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Le livre de l'émeraude: en Bretagne

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LXIX

LES PHARES

A Benodet, le 17 septembre, et bien d’autres fois.

Comme le feu rouge luit ardemment au milieu des ténèbres!...

 

C’est une lueur liquide, qui coule de haut, telle du sang. Je reviens, chaque soir, de la grève; et, chaque fois, laissant le phare derrière moi, je tourne la tête pour revoir la lanterne et son œil brûlant, au coude du sentier. Chaque fois, elle me surprend par son air tragique, et cet étrange regard qu’on croirait vivant.

A mesure que l’été s’éloigne, l’ombre nocturne se fait dense. Sur les chaudes journées, la nuit vient dans un manteau de crêpe et de vapeur déjà lourdes. Ce soir, la nuit est épaisse comme un goudron de houille; et ses chaudes profondeurs, grasses et opaques, sont de velours noir. Que la lueur du phare est émouvante dans l’ombre compacte et le silence taciturne: c’est un cœur saignant qui palpite sur des étoffes ténébreuses.

Le phare brille, étoile aux yeux du marin: il fait sa route sur elle; celle-là, du moins, n’est pas inaccessible. Le phare est une pensée de la terre, qui vient au devant de l’homme, errant sur le désert de l’Océan. C’est un foyer qui veille, quand tout est éteint. Et l’amant n’a pas vu, avec plus de bonheur, s’allumer pour lui une lampe dans la chambre de sa maîtresse, que ne fait le marin, lorsqu’au travers de la nuit pesante, après un long voyage, il découvre la lueur lointaine, et, lui donnant un nom, qu’il compte les heures et les minutes, une à une, jusqu’au moment béni d’atterrir.

Je suis dans le monde comme un marin dans la nuit brumeuse. Sans cesse, je m’absente et j’erre infiniment loin. Puis, je sors du rêve et de l’ennui, du voyage aux Iles d’Or, et de la furieuse tempête, me guidant aussi sur les froides étoiles, confidentes glacées de l’orgueil et de la solitude. C’est pourquoi je rentre, dans cette vie peuplée d’ombres, à la manière du navigateur qui a fait le tour du monde; et, chaque soir, j’aime la lueur des phares, où je crois voir brûler aussi pour moi l’ardeur sanglante de la tendresse humaine...

 

A minuit, le bon gardien sautera de son lit et viendra s’assurer si ses lampes marchent. Et, à trois heures du matin, il fera sa dernière ronde. Dès le coucher du soleil, et jusqu’à l’aube, les gardiens de phare mènent à terre la vie du matelot à bord. Nulle part, on ne trouve de meilleurs hommes; presque tous sont d’anciens marins; ils sont simples, dévoués et forts; ils savent le danger d’une négligence; de braves gens qui ne rêvent point, et que leurs lampes n’induisent point à la tentation de songer.

Un d’eux, comme je lui demandais s’il ne croyait point que le feu rouge de la lanterne fût du sang, et jaillît de la poitrine d’un prince supplicié,—me répondit gravement:

—La flamme tremble? C’est que le pétrole n’est pas bon. Je m’en suis plaint.

Il rentra dormir chez lui. Je demeurai. Et j’allai sur la dune, où les feux des îles répondent à ceux de la côte. Dans la nuit noire, sur un rythme que mesurait la respiration lente de la mer, c’étaient, rouges ou blancs, des regards douloureux et fixes, et d’étranges clins d’yeux...

LXX

QUÊTE POUR LA BONNE GUÉRISON

Aux environs de L. F... en août.

Dans la ruelle, on entendait les cris de l’homme: un gémissement continu, un grondement sourd, qui montait peu à peu, se faisait plus aigu et finissait sur une longue plainte, une sorte d’appel au secours. Puis la clameur tombait; et, de nouveau, le gémissant murmure.

Au fond de la chambre, le malheureux était assis, la tête entourée de linges. A l’agonie peut-être, il n’était pas couché; et, la dernière nuit, il n’avait même pas gardé le lit plus d’un moment: étendu, l’ulcère qui lui dévorait le crâne semblait le ronger plus à l’aise, comme une araignée monstrueuse suçant vive une mouche engluée dans la toile. Tenant le haut de la tête entre ses mains, et la roulant sans répit, battant la mesure de ses plaintes, l’homme s’était presque accroupi dans le fauteuil: une proie saignante aux pattes du cancer. La plaie lui avait évidé un côté du visage. Il ne se laissait plus panser; et on ne l’en pressait guère: il importunait tout le monde. Les bandes de toile, imbibées de sanie et de pus, ne couvraient pas tout l’ulcère et s’agitaient entre l’oreille et la mâchoire, palette sordide où le carmin du sang était mêlé aux jaunes et aux verts de l’infection. On pouvait voir un coin du monstre rongeant, qui rougeoyait dans la face blême, comme un feu sinistre à l’angle d’une maison grise, le soir, quand le couchant enveloppe une façade lépreuse, d’où le plâtre se détache.

Le malheureux hurlait: «J’ai faim...» répétait-il, au milieu de ses appels désespérés. Après deux ans de lents progrès, le mal avait vaincu: depuis plusieurs jours, le supplicié ne pouvait plus rien prendre; il avalait un peu de lait pour toute nourriture; et il avait faim: du moins, il sentait une sorte d’appétit; et peut-être, lui plaisait-il d’y croire. Une de ses filles, assise tête à tête, ne l’aidait à rien et ne lui parlait même pas; mais elle criait avec lui: on eût dit qu’elle avait mis son amour-propre à doubler l’affreux sanglot de son père, et qu’elle fût heureuse de prouver par là toute sa tendresse.

 

Les gens, dans la maison, restaient impassibles. Entre eux, ils ne faisaient que peu de réflexions sur le malade: ils paraissaient en avoir pris leur parti, en vrais Bretons, et s’attendre au besoin à ce que cette clameur, désormais, ne cessât plus de hanter leurs oreilles. Mais, dans la rue, quand ils se retrouvaient avec les voisins, ils plaignaient le malheureux. On souhaitait d’en avoir bientôt fini avec lui; bien peu y mettaient de l’acrimonie: ils haussaient les épaules.

—Croyez-vous? disait-on; pour lors, on ne peut plus dormir donc... Ce pauvre Dennès!... Il n’a guère que quarante-sept ans...

—Quarante-neuf donc...

—On l’entend de la place...

—La Louise crie plus que lui...

—Celle-là, il faut toujours qu’elle en fasse plus que les autres!

—Oui, mais c’est son père après tout.

—Et la vieille Emilie, que dit-elle?

—Emilie? Elle ne sait plus, la pauvre vieille... Elle est toujours là qui rit, et fait ses prières. Sa tête n’y est plus: son fils, sa fille, elle ne reconnaît personne. Elle rit dans son coin...

Et au malade tous souhaitaient la mort.

 

Dennès l’appelait, machinalement. C’était midi. Le soleil d’août brûlait les murailles; les pierres semblaient fumer, chauffées à blanc. Une vapeur de cuisante lumière rayonnait de chaque objet sous le ciel, et du ciel même sans un pli, sans une ombre, sans un nuage. Dans la chambre, le supplicié souffrait la torture ardente. Comme si les jets d’une eau bouillante la lui eussent traversée, les élancements du cancer lui perçaient toute la tête; et tout son crâne était enveloppé par la brûlure, comme si on l’avait flambé devant un grand feu. Dennès pleurait sans larmes, aboyait sourdement, en bête déchirée. Il suppliait qu’on priât Dieu de le faire mourir. Il demandait le secours des oraisons qui intercèdent pour la bonne mort; et il exigeait même qu’on ne lui en refusât plus l’assistance.

On fit enfin selon ses vœux. Le grand Moal, un charron aux membres lourds, au dos large comme la poupe d’un canot, et Magdeleine Godoc, une fille pieuse, forte et rouge, s’en furent de maison en maison. Ils entraient dans le courtil des fermes, ou ils poussaient la porte, murmurant les mots d’une prière cent fois répétée, et tendant une assiette en faïence. Ils quêtaient pour une Messe, à l’intention de la mort de René Dennès. Marmottant leurs patenôtres, on les écoutait d’un air sérieux, sans mot dire; ou bien on accompagnait l’offrande d’un souhait pour que la mort fût prompte, et que Dieu accordât bientôt sa délivrance au pécheur. L’homme aux vastes épaules et la fille aux joues rouges ne s’attardaient pas à parler davantage. Presque partout, on leur donnait quelques sous. Ils sortaient d’une maison, et se dirigeaient en silence, d’un pas carré, vers la plus proche.

 

Il fait une chaleur ardente, mais une chaleur ailée, comme la clarté du jour. Tout est blond sous le ciel. Le long de la route, les arbres immobiles semblent porter un feuillage de métal sur un écran d’argent qui scintille. A l’ombre étroite d’une porte basse, qu’on ne doit jamais ouvrir et dont les toiles d’araignée coupent les angles d’un crêpe gris, une vieille mendiante est accroupie, toute vêtue de noir, en coiffe noire, n’ayant de blanc qu’un rond de linge sur l’œil, comme une taie, dans sa face large, ridée et rouge de chaleur: elle pose un débris de nourriture sur ses genoux, et mange goulûment, la jupe noire tendue sur ses jambes écartées. Un vieux chien jaune à ses pieds suit du regard chaque morceau qu’elle porte à sa bouche, et happe les miettes au vol: elles n’ont pas le temps de tomber à terre... Un pêcheur, souple dans son vêtement de toile, un panier sous le bras, plein de rougets et de grondins, poissons d’émail rose, marche rapidement sur la plante de ses pieds nus, les orteils relevés: il tourne, en sifflant, sa tête maigre et brune, au large nez d’où sort une touffe de poils gris, en mèche de fouet. Et vers lui arrivent, grommelant la prière, la fille aux joues rouges et l’homme aux vastes épaules, qui quêtent pour la Mort.

LXXI

FIDÈLE

Ker-Joz... en Benodet.

Fidèle est une chienne de deux ans, qui n’a pas sa pareille.

Bâtarde de caniche et de griffon, Fidèle est pourtant belle à sa manière; pour sa taille moyenne, elle a une très grosse tête, ronde, ébouriffée, et les yeux bleuâtres sous de gros sourcils roux; les dents merveilleuses sont du lait qui brille.

Fidèle est une chienne en goémon: c’est la couleur de son pelage bouclé, frisé, touffu et fauve. Elle a le bout des pattes blanc; les mèches de soie blanche ne sont pas rares au milieu de ses boucles. Elle a une longue langue, mince, recourbée en forme de flamme rose, que la salive argente. Elle ressemble à une petite lionne, aux lions héraldiques de la plus ancienne époque, quand ils hésitaient entre la femelle, le mouton et l’ours. Au soleil, assise sur un rocher, tirant la langue, Fidèle est un lion d’or, armé d’argent, lampassé de gueules.

Elle est bretonne, capricieuse, honnête, sauvage, pleine de dignité rustique, et peu s’en faut, dans son amour de la mer, qu’elle ne soit matelot. Elle passe sa vie à courir de la lande à la grève, et des rochers sur le sable. Quand ses maîtres poussent le canot ou mettent à la voile, si elle n’embarque pas avec eux, elle les supplie de ne pas la laisser à terre; elle leur dit, deux ou trois fois: «Et moi?» d’un aboi doux et sourd, la gueule presque fermée. Elle ne hurle pas, quand elle est en peine ou en colère: elle est trop fière pour se plaindre; elle ne voudrait pas gémir à la façon des chiens domestiques. Non; mais elle se rappelle formellement à l’esprit de ceux qui lui manquent: «Et moi?» fait-elle donc. Elle voit le bateau qui s’éloigne déjà de quelques brasses... Elle est là, le corps penché sur la rive en pente, les pattes de devant collées à une roche que le flot couvre et découvre en murmurant, les griffes trempées dans l’eau. Elle regarde, avec une attention que rien ne saurait détourner, l’homme à la barre... Elle espère encore: c’est un ami; s’il fait un geste de son côté, s’il la nomme, aussitôt sa queue, relevée en cerceau, rigide jusque-là, se détend et bat l’air de deux ou trois coups rapides. Mais le bateau fait du chemin; la distance s’accroît: Fidèle réfléchit. Elle sait qu’on ne l’appellera plus; elle prévoit qu’on la chassera peut-être: n’importe! elle veut aller en mer; il n’est pas possible qu’on la laisse seule à terre et qu’on la prive de cette promenade. Elle prend son parti. Elle mesure l’intervalle; elle saute sur une pierre vêtue de varechs, à fleur d’eau; et, ramassant ses reins cambrés, elle s’élance; elle plonge d’un bond sûr et souple... Elle reparaît au delà des roches, la tête sur le flot, la gueule bien serrée, les oreilles basses pendant à demi dans la mer. Elle nage en battant la vague, et l’on voit ses pattes brunes qui s’agitent en cadence, dans l’eau verte. Elle se hâte de toutes ses forces, pleine d’une grâce rapide. Enfin, elle touche à l’arrière du canot; c’est le moment de la plus dure épreuve: si on ne la saisit pas par le cou, si le maître ne lui prête pas la main, c’est qu’on ne veut décidément pas d’elle. Et, le plus souvent, l’aventure tourne encore plus mal pour son brave cœur: on la menace de la canne, ou de l’aviron. Elle ne veut pas y croire, et cherche un point d’appui sur la quille; chassée de nouveau, il lui faut admettre que c’en est fait: aujourd’hui, elle n’ira pas à l’Ile. Elle vire de bord; et rebrousse chemin. Au retour, la pauvre Fidèle nage plus lentement; elle ne suit plus la ligne droite; de temps en temps, un secret espoir se ranimant en elle, Fidèle tourne la tête: ne lui fait-on pas signe?... Non, on ne la rappelle pas; et déjà le canot est très loin... Voici la grève: elle sort de l’eau, humiliée et piteuse. Tout en se secouant, elle regarde encore la mer; elle prend de longs souffles d’air, la gueule largement ouverte; et elle éternue fortement, chassant l’eau salée par les naseaux. Le poil frisé, les oreilles, la queue, toute la fourrure lui colle au corps, dégouttant d’eau. Ses pattes mouillées se chaussent de sable jaune; elle joue lentement de la langue dans sa bouche fermée, pour retrouver de la salive; et, fâchée sans doute, mais soumise à la cruelle volonté des puissants, elle reprend, sans se presser, par le ravin à pic, le chemin de la maison.

 

Le temps vint qu’elle fut pleine: elle ne l’avait encore jamais été. Elle se fit très grosse ou plutôt épaisse; elle perdit de ses formes longues, taillées pour la course; ses flancs élargis s’abaissèrent; la courbe creuse de son ventre s’effaça sous le poids de la portée; et ses longs poils touchaient le sol, comme les franges d’une besace en forme de cylindre. Fidèle, pesante, parut surprise du fardeau qu’elle soulevait à chacun de ses bonds; mais elle n’en bondissait pas moins, toujours prompte à sauter sur les rocs, par-dessus les haies, et à se lancer dans la vague. Rien ne l’arrêtait; je ne pouvais l’empêcher de me suivre. Un soir, qu’elle avait couru pendant plusieurs heures sur mes pas, comme folle de mouvement, elle disparut tout d’un coup. En vain, on la héla. A l’aurore, épuisée, souillée de boue, et les pattes humides, on la trouva sous un pommier, près d’un petit chien noir qu’elle léchait, en agitant faiblement la queue. Elle avait semé cinq autres petits dans le potager, l’un dans un chou rouge, un autre dans les pommes de terre, un encore sous les laitues; deux étaient morts.

On lui fit une crèche dans l’écurie. Sur la litière de paille odorante, elle resta couchée avec ses petits cachés sous elle. Mais elle n’y consentit que deux jours, où elle buvait très volontiers du vin sucré; lasse, elle levait sur son maître un regard d’une lumineuse douceur, brillant de cette naïveté sans bornes, qui fait l’attrait des humbles créatures. «Voilà ce qui m’arrive», semblait-elle dire; il y a ces petits, là, sous mon ventre, qui ne me laissent pas un instant de repos; et je les lèche parce qu’ils sont humides, et qu’ils ont mon odeur...» Trois jours après, il fallut l’enfermer dans l’écurie; elle voulait sortir, et renouveler ses courses sur la lande. Quand elle entendait mon pas, et me sentait passer, elle aboyait de toutes ses forces; elle m’appelait; elle protestait avec colère, indignée que je ne la prisse plus à la promenade; et, pour la rendre plus patiente avec ses petits, je dus lui permettre de me suivre. Le soir, je la menais à l’écurie, et elle ne cherchait pas à éluder son devoir: la queue basse, elle me voyait ouvrir la porte, et la refermer sur elle, déjà en proie à ses petits, rampant vers leur nourrice.

 

Aveugles, sourds, pareils à de gros vers noirs, à quatre tronçons d’anguille montés sur de petites pattes trop faibles et ployant sous le poids, les quatre cabots, la gueule à peine ouverte, poussaient, en frétillant, de petits sanglots, un mince soupir aigu. Ils se précipitaient à tâtons sur la mère; ne sachant rien, ne voyant rien, le tout-puissant instinct leur indiquait la route, leur descellait les babines, leur dressait le museau jusqu’aux mamelles de la mère; ils suçaient goulûment, avec un air de possession admirable et terrible; ils se levaient sur leurs pattes de derrière; la plante molle de leur pied pesait sur le pis gonflé, et le pressait pour en chasser le lait. Ils y allaient d’une telle force, d’une telle fureur avide, que parfois leur arrière-train mal assuré, cédant tout à coup, ils culbutaient: ils tiraient encore le bout du pis dans la culbute.

Arc-boutés sur le trépied courbe de deux pattes et d’un rudiment de queue, les petits tettent droits leur mère; ils sucent si fort qu’ils s’étranglent; ils avalent avec une espèce de sanglot; on entend le lait qui coule dans leur gorge; ils boivent avec une furie effrayante. Elle, fatiguée, bâille, et de loin en loin, elle lèche celui qui tette sa mamelle la plus haute. Et les petits se battent déjà à qui mangera le plus: lâchant un pis, ils se ruent à en saisir un autre; à tous quatre, ils font un nœud de têtes et de pattes: chacun d’eux, buvant, pousse le voisin et parfois le chasse. Ils geignent tout le temps qu’ils ne dorment ni ne boivent. Fidèle les prend au chaud sous elle: gorgés, les yeux toujours fermés, ils sommeillent, la grosse tête de l’un posée sur le dos de l’autre. Et ils semblent grossir à vue d’œil.

 

Fidèle m’adorait. Je vins, le plus doux et le plus fantasque des dieux. Aucun des immortels ne l’avait encore caressée si doucement; aucun ne lui avait tant ni si patiemment parlé: pour la première fois, pensait-elle, un dieu daignait la comprendre. Elle me suivait partout. Elle courait devant moi dans la lande et sur les dunes; elle faisait vingt fois le chemin sur mes pas, tirant de tous les côtés, bondissant, se roulant, me précédant, revenant au galop, et se plaçant enfin sous ma main pour une caresse. Alors, elle levait vers moi ses yeux pleins d’intelligence; elle riait, découvrant ses dents; son mufle brillant et humide frémissait; la folle joie des êtres jeunes étincelait dans ses prunelles bleuâtres; et elle aboyait éperdument, si je m’asseyais ou si je ne m’occupais pas d’elle. Elle ne criait que dans le transport de sa gaieté. Quand je pressais sa tête contre moi, de la main, je sentais les grands coups de son cœur dans la poitrine; et j’écoutais avec une émotion étrange aller et venir ce pendule magnifique de la vie. Ou bien, je mettais ma main dans la gueule de la chienne, qui grognait de plaisir, s’excitant, tournant, agitant la queue, incapable de me mordre, feignant de vouloir le faire; et je sentais encore la vie, la chaude vie, dans cette langue tiède, mouillant mes doigts, et me pressant le poing, entre les dents acérées, les voûtes humides du palais...

 

Ainsi, la bonne Fidèle me parlait dans mes courses:—une créature divine et nulle comme toutes les créatures... Et, sur cette terre dont la beauté me touche jusqu’à l’épouvante, j’écoutais dans cette bête la palpitation directe de la vie.

LXXII

LA SAINTE

A N..., après-midi de novembre.

I

Je rencontrai cette jeune fille sur la lande, comme elle allait à l’église. Je l’aurais aimée, si elle avait voulu l’être. Mais rien, à vrai dire, n’avait de prix pour elle; toute sa vie tenait dans la petite chapelle, au pied du pilier, où elle aurait souhaité de demeurer sans cesse. Quand elle sortait de sa maison, elle marchait légère, d’un pas qui vole, vers la demeure de son désir. Et là, entre ces murs gris, humides, dans cette cave sans jour, à l’odeur obscure de tombeau, elle ignorait tous les palais de la terre.

La musique l’enchantait. Elle avait un frère, son aîné, de six ou sept ans, qu’elle préférait aux autres: il chantait d’une voix très claire et juvénile. Il avait été matelot.

Grand, fort et bien en chair, il ne ressemblait point à sa sœur, sinon par son amour du chant; il n’était pas pieux; mais il avait ses jours de muette mélancolie: alors, il était brusque et taciturne. Il avait l’oreille longue et charnue: sous le bonnet, vallonnée de plis profondément découpés, et brillant d’un duvet blond, cette oreille était pareille au quartier de la noix fraîche, quand on la tire de la coque.

Le frère et la sœur me plaisaient; et je les gagnai par la musique. Lui aussi l’aimait ingénument. Les orgues, dans les villes où il avait entendu la messe, l’avaient bien plus ému que la pompe des cérémonies et le clergé nombreux: «Et pourtant, disait-il, à Saint-Pol, j’ai vu six évêques.»

Elle portait avec grâce un nom disgracieux, qui étonnait d’abord,—Barbe. Elle était toujours triste, d’une tristesse égale et douce. Elle était sujette aux syncopes. Elle avait les yeux d’un gris presque noir, et d’une douceur immuable, ils donnaient pourtant à la physionomie une expression décidée, un air de résolution inflexible. Sur un front haut et laiteux, régnaient des cheveux admirables, plus dorés et plus roux au cours de leur souple ruisseau qu’à la racine.

Elle était la dernière née. Sa mère n’était pas pieuse. Son père était mort en mer. Les grands-parents, durs et avares, avaient une ferme. Tous ses frères étaient de la plus belle venue, hautes pièces d’hommes, sans lourdeur et sans tares. Un d’eux avait laissé ses os au Sénégal. Le cadet, dont on disait qu’il avait disparu dans une tempête, avait déserté. Pour mener la maison, l’aîné. Il ne riait jamais. Il travaillait infatigablement; mais deux ou trois fois par an, il buvait pendant trois jours, se ruant à l’assaut d’une joie furieuse, aveugle, superbe.

II

Je passais près d’elle. Sa petite coiffe en dentelles, en forme de coquilles ajustées, lui prenait la tête comme la gaine ajourée d’une noisette. Elle laissait voir de ses cheveux, seule parure.

D’abord désappointée de la rencontre, elle ne m’évita point, et répondit volontiers. Elle se cachait pour prier. Elle adorait Dieu, surtout au crépuscule: «Je vais voir Dieu», disait-elle.

—Pourquoi êtes-vous si triste?—lui demandai-je.

—Et vous?—fit-elle, en me regardant de ses yeux clairs.

—Vous allez à l’église: moi, je n’y vais pas,—lui dis-je évasivement.

—Ah! soupira-t-elle,—je voudrais n’en pas sortir.

—Vous voudriez donc être morte? Pourtant votre vie est douce.

—Je n’aime pas vivre.

—Vous n’aimez peut-être rien...

—J’aime le Paradis.

—Voyez comme ce soir la lande est belle. Les ajoncs ont l’odeur du miel... Le ciel est une lentille d’émeraude... N’êtes-vous pas touchée?

—Le monde est beau, dit-elle pensivement.—Mais que me font tous les trésors du monde, si c’est le Paradis que j’aime?

—Que savez-vous, pourtant, du Paradis?

—Comment?... Tout ce qu’on m’en a appris. La vérité est dite en de saints livres. Et je la sais bien, puisque je connaissais déjà ce que M. le Recteur m’en a fait lire...

—Dites-moi un peu, s’il vous plaît, Barbe, le bonheur de ce Paradis.

—Je pense qu’en Paradis, dans la vue de Notre-Seigneur, la vie éternelle est douce, douce... comme au mois béni, quand, le matin, on se sent mourir de joie...

—On meurt donc sans cesse?

—On meurt sans mourir, dans le cœur de Notre-Seigneur Jésus.

—Voilà ce que vous souhaitez...

—Je n’en suis pas digne, fit-elle tristement. D’autres l’ont été, les bienheureuses... Elles sont dans la gloire.

—Elles sont mortes... Vous n’auriez point de peur?

—Et de quoi?

—De douter?...

—Dieu peut tout ce qu’il veut, dit-elle d’une voix basse et ardente.—Douterais-je de ce que j’aurais le bonheur de voir, moi qui ne doute pas de ce que je n’ai pas vu?

—Vous parlez des miracles?

—Oui, dit cette simple fille avec tendresse. Ces saintes, vous savez, avaient le corps couvert de plaies, et cependant il embaumait la violette et les roses. Elles ont vu leurs anges, la nuit, à leur chevet; et la Très Sainte Vierge Marie a essuyé, elle-même, leurs larmes... C’est ainsi.

—Qui n’envierait de les verser? Et l’on souffrirait volontiers toute sorte de supplices, n’est-il pas vrai?

—On ne les souffrirait pas, dit-elle. On en ferait sa joie. Je voudrais être déchirée de tout mon corps, pour être pansée par les anges, et que Jésus approchât ma peine de son cœur... Est-ce là endurer? Ne meurt-on pas de joie, si l’on est, pauvre femme, jugée digne de voir un miracle?

—Barbe, vous attendez-vous à des miracles?

—Oh! soupira-t-elle, que ne suis-je moi-même un miracle!...

Elle se tut un moment; puis elle reprit avec tristesse:

—Vous ne me croyez pas.

Alors, je lui dis:

—Vous ne me comprenez point... non plus.

—Mais, dit-elle, je sais que vous n’avez point de bonheur...

—Personne encore n’a senti mieux que vous ce que j’éprouve.—(Je la regardais avec insistance.)—Je suis comme vous seriez, si vous n’aviez ni l’église, ni le Paradis, ni Votre Seigneur Jésus...

Elle eut peur, et joignit les doigts. Nous fîmes quelques pas. Nous étions seuls derrière la haie en fleurs, au parfum si calme de terre et d’encens. Elle me donna un petit baiser, ou plutôt, prenant ma main entre les siennes, elle fit semblant de toucher ma joue de ses lèvres.

Je la vis rougir dans l’obscurité violette du crépuscule: non point une vague de sang; mais son visage de fleur pâle se couvrit d’une ombre, comme l’eau quand passe un nuage. Et ses mains brûlèrent. Elle s’en fut, Dame de la Compassion.

III

«Mon amour, mon amour», pensais-je. Mais je ne murmurais point au bord innocent de cette vie. J’aurais tremblé, au contraire, que le terrible appel de ma nuit pût avoir un écho dans ce cœur plein de lumière. Car, c’est bien le moins que l’homme, quand il tient par les deux fils les rideaux de la vie, les ferme sur l’horreur du vide, et ne les tire pas aux yeux de la créature confiante.

Je la regardais s’éloigner, si pure...

Il ne faut pas ravir au ciel sa douce proie.

LXXIII

L’AGNEAU

Un matin de Pardon. Fin août.

La lutte prit fin au milieu des cris: jusque-là, les assistants avaient gardé le silence, suivant les péripéties du combat. On jugeait les coups d’un mot, et d’un geste on donnait le signal des reprises. Le corps à corps ne fournit pas le moindre prétexte aux disputes. Rouge et respirant à gros coups de poitrine, tel un soufflet devant la forge, le vainqueur de la lutte reprit sa veste aux mains d’un ami, et la passa lentement en faisant le gros dos. A ses cheveux, fins et dorés, perlait la sueur; le sang pressait d’une onde pourpre la peau du large cou rond, comme s’il allait en jaillir; et sur la chemise collée par la sueur aux épaules, on voyait, en un double sillon, la marque des étreintes qu’il avait secouées. Il était joyeux, et fier; il riait sans faste, mais le bon tremblement de la gaieté secouait son torse; et sa lèvre supérieure, un peu retroussée sous la moustache blonde, montrait de larges dents saillantes. Vains de lui, ses amis l’entouraient: le paysan l’avait emporté sur le pêcheur. Ils se dirigèrent tous ensemble vers une ferme voisine où, dans le courtil, le prix de la lutte était couché contre une auge.

Suant aussi et rouge sous le hâle, comme une brique trop cuite, le vaincu se rajustait. Il ne répondait pas à trois ou quatre camarades, qui l’invitaient à venir boire. Il remonta sa ceinture et la boucla. Il épousseta ses flancs chargés de poussière, s’enfonça la casquette sur les sourcils, et s’éloigna. Il était humilié. Passant devant le courtil, quoi qu’il voulût s’en défendre, il jeta de côté un regard sur son rival, et détourna rapidement les yeux, craignant d’y laisser lire l’envie.

 

Contre l’auge, l’agneau attendait son maître. Il était entravé, et les mouches le piquaient aux paupières. Il fermait les yeux. C’était un bel agneau, déjà fort et gras, au poil brillant, bouclé, à la queue large. Il était blanc, et il bêlait. Le vainqueur entra dans la cour, ramassa l’animal, le soupesa; puis, deux pattes dans chaque main, le chargea sur son cou. Tous ensemble, ils sortirent encore et s’en furent à la Croix, avec le vieux Malghorn, fumant sa courte pipe en terre blanche. Malghorn devait bannir[M] l’agneau, et le vendre au plus offrant,—Malghorn, qui est à la fois le fossoyeur, le sacristain et le héraut de la paroisse.

Sur le Calvaire, la Croix brillait dans l’air bleu; et la lumière rayonnait si claire, que le bois noir luisait, le vernis bleuissant et comme humide.

Au pied de la Croix, cependant, était étendu l’agneau. Tantôt, il restait immobile, pareil à un jouet cassé; et tantôt il frémissait, pressé par la vie. Il avait la notion confuse d’un vaste danger, imminent, telle à peu près l’idée que les arbres ont de l’orage. Mais surtout, il avait faim, il avait soif; il tirait un bout de langue râpeuse entre ses babines rondes au poil plus lisse; il avait chaud, en plein soleil; et ayant vu, sur l’autre bord de la route, à travers la clôture en palissade, un large pré en pente, si frais et si vert à l’ombre, il se secoua pour se mettre sur ses pattes, aller brouter: mais il se sentit retenu, et plein de frayeur, bêla.

Malghorn, sans lâcher sa pipe blanche, avait mis l’agneau à l’encan; et pour moins de deux écus, c’est le boucher qui l’obtint. Il s’approcha de la bête couchée et la saisit par la peau du dos, comme un chat. Il l’emportait; et, bêlant, l’agneau tournait vers l’homme sa tête humble, effrayée, et ces yeux naïfs dont on ne sait jamais s’ils supplient, s’ils se résignent, ou s’ils craignent.

A plusieurs qui lui parlaient, le boucher répondait d’un mot: «C’est bien..—Entendu..—Venez ce soir..»

Cependant la vieille mère du cordonnier lui disait avec dépit:

—Vous m’aviez pourtant promis les pattes.

Le boucher lui répliqua:

—Tout est vendu, la mère grand! Mais j’ai pour vous la queue... Elle est grasse.

Et maniant l’agneau plaintif, comme un paquet de laine, il le chargea d’un coup de poing sur son épaule.

LXXIV

LA JEUNE FILLE A LA BAGUE

Près de Kemper. En juillet.

Le crépuscule avait jeté sur la journée grise un manteau royal de brocart rose et d’or, lamé de soie lilas. Les nuées fastueuses du couchant s’étendirent comme une chape sur le dos de la colline; et la campagne, caressée par les reflets verts de la lumière, brilla dans l’ombre bleue du soir.

Le long crépuscule de l’été invitait les bois et la prairie au rêve. La clarté demeurait suspendue sur la tête des hêtres. Et lentement, lentement, pareil à la marée, le soir venait sur la prairie déserte.

Seule, une jeune fille, à la lisière de la lande. A peine si elle paraît vivante. Elle tourne le dos aux lueurs rouges du couchant; et sa forme noire se dresse comme une ombre.

Elle était immobile près de la haie, et sa main reposait sur la barrière. Grande et sombre, elle regardait obstinément vers la mer. Sa coiffe, en forme de hennin carré, se retirait un peu sur le haut de la tête; et les lacets en étaient rejetés sur les épaules... Les cheveux brillaient doucement autour du beau visage blanc, comme sur un vitrail un trait d’or serre une figure.

 

Un épervier, ayant tournoyé, plana bas, morne et lourd; suspendu au dernier rayon de la lumière, on l’eût dit endormi au bout d’un fil d’or...

Elle regardait vers la mer, immobile et rêveuse. Sa main, posée sur la barrière, portait un anneau fin; et, de l’autre, elle jouait avec la bague, la passant et la repassant au long du doigt inerte... Puis, inattentive et toujours rêvant, elle laissa glisser à ses pieds l’anneau qui roula dans l’herbe... Et ce n’est que longtemps après qu’elle le ramassa.

LXXV

CHANT DE LA NUIT

A K... Fin septembre.

La splendeur douce de la nuit chante comme une femme.

La lumière nuageuse plane sans éclat: on dirait un écho, en long point d’orgue.

La lune pâle est sur la dune et sur la mer. Les nuages de la pluie récente se dissolvent dans l’espace, écume blanche et grise, vapeurs effilées: le ciel semble duveté de plumes. La lune est nimbée d’argent. L’air est tiède. La terre est mouillée. Les grillons grésillent... Et les étoiles laiteuses tremblent faiblement...

Il tombe une forte rosée, une humidité presque chaude. Le silence est vêtu de blanc. Il a la voix étouffée de la femme amoureuse qui chante, lorsqu’elle baisse le ton, et que, par la fenêtre ouverte sur la mer, vient au passant la mélodie voilée.

La nuit, qui ennoblit tous les traits et donne de la grandeur à tout, dit ce soir la paix heureuse et le calme de la vie qui se voit décliner. Le paysage l’accompagne en sourdine, et se surpasse pour l’accompagner.

 

L’étroit chemin sous les arbres semble conduire au mystère d’une demeure inconnue. Les pins et les chênes s’ouvrent en avenue: la nuit la rend immense et sacrée comme elle-même. Sous la longue nef de l’ombre, entre les arcs du noir feuillage, une lueur obscure est couchée, comme le ruban d’une rivière. Je me retourne: là-bas, à l’autre bout de l’avenue, la lune ronde pend comme une lanterne à la clé de voûte; et le sable brille: c’est l’esplanade où, de côté, s’élève le palais de l’enchantement...

Le mer est endormie. Les feuillages frémissent de loin en loin. La nuit, au large style qui résume toutes les lignes, chante sous le ciel une mélodie suave, et le clair de lune est son harmonie.

LXXVI

UN VIEUX BRETON

En Tréméoc. Novembre.

La route de Combrit est toujours belle: la lumière ou la pluie y joue toujours avec la jeunesse des feuilles, ou avec leur agonie. Le chemin va sans hâte entre les futaies et les pins: il monte et descend doucement, il s’attarde, il s’arrête, comme une rêverie; et il n’est point d’heure, même quand la saison des étrangers est venue, où l’on ne jouisse encore, sur cette route charmante, d’un moment solitaire.

J’y ai rencontré un vieillard admirable, plus vert et plus robuste en sa haute taille que les jeunes gens. Je l’avais vu riant sous le ciel d’été, parmi la verdure chantante, ce peuple babillard du feuillage, qui ne tient point en place, et n’a jamais de silence. Et je le revis, plus grave et non moins heureux dans la paix muette de l’arrière-saison.

Que sa vie, pleine de calme et de silence, m’a paru belle en ce temps des Morts... Dépouillé, montrant ses bras d’athlète, où la peau tendue ne colle qu’à des os et des muscles, il était tout d’or; et même après les marronniers de Kerséoc’h, ces géants voisins qui ne sont pas du pays, c’est lui, le vieux Breton, qui règne ici, roi séculaire. Poussé du roc, non pas d’une venue, mais tordu et noueux, le tronc moussu, tout cannelé de rides vertes; dédaigneux des rameaux bas; plus large en chaque élan, et semblant au plus épais de chaque nœud renouveler sa base, et se reproduire lui-même en branches puissantes, que ce vieux chêne est fort, et qu’il porte haut son front dur! En vain ployé par le vent d’Ouest, il se redresse et tient tête. Il sort de la roche, grave et noire, sous le capuchon de la terre, comme une fleur de la gaine; et il porte l’âme du sol, comme la fleur porte la ressemblance du bourgeon. Il vient du granit; et il cherche le ciel atlantique, qu’il soit vêtu de lumière, ou tendu de pluie. Chaque souffle mouillé de l’air lui arrache quelques boucles d’or; et il voit choir sa parure avec la même sérénité qu’en sa verdeur il la voyait naître.

Une mendiante sans âge, en haillons, serrant contre elle un enfant malsain, aux yeux morts, se tenait assise au pied de l’arbre. Et je voyais la vie humaine, sinistre, condamnée et misérable, sur le bord du chemin où il lui faut tomber. Ce fils de la femme semblait le fils de la nature malade et de la honte, jeté contre la terre d’où sans passion s’élève le fils de la nature impassible, et qui n’a point d’autre volonté que celle où sa mère obéit.

La mendiante venait de loin, et se traînait depuis la montagne d’Arrez, allant elle ne savait où; le terme était proche: encore une étape, encore un étang; et elle aurait devant soi la mer et les rochers, ces noirs complices qui, le soir venu, font le guet, immobiles, pour le compte de la grande voluptueuse qui soupire, et qui, caressante, tue.

 

Lequel est le plus digne fils de la terre et du ciel pluvieux,—de ceux qui fuient ce pays et se déguisent en gens des villes,—ou de ce noble être, jailli dans toute sa force, comme une source, et qui purifie les sucs obscurs de la glèbe, à mesure qu’ils montent dans son grand corps, et qu’ils coulent, sève violente et sûre, nourriciers à travers lui?

O bel arbre, être puissant et calme sous le soleil et sous la brume, toi qui dures, tu es celui qui sait vivre, et qui a connu le grand secret sans le chercher.

LXXVII

LYS ET PAVOTS

Après-midi de Pardon. En juillet.

Les lys, aux feuilles d’argent,
Sont sur le bord de l’eau, dans les prés...

D’azur, d’émeraude et d’or, le ciel bleu, l’espace blond, les grands arbres au loin et la prairie qui brille... La splendeur et la joie brèves de l’été breton. Le divin soleil inonde d’or le vaste plateau, autour de la chapelle. Dans les bosquets, au creux du vallon, les alouettes ne s’arrêtent pas de triller; et le cri rieur retentit, écho qui se répète, des cailles qui s’appellent, semblables à des enfants qui jouent.

L’ardente lumière se penche sans la flétrir sur la fraîcheur bruissante des sources et les feuillages verts. Ce n’est pas l’été aride du midi. Sous le ciel frémit joyeusement la dentelle des larges arbres et l’herbe épaisse. L’air bleu s’appuie sur les branches; et sous l’ombrage, la clarté sinue lointaine,—dans un tunnel bleuissant, un canal d’or. La route éblouit de blancheur, d’acier vif le long des talus qui flamboient. La brise flotte et sent la mer. Le vent pur fait palpiter une atmosphère de rayons, et passe sur le front des hommes, sur la tête des arbres. Une chaude haleine porte les parfums salés de la vague, et la douceur enivrante des fleurs tièdes, ces amoureuses. Et il court des bouffées pieuses, odorant la cire ardente et l’encens.

 

L’espace est de miel qui poudroie. Sur la lande plane une vapeur rousse. Entre les pins, colonnes brunes aux chapiteaux célestes, étincelle le sable de la baie et la mer glauque: un bouclier d’émeraude sertie dans un disque de cuivre. Pareilles à des ruisseaux, où l’on a effeuillé un nombre infini de roses, les bruyères descendent en sentiers, et coulent sur les pentes de la montagne. Et près d’elles, les genêts éclatants éparpillent leurs robes jaunes, qui semblent des monnoies cornées sur un bord. Un silence magnifique règne parmi la foule des pèlerins; on n’entend que le bourdonnement contenu de la vie, de la joie pieuse, et le grand souffle d’eau, l’orgue infini, le murmure de la mer, qui meurt au bas de la falaise.

 

Un peuple immense va et vient, monte, descend et tourne autour de la montagne. Beaucoup sont pieds nus, le front découvert, le chapeau à la main. Toute cette procession d’hommes, en vingt flots qui se croisent, est noire dans la lumière. Mais la couleur de l’assemblée n’en est que plus éclatante; parmi les bannières éployées, les reliquaires de métal, et le brocart qui scintille, les jeunes filles et les femmes, les beaux visages de perle enchâssés dans les coiffes de dentelle et de linges blancs, se balancent, frissonnent, se baissent et se relèvent, lys candides,—tandis que d’autres femmes, et les enfants vêtus de rouge, coiffés de bonnets écarlates, jaillissent, pavots naïfs, et fleurs de pourpre.

Étincelants, sur le brocart solaire, les pavots et les lys s’épanouissent. Mais au delà de cet or mystique, tout encore, le val, la montagne, les arbres et la mer, tout est vert...

LXXVIII

FUNÉRAILLES

Automne, dans la lande de Loc-Maria.

Au loin, un son de clochette tinta.

C’était une note aiguë et grêle. Elle sonnait lentement, à intervalles inégaux, tantôt plus rapide et tantôt se faisant attendre. On eût dit le son de la bruine tendue sur l’espace, quand elle se résout et tombe en une longue goutte d’eau.

La lande coulait sans fin sous le ciel gris. Il faisait un temps couvert, transi, humide. La pluie tombait parfois dans les langes de la brume, comme un trait de violon monte et descend sur une tenue des cors et des hautbois. Et parfois le soleil, à son déclin, perçant l’enveloppe des nuages, jetait un regard malade, fumeux et las sur l’étendue pluvieuse.

La lande était sans borne, une houle sombre sous le ciel gris. Il était déjà tard; l’après-midi d’automne se perdait dans une heure incertaine. Le désert des ajoncs fuyait sous le lointain brouillard; de buissons en buissons, de fossés en fossés, la plaine du ciel et la terre se parlaient, toujours plus proches l’une de l’autre; et la même vapeur flottait comme une buée entre leurs lèvres grises. La brume transparente, à l’horizon s’était couchée sur le sol, enveloppant les bois d’une robe blanchâtre et cachant les pieds des arbres; ils semblaient surgir, entre ciel et terre, d’un incendie sans flammes.

 

De plus près, la clochette tinta. On ne voyait personne. Puis, on entendit le bruit sourd des roues sur la terre molle, quand elles s’enfoncent dans la boue, et que les pierres de la route trempent dans cette purée grasse, paraissant et disparaissant à la surface comme des épaves sur le flot. La clochette sonna aiguë et plus tintante encore. Un chariot parut, bas sur des roues pleines et jaunes, attelé de deux vaches noires; le front baissé, elles avaient de la boue par plaques, jusque sur les cornes. Un garçon en sabots les piquait. Une vieille femme suivait le chariot, un cierge à la main; et deux hommes, la face noircie par une barbe déjà ancienne, accompagnaient la vieille femme; elle pleurait et murmurait des prières, en reniflant; eux, étaient sombres, impassibles; ils enfonçaient leurs chapeaux de feutre sur la nuque, quand l’averse tombait; et souvent, aux paroles récitées par la mère, ils se découvraient et, chaque fois, se signaient rapidement.

Une chienne, aux longs poils roux, maigre et la queue serrée entre les jambes, suivait la vieille femme sur les talons; elle avait les pattes chaussées de boue jaune; et trempées d’eau, ses oreilles pendaient comme du cuir mouillé, laissant perler des gouttes...

Sur le chariot, un cercueil était couché. Une bâche de toile, rougie au tan, le protégeait de la pluie, écrin d’un trésor misérable; elle s’affaissait déjà sous le poids de l’eau et collait à la bière, en dessinant la forme funèbre comme un linge sanglant. Les hommes répétaient les mots de la prière, sur un ton de demi-chant. Ils avaient la voix grave, un accent lent et guttural. Ils semblaient conduire les obsèques inexorables de la lande, de l’Océan invisible, du ciel et de la pluie...

Ils passèrent.

Le son de la clochette s’éloigna, aigu et triste, un cri d’oiseau blessé...

Il pleuvait plus fort. Le ciel se fit plus livide sur la lande déserte, la lande infinie.

LXXIX

LE MANOIR

Ar Maner Ker Enor, à Plopers... Août.

Que la simple beauté du Manoir paraît inimitable à celui qui la découvre... Comme je venais ce matin d’août, à l’heure où toute la nature semble plus libre, et se réjouir enfantine de l’absence de l’homme,—je tournais le dos à la mer depuis le point de l’aube, et je m’élevais dans un pays montueux, coupé de ravins et de bois. J’avais fait le tour d’un marais jonceux, qui renvoyait du coin de ses lèvres vertes son sourire douloureux à l’aube,—l’aube qui toujours a l’air de rêver dans la torture. Le souffle de cette heure a l’odeur terreuse et le froid humide des cimetières: il arrachait une plainte aux roseaux...

Et voici qu’au delà de la rivière, isolé sur sa hauteur, presque caché entre deux collines, le Manoir se montra: solide, pensif et séculaire. Passé l’étang, et le vent dans les feuilles,—passés les fossés et les bonds de la lande qui fuit,—passée la rivière aux eaux d’argent verdi,—le Manoir semblait la pensée de ce qui dure au milieu de tout ce qui s’écoule; et son être de pierre donnait leur sens aux sombres harmonies du paysage. Toute image de la durée séduit ma tristesse...

 

Il disait la noire mélancolie, la gravité et le songe taciturnes. Non point la tristesse qui se détruit elle-même,—mais celle qui se soutient, et qui repose sur des fondations presque indestructibles. Le grand air du passé ennoblissait cette vieille demeure: ce n’était pourtant qu’une maison longue, aux fenêtres rares; mais à l’un des angles, une large tour ronde, en forme de donjon, lui donnait beaucoup de caractère; la couleur des murailles, le lierre qui les avait revêtues sur les côtés opposés à la façade; et, plus que tout, l’accord de la maison et de la contrée faisaient la beauté du manoir solitaire. Il sentait le granit; il proclamait qu’il en était fait; et sa face hâlée en semblait fière, comme le visage du marin au retour des navigations périlleuses et des longues campagnes. Il paraissait plus vieux que les rocs, pour avoir survécu à beaucoup d’hommes qui le virent, qui y vécurent, et morts, qui le quittèrent. Les larges ormeaux et les hêtres spacieux l’entouraient, s’étageant sur les derrières, comme une famille de compagnons et d’ouvriers domestiques. Au delà des arbres, la Montagne Noire ondulait, couronnée de bois noirs sur le ciel clair, où un beau nuage, réfléchissant la lumière, s’arrondissait comme un dais aux courtines d’or. La lande encore obscure courait dans sa fuite éternelle, traversée de ravins pareils à des rides sur un visage austère, et semée de sentiers gris, lacets d’argent sur une robe de veuve.

De la hauteur, où je me tins dans le silence et la rêverie déjà plus chaude du matin, la mer à l’horizon, la mer n’était plus qu’une pensée confuse de douleur qui sommeille,—et ses aspects, autant qu’ils sont éternels, semblaient d’ici être à jamais sans caprices...

 

La rivière s’illumina, et prit la couleur de l’orange non mûre... Elle poussait gaiement ses eaux vers l’orient qui dore tout ce qui l’approche. Les oiseaux s’éveillèrent; et la lutte tournoyante des insectes, qui n’a jamais de fin pendant le jour, reprit, traçant dans l’espace des courbes non moins fatales que celles des astres. Mais la tour du Manoir, d’où surgirent les charmantes hirondelles, flèches ailées où l’espoir aime à se reconnaître,—la tour parut plus noire que jamais, antique et fixée dans le sol par des murs si épais que toute une maison, aujourd’hui, n’est pas plus épaisse; et, roide en sa méditation, la demeure pensive faisait songer au passé qui se contemple...

LXXX

LE PETIT SAINT JEAN

Statuette. En été, à Kerloc’h.

Au soleil couchant, brillait, pailleté d’or, le chaume roux, égal comme la fourrure d’une bête qui dort. Derrière le mur de la dune, dans le fossé sablonneux, se cache la masure brune, près de la mare à demi desséchée, où l’eau ressemble à la peau gâtée d’un fruit.

Le charmant enfant était debout, à l’entrée de la chaumière. Il se tenait, sans faire un pas, devant le trou noir et bas de la porte. La maison était vide. Il la gardait; et il avait sur les bras une petite fille qui ne parlait pas encore, mais qui parfois bégayait. Il l’avait assise commodément entre son épaule et son coude en équerre. Il se défendait le moindre mouvement, pour ne pas déranger le siège droit, qu’il avait ainsi fait à sa sœur. De l’autre main, tantôt il retenait le frêle équilibre de l’édifice; tantôt il flattait le visage de la petite, ou lui prenait les doigts. Elle avait la tête au niveau de la sienne, et elle lui riait, en bordant ses lèvres l’une sur l’autre, comme font ceux dont la langue ne rencontre pas le rempart des dents.

Il avait dix ou onze ans. Sa beauté était rare et exquise. A moitié nu, on lui voyait les pieds, les jambes et tout le haut de la poitrine. Il était maigre et fin. Il avait la couleur blonde de la terre cuite. Des cheveux dorés entouraient son haut front de boucles harmonieuses, comme les virgules de la vigne,—pampre gracieux sur sa joue et ses tempes. Il avait le col allongé d’une jeune fille, et les yeux d’un bleu profond. Toutes ses lignes étaient longues, sveltes, et d’une maigreur parfaite. Son père avait été un très beau matelot.

A la question s’il était seul, et si son fardeau ne lui semblait pas trop pesant, il répondit en rougissant, d’une voix douce; il avait un charmant sourire, où parlaient une tendre résignation et une dignité naturelle. «C’est la petite sœur, fit-il... Elle m’aime...» Mais il n’en dit pas plus.

Il me parut le petit saint Jean de la dune. Il m’en rappelait un de son âge, que j’ai vu en bronze à Florence, et un autre, vivant et doré comme lui, que j’ai rencontré, un matin, près de San Zanipolo; mais ce Vénitien bavardait avec une jeune fille rieuse, brillante et gaie comme une fleur. Tandis que le petit Breton, debout à la porte du chaume, avait déjà l’habitude du silence; et, comme un vol sur l’eau, l’aile d’un rêve triste passait déjà sur le sombre cristal de ses yeux.

LXXXI

NUIT EN LOCTUDY

12 novembre.

La nuit est noire comme un gouffre.

Le Noroit pousse une pluie épaisse et glacée. La rafale passe, rapide; et le silence, entre-temps, s’établit sinistre, haineux, immense.

On devine la brume plus qu’on ne la voit, à l’éclat voilé des feux, dans le lointain, aux points de l’horizon où l’on cherche les phares. Dans les intervalles que laisse la rumeur du vent, on n’entend que le hurlement rauque de la sirène, et le galop reculé de la terrible Torche. Le ciel et la contrée se confondent en une masse d’encre, où court le reflet lugubre du grand feu de Penmarc’h, semblable à un éclair louche sur un disque de bitume.

Le vent jette contre les vitres les paquets d’eau qui s’y écrasent, et qui dégouttent lentement. De temps en temps, l’eau roule du toit avec un grincement qui ressemble à un cri étouffé de bête. Et la girouette crie, comme une pie enrouée, sur son axe de rouille.

La mer roule sa plainte, là-bas, dans le gouffre de la nuit noire. Le silence est bien plus émouvant de n’être troublé que par elle. Une tristesse forte et large tombe sur tout le pays,—une tristesse qu’on aime comme un hôte divin, inévitable et qui se fait craindre.

Et là-bas, partout, c’est l’Océan qui gronde, sur les bords de la Nuit. La solitude est pleine de cette voix immense. Et celui qui l’écoute,—seul aussi,—reste pensif, s’ennuie à l’idée d’entendre le son de la voix humaine, et sent son cœur profond devenir taciturne...

 

C’est dans le même mois, nuit pour nuit, et par un temps semblable que j’ai perdu ce que j’avais de plus cher au monde. La journée avait été venteuse, livide et froide; le ciel était nuageux. Et le lendemain, je fus seul... Et il plut à torrents... Et dans mon souvenir, je tremble encore à l’horreur où me jetait l’idée de toute cette terre noire, glacée et humide... Hélas! sur cet Amour si profond, que je n’en ai point été séparé sans être à jamais déchiré de moi-même, que de soleils ont passé depuis, que de pluies sont tombées, que de jours et de nuits...

La pensée ne peut fixer longtemps cet abîme, et refuse d’y croire. Ou, il lui faudrait s’y précipiter...

Emporte, emporte-la donc, toi qui sais te répondre, solitaire Océan.

L’ADIEU

19 novembre. Kenavo...

Le dernier jour est venu: voici le matin, dont je ne verrai pas le soir, en Bretagne. Je fais mes derniers pas le long de la mer entre les rocs et la lande. Qui dira votre langueur, promenade de l’Adieu?—La terre que l’on aime est comme une amie affligée, que l’on quitte pendant son sommeil.

J’ai laissé Pont-L’Abbé, et je revois l’Océan terrible. Les nuées de plomb roulent lourdement dans le ciel pluvieux. Et les rocs impassibles, violents et silencieux, comme les résolutions d’une âme volontaire, laissent écumer contre leurs bases la colère des vagues. Le flot monte, noir comme les violettes dans une prairie, par une journée d’orage. Au loin, sous un pan du voile relevé où la lumière passe en éclaircie, le pré des vagues a la couleur d’une sombre pensée, dont le cœur d’or pâle luit sur les pétales bleuâtres... Adieu, donc.

 

Qu’aimerai-je, si je n’aime pas la tristesse, moi qui suis tout passionné et tout triste. Et la tristesse de ce pays pensif est pour mon âme un berceau, où m’endort une mère délicieuse. Celle qu’elle est se retrouve en celui que je suis, et bien faite pour lui, bien fait pour elle.

Elle, qui est si douce, si dure, si frémissante dans ses rêves, et si indifférente au reste de l’univers, connaît bien mon fiévreux ennui. Je vais au bord le plus lointain de la terre, là où la Bretagne s’enfonce dans la mer, maintenant que tous les hommes et ses propres fils se précipitent vers les lieux de la foule; et je leur tourne, comme elle, un dos de granit.

Le tombeau de la mer est celui que j’envie,—la tombe très profonde, où la colère est éternelle comme le mépris, et où la grâce suprême est solitaire. Le tombeau de la mer orageuse est la demeure que j’envie,—celle où la tempête est déserte, et où la paix elle-même est amère.

C’est vous que je préfère, ô vagues,—ou vous, landes muettes sous la brume, entre les arbres pieux, qui baissent la tête, et les rocs indignés à la nuque imployable qui ne cèdent jamais, et qui, tour à tour, pâlissent de courroux, et s’assombrissent de noir dédain.

Je veux mourir ici, où j’ai senti les linges tièdes de l’oubli envelopper mes os brûlants de fièvre, et détendre mes muscles raidis. Je veux mourir ici, où le rêve puissant de la vie s’endort dans une fraîche paix, qui le délasse. Car, où ne se consume-t-il pas de son ardeur? Partout, il se dévore.

Taciturne et plein de chants, selon que l’une ou l’autre passion l’emporte, ici j’ai la terre qui répond ou qui écoute, qui se tait quand il faut, et qui parle. Émeraude au cœur profond, Bretagne, nous nous dirons nos chants. Je veux mourir, roc sur ta roche, où le pâtre aux yeux purs chante encore, tandis que la vierge aux cheveux de lin, pareille au soleil d’avril sur les bouleaux, sourit tendrement de ses lèvres encore aussi virginales qu’elle.

 

Émeraude au cœur profond d’océan, tu es aussi violente et douce. Tes vagues tuent; et tes prairies si vertes font un tapis où les pensers acerbes s’endorment sur le gazon, au pied des chardons à la fleur cuisante.

Puissé-je épuiser ici une vie inépuisable, dont la sève coule dans mes veines comme un fleuve d’or fondu et de puissance croupie. Puissé-je endormir, sous les feuilles pluvieuses de Cornouailles, les bonds de la domination et les humeurs de la volonté, qui se font vénéneuses de grandir secrètes dans mon âme et de pousser sous des chaînes, ensevelies.

Puissé-je étendre à l’infini occidental des vagues le rêve de la grandeur, que prétend insulter la vie. Et puissé-je endormir, sur les derniers bords des solitudes atlantiques, la grandeur de mon désir dans une paix égale..

FIN

TABLE

Dédicace  III
I.Vers l’Ouest1
II.De la Fenêtre8
III.La Paix de Kergoat10
IV.Le Fol et la Sœur blanche13
V.Naïk17
VI.Entrée à Benodet23
VII.Les Vieux26
VIII.Triomphe des Barbares32
IX.La Mer parle36
X.La Danse40
XI.Tugdual43
XII.Bucoliques de Septembre47
XIII.Fin de Fête52
XIV.La Belle du Mail59
XV.Une Hutte62
XVI.Fin du Jour66
XVII.Tempête68
XVIII.Visite au Phare72
XIX.Petits Bretons75
XX.Annonciation du Soir79
XXI.Brumaire81
XXII.Le Jour des Anges84
XXIII.Penmarc’h92
XXIV.Arcadie95
XXV.Calvaire98
XXVI.Seigneurs101
XXVII.Le Pauvre Pêcheur105
XXVIII.Heures d’Automne113
XXIX.L’Ile118
XXX.Le Phare121
XXXI.En Fouesnant124
XXXII.Route au crépuscule128
XXXIII.Les Deux Mam-Gouz131
XXXIV.La Nuit des Fées135
XXXV.Glazik138
XXXVI.Le Jour des Morts141
XXXVII.Le Chant humilie les Bêtes143
XXXVIII.Dunes146
XXXIX.Matin en Mer149
XL.Soir d’Automne152
XLI.La «Douce»155
XLII.Spectacle161
XLIII.Fantômes165
XLIV.La Dame aux Oies168
XLV.Un Champ et le Chemin montant173
XLVI.Le Bain176
XLVII.Le Soir sur la Lande180
XLVIII.Le Vent182
XLIX.Estampe dans le goût du Japon184
L.L’Angelus187
LI.Le Fjord189
LII.Crépuscule d’Octobre191
LIII.Sainte Barbe193
LIV.Pontiques200
LV.Sur le Tertre207
LVI.Combat des Dieux211
LVII.Pavois214
LVIII.L’Homme sans tête216
LIX.Pont-l’Abbé228
LX.Le Voyageur233
LXI.Foin de Rostillec236
LXII.Géorgiques241
LXIII.Port de guerre248
LXIV.La Foi252
LXV.La Lande d’Or257
LXVI.Les Fillettes259
LXVII.Feuilles Mortes262
LXVIII.Arcades Ambo268
LXIX.Les Phares272
LXX.Quête pour la bonne guérison275
LXXI.Fidèle280
LXXII.La Sainte287
LXXIII.L’Agneau293
LXXIV.La Jeune fille à la bague296
LXXV.Chant de la Nuit298
LXXVI.Un vieux Breton300
LXXVII.Lys et Pavots303
LXXVIII.Funérailles306
LXXIX.Le Manoir309
LXXX.Le petit Saint Jean312
LXXXI.Nuit en Loctudy314
  L’Adieu316

Imprimerie Bussière

Saint-Amand (Cher).

NOTES:

[A] Dans l’évêché de Cornouailles, au Bord de la mer bleue.

Cantique Breton.

[B]

Ar Vretoned
pennou kalled...

[C] Vent de Sud-Est: on prononce Suette.

[D] C’est le nom qu’on donne aux Bretons du pays de Pont-l’Abbé, où ils forment sinon une race distincte, du moins un clan singulier par le costume, l’accent et les mœurs particulières.

[E] Mon Dieu! mon Dieu!

[F] Bamm est le mot de Crozon pour dame! et, généralement, le condiment dont il assaisonne tous ses discours.

[G] Mam-Goz,—grand’mère en breton: littéralement, vieille mère.

[H] C’est, pour le Breton, le nom de l’amie ou de la fiancée, de la bien aimée.

[I]

Petra gan
Al lapouzik war al lan?
. . . . . . . . . .
Gan hag gan hé vignonès...

[J] Jeu de mots. Fri, en breton, signifie: le nez.

[K] Comme on les nomme de la pièce caractéristique, qui termine la coiffe des femmes.

[L]

Ann dud jentil nevez zo kri;
Gwel a oa re goz da vistri.

Cf. Barz-az-Breiz, 403.

[M] Mettre aux enchères.

[N] Cantique breton.


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