Le livre de tous les ménages: ou l'art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales
The Project Gutenberg eBook of Le livre de tous les ménages
Title: Le livre de tous les ménages
Author: Nicolas Appert
Release date: June 18, 2014 [eBook #46022]
Most recently updated: October 24, 2024
Language: French
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LE LIVRE
DE TOUS LES MÉNAGES,
OU
L'ART DE CONSERVER,
PENDANT PLUSIEURS ANNÉES,
TOUTES LES SUBSTANCES ANIMALES
ET VÉGÉTALES;
Par M. APPERT,
Ancien Confiseur et Distillateur, Élève de la bouche de la maison ducale
de Christian IV, membre de la Société d'Encouragement pour l'industrie
nationale.
QUATRIÈME ÉDITION,
REVUE ET AUGMENTÉE DE PROCÉDÉS NOUVEAUX, D'EXPÉRIENCES ET D'OBSERVATIONS NOUVELLES.
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«J'ai pensé que votre découverte méritait un témoignage particulier de la bienveillance du gouvernement.»
Lettre de S. Exc. le MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.
——————————————
A PARIS,
CHEZ BARROIS L'AINÉ, LIBRAIRE,
RUE DES BEAUX-ARTS, No 15;
L'AUTEUR, RUE DU PARADIS, No 16, AU MARAIS.
——
1831.
DE L'IMPRIMERIE DE AMB. FIRMIN DIDOT,
RUE JACOB, No 24.
AVIS
SUR LA QUATRIÈME ÉDITION.
Depuis plus de vingt ans que la première édition du Livre de tous les Ménages a paru, des succès constans et multipliés ont prouvé la bonté et l'efficacité de ma méthode. L'on s'accorde à regarder mon procédé comme le meilleur qui puisse être employé, et cependant l'on ne trouve dans les divers ouvrages qui ont été publiés qu'une analyse obscure, incomplète et inexacte des moyens de conservation que j'ai fait connaître.
Les sociétés savantes n'ont point cessé, pendant ce même espace de temps, de s'occuper de la conservation des substances alimentaires. Elles ont proposé des prix pour appeler l'attention sur cet objet important. Je le dis avec orgueil et avec une vive satisfaction: il n'a été publié aucun procédé qui fût supérieur au mien ou qui présentât autant de garantie d'une parfaite réussite.
Toutes ces considérations m'ont engagé à publier une nouvelle édition du Livre de tous les Ménages. Je l'ai revue avec le plus grand soin, et j'ai cherché à la rendre digne de l'accueil que le public a fait aux précédentes. Elle contient l'exposé fidèle de tous mes travaux et les résultats de ma longue expérience. Je les y ai déposés sans réserve ni réticence. Je n'avoue donc que les procédés indiqués dans cette quatrième édition.
Après la destruction de mon établissement à Massy, par suite des invasions de 1814 et 1815, je fus obligé de me réfugier à Paris. J'avais réussi à sauver quelques appareils, et je continuai de me livrer à mes opérations. Le gouvernement m'ayant ensuite accordé un local vaste et commode aux Quinze-Vingts, c'est là que, par de nouvelles recherches et de nouvelles expériences confirmées par une pratique non interrompue, je suis parvenu à simplifier les procédés, à y introduire plus d'économie, et à découvrir les perfectionnemens que je publie dans cette quatrième édition.
J'ai obtenu de l'autoclave les résultats les plus satisfaisans. Dès que l'on aura pu vaincre les craintes que cette machine inspire, et que l'on se sera familiarisé avec son usage, je ne doute pas qu'elle ne soit plus généralement employée.
On trouvera dans cette édition de plus que dans les précédentes:
Tout ce qui est relatif à la confection des boîtes de fer-blanc et de fer battu, destinées à la conservation des substances alimentaires;
La manière de préparer et de disposer les substances animales que l'on veut conserver par ce procédé;
Un nouveau moyen de conserver les vins dont la délicatesse ne permet ni le transport par mer, ni l'emmagasinage dans beaucoup de caves;
Tous mes travaux avec l'autoclave ou marmite à compression, avec une instruction sur la manière de le gouverner;
Un nouveau procédé pour l'extraction de la gélatine des os, sans emploi d'acide;
La confection des tablettes de bouillon économiques;
L'extraction de l'huile de pied de bœuf, si utile dans les arts;
La fonte et la clarification du suif, et sa confection immédiate en chandelles, etc., etc.
AVANT-PROPOS.
Si l'on peut juger de l'utilité d'un livre par l'accueil qu'il reçoit du public, par l'épuisement rapide de plusieurs éditions tirées à un grand nombre d'exemplaires, par sa traduction dans plusieurs langues, par l'analyse qu'en ont faite les journaux, par les témoignages avantageux de plusieurs sociétés savantes, le Livre de tous les Ménages est, à coup sûr, un livre utile.....
Et comment pourrait-il être considéré autrement, lorsqu'il a pour objet de conserver, presque sans frais et pour plusieurs années, dans leur fraîcheur et avec leurs propriétés naturelles, toutes les substances alimentaires, végétales et animales, sans aucune exception?
Sans doute, cette découverte intéressante n'est pas encore portée à son plus haut degré de perfection; cependant elle n'est plus une de ces théories brillantes qui donnent beaucoup d'espoir sans réalité. Fondée sur un principe unique et indestructible, le calorique, elle est invariable dans ses résultats, toutes les fois qu'elle est convenablement appliquée.
Ici la théorie est appuyée sur des faits nombreux, sur un grand nombre d'expériences, dont le résultat est d'une telle évidence qu'il ne peut plus être mis en problème.
La conservation des substances alimentaires a été, dans tous les temps, considérée comme un objet de si grand intérêt, qu'une foule d'auteurs anciens et modernes n'ont pas dédaigné de s'en occuper; mais si les méthodes qu'ils ont publiées ont en effet servi à indiquer quelques procédés utiles, il n'en est pas une seule qui puisse, comme celle dont il s'agit ici, s'appliquer généralement à toutes les substances; il n'en est pas une seule qui soit aussi simple et aussi facile à mettre en pratique.
On ne peut donc confondre la méthode proposée avec aucune de celles imaginées jusqu'à ce jour, et qui se réduisaient à la dessiccation, la salaison ou l'amalgame de substances étrangères à celle qu'il s'agit de conserver; méthodes dont quelques-unes entraînaient à de grands frais, telles entre autres que la conservation des fruits avec le sucre de cannes, et dont toutes altéraient, plus ou moins, les qualités naturelles des substances conservées[1].
Dans toutes ces méthodes, tout est compliqué et altéré; ici les procédés sont de la plus grande simplicité.
L'auteur ne vous dit pas: le procédé que je vous indique, je le tiens d'une bonne ménagère; mais il vous dit: je le tiens de quarante ans de travaux, et de quarante années d'expérience; je vous en garantis le succès, bien entendu toutefois que vous suivrez exactement tous les moyens qui vous sont indiqués.
L'auteur ne vous dit pas: vous conserverez par ce procédé tels ou tels fruits, tels ou tels légumes; mais il vous dit: à l'aide de ce procédé vous pouvez, avec sécurité, transporter dans votre cave tout ce que produit votre jardin, soit au printemps, soit dans l'été, soit dans l'automne; et après plusieurs années vous trouverez ces substances végétales aussi bonnes, aussi salubres, que lorsque vous veniez de les cueillir; et, par une sage prévoyance, vous pouvez ainsi vous garantir des privations de la disette.
Ce procédé, ajoutera-t-il encore, s'applique non-seulement aux substances végétales, mais encore à toutes les substances animales, c'est-à-dire, aux viandes de boucherie, aux bouillons, aux consommés, à la volaille, au gibier, aux poissons, au lait, au petit-lait, aux œufs, et généralement à tout.
Il vous dira enfin, que les plantes médicinales et leurs sucs, si nécessaires à la santé, se conservent, par le même procédé, dans leur fraîcheur et leurs qualités primitives.
Ainsi, tous les ménages, sans aucune exception, peuvent se procurer des jouissances ou des ressources. Mais c'est ici que la découverte dont nous parlons présente un grand intérêt. Les salaisons et les légumes secs sont la base de la nourriture des marins. Diverses tentatives ont été faites pour améliorer la nourriture des équipages, et l'on est parvenu à rendre les salaisons aussi bonnes que possible. Aux dangers pour la santé qui résultent de l'emploi prolongé de ces substances, il faut ajouter les pertes occasionnées par des salaisons préparées avec peu de soin, vieillies ou mal logées à bord des vaisseaux, et par des graines légumineuses que leur long séjour à la mer ne permet plus d'employer. Aujourd'hui, les armateurs n'en auront plus à supporter, et les marins, dont la santé est si souvent altérée par la mauvaise qualité des substances alimentaires qui leur sont destinées, transportent à fond de cale tout ce qui est utile à leur existence et à leur santé; ils retrouvent, au milieu des flots, dans les voyages de long cours et dans les contrées les plus éloignées, les alimens auxquels ils sont habitués; et aussitôt on verra disparaître le scorbut, ce fléau destructeur de la santé de ceux qui se dévouent au service ou aux spéculations maritimes[2].
En 1822, je fus chargé par S. Exc. le ministre de la marine, de fournir les substances alimentaires, conservées d'après mes procédés, destinées à l'approvisionnement des malades, à bord des bâtimens de l'état. Mes vœux étaient enfin exaucés: cette heureuse circonstance fut pour moi une preuve évidente que la bonté et l'efficacité de mes procédés étaient définitivement reconnues et qu'ils étaient désormais à l'abri de toute critique. Je continuai ce service pendant plusieurs années, et jusqu'à ce que le ministre eut fait établir à Bordeaux une fabrique semblable à la mienne. A cette époque, je consommais souvent deux ou trois bœufs par jour. Ce fut alors que je commençai mes expériences sur la fonte des suifs en me servant de l'autoclave. J'ai réussi à fondre et clarifier le suif et à le couler immédiatement en chandelles. On trouve le détail de ces expériences dans cette quatrième édition.
Mais, dira-t-on peut-être, comment l'auteur d'une telle découverte n'a-t-il pu parvenir à la faire adopter par tous les établissemens publics, par tous les ménages?
La question est naturelle; mais la réponse est facile.
Pour qu'une découverte soit ainsi généralement adoptée, il faut qu'elle ait obtenu l'assentiment d'un grand nombre d'individus. Cet assentiment ne peut avoir lieu que quand ces individus sont convaincus de ses avantages; pour acquérir cette conviction, il faut qu'ils fassent eux-mêmes les expériences nécessaires, et pour peu que ces expériences demandent quelque attention ou présentent quelques difficultés, la paresse, l'insouciance les ont bientôt abandonnées.
D'ailleurs, avant que le procédé fût mis au jour, beaucoup de personnes et quelques-unes même très-distinguées par leurs connaissances en physique et en chimie, ne voulaient pas croire à la simplicité du procédé. Plus le résultat était extraordinaire, plus elles s'en méfiaient; et parmi les personnes instruites dont nous venons de parler, il s'en est rencontré qui sont allées jusqu'à prétendre que quelques ingrédiens secrets et même dangereux étaient le principe et la base de la conservation.
Aujourd'hui que le procédé est au grand jour, ces doutes doivent nécessairement disparaître; et quand on peut par soi-même, et avec la plus grande facilité, s'assurer de la simplicité du procédé et de l'excellence du résultat, il faut bien céder à l'évidence.
Quel est, au surplus, l'intérêt actuel de l'auteur de cette découverte? de vendre les substances qu'il a conservées? Il en offre, en effet, aux consommateurs; mais son but a toujours été de faire jouir tous les établissemens publics, et particulièrement la marine et tous les ménages, du fruit de ses longs travaux.
Sa méthode n'a plus rien de caché: il l'a décrite, il entre dans les plus petits détails; il craint tant que l'inexpérience fasse manquer ses procédés, qu'il croit n'en avoir jamais assez dit pour prévenir jusqu'aux moindres inconvéniens. Elle est de la plus facile exécution dans les grandes opérations, et présente, comparativement aux approvisionnemens habituels pour la nourriture des marins, une économie de 40 à 50 pour cent, déduction faite des avaries. Les administrations trouveront plus d'avantages dans les fournitures par entreprises qu'en faisant confectionner ces conserves dans des établissemens dirigés à leurs frais.
C'est pour vous particulièrement qu'il écrit, tendres et intéressantes mères, qui êtes pour vos familles une seconde providence. Hâtez-vous de mettre ces procédés en pratique, hâtez-vous de recueillir avec soin le superflu de ces fruits, de ces légumes que les saisons favorables vous offrent en abondance, et dont une maturité trop prompte va bientôt vous priver. Un jour viendra où, dans le triste hiver, la bouche enflammée de vos enfans malades sera délicieusement rafraîchie par ces substances salutaires. Un jour viendra où vous offrirez, avec une douce satisfaction, ces légumes agréables et ces fruits délicats que votre prévoyance aura su conserver. Le plaisir commandera la reconnaissance, le bonheur de votre famille sera votre récompense, et, pour faire tant de bien, il ne vous aura fallu que le vouloir.
Mais, dira-t-on avec quelque impatience, quel est donc ce principe conservateur qui opère tant de merveilles?
C'est la chaleur, le feu.
Ce principe si pur agit de la même manière et opère les mêmes effets sur toutes les substances alimentaires; c'est son action bienfaisante qui, en les dégageant du ferment toujours destructif de leurs qualités primitives, ou en le neutralisant, leur imprime ce sceau d'incorruptibilité si fécond en heureux résultats.
Ainsi nulle inquiétude sur le principe conservateur; il ne peut jamais avoir d'influence fâcheuse sur la santé: il le peut d'autant moins, que c'est à ce principe dépuratoire que nous soumettons la plus grande partie des alimens qui servent à notre subsistance.
Quelques objections ont encore été faites: d'abord, a-t-on dit, la méthode n'est pas neuve, elle n'est pas basée sur une nouvelle propriété du calorique; cette propriété existait; on l'avait soupçonnée, puisque plusieurs personnes ont conservé des cerises, des petits pois, des haricots, etc.
On lit dans le Bulletin de Pharmacie, no 7, deuxième année, 2 juillet 1810, page 328 et suivantes[3]:
«Nous avons examiné plusieurs objets, tels que petit-lait, fruits et sucs de fruits, conservés par M. Appert; l'état de ces substances et leur manière d'être enfermées dans des vases de verre, nous firent soupçonner, dès cette époque, ainsi que nous l'annonçâmes alors, qu'il employait une méthode déja usitée dans plusieurs départemens.»
L'auteur du Livre de tous les Ménages ne prétend pas être le premier qui ait conservé des petits pois en bouteilles, puisqu'il est à sa connaissance que depuis plus de cinquante ans on a fait plusieurs essais de ce genre.
Ces essais se sont multipliés, surtout depuis seize ans qu'il a formé une nouvelle branche de commerce des substances alimentaires conservées par sa méthode; mais tous ces essais, basés sur des recettes routinières, prouvent qu'on s'était borné à un très-petit nombre d'objets, et qu'on ne s'était nullement occupé de recherches ou d'expériences propres à développer et à étendre l'application du principe conservateur.
Aussi ces essais faits sur quelques objets futiles de ménage, loin de hâter les progrès de l'art, n'ont présenté que beaucoup d'incertitudes et d'avaries. C'est avec ces essais qu'on a trompé le public, en vendant des légumes que l'on disait conservés par l'auteur du Livre de tous les Ménages; c'est avec ces essais imparfaits qu'on a dégoûté les consommateurs, et qu'on est parvenu à atténuer la confiance qu'avaient si justement méritée les productions alimentaires de sa fabrique.
L'auteur a fait des écoles et a reçu des leçons, comme on peut bien le penser. Le premier objet qu'il est parvenu à conserver a fixé son attention. Il n'y a pas d'effets sans cause, s'est-il dit, et si cette cause opère si merveilleusement sur une production, elle doit nécessairement opérer de même sur beaucoup d'autres.
C'est par suite de ce raisonnement qu'il s'est livré à de nouvelles expériences, avec des tâtonnemens et des sacrifices infinis.
C'est alors qu'il fit faire des bouteilles et des vases en verre, de dimensions propres à ses expériences; c'est alors qu'il rechercha le meilleur liége pour faire des bouchons de trois à quatre pouces de diamètre, composés de trois, quatre et cinq pièces.
C'est alors qu'il fit faire des mâchoires à levier pour comprimer les bouchons, etc. etc.
C'est alors qu'il a fait faire des boîtes en fer-blanc, en fer battu, etc. etc.
C'est à l'aide de ces nouveaux moyens, et à force d'attention, de soins et de surveillance, qu'il obtint la conviction que l'influence et l'action du feu opéraient la conservation parfaite des substances alimentaires.
Le degré de chaleur nécessaire à chacune de ces substances, fut l'objet de nouvelles recherches; et les expériences à cet égard ont été tellement multipliées, et si souvent répétées, que l'indication qu'en donne l'auteur est aujourd'hui d'une certitude complète.
Telle est la marche lente, opiniâtre et progressive à l'aide de laquelle l'auteur du Livre de tous les Ménages est parvenu, après quarante années de sacrifices et de travaux, à transformer en méthode certaine et raisonnée un procédé que le hasard avait seul découvert, et dont une routine grossière et aveugle avait retardé le développement, qu'elle eût même forcé d'abandonner, par les inconvéniens et les avaries qu'elle entraînait avec elle; méthode qu'il a mise à la portée de tout le monde, en la rendant publique.
Il faut donc convenir que, si différens procédés ont été anciennement employés dans plusieurs ménages pour conserver quelques légumes et quelques fruits en bouteilles, ils étaient tellement restreints, tellement basés sur une simple routine, qu'ils n'avaient pu ni dû fixer l'attention des gens de l'art, ni celle des théoriciens, tandis que ceux décrits dans le Livre de tous les Ménages, s'appliquent à tout, ont des bases si certaines, qu'il est impossible de s'égarer en les mettant en pratique, et sont d'une telle simplicité, que toutes les classes de la société peuvent jouir des avantages précieux qu'ils présentent.
Cette vérité est à-peu-près généralement reconnue. Les auteurs du même Bulletin de Pharmacie, pages ci-dessus citées, conviennent que le Livre même de tous les Ménages prouve que son auteur a beaucoup perfectionné cette branche d'industrie, et imaginé une foule de précautions sans lesquelles il est impossible de réussir aussi complètement que lui.
Ils ajoutent qu'il a, de plus, le mérite d'avoir cherché et d'être parvenu, par ce moyen, à conserver des préparations végétales et animales les plus susceptibles d'altération, ce qui n'avait pas été fait, ou au moins publié avant lui.
Ils disent qu'ils s'empressent de faire connaître son mode d'opération, en le suivant, surtout dans ses applications aux objets qui intéressent plus particulièrement la pharmacie, renvoyant, pour le reste, à l'ouvrage même.
Après avoir parlé de la manière de conserver le petit-lait, et de celle de préparer et conserver un bouillon pectoral, fait en la présence de M. Boudet, l'un d'eux, et qui s'est trouvé au bout de six semaines aussi parfait qu'au moment de sa confection, ils ajoutent qu'il en a été de même des sucs des plantes, tels que ceux de laitue, cerfeuil, bourrache, chicorée sauvage et cresson, dépurés à froid, introduits dans des vases convenables et soigneusement bouchés, avec la précaution de n'employer qu'un bouillon au bain-marie. Un seul bouillon, disent-ils encore, suffit de même pour les sucs acides des fruits. Un degré de chaleur plus prolongé en altérerait la couleur.
«M. Appert, continuent-ils, est parvenu, par son moyen, à conserver des plantes entières, telles que la menthe poivrée.
«Du moût de raisin sortant du pressoir, et du sirop, beaucoup moins cuit qu'il n'est convenable pour la conservation, se sont trouvés dans le meilleur état au bout d'une année et au-delà.
«Quel parti, ajoutent-ils, convaincus de l'excellence de la méthode dont nous parlons, ne pourra-t-on pas tirer de ce principe conservateur, pour procurer aux malades, dans toutes les saisons et dans tous les pays, les produits extraits du règne végétal et animal, doués de toutes les propriétés qu'ils possédaient au moment de leur confection, ou jouissant d'une énergie toute particulière et qui nous est inconnue, en faisant extraire, sur les lieux les sucs de certains végétaux, ou partie de végétaux qu'il importerait de connaître, avant qu'ils eussent subi aucune préparation capable de les altérer en aucune manière?»
Après avoir cité Boerhaave et Jean-Rodolphe Glauber qui, avant l'auteur du Livre de tous les Ménages, se sont occupés de la conservation des substances alimentaires, les auteurs du Bulletin transcrivent, sans aucune observation critique, les avantages qui distinguent la méthode de l'auteur du Livre de tous les Ménages; ainsi ils se trouvent d'accord avec tous les savans distingués qui déja l'avaient sanctionnée[4].
Ainsi plus de doute que, comme on l'a avancé dans la première édition, cette méthode ne présente, même pour les préparations qui intéressent plus particulièrement la pharmacie, de grands avantages sans aucune espèce d'inconvéniens.
«Il paraîtrait assez curieux et surtout intéressant, lit-on encore dans le même Bulletin, d'établir la théorie des phénomènes obtenus au moyen des procédés de M. Appert, pour la conservation des substances les plus altérables; mais le procédé n'est pas connu depuis assez de temps, pour qu'il ait été possible de faire toutes les expériences nécessaires à cet effet.
«M. Appert, y est-il dit enfin, donne, il est vrai, son explication; mais elle ne nous a pas paru satisfaisante.»
Depuis plus de vingt ans, l'auteur du Livre de tous les Ménages, qui d'ailleurs a été toute sa vie employé dans les ateliers relatifs à la préparation et à la conservation des substances alimentaires, tels que les caves de la Champagne, les brasseries, les offices, les magasins d'épiceries et de confiseurs[5], s'est exclusivement occupé des expériences à l'aide desquelles il pouvait parvenir à donner le plus grand développement au principe conservateur qui avait fixé son attention. L'application successive qu'il a faite de ce principe à toutes les substances alimentaires connues, a constamment produit le même résultat, la parfaite conservation de ces substances, d'où il a conclu que l'action du feu détruisait ou au moins neutralisait tous les fermens qui, dans la marche ordinaire de la nature, produisent ces modifications qui, en changeant les parties constitutives des substances végétales et animales, en altèrent la qualité.
Si cette explication n'est pas suffisante, l'auteur du Livre de tous les Ménages laisse à ces génies qui depuis long-temps s'occupent de l'étude de la nature, et qui ont été souvent assez heureux pour lui surprendre ses secrets, à découvrir celui dont il s'agit dans cet instant[6].
En attendant, ces procédés peuvent être mis en pratique avec autant d'avantage que de sûreté; puisque, abstraction faite de la connaissance de l'action du calorique, il est généralement reconnu d'avance, tant par les chimistes et les pharmaciens que par les sociétés savantes, que cette manière de conserver les substances alimentaires ne peut jamais avoir aucun inconvénient, et que ses avantages sont aussi incalculables que certains.
LE LIVRE
DE TOUS LES MÉNAGES,
OU
L'ART DE CONSERVER,
PENDANT PLUSIEURS ANNÉES,
TOUTES LES SUBSTANCES ANIMALES
ET VÉGÉTALES.
1o A renfermer dans des bouteilles ou bocaux, et dans des boîtes de fer-blanc ou de fer battu[7], les substances que l'on veut conserver;
2o A boucher ou souder ces différens vases avec la plus grande précision, car c'est surtout de cette opération que dépend le succès;
3o A soumettre ces substances, ainsi renfermées, à l'action de l'eau bouillante d'un bain-marie, pendant plus ou moins de temps, selon leur nature, et de la manière que j'indiquerai pour chaque espèce de comestibles;
4o A retirer les bouteilles et boîtes du bain-marie au temps prescrit.
CHAPITRE I.
Description des ateliers et appareils que j'ai établis, pour l'exploitation en grand de mon procédé[8].
La première pièce au rez-de-chaussée, de 55 pieds de long sur 28 pieds de large, est divisée sur sa longueur en six parties:
La première est destinée aux expéditions, emballages, etc.
La seconde forme le magasin des préparations confectionnées et destinées à la vente.
La troisième, plus spacieuse que les précédentes, est celle où les viandes de boucherie, la volaille et le gibier sont détaillés et disposés pour la cuisson.
La quatrième, exposée au nord, renferme le garde-manger et l'office, séparés l'un de l'autre par une cloison.
La cinquième, à côté et à la même exposition, est garnie dans son pourtour de tringles ou de supports auxquels se peuvent accrocher à la fois jusqu'à trois ou quatre bœufs. Dans cette pièce sont placés les objets ci-après, destinés au bouchage, savoir:
1o Un dévidoir pour le fil de fer servant à ficeler les bouteilles et autres vases. Pl. 1, fig. 1.
2o Un petit tour pour tordre le fil de fer, lorsqu'il est dévidé et coupé de longueur. Pl. 1, fig. 2.
3o Deux mâchoires à levier pour mâcher les petits et les gros bouchons. Pl. 1, fig. 3 et 4.
4o Un tabouret monté sur cinq pieds, pour ficeler. Pl. 1, fig. 5.
5o Un casse-bouteilles ou billot a monté sur trois pieds, garni d'une forte palette b pour boucher. Pl. 1, fig. 6. La fig. 7 représente la surface.
6o Pinces-cisailles pour tordre et couper le fil de fer sur le bouchon. Pl. 1, fig. 8.—Avec cet instrument de nouvelle invention on a l'avantage de pouvoir tordre le fil de fer et le couper, sans être obligé d'employer successivement la pince et la cisaille.
7o Cisaille, Pl. 1, fig. 9, servant à couper le fil de fer en deux parties égales, lorsqu'il est sur le dévidoir, fig. 2.
8o Crochet et tire-bouchon réunis; le crochet est destiné à couper au-dessous de la bague le fil de fer qui ficèle les bouteilles et bocaux. On se sert du tire-bouchon pour les gros bouchons. Pl. 1, fig. 10.
9o Une quantité suffisante de sacs de treillis pour envelopper les bouteilles et autres vases.
10o Deux tabourets couverts en cuir, rembourrés de foin, pour tasser ceux d'entre les objets renfermés dans les vases, qui ont besoin de l'être. Pl. 1, fig. 8.
11o Une presse pour les sucs de plantes, de fruits, d'herbes et le moût de raisin, avec des terrines, vases, tamis, et tout ce qui est nécessaire[9].
La sixième et dernière partie est la cuisine, Pl. 2, fig. 1: elle est garnie de toute sa batterie, et de sept fourneaux économiques a, a, a, a, a, a, a pour l'apprêt des sauces, sautés, etc.; d'une paillasse b pour les grillades, et de deux coquilles c, c, et d'un tourne-broche d propre à rôtir à la fois 50 ou 60 livres de boucherie.
Sous le vestibule en sortant est un grand fléau garni de ses poids.
A la suite de ce vestibule est l'atelier de ferblanterie où se confectionnent les boîtes; il est divisé en deux pièces de chacune environ 15 pieds de long sur 28 de large. Vingt-cinq à trente ouvriers y peuvent travailler commodément.
Plus loin sur le même plan et en retour d'équerre à droite, une très-grande pièce de 150 pieds de long sur 28 de large et 17 de hauteur, divisée en six parties:
Les deux premières en entrant par la cour, d'ensemble 60 pieds de long, forment le laboratoire où s'opèrent la cuisson des substances et l'application du calorique par le bain-marie; ou par la vapeur, lorsqu'il s'agit de clarification ou de réduction.
Dans ces deux pièces sont construits, en briques de Bourgogne, treize fourneaux économiques, Pl. 2, fig. 2, élevés de 4 pieds sur 4 pieds de large, y compris la saillie, à la base, de 8 pouces de largeur sur 7 pouces de hauteur, sur lesquels sont montés autant d'appareils, consistant:
1o En une grande chaudière à vapeur, Pl. 3, fig. 1, de 48 pouces de diamètre sur 24 pouces de profondeur, garnie d'un robinet et fermée d'un fort couvercle a, percée de quatre ouvertures de 16 pouces de diamètre, dans chacune desquelles est montée une poêle b de même dimension sur 5 pouces de profondeur, armée d'un robinet et destinée à recueillir les réductions.
Au milieu de ces quatre poêles existe un chapiteau conique c de 7 pouces de diamètre à sa base, soudé sur une ouverture de même dimension pratiquée dans le couvercle de la chaudière au-dessus duquel il s'élève de 10 pouces. Ce chapiteau présente à son sommet trois ouvertures d: les deux premières reçoivent chacune un conducteur de chaleur f de 15 lignes, environ, de diamètre; l'un desdits est garni, près du chapiteau, d'un robinet à deux eaux g. La troisième ouverture sert à l'introduction dans la chaudière de l'eau nécessaire à l'entretien de la vapeur, et est fermée par un bouchon.
Le premier de ces conducteurs f qui porte 70 pieds de long, chauffe une étuve placée à l'entresol près de l'appareil. Après avoir fait le tour de cette étuve, il revient en contrebas rendre dans un vase h posé près de la chaudière, l'eau et l'excédant de la vapeur.
Comme ce conducteur, en sortant du chapiteau de la chaudière, décrit dans sa longueur une ligne ascendante et descendante, une partie de l'eau condensée rentre dans ladite chaudière, et l'autre va se perdre dans le réservoir h dont il vient d'être parlé.
Lorsque, le robinet de ce premier conducteur est fermé, le second, qui parcourt un espace de près de 50 pieds, porte le calorique, au moyen d'un double robinet à trois eaux i, dans deux cônes en bois e, e cerclés et garnis en cuivre.
Le diamètre de ces cônes est de 2 pieds 6 pouces à leur base, et de 19 pouces à leur orifice; leur hauteur est de 2 pieds; ils sont armés chacun, vers le bas, d'un robinet k pour l'écoulement de l'eau produite par la vapeur condensée, et vers le haut, d'une petite soupape de sûreté l.
Chacun de ces cônes est surmonté d'un dépuratoire m de la forme d'un cône renversé, portant 14 pouces de haut sur 27 de diamètre par le haut, et 19 pouces par le bas. Ces dépuratoires sont également armés de leurs robinets o. Leur usage est la cuisson de toutes les substances, la clarification de la gélatine et la préparation des gelées de viandes.
2o En trois fourneaux montés de trois autoclaves a, a, a, de la contenance de 300 à 400 litres, garnis de leurs couvercles et soupapes de sûreté. Pl. 2, fig. 2.
3o Sept fourneaux portant autant de grandes chaudières b, b, b, b, b, b, b de 300 à 400 litres, garnies de couvercles et de forts robinets[10]. Pl. 2, fig. 2.
4o Deux autres fourneaux c, c de 16 pouces de diamètre, surmontés l'un d'un dépuratoire d, et l'autre d'un petit autoclave d2 de la contenance de 60 litres, destiné aux petites opérations. Pl. 2, fig. 2.
La troisième pièce, après les deux laboratoires que l'on vient de décrire, est garnie de 500 à 600 moules en fer-blanc, destinés à couler la gélatine en tablettes.
La quatrième pièce ensuite est celle où s'opère l'évaporation par le moyen d'un appareil, dit: Evaporateur à surfaces, pour la concentration de la gélatine et autres liquides, Pl. 4, fig. 1, inventé par M. Ch. Derosne, et dont voici la description:
A. Réservoir alimentaire supérieur, contenant la dissolution gélatineuse.
B. Régulateur de la quantité qui doit couler dans un temps donné.
C1, C2, C3. Chaudières de circulation dans lesquelles la dissolution gélatineuse coule continuellement en s'évaporant. Ces chaudières sont placées sur trois étages les unes au-dessus des autres.
Le réservoir alimentaire A est muni d'un robinet d auquel est adaptée une boule flottante b, qui, par son élévation ou son abaissement, permet un écoulement plus ou moins considérable du liquide.
En sortant du robinet d le liquide tombe dans le régulateur B qu'il remplit plus ou moins, suivant le jeu qu'on veut donner à la boule flottante b, et il en sort par les petits robinets f et les tuyaux g pour se rendre sur chaque division inférieure de la chaudière à surface.—Ce liquide parcourt les sinuosités établies par les bandes h, h, h, h fixées sur les fonds des chaudières, et tombe par le tuyau g sur la deuxième chaudière dont il parcourt également les divisions pour de là se rendre par un tuyau semblable g sur la troisième chaudière dont il suit aussi les sinuosités. Arrivé à la dernière division de cette chaudière, la solution gélatineuse tombe dans un récipient par le tuyau k.
On voit, Pl. 4, fig. 1, deux systèmes d'appareils d'évaporation accolés l'un à l'autre.
Un seul réservoir alimentaire et un seul régulateur servent pour les deux systèmes.
Les dissolutions gélatineuses, en parcourant les divisions des chaudières sont concentrées, en restant le moins de temps possible exposées à l'action détériorante du feu. On pourrait à la rigueur les évaporer en une seule fois, mais pour obtenir ce résultat, il faudrait ne laisser couler à la fois qu'une couche bien mince de liquide, ce qui exigerait beaucoup de surveillance dans la manière de conduire le feu. Dans un travail un peu en grand on peut pousser le feu vivement, sauf à repasser plusieurs fois dans le réservoir alimentaire les liquides soumis à l'évaporation.
Les fourneaux sont disposés de manière que le feu, après avoir frappé le fond de la première chaudière se rend sous la deuxième, puis sous la troisième, et enfin sous le réservoir alimentaire, toujours en abandonnant du calorique sous ces chaudières, de sorte que lorsque l'air comburé arrive dans la cheminée, il est dépouillé de la plus grande partie du calorique qu'il contenait originairement.
Cet ingénieux appareil d'évaporation que je dois à l'obligeance de M. Ch. Derosne, déja si connu par les services importans qu'il a rendus à l'industrie, m'a mis à même d'évaporer des quantités très-considérables de solutions de gélatine. J'obtenais, par jour, 200 à 250 kilogrammes de gélatine, rapprochés au degré convenable, pour être coulé en tablette.
M. Ch. Derosne, dans le brevet d'invention qu'il a cru devoir prendre pour ce système d'évaporation, a donné la description d'une foule de modifications qu'on peut apporter à cette sorte d'appareils. Dans une de ces modifications il ne chauffe les chaudières évaporatoires qu'au moyen de la vapeur sans pression; dans une autre il emploie un appareil complexe dont une partie est chauffée par l'action directe du feu, et produit elle-même la vapeur qui, forcée de passer sous des plateaux, sert à l'évaporation d'une nouvelle quantité de matière, de sorte qu'on a deux produits pour un, c'est-à-dire, l'un évaporé à feu nu, et l'autre par la vapeur. Quant à moi, je me suis borné à employer l'appareil tel que je l'ai décrit; mais il est évident que ce système, plus ou moins modifié par M. Ch. Derosne, peut servir à l'évaporation d'une foule de substances qui ne sauraient être évaporées à feu nu sans crainte de les altérer.
La cinquième pièce, séparée de la précédente par une simple cloison, est garnie de rayons et sert au dépôt des matières préparées pour les diverses opérations.
La sixième pièce, de 60 pieds de long sur 28 de large et 17 de haut, forme le grand magasin, et renferme le bois et les piles d'os de Canards[11], ou têtes de bœufs décharnées, dont on extrait la gélatine.
Au-dessus de ce magasin est un grand séchoir de 100 pieds de long sur 27 de large et 13 de hauteur, garni de corps de rayons supportant plus de 400 châssis en canevas, sur lesquels s'étendent les tablettes de gélatine, avant d'être placées dans la grande étuve. Cette pièce sert aussi à emmagasiner la gélatine confectionnée et renfermée dans de grands coffres. Les bouteilles, les bocaux, et les bandes de liége employé à faire les bouchons de plusieurs morceaux sont aussi déposés dans ce séchoir.
La grande étuve placée vers le milieu de la pièce que l'on vient de décrire, est garnie dans son pourtour et sur toute sa hauteur de corps de rayons destinés au même usage que les précédens. Elle peut être chauffée jusqu'à 35 degrés et plus par le tuyau de cheminée de l'appareil évaporateur dont on a parlé plus haut. Lorsque cet appareil n'est point en activité, on a recours aux poêles ordinaires.
Sur la cour et en face des précédens ateliers, est encore un laboratoire divisé en trois parties.
Dans la première sont construits trois fourneaux montés chacun d'une chaudière avec couvercle et robinet, l'une de 2 pieds 8 pouces de diamètre sur 14 pouces de profondeur, une autre de 16 pouces de diamètre sur pareillement 14 pouces de profondeur. Un de ces fourneaux contient la chaudière destinée à rapprocher le lait. On trouvera la description de cet appareil à l'article Lait.
C'est dans cette pièce que se font cuire les Canards ou têtes de bœufs, pour être ensuite décharnés dans les deux pièces suivantes.
En dehors est pratiqué un spacieux réservoir en pierre recevant par un conduit l'eau d'une pompe distante de près de 50 pieds, et auprès de laquelle est établi un second réservoir aussi en pierre recevant l'eau d'un autre réservoir garni en plomb et situé au-dessus de la pompe. Ce dernier réservoir en alimente un quatrième, qui, par un conduit, amène l'eau dans une pièce dite le Lavoir, où sont de grands baquets destinés à dégorger et laver les têtes de bœufs au sortir de l'abattoir.
J'ai la précaution de faire confectionner d'avance un assortiment de boîtes de fer-blanc de toutes capacités dont je prévois le besoin, de la manière qui sera indiquée tout-à-l'heure: je fais également ma provision de bouteilles et de vases de verre de toutes grandeurs et d'embouchures convenables, ainsi que des meilleurs bouchons et de fil de fer bien recuit, choisi du calibre convenable à ficeler. Le tout ainsi prévu, j'ai l'attention, deux jours avant d'opérer, de bien laver les boîtes ainsi que les vases de verre en quantité suffisante pour l'opération. Je passe aux mâchoires les bouchons, je tiens le fil de fer tout prêt; lorsque le tout est ainsi préparé, les opérations sont à moitié faites.
Le principe conservateur de toutes les substances alimentaires est invariable dans ses effets; les résultats dépendent de son application d'une manière convenable à chacune d'elles, suivant leur nature, avec la privation de l'air. Cette dernière précaution est de la plus grande rigueur pour parvenir à la parfaite conservation. Un moyen sûr de priver les substances alimentaires du contact de l'air, c'est d'avoir une parfaite connaissance des boîtes de fer-blanc ou de fer battu, de leur fermeture, des vases de verre qu'on emploie, ainsi que des bouchons et de la manière de bien boucher.
CHAPITRE II.
Des bouteilles et bocaux de verre.—Des bouchons.—Du bouchage.—Du
ficelage des bouteilles.—Du lut pour les bouteilles et bocaux.—Des
vases de grès.
Des bouteilles et bocaux de verre.
Les bouteilles ordinaires ayant généralement des embouchures mal faites et trop étroites, étant d'ailleurs trop faibles pour résister sous la palette et à l'action du feu, j'avais imaginé d'en faire fabriquer, dont les embouchures fussent plus grandes et avec étranglement, c'est-à-dire avec un petit filet saillant dans l'intérieur de l'embouchure, au-dessous de la cordeline ou bague. Je pensais que le bouchon introduit de force, sur le casse-bouteilles dont j'ai parlé, à l'aide de la palette et jusqu'aux trois quarts de sa longueur, serait étranglé par le milieu; que de cette manière la bouteille parfaitement bouchée à l'extérieur et à l'intérieur opposerait un plus grand obstacle à la dilatation qu'opère l'application du calorique sur les substances qu'on y renferme. J'étais d'autant plus convaincu de la nécessité de boucher ainsi, que plusieurs fois j'avais observé que la dilatation était si forte qu'elle repoussait au-dehors de deux, trois et quatre lignes, des bouchons fortement maintenus par deux fils de fer en croix.
Ce procédé répondit à peu près à ce que j'en attendais, et je le pratiquai fort long-temps; néanmoins la difficulté que cette forme de bouteille présentait au bouchage, et plus encore celle de s'en procurer de parfaitement semblables à mes modèles, laissait beaucoup à désirer. Un hasard assez singulier me conduisit à abandonner cette méthode à l'instant où j'y songeais le moins.
Pendant mon absence on reçut un jour chez moi un mille de bouteilles, qui, au lieu de porter le filet saillant à l'intérieur, avaient l'embouchure en forme de cône renversé, ainsi que les bouteilles de Champagne. A mon retour je les fis mettre de côté pour les rendre à la verrerie, qui refusa de les reprendre. Je les reléguai dans un coin de mon magasin, où elles restèrent long-temps oubliées. Il arriva pourtant que dans un moment de presse, où je manquais d'autres bouteilles, il me fallut, malgré ma répugnance, y recourir. Je reconnus, à ma grande satisfaction, que leur forme les rendait beaucoup plus faciles à boucher, et que, sous tous les rapports, elles étaient préférables à celles que j'avais employées jusqu'alors et dont j'abandonnai l'usage. La forme des embouchures des bouteilles est bien différente de celle des bouteilles ordinaires; l'homme le plus robuste ne parviendra pas à y faire entrer avec la palette le bouchon une ligne de plus, ni à casser une bonne bouteille, quelle que soit la force avec laquelle il frappe sur le bouchon.
Les bouteilles et bocaux doivent être de matière liante; les premières, du poids de vingt-cinq à vingt-six onces pour une pinte de capacité; il faut que le verre soit réparti également, autrement elles cassent au bain-marie, à l'endroit le plus chargé de matière. La forme de Champagne est la meilleure, c'est celle qui s'arrange le mieux et qui résiste davantage.
C'est en général une économie bien mal entendue que celle d'un franc et même de deux sur un cent de bouchons; à l'appât de quelques centimes que vous croyez gagner sur un bouchon, vous sacrifiez souvent une bouteille d'un franc, d'un franc cinquante cent., même de trois francs et quelquefois davantage. On bouche pour conserver et améliorer l'objet renfermé dans le vase, en le privant du contact de l'air extérieur: on ne peut donc faire trop d'attention à la qualité des bouchons. Ils doivent être de 18 à 20 lignes de longueur et du liége le plus fin[12]; ce sont les plus économiques; l'expérience m'a tellement prouvé cette vérité, que je ne me sers que de bouchons superfins pour mes opérations. Je prends la précaution de les mâcher aux trois quarts de leur longueur, en commençant par le bout le plus effilé, ce que je fais à l'aide de l'instrument dit Mâchoire, Pl. 1, fig. 3 et 4; en comprimant ainsi le bouchon, le liége devient plus souple, ses pores se rapprochent, il s'allonge un peu et diminue de grosseur à l'extrémité destinée à entrer dans l'embouchure de la bouteille, de sorte qu'un des plus gros peut entrer dans une embouchure moyenne. L'action du calorique sur les vases ainsi fermés est telle, que le bouchon grossit dans le goulot et opère le parfait bouchage.
Avant de boucher, je fais attention à ce que les bouteilles contenant des liquides ne soient pleines qu'à trois pouces de la cordeline, ou bague, afin d'éviter la casse qui résulterait de la dilatation produite par l'application de la chaleur du bain-marie, si les bouteilles étaient trop pleines. Quant aux légumes, aux fruits, aux plantes, etc., deux pouces de distance de la bague suffisent. Je pose la bouteille sur le casse-bouteilles devant lequel je suis assis. Cet appareil est garni d'une forte palette en bois, d'un petit pot rempli d'eau, et d'un couteau bien affilé[13] pour couper les têtes de bouchons, qui doivent rarement se trouver trop hauts à l'extérieur de la bouteille. Ces dispositions faites, j'approche le casse-bouteilles, Pl. 1, fig. 2, entre mes jambes, je présente à la bouteille le bouchon qui lui convient: après l'avoir trempé dans l'eau pour l'introduire plus facilement et en avoir essuyé le bout, je l'ajuste à l'embouchure en tournant; je le soutiens dans cette position avec la main gauche que j'appuie fortement pour maintenir la bouteille d'aplomb. De la main droite je prends la palette avec laquelle j'enfonce le bouchon à force. Lorsqu'après les premiers coups je m'aperçois qu'il est un peu entré, je le lâche pour saisir le col de la bouteille que je tiens ferme sur le casse-bouteilles, et à coups redoublés je continue à l'enfoncer jusqu'aux trois quarts de sa longueur. Le quart du bouchon qui, après avoir résisté aux coups de la palette, excède le goulot de la bouteille, m'assure qu'elle est exactement bouchée, et me sert à fixer les deux fils de fer croisés qui retiennent le bouchon et l'empêchent de ressortir lors de la pression qu'il éprouve par la chaleur du bain-marie. On ne peut apporter trop d'attention à l'opération du bouchage, d'où résulte tout le succès des conserves, et il n'est aucune précaution, si minutieuse qu'elle paraisse, que l'on ne doive observer lorsqu'il s'agit d'intercepter entièrement l'introduction de l'air dans les bouteilles[14].
Quand je les ai ainsi bouchées, j'assure encore, comme je viens de le dire, les bouchons par deux fils de fer en croix, ce qui est très-facile, et qu'il suffit d'avoir vu faire une fois. Ensuite je mets chaque bouteille dans un sac de treillis, ou de grosse toile faite exprès et assez grand pour l'envelopper toute entière jusqu'au bouchon. Ces sacs ont la forme d'un manchon, ils sont ouverts par les deux bouts, dont l'un est froncé par une coulisse et un cordon qui ne laisse d'ouverture que la largeur d'une pièce de cinq francs, et l'autre est garni de deux ficelles pour tenir le sac attaché au col de la bouteille. Par le moyen de ces sacs, j'évite de me servir de foin ou de paille pour emballer les bouteilles dans le bain-marie, et lorsqu'il s'en casse dans l'opération, ce qui arrive quelquefois, les tessons restent dedans. Je préviens ainsi une infinité d'embarras et de petits accidens qu'on éprouverait en recueillant les éclats de bouteilles mêlés avec le foin.
L'on est venu quelquefois se plaindre du peu de succès que l'on avait obtenu, des avaries éprouvées sur une partie des vases soumis à l'opération, tandis que l'autre avait parfaitement réussi; on accusait ma méthode d'inconstance dans les résultats, etc. C'est ainsi qu'en général l'on cherche à excuser les défauts d'attention dans l'exécution d'un procédé; car le manipulateur, comme M. Chaptal le fait observer avec raison, ne veut jamais avoir tort. Ma méthode est invariable, et les avaries que l'on éprouve doivent exciter fortement l'attention et porter à la recherche des causes qui les ont produites. On les trouvera bien assurément, soit dans la mauvaise confection des vases de verre ou de métal employés à la conservation des substances alimentaires, soit dans le mauvais bouchage des vases de verre ou dans la mauvaise fermeture des boîtes de fer-blanc ou de fer battu.
Dans mes éditions précédentes, comme dans celle-ci, je suis entré dans les plus minutieux détails sur le bouchage. C'est, je le répète, du parfait bouchage que dépend le succès de l'opération[15].
Des bouchons pour les vases de verre ou bocaux à grandes embouchures.
Après avoir parlé des bouteilles, de leur forme et de leur qualité; des bouchons et de la longueur du liége fin dont ils doivent être faits; de la manière de bien boucher (je vais m'occuper de celle de ficeler); des sacs, de leur forme et de leur usage, je dois donner une idée des vases à grandes embouchures, ou bocaux en verre, dont je me servais pour renfermer les viandes de boucherie, la volaille, le gibier, etc., avant d'avoir adopté les boîtes de fer-blanc et de fer battu.
Ces bocaux ont des embouchures de deux, trois, quatre pouces et plus de diamètre, et sont d'une capacité relative. Ils portent, comme les bouteilles, une cordeline ou bague, non-seulement pour renforcer leur embouchure, mais encore pour recevoir le fil de fer destiné à maintenir les bouchons. Le liége, en planches fort minces, surtout dans le très-fin, et à contre-sens par l'ascendance de ses pores, apportait un obstacle au bouchage. Il m'a fallu composer des bouchons de plusieurs morceaux de liége, de 20 à 24 lignes de hauteur, collés avec de la gélatine, et posés du bon sens, c'est-à-dire, les pores horizontalement.
J'ai soin que tous les morceaux de liége qui doivent composer l'intérieur d'un gros bouchon soient sans défaut et ajustés du bon sens, au moyen d'une râpe fine. Le morceau qui présente un défaut sur l'un de ses côtés, forme la partie extérieure du bouchon.
Lorsqu'un bouchon, composé de plus ou moins de pièces suivant son diamètre, est bien ajusté, j'assure les morceaux à leurs places avec un fil, afin que rien ne se dérange.
Tous les bouchons étant ainsi préparés, je procède au collage.
Manière de coller les gros bouchons.
J'employais autrefois, comme je l'ai indiqué dans les précédentes éditions, la colle de poisson pour coller les gros bouchons; mais ayant reconnu depuis que la gélatine fondue à chaud et avec un peu d'eau-de-vie lui était de beaucoup préférable sous le rapport de la solidité, et demandait bien moins de soins et de temps, j'ai abandonné mon ancienne méthode, et je ne me sers plus que de la gélatine pour coller les gros bouchons. Voici comment je les prépare: Quand avec un pinceau j'ai légèrement enduit de gélatine épaisse les morceaux de liége que je veux coller ensemble, je les place dans un châssis formé par l'assemblage de quatre pièces de bois, carrées de deux pouces, dont deux à tenons de chaque bout, et les deux autres à mortaises. Lorsque ce châssis est rempli de bouchons collés, je les presse, autant que possible, avec un coin de bois que j'introduis à coups de maillet dans les mortaises. Je les laisse ainsi en presse jusqu'à ce qu'ils soient devenus assez secs pour être tournés, opération qui consiste à leur donner avec le couteau de bouchonnier la forme convenable à l'usage auquel on les destine.
Après avoir bouché mes bocaux en faisant entrer de force les bouchons à l'aide de la palette et du casse-bouteilles, je les lute.
Du ficelage des bouteilles et bocaux de verre.
Quoiqu'il soit très-difficile de rendre intelligible la manière de ficeler les bouteilles, surtout pour ceux qui n'en ont aucune idée, je vais en essayer la description, en cédant au désir de plusieurs personnes qui me l'ont demandée.
Prenez un morceau de ficelle de la longueur de neuf ou dix pouces; donnez-lui, vers le milieu, la forme d'un cercle d'un pouce et demi environ de diamètre.
Faites faire un demi-tour à l'un des bouts de la ficelle sur l'autre, de manière que le bout formant le demi-tour entre tout doublé dans le cercle par le dessous, et s'élève du milieu de ce cercle à la hauteur à peu près d'un pouce.
La ficelle ainsi préparée, on l'applique, savoir: le cercle autour du col de la bouteille, et immédiatement au-dessous de la cordeline; et le morceau doublé qui s'élève au milieu du cercle, devra traverser le dessus du bouchon comme pour l'enfoncer dans la bouteille.
Cela fait, il faudra tirer les deux bouts qui se trouvent diamétralement opposés de chaque côté du col de la bouteille; par ce moyen, vous la serrerez solidement: alors il ne reste qu'à nouer fortement ensemble les deux bouts de ficelle sur le bouchon, de manière que le bouchon se trouve bien comprimé.
Ce nœud doit être simple, c'est-à-dire qu'on ne doit pas en faire deux l'un sur l'autre, comme il est d'usage. Cependant, dans sa simplicité, il exige deux tours de suite d'un bout de ficelle sur l'autre, au lieu d'un seul tour qu'on fait ordinairement, lorsqu'on veut faire un nœud double.
On coupera ensuite les deux bouts de ficelle au ras du bouchon.
L'élasticité du bouchon suffira pour empêcher le nœud de se défaire.
Comme ordinairement on ne se contente pas d'une seule ficelle, on en mettra une seconde, de la même manière que la première, mais en sorte que les deux ficelles qui doivent croiser le bouchon forment une croix. On coupera celle-ci comme la précédente.
Le fil de fer no 5 a la grosseur la plus convenable pour ficeler les bouteilles; il doit être recuit.
Ayez un morceau de fil de fer de la longueur d'un pied et demi; ployez-le en deux par le milieu, et tordez-le à l'endroit ployé, de la longueur de deux pouces environ; écartez ensuite les deux fils de fer par le bout qui n'est pas tordu; entourez avec ces deux fils le goulot de la bouteille, immédiatement au-dessous de la cordeline; rejoignez ces deux bouts, après en avoir entouré le col parfaitement; tordez-les ensemble, à deux tours seulement; relevez ensuite ces deux bouts de fil de fer sur le bouchon, ainsi que le premier bout doublé qui a été tordu au commencement, et qui doit se trouver de l'autre côté du col de la bouteille, diamétralement opposé aux deux derniers qui ont servi à entourer la bouteille: ces bouts, bien relevés et bien ajustés à la bouteille, tordez-les ensemble sur le milieu du bouchon, de manière que le bouchon se trouve bien comprimé par le fil; après avoir coupé ce fil de trois à quatre lignes de longueur, qui doit être parfaitement tordu, repliez la pointe sur elle-même, comme lorsqu'on replie la pointe d'un clou dans une planche que ce clou traverse. Attendu qu'il faut deux fils de fer pour bien ficeler une bouteille, on fera la même opération pour le second, en observant que ce dernier forme une croix sur le bouchon avec le premier.
Ce lut, communiqué par M. Bardel, se fait avec de la chaux vive qu'on fait éteindre à l'air en l'aspergeant d'un peu d'eau, jusqu'à ce qu'elle soit bien fusée et réduite en poudre. On la conserve ainsi dans des bouteilles bouchées pour s'en servir au besoin. Cette chaux, mêlée à du fromage blanc, dit à la pie, en consistance de pâte, produit un lut qui durcit promptement, et qui résiste à la chaleur de l'eau bouillante[16]. De ce lut, j'ai enduit tout le bouchon à l'extérieur, et j'ai garni le bord des bocaux de chanvre et de bandelettes de toile, par-dessus, bien appuyées contre le bouchon, et en descendant jusqu'à la cordeline; ensuite, afin que les fils de fer puissent prendre avec assez de force pour maintenir le bouchon, j'ai mis un morceau de liége de sept à huit lignes de haut et de seize à dix-huit de diamètre au milieu du grand bouchon, trop large, et sur lequel le fil de fer devenait de nul effet. Au moyen de ce second bouchon ainsi appliqué au milieu du grand, je suis parvenu à faire prendre de force le fil de fer, et à donner la solidité convenable aux bouchons.
Dès l'origine de ma découverte, j'ai adopté les vases de verre comme les meilleurs et les plus sûrs pour la conservation des substances alimentaires; jamais je n'avais employé de vases de grès, n'ayant aucune confiance dans cette matière. En 1817, M. Peligot, administrateur des hôpitaux, cherchant à faire l'application de mes procédés au régime des malades des hospices, et trouvant les vases de verre d'une capacité trop petite et trop incommode pour les distributions journalières, me fournit l'occasion de faire une expérience avec des vases de grès.
Cet administrateur me proposa de faire cet essai dans des dames-jeannes de 25 et 50 litres, sur des gros pois, des sucs de groseilles, et sur des prunes de diverses espèces.
Je ne lui dissimulai pas la répugnance que j'avais toujours eue à me servir de vases de grès, et le peu d'espoir que j'avais du succès de cette expérience, à laquelle il voulait consacrer 300 francs. On ne tint compte de mes observations, et il fut décidé que l'essai aurait lieu.
Je pris toutes les précautions nécessaires pour me procurer les dames-jeannes des meilleures fabriques, et les mieux confectionnées. Après les avoir soumises à toutes les épreuves, même à celle de l'ébullition du bain-marie couvert pendant une heure, j'employai quinze de ces vases, contenant 25 et 50 litres, que je remplis des diverses substances indiquées plus haut. Après avoir été bouchés et ficelés avec toutes les précautions possibles, je les soumis au bain-marie, etc. Pendant cette opération il s'en cassa six, des deux grandeurs, dont deux contenaient du suc de groseilles, et les quatre autres des pois et des prunes de diverses espèces. Les neuf autres furent mis en réserve dans un cellier de la maison que j'habitais alors rue Cassette, faubourg-St.-Germain. Environ un mois après cette opération, vers les huit heures du soir, une dame-jeanne de 50 litres, pleine de suc de groseilles, fit une explosion telle, que la maison en trembla, et que tous les locataires en furent effrayés, surtout en voyant la cour inondée de suc de groseilles. Deux autres vases cassèrent aussi, mais sans détonation.
Il ne resta en définitive que six dames-jeannes saines et sauves qui furent conduites au mois d'avril suivant à la maison d'accouchement: on en fit la dégustation, et tout se trouva plus ou moins avarié.
J'ai rapporté cette expérience comme pouvant être utile aux personnes qui seraient tentées de faire usage des vases de grès.
CHAPITRE III.
Des boîtes de fer-blanc et de fer battu.
La conservation parfaite des substances alimentaires dépendant essentiellement du plus grand degré de perfection du métal employé à la confection des boîtes, il est important de consigner ici quelques remarques sur les qualités du fer-blanc que nous fabriquons en France.
La quantité prodigieuse que j'en ai employée pour la confection de plus de cent mille boîtes de toutes les capacités, m'a mis à même de faire un grand nombre d'observations, et m'a appris, trop souvent à mes dépens, à connaître une partie de ses imperfections.
De toutes nos fabriques, celles de Chaudeau et de Bains sont les deux qui fournissent la qualité de fer-blanc la plus appropriée à mon usage; néanmoins, malgré leur supériorité sur toutes les autres, elles sont loin d'avoir atteint à la perfection, et leurs produits laissent encore beaucoup à désirer, surtout à cause de la variation presque continuelle de leurs qualités qui devraient être uniformément les mêmes. Ces défauts de fabrication m'ont causé des pertes énormes, et m'ont mis dans le cas de renvoyer des quantités considérables à ces deux établissemens.
L'absolue nécessité où je suis de n'employer que du fer-blanc exempt de défauts, m'a obligé de rechercher la cause de ceux qu'il renferme.
Voici le résultat des observations qu'une longue expérience m'a permis de faire:
1o J'ai remarqué que la tôle est généralement sèche et cassante;
2o Qu'elle est mal laminée et remplie de gerçures;
3o Que le décapage en est incomplet et ne détruit pas les pailles;
4o Que l'étamage, en masquant tous ces défauts, ajoute aux inconvéniens qu'ils occasionnent, et empêche de les prévenir.
Dans la confection des boîtes, si les feuilles employées ont des pailles ou des gerçures, elles se séparent sous le marteau de l'ouvrier, soulèvent peu-à-peu l'étamage, et facilitent l'oxidation.
Lors de la dilatation qu'éprouvent les boîtes par l'application du calorique, les inconvéniens deviennent encore plus graves: les pailles se détachent complètement, et laissent après le refroidissement des interstices plus ou moins grands, mais inaperçus à cause de la légère couche d'étain qui les recouvre, et que le moindre choc détruit.
Ces considérations démontrent suffisamment toute l'attention que réclame le choix du fer-blanc destiné à la confection des boîtes, et toute la difficulté qu'il y a à s'en procurer pour cet usage; car il est juste de remarquer que les défauts que je viens de signaler, et que plus de soins dans la fabrication feraient bientôt disparaître, n'ont ici qu'une importance relative au degré de perfection qu'exige l'usage auquel je l'emploie, et que le même fer-blanc que je répudie peut être utilement employé à une multitude d'ouvrages.
Les fers-blancs anglais sont mieux étamés et plus brillans que les nôtres; et sans être meilleurs sous le rapport de la ductilité, ils sont beaucoup plus chers.
Les caisses en sont généralement mal assorties, et il y règne la même confusion de numéros que dans celles de nos fabriques.
J'aurai tout-à-l'heure occasion de revenir sur cet article, et d'entrer dans quelques détails relatifs à la supériorité réelle ou simplement apparente de ces fers-blancs sur ceux de France.
Si encore, dans le fer-blanc que nous livre le commerce, il était possible, en payant cher, de faire un choix, on pourrait arriver, avec quelques sacrifices, à obtenir de meilleurs résultats; mais il n'en est pas ainsi: les fabricans de fer-blanc n'ont pas l'habitude de faire des caisses particulières pour chaque qualité; ils réunissent le bon et le mauvais, le fort et le faible, le sec et le doux, etc, etc. Le petit nombre de marchands de Paris à qui ils expédient, et chez lesquels les ouvriers sont contraints de s'approvisionner, se refusent à les laisser choisir; de manière que pour avoir absolument la qualité qu'ils désirent, il faudrait qu'ils achetassent par cinquante caisses à la fois, et au prix qu'il plairait à ces entreposeurs de fixer.
On voit, par ce qui précède, combien d'avaries peuvent résulter de la mauvaise qualité du métal employé à la confection des boîtes, puisque la moindre fissure, la moindre paille, donnant entrée à l'air atmosphérique, peut occasionner la fermentation et par conséquent la putréfaction des substances qu'elles contiennent. Aussi je puis affirmer que toutes les difficultés que j'ai eues à surmonter dans les commencemens, pour parvenir à fermer hermétiquement mes bouteilles et bocaux, sont loin d'être comparables à celles que j'ai rencontrées dans la confection des boîtes.
On pourra m'objecter qu'en Angleterre, où se fait en grand l'application de mon procédé, on n'emploie que des boîtes de fer-blanc, et que pourtant toutes les conserves y réussissent parfaitement, puisqu'elles approvisionnent les escadres.
Je ne contesterai pas ce fait, mais je demanderai à nos voisins d'outre-mer quels sont les énormes sacrifices qu'ils ont faits depuis dix-sept ans pour atteindre au point de perfection auquel ils sont parvenus?
La première société qui s'est occupée chez eux de l'exploitation de mon procédé, ne l'a fait que d'après les données très-incertaines d'un Français nommé Gérard, qui apporta à Londres un exemplaire de la première édition de mon ouvrage; elle a perdu près de cent mille francs en moins de trois ans. De pareils résultats n'étaient pas encourageans, et il ne fallait pas moins que la persévérance anglaise pour donner suite à une opération, qui, chez toute autre nation, eût été abandonnée. Mais les Anglais ayant une fois reconnu l'infaillibilité du principe, et calculé tous les avantages qu'il présentait, ne reculèrent devant aucun sacrifice pour les obtenir.
L'Angleterre a été long-temps le seul pays où les métaux fussent bien travaillés, et ce n'est que depuis peu d'années que nos fabriques commencent à rivaliser avec les siennes. Indépendamment de ses mines, la facilité qu'ont ses manufacturiers de s'approvisionner en Suède des meilleures tôles et des étains les plus fins leur permet de fabriquer un excellent fer-blanc; et si celui qu'ils exportent ne présente pas une supériorité plus marquée sur le nôtre, il ne le faut attribuer qu'à l'attention constante qu'ils ont de tirer les meilleures qualités pour leur propre usage, et de n'expédier à l'étranger que les qualités les plus inférieures.
Avec de pareils avantages, le succès de la compagnie anglaise n'était pas douteux, et si mes facultés m'eussent permis de faire une partie de ses sacrifices, je n'aurais éprouvé aucune perte, et j'aurais eu, au contraire, la satisfaction de donner à ma découverte tout le degré de perfection auquel elle est susceptible d'atteindre.
Les fers-blancs 2xx des fabriques de Bains et de Chaudeau sont ceux que j'emploie. Comme leurs caisses sont tiercées de feuilles de diverses épaisseurs, je commence par les diviser ainsi: les plus minces pour les petites boîtes; les numéros au-dessus pour les moyennes, et les plus fortes pour celles de grande capacité.
Chaque caisse doit peser de 155 à 160 livres, et contenir 225 feuilles.
Après avoir vérifié les poids et qualités, je procède au choix des feuilles, en les examinant attentivement des deux côtés, afin de reconnaître, autant que possible, les défauts de laminage masqués par l'étain, et qui ne s'aperçoivent que par de petites soufflures plus ou moins apparentes aux surfaces. Je mets au rebut les feuilles dans lesquelles je reconnais des défauts; quant à celles dont la ductilité est convenable à la bonne confection des boîtes, je le reconnais ainsi: je ploie le coin de la feuille en le frappant sur le tas avec un marteau; si le fer qui compose la tôle est aigre, le pli présente des gerçures et même des cassures qu'il n'offre pas quand la feuille est bonne. L'expérience me dispense de cette épreuve, et il me suffit de toucher le fer-blanc avec deux doigts pour reconnaître son degré de flexibilité.
La forme ronde est celle qui convient le mieux aux boîtes destinées à la conservation des substances. A la sollicitation de plusieurs marins, j'en ai fait établir de carrées qu'ils regardaient comme plus propres à l'arrimage; mais j'ai reconnu que cette dernière forme, sans offrir les avantages qu'on en espérait, présentait trop d'inconvéniens pour qu'on puisse l'adopter. Elle demande beaucoup plus de précautions dans la confection, et coûte par conséquent beaucoup plus cher. Lors de l'application du calorique, la boîte carrée se déprime sur les six faces, ce qui présente pour l'arrimage dans les caisses une quantité de vides que ne cause point la boîte ronde, déprimée seulement dessus et dessous; elle doit donc être la seule adoptée, si ce n'est pour certaines conserves, telles que volaille, gibier, etc., pour lesquelles on doit faire les boîtes ovales.
Je fais disposer à l'avance des boîtes de toutes les dimensions, dont je présume avoir besoin, depuis 2 pouces de haut, pour les plus petites, jusqu'à 24 pouces pour les plus grandes, toutes sur le diamètre de 2 à 8 pouces. Comme la différence des grandeurs donnerait beaucoup de fausses coupes dans les feuilles de fer-blanc, j'ai la plus grande attention, pour éviter les pertes qui en résulteraient, de calculer la coupe des grandes et moyennes dimensions, de manière à pouvoir faire servir les bandes qui en proviennent à la confection des plus petites boîtes.
Avant tout, il faut, ainsi que je l'ai déja dit, se munir, 1o du meilleur fer-blanc possible; 2o d'étain fin et de plomb neuf, dont on puisse composer une bonne soudure, qui ne soit ni trop claire, ni trop forte. J'indique le plomb neuf, parce que souvent, dans le vieux, il se rencontre du régule qui perd la soudure; 3o et c'est surtout le point essentiel, s'assurer d'un bon ouvrier ferblantier, capable de s'élever au-dessus des routines du métier, et de bien concevoir toute l'importance qu'on doit attacher à la soudure des boîtes dans l'opération dont il s'agit. Un pareil ouvrier est, il faut le dire, très-difficile à trouver: habitués à la fabrication d'ustensiles de peu de valeur, les ferblantiers sont communément peu soigneux; et, quand ils sont parvenus à faire une cafetière ou une casserole qui ne fuie pas, ils croient avoir atteint à la perfection de leur art, et ne conçoivent pas qu'on puisse exiger davantage.
En adoptant l'usage des boîtes, je compris la nécessité d'attacher à ma fabrique un bon ferblantier que je stylai moi-même, et que je surveillai long-temps; quand à force de temps et de patience, je l'eus amené au point où je le désirais, j'en fis mon contre-maître pour cette partie, et lui confiai la direction d'une quinzaine d'ouvriers, qu'à mes dépens il instruisit à son tour. Je me reposai entièrement sur lui du soin de distribuer l'ouvrage à chacun, me réservant seulement de veiller à ce qu'il choisît les ouvriers les plus intelligens pour les travaux les plus difficiles, chose toute simple en apparence, et que pourtant les contre-maîtres n'observent pas toujours, soit par insouciance, soit par d'autres motifs non moins blâmables.
Voici le détail des diverses opérations qu'exige la parfaite confection de mes boîtes:
Suivant la nature des conserves que je me propose de faire, je calcule approximativement le nombre qu'il m'en faut de telle ou telle dimension; mon contre-maître s'occupe d'abord de la coupe des hausses de ces boîtes, qu'il distribue aux ouvriers chargés de les arrondir sur la bigorne, et de leur donner ensuite la première soudure aux deux extrémités, qui doivent croiser l'une sur l'autre de 4 à 5 lignes, afin de donner à la hausse plus de solidité, et la forme d'un manchon. Cette première soudure, en dehors, doit être faite à cœur grassement et avec toute la précision possible. Elle doit être recouverte dans l'intérieur, avec la même exactitude[17].
Les hausses ainsi disposées, le contre-maître coupe les fonds, dont le diamètre excède celui de ces hausses de 2 à 3 lignes; cet excédant doit être rabattu avec précision et rétreint à boudin sur le bordoir, pour bien emboîter la hausse à sa base.
Après avoir ajusté le fond, on le soude à cœur à l'extérieur, afin que la soudure puisse pénétrer entre son recouvrement et la boîte de manière à n'en faire qu'un seul corps. Cette opération terminée, on garnit cette première soudure à son pourtour et sur la ligne de jonction du fond avec la hausse en gouttes de suif assez rapprochées pour se toucher, et en observant bien de ne laisser aucune soufflure.
Ensuite, au moyen du fer droit, on garnit l'intérieur du fond, aussi à son pourtour, d'un peu d'étain, en ayant l'attention de ne pas endommager la garniture extérieure, ce qui ne manquerait pas d'arriver si le fer était trop chaud.
Avant de souder, on frotte de sel ammoniac les tranches des feuilles de fer-blanc pour leur donner plus d'adhérence avec la soudure.
Les couvercles sont coupés sur le même diamètre que les fonds; ils sont également rabattus et rétreints sur le bordoir. Lorsqu'ils sont ajustés et qu'ils ferment exactement, avec un emporte-pièce du diamètre de 6 lignes, on les perce[18] sur le côté à un bon pouce du bord. L'usage de cette ouverture sera indiqué plus bas.
Dès qu'on a confectionné la quantité de boîtes des différentes dimensions que l'on désire, on met dans chacune son couvercle pour éviter la confusion, et on place le tout au magasin pour s'en servir au besoin.
Le capitaine Freycinet avait remarqué que les boîtes de fer-blanc formaient encombrement à bord des vaisseaux, lorsqu'elles étaient vidées, et que l'on était obligé de les jeter à la mer pour s'en débarrasser. Il m'engagea à employer dorénavant, pour la confection des boîtes, une matière plus solide que le fer-blanc, et qui, indépendamment de l'avantage de servir plusieurs fois à la conservation des substances alimentaires, pourrait au besoin, dans les relâches que l'on est souvent obligé de faire dans les voyages de long cours, servir de casseroles en y ajoutant une queue. Quant à moi, les motifs que j'ai donnés plus haut me faisaient désirer ardemment de trouver un moyen de remplacer le fer-blanc. Nous examinâmes les diverses matières qui pouvaient être employées à faire des boîtes, et notre choix se fixa définitivement sur le fer battu.
Je fis l'essai de boîtes en fer battu bien étamées en dedans et en dehors, et de la capacité de 4 à 45 livres. Cette expérience réussit complètement, et je fus convaincu que cette matière conviendrait infiniment mieux à mes opérations que le fer-blanc. Occupé alors de fournitures considérables pour le ministère de la marine, j'avais un approvisionnement de boîtes de fer-blanc confectionnées à l'avance, de manière à fournir dans le mois douze à quinze cents boîtes de substances conservées. Je ne pouvais faire un sacrifice aussi considérable, et je me vis forcé d'attendre que l'écoulement graduel et successif de mon approvisionnement en boîtes de fer-blanc me permît de donner suite à cette expérience. La difficulté de se procurer du fer battu convenable sous le rapport de l'épaisseur et surtout du prix, contribua aussi à m'en faire ajourner l'emploi.
Il n'y a guère plus de quarante ans que l'Allemagne était encore en possession de fournir à nos maisons opulentes des batteries de cuisine en fer battu: on a renoncé à s'en servir pour quelques inconvéniens qu'elles présentaient, et qu'il eût été facile de prévenir[19]. L'usage des casseroles de cuivre, malgré les inconvéniens qui lui sont particuliers, a été universellement adopté dans les grandes cuisines.
Il est néanmoins étonnant que ce genre de fabrication, très-utile et susceptible de nombreux perfectionnemens, soit resté stationnaire au milieu de l'élan général de toutes les industries. A peine quelques personnes s'en occupent-elles aujourd'hui, et encore n'est-ce que pour des ustensiles grossiers et de peu de valeur. A la dernière exposition de nos produits nationaux, je n'ai vu, en fer battu, que cinq à six casseroles sorties de la fabrique de MM. Chapy frères, de Beaucour, département du Haut-Rhin.
Il serait pourtant à désirer, dans l'intérêt des classes moyennes, que la fabrication du fer battu prît quelque faveur; sans parler de la répugnance qu'inspire le cuivre, sa cherté est excessive; pour le fer-blanc, son peu de solidité et les fréquens renouvellemens qu'il exige ne le rendent guère moins coûteux[20].
Les vases en fer battu sont brasés, par conséquent sans soudure, ce qui permet à l'ouvrier qui les fabrique d'en reconnaître les défauts lors du planage, de les corriger, et de s'assurer de leur bonne confection avant de les soumettre au bain d'étamage, certitude qu'avec le fer-blanc il ne peut jamais obtenir, quelle que soit l'exactitude qu'il apporte à son travail.
Manière de confectionner les boîtes en fer battu.
On emploie pour la confection des boîtes de fer battu, des feuilles de tôle bien ductiles et sans aucun défaut, de laminage et décapage également soignés. L'ouvrier en fait des boîtes dont les hausses et les fonds sont brasés solidement. L'ouvrier a soin de bien planer et de faire disparaître toutes les petites pailles qui pourraient exister. Lorsque la boîte et son couvercle sont ainsi préparés, on les passe dans un bain d'étamage fin, et l'on s'en sert ensuite comme des boîtes de fer-blanc. Les couvercles se font de la même manière que ceux des boîtes de fer-blanc. (Pag. 38.)
On conçoit facilement que, par cette nouvelle méthode de confectionner les boîtes, il n'y a d'autre soudure que celle qui ferme le couvercle, ce qui les rend infiniment plus solides que les boîtes de fer-blanc. Les boîtes de fer battu ont en outre l'avantage de servir plusieurs fois à la conservation des substances alimentaires, et de pouvoir être utilisées dans les ménages comme casseroles, etc., etc.
CHAPITRE IV.
Du Bain-marie.
L'opération du bain-marie, dont dépend la conservation des substances, ayant pour objet de les frapper d'une intensité de chaleur assez forte pour que l'air renfermé dans les bocaux ou boîtes qui les contiennent, éprouve une entière décomposition, il n'est pas nécessaire que ces bocaux ou boîtes soient immergés, il suffit qu'ils soient enveloppés d'une atmosphère de vapeur assez élevée pour produire cet effet.
Dans l'origine de ma découverte j'ai tenté l'application du calorique par divers moyens, qui tous, à côté de leurs avantages, présentaient de graves inconvéniens. Le bain-marie à découvert, dont j'ai bientôt reconnu le vice radical; le bain-marie couvert, auquel je suis irrévocablement fixé, et le bain de vapeur, ont été tour à tour l'objet de mes expériences et de mes réflexions. Je ne reviendrai pas sur les détails que j'en ai donnés dans mes précédentes éditions. Je me bornerai ici à décrire les procédés du bain-marie couvert, tel que je le pratique depuis près de quatorze ans[21].
Je range les vases ou bouteilles debout dans une chaudière, ensuite je l'emplis d'eau fraîche de manière que les vases y baignent jusqu'à la cordeline (ou bague). Je couvre les vases ou bouteilles de linges mouillés, je ferme l'appareil de son couvercle luté soigneusement et chargé d'un poids de 25 kilogrammes, afin de fermer toutes les issues et d'empêcher le plus possible l'évaporation du calorique. La chaudière ainsi disposée, je mets le feu dessous. Lorsque le bain-marie est parvenu à l'ébullition, je continue ce degré de chaleur plus ou moins de temps, suivant la nature des substances sur lesquelles j'opère. Le temps révolu, je retire le feu; un quart d'heure après je décante l'eau du bain par le robinet; une demi-heure après l'eau retirée, je découvre la chaudière; je n'en tire les bouteilles qu'une heure après l'ouverture, ce qui termine l'opération.
Comme il est difficile de s'imaginer le nombre prodigieux d'essais qu'il m'a fallu faire pour arriver à simplifier autant le procédé que je viens de décrire, je pense qu'il ne sera pas sans quelque utilité pour les personnes qui voudraient pratiquer ma méthode de trouver rapportées ici les principales expériences qui m'ont insensiblement conduit au degré de perfection où je l'ai portée.
Cette avarie inattendue me donna un ample sujet de réflexions, je m'arrêtai enfin à l'idée que le bain-marie découvert ne pouvait procurer une assez forte intensité de chaleur pour opérer la décomposition de l'air renfermé dans les bouteilles: en effet, on conçoit que l'évaporation continuelle qui a lieu pendant l'ébullition, empêche l'eau de retenir un volume de calorique assez considérable pour amener ce résultat; voulant me convaincre de la vérité de cette réflexion par une expérience, je fis la suivante.
L'appareil ainsi fermé ne laissa échapper aucune parcelle du calorique, qui, tout-à-fait comprimé dans l'intérieur, augmenta d'intensité jusqu'au degré suffisant pour atteindre les substances et en opérer la conservation.
Le succès de cette expérience fut complet, toutes les substances furent bien conservées, et le déchet n'excéda pas deux bouteilles sur cent.
Troisième expérience: Lors de la seconde invasion, quand les alliés eurent détruit de fond en comble mon bel établissement de Massy, qu'ils transformèrent en hôpital, je vins me réfugier à Paris avec les débris de quelques-uns de mes appareils.
J'habitais un très-petit local, rue Cassette, où, bien que dénué des ustensiles nécessaires, je ne laissai pas de m'occuper de la conservation des légumes et des fruits.
Tout à l'étroit que j'étais, je continuai de faire l'application du calorique par le même procédé que je viens d'indiquer, je lui donnai même encore plus d'extension; le manque d'appareils en quantité suffisante pour faire marcher mes opérations avec la rapidité qu'exige le peu de durée de la saison des fruits, me suggéra l'idée de mettre à la fois dans une seule chaudière, et en les rangeant sur trois rangs, jusqu'à cent bouteilles de substances à conserver, la première rangée ayant de l'eau à trois pouces de la cordeline, et la dernière se trouvant absolument hors de l'appareil; les bouteilles de ce dernier rang étaient maintenues avec des ficelles et soigneusement enveloppées de linges. Pour fermer ce gigantesque appareil, à défaut de couvercle, je fis usage d'une chaudière vide de la grandeur de la première, que je renversai dessus comme une cloche; après avoir luté et chargé ce couvercle d'un poids de 25 kilogrammes, je continuai l'opération ainsi que dans l'expérience précédente et j'obtins le même succès[22].
Quoique la plupart des personnes qui font des conserves d'après mon procédé, n'emploient que le bain-marie découvert, l'incontestable avantage du bain-marie couvert n'en sera pas moins facilement compris, si l'on veut considérer que l'eau, toute perméable qu'elle est à la chaleur, ne peut la retenir à plus de 85 degrés de Réaumur, dans un vase ouvert, température beaucoup trop basse pour atteindre les substances soumises à son action, et qui ne peut être augmentée que par la concentration du calorique, ce fluide tendant toujours à s'élever et ne faisant que traverser le liquide, dans lequel d'ailleurs il ne porte qu'une chaleur inégale, celle de la région inférieure du vase étant toujours moins grande que celle de sa superficie.
A l'époque où je ne pratiquais que le bain découvert, je ne m'étais jamais inquiété de la différence qui pouvait exister entre ses résultats et ceux du bain-marie couvert. Un jour que je voulais opérer sur une seule bouteille de truffes, j'imaginai de la mettre dans une marmite de terre, dont elle se trouva excéder la hauteur; pour obvier à cet inconvénient, j'entourai le haut de cette bouteille d'un torchon mouillé ployé en quatre, et je recouvris ensuite cette espèce d'appareil avec une soupière de faïence renversée, du diamètre exact de la marmite, de sorte que le torchon mouillé qui les séparait les lutait parfaitement; j'ajoutai à ce couvercle un poids de quatre livres. Pendant l'ébullition, je remarquai bien qu'il ne s'échappait aucune vapeur à travers le torchon mouillé; mais sans m'arrêter à cette remarque, et préoccupé d'un autre objet, je continuai de pousser l'ébullition sans penser à diminuer l'intensité du feu. Cette distraction faillit me coûter cher, car au bout d'une demi-heure, l'extension du calorique parvint à un si haut degré qu'il produisit une horrible explosion.
Averti par le bruit, j'accourus contempler les résultats de mon imprudence: le fragile couvercle de mon appareil avait sauté au loin; mais ce qui me surprit étrangement fut de trouver la marmite défoncée, ainsi que la bouteille, et la partie supérieure de cette dernière debout au milieu du fourneau éteint. Après avoir un peu réfléchi sur ce singulier effet, je reconnus, par ma propre expérience, que le calorique arrêté par l'obstacle que j'avais opposé à son évaporation, en lutant trop bien l'appareil, avait réagi sur lui-même, et défoncé la marmite, au lieu de la faire éclater sur ses flancs, par la raison que tendant toujours à s'élever, il s'était trouvé concentré dans une proportion plus grande à la région supérieure du vase qu'à sa base, et qu'alors il s'était frayé une issue, en pesant de toute sa puissance sur la partie la plus faible de la marmite qui se trouva être le fond.
Description d'un appareil à vapeur employé dans une taverne de Londres[23].
Lors de mon voyage à Londres en 1814, j'ai vu, dans une taverne de la Cité, celle où la Banque donne ses fêtes, un appareil à vapeur fort simple, et au moyen duquel on fait cuire tous les jours le dîner de cinq à six cents personnes.
Il consiste en trois fourneaux[24] établis dans une cuisine spacieuse, et près desquels règne adossée au mur et à leur hauteur, une table de 18 pouces de large. A trois ou quatre pouces au-dessus de cette table, et dans toute sa longueur, il existe un tube ou conduit de chaleur de deux pouces de diamètre aux trois quarts engagé dans le mur. Ce conduit est armé de robinets placés de distance en distance, et vis-à-vis desquels des casseroles sont posées sur la table. Celles-ci sont ovales, à double enveloppe, et garnies vers le mur d'une douille dans laquelle s'adapte le robinet de chaleur.
La casserole intérieure, destinée à contenir les mets, est soudée au collet de celle formant enveloppe, de sorte que hors ce point de contact, ses parois sont isolées de cette dernière par un vide de 18 lignes environ; quand les mets que l'on veut cuire sont placés dans la casserole, ce qui se fait par une ouverture pratiquée dans le couvercle dormant de l'enveloppe, on ouvre le robinet de chaleur par lequel la vapeur s'introduit dans l'intervalle vide ménagé entre les deux boîtes et y circule pendant le temps nécessaire à la cuisson des mets. De temps en temps et à l'aide d'un robinet placé à cet effet sur le devant de la boîte d'enveloppe, on fait échapper l'eau produite par la condensation de la vapeur.
Cet appareil distribue assez de calorique pour mettre à la fois en action cinquante casseroles contenant les mets les plus variés, soit en viande, poisson ou légumes, et pour chauffer deux grandes étuves, et un réservoir dont l'eau sert à laver la vaisselle et la batterie.
Devant le foyer de l'appareil, alimenté par du charbon de terre, tournent l'une au-dessus de l'autre quatre broches garnies de grosses pièces de boucherie.
On ne peut vraiment s'empêcher d'admirer l'ingénieuse simplicité de cet appareil qui, réunissant à une grande économie de combustible l'avantage de donner à la cuisson le degré de précision convenable, pourrait être pour nos hospices et autres établissemens publics de la plus grande utilité. Mais il faut convenir en même temps qu'il ne pourrait être appliqué que comme moyen secondaire dans nos grandes maisons, et même chez nos restaurateurs en renom, où la délicatesse de la table est portée à son comble. L'adoption de ce procédé introduirait pourtant une grande amélioration dans le service, si on l'employait à chauffer la table où se dressent les entrées, et si on le substituait à l'usage des cloches et surtout des réchauds qui ont le grave inconvénient de gratiner, de faire tourner les sauces et tourner le beurre en huile. Il permettrait au chef de dresser tranquillement vingt-cinq et trente entrées sans craindre qu'aucune refroidisse, et il ne serait plus obligé d'employer toutes les ressources de son agilité pour dresser avec la promptitude exigée par certains mets qui doivent être servis bouillans. Je sais qu'on pourra me faire observer qu'au moyen d'une étuve on peut facilement se passer de tout cet appareil; mais au sortir de cette étuve, dans laquelle d'ailleurs les plats se trouvent sans ordre, on est obligé de les reposer sur la table de service pour y figurer la place qu'ils doivent tenir, et le temps employé à régler cet ordre est plus que suffisant pour refroidir tout le dîner.
Instruction pratique sur l'application du calorique par la vapeur.
Pour éviter les répétitions à chacune des expériences contenues dans cet ouvrage, et ne pas confondre la manière d'appliquer la chaleur avec celle du bain-marie, que je regarde et que j'indique toujours comme la plus commode pour tous les ménages, je vais instruire ici les personnes qui voudront opérer en grand et faire usage de la vapeur, du compte que je me suis rendu sur le plus ou moins de temps que les diverses substances que l'on veut conserver, doivent rester exposées à l'action du calorique produit par la vapeur de l'eau bouillante, à partir du moment où l'eau entre en ébullition.
| Les petits pois. | deux heures. |
| Les petites fèves robées. | une bonne heure. |
| Les petites fèves dérobées. | une heure et demie. |
| Les haricots verts et blancs. | une heure et demie. |
| Les artichauts. | une heure. |
Tous les fruits et leurs sucs tels que groseilles, framboises, cerises, cassis, mûres, abricots, pêches, prunes de reine-claude et de mirabelle, poires, etc., deux minutes d'ébullition. De même toutes les substances animales et végétales qui ont subi une première préparation sur le feu, comme les tomates, la chicorée, l'oseille, etc., les viandes préparées, les consommés, les gelées, etc., n'ont besoin que de trois quarts d'heures d'ébullition.
Le lendemain ou quinze jours après (cela est indifférent) que les substances ont reçu l'application du calorique, soit par le bain-marie, soit par la vapeur de l'eau bouillante de l'une ou de l'autre manière, je range mes bouteilles sur des lattes, comme le vin, dans un endroit tempéré et à l'ombre; si je me propose de les expédier au loin, j'ai soin de les luter avant de les disposer sur les lattes, autrement cette dernière opération n'est pas de rigueur; j'ai encore des bouteilles couchées sous un escalier depuis trois ans, dont les substances ont autant de saveur, que si elles venaient d'être préparées, et cependant elles n'ont pas été lutées.
On vient de voir par tout ce qui précède, que toutes les substances alimentaires qu'on veut conserver, doivent être soumises, sans exception, à l'application de la chaleur au bain-marie, d'une manière convenable à chacune d'elles, après avoir été privées rigoureusement du contact de l'air, par les soins et les procédés que j'ai indiqués.
Le principe conservateur est invariable dans ses effets, comme je l'ai déja observé. Ainsi toutes les avaries que j'ai éprouvées dans mes opérations, n'avaient d'autre cause qu'une mauvaise application du principe, ou d'oubli et de négligence dans les procédés préparatoires, d'après le compte que je m'en suis rendu. Il m'arrive encore quelquefois de ne pas réussir complètement dans toutes mes opérations; mais quel est l'artiste qui ne s'est jamais trompé? Peut-on se flatter d'éviter constamment une avarie qui peut être causée par un défaut existant, soit dans un vase, soit dans l'intérieur d'un bouchon? etc. A la vérité, ces cas sont extrêmement rares, lorsqu'on y fait attention.
Il résulte de la description de ces procédés préparatoires, que quelques personnes pourraient regarder comme compliqués, qu'ils se réduisent tout simplement aux quatre objets indiqués page 1.
En effet, il est facile de voir que cette nouvelle méthode n'a rien de particulier, que l'application de toutes les substances à l'action de l'eau bouillante du bain-marie.
Sans avoir rien innové, j'ai rappelé à des principes généraux connus de tout temps, sur la nécessité et l'attention de se procurer de bonnes bouteilles, de bons bouchons, et particulièrement sur le parfait bouchage, des boîtes bien confectionnées et fermant exactement, principe dont on s'écarte trop souvent, faute de réfléchir aux inconvéniens qui résultent de cette négligence.
J'ai donc dû entrer dans ces détails, parce que c'est de toutes ces précautions que dépend tout le succès.
Chaque opération terminée, n'importe de quelle espèce, j'ai le plus grand soin d'examiner, avec attention, l'une après l'autre, toutes les bouteilles sortant de la chaudière.
J'en ai remarqué, avec des défauts dans le verre, comme des étoiles, des fêlures, occasionnées par l'action du calorique au bain-marie, ou par le ficelage, lorsque l'embouchure du vase est trop faible; d'autres qui annonçaient par un peu d'humidité autour du bouchon, ou par de petites taches à l'embouchure, que l'objet renfermé avait filtré au-dehors au moment de la dilatation qu'opère l'application de la chaleur au bain-marie: voilà les deux remarques principales que j'ai faites; aussitôt que j'ai reconnu quelques bouteilles avec ces défauts, comme j'étais sûr qu'elles ne se conserveraient pas, je les ai mises de côté pour en faire usage de suite, afin qu'il n'y eût rien de perdu.
La première cause d'avarie que je viens de signaler, tient à la qualité et à la mauvaise confection des bouteilles; mais la seconde peut provenir, 1o d'un mauvais bouchon; 2o d'avoir mal bouché; 3o d'avoir trop empli la bouteille; 4o enfin, de l'avoir mal ficelée, etc. Une seule de ces fautes suffit pour perdre une bouteille, à plus forte raison lorsqu'il y a complication.
Dans l'application de la chaleur au bain-marie, j'ai rencontré bien des obstacles, particulièrement pour les petits pois; car c'est de toutes les substances la plus difficile à conserver parfaitement. Ce légume cueilli trop tendre ou trop fin, fond en eau; la bouteille se trouve en vidange de moitié, et cette moitié n'est pas même propre à être gardée; lorsque j'en trouve par hasard dans ce cas, j'ai le soin de les mettre de côté pour en faire usage de suite. Si les petits pois sont cueillis de deux ou trois jours par la chaleur, ils ont perdu toute leur saveur; ils durcissent, ils entrent en fermentation avant l'opération; les bouteilles cassent avec détonation, au bain-marie; celles qui résistent, cassent successivement, ou sont défectueuses, ce qui se reconnaît facilement par le suc qui se trouve dans la bouteille, lequel est trouble, au lieu que les petits pois bien conservés ont leur suc limpide.
Il vaut infiniment mieux conserver des pois moyens et un peu mûrs, que des pois trop tendres: outre que ces derniers très-souvent se déforment, produisent beaucoup d'eau de végétation, et qu'il n'en reste que l'enveloppe, ils prêtent beaucoup plus à la fermentation que les premiers, qui, s'ils sont bien préparés, ainsi que je l'ai décrit, ne peuvent occasionner de casse; il en est de même du gros pois pour faire des purées, à moins que les bouteilles n'aient quelques défauts, tels que de petites étoiles, ou bien que la partie inférieure soit extrêmement épaisse[25].
Les boîtes étant bien disposées, je les range dans une chaudière garnie d'un diaphragme mobile ou faux fond percé de trous dans toute sa surface, et placé à un pouce de distance du fond. Lorsque le premier lit est complet, j'en fais un deuxième, un troisième et même plus si la chaudière est assez haute, et les boîtes assez nombreuses pour la garnir. J'ai soin d'emplir d'eau la chaudière jusqu'au trois quarts et demi, c'est-à-dire trois à quatre pouces du bord. Je couvre ensuite à leur surface toutes les boîtes placées l'une sur l'autre, de deux linges, et je ferme exactement la chaudière de son couvercle; j'allume alors le feu, que je conduis avec modération, jusqu'à l'ébullition que je continue pendant trois quarts d'heure. Après avoir retiré le feu, je laisse le tout refroidir pendant deux heures, ou du soir au lendemain matin, ce qui est indifférent, lorsque l'opération se fait à la fin de la journée. On retire alors l'eau par la cannelle de décharge, et ensuite les boîtes que l'on range sur une table.
Au sortir de l'appareil, les boîtes de fer-blanc et de fer battu sont généralement plus ou moins convexes dessus et dessous, suivant le degré de chaleur que les boîtes contiennent en sortant du bain-marie; et au fur et à mesure qu'elles refroidissent, elles se dépriment et deviennent concaves; ce changement est indiqué par un cliquetis causé par la rentrée des couvercles et des fonds des boîtes. Toutes celles qui sont devenues concaves indiquent que le vide est opéré, et par conséquent que l'objet est parfaitement conservé. Celles au contraire qui restent convexes après le parfait refroidissement (ce qui arrive quelquefois), annoncent un défaut soit dans la confection ou dans la fermeture de la boîte. Je mets de côté celles qui sont dans cet état pour les visiter deux ou trois jours plus tard.
Lorsque l'ouvrier a mis un couvercle trop grand, la boîte reste convexe; on s'en aperçoit aisément en appuyant dessus. Avec la main ou avec le maillet, on fait rentrer le couvercle ainsi que le fond; et si l'un ou l'autre oppose de la résistance, on fait l'ouverture de la boîte pour en retirer le contenu que l'on place dans une autre boîte avec toutes les précautions que nous avons recommandées.
Toutes les boîtes, après avoir été bien visitées et reconnues concaves ou déprimées, sont peintes à l'huile 8 à 10 jours après leur confection, et enregistrées avec un numéro d'ordre, la date de la fabrication, la désignation du contenu, et mises en magasin.
Je les fais peindre à l'huile à l'extérieur afin d'éviter l'oxidation ou la rouille.
Malgré tous les soins apportés à la bonne confection des boîtes de fer-blanc, de fer battu, et de leur contenu, ainsi qu'à l'application du bain-marie, il est bien nécessaire de visiter souvent toutes les boîtes mises en magasin, afin de reconnaître celles qui présenteraient des défauts de confection qui ne se seraient point manifestés après l'application du bain-marie; ces défauts n'apparaissent ordinairement qu'un ou deux mois après cette opération, et quelquefois plus tard. Toutes les boîtes bombées ou convexes, qui se trouvent dans le magasin, sont mises à part afin de m'assurer de l'état de conservation des objets qu'elles renferment. Je les fais ouvrir pour changer le contenu des boîtes, ou en faire usage, si cela est possible. Dans le cas contraire, je le fais jeter.
Afin de ne rien laisser à désirer sur cet objet, je place ici les instructions que je remets aux consommateurs; elles sont insérées dans mon catalogue.
Conditions auxquelles M. Appert garantit ses conserves.
La nature du procédé par lequel s'obtient la conservation des substances, exigeant qu'elles soient livrées dans des boîtes hermétiquement fermées, ce qui interdit à l'acheteur la faculté de les vérifier, M. Appert s'est cru obligé d'en garantir la bonne qualité, mais avec des réserves, et de manière à n'être pas victime des nombreux abus auxquels sa loyauté n'aurait pas manqué de donner lieu.
1o Les boîtes convexes ou bombées dessus et dessous sont présumées avariées; dans ce cas elles ne doivent pas être ouvertes, mais elles doivent être mises de côté pour être rapportées au retour.
2o M. Appert ne s'engage à remplacer que les boîtes qui lui seront représentées, et ne tient nul compte de celles que l'on prétendrait avoir été jetées à la mer.
3o Toutes les substances destinées particulièrement pour les voyages de mer et de long cours doivent être confiées, à bord des bâtimens, à la surveillance d'une personne qui puisse, par ses soins, les garantir de tous les accidens de la traversée, notamment d'être bousculées, maltraitées ou placées à l'humidité; ces précautions sont d'autant plus urgentes, que le moindre choc qu'elles pourraient recevoir, produirait des avaries dans les boîtes, et la casse des vases de verre.
Dans le cas où, au retour, l'état des boîtes indiquerait que ces précautions n'auraient pas été observées, il n'y aura lieu à aucun remplacement.
M. Appert prouve sa bonne foi en reprenant, comme il l'a toujours fait, toutes les boîtes convexes ou bombées, qui sont rapportées intactes au dépôt; c'est là où se borne toute sa responsabilité.
Celle des acheteurs se réduit à très-peu de choses, puisqu'elle est subordonnée au plus ou moins de soins qu'ils feront prendre à bord pour garantir les conserves de tous mauvais traitemens.
Dans les boîtes avariées, c'est-à-dire convexes ou bombées, qui seraient mises de côté pour les rapporter au retour, il pourra s'en trouver une tout au plus sur vingt-cinq, qui puisse exiger le jet à la mer par la mauvaise odeur provenant d'une petite ouverture, soit dans la fermeture ou dans le corps de cette boîte. C'est une vérité reconnue par plus de quinze ans d'expérience.
Cette perte est bien peu de chose comparativement à celles qu'on éprouve sur les endaubages, les salaisons et tant d'autres comestibles dont les fournisseurs ne tiennent aucun compte.
En terminant cet article, je dois appeler l'attention sur les perfectionnemens que j'ai obtenus depuis la publication de la troisième édition de cet ouvrage. Je suis parvenu à simplifier les procédés, et à introduire plus d'économie dans leurs applications. Ces perfectionnemens sont indiqués aux articles auxquels ils se rapportent.
Malgré toutes mes tentatives, il est encore des perfectionnemens que l'on doit rechercher, surtout en ce qui concerne les vases, etc. Je crois les avoir indiqués suffisamment pour espérer que nous parviendrons à les obtenir successivement. Nous les devrons à la recommandation et à l'exigence des personnes qui voudront conserver des substances par ce nouveau procédé.
En effet, si l'on n'exige pas des verreries de bonnes bouteilles convenables à l'objet auquel on les destine, on n'obtient que de la camelotte de mauvaise forme et d'embouchure pernicieuse.
Il en est de même pour les boîtes de métal confectionnées trop souvent par des ouvriers routiniers, qui ne conçoivent pas toutes les pertes que font éprouver des vases mal faits.
L'on sentira généralement la nécessité d'apporter un peu de soin pour obtenir les avantages que cette nouvelle méthode promet.
Avant de passer à la description des procédés qui constituent ma méthode, à son application spéciale et particulière à chacune des substances que l'on veut conserver, je dois prévenir que la description des procédés au moyen desquels on prépare les alimens pour l'usage de la table, n'appartenant pas à mon sujet, je me suis restreint à ne citer que ceux de ces procédés qui m'ont paru indispensables pour arriver à la conservation des substances qui ont besoin de quelques préparations ou précautions particulières.
Comme on pourrait craindre que ces mêmes procédés ne fussent pas applicables aux objets les plus compliqués comme aux plus simples, j'ai fait quelques remarques propres à dissiper tous les doutes à cet égard; j'ai ajouté quelques observations qui feront connaître toute l'extension dont est susceptible cette nouvelle manière de conserver les substances alimentaires.
En effet, on peut s'assurer par l'expérience, que, sans aucune différence dans l'application de la chaleur au bain-marie, une garbure, une bisque se conservent aussi bien qu'une soupe à la panade et à l'ognon; qu'une sauce à l'espagnole composée, un velouté se conservent comme une sauce au pauvre homme; que des filets de soles à l'aspic, des filets de faisans aux truffes se conservent comme des côtelettes et du hachis de bouilli; que tous les principes volatils des fleurs se conserveront, comme les plantes inodores, dans toute leur fraîcheur et leur propriété naturelles; enfin, que l'abricot, la pêche, la framboise, etc. ne perdront rien de leur arome.
A peu d'exceptions près, je conserve dans des boîtes de fer-blanc et de fer battu toutes les substances alimentaires. Du petit nombre de celles auxquelles cette méthode ne peut s'appliquer, sont: 1o Les petites fèves de marais, qui se tassent mieux en bouteilles et y paraissent plus blanches et plus jolies; 2o les fruits rouges, dont la boîte altère la couleur en la rendant violette; 3o les abricots, les mirabelles, les ananas, et généralement tous les fruits jaunes et à pepins, qui pourtant se conserveraient en boîtes, si dans les ménages on ne préférait les bouteilles, par la raison qu'il est plus aisé de s'en procurer que de trouver des boîtes et des ferblantiers pour les souder.
L'usage des vases de verre sera toujours, pour les opérations domestiques, le moyen le plus sûr et le plus facile à pratiquer; mais dans les grandes manipulations, qui ont pour objet les approvisionnemens de mer, de siége et d'hôpitaux, on ne doit employer que les boîtes[26].
Ainsi la chaleur du bain-marie est, comme on l'a déja tant de fois répété, le principe unique, le principe universel de la conservation de toutes les substances[27].
Il n'est pas besoin de recommander la célérité et la plus grande propreté dans les préparations des substances alimentaires: elle est de rigueur, surtout pour les objets que l'on destine à être conservés.
Je fais à l'avance toutes les dispositions nécessaires pour que rien ne reste en retard, et que tout le temps soit mis à profit.
CHAPITRE V.
Description des procédés qui constituent ma méthode; son application
spéciale et particulière à chacune des substances que l'on veut
conserver.
POT-AU-FEU DE MÉNAGE.
J'ai mis un pot-au-feu à l'ordinaire; lorsque la viande a été aux trois quarts cuite, j'en ai retiré la moitié que j'avais désossée pour la conserver. Le pot-au-feu fait, j'en ai passé le bouillon; après qu'il a été refroidi, je l'ai mis dans des bouteilles que j'ai bien bouchées, ficelées, et enveloppées chacune dans un sac. Le bœuf que j'avais retiré aux trois quarts cuit, a été mis en bocaux, baignant dans partie du même bouillon. Après les avoir bien bouchés, lutés, ficelés et mis en sac, je les ai rangés avec les bouteilles contenant le bouillon, debout dans une chaudière; j'ai empli cette chaudière d'eau froide, de manière que les bouteilles et les bocaux baignassent jusqu'à la cordeline (ou bague). J'ai mis le couvercle sur la chaudière, et ayant eu soin de l'entourer de linge mouillé, afin de boucher toutes les issues, et empêcher, le plus possible, l'évaporation du bain-marie, j'ai mis le feu sous la chaudière; lorsque le bain-marie a été en ébullition ou au bouillon, j'ai entretenu le même degré de chaleur pendant trois quarts d'heure, après quoi j'ai retiré le feu bien exactement dans un étouffoir. Une demi-heure après, j'ai lâché l'eau du bain-marie par le robinet qui se trouve au bas de la chaudière; j'ai découvert cette chaudière au bout d'une autre demi-heure; une heure ou deux après l'ouverture de la chaudière (le temps n'y fait rien, cela dépend du plus ou moins de besoin qu'on peut avoir de cette chaudière), j'en ai retiré les bouteilles et les bocaux, dont j'ai goudronné les bouchons le lendemain avec du galipot, pour les expédier dans divers ports de mer. Au bout d'un an et dix-huit mois, le bouillon et le bouilli ont été trouvés aussi bons que faits du jour même.
En l'an 12, ayant l'espoir de fournir les rafraîchissemens des malades à bord des vaisseaux de l'État, d'après diverses expériences déja faites dans les ports de mer par les ordres de S. Exc. le ministre de la marine et des colonies, sur des productions alimentaires conservées par ma méthode, je fis les dispositions nécessaires pour pouvoir répondre aux demandes sur lesquelles j'avais lieu de compter. En conséquence, pour moins multiplier les vases, et pouvoir renfermer dans une bouteille de pinte huit bouillons, je fis l'expérience suivante. Comme généralement l'évaporation ne peut se faire qu'aux dépens de l'objet qu'on veut rapprocher[28], j'ai disposé un consommé foncé de deux livres de bonne viande et volaille par pinte. Mon consommé étant fait, passé et rafraîchi, je le mis en bouteilles. Après l'avoir bien bouché, ficelé et mis en sacs, je le plaçai dans la chaudière. J'avais retiré au quart cuits les meilleurs morceaux de bœuf et de volaille. Après que ces objets ont été refroidis, je les ai mis dans des bocaux. J'ai recouvert ces viandes du même consommé. Après avoir bien bouché, luté, ficelé et mis en sacs ces bocaux, je les ai rangés debout dans la même chaudière, avec les bouteilles de consommé. Après avoir empli la chaudière d'eau froide jusqu'à la cordeline (ou la bague) des vases, et avoir couvert et garni le couvercle d'un linge mouillé, j'ai mis le feu sous le bain-marie. Lorsqu'il a été au bouillon, j'ai continué le même degré de chaleur pendant deux heures, et j'ai fini cette opération comme la précédente. Le bœuf et la volaille se sont trouvés cuits à propos, et se sont conservés, ainsi que le consommé, plus de deux ans.
Gelée de Volaille, Bœuf et Veau.
J'ai composé et conservé, de la même manière, pour un capitaine de marine dont l'estomac, fatigué depuis long-temps, ne pouvait supporter les alimens d'usage à la mer, une gelée foncée de sept livres de viande par bouteille de pinte, en proportion convenable de chacune, pour son voyage de l'Inde. Chacune de ces bouteilles a produit cinquante bouillons excellens, au moyen d'une cuiller à bouche pleine de cette gelée dans trois onces d'eau bouillante et un peu de sel; cette gelée, d'un sel léger, a été également bonne à manger sur le pain, au sortir de la bouteille.
J'ai vendu cette gelée à raison de 7 francs la bouteille, contenant cinquante bouillons. Ainsi le bouillon n'est revenu qu'à 14 cent.; et si l'opération qui n'a eu lieu que pour quinze bouteilles, eût été faite en grand, et dans des vases de quatre ou six pintes de capacité, le bouillon ne serait revenu qu'à 10 centimes, tout au plus, y compris 25 pour 100 de bénéfice pour le fabricant.
D'après cette expérience, que tout le monde peut répéter, il est facile d'apprécier les avantages d'opérer d'après cette méthode, non seulement en petit, mais en grand, particulièrement sur les points de la France où les viandes et les volailles sont abondantes, et par conséquent à bon compte.
De quelle importance ne deviendra pas cette méthode pour le Nord et les colonies espagnoles, où les bœufs sont d'une telle abondance, qu'on ne les tue que pour en avoir la peau, et où les restes sont enfouis dans la terre.
On a tenté en vain de conserver les viandes en les faisant sécher au soleil; les résultats n'ont produit que de la fibre privée de tout son suc, et semblable à un morceau de bois. J'ai été invité à une dégustation de ces viandes, qui s'est faite dans les bureaux de la marine, il y a vingt ans environ. Ces viandes avaient été envoyées d'Espagne au ministre; il fut préparé un pot-au-feu et un miroton; ni l'un ni l'autre n'étaient supportables, comme on peut bien le penser.
Après avoir nettoyé, lavé et fait crever le riz, je l'ai fait cuire à moitié avec du bon bouillon; je l'ai mouillé ensuite avec de la gelée préparée comme la précédente, et lorsqu'il a été bien cuit, réduit en pâte assez liquide et assez refroidi pour pouvoir être mis en bouteilles, je les ai bouchées, etc., et lui ai donné un quart-d'heure d'ébullition au bain-marie.
Six mois après, ce riz a été trouvé tel qu'il était le jour où je l'avais préparé.
Le riz au maigre se conserve également.
J'ai composé une julienne de carottes, poireaux, navets, céleri, oseille, haricots verts, petits pois, etc., que j'ai préparés par les procédés d'usage, qui consistent à couper en petits morceaux, soit en rond, soit en long, les carottes, navets, poireaux, haricots verts et céleri. Après les avoir bien épluchés et lavés, j'ai mis ces légumes dans une casserole sur le feu, avec un bon morceau de beurre frais; je les ai laissé cuire ainsi à moitié, après quoi, j'ai ajouté l'oseille et les petits pois: lorsque tout a été cuit et réduit, j'ai mouillé ces légumes avec du bon consommé que j'avais préparé exprès avec de la bonne viande et de la volaille. J'ai laissé bouillir le tout une demi-heure; ensuite j'ai retiré du feu pour laisser refroidir; j'ai mis en bouteilles, bouché, etc., pour donner à ma julienne une demi-heure de bouillon au bain-marie.
La julienne au maigre se compose de même, excepté qu'au lieu de consommé, je mouille mes légumes, lorsqu'ils sont bien cuits, avec une purée claire, soit de haricots blancs, soit de lentilles ou gros pois verts, que j'ai conservés, et je lui donne également une demi-heure de bouillon au bain-marie.
J'ai composé et préparé un coulis de racines par les procédés ordinaires; il a été foncé de manière qu'une bouteille de pinte pût faire un potage pour douze personnes, en y ajoutant deux pintes d'eau avant de le faire chauffer pour en faire usage.
Lorsqu'il a été refroidi, je l'ai mis en bouteilles, pour lui donner une demi-heure de bouillon au bain-marie.
D'après ces expériences, on voit qu'il est aussi sûr que facile de soumettre aux mêmes procédés, indistinctement, tous les potages pour les conserver.
On a dû remarquer que, pour éviter la multiplicité des vases, ainsi que l'embarras, il est aisé de ne préparer que des extraits de chaque espèce; au moyen de moitié ou de deux tiers d'eau qu'on ajoutera à chaque extrait d'une bouteille de pinte, par exemple, on pourra obtenir un potage pour huit à douze personnes. Ainsi, avec deux bouteilles de pinte de bon consommé et quatre pintes d'eau avec une bouteille de pointes d'asperges conservées, on aura un potage aux pointes d'asperges pour au moins vingt-quatre personnes.
Il en sera de même des potages aux petits pois nouveaux, aux laitues émincées, aux menues herbes, à la purée de gibier ou bisque, etc. Les potages au maigre, toutes les purées, soit de légumes, gibier ou poisson, peuvent être également préparés par extraits, et donner les mêmes résultats. Par exemple, une bouteille de pinte qui contiendrait des ognons préparés au beurre, bien cuits et d'un beau brun foncé, serait suffisante pour un potage de trente à trente-cinq personnes.
Ainsi, avec vingt-cinq bouteilles d'extraits préparés de cette manière, on pourrait servir à la minute un potage pour huit à neuf cents hommes, potage qui, à coup sûr, serait plus économique que ceux préparés au fur et à mesure des besoins.
J'ai composé cette gelée d'après l'ordonnance de M. Marie Saint-Ursin, docteur en médecine, propriétaire rédacteur de la Gazette de Santé, avec mou et pieds de veau, choux rouges, carottes, navets, ognons et poireaux, en quantité suffisante de chacun. Un quart d'heure avant de retirer cette gelée du feu, j'ai ajouté du sucre candi avec de la gomme de Sénégal. Aussitôt qu'elle a été faite, je l'ai passée au tamis de soie pour de suite la clarifier avec des blancs d'œufs et la passer de nouveau à travers une serviette; après qu'elle a été refroidie, elle a été mise en bouteilles, bouchées, ficelées, enveloppées dans des sacs, et placées au bain-marie pendant un quart d'heure, au bouillon, etc. Cette gelée s'est parfaitement conservée, aussi bonne que si elle eût été faite du jour.
Les grandes sauces, telles qu'aspic blond de veau, jus, essences de gibier, essences de légumes, glaces de veau et de racines, glaces de cuisson, grandes espagnoles, velouté, roux blanc et blond, velouté et espagnoles travaillées, sauces romaines, farces cuites, et à la béchamel, malgré la crême qui entre dans sa préparation, se conserveront par les mêmes procédés.
On peut juger, d'après cela, combien d'avantages trouvera un cuisinier, dans les voyages de terre et de mer, à avoir avec lui, pour le besoin, des substances aussi précieuses toutes disponibles à la minute; et à la maison même, de ces grandes sauces préparées à l'avance pour de grands repas.
FILET DE BŒUF, DE MOUTON, VOLAILLE ET PERDREAUX.
J'ai disposé tous ces objets comme pour l'usage journalier, mais cuits seulement aux trois quarts, ainsi que des perdreaux rôtis. Lorsque tout a été refroidi, j'ai mis ces objets séparément dans des bocaux de grandeur suffisante; après avoir bien bouché, luté, ficelé et mis en sacs, j'ai placé le tout au bain-marie pour donner une demi-heure de bouillon, etc. Ces objets ont été expédiés pour Brest, où ils ont été mis en mer pendant quatre mois et dix jours, avec des végétaux, du consommé et du lait conservé, le tout bien emballé dans une caisse. A l'ouverture qu'on en a faite, on a dégusté tous ces objets, au nombre de dix-huit. Toutes ces substances ont été trouvées dans toute leur fraîcheur, et pas un seul vase n'a éprouvé la moindre altération en mer. (Voyez le procès-verbal de Brest aux pièces justificatives.)
A ces quatre expériences, je puis en ajouter deux autres que j'ai faites, l'une sur une fricassée de poulets, et l'autre sur une matelotte d'anguilles, de carpes et brochets, garnie de ris de veau, de champignons, d'ognons, de beurre, d'anchois, le tout cuit au vin blanc. La fricassée de poulets et la matelotte se sont parfaitement conservées.
Je préparai un hachis de blanc de volaille, de mouton, et viande fraîche de porc, j'y joignis des champignons, des truffes, du lard fondu et beurre frais, et après y avoir mis les assaisonnemens convenables, je le fis cuire aux trois quarts; dès qu'il fut refroidi, je le mis en bouteilles, etc., je lui donnai un quart d'heure de bouillon au bain-marie.
Cette substance était aussi fraîche six mois après, que le jour de sa préparation.
Rien n'est si facile, au moyen de ce procédé, que de conserver, pour le besoin, des garnitures, telles que carottes, navets tournés et préparés de toutes les manières, concombres, artichauts, petits ognons, rocamboles, champignons, fines herbes, etc., comme aussi des ris de veau, crêtes et rognons de coq, laitances de carpes, queues d'écrevisses, etc.
J'ai conservé des morceaux de bœuf de deux et trois livres, des poissons, des volailles et des perdreaux entiers; mais je crois avoir déjà fait observer que cette manière n'est pas la plus économique, tant par rapport aux vases à grandes ouvertures, qu'aux bouchons convenables; que d'ailleurs il serait inutile de conserver des os qui emportent beaucoup de place. En se servant de boîtes, la plupart de ces inconvéniens disparaîtront.
Il sera donc bien plus économique, plus facile et plus avantageux de ne conserver ces substances qu'après les avoir désossées, d'autant plus qu'un bon cuisinier a mille moyens de mettre à profit tous les débris, soit en en tirant des sauces, des jus, des coulis, des purées, etc., qu'il pourra conserver, comme nous l'avons déjà dit.
Ainsi il conviendra mieux, sous tous les rapports, d'avoir à bord d'un vaisseau, au lieu d'une pièce de bœuf de vingt-cinq livres, cette même pièce coupée par morceaux, ou un bon hachis de cette substance désossée, qui, par ce moyen, aura été conservée à peu de frais dans des vases de petites embouchures[29].
SAVOIR:
Les palais, langues, cervelles, filets, bifteck, entre-côtes, etc.
Les fraises, riz, rognons, foies, fricandeaux, noix sautées, blanquettes, etc.
Les langues braisées, émincés de gigot, carbonnades, hachis, côtelettes, rognons, queues, etc.
Côtelettes sautées, blanquettes, préparation de croquettes, etc.
Boudins noir et blanc, saucisses, andouilles, pieds aux truffes, filets mignons, rognons, etc.
Filets piqués, débris de hure, etc.
Filets sautés, côtelettes sautées ou braisées, etc.
Filets sautés, civets, etc.
Préparation de croquettes et filets sautés aux champignons, hachis, etc.
Les filets sautés aux truffes, etc.
Côtelettes, filets sautés, salmis, hachis, purées, etc.
Filets sautés, préparation, etc.
Filets sautés, salmis, purées, etc.
Filets sautés, etc.
Des Grives, Ortolans et Rouge-gorges.
Après un tour de broche, ou sautés aux fines herbes.
En croustade aux fines herbes, ou côtelettes, à la broche, etc.
Aiguillettes sautées, etc.
Les blancs émincés, blanquettes, hachis, préparations de quenelle, croquette, etc.
Les filets au suprême, filets piqués, purées, etc.
Les aiguillettes, etc.
Les côtelettes sautées, à la broche, etc.
De l'Esturgeon, du Thon, du Turbot, du Cabillaud, et de l'Anguille de mer.
Leurs parties désossées, préparées comme on le juge à propos.
Les tranches à moitié cuites sur le gril et au bleu aux trois quarts cuites, pour en préparer de telle manière qu'on voudra, etc.
Au bleu, ses filets sautés.
Filets sautés, filets en aspics, filets préparés pour salade.
A la bonne eau, etc.
A la maître-d'hôtel, filets sautés, etc.
Quenelle de filets, filets sautés, etc.
Au bleu, à l'allemande, filets sautés.
De la Matelotte à la Marinière.
De brochet, anguille, carpe et barbeau.
A la tartare et à la poulette.
Quenelle et à l'allemande, etc.
Préparées pour les coquilles et à la poulette, etc.
Préparée à l'ordinaire, etc.
Tous les objets ci-dessus désignés et autres n'auront besoin que d'être disposés à demi ou aux trois quarts cuits pour recevoir l'application du bain-marie.
Au moyen des sauces de toute espèce dont nous avons parlé, ainsi que des garnitures conservées, jointes au lait, à la crême, aux entremets de légumes et de fruits conservés pour les charlottes, ainsi que tous les fruits pour le dessert et pour les glaces, on sera assuré de faire bonne chère partout et en tout temps avec des substances de toute espèce, aussi et plus fraîches que celles dont on fait usage dans beaucoup de circonstances.
Par là on préviendra les inconvéniens que produisent sur toutes les substances alimentaires, les chaleurs, les saisons pluvieuses, les temps humides et chauds.
Par ces précautions on pourra à l'avance préparer tous les mets qu'exige un grand repas, dont les restes, qui très-souvent sont considérables et seraient perdus, pourront être conservés par le même procédé jusqu'au moment de leur consommation.
Ces résultats prouvent suffisamment que le même principe, appliqué par les mêmes procédés préparatoires, avec les mêmes soins et les mêmes précautions, conserve généralement toutes les productions animales, en observant seulement de ne donner à chacune d'elles, dans la préparation, que trois quarts de cuisson au plus, pour lui donner le surplus au bain-marie.
Il est beaucoup d'objets qui peuvent, sans danger, supporter une heure de bouillon de plus au bain-marie, tels que le bouillon, le consommé, les gelées et les essences de viandes, de volaille et de jambon, les sucs de plantes, le moût et sirop de raisin, etc.... Mais il en est beaucoup d'autres auxquels un quart d'heure, même une minute de plus, feraient beaucoup de tort. Ainsi les résultats seront toujours subordonnés à l'intelligence, à la célérité, et aux connaissances du manipulateur[30].
Plus l'œuf est frais, plus il résiste à la chaleur du bain-marie; en conséquence j'ai pris des œufs du jour, que j'ai rangés dans un bocal avec de la chapelure de pain pour remplir les vides, et les garantir de la casse dans les voyages. J'ai bien bouché, luté, ficelé, etc. Je les ai placés dans un chaudron de grandeur suffisante[31], pour leur donner soixante-quinze degrés de chaleur. Ensuite j'ai retiré le bain-marie du feu; lorsqu'il a été refroidi à pouvoir y tenir la main, j'en ai retiré les œufs, que j'ai gardés six mois. Au bout de cet intervalle, j'ai retiré les œufs du bocal; je les ai mis sur le feu dans de l'eau fraîche, à laquelle j'ai donné soixante-quinze degrés de chaleur. Ils se sont trouvés cuits à propos pour la mouillette, et aussi frais que lorsque je les ai préparés. Quant aux œufs durs préparés à la tripe ou à la sauce blanche, etc., je leur donne quatre-vingts degrés de chaleur au bain-marie, c'est-à-dire qu'aussitôt le premier bouillon, je retire le bain-marie du feu.
J'ai pris vingt-quatre pintes de lait sortant de la vache, je l'ai rapproché au bain-marie, et réduit aux deux tiers de son volume en l'écumant très-souvent. Ensuite je l'ai passé à l'étamine. Lorsqu'il a été froid, j'en ai ôté la peau qui s'y était formée en refroidissant; et je l'ai mis en bouteilles avec les procédés ordinaires, et de suite au bain-marie pendant deux heures de bouillon, etc. Au bout de quelques mois, je me suis aperçu que la crème s'était séparée en flocons, et surnageait dans la bouteille.
Pour éviter cet inconvénient, je fis une seconde expérience sur une même quantité de lait, que j'ai fait rapprocher au bain-marie, de moitié au lieu d'un tiers, comme le premier. J'imaginai d'y ajouter, lorsqu'il fut réduit, huit jaunes d'œuf bien frais, délayés avec ce même lait. Après avoir laissé le tout ainsi bien mêlé, une demi-heure sur le feu, j'ai fini comme à la première expérience. Ce moyen m'a parfaitement réussi. Le jaune d'œuf avait tellement lié toutes les parties, qu'au bout d'un an et même dix-huit mois, le lait s'était conservé tel que je l'avais mis en bouteilles. Le premier s'est également conservé deux ans et plus. La crème qui se trouve en flocons disparaît en mettant le lait sur le feu: tous deux supportent de même l'ébullition. De l'un et de l'autre on a obtenu du beurre et du petit lait. Dans les différentes expériences et analyses chimiques auxquelles ils ont été soumis, on a reconnu que le dernier, bien supérieur au lait ordinaire, pouvait remplacer la meilleure crème qu'on vend à Paris pour le café.
Ces procédés ne laissent donc rien à désirer. J'en fais habituellement usage pour conserver le lait destiné aux voyages maritimes. On pourrait aussi s'en servir pour conserver le lait pendant quelques jours, ce qui serait d'un grand avantage pour les fermiers et nourrisseurs dont les établissemens sont éloignés des grandes villes. Cette idée m'a été suggérée, depuis la publication de ma troisième édition, par un propriétaire des environs de Gournay, qui vint me consulter, et me demanda de lui indiquer un moyen de conserver son lait pendant deux jours, temps nécessaire pour le transporter à Rouen, c'est-à-dire à une distance de vingt lieues.
Voici le procédé que je lui indiquai, et qu'il pratique avec le plus grand succès:
Je fis faire plusieurs boîtes de fer-blanc de la forme et de l'embouchure des bouteilles ordinaires, je les remplis de lait chaud sortant de la vache, et les soumis, après les avoir bien bouchées et ficelées, au bain-marie jusqu'à l'ébullition. Au bout d'une heure je les retirai, et dès le lendemain je les expédiai à une distance de trente lieues, où elles arrivèrent quarante-huit heures après. Le lait contenu dans ces bouteilles fut trouvé très-bon et parfaitement conservé. Depuis cet essai, ce propriétaire envoie tous les jours vendre son lait à Rouen; il m'en a même adressé à Paris, qu'on eût pu croire trait de la veille.
L'application en grand de ce procédé offrirait de très-grands avantages; elle permettrait de confectionner, dans toutes les grandes villes et à Paris même, le beurre frais qui s'y consomme et qui y arrive rarement bon, ce qui occasionnerait une grande diminution dans le prix de cette denrée de première nécessité. Les fermiers y trouveraient également leur profit, en utilisant par ce moyen toutes leurs crèmes perdues, en grande partie, par l'impossibilité où ils sont de les conserver assez long-temps pour en amasser la quantité nécessaire pour faire du beurre, tandis qu'en conservant ces crèmes par le moyen que j'indique, et en les expédiant à de grandes distances, ils en auraient toujours un débit assuré.
Le feu nu, le bain de sable et le bain-marie, trois moyens dont je me suis servi successivement pour rapprocher le lait avant de le conserver, avaient plus ou moins l'inconvénient d'atténuer le blanc du lait, et de lui donner un goût de frangipane.
Le bain de vapeur me parut plus convenable pour modifier cet inconvénient; en effet j'obtins, par ce dernier moyen, le lait beaucoup plus blanc, et sans le goût qui me contrariait, quoique le lait fût rapproché de plus de moitié. L'évaporation se fait beaucoup plus rapidement de cette dernière manière que de toute autre, par la raison qu'on peut pousser et augmenter le feu sans crainte, et que plus on agite l'objet en évaporation, et plus l'opération est rapide. On est aussi dispensé d'écumer le lait.
Je puis donc indiquer ce dernier moyen comme le meilleur, non seulement pour le lait et la crème, mais encore pour les pâtes de guimauve, de jujubes, et beaucoup d'autres substances que l'on fait ordinairement évaporer lentement à feu nud.
Afin de faciliter l'évaporation du lait avec précision, j'ai fait établir un appareil armé d'un régulateur au moyen duquel on dirige la vapeur nécessaire au rapprochement du lait. En voici la description:
Description de l'appareil pour rapprocher le lait.
La troisième chaudière du petit laboratoire, Pl. 4, fig. 2, destinée à rapprocher le lait que l'on veut conserver par la vapeur, a vingt pouces de diamètre sur quatorze pouces de profondeur, et un couvercle a ayant au milieu une ouverture de seize pouces de diamètre, dans laquelle on place une poêle b de pareille dimension, et de quatre à six pouces de hauteur, garnie d'un panache c qui lui sert en même temps de support.
Sur le côté du couvercle se trouve une ouverture d d'un pouce de diamètre, dans laquelle on introduit le régulateur f de la chaleur. Cet instrument à deux branches, formant demi-cercle et garni d'un robinet à deux eaux, a un bout dans la chaudière et l'autre dans un petit vase h placé à côté de l'appareil. Avant de commencer cette opération, je prépare le lut qui doit servir pour le couvercle, et je détrempe, pour cet objet, de la terre à four avec du crotin de cheval sec[32]. Après avoir rempli l'appareil aux deux tiers d'eau, on introduit la poêle b dans l'ouverture du milieu du couvercle, et l'on place la branche du régulateur f garnie du robinet; on lute le tout convenablement à un pouce au-dessus du panache c de la poêle b, on garnit le petit vase h d'eau, de manière que l'autre bout du régulateur, appuyé contre le vase y baigne de six lignes seulement. Le tout étant ainsi disposé, on allume le feu qu'il faut modérer, jusqu'à ce que le lut soit sec et bien durci. Ensuite on nettoie avec soin la poêle, et l'on y met le lait que l'on a préalablement passé à l'étamine.
Après avoir mis la quantité de lait suffisante dans la poêle, je pousse le feu, et avec une spatule bien propre j'ai l'attention de vanner sans interruption le liquide, afin d'activer le rapprochement. Au moyen de la vapeur qui se dégage dans le petit vase h par le régulateur, on s'aperçoit que l'eau de l'appareil est en ébullition. Dès que le dégagement s'annonce par le bruit que fait le frottement du régulateur f contre le petit vase h, je ralentis le feu et je ferme le fourneau de manière à maintenir modérément l'ébullition. Cette attention est très-essentielle, autrement la vapeur s'échapperait en détruisant le lut de l'appareil. J'ai grand soin d'agiter continuellement avec la spatule, pour faciliter le passage du calorique au travers du lait. Si je m'arrête, le régulateur f fait aussitôt grand bruit dans le petit vase h, l'eau qu'il contient s'échauffe graduellement, et augmente par la vapeur qui vient s'y condenser. J'ai soin de la rafraîchir, et d'en diminuer la quantité de temps à autre. Lorsque cette opération est bien conduite, en deux heures de temps je réduis 24 pintes de lait à 12[33]. Il n'est cependant pas de rigueur que le lait soit réduit à moitié; un peu plus ou un peu moins est indifférent, cela est entièrement à la volonté de l'opérateur. Un quart d'heure environ avant que la réduction du lait soit effectuée, je délaie peu à peu douze jaunes d'œufs très-frais, détachés des blancs, avec une pinte du lait soumis à l'opération, pour les réunir graduellement à la masse que je continue d'agiter jusqu'à parfaite réduction. Afin de m'en assurer, j'ai une petite sonde en bois, bien propre, avec laquelle je prends la hauteur du lait. Au moment où je la mets dans la poêle, j'y fais une petite coche, je la divise ensuite en deux parties égales par une autre petite coche. Dès que le lait placé dans la chaudière est réduit à la hauteur de cette coche intermédiaire, je suis assuré que la réduction est complète. Alors je retire le lait, que je passe à l'étamine pour en ôter les germes d'œufs qui pourraient s'y trouver, et je le place dans des terrines pour refroidir. Pendant qu'il refroidit, j'ai soin de l'agiter, pour éviter qu'il se forme des peaux à sa surface; dès qu'il est refroidi, je le mets en bouteille, et après l'avoir bien bouché et ficelé, je lui donne un quart d'heure d'ébullition; je fais ensuite bien nettoyer la poêle pour une autre opération. Il arrive quelquefois que la vapeur endommage le lut de l'appareil, je le répare à l'instant même. A la troisième opération, j'introduis une sonde dans la chaudière par l'ouverture c du régulateur, afin de m'assurer de la hauteur de l'eau; et si la quantité n'est pas suffisante, j'en remets au moyen d'un entonnoir.
J'ai pris cinq pintes de crème levée avec soin sur du lait trait de la veille; je l'ai rapprochée au bain-marie à quatre pintes sans l'écumer; j'en ai ôté la peau qui s'était formée dessus, pour la passer de suite à l'étamine et la faire refroidir. Après en avoir encore ôté la peau qui s'y était formée en refroidissant, je l'ai mise en demi-bouteilles avec les procédés ordinaires, pour lui donner un quart d'heure de bouillon au bain-marie. Au bout de deux ans, cette crème s'est trouvée aussi fraîche que si elle eût été préparée du jour. J'en ai fait du bon beurre frais la quantité de quatre à cinq onces par demi-pinte.
Le rapprochement de la crème s'opère par les mêmes procédés et avec le même appareil que celui du lait.
J'ai préparé du petit-lait par les procédés d'usage. Lorsqu'il a été clarifié et refroidi, je l'ai mis en bouteilles, etc., pour lui donner un quart d'heure de bouillon au bain-marie. Quelque bien clarifié que soit le petit-lait, lorsqu'on le met au bain-marie, l'application de la chaleur en détache toujours quelques parties caseuses qui forment un dépôt; j'en ai gardé deux et trois ans de cette manière, et avant d'en faire usage, je l'ai filtré pour l'avoir très-limpide. Dans un cas pressé, il suffit de le décanter avec précaution pour l'obtenir de même.
J'ai pris six livres de beurre, frais battu; après l'avoir bien lavé et ressuyé sur un linge blanc, je l'ai mis en bouteilles par petits morceaux, et tassé pour remplir tous les vides, de manière que la bouteille fût pleine jusqu'à quatre pouces de la bague; après avoir bien bouché les bouteilles, etc., je les ai soumises au bain-marie jusqu'à l'ébullition seulement, et les ai retirées aussitôt que le bain-marie a été assez refroidi pour pouvoir y tenir la main. Au bout de six mois ce beurre était aussi frais que le jour où je l'avais préparé.
La fusion du beurre qui s'opère par l'application de la chaleur au bain-marie, précipite au fond de la bouteille les parties caseuses ou lait de beurre qu'il pouvait encore contenir lors de sa préparation, de manière qu'on obtient un beurre vierge parfaitement clarifié, excellent à manger sur le pain, ainsi que dans toutes les préparations journalières, d'un goût plus fin que le beurre frais ordinaire et plus salubre que ce dernier, dont on ne devrait faire usage qu'après l'avoir clarifié, comme cela se pratique dans la bonne cuisine.
J'ai retiré le beurre des bouteilles par petites parties, au moyen d'une petite spatule de bois un peu plate et crochue par le bout[34]; je l'ai mis dans l'eau fraîche, puis en motte, après l'avoir bien lavé et pelotté dans plusieurs eaux, jusqu'à ce que la dernière soit bien claire.
J'ai retrouvé le même poids que j'avais mis, savoir: cinq livres treize onces de beurre, et trois onces de lait de beurre, ce résidu avait un goût rance un peu amer; comme il restait quelque peu de beurre aux parois des bouteilles, je les ai mises dans de l'eau chaude pour l'obtenir.
Le déchet de demi-once par livre sera toujours subordonné au plus ou moins d'attention qu'on apportera au lavage du beurre en sortant de la baratte, et il est fort peu de chose en raison de l'avantage de pouvoir se procurer en tout temps du beurre aussi frais qu'au mois de mai et à aussi bon marché. Ce moyen deviendra des plus précieux pour les pays de pâturage, surtout pour ceux qui ne peuvent tirer parti de leur beurre qu'en le faisant fondre, beurre qu'ils sont encore obligés de donner à très-bon marché, faute de pouvoir le garder long-temps dans cet état.
D'après cette expérience sur le beurre, personne ne doutera de la possibilité de conserver, par les mêmes procédés, toutes les substances grasses et huileuses; toutes substances qu'on n'a pu jusqu'à ce jour garantir de la rancissure au bout d'un certain temps. En effet, j'ai opéré (car j'aime à m'assurer d'un fait avant de l'annoncer) sur du saindoux ou panne de porc, sans autre précaution préalable que celle de le fondre et de le bien cuire, sur des graisses d'oie et de chapon, ainsi que sur des graisses de cuisine, après les avoir bien clarifiées; toutes ces substances se sont parfaitement conservées: il en sera de même pour toutes les autres sans exception.
Autre manière de conserver le beurre.
J'ai beaucoup simplifié les procédés préparatoires pour conserver le beurre frais. Afin de précipiter plus facilement les parties caseuses qui se forment dans le beurre, je me suis servi d'un dépuratoire formant le cône renversé, armé d'un robinet dans sa partie inférieure; au moyen du bain de vapeur, je mets en fusion plus ou moins de beurre, et lorsque les parties hétérogènes sont bien précipitées, j'ouvre le robinet. Je décante le lait, et lorsqu'il est entièrement sorti, je mets le beurre en bouteille ou en boîte. De cette manière et en ne donnant que soixante degrés de chaleur de Réaumur, au bain-marie, j'ai obtenu le beurre parfaitement clarifié et sans dépôt.
Pour le sortir des bouteilles ou des boîtes, je mets tout simplement la bouteille au bain-marie, après l'avoir débouchée. Lorsque le beurre est en fusion, je le dépose dans un vase pour m'en servir au besoin.
Comme la différence des climats rend leurs productions plus ou moins précoces, et met beaucoup de variétés dans leurs qualités, leurs espèces et leurs dénominations, on se gouvernera en conséquence du sol qu'on habite.
A Paris et dans les environs, c'est en juin et juillet la meilleure saison pour conserver les petits pois verts, les petites fèves de marais et les asperges. Plus tard, ces légumes perdent beaucoup par les chaleurs et la sécheresse. C'est en août et septembre que je conserve les artichauts, les haricots verts et blancs, ainsi que les choux-fleurs. En général tous les végétaux que l'on destine à la conservation, doivent être cueillis le plus récemment possible, et disposés avec la plus grande célérité, de manière que du jardin au bain-marie ils ne fassent qu'un saut.
Le clamart et le crochu, sont les deux espèces de pois que je préfère, surtout le dernier, qui est le plus moelleux et le plus sucré, ainsi que le plus hâtif, après le michaux cependant, qui est le plus précoce de tous; mais ce dernier n'est pas propre à être conservé. Je fais cueillir les pois pas trop fins, parce qu'ils fondent en eau à l'opération; je les prends un peu moyens, ils ont infiniment plus de goût et de saveur, se trouvant alors plus faits. Je les fais écosser aussitôt qu'ils sont cueillis. J'en fais séparer les gros, et ils sont mis de suite en bouteilles, avec l'attention de faire tasser les bouteilles sur le tabouret déja cité, pour en faire entrer le plus possible. Je les bouche de suite, etc., pour les mettre au bain-marie pendant une heure et demie, au bouillon, lorsque la saison est fraîche et humide, et deux heures, lorsqu'il y a chaleur et sécheresse, et je finis l'opération comme les précédentes.
J'ai mis également en bouteilles les gros pois qui ont été séparés des fins; je les bouche, etc., pour leur donner, suivant la saison, deux heures ou deux heures et demie de bouillon au bain-marie.
Autre manière de conserver les petits pois.
Toujours à la recherche d'un moyen de conserver ce légume préférablement à celui publié dans mes précédentes éditions, je fis diverses expériences. Dans le courant du mois de juin, je mis en bouteilles des petits pois que je tassai légèrement: il me vint dans l'idée de remplir jusqu'à trois pouces de la cordeline, avec du moût de raisin conservé de l'année précédente, les interstices que forment les petits pois dans la bouteille; j'en préparai de cette manière vingt-cinq bouteilles. Vers le 25 septembre suivant, je fus invité à dîner à l'hôtel des Américains avec les officiers de bouche du prince régent d'Angleterre, qui se fournissaient de mes conserves. Je profitai de cette occasion pour provoquer la dégustation des petits pois préparés par mon nouveau moyen; j'en fis en conséquence préparer un plat: ils furent goûtés comparativement avec des petits pois achetés le matin, on les trouva tels qu'on ne pouvait faire de différence de l'un à l'autre. M. Labour, qui tenait alors mon dépôt, fut enchanté, ainsi que moi, de cette réussite; le lendemain, toujours dans l'enthousiasme des petits pois de la veille, il m'engagea à profiter de la bonne année qui se présentait pour conserver une grande provision de moût de raisin, afin de préparer, l'année suivante, des petits pois par ce nouveau procédé; et de suite, il mit mille écus à ma disposition pour cette opération; les vendanges allaient commencer, je me rendis dans le meilleur vignoble des environs de Paris, où j'achetai quinze milliers de raisin noir le mieux choisi, qui me fut livré successivement à ma fabrique et en parfaite maturité. Cette quantité me donna trois mille bouteilles de moût de raisin excellent et bien blanc, quoique fait avec du raisin noir. Tous frais déduits, bouteilles et bouchons compris, il m'est revenu à un franc la bouteille. Je le fis ranger sur des lattes à la cave pour l'année suivante; la saison des petits pois étant arrivée, j'en préparai, d'après ce nouveau procédé, environ quatre à cinq cents bouteilles. Je m'en suis heureusement tenu à ce nombre, car la majeure partie fut perdue par la casse et le mauvais goût que les petits pois contractèrent successivement, sans que j'aie pu en deviner la cause. Il me fallut abandonner cette méthode, et garder le moût de raisin qui s'est conservé bien long-temps: enfin, je suis parvenu à l'écouler. On verra à l'article des fruits l'usage que j'en ai fait.
Nouvelle manière de conserver les petits pois.
A l'époque où je commençai à faire usage de boîtes de fer-blanc, je fis l'essai suivant. Après avoir disposé douze litres de petits pois bien récents, les avoir lavés et maniés avec une livre et demie de beurre bien frais, je les fis égoutter et les mis sur le feu; je couvris le vase d'un couvercle concave, et je fis cuire les petits pois sans les mouiller, en les sautant de temps à autre, et en ayant soin d'entretenir d'eau fraîche la partie creuse du couvercle. Je renouvelai l'eau lorsqu'elle était très-chaude; je laissai cuire les petits pois comme pour les servir, et je les finis avec un morceau de beurre manié avec un peu de farine. Je les mis alors refroidir dans une terrine, et ensuite en petites boîtes contenant une livre et demie; je fis bien fermer les boîtes, et leur donnai, au bain-marie, une petite heure d'ébullition.
Petits pois préparés à l'anglaise.
Cette manière est toute simple. Je fais cuire les petits pois dans de l'eau: lorsqu'ils sont cuits, je les assaisonne de sel en ajoutant deux ou trois onces de beurre frais par litre de petits pois; je les saute, et lorsqu'ils sont froids, je les mets en boîtes, etc., pour les mettre au bain-marie et recevoir une petite heure d'ébullition. On peut aussi employer les bouteilles pour conserver les petits pois par cette méthode.
Par ces deux manières, les petits pois ont été conservés parfaitement: on pourra conserver aussi en boîtes, et par ce procédé, les gros pois, soit au lard ou toutes autres viandes avec sécurité. Pour en faire usage, il suffit de les faire chauffer au bain-marie au moment de les servir. On peut à volonté ajouter un peu de sucre, etc.
Me voilà enfin fixé sur cette dernière méthode qui est bien supérieure à toutes les précédentes.
Je fais nettoyer les asperges comme pour l'usage journalier, soit entières ou aux petits pois. Avant de les mettre en bouteilles ou en bocaux, je les plonge dans l'eau bouillante, et de suite dans l'eau fraîche, pour ôter l'âcreté particulière à ce légume; les asperges entières sont rangées avec soin dans des bocaux, la tête en bas; celles disposées en petits pois, sont mises en bouteilles. Après que les unes et les autres sont bien égouttées, je bouche, etc., et je les mets au bain-marie pour y recevoir un bouillon seulement, etc.
Nouvelle manière de conserver les asperges entières.
Après avoir fait nettoyer et laver les asperges, je les plonge dans l'eau bouillante, pour ôter leur âcreté. Je les place ensuite dans des boîtes ovales préparées à l'avance, et les couvre d'une gelée de veau et de volaille à consistance de dix degrés à l'aréomètre, et leur donne alors soixante degrés de chaleur au bain-marie: dans ma première manière, l'asperge est très-difficile à placer dans les bocaux; elle se ride et est d'une apparence peu apétissante. Dans la seconde manière, les asperges étant baignées dans une gelée se soutiennent pleines et fermes.
Je prépare depuis long-temps les asperges aux petits pois, comme cela se pratique dans la saison. Je les mets ensuite en bouteilles ou en boîtes, en leur donnant un bouillon au bain-marie.
La féverole n'est point bonne à conserver. Je me sers de la julienne et vraie fève de marais, de celle qui est grosse et large comme le pouce, lorsqu'elle est en maturité. Je la fais cueillir très-petite, grosse comme le bout du petit doigt, pour la conserver avec sa robe. Comme la robe est sensible au contact de l'air, qui la brunit, je prends la précaution, tout en les écossant, de les faire mettre dans les bouteilles. Lorsque ces dernières sont pleines et tassées légèrement sur le tabouret, pour en faire tenir le plus possible, et remplir tous les vides, j'ajoute à chaque bouteille un petit bouquet de sariette; je les bouche bien vite, etc., pour les mettre au bain-marie pendant une heure de bouillon, etc. Lorsque ce légume est cueilli, préparé et confectionné avec célérité, je l'obtiens d'un blanc verdâtre; au contraire, lorsqu'il languit dans la préparation, il brunit et durcit.
Depuis long-temps j'étais fort contrarié de ne pouvoir conserver, d'une manière sûre et générale, une belle couleur blanche-verdâtre aux petites fèves de marais robées; malgré les soins et toutes les précautions que je pouvais prendre, j'en avais de plus ou moins rembrunies, qu'il ne m'était plus possible de vendre, parce qu'on en avait eu de plus belles.
Depuis la publication de ma première édition, j'ai fait de nouvelles tentatives au moyen desquelles j'ai obtenu ces petites fèves telles que je les désirais; pour y parvenir, j'ai mis les bouteilles remplies dans l'eau fraîche sortant du puits, je les y ai laissées une heure au plus, je les ai bouchées et ficelées pour les mettre de suite au bain-marie.
Ayant été une fois obligé d'attendre plus de deux heures pour pouvoir mettre les bouteilles au bain-marie, après qu'elles furent bouchées et ficelées, je les remis en attendant à l'eau fraîche, et les ayant ensuite soumises au bain-marie, j'ai obtenu des fèves aussi belles que les précédentes.
Je me persuade que ce moyen pourra servir à conserver la couleur de beaucoup d'autres substances; par exemple, celles de certaines fleurs, à la couleur desquelles la médecine attache beaucoup de vertus.
Pour conserver des fèves de marais dérobées, je les prends plus grosses, à peu près d'un demi-pouce de long au plus; je les fais dérober et mettre en bouteilles avec un petit bouquet de sariette, etc., et je les mets au bain-marie pour leur donner une heure et demie de bouillon, etc.
Le haricot connu sous le nom de bayolet, qui ressemble au suisse, est l'espèce qui convient le mieux pour conserver en vert; il réunit au meilleur goût l'uniformité; je le fais cueillir comme pour l'usage journalier. Aussitôt je le fais éplucher et mettre en bouteilles ou boîtes, que j'ai soin de faire tasser sur le tabouret, pour remplir les vides. Je bouche, etc., et mets au bain-marie, pour leur donner une heure et demie de bouillon. Lorsque le haricot se trouve un peu gros, je le fais couper de longueur en deux ou trois; de cette manière, il n'a besoin que d'une heure au bain-marie[35].
Le haricot de Soissons mérite à juste titre la préférence; à son défaut, je prends le meilleur possible, je le fais cueillir lorsque sa cosse commence à jaunir, écosser de suite et mettre en bouteilles, etc. Je le mets au bain-marie pour lui donner deux heures de bouillon, etc.
Je conserve depuis plusieurs années le haricot flageolet de la même manière; beaucoup de personnes le préfèrent, en ce qu'il annonce plus la primeur, par sa couleur, que le Soissons.
Je les prends de moyenne grosseur; après en avoir ôté toutes les feuilles inutiles et les avoir parés, je les plonge dans l'eau bouillante, et de suite dans l'eau fraîche; après les avoir égouttés, ils sont mis en bocaux, ou en boîtes (ce qui est plus facile à boucher), etc., et au bain-marie pour recevoir une heure et demie de bouillon, etc.
J'ai coupé de beaux artichauts en huit morceaux; j'en ai ôté le foin et ne leur ai laissé que très-peu de feuilles. Je les ai plongés dans l'eau bouillante, ensuite dans l'eau fraîche; étant bien égouttés, ils ont été passés sur le feu, dans une casserole, avec un morceau de beurre frais, assaisonnement et fines herbes; lorsqu'ils ont été à moitié cuits, je les ai ôtés du feu et mis refroidir; ensuite ils ont été mis en bocaux, bouchés, ficelés, lutés, etc., ou en boîtes, et placés au bain-marie pendant une demi-heure de bouillon, etc.
On les prépare à l'ordinaire, cuits à moitié seulement: on les met ensuite en boîtes, et on leur fait subir une demi-heure d'ébullition au bain-marie.
Lorsque les choux-fleurs sont bien épluchés, je les plonge, comme l'artichaut, à l'eau bouillante et à l'eau fraîche; lorsqu'ils sont bien égouttés, ils sont mis en bocaux, ou en boîtes, je bouche, etc.; je les place au bain-marie pour leur donner une demi-heure de bouillon, etc.
Comme les années varient et sont tantôt sèches, tantôt pluvieuses, on sentira aisément qu'il faut également étudier et varier les degrés de chaleur qui conviennent dans ces deux cas; c'est une attention particulière qu'il ne faut pas oublier. Par exemple, dans une année fraîche et humide, les légumes sont plus tendres, et par conséquent plus sensibles à l'action du feu; dans ce cas, il faut donner sept à huit minutes de moins d'ébullition au bain-marie, et en donner autant de plus dans les années de sécheresse, où les légumes sont plus fermes et soutiennent mieux l'action du feu.
Autre manière. Après que les choux-fleurs ont été bien épluchés et blanchis, on les fait cuire à moitié avec un peu de sel et un bon morceau de beurre frais. On laisse refroidir, on les met en boîtes et on les recouvre de leur bouillon de cuisson. Un bouillon au bain-marie leur suffit; de cette manière ils sont bien meilleurs.
Je fais cueillir oseille, belle-dame, laitue, poirée, cerfeuil, ciboule, etc., en proportion convenable. Lorsque le tout est bien épluché, lavé, égoutté, haché, je fais cuire le tout ensemble dans un vase de cuivre bien étamé. Ces légumes doivent être bien cuits comme pour l'usage journalier, et non pas desséchés, et souvent brûlés, comme cela se pratique dans les ménages lorsqu'on veut les conserver. Ce degré de cuisson est le plus convenable. Lorsque mes herbes sont ainsi préparées, je les mets refroidir dans des vases de faïence ou de grès; ensuite je les mets en boîtes ou en bouteilles d'embouchure un peu grande, je bouche, etc., et je mets au bain-marie, pour donner à mon oseille un quart d'heure de bouillon seulement. Ce temps suffit pour la conserver dix ans intacte et aussi fraîche que si elle sortait du jardin. Cette manière est sans contredit la meilleure et la plus économique pour les ménages, les hospices civils et militaires. Elle est surtout la plus avantageuse pour la marine; car on pourra rapporter, des grandes Indes, l'oseille ainsi préparée, aussi fraîche et aussi savoureuse que cuite du jour.
C'est bien à tort que dans les ménages et dans les administrations, l'on attend jusqu'au mois d'octobre et plus tard encore, si le temps le permet, pour conserver l'oseille. Alors ce légume a perdu de ses précieuses qualités, et il ne lui reste plus qu'un acide âcre et peu supportable, surtout après avoir subi une cuisson trop prolongée, qui ne l'empêche pas de contracter, au bout de quelques mois, un goût de moisi. Que de pertes n'éprouve-t-on pas par cette mauvaise méthode? C'est en juin que l'on doit préparer et conserver l'oseille. A cette époque elle est meilleure, et l'on se procure facilement toutes les herbes que l'on doit ajouter pour la bonifier, et modifier son acide, avantage difficile à obtenir en octobre.
ÉPINARDS ET CHICORÉE.
Ces deux espèces se préparent comme pour l'usage journalier; lorsqu'elles sont bien fraîchement cueillies, épluchées, blanchies, rafraîchies, pressées et hachées, je les mets en bouteilles ou en boîtes, etc., pour leur donner un quart d'heure de bouillon au bain-marie, etc.
Les carottes, choux, navets, panais, ognons, céleri, cardons d'Espagne, betteraves, et généralement tous les légumes se conservent également, soit blanchis seulement, soit préparés au gras ou au maigre pour en faire usage au sortir du vase. Dans le premier cas, je fais blanchir et cuire à moitié dans l'eau, avec un peu de sel, les légumes que je veux conserver; je les retire de l'eau pour les faire égoutter et refroidir: ensuite je mets en bouteilles, ou en boîtes, etc., pour les mettre au bain-marie, et donner aux carottes, choux, navets, panais, betteraves, une heure de bouillon, et une demi-heure, aux ognons, céleri, etc. Dans l'autre cas, je prépare mes légumes, soit au gras, soit au maigre, comme pour l'usage ordinaire; lorsqu'ils sont cuits aux trois quarts et bien préparés et assaisonnés, je les retire du feu pour les laisser refroidir; ensuite je les mets en bouteilles, je bouche, etc., pour leur donner un bon quart d'heure de bouillon, etc.
J'ai conservé ce légume de plusieurs manières.
1o J'ai fait cuire au bain de vapeur de grosses pommes de terre blanches; après les avoir bien épluchées, je les ai réduites comme de la chapelure de pain, et les ai mises en bouteilles de petite embouchure, puis je les ai tassées, bouchées, etc.
2o J'ai pris de ces mêmes pommes de terre, réduites comme les précédentes; je les ai assaisonnées de sel, de poivre, de fines herbes, et de bon beurre frais, ce qui a formé une espèce de pâte que j'ai mise dans des bouteilles, et que j'ai aussi tassées, bouchées, etc.
3o J'ai épluché des pommes de terre longues et rouges, et les ai coupées en rouelles minces et de la largeur d'un franc; et les ayant fait frire avec les assaisonnemens ordinaires, jusqu'à ce qu'elles aient obtenu une belle couleur, je les ai mises en bouteilles dès qu'elles ont été refroidies, et les ai bien tassées et bouchées, etc.
J'ai mis toutes les bouteilles contenant ces diverses préparations dans le même bain-marie, et leur ai laissé prendre seulement un bon bouillon. Au bout de huit mois, elles ont toutes été trouvées aussi fraîches que le jour même de leur préparation.
On pourrait aussi conserver des pommes de terre entières, en les mettant crues dans des bocaux. En faisant usage des boîtes, il sera facile de les conserver de toute manière et de toute grosseur, en leur donnant une demi-heure de bouillon.
J'ai fait cueillir les tomates bien mûres, lorsqu'elles ont acquis leur belle couleur. Après les avoir bien lavées et fait égoutter, je les ai coupées en morceaux et mis fondre sur le feu dans un vase de cuivre bien étamé. Lorsqu'elles ont été bien fondues et réduites d'un tiers de leur volume, je les ai passées au tamis clair, assez fin cependant pour retenir les pepins; le tout passé, j'ai remis la décoction sur le feu, et je l'ai rapprochée de manière qu'il n'en restât que le tiers du volume total. Ensuite j'ai fait refroidir dans des terrines de grès, et de suite mis en bouteilles ou en boîtes, etc., pour leur donner un bon bouillon seulement au bain-marie, etc.
Autre manière de préparer les tomates pour les conserver.
Après les avoir fait cueillir, comme les précédentes, bien mûres, je les fis exposer, rangées sur des planches, au grand soleil, pendant sept à huit jours, pour achever leur parfaite maturité; ensuite j'ai choisi les plus rouges et les plus molles que je fis mettre, par morceaux, égoutter sur des tamis, après les avoir lavées. Le lendemain matin je les fis fondre sur le feu; je leur donnai trois à quatre bons bouillons, et je les mis égoutter sur une toile claire tendue sur un panier; quatre heures après, je les fis passer à l'étamine, pour en avoir toute la pulpe que je mis ensuite sur le feu; je lui donnai un bon bouillon, avec le soin de la remuer pour qu'elle ne s'attachât pas; ensuite je mis cette pulpe égoutter sur des tamis clairs, jusqu'au lendemain matin: alors elle avait jeté la majeure partie de son eau de végétation, mais, comme il lui en restait encore, je la remis sur le feu; je lui donnai un bon bouillon, toujours en la remuant, et je la remis égoutter sur les tamis; le lendemain matin cette pulpe était comme une pâte, je la mis en bouteilles et au bain-marie après l'avoir bien bouchée, etc., pour lui donner un bon bouillon seulement.
Cette manière demande plus de sujétion, mais aussi on en est bien dédommagé; il faut moins de vases; elle est infiniment plus belle et meilleure que la précédente.
Je n'ai pas encore fait d'expériences sur les fleurs; mais il n'y a pas de doute que cette nouvelle méthode ne donne les moyens d'en obtenir des résultats précieux et économiques.
Après l'avoir bien nettoyé, je l'ai râpé et mis en bouteilles, que j'ai bien tassées et bouchées, etc., pour leur donner une demi-heure de bouillon au bain-marie.
COCHLEARIA, MENTHE POIVRÉE EN PLEINES FLEURS, CRESSON DE FONTAINE, ABSINTHE, ESTRAGON, FLEUR DE SUREAU, etc., LE TOUT EN BRANCHES.
J'ai rempli plusieurs bouteilles de chacune de ces plantes, les plus fraîches possibles, je les ai comprimées un peu dans les bouteilles, au moyen d'un petit bâton, afin d'en faire contenir davantage; j'ai bien bouché, etc., et leur ai donné un bouillon seulement. Elles ont été parfaitement conservées[36].
Je me procure cette fleur récemment cueillie et sans avoir été arrosée, comme celle qui est destinée à la vente au marché[37]. Je fais séparer du pistil les pétales blancs, qui sont mis au fur et à mesure dans des bouteilles de demi-litre. Dès qu'une bouteille est pleine, je la mets dans l'eau bien fraîche, après l'avoir légèrement bouchée, afin que l'eau ne puisse pas y pénétrer. Lorsque toutes les bouteilles sont ainsi disposées, après les avoir bien bouchées, ficelées, etc., je les mets au bain-marie couvert jusqu'à ce qu'il entre en ébullition. Aussitôt je retire le feu de l'appareil; un quart d'heure après, je découvre le bain-marie, et une demi-heure plus tard, je retire les bouteilles. J'opère de même avec les boutons que je mets dans le même bain-marie avec les pétales.
Les pistils sont mis en bouteilles de litre avec les feuilles fanées. Après les avoir bien bouchées, etc., je les mets au bain-marie, et leur donne un quart d'heure d'ébullition.
Comme ces bouteilles sont légères, on les maintient droites dans le bain-marie, au moyen d'une grille ou de tout autre objet.
On emploie la fleur d'orange ainsi conservée comme dans la saison, et l'on peut monter des bouquets avec les boutons.
J'ai très-bien conservé des sucs de plantes, tels que ceux de laitue, de cerfeuil, de bourrache, de chicorée sauvage, de cresson de fontaine, etc.; je les ai préparés et dépurés par les procédés ordinaires, j'ai bouché, etc., pour leur donner un bouillon au bain-marie, etc.
Les fruits et leurs sucs demandent la plus grande célérité dans les procédés préparatoires, et particulièrement dans l'application de la chaleur au bain-marie.
Il ne faut pas attendre la trop grande maturité des fruits pour les conserver en entier ou en quartiers, parce qu'ils fondent au bain-marie; de même qu'il ne faut pas prendre ceux du commencement de la récolte, ni ceux de la fin. Les premiers et les derniers n'ont jamais autant de qualité ni de parfum que ceux qui sont cueillis dans la bonne saison, qui est celle où la majeure partie de la récolte de chaque espèce se trouve à la fois en maturité.
Les fruits que l'on veut conserver entiers, à moitié ou même en quartiers, fondent lors de l'application de la vapeur au bain-marie, et ont l'inconvénient non-seulement de s'écraser, de former des interstices plus ou moins grands, mais encore de laisser le vase plus ou moins en vidange. Afin d'éviter ces désagrémens pour les fruits rouges, tels que groseilles, framboises, cerises, etc., et pour mettre plus de précision et d'économie dans les procédés préparatoires, je choisis les sortes inférieures du fruit que je veux conserver, je les fais écraser pour en extraire le suc, que je passe à la chausse. Après avoir mis dans les bouteilles ou en boîtes la sorte que je veux conserver, je frappe la bouteille pour tasser légèrement, sans écraser le fruit, et je remplis la bouteille avec le suc que j'ai préparé jusqu'à trois pouces de la cordeline, je bouche, etc. J'opère de même sur les abricots, mirabelles, pêches, prunes de reine-claude, etc. On a toujours assez de fruits inférieurs, pour obtenir une quantité suffisante de suc pour ces opérations.
Dans une bonne année, j'avais conservé environ 3,000 bouteilles de moût de raisin; la vente ne s'en faisant que très-lentement, je l'ai employé à tous les fruits jaunes et blancs, en place du suc de ces fruits.
De cette manière, le fruit entier entouré de suc se soutient, conserve sa forme, et les bouteilles se trouvent toujours pleines.
GROSEILLES ROUGES ET BLANCHES EN GRAPPES.
Je fais cueillir les groseilles rouges et blanches séparées, pas trop mûres; je choisis la belle, et les plus belles grappes bien propres, et je les fais mettre en bouteilles, avec le soin de les faire tasser séparément sur le tabouret, pour remplir les vides; ensuite je bouche, etc., pour les mettre au bain-marie, que j'ai l'attention de surveiller; et aussitôt qu'il entre en ébullition ou au bouillon, j'en retire tout le feu bien vite, et un quart d'heure après je lâche l'eau du bain-marie par le robinet, etc.
GROSEILLES ROUGES ET BLANCHES ÉGRENÉES.
Je fais égrener les groseilles rouges et blanches séparées; elles sont mises de suite en bouteilles, et je les finis comme celles en grappes, avec les mêmes attentions, au bain-marie; je conserve beaucoup plus de ces dernières, parce que la grappe donne toujours une âpreté au suc de groseilles.
CERISES, FRAMBOISES, MURES ET CASSIS.
Je fais cueillir ces fruits pas trop mûrs, afin qu'ils s'écrasent moins à l'opération. Je les fais mettre en bouteilles séparément et tasser sur le tabouret, légèrement. Je bouche, etc., et je les finis comme et avec les mêmes soins que la groseille.
Pour obtenir le suc et tirer de la merise toute sa couleur, je la prends très-mûre, j'en fais ôter toutes les queues; après quoi je fais fondre le fruit sur le feu dans une poële de cuivre: après leur avoir donné un bouillon couvert, je les mets égoutter sur des tamis; ce qui reste sur ces derniers est soumis à la presse, après en avoir séparé les noyaux, pour mêler les deux produits ensemble, que je mets de suite en bouteilles et au bain-marie, après les avoir bien bouchées, etc.
Je fais cueillir la groseille rouge bien mûre, je la fais écraser sur des tamis clairs; je soumets à la presse le marc qui reste sur les tamis, pour en extraire tout le suc qui peut y rester, et que je mêle avec le premier; je parfume le tout avec un peu de suc de framboises. Je passe cette décoction au tamis un peu plus fin que les premiers[38]. Je mets en bouteilles, etc., et j'expose au bain-marie avec la même attention que pour la groseille en grains, etc.
J'opère de même pour le suc de groseilles blanches.
Pour les grandes opérations, j'ai fait construire des tamis de canevas de vingt-quatre à trente pouces de diamètre, assez serré pour retenir les pepins; je les ai fait ajuster sur un cuvier placé sur un trépied peu élevé. Ce cuvier est armé à sa base d'un robinet ou d'une broche. Je mets douze à quinze livres de groseilles dans un baquet, et avec un rabot ou morceau de bois de huit pouces de longueur sur trois pouces d'épaisseur bien emmanché, j'écrase les groseilles en les appuyant contre les parois du vase. Lorsque le fruit est bien écrasé, je le verse de suite sur le grand tamis de canevas, et le promène dessus, au moyen d'une spatule de bois, en ayant soin d'appuyer légèrement pour ne pas fatiguer le tamis. Dès que tout le suc est passé à travers le tamis, je mets à la presse le marc qui reste pour en extraire le suc qui s'y trouve, et je le réunis à celui qui est sur les tamis. On continue jusqu'à la fin de l'opération. C'est ainsi que j'ai employé jusqu'à deux mille quatre cents livres de groseilles en un jour.
Lorsque tout le suc est extrait, on met en bouteilles, on bouche, etc.
Après avoir préparé le suc de groseilles comme le précédent, au lieu de le mettre de suite en bouteilles, je le dépose dans des terrines ou bachots, suivant la quantité, que l'on emplit à moitié; j'y ajoute un dixième de suc de cerises[39], et je fais déposer le tout à la cave ou dans un endroit frais, pour y passer la nuit; du jour au lendemain il est pris en gelée. Je fais mettre cette gelée sur des tamis posés sur des vases; au bout de deux heures au plus la gelée est fondue, le mucilage reste sur les tamis, et j'obtiens le suc de groseilles limpide; je le mets en bouteilles pour mettre de suite au bain-marie après l'avoir bien bouché, etc.
Je me suis servi de très-belles pommes reinettes, que j'ai pelées, coupées en quartiers, et dégarnies de leurs pepins; je les ai mis fondre, avec une quantité suffisante d'eau, dans une bassine, sur le feu. Étant bien fondues, j'ai passé cette marmelade au tamis; j'en ai pressuré le marc, que j'ai mêlé avec le premier suc; j'ai mis le tout en bouteilles, etc., et lui ai donné un bouillon au bain-marie.
SUCS D'ÉPINE-VINETTE, DE GRENADES, D'ORANGES, DE CITRONS, etc.
Je commence par exprimer ces fruits; j'en passe les sucs au tamis, et je les mets dans des bouteilles que je bouche légèrement, pour les dépurer au bain-marie, où je les laisse jusqu'à ce qu'ils commencent à bouillir: je les retire aussitôt du feu, pour les laisser refroidir; je les ôte ensuite des bouteilles, et le lendemain, lorsque les sucs sont bien reposés, je les tire au clair dans d'autres bouteilles, je les bouche bien, etc., et je les remets au bain-marie, pour un bouillon seulement.
La plus grande célérité doit être mise dans la préparation de ces sucs, qui pourraient devenir limoneux et très-difficiles à s'éclaircir, particulièrement le suc de citron.
J'écrase dans un mortier, au moyen d'un pilon, le verjus le plus gros et le plus ferme possible; je le passe au tamis pour en retirer le pepin; j'y joins ce que j'ai pu extraire du marc au moyen de la presse; je mets le tout dans des bouteilles bien bouchées, etc., pour leur donner un léger bouillon au bain-marie.
Ces sucs, ainsi conservés, peuvent se garder plusieurs jours après avoir reçu le contact de l'air, sans éprouver d'altération.
J'ai fait sur la fraise beaucoup d'expériences de diverses manières, sans pouvoir obtenir son parfum; il m'a fallu avoir recours au sucre. En conséquence, j'ai écrasé et passé des fraises au tamis comme pour faire des glaces; j'ai ajouté demi-livre de sucre en poudre, avec le suc d'un demi-citron pour livre de fraises; le tout bien mêlé ensemble, j'ai mis la décoction en bouteilles, bouché, etc.; je l'ai exposée au bain-marie jusqu'à ce que l'ébullition commençât, etc. Cette manière m'a très-bien réussi, à la couleur près, qui perd beaucoup; mais on peut y suppléer avec du suc de merise.
Pour la table, l'abricot commun et l'abricot-pêche, tous deux de plein-vent, sont les deux meilleures espèces pour conserver. Ceux d'espalier n'ont pas, à beaucoup près, la même saveur et le même arome. Je mêle assez ordinairement ces deux espèces ensemble, parce que la première soutient l'autre qui a plus de suc, et qui fond davantage à l'action de la chaleur. On peut cependant les préparer séparément, en prenant la précaution de donner quelques minutes de moins au bain-marie pour l'abricot-pêche; c'est-à-dire qu'aussitôt que le bain-marie commence à bouillir, il faut en retirer le feu, au lieu que pour l'autre je ne retire le feu qu'après que le bain-marie est au premier bouillon.
Je fais cueillir les abricots, lorsqu'ils sont mûrs[40], mais un peu fermes, lorsqu'en les serrant légèrement, je sens entre les doigts le noyau se détacher. Aussitôt cueillis, je les coupe par la moitié en long, j'en ôte le noyau et la peau le plus mince possible, avec un couteau. Suivant l'embouchure des vases, je les mets en bouteilles, soit par moitié ou en quartiers; je les tasse sur le tabouret, pour remplir le vide; j'ajoute à chaque bouteille douze à quinze des amendes des noyaux que j'ai fait casser; je bouche, etc. Je les mets au bain-marie pour leur donner un bouillon seulement, et aussitôt j'en retire le feu avec la même précaution que celle employée à l'égard de la groseille, etc.
La grosse mignonne et la calande, sont les deux espèces de pêches qui réunissent le plus de qualités et de parfum; à défaut de ces deux espèces, je prends les meilleures possible, pour les conserver par les mêmes procédés que ceux employés pour les abricots[41].
Je prends le brugnon bien mûr, c'est-à-dire plus mûr que la pêche, parce qu'il soutient mieux l'action du feu, et d'un autre côté je lui laisse la peau pour le conserver. Du reste, j'opère de la même manière que pour les abricots et les pêches, et toujours en surveillant le bain-marie, comme pour la groseille. Ayant remarqué que la peau du brugnon lui donnait un peu d'amertume, je conseillerai de le peler pour le conserver.
PRUNES DE REINE-CLAUDE ET MIRABELLE.
J'ai fait des prunes de reine-claude entières avec queue et noyau, ainsi que d'autres grosses prunes, et même des perdrigons et des alberges, qui m'ont très-bien réussi; mais l'inconvénient, c'est qu'il ne tient que très-peu de ces grosses prunes dans un grand vase, parce qu'on ne peut remplir les vides en les tassant, à moins de les écraser totalement, et que lorsqu'elles ont reçu l'application du feu au bain-marie, elles sont diminuées, et que les vases se trouvent à moitié vides. En conséquence, j'ai renoncé à cette manière trop dispendieuse, et j'ai pris le parti de ne conserver toutes les grosses prunes que coupées par moitié, après en avoir ôté le noyau. Ce moyen est plus facile et plus économique, les bouchons de calibre à boucher les gros objets étant plus chers et très-rares en liége très-fin; d'un autre côté, les vases de petite ou moyenne embouchure sont plus faciles à bien boucher, et l'opération par conséquent plus sûre. Pour la prune de mirabelle, et toutes autres petites prunes, je les prépare entières avec le noyau, après leur avoir ôté la queue, parce qu'elles sont plus faciles à tasser, et qu'elles ne laissent que très-peu de vide dans les vases. Pour toutes ces prunes généralement, entières ou coupées par moitié, j'emploie les mêmes procédés, les mêmes soins et les mêmes attentions que pour l'abricot et la pêche.
J'ai pris le plus gros verjus, très-ferme; je l'ai ouvert dans sa longueur, pour en retirer les pepins; je l'ai mis en bouteilles, tassé légèrement et bien bouché, pour lui donner un bouillon au bain-marie.
Lorsque les poires sont pelées, coupées en quartiers et nettoyées de leurs pepins, ainsi que des enveloppes de ces pepins, je les mets en bouteilles, etc., pour les mettre au bain-marie. Je surveille également le degré de chaleur qu'elles ne doivent éprouver que jusqu'à l'ébullition, lorsque ce sont des poires à couteau; pour les poires à cuire, je leur donne cinq à six minutes de bouillon au bain-marie. Les poires tombées ont besoin d'un quart d'heure de bouillon, etc.
Lorsqu'il est bien mûr, je lui ôte son duvet, et le prépare en quartiers, pour lui donner une bonne demi-heure de bouillon au bain-marie.
Après avoir coupé en longueur l'écorce des marrons, d'un côté seulement, je les fais griller dans une poêle percée jusqu'à ce qu'ils soient à moitié cuits, mais de manière qu'ils restent blancs, sans être tachés de feu. Il faut que le feu soit ardent, afin que les marrons s'épluchent facilement. On les met ensuite en boîtes ou en bouteilles, et on leur donne un quart d'heure de bouillon au bain-marie.
On peut encore conserver les marrons de cette manière, sans les éplucher, et après avoir coupé l'écorce de même qu'aux précédens. On les soumet ensuite à un quart d'heure d'ébullition au bain-marie.
On pourra faire griller les marrons préparés de cette dernière manière pour les servir à la serviette.
Après avoir bien lavé et brossé les truffes pour en ôter toute la terre, j'en fais enlever légèrement la superficie avec le couteau. J'ai l'attention d'en séparer les blanches, les musquées, les véreuses, ainsi que celles attaquées de la gelée. Ensuite, selon le diamètre ou l'ouverture de l'embouchure des vases, je les mets en bouteilles, entières ou coupées par morceaux: les résidus sont mis en bouteilles à part; le tout bien bouché, etc., je les mets au bain-marie, pour recevoir une heure de bouillon, etc. (Il n'est pas besoin de recommander que les truffes soient bien saines et des plus récentes.)
Les truffes ont l'inconvénient de fondre au bain-marie. Les vases sont quelquefois à moitié vides après l'opération, surtout ceux qui en contiennent de grosses. Afin d'obvier à cet inconvénient, j'ai pris le parti de donner aux truffes un degré de cuisson avant de les renfermer dans les bocaux ou boîtes. Voici la description de l'appareil (Pl. 4,fig. 3) dont je me sers:
a, appareil en forme de manchon, de cuivre rouge, bien brasé et étamé dans l'intérieur;
b, ouverture cylindrique à jour, de trois pouces de diamètre;
c, entrée, de trois pouces de diamètre, par laquelle on introduit les truffes grosses et petites, parées et non parées, après les avoir bien nettoyées et disposées comme nous l'avons dit plus haut.
Lorsque l'appareil est plus ou moins garni de truffes (car il n'est pas nécessaire qu'il soit plein), je ferme bien exactement l'entrée avec le couvercle d, et je lute avec du papier et de la colle ordinaire.
Le tout étant ainsi disposé, je porte l'appareil au bain-marie par les anneaux e e, et je le place sur un faux-fond percé de trous. J'ai soin qu'il ne baigne dans l'eau que jusqu'à sept ou huit pouces de hauteur, et que le lut ne soit point mouillé. Je maintiens l'appareil debout dans le bain-marie, en mettant dessus un poids suffisant.
Après avoir donné une heure de bouillon, je retire les truffes, que je laisse refroidir. Je les place sur un tamis posé sur une terrine; lorsqu'elles sont bien égouttées, je sépare les grosses d'avec les petites et les parées d'avec les non parées, et je les mets dans les vases disposés à l'avance. Le jus qui reste dans la terrine est distribué dans les bouteilles et les boîtes, suivant la quantité de truffes qui y sont renfermées. Après avoir bien bouché, fermé, etc., je mets au bain-marie, pour donner une demi-heure de bouillon.
C'est ainsi que je suis parvenu à obtenir des vases pleins de truffes entières, conservées avec tout leur parfum.
De quelque manière que les truffes soient préparées, pourvu qu'elles soient bien fraîches, elles se conserveront parfaitement deux ans, trois ans, et tant qu'on voudra.
Je prends les champignons, sortant de la couche, bien formés et bien fermes. Après les avoir épluchés et lavés, je les mets dans une casserole sur le feu avec un morceau de beurre ou de bonne huile d'olive, pour leur faire jeter leur eau, j'y ajoute du suc de citron, proportionnellement au nombre des champignons, pour en conserver la blancheur; je les laisse sur le feu jusqu'à ce que cette eau soit réduite de moitié; je les retire pour les laisser refroidir, dans une terrine, pour les mettre en bouteilles, et leur donner un bon bouillon au bain-marie, etc.
Les champignons se conservent également préparés de toute autre manière.