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Le livre de tous les ménages: ou l'art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales

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Le 9 septembre 1809, j'ai opéré en présence des membres de la commission, nommée par S. Exc. le ministre de l'intérieur, à l'effet de constater la nature de mes procédés.

Les expériences furent faites sur les objets suivans:

Bouilli, cuisses et ailes de volailles nageant dans du consommé;

Côtelettes et filets de mouton;

Fricassée de poulets, garnie de champignons;

Matelotte d'anguille, de carpe et brochet, garnie de ris de veau, d'anchois et d'ognons;

Des artichauts.

Tous ces objets furent renfermés dans des bocaux, ainsi qu'un pot-au-feu de ménage.

Du bouillon de mou de veau et de choux rouge;

Des champignons, des petits pois, petites fèves de marais, suc de groseilles, framboises entières et leur suc;

Du moût de raisin de Massy, de l'année, fut mis en bouteilles;

Du lait, du petit-lait, du sirop de raisin cuit légèrement, fait avec du moût de raisin de Massy, de l'année précédente, furent mis en demi-bouteilles, dont une pleine et deux en vidange;

Des sucs dépurés d'herbes, tels que de chicorée sauvage, bourrache, cresson de fontaine, mis en bouteilles, ainsi que de la menthe poivrée en branche.

Au total, soixante-deux, tant bocaux que bouteilles, qui furent cachetés, numérotés et déposés dans un panier, qui fut fermé, banderolé et cacheté par les membres de la commission, et déposé dans un cellier chez l'auteur, à Massy, pour y séjourner trente jours.

Le 12 octobre suivant, tous les membres de la commission firent procéder à l'ouverture du panier, ensuite à celle de toutes les bouteilles et vases y contenus.

Après qu'ils eurent reconnu la parfaite conservation de tous ces objets à froid, toutes les substances alimentaires furent les unes chauffées simplement, et les autres préparées au maigre et au gras, comme si elles eussent été fraîches; elles furent toutes reconnues pour être d'excellente qualité et aussi bonnes que lorsqu'on les avait renfermées.

C'est le rapport de ces expériences, fait, par la même commission, à S. Exc. le ministre de l'intérieur, qui a mérité à l'auteur les témoignages de bienveillance du gouvernement, avec un encouragement honorable. (Voyez la lettre de S. Exc. le ministre de l'intérieur.)

Je pourrais ajouter ici que M. Scipion Perrier, membre de la Société d'encouragement et du bureau consultatif des arts et manufactures au ministère de l'intérieur, se rappelant que, deux ans avant, je lui avais remis deux objets qui, à cette époque, étaient conservés depuis six mois, l'un, bœuf et volaille baignant dans du consommé pris en gelée; et l'autre, du lait, invita la commission dont il était membre à faire avec lui la dégustation de ces substances conservées et oubliées pendant deux ans et demi.

Il résulta de cette dégustation, que le bœuf et la volaille dans le consommé, contenus dans le bocal, le lait contenu dans la bouteille furent reconnus aussi frais et d'un goût absolument le même que celui qu'ils pouvaient avoir au moment de leur préparation.

Si, depuis plus de vingt à trente ans, les résultats obtenus, par les mêmes procédés, et soumis aux examens les plus rigoureux des gens de l'art des divers ports de mer, ont été le sujet du plus grand étonnement, on peut juger de celui de la commission devant laquelle le sieur Appert a développé tout le secret de sa méthode inconnue jusqu'alors: la surprise fut d'autant plus grande, que cette commission avait vu avec quelle simplicité et quelle facilité les procédés avaient été mis à exécution.

CAFÉ.

Après avoir donné la description exacte de l'unique procédé qui, dans un instant, procure un dîner à trois services, les amateurs ne verront pas sans intérêt qu'au moyen de ce même procédé, on obtient du café infiniment supérieur à celui préparé par tous les moyens connus jusqu'à nos jours, malgré les vains efforts qu'on a pu faire pour lui conserver son arome.

PREMIÈRE EXPÉRIENCE.

Ayant mis sur le feu une livre de café jusqu'à ce qu'il soit devenu couleur marron clair, et l'ayant trituré dans un mortier[42], je l'ai divisé, après l'avoir passé dans un tamis, dans trois bouteilles de demi-pinte que j'ai remplies d'eau fraîche jusqu'à trois pouces de la cordeline ou bague de la bouteille; je les ai bien bouchées pour leur donner seulement un bon bouillon[43] au bain-marie, d'où je les ai sorties quand elles ont été refroidies; après cette opération, j'ai laissé reposer le café deux jours pour le tirer au clair. Il en a été pris, tel qu'il sortait de la bouteille, il en a été mêlé avec de la crême, et il a été reconnu de l'une et de l'autre manière, renfermer beaucoup plus d'arome que préparé par toute autre méthode.

DEUXIÈME EXPÉRIENCE.

J'ai préparé de nouveau et de la même manière une autre livre de café, que j'ai aussi divisée dans trois bouteilles de demi-pinte. Au lieu de les remplir d'eau fraîche, comme dans la première expérience, je me suis servi de la décoction tirée au clair que j'ai eue en faisant bouillir, pendant six minutes, dans une cafetière, le marc qui restait dans les trois premières bouteilles; après avoir mis ces trois dernières bouteilles au bain-marie comme les premières, et les avoir laissé reposer deux jours, j'ai obtenu du café infiniment meilleur que le premier; et plein une cuiller à bouche seulement, dans deux onces de lait, a suffi pour en faire une excellente tasse.

TROISIÈME EXPÉRIENCE.

J'ai préparé une autre livre de café que j'ai divisée dans quatre bouteilles de demi-pinte; je les ai remplies, toujours à trois pouces de la cordeline, avec le café que j'ai extrait de la deuxième expérience, mêlé avec la décoction du marc qui en provenait; et les ayant soumises au bain-marie jusqu'à deux bouillons, je les ai, comme les précédentes, laissé refroidir et retirées pour les laisser reposer pendant dix jours; et les ayant tirées au clair, dans trois bouteilles que j'ai bien bouchées, etc., je leur ai donné un bouillon au bain-marie, etc. J'ai gardé ainsi conditionnées ces trois bouteilles dans ma cave pendant sept mois.

Cet extrait s'est trouvé parfaitement conservé et plein; deux à trois cuillerées à café suffisaient, avec l'eau nécessaire, pour procurer la meilleure tasse de café avec tout l'arome possible.

On voit par ces expériences, que si on les poussait plus loin, on pourrait avoir un extrait tel, qu'une cuillerée à café serait suffisante pour en faire une tasse, ce qui deviendrait extrêmement commode dans des voyages de long cours[44].

J'ajouterai qu'une personne qui en fait usage m'a assuré qu'il y avait un grand tiers d'économie, et que le café pris de cette manière prête plus à l'insomnie que tout autre, ce qui prouve évidemment sa force, qu'on pourra réduire en diminuant la quantité.

THÉ.

Rien n'est plus prompt à s'évaporer que son arome, auquel les amateurs attachent le plus grand prix. Voici le moyen de le conserver.

Il consiste à mettre dans une bouteille de demi-pinte, ou dans une plus petite, si l'on veut, une once de bon thé, à remplir cette bouteille d'eau et à la mettre au bain-marie, après l'avoir bien bouchée, pour l'en retirer six minutes environ avant l'ébullition: si on l'y laisse plus long-temps, il acquiert un goût un peu herbacé qui ne plaît pas à tout le monde.

Au bout de vingt-quatre heures, on peut faire usage de ce thé en en mettant plein une cuiller à café, plus ou moins, suivant la force qu'on désire, dans une théière remplie d'eau suffisamment chaude pour le prendre de suite; car si on prenait de l'eau bouillante, l'arome s'évaporerait en grande partie avant qu'on pût le porter à la bouche. Une bouteille peut servir un mois et plus, après avoir été débouchée; ainsi on pourra opérer suivant la consommation présumée, soit pour la maison, soit pour les voyages, etc.

MOUT DE RAISIN OU VIN DOUX.

En 1808, dans le temps des vendanges, j'ai pris du raisin noir, cueilli à la vigne avec soin; après en avoir fait ôter les grains pourris et ceux qui étaient verts, je l'ai fait égrener, ensuite écraser sur des tamis clairs; j'ai mis sous la presse le marc qui se trouvait sur les tamis, pour en extraire ce qui pouvait y rester; j'ai réuni le produit de la presse et des tamis dans une futaille. Après l'avoir laissé reposer ainsi vingt-quatre heures, je l'ai mis en bouteilles, etc., pour lui donner un bon bouillon au bain-marie, etc.[45]. Lorsque mon opération a été terminée, j'ai retiré les bouteilles de la chaudière; l'action du feu avait précipité le peu de couleur que le moût avait pris dans la préparation, et le moût de raisin s'est trouvé très-blanc. Je l'ai rangé dans mon laboratoire, sur des lattes, comme on place le vin.

A la récolte de 1810, j'ai répété la même expérience sur environ huit cents pintes de moût de raisin préparé avec les mêmes soins et attention.

Un quart a été mis en bouteilles sans aucune préparation.

Un autre quart a été dépuré et mis en bouteilles.

Le troisième quart a été dépuré, désacidifié, et mis également en bouteilles.

Le quatrième quart a été dépuré, désacidifié, rapproché à vingt degrés de l'aréomètre, et mis aussi en bouteilles: le tout a été bien bouché, etc., et mis au bain-marie pour y recevoir un bon bouillon.

Je l'ai déposé ensuite sur des lattes dans ma cave.

Procédé pour la conservation des vins dont la délicatesse ne permet ni le transport par mer, ni l'emmagasinage dans beaucoup de caves.

Personne n'ignore que les vins de France les plus délicats, notamment ceux de Bourgogne, ne peuvent supporter les voyages de mer les plus courts; la susceptibilité de quelques uns de ces vins est même si grande, qu'on est souvent obligé d'en faire la consommation dans les pays où on les récolte, par l'impossibilité d'en risquer le transport sans s'exposer à les dénaturer entièrement.

A l'époque où l'introduction des vins de France fut prohibée par terre dans le royaume des Pays-Bas, les propriétaires de ces vignobles furent plongés dans la consternation; une maison de Beaune, avec laquelle j'entretenais des relations, me pria de chercher les moyens de conserver les vins de ce cru, pendant les longs cours, et elle eut soin d'accompagner sa prière d'un panier de bouteilles consacrées aux expériences[46]. Animé du noble désir d'être utile à mon pays, et toujours plein de confiance dans les effets du calorique, je me mis au travail, et ne tardai pas à trouver la solution du problème. Voici comment je l'obtins:

Les bouteilles que l'on m'avait adressées étaient mal bouchées et trop pleines; j'en retirai un peu de vin, de manière à laisser un vide d'un pouce dans le goulot; je les rebouchai hermétiquement et les ficelai de deux fils de fer croisés. Après quoi je les mis dans le bain-marie dont je n'élevai la chaleur que jusqu'à 70 degrés, dans la crainte d'altérer la couleur.

Quinze jours après, j'envoyai à un de mes commettants du Havre douze bouteilles de ce vin, avec l'invitation d'en confier à plusieurs capitaines de navires pour qu'ils leur fissent essuyer le long cours, et me les rapportassent ensuite pour en faire la dégustation.

Afin de les comparer au retour, j'eus le soin de conserver par devers moi une certaine quantité de bouteilles auxquelles j'avais fait subir la même opération qu'à celles que je faisais embarquer, et, pour second terme de comparaison, j'en mis aussi de côté quelques unes telles que je les avais reçues de Beaune.

J'attendis plus de deux ans le retour de mes bouteilles; de six que mon commettant avait expédiées au long cours, deux seules revinrent de St.-Domingue. Très-curieux, comme on se l'imagine bien, de connaître le résultat d'une expérience aussi importante, je m'empressai de soumettre une de ces bouteilles à la dégustation d'un habile connaisseur. Il la compara avec deux autres, savoir une qui était restée dans la cave de mon correspondant du Havre, et qu'il venait de me renvoyer récemment, et une autre, de celles que j'avais conservées intactes. Le résultat de cette triple comparaison fut extraordinaire, et démontra que ce vin, originairement le même, présentait trois qualités essentiellement différentes.

La bouteille conservée chez moi, et qui n'avait pas subi la préparation, avait un goût de vert très-marqué; le vin renvoyé du Havre s'était fait et conservait son arome; mais la supériorité de celui revenu de Saint-Domingue était infinie, rien n'égalait sa finesse et son bouquet, la délicatesse de son goût lui prêtait deux feuilles de plus qu'à celui du Havre, et au moins trois de plus qu'au mien. Un an après, j'eus la satisfaction de réitérer cette expérience avec le même succès.

Il est donc incontestablement démontré par des faits aussi patens qu'on pourrait, à l'aide d'une préparation fort simple, exporter nos vins fins aux extrémités les plus reculées du globe; mais quand bien même mon procédé ne présenterait pas, comme il le fait, cet inappréciable avantage, de quelle utilité ne serait-il pas pour l'intérieur de la France, où il existe tant de caves dans lesquelles nos meilleurs vins ne se peuvent conserver, même en bouteilles? Espérons donc que le procédé si simple que je viens de décrire succinctement sera bientôt généralement adopté, et que son infaillibilité jointe au peu de frais qu'il occasionne, engagera beaucoup de propriétaires à en tenter l'essai. Je n'ajouterai qu'une seule recommandation, c'est celle de bien choisir la qualité des bouteilles et bouchons que l'on voudra employer, et de boucher avec le plus de soin possible.

Une épreuve bien importante, et que je me propose de faire incessamment, est celle de conserver nos vins en cercles; je pense qu'en opérant ainsi que je l'ai fait sur la bière, on pourrait obtenir d'heureux résultats, et arriver à les faire voyager en pièces.


CHAPITRE VI.

Préparation des substances destinées à être conservées en boîtes.

BŒUF, SOUPE ET BOUILLI.

Les boîtes et autres ustensiles étant préparés: dans la soirée qui précède l'opération, on fait abattre le nombre de bœufs choisis qu'exige la fourniture commandée, et qui peut aller jusqu'à trois à la fois, du poids de huit cents à mille livres. Le lendemain, sur les cinq heures du matin, ces viandes sont amenées de l'abattoir à la fabrique par deux garçons bouchers chargés de les diviser en morceaux, et de les désosser à blanc.

La moitié du bœuf[47] est séparée en deux par le milieu, entre la dernière côte et l'aloyau. Après avoir levé l'épaule, on en détache le manche et ensuite le collier, à côté du morceau dit surlonge; avec la scie on sépare la poitrine par le milieu des côtes. Ces cinq parties sont mises à part, et l'on passe à la division du quartier de derrière. On en retire le rognon avec la graisse qui l'entoure: on enlève avec précaution et à blanc le filet mignon, qu'on accroche à une allonge: avec la scie on sépare la cuisse de la culotte, et ensuite cette dernière de la bavette et des fausses côtes, ainsi que de l'aloyau. Ces quatre morceaux sont joints aux premiers pour être désossés[48].

Cette opération se commence par le bout du collier, c'est-à-dire par la joue du bœuf; lorsqu'elle est entièrement désossée, on passe au collier, et ainsi de suite aux autres morceaux du quartier de devant, dont on épluche toutes les parties sanguines, les nerfs, les peaux inutiles, et le trop de graisse qui se trouve parfois dans le haut du collier. Après cette préparation avec des allonges, on accroche ces morceaux à la tringle.

On procède de la même manière sur les parties du quartier de derrière et sur la cuisse. Après en avoir séparé la jambe, on enlève la noix, la semelle, la sous-noix et le trumeau. On épluche toutes ces parties et on les accroche comme les précédentes.

Quand ce travail est fini, on ramasse les os qui en proviennent; avec un fort couperet on les brise en aussi petites parties que possible; on y ajoute les parures des viandes, les nerfs et les tirans: on charge du tout un autoclave dans lequel on verse assez d'eau de fontaine, pour qu'elle s'élève à quatre pouces au-dessous du contenu; on pousse la chaleur à 180 degrés. De cette manière on utilise tous les débris dont on fait un excellent bouillon.

Pendant que cette opération se consomme, on divise les viandes désossées en morceaux proportionnés à la dimension des boîtes qu'on veut employer.

Avec une feuille de boucherie bien affilée, le collier est coupé sur sa longueur en trois morceaux qui sont roulés et solidement ficelés, ainsi que cela se pratique dans toutes les cuisines, et pour toute espèce de morceau de bœuf[49].

La viande divisée et préparée est mise dans des chaudières de décharge placées à cet effet auprès de l'autoclave: celui-ci étant assez refroidi pour qu'on puisse l'ouvrir sans danger, on dégraisse le bouillon qu'il contient, et on le décante sur les viandes auxquelles on ajoute l'assortiment de légumes disposé dans un filet et l'assaisonnement convenable au pot-au-feu[50].

Cela fait, les chaudières sont couvertes et poussées à l'ébullition; dès qu'elles y sont parvenues, on modère le feu en fermant exactement les fourneaux, et on laisse mitonner les viandes jusqu'à ce qu'elles soient cuites à-peu-près aux trois quarts. Alors, avec une grande fourchette, on les retire et on les met égoutter sur des passoires; on les saupoudre de gros sel et on les laisse refroidir sur des plateaux jusqu'au lendemain.

Comme les légumes ne sont pas encore assez cuits lorsqu'on retire les viandes des chaudières, jusqu'à ce qu'ils le soient, on est obligé de rallumer le feu et de remettre le bouillon à l'ébullition, qui doit être entretenue doucement pendant une couple d'heures. Après avoir retiré les légumes, avec trois ou quatre œufs on clarifie le bouillon qu'on laisse reposer toute la nuit, après l'avoir écumé et couvert.

Le lendemain dès le matin il est décanté sur une étamine, et recueilli dans un autre appareil destiné à en opérer la réduction à la consistance de six à sept degrés à l'aréomètre.

Dans cet intervalle, on déficèle les viandes cuites de la veille, on les partage en morceaux convenables, que l'on met ensuite dans des boîtes, qu'au préalable on a eu le soin de bien laver et essuyer.

Au fur et à mesure qu'elles sont remplies, l'ouvrier les ferme exactement, les soude à cœur au pourtour, et les garnit de la manière indiquée pour les fonds à l'article des boîtes, page 37.

Cette opération achevée, on introduit par le trou pratiqué au couvercle le bouillon réduit, en observant d'en couvrir seulement les viandes, et de laisser un vide dans la boîte proportionné à sa dimension, afin que la dilatation des substances se puisse effectuer, lors de l'application du calorique par le bain-marie. Les boîtes chargées, on ferme le trou avec une capsule de fer-blanc que l'on ajuste bien, et que l'on soude avec grand soin.

Quand les boîtes sont ainsi chargées et fermées, elles sont rangées dans une chaudière de décharge, pour recevoir l'action du calorique de la manière que nous avons indiquée, en traitant particulièrement du bain-marie.

Lorsque tous les détails relatifs à la préparation des viandes bouillies et à leur mise en boîtes sont terminés, je reviens aux morceaux mis en réserve: le filet mignon est piqué et mis à la broche; le rognon est sauté; de la queue du bœuf on fait un hochepot aux racines. Ces trois morceaux sont mis en boîtes comme le bouilli, et en observant les mêmes procédés.

OBSERVATION GÉNÉRALE.

Les opérations qui viennent d'être décrites s'appliquent à toutes les viandes de boucherie, au porc, à la volaille et au gibier, ainsi qu'au poisson, aux légumes et aux fruits; la différence ne consiste que dans l'application du calorique qui doit être modifié en raison du degré de solidité des substances soumises à son action.


CHAPITRE VII.

Manière de faire usage des Substances préparées et conservées.

VIANDES, GIBIER
, VOLAILLES, POISSONS.

Un pot-au-feu ordinaire, dont le degré de cuisson a été bien calculé dans la préparation, ainsi que lors de l'application de la chaleur au bain-marie, n'a besoin que d'être chauffé au degré convenable pour en obtenir potage et bouilli.

Pour plus grande économie, et moins multiplier les vases, un bon consommé, tel que je l'ai indiqué, est plus convenable, parce que le bœuf, ainsi que le consommé, n'a besoin également que d'être chauffé, et qu'au moyen de moitié ou deux tiers d'eau qu'on ajoute au consommé, on obtient un bon potage.

De même une bouteille de pinte de consommé, au moyen de deux pintes d'eau bouillante que vous y ajoutez au moment d'en faire usage, donne douze bons bouillons, en y mettant un peu de sel. Ainsi on peut avoir chez soi et à peu de frais une petite provision de bouillon pour le besoin et les temps de chaleur, où il est si difficile de s'en procurer, surtout dans les campagnes.

RIZ AU GRAS.

Plein une cuiller à bouche de cette substance conservée comme il a été dit, suffit, avec trois onces d'eau environ, pour faire un excellent potage.

On pourra l'employer de telle autre manière qu'on désirera.

Quant à toutes les viandes, volailles, gibier, poissons, etc., qui ont reçu trois quarts de cuisson dans la préparation et le surplus au bain-marie, comme je l'ai indiqué, je les fais chauffer en sortant du vase, au degré convenable, pour les servir de suite sur la table. S'il arrivait, par exemple, qu'au sortir du vase, l'objet qui y était renfermé ne fût pas assez cuit, par le défaut des procédés préparatoires, ou pour n'avoir pas reçu suffisamment l'application de la chaleur au bain-marie, dans ce cas on le met sur le feu pour lui donner le degré de cuisson nécessaire. En conséquence, lorsque l'artiste aura bien soigné ses préparations, qu'elles seront assaisonnées et cuites à propos, l'usage en sera facile et commode dans tous les cas, parce que, d'un côté, on n'aura besoin que de faire chauffer, et que, de l'autre, on pourra les manger froides au besoin. Les substances ainsi préparées et conservées n'exigent pas, comme on pourrait le croire, d'être consommées aussitôt qu'elles sont débouchées. On peut faire usage des comestibles d'un même vase pendant huit et dix jours après qu'il a été débouché[51], avec le soin seulement de remettre le bouchon aussitôt qu'on en a pris pour le besoin; ainsi on pourra régler la capacité des vases d'une à vingt-cinq pintes et plus, suivant l'importance des consommations présumées.

HACHIS AUX TRUFFES.

On peut faire usage de cette substance préparée et conservée telle qu'elle sort de la bouteille; on peut également en farcir divers objets et l'employer de toute autre manière au goût et à la volonté des consommateurs.

GELÉE DE VIANDES ET DE VOLAILLES.

Une gelée bien préparée et conservée, retirée du vase, en morceaux, avec soin, peut garnir des viandes froides, ou bien on la fera fondre seulement dans le vase, au bain-marie, après l'avoir débouché; ensuite on la coulera sur un plat pour la faire reprendre sur de la glace, avant de la servir.

Avec une bouteille de pinte d'essence ou gelée de bœuf, de veau, de mouton, volaille, etc., préparée comme il est dit page 68, on obtiendra cinquante bons bouillons en ajoutant par cuillerée de cette essence, trois onces d'eau bouillante, et un peu de sel.

Cette gelée peut être d'un grand secours et d'une grande économie dans les voyages, particulièrement ceux de mer; cent bouteilles ne tiendront pas beaucoup de place dans un vaisseau, et on aura cinq mille bons bouillons à volonté, qui, à raison de sept francs par bouteille, ne reviendront qu'à quatorze centimes chacun.

Dans une infinité de circonstances, un cuisinier manque des objets nécessaires pour tirer des sauces, etc. Avec les essences de viandes, de volailles, de jambon, etc., ainsi qu'avec des fonds de glaces bien préparés et conservés, il se les procurera à la minute.

BOUILLON OU GELÉE PECTORALE.

Quant à la gelée pectorale, préparée et conservée comme je l'ai indiqué, page 72, l'usage s'en fait, soit en la coupant en sortant de la bouteille, avec plus ou moins d'eau bouillante, soit froide telle qu'elle se trouve, dans les proportions que les personnes de l'art jugeront les plus convenables dans les différens cas.

LAIT ET CRÈME.

La crème, le lait, le petit-lait, préparés et conservés comme je l'ai indiqué, s'emploient de la même manière que ces objets frais, aux mêmes usages journaliers.

Puisque la crème et le lait se conservent parfaitement de cette manière, il n'y a pas de doute qu'on pourra de même conserver les crèmes d'entremets, ainsi que celles pour des glaces qui, lorsqu'elles auront été bien préparées et finies avant d'être mises en bouteilles, n'auront besoin que d'être chauffées légèrement au bain-marie, après avoir été débouchées pour les faciliter à sortir du vase. On pourra se procurer ainsi, de suite et à la minute, des crèmes et des glaces[52].

LÉGUMES.

Les légumes mis en bouteilles sans être cuits, et soumis ensuite à l'action de la chaleur du bain-marie de la manière indiquée, ont besoin d'être préparés au sortir du vase, pour en faire usage. Cette préparation est suivant le goût et la volonté de chacun, et conforme aux différentes méthodes employées dans la saison. Il faut avoir l'attention de laver ses légumes au sortir du vase, et même pour faciliter leur sortie, j'emplis la bouteille d'eau tiède, et, après l'avoir égouttée de cette première eau, je lave les légumes dans une seconde eau un peu plus chaude, et après les avoir égouttés, je les prépare au gras, ou au maigre.

HARICOTS BLANCS.

Je fais blanchir, comme dans la saison, le haricot blanc au sortir de la bouteille, dans de l'eau avec un peu de sel; lorsqu'il est cuit à propos, je le retire du feu et je le laisse dans cette eau de cuisson une demi-heure et même une heure, pour le rendre plus moelleux, ensuite je le prépare au gras ou au maigre.

HARICOTS VERTS.

Je fais blanchir de même le haricot vert, lorsqu'il n'est pas assez cuit par les procédés conservatoires, ce qui arrive quelquefois ainsi qu'aux artichauts, aux asperges et aux choux-fleurs, etc. S'ils sont assez cuits au sortir du vase, je ne fais que les laver à l'eau chaude, pour ensuite les préparer.

PETITS POIS VERTS.

Les petits pois verts se préparent de bien des manières. Si, dans la saison, ils se trouvent mal préparés, c'est la cuisinière qui reçoit les reproches; mais en hiver, s'ils ne se trouvent pas bons, on a grand soin de s'excuser sur celui qui les a conservés, quoique les mauvaises préparations tiennent le plus souvent au mauvais beurre, à l'huile ou à la graisse rance qu'on emploie sans attention ou par économie; une autre fois on les prépare deux heures trop tôt, on les laisse languir et attacher au fond de la casserole sur le feu, et on les sert suant le beurre tourné en huile, avec le goût de caramel, ou bien on les fait sans soin et avec trop de précipitation; c'est ainsi qu'on voit servir des pois verts qui se noient dans l'eau; mais chacun a sa manière: voici la mienne.

Aussitôt que les petits pois sont lavés et bien égouttés de suite (car il ne faut pas laisser séjourner ce légume dans l'eau, non plus que les petites fèves de marais: cela leur ôterait de leur qualité), je les mets avec un morceau de bon beurre frais sur le feu, dans une casserole; j'y ajoute un bouquet de persil et de ciboules; après les avoir sautés plusieurs fois dans le beurre, je les singe avec un peu de farine, et les mouille, un instant après, avec de l'eau bouillante, jusqu'à fleur des pois; je les laisse ainsi bouillir un bon quart d'heure, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que très-peu de sauce; alors j'assaisonne de sel et d'un peu de poivre, je les laisse sur le feu jusqu'à ce qu'ils soient réduits, je les en retire aussitôt pour y ajouter, par bouteille de petits pois, gros comme une bonne noix de beurre frais avec plein une cuiller à bouche de sucre en poudre; je les saute bien sans les remettre sur le feu, jusqu'à ce que le beurre soit fondu, et je les dresse en rocher sur un plat que j'ai eu soin de faire bien chauffer. J'ai remarqué plusieurs fois, qu'en ajoutant le sucre aux petits pois, lorsqu'ils sont sur le feu, et leur donnant seulement un bouillon, les petits pois étaient racornis et la sauce allongée, de manière à ne pouvoir plus les lier; ainsi on fera la plus grande attention à ne mettre le sucre et le dernier beurre aux petits pois, qu'au moment de les servir, et après les avoir retirés du feu; c'est le seul moyen de les bien finir, car il ne doit jamais paraître de sauce aux petits pois, pas plus en été que dans l'hiver.

Il est encore une autre manière de manger de bons petits pois, et qui pourra convenir à plusieurs personnes, elle consiste à faire cuire, dans de l'eau, les petits pois tout simplement; lorsqu'ils sont cuits, on les retire de l'eau pour les sauter avec un morceau de bon beurre frais, sel, poivre et sucre tout ensemble, sur un feu très-doux, pour les servir de suite sur un plat très-chaud; il faut faire attention que les petits pois ne doivent pas bouillir avec l'assaisonnement, autrement le beurre tournerait en huile, et le sucre relâcherait les petits pois qui fondraient en eau.

Quant aux petits pois conservés par la nouvelle manière que j'ai adoptée définitivement et décrite page 96, on aura soin de ne les faire chauffer qu'au bain-marie au moment du service, en y ajoutant toutefois ce qui pourrait manquer d'assaisonnement d'après le goût du consommateur.

FÈVES DE MARAIS.

Je prépare les petites fèves de marais, robées, ainsi que celles qui sont dérobées, par les mêmes procédés et les mêmes attentions que ceux employés pour les petits pois.

Je fais d'excellente purée avec les gros pois conservés; ils sont également très-bons au gras. Quant aux asperges, artichauts, choux-fleurs, etc., ils se préparent à l'ordinaire après avoir été lavés, etc. On pourra faire cuire aux trois quarts les petits pois, fèves, haricots verts, et toutes espèces de légumes, les assaisonner ainsi qu'on le fait, lorsqu'on veut en faire usage de suite, les mettre en bouteilles ou autres vases lorsqu'ils sont refroidis, les boucher, etc. et leur donner une demi-heure de bouillon au bain-marie; on aura par ce moyen des légumes bien conservés, tout préparés, dont on pourra faire usage à la minute, sans autre précaution que celle de les faire chauffer; et encore il est bien des cas où ces légumes pourraient se manger froids: on évitera de cette manière tout embarras pour les voyages de terre et de mer, etc.

POMMES DE TERRE.

Ces substances conservées, peuvent être préparées en quenelles, ou quenèpes à l'allemande, pour garnir des entrées, etc. On en fait aussi d'excellens potages, en place de fécule de cette plante. Avec ces végétaux conservés, on fait, en hiver, d'excellentes macédoines.

CHICORÉE ET ÉPINARDS.

Je prépare la chicorée et les épinards comme d'usage, soit au gras, soit au maigre; chaque bouteille de pinte contient deux ou trois plats, soit d'épinards, soit de chicorée, suivant qu'ils sont forts. Lorsque je n'ai besoin que d'un plat, je rebouche la bouteille, que je garde pour un autre jour.

JULIENNE.

Après avoir vidé une bouteille de pinte de julienne conservée, j'ajoute deux litres d'eau bouillante, avec un peu de sel, et j'ai un potage pour douze à quinze personnes.

COULIS DE RACINES.

Ainsi que la julienne, les coulis de racines, les purées de lentilles, de carottes, d'ognons, etc., bien préparés, fourniront d'excellens potages à la minute, avec la plus grande économie.

Tous les farineux, tels que le gruau, le riz, l'épautre, la semoule, le vermicelle, et généralement toutes les pâtes nourrissantes et de facile digestion, pourront être assaisonnés et préparés, soit au gras, soit au maigre, même avec du lait, avant de les soumettre aux procédés conservatoires, pour en faciliter l'usage à la mer, et aux armées, au moment des besoins.

TOMATES.

J'emploie les tomates ou pommes d'amour conservées, aux mêmes usages que dans la saison; elles n'ont besoin, en sortant de la bouteille, que d'être chauffées et assaisonnées convenablement.

OSEILLE.

Comme l'oseille conservée par les procédés que j'ai indiqués, ne diffère en rien de celle du mois de juin, au sortir du vase, je l'emploie de la même manière que dans la saison.

RAIFORT.

Au sortir de la bouteille, j'ai mis cette substance sur le feu avec du bouillon et assaisonnement convenable; après l'avoir laissée bouillir un quart d'heure, j'y ai ajouté un morceau de beurre frais, et on l'a servie dans une saucière avec le bouilli. C'est ainsi qu'en Allemagne on préfère le raifort à la moutarde.

Des Plantes conservées en général.

Pour obtenir des extraits de diverses productions, soit réduites, soit conservées par ma méthode, on sera dispensé de les rapprocher jusqu'à les altérer comme cela arrive souvent: il suffira, aussitôt leur confection plus ou moins consistante, suivant leur nature, de les mettre en bouteilles, les boucher, etc., et leur donner un bouillon seulement au bain-marie.

FRUITS.

La manière de faire usage des fruits conservés par les procédés que j'ai indiqués, consiste, 1o à mettre chaque fruit dans un compotier, tel qu'il se trouve dans la bouteille, sans y ajouter de sucre, parce que beaucoup de personnes, et particulièrement les dames, préfèrent les fruits avec leur suc naturel; on accompagne ces compotes d'un autre compotier de sirop de raisin, ou de sucre en poudre, pour les amateurs. J'ai reconnu, par l'expérience, que le sirop de raisin conserve, infiniment mieux que le sucre, l'arome et l'acidité agréable des fruits. Voilà la manière la plus simple et la plus économique de préparer d'excellentes compotes; manière d'autant plus commode, que chacun peut satisfaire son goût pour le plus ou le moins de sucre. 2o Pour faire des compotes sucrées, je prends une livre de fruits conservés, n'importe lequel, que je mets en sortant de la bouteille, avec son suc, dans un poêlon, sur le feu, avec quatre onces de sirop de raisin. Dès qu'il commence à bouillir, je le retire du feu, et j'enlève l'écume au moyen d'un morceau de papier gris que j'applique sur la surface. Aussitôt que j'ai écumé, je retire légèrement le fruit du sirop, pour le mettre dans un compotier; après avoir fait réduire le sirop, sur le feu, de moitié de son volume, je le mets sur le fruit dans le compotier. Ces fruits ainsi préparés sont suffisamment sucrés, et aussi savoureux qu'une compote fraîche faite dans la saison.

COMPOTES A L'EAU-DE-VIE.

3o Pour faire des compotes à l'eau-de-vie, soit de cerises, d'abricots, de prunes de reine-claude, de poires, de pêches et de mirabelle, etc., je prends indistinctement une livre de fruits avec le suc, que je mets dans un poêlon, sur le feu, avec un quarteron de sirop de raisin. Lorsqu'il est prêt à bouillir, j'écume; après quoi je retire légèrement le fruit du sirop, pour le mettre dans un vase; je laisse le sirop sur le feu, jusqu'à ce qu'il soit réduit au quart de son volume; ensuite je le retire du feu, pour y ajouter un verre de bonne eau-de-vie; et après avoir bien mêlé le tout, je verse ce sirop chaud sur le fruit que j'ai mis dans le vase, que j'ai le soin de bien fermer, afin que le fruit se pénètre mieux de ce sirop, etc.

On fera également avec la poire et la pêche conservées, des compotes grillées, ainsi que des compotes au vin de Bourgogne, avec de la cannelle, etc.

MARMELADE.

4o Je fais de la marmelade, soit d'abricots, de pêches, de prunes de reine-claude et de mirabelle, par le procédé suivant. Je mets pour livre de fruits conservés, une demi-livre de sirop de raisin; je fais cuire le tout ensemble à grand feu, ayant soin de bien remuer avec une spatule, afin d'éviter que le fruit brûle; lorsque la marmelade est cuite, à une consistance légère, je la retire, parce que les confitures les moins cuites sont toujours les meilleures. Comme les fruits conservés donnent la facilité de ne faire des confitures qu'au fur et à mesure des besoins, en les faisant cuire légèrement, on aura toujours d'excellentes confitures fraîches.

Avec les fruits conservés, et surtout avec l'abricot et la pêche, on fait, en hiver, des charlottes et de la pâtisserie délicieuses.

On fera de même les pâtes d'abricots, de coings, etc., avec ces fruits conservés, en employant du sucre en place de sirop de raisin.

Nouvelle manière d'obtenir avec plus de précision les marmelades d'abricots, de pêches, de prunes et de tout autre fruit.

Je les prépare comme celles dont je viens de parler. Au lieu de les rapprocher à feu nu, je les soumets au bain de vapeur en me servant de l'appareil destiné à rapprocher le lait, Pl. 4, fig. 2, dans lequel je les place. Par ce moyen, on obtient toutes les marmelades infiniment plus belles, sans risquer de les brûler, et l'on est à l'abri de tout accident.

GELÉE DE GROSEILLES.

Le moyen de faire de la gelée de groseilles, avec le suc de ce fruit conservé, est tout simple; je mets demi-livre de sucre pour livre de suc de groseilles (qui doit être parfumé d'un peu de framboises). Après avoir clarifié et fait cuire mon sucre au cassé, je mets la groseille, je lui donne trois ou quatre bouillons, et lorsqu'elle tombe de l'écumoire en petites nappes pas plus grosses qu'une lentille, je la retire du feu pour la mettre dans des pots, etc.

On fera, de la même manière, des gelées de framboises, de coings, de verjus, de pommes, etc., avec les sucs de ces fruits conservés.

SIROP DE GROSEILLES.

Pour faire ce sirop, j'emploie le suc dépuré de groseilles, qui n'est pas susceptible de gelée comme celui conservé avec son mucilage. Je mets demi-livre de sirop de raisin, pour livre de fruit, le tout ensemble sur le feu. Lorsqu'il est cuit à consistance d'un sirop léger, je le retire du feu pour le mettre en bouteilles lorsqu'il est refroidi.

Voici un moyen bien plus simple et plus économique, de faire usage, non-seulement du suc de groseilles, mais de celui de tous les fruits dont on se sert pour composer des boissons acidules. Ce moyen consiste tout bonnement à mettre dans un verre d'eau légèrement sucrée, avec du sirop de raisin, plein une cuiller à bouche de suc de groseilles conservé, ou de tout autre, tel qu'il se trouve dans la bouteille, à survider dans un autre verre, et à le boire; ce moyen sera d'autant plus facile, qu'en tout temps il sera aisé d'avoir chez soi, ou de se procurer, à peu de frais, de ces sucs ainsi conservés; c'est de cette manière que, depuis vingt-cinq ans, nous nous servons à la maison du suc de groseilles, et le plus souvent nous préparons cette limonade sans sucre ni sirop.

Tous les sirops en général, soit simples, soit composés, s'obtiendront des substances conservées, comme des mêmes substances fraîches.

Dans les voyages où les circonstances exigeraient de ces sirops, pour éviter l'embarras de les faire au moment du besoin, on pourra en préparer, avec la quantité de sucre ou de miel, ou de sirop de raisin nécessaire seulement à la consommation, une provision qu'on mettra dans des bouteilles aussitôt leur confection, pour, après les avoir bien bouchées, leur donner un bouillon au bain-marie.

Par ce procédé qui conservera le sirop tant qu'on voudra, sans fermentation ni altération, on n'aura plus besoin, comme il est d'usage par les autres moyens, d'employer deux livres de sucre pour une livre de suc de plantes ou de fruits, etc., et de forcer la cuisson, dernier moyen qui fait que la majeure partie du sucre se sépare des substances pour se candir dans les bouteilles; encore les substances ne se conservent-elles que quelques mois.

GLACES.

J'ai préparé et fait des glaces de groseilles, de framboises, d'abricots, de pêches, ainsi que de fraises, conservées, comme je l'ai indiqué, par la méthode employée dans la saison de ces fruits.

J'ai fait ces expériences avant qu'il fût encore question du sirop de raisin; maintenant que cette production touche à sa perfection, le sirop de raisin aigrelet ou acide, de la fabrique de M. Privat, de Meze, pourra remplacer le sucre de cannes ou de betteraves, pour la préparation des glaces de fruits. Comme je l'ai déjà observé, le sirop de raisin conserve mieux que le sucre l'arome de tous les fruits. Le sucre masque tellement le goût des fruits, qu'on est obligé d'ajouter dans toutes les glaces de fruit le suc de plusieurs citrons, pour en faire ressortir l'arome; ainsi, lorsqu'on emploiera le sirop de raisin aigrelet, on sera dispensé des citrons, et les glaces de fruits en seront plus moelleuses. Les sirops doux de raisin s'emploieront avec succès pour toutes les glaces à la crème.

Depuis plusieurs années, les glaciers de Paris font usage, pour les glaces, en hiver, de sucs de groseilles rouges et blanches, de framboises, d'abricots, de pêches, etc., conservés par ma méthode; il n'a été fait aucune différence entre ces glaces et celles consommées en été, et faites avec les fruits mêmes.

SUC DE MERISES.

Ce suc est très-précieux dans beaucoup de circonstances, en raison de sa belle couleur; il peut être employé pour tous les sirops de fruits qui en ont besoin, pour les liqueurs et les vins au moment des vendanges: on en fait aussi de très-bonnes glaces; il est donc essentiel d'en avoir toujours de conservé pour s'en servir au besoin.

LIQUEURS.

J'ai composé des liqueurs et des ratafias avec des sucs de fruits conservés et sucrés avec le sirop de raisin. Ces préparations ne le cédaient en rien aux meilleures liqueurs de ménage.

Les moyens simples et faciles que je viens d'indiquer, de préparer tous les fruits conservés pour l'usage journalier, prouvent suffisamment que cette méthode, aussi sûre qu'utile, apportera la plus grande économie dans la consommation du sucre de cannes. Les consommateurs, et les artistes particulièrement, qui, par état, sont obligés, pendant l'été, à des provisions considérables de cette denrée étrangère, pour les sirops, les confitures, les liqueurs, ainsi que pour tous les objets de pharmacie, seront dispensés d'en acheter; et, en effet, il leur suffira de faire leur provision de fruits à la récolte, et de les conserver par cette nouvelle méthode, pour ne les préparer au sucre qu'au fur et à mesure des besoins. Il en résultera que la majeure partie de tous ces fruits, ainsi conservés, seront consommés, sans ou avec très-peu de sucre; que beaucoup seront préparés avec le sirop de raisin, et qu'il n'y aura que pour des objets indispensables et pour satisfaire de vieilles habitudes ainsi que le luxe de quelques tables, qu'on emploiera le sucre de cannes ou de betteraves.

Il en résultera que, dans une bonne année, il ne faudra pas de sucre pour faire des provisions pour les cas de disette, et qu'on obtiendra, à peu de frais, avec des fruits conservés, de deux, trois et quatre ans, les mêmes jouissances que dans les années d'abondance.

MARRONS.

Je plonge les marrons conservés dans l'eau fraîche; au sortir du vase, je les poudre d'un peu de sel menu, et je les fais griller dans la poêle, à grand feu. De cette manière ils sont excellens; on peut se dispenser de les mouiller et d'y mettre du sel, mais il faut toujours qu'ils soient grillés à grand feu.

TRUFFES ET CHAMPIGNONS.

Je les emploie conservés, aux mêmes usages et de la même manière que lorsqu'ils ont été recueillis dans la saison.

MOUT DE RAISIN.

Lorsque je fis mes premières expériences pour conserver le moût de raisin dans son état récent, l'Instruction sur les moyens de suppléer le sucre dans les principaux usages qu'on en fait pour la médecine et l'économie domestique, par M. Parmentier, n'était pas encore parvenue à ma connaissance. C'est dans cette précieuse instruction que j'ai puisé les moyens d'employer, à de nouvelles expériences, deux cents bouteilles de moût de raisin que j'avais conservées six mois auparavant.

1o J'ai fait de très-bon sirop de raisin, en suivant les procédés de M. Parmentier, que voici littéralement:

PRÉPARATION DU SIROP DE RAISIN.

«On prend vingt-quatre pintes de moût, et on en met la moitié dans un chaudron placé sur le feu, avec la précaution d'éviter une trop forte ébullition. On ajoute de nouvelle liqueur à mesure que celle du chaudron s'évapore; on écume et on agite à la surface, pour augmenter l'évaporation. Lorsque la totalité du moût est introduite, on écume, on retire la chaudière du feu, et on ajoute de la cendre lessivée, enfermée dans un nouet, ou du blanc d'Espagne, ou de la craie réduite en poudre et délayée préalablement dans un peu de moût, jusqu'à ce qu'il ne se fasse plus d'effervescence ou espèce de bouillonnement dans la liqueur, qu'on a soin d'agiter. Par ce moyen on sépare, on neutralise les acides contenus dans le raisin; on s'assure que la liqueur n'est plus acide, lorsque le papier bleu qu'on y plonge n'est pas coloré en rouge. Alors on replace la chaudière sur le feu, après avoir laissé déposer un instant, et on y met deux blancs d'œufs battus. On filtre la liqueur à travers une étoffe de laine fixée sur un châssis de bois de douze à quinze pouces carrés, de manière à occuper peu de place; on fait bouillir de nouveau, et on continue l'évaporation.

«Pour connaître si le sirop est cuit, on en laisse tomber avec une cuiller sur une assiette: si la goutte tombe sans jaillir et sans s'étendre, ou si, en la séparant en deux, les parties ne se rapprochent que lentement, alors on juge qu'il a la consistance requise.

«On le verse dans un vaisseau de terre non vernissé, et après qu'il est parfaitement refroidi, on le distribue dans des bouteilles de médiocre capacité, propres, sèches, bien bouchées, qu'on porte à la cave. Il faut qu'une bouteille, une fois entamée, ne reste pas long-temps en vidange, et avoir l'attention de la tenir le goulot renversé, chaque fois qu'on s'en est servi.

«Il n'est guère possible de déterminer d'une manière précise la quantité de craie ou de cendre qu'il est nécessaire d'employer; il en faut moins au midi qu'au nord: mais, dans tous les cas, l'excédant ne saurait nuire, vu qu'il reste confondu, sur le filtre, avec les autres sels insolubles et les écumes.

«Si dans la vue de conserver plus long-temps ces sirops, on portait la cuisson trop loin, on se tromperait, car il ne tarderait pas à se cristalliser au fond des bouteilles et à se décuire; dans le cas contraire, si on ne l'évaporait pas suffisamment, il fermenterait bientôt: une ménagère n'aura pas fait deux fois de ces sirops, qu'elle saura saisir le degré de cuisson qu'il faut leur donner, mieux qu'on ne pourrait lui indiquer le point où il convient qu'elle s'arrête.»

SIROP ET RATAFIAS.

C'est avec le même sirop de raisin que j'ai préparé les compotes, les confitures, les sirops et les boissons acidules, ainsi que les liqueurs et ratafias de tous les fruits dont j'ai parlé.

2o J'ai fait avec le même moût, et par les mêmes procédés, du sirop, excepté que je n'ai fait cuire ce dernier que légèrement, c'est-à-dire un quart de moins que le premier, voulant m'assurer si, au moyen de l'application de la chaleur au bain-marie par les procédés indiqués, il se conserverait. Lorsque mon sirop, ainsi préparé, a été refroidi, je l'ai mis dans trois bouteilles, l'une pleine et les deux autres en vidange d'un quart et de moitié; j'ai bouché, ficelé, etc., et soumis au bain-marie jusqu'au bouillon seulement, et je n'ai remarqué aucune différence de la bouteille pleine à celles en vidange; toutes trois se sont parfaitement conservées.

3o J'ai pris six pintes de moût de raisin conservé, auxquelles j'ai ajouté deux pintes de bonne eau-de-vie vieille, portant vingt-deux degrés, avec deux livres de sirop de raisin que j'avais préparé. Cette préparation, que j'ai bien mêlée, m'a servi à composer quatre liqueurs différentes, au moyen d'infusions de noyaux d'abricots, de menthe, de fleur d'orange et de badiane que j'avais disposés à l'avance; ces liqueurs, bien filtrées, ont été trouvées fort bonnes et suffisamment sucrées.

4o J'ai pris deux bouteilles de moût conservé que j'ai débouchées et transvasées dans deux autres bouteilles propres qui ont été de suite bouchées et ficelées; j'ai laissé ces deux bouteilles debout pendant dix jours; après cet intervalle, cette liqueur fit sauter son bouchon, comme le meilleur vin de Champagne, et moussait de même.

5o J'ai répété cette dernière expérience de la même manière; au bout de douze à quinze jours, ne voyant aucune apparence de fermentation dans les bouteilles, je les débouchai pour leur rendre de l'air, et, dans deux, je mis plein une cuiller à bouche de suc de framboises conservé. Après les avoir rebouchées et ficelées, je les ai encore laissé passer huit jours debout; au bout de ce temps, le blanc et le rosé firent sauter le bouchon; ils moussaient parfaitement et étaient fort agréables au goût, particulièrement le rosé parfumé de framboises.

J'ai fait, depuis, avec le même moût de raisin, de la récolte de 1808, l'expérience suivante:

J'ai pris trois bouteilles de vin blanc de Chablis de trois feuilles; je l'ai coupé avec autant de moût, ce qui m'a fait six bouteilles que j'ai bien bouchées, ficelées et mises à la cave.

Au bout de quinze jours, la fermentation s'était si fort prononcée, que je trouvai deux de ces bouteilles cassées; je relevai les quatre restantes sur le cul, pour leur éviter le même sort. J'en débouchai une un mois après; le bouchon sauta comme au plus grand mousseux de Champagne. Les trois autres furent débouchées successivement, et produisirent le même effet. La mousse suivit le bouchon jusqu'au plafond.

La qualité de ce Champagne factice était bien supérieure à celle de mes premières expériences, et bien des personnes l'eussent pris pour du vrai Champagne.

Les amateurs, qui voudront répéter ces expériences, seront bien dédommagés de leurs peines, en se procurant, à très-peu de frais, le plaisir de faire eux-mêmes des vins, et même des liqueurs mousseuses, avec du moût de raisin de leur récolte.

Déjà j'ai fait diverses expériences avec les quatre espèces de moût que j'ai conservé, en 1810, par mes procédés. En voici une que j'ai répétée plusieurs fois.

Vins de Liqueur, blancs et rouges.

J'ai pris du raisin très-mûr et bien épluché, que j'ai fait égrener et écraser sur des tamis; j'ai soumis à la presse le marc, pour en extraire tout le suc qui pouvait y rester, et que je mêlai avec le premier; le moût ainsi préparé, j'en ai mis dix-huit pintes dans un baril de vingt-quatre; j'ai achevé de le remplir avec six pintes, c'est-à-dire le quart, de bonne eau-de-vie vieille de Montpellier, portant 22 degrés à la température. Après avoir bien bouché le baril, je l'ai oublié au cellier pendant six mois, après lequel temps je l'ai mis en bouteilles, et rangé sur des lattes, à la cave, l'ayant bien bouché sans le ficeler.

Il est à remarquer, qu'en opérant ainsi, le moût de raisin se trouve muté au moyen du quart d'eau-de-vie qui y est ajouté, et que cette liqueur, après avoir précipité tout ce que le moût pouvait avoir de fermentescible, le maintient très-limpide, et se combine avec lui, de manière à perdre son goût au bout de six à huit mois, qu'il se convertit en vinosité.

Par ce procédé, j'ai obtenu, après huit mois, du vin liquoreux, très-agréable, auquel on aurait donné deux ou trois feuilles.

Ce vin qui, tout bien calculé, ne m'est revenu qu'à 10 sous la bouteille, est, quant à la qualité, supérieur au vin cuit qu'on a l'usage de faire aux vendanges.

D'après ces expériences, faites avec le raisin de Massy, il est plus que probable que, dans le Midi, ainsi que dans les bons vignobles, on obtiendra des résultats infiniment précieux. On y conservera ainsi le moût de raisin, pour le rapprocher à volonté, par la congélation, en consistance de sirop, après l'avoir désacidifié, pour le sirop doux; ou bien si l'on rapproche le moût sur le feu, le degré de cuisson, de 25, 30 ou 33, à l'aréomètre, deviendra indifférent pour conserver ces sirops pendant plusieurs années, en les soumettant à l'application de la chaleur du bain-marie, par les procédés préparatoires que j'ai employés.

Au moyen de ces procédés, faciles à mettre en pratique, et surtout peu coûteux dans l'exécution, on obtiendra des sirops plus clairs, plus blancs (fussent-ils faits de raisin noir) et d'une douceur franche et libre, exempts de goût de mélasse et de caramel, ce qu'on n'a pu encore éviter quand on a voulu donner au sirop de raisin le degré de cuisson convenable pour le garder.

C'est ainsi que, conservée dans des bouteilles ou dames-jeannes de toutes capacités, cette précieuse production pourra être exportée à de longues distances, en toutes saisons, et venir de Bergerac, de Mèze, et de toutes les fabriques du midi, bonifier les produits de nos petits vignobles, et faire jouir toutes les classes de la société de cette utile ressource.

BIÈRE.

Tout le monde connaît la difficulté et même l'impossibilité de conserver cette boisson, aussi utile pour la santé qu'économique pour le ménage[53]. La casse des bouteilles, occasionnée par la fermentation fougueuse de ce liquide, en augmente considérablement le prix. Ajoutez qu'enfin elle est presque toujours défectueuse au bout de quelques mois. Pour prévenir ces inconvéniens, j'ai fait l'expérience suivante:

J'ai mis en bouteilles de la bière sortant de la brasserie; après qu'elle a été reposée et bien claire, je l'ai bouchée, etc., pour lui donner un bon bouillon au bain-marie, etc. Après un an d'intervalle, j'ai débouché une de ces bouteilles: la bière s'est trouvée aussi bonne que le jour où je l'avais mise en bouteilles.

Après avoir ôté un tiers de cette bouteille, je l'ai rebouchée et laissée debout dans ma chambre, pour examiner si l'air que je lui avais rendu la ferait fermenter. Pendant trois mois, cette bière est restée parfaitement tranquille et aussi potable que le jour auquel je l'avais débouchée; et quoiqu'elle soit restée en vidange pendant tout ce temps, il ne s'y est pas manifesté la plus légère apparence de fermentation.

Il y a déja quelques années que, pour m'assurer plus particulièrement de l'influence du calorique sur les substances les plus fermentescibles, j'ai opéré de la même manière sur la levure de bière[54], et cette levure est restée plus de dix-huit mois, après avoir été débouchée et rebouchée avec peu de soin, sans avoir éprouvé la moindre apparence de fermentation.

Il résulte de ces expériences, qu'au moyen de ces nouveaux procédés, non seulement on pourra se procurer partout et en tout temps d'excellente bière, aussi bonne, au bout de plusieurs années, qu'en sortant de la brasserie; mais que les brasseurs trouveront encore, par ces mêmes procédés, les moyens d'en fabriquer et d'en conserver pour la saison où presque toujours elle perd sa qualité.

En effet, il est certain que la bière qui aura passé au bain-marie, soit en bouteilles, soit en dames-jeannes, bien bouchées, pourra, après un court intervalle, être remise en cercle et se conserver fort long-temps, et même pendant plusieurs années. Loin de perdre pendant ce temps sa qualité, elle en acquerra une très-supérieure. Je suis persuadé que la bière conservée d'après mes procédés, peut supporter, sans aucune altération, les voyages d'outre-mer. C'est d'après l'expérience que j'en ai faite, et que je vais décrire, que j'ose le garantir.

Je me suis procuré trois quarts de très-bonne bière[55] nouvellement fabriquée; trente-six heures après l'avoir collée, je l'ai mise en bouteilles et passée, au bain-marie de la manière ci-dessus indiquée; j'ai laissé ces bouteilles reposer dix jours: je les ai ensuite déposées dans les mêmes fûts d'où la bière avait été tirée, et pendant deux ans je cessai de m'en occuper.

Ce ne fut qu'au bout de ce long intervalle, que profitant un jour de la présence de deux curieux qui visitaient ma fabrique, je leur offris d'en faire la dégustation; ces messieurs trouvèrent cette bière excellente, et n'hésitèrent pas à la comparer au Porter d'Angleterre. Pour me convaincre qu'il n'y avait pas trop d'exagération dans cet éloge, j'envoyai chercher aussitôt à l'hôtel des Américains une bouteille de véritable Porter qui me coûta 1 fr. 60 c., et j'eus la satisfaction de me convaincre que la différence, s'il en existait une entre cette bière et la mienne, était si imperceptible, que les plus grands connaisseurs auraient eu de la peine à la signaler.

Les amateurs de bière mousseuse pourront s'alarmer du succès de cette méthode; mais qu'ils se rassurent, on trouvera les moyens de les satisfaire, soit en leur fabriquant exprès, soit en ajoutant quelques parties de cette bière mousseuse à celle qui aurait été conservée suivant mon procédé, pour lui rendre de la fermentation. L'industrie opère tous les jours de nouveaux miracles.

D'après l'exposé de toutes les expériences qu'on vient de détailler, on voit que cette nouvelle méthode de conservation est fondée sur un principe unique, l'application du calorique à un degré convenable aux diverses substances, après les avoir privées, autant que possible, du contact de l'air[56]. Il ne s'agit point ici, comme dans les expériences des chimistes de Bordeaux, de détruire l'agrégation des substances alimentaires; d'avoir, d'un côté, la gelée animale, et de l'autre, la fibre privée de tout son suc et semblable à un cuir tanné. Il ne s'agit point, comme dans les tablettes de bouillon, de préparer, à grands frais, une colle tenace, plus propre à déranger l'estomac qu'à lui fournir un aliment salubre.

Le problème consistait à conserver toutes les substances nutritives avec leurs qualités propres et constituantes. C'est ce problème que j'ai résolu, comme il est démontré par mes expériences[57].

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
PREMIÈRE OBSERVATION.

La méthode que je viens de publier exige des frais de manutention, des peines et des soins; on éprouve, en la pratiquant, des avaries et du déchet; mais si l'on réfléchit aux grands avantages qu'elle procure, ces avaries et ces déchets sont bien peu de chose, en comparaison de ceux qu'entraînent les anciennes méthodes qui, outre les dépenses énormes qu'elles occasionnent, ne présentent que des incertitudes dans leurs résultats.

Sans parler des dépenses occasionnées par l'achat des préparations plus ou moins soignées, celui des bouteilles, qui deviennent ustensiles de ménage, et qui peuvent servir tant qu'elles existent[58], dépenses d'ailleurs communes aux autres méthodes, les frais qu'exigent mes procédés, consistent en bouchons, fil de fer ou ficelle, combustible pour le bain-marie, casse et avaries.

Mais, pour fixer ces frais, il faut prendre pour base les opérations qui peuvent avoir lieu dans un ménage; on pourra ensuite très-facilement les comparer aux opérations en grand, en réfléchissant que dans celles-ci, tout devient infiniment plus économique; et comme de grands vases peuvent avoir, dans un ménage, de très-grands inconvéniens, en raison du peu de consommation, je n'admettrai dans mon calcul que des bouteilles d'une pinte et des bouchons analogues.

Les bouchons très-fins de huit à dix-huit lignes de diamètre en tête, coûtent de 1 fr. 25 cent. à 7 fr. 50 c. le cent; je les porte l'un dans l'autre à 5 fr., ce qui fait par bouchon. 5 c.
Deux brins de fil de fer ou ficelle. 2 c.
Combustible pour le bain-marie. 5 c.
J'évalue la casse et l'avarie portées au plus haut, de dix à quinze bouteilles par cent, ce qui fait à peu-près dix centimes par bouteilles, ci. 10 c.
  ——
Total 22 c.

par bouteille, pour frais de manutention, qui pourront se réduire, sans exagération, à 15 c. dans les grandes opérations.

Ainsi, les procédés de ma méthode étant invariables et toujours les mêmes, comme leur principe, on pourra savoir facilement dans un ménage, à combien revient une bouteille d'une pinte de substance conservée, quelle qu'elle soit, en ajoutant au prix de son achat les 22 centimes pour frais de manutention, et dans les grandes opérations, en y ajoutant seulement 15 centimes que j'ai fixés pour dépenses de ces dernières.

La conservation dans les boîtes de métal ne sera pas plus dispendieuse que celle dans les vases de verre, surtout lorsque l'on n'emploiera que des boîtes de fer battu bien soignées dans leur confection: elles pourront servir plusieurs fois. Dans les grandes opérations, l'emploi des boîtes de métal est de la plus facile exécution et présente une économie considérable, déduction faite des avaries que l'on ne peut éviter dans cette manutention.

DEUXIÈME OBSERVATION.

Il serait inutile d'entrer dans de grands détails, pour savoir à combien peut revenir chaque substance conservée. Ma méthode pouvant être employée dans tous les pays, il me serait presque impossible de fixer les prix divers de chacune des substances qui doivent varier suivant leurs qualités, leur abondance, et les lieux qui les produisent; il me suffit d'avoir prouvé jusqu'à l'évidence, que les frais de manutention de ma méthode sont aussi modiques que les procédés sont simples et faciles à mettre à exécution; je puis même avec assurance avancer que, dans bien des circonstances, ces mêmes substances conservées sont à meilleur marché que les pareilles dans le temps moyen de leur saison naturelle, parce que l'on pourra faire, notamment pour les fruits et les légumes, toutes ses provisions aux époques où ils sont les plus communs, et par conséquent moins coûteux.

TROISIÈME OBSERVATION.

Les différens instrumens et ustensiles désignés sur la Planche 1 ne sont prescrits que pour plus grande précaution, pour plus grande facilité, et particulièrement pour les opérations en grand.

QUATRIÈME OBSERVATION.

Tous les artistes de bouche, tels que les confiseurs, les distillateurs, les pharmaciens, les restaurateurs, les pâtissiers, les limonadiers, les aubergistes, etc., déjà exercés dans la manipulation des préparations, et dans l'art de conserver les substances alimentaires, trouveront dans leur laboratoire tous les ustensiles, etc., nécessaires pour opérer avec avantage, d'après ces nouveaux procédés.

Néanmoins, tous les ustensiles et vases de ménage peuvent servir avec le même succès pour cette nouvelle méthode.

CINQUIÈME OBSERVATION.

Dès que cette méthode sera connue, on trouvera chez les faïenciers les bouteilles et les vases convenables. Les bouchons de tous calibres, et comprimés à la mâchoire, le fil de fer tout préparé, seront fournis par les marchands de bouchons. On trouvera également chez les fabricans des boîtes de fer-blanc et de fer battu de toutes dimensions avec leurs couvercles.

Dans les cas qui exigent des bouteilles à grandes embouchures, il sera toujours prudent de se procurer des bouchons avant les bouteilles, pour ne s'approvisionner que de celles qui auraient des embouchures proportionnées à la grosseur des bouchons qu'on aura; car il peut arriver, ce que j'ai éprouvé souvent, de ne pouvoir trouver des bouchons de grosseur telle qu'on pourrait la désirer.

Les verreries de la Garre, de Sèvres et de Prémontré, près de Coucy-le-Château, fabriquent des bouteilles et des bocaux propres à ma méthode. Cette dernière verrerie, qui me fournit depuis long-temps, est celle dont j'ai été le plus satisfait.

SIXIÈME OBSERVATION.

Le moyen de bien boucher ne dépend que d'un peu de pratique: il suffira de s'appliquer à une douzaine de bouteilles, avec l'assurance et l'exactitude convenables, pour se familiariser avec le verre[59].

Partout, et tous les jours, on met des vins, des liqueurs, etc., en bouteilles, qu'on fait voyager par terre et par mer, jusqu'aux régions les plus éloignées; les dames-jeannes de verre, de quarante à quatre-vingts pintes de capacité, pleines d'huile de vitrol, et d'autres fluides, sont transportées avec le même succès. Il en sera donc de même de toutes les substances animales et végétales conservées en bouteilles, etc., lorsqu'on aura pris à leur égard l'habitude des soins et des précautions qu'elles exigent. Combien de liqueurs précieuses sont souvent perdues ou altérées, faute d'avoir été bien bouchées.

Personne ne doutera, d'après toutes les expériences et les observations que j'ai détaillées, que la mise en pratique de cette nouvelle méthode qui, comme on a pu le juger, réunit à la plus grande économie, un degré de perfection inespéré jusqu'à ce jour, ne procure tous les avantages suivans:

Le premier, diminution considérable dans la consommation du sucre de cannes.

Le deuxième, emploi du sirop de raisin.

Le troisième, conservation dans tous les pays et pour toutes les saisons, des substances alimentaires végétales et animales, des plantes et sucs médicinaux, très-abondants et à très-bas prix, dans certains temps et dans diverses contrées, et très-rares et à très-haut prix dans d'autres.

Le quatrième, moyen certain de procurer aux hospices civils et militaires, aux armées mêmes, les secours les plus précieux, et dont le détail se présente si naturellement à l'imagination, qu'il serait superflu d'en faire l'énumération.

Le cinquième, ressources inappréciables pour la marine, en ce qu'avec cette méthode, on peut procurer, à bord des vaisseaux, et avec une économie de plus de cinquante pour cent, une nourriture fraîche et salubre, pour les voyages de long cours; en ce que les gens de mer pourront avoir dans leurs maladies de l'excellent bouillon, diverses boissons acidules, des légumes et des fruits; en ce qu'ils pourront jouir d'une foule de substances alimentaires et médicamenteuses, dont l'usage préviendra ou guérira les maladies que l'on contracte en mer, et particulièrement le scorbut; ressources bien dignes de fixer l'attention, quand on réfléchit que les salaisons et leurs mauvaises qualités entraînent la mort d'un nombre considérable de marins.

Le sixième, moyen certain pour la médecine de soulager l'humanité souffrante, par la facilité de trouver en toutes saisons, les substances animales, les végétaux et les sucs des plantes de tous les pays, avec toutes leurs qualités et leurs vertus naturelles.

Le septième, nouvelle branche de commerce d'échange et d'industrie, en ce que cette méthode facilite l'exportation des substances trop abondantes en France, et l'importation des denrées et des productions qui ne viennent exclusivement que dans les pays qui lui sont étrangers.

Le huitième, moyen de conservation et facilité d'exportation des vins de beaucoup de vignobles, en ce que ces vins, qui peuvent à peine durer un an sans altération, et encore sans déplacement, pourront se conserver plusieurs années, et être envoyés à l'étranger.

Le neuvième, celui de conserver les meilleures bières, de les transporter dans les pays les plus éloignés et de les maintenir telles qu'elles sont au moment où elles sortent de la brasserie.

Le dernier enfin, le domaine de la chimie enrichi de cette découverte, à laquelle elle ne manquera pas de donner de nouveaux développemens.

Tous ces avantages, et tant d'autres que l'expérience fera découvrir, produits par une seule et même cause, sont dignes de l'attention de tous les amis de l'humanité, et particulièrement de celle de ces savans recommandables qui se livrent avec une constance infatigable à l'étude de la nature.

Qu'on jette maintenant un coup-d'œil sur toutes les autres méthodes tant anciennes que modernes; que l'on en calcule les résultats, et l'on verra si elles peuvent soutenir un instant la moindre idée de comparaison avec une découverte dont le principe unique s'applique généralement à tout, et dont le succès est aussi certain qu'agréable et utile à l'humanité.

Résumé des Procédés.

Pour la plus grande intelligence de cet ouvrage, et pour soulager la mémoire du lecteur, je crois indispensable de faire ici la récapitulation des procédés qui constituent ma méthode. Il résulte donc de tout ce qui précède:

1o Que le bain-marie appliqué aux diverses substances, d'une manière convenable, et ainsi qu'il est expliqué dans les différens articles qui leur sont relatifs, est l'unique moyen connu jusqu'à ce jour pour opérer la parfaite conservation de toutes les substances, sans exception;

2o Que ce qui concourt le plus efficacement à ce but, est le parfait bouchage, pour lequel on ne doit rien négliger: une palette est nécessaire pour forcer le bouchon d'entrer;

3o Que les bouteilles doivent être bien confectionnées, c'est-à-dire que la matière soit répartie également; elles doivent, pour opérer le parfait bouchage, avoir une embouchure conique comme celle des bouteilles de Champagne.

4o Que les boîtes de fer-blanc et de fer battu doivent être bien confectionnées, avec des matières de premier choix, bien laminées, décapées, planées avec soin, et que l'étamage doit être bien soigné, afin d'éviter les soufflures que l'étamage peut masquer; défaut, qui provient du laminage ou du décapage;

5o Qu'on peut se servir de bouteilles de deux, trois, quatre, cinq, etc., pintes, même de dames-jeannes de vingt à quarante pintes de capacité, pour conserver des substances en raison des consommations présumées;

6o Que pour les grosses pièces, soit en viandes, poissons, gibier ou fruits, on se sert de bocaux en verre, de plus ou moins grande embouchure; les boîtes de métal les remplacent maintenant avec plus d'avantage;

7o Que les bouchons doivent être du liége le plus fin;

8o Que pour s'en servir, il faut les comprimer, sans les mouiller, au moyen d'une mâchoire à levier.

9o Que les bouchons pour les vases à grandes embouchures ne peuvent se composer que de plusieurs pièces collées ensemble[60], de manière que les pores du liége soient dans une direction horizontale à l'embouchure du vase: les bouchons, ainsi composés, doivent être comprimés comme les précédens;

10o Que les bouteilles, bocaux, etc., doivent être ficelés;

11o Qu'on ne parviendra à bien ficeler les bouchons pour les grandes embouchures, qu'en appliquant sur leur largeur, lorsque le vase est déja bouché, un morceau de liége, pour donner prise à la ficelle ou fil de fer sur le bouchon;

12o Que toutes les bouteilles et les bocaux doivent être enveloppés de linges, ou mis dans des sacs faits exprès, pour subir le bain-marie;

13o Que les bouteilles, boîtes, etc., pourront être disposées dans la chaudière, de telle manière et dans telle position que l'on voudra; cependant il est plus convenable, par rapport aux bouchons et aux couvercles, de les mettre debout;

14o Que les préparations étant ainsi disposées dans la chaudière, on la remplit d'eau fraîche;

15o Que plus on évitera l'évaporation de l'eau en ébullition, plus on s'évitera la peine d'ajouter de l'eau au bain-marie, comme il a été dit, et plus on économisera le combustible: ce n'est qu'à cet effet que j'ai prescrit le couvercle pour couvrir la chaudière, et recommandé de préférence le bain-marie couvert.

16o Qu'ayant ainsi préparé la chaudière, on la tient plus ou moins de temps à l'action du feu, suivant la nature des substances qu'on veut conserver, ainsi qu'il est dit à chaque article;

17o Que le temps prescrit étant expiré, on doit aussitôt retirer tout le feu du fourneau, si l'on opère dans une chaudière construite en maçonnerie, ou bien la retirer de suite de dessus le feu, si sa nature le comporte;

18o Que pour les substances qui exigent plus d'un bouillon au bain-marie, et lorsqu'on opérera sans couvercle, il faut entretenir l'eau à la même hauteur dans la chaudière; que l'eau qu'on doit y ajouter doit être bouillante;

19o Que par la nouvelle manière d'appliquer le calorique au bain-marie, ce dernier doit être toujours exactement couvert, et n'a jamais besoin d'être rempli.

20o Qu'un quart d'heure après avoir privé du feu le bain-marie, on doit en retirer l'eau par le robinet; et s'il n'y a pas de robinet, on en retirera les bouteilles lorsque l'eau sera assez refroidie pour en supporter la chaleur à la main.

21o Que l'eau étant sortie de la chaudière, on la découvrira une demi-heure après seulement; et une heure après l'avoir découverte, on en retirera les bouteilles, etc.

22o Qu'on doit, en examinant les bouteilles avec précaution, s'assurer qu'elles n'ont aucune avarie au sortir du bain-marie, et les coucher ensuite sur des lattes, à la cave ou dans un lieu tempéré;

23o Que l'on peut, si l'on veut, et sans que cela soit d'une absolue nécessité, goudronner les bouteilles avec du galipot seul, ou avec le lut indiqué par M. Bardel, avant de les ranger à la cave;

24o Que les vases à grandes embouchures étant bien plus chers et bien plus difficiles à boucher parfaitement que ceux à petites embouchures, il sera plus facile, plus économique et plus certain, d'opérer sur les substances animales, après les avoir désossées, et sur les gros fruits, après les avoir coupés par quartiers;

25o Que le même bain-marie peut contenir différentes espèces de substances dans des bouteilles ou boîtes séparées, pourvu que ces substances aient été disposées de manière à n'avoir besoin que du même degré de chaleur au bain-marie.


CHAPITRE VIII.

Des autoclaves et de la manière de les gouverner.

La plus grande partie des manipulations qui s'opèrent dans ma fabrique, particulièrement l'extraction de la gélatine et la fonte des suifs, ne s'obtenant qu'au moyen de l'autoclave, j'ai pensé qu'il serait utile à l'intelligence de mes procédés d'entrer dans quelques détails au sujet de cet appareil. C'est là uniquement le motif qui me détermine à en parler, et je prie d'avance mes lecteurs d'être bien convaincus que je n'ai ni la prétention, ni les connaissances suffisantes pour traiter cet article sous le point de vue scientifique. Simple praticien, je ne me propose d'autre but que de consigner ici ce qu'une longue expérience m'a appris touchant la manière de gouverner un appareil, jusqu'à présent trop redouté, et avec lequel le temps et l'habitude m'ont, pour ainsi dire, identifié.

Le digesteur de Papin, dont l'autoclave n'est qu'une modification, est connu en Europe depuis plus d'un siècle; l'apparition de ce terrible appareil causa, parmi les savans de l'époque, un étonnement mêlé d'effroi. Tout en payant à l'auteur le juste tribut d'éloges dû à son génie, on évita autant qu'on le put de faire l'application de sa machine, tant on en redoutait les effets. Les expériences furent peu nombreuses et dirigées par un sentiment de crainte qui en paralysa les résultats, de telle sorte qu'une invention précieuse, qui, de nos jours, devait prêter aux arts un si puissant appui, fut presque entièrement délaissée dès son origine, et ne parut avoir fixé l'attention universelle que pour un moment.

Quelques savans laborieux firent néanmoins de l'appareil de Papin l'objet de leurs méditations; ils recherchèrent les moyens de le modifier, et s'appliquèrent, autant qu'ils le purent, à prévenir les accidens que son usage pouvait faire appréhender; mais toujours dominés par la crainte, et reculant devant la terrible responsabilité qu'ils craignaient d'assumer sur eux, ils n'osèrent en recommander l'emploi, tout en reconnaissant les avantages qui en résulteraient pour nos usines, et l'essor prodigieux qu'en recevraient plusieurs branches de notre industrie.

Ce ne fut qu'après un long intervalle, et avec beaucoup d'hésitation, qu'on se décida enfin à faire quelques timides essais de la machine de Papin; mais ce fut avec de telles modifications qu'il n'en restait, on peut le dire, que le principe, les appareils étant absolument différens et ne présentant plus que d'imparfaits résultats. On se familiarisa insensiblement avec ces nouveaux appareils; on reconnut la possibilité de s'en servir sans danger en observant certaines précautions; on augmenta progressivement leur puissance, et on arriva à les appliquer avec succès à un grand nombre de machines.

Le digesteur de Papin ainsi défiguré et tout-à-fait détourné de son usage primitif, était entièrement négligé[61], quand M. le docteur Lemare, après plus d'un siècle, l'exhuma, pour ainsi dire, de l'oubli, par l'invention de son autoclave, de toutes les modifications du digesteur, celle qui conserve le plus de rapport avec lui, et dans la forme et dans les résultats.

Malheureusement trop préoccupé de l'utilité de son autoclave et des avantages infinis qu'on en devait attendre, M. le docteur Lemare ne réfléchit pas assez aux nombreux accidens qui pouvaient résulter de son application aux usages domestiques. En généralisant trop l'emploi de la marmite, en confiant le soin de la diriger à des cuisinières aussi négligentes que maladroites, et surtout en omettant de publier une instruction précise sur la manière de la gouverner, il commit une fatale imprudence qui eut bientôt les suites les plus déplorables.

Un accident affreux qui jeta la consternation dans Paris, la mort de l'infortuné Naldi, en glaçant chacun d'effroi, réveilla toutes les anciennes préventions contre le digesteur. Les personnes qui s'étaient munies d'autoclaves se hâtèrent de s'en défaire, et l'utile invention de M. Lemare fut frappée de l'anathème universel.

Cependant, si l'on peut accuser ce savant de quelque imprévoyance pour avoir négligé de publier une instruction que recommandait la prudence, il y aurait la plus grande injustice à considérer cet oubli comme la cause du malheur arrivé à M. Naldi, dont la précipitation seule causa la mort.

Quelque douloureux que soit pour nous le souvenir de cette effroyable catastrophe, nous croyons devoir en rapporter les détails, afin d'en prévenir le retour et de faire connaître en même temps les nouvelles précautions auxquelles elle a fait recourir.

Les premiers autoclaves qui parurent n'excédaient pas la capacité de quatre à douze litres, et étaient spécialement destinés au service domestique; leur forme était celle qu'ils ont encore aujourd'hui, seulement il existait dans la fermeture une imperfection que l'on a fait disparaître. La barre horizontale, qui tient la vis d'appel servant à fermer le couvercle de l'appareil, était simplement posée sur deux montans ou oreilles en fer, placés de chaque côté de la marmite, et entaillés de l'épaisseur de cette barre; de manière que dans le cas où, par l'adhérence de la soupape, le couvercle aurait sauté, cette barre, qui n'était aucunement retenue, devait sauter en même temps: c'est ce qui arriva dans la malheureuse circonstance que nous retraçons. Si dès-lors on eût, ainsi qu'on le devait, prévu la possibilité de cet accident, et si l'on eût fixé la barre horizontale, ainsi qu'on le fait à présent, et comme nous l'indiquerons plus bas, M. Naldi n'eût probablement pas même été blessé.

Appréciant tout le mérite de la nouvelle découverte, il fut un des premiers à se procurer un autoclave: il s'en servit long-temps avec succès. Enthousiaste, comme tous les artistes, il préconisait partout son appareil, et exhortait toutes ses connaissances à s'en munir. Des amis auxquels il en avait particulièrement recommandé l'usage, lui témoignèrent le désir d'en faire l'essai. M. Naldi accepta cette proposition avec joie, s'engagea à faire transporter la marmite chez eux, et à faire lui-même le pot-au-feu.

On se rassembla au jour convenu: la réunion était nombreuse, la gaieté animait tous les convives, curieux de voir commencer une expérience dont personne ne prévoyait l'affreux résultat.

M. Naldi avait annoncé que son pot-au-feu serait cuit en 30 ou 40 minutes; mais il n'avait pas considéré que la disposition du foyer devait considérablement retarder son opération. Au lieu du fourneau économique dont il se servait habituellement chez lui, il était obligé d'employer le feu de la cheminée qui, n'échauffant la marmite que d'un seul côté, ne pouvait la pousser aussi promptement à l'ébullition. Ce contre-temps, qu'il eût dû prévoir, le contraria beaucoup, et il essaya vainement de le surmonter en augmentant l'intensité du feu; l'appareil mal chauffé résista à tous ses efforts. Quelques plaisanteries qui lui furent adressées le piquèrent au point de lui faire oublier toute prudence; et voulant absolument obtenir les résultats qu'il avait annoncés, il chargea la soupape de tous ses poids pour accélérer l'ébullition, et comme elle tardait encore à se manifester, par une inconcevable témérité il appuya fortement dessus avec une pince. Le calorique porté par ce surcroît de charge au plus haut degré d'expansion, déchira l'appareil, dont le couvercle sauta avec une horrible détonation, et fracassa la tête du trop imprudent Naldi.

Je n'avais pas été des moins empressés à me procurer un autoclave. Celui que j'avais acheté était de la plus grande capacité (de 12 litres). Les expériences auxquelles je l'employai réussirent si complètement, que je me hâtai d'en commander un second de 300 litres, qui fut établi avec le plus grand soin par l'ouvrier même de M. Lemare; c'était le premier qu'il eût fabriqué d'une aussi grande dimension; et tel était l'effroi que lui causait son propre ouvrage, qu'après l'avoir essayé à une pression de 15 livres, il me recommanda avec les plus vives instances de ne charger la soupape, pendant mes opérations, que de neuf livres de poids.

Je fis immédiatement l'essai de ce nouvel appareil sur des os dont je voulais extraire la gélatine, et je reconnus que la pression de 15 livres était insuffisante pour obtenir ce résultat. Je répétai plusieurs épreuves en augmentant progressivement la charge de la soupape jusqu'au poids de 22 livres, qui me donna le degré de pression nécessaire à l'entière extraction de la gélatine.

J'aurais dû prudemment m'en tenir à ce résultat, mais je dois confesser que je ne le fis pas: désirant purger radicalement les os de leur gélatine, j'employai jusqu'à 27 livres de poids. Cette trop grande surcharge fit contracter un degré d'amertume à la gélatine, ce qui me détermina à m'arrêter au poids de 22 livres, et à ne plus l'excéder.

Dans ces entrefaites, et pendant que je me familiarisais, dans le secret de mon laboratoire, avec mes nouveaux appareils, arriva le triste événement que je viens de rapporter. Mes amis justement effrayés me conjurèrent de renoncer à mes autoclaves; la terreur exagérait le danger au point, que des personnes d'un mérite distingué, partageant l'effroi général, allèrent même jusqu'à me dire que je pouvais avec mes chaudières faire sauter ma maison et tout mon quartier.

Sans partager entièrement l'inquiétude commune, je sentis le besoin d'obvier aux inconvéniens que présentait la fermeture de mes chaudières. Je fis fixer solidement la barre horizontale au moyen de deux crampons contrariés, qui furent substitués aux simples montans entaillés sur lesquels elle reposait.

Entièrement tranquillisé par cette précaution, je m'appliquai à donner la plus grande extension à mes opérations; dans ce dessein je fis construire deux nouvelles marmites de la contenance chacune de 400 litres, et dont voici la description:

Description d'un autoclave de la capacité de 400 litres. (Pl. 2, fig. 3).

Cette marmite a est fabriquée en cuivre rouge de deux lignes d'épaisseur, d'un planage soigné, assez ductile pour ne pas laisser appréhender de rupture ou de déchirement, et bien étamé. Sa profondeur est de 29 pouces, sur un diamètre de 31 pouces pris à la carre dans œuvre. Cette carre d (fig. 3) est arrondie et garnie de deux oreilles ff en fer élevées de 5 pouces, placées parallèlement et formant crochets contrariés. L'ouverture de la marmite est ovale, et porte 18 pouces 1/2 sur 17 pouces. Son couvercle g (fig. 4) a 20 pouces 1/2 sur 19 pouces; la portion de la circonférence de ce couvercle excédant celle de l'ouverture, est garnie d'un limbe ou cercle en fort carton h, de deux lignes d'épaisseur sur un pouce de large, servant à clore exactement l'ouverture, et à empêcher la déperdition du calorique.

Le couvercle est armé d'une soupape de sûreté, consistant dans une broche de cuivre l (fig. 5) de 7 lignes 1/2 de diamètre, longue de 6 à 7 pouces, et destinée à recevoir les poids m. L'extrémité de cette broche a la forme d'un cône renversé n, et sa partie inférieure a 7 lignes 1/2 de diamètre; c'est cette partie conique qui s'ajuste dans le boisseau k (fig. 4) pratiqué dans l'épaisseur du couvercle pour donner passage à l'excédant de la vapeur. La base de ce cône est terminée par une brochette en fer o, de la longueur de 3 pouces 1/2, destinée à maintenir la soupape dans la ligne perpendiculaire; il existe à cet effet, dans l'intérieur du couvercle, un petit crampon ou étrier en fer percé d'un trou dans lequel est fixée cette brochette. La solidité de la soupape est calculée pour supporter une pesanteur de 22 livres, dont on la charge progressivement dans l'opération, au moyen de six poids en plomb m percés à jour, que l'on enfile dans la broche supérieure.

Le couvercle de l'autoclave est garni d'un autre appareil destiné à le mouvoir et consistant dans une barre de fer p (fig. 3) placée horizontalement, et fortement retenue dans les deux crochets ff dont on a parlé. Cette barre sert à fixer la vis d'appel r à l'aide de laquelle se lève et se baisse le couvercle. Comme l'action de la vapeur tend continuellement à le soulever, on a, pour résister à cette action, donné plus de circonférence à ce couvercle qu'à l'ouverture qu'il est destiné à fermer, et on lui a affecté la forme ovale qui permet de l'enfoncer dans la marmite d'où on le fait remonter pour fermer, avec la vis d'appel.

Ce couvercle, qui est très-lourd, ne peut se lever qu'au moyen d'une corde s (fig. 2) attachée à la vis, et d'une poulie t fixée au plafond[62].

L'appareil, ainsi établi, est monté sur un fourneau économique, construit de manière que la flamme et la fumée qui tournent autour de la chaudière ne montent pas à plus de 4 pouces de la hausse; le surplus de la chaudière, moins 4 pouces qui s'élèvent au-dessus du niveau du fourneau, doit être entièrement engagé dans la maçonnerie.

La prudence ne m'a pas permis de placer des robinets de vidanges à mes chaudières; elles se vident à l'aide d'une pompe foulante et aspirante en fer-blanc, Pl. 3, fig. 2.

Manière de gouverner l'autoclave.

Les soins les plus importans et qui réclament toute la sollicitude du manipulateur se bornent à deux points: bien gouverner le feu pendant l'opération, et veiller attentivement à ce que la soupape l, Pl. 2, fig. 5, ne contracte aucune adhérence avec le boisseau k, fig. 4.

L'autoclave chargé, n'importe de quelle substance, puisque toutes se traitent de même, au degré de pression près, on place le feu dessous; pendant qu'il s'allume on ferme le couvercle; on augmente alors le feu que l'on pousse avec activité. Après environ trois quarts d'heure, l'ébullition se manifeste par une légère vapeur que laisse échapper le boisseau k, on y introduit aussitôt la soupape l, en observant que la brochette inférieure o entre bien dans le trou du crampon placé à l'intérieur du couvercle. On tourne fréquemment la soupape l; au moment où elle se soulève et laisse de nouveau s'échapper la vapeur on la charge d'un premier poids m, et on augmente le feu; on continue à tourner légèrement la soupape l; à mesure qu'elle se soulève on ajoute un second poids m et successivement jusqu'à un sixième qui est ordinairement le dernier. A l'instant où on le place, il faut diminuer le feu et toujours tourner la soupape jusqu'à ce que l'action de la vapeur la soulève chargée de tous les poids; le feu doit être aussitôt retiré de dessous l'appareil avec la plus grande célérité, et il ne doit rester que très-peu de braise dans un des coins du fourneau. Si après avoir bien fermé toutes les ouvertures du fourneau on voit encore sortir de la vapeur par la soupape, on ajoute un septième poids m aux précédents[63].

L'opération ainsi terminée, il faut attendre pour découvrir l'appareil que la chaleur soit diminuée de manière à pouvoir ôter les poids, ce qui n'a lieu qu'au bout d'environ quatre heures.

On décharge la soupape l de tous ses poids, que l'on retire les uns après les autres et à mesure que la vapeur cesse de sortir par le boisseau k; lorsqu'elle ne fait plus entendre aucun bruit, on enlève la soupape l, que l'on essuie bien ainsi que le boisseau k, et l'on découvre l'appareil de la manière suivante: on détourne la vis d'appel r, fig. 3, et l'on fait descendre le couvercle de 2 à 3 pouces dans l'intérieur de la chaudière; avec les deux mains on saisit les extrémités de la barre horizontale p que l'on dégage des deux crochets ff dans lesquels elle est fixée, on fait faire au couvercle un demi-tour et on l'enlève au moyen de la poulie. Il faut avoir soin que son extrémité, qui pendant cette manœuvre plonge dans la chaudière, ne touche pas à la préparation qu'elle contient pour ne pas fatiguer le limbe, ce qui arriverait s'il trempait dans le liquide. Après avoir enlevé le couvercle, dont on essuie le dessous, on le place à côté de l'autoclave, sur une planche destinée à le recevoir. Avec la pompe on décharge la chaudière; on la nettoie, et on la recharge de nouveau si le besoin l'exige.

On voit par ces détails combien la conduite de l'autoclave est facile et quel peu de danger il présente, cet appareil n'exigeant pendant la durée de l'opération que deux heures au plus d'une rigoureuse surveillance.

J'opère journellement avec trois autoclaves montés comme celui que je viens de décrire, et les résultats que j'en obtiens ne demandent pas plus de temps que si je n'en gouvernais qu'un seul, ce qui peut paraître étonnant; mais j'ai reconnu par ma longue pratique qu'une personne chargée de la direction de ces appareils, et ayant sous ses ordres le nombre d'ouvriers nécessaire pour le service accessoire, peut, rigoureusement, en conduire seule jusqu'à douze à la fois; pour cela il lui suffit d'avoir beaucoup d'activité et de sang-froid, d'être bien familiarisé avec les autoclaves, et de ne pas se laisser effrayer par le bruit; car celui qui est occasionné par le dégagement de la vapeur est quelquefois si fort, qu'il intimide les ouvriers les plus aguerris, lorsqu'il devrait au contraire les rassurer, puisqu'il indique que la soupape n'a contracté aucune adhérence.

Ce qu'on vient de lire est suffisant, je crois, pour l'intelligence de toutes les indications que je donne relativement aux différentes manipulations que je décris dans le cours de cet ouvrage. Sans doute l'article serait très-incomplet, si je m'étais proposé de traiter mon sujet sous le point de vue scientifique; mais je le répète, je n'ai jamais eu une aussi haute prétention. Peut-être ce peu de lignes servira-t-il plus à déraciner les vieux préjugés qui existent encore contre l'autoclave, que ne l'aurait pu faire une dissertation plus approfondie. C'est dans l'intérêt de l'industrie, et pour une classe plus laborieuse que savante, que j'écris; j'ai dû me borner à mettre sous ses yeux le résultat de mon expérience, dominé par la pensée qu'une description simple, mais exacte, de mes appareils et de mes procédés, serait plus utile à son instruction que tout le luxe des plus brillantes théories.

OBSERVATIONS.

1re. Le limbe ou cercle de fort carton, placé autour du couvercle de l'autoclave, est destiné à le fermer exactement, et doit être d'une seule pièce. Pour atteindre ce but important, j'ai fait faire des feuilles de carton de cartes de grandeur et d'épaisseur convenables, de la meilleure qualité, et j'ai coupé le limbe en pleine feuille avec un ciseau à froid.

2me. La bonne qualité du carton mérite l'attention du manipulateur, parce qu'avec un limbe de carton de pâte ordinaire ou de toute autre matière inférieure, on parviendrait difficilement à fermer exactement l'appareil, ce qui est le point le plus essentiel.

3me. Un bon cercle de carton, entretenu proprement et avec soin, peut servir tous les jours pendant plus de deux mois, tandis que tout autre peut à peine soutenir deux ou trois opérations.

4me. On ne saurait donc prendre trop de précautions pour se procurer le meilleur carton pour cet objet.

5me. Lorsque le limbe se fatiguait, je m'en apercevais, dans le cours de l'opération, par l'échappement de la vapeur qui avait lieu plus ou moins, par la fermeture du couvercle; alors je retirais le feu de l'appareil, et laissant refroidir jusqu'à ce que je puisse le découvrir, j'examinais le carton. Lorsque le défaut était peu considérable, j'y remédiais avec de la colle faite de farine et d'un peu d'eau. Si le limbe était trop mauvais, je le remplaçais par un autre.

6me. Lorsque j'eus commencé à me servir de l'autoclave, ces fuites de vapeur m'inquiétaient, surtout lorsqu'elles faisaient beaucoup de bruit; mais dès que j'en eus reconnu la cause, je fus rassuré.

7me. Après avoir opéré pendant sept à huit jours avec le second appareil de 400 litres que j'avais fait construire, je m'aperçus d'un léger défaut sur la carre. C'était une tache noire, longue d'un pouce, et de l'épaisseur d'un cheveu. Je ne m'inquiétai point de ce défaut, et je continuai à me servir de cet appareil. Il survint à ce point noir une petite cassure par laquelle il s'échappait un peu de vapeur; elle ne tarda pas à augmenter et à donner plus de fuite à la vapeur. Comme cette perte ne nuisait en rien à mon opération, et que j'obtenais toujours le degré de chaleur nécessaire, je continuai à me servir de l'appareil jusqu'à ce que cette cassure devint si considérable, qu'elle laissait échapper une grande quantité de vapeur. Je fis prévenir l'ouvrier qui m'avait fourni cet appareil avec garantie; il voulut remédier à ce défaut par une forte soudure. Deux jours après cette réparation, l'ouvrier crut la bien fermer en soudant dans l'intérieur, et en y appliquant un champignon d'étain. Il en fit autant à l'extérieur, mais il ne put parvenir par ce moyen à empêcher la fuite de la vapeur, et fut obligé de reprendre son appareil.

8me. Cet incident m'a confirmé la certitude que j'avais déja acquise, que toutes les fuites de vapeur d'un appareil en action, soit par la soupape, soit par la fermeture du couvercle, voire même par quelques défauts dans la marmite, ne pouvaient jamais occasionner l'explosion de l'autoclave. Ces fuites doivent, au contraire, rassurer le manipulateur, et l'engager à y porter remède dès qu'elles se font entendre.

9me. Quelques opérations lui suffiront pour diriger la manipulation de l'autoclave avec calme et assurance.

10me. De tout ce qui précède, il est évident que l'adhérence de la soupape avec le boisseau, si on négligeait de la tourner de temps à autre, pourrait occasionner un déchirement dans l'appareil. L'attention du manipulateur doit donc se porter entièrement sur ce seul point, afin d'éviter les accidens.

Les résultats que l'on obtient par l'autoclave, sont identiquement les mêmes que ceux obtenus par le célèbre Papin avec le digesteur inventé par lui en 1681.

La construction du digesteur était bien plus compliquée, et les moyens de s'en servir et de le conduire étaient bien moins simples. On peut s'en convaincre en lisant la description insérée dans l'ouvrage intitulé: Manière d'amollir les os et de faire cuire toutes sortes de viandes, etc.

En 1759, la société des belles-lettres, sciences, etc., de Clermont-Ferrand, sur la proposition d'un de ses membres, qui était en même temps secrétaire-général de cette société, fit usage du digesteur de Papin, pour procurer du bouillon d'os aux pauvres. Le mémoire présenté à cette société sur l'emploi économique du digesteur de Papin, a été imprimé, et l'auteur, après avoir fait l'éloge des résultats avantageux qu'il obtint, dit:

«Cependant, si on considère que la machine de Papin, dans son premier état, et au temps même où les savans ont écrit, paraissait devoir être sujette à des explosions comparables à l'éclat des bombes, sans qu'on eût dans la pratique d'autre règle pour juger du degré de chaleur, par-delà lequel l'explosion pouvait avoir lieu, que la prompte évaporation d'une goutte d'eau jetée sur le couvercle de la marmite, on comprendra aisément pourquoi cette machine, malgré son utilité, avait demeuré jusqu'alors sans usage.»

L'auteur de ce mémoire a beaucoup simplifié l'appareil de Papin, et sans faire usage de la goutte d'eau jetée sur le couvercle, évaporée en plus ou moins de secondes, le plus ou moins de charbon employé sous le digesteur, lui servait de régulateur pour connaître le degré de chaleur nécessaire à ses opérations. Ce dernier moyen, quoique plus rassurant que l'évaporation de la goutte d'eau, était encore loin de donner toute sécurité au manipulateur.

Malgré les inconvéniens de cette dernière manière d'opérer, on voit, à la lecture du mémoire, que cet appareil a été employé avec succès à Rouen et à Clermont-Ferrand, pour procurer des bouillons d'os aux pauvres.

En résumé:

Pour opérer avec parfaite sécurité, on doit se procurer, 1o des autoclaves de cuivre rouge ductile, d'un planage soigné, bien étamés dans l'intérieur, ainsi que leurs couvercles, et confectionnés dans toutes leurs parties avec précision; 2o le meilleur carton de cartes pour les limbes qui seront coupés d'un seul morceau assez juste pour opérer la parfaite fermeture de la marmite dans l'intérieur; 3o de bons fourneaux économiques, garnis de registres pour régulariser l'action du feu et l'éteindre à volonté. L'appareil ainsi disposé, en y joignant le soin et l'attention que nous avons déjà recommandés, surtout à l'égard de la soupape, on pourra opérer avec assurance et confiance.


CHAPITRE IX.

De l'extraction de la gélatine des os par le moyen de la chaudière à compression ou autoclave, sans emploi d'acide muriatique.

La fabrication de la gélatine, par mon procédé, comprend deux opérations distinctes: celle relative à la confection des tablettes de jus de viandes et légumes, par laquelle s'utilise la chair des canards ou têtes de bœuf que j'emploie frais au sortir de l'abattoir; et celle de la gélatine proprement dite, extraite de ces mêmes canards, lorsqu'ils sont entièrement décharnés.

TABLETTES DE JUS DE VIANDES ET LÉGUMES.

Après m'être assuré d'une livraison de trois mille canards par mois, qui me sont envoyés au fur et à mesure de mes besoins, et les jours mêmes où les bœufs sont abattus[64], j'opère de la manière suivante.

Je fais mettre ces canards dans des auges en pierre et dans de grands baquets pleins d'eau, pour les y faire dégorger jusqu'au lendemain matin. Après les avoir bien frottés, brossés et nettoyés intérieurement et extérieurement, on les retire de cette première eau et on les laisse égoutter un moment. Durant cet intervalle, on lave les auges et baquets pour y replonger les têtes une seconde fois dans une quantité d'eau suffisante pour qu'elles puissent complètement baigner. Le soir on les fait égoutter encore après les avoir plongées à plusieurs reprises l'une après l'autre. On lave de nouveau les auges, on en renouvelle l'eau pour y faire tremper les têtes pendant toute la nuit.

Le lendemain on recommence la même opération avant de les remettre dans une dernière eau, qui doit être très-propre. Environ deux heures après, on retire de ce bain, pour les faire blanchir, une certaine quantité de têtes qu'on a toujours soin de plonger et d'égoutter; on les jette dans une chaudière contenant assez d'eau pour les baigner; cette chaudière couverte, on met le feu dessous et on la pousse à l'ébullition. Alors on modifie le feu en fermant toutes les ouvertures du fourneau, et on laisse les canards mitonner au petit bouillon, jusqu'à ce que les palais et les viandes s'en détachent assez facilement pour permettre de les décharner.

Lorsqu'ils sont parvenus à ce point, on les retire l'un après l'autre de l'appareil, après avoir, au préalable, dégraissé l'eau de la cuisson. On les met égoutter dans un baquet percé, et on les décharne ensuite en commençant par les palais qu'on jette dans de l'eau fraîche; le surplus des viandes est mis d'un côté, et les os décharnés de l'autre.

Pendant que ces premiers canards blanchissent sur le feu, on en fait égoutter une égale quantité pour les remplacer dans la chaudière, et on continue ainsi l'opération sans changer l'eau, en observant seulement de la bien dégraisser après chaque cuisson. De cette manière on peut décharner dans un seul jour au moins deux cents canards que l'on entasse dans un magasin bien sec et bien aéré, jusqu'au moment d'en extraire la gélatine.

Ces opérations préparatoires demandent beaucoup de précision et de célérité, surtout dans les chaleurs; elles doivent être terminées au plus tard le troisième jour de l'arrivée des têtes de bœufs à la fabrique.

Les canards décharnés, les os mis en magasin, je m'occupe de l'emploi des chairs. Je commence par les palais qui ont été jetés dans une eau fraîche renouvelée plusieurs fois pendant le cours des opérations que je viens de décrire. J'en prépare pour conserver une portion accommodée de diverses manières, j'en livre au commerce une autre beaucoup plus considérable à raison de 10 francs le 100, et j'ajoute ce qui me reste à la masse de viande provenant des canards que je soumets à l'autoclave pour en extraire le jus.

A cet effet je charge l'appareil, aux trois quarts seulement, de ces viandes baignant dans l'eau; je le couvre bien et je pousse la chaleur à 180 degrés. (Voyez l'article Autoclaves, page 193).

Quand la chaudière est assez refroidie pour qu'on puisse décharger la soupape sans laisser échapper de vapeur, je la découvre, et, avec la pompe aspirante, j'en décante le jus dans une chaudière de décharge.

Les viandes cuites et retirées de l'appareil sont soumises à la presse par laquelle on obtient la portion de jus qu'elles retiennent encore, et qu'on mêle avec la première.

Pendant ces préparations, on a formé un assortiment de tous les légumes nécessaires à un bon pot-au-feu: on les a réunis dans un filet fait exprès, afin d'en rendre l'extraction plus facile; on les ajoute au jus de viande, et on les fait cuire ensemble, et à vase clos, du soir au lendemain matin: alors on retire les légumes que l'on soumet à leur tour à la presse afin d'en obtenir tout le jus possible.

Lorsque la mixtion des jus de viande et de légumes est entièrement opérée, on procède à la clarification.

Pour clarifier trois cents litres, on emploie douze œufs (blancs et jaunes), que l'on fouette bien, et auxquels on ajoute peu à peu un litre d'eau fraîche, ensuite un litre de jus, et alternativement encore un litre d'eau et un de jus, le tout bien fouetté. On verse doucement ce mélange dans la mixtion, qui doit être bien chaude et qu'on remue avec une spatule. Le feu, pendant ce temps, est poussé d'abord avec modération et progressivement jusqu'à l'ébullition. Au premier bouillon, l'écume commence à monter, on arrose alors d'un litre d'eau fraîche, et quand l'ébullition reprend, on arrose une seconde fois et l'on continue d'enlever l'écume jusqu'à ce qu'elle blanchisse. Aussitôt on retire le feu, on couvre la chaudière pour laisser précipiter ce qui n'a pas monté, et on laisse le tout passer la nuit dans cet état.

Le lendemain on décante, en plaçant sous le robinet de vidange un tamis garni d'une étamine; ce tamis est posé sur un couloir destiné à recevoir le jus. Lorsqu'il cesse de venir par le robinet, on découvre la chaudière, et avec un poêlon on enlève légèrement tout ce qu'on peut obtenir de bien clair. Les résidus sont ensuite retirés du fond de la chaudière, passés à la chausse et ajoutés à la masse pour être avec elle soumis à l'appareil évaporateur, Pl. 4, fig. 1[65].

Dès qu'un couloir est rempli, on va le décharger dans le grand réservoir A; quand il est plein, on baisse le flotteur b, et le liquide tombe dans le petit seau B. Celui-ci étant rempli à son tour, on ouvre la vidange f, et on n'en laisse échapper que ce qu'il faut pour couvrir les trois surfaces de l'évaporateur à une hauteur de deux lignes.

L'appareil ainsi couvert, on chauffe vigoureusement le fourneau, on ouvre toutes les vidanges, afin que le liquide puisse se répandre, sans interruption, du grand réservoir au petit seau, et de là successivement sur les trois surfaces, parcourant ainsi une longueur de 76 pieds, terme auquel il a déjà acquis une consistance de 6 degrés.

Pour faciliter la circulation du liquide à travers les lames qui couvrent les surfaces, on se sert de spatules et de mains en fer-blanc, avec lesquelles on le pousse légèrement vers la partie inférieure de l'appareil, d'où il sort par une vidange k, et se décharge dans un vase placé dessous pour le recevoir[66]. Au moyen d'un robinet dont ce vase est garni, le liquide est recueilli dans des seaux, et reporté au grand réservoir A pour repasser de nouveau à l'évaporateur, opération qui se répète jusqu'à ce que la mixtion couvrant la dernière surface, ait atteint une consistance de 22 degrés à l'aréomètre. Alors on retire le feu du fourneau et on continue à remonter la matière au réservoir jusqu'à ce qu'elle soit en totalité parvenue au même degré. Quand elle est à ce point, on vide entièrement le réservoir A, et le petit seau B. On laisse emplir jusqu'au bord la dernière surface, et successivement la seconde, si l'abondance du liquide le permet.

Le fourneau conservant encore assez de chaleur pour continuer l'évaporation, la portion de matière couvrant la dernière surface atteint bientôt 23 ou 24 degrés. On commence à la décanter de la manière qui vient d'être dite, et en même temps on ouvre la vidange g de la seconde surface, dont le liquide vient remplacer celui qui s'écoule de la dernière, et acquérir le même degré de consistance.

Ce produit ainsi élaboré est recueilli dans des boîtes de fer-blanc de la contenance de 12 à 15 livres, et conservé ainsi jusqu'au moment de le couler en tablettes.

Afin de toujours tenir le grand réservoir A plein, et pour compenser ce qui peut être perdu de liquide par l'évaporation, on tient en réserve une certaine quantité de matière tirée de la chaudière et destinée au remplissage.

Lorsqu'on veut suspendre l'opération pendant quelque temps, jusqu'au lendemain par exemple, comme les réservoirs et surfaces de l'appareil sont empâtés de matière épaissie, qui brûlerait et donnerait un mauvais goût à la substance, si on n'avait soin de bien nettoyer avant de passer à une nouvelle opération, voici comment on procède: après avoir fermé toutes les vidanges g, on remplit le grand réservoir A d'une partie du liquide tiré de la chaudière, qu'on fait couler et s'étendre sur toute la hauteur des surfaces; on plonge dans ce liquide les spatules, les mains de fer-blanc, même les couloirs imprégnés de matière épaissie, et on laisse le tout passer ainsi la nuit; dans cet intervalle, les parties durcies se fondent et s'unissent au liquide, de sorte que le lendemain, quand le fourneau est rallumé et la matière portée à la consistance de 6 degrés, on peut la décanter sans obstacle, et la remonter au réservoir de la manière indiquée.

Quand l'opération est entièrement consommée, et que tout le liquide clarifié a subi l'évaporation, on recouvre l'appareil de la même manière, mais simplement avec de l'eau fraîche; on chauffe le fourneau; lorsque la partie gélatineuse est unie à l'eau, on la décante, et l'on essuie bien l'appareil et tous les ustensiles qui ont servi à la manipulation.

La très-faible décoction que ce bain de l'appareil a donnée est recueillie dans des seaux et soumise, dans une chaudière, à l'action du feu jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment rapprochée pour devenir susceptible d'être conservée jusqu'à une prochaine opération.

La totalité du jus étant parvenue à la consistance de 24 degrés, est coulée en tablettes dans des moules de fer-blanc destinés à cet usage[67], et portant 12 pouces de long sur 8 de large, et 1 de bord. Le fond de ces moules est divisé en dix parties égales par autant de lignes formant les tablettes. Lors du coulage, on le graisse avec un peu d'huile d'olive pour empêcher la matière de s'y attacher en séchant.

Lorsqu'elle est bien prise et refroidie, avec un couteau on la lève d'une seule pièce, et on la pose sur des châssis en bois garnis de canevas, en prenant bien soin de renverser la feuille de manière que les divisions imprimées par le fond du moule ne soient pas effacées par le contact du canevas.

On laisse la matière ainsi disposée se ressuyer pendant quelque temps, souvent jusqu'au lendemain, quand la température l'exige. Ensuite avec le couteau, et en suivant les divisions marquées, on la coupe en dix morceaux ou tablettes. Les tablettes coupées, on les étend sur d'autres châssis pareils aux premiers, en les espaçant de manière qu'elles ne se touchent point. On pose ces châssis sur des chevalets, et on laisse la matière continuer à se ressuyer encore pendant deux jours; le troisième on la porte dans l'étuve chauffée de 15 à 18 degrés du thermomètre de Réaumur, où on la laisse jusqu'à son entière dessiccation.

Cette dernière opération terminée, on met les tablettes dans des caisses placées dans un lieu sec et bien aéré, où elles sont emmagasinées jusqu'à la vente.

Célérité et propreté, voilà les deux conditions indispensables dans les opérations que je viens de décrire; l'une assure le bénéfice du fabricant, l'autre la sécurité du consommateur.

Je n'ai pas dissimulé la nature des viandes dont je me sers pour la confection des tablettes; elles proviennent toutes de la tête du bœuf, morceau peu délicat, il est vrai, et réputé de basse boucherie; mais salubre, et employé pour tirer des jus dans les meilleures cuisines. D'ailleurs les gens du métier savent tous qu'il est telle partie de la tête du bœuf qui, bien parée, fournit d'excellens beefstaeks que l'on mange avec beaucoup de plaisir, et sans s'enquérir de leur certificat d'origine. Je le répète, les soins et la propreté font tout; et j'ose espérer que telle personne qui aurait éprouvé de la répugnance à faire usage de mes tablettes avant d'en connaître la composition et la manipulation, n'hésitera plus à en adopter l'usage, après avoir lu l'analyse que j'en viens de donner.

GÉLATINE D'OS SANS ACIDE.

Le mérite de la gélatine, pour la parfaite clarification des vins et de tous autres liquides, est généralement reconnu et apprécié, non seulement par les savans distingués qui en ont fait l'analyse, mais par tous les propriétaires et négocians en vins qui en ont adopté l'emploi. De nombreuses expériences qui se répètent chaque jour en démontrent évidemment la supériorité sur tous les ingrédiens employés communément à cet usage.

Il n'est aucune découverte utile qui n'ait été dans son origine l'objet de critiques plus ou moins vives, plus ou moins fondées. Celle de la gélatine, comme on le pense bien, n'en a pas été plus exempte qu'une autre; mais le temps et l'expérience ont imposé silence à ses détracteurs, et fait abandonner les vieilles routines. Aujourd'hui on peut affirmer qu'aucune des personnes qui ont adopté l'usage de cette colle ne reviendra aux anciens procédés, moins sûrs dans leurs résultats, et beaucoup plus dispendieux dans leur application.

Outre son utilité, considérée comme colle à vins, la gélatine présente encore beaucoup d'autres avantages à l'économie domestique; elle sert aux chefs d'offices, aux restaurateurs, aux glaciers et aux cuisiniers, pour les gelées et entremets. On l'applique avec succès à la fabrication du biscuit de mer, à l'apprêt des étoffes et des chapeaux; enfin la médecine elle-même ne dédaigne pas d'en recommander l'usage pour la composition des bains oléagineux[68].

En traitant dans le paragraphe précédent de la confection des tablettes de jus de viande et de légumes, j'ai indiqué la manière d'utiliser les chairs provenant des canards ou têtes de bœufs: il ne me reste plus que peu de chose à dire relativement à l'emploi des os décharnés et à la façon d'en extraire la gélatine.

Ainsi qu'on l'a vu plus haut, à mesure que les têtes sont décharnées, on les place dans un magasin bien aéré pour s'en servir au besoin. Quand ce moment est arrivé, on commence par les briser, ce qui se fait sur un billot avec une forte mailloche cerclée en fer et garnie de têtes de gros clous. Lorsque les os sont suffisamment brisés, on en met environ deux cents livres dans un autoclave avec assez d'eau pour qu'ils y puissent baigner[69], mais toujours en observant de ne charger l'appareil qu'aux trois quarts.

La chaudière ainsi chargée et fermée de son couvercle, on allume le feu dessous, et l'opération se continue de la manière indiquée (page193); seulement, lors de l'ouverture de l'autoclave, on dégraisse le liquide, que l'on transvase ensuite, à l'aide de la pompe, dans une chaudière de décharge sur laquelle on a placé un tamis pour retenir les parties hétérogènes qu'il pourrait entraîner. On retire aussi de l'autoclave les os que l'on fait bien égoutter afin de recueillir tout le bouillon.

On allume alors le feu sous la chaudière de décharge, et l'on procède à la clarification de la manière suivante: Pour clarifier environ 300 litres de liquide, on fait une eau blanche en cassant six œufs (jaunes et blancs), que l'on bat bien, et qu'on mêle dans six litres d'eau de puits très-fraîche. Quand le liquide est parvenu à l'ébullition, et qu'il a été écumé une première fois, on arrose la surface avec un litre de cette eau blanche, on enlève une seconde fois l'écume qui remonte, et successivement l'on continue d'arroser et d'écumer jusqu'à ce que toute l'eau blanche soit employée. On couvre ensuite la chaudière, on retire le feu et on laisse le liquide reposer pendant deux heures, après quoi on décante, par la vidange, tout ce qui peut y passer, le reste s'enlève avec un poêlon, et le tout est passé à la chausse. Le liquide ainsi clarifié est soumis à l'appareil évaporateur.

Le reste de la manipulation jusqu'à la mise en moule est exactement la même pour la gélatine que pour les tablettes de jus de viandes, sauf cependant la différence du degré de consistance; celle de la gélatine, après l'évaporation, ne devant être portée qu'à 22 degrés au lieu de 24, auxquels on porte celle des tablettes.


CHAPITRE X.

Extraction de l'huile de pied de bœuf.

Le procédé que je venais d'inventer pour extraire la gélatine d'os par le moyen de l'autoclave, devait naturellement m'amener à opérer sur les pieds de bœufs; cet objet, d'après la grande extension dont je voyais mon invention susceptible, pouvant m'offrir d'immenses avantages; car, outre l'excellente gélatine que le pied contient, je me proposais, par l'application du même principe, d'en extraire une huile beaucoup plus fine, beaucoup mieux dépurée, et surtout bien moins chère que celle du commerce[70].

Je ne fus pas entièrement déçu dans mes espérances, et j'eus, pendant un an que je consacrai à ce genre de manipulation, d'assez heureux résultats quant à la parfaite qualité de l'huile que j'obtins; mais la gélatine, quoique très-bonne aussi, ne m'offrait pas tous les avantages que j'en attendais. Les frais considérables que son extraction m'occasionna à cause de la dureté des os que j'étais obligé de soumettre deux fois à l'autoclave pour arriver à les purger entièrement du suc gélatineux, me firent renoncer à ce genre de travail, que d'autres occupations, d'un ordre supérieur, ne me permettaient pas d'ailleurs de suivre avec tous les soins qu'il réclamait. Cependant, comme l'huile de pied de bœuf, extraite par la pression a une très-grande supériorité sur celle de nos fabriques, il est convenable que je décrive tous les procédés à l'aide desquels je suis parvenu à l'obtenir.

MANIPULATION.

Il en est des pieds de bœufs comme des têtes, on se les procure à l'abattoir; ils doivent être frais et provenir des bœufs que l'on vient d'abattre.

Dès qu'ils sont apportés à la fabrique, on les jette dans des cuviers pleins d'eau pour les faire dégorger jusqu'au lendemain matin; après les avoir bien lavés, brossés et fait égoutter, on les jette dans une seconde eau, qui doit être très-propre; le soir on les change d'eau, et le lendemain on les en retire encore pour les jeter dans une quatrième après les avoir préalablement lavés et brossés de nouveau. Ce dernier bain ne dure que deux heures; on retire alors les pieds, on les fait égoutter et on les range dans une chaudière, où il n'y a d'eau que la quantité nécessaire pour couvrir l'ergot sur lequel ils sont dressés; un plus grand volume d'eau aurait l'inconvénient de faire échapper l'huile qu'il n'est pas encore temps d'attaquer dans cette première opération qui n'a pour objet que de désergoter les pieds.

Les choses ainsi préparées, on allume le feu sous la chaudière, et le liquide est porté à une chaleur de soixante à soixante-dix degrés environ: alors, avec un crochet de fer destiné à cet usage, on essaie de détacher l'ergot; lorsqu'il cède facilement, on retire le feu de dessous l'appareil, et on procède à désergoter tous les pieds que l'on jette à mesure dans une cuve d'eau fraîche.

Quand tous les pieds ont subi cette préparation, et qu'on les a fait égoutter, on les range dans l'autoclave, et on les couvre de trois pouces d'eau, en observant toujours la règle de ne charger l'appareil qu'aux trois quarts de sa capacité; on pose le couvercle, on allume le feu et l'opération se continue au même degré de chaleur, et en tout de la même manière que pour l'extraction de la gélatine.

Le feu retiré et la soupape chargée de tous ses poids, on laisse refroidir pendant quatre à cinq heures, avant d'ouvrir l'appareil. Alors l'huile et la graisse sont parfaitement extraites des pieds; mais comme cette dernière est beaucoup plus pesante, il faut attendre au moins une heure après l'ouverture de l'appareil que le départ soit effectué.

Quand la matière est bien reposée, avec un poêlon plat, on décante légèrement les trois quarts à peu près de la couche d'huile qui la recouvre, et que l'on verse dans des vases de fer-blanc; pour le surplus, qui ne contient que très-peu d'huile mêlée à la graisse, on le décante jusqu'à fleur d'eau, et on le laisse reposer séparément pendant quelques jours pour donner à la graisse le temps de se précipiter entièrement; le départ effectué, on ajoute la quantité d'huile qui en provient à celle déja recueillie, et on met le tout en barils.

On voit combien est simple le procédé que j'emploie pour extraire cette huile; mais il faut bien prendre garde que ce n'est qu'en observant, dans la manipulation, tous les détails que je viens de donner, qu'on peut espérer de l'obtenir parfaitement dépurée, exempte de goût, d'odeur, et propre à remplacer l'huile d'olive dans les usages culinaires; mais en négligeant mes indications et en s'affranchissant des soins d'une propreté minutieuse, on ne doit pas attendre de pareils résultats.

Manière d'extraire la gélatine du pied de bœuf.

Comme l'opération sur le pied de bœuf a le double résultat d'en extraire l'huile et la gélatine, je dois indiquer comment se traite cette dernière substance, la manipulation n'étant pas absolument la même pour la gélatine provenant des pieds de bœufs, que pour celle provenant des têtes.

Après avoir décanté de l'autoclave, ainsi que je viens de le dire, l'huile et la graisse, on retire, à l'aide de la pompe, l'eau saturée de gélatine, pour la soumettre à l'évaporation, les os sont aussi retirés, mais ils retiennent encore, à cause de leur forte épaisseur, près des deux tiers de leur gélatine, que l'application d'une chaleur portée à trois atmosphères n'a pu atteindre. Pour parvenir à les purger entièrement, on les écrase d'abord avec la mailloche, ce qui est très-facile, la première cuisson les ayant considérablement amollis; on les replace ainsi pulvérisés dans la chaudière où on les recouvre de six pouces d'eau. Du reste et à cela près de la macération des os et de la double cuisson, l'opération est absolument semblable à celle pratiquée pour l'extraction de la gélatine des canards ou têtes de bœufs.

Il est évident que dans une entreprise où se traiterait en grand, par mon procédé, la fabrication de la gélatine, la fonte des suifs et l'extraction de l'huile de pied de bœuf, cette dernière branche, par sa connexité avec les deux autres, offrirait d'immenses bénéfices.


CHAPITRE XI.

De la fonte des suifs[71].

L'heureuse application de la chimie aux arts, en ouvrant de nouvelles routes à l'industrie, tend à nous affranchir enfin du joug des vieilles routines; mais tel est encore l'empire des préjugés et de l'habitude qu'au milieu de l'essor général, beaucoup de nos produits restent stationnaires et sont toujours traités avec la même insouciance et la même incurie que par le passé. La fonte des suifs en offre un exemple frappant, aucun effort jusqu'ici n'a été tenté pour remédier aux nombreux inconvéniens qu'elle présente; au contraire, par des motifs qu'il ne nous appartient pas de juger, les fabricants se sont obstinés à repousser toutes les améliorations que d'habiles chimistes voulaient introduire dans leurs procédés.

C'est encore aujourd'hui comme autrefois, dans d'énormes chaudières qu'ils entassent jusqu'à huit milliers de suif à la fois, la plupart du temps si vieux et si rance que l'odeur infecte qu'il exhale est nuisible à la santé, ce qui rend le voisinage des fonderies aussi dangereux sous le rapport de la salubrité que sous celui de la sûreté, qui est sans cesse compromise par les fréquens incendies auxquels ces établissemens sont exposés.

Ce dernier accident se manifesta, il y a quelques années, dans la fonderie de l'abattoir de la barrière de Fontainebleau, et fixa sérieusement l'attention de l'autorité. M. le comte de Chabrol, préfet de la Seine, assembla les maîtres bouchers de Paris: après leur avoir reproché une insouciance condamnable, il leur enjoignit de rechercher des moyens de fabrication plus conformes à la salubrité et à la sûreté publique; la sollicitude de ce magistrat alla même jusqu'à leur désigner le savant M. Darcet comme la personne la plus capable par ses lumières de les diriger dans leurs recherches. Tant de soins furent inutiles: il arriva dans cette circonstance ce qui malheureusement arrive presque toujours, les intentions de M. le préfet furent éludées, on ne suivit pas les avis de M. Darcet, et les choses restèrent sur l'ancien pied.

J'étais occupé alors à conserver une grande quantité de viande pour le service de la marine royale. Le boucher qui me fournissait des bœufs était membre du bureau des bouchers; il m'apprit les intentions du préfet, ce qui me fit concevoir aussitôt la pensée d'essayer à cette occasion quelques expériences avec mon autoclave; voici comment j'opérai.

Je commençai par découper dix livres de suif en branche, en très-petits morceaux: après les avoir épluchés, lavés plusieurs fois, laissé dégorger vingt-quatre heures et égoutter ensuite, je les mis avec trois litres d'eau dans un petit autoclave de la capacité de douze litres. Je plaçai mon appareil sur le feu, après en avoir bien fermé le couvercle et posé la soupape, que je chargeai graduellement des poids nécessaires à une pression de cent quatre-vingts degrés de chaleur.

Après avoir retiré le feu et laissé refroidir, comme de coutume, jusqu'à ce que les poids et la soupape se puissent ôter sans produire de vapeur, je découvris l'autoclave; je laissai reposer, une bonne heure, le suif qui était parfaitement fondu, je l'enlevai de dessus l'eau, et j'en fis un petit pain. Cette première opération terminée, je versai le fond de la chaudière dans une terrine, afin de laisser remonter le peu de suif qu'il contenait encore.

Le tout refroidi et bien pris, j'ai pesé les résidus, et j'ai reconnu que les dix livres de suif n'avaient éprouvé qu'un déchet de treize pour cent, lequel étant soumis à la presse, ne présentait plus que de petites membranes et pellicules absolument purgées de graisse et de suc gélatineux.

Cette expérience, faite en présence de mon boucher, lui prouva que le déchet résultant de la fonte par mon procédé, n'était que de la moitié de celui qu'elle donne par les procédés ordinaires. Il reconnut en outre que mon suif était beaucoup mieux dépuré, plus blanc et plus sec que celui des autres fonderies. Étonné de pareils résultats, il m'exhorta à faire de nouveaux essais et à opérer sur de plus grandes quantités.

J'étais trop flatté moi-même de mon succès pour résister à ses sollicitations, et dès le soir je commençai cette seconde expérience. Cette fois, je mis deux cent soixante livres de suif dans l'autoclave; après l'avoir préparé de la manière que je viens d'indiquer plus haut, le feu retiré et le refroidissement opéré, je trouvai, en découvrant la chaudière, le suif bien fondu et parfaitement limpide. Je le fis enlever de dessus l'eau et placer dans des bachots. Je fis verser dans d'autres vases l'eau qui restait au fond de l'autoclave; après le refroidissement, je séparai le suif du marc que je soumis à la presse, comme dans la première opération: le résultat produisit un déchet de douze pour cent.

La beauté parfaite de ce suif me détermina à essayer de suite d'en fabriquer de la chandelle. Le maître boucher, qui suivait assidûment mes opérations, en confia la façon à son fondeur, qui était en même temps chandelier, et il lui recommanda de nous envoyer les premiers échantillons au sortir du moule. Ce dernier, aussi curieux que nous de connaître les résultats de l'expérience, brûla le soir même, et avec autant d'admiration que de surprise, une de ces chandelles à peine refroidies.

Le lendemain, en m'apportant le paquet d'échantillon, il me témoigna beaucoup de regret de n'avoir pas employé un coton plus beau et mieux assorti à la chandelle. Il était si loin, me dit-il, de s'attendre à ce qu'il voyait, qu'il n'avait pas cru nécessaire d'y apporter plus de soin.

Ces deux épreuves faites avec une minutieuse exactitude, m'ont clairement démontré la supériorité de ce nouveau procédé sur l'ancienne méthode.

1o Sous le rapport de la salubrité et de la sûreté, elle est incontestable[72];

2o Elle ne l'est pas moins sous celui de l'économie; le déchet étant de près de moitié moins considérable, et la chandelle provenant de cette fonte offrant, tous frais calculés, dix centimes par livre de bénéfice sur celle qu'on fabrique d'après l'ancienne manière;

3o Enfin sous le rapport de la célérité des opérations, elle est complète puisque la chandelle peut être coulée immédiatement après la fonte, et sans qu'on soit préalablement obligé de mettre le suif en pain et de le fondre une seconde fois pour le clarifier, ainsi que cela se pratique avant le coulage. Ce qui est encore bien à remarquer, c'est que la célérité du travail, loin de lui rien faire perdre de ses qualités, semble au contraire y ajouter, car indépendamment du mérite de ne pas couler et de durer une heure de plus que l'autre, cette chandelle a encore le précieux avantage de ne donner aucune odeur.

Mais pour bien apprécier tout le prix de mon procédé, il faut d'abord jeter un coup d'œil sur la manutention des fondeurs, considérer l'énorme et dispendieux matériel qu'elle exige, et en faire la comparaison avec mes opérations.

Les fondeurs emploient huit, dix et quelquefois quinze jours à amasser le suif en branche destiné à leur fonte. Ce suif échauffé, rempli de vers et exhalant une odeur infecte, est entassé, seulement mouillé d'un peu d'eau, dans une immense chaudière montée sur un fourneau. Cette chaudière peut contenir jusqu'à huit mille livres de suif.

La fonte s'effectue lentement, et se dispose au fur et à mesure dans d'autres chaudières plus petites.

Pendant la durée de l'opération, la couleur et même la qualité du suif s'altèrent considérablement. Vers la fin, les cretons deviennent d'un jaune foncé, et souvent le fond de la chaudière gratine et brûle tout à fait. Il arrive encore qu'en augmentant par trop l'intensité de la chaleur pour dissoudre complètement les cretons, on arrive jusqu'à graisser le suif et à perdre ainsi tout ce qui reste dans la chaudière.

Les fondeurs, par une économie très-mal entendue, et pour ne rien perdre, soumettent les cretons à l'action d'une forte presse et mêlent les derniers résidus qu'ils en expriment, dont la couleur est celle du café, à la masse de leur suif, et achèvent ainsi d'en détruire la qualité.

On comprend facilement que d'après un mode aussi vicieux on ne peut obtenir qu'un suif grossier, mal dépuré et incapable de faire de bonne chandelle; tandis qu'à l'aide du moyen très-simple que j'indique, en diminuant beaucoup les frais de fabrication, on obtient un suif pur, et par conséquent une chandelle excellente, d'une plus grande durée, exempte de l'inconvénient de couler et n'exhalant d'autre odeur que celle de la cire[73].

Une invention nouvelle n'a pas seulement à lutter contre les préjugés de la routine, elle a encore à vaincre la résistance des intérêts particuliers qu'elle est susceptible de froisser; j'en ai fait la rude épreuve dans cette circonstance comme dans beaucoup d'autres.

Les résultats satisfaisans de mes deux premières expériences me décidèrent à prendre un brevet d'invention. J'étais persuadé que désormais ma méthode serait la seule adoptée, et qu'aucun fabricant de chandelle ne voudrait employer d'autre suif que celui de ma fonte.

En attendant le moment de donner à ma nouvelle entreprise toute l'extension dont je la jugeais susceptible, je continuai d'opérer par mes procédés avec un entier succès. Je fondis encore, en quatre différentes fois, jusqu'à douze cents livres de suif en branche.

J'envoyai ma première fonte au chandelier qui avait fabriqué mes échantillons et leur avait donné tant d'éloges. Je ne crus pas utile d'assister à la manutention, et j'eus bientôt lieu de m'en repentir; car, peu de jours après, à l'ouverture d'un des paquets qu'il me rendit, je reconnus qu'il m'avait trompé, et que la chandelle ne provenait pas de ma fonte. Je le tançai vertement; comme de raison il nia le fait, cependant il me paya mon suif, et ainsi finit ce premier épisode; mais je n'étais pas au bout, et je ne savais pas encore jusqu'où peut aller la malice d'un chandelier!

Sur ces entrefaites, un négociant de mes amis à qui je racontai mon aventure, m'indiqua un autre chandelier, parfait honnête homme, auquel, m'assura-t-il, je pouvais m'adresser de confiance. Je me hâtai de lui envoyer deux cents livres de mon suif, et huit à dix jours après je reçus ma chandelle. Je me serais fait un cas de conscience d'ouvrir un paquet et de rien examiner, tant je comptais sur la bonne foi de ce parfait honnête homme! Néanmoins, au bout d'assez long-temps, voulant me servir de cette chandelle pour mon propre usage, je fus étrangement surpris de la trouver pire encore que l'autre....

De pareils commencemens n'avaient rien d'encourageant; quoi qu'il en soit, je ne laissai pas, tout en pestant, de continuer à livrer mon suif à plusieurs autres fabricants de chandelles, qui tous me servirent avec la même délicatesse.

J'avais peine à concevoir comment, après avoir obtenu une chandelle parfaitement bonne par mon procédé, il se faisait que je n'en puisse plus tirer que de très-commune, car j'étais loin de supposer les fabricants assez ennemis de leurs véritables intérêts pour amalgamer le suif pur que je leur livrais au suif grossier des abattoirs. Ce ne fut que par de nombreuses et nouvelles expériences que j'acquis la certitude d'une fraude qui altérait ainsi ma fonte sans améliorer en rien la leur.

Rebuté par tant de mauvaise foi, je pris le parti de couler moi-même ma chandelle; alors mes résultats redevinrent absolument semblables aux premiers que j'avais obtenus.

Ne voulant pas m'exposer à être trompé davantage, je cessai de livrer mon suif à la fabrication, et j'ajournai mes opérations jusqu'à un temps plus propice, et où je pourrais seul diriger mon entreprise dans toutes les parties de la fonte et de la fabrication de la chandelle.

Un enchaînement de circonstances a toujours éloigné ce moment, et maintenant il est probable que je ne m'occuperai plus de cet objet; mais, convaincu par mes essais de l'excellence du procédé que je viens d'indiquer, j'ai cru devoir le consigner ici, et même ajouter à ce qui précède tous les détails relatifs à la fonte par l'autoclave.

Manière d'opérer la fonte des suifs par la chaudière à compression ou autoclave.

Le choix des matières est le premier soin qui doit occuper le fabricant. Le suif en branche est préférable à toute autre espèce de graisse; il doit être sain et récent, qualités que je soutiens indispensables, et que les fondeurs paraissent ne compter pour rien. Ils sont dans la très-mauvaise habitude de faire leur tournée d'approvisionnement chez les bouchers tous les quatre ou huit jours. Le suif ainsi recueilli dans les étaux de Paris, et entassé sans soin depuis près d'une semaine, est déja dans un état de corruption qui en rend l'odeur insupportable; il faut pourtant, avant de le soumettre à la fonte, attendre que celui qu'on tire des campagnes soit rassemblé. Ce dernier, qui est âgé au moins de quinze jours, est dans une véritable putréfaction. Ce n'est qu'après avoir encombré leurs chaudières de six à huit milliers de ces matières dégoûtantes que les fondeurs commencent leurs opérations[74].

On conçoit facilement combien le suif obtenu par des procédés aussi défectueux doit être grossier, et combien il doit être inférieur à celui que je tire de matières fraîches, épluchées, lavées et traitées dans toutes les opérations préliminaires de la fonte avec des soins minutieux.

Pour l'application en grand de ma méthode, il faut combiner l'établissement des appareils en raison de la quantité de suif que l'on veut fondre par jour et celle de chandelle qu'on veut fabriquer; le coulage suivant immédiatement la fonte, le rapport entre les appareils relatifs à ces deux opérations doit être d'une rigoureuse exactitude.

En supposant par jour la fabrication d'un millier pesant de chandelle, il faut, pour obtenir ce résultat, établir sur leurs fourneaux trois autoclaves pouvant contenir chacun cinq cents litres.

Les fourneaux doivent être chauffés avec du bois de préférence à tout autre combustible. L'expérience m'a démontré que dans cette opération où l'application du calorique doit être faite avec la plus grande précision, le bois était le combustible le plus facile à conduire, et celui à l'aide duquel on pouvait le mieux augmenter ou diminuer l'intensité de la chaleur, selon l'exigence des cas. Le bois pelard est le plus convenable.

Ces appareils disposés, ainsi que les moules destinés au coulage, on procède de la manière suivante:

On prend douze cents livres pesant de suif en branche, le plus frais possible (de quatre à cinq jours en hiver et de deux seulement en été). Après l'avoir bien épluché et coupé en petits morceaux, comme je l'ai dit au commencement de cet article, on l'étend pour dégorger sur de grandes toiles placées à la superficie de baquets pleins d'eau, de manière qu'il ne puisse ni toucher à ces baquets, ni tomber dedans; on le brasse ensuite et on le change d'eau jusqu'à ce que celle-ci n'ait plus la moindre teinte; on le retire alors et on le laisse égoutter. Après cette première opération, on divise cette masse de suif en trois portions égales, dont on charge les autoclaves en y ajoutant une certaine quantité d'eau (environ trois seaux), de manière que les chaudières ne soient remplies qu'aux trois quarts, l'autre quart devant rester vide pour faciliter l'effervescence de la matière lors de l'ébullition et pour éviter la fuite qui s'opérerait par l'ouverture de la soupape, si on négligeait d'observer cette indispensable précaution. Après avoir chargé et fermé l'autoclave, on met le feu dessous, et l'opération se continue de la manière déja indiquée.

Il est important de bien régler l'ordre des opérations de la fonte, si l'on veut profiter de tous les avantages que présente ce procédé pour le coulage immédiat de la chandelle. Tout doit donc être disposé dès la veille, de façon que les autoclaves soient convenablement chargés le soir, à six heures, afin que l'opération puisse être terminée de sept heures et demie à huit heures. Alors on retire le feu et on laisse la fonte se continuer jusqu'au lendemain. C'est principalement dans cet intervalle que s'effectue la dépuration.

Le matin, l'on découvre l'appareil; le suif est alors parfaitement fondu et clarifié. Après avoir reconnu son degré de chaleur, on suspend le coulage; s'il est jugé trop chaud, l'on attend qu'il soit suffisamment refroidi pour le décanter de l'appareil, ce qui se fait au moyen d'un poêlon de fer-blanc évasé, avec lequel on le retire doucement de la chaudière pour le couler de suite en chandelles.

Par le décantage on ne peut retirer tout le suif: il en reste toujours une légère couche sur l'eau où sont précipitées les parties hétérogènes pendant la double opération de la fonte et de la dépuration. On ne pourrait recueillir cette couche qu'en enlevant avec elle une certaine quantité d'eau qui rendrait ce suif impropre au coulage; par cette raison on le verse à travers un tamis, dans un vase particulier, où on le laisse refroidir et prendre en pain pour l'employer dans une fonte ultérieure.

On passe ensuite l'eau et les résidus qui restent au fond de la chaudière; ces résidus, qui ne présentent plus que quelques parcelles de viande, de peaux et de nerfs qui ont résisté à l'autoclave, sont soumis à la presse afin d'en extraire le peu de suif qu'ils retiennent encore.

En résultat: le produit net d'un autoclave doit donner pour 400 livres de suif 340 à 345 livres de chandelle, le déchet étant seulement de 55 à 60 livres. Les trois opérations donneront donc 1,020 livres de chandelle par jour; en suivant et en disposant la même opération pour chaque jour, on fabriquera par mois de vingt-six jours 26,500 livres de chandelle supérieure à celle du commerce, et offrant sur elle un bénéfice de dix pour cent.

Le matériel nécessaire à la fabrication, particulièrement en ce qui concerne la fonte, n'exige pas une avance de fonds considérable; les trois autoclaves montés sur leurs fourneaux économiques ne coûtent pas ensemble plus de 3,600 francs; les autres ustensiles accessoires, tels que baquets, toiles, etc., méritent à peine d'être portés en compte.

Le chauffage des appareils n'est pas d'une grande dépense. Dans les commencemens, lorsque la construction des fourneaux est nouvelle et qu'ils sont encore humides, chaque foyer peut consumer pour 3 francs à 3 francs 50 cent. de bois; mais dès que la maçonnerie est sèche et que la continuité du chauffage est entretenue, ces trois foyers ensemble n'exigent pas pour la fonte de 1,200 livres de suif plus de 4 à 5 francs de combustible par jour.

Sans rien ajouter au matériel, on peut doubler les résultats et obtenir 2,040 livres de chandelle en réglant l'ordre des opérations convenablement.

Par exemple, lorsque les matières premières sont préparées et les moules à chandelles disposés d'avance, si on charge les autoclaves à six heures du soir, ils pourront être décantés le lendemain de six à sept heures du matin. Alors les appareils seront vidés, nettoyés et rechargés, le feu rallumé dessous et l'opération continuée. Sur les neuf ou dix heures, on éteindra le feu, on laissera refroidir jusqu'à trois ou quatre heures. A cinq heures au plus tard on décantera cette seconde fonte dans les chaudières de décharge pour opérer le refroidissement de la matière au degré nécessaire au coulage. On rechargera de nouveau les appareils pour une troisième fonte, on rallumera le feu, etc., etc. De huit à neuf heures du soir, les feux seront éteints de nouveau et les appareils laissés au repos jusqu'au lendemain six heures.

Il reste, comme on le voit, de fort longs intervalles pendant lesquels la fonte s'opère seule et sans exiger aucun soin. Ce temps est employé aux opérations du coulage et à la préparation des matières destinées aux fontes ultérieures.

Les moyens que je viens d'indiquer pour obtenir un suif supérieur à celui des fontes ordinaires sont connus et pratiqués en partie, depuis quelques années, par plusieurs fabricants dont les produits sont justement appréciés dans le commerce; mais les frais énormes que leur occasionne le choix des matières premières, et surtout le mode dispendieux qu'ils observent dans leurs fontes les obligent à vendre leur chandelle de dix à vingt-cinq pour cent au-dessus du cours, ce qui paralyse leurs efforts et nuit autant à leurs propres intérêts qu'à ceux des consommateurs.

Si, au lieu d'employer toujours les anciennes chaudières, ces fabricants se décidaient enfin à opérer à vases clos, c'est-à-dire par la compression au moyen de l'autoclave, ainsi que je l'indique, ils pourraient non-seulement livrer leurs produits au cours, mais encore avec un bénéfice de plus de quinze pour cent, ce qui leur permettrait d'atteindre le véritable but où doivent tendre toutes les industries: celui de livrer à la consommation des produits supérieurs et moins coûteux.

Je crois avoir suffisamment démontré les avantages de mon procédé sur la méthode ordinaire; en observant rigoureusement les indications que je donne, et dont cinq années d'expériences m'ont fait reconnaître l'exactitude, on obtiendra les résultats les plus satisfaisans; on s'affranchira des dégoûts et des inquiétudes inséparables des opérations de la fonte; on obtiendra une chandelle plus pure, plus blanche, sans odeur, exempte de coulage et à beaucoup meilleur marché que celle employée jusqu'à présent.

Tableau approximatif des frais qu'occasionne l'établissement du matériel nécessaire à la fonte des suifs d'après l'ancienne méthode, comparés à ceux qu'exige mon procédé.

Dans une fonderie de premier ordre, où l'on opère habituellement une fonte de six à huit milliers de suif en branche, la grande chaudière peut coûter de sept à huit mille francs, ci... 8,000 fr.
Trois chaudières plus petites, destinées à recevoir les produits de la fonte, ensemble... 3,000 fr.
Une forte presse servant à extraire le suif resté dans les cretons après la fonte... 4,000 fr.
Les tonneaux pour déposer les boulets, les baquets dans lesquels le suif est coulé en pains, et les autres ustensiles employés dans la manutention, peuvent s'élever ensemble à... 800 fr.
Pour les fréquentes réparations de la grande chaudière, dont le fond brûle à chaque fonte, et qu'il faut renouveler tous les deux ou trois ans... 1,000 fr.
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Total 16,800 fr.

Pour la fonte journalière par mon procédé de 2,400 livres, dont le produit net, après déduction du déchet, est de 2,090 livres de suif entièrement clarifié et susceptible d'être coulé de suite en chandelle, j'emploie trois autoclaves de la contenance de cinq cents litres chacun.
Ces trois autoclaves, montés sur leurs fourneaux économiques, coûtent ensemble de 3,600 à 4,000 francs, ci:... 4,000 fr.
Trois chaudières de décharge également montées sur leurs fourneaux économiques, ensemble 1,500 à 1,600 francs, ci... 1,600 fr.
Une petite presse... 700 fr.
Ustensiles divers, tels que baquets servant à faire dégorger le suif en branche, toiles, etc., au plus... 1,000 fr.
Tables et moules à chandelles, Mémoire,ci...  
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Total 7,300 fr.

Le résultat d'une fonte de huit milliers de suif en branche, déduction faite du déchet, donne communément de six mille à six mille cinq cents livres de suif coulé en pains et propre à la vente; mais il faut remarquer que ces fontes considérables ne se peuvent renouveler que tous les trois ou quatre jours, et qu'elles ne fournissent réellement, l'une dans l'autre, par jour, qu'un produit de seize cents livres de suif, lequel encore ne peut être converti en chandelle qu'après avoir été clarifié de nouveau lors de l'opération du coulage.

Cet aperçu démontre que sur les frais du matériel nécessaire aux deux genres d'exploitation, mon procédé offre une économie de 9,500 francs. Si l'on considère en outre le peu de combustible que j'emploie dans mes opérations avec la quantité prodigieuse que réclame une fonte de huit milliers de suif en branche, faite d'un seul jet et au moyen d'une chaudière découverte, on reconnaîtra encore sur cet article important et le plus dispendieux une économie au moins des trois quarts.

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