace de temps chantans doucement (ces mots): Un tel m'a donné cecy, un tel m'a donné cela, & telles & semblables paroles en la louange de ceux qui leur ont donné, & en beaucoup de mesnages on leur offre librement: qui un cousteau, qui un petunoir, qui un chien, qui une peau, un canot, ou autre chose, qu'ils prennent sans en faire autre semblant, jusques à ce qu'on vient à leur donner la chose qu'ils avoient songee, & celuy qui la reçoit fait alors un cry en signe de joye, & s'encourt en grand haste de la Cabane, & tous ceux du logis en luy congratulant, font un long frappement de mains contre terre avec cette exclamation ordinaire, Hé é é é é, & ce present est pour luy: mais pour les autres choses qu'il a eues, & qui ne sont point de son songe, il les doit rendre apres la feste, à ceux qui les luy ont baillees. Mais s'ils voyent qu'on ne leur donne rien ils se faschent, & prendra tel humeur à l'un d'eux qu'il sortira hors la porte, prendra une pierre, & la mettra aupres de celuy ou celle qui ne luy aura rien donné, & sans dire mot s'en retournera chantant, qui est un marque d'injure, reproche & de mauvaise volonté.
Ceste feste dure ordinairement trois jours entiers, & ceux qui pendant ce temps-là n'ont peu trouver ce qu'ils avoient songé, s'en affligent, s'en estiment miserable, & croyant qu'ils mourront bien-tost. Il y a mesme de pauvres malades qui s'y font porter sous esperance d'y rencontrer leur songe, & par consequent leur santé & guerison.
Des deffuncts, & comme ils pleurent
& ensevelissent leurs morts.
CHAPITRE XXI.
mesme temps que quelqu'un
est decedé, l'on enveloppe son corps un peu
revesti, dans sa plus belle robe, puis on le pose sur
la natte où il est mort,
tousjours accompagné de quelqu'un, jusques
à l'heure qu'il est porté aux chasses.
Cependant tous ses parens & amis, tant
du lieu que des autres bourgs & villages
sont advertis de cette mort, & priez de se
trouver au convoy. Le Capitaine de la
Police de son costé, faict ce qui est de sa
charge: car incontinent qu'il est adverty
de ce trespas, luy, ou son Assesseur pour
luy, en faict le cry par tout le bourg, &
prie chacun disant: Prenez tous courage,
Etsagon, Etsagon, & faictes tous festin
ou mieux qu'il vous sera possible, pour un
tel ou telle qui est decedee. Alors chacun
en particulier s'employe à faire un
festin le plus excellent qu'il peut, &
de ce qu'ils peuvent, puis ils le departent & l'envoyent
à tous leurs parens & amis, sans en
rien reserver pour eux, & ce festin est appellé
Agochin atiskein, le festin des ames. Il
y a des Nations lesquelles faisans de ces
festins; font aussi une part au deffunct,
qu'ils jettent dans le feu; mais je ne me
suis point informé de nos Hurons s'ils en
font aussi une part au mort, & ce qu'elle
devient, d'autant que cela est de peu d'importance:
nous pouvons assez bien cognoistre
& conjecturer, par ce que je viens
de dire, la facilité qu'il y a de leur persuader
les prieres aumosnes & bonnes oeuvres
pour les ames des deffuncts.
Les Essedons, Scythes d'Asie, celebroient les funerailles de leur pere & mere avec chants de joye. Les thraciens ensevelissoient leurs morts en se resjouyssans, d'autant (comme ils disoient) qu'ils estoient partis du mal, & arrivez à la beatitude: mais nos Hurons ensevelissent les leurs en pleurs & tristesse, neantmoins tellement moderees & reglees au niveau de la raison, qu'il semble que ce pauvre peuple aye un absolu pouvoir sur ses larmes & sur ses sentimens; de maniere qu'ils ne leur donnent cours que dans l'obeyssance, & ne les arrestent que par la mesme obeyssance.
Avant que le corps du deffunct sorte de la Cabane, toutes les femmes & fille là presentes, y font les pleurs & lamentations ordinaires, lesquelles ne les commencent ny ne finissent jamais (comme je viens de dire) que par le commandement du Capitaine ou Maistre des ceremonies. Le commandement & l'advertissement donné, toutes unanimement commencent à pelurer, & se lamentent à bon escient, & les femmes & filles petites & grandes (& non jamais les hommes, qui demonstrent seulement une mine & contenance morne & triste, le reste la teste panchante sur leurs genouils) & pour plus facilement s'esmouvoir & s'y exciter, elles repetent tous leurs parens & amis deffuncts, disans. Et mon pere est mort, & mere est morte, & mon cousin est mort, & ainsi des autres, & toutes fondent en larmes; sinon les petites filles qui en font plus de semblant qu'elles n'en ont d'envie, pour n'estre encore capable de ces sentimens. Ayans suffisamment pleuré, le Capitaine leur crie, c'est assez, cessez de pleurer, & toutes cessent.
Or pour montrer combien il leur est facile de pleurer, par ces ressouvenirs & repetitions de leurs parens & amis decedez, les Hurons & Huronnes souffrent assez patiemment toutes sortes d'injure: mais quand on vient à toucher cette corde, & qu'on leur reproche que quelqu'un de leurs parens est mort, ils sortent alors aysement hors des gonds & perdent patience de cholere & fascherie, que leur apporte cause ce ressouvenir, & feroient enfin un mauvais party à qui leur reprocheroit: & c'est en cela, & non en autre chose, que je leur ay veu quelques fois perdre patience.
Au jour & à l'heure assignee pour l'enterrement, chacun se range dedans & dehors la Cabane pour y assister: on met le corps sur un brancart ou civiere couvert d'une peau, puis tous les parens & amis, avec un grand concours de peuple, accompagnent ce corps jusques au Cimetiere, qui est ordinairement à une portee d'arquebuze loin du bourg, où estans tous arrivez, chacun se tient en silence, les uns debout, les autres assis, selon qu'il leur plaist, pendant qu'on esleve le corps en haut, & qu'on l'accommode dans sa chasse, faicte & disposee exprez pour luy; car chacun corps est mis dans une chasse à part. Elle est faicte de grosse escorce, eslevee sur quatre gros piliers de bois un peu peinturez, de la hauteur de neuf ou dix pieds, ou environ: ce que je conjecture, en ce qu'eslevant ma main, je ne pouvois toucher aux chasses qu'à plus d'un pied ou deux prez. Le corps y estant posé, avec la galette, l'huile, haches & autre chose qu'on y veut mettre, on la referme, puis de dessus on jette deux bastons ronds, chacun de la longueur d'un pied, & gros un peu moins que le bras; l'un d'un costé pour les jeunes hommes, & l'autre de l'autre, pour les filles: (je n'ay point veu faire cette ceremonie de jetter les deux bastons en tous les enterremens; mais à quelques-uns), & ils se mettent apres comme lyons, à qui les aura, & les pourra eslever en l'air de la main, pour gaigner un certain prix, & m'estonnois grandement que la violence qu'ils apportoient pour arracher ce baston de la main des uns & des autres, se veautrans, & culbutans contre terre, ne les estouffoit, tant les filles de leur costé, que les garçons du leur.
Or pendant que toutes ces ceremonies s'observent, il y a d'un autre costé un Officier monté sur un tronc d'arbre que reçoit des presens que plusieurs personnes font, pour essuyer les larmes de la vesve, ou plus proche parente du deffunct: à chaque chose qu'il reçoit, il l'esleve en l'air, pour estre veue de tous, et dict: Voilà une telle chose qu'un tel ou une telle a donnee pour essuyer les larmes d'une telle, puis il se baisse, & luy met entre les mains: tout estant achevé chacun s'en retourne d'où il est venu, avec la mesme modestie & silence. J'ay veu en quelque lieu d'autres corps mis en terre (mais fort peu) sur lesquels il y avoit une Cabane ou Chasse d'escorce dressee, & à l'entour une haye en rond, faicte avec des pieus fichez en terre, de peur des chiens ou bestes sauvages, ou par honneur, & pour la reverence des deffuncts.
Les Canadiens, Montagnets, Algoumequins & autres peuples errans, font quelqu'autre particuliere ceremonie envers les corps des deffucnts: car ils n'ont desja point de Cimetiere commun & arresté; ains ensevelissent & enterrent ordinairement les corps de leurs parent deffuncts parmy les bois, proche de quelque gros arbre, ou autre marque, pour en recognoistre le lieu & avec ces corps enterrent aussi leurs meubles, peaux, chaudieres, escuelles cueilliers & autres choses du deffunct, avec son arc & ses flesches, si c'est un homme, puis mettent des escorces & grosses busches par-dessus, & de la terre apres, pour en oster la cognoissance aux Estrangers. Et faut noter qu'on ne sçauroit en rien tant les offencer, qu'à fouiller & desrober dans les sepulchres de leurs parens, & qu si on y estoit trouvé, on n'en pourroit pas moins attendre qu'une mort tres cruelle & rigoureuse, & pour tesmoigner encore l'affection & reverence qu'ils ont aux os de leurs parens: si le feu se prenoit en leur village & en leur cimetiere, ils corroient premierement esteindre celuy du cimetiere, & puis celuy du village.
Entre quelque Nation de nos Sauvages, ils ont accoustumé de se peindre le visage de noir à la mort de leurs parens & amis, qui est un signe de deuil: ils peindent aussi le visage du deffunct, & l'enjolivent matachias, plumes & autres bagatelles, & s'il est mort en guerre, le Capitaine faict une Harangue en maniere d'Oraison funebre, en la presence du corps, incitant & exhortant l'assemblee, sur la mort du deffunct, de prendre vengeance d'une telle meschanceté, & de faire la guerre à ses ennemis, le plus promptement que faire se pourra, afin que un si grand mal ne demeure point impuny, & qu'une autre fois on n'aye point la hardiesse de leur courir sus.
Les Attinoindarons font des Resurrections des morts, principalement des personnes qui ont bien merité de la patrie par leurs signalez services, & ce que la memoire des hommes illustres & valeureux revive en quelque façon en autruy. Ils font donc des assemblees à cet effect, & tiennent des conseils, ausquels ils en eslisent un d'entr'eux, qui aye les mesmes vertus & qualitez (s'il se peut) de celuy qu'ils veulent ressusciter, ou du moins qu'il soit d'une vie irreprochable parmy un peuple Sauvage.
Voulans donc proceder à la Resurrection, ils se levent tous debout, excepté celuy qui doit ressusciter, auquels ils imposent le nom du deffunct, & baissans tous la main jusques bien bas, feignent le relever de terre: voulans dire par là qu'ils tirent du tombeau ce grand personnage deffunct, & le remettent en vie en la personne de cet autre qui se leve debout, & (apres les grandes acclamations du peuple) il reçoit les presens que les assistans luy offrent, lesquels le congratulent encore de plusieurs festins, & le tiennent desormais pour le deffunct qu'il represente; & par ainsi jamais la memoire des gens de bien, & des bons & valeureux Capitaines ne meurt point entr'eux.
De la grand' feste des Morts.
CHAPITRE XXII
E dix en dix ans, ou environ,
nos Sauvages, & autres peuples
Sedentaires, font la grande
feste ou ceremonie des
Morts, en l'une de leurs villes ou villages,
comme il aura esté conclu & ordonné par
un conseil general de tous ceux du pays
(car les os des deffuncts ne sont ensevelis
en particulier que pour un temps) & la font
encore annoncer aux autres Nations circonvoysines,
afin que ceux qui y ont esleu
la sepulture des os de leurs parens les
y portent, & les autres qui y veulent venir
par devotion, y honorent la feste de leur
presence: car tous y sont les biens venus
& festinez pendant quelques jours que dure
la ceremonie, où 'on ne voit que chaudieres
sur le feu, festins & dances continuelles,
qui faict qu'il s'y trouve une infinité
de bonde qui y aborde de toutes parts.
Les femmes qui ont à y apporter les os de leurs parens, les prennent aux cimetieres: que si les chairs ne sont pas du tout consommées, elles les nettoyent & en tirent les os qu'elles lavent, & enveloppent de beaux Castors neufs, & de Rassade & Colliers de Pourceleines, que les parens & amis contribuent & donnent, disans Tien, voyla ce que je donne pour les os de mon pere, de ma mere, de mon oncle, cousin ou autre parent, & les ayans mis dans un sac neuf, ils les portent sur leur dos, & ornent encore le dessus du sac de quantité de petites parures, de coliers, brasselets & autre enjolivemens. Puis les pelleteries, haches, chaudieres & autres choses qu'ils estiment de valeur, avec quantité de vivres se portent aussi au lieu destiné, & là estans tous assemblez, ils mettent les vivres en un lieu, pour estre employez aux festins qui sont de fort grands fraiz entr'eux, puis pendent proprement par les Cabanes de leurs hostes, tous leurs sacs & leurs pelleteries, en attendant le jour auquel tout doit estre ensevely dans la terre.
La fosse se fait hors de la ville, fort grande & profonde, capable de contenir tous els os, meubles & pelleteries dediees pour les deffuncts. On y dresse un eschaffaut haut eslevé sur le bord, auquel on porte tous les sacs d'os, puis on tend la fosse par tout au fonds & aux costez de peaux & robes de Castors neufves, puis y font un lict de haches, en apres de chaudieres, rassades, coliers, & brasselets de Pourceleine, & autres choses qui ont esté donnees par les parens & amis. Cela faict, du haut de l'eschaffaut les Capitaines vuident & versent tous les os des sacs dans la fosse parmy la marchandise, lesquels ils couvrent encore d'autres peaux neuves, puis d'escorces, & apres rejettent la terre par dessus, & des grosses pieces de bois; & par honneur ils fichent en terre des piliers de de bois tout à l'entour de la fosse, & font une couverture par dessus, qui dure autant qu'elle peut, puis festinent derechef, & prennent congé l'un de l'autre, & s'en retournent d'où ils sont venus, bien joyeux & contens que les ames de leurs parens & amis auront bien dequoy butiner, & le faire riche ce jour-là en l'autre vie.
Chrestiens, r'entrons un peu en nous-mesmes, & voyons si nos ferveurs sont aussi grandes envers les ames de nos parens detenues dans les prisons de Dieu, que celles des pauvres Sauvages envers les ames de leurs semblables deffuncts, & nous trouverons que leurs ferveurs surpassent les nostres, & qu'ils ont plus d'amour l'un pour l'autre, & en la vie & apres la mort, que nous, qui nous disons plus sages, & le sommes moin en effect, parlant de la fidelité & de l'amitié simplement: Car il est question de donner l'aumosne, ou faire quelqu'autre oeuvre pieuse pour les vivans ou deffuncts, c'est souvent avec tant de peine & de repugnance, qu'il semble à plusieurs qu'on leur arrache les entrailles du ventre, tant ils ont de difficulté à bien faire, au contraire de nos Hurons & autres peuples Sauvages, lesquels font leurs presens, & donnent leurs aumosnes pour les vivans & pour les morts, avec tant de gayeté & si librement, que vous diriez à les voir qu'ils n'ont rien plus en recommandation, que de faire du bien, & assister ceux qui sont en necessité, & particulierement aux ames de leurs parens & amis deffuncts, ausquels ils donnent le plus beau & meilleur qu'ils ont, & s'en incommodent quelques-fois grandement, & y a telle personne qui donne presque tout ce qu'il a pour les os de celuy ou celle qu'il a aymée & cherie en cette vie, & ayme encore pares la mort: tesmoin Ongyata, qui pour avoir donné & enfermé avec le corps de sa deffuncte femme (sans nostre sceu) presque tout ce qu'il avoit, en demeurans tres-pauvre, & incommodé, & s'en resjouyssoit encore, sous l'esperance que sa deffuncte femme en seroit mieux accommodee en l'autre vie.
Or par le moyen de ces ceremonies & assemblees, ils contractent une nouvelle amitié & union entr'eux, disans: Que tout ainsi que les os de leurs parens & amis deffuncts sont assemblez & unis en un mesme lieu, de mesme aussi qu'ils devoient durant leur vie, vivre tous ensemblement en une mesme unité & concorde, comme bons parens & amis, sans s'en pouvoir à jamais separer ou distraire pour aucun desservice ou disgrace, comme en effect ils font.
SECONDE PARTIE.
Où il est traitté des Animaux terrestres & aquatiques, & des Fruicts, Plantes & Richesses qui se retrouvent communément dans le pays de nos Sauvages; puis de nostre retour de la Province des Hurons en celle de Canada, avec un petit Dictionnaire des mots principaux de la langue Huronne, necessaire à ceux qui n'ont l'intelligence d'icelle, & ont à traitter avec les dits Hurons.
Des Oyseaux.
CHAPITRE I.
Remierement, je commenceray
par l'Oyseau le plus beau, le plus
rare, & plus petit qui soit, peut-estre,
au monde qui est le Vicilin, ou Oyseau-mouche,
que les Indiens appellent
en leur langue Ressuscité. Cet oyseau, en
corps, n'est pas plus gros qu'un grillon, il
a le bec long & tres-delié, de la grosseur
de la poincte d'une aiguille, & ses cuisses
& ses pieds aussi menus que la ligne d'une
escriture; l'on a autrefois pezé son nid avec
les oyseaux, & trouvé qu'il ne pèze
d'avantage de vingt-quatre grains, il se
nourrit de la rosee & de l'odeur des fleurs
sans se poser sur icelles, mais seulement en
voltigeant per dessus. Sa plume est aussi
déliee que duvet & est tres-plaisante & belle
à voir pour la diversité de ses couleurs.
Cet oyseau (à ce qu'on dit) se meurt, ou
pour mieux dire s'endort, au mois d'Octobre,
demeurant attaché à quelque petite
branchette d'arbre par les pieds, & se
réveille au mois d'Avril, que les fleurs sont
en abondance, & quelques fois plus tard,
& pour cette cause est appellé en langue
Mexicaine, Ressuscité: Il en vient quantité
en nostre jardin de Kebec, lors que les
fleurs, & les poids y sont fleuris, & prenois
plaisir de les y voir, mais ils vont si viste,
que n'estoit qu'on en peut par fois approcher
de fort prez, à peine les prendroit-on
pour oyseaux, ains pour papillons; mais
y prenant barde de prez, on les discerne
& recognoist-on à leur bec, à leurs aisles,
plumes, & à tout le reste de leur petit corps
bien formé. Ils sont fort difficiles à prendre,
à cause de leur petitesse, & pour n'avoir
aucun repos: mais quand on les veut
avoir, il se faut approcher des fleurs & se
tenir coy, avec une longue poignee de
verges, de laquelle il les faut frapper, si on
peut, & c'est l'invention & la maniere la
plus aysee pour les prendre. Nos Religieux
en avoient un en vie, enfermé dans
un coffre; mais il ne faisoit que bourdonner
là dedans, & quelques jours apres il
mourut n'y ayant moyen aucun de le pouvoir
nourir ny conserver long-temps
en vie.
Il venoit aussi quantité de Chardonnerets manger les semences & graines de nostre jardin, leur chant me sembloit plu doux & agreable que de ceux d'icy, & mesme leur plumage plus beau & beaucoup mieux doré, ce qui me donnoit la curiosité de les contempler souvent, & louer Dieu en leur beauté & doux ramage. Il y a une autre espece d'oyseau un peu plus gros qu'un Moyneau, qui a le plumage entierement blanc, & le chant duquel n'est point à mespriser, il se nourrist aussi en cage comme le Chardonneret. Les Gays que nous avons veus aux Hurons, qu'ils appellent Tintian, sont plus petits presque de la moitié, que ceux que nous avons par deçà, & d'un plumage aussi beaucoup plus beau.
Ils ont aussi des oyseaux de plumage entierement rouge ou incarnat, qu'ils appellent Stinondoa, & d'autres qui n'ont que le col & la teste rouge & incarnat, & tout le reste d'un tres-beau blanc & noir: ils sont de la grosseur d'un Merle, & se nomment Onaiera: un Sauvage m'en donna un en vie un peu avant que partir, mais il n'y a eu moyen de l'apporter icy, non plus que quatre autres d'une autre espece, & un peu plus grosset, lesquels avoient par tout sous le ventre, sous la gorge & sous les ailes, des Soleils bien faits de diverses couleurs, & le reste du corps estoit d'un jaune meslé de gris. J'eusse bien desiré d'en pouvoir apporter en vie par deçà, pour la beauté & rareté que j'y trouvois, mais il n'y avoit aucun moyen pour le tres penible & long chemin qu'il y a des Hurons en Canada, & de Canada en France. J'y vis aussi plusieurs autres especes d'oyseaux qu'il me semble n'avoir point veus ailleurs; mais comme je ne me suis point informé des noms, & que la chose en soy est d'assez petite consequence, je me contente d'admirer & louer Dieu, qu'en toute contrée il y a quelque chose de particulier qui ne se trouve point en d'autres.
Il y a encore quantité d'Aigles, qu'ils appellent en leur langue Sondaqua; elles font leurs nids ordinairement sur le bord des eaues, ou de quelque precipice, tout au coupeau des plus hauts arbres ou rochers: de sorte qu'elles sont fort difficiles à avoir & desnicher; nous en desnichasmes neantmoins plusieurs nids, mais nous n'y trouvasmes en aucun plus d'un ou deux Aiglons: j'en pensois nourrir quelques uns lors que nous estions sur le chemin des hurons à Kebec: mais tant pour estre trop lourds à porter, que pour ne pouvoir fournir au poisson qu'il leur falloit (n'ayant autre chose à leur donner) nous en fismes chaudiere, & les trouvasmes tres bons car ils estoient encores jeunes & tendres. Mes Sauvages me vouloient aussi desnicher des oyseaux de proye, qu'ils appellent Sethonat antaque, d'un nid qui estoit sur un grand arbre assez proche de la riviere, desquels ils faisoient grand estat, maos je les en remerciay, & ne voulus point qu'ils en prissent la peine; neantmoins je m'en suis repenty du depuis, car il pouvoit estre que ce fussent Vautours. En quelque contree, & particulierement du costé des Petuneux, il y a des Coqs, & poulles d'Inde, qu'ils appellent Ondectontaque, elles ne sont point domestiques, ains errantes & champestres. Le gendre du grand Capitaine de nostre bourg en poursuyvit une fort long-temps proche de nostre Cabane, mais il ne la peut attraper: car bien que ces poulles d'Inde soient lourdes & massives, elles volent & se sauvent neantmoins bien d'arbre en arbre, & par ce moyen evitent la flesche. Si les Sauvages se vouloient donner la peine d'en nourrir des jeunes ils les rendroient domestiques aussi bien qu'icy, comme aussi des Outardes ou Oyes sauvages, qu'ils appellent Ahonque, car il y en a quantité dans le pays: mais ils ne veulent nourrir que des Chiens, & par sois des jeunes Ours, desquels ils font des festins d'importance, car la chair en est fort bonne, & pour en cheoir les engraissent sans incommodité & danger d'avoir de leurs dents ou de leurs pattes, ils les enferment au milieu de leurs Cabanes, dans une petite tour ronde faite avec des peaux fichez en terre, & là leur donnent à manger des restes des Sagamitez.
En la saison les champs sont tous couverts de Grues ou Tochingo, qui viennent manger leurs bleds quant ils les sement, & quand ils sont prests à moissonner: de mesme en font les Outardes & les Corbeaux, qu'ils appellent Oraquan, ils nous en faisoient par-fois de grandes plaintes, & nous demandoient le moyen d'y remedier: mais c'estoit une chose bien difficile à faire: ils tuent de ces Grues & Outardes avec leurs flesches, mais ils rencontrent peu souvent, pource que si ces gros oyseaux n'ont pas les aisles rompues, ou ne sont frappez à la mort, ils emportent aysement la flesche dans la playe & guerissent avec le temps, ainsi que nos Religieux de Canada l'ont veu par experience d'une Grue prise à Kebec, qui avoit esté frappée d'une flesche Huronne trois cens lieuës au delà, & trouverent sur sa croupe la playe guerie, & le bout de la flesche avec la pierre enfermee dedans. Ils en prennent aussi quelque-fois avec des colets; mais pour des Corbeaux s'ils en tuent, ils n'en mangent point la chair bien que si j'eusse peu en attraper my-mesme, je n'eusse fait aucune difficulté d'en manger.
Ils ont des Perdrix blanches & grises, nommées Acoissan, & une infinité de Tourterelles, qu'ils appellent Orictey, qui se nourrissent en partie de glands, qu'elles avallent facilement entiers, & en partie d'autre chose. Il y a aussi quantité de Canards, appellez Taron, & de toutes autres sortes & especes de gibiers, que l'on a en Canada: mais pour des Cines, qu'ils appellent Hurhey, il y en a principalement vers les Epicerinys. Les Mousquites & Maringuins, que nous appellons icy coufins, & nos Hurons Yachiey, à cause que leur païs est découvert, & pour la pluspart deserté, il y en a peu par la champagne mais par les forests, principalement dans les Sapiniers, il y en en Esté presqu'autant qu'en la Province de Canada, engendrez de la pourriture & poussiere des bois tombez dés longtemps.
Nos Sauvages ont aussi assez souvent dans leur pays des oyseaux de proye, Aigles, Ducs, Faucons, Tiercelets, Espreviers & autres: mais ils n'ont l'usage ny l'industrie de les dresser, & par ainsi perdent beaucoup de bon gibier, n'ayans aucun moyen de l'avoir qu'avec l'arc ou la flesche. Mais la plus grande abondance se retrouve en certaines Isles dans la mer douce, où il y en a telle quantité; sçavoir, de Canards, Margaux, Roquettes, Outardes, Mauves, Cormorans, & autres que c'est chose merveilleuse.
Des animaux terrestres.
CHAPITRE II.
ENONS aux Animaux terrestres,
& disons que la terre
& le pays de nos Hurons
n'en manque non plus que
l'air & les rivieres d'oyseaux
& de poissons. Ils ont trois sortes
de Renards, tous differens en poil & en
couleur, & non en finesse & cautelle: car
ils ont la mesme nature, malice & finesse
que les nostres de deçà: car comme on
dict communement, pour passer la mer
on change bien de pays, mais non pas
d'humeur.
L'espece la plus rare & la plus prisee des trois, sont ceux qu'ils appellent Hahyuha, lesquels ont tous le poil noir comme gey, & pour cette cause grandement estimé, jusqu'à valoir plusieurs centaines d'escus la piece. La seconde espece la plus estimée apres, sont ceux qu'ils appellent Tsinantontonq, lesquels ont une barre ou lisiere de poil noir, qui leur prend le long du dos, & passe par dessous le ventre, large de quatre doigts ou environ, le reste est aucunement roux. La troisiesme espece sont les communs, appellez Andasatey, ceux cy sont presque de la grosseur & du poil des nostres, sinon que la peu semble mieux fournie, & le poil un peu moins doux.
Ils ont aussi trois sortes & especes d'Escureux différends, & tous trois plus beaux & plus petits que les nostres. Les plus estimez sont les Escureux volans, nommez Sahonesquanta, qui ont la couleur cendree, la teste un peu grosse, & sont munis d'une panne qui leur prend des deux costez d'une patte de derriere & celle de devan, lesquelles ils estendent quand ils veulent voler; car ils volent aysement sur les arbres, & de lieu en lieu assez loin, c'est pourquoy ils sont appellez Escureux volans. Les Hurons nous en firent present d'une nichee de trois qui estoient tres beaux & dignes d'estre presentez à quelque personne de merite, si nous eussions esté en lieu: mais nous en estions trop esloignez. La seconde espece qu'ils appellent Ohthoin, & nous Suisses, à cause de la beauté & diversité de leur poil, sont ceux qui sont rayéz & barrez depuis le devant jusques au derriere d'une barre ou raye blanche, puis d'une rousse, grise & noirastre tout à l'entour du corps, ce qui les rends tres-beaux: mais ils mordent comme perdus, s'ils ne sont apprivoysez, ou que l'on ne s'en donne de garde. La troisiesme espece, sont ceux qui sont presque du poil & de la couleur des nostres, qu'ils appellent Aroussen, & n'y a presque autre difference, sinon qu'ils sont plus petits.
Losrque j'estois cabané avec mes Sauvages dans une Isle de la mer douce pour la pesche, j'y vis grand nombre de ces meschans animaux guerroyer la nuict, & le jour la seicherie du poisson: j'en eus plusieurs de ceux que mes Sauvages tuerent avec la flesche, & en pris un Suisse dans un tronc d'arbre tombé, qui s'y estoit caché. Ils ont en plusieurs endroits des Lapins & Levraux: qu'ils appellent Qüeutonmalisia, ils en prennent aucunes fois avec des colets, mais rarement, pour ce que les cordelettes n'estans ny bonnes ny assez fortes, ils les rompent & coupent aysement quand ils s'y trouvent attrapez.
Les Loups cerviers, nommez Toutsitsauté, en quelque Nation sont assez frequents: mais les Loups communs, qu'ils appellent Anayisqua sont assez rares, aussi en estiment ils grandement la peau, comme aussi celle d'une espece de Leopard, ou Chat sauvage, qu'ils appellent Tiron, (Il y a un pays en cette grande estendue de Provinces, que nous surnommons la Nation du Chat, j'ay opinion que ce nom leur a esté donné à cause de ces Chats sauvages, petits Loups ou Leopards qui se retrouvent dans leurs pays) desquelles ils font des robbes ou couvertures, qu'ils parsement & embellissent de quantité de queues d'animaux, cousues tout à l'entour des bords, & par dessus le dos. Ces Chats sauvages ne sont gueres plus grands qu'un grand Renard; mais ils ont le poil du tout semblable à celuy d'un grand Loup: de sorte qu'un morceau de cette peau, avec un autre morceau de celle d'un Loup, sont presque sans distinction, & y fut trompé au choix.
Ils ont une autre espece d'animaux nommez Otay, grands comme petits Lapins, & d'un poil tres-noir, & si doux, poly & beau, qu'il semble de la panne. Ils font grand estat de ces peaux, desquelles ils font des robes, & à l'entour ils arrangent toutes les testes & les queues. Les enfans du Diable, que les Hurons appellent Scangaresse, et les Canadiens Habougi manitou, sont environ de la grandeur d'un Renard, la teste moins aiguë, & la peau couverte d'un gros poil de Loup, rude & enfumé: Ils sont tres-malicieux, d'un laid regard, & de fort mauvaise odeur. Ils jettent aussi (à ce qu'on dit) parmy leurs excrements, des petits serpents longs & déliez, lesquels ne vivent neantmoins gueres long temps.
Les Eslans ou Orignats sont frequens en la Province de Canada, & fort rares à celle des Hurons, d'autant que ces animaux se tiennent & retirent ordinairement dans les pays plus froids & remplis de montagnes aussi bien que les Ours blancs, qu'on dict habiter l'Isle d'Anticosti, proche l'emboucheure de la grand' riviere sainct Laurens; les hurons appellent ces Eslans Sontayeinta, & les Caribou Ausquoy, desquels les Sauvages nous donnerent un pied, qui est creux & si leger de la corne, & faict de telle façon, qu'on peut aysement croire ce qu'on dict de cet animal, qu'il marche sur les neiges sans enfoncer.
Pour l'Eslan, c'est l'animal le plus haut qui soit, apres le Chameau: car il est plus haut que le Cheval. L'on en nourrissoit un jeune dans le fort de Kebec, à dessein de l'amener en France, mais on ne peut le guerir de la blesseure des chiens, & mourut quelque temps âpres. Il a le poil ordinairement griffon, & quelques fois fauve, long quasi comme les doigts de la main. Sa teste est fort longue, & porte son bois double comme le Cerf, mais large, & fait comme celuy d'un Dain, & long de trois pieds. Le pied en est fourchu comme celui du Cerf, mais beaucoup plus plantureux: la chair en est courue & fort delicate, il paist aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante Manne des Canadiens, apres le poisson, de laquelle ils nous faisoient quelques fois part.
Les Ours & les Martes sont assez communs par le pays mais les cerfs, qu'ils appellent Scotioton, sont en plus grande abondance dans la Province de Attinoindarons qu'en aucune autre; mais ils sont un peu plus petits que les nostres de deçà, & en quelques contrees il se trouve des Dains, Buffles (car quelques-uns de nos Religieux y en ont veu des peaux) & plusieurs autres especes d'animaux que nous avons icy d'autres qui nous sont incogneus.
Les chiens du pays hurlent plustost qu'ils n'abbayent, & ont tous les oreilles droictes comme Renards; mais au reste, tous semblables aux matins de mediocre grandeur de nos villageois. Ils servent en guise de Moutons, pour estre mangez en festin, ils arrestent l'Eslan & descouvrent le giste de la beste, & de fort petite despence à leur maistre: mais ils donnent fort la chasse aux volailles de Kebec quand les Sauvages y arrivent; c'est pourquoy on s'en donne garde. Je me suis trouvé diverses fois à des festins de Chiens, j'advoue veritablement que du commencement cela me faisoit horreur; mais je n'en eus pas mangé deux fois que j'en trouvay la chair bonne, & de goust un peu approchant à celle du porc, aussi ne vivent-ils pour le plus ordinaire, que des salletez qu'ils trouvent par les rues & par les chemins: ils mettent aussi fort souvent leur museau aigu dans le pot & la Sagamité des Sauvages; mais ils ne l'en estiment pas moins nette, non plus que pour y mettre le reste du potage des enfans: ce qui est neantmoins fort desgoutant à ceux qui ne sont accoustumez à ces salletez.
Nostre Pere Joseph le Caron m'a raconté dans le pays, qu'hyvernant avec les Montagnets, ils trouverent dans le creux d'un tres-gros arbre, un Ours avec ses deux petits, couchez sur quatre ou cinq petites branches de Cedre, environnez de tous costez de tres-hautes neiges sans avoir rien à manger, & sans aucune apparence qu'ils fussent sortis de là pour aller chercher de la provision, depuis trois mois & plus, que la terre estoit par tout couverte de ces hautes neiges: celà m'a fait croire avec luy, ou que la provision de ces animaux estoit faillie depuis peu, ou que Dieu, qui a soin & nourrit les petits Corbeaux delaissez, n'abandonne point de sa divine providence, ces pauvres animaux dans la necessité. Ils les tuerent sans difficulté, comme ne pouvans s'echapper, & en firent festin, & pareillement de plusieurs Porc-espics, qu'ils prindrent, en cherchans l'Eslan & le Cerf: pour l'Eslan il est assez commun, comme j'ay dit: mais le Cerf y est un peu plus rare, & difficile à prendre, pour la legereté de ses pieds: neantmoins les Neutres avec leurs petites Raquettes attachées sous leur pieds, courent sur les neiges avec la mesme vistesse des Cerfs, & en prennent en quantité, lesquels ils font boucaner entiers, apres estre esventrez, & n'en vuident aucunement la fumee des entrailles, lesquelles ils mangent boucanees & cuites, avec le reste de la chair, ce qui faisoit un peu estonner nos François, qui n'estoient pas encore accoustumez à ces incivilitez; mais il falloit s'accoustumer à manger de tout, ou bien mourir de faim.
Il y a au pays de nos Hurons une espece de grosses Souris, qu'ils appellent Tachro, une fois plus grosses que les souris communes, & moins grosses que les Rats. Je n'en ay point veu ailleurs de pareilles, ils les mangent sans horreur; mais je n'en voulus point manger du tout, bien que j'en visse manger à mes Confreres, de celles que nous prenions la nuict sous des pieges de nostre Cabane, nous ne les pouvions neantmoins autrement discerner d'avec les communes qu'à la grosseur: nous en prenions peu souvent, mais jamais des Rats, c'est pourquoy je ne sçay s'ils en ont, ouy bien des Souris communes à milliers.
S'ils ont des Souris sans nombre, je peux dire qu'ils ont des Puces à l'infiny, qu'ils appellent Toubauc; & particulierement pendant l'Esté, desquelles ils sont fort tourmentez; car outre que l'urine qu'ils tombent en leurs Cabanes en engendre, ils ont une quantité de Chiens qui leur en fournissent à bon escient, & n'y a autre remede que la patience & les armes ordinaires. Pour les pouls, qu'ils nomment Tsinoy, tant ceux qu'ils ont en leurs fourrures ou habits, que ceux que les enfans ont à leurs testes: les femmes les mangent & croquent entre leurs dents comme perles, elles ont l'invention d'avoir d'avoir ceux qui sont dans leurs peaux & fourrures en cette sorte. Elles fichent en terre deux bastons de costé & d'autres devant le feu, puis y estendent leurs peaux: le costé qui n'a point de poil est devant le feu, & l'autre en dehors. La vermine sentant le chaud sort du fond du poil, & se tient à l'extremité d'iceluy, fuyant la chaleur, & alors les sauvagesses les prennent sa peint, & puis les mangent, mais ils en ont fort peu en comparaison des puces; aussi n'en peuvent ils gueres avoir, puis qu'ils ont si peu d'habits, & le corps & les cheveux si souvent peints & huilez d'huile & de graisse.
Des Poissons, & bestes aquatiques.
CHAPITRE III.
IEU, qui a peuplé la terre de
diverses especes d'Animaux,
tant pour le service de l'homme,
que pour la decoration &
embellissement de cet Univers, à aussi
peuplé la mer & les rivieres d'autant ou
plus de diversité de poissons, qui tous subsistent
dans leurs propres especes, bien que
tous les jours l'homme en tire une partie
de sa nourriture, & les poissons gloutons
qui font la guerre aux autres dans le profond
des abysmes, en engloutissent &
mangent à l'infiny; ce sont les merveilles
de Dieu.
On sait par experience que les poissons marins se delectent aux eaux douces, aussi bien qu'en lamer, puis que par-fois on en pesche dans nos rivieres. Mais ce qui est admirable en tout poisson, soit marin ou d'eau douce, est qu'il cognoissent le temps & les lieux qui leur sont commodes: & ainsi nos pescheurs de Molues jugerent à trois jours pres, le temps qu'elle devoient arriver, & ne furent point trompez, & en suitte les Maquereaux qui vont en corps d'armée, serrez les uns contre les autres, le petit bout du museau à fleur d'eau, pour descouvrir les embusches des pescheurs. Cela est admirable, mais bien plus encore de ce qu'ils vivent & se resjouyssent dans la mer salée, & neantmoins s'y nourissent d'eau douce, qui est entre-meslee, que par une maniere admirable, ils sçavent discerner & succer avec la bouche parmy la salee, comme dit Albert le Grand: voire estans morts, si l'on les cuit avec l'eau salee, ils demeurent neantmoins doux. Mais quant aux poissons qui sont engendrez dans l'eau douce, & qui s'en nourrissent; ils rennent facilement le goust du sel, lors qu'ils sont cuits dans l'eau salee. Or de mesme que nos pescheurs ont la cognoissance de la nature de nos poissons, & comme ils sçavent choisir les saisons & le temps pour se porter dans les contrees qui leur sont commodes, aussi nos Sauvages, aydez de la raison & de l'experience, sçavent aussi fort bien choisir le temps de la pesche, quel poisson vient en Automne, ou en Esté, ou en l'une, ou l'autre saison.
Pour ce qui est des poissons qui se retrouvent dans les rivieres & lacs au pays de nos Hurons, & particulierement à la mer douce: Les principaux sont l'Assihendo, duquel nous avons parlé ailleurs, & des Truites, qu'ils appellent Ahouyoche, lesquelles sont de des mesuree grandeur pour la pluspart, & n'y en ay veu aucune qui ne soit plus grosse que les plus grande que nous ayons par-deçà: leur chair est communement rouge, sinon à quelques-unes qu'elle se voit jaune ou orangee. Les Brochets, appellez Soyuissan, qu'ils y peschent aussi avec les Esturgeons, nommez Hixyahon, estonnent les personnes, tant il s'y en voit des merveilleusement grands.
Quelques sepmaines apres la pesche des grands poissons, ils vont à celle de l'Einchataon qui est un poisson quelque peu approchant aux Barbeaux de par-deçà, longs d'environ un pied & demy, ou peu moins: ce poisson leur sert pour donner goust à leur Sagamité pendant l'hyver, c'est pourquoy ils en font grand estat, aussi bien que du grand poisson, & afin qu'il fasse mieux sentir leur potage, ils ne l'esventrent point, & le conservent pendu par monceaux aux perches de leurs Cabanes; mais je vous asseure qu'au temps de Caresme, & quand il commence à faire chaud, qu'il pue & sent si furieusement mauvais, que cela nous faisoit bondir le coeur, & à eux ce leur estoit muse & civette.
En autre saison ils y peschent, à la ceine une autre espece de poisson, qui semble estre de nos Harangs, mis des plus petits, lesquels ils mangent fraiz & boucanez. Et comme ils sont tres-sçavans, aussi bien que nos pescheurs de Molues, à cognoistre un ou deux jours pres, le temps que viennent les poissons de chacune espece, ils ne manquent point quand il faut d'aller au petit poisson, qu'ils appellent Anhairfiq, & en peschent un infinité avec leur ceine, & cette pesche du petit poisson se faict en commun, puis le partagent par grandes escuellées, duquel nous avions nostre part, comme bourgeois & habitant du lieu. Ils peschent & prennent aussi de plusieurs autres sortes & especes de poissons, mais comme ils nous sont incogneus, & qu'il ne s'en trouve point de pareils en nos rivieres, je n'en fais point aussi de mention.
Estant arrivé au lieu, nommé par les Hurons Onchrandéen & par nous le Cap de Victoire ou de Massacre, au temps de la traite où diverses Nations de Sauvages s'estoient assemblez, je vis en la Cabane d'un Montagnet un certain poisson, qu'ils appellent Chaoufaron, gros comme un grand Brochet, il n'estoit qu'un des petits; car il s'en voit de beaucoup plus grands. Il avoit un fort long bec, comme celuy d'une Becasse, & avoit deux rang de dents fort aiguës & dangereuses, d'abord ne voyant que ce long bec, qui passoit au travers une fente de la Cabane en dehors, je croyois que ce fust de quelque oyseau rare; ce qui me donna la curiosité de le voir de plus pres; mais je trouvay que c'estoit d'un poisson qui avoit toute la forme du corps tirant au Brochet, mais armé de tres-fortes & dures escailles, de couleur gris argenté. Il faict la guerre à tous les autres poissons qui sont dans les lacs & rivieres. Les Sauvages font grand estat de la teste, & se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur, qui se passe soudainement, à ce qu'ils disent.
Les Castors de Canada, appellez par les Montagnets Amiscou, & par nos Hurons Tsoutayé, ont esté la cause principale que plusieurs Marchands de France on traversé ce grand Océan pour s'enrichir de leurs despouilles, & se revestir de leurs superfluitez, ils en apportent en telle quantité toutes les annees, que je ne sçay comme on n'en voit la fin.
Le Castor est un animal, à peu pres de la grosseur d'un Mouton tondu, ou un peu moins, la couleur de son poil est chastaignée, & y en a peu de bien noirs. Il a les pieds courts, ceux de devant faicts a ongles, & ceux de derriere en nageoires, comme les Oyes, la queue est comme escaillée, de la forme presque d'une Sole, toutesfois l'escaille ne se leve point. Quant à la teste elle est courte, presque ronde, ayant au devant quatre grandes dents trenchantes, l'une aupres de l'autre, deux en haut, & deux en-bas. De ces dents il coupe des petits arbres, & des perches en plusieurs pieces, dont il bastist sa maison, & mesme par succession de temps il en coupe par fois de bien gros, quand il s'y en trouve qui l'empeschent de dresser son petit bastiment, lequel est faict de sorte (chose admirable) qu'il n'y entre nul vent, d'autant que tout est couvert & fermé, sinon un trou qui conduit dessous l'eau, & par là se va pourmener où il veut; puis une autre sortie en une autre part, hors la riviere ou le lac par où il va à terre, & trompe le chasseur. Et en cela, comme en toute autre chose, se voit aparrement reluire la divine providence, qui donne jusqu'aux moindres animaux de la terre l'instinct nature, & le moyen de leur conservation.
Or ces animaux voulans bastir leurs petites cavernes, ils s'assemblent par troupes dans les forests sombre & espaisses: s'estans assembles ils s'en vont couper des rameauz d'arbres belles dents, qui leur servent à cet effet de coignée, & les traisnent jusqu'au lieu où ils bastissent & continuent de le faire, jusqu'à ce qu'ils en ont assez pour achever leur ouvrage. Quelques-uns tiennent que ces petits animaux ont une invention admirable à charrier le bois, & disent qu'ils choisissent celuy de leur trouppe qui est le plus faineant ou accablé de vieillesse & le faisant coucher sur son dos vous disposent fort bien des rameaux entre ses jambes, puis le traisnent comme un chariot jusqu'au lieu destiné, & continuent le mesme exercice tant qu'il y en ait à suffisance. J'ay veu quelques unes de ces Cabanes sur le bord de la grand'riviere, au pays des Algoumequins; mais elles me sembloient admirables, & telles que la main de l'homme n'y pourroit rien adjouster: le dessus sembloit un couvercle à lexive, & le dedans estoit departy en deux ou trois estages, au plus haut desquels les Castors se tiennent ordinairement, entant qu'ils craignent l'inondation & la pluye.
La chasse du Castor se faict ordinairement en hyver, pour ce principalement qu'il se tient dans sa Cabane, & que son poil tient en cette saison là, & vaut fort peu en esté. Les Sauvages voulans donc prendre le Castor, ils occupent premierement tous les passages par où il se peut eschapper, puis percent la glace du lac gelé, à l'endroict de sa Cabane, puis l'un d'eux met le bras dans le trou, attendant sa venue, tandis qu'un autre va par dessus cette glace frappant avec un baston sur icelle, pour l'estonner & faire retourner à son giste: lors il faut estre habile à le prendre au colet; car si on le happe par quelque endroict où il puisse mordre, il fera une mauvaise blesseure. Ils le prennent aussi en esté, en tendant des filets avec des pieux fichez dans l'eau, dans lesquels, sortans de leurs Cabanes, ils sont pris & tuez, puis mangez fraiz ou boucanez, à la volonté des Sauvages. La chair ou poisson, comme on voudra l'appeller, m'en sembloit tres bonne, particulierement la queue, de laquelle ses Sauvages font estat comme d'un manger tres excellent, comme de faict elle l'est, & les pattes aussi. Pour la peau ils la passent assez bien comme toutes les autres, qu'ils traitent par apres aux François, ou s'en servent à se couvrir; et des quatre grandes dents ils en polissent leurs escuelles, qu'ils font avec des noeuds de bois.
Ils ont aussi des Rats musquez, appellez Ondahya, desquels ils mangent la chair, & conservent les peaux & roignons musquez: ils ont le poil court & doux comme une taupe, & les yeux fort petits, ils mangent avec leurs deux pattes de devant, debout comme Escureux, ils paissent l'herbe sur terre, & le blanc des joncs au fond des lacs & rivieres. Il y a plaisir à les voir manger & faire leurs petits tours pendant qu'ils sont jeunes: car quand ils sont à leur entiere & parfaicte grandeur, qui approche à celle d'un grand Lapin, ils ont une longue queue comme le Singe, qui ne les rent point agreables. J'en avois un tres-joly, de la grandeur des nostres, que j'apportois de la petite Nation en Canada, je le nourrissois de blanc de joncs, & d'une certaine herbe, ressemblant au chien-dent, que je cueillois sur les chemins, & faisois de ce petit animal tout ce que je voulois, sans qu'il me mordist aucunement, aussi n'y sont-ils pas sujets; mais il estoit si coquin qu'il vouloit tousjours coucher la nuit dans l'une des manches de mon habit, et cela fut la cause de sa mort: car ayant un jour cabané dans une Sapiniere, & porté la nuict loin de moy ce petit animal, pour la crainte que j'avois de l'estouffer; car nous estions couchez sur un costeau fort penchant, où à peine nous pouvions nous tenir, (le mauvais temps nous ayans contraincts de cabaner en si fascheux lieu) cette bestiole, apres avoir mangé ce que je luy avois donné, me vint retrouver à mon premier sommeil, & ne pouvant trouver nos manches il se mit dans les replis de nostre habit, ou je le trouvay mort le lendemain matin, & servit pour le commencement de desjeuner de nostre Aigle.
En plusieurs rivieres & lacs, il y a grande quantité de Tortues, qu'ils appellent Angyahouiche, ils en mangent la chair apres qu'elles ont esté cuittes vives, les pattes contremonts, sous la cendre chaude, ou bouillies en eaue, elles sortent ordinairement de l'eau quant il faict soleil, & se tiennent arrangées sous quelque longue piece de bois tombée, mais à mesme temps qu'on pense s'en approcher, elles sautent & s'eslancent dans l'eau comme grenouilles: je pensois au commencement m'en approcher de pres, mais je trouvay bien que je n'estois pas assez habile & ne sçavois l'invention.
Ils ont de fort grandes Couleuvres, & de diverses sortes, qu'ils appellent Fioointfiq, desquelles ils prennent les plus longues peaux, & en font des fronteaux de parade qui leur pendent par derriere une bonne aulne de longueur, & plus, de chacun costé.
Outre les Grenouilles que nous avons par deçà, qu'ils appellent Kiorontsiché, ils en ont encore d'une autre espece, qu'ils appellent Oüaron, & quelques-uns les appellent Crapaux, bien qu'ils n'ayent aucun venin; mais je ne les tiens point en cette qualité, quoy que je n'aye veu en tous ces païs des Hurons aucune espece de nos Crapaux, ny ouy dire qu'il y en ait, sinon en Canada. Il est vray qu'une personne pour exacte qu'elle soit, ne peut entierement sçavoir ny observer tout ce qui est d'un païs, ny voir & ouyr tout ce qui s'y passe, & c'est la raison pourquoy les Historiens & Voyageurs ne se trouvent pas toujours d'accord en plusieurs choses.
Ces Oüarons, ou grosses Grenouilles, sont verdes, & deux ou trois fois grosses comme les communes; mais elles ont une voix si grosse & si puissante, qu'on les entent de plus d'un quart de lieue loin le soir, en temps serain; sur le bord des lacs & rivieres, & sembleront (à qui n'en auroit encore point veu) que ce fust d'animaux vingt fois plus gros: pour moy je confesse ingenuement que je ne sçavois que penser eu commencement; entendant de ces grosses vois, & m'imaginois que c'estoit de quelque Dragon, ou bien de quelqu'autre gros animal à nous incogneu. J'ay ouy dire à nos Religieux dans le pays, qu'ils ne feroient aucune difficulté d'en manger, en guise de Grenouilles: mais pour moy, je doute si je l'aurois voulu faire, n'estant pas encore bien asseuré de leur netteté.
Des fruicts, plantes, arbres & richesses
du pays.
CHAPITRE IIII
N beaucoup d'endroicts,
contrees, isles & pays, le
long des rivieres, & dans
les bois, il y a si grande
quantité de Blues, que les
Hurons appellent Ohentaqué,
& autres petits fruicts, qu'ils appellent
d'un nom general Hahique, que les Sauvages
en font seicherie pour l'hyver, comme
nous faisons des prunes seichées au soleil,
& cela leur sert de confitures pour les malades,
& pour donner goust à leur Sagamité,
& aussi pour mettre dans les petits
pains qu'ils font cuire sous les cendres.
Nous en mangeasmes en quantité sur les
chemins, comme aussi des fraizes, qu'ils
nomment Tichionte, avec de certaines graines
rougeastres, & grosses comme gros
pois, que je trouvois tres bonnes; mais je
n'en ay point veu en Canada ny en France
de pareilles, non plus que plusieurs autres
sortes de petits fruicts & graines inconnues
par deçà, desquelles nous mangions,
comme mets delicieux quant nous
en pouvions trouver. Il y en a de rouges
qui semblent presque du Corail, & qui
viennent quasi contre terre par petits bouquets,
avec deux ou trois feuilles, ressemblans
au Lainier, qui luy donnent bonne
grace, & semblent de tres-beaux bouquets
& serviroient pour tels s'il y en avoit
icy. Il y a de ces autres grains plus
encore une fois, comme j'ay tantost
dict, de couleur noiraste, & qui viennent
en des tiges, hautes d'une coudee. Il y a
aussi des arbres qui semblent de l'Espine
blanche, qui portent de petites pommes
dures, & grosses comme avelines, mais
non pas gueres bonnes. Il y a aussi d'autres
graines rouges, comme Toca, ressemblans
à nos Cornioles, mais elles n'ont ny
noyaux ny pepins, les Hurons les mangent
crues & en mettent aussi dans leurs
petits pains.
Ils ont aussi des Noyers en plusieurs endroicts, qui portent des Noix un peu differentes aux nostres; j'en ay veu qui sont comme en triangle, & l'escorce verte exterieure sent un goust comme Terebinte, & ne s'arrache que difficilement de la coque dure. Ils ont aussi en quelques contree des Chastagniers, qui portent de petites Chastaignes, mais pour des Noisettes & des Guynes, qui ne sont qu'un peu plus grosse que Grozelles de tremis, à faute d'estre cultivées & autres; il y en a en beaucoup de lieux, & par les bois & par les champs, desquelles neantmoins on faict assez peu d'estat: mais pour les Prunes, nommees Tonestes, qui se trouvent au pays de nos Hurons: elles ressemblent à nos Damas violets ou rouges, sinon qu'elles ne sont pas si bonnes de beaucoup, car la couleur trompe, & sont aspres & rudes au goust, si elles n'ont senty de la gelee: c'est pourquoy les Sauvagesses apres les avopir soigneusement amassees, les enfouyent en terre quelques sepmaines pour les adoucir, puis les en retirent, les essuyent, & les mangent. Mais je croy que si ces Prunes estoient antees, qu'elles perdroient cette acrimonie & rudesse, qui les rend desagreables au goust, auparavant la gelee.
Il se trouve des Poires, ainsi appellees Poires, certains petits fruicts un peu plus gros que les pois, de couleur noirastre & mol, tres-bon à manger à la cueillier comme Blues, qui viennent sur des petits arbres, qui ont les fueilles semblables aux poiriers sauvages de deçà, mais leur fruict en est du tout different. Pour des Framboises, Meures champestres, Grozelles & autres semblables fruicts que nous cognoissons, il s'en trouve assez en des endroicts, comme semblablement des Vignes & Raisins, desquels on pourroit faire de fort bon vins au pays des Hurons, s'ils avoient l'invention de les cultiver & façonner: mais faute de plus grande science, ils se contentent d'en manger le raisin & les fruicts.
Les racines que nous appellons Canadiennes, ou pommes du Canada, qu'eus appellent Orasquemta, sont assez peu communes dans le pays, ils les mangent aussi tost crues que cuites, comme semblablement une autre sorte de racine, ressemblant aux Panays, qu'ils appellent Sondhratates; lesquelles sont à la verité meilleures de beaucoup: mais on nous en donnoit peu souvent, & lors seulement que les Sauvages avoient receu de nous quelque presens, ou que nous les visitions dans leurs Cabanes.
Ils ont aussi des petits Oignons nommés Anonqué, qui portent seulement deux fueilles, semblables à celles du Muguet, ils sentent autant l'Ail que l'Oignon; nous nous en servions à mettre dans nostre Sagamité pour luy donner goust, comme d'une certaine petite herbe, qui a le goust & la façon approchante de la Marjoleine sauvage, qu'ils appellent Ongnehon: mais lors que nous avions mangé de ces Oignons & Ails crus, comme nous faisions avec un peu de pourpier sans-pain, lors que nous n'avions autre chose: ils ne vouloient nullement nous approcher, ny sentir nostre haleine, disans que cela sentoit trop mauvais, & crachaient contre terre par horreur. Ils en mangent neantmoins de cuits sous la cendre, lors qu'ils sont en leur vraye maturité & grosseur, & non jamais dans leur Menestre, non plus que toute autre sorte d'herbes, desquelles ils font tres-peu d'estat, bien que le pourpier ou pourceleine leur soit fort commun, & que naturellement il croisse dans leurs champs de bled & de citrouilles.
Dans les forests, il se voit quantité de Cedres, nommez Asquata, de tres-beaux & gros Chesnes, des Fouteaux, Herables, Merisiers ou Guyniers, & un grand nombre d'autres bois de mesme espece des nostres, & d'autres qui nous sont incogneus, entre lesquels ils ont un certain arbre nommé Atti, duquel ils reçoivent & tirent des commoditez nompareilles.
Premierement, ils en tirent de grandes lanieres d'escorces, qu'ils appellent Oühara: il les font bouillir, & les rendent enfin comme chanvre, de laquelle ils font leurs cordes & leurs sacs, & sans estre bouillie ny accommodee, elle leur sert encore à coudre leurs robbes, & toute autre chose, à faute de nerfs d'Eslan: puis leurs plats & escuelles d'escorces de Bouleau, & aussi pour lier & attacher les bois & perches de leurs Cabanes, & à enveloper leurs playes & blesseures, & cette ligature est tellement bonne & serre qu'on n'en sçauroit desirer une meilleure & de moindre coust.
Aux lieux marescageux & humides, il y croist une plante nommée Ononhasquara, qui porte un tres bon chanvre, les Sauvagesses la cueillent & arrachent en saison, & l'accommodent comme nous faisons le nostre, sans que j'aye peu sçavoir qui leur en a donné l'invention autre que la necessité, mere des inventions, après qu'ils est accommodé, elles le filent sur leur cuisse, comme j'ay dict, puis les hommes en font des lassis & filets à pescher. Ils s'en servent aussi en diverses autres choses, & non à faire de la toile: car ils n'en ont l'usage ny la cognoissance.
Le Muguet qu'ils ont en leurs pays, a bien la fueille du tout semblable au nostre, mais la fleur en est toute autre: car outre qu'elle est de couleur tirant sur le violet, elle est faicte en façon d'Estoille grande & large, comme petit Narcis; mais la plus belle plante que j'aye veue aux Hurons (à mon advis) est celle qu'ils appellent Angyahouiche Orichya, c'est à dire, Chausse de Tortue: car sa fueille est comme le gros de la cuisse d'un Houmard, ou Escrevice de mer, & est ferme & creuse au dedans comme un gobelet, duquel on se pourroit servir à un besoin pour en boire la rosee qu'on y trouve dans les matins en esté, sa fleur en est aussi assez belle.
J'ay veu en quelque endroict sur le chemin des Hurons de beaux Lys incarnats, qui ne portent sur la tige qu'une ou deux fleurs, & comme je n'ay point veu en tut le pays Huron aucuns Martagons ou Lys orangez comme ceux de Canada, ny de Cardinales, aussi n'ay je point veu en tut le Canada aucuns Lys incarnats, ny Chausses de Tortues, ny plusieurs autres especes de plantes que j'ay veues au Hurons (il y en pourroit neantmoins bien avoir sans que je le sceusse). Pour les Roses, qu'ils appellent Eindauhatayon, nos Hurons en ont de fort simples, mais ils n'en font aucun estat, non plus que d'aucunes autres fleurs qu'ils ayent dans le pays: car tout leur deduict est d'avoir des parures & calfiquets qui soient de duree.
De passer outra à descrire des autres plantes qui nous ont esté monstree & enseignees par les Sauvages: ce seroit chose superflue, & non necessaire, comme de parler de la richesse & profit qui provenoit des cendres qui se faisoient dans le pays, & se menoient en France, puis qu'elles ont esté delaissees, comme de peu de rapport, en comparaison des fraiz qu'il y convenoit faire, bien qu'elles fussent meilleurs & plus fortes de beaucoup, que celles qui se font en nos foyers.
La misere de l'homme est telle, & particulierement de ceux qui n'ont pas la gloire de Dieu pour but & regle de leurs actions, qu'ils n'aspirent toujours qu'aux choses de la terre qui peuvent seulement donner quelque assouvissement au corps & non en l'esprit, que Dieu seul peut contenter.
Au retour de mon voyage, lors que je m'efforçois de faire entendre la necessité que nos pauvres Sauvages avoient d'un secours puissant, que favorizast leur conversion, & qu'il y avoit cent mille ames à gaigner à Jesus-Christ. Plusieurs mal-devots me demandoient s'il y avoit cent mille escus à gaigner aupres: voulans dire par là, que la conversion & le salut des ames ne leur estoit de rien, & qu'il n'y avoit que le seul temporel qui les peust esmouvoir à l'ayde & secours dudict pays. Voicy donc, ô mal-devots, les thresors & richesses ausquelles seules vous aspirez avec tant d'inquietudes. Elles consistent principalement en quantité de Pelleteries, de diverses especes d'Animaux terrestres & amphibies. Il y a encore des mines de Cuivre qui ne devroient pas estre mesprisees, & desquelles on pourroit tirer du profit, s'il y avoit du monde & des ouvriers qui y voulussent travailler fidellement, ce qui se pourroit faire, si on avoit estably des Colonies: car environ quatre-vingts ou cent lieuës des Hurons, il y a une mine de Cuivre rouge, de laquelle le Truchement me monstra un lingot au retour d'un voyage qu'il fit dans le pays.
On tient qu'il y en a encore vers le Saguenay, & mesme qu'on y trouvoit de l'or, des rubis & autres richesses. De plus quelques-uns asseurent qu'au pays des Souriquois, il y a non seulement des mines de Cuivre rouge, mais aussi de l'Acier, parmi les rochers, lequel estant fondu on en pourroit faire de tres-bons trenchans. Puis de certaines pierres bleuës transparentes, lesquelles ne vallent moins que les Turquoises. Parmy ces rochers de Cuyvre se trouvent aussi quelques fois des petits rochers couverts de Diamans y attachez: & peux dire en avoir amassé & recueilly moy-mesme vers nostre Couvent de Canada, qui sembloient sortir de la main du Lapidaire, tant ils estoient beaux, luisant & bien taillez. Je ne veux asseurer qu'ils soient fins, mais ils sont agréables, & escrivent sur le verre.
De nostre retour du pays des Hurons en
France, & de ce qui nous arriva
en chemin.
CHAPITRE V.
N an s'estant escoulé, &
beaucoup de petites choses
qui nous faisoient besoin
nous manquans, il fut question
de retourner en nostre
Couvent de Canada, pour en recevoir &
rapporter les choses necessaires. Nous
consultasmes donc par ensemble, & advisasmes
qu'il falloit se servir de la compagnie
& conduite de nos Hurons, qui
devoient en ce mesme temps descendre à
la traicte, & aller en Canada, pour en rapporter
nos petites necessitez. Car de leur
donner & confier à eux seuls cette commission,
il n'y avoit aucune apparence,
non plus que de certitude, qu'ils dussent
descendre jusques là. Je parlay donc à un
Capitaine de guerre nommé Angoiraste,
& à deux autres Sauvages de sa bande:
l'un nommé Atdatayon, & l'autre Conchionet,
qui me promirent place dans leur Canot:
le conseil s'assemble là dessus, non
en une Cabane, ains dehors sur l'herbe
verde, où je fus mandé, & supplié par ces
Messieurs de leur estre favorable envers
les Capitaines de la traicte, & de faire en
sorte qu'ils peussent avoir d'eux les marchandises
necessaires à prix raisonnable,
& que de leur costé ils leur rendroient de
tres-bonnes pelleteries en eschange. De
plus, qu'ils desiroient fort se conserver l'amitié
des François, & qu'ils esperoient de
moy un honneste recit du charitable
accueil & bon traictement que nous avions
receu d'eux. Je leur promis là-dessus tout
ce que je devois & pouvois, & ne manquay
point de les contenter & assister en
tout ce qu'il fut possible (aussi le devois-je
faire): car de vray, nous avions
trouvé & experimenté en aucun d'eux autant
de courtoisie & d'humanité que nous
eussions peu esperer de quelques bons
Chrestiens, & peut-estre le faisoient-ils,
neantmoins sous esperance de quelque
petit present, ou pour nous obliger de ne
les point abandonner; car la bonne opinion
qu'ils avoient conceue de nous, leur
faisoit croire que nostre presence, nos
prieres & nos conseils leur estoient utils
& necessaires.
Faisant mes adieux par le bourg, plusieurs se doutans que je ne retournerois point de ce voyage, en tesmoignoient estre mal contens, & me disoient, d'une voix assez triste, Gabriel, serons nous encore en vie, & nos petits enfans, quand tu reviendras vers nous; tu sçais comme nous t'avons tousjours aymé & chery, & que tu nous es precieux plus qu'aucune autre chose que nous ayons en ce monde: ne nous abandonne donc point, & prend courage de nous instruire & enseigner le chemin du Ciel, à ce que ne perisssions point, & que le Diable ne nous entraisne apres la mort dans sa maison de feu, il est meschant, & nous faict bien du mal, prie donc JESUS pour nous, & nous fais ses enfans, à ce que nous puissions aller avec toy dans son Paradis: nous d'autres adjoutaient mille demandes apres leurs lamentations, disans, Gabriel, si enfin tu es contrainct de partir d'icy pour aller aux François, & que ton dessein sit de revenir (comme nous t'en supplions) rapporte nous quelque chose de ton pays, des rassades, des plumes, des aleines, ou ce que tu voudras, car nous sommes pauvres & necessiteux en meubles, & autres choses (comme tu sçais) & si de plus tu pouvois, disoient quelques-uns, nous faire present de tes socquets & sandales, nous t'en aurions de l'obligation, & te donnerions quelque chose en eschange: & il les falloit contenter tous de parole ou autrement, & les laisser avec cette esperance que je les reverrois en bref, & leur apporterois quelque chose (comme c'estoit bien mon intention), si Dieu n'en eust autrement disposé.
Ayant pris congé du bon Pere Nicolas, avec promesse de le revoir au plustost (si Dieu & l'obeyssance de mes Superieurs ne m'en empeschoit): je party de nostre Cabane un soir assez tard, & m'en allay coucher avec des Sauvages sur le bord de l'eau, d'où nous partismes le lendemain matin moy sixiesme, dans un Canot tellement vieil & rompu, qu'à peine eusmes-nous advancé deux ou trois heures de chemin dans le Lac, qu'il nous fallut prendre terre, & nous cabaner en un cul-de-sac (avec d'autres Sauvages qui alloient au Saguenay) pour en renvoyer querir un autre par deux de nos hommes, lesquels firent telle diligence qu'ils nous en ramenerent un autre un peu meilleur le lendemain matin, & en attendant leur retour, apres avoir servy Dieu, j'employay le reste de temps à voir & visiter tous ces pauvres voyageurs desquels j'appris la sobrieté, la paix & la patience qu'il faut avoir en voyageant. Leurs Canots estoient fort petits & aysez à tourner, aux plus grands il y pouvoit avoir trois hommes; & aux plus petits deux, avec leurs vivres & marchandises. Je leur demanday la raison pourquoy ils se servoient de si petits vaisseaux; mais ils me firent entendre qu'ils avoient tant de fascheux chemins à faire, & de destroicts parmy les rochers si difficiles à passer, avec des sauts de sept à huict lieuës où il falloit tout porter, qu'ils n'y pourroient nullement passer avec de plus grands Canots. Je loue Dieu en ses creatures, & admire la divine providence, que si bien il nous donne les choses necessaires pour la vie du corps; il doue aussi ces pauvres gens d'une patience au dessus de nous, qui suplee au deffaut des petites commoditez qui leur manquent.
Nous partismes de là dés que le Canot qui nous avoit esté ameiné fut prest, & fisme telle diligence, qu'environ le midy nous trouvasmes Estienne Bruslé avec cinq ou six Canots, du village de Toenchain, & tous ensemble fusme loger en un village d'Algoumequins, auquel visitans les Cabanes du lieu, selon ma coustume, je fus prié de festin d'un grand Esturgeon, qui bouilloit dans une grande chaudiere sur le feu. Le maistre du festin qui m'invita estoit seul, assis aupres de cette chaudiere, & chantoit sans intermission, pour le bon-heur & les louanges de son festin: je luy promis de m'y trouver à l'heure ordonnee, & de là je m'en retournay en notre Cabane, où estant à peine arrivé se trouva celuy qui avoit charge de faire les semonces du festin, qui donna à tous ceux qu'il invitoit à chacun une petite buchette, de la longueur & grosseur du petit doigt pour marque & signe qu'on estoit du nombre des invitez, & non les autres qui n'en pouvoient monstrer autant. Il se trouva pres de cinquante hommes à ce festin, lesquels furent tous rassasiez plus que suffisamment de ce grand poisson, & des farines qui furent accommodées dans le bouillon. Les Algoumequins les uns apres les autres; pendant qu'on vuidoit la chaudiere, firent voir à nos Hurons qu'ils sçavoient chanter & escrimer aussi bien qu'eux, & que s'ils avoient des ennemis, qu'ils avoient aussi du courage & de la force assez pour les surmonter tous, & à la fin je leur parlay un peu de leur salut, puis nous nous retirasmes.
Le lendemain matin apres avoir desjeuné, nous nous rembarquasmes, & fusmes loger sur un grand rocher, ou je m'accommoday dans un lieu cavé, en forme de cercueil, le lict & les chevet en estoit bien durs, mais j'y estois desja tout accoustumé, & m'en souciois assez peu, mon plus grand martyre estoit principalement la piqueure des Mousquites & Coufins qui estoient en nombre infiny dans ces lieux deserts, & champestre: environ l'heure de midy apparut l'Arc-en-Ciel à l'entour du Soleil, avec de si vives & diverses couleurs, que cela attira long-temps mes yeux pour le contempler & admirer. Passans outre nostre chemin d'Isle en Isle, un de nos Sauvages, nommé Andatayon, tua d'un coup de flesche un petit animal, ressemblant à une Fouyne, elle avoit ses petites mamelles pleines de laict, qui me faict croire qu'elle avoit ses petits là auprez: & cet amour que la Nature luy avoit donnée pour sa vie & pour ses petits, luy donna aussi le courage de traverser les eaues, & d'emporter la flesche qu'elle avoit au travers du corps, qui luy sortoit égallement des deux costez: de sorte que sans la diligence de nos Sauvages qui luy couperent chemin, elle estoit perdue pour nous: ils l'ecorcherent, jetterent la chair, & se contenterent de la peau, puis nous allasmes cabaner à l'entree de la riviere qui vient du Lac des Epicerinys se descharger dans la mer douce.
Le jour ensuyvant, apres avoir passé un petit saut, nous trouvasmes deux Cabanes d'Algoumequins dressees sur le bord de la riviere, desquels nous traictasmes une grande escorce, & un morceau de poisson fraiz pour du bled d'Inde. De là pensans suyvre nostre route, nous nous trouvames esgarez aussi bien que le jour precedent, dans des chemins destournez. Il nous fallut donc charger nos hardes & nostre Canot sur nos espaules, & traverser les bois & une assez fascheuse montagne, pour aller retrouver nostre droict chemin, dans lequel nous fusmes à peine remis, qu'il nous fallut tout porter à six sauts, puis encore en un autre assez grand, au bout duquel nous trouvasmes quatre Cabanes d'Algoumequins qui s'en alloient en voyage en des contrees fort esloignées. Nous nous rafraischismes un peu aupres d'eux, puis nous allasmes cabaner sur une montagnette proche le Lac des Epicerinys, où nous fusmes visitez de plusieurs Sauvages passans. Dés le lendemain matin, que le Soleil nous eut faict voir sa lumiere, nous nous embarquasmes sur ce Lac Epicerinyen, & le traversasmes assez favorablement par le milieu, qui font douze lieuës de traject, il a neantmoins un peu plus en sa longueur, à cause de sa forme sur-ovale. Ce Lac est tres-beau & tres-agreable à voir, & fort poissonneux. Et ce qui est plus admirable, est (si je ne me trompe) qu'il se descharge par les deux extremitez opposites: car du costé des Hurons il vomist cette grande riviere qui se va rendre dans la mer douce: & du costé de Kebec, il se des charges par un canal de sept ou huict toises de large: mais tellement embarrassé de bois, que les vents y ont faict tomber, qu'on n'y peut passer qu'avec bien de la peine, & en destournans continuellement les bois de la main, ou des avirons.
Ayans traversé le Lac, nous cabanasmes sur le bord joignant ce canal, où desja s'estoient cabanez, un peu à costé d'un village d'Epicerinys, quantité de Hurons qui alloient à la Province du Saguenay; nous traictasmes des Epicerinys un morceau d'Esturgeon, pour un petit cousteau fermant que je leur donnay: car leur ayant voulu donner de la rassade rouge en eschange, ils n'en firent aucun estat, au contraire de toutes les autres Nations, qui font plus d'estat des rouges que des autres.
Le matin venu nous navigeames par le canal environ un petit quart de lieuë, puis nous prismes terre, & marchasmes par des chemins tres fascheux & difficiles, pres de quatre bonne lieuës, excepté deux de nos hommes, qui pour se soulager conduirent quelque peu de temps le Canot par un ruisseau, auquel neantmoins ils se trouverent souvent embarrassez & fort en peine: soit pour le peu d'eau qu'il y avoit par endroicts, ou pour le bois tombé dedans qui les empeschoit de passer à la fin ils furent contraincts de quitte ce ruisseau, se charger du Canot, & d'aller par terre comme nous. Je portois les avirons du Canot pour ma part du bagage, avec quelqu'autre petit pacquet, avec quoy je pensay tomber dans un profond ruisseau en le pensant passer par sus des longues pieces de bois mal asseurees: mais nostre Seigneur m'en garentit: & pour ce que je ne pouvois suyvre mes gens que de loin, à cause qu'ils avoient le pied plus leger que moy, je m'esgarois souvent seul dans les espaisses forest, & par les montagnes & vallées, à faute de sentiers battus: mais à leurs cris & appelle me remettois à la route, & les allois retrouver: ce long chemin faict, nous nous rembarquasmes sur un Lac d'environ une lieuë de longueur puis ayans porté à un sault assez petit nous trouvasmes une riviere qui descendoit du costé de Kebec, & nous y embarquasmes: depuis les Hurons, sortans de la mer douce, nous avions tousjours monté à mont l'eau, jusques au lac des Epicerinys, & depuis nous eusmes tousjours des rivieres; & ruisseaux, la faveur du courrant de l'eau jusques à Kebec, bien que mes Sauvages s'en servissent assez peu, pour aymer mieux prendre des chemins destournez par les terres & par les lacs, qui sont fort frequens dans le pays, que de suyvre la droite route.
Le neufiesme ou dixiesme jour de nostre sortie des Hurons, nostre Canot se trouva tellement brisé & rompu, que faisant force eau, mes Sauvages furent contraincts de prendre terre, & cabaner porche deux ou trois Cabanes d'Algoumequins, & d'aller chercher des escorces pour en faire un autre, qu'ils sceurent accommoder & parfaire en fort peu de temps: je demeuray en attendant mes hommes, avec ces Algoumequins, lesquels avoient avec eux deux jeunes Ours privez, gros comme Moutons, qui continuellement viroient, couroient & se jouoient par ensemble, puis c'estoit à qui auroit plustost grimpé au haut d'un arbre mais l'heure du repas venue, ces meschans animaux estoient tousjours apres nous pour nous arracher nos escuelles de Sagamité avec leurs pattes & leurs dents. Mes Sauvages rapporterent avec leurs escorces, une Tortue pleine d'oeufs, qu'ils firent cuire vive les pattes en haut sous les cendres chaudes, & m'en firent manger les oeufs gros & jaunes comme le moyeu d'un oeuf de poulle.
Ce lieu estoit fort plaisant & agreable, & accommodé d'un tres beau bois de gros Pins fort hauts, droicts, & presque d'une egale grosseur & hauteur, & tous Pins, sans meslange d'autre bois, net & si vuide de brossailles & halliers, de sorte qu'il sembloit estre l'oeuvre & le travail d'un excellent jardinier.
Avant que partir de là, mes Sauvages y afficherent les Armoiries de nostre Bourg de Queunonascaran, car chacun bourg ou village des hurons a ses Armoiries particulieres, qu'ils dressent sur les chemins faisans voyages, lors qu'ils veulent qu'on sçache qu'ils ont passé celle part. Ces Armoiries de nostre bourg furent depeintes sur un morceau d'escorce de Bouleau, de la grandeur d'une fueille de papier: il y avoit un Canot grossierement crayonné, avec autant de traicts noirs tirez de dedans, comme ils estoient d'hommes, & pour marque que j'estois en leur compagnie, ils avoient grossierement depeinct un homme au dessus des traicts du milieu, & me dirent qu'ils faisoient ce personnage ainsi haut eslevé par dessus les autres pour demonstrer & faire entendre aux passans qu'ils soient avec eux un Capitaine François (car ainsi m'appeloient-ils) & au bas de l'escorce pendoit un morceau de bois sec, d'environ demy pied de longueur & gros comme trois doigts, attaché d'un brin d'escorce, puis ils pendirent cette Armoirie au bout d'une perche fichee en terre, un peu penchante en bas. Toute cette ceremonie estant achevee, nous partismes avec nostre nouveau Canot, & portasmes encor ce jour-là, à six ou sept sauts: mais sur l'heure du midy en nageant, nous donnasmes si rudement contre un rocher que nostre Canot en fut fort endommagé, & y fallut recoudre une piece.
Je ne fay point ici mention de tous les hazards & dangers que nous courusmes en chemin, ny de tous les sauts où il nous fallut porter tous nos pacquets par de tres-longs & fascheux chemins, ny comme beaucoup de fois nous courusmes risque de nostre vie, & d'estre submergés dans des cheutes Y abysmes d'eau, comme a esté du depuis le bon Pere Nicolas, & un jeune garçon François nostre disciple, qui le suyvoit de pres dans un autre Canot, pour ce que ces dangers & perils sont tellement frequents & journaliers, qu'en les descrivans tous, ils sembleroient des redites par trop rebatues, c'est pourquoy je me contente d'en rapporter icy quelques-uns, & lors seulement que le sujest m'y oblige, & cela suffira.
Le soir, apres un long travail nous cabanasmes à l'entree d'un saut, d'où je fus long-temps en doute que vouloit dire un grand bruit, avec une grande & obscure fumee que j'appercevois environ une lieuë de nous. Je disois, ou qu'il y avoit là un village, ou que le feu estoit dans la forest; mais je me trompois en toutes les deux sortes: car ce grand bruit & cette fumee procedoit d'une cheute d'eau de vingt-cinq ou trente pieds de haut entre des rochers, que nous trouvasmes le lendemain matin. Apres ce saut, environ la portee d'une arquebuze, nous trouvasmes sur le bord de l'eau un puissant rocher, duquel j'ay faict mention au chapitre 18, que mes Sauvages croyoient avoir esté homme mortel comme nous, & puis devenu & metamorphosé en cette pierre, par la permission & le vouloir de Dieu: à un quart de lieuë de là, nous trouvasmes encore une terre fort haute, entre-meslee de rochers, plate & unie au dessus, & qui servoit comme de borne & de muraille à la riviere.
Ce fut icy où mes gens, pour ne me pouvoir persuader que cette montagne eust un esprit mortel au dedans de soy qui la gouvernast & regist, me monstrerent une mine un peu refroignee & mescontente, contre leur ordinaire. Apres, nous portasmes encore à trois ou quatre sauts tout nostre equipage, au dernier desquels nous nous arrestasmes un peu à couvert sous les arbres, pendant un grand orage, qui m'avoit desja percé de toute parts; puis apres avoir encore passe un grand saut, où le Canot fut en partie porté, & en partie traisné, fusmes cabaner sur une pointe de terre haute, entre la riviere qui vient du Saguenay, & va à Kebec, & celle qui se rendoit dedans tout de travers; les Hurons descendent jusqu'icy pour aller au Saguenay, & vont contre mont l'eau, & neantmoins la riviere du Saguenay, qui entre dans la grande riviere de sainct Laurens à Tadoussac, à son sit & courant tout contraire, tellement qu'il faut necessairement que ce soient deux rivieres distinctes, & non une seule, puis que toutes deux se rendent & se perdent dans la mesme riviere sainct Laurens, encore qu'il y ait de la distance d'un lieu à l'autre environ deux cens lieuës: je n'asseure neantmoins absolument de rien, puis que nous changeasme si souvent de chemin allans & retournans des Hurons à Kebec, que cela m'a faict perdre l'entiere certitude,& la vraye cognoissance du droict chemin.
Continuons nostre voyage, & prenons le chemin à main droicte; car celuy qui est à gauche conduist en la Province du Saguenay; & disons que l'entree de la riviere que nous venons de quitter dans cet autre, y causoit tant d'effect, que nous fismes plus de six ou sept lieuës de chemin, que je ne pouvois encore sortir de l'opinion (ce quine pouvoit estre) que nous allassions contre mont l'eau, & ce qui me mist en cet erreur, fut la grande difficulté que nous eusmes à doubler la poincte, & que le long de la riviere jusques au haut, l'eau se soustenoit, s'enfloit, tournoyoit & bouillonnoit part tout comme sur un feu, puis des rapports & traisnees d'eau qui nous venoient à la rencontre un fort long espace de temps & avec tant de vitesse, que si nous n'eussions pas esté habiles de nous en destourner avec la mesme promptitude, nous estions pour nous y perdre & submerger. Je demanday à mes Sauvages d'où cela pouvoit proceder, ils me respondirent que c'estoit un oeuvre du Diable, ou le Diable mesme.
Approchans du saut, en un tres-mauvais & dangereux endroicts; nous receusmes dans nostre Canot de grands coups de vagues, & encor en danger de pis, si les Sauvage n'eussent esté stilez & habiles à la conduite & gouvernement d'iceluy; pour leur particulier ils se soucioient assez peu d'estre mouillez; car ils n'avoient point d'habits sur le dos qui les empeschast de dormir à fer: mais pour moy cela m'estoit un peu plus incommode, & craignois fort pour nos livres particulierement.
Nous nous trouvasmes un jour bien empeschez dans des grands bourbiers, & des profondes fanges & marests, joignant un petit lac, où il nous fallut marcher avec des peines nompareilles, & si si subtilement & legerement, que nous pensions à toute heure enfoncer par dessus la teste au profond du lac, qui portoit en partie cette grande estendue de terre noire & fangeuse: car en effet tout trembloit sous nous. De la nous allasmes prendre nostre giste en une ance de terre, où desja s'estoient cabanez depuis quatre jours un bon vieillard Huron, avec deux jeunes garçons, qui estoient là attendant compagnie pour passer par le pays des Honqueronons jusques à la traicte: car ce peuple des Honqueronons est malicieux, jusques là que de ne laisser passer par leurs terre au temps de la traicte, un seul ou deux Canots à la fois, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, & passent tous, en flotte, pour avoir meilleur marché de leurs bleds & farines, qu'ils leur contraignent de traicter pour des pelleteries. Le lendemain matin arriverent encore deux autres Canots Hurons qui cabanerent avec nous; mais pour cela personne n'osoit encore se hazarder de passer de peur d'un affront. A la fin mes hommes s'adviserent de me declarer Maistre & Capitaine de tous les deux Canots, & de la marchandise qui estoit dedans, pour pouvoir librement passer sans crainte, éviter l'insolence de ce peuple, & sans recevoir de detriment: je leur promis, je le fis, & ils s'en trouverent bien car, sans jactance, je peux dire, que si ce n'eust esté moy qui mis le hola, ils eussent est aussi mal traictez que deux autres Canots que je vis arriver, qui n'estoient point de nostre bande.
Nous partismes donc de cette ance de terre, mais ayans un peu advancé chemin, nous apperceusmes deux cabanes de cette Nation, dressees en un cul-de-sac en lieu eminent, d'où on pouvoit descouvrir & voir de loin ceux qui passoient dans leurs terres. Mes Sauvages les voyans eurent opinion que c'estoient sentinelles posees, pour leur empescher le passage. Ils tirerent celle part, & me prierent instamment de me coucher de mon long dans le Canot, pour n'estre apperceu de ces sentinelles, afin que je peusse estre tesmoin oculaire & auriculaire du mauvais traictement qu'ils pourroient recevoir & que par apres je me ferois voir.
Nous approchasmes donc de ces cabanes, & leur parlasmes; mais ces pauvres gens ne nous dirent aucune chose qui nous peust desplaire car ils ne songeaient simplement qu'à leur pesche & à leur chasse, & par ainsi nous reprismes promptement nostre route & allasmes passer par un lac, & de là par la riviere qui conduit au village, laissant à main gauche le droit chemin de Kebec. Je loue mon Dieu en toutes choses, & le prie que ma peine & mon travail soit agreable à sa divine Majesté: mais il est vray que nous pensasmes perir ce jour là par deux fois, avant qu'arriver à ce village, en deux endroicts fort perilleux, assez pres du saut du lac qui tombe dans la riviere, & puis nous descendimes dans un certain endroict tout couvert de fraizes, desquelles nous fismes notre meilleur repas, & reprismes nouvelles forces d'achever nostre journee, jusques à nos gens de l'Isle, où nous arrivasmes ce jour là mesme, apres avoir faict vingt lieuës & plus de chemin.
O pauvre peuple, combien tu es digne de compassion! j'advoue que tu es le plus superbe & revesche de tous ceux que j'ay point veu. Vien maintenant au devant de nous, & dispose tes troupes pour nous attendre de pied coy au port où nous devons descendre, ne pouvans éviter ta veue & tes insolences bornees & arrestees: pourtant à la seule vois d'un pauvre Religieux Recollet de sainct François, que tu crois estre Capitaine, & n'est qu'un pauvre & simple soldat & indigne serviteur d'un Jesus-Christ crucifié & mort pour nous en Croix.
Apres avoir pris langue de quelques Sauvages que nous trouvasmes cabanez à l'escart, nous arrivasmes au port où desja s'estoient portez presque tous les Sauvage du bourg, lesquels avec de grands bruits & huees nous y attendoient, en intention de profiter de nos vivres, bleds & farines: mais comme ils s'en voulurent saisir, & que desja ils estoient entrez dans nos Canots, je fis le hola, & les en fis sortir (car mes gens n'osaient dire mot) & fis tout porter au lieu où nous voulusmes cabaner, un peu esloigné d'eux, pour éviter leurs trop frequentes visites.
Il ne faut point douter que ces Honqueronons n'estoient pas si simples qu'ils ne vissent bien (comme ils nous en firent quelques reproches) que je me disois maistre des bleds & farines, par une invention trouvee & inventee par mes gens, pour s'exempter de leur violence & importunité; mais il leur fallut avoir patience & mortifier leur contradiction: car ils n'osoient m'attaquer ou me faire du desplaisir, de peur du retour, à la traicte de Kebec, où ils vont tous les ans.
Je dis veritablement, & le repete derechef, que c'est icy le peuple le plus revesche, le plus superbe & le moins courtois de tous ceux que j'ay veus, mais aussi est-il le mieux couvert, le mieux matachié & le plus joly & paré de tous; comme si à la braverie estoit inseparablement attachee & conjointe la superbe, la vanité & l'orgueil, mere nourriciere de tout le reste des vices & pechez. Les jeunes femmes & les filles semblent des Nymphes, tant elles sont bien accommodées, & des Biches tant elles sont legeres du pied. Nous passames le reste du jour à nous cabaner, & encor' tout le suyvant pour la venue du Truchement Bruslé, qui nous prioit de l'attendre de compagnie: mais nous trouvasmes si peu de courtoisie & de faveur dans ce village, qu'aucun ne nous y voulut pas traicter un seul morceau de poisson qu'à prix déraisonnable, peut-estre par un ressentiment qu'ils avoient de ne leur avoir laissé les bleds & farines en leur liberté, comme ils s'estoient promis. Ils ne laissoient pourtant de nous venir voir devant nostre cabane; neantmoins plustost pour nous controller & se mocquer de nous, que pour s'instruire de leur salut, car à l'heure du repas me voyant souffler ma Sagamité, pour estre trop chaude, ils s'en prenoit à rire, ne considerans point que je n'avois pas la langue ny le palais ferté ny endurcy comme eux.
Au partir de ce village, nous allasmes cabanner en un lieu tres-propre à la pesche, où nous prismes quantité de poissons de diverses especes, que nous mangeasmes cuits en eau & rostis, mais il y avoit cela d'incommode que mes gens n'escailloient point celuy qu'ils deminssoient dans la Sagamité, non plus que celuy qui se mangeoit en autre façon, telle estant leur coustume, de sorte qu'à chaque cueilleree de Sagamité qu'on prenoit, il falloit faire estat d'en cracher une partie dehors, & lors qu'ils avoient quelque morceau de viande à deminsser, ils se servoient de leur pied pour le tenir, & de la main pour la couper.
Les grands orages qu'il fit ce jour-là, & les pluyes continuelles qui durerent jusques au lendemain matin, furent cause que nous logeasmes fort incommodement dans un lieu marescageux, où d'aventure nous trouvasmes un chien esgaré que mes Sauvages prirent & tuerent à coups de haches, & le firent cuire pour nostre souper. Comme au chef, ils me presenterent la teste, mais je vous asseure qu'elle estoit si hideuse, & avoit une grand' gueule behante si desagreable, que je n'eus pas le courage d'en manger, & me contentay d'un morceau de la cuisse. Au souper du lendemain nous mangeasmes un Aigle, que mes gens m'avoient desnichée, puis deux ou trois autres en autre temps, pour ce que ces oyseaux estoient si lourds à porter, avec les avirons: que j'avois desja en ma charge, que je ne pûs les conserver un plus long temps, & fallut nous en desfaire.
Le jour suyvant, apres avoir tout porté à 5 ou 6 sauts, & passé par des lieux tres-perilleux, nous prismes giste en un petit hameau d'Algoumequins sur le bord de la riviere, qui a en cet endroict plus d'une bonne lieue de large: le lendemain environ l'heure de midy, nous vismes deux Arcs au Ciel, fort visibles & apparens, que tenoient devant nous les deux bords de la riviere comme deux arcades, sous lesquelles il sembloit que nous deussions passer. Le soir nos Sauvages mangerent un Aigle, de laquelle je ne voulus pas seulement prendre du bouillon pour l'amour de nostre Seigneur, & le respect du Vendredy (bien que je fusse bien foible) dequoy mes gens resterent bien edifiez & satisfaits, que je ne fisse rien contre la volonté de nostre bon JESUS. Le matin nous nous mismes sur la riviere, qui en cet endroict est tres-large, & semble un lac, couvert par tout d'un si grand nombre de Papillons morts, que j'eusse auparavant douté s'il y en auroit bien en autant en tout le Canada: à quelques heures, de là, un François, nommé la Montagne, avec ses Sauvages, se penserent perdre, & tomber dans un precipice & cheute d'eau, de laquelle ils ne fussent jamais sortis que morts & tous brisez, & leur faute estoit, en ce qu'ils n'avoient pas assez tost pris terre.
Nous avons faict mention de plusieurs cheutes d'eau, & de quantité de sauts & de precipices dangereux: mais voicy le saut de la Chaudiere que nous allons le presentement trouver, le plus admirable, le plus dangereux & le plus espouventable de tous: car il est large de plus d'un grand quart de lieuë et demy, il a au travers quantité de petites Isles qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couvertes en partie de meschant petits bois, le tout entre-coupé de concavitez & precipices, que ces boüillons & cheutes d'eau de six ou sept brasses, on faict à succession de temps, & particulierement à un certain endroict, où l'eau tombe de telle impetuosité sur un rocher au milieu de la riviere, qu'il s'y est cavé un large & profond bassin: si bien que l'eau courant là dedans circulairement y faict des tres-puissans bouïllons, qui produisent des grandes fumees de poudrin de l'eau qui s'eslevent en l'air. (Il y a encor' un autre semblable bassin ou chaudiere plus à l'autre bord de la riviere, qui est presque aussi impetueux & furieux que le premier, & tend de mesmes ses eauës en grands precipices): & c'est la raison pourquoy nos Montagnets & Canadiens ont donné à ce saut le nom Asticou, & les Hurons Anoò qui veut dire chaudiere en l'une & en l'autre langue. Cette cheute d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux lieuës loin, puis sort & tombe dans un autre profonde concavité ou grand bassin, environné d'un grand rocher, où il ne se voit rien qu'une tres espaisse escume, qui couvre & cache l'eau au dessous. Et comme je m'amusois à contempler & considerer toutes ces cheutes d'eau entrer de si grande impetuosité dans ces chaudieres, & en ressortir avec la mesme impetuosité, je me donnay garde que tous ces rochers d'alentour, où je me tenois, sembloient tous couverts de petits limas de pierre, & n'en peux donner autre raison, sinon, que c'est, ou de la nature de la pierre mesme, ou que le poudrin de l'eau tombant là dessus, peut avoir causé tous ces effects: c'est aussi en cet endroict où je trouvay premierement des plantes d'un Lys incarnat, qui n'avoient que deux fleurs sur chacune tige.
Environ un quart de lieuë apres le saut de la chaudiere, nous passasmes à main droicte devant un autre saut ou cheute d'eau admirable, d'une riviere qui vient du costé du Su, laquelle tombe d'une telle impetuosité de vingt ou vingt-cinq brasses de haut dans la grande riviere, sur laquelle nous estions, qu'elle faict deux arcades, qui ont de largeur pres de trois cens pas. Les jeunes hommes sauvages se donnent quelquefois le plaisir de passer avec leurs Canots par derriere la plus large, & ne se mouillent que de poudrin que faict l'eau, mais il me semble qu'ils font en cela une grande folie, pour le danger qu'il y a assez eminent: & puis, à quel propos s'exposer sans profit dans un sujet qui nous peut causer un repentir & tirer sur nous la risee & la mocquerie de tous les autres? Les Yroquois venoient ordinairement jusques en ces contrees, pour surprendre nos Hurons au passage allant à la traicte; mais depuis qu'ils ont sceu qu'ils commençoient de mener des François avec eux, ils ont comme desisté d'y plus aller, neantmoins nos gens à tout evenement, se tindrent toujours sur leur garde, de peur de quelque surprise, & s'allerent cabaner hors danger, & comme nous souffrismes les grandes ardeurs du Soleil pendant le jour, il nous fallut de mesme souffrir les orages, les grands bruits du tonnerre, & les pluyes continuelles pendant la nuict, jusques au lendemain matin, que nous nous remismes en chemin, encore tous mouillez, & affiligez d'un faux rapport qui nous avoit est faict par un Algoumequin, que la flotte de France estoit perie en mer, & que c'estoit perdre temps à mes gens de descendre jusques à Kebec: mais apres estre un peu r'entré en moy-mesme, & ruminé ce qui en pouvoit estre, je me doutay incontinent de stratageme & de la finesse de l'Algoumequin qui avoit controuvé ce mensonge, pour nous faire retourner en arriere, & en suitte persuader à tous les autres Hurons de n'aller point à la traicte. Je fis donc entendre à mes Sauvages la malice de l'homme, & leur fis continuer nostre voyage, avec esperance de bons succez.
De là nous allasmes cabanez à la petite Nation que nos Hurons appellent Quieunontateronons, où nous n'eusmes pas à peine pris terre & dressé nostre Cabane, que les deputez du village nous vindrent visiter, & supplier nos gens d'essuyer les larmes de ving-cinq ou trente pauvres vefves qui avoient perdu leurs marys l'hivers passé, les uns de la faim, & les autres de diverses maladies naturelles, je les priay d'avoir patience en cette pressante necessité, & que le tout ne consistoit qu'à quelque petit present qu'il falloit faire à ces pauvres vefves pour addoucir leur douleur, & essuyer leurs larmes. Ils en firent en effect leur petit devoir, & donnerent un present de bled d'Inde & de farine à ces pauvres bonnes gens: je les appelles bons pource qu'en effect je les trouvay tels, & d'une humeur tellement accommodante, douce & pleine d'honnesteté, que je m'en trouvay fort edifié & satisfaict.
Ce fut icy où je trouvay dans les bois environ un petit quart de lieuë du village, un pauvre Sauvage malade, enfermé dans une Cabane ronde, couché de son long aupres d'un petit feu, duquel j'ay faict mention cy-devant au chapitre des malades. Me promenant par le village, & visitant les Sauvages, un jeune garçon me fit present d'un petit Rat musqué, pour lequel je luy donnay en eschange un autre petit present, duquel il faisoit autant d'estat, que je faisois de ce petit animal. Le truchement Bruslé, qui s'estoit là venu cabaner avec nous, traitta un Chien, dequoy nous fismes festin le lendemain matin, en compagnie de plusieurs Sauvages de nos Canots, & puis nous troussasmes bagage, fismes nos apprests, & nous mismes en chemin, nonobstant les nouveaux advis que les Algoumequins nous donnoient des Navires de France qu'ils croyoient estre perdues & subemergées en mer, ou pris par les Corsaires & en effect il y avoit l'apparence assez de la croire, en ce que le temps de leur arrivee ordinaire estoit desja de longtemps escoulé, & si on n'en recevoit aucune nouvelle. Ce fut ce qui me mit pour lors dans les doutes, bien que je fisse tousjours bonne mine à mes gens, de peur qu'ils ne s'en retournassent, comme ils en estoient sur le pointc.
Passans au saut sainct Louys, long d'une bonne lieuë & tres-dangereux en plusieurs endroicts, nostre Seigneur me garantit & preserva d'un precipice & cheute d'eu où je m'en allois tomber infailliblement, car comme mes Sauvages en des eaux basses conduisoient le Canot à la main, estant moy seul dedans, pour ce que je ne les pouvois suyvre à pied, dans les eaux, ny sur la terre par trop montagneuse, & embarrassee de bois & de rochers, la violence de l'eau leur ayant faict eschapper des mains, je me jettay fort à propos sur une petite roche en passant, puis en mesme temps le Canot tombe par une cheute d'eau dans un precipice, parmy les bouillons & les rochers, d'où ils le retirerent à demy brisé avec une longe corde, que (prevoyant le danger) ils y avoient attachée; & apres ils le raccommoderent: à terre avec des pieces d'escorces qu'ils portoient quant-&-eux: depuis nous souffrismes encore plusieurs coups de vagues dans nostre petit vaisseau, & passasmes par de grandes, hautes & perilleuses eslevations d'eau, qui faisoient dancer, hausser & baisser nostre Canot d'une merveilleuse façon, pendant que je m'y tenois couché & raccourcy, pour ne point empescher mes Sauvages de bien gouverner, & voir de quel bord ils devoient prendre. De là nous allasmes cabaner dans une Sapiniere assez incommodement, d'où nous partismes le lendemain matin, encore tous mouillés, & continuasmes nostre chemin par un lac & de là par la grande riviere, jusques à deux lieuës pres du Cap de Victoire, où nous cabanasmes sous un arbre peu à couvert des pluyes, qui continuerent du soir jusques au lendemain matin, que nous nous rendismes audict Cap de Victoire, où desja estoit arrivé depuis deux jours le Truchement Bruslé, ave ceux ou trois Canots Hurons.
Je vous rends graces, ô mon Dieu, que vous nous ayez conduits jusques icy sans peril, mais voicy, je ne suis pas plustost descendu à terre, pensant me rafraischir, que j'entends les plaintes du Truchement & de ses gens, qui sont empeschez par les Montagnets & Algoumequins de passer outre, & veulent qu'ils attendent là avec eux les barques de la traicte: je ne trouvay point à propos de leur obeyr, & dis que je voulois descendre & que pour eux qu'ils demeurassent là, s'ils vouloient, & me voyant dans cette resolution, & que difficilement me pouvoient ils empescher, & encore moins osoient-ils me violenter, comme ils avoient faict le Truchement. Ils trouverent invention d'intimider nos Hurons par une fourbe qu'ils leur firent croire, que à tout le moins tirer d'eux quelques presens. Ils firent donc courir un bruit qu'ils avoient receu vingt coliers de Pourceleine des Ignierhonons (ennemis mortels des Hurons) à la charge de les envoyer advertir de l'arrivee desdits Hurons, afin qu'ils peussent les venir tous mettre à mort, & qu'en peu de temps, ils viendroient en tres grand nombre. Nos gens, vainement espouventez de cette mauvaise nouvelle, tindrent conseil là dessus, un peu à l'escart dans le bois, où je fus appellé avec le Truchement, qui estoit d'aussi legere croyance qu'eux, & pour conclusion ils se cottiserent tous, qui de rets, qui de petun, bled farine & autres chose, qu'ils donnerent aux Capitaines et Chefs principaux des Montagnets & Algoumequins, afin de se les obliger. Il n'y eut que mes Sauvages qui ne donnerent rien: car je me doutay incontinent du stratageme & mensonge auquel les Sauvages sont sujets, & se font aysement croire à ceux de leur sorte: car ils n'ont qu'à dire je l'ay songé s'ils ne veulent dire on me l'a dit, & cela suffit.
Mais puis que nous sommes à parler des presens des Sauvages, avant que passer outre nous en dirons les particularitez, & d'où ils tirent particulierement ceux qu'ils font en commun. En toutes les villes, bourgs & villages de nos Hurons, ils font un certain amas de coliers de pourceleine, rassades, haches, cousteaux, & generallement de tout ce qu'ils gaignent ou obtiennent pour le commun soit à la guerre, traicté de paix, rachapt de prisonniers, peages des Nations qui passent par leurs terres, & par toute autre voy & maniere qui se presente. Or est-il que toutes ces choses sont mises & disposees entre les mains & en la garde de l'un des Capitaines du lieu, à ce destiné, comme Thresorier de la Republique & lors qu'il est question de faire quelque present pour le bien & salut commun de tous, ou pour s'exempter de guerre, pour la paix, ou pour autre service du public, ils assemblent le conseil, auquel, apres avoir deduit la necessité urgente qui les oblige de puiser dans le thresor, & arresté le nombre & la qualité des marchandises qui en doivent estre tirees, on advise le Thresorier de fouiller dans les coffres, & d'en apporter tout ce qui a esté ordonné, & s'il se trouve espuisé de finances, pour lors chacun se cottise librement de ce qu'il peut, & sans violence aucune donne de ses moyens selon sa commodité & bonne volonté; & jamais ils ne manquent de trouver les choses necessaires & accordees, tant ils ont le coeur genereux & assis en bon lieu, pour le salut commun.
Pour revenir au dessein que j'avois de partir du Cap de Victoire, & d'aller jusqu'à Kebec, je me resolus en fin (apres avoir un peu contesté avec les Montagnets & Algoumequins) de faire mettre nostre Canot en l'eau, comme je fis, dés la poincte du jours, que tous les Sauvages dormoient encore, & n'esveillay personne que le Truchement pour me suyvre, s'il pouvoit, ce qu'il fist au mesme instant, & fismes telle diligence, favorisez du courant de l'eau, & qu'il n'y avoit aucun saut à passer, que nous fismes vingt-quatre bonnes lieuës ce jour là, nonobstant l'incommodité de la pluye, & cabanasmes au lieu qu'on dit estre le milieu du chemin de Kebec au Cap de Victoire, où nous trouvasmes une barque à laquelle on nous donna la collation, puis des pois & des prunes pour faire chaudiere entre nos Sauvages, lesquels d'ayse, me dirent alors que j'estois un vray Capitaine, & qu'ils ne s'estoient point trompez en la croyance qu'is en avoient tousjours eue, veu la reverence & le respect que me portoient les François, & les presents qu'ils m'avoient faicts; qui estoient ces pois & ces pruneaux, desquels ils firent bonne expedition è l'heure du souper, ou plustost disner car nous n'avions encore beu ny mangé de tout le jour.
Le lendemain dés le grand matin, nous partismes delà, & en peu d'heures trouvasmes une autre barque, qui n'avoit encore levé l'anchre faute d'un bon vent: & apres avoir salué celuy qui y commandoit, avec le reste de l'equipage, & faict un peu de collation, nous passasmes outre en diligence, pour pouvoir arriver à Kebec ce jour là mesme, comme fismes avec la grace du bon Dieu. Sur l'heure de midy mes Sauvages cacherent tous du sable un peu de bled d'Inde à l'accoustumée & firent festin de farine cuite, arrosée de suif d'Eslan fondu mais j'en mangeai tres peu pour lors (sous esperance de mieux le soir): car comme je ressentois desja l'air de Kebec, ces viandes insipides & de mauvais goust, ne me sembloient pas si bonnes qu'auparavant particulierement ce suif fondu, qui sembloit proprement à celuy de nos chandelles, lequel seroit là mangé en guise d'huile, ou de beurre fraiz, & eussions esté trop heureux d'en avoir pour mettre dans nostre pauvre Menestre au pays des Hurons.
A une bonne lieuë ou deux de Kebec, nous passasmes assez proche d'un village de Montagnets, dressé sur le bord de la riviere, dans une Sapiniere, le Capitaine duquel, avec plusieurs autres de la bande, nous vindrent à la rencontre dans un Canot, & vouloient à toute force contraindre mes Sauvages de leur donner une partie de leur bled & farine, comme estant deu (disoient-ils) à leur Capitaine, pour le passage & entree dans leurs terres: mais les François qui là avoient esté envoyez exprez dans une Chalouppe, pour empescher ces insolences, leur firent lascher prise, tellement que mes gens ne furent en rien foullez, que du reste de nostre Menestre du disner, qui estoit encore dans le pot, laquelle ces Montagnets mangerent à pleine main toute froide, sans autre ceremonie.
De là nous arrivasmes d'assez bonne heure à Kebec, & eus le premier à ma rencontre le bon Pere Joseph qui y estoit arrivé depuis huict jours; avec lequel (apres m'estre un peu rafraischy, & receu la courtoisie de Messieurs de l'habitation, & veu cabaner mes Sauvages) je fus à nostre petit Couvent, scitué sur la riviere sainct-Charles; où je trouvay tous nos Confreres en bonne santé, Dieu mercy: desquels (apres l'action de graces que nous rendismes premierement à Dieu & à ses Saincts) je receus la charité & bon accueil que ma foiblesse, lassitude & debilité pouvoit esperer d'eux.
Quelques jours apres il fut question de faire mes petits apprests; pour retourner promptement aux Hurons avec mes Sauvages, qui avoient achevé leur traicte; mais quant tout fut prest, & que je pensay partir, il me fut delivré des lettres avec une obedience, de la part de nostre Reverend Pere Provincial, par lesquelles il me mandoit de m'embarquer au plus prochain voyage pour retourner en France, demeurer de Communauté en nostre Couvent de Paris, où il desiroit se servir de moy.
Il fallut donc changer de batterie, & delaisser Dieu pour Dieu par l'obeyssance, puis que sa divine Majesté en avoit ainsi ordonné. Car je ne pû recevoir aucune raison pour bonne, de celles qu'on m'alleguoit de ne m'en point retourner, & d'envoyer mes excuses par escrit à nostre Reverend Pere Provincial, pource qu'une simple obeyssance estoit plus conforme à mon humeur, que tout le bien que j'eusse peu esperer par mon travail au salut & conversion de ce pauvre peuple, sans icelle.
En delaissant la nouvelle France, je perdis aussi l'occasion d'un voyage de deux ou trois cens lieuës au delà des Hurons, tirant su Sur, que j'avois promis faire avec mes Sauvages, si tost que nous eussions esté de retour dans le pays, pendant que le Pere Nicolas eust esté descouvrir quelque autre Nation du costé du Nord. Mais Dieu, admirable en toutes choses, sans la permission duquel une seule fueille d'arbre ne tombe point, a voulu que la chose soit arrivee autrement.
Prenant congé de mes pauvres Sauvages affligez de mon depart, je taschay de les consoler, & leur donnay esperance de les revoir au plustost qu'il me seroit possible, & que le voyage que je devois faire en France ne procedoit pas d'aucun mescontentement que j'eusse receu d'eux, ny pour envie qu'eusse de les abandonner, ains pour quelqu'autre affaire particuliere qui m'obligeoit de m'absenter d'eux pour un temps. Ils me prierent de me ressouvenir de mes promesses, & puis je ne pouvois estre diverty de ce voyage, qu'au moins je me rendisse à Kebec dans dix ou douze lunes, & qu'ils ne manqueroient pas de m'y venir retrouver, pour me reconduire en leur pays. Il est vray que ces pauvres gens ne manquerent pas de m'y venir rechercher l'annee d'apres, comme il me fut mandé par nos Religieux: mais l'obedience de mes Superieurs qui m'employoit à autre chose à Paris, ne me permist pas d'y retourner, comme j'eusse bien desiré.
Avant mon depart nous les conduismes dans nostre Couvent, leur fismes festin, & tout la courtoisie & tesmoignage d'amitié à nous possible, & leur donnasme à tous quelque petit present, particulierement au Capitaine & Chef de Canot, auquel nous donnames un Chat pour porter à son pays, comme chose rare, & à eux incogneue: ce present luy agrea infiniment, & en fit grand estat; mais voyant que ce Chat venoit à nous lors que nous l'appellions, il conjectura de là qu'il estoit plein de raison, & qu'il entendoit tout ce que nous luy disions: c'est pourquoy, après nous avoir humblement remercié d'un present si rare, il nous pria de dire à ce Chat que quand il seroit en son pays qu'il ne fist point du mauvais, & qu'il ne s'en allast point courir par les autres Cabanes ny par les forests; mais qu'il demeurast tousjours dans son logis pour manger les Souris, & qu'il l'aymeroit comme son fils, & ne luy laisseroit avoir faute de rien.
Je vous laisse à penser & considerer la naïfveté & simplicité de ce bon homme, qui pensoit encore le mesme entendement & la mesme raison estre au reste des animaux de l'habitation, & s'il fut pas necessaire le tirer de cette pensee et le mettre luy-mesme dans la raison, puis que desja ll m'avoit faict auparavant la mesme question, touchant le flux & reflux de la mer, qu'il croyoit par cet effect estre animée, entendre, & avoir une volonté.
C'est à present, c'est à cette heure, qu'il faut que je te quitte, ô pauvre Canada, ô ma chere Province des Hurons, celle que j'avois choisie pour finir ma vie en travaillant à ta conversion! pense-tu que ce ne soit sans un regret & une extreme douleur, puis que je te vois encore gisante dans l'espaisse tenebre de l'infidelité, si peu illuminee du Ciel, si peu esclairee de la raison, & si abrutie dans l'habitude de tes mauvaises coustumes; tu as mal mesnagé les graces que le Ciel t'a offertes, tu veux estre Chrestienne, tu me l'as dit. Mais helas! la croyance ne suffit pas, il faut le Baptesme: mais si tu ne quittes tout ce qui est de vicieux en toy, de quoy te serviront la croyance & le Baptesme, sinon d'une plus grande condemnation; j'espere en mon Dieu toutes fois, que tu feras mieux, & que tu seras celle qui jugera & condemnera un jour devant le grand Dieu vivant beaucoup de Chrestiens plus mal vivans, & mieux instruits que toy, qui n'as encore veu de Religieux, que des pauvres Recollets du Seraphique sainct François, qui ont offert à Dieu & leur vie & leur sang pour ton salut.
Passons maintenant dans ces barques jusques à Tadoussac, où le grand vaisseau nous attend, puis que nous avons fait nos adieux à nos Freres & François, & à nos pauvres Sauvages. Ce grand vaisseau nous conduira à Gaspé, où nous apprendrons que les Anglois nous attendent à la Manche avec deux grands Navires de guerre pour nous prendre au passage; mais Dieu en disposera autrement, s'il luy plaist.
Cet advis donné par des pescheurs nous fit encore tarder quelques jours, pour avoir la compagnie de trois autres vaisseaux de la flotte qui se chargeoient de Molues, avec lesquels nous fismes voile, & courusmes en vain un Escumeur de mer Rochelois, qui nous estoit venu recognoistre environ trois cens lieuës au deça du grand Banc, puis arrivez assez pres de la Manche, il s'esleva une brune si obscure & favorable pour nous, qu'ayant, à cause d'icelle, perdu nostre route, & donné jusques dans la terre d'Angleterre, en une petite Baye proche une tour à demy ruynée, nous ne fusmes nullement apperceus de ces guetteurs qui nous pensoient surprendre en chemin, & arrivasmes (assistez de la grace de nostre bon Dieu) à la rade de Dieppe, & de là (de nostre pied) à nostre Couvent de Paris fort heureusement & pleins de santé Dieu mercy, auquel soit honneur, gloire & louange à jamais. Ainsi soit-il.